N° 1223
______
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
ONZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 25 novembre 1998.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES (1) SUR LES PROJETS DE LOIS :
- autorisant autorisant l'approbation de la charte sociale européenne (révisée) (ensemble une annexe (n° 678),
- autorisant l'approbation du protocole additionnel à la charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives (n° 676),
PAR M. PAUL DHAILLE,
Député
(1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page.
Traités et conventions
La Commission des Affaires étrangères est composée de : M. Jack Lang, président ; MM. Georges Hage, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, vice-présidents ; M. Roland Blum, Mme Monique Collange, M. René Rouquet, secrétaires ; Mmes Michèle Alliot-Marie, Nicole Ameline, M. René André, Mmes Marie-Hélène Aubert, Martine Aurillac, MM. Edouard Balladur, Raymond Barre, Dominique Baudis, François Bayrou, Henri Bertholet, Jean-Louis Bianco, André Billardon, André Borel, Bernard Bosson, Pierre Brana, Jean-Christophe Cambadélis, Hervé de Charette, MM. Yves Dauge, Patrick Delnatte, Jean-Marie Demange, Xavier Deniau, Jacques Desallangre, Paul Dhaille, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Charles Ehrmann, Jean Espilondo, Jean-Michel Ferrand, Georges Frêche, Jean-Yves Gateaud, Jean Gaubert, Valéry Giscard d'Estaing, Jacques Godfrain, Pierre Goldberg, François Guillaume, Jean-Jacques Guillet, Robert Hue, Mme Bernadette Isaac-Sibille, MM. Didier Julia, Alain Juppé, André Labarrère, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Jean-Claude Lefort, François Léotard, Pierre Lequiller, François Loncle, Bernard Madrelle, René Mangin, Jean-Paul Mariot, Gilbert Maurer, Charles Millon, Mme Louise Moreau, M. Jacques Myard, Mme Françoise de Panafieu, MM. Etienne Pinte, Marc Reymann, Jean Rigal, Mme Yvette Roudy, MM. Henri Sicre, Mme Christiane Taubira-Delannon, MM. Michel Terrot, Joseph Tyrode, Michel Vauzelle, Aloyse Warhouver.
SOMMAIRE
___
INTRODUCTION 5
I - LA CHARTE SOCIALE EUROPÉENNE RÉVISÉE,
VECTEUR DU MODÈLE SOCIAL EUROPÉEN 9
A - LE RENFORCEMENT DES DROITS GARANTIS PAR LA CHARTE DE 1961 9
1) Le renforcement de la protection du travail 10
2) L' amélioration de la protection de la santé 11
3) L'extension de la protection de certaines catégories
de personnes en dehors du milieu du travail 11
B - LE RENFORCEMENT DE L'ÉGALITÉ D'ACCÈS AUX DROITS
ÉCONOMIQUES ET SOCIAUX 12
C - LA LUTTE CONTRE LA PAUVRETÉ, L'EXCLUSION ET
TOUTES LES FORMES DE DISCRIMINATION 13
1) La protection des travailleurs dans le milieu du travail 13
2) La lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale 13
3) Le principe de non discrimination 14
II - UN CONTRÔLE PLUS STRICT DU RESPECT DES ENGAGEMENTS FIGURANT DANS LA CHARTE 15
A - L'ALLÈGEMENT DE LA PROCÉDURE DE CONTRÔLE 15
1) Le système initial 15
2) Les dispositions du Protocole de Turin 16
B - LA RÉFORME DU MÉCANISME DE CONTRÔLE 17
C - LA PARTICIPATION DES PARTENAIRES SOCIAUX À
LA PROCÉDURE DE CONTRÔLE 18
III - UN IMPACT CERTAIN SUR LA LÉGISLATION NATIONALE 23
A - L'IMPACT DU NOYAU DUR DE LA CHARTE SOCIALE 23
B - LES MODIFICATIONS OPÉRÉES EN DROIT INTERNE 23
C - LES QUESTIONS EN SUSPENS 25
CONCLUSION 27
EXAMEN EN COMMISSION 29
Mesdames, Messieurs,
La Commission est appelée à examiner deux projets de loi connexes qui visent à autoriser d'une part, l'approbation de la Charte sociale européenne révisée et d'autre part, le protocole additionnel à la Charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives.
La ratification de ces deux textes revêt un caractère hautement symbolique : elle traduit l'importance sans cesse croissante, des questions sociales dans la vie des citoyens européens en raison des évolutions économiques et politiques de ces dernières années.
L'arrivée au sein des institutions européennes des pays d'Europe centrale et orientale et les difficultés liées à l'emploi sont à l'origine des réformes proposées.
Signée à Turin le 18 octobre 1961 et entrée en vigueur le 26 février 1965, la Charte sociale européenne est le pendant de la Convention européenne des droits de l'Homme qu'elle complète. Elle garantit aux citoyens européens des droits économiques et sociaux fondamentaux.
Le Conseil de l'Europe s'est doté dès 1961, avec la Charte sociale européenne, d'un remarquable instrument de justice sociale qui est resté méconnu. Adoptée après plus de sept ans de travaux préparatoires, la Charte sociale est le fruit d'une coopération étroite entre les gouvernements, l'Assemblée parlementaire qui a toujours soutenu l'action du Conseil de l'Europe, les partenaires sociaux et l'Organisation internationale du travail (OIT). A un moment où une nouvelle définition des droits fondamentaux de l'individu se profile, la Charte européenne du Conseil de l'Europe reste un texte majeur. Mais ce texte, élaboré dans les années cinquante, a rapidement montré ses limites, notamment par la lourdeur et le manque d'efficacité des mécanismes de contrôle. On trouve déjà dans la Recommandation 839 (1978) et dans la Recommandation 1022 (1986) de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe des propositions sur la modernisation du contenu de la Charte et sur le renforcement de son mécanisme de contrôle. La commémoration du vingt-cinquième anniversaire de la Charte à Grenade en 1987 a également été l'occasion de constater que ce texte avait besoin d'un nouvel élan. Deux solutions ont été envisagées : soit l'inclusion des droits garantis par la Charte dans la Convention européenne des droits de l'Homme, procédure qui n'a pas été retenue pour l'instant, soit une vaste entreprise de réforme du mécanisme de contrôle et des droits garantis par la Charte qui a été réalisée par les deux textes soumis à ratification. Malgré l'adoption en mai 1988 et l'entrée en vigueur en 1992, du Protocole additionnel à la Charte qui ajoute quatre droits nouveaux, force est de constater qu'à l'aube des années 1990 le bilan de la Charte n'était pas aussi positif que celui de la Convention européenne des droits de l'Homme.
L'effondrement du mur de Berlin fut suivi de la prise de conscience diffuse de la nécessité de renforcer l'action du Conseil de l'Europe dans le domaine des droits économiques et sociaux pour établir un modèle social servant aux pays d'Europe occidentale et aux pays d'Europe centrale et orientale. Aussi le besoin d'une réflexion plus globale sur l'avenir de la Charte s'est-il fait sentir. Dès 1989, Mme Catherine Lalumière, alors Secrétaire général du Conseil de l'Europe à l'occasion de la conférence ministérielle tenue à Rome pour le 40ème anniversaire de la Convention européenne des droits de l'Homme en faisait le constat. A la suite de cette conférence, un comité pour la relance de la Charte sociale européenne, composé d'experts désignés par chaque Etat-membre du Conseil de l'Europe, était créé. Participaient sans droit de vote à ces réunions des représentants de l'OIT, de la Confédération européenne des syndicats (CES), de l'Union des Confédérations de l'Industrie et des employeurs d'Europe (UNICE), de l'Assemblée parlementaire et de plusieurs comités du Conseil de l'Europe. Dès sa première réunion en février 1991 le comité pour la relance décidait d'alléger le mécanisme de contrôle de la Charte. La Conférence de Turin des 21-22 octobre 1991 constitue la première étape de ce processus.
Cette étape franchie, le Comité pour la relance de la Charte a travaillé au renforcement de l'efficacité du mécanisme de contrôle de la Charte sociale en élaborant un nouveau Protocole pour traiter les réclamations collectives déposées par des organisations non gouvernementales, internationales ou nationales alléguant des violations de la Charte. Adopté le 22 juin 1995, ce Protocole est entré en vigueur le 1er juillet 1998. Il est également soumis à ratification.
Parallèlement, les travaux de rénovation de la Charte se sont poursuivis et terminés en octobre 1994 par l'adoption d'un texte révisé qui modifie un certain nombre de droits garantis et complète le catalogue des droits sociaux fondamentaux par l'introduction de nouvelles dispositions. Le nouveau texte reprend également les droits ajoutés par le Protocole additionnel de 1988 que la France n'a pas ratifié. Au total, il énonce trente et un droits alors que la Charte de 1961 en garantissait dix-neuf.
La nouvelle Charte, plus encore que celle de 1961, doit, dans l'esprit de ses promoteurs, être une référence pour l'évolution des législations sociales en Europe. Elle prend en compte non seulement l'évolution des droits sociaux et économiques qui apparaissent dans nombre de normes internationales et dans la législation des Etats-membres, mais aussi les problèmes sociaux non traités par ces instruments.
Les nouveaux mécanismes mis en place par la Charte sociale révisée et ceux qu'organisent le protocole additionnel renforcent la protection des droits économiques et sociaux. Ils auront un impact sur le droit positif français, même si la quasi totalité des dispositions de la Charte révisée sont respectées par la France.
I - LA CHARTE SOCIALE EUROPÉENNE RÉVISÉE, VECTEUR DU MODÈLE SOCIAL EUROPÉEN
La Charte sociale européenne révisée est un instrument autonome, appelé à se substituer progressivement à la Charte de 1961 mais pendant plusieurs années les deux textes coexisteront. Ouverte à la signature à Strasbourg le 3 mars 1996 la Charte sociale européenne révisée a été signée par quinze Etats : Belgique, Chypre, Danemark, Estonie, Finlande, France, Grèce, Italie, Lituanie, Luxembourg, Portugal, Roumanie, Slovénie, Suède et Royaume-Uni et un seul pays l'a ratifiée très récemment : la Suède. Pour entrer en vigueur la Charte révisée doit être ratifiée par trois Etats membres du Conseil de l'Europe. Vecteur du modèle social européen, la Charte sociale révisée porte à 31 le nombre des principes fondamentaux protégés et va au-delà du travail de réglementation de l'OIT car elle correspond aux conditions spécifiques de l'Europe. Elle va sensiblement plus loin que la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs adoptée sous forme de simple déclaration par le Conseil européen de Strasbourg en décembre 1989 et ratifiée par les 15 Etats-membres de l'Union européenne. La Charte communautaire est une simple déclaration non juridiquement contraignante et son domaine est limité aux droits des travailleurs liés à leur activité professionnelle. La Charte sociale européenne est devenue une référence fondamentale pour l'orientation et la garantie de normes en matière de politique sociale. La Charte communautaire et le Traité de l'Union adopté à Amsterdam s'y réfèrent. La Charte sociale révisée renforce substantiellement les droits existant dans l'instrument de 1961 en intégrant les dispositions du Protocole additionnel de 1988 que la France n'a pas ratifié (et ratifiera donc indirectement) et introduit de nouveaux droits.
A - Le renforcement des droits garantis par la Charte de 1961
La Charte de 1961 organisait la garantie de trois séries de droits : protection du travail (droit à l'orientation et à la formation professionnelle, droit à des conditions de travail et de rémunération équitables, respect du droit syndical, protection spécifique des femmes, des enfants, des handicapés et des migrants), protection de la santé de l'ensemble de la population (droit à l'assurance médicale et sociale, au bénéfice des services sociaux et à la sécurité sociale) et protection en dehors du milieu du travail de certaines catégories de personnes (enfants, adolescents, mères, migrants, vieillards).
1) Le renforcement de la protection du travail
La durée minimale des congés passe de deux semaines dans le texte initial à quatre semaines dans la Charte révisée (article 2). La version révisée de cet article oblige dans son § 6 les parties à faire en sorte que les travailleurs soient informés des aspects essentiels de leur contrat de travail ; de même le § 7 de cette disposition prend en compte la dureté des contraintes du travail de nuit pour les hommes et les femmes en préconisant des mesures spécifiques.
Dans le domaine de la sécurité et de la santé le nouvel article 3 ajoute à l'ancien texte l'engagement de mettre au point "une politique nationale cohérente pour réduire les causes de maladies professionnelles et prévenir les accidents". L'obligation de promouvoir l'institution de service de santé du travail, c'est-à-dire une médecine du travail ayant un rôle de prévention figure au § 4 de cette disposition.
La protection des enfants sort renforcée de la révision de la Charte par la nouvelle rédaction des § 2, 4 et 7 de l'article 7. L'âge minimum d'admission à l'emploi pour certaines occupations dangereuses et insalubres non précisées en 1961, est fixé à 18 ans. C'est également jusqu'à 18 ans et non 16 ans que la durée du travail doit être limitée et la durée minimale des congés payés des moins de 18 ans est portée, comme pour tous les travailleurs, à quatre semaines.
La protection des travailleuses en cas de maternité est renforcée par l'article 8. Le § 1 porte de douze à quatorze semaines le congé de maternité pour tenir compte de la directive communautaire n° 85 de 1992 sur la protection des femmes enceintes. Le § 2 étend à la totalité de la durée du congé de maternité l'illégalité de tout licenciement.
Afin de tenir compte du principe d'égalité homme-femme, la Charte révisée réserve aux seules femmes enceintes, la protection spéciale accordée à toutes les femmes par le texte initial qui interdisait leur emploi dans les mines ou à des travaux insalubres et réglementait leur travail de nuit. Cette disposition fait obligation aux parties de prendre des mesures appropriées pour protéger les droits des femmes enceintes en matière d'emploi. Celles-ci doivent donc avoir la possibilité d'être affectées à un poste approprié.
Le développement du chômage a rendu nécessaire l'adjonction d'un nouveau paragraphe à l'article 4 pour encourager le recyclage et la réinsertion des chômeurs de longue durée par des mesures spécifiques de formation professionnelle.
2) L' amélioration de la protection de la santé
La nouvelle rédaction du § 2 de l'article 12 renvoie au Code européen de sécurité sociale dont le niveau de sécurité sociale est plus élevé que la convention n° 102 de l'OIT auquel le texte initial se réfère.
3) L'extension de la protection de certaines catégories de personnes en dehors du milieu du travail
L'article 15 étend la protection des personnes handicapées et reflète une approche progressiste de leurs droits. Alors que la Charte insiste sur les mesures à prendre dans le contexte de l'emploi et de l'insertion professionnelle, la Charte révisée innove en garantissant un droit "à l'autonomie, à l'intégration sociale et à la participation à la vie de la communauté". Les Parties contractantes doivent avoir pour but de développer une politique cohérente pour les personnes handicapées afin de "favoriser leur pleine intégration et leur participation" à la vie sociale, par des mesures relatives à leur mobilité, à l'accès au logement, aux loisirs et à une formation professionnelle s'inscrivant dans des filières générales, plutôt que dans des institutions spécialisées.
L'article 16 initial qui assure à la famille une protection sociale juridique et économique appropriée, n'a pas été modifié mais s'applique également aux familles monoparentales notamment aux femmes qui ne travaillent pas et ne bénéficient pas des garanties prévues par l'article 8 précité.
En dehors du milieu du travail, la Charte révisée offre de nouvelles garanties aux jeunes de moins de dix-huit ans, leur reconnaissant des droits propres dans le nouvel article 17. S'inspirant de la Convention des Nations Unies sur les droits de l'enfant, le nouveau texte part du constat selon lequel les jeunes ont de plus en plus une vie propre et ont droit à la promotion de l'égalité des chances dans leur épanouissement et leur développement. L'article 17 de la Charte révisée s'applique à tous les enfants quel que soit le statut conjugal de leurs parents ou le caractère légitime ou pas de leur naissance.
S'agissant du droit des travailleurs migrants et de leur famille à protection et assistance, seul l'article 19 § 6 qui confère à la notion de famille du travailleur migrant une interprétation exclusive, a été modifié. Ce n'est plus seulement l'épouse du travailleur et ses enfants à charge de moins de 21 ans qui sont couverts par cette disposition mais le conjoint homme ou femme du travailleur et ses enfants à charge non mariés aussi longtemps qu'ils sont considérés comme mineurs par le pays d'accueil. Deux nouveaux paragraphes complètent l'article 19 initial, le § 11 vise à favoriser et faciliter l'enseignement de la langue nationale de l'Etat d'accueil aux migrants et à leur famille. Cette disposition est reprise dans le § 12 pour l'enseignement de la langue maternelle du migrant à ses enfants.
B - Le renforcement de l'égalité d'accès aux droits économiques et sociaux
Le Protocole additionnel à la Charte européenne qui renforce l'égalité d'accès aux droits économiques et sociaux a été ouvert à signature en mai 1988 et est entré en vigueur en septembre 1992, huit Etats l'ayant ratifié à ce jour : Danemark, Finlande, Grèce, Italie, Pays-Bas, Norvège, Slovaquie et Suède et 13 autres dont la France l'ayant signé (Allemagne, Autriche, Chypre, Espagne, Islande, Lettonie, Luxembourg, République Tchèque, Slovénie, Turquie et ex République Yougoslave de Macédoine). Il porte sur quatre nouveaux droits : droit à égalité de chance et de traitement en matière d'emploi et de profession sans discrimination fondée sur le sexe, droit des travailleurs à l'information et à la consultation, droit de prendre part à la détermination et à l'amélioration des conditions de travail et du milieu social, droit des personnes âgées à une protection sociale.
Les dispositions des articles 1 à 4 de ce Protocole figurent aux articles 20 à 23 de la Charte révisée. L'article 20 de la Charte révisée étend le droit à l'égalité des chances et de traitements sans discrimination fondée sur le sexe à des domaines plus vastes que ceux couverts initialement par la Charte. Il fait référence à la réinsertion professionnelle alors que la Charte de 1961 n'en faisait pas état.
La France qui avait signé ce Protocole, a suspendu la procédure de ratification qu'elle avait engagée car les conditions d'attribution de l'allocation supplémentaire du Fonds national de solidarité (FNS) n'assuraient pas l'égalité de traitement aux étrangers exigée par l'article 3 du Protocole et 23 de la Charte révisée. Cette question est désormais réglée depuis le vote de la loi Chevènement n° 98-249 du 11 mai 1998 relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d'asile.
C - La lutte contre la pauvreté, l'exclusion et toutes les formes de discrimination
L'apport de la Charte révisée est plus fondamental en ce qui concerne l'introduction de nouveaux droits. Ceux-ci figurent aux article 24 à 31 de la Charte révisée. Ils renforcent la protection des travailleurs dans le milieu de travail et - fait nouveau - mettent en place des mécanismes de lutte contre la pauvreté et l'exclusion.
1) la protection des travailleurs dans le milieu du travail
L'article 24 énonce deux principes généraux de protection du travailleur en cas de licenciement. Le droit de celui-ci à ne pas être licencié sans motif valable et son droit à une indemnité adéquate et à une réparation en cas de licenciement, l'article 25 vise à les garantir en cas d'insolvabilité de l'employeur. L'article 26 protège la dignité du travailleur sur son lieu de travail et insiste sur la nécessité de prévenir et de lutter contre le harcèlement sexuel (§ 1) et les brimades (§ 2). Toutefois les signataires ne sont pas tenus de promulguer une législation à ce sujet. L'article 27 assure à ceux qui exercent des responsabilités familiales l'égalité des chances et celle de traitement.
La protection spécifique des représentants des travailleurs au sein de l'entreprise est assurée par l'article 28. Le droit à l'information et à la consultation dans les procédures de licenciement collectif est garanti par l'article 29. Les parties à la Charte s'engagent à assurer qu'une information et une consultation est effectuée avant tout licenciement collectif pour étudier les possibilités de l'éviter. La prise en considération des effets du chômage dans les pays membres du Conseil de l'Europe est donc très clairement affirmée dans la Charte révisée. Il en va de même de la nécessité de lutter contre l'exclusion.
2) la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale
Dans un domaine aussi actuel et dramatique que celui de la pauvreté et de l'exclusion sociale, les articles 30 et 31 de la Charte révisée constituent un cadre novateur et complet qui comble un vide juridique dans les normes sociales internationales.
L'article 30 exige des Etats qu'ils développent "une politique coordonnée et globale pour promouvoir l'accès effectif notamment à l'emploi, au logement, à la formation, à l'enseignement, à la culture, à l'assistance sociale et médicale des personnes se trouvant ou risquant de se trouver en situation d'exclusion sociale ou de pauvreté, et de leur famille". Les parties contractantes devront expliquer périodiquement dans quelle mesure les législations et politiques dans ces matières améliorent le sort des plus pauvres. Le terme "pauvreté" couvre diverses situations allant de la pauvreté aigüe remontant à plusieurs générations, à des situations temporaires comportant un risque de pauvreté. L'exclusion sociale fait référence à des personnes se trouvant dans une situation d'extrême pauvreté à la suite d'une accumulation de difficultés et subissant des situations ou des événements dégradants allant de la perte de leur droit au refus d'accès à certains services à l'issue d'une séparation d'avec leur famille, de violence, de toxicomanie ou d'alcoolisme. Parallèlement l'article 31 fait obligation aux parties d'assurer un droit au logement effectif et de prendre des mesures concrètes destinées à éliminer progressivement l'état de sans abri.
3) Le principe de non-discrimination
L'introduction d'une clause générale de non discrimination, inspirée du Préambule de la Charte constitue une autre innovation de la Charte révisée. Cette disposition confirme la jurisprudence du comité d'experts indépendants qui applique ce principe à toutes les dispositions de la Charte. La jouissance de chacun des droits reconnus dans la Charte doit être assurée sans aucune discrimination fondée notamment sur "la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'ascendance nationale ou l'origine sociale, la santé, l'appartenance à une minorité nationale, la naissance ou toute autre situation". Cette nouvelle disposition (Partie V, article E) se fonde sur l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'Homme. Le terme "notamment" indique que cette liste de motifs qui ne sauraient justifier une discrimination n'est pas exhaustive. Ce texte interdit, entre autres, le refus d'employer une femme au motif qu'elle est enceinte et assure également la non-discrimination en matière d'accès aux soins médicaux.
II - UN CONTRÔLE PLUS STRICT DU RESPECT DES ENGAGEMENTS FIGURANT DANS LA CHARTE
La procédure du mécanisme de suivi de la Charte de 1961 s'est révélée mal aisée malgré les efforts considérables du secrétariat et des comités compétents. Aussi deux protocoles ont-ils été adoptés. Le protocole d'amendement dit Protocole de Turin de 1991 qui n'est pas entré en vigueur car il requiert la ratification de toutes les parties contractantes, - (l'ont à ce jour ratifié l'Autriche, Chypre, la Finlande, la France, la Grèce, l'Irlande, l'Italie, Malte, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le Portugal, la Slovaquie, la Suède) - et le Protocole soumis à ratification prévoyant un système de réclamations collectives. Ouvert à signature en juin 1995, il est entré en vigueur le 1er juillet 1998. L'ont à ce jour ratifié, Chypre, la Finlande, la Grèce, l'Italie, la Norvège, le Portugal et la Suède et il a été en outre signé par la Belgique, le Danemark, la France et la Slovénie. Ces deux textes assurent un contrôle plus crédible et plus efficace de la Charte.
A - L'allègement de la procédure de contrôle
1) Le système initial
L'une des faiblesses de la Charte initiale réside dans son mécanisme de contrôle extrêmement lourd et complexe auquel le comité pour la relance s'est efforcé de remédier. A l'origine le contrôle de caractère politique et non juridictionnel faisait intervenir successivement quatre organes : un comité d'experts indépendants, un comité composé de représentants des gouvernements, l'Assemblée parlementaire et le comité des Ministres. Le système de contrôle péchait par l'absence de dispositions précises dans la Charte sur les rôles respectifs du comité d'experts indépendants et du comité gouvernemental ce qui a entraîné des contradictions. Le flou dans ce domaine a permis au comité gouvernemental de se donner un rôle de contre-appréciation juridique et d'interprétation de la Charte.
Le comité gouvernemental contestant au comité d'experts l'exclusivité de l'interprétation de la Charte, les deux organes formulaient donc des observations sur la compatibilité d'une situation nationale avec les dispositions de la Charte. Mais ces constats étaient par nature divergents puisque le premier est composé de représentants des Etats qui sont à la fois juges et parties alors que le deuxième comporte des experts indépendants. La volonté politique d'adresser aux gouvernements concernés des recommandations individuelles n'a jamais pu s'exprimer au niveau du comité des Ministres.
2) les dispositions du Protocole de Turin
Le Protocole de Turin repose sur l'idée que des deux organes, seul le comité d'experts indépendants est compétent pour procéder à une appréciation juridique de la conformité des législations et des pratiques nationales avec la Charte. Le rôle du comité gouvernemental est de sélectionner, à l'intention du comité des Ministres, sur la base de considérations de politique sociale et économique, les situations nationales qui lui semblent devoir faire l'objet d'une recommandation (article 4 du Protocole). Dans cette optique le comité gouvernemental quitte son rôle de réaction ou de défense. Il a accepté de modifier ses méthodes de travail en conséquence depuis.
Le rôle de l'Assemblée parlementaire a également été repensé pour alléger la procédure : sur la base de l'article 6 du Protocole elle cesse d'être un organe de contrôle au sens strict pour devenir une instance politique d'incitation et de débats. L'Assemblée parlementaire a décidé en 1992, de s'abstenir d'émettre son avis sur les conclusions du comité d'experts indépendants et d'utiliser ces conclusions comme support pour les débats périodiques de politique sociale qu'elle sera amenée à tenir (Directive n° 482 du 7 octobre 1992).
Le Protocole a changé les modalités d'adoption des recommandations par le comité des Ministres. La majorité prévue par l'article 29 de la Charte (deux tiers des Etats membres du Conseil de l'Europe, qu'ils soient ou non parties à la Charte) faisait obstacle à l'adoption par le comité des Ministres de recommandations individuelles. Quelques abstentions pouvaient en effet empêcher que la majorité requise soit atteinte, situation fréquente qui privait le processus de contrôle d'une sanction politique significative. Le nouveau texte prévoit donc que seules les Parties contractantes peuvent prendre part au vote et que la majorité des deux tiers est calculée sur la base des votants, les abstentions n'étant plus prises en compte. Le comité des Ministres a décidé d'appliquer cette modification dès avril 1993 et en juin 1995, il a également précisé qu'"une recommandation en vertu de la Charte sociale européenne est adoptée à la majorité des deux tiers des délégués votants et à la majorité des parties contractantes à la Charte".
Bien qu'il ne soit pas formellement en vigueur le Protocole de Turin s'applique en pratique. La crédibilité des mécanismes de contrôle de la Charte en sort renforcée au plan politique, technique et juridique car deux organes de contrôle ne se disputent plus la même compétence et l'appréciation de la conformité de la Charte appartient aux experts indépendants. Sur ce point les travaux d'amélioration du mécanisme de contrôle ont porté leurs fruits. Parallèlement l'efficacité du mécanisme de contrôle de la Charte devait être accrue.
B - La réforme du mécanisme de contrôle
Compte tenu de la coexistence des deux Chartes pendant une période de transition, le système de contrôle prévu par les deux documents est identique. Il figure aux articles 21 et 22 IVème partie de la Charte initiale auxquels l'article C de la IV Partie de la Charte révisée renvoie expressément.
Selon l'article 21 de la Charte sociale, les Parties contractantes ont l'obligation, tous les deux ans, d'adresser au Secrétaire général du Conseil de l'Europe, un rapport sur l'application des dispositions de la Charte qu'elles ont acceptées. Les rapports gouvernementaux constituent donc la base du mécanisme de contrôle normal de l'application de la Charte.
L'augmentation du nombre des Parties contractantes a mis le système de contrôle sous pression entraînant des retards dans son fonctionnement. En 1984, le Comité des Ministres a adopté la solution suivante : les Etats ont été divisés en deux groupes qui soumettaient leurs rapports alternativement. En 1992, une nouvelle augmentation du nombre des Parties contractantes a rendu nécessaire une nouvelle réforme. Pour une période expérimentale de quatre ans, elles étaient tenues de soumettre un rapport chaque année sur une sélection de dispositions. Mais ce système n'a pas été accepté par tous les signataires. En 1997, un nouveau système a été retenu, de présentation de rapports qui portent simultanément sur les mêmes dispositions afin de comparer les situations nationales. Un rapport sur les dispositions du noyau dur de la Charte sera présenté tous les deux ans. Les articles ne faisant pas partie du noyau dur feront l'objet d'un rapport tous les quatre ans.
Ces rapports sont d'abord examinés par le comité d'experts indépendants qui formule une appréciation juridique sur la manière dont les Etats parties ont respecté leurs engagements et la transmet au comité gouvernemental, composé de représentants des Parties contractantes et assisté d'observateurs issus des organisations européennes de travailleurs et d'employeurs. Le comité gouvernemental examine la situation des pays qui semblent ne pas remplir leurs obligations et, sur la base de considérations de politique sociale et économique, élabore des recommandations, en vue de leur adoption par le Comité des ministres. Celui-ci adresse des recommandations aux Etats qui ne se conforment pas à la Charte. L'Assemblée parlementaire est également associée à cette procédure. A partir des conclusions du Comité d'experts indépendants, elle organise périodiquement, depuis 1992, des débats sur la politique sociale.
Ce dispositif a été complété par le Protocole prévoyant un système de réclamation collective.
C - La participation des partenaires sociaux à la procédure de contrôle
Un des objectifs du mandat confié au comité pour la relance de la Charte était le renforcement de la participation des partenaires sociaux dont le rôle réduit à la portion congrue, privait le mécanisme de la Charte d'un apport dynamisant. Le Protocole soumis à ratification prévoyant un système de réclamations collectives est le résultat d'un compromis. Bien que l'idée ambitieuse des partenaires sociaux d'instituer à l'occasion de ce Protocle, un recours devant la Cour européenne des droits de l'Homme ait été rejetée, ce Protocole constitue une avancée. Il existe peu de mécanismes de réclamations s'appliquant au niveau international dans le domaine des droits économiques, sociaux et culturels. Le dispositif de ce type le plus solidement établi est celui par lequel des réclamations collectives peuvent être présentées au comité de la liberté syndicale de l'OIT. Ce mécanisme a servi de source d'inspiration pour le Protocole soumis à ratification mais il ne concerne évidemment que les affaires de liberté et de protection syndicale, alors que ce Protocole soumis à ratification a pour caractéristique remarquable d'englober la totalité des droits garantis par la Charte.
Le Protocole définit les organisations habilitées à faire des réclamations (articles 1 à 3). La procédure d'examen de la réclamation (articles 4 à 6), et les grandes étapes de l'examen au fond des réclamations (articles 9 à 12).
Le Protocole prévoit que quatre catégories d'organisations peuvent formuler des réclamations en vertu de ses dispositions. Le premier groupe comprend les organisations internationales d'employeurs et de travailleurs qui participent aux réunions du comité gouvernemental. Elles ne sont qu'au nombre de trois : deux organisations d'employeurs (l'UNICE et l'OIE, et une de travailleurs, la Confédération européenne des syndicats, CES).
La seconde catégorie d'organisations comprend les organisations internationales non gouvernementales dotées du statut consultatif auprès du Conseil de l'Europe et inscrites sur la liste établie à cet effet par le comité gouvernemental. Ces organisations sont fort nombreuses. Toutes ont été invitées collectivement par décision du comité des Ministres de juin 1995 à demander à être inscrites sur la liste du comité gouvernemental. Cette décision prévoit que pour être inscrite sur la liste, l'organisation concernée doit démontrer qu'elle est capable de soumettre des réclamations dont le contenu quant aux faits et à l'argumentation juridique, est fiable.
La troisième catégorie d'organisations comprend les organisations nationales représentatives d'employeurs et de travailleurs relevant de la juridiction de l'Etat concerné. Cette catégorie se borne aux organisations d'employeurs : les employeurs individuels ne peuvent pas soumettre de réclamations. En revanche, la situation semble différente pour les organisations de travailleurs : un syndicat de travailleurs national particulier peut formuler une réclamation au même titre qu'une centrale syndicale nationale.
La dernière catégorie d'organisations admises à formuler des réclamations se compose des ONG représentatives relevant de la compétence de l'Etat concerné et qui sont particulièrement qualifiées dans les matières régies par la Charte. La situation est différente pour les ONG nationales. Elles ne peuvent présenter de réclamations que si l'Etat contre lequel elles souhaitent agir, a fait à cet effet une déclaration facultative en vertu de l'article 2 du Protocole. La France n'a pas retenu cette option. Elle souhaite prendre la mesure de la portée du nouveau système et éviter un engorgement de la procédure ouverte désormais à un nombre d'associations dont la représentativité serait difficile à apprécier. La France considère en outre que les associations nationales les plus actives dans le domaine social sont en général affiliées à des ONG européennes qui auront, de droit, dès lors qu'elles figureront sur la liste dressée par le comité des Ministres, la possibilité de présenter une réclamation au titre du Protocole. Cette réticence à l'égard des ONG nationales souvent plus motivées et mieux informées, est assez regrettable.
La procédure d'examen de la demande est détaillée dans les articles 7 à 10 du Protocole dont la rédaction a constitué le point central des discussions au sein du comité pour la relance.
Les réclamations collectives sont examinées par le comité d'experts indépendants qui doit d'abord décider de leur recevabilité sur la base des critères énumérés par le Protocole. Sur le fond, après avoir recueilli des informations communiquées par les auteurs de la réclamation, l'Etat concerné, les autres Parties contractantes et les partenaires sociaux, le comité d'experts rédige à l'intention du comité des Ministres un rapport contenant ses conclusions. Elles déterminent si la Partie contractante mise en cause a assuré d'une manière satisfaisante ou non l'application de la disposition visée par la réclamation. Il appartient ensuite au Comité des ministres d'adresser une recommandation à la Partie contractante mise en cause si le comité d'experts indépendants constate une application non satisfaisante de la Charte, ou bien d'adopter une résolution dans le cas contraire. Le Comité des ministres peut dans des circonstances particulières consulter le comité gouvernemental.
Le rôle du Comité gouvernemental et du Comité des ministres dans la procédure a constitué le point central des discussions. Les partenaires sociaux voulaient confier l'ensemble de la procédure aux seuls experts indépendants pour bien marquer la spécificité de ce système par rapport au système normal de contrôle, mais la plupart des délégations souhaitaient, au contraire, que la procédure de réclamations collectives soit calquée sur la procédure normale (Comité d'experts indépendants, Comité gouvernemental, Comité des ministres). Le texte du Protocole soumis à ratification est le résultat d'un compromis. Il consiste à confier au seul Comité d'experts indépendants l'examen des réclamations quant à la recevabilité et quant au fond et à supprimer l'intervention du Comité gouvernemental. La décision d'adopter une recommandation à l'adresse de l'Etat mis en cause est prise "à la majorité des deux tiers des votants", seules les Parties contractantes à la Charte pouvant prendre part au vote.
Les conditions de recevabilité d'une réclamation, détaillées dans les articles 4 à 6 du Protocole, n'ont pas suscité de grandes difficultés. Une réclamation peut alléguer une application non satisfaisante de la Charte, voire le non respect des dispositions de la Charte acceptées par un Etat. Les réclamations présentées en vertu du Protocole doivent être collectives quant au fond et quant à la procédure et ne peuvent pas soumettre de cas individuels. Bien que le Protocole ne le prévoie pas, la recevabilité de la réclamation devra être soumise à l'épuisement des voies de recours internes car la décision d'une juridiction nationale est juridiquement contraignante.
Tout au long des discussions, les partenaires sociaux se sont montrés très favorables au principe des réclamations collectives, l'UNICE déplorant toutefois le caractère facultatif du protocole. La CES, qui aurait souhaité supprimer toute intervention du Comité des ministres dans la procédure, s'est finalement ralliée au compromis.
Il convient de se féliciter de l'adoption du Protocole, car il introduit une dimension supplémentaire importante dans le mécanisme de contrôle international du respect de la Charte européenne révisée et devrait conduire au niveau national à une meilleure connaissance de cet instrument, dont la France a accepté dès son origine, toutes les dispositions.
La Charte sociale révisée et le Protocole sur le système de réclamations collectives devraient amener à certaines modifications dans notre législation nationale.
III - UN IMPACT CERTAIN SUR LA LÉGISLATION NATIONALE
La Charte sociale européenne en tant que référence essentielle dans le domaine de la protection des droits économiques et sociaux a une influence pratique non négligeable sur le droit positif des Etats membres qui ont été conduits à modifier leur législation pour se mettre en conformité avec les engagements contenus dans la Charte, qu'ils avaient acceptés. L'harmonisation a donc porté sur le noyau dur de la Charte ; la France a dû modifier certaines dispositions pour se conformer à ses engagements, mais quelques difficultés subsistent.
A - L'impact du noyau dur de la Charte sociale
L'harmonisation des législations s'est effectuée sur le noyau dur de la Charte initiale c'est-à-dire les dispositions auxquels chaque Etat devait obligatoirement souscrire : la Partie I, qui détermine les objectifs et cinq articles parmi les dispositions suivantes : articles 1, 5, 6, 12, 13, 16 et 19 de la partie II qui traitent respectivement du droit au travail, du droit syndical, du droit de négociation collective, du droit à la sécurité sociale, du droit de la famille à une protection sociale juridique et économique et du droit des travailleurs migrants et de leur famille à la protection et à l'assistance. Chaque signataire devrait en outre se sentir lié par au moins dix autres articles ou quarante-cinq paragraphes numérotés choisis dans la Partie II de la Charte initiale.
Le système d'engagement à la carte n'a pas été remis en cause par la Charte révisée, qui intègre dans le noyau dur l'article 20 qui porte sur le droit à l'égalité des chances en matière d'emploi et de protection et étend à seize articles ou soixante-trois paragraphes numérotés le nombre de dispositions de la Partie II auxquelles un signataire doit se sentir lié.
La France, quant à elle, a choisi, comme la Belgique, l'Italie, les Pays-Bas et le Portugal, d'accepter la totalité des dispositions de la Charte initiale et de la Charte révisée, ce qui a conduit à certaines réformes, quelques questions restant en suspens.
B - Les modifications opérées en droit interne
La France avait dû suspendre la procédure de ratification du protocole additionnel à la Charte européenne de 1988 intégré à la Charte révisée, car à l'époque, les conditions d'attribution de l'allocation supplémentaire du Fonds National de Solidarité (FNS), qui n'assurait pas l'égalité de traitement aux étrangers, posait problème au regard de l'article 4 du Protocole (devenu l'article 23 de la Charte révisée). Il en allait de même de l'allocation pour adultes handicapés (AAH) réservée aux ressortissants d'Etats membres de la Communauté résidant en France et aux ressortissants d'autres Etats avec lesquels un accord de réciprocité avait été conclu. Les ressortissants des autres Parties contractantes n'y avaient pas droit. Ces questions sont désormais réglées. Le vote de la loi Chevènement (n° 98-349 du 11 mai 1998) relative à l'entrée et au séjour des étrangers en France remédie à cette situation (article 41 de la loi pour le FNS et 42 pour AAH).
La France s'est vu reprocher de ne pas respecter les dispositions des articles 5 et 19 sur le principe général de l'égalité de traitement entre nationaux et ressortissants d'une partie contractante en raison des restrictions frappant les travailleurs étrangers dans l'exercice de certaines fonctions d'administration et de direction des syndicats.
Selon le code du travail, les travailleurs étrangers n'étaient autorisés à exercer des fonctions d'administration ou de gestion au sein du syndicat auquel ils étaient affiliés qu'après avoir travaillé pendant une période de cinq ans en France. La proportion de travailleurs étrangers parmi les membres d'un syndicat exerçant de telles fonctions ne pouvait dépasser un tiers. La loi n° 82-915 du 28 octobre 1982, modifiant le code du travail, a mis fin à cette situation.
De même, le traitement réservé, en matière d'assistance sociale et médicale, aux ressortissants chypriotes établis en France, qui n'était pas exactement celui réservé aux nationaux français, était régulièrement critiqué. Dans une circulaire du 10 octobre 1989, le ministère français de la solidarité, de la santé et de la protection sociale a donné instructions aux autorités administratives départementales et locales chargées de l'aide sociale de veiller à ce que les ressortissants chypriotes soient désormais traités sur un pied d'égalité dans ce domaine.
En outre, la France était régulièrement mise en cause pour son application du § 1 de l'article 7 concernant l'âge minimum d'admission à l'emploi des enfants. Un décret n° 97-370 du 14 avril 1997 relatif aux conditions d'emploi des jeunes travailleurs agricoles y remédie en fixant un âge minimum.
Il reste que d'autres dispositions, qui subsistent dans notre législation, sont en contradiction avec les engagements souscrits.
C - Les questions en suspens
D'après M. Xavier Coyer, chef du Bureau des Affaires européennes au ministère de l'Emploi et de la solidarité, entendu par le Rapporteur, quelques points de notre législation ou de notre pratique en droit social ou en droit civil continuent à poser problème.
La législation française a été considérée comme non conforme aux dispositions de l'article 1er § 2 de la Charte interdisant le travail forcé au motif que le § 4 de l'article 39 et le § 1 de l'article 59 du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande prévoient la possibilité de sanctions pénales à l'encontre des marins dans des cas où il n'y a aucun risque pour la sécurité du navire ou pour la vie et la santé des personnes se trouvant à bord.
Les pratiques de monopole syndical d'embauche dans le secteur du livre sont mises en cause comme contrevenant à l'article 5 de la Charte. L'accord conclu en 1900 entre les imprimeurs et la Fédération française des travailleurs du Livre qui réservait le monopole d'embauche aux adhérents de ce syndicat n'est pas conforme à la Charte.
Le calcul des retenues sur salaires des fonctionnaires de l'Etat qui exercent leur droit de grève est considéré comme non conforme à l'article 6 de la Charte.
La France est régulièrement critiquée au titre des articles 7 et 17 de la Charte sur la protection de l'enfance. Elle se voit reprocher les différences qui subsistent entre les droits successoraux des enfants légitimes et ceux des enfants adultérins. Un récent rapport de Mme Théry, remis au Ministre de l'emploi et de la solidarité et au Garde des Sceaux, propose d'ailleurs que la législation française évolue sur ce point.
CONCLUSION
La Charte sociale révisée et le protocole additionnel instaurant un système de réclamations collectives doivent être ratifiés pour plusieurs raisons.
Ces deux textes constituent un ensemble cohérent de normes juridiques de protection économique et sociale qui définissent un modèle social européen spécifique par rapport à ceux de l'Amérique ou de l'Asie. La cohésion sociale constitue une des exigences primordiales de lUnion européenne et à moyen terme de l'Union élargie.
La Charte révisée procure un niveau de protection sociale supérieur à celui de lUnion européenne et à celui de l'Organisation internationale du Travail. En cela, elle représente un instrument incontestable de progrès social.
La France, deuxième pays à ratifier ce texte important, dispose d'une législation qui paraît conforme aux diverses dispositions de la Charte révisée. Cependant pour de nombreux pays signataires, cet instrument représente une avancée majeure dans leur législation et contribuera au bien-être de leurs citoyens.
Le respect de l'ensemble de ce texte par les pays de lUnion européenne et ceux dEurope centrale et orientale créera les conditions d'une concurrence économique équilibrée.
Dans le nouvel environnement lié à la chute des régimes communistes et dans le contexte institutionnel actuel, le rôle du Conseil de l'Europe en tant que seule organisation à vocation pan-européenne, se trouvera conforté dans le domaine social, où il reste trop méconnu.
EXAMEN EN COMMISSION
La Commission a examiné les présents projets de loi au cours de sa réunion du mercredi 25 novembre 1998.
Après lexposé du Rapporteur, le Président Jack Lang s'est interrogé sur le faible nombre de signataires de la Charte sociale européenne révisée et s'est félicité de la référence à ce texte dans le Traité d'Amsterdam.
M. Paul Dhaille a énuméré les quinze signataires de la Charte (Belgique, Chypre, Danemark, Estonie, Finlande, France, Grèce, Italie, Lituanie, Luxembourg, Portugal, Roumanie, Slovénie, Suède et Royaume-Uni) en précisant que la Suède l'avait déjà ratifiée et que la France serait le deuxième pays à effectuer cette démarche.
Suivant les conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté les projets de loi (nos 678 et 676).
*
* *
La Commission vous demande donc dadopter, dans les conditions prévues à larticle 128 du Règlement, les présents projets de loi.
NB. Les textes de la Charte sociale révisée et du Protocole additionnel figurent en annexe aux projets de loi (nos 678 et 676).
__________
N°1223. Rapport de M. Paul Dhaille (au nom de la commission des affaires étrangères), sur les projets de loi,
- autorisant l'approbation de la charte sociale européenne (révisée) (ensemble une annexe) (n° 678),
- autorisant l'approbation du protocole additionnel à la charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives (n° 676).
|