Document mis en distribution le 11 décembre 1998 N° 1240 -- ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 ONZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 décembre 1998. RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE (1) SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE (n° 985) relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes, PAR MME CATHERINE TASCA, Députée. -- (1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page. Femmes. La commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République est composée de : Mme Catherine Tasca, présidente ; MM. Pierre Albertini, Gérard Gouzes, Mme Christine Lazerges, vice-présidents ; MM. Richard Cazenave, André Gerin, Arnaud Montebourg, secrétaires ; MM. Léo Andy, Léon Bertrand, Emile Blessig, Jean-Louis Borloo, Patrick Braouezec, Mme Frédérique Bredin, MM. Jacques Brunhes, Michel Buillard, Dominique Bussereau, Christophe Caresche, Patrice Carvalho, Mme Nicole Catala, MM. Olivier de Chazeaux, Pascal Clément, Jean Codognès, François Colcombet, Michel Crépeau, François Cuillandre, Henri Cuq, Jacky Darne, Camille Darsières, Jean-Claude Decagny, Bernard Derosier, Marc Dolez, Renaud Donnedieu de Vabres, René Dosière, Julien Dray, Mme Nicole Feidt, MM. Jacques Floch, Raymond Forni, Pierre Frogier, Claude Goasguen, Louis Guédon, Guy Hascoët, Philippe Houillon, Michel Hunault, Henry Jean-Baptiste, Jérôme Lambert, Mme Claudine Ledoux, MM. Jean-Antoine Léonetti, Bruno Le Roux, Mme Raymonde Le Texier, MM. Jacques Limouzy, Thierry Mariani, Louis Mermaz, Jean-Pierre Michel, Ernest Moutoussamy, Henri Nallet, Mme Véronique Neiertz, MM. Robert Pandraud, Christian Paul, Vincent Peillon, Dominique Perben, Henri Plagnol, Didier Quentin, Bernard Roman, Gilbert Roseau, José Rossi, Frantz Taittinger, André Thien Ah Koon, Jean Tiberi, Alain Tourret, André Vallini, Alain Vidalies, Jean-Luc Warsmann. INTRODUCTION 5 I. - LA LONGUE MARCHE DES FEMMES VERS LA CITOYENNETÉ 7 A. Les exclusions et les combats 7 B. L'ouverture 12 II. - UNE DÉMOCRATIE FRANÇAISE HÉMIPLÉGIQUE 16 A. Les femmes exclues de la représentation 16 B. Sous l'emprise de la loi salique 21 III. - L'ASPIRATION À LA PARITÉ 24 A. Le rôle précurseur des mouvements féministes 24 B. La reconnaissance européenne et internationale 26 C. Les attentes de l'opinion publique 30 D. Les tentatives insuffisantes des partis politiques 31 E. La convergence de vues 33 IV. - LA NÉCESSAIRE RÉVISION DE LA CONSTITUTION 35 A. La constitution de 1958 et l'égalité des sexes 35 B. La jurisprudence du conseil constitutionnel 36 C. Le projet de loi constitutionnelle 38 1. Pourquoi les seuls mandats et fonctions ? 39 2. Pourquoi n'est-il pas fait mention de la parité ? 40 3. " Favoriser " l'égal accès ? 41 CONCLUSION : LES PERSPECTIVES 43 AUDITIONS 47 DISCUSSION GÉNÉRALE 89 EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE 96 TABLEAU COMPARATIF 99 AMENDEMENTS NON ADOPTÉS PAR LA COMMISSION 101 ANNEXE 103 MESDAMES, MESSIEURS, La France, pays des droits de l'homme, serait-elle le pays du droit des seuls hommes ? La place des femmes dans notre vie politique a longtemps été inexistante et elle est aujourd'hui encore très insuffisante. La société politique française a, pendant des décennies, refusé aux femmes le droit de voter et d'être élues. Alors même que la France avait dès 1789 proclamé aux yeux du monde la puissance de la liberté et de l'égalité, elle fut l'un des pays occidentaux qui accorda le plus tardivement aux femmes le droit de suffrage. Cinquante ans après, si l'exercice du droit de vote par les femmes est désormais un acquis, le droit pour elles d'être élues, juridiquement reconnu, est, dans les faits, loin de s'être imposé. La représentation politique demeure un quasi-monopole détenu par les hommes, la France restant, en ce domaine, derrière la plupart des autres démocraties. Que n'a-t-on entendu d'arguments parfois absurdes, souvent grossiers, faisant des femmes des êtres inaptes à toute fonction politique. Il faut rappeler quelques-uns de ces mots pour comprendre ce que fut, pendant trop longtemps, la condition féminine dans notre pays. Emile Morlot, député radical de 1896 à 1907 écrivait ainsi dans sa thèse consacrée à la capacité électorale : " En vain prétend-on que l'égalité civile accordée à la femme a pour corollaire nécessaire son émancipation politique. C'est méconnaître absolument le rôle de la femme dans l'humanité. Destinée à la maternité, faite pour la vie de famille, la dignité de sa situation sera d'autant plus grande qu'elle n'ira point la compromettre dans les luttes de forum et dans les hasards de la vie publique. Elle oublierait fatalement ses devoirs de mère et d'épouse, si elle abandonnait le foyer pour courir à la tribune (...) On a donc parfaitement raison d'exclure de la vie politique les femmes et les personnes qui, par leur peu de maturité d'esprit, ne peuvent prendre une part intelligente à la conduite des affaires publiques. " On reste pareillement confondu devant le rapport présenté par le sénateur Alexandre Bérard en 1919 sur plusieurs propositions de loi tendant à accorder aux femmes l'électorat et l'éligibilité : " Les mains des femmes sont-elles bien faites pour le pugilat de l'arène publique ? Plus que pour manier le bulletin de vote, les mains de femmes sont faites pour être baisées, baisées dévotement quand ce sont celles des mères, amoureusement quand ce sont celles des femmes et des fiancées : ... séduire et être mère, c'est pour cela qu'est faite la femme ". Il n'y a rien à ajouter. L'exclusion des femmes de la vie politique, alors qu'elles représentent 53 % des électeurs, est bien une exception française qu'on ne peut que déplorer et qu'il nous faut faire disparaître. La normalisation de la situation française est indispensable. Elle est gage de modernité, cette modernité que nos concitoyens appellent de leurs v_ux. Dans son discours de politique générale le 19 juin 1997, Lionel Jospin a proposé aux Français un nouveau pacte républicain fondé sur un retour aux sources de notre république et sur la modernisation de notre démocratie. " Il faut d'abord permettre aux Françaises de s'engager sans entraves dans la vie publique. Dans ce domaine, le progrès passe d'abord par l'évolution des mentalités et le changement des comportements. (...) Il faut aller plus loin. Une révision de la Constitution, afin d'y inscrire l'objectif de parité entre les femmes et les hommes, sera proposée. " Cet engagement a été tenu puisque, le 18 juin dernier, le Gouvernement a déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale un projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes. Il nous est aujourd'hui soumis. Ce projet de loi vise à inscrire clairement dans la Constitution le principe d'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions politiques. Il présente un double aspect : symbolique d'abord puisqu'il marquera solennellement l'attachement de la société française à la présence dans ses institutions et dans sa vie politique des femmes au même titre que des hommes, non plus cantonnées à des tâches ingrates, subalternes ou anecdotiques ; juridique ensuite, puisqu'il autorisera le législateur à prendre dans ce domaine des mesures destinées à rendre effectif le principe d'égalité des sexes sans qu'on puisse lui opposer d'autres règles de valeur constitutionnelle. L'enjeu n'est pas seulement de permettre aux femmes d'accéder au champ politique dans les mêmes conditions que les hommes. Plus largement, il s'agit de leur donner les moyens d'investir l'ensemble des lieux de responsabilité administratifs, économiques et sociaux. Car cela est la condition d'une véritable égalité des sexes à tous les échelons de la société. A cet égard, il est évident que l'égalité dans la représentation aura inéluctablement un effet bénéfique pour toutes les femmes. L'adoption de ce projet de loi constitutionnelle marquera l'aboutissement de longues années de combat menées par les femmes pour obtenir la juste place qui leur revient dans la démocratie française. Il devra également être le début d'un vaste chantier législatif destiné à accompagner et à stimuler l'évolution des mentalités pour que l'égalité des sexes ne soit plus un vain mot. I. - LA LONGUE MARCHE DES FEMMES VERS LA CITOYENNETÉ L'accès à l'espace politique démocratique passe par la reconnaissance de deux droits : celui de voter et celui d'être élu. Il a fallu attendre longtemps avant que les femmes françaises puissent disposer de ces droits. Du 26 août 1789, date à laquelle la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen proclamait dans son article 6 : " La loi est l'expression de la volonté générale. Tous les citoyens ont droit de concourir personnellement, ou par leurs représentants, à sa formation ", jusqu'au 21 avril 1944, jour où le Général de Gaulle signa la fameuse ordonnance d'Alger où il était écrit que " les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ", il s'est passé plus de cent cinquante ans, au cours desquels nombreuses furent les femmes qui ont combattu pour obtenir la reconnaissance de leur dignité politique et civile et nombreux furent les hommes qui s'y opposèrent avec force et parfois même avec rage. A. LES EXCLUSIONS ET LES COMBATS Alors même que sous l'Ancien régime on reconnaissait aux veuves dotées d'un fief et aux mères abbesses le droit de voter aux Etats-Généraux, on aurait pu attendre que la Révolution émancipe les femmes et leur accorde des droits civils et politiques égaux à ceux des hommes. Paradoxalement, ce fut loin d'être le cas. Au contraire même, avec l'avènement de la démocratie, l'incapacité politique des femmes devient un principe. Nous avons tous en tête les noms de Théroigne de Méricourt, de Madame Roland ou d'Olympe de Gouges. Cette dernière rédige en 1791 la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne qui contient cette fameuse apostrophe : " la femme a le droit de monter sur l'échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune (1). " On se souvient aussi du rôle des femmes dans les journées révolutionnaires. Pourtant, aucune des constitutions qui se succédèrent dans ces années troublées ne reconnaîtront aux femmes le droit de vote. Quelques grandes figures révolutionnaires parlèrent en faveur du vote des femmes. Ce fut en particulier le cas de Condorcet, en juillet 1790, dans un article du Journal de la société de 1789. Mais ces prises de position demeurèrent vaines et marginales. Si les femmes sont exclues de la représentation par les révolutionnaires, la question de leur participation à la vie politique est néanmoins posée ouvertement, ce qui n'était pas le cas sous l'Ancien régime. Après l'effervescence révolutionnaire, le régime autoritaire de Napoléon s'oppose à toute émancipation féminine. Le code civil de 1804 fait de la femme la quasi-propriété de son mari. Seul son rôle de procréatrice est reconnu. En cela, Napoléon revient sur les innovations juridiques du début de la Révolution. Car si celle-ci n'a pas reconnu aux femmes la capacité politique, elle leur a octroyé des droits civils importants. Les filles ne sont plus désavantagées dans les partages successoraux. La Constituante décrète l'égalité des droits aux successions ab intestat. La Constitution de 1791 définit de manière identique pour les femmes et les hommes l'accession à la majorité civile. A partir de 1792, les femmes sont admises à témoigner dans les actes d'état civil et à contracter librement des obligations. Puis, dans le premier projet de code civil, présenté par Cambacérès à la Convention en 1793, la mère jouit des mêmes prérogatives que le père dans l'exercice de l'autorité parentale. Mais c'est surtout avec les lois de septembre 1792 sur l'état civil et le divorce que les avancées sont les plus marquantes. Les deux époux y sont traités à stricte égalité. Le mariage civil est un acte passé entre deux personnes également responsables. Toutes ces réformes signifient l'avènement de la femme civile dans la société française. C'est ce que le code civil va remettre en cause. Tout au long du XIXème siècle, c'est à l'occasion de crises politiques ou sociales que les mouvements féministes réapparaissent au grand jour. Après la période révolutionnaire, c'est en 1830, avec les Saint-Simoniennes, et en 1848 que les femmes s'organisent et prennent la parole. Les féministes françaises se firent entendre pendant ce siècle par des initiatives plus ou moins spectaculaires. Souvent celles-ci passèrent par la publication de journaux. Le recours à l'écrit est important pour ces femmes, qui font de l'accès à la culture et à l'éducation leur principale revendication. Ces journaux ont souvent une vie très courte. Mais qu'importe. Ils se succèdent et constituent de formidables tribunes pour ces femmes privées d'hémicycle. Les Saint-Simoniennes lancent en 1832 la Femme libre, puis la Femme nouvelle et la Tribune des femmes. Les sujets qui y sont traités sont fort variés : économie, politique, éducation, travail féminin, amour libre ... En mai 1848, période également agitée, Eugénie Niboyet crée la Voix des femmes. En 1868, l'Opinion nationale diffuse le manifeste présenté par une vingtaine de femmes réclamant le droit de vote. Hubertine Auclert lance le journal La Citoyenne en 1881 et, dix ans plus tard, Maria Martin le Journal des femmes. En 1904 est créée l'Alliance internationale pour le suffrage des femmes (A.I.S.F.) sous la présidence de l'Américaine Carrie Chapmann Catt. En mai 1908, une manifestation se déroule à Paris en faveur du vote des femmes et l'année suivante, l'Anglaise Jeanne Schmahl crée à Paris l'Union française pour le suffrage des femmes (U.F.S.F.). Cette filiale de l'Alliance internationale compte 12.000 membres en 1914. En avril de cette même année, un plébiscite est organisé par voie de presse par des suffragistes. Il réunit 505.972 " oui " pour le vote des femmes. En juillet, se déroule la première grande manifestation suffragiste à Paris. La mobilisation est cependant décevante puisque seules 6.000 personnes y participent. En France, les mouvements féministes furent pourtant beaucoup moins puissants et actifs que dans les pays anglo-saxons ou en Allemagne. La France est marquée par son catholicisme et sa latinité qui mettent moins en valeur les droits de l'individu que l'éthique protestante. De fait on observe au cours du XIXème siècle une mobilisation beaucoup plus importante Outre-Rhin ou en Angleterre. Dans les années 1860-1880, les suffragettes britanniques comptent, semble-t-il, 3 millions de " réclamantes ". En Allemagne, les féministes, moins nombreuses, bénéficient du soutien du parti socialiste qui, en 1892, met en tête de son programme d'Erfurt le suffrage universel sans distinction de sexe. Le militantisme des femmes ne recoure que très rarement à la violence. Les actions ont pu être néanmoins spectaculaires : interruption des séances à la Chambre, grève de la faim, interpellation des hommes politiques. Lors de la célébration du centenaire du code civil, en 1904, Hubertine Auclert déchire une copie du code dans une manifestation. Il a fallu plus de soixante-dix années pour que ce geste symbolique devienne, pour les femmes, une réalité juridique. C'est à la fin du XIXème et au début du XXème siècles que la revendication féminine fut la plus active. Le suffrage universel masculin était, en effet, devenu une réalité intangible en France, imposée en 1848 et consolidée sous la IIIème République. L'exclusion de la moitié du genre humain devenait, au regard de ce principe universaliste, de plus en plus scandaleux. Mais surtout les femmes investissaient désormais l'espace économique et social, y jouant un rôle actif que les hommes ne pouvaient plus nier. La Première guerre mondiale eut, à cet égard, un effet catalyseur essentiel. Pendant que les hommes, par millions, souffraient dans les tranchées pour défendre le territoire national, les femmes faisaient fonctionner la machine industrielle française, permettant d'approvisionner le front en munitions et au pays de continuer à vivre malgré tout. Elles contribuèrent formidablement à l'effort de guerre rendant ainsi particulièrement criante l'absurdité de leur condition politique. Le combat féminin s'intensifia donc après 1918 ; cela d'autant plus que de nombreux pays occidentaux avaient déjà reconnu le droit de vote aux femmes. En 1869 l'Etat du Wyoming aux Etats-Unis l'avait instauré, ouvrant la voie à d'autres initiatives identiques. En 1893 ce fut au tour de la Nouvelle-Zélande, en 1902 de l'Australie, en 1907 de la Finlande, en 1913 de la Norvège et l'année suivante l'Islande emboîta le pas, suivie en 1915 du Danemark. Mais c'est surtout de 1918 à 1920 que, tirant les conséquences du conflit, les principaux Etats reconnurent le droit de vote aux femmes : la Grande-Bretagne, la Suède, l'Allemagne, la Russie soviétique et la Pologne en 1918, le Canada, les Pays-Bas et le Luxembourg en 1919, les Etats-Unis, la Tchécoslovaquie et l'Autriche en 1920. En 1919, le Pape Benoît XV accepte le principe du vote féminin. Face à ce mouvement puissant, le débat s'est noué en France autour de la question du droit de suffrage accordé aux femmes. Le 20 mai 1919, la Chambre des députés adopte pour la première fois une proposition de loi instaurant le vote des femmes par 329 voix contre 95. Les débats au Palais Bourbon ont été houleux et la résistance masculine véhémente. Mais ce fut surtout au Sénat, en 1922, que les hommes politiques s'arc-boutèrent avec le plus d'aplomb sur leurs privilèges d'un autre âge. La lecture du journal des débats nous laisse aujourd'hui pantois. Le texte, bien modeste, proposait pourtant de donner le droit de vote aux femmes uniquement pour les élections municipales. On entendit au Palais du Luxembourg les arguments les plus absurdes pour s'opposer à cette ouverture du suffrage universel. Le Président de la Commission, M. Régismanset, y affirma : " Je suis féministe : j'estime et j'aime la femme autant que quiconque (...). Mais c'est dans son intérêt que je lui refuse le droit de vote et d'éligibilité et que je ne consens pas à la jeter dans les mêlées électorales ". L'argument est classique et sans cesse ressassé par les opposants au vote des femmes. La politique serait une " sale activité " dans laquelle les hommes, par devoir, acceptent de se compromettre ; mais les femmes, nécessairement vertueuses, ne peuvent être mêlées à cette activité suspecte. Il s'agirait donc de protéger les femmes malgré elles de la perdition politique. Le très honorable sénateur Régismanset poussa plus loin encore sa réflexion dont on peut mesurer la pertinence : " Je crois émettre une vérité première digne de M. de Lapalisse en disant que l'immense majorité des femmes se soucient beaucoup plus de savoir ce qui se portera cet hiver que de la réorganisation de l'armée ou de la péréquation des impôts (...). Or, il y a des suffragettes qui viennent nous affirmer : les Françaises veulent donner leur avis sur les questions politiques, diplomatiques, économiques ; elles en ont assez d'être traitées en s_urs inférieures ; cela m'étonne, car, lorsque trois femmes sont réunies, elles se mettent aussitôt à parler chiffons (...). Ouvrez un journal, si j'ose dire corporatif. Lisez la petite correspondance de ces revues de mode, auxquelles sont abonnées nos travailleuses, petites bourgeoises de la province, vous savez ce coin charmant et confidentiel ou " jeune maman embarrassée " demande à " sentimentale désabusée " une recette infaillible pour faire disparaître les tâches de rousseur et conserver les haricots verts. Là, ces dames sont entre elles ; elles ne songent ni à se taire, ni à se méfier, et elles confessent ingénument leurs petits secrets. A chaque ligne, vous trouverez la femme en révolte ouverte contre nos disciplines. Ecoutez ces conseils funestes à la sûreté de l'Etat que "Renoncule rose" donne tranquillement à "Sensitive curieuse" : "A partir de trente ans, une femme ne peut que diminuer son prestige en faisant connaître son âge. En inscrivant son âge sur une carte, elle s'expose à de fâcheuses mésaventures. Une femme doit profiter des avantages que lui donne l'apparence de la jeunesse. Donc, mesdames, n'avouez jamais". Notre collègue M. Fernand Merlin a déposé un amendement qui ferait commencer à trente ans l'époque de capacité électorale pour la femme. Dans ce cas, si l'article dit vrai, il n'y aura pas de femmes électrices avant qu'elles aient atteint l'approche de la cinquantaine. " Pour nombre de sénateurs et de députés, les femmes qui réclamaient le droit de vote n'étaient qu'une minorité atypique et ambitieuse. Le sénateur Massabuau constatait ainsi lors de la séance du 21 novembre 1922 : " C'est qu'en effet, en majorité, les femmes qui réclament le suffrage universel savent tout faire, sauf une chose : les enfants. Ce ne sont pas les mères qui réclament le suffrage universel, ce sont celles qui veulent se jeter dans l'arène électorale. " Le ton de ces interventions, leur férocité et leur bêtise, montrent quel était l'état du débat à cette époque. Pourtant, celui-ci ne reflétait pas l'ensemble de l'opinion d'alors et n'empêchait nullement le scandale de l'exclusion des femmes d'apparaître au grand jour. Le sénateur Lamarzelle en exprima le caractère absurde à l'occasion de la discussion de 1922 : " Je parle de ces femmes professeurs de lycées, qui sont venues dire ici en un écrit fort bien rédigé, ma foi, et qu'un de nos collègues a porté à la tribune : "Nous sommes dans un lycée de jeunes filles 60 femmes agrégées, licenciées et, dans notre lycée, il n'y a qu'un seul électeur, c'est le frotteur de l'établissement". C'est la condamnation du système, vous ne pouvez pas y résister, et c'est la condamnation, il faut bien le dire, de tout le régime du suffrage universel. " Tout au long de la IIIème République, la résistance du Sénat aura cependant raison du droit des femmes à exercer leurs droits civiques. La représentation politique leur était interdite. En 1936 la nomination par Léon Blum de trois femmes sous-secrétaires d'Etat ne manqua pas de mettre en lumière la situation insensée dans laquelle notre pays s'était enferré. Cécile Brunschvicg, Suzanne Lacore et Irène Joliot-Curie se virent donc attribuer un portefeuille ministériel alors même qu'elles ne pouvaient ni voter ni être élues (2). L'expérience fut d'ailleurs de courte durée. Elle dura le temps du premier gouvernement de Léon Blum du 4 juin 1936 au 21 juin 1937 et ne fut pas renouvelée lorsque le chef de la S.F.I.O. revint au pouvoir en mars 1938. A la veille de la Seconde guerre mondiale, la Chambre des députés, pour la sixième et dernière fois en 1936, se prononça par 495 voix contre 0 pour le vote des femmes mais le Sénat n'inscrira jamais le texte à son ordre du jour. Pendant ce temps, les femmes votaient aux Philippines, en Turquie et dans presque toute l'Europe. Seule la France demeurait opposée à la reconnaissance de ce droit avec la Suisse, l'Italie et les Etats des Balkans. Alors que le débat avait véritablement été porté sur la place publique par la Grande Guerre, l'action des femmes dans la Résistance pendant le second conflit mondial va leur permettre de se voir enfin reconnaître le droit de suffrage. Tant dans l'armée des ombres qu'à Londres ou à Alger, le rôle des femmes dans la Résistance à l'hitlérisme fut marquant. Comment ne pas évoquer ici, parmi bien d'autres, les figures de Lucie Aubrac ou de Geneviève de Gaulle-Anthonioz. Il n'était plus possible de maintenir les femmes hors de la vie démocratique. Elles avaient acquis ce droit par les armes. Le 23 juin 1942, le Général de Gaulle déclare qu'" une fois l'ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l'Assemblée nationale ". Lucie Aubrac est nommée membre de l'Assemblée consultative provisoire. Elle n'y siégera qu'en novembre 1944 à Paris. Mais dès 1943 une femme siège dans cette instance parlementaire : Marthe Simard. Même si le programme du Conseil national de la Résistance reste silencieux sur la question du vote des femmes, le Général de Gaulle déclare à nouveau le 18 mars 1944, devant l'Assemblée consultative provisoire que " le régime nouveau doit comporter une représentation élue par tous les hommes et toutes les femmes de chez nous ". Le 24 mars, l'Assemblée adopte l'amendement de Fernand Grenier instaurant le vote des femmes par 51 voix contre 16. Le 21 avril 1944 est promulguée l'ordonnance portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération qui dispose, dans son article 17, que " les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ". Le 7 novembre 1944, pour l'ouverture de sa session à Paris, l'Assemblée consultative provisoire comporte dix femmes. C'est lors des élections municipales des 29 avril et 13 mai 1945 que les femmes participent pour la première fois à des élections et le 21 octobre 1945 elles votent dans un scrutin national en répondant au référendum et en élisant des députés à l'Assemblée constituante. 34 femmes sont élues membres de l'Assemblée : 18 communistes, 1 à l'Union républicaine et résistante, 5 à la S.F.I.O., 8 au M.R.P. et 2 parmi les divers droite. Les femmes avaient enfin gagné leur droit de cité. Il s'agissait désormais de participer pleinement à la vie politique et d'organiser dans les faits une véritable égalité entre les femmes et les hommes. Une fois le droit de vote et d'éligibilité acquis, la pleine accession des femmes à la majorité politique s'est faite progressivement. Jeanine Mossuz-Lavau en trace les principales lignes dans Femmes/Hommes pour la parité (3). La période allant de 1944 jusqu'à la fin des années soixante peut apparaître comme une phase d'apprentissage. Les femmes n'exercent pas leur droit de vote comme le font les hommes. Leur taux d'abstention est plus élevé que la moyenne, à l'exception des élections qui suivent immédiatement la Libération. Puis, à partir des années soixante-dix, les femmes participent autant que les hommes aux élections. Alors que, depuis 1944, le vote des femmes se portait principalement vers les partis de droite, peu à peu un équilibre équivalent à celui des votes masculins va s'opérer. Pour la première fois en 1986, les femmes votent à gauche et à droite exactement dans les mêmes proportions que les hommes. Les femmes ont mis à profit ces quatre décennies pour acquérir une véritable autonomie politique, en grande partie grâce à l'indépendance qu'elles ont conquise dans leur vie sociale et culturelle. Le nombre de femmes entrant à l'université s'est accru de manière considérable dans l'après-guerre. En 1950, 44.000 femmes étaient inscrites en faculté pour un total de 125.000 étudiants. En 1971, elles sont plus nombreuses que les hommes dans l'enseignement supérieur. La constitution de ce capital culturel influe directement sur la participation électorale. On constate ainsi que l'abstention est plus importante dans la population féminine âgée, pour laquelle la scolarisation a été moins étendue. L'après-guerre est également marqué par l'entrée massive des femmes sur le marché du travail. En 1954 elles représentent 34,6 % de la population active. Aujourd'hui ce taux atteint 45 %. Cette progression quantitative s'accompagne d'une amélioration qualitative des postes occupés par les femmes. De plus en plus, elles accèdent à des emplois plus qualifiés, d'encadrement, même si elles demeurent plus touchées que les hommes par le chômage et le travail précaire. Comme le notait le juriste Georges Ripert : " Le mari dont la femme exerce une profession sait qu'il lui faut abdiquer (4) ". Tel fut effectivement le cas. Depuis cinquante ans les femmes se sont émancipées socialement et économiquement et le droit a, pas à pas, reconnu cet état de fait. La principale expression de ce mouvement juridique a évidemment touché le droit de la famille. Depuis toujours le mari était le chef incontesté de la famille. Il exerçait la puissance paternelle sur les enfants et la puissance maritale sur son épouse. Celle-ci était même considérée comme une incapable juridique à l'égard de ses enfants mineurs. La puissance maritale donnait à l'époux un pouvoir considérable sur sa conjointe : celle-ci devait lui obéir, habiter avec lui, le suivre où il lui plairait ; elle ne pouvait exercer une profession sans que son mari l'y autorise ; ce dernier pouvait surveiller sa correspondance et ses relations. La marche vers l'égalité familiale des femmes et des hommes a débuté avant la Seconde guerre mondiale. Les lois du 18 février 1938 et du 22 septembre 1942 ont supprimé le devoir d'obéissance et le terme même de puissance maritale. La femme a pu accéder à la pleine capacité civile. Il faut dire que l'éloignement de nombreux prisonniers de guerre ou de combattants posait des difficultés concrètes inextricables aux femmes seules qui avaient besoin d'agir en justice. La loi du 13 juillet 1965 a, quant à elle, mis fin au droit reconnu au mari de faire opposition à l'exercice par sa femme d'une profession séparée. Puis, la loi du 11 juillet 1975 a soumis à un accord commun des deux époux le choix du domicile conjugal, alors qu'auparavant il relevait des prérogatives du seul mari. Elle a également supprimé la possibilité laissée au mari de contrôler les correspondances de son épouse. Celle-ci n'a plus besoin désormais de son autorisation pour obtenir un passeport ou passer un examen. Enfin, selon la loi du 23 décembre 1985, chaque époux peut librement exercer une profession, en percevoir les gains et salaires et en disposer après s'être acquitté des charges du mariage. La puissance maritale a donc vécu. Parallèlement la puissance paternelle a également été remise en cause. Depuis la loi du 4 juin 1970 elle a été remplacée par l'autorité parentale exercée conjointement par les deux époux. Par ailleurs la loi du 23 décembre 1985 portant réforme du régime de communauté légale a confié aux deux parents la gestion conjointe des biens de leurs enfants mineurs alors que seul le père auparavant détenait ce droit. L'article 213 du code civil dont la rédaction est issue de la loi du 4 juin 1970, dispose que " les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. Ils pourvoient à l'éducation des enfants et préparent leur avenir. ". On rappellera aussi que jusqu'en 1975 l'adultère était un délit et que la répression de cette infraction était profondément discriminatoire à l'égard de la femme. L'adultère de celle-ci était punissable en toutes circonstances, tandis que celui du mari était puni seulement s'il avait entretenu une concubine au domicile conjugal. En outre, l'adultère de la femme était puni d'emprisonnement alors que celui du mari n'entraînait qu'une amende. Cette évolution du droit au profit des femmes n'est pas un mouvement purement hexagonal. Le climat de l'après-deuxième guerre mondiale était naturellement propice au développement des droits des individus après la victoire sur les forces de l'Axe. Les femmes profitèrent de ces avancées, en particulier dans les pays de code civil qui, par rapport aux pays de Common law ou de droit germanique, connaissaient un net retard en ce domaine (5). Les épouses se virent reconnaître la capacité civile en 1956 aux Pays-Bas, 1958 en Belgique, 1964 au Québec, 1972 au Luxembourg, 1975 en Espagne et 1976 au Portugal. La femme, autonome culturellement, économiquement et civilement a acquis un plein droit de cité. L'image de la femme qui vote comme son mari ou son confesseur, si répandue dans la littérature misogyne des siècles passés, s'est peu à peu estompée. Désormais la femme est une citoyenne à part entière. Pourtant, si l'exercice du droit de vote par les femmes depuis 1944 présente un bilan positif, le second droit qui leur a été reconnu à la Libération, celui de l'éligibilité, n'a pas été pleinement mis en _uvre. Là encore l'exception française s'est révélée en ce domaine fermée à la cause des femmes. La représentation politique est encore accaparée par les hommes. II. - UNE DÉMOCRATIE FRANÇAISE HÉMIPLÉGIQUE A. LES FEMMES EXCLUES DE LA REPRÉSENTATION Le constat est sans appel. La place des femmes dans la vie politique française n'est en aucun cas satisfaisante. On en est facilement convaincu dans l'absolu et plus encore lorsque l'on compare la situation française à celle des autres pays. Au soir des élections législatives de juin 1997, l'Assemblée nationale comptait seulement 10,91 % de députées. Lors de la précédente législature, elles représentaient 6 % de la chambre, soit à peine plus qu'en 1946 (5,7 %).
Si la progression de 1997 est notable, elle n'aboutit cependant pas à une représentation équitable des femmes dans l'hémicycle. Cela est d'autant plus vrai que l'on constate qu'aujourd'hui, compte tenu des élections partielles et des députées devenues ministres, 61 femmes seulement sont présentes à l'Assemblée nationale soit 10,5 % des élus. Cela signifie concrètement que la loi est votée par une assemblée composée à 90 % par des hommes. La répartition des femmes par groupe est la suivante :
Au Sénat, seules 19 femmes siègent parmi 321 parlementaires soit moins de 6 % d'entre eux. Lorsque l'on se penche sur le cas des assemblées locales, en particulier des conseils régionaux et généraux, on observe une progression différenciée dans la représentation des femmes. Les candidatures féminines aux élections régionales atteignaient 22,5 % en 1986, 27 % en 1992 et 36,9 % en 1998 (6). L'augmentation est ici sensible. Elle l'est beaucoup moins pour les élections cantonales. En 1982 les femmes représentaient 13,6 % des candidats, en 1995, 13 % et 15 % en 1998. La nature particulière des élections cantonales, leur caractère traditionnel et rural, le mode de scrutin uninominal expliquent sans doute cette quasi-stagnation. On remarque la même tendance si l'on examine le nombre de femmes élues lors des élections de 1998. Si, pour les assemblées régionales, on est passé lors de cette consultation de 13,9 % à 25,75 % d'élues, ce pourcentage pour les conseils généraux est de seulement 7,9 %, contre 5 % avant le renouvellement de ces assemblées qui, il faut le relever, ne fut que partiel. A ce titre on constate que dans 23 conseils généraux, aucune femme n'est présente. A l'issue des élections de 1995, les conseils municipaux comptaient 21 % de femmes mais seuls 7,6 % des maires n'étaient pas des hommes. Enfin, en dehors des collectivités locales, la représentation française au Parlement européen comptait 30 % de femmes en grande partie du fait de la décision prise par le parti socialiste de présenter une liste strictement paritaire. En comparaison avec les autres pays occidentaux, les femmes françaises sont parmi les plus mal loties. En Europe, seule la Grèce fait moins bien que la France avec 6,3 % de femmes dans son unique assemblée parlementaire. Alors que la Suède détient le taux le plus élevé de parlementaires féminines (plus de 40 %), que le Danemark, la Finlande et les Pays-Bas comptent un tiers de femmes élues au parlement et qu'un quart des députés sont des femmes en Allemagne, en Autriche et en Espagne, la France avec un pourcentage de 10,5 % fait bien pâle figure.
Mais le constat est encore plus accablant lorsqu'on considère non plus la seule Europe mais l'ensemble de la communauté internationale. Si l'on se réfère au rapport de l'Union interparlementaire paru en 1997, Hommes et femmes en politique : la démocratie inachevée, on s'aperçoit qu'à cette date - c'est-à-dire avant les élections législatives de juin 1997 - la France était à la 72ème place par le nombre de femmes siégeant dans la chambre basse, derrière des pays comme le Mozambique (12ème place avec 25,2 % de femmes députées) ou le Zimbabwe (29ème avec 14,7 %). A ce titre, certains pays en voie de développement sont donc beaucoup plus exemplaires que notre vieille démocratie. Par zone régionale, la présence des femmes dans les parlements nationaux est la suivante :
Ce classement par aire régionale montre, sous une lumière crue, à quel point dans notre pays les femmes n'ont pas la place qui devrait leur revenir. Des progrès considérables restent à accomplir. On constate que, parmi les principaux pays occidentaux, la place qui est faite aux femmes dans de plus justes proportions qu'en France n'est pas forcément née de contraintes juridiques. En Suède, la Constitution, dans son article 2, alinéa 3, confère aux pouvoirs publics l'obligation de garantir l'égalité des droits entre hommes et femmes. Cette exigence constitutionnelle ne s'est pas traduite cependant dans la législation, les partis politiques ayant adopté dans leurs statuts des règles qui ont permis d'atteindre ce chiffre inégalé de 40 % de femmes au Parlement. Les textes législatifs ou réglementaires qui sont intervenus en vertu de cette disposition constitutionnelle ont principalement porté sur l'égalité au travail ou dans la famille. En 1988, des lois ont été votées pour que, dans chaque secteur d'activité, un pourcentage identique de personnes du même sexe soit employé à chaque niveau hiérarchique. De même aucune filière d'enseignement ne peut comporter plus de 60 % d'élèves du même sexe. En Allemagne, la Loi fondamentale pose le principe de l'égalité des femmes et des hommes en droit. En 1994, une nouvelle disposition constitutionnelle a été introduite : " L'Etat promeut la réalisation effective de l'égalité en droits des femmes et des hommes et agit en vue de l'élimination des désavantages existants. " La loi n'organise pas cependant de mécanisme de quotas ou de parité en matière électorale. Les partis ont pris l'initiative d'instaurer de telles règles en leur sein. Ainsi, les Verts ont 50 % de candidates, le S.P.D. 40 % et la C.D.U. un tiers. Les femmes sont très présentes au Bundestag ainsi qu'au Gouvernement. Lors des dernières élections, 207 femmes ont été élues à la chambre basse sur 669 députés. Au Royaume-Uni, il n'existe aucune règle constitutionnelle (cela va de soi) ni législative instaurant des quotas ou la parité en matière politique ou électoral. Une juridiction de Leeds a même jugé illégale, en janvier 1996, la décision du parti travailliste de réserver la moitié des candidatures à des femmes pour les élections législatives. Saisie par des candidats évincés, elle a considéré que cette pratique était contraire à la loi de 1975 sur la discrimination sexuelle (Sex Discrimination Act). Malgré cela le nombre de femmes aux Communes approche les 20 % et, depuis 1992, le speaker de cette chambre est une femme : Mme Betty Boothroyd. Au Canada, les femmes représentent plus de 20 % des élus à la Chambre des Communes et près de 30 % des sénateurs. L'article 15, paragraphe 1, de la Charte reconnaît l'égalité des sexes et prévoit que " la loi s'applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l'origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l'âge ou les déficiences mentales ou physiques. " Le paragraphe suivant précise que " le paragraphe 1 n'a pas pour effet d'interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d'individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de (...) leur sexe (...). " Malgré cette autorisation constitutionnelle il n'existe pas de disposition légale instaurant des quotas ou tendant à la parité en matière politique ou électorale. En Europe, deux pays ont, en revanche, tenté d'inscrire dans leur droit des règles favorables aux femmes en matière politique. L'Italie a adopté deux lois en 1993 instaurant, pour l'une, un quota de 25 % de femmes sur les listes aux élections municipales, pour la deuxième, la parité sur les listes proportionnelles pour les législatives avec alternance d'un homme et d'une femme. En 1995, le dispositif a été complété pour les élections régionales, là aussi avec un quota de 25 %. La loi a été partiellement appliquée lors des élections législatives mais en juillet 1995 la Cour constitutionnelle italienne a déclaré inconstitutionnel l'ensemble du dispositif comme le Conseil constitutionnel l'avait fait en France en 1982. En 1994 une loi a été adoptée en Belgique allant dans le même sens. Un quota de 25 % est instauré progressivement pour toutes les élections. Appliqué en partie lors des élections provinciales et communales d'octobre 1994, ce mécanisme a donné des résultats décevants car nombre de candidates ont été placées en fin de liste sans grandes chances d'être élues. A la différence de pays comme la Suède ou l'Allemagne, la France ne semble pas en mesure d'assurer aux femmes une place plus juste dans la vie politique sans dispositif juridique fortement incitatif. En France, l'exclusion des femmes dans la représentation tient à des raisons historiques et culturelles. C'est pourquoi avant d'envisager les solutions que l'on pourrait apporter à cette question, il est utile de mieux comprendre les causes structurelles qui nous ont menés à cette situation. B. SOUS L'EMPRISE DE LA LOI SALIQUE L'histoire de l'exclusion des femmes françaises de la vie politique se confond avec l'histoire même de la démocratie dans notre pays. C'est la thèse que défend Geneviève Fraisse, philosophe et déléguée interministérielle aux droits des femmes jusqu'à une période très reculée. Dans son ouvrage Muse de la Raison - Démocratie et exclusion des femmes en France (8), elle montre comment la Révolution française, événement fondateur de notre société politique sous sa forme moderne, a institué de manière implicite mais profonde l'exclusion des femmes de la représentation politique. Car le problème essentiel n'est pas tant l'accès des femmes au pouvoir, à des postes de responsabilité que leur égale représentation dans la vie démocratique. Geneviève Fraisse constate, avec justesse, que la monarchie française s'est constituée et maintenue autour de deux grands principes : le droit divin et la loi salique. Or cette dernière a traversé tous les régimes non républicains. Il est intéressant de noter ainsi que la loi salique fut reprise, dès octobre 1789, par les révolutionnaires et inscrite dans la Constitution de 1791 sous la forme suivante : " La Royauté est indivisible, et déléguée héréditairement à la race régnante de mâle en mâle, par ordre de primogéniture, à l'exclusion perpétuelle des femmes et de leur descendance "(9). Typiquement française, cette loi excluant les femmes de la couronne a une origine féodale. Or, ne parle-t-on pas, à propos des circonscriptions, de fiefs électoraux ? Ne faut-il pas voir là une survivance en tout cas sémantique d'une situation historique où la femme était exclue de l'exercice du pouvoir ? Il est ainsi symptomatique de constater que l'un des salons attenant à la salle des séances de l'Assemblée nationale, décoré par le peintre Abel de Pujol, représente justement la Loi salique. On ne peut plus nettement symboliser l'exclusion des femmes de la représentation politique. La question de la représentation renvoie profondément à l'ordre symbolique. Sous l'Ancien régime, le Roi représentait Dieu sur terre. Il en était une forme incarnée et la femme ne pouvait prétendre à cela. Dans notre démocratie, l'Assemblée nationale représente le peuple. Elle en est à la fois le porte-parole, le mandataire, mais aussi une incarnation. La faible présence des femmes dans l'hémicycle laisse à penser que l'interdit qui pesait sur elles avant 1789 n'a pas disparu, au moins dans l'inconscient collectif. Mais pourquoi la Révolution française qui est née de la revendication égalitaire n'a-t-elle pas rompu avec l'exclusion des femmes qui est, en tout point, contraire à ce principe ? Sans entrer dans le détail d'une analyse qui relèverait autant de l'histoire des idées que de l'anthropologie politique - ce qui n'est pas le lieu ici - on peut relever néanmoins quelques éléments d'explication qui permettent de mieux saisir à quel point l'exclusion des femmes dans nos m_urs démocratiques est profondément enracinée et donc combien il est nécessaire de rompre avec cette inacceptable tradition. L'influence de la pensée de Jean-Jacques Rousseau sur les révolutionnaires est ici particulièrement flagrante. Le citoyen de Genève a établi une nette distinction des rôles respectifs des hommes et des femmes. Pour lui, le rapport entre les deux genres ne peut se penser selon le principe d'égalité. N'écrit-il pas dans l'Emile, " soutenir vaguement que les deux sexes sont égaux et que leurs devoirs sont les mêmes, c'est se perdre en déclarations vaines, c'est ne rien dire. " Dans sa Lettre à M. d'Alembert de 1758, il assigne à chacun des sexes un rôle particulier. Les hommes font les lois et les femmes font les m_urs. Alors que les premiers interviennent dans le champ politique, les secondes restent cantonnées à la sphère domestique. Pour Rousseau et ses héritiers, la femme est un être hors de l'histoire puisqu'elle ne peut s'exprimer que dans l'espace privé. Elle ne saurait accéder à la vie publique et doit donc rester cachée au sein de son foyer où elle se consacre à son mari et à sa famille. On doit insister sur le rapport étroit qui est établi entre la condition des femmes et la clandestinité qui leur est imposée. " Toute femme qui se montre, se déshonore ", écrit Rousseau dans sa Lettre à M. d'Alembert. Car la femme doit être vertueuse et cette vertu ne saurait être que souillée par la publicité. Or s'il est une activité humaine qui ressortit au domaine public c'est bien l'activité politique. Une femme qui intervient en politique est une femme publique, ce qui est finalement synonyme, pour Rousseau et ses thuriféraires, de fille publique. La femme doit demeurer invisible et par là même soumise. Car ce que craignent ces théoriciens c'est que les femmes échappent à la condition qui leur est faite et qu'elles acquièrent peu à peu une autonomie jugée dangereuse par les hommes. Permettre aux épouses, aux mères d'investir le champ politique conduirait selon eux à les placer en situation de concurrence vis-à-vis des hommes. Dans la sphère domestique, les rôles sont clairement et traditionnellement définis. Dans l'espace public, cette distinction est impensable et la confrontation entre hommes et femmes est alors possible. Pour certains penseurs révolutionnaires comme le babouviste Sylvain Maréchal, qui propose en 1801 de défendre aux femmes d'apprendre à lire, les laisser accéder à l'écriture et à la lecture c'est leur permettre à terme de participer à la vie politique et donc d'entrer en rivalité avec les hommes. Selon lui le risque est alors d'ouvrir la guerre des sexes car pour maintenir la paix entre eux, c'est-à-dire le bonheur social, il faut les séparer : aux femmes la maison, aux hommes la Cité. Mais cette logique est, par essence, contraire aux principes mêmes de la démocratie. Celle-ci est avant tout le lieu de la concurrence politique et de l'égalité juridique. La Révolution française, comme le montre pertinemment Geneviève Fraisse, s'est inspirée de cette pensée exclusive et séparatiste. Il était cependant difficile pour les hommes de 1789 d'exprimer explicitement leur dessein consistant à maintenir les femmes en dehors du politique. C'est pourquoi cette exclusion, dont on mesure aujourd'hui encore les effets, est demeurée souvent très implicite. Alors que l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen proclamait que les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits, on ne pouvait parallèlement dire à haute voix que l'on écartait de la vie publique la moitié de l'humanité ! On a donc mis en _uvre une exclusion silencieuse - et presque honteuse - parce qu'elle contredisait par trop le paradigme égalitaire démocratique et républicain. Même si tous les révolutionnaires ne s'associèrent pas à cette entreprise - rappelons encore Condorcet et son plaidoyer " pour l'admission des femmes au droit de cité " - celle-ci fut menée efficacement. Certes, on ne peut aller jusqu'à dire que les femmes furent plus mal traitées dans la France post-révolutionnaire que sous l'Ancien régime. La réalité fut plus complexe et nombreuses furent celles qui jouèrent un rôle politique réel, bien que souvent indirect. Mme de Staël est sans doute l'une des figures les plus marquantes à cet égard. Mais ces femmes restèrent des exceptions dans un pays où, lorsqu'on proclama le suffrage universel en 1848, on le réserva aux seuls hommes. La persistance d'une forme moderne de loi salique qui structurerait notre inconscient politique est une explication pertinente pour comprendre le caractère exclusif de notre démocratie. Il s'agit aujourd'hui de rompre avec cette tradition cachée et d'en finir avec la démocratie exclusive. Il est nécessaire de mettre fin à l'ostracisme dont souffrent les femmes dans la vie politique française et de passer à une nouvelle forme démocratique plus aboutie et plus égalitaire. Cette aspiration n'est plus aujourd'hui celle de quelques femmes isolées que les hommes, trop souvent, qualifiaient d'illuminées. Désormais, elle rencontre un faisceau de volontés qui, toutes, en appellent à l'égalité réelle des femmes et des hommes tant dans la vie politique que dans le champ économique et social. III. - L'ASPIRATION À LA PARITÉ Comme toujours dans ce genre de combat, la lutte pour la parité A. LE RÔLE PRÉCURSEUR DES MOUVEMENTS FÉMINISTES Dans les années 70, le mouvement des femmes s'était peu intéressé à la question de la représentation politique. Les combats menés à cette époque étaient plutôt d'ordre social et juridique avec le droit à la contraception et à l'avortement. Pourtant, à la fin de cette décennie et au début des années 80, on évoque le problème de la faible représentation des femmes en politique et l'idée des quotas aux élections est avancée. Dans ses " Cent mesures pour les femmes ", Françoise Giroud, secrétaire d'Etat à la Condition féminine, a proposé, en 1977, en conseil des ministres, de retenir le principe d'un quota de 15 % pour les femmes aux élections municipales. Mais il faut attendre 1979 pour qu'un projet de loi voit le jour avec pour objectif un quota de 20 %. Ce texte est présenté en novembre 1980 par Monique Pelletier, ministre déléguée à la Famille et à la Condition féminine. Voté par l'Assemblée à la quasi-unanimité, il n'est pas soumis au Sénat étant donné la proximité des élections présidentielles. L'idée est réactivée en 1982 par la nouvelle majorité, lors du débat sur l'élection des conseils municipaux, avec l'insuccès que l'on sait, le Conseil Constitutionnel annulant la disposition instituant un quota de 25 % en faveur des femmes. A l'époque, la parité, c'est-à-dire le nombre strictement égal de femmes et d'hommes dans les postes de responsabilité, n'est pas au centre des débats. L'idée est certes ancienne, mais extrêmement marginale. On signale simplement que Hubertine Auclert en 1884 et Monette Thomas en 1918 ont avancé le concept de parité (sans le nommer) pour la représentation des femmes à la chambre. Il faut attendre le début des années 90 pour que ce mot s'introduise peu à peu dans le vocabulaire et s'impose finalement comme un enjeu politique. Les femmes, mobilisées dans le cadre de nombreuses associations, ont porté cette idée. La notion de parité apparaît dans la mouvance écologiste au milieu des années 80. Le Mouvement Arc-en-ciel qui regroupe entre 1986 et 1988 des militants d'extrême-gauche et des écologistes de gauche est le principal lieu de cette émergence. A la dissolution de ce mouvement en 1988, le terme " parité " est repris par les Verts qui l'inscrivent dans le préambule de leurs statuts. Ils fixent le principe d'un partage paritaire des responsabilités et des candidatures aux élections. Sur leur liste aux élections européennes en 1989, comme en 1984, alternent des femmes et des hommes. L'idée de parité est relayée, quelques années plus tard, par des intellectuelles. Le concept s'affine et prend place dans le débat public. En 1992, Françoise Gaspard, Claude Servan-Schreiber et Anne Le Gall publient au Seuil Au pouvoir citoyennes ! Liberté, égalité, parité. La même année se créent une association " Parité " dirigée par Régine Saint-Criq et un club " Parité 2000 " fondé par la mouvance des Editions des femmes. En décembre 1992, le Conseil national des femmes françaises organise une réunion d'information à l'Assemblée nationale sur la parité. Une cinquantaine d'associations y participent. Quelque temps plus tard, naît un regroupement d'organisations, " Elles aussi ", dont l'objectif affiché est clairement la parité. A l'initiative de femmes socialistes, se constitue également " l'Assemblée des femmes " et en juin 1993, se tient un colloque international sur le sujet à l'initiative de l'association " Choisir ". Les manifestations se multiplient. Lors de la rentrée parlementaire, le 2 avril 1993, quelque 300 femmes protestent devant le Palais Bourbon contre l' " Assemblée natio-mâle ". Egalement en 1993, est publié le manifeste des 577 en faveur de la parité aux élections législatives. Il est signé par 289 femmes et 288 hommes. Ce mouvement associatif se dote aussi d'organes de presse comme Parité-infos, dirigé par Claude Servan-Schreiber, qui servent de relais auprès des médias vers lesquels ils diffusent des informations et des données sur la question paritaire. Ces initiatives se doublent d'une production littéraire et scientifique qui s'intéresse de plus en plus à la parité et à la place des femmes dans la société et dans la vie politique. Par exemple, Georges Duby et Michelle Perrot dirigent l'Histoire des femmes en Occident chez Plon et Geneviève Fraisse publie Muse de la Raison où, comme on l'a vu, elle analyse les racines politiques de l'exclusion des femmes. On évoquera enfin le Manifeste des dix pour la Parité, lancé en juin 1996 et signé par dix femmes politiques ayant exercé des responsabilités ministérielles, qui connut un écho important (10). Il appelait à une politique volontariste des partis et du Gouvernement, à la limitation drastique du cumul des mandats et des fonctions, au financement des partis en fonction du respect de la parité, à des nominations volontaires de femmes à des postes de responsabilité qui dépendent de l'Etat, à l'adoption d'une législation sur le sexisme comparable à celle sur le racisme et, le cas échéant, à une modification de la Constitution pour introduire des discriminations positives. Au total, les années 90 voient émerger un mouvement multiforme et dynamique qui va monter en puissance et influencer fortement le débat politique. Son action va se trouver renforcée par le contexte international, qui met la question des femmes au c_ur de nombreuses conférences, qui se tiennent de par le monde et en particulier en Europe. B. LA RECONNAISSANCE EUROPÉENNE ET INTERNATIONALE L'organisation des Nations Unies, comme tous les mouvements ou institutions qui ont eu à connaître de cette question, a débuté son action par l'affirmation d'une stricte égalité entre les sexes. Puis, une fois que ce préalable a été proclamé solennellement, il a fallu aller au-delà pour établir les conditions d'une égalité réelle entre les femmes et les hommes. La Charte des Nations Unies reconnaît la personne humaine sans établir de distinction entre les sexes. Les femmes disposent des mêmes droits inaliénables que les hommes. La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 proscrit également les discriminations fondées sur le sexe au même titre que la langue, la race, la religion, l'opinion ... Plus précisément, pour ce qui concerne les droits civils et politiques, dans le cadre des Nations Unies, a été signée, le 31 mars 1953, la Convention sur les droits politiques des femmes. Elle appelle à la garantie reconnue aux femmes du droit de vote et d'éligibilité " à tous les organismes publiquement élus ", et dispose que les femmes doivent avoir " le même droit que les hommes d'occuper tous les postes publics et d'exercer toutes les fonctions publiques ". Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 fait des engagements moraux souscrits par les Etats en vertu de la Déclaration universelle de 1948 des obligations contraignantes. Cette première étape étant franchie, les Nations Unies se sont penchées sur la question de la représentation effective des femmes dans les instances politiques. Lors de la décennie des Nations Unies pour la femme (1975-1985), a été conclue à New York, le 18 décembre 1979, la Convention des Nations Unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes. Tournant majeur dans l'approche juridique internationale de la question des femmes, la Convention donne une définition nette et spécifique de la discrimination sexuelle, qui se distingue désormais des discriminations raciales, linguistiques ou religieuses : L'article premier de ce texte indique qu'a le caractère d'une discrimination sexuelle toute distinction, exclusion ou limitation basée sur le sexe, qui a pour effet ou pour but de compromettre ou de détruire la reconnaissance, la jouissance ou l'exercice des droits de l'homme et des libertés fondamentales attribuées aux femmes dans le champ politique, économique, social, culturel et civil ou dans n'importe quel secteur, indépendamment de leur condition de mariage et sur la base de l'égalité entre hommes et femmes. La Convention de New York de 1979 est le texte international le plus exigeant en matière d'égalité des sexes. Il porte sur l'égalité devant la loi en matière de mariage, de divorce, d'éducation des enfants ... Il impose l'égalité en matière d'éducation : l'égal accès aux études, aux examens, à l'orientation professionnelle, aux bourses. Pour atteindre cet objectif, la convention en appelle à l'adaptation des livres, des programmes scolaires et des méthodes pédagogiques, afin d'éliminer " toute conception stéréotypée des rôles de l'homme et de la femme ". L'égalité dans le domaine de l'emploi est également abordée par la Convention de New York. Enfin, ce texte en appelle à l'élimination des discriminations dans la vie politique et publique et affirme le droit égal à prendre part à l'élaboration et l'exécution des politiques nationales, à occuper des emplois publics et exercer toutes les fonctions publiques à tous les échelons du gouvernement. La Convention de New York envisage également - et c'est là une nouveauté - trois types de stratégies pour conduire à l'élimination concrète des discriminations. Il s'agit d'abord de modifier " les modèles de comportement socio-culturel de l'homme et de la femme ", dans le but de proscrire tout stéréotype dans la répartition des rôles entre hommes et femmes. A cet effet, l'éducation familiale doit " faire reconnaître la responsabilité commune de l'homme et de la femme dans le soin d'élever les enfants ". En deuxième lieu, la Convention de New York encourage Au total, la Convention de New York, particulièrement volontariste, ouvre la voie à d'autres initiatives internationales en la matière. Lors de la Conférence mondiale sur les femmes, organisée à Nairobi en 1985 dans le cadre de l'O.N.U., sont apparues les notions de " mainstreaming " et d' " empowerment ". Comme l'indique M. Philippe Richter, auteur d'un rapport d'information au Sénat, " la première [notion] vise à intégrer la dimension " femmes " dans l'ensemble des politiques générales, et à élaborer celles-ci en prenant en compte leur incidence sur la condition des femmes. La stratégie de l' " empowerment " conduit à renforcer le rôle des femmes à tous les niveaux de décision, nationaux et internationaux, et dans tous les secteurs publics, qu'ils relèvent de la sphère politique ou de l'économie " (11). En septembre 1995, la Conférence mondiale sur les femmes qui s'est réunie à Pékin a conclu, dans la déclaration finale, à la nécessité d'atteindre l'objectif de parité au sein des organes de décision. Les instances européennes, qu'elles soient ou non communautaires, se sont également saisies de la question de la place des femmes dans la vie publique. La Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, adoptée le 4 novembre 1950 par le Conseil de l'Europe, interdit toute discrimination sexuelle, au même titre que celles fondées sur la race, la couleur, la religion, la langue ou l'opinion publique. Il faut attendre 1989 pour que la question de la représentation des femmes dans la vie publique soit envisagée sous un angle paritaire. Les 6 et 7 novembre 1989, se tient à Strasbourg une conférence consacrée à la démocratie paritaire. En 1995, la conférence interministérielle sur l'égalité homme-femme convoquée par le Conseil de l'Europe appelle à l'inscription dans les constitutions, à côté de l'égalité des droits, du principe de parité. Déjà, lors de la conférence interministérielle de Vienne en 1989, avait été évoquée la promotion des programmes d'actions positives et des structures nationales pour réaliser l'égalité effective et intégrer les politiques en faveur des femmes dans tous les secteurs. Dans le cadre communautaire, en novembre 1992, s'est tenu à Athènes le premier sommet européen " Femmes au pouvoir ". Il a réuni des femmes politiques parmi lesquelles des ministres. Une déclaration solennelle a été adoptée à l'issue de ce sommet. Il y est indiqué que : " Parce que l'égalité formelle et informelle entre femmes et hommes est un droit fondamental de l'être humain. " Parce que les femmes représentent plus de la moitié de la population, la démocratie impose la parité dans la représentation et l'administration des nations. (...) " Nous revendiquons l'égalité de participation des femmes et des hommes à la prise de décision publique et politique. " Nous soulignons la nécessité de procéder à des modifications profondes de la structure des processus de décision afin d'assurer cette égalité ". Ce texte adopté le 3 novembre 1992 défend clairement l'idée de parité, ce qui en matière communautaire, a constitué une nouveauté. Quatre ans plus tard, en mai 1996, a été organisé un nouveau sommet européen " Les femmes pour le renouvellement de la politique et de la société ". Réunissant quatorze femmes ministres, cette conférence s'est terminée par la signature d'un texte, qui prend le nom de Charte de Rome. Ce document fait le constat du déficit de représentation féminine dans la vie publique. Il appelle à un renouveau de la politique et de la société, qui doit passer par " l'apport commun et la participation égale des femmes et des hommes ". Les participantes à ce sommet prennent également l'engagement de faire admettre l'égalité des hommes et des femmes comme une priorité de l'Union européenne. Pour ce faire, elles reconnaissent la nécessité d'actions concrètes à tous les niveaux pour promouvoir la participation égale des femmes et des hommes à la prise de décision dans toutes les sphères de la société. Le terme parité n'apparaît pas dans la Charte de Rome. Il a pu sembler pour certains Etats comme un repoussoir. Néanmoins, le contenu de ce texte renvoie à cette notion qui désormais fait partie du paysage politique communautaire. Dans le cadre d'un contexte international et européen favorable, l'action des mouvements féministes a su convaincre une grande partie de l'opinion publique de la nécessité d'agir pour établir une véritable égalité entre les femmes et les hommes dans la vie publique. C. LES ATTENTES DE L'OPINION PUBLIQUE L'aspiration à l'égalité réelle des femmes et des hommes n'est pas la revendication d'une seule minorité agissante, d'une poignée de femmes introduites dans les milieux politiques ou associatifs. L'opinion publique a repris à son compte cette exigence d'égalité. Plusieurs enquêtes ont ainsi montré que nombreux sont les Français qui appellent de leurs v_ux la parité. Un sondage I.F.O.P.-Ministère des affaires sociales indiquait en 1994 que 62 % des personnes interrogées se déclaraient favorables à l'inscription de la parité dans notre Constitution. En 1996, selon une enquête I.F.O.P.-EXPRESS, 71 % de nos compatriotes adhéraient à cette idée. La même année, un autre sondage I.F.O.P.-FRANCE 2 révélait que 62 % des personnes interrogées approuvaient " un système qui obligerait les partis politiques à prévoir, parmi les candidats, une proportion significative de femmes ". L'adhésion de l'opinion française à l'idée d'égalité réelle entre les femmes et les hommes peut aussi se mesurer au fait que les trois principaux candidats à l'élection présidentielle de 1995 ont inscrit dans leur programme cet objectif. Les électeurs en appellent donc à une normalisation de la situation française. Malheureusement, les mouvements politiques n'ont pas su répondre de manière totalement satisfaisante à cette demande. D. LES TENTATIVES INSUFFISANTES DES PARTIS POLITIQUES L'observatoire de la Parité créé en 1995 à l'initiative du Président de la République (12) a entendu les représentants des principaux mouvements politiques. Dans le rapport de la Commission pour la parité entre les femmes et les hommes dans la vie politique qu'elle préside, Mme Gisèle Halimi souligne que " les dirigeants des partis, à l'unanimité, constatent et déplorent l'énorme sous-représentation des femmes dans la vie politique ". La suite de leur contribution est un constat d'échec. Tous les responsables des partis reconnaissent ne pas avoir su imposer dans leurs appareils la mixité. Face à ce hiatus entre la déploration et l'inaction des partis, Mme Gisèle Halimi s'interroge avec pertinence : " ce paradoxe exprime-t-il la volonté - inavouée - des partis de conserver aux hommes le privilège d'être les seuls " décideurs " de la vie politique ? ". Les raisons avancées par les responsables politiques ne manquent pas : " l'opposition des militants (masculins) de base ; la rareté des candidates féminines ; le rejet par les femmes des " valeurs " (compétition, violence, langue de bois) du champ d'affrontement politique ; enfin, cause et conséquence de tout, la sclérose des mentalités (alors que tous les sondages donnent une large à très large majorité pour une participation égalitaire paritaire des femmes dans la décision) ". Certains partis politiques, après leur audition par la Commission Halimi, ont actualisé leurs positions. Le 9 novembre 1996, le Conseil national du R.P.R. a repoussé l'institution de quota de femmes par voie législative. Il a exprimé sa préférence pour des " dispositions internes " au parti. Le R.P.R. a décidé que les listes aux élections européennes, régionales et municipales comporteraient un tiers de femmes et qu'il inciterait, pour les législatives, à la constitution de tickets hommes-femmes. L'U.D.F. a déposé lors de la précédente législature une proposition de loi constitutionnelle introduisant dans l'article 3 la limitation par la loi d'un pourcentage de candidats du même sexe, dans les scrutins de liste. Ce parti a également déposé une proposition de loi ordinaire limitant la proportion de personnes du même sexe présentes sur une liste à deux tiers de celle-ci pour les élections municipales, régionales, territoriales en Corse et européennes. Pour sa part, le parti socialiste a fait procéder à un sondage parmi ses militants. Il en est ressorti que 75 % d'entre eux approuvaient l'inscription du principe de la parité entre les femmes et les hommes dans les statuts du parti. Le Conseil national a adopté ce principe à la quasi-unanimité et a fixé un pourcentage minimal de 30 % de femmes candidates pour les législatives de 1998 qui - comme on le sait - ont finalement eu lieu en 1997. La pratique retenue a été celle des circonscriptions réservées aux femmes par les fédérations. Le parti communiste a fait du passage au mode de scrutin proportionnel une des conditions de la parité des femmes et des hommes dans la vie publique. Il s'est montré réticent à propos du recours à des mesures d'incitations financières, à destination des partis. Le P.C. a décidé de réserver aux femmes dans les scrutins de listes un pourcentage de sièges tendant très fortement vers la parité. Pour les législatives, 30 % de femmes seraient candidates en position d'éligibilité. Ces résolutions ont-elles été suivies d'effets lors des législatives anticipées de 1997 ? Le pourcentage global des candidates a augmenté sensiblement. De 19,3 % en 1993, il est passé à près de 23 %. Le Parti socialiste et le Parti communiste ont effectivement mis en _uvre les mesures internes qu'ils avaient adoptées. La proportion de 30 % qui avait été annoncée a presque été respectée. Le Parti socialiste a présenté 27,8 % de femmes et le Parti communiste 27,2 %. Comme le constatent Françoise Gaspard et Claude Servan-Schreiber, " l'augmentation importante du nombre de candidates communistes et surtout socialistes a offert aux femmes en lice une visibilité accrue de la campagne et permis de multiplier par dix le nombre des élues socialistes ". (13) Il est vrai que le faible nombre de sortants du côté socialiste a permis de surmonter plus facilement cet obstacle que constitue la double loi d'airain du système électoral français : la prime au sortant et au notable. Le cumul des mandats renforce considérablement la notabilité politique et rend difficile l'émergence de responsables politiques nouveaux. Parce qu'elles ne représentent qu'à peine plus de 7 % des maires et moins de 8 % des conseillers généraux, les femmes ne peuvent recourir à ce capital local si important pour se faire élire député. Le système français est favorable à l'auto-reproduction, évidemment masculine. Il existe aujourd'hui une apparente convergence de vues des principaux acteurs politiques pour faire évoluer les choses. Elle s'est exprimée à plusieurs reprises et en particulier à l'Assemblée nationale. L'augmentation du nombre de femmes élues à l'Assemblée nationale en juin 1997 constitue un encouragement à poursuivre les efforts en faveur des femmes. Le fait que le Gouvernement de Lionel Jospin compte plus de 30 % de femmes est aussi un signe prometteur. La volonté politique sait rencontrer les attentes des Français. L'organisation d'un débat à l'Assemblée nationale en mars 1997 sur ce sujet fut aussi l'occasion de montrer que la question était devenue à ce point importante, aux yeux des hommes politiques, qu'elle justifiait une discussion parlementaire. Elle permit aussi de mettre en lumière d'indéniables points de convergence entre les formations politiques. A ce titre, il est utile de rappeler les propos tenus dans l'hémicycle par le Premier ministre d'alors, M. Alain Juppé (14) : " Le constat est sans appel : c'est celui d'une situation bloquée, d'un échec (...). Notre démocratie est bancale. Elle n'avance que sur une seule jambe. Elle écarte de sa représentation plus de la moitié des citoyens (...). Globalement, l'organisation de nos partis politiques, les logiques de cooptation et de " prime au sortant " constituent autant d'obstacles, souvent infranchissables, pour les femmes qui veulent s'investir dans des fonctions électives (...). [Les femmes] expriment simplement une demande de justice et d'équité parce qu'elles se sentent blessées, et même humiliées, de la place qui leur est faite en politique ". Après ce constat - empreint d'une considération pour les femmes dont n'ont pas bénéficié celles qui étaient ministres du premier gouvernement Juppé (15) - le Premier ministre d'alors évoqua les enjeux de ce débat : doit-on remettre en cause, d'une certaine manière, l'universalisme qui fonde notre démocratie depuis 1789 ? " Faut-il préférer l'affirmation des principes à l'effectivité des droits ? Faut-il agir par la loi, ou faut-il agir par les m_urs selon la distinction chère à Montesquieu ? " Les réponses apportées par M. Alain Juppé furent claires : " Après réflexion, et après - je l'admets - un certain cheminement, je suis aujourd'hui convaincu que l'instauration des discriminations positives est nécessaire (...). Que vaut l'affirmation de l'égalité des citoyens quant en fait nous continuons à vivre, en quelque sorte, sous l'empire de la loi salique ? A bien y réfléchir, je ne suis d'ailleurs pas persuadé qu'une discrimination positive en faveur des femmes heurte véritablement nos principes républicains et nous fasse dériver, comme certains le craignent, vers une logique communautariste. Les femmes ne sont pas une catégorie de la population. Elles sont l'une des deux composantes de l'humanité (...). C'est pourquoi je suis partisan de modifier notre Constitution. " M. Alain Juppé proposait ensuite une décennie de la parité. Puis, un grand nombre d'orateurs prirent la parole dans ce débat. On s'attardera quelques instants sur l'intervention de M. Jean-Pierre Chevènement, car on connaît l'intensité et la constance de son engagement républicain. En prenant la parole, il a exprimé son attachement à l'égalité réelle entre les femmes et les hommes. Il a souligné aussi qu'on ne pouvait en rester " à l'affirmation de principe selon laquelle le citoyen, c'est la citoyenne, et qu'ils sont égaux, car c'est là une confortable abstraction ". Rappelant son souci de maintenir l'universalisme, " barrage efficace contre le repli identitaire ", il a néanmoins considéré, à bon droit, que " la différenciation sexuelle n'est pas de même nature qu'une différenciation économique ou ethnique. Les femmes ne sont ni une race, ni une classe, ni une communauté ". Fort logiquement, le Mouvement des citoyens avait d'ailleurs déposé lors de la précédente législature une proposition de loi constitutionnelle inscrivant la parité dans notre norme suprême. (16) La position de M. Jean-Pierre Chevènement montre avec clarté à quel point les critiques qui invoquent le risque de communautarisme au sujet de la parité sont sans fondement. Aller vers l'égalité réelle entre les femmes et les hommes n'est pas ouvrir une boite de Pandore anti-républicaine, c'est simplement faire _uvre de justice, c'est-à-dire faire la République. Le débat de 1997 a montré que les principaux partis convergeaient sur la question de la parité. Pourtant, alors qu'ils détiennent sans nul doute la clé du système en contrôlant notamment les investitures, les dispositions pour les législatives de 1997 n'ébranlèrent pas l'édifice politique masculin. Il faut donc une loi pour changer les choses. Curieux pays que celui où nous vivons, les principaux responsables politiques s'accordent sur le constat et les solutions qui pourraient améliorer la place faite aux femmes dans la vie publique française. Mais ils jugent nécessaire que des lois, y compris constitutionnelles, les y contraignent. Le juridisme étatique français s'exprime ici avec éclat mais peut-on échapper à sa culture et à son histoire ? IV. - LA NÉCESSAIRE RÉVISION DE LA CONSTITUTION La Constitution du 4 octobre 1958 n'est pas indifférente à la question de l'égalité des sexes. Si elle n'est pas abordée dans le corps même de notre norme fondamentale, le préambule de la Constitution y fait, en revanche, explicitement référence. Néanmoins, on constate que la jurisprudence du Conseil constitutionnel, en interprétant a minima le principe d'égalité des sexes, a rendu impossible la mise en _uvre de la parité entre les femmes et les hommes en matière électorale. C'est pourquoi le Gouvernement de M. Lionel Jospin, conformément à ses engagements, a présenté un projet de loi constitutionnelle qui permet de surmonter cet obstacle juridique afin d'instituer, à terme, en France, une véritable démocratie mixte. A. LA CONSTITUTION DE 1958 ET L'ÉGALITÉ DES SEXES La Constitution reconnaît le principe d'égalité des sexes. Le préambule de 1946, dans son troisième alinéa, dispose en effet que " la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ". Cette disposition appartient bel et bien à notre bloc de constitutionnalité puisque le préambule de la Constitution de 1958, qui renvoie à celui de 1946 ainsi qu'à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, a été reconnu comme partie intégrante de notre loi fondamentale par le Conseil constitutionnel, dans sa décision fondatrice du 16 juillet 1971 " Liberté d'association ". Non seulement cette disposition de 1946 a, pour la première fois dans notre droit constitutionnel, reconnu le caractère sexué des individus mais elle a aussi affirmé le rôle actif de la loi dans l'établissement de l'égalité des droits entre les femmes et les hommes. Certes, la Déclaration de 1789 a proclamé le principe d'égalité dans son article premier : " les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits ". Mais ce texte renvoie à une conception universelle, abstraite et asexuée de l'individu. Sans l'affirmer ouvertement, la Déclaration de 1789 reconnaît une stricte égalité des individus quel que soit leur sexe puisque cet élément n'est pas pris en compte. Pour elle, en quelque sorte, la femme est un homme comme les autres. Pourtant la proclamation de cette égalité universelle a bel et bien été une manière de nier la réalité de la discrimination subie par les femmes. Parce qu'elle les incluait formellement dans la sphère politique et les excluait dans les faits de la communauté citoyenne, la Déclaration de 1789 est apparue insuffisante dans ses termes. C'est pourquoi le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 a explicité ce principe, " particulièrement nécessaire à notre temps " dans son troisième alinéa. On aurait pu penser que ce texte suffisait à fonder en droit la possibilité d'introduire dans la loi des dispositions visant à assurer l'égalité réelle des femmes et des hommes. Mais en 1982 le Conseil constitutionnel, dans une décision controversée, n'en a pas jugé ainsi. B. LA JURISPRUDENCE DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL Lors de l'examen du projet de loi relatif à l'élection des conseillers municipaux, en 1982, M. Alain Richard, député, avait déposé un amendement insérant dans le code électoral le principe selon lequel, aux élections municipales, " les listes de candidats ne peuvent comporter plus de 75 pour 100 de personnes du même sexe ". Il s'agissait d'accomplir un premier pas vers la parité en instituant un quota de 25 % de femmes aux élections municipales. L'amendement fut adopté à l'Assemblée par une majorité écrasante puisque sur 483 votants, 476 l'approuvèrent et 4 seulement votèrent contre. Il faut souligner que, déjà lors des débats parlementaires, on s'interrogeait sur le sort que réserverait le Conseil constitutionnel à ce texte. La perspective d'une annulation de la disposition par le juge étant réelle, bon nombre de parlementaires la votèrent en pensant qu'elle serait finalement censurée. Ainsi, à moindre frais, on pouvait contenter la partie féminine de son électorat sans risquer à terme de voir le monopole électoral masculin battu en brèche. Le professeur Danièle Lochack, dans un article incisif et pertinent, ne manqua pas de dénoncer cette " édifiante leçon d'hypocrisie collective " (17). Le calcul se révéla exact puisque le Conseil constitutionnel, dans sa décision n° 82-146 du 18 novembre 1982, annula effectivement cette disposition. Pourtant l'article du code électoral concerné n'avait pas été déféré devant la juridiction par les députés de l'opposition. Cas rarissime, le Conseil souleva d'office la question pour exercer sa censure. Quels ont été les motifs qui fondèrent cette décision contestée ? Le Conseil constitutionnel s'est tout d'abord appuyé sur l'article 3 de la Constitution qui dispose que : " La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ni aucun individu ne peut s'en attribuer l'exercice. Le suffrage peut être direct ou indirect dans les conditions prévues par la Constitution. Il est toujours universel, égal et secret. Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques ". Il a également mis en avant l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen : " Tous les citoyens étant égaux [aux yeux de la loi], sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ". La lecture croisée de ces deux textes a conduit le Conseil à conclure que " la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l'éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux qui n'en sont pas exclus pour une raison d'âge, d'incapacité ou de nationalité, ou pour une raison tendant à préserver la liberté de l'élection ou l'indépendance de l'élu, que ces principes à valeur constitutionnelle s'opposent à toute division par catégories des électeurs ou des éligibles ; qu'il en est ainsi pour tout suffrage politique, notamment pour l'élection des conseillers municipaux ". Par conséquent, " une distinction entre candidats en raison de leur sexe, est contraire aux principes ci-dessus rappelés ". Le Conseil constitutionnel a donc considéré que, dans le champ politique, les femmes et les hommes ne pouvaient être distingués. En matière de souveraineté nationale, une seule et unique catégorie existe, celle de citoyen, et le corps électoral ne peut être divisé. En s'appuyant sur les articles 3 de la Constitution et 6 de la Déclaration de 1789, le Conseil constitutionnel a exclu toute référence à l'alinéa 3 du Préambule de 1946. Loin de tenter de concilier deux principes constitutionnels qui pouvaient apparaître contradictoires - celui de l'indivisibilité de la souveraineté et celui de l'égalité des sexes - le Conseil a préféré éluder la question ou, plus précisément, ne pas l'expliciter. En cela, il a refusé de conférer à l'alinéa 3 du Préambule une valeur pleine et entière, considérant qu'il était subordonné à la Déclaration de 1789 et au corps même de la Constitution. Par ailleurs, on peut considérer qu'il s'en est tenu à une conception trop statique du droit. Si, aux termes du Préambule, la loi garantit à la femme des droits égaux à ceux de l'homme, il ne s'agit pas d'en rester à une acception formelle de cette égalité. Si elle est juridiquement établie mais inexistante en fait - et l'on doit malheureusement constater que tel est bien le cas - c'est la force de la loi qui s'en trouve affectée. Que vaut un droit qui n'est que théorique ? Pour autant, la décision du Conseil Constitutionnel, si contestable qu'elle puisse apparaître, ne souffre aucun appel. C'est pourquoi le gouvernement de M. Lionel Jospin a présenté un projet de loi constitutionnelle qui permet de surmonter l'obstacle juridique élevé par la haute juridiction. C. LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE Le projet de loi soumis à notre examen ajoute à l'article 3 de la Constitution un alinéa ainsi rédigé : " La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions ". Trois questions s'imposent à la lecture de ce texte : - Pourquoi s'en tient-on aux seuls mandats et fonctions ? - Pourquoi n'est-il pas fait mention de la parité ? - Pourquoi considère-t-on que la loi doit " favoriser " cet égal accès ? 1. Pourquoi les seuls mandats et fonctions ? Comme il est indiqué dans l'exposé des motifs, le Gouvernement estime que la jurisprudence du Conseil Constitutionnel ne s'oppose à l'égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités que dans la sphère des institutions publiques. Il est vrai que la décision de 1982 ne porte que sur ce domaine précis. D'ailleurs, on observe que, dans cette décision, le Conseil prohibe toute division par catégories des électeurs ou des éligibles uniquement pour les suffrages politiques, ce qui est restrictif. Ce type de division serait donc possible pour d'autres types d'élections par exemple dans le domaine social ou professionnel. De plus, le Conseil Constitutionnel a été saisi à la fin de l'année dernière par le Président de la République et le Premier ministre de la question de la conformité à la Constitution du Traité d'Amsterdam. Cette convention modifie le Traité instituant la Communauté européenne et introduit un article 141 qui dispose notamment que " pour assurer concrètement une pleine égalité entre hommes et femmes dans la vie professionnelle, le principe de l'égalité de traitement n'empêche pas un Etat membre de maintenir ou d'adopter des mesures prévoyant des avantages spécifiques destinés à faciliter l'exercice d'une activité professionnelle par le sexe sous-représenté ou à prévenir ou compenser des désavantages dans leur carrière professionnelle ". Dans sa décision n° 97-394 du 31 décembre 1997, le Conseil constitutionnel n'a pas excipé de l'inconstitutionnalité de cette disposition qui permet (sans les y contraindre) aux Etats-membres de mettre en _uvre des mesures de discriminations positives en faveur des femmes, ou des hommes, le cas échéant. A contrario, on en a conclu (18) que le législateur peut adopter des dispositions tendant à assurer la parité entre les femmes et les hommes. L'obstacle juridique que nous évoquions précédemment se limite donc aux seules élections politiques. On observera qu'à l'origine, il avait été envisagé d'amender l'article 34 de la Constitution en vue de donner compétence au législateur, dans son domaine d'attribution, pour prendre les mesures tendant à assurer l'égalité des femmes et des hommes. Il a été jugé, à bon droit, plus judicieux de se limiter à la question de l'égalité en matière électorale et politique et de modifier l'article 3 de la Constitution qui fonde les principes d'indivisibilité de la souveraineté et d'universalité du suffrage. Ces principes qui, selon le Conseil constitutionnel, devraient faire obstacle à la parité en matière électorale, demeurent évidemment, mais ils devront désormais se lire à la lumière du dernier alinéa de l'article 3. Celui-ci explicite les termes de ces principes. Il est donc normal qu'il se situe dans le même article constitutionnel. L'intention du Constituant est ici tout à fait claire. Plus précisément le texte du projet de loi évoque les mandats et fonctions. Si le terme " mandat " n'appelle pas de développements particuliers, celui de " fonction " suppose quelques éclaircissements, étant donné son caractère somme toute un peu vague. Il renvoie aux responsabilités particulières qu'un élu peut exercer au sein d'une collectivité publique : maire, adjoint au maire, président de conseil général ou régional, vice-président ... C'est dans ce sens qu'il est utilisé, par exemple, dans la législation relative aux incompatibilités. 2. Pourquoi n'est-il pas fait mention de la parité ? On constate que le projet de loi ne fait pas référence au terme de parité qui est, en réalité, l'objet même de cette réforme. On peut s'interroger sur ce silence. L'exposé des motifs affirme pourtant sans ambages qu'il importe de promouvoir par des mesures appropriées la parité entre les femmes et les hommes. Il semble difficile d'inscrire dans la Constitution la notion de parité, pour une raison simple : elle est extrêmement délicate à réaliser concrètement. La notion de parité renvoie à l'idée d'égalité parfaite, ce qui signifie, dans l'absolu, qu'il y ait, par exemple, autant de femmes que d'hommes occupant les fonctions de maire en France. Il en serait de même pour les fonctions d'adjoint, de président de conseil général ou régional, de vice-président ... On imagine sans difficulté l'impossibilité d'atteindre un tel objectif d'égalité pure et parfaite. Adopter une position trop rigide c'est rendre la règle inapplicable et donc prendre le risque de la discréditer. Contrairement à l'idée développée par certains partisans de la parité, celle-ci ne peut être véritablement considérée comme un objectif mathématique. Elle est à la fois une finalité globale et un instrument, parmi d'autres, pour atteindre une égalité réelle entre les femmes et les hommes dans la vie publique mais aussi dans tous les domaines sociaux ou économiques. Dans le cadre de notre démocratie républicaine, il est important de se référer à nos principes fondateurs au premier rang desquels l'égalité. La construction d'une société où règne l'égalité exige un effort perpétuel qui passe par la mise à bas des injustices. Le verrouillage du monde politique par les hommes est une injustice. Il faut donc mettre en place les conditions juridiques pour déverrouiller le système et permettre aux femmes qui le souhaitent - et soyons certains qu'elles seront nombreuses - de se présenter aux élections, d'être élues et d'exercer des responsabilités politiques. C'est le sens de l'expression " égal accès ". La mise en _uvre de la parité, par exemple, pour les scrutins de liste, peut être un instrument commode, rapide et efficace pour imposer l'idée que les femmes sont aussi aptes à représenter leur concitoyens que les hommes. Mais pourquoi s'en tenir à la parité ? Demain peut-être plus de femmes que d'hommes seront présentes sur certaines listes. Cela signifiera alors que cette révision constitutionnelle a fait son _uvre et que la société politique française s'est enfin modernisée. En tout état de cause il faut laisser au législateur le soin d'organiser, au cas par cas, les conditions les plus favorables pour instituer une égalité réelle entre les sexes. 3. " Favoriser " l'égal accès ? Lorsque le texte du projet de loi a été rendu public il a suscité quelques réactions. Le verbe " favorise " est-il suffisamment volontariste ? Ne conviendrait-il pas de lui préférer les termes " établit ", " assure " ou " garantit " ? Le terme " favorise " est effectivement ambigu, comme l'a notamment observé Mme Françoise Giroud dans un éditorial récent (19). Il présente deux sens : " traiter de façon à avantager " ou bien " contribuer au développement de ". Si la première acception est retenue, elle devrait conduire, logiquement, à des formes de discriminations positives et à une préférence automatique accordée à une femme pour un poste ou un emploi. Cette forme d'égalitarisme peut être jugée avilissante par certaines femmes qui estiment, à bon droit, devoir être reconnues pour leurs qualités et non pas en vertu d'une règle discriminatoire. Si, en revanche, le second prévalait - c'est-à-dire si on lit que " la loi contribue au développement de l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions ", cette disposition revêtirait un caractère plus exact. Il est vrai que cette interprétation rend compte de la portée réelle de la loi. L'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions ne dépend pas des seules dispositions légales même si celles-ci sont indispensables. Elle naîtra aussi d'une évolution - on serait tenté de dire une révolution - des mentalités au sein des forces politiques et parmi les électeurs. La loi devra contribuer à ce mouvement par un effet d'entraînement que l'on espère puissant. Désormais le Parlement pourra agir en ce sens grâce à la révision constitutionnelle. Encore faut-il que le pouvoir d'appréciation du Parlement ne soit pas bridé par la rédaction du dernier alinéa de l'article 3 de la Constitution. Les professeurs de droit entendus par la commission des Lois, M. Guy Carcassonne et M. Louis Favoreu, ont attiré l'attention des commissaires sur la marge de man_uvre qui serait laissée au Conseil constitutionnel si on employait le terme " favorise ". En effet la haute juridiction pourrait estimer en contrôlant un projet de loi adopté par le Parlement que celui-ci ne favorise pas suffisamment l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions. Le Conseil, que l'on pourrait imaginer demain plus sensible à la question paritaire, disposerait alors d'un pouvoir d'appréciation concurrent de celui du Parlement ce qui ne correspond pas à l'esprit de nos institutions. Même si, dans sa décision du 15 janvier 1975 " Interruption volontaire de grossesse ", le Conseil Constitutionnel a rappelé que " l'article 61 de la Constitution ne [lui] confère pas un pouvoir d'appréciation et de décision identique à celui du Parlement ", il est important de ne pas mettre cette juridiction dans une situation délicate. Pour lever cette ambiguïté et donner au texte constitutionnel plus de force, certains ont évoqué le remplacement du terme " favorise " par le verbe " assure " ou " garantit ". Une telle substitution aurait l'intérêt de contraindre le législateur à agir pour atteindre l'objectif souhaité. Pourtant cette rédaction soulève, elle aussi, une difficulté. On introduirait dans la Constitution une obligation quasi-mécanique pour le législateur. Le Conseil constitutionnel aurait donc à vérifier systématiquement, dans chaque texte relatif aux mandats et fonctions, si l'égal accès a bien été assuré ou garanti par le législateur. Sachant que, dans certains domaines, la mise en _uvre de la parité est extrêmement difficile à réaliser, on peut imaginer les conséquences d'un contrôle de constitutionnalité trop rigoureux. Il est important de laisser au Parlement le pouvoir d'apprécier, au cas par cas, les mesures les plus susceptibles d'établir une égalité réelle des femmes et des hommes dans la vie publique. Cette discussion autour du verbe employé dans ce nouvel alinéa de l'article 3 de la Constitution n'est pas purement sémantique. Dans notre norme fondamentale les mots ont un pouvoir puisqu'ils sont le droit qui s'appliquent aux individus et aux institutions. Pour concilier le respect du rôle du Parlement et la nécessité de faire de l'égal accès aux mandats et fonctions un objectif fort, il semble qu'un verbe pourrait convenir. C'est à la loi d'organiser cet égal accès. C'est à elle de déterminer les moyens d'atteindre l'objectif fixé par la Constitution et le Conseil constitutionnel ne peut contrôler ce pouvoir d'appréciation. Conformément à l'article 61 de la Constitution, il se contentera de contrôler juridiquement la conformité des lois à la norme fondamentale. L'égal accès est un droit constitutionnellement reconnu. Sa mise en _uvre concrète est assurée par loi qui l'organise et ne se contente pas de le favoriser. La révision constitutionnelle n'est pas une fin en soi. Elle doit être le point de départ d'un train de réformes qui permettront, par touches successives et en liaison avec d'autres textes comme, par exemple, celui limitant le cumul des mandats, de fonder une république plus moderne, plus égale et plus juste. En rester à l'affirmation du principe sans lui donner corps serait la pire des choses. Rien n'est plus désolant que les espoirs déçus et cette révision constitutionnelle suscite de grandes espérances. La mise en _uvre concrète de la parité dans la vie politique soulèvera des difficultés d'ordre pratique. Il faut en être conscient. Pourtant d'ores et déjà on peut l'appliquer aux élections organisées selon un scrutin de liste : les européennes, les régionales, les municipales, les sénatoriales pour les départements les plus importants. L'Assemblée nationale a adopté, cette année, une telle disposition pour le mode de scrutin régional (20). Pour les élections législatives et cantonales, la solution est moins simple a priori. Une réflexion devra être menée par toutes les forces politiques républicaines, si possible de manière concertée, pour adopter des mécanismes électoraux à même d'assurer la parité. Le passage à un mode de scrutin proportionnel susciterait sans doute des débats tendus compte tenu des enjeux qui y sont attachés. D'autres voies sont ouvertes. Elles méritent d'être examinées. On a pu ainsi évoquer la possibilité de moduler l'aide publique versée aux formations politiques en fonction des efforts qu'ils consentiraient pour présenter des candidatures féminines. Mme Yvette Roudy a proposé une telle disposition aux termes de laquelle, en-deçà d'une représentativité minimum de 45 % pour l'un ou l'autre sexe, les dotations publiques aux partis politiques qui n'auraient pas respecté le principe de parité seraient diminuées du pourcentage nécessaire pour atteindre cette parité. Ce mécanisme suscite quelques réactions négatives de la part de milieux féministes. Il est vrai que l'idée de sanctionner financièrement le nombre insuffisant de femmes sur une liste électorale n'est pas forcément satisfaisant d'un point de vue symbolique. Par ailleurs une telle disposition pourrait apparaître contraire au principe constitutionnel de la liberté des partis politiques tel qu'il est affirmé par l'article 4 de notre loi fondamentale. Néanmoins on peut considérer que le présent projet de loi constitutionnelle permet de prendre de telles dispositions législatives sans encourir la censure du Conseil constitutionnel. C'est en tout cas la volonté du Constituant. On pourrait également envisager un dispositif inversé qui consisterait à favoriser financièrement le respect de l'objectif de parité. Là aussi certaines femmes pourraient avoir le sentiment d'être une sorte de monnaie d'échange contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Malgré leurs inconvénients ces solutions qui relèveront de la loi devront cependant être examinées car elles présentent un réel intérêt pratique, les partis politiques étant très sensibles aux questions de financement. La solution du scrutin binominal a également été avancée notamment par M. Michel Rocard dans un article paru dans l'Express le 20 juin 1996 ainsi que par Mme Françoise Gaspard, Claude Servan-Schreiber et Anne Le Gall dans leur ouvrage Au pouvoir citoyennes ! Pour M. Michel Rocard, il s'agirait de diviser par deux le nombre de circonscriptions pour les élections législatives et cantonales, de " donner deux bulletins de vote à chaque électeur ou électrice, et de rendre obligatoire l'élection dans chaque bureau de vote de deux personnes, un homme et une femme, sélectionnés par bulletins séparés déposés dans deux urnes différentes ". De la sorte, on assurerait la parité des élus et non plus seulement des candidats. M. Guy Carcassonne qui est favorable à ce dispositif considère qu'il serait de nature à assurer une vraie égalité entre les femmes et les hommes sans créer un lien de subordination qui pourrait exister si l'on adoptait la solution d'un " ticket " comprenant un homme et une femme. Dans cette dernière hypothèse, en effet, la femme pourrait être placée dans une situation de dépendance à l'égard du notable qui l'aurait sollicitée pour qu'elle fasse équipe avec lui. Le système de double bulletin proposé par M. Michel Rocard permet d'éviter un tel risque. Sa mise en _uvre ne manquerait pas de susciter pourtant des difficultés car elle implique inéluctablement un nouveau découpage électoral. Comment en effet regrouper par deux des circonscriptions dans des départements qui comptent un nombre impair de députés ? Pour ce faire il conviendrait là encore que se dégage une forme d'accord entre les forces politiques républicaines afin de ne pas " polluer " la question de la mise en pratique de la parité par d'autres enjeux. Mais il ne faut pas en rester à la question politique, même si elle est essentielle et conditionne l'évolution générale vers l'égalité réelle des sexes. En 1997, seules 6,6 % de femmes occupaient un emploi laissé à la décision du Gouvernement. Dans les grands corps, les femmes représentent moins de 15 % des effectifs alors même que le taux de féminisation de la fonction publique est de 55 %. En 1998, seules 5 % de femmes siègent dans les conseils d'administration des grands groupes français et aucune d'entre elles n'a pu accéder à la présidence d'une des deux cents premières entreprises françaises. Un long chemin reste donc à parcourir. En définitive, le texte qui est proposé par le Gouvernement est un défi lancé à la classe politique masculine. Il est aussi une occasion qui lui est donnée de montrer qu'elle sait faire face à ses responsabilités et que, devant une attente forte de nos concitoyens, elle accepte de se remettre en cause fondamentalement. Car, soyons clairs : une place de plus pour une femme c'est une place de moins pour un homme. Il n'est jamais facile d'assumer un tel choix. Mais, dans tout cela, il ne s'agit pas seulement des femmes. C'est la fonction de représentation et le rapport des Français à la politique qui est en jeu. En parlant ainsi on ne dramatise pas inutilement le débat. On le met en perspective. Combler le fossé qui s'est creusé entre les élites et la population passe aussi par une présence accrue des femmes en politique ainsi que dans les postes de responsabilités administratifs, sociaux ou économiques. La représentation n'est pas seulement un mandat juridique et politique ; elle a aussi une fonction symbolique. Aujourd'hui elle renvoie à une image essentiellement masculine qui ne correspond plus à l'état des m_urs et de la société. Il est temps pour les politiques d'entendre la société sous peine que bientôt celle-ci ne les écoute plus. * * * Avant d'examiner le projet de loi constitutionnelle, la Commission a procédé à l'audition de M. Guy CARCASSONNE, professeur à l'université Paris X-Nanterre, M. Louis FAVOREU, professeur à l'université d'Aix-Marseille, directeur de la Revue française de droit constitutionnel, Mme Geneviève FRAISSE, déléguée interministérielle aux droits des femmes, Mme Gisèle HALIMI, présidente de la commission " vie politique " de l'Observatoire de la parité, Mme Danièle LOCHAK, professeur à l'université Paris X-Nanterre et Mme Monique PELLETIER, avocate, ancien ministre chargé de la condition féminine. Mme la Présidente : Comme vous le savez, le Gouvernement a déposé, au mois de juin dernier, un projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes. Celui-ci comporte un article unique qui ajoute à l'article 3 de notre Constitution un alinéa ainsi rédigé : " la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions. " Comme l'exposé des motifs, assez bref d'ailleurs, de ce texte le souligne, il s'agit de faire progresser la parité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines. Toutefois, pour atteindre cet objectif dans la vie politique, il a été jugé nécessaire de réviser la Constitution, la jurisprudence bien connue du Conseil constitutionnel de 1982 interdisant d'introduire en la matière des mesures législatives tendant à la parité. Pour éclairer ses travaux, la commission des Lois a souhaité organiser une table ronde qui réunit certaines des personnalités les plus éminentes qui ont _uvré dans ce sens. Je vais les présenter rapidement, même si je doute qu'elles ne soient connues et reconnues par les parlementaires présents : Mme Monique Pelletier, avocate, ancien ministre qui fut chargée de la condition féminine ; Mme Geneviève Fraisse qui était jusqu'à présent déléguée interministérielle aux droits des femmes - mais j'ai appris hier en fin de journée que le Gouvernement confiait désormais cette mission à un membre du Gouvernement, Mme Nicole Péry, sous l'autorité de Mme Aubry, et je pense, pour ma part, que c'est là un des nombreux résultats du travail engagé par Mme Geneviève Fraisse en sa qualité de déléguée interministérielle - et qui nous parlera non seulement de la mission qu'elle a assumée pendant un an, mais aussi, et j'oserai dire surtout, en qualité de philosophe et historienne dont les ouvrages font autorité sur ce sujet ; Mme Gisèle Halimi, présidente de la commission " Vie politique " de l'Observatoire de la parité, une des institutions de notre vie publique en matière de droits des femmes ; Mme Danièle Lochak, professeur à l'Université Paris X-Nanterre, dont les travaux ont beaucoup contribué à éclairer le débat, notamment à l'occasion de la jurisprudence de 1982 du Conseil constitutionnel ; M. Louis Favoreu, professeur à l'Université d'Aix-Marseille, directeur de la Revue française de droit constitutionnel, et M. Guy Carcassonne, professeur à l'Université Paris X-Nanterre. Je n'ignore pas que beaucoup d'autres personnalités auraient souhaité être présentes et auraient eu qualité pour l'être. A ce propos, j'informe la Commission qu'en tant que rapporteur, je procéderai prochainement à des auditions, évidemment ouvertes aux membres de la Commission, au cours desquelles je recevrai notamment un collectif d'associations militantes de la cause des femmes. A titre liminaire, je voudrais savoir comment nos invités appréhendent cette initiative de révision constitutionnelle au sein de l'ensemble du débat sur la parité : pensent-ils, comme l'a fait le Gouvernement, qu'une révision constitutionnelle était indispensable et comment la situent-ils par rapport à la jurisprudence de 1982 ? J'aimerais également que nous réfléchissions à la question de savoir comment, dans les faits, traduire l'égal accès des femmes non seulement aux fonctions politiques - mandats et fonctions - mais aussi aux autres activités professionnelles et sociales. Mme Geneviève Fraisse : Permettez-moi de dire, puisque le changement subit de ma situation m'en fournit l'occasion, qu'il me paraît possible de tenir les mêmes propos sur la réforme constitutionnelle comme déléguée interministérielle et comme directrice de recherches au C.N.R.S. : il vous est donc loisible de m'écouter dans l'une ou l'autre qualité, puisque cela reviendra à peu près au même en ce qui concerne le dossier que nous avons à traiter ce matin ! Le débat sur la parité, lancé depuis le début des années 1990 par un certain nombre de femmes politiques et de parlementaires, a toujours eu pour moi une seule signification qui me fournira mon entrée en matière : j'avais, pour résumer mon opinion, écrit, en inversant une célèbre formule kantienne, que la parité " était vraie en pratique et fausse en théorie ". Elle est vraie en pratique puisque le débat sur la parité déclenche une formidable prise de conscience, attendue par des gens comme moi. Je rappelle que je travaille depuis une bonne vingtaine d'années sur ce sujet, à un moment où la question de l'égalité des sexes dormait un peu. Cette expérience me permet de dire que la parité m'est apparue défendable, non pas comme un nouveau principe à inscrire dans la Constitution ou comme un principe politique général dans l'histoire de la démocratie, mais comme ce que j'appellerai " un habit " de l'égalité ou un instrument pour " faire " de l'égalité. Il n'y a pas d'autres principes que celui de l'égalité des sexes, l'égalité étant un moyen, un instrument, un déclencheur, pas seulement d'ailleurs - mais j'y reviendrai - pour assurer la présence des femmes dans les lieux de pouvoir, et notamment dans le domaine politique, mais aussi pour traiter l'ensemble de la question des rapports hommes-femmes dans la société, c'est-à-dire dans l'espace professionnel et social. A cet égard, souvenez-vous que la proposition initiale du Gouvernement, avant que le Conseil d'Etat ne l'examine, mentionnait " un égal accès des femmes et des hommes aux responsabilités politiques économiques et sociales ". Le terme " responsabilités " a été critiqué, ainsi - à juste titre - qu'à mes yeux l'énumération " politiques économiques et sociales " avec ses trois composantes mises sur le même plan. Ces réserves ont conduit le Gouvernement à dissocier le professionnel et le social du politique et à proposer d'inscrire, à l'article 3 relatif à la souveraineté, la question de la parité ou plus exactement de l'égal accès, puisque le mot parité ne figure pas dans le texte du projet de loi. Ces observations préliminaires me paraissent bien cadrer les deux commentaires que je souhaiterais faire, une fois posée ce qui est ma propre perception du combat pour la parité depuis le début des années 1990. Premièrement, le préambule de la Constitution comporte bien l'affirmation de l'égalité entre les hommes et les femmes. Par ailleurs, nous avons - et quand je dis " nous " je fais référence à l'espèce humaine - multiplié, à partir de 1945, les textes où est évoquée l'égalité entre les hommes et les femmes ; il s'agit, en 1945, de la charte des Nations unies ; en 1948, de la Déclaration universelle des droits de l'homme dont nous célébrons le cinquantenaire aujourd'hui et, en 1950, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Vous me permettrez de rappeler ces trois textes même si seule la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 - comme le préambule de la Constitution de 1946 - fait état de l'égalité entre les hommes et les femmes. En revanche, la déclaration de l'O.N.U. et la déclaration européenne mentionnent ce qui figure également dans l'article premier de la Constitution actuelle, à savoir ce que j'appelle le " sans distinction de ", c'est-à-dire le principe de l'absence de distinction de race, de sexe, de religion, de langue, d'origine etc. Vous trouverez dans les textes publiés depuis cinquante ans, de nombreuses versions de l'énumération de tout ce qui ferait des catégories de l'universel. La différence de sexe y est parfois évoquée mais pas toujours, comme le montre notre constitution nationale. En fait, la modification de l'article 3 proposée dans le projet de loi suscite un commentaire par rapport au préambule de la Constitution et par rapport à son article premier. Le préambule affirme l'égalité, dans le domaine professionnel et social, ainsi que l'a précisé le rapport du Conseil d'Etat sous la plume de Nicole Questiaux. Nous devons donc isoler la question économique et sociale - qui peut être régie par le préambule - du politique. Dans ces conditions, pourquoi faut-il que la Constitution comporte une mention expresse ? Il s'agit, en fait, d'une inscription dans le symbolique dont il restera à mesurer les effets dans le réel. Je ne suis donc pas choquée qu'il y ait à la fois l'affirmation du principe de l'égalité des hommes et des femmes dans le préambule et le rappel qu'il faut favoriser - je pense que l'on reviendra dans le cours de la discussion sur les termes " favoriser " ou " garantir " - leur égal accès aux mandats et fonctions politiques dans le corps même de la Constitution. C'est ce que les textes européens et onusiens, s'efforcent de démontrer depuis cinq décennies. Je n'ai pas le temps de vous le prouver puisque les minutes me sont comptées, mais je pourrais le faire en soulignant comment chaque convention est là pour dire : " Oui, l'inscription symbolique existe mais maintenant il faut avancer ; oui, l'égalité de traitement est affirmée dans le traité de Rome mais cela ne suffit pas et il faut désormais inverser la charge de la preuve comme le fait la directive du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans le cas de discrimination fondée sur le sexe ". Il y a donc une logique à vouloir inscrire dans le symbolique, non pas pour les répéter mais pour les repérer, les obstacles à la réalisation du principe d'égalité entre les sexes et le fait qu'il faut les lever ; c'est l'objet de la nouvelle rédaction de l'article 3 qui consiste, d'abord et avant tout, à reconnaître qu'on ne peut pas aller assez loin avec le préambule, en raison des obstacles qui existent et qui doivent être surmontés. Avant de savoir comment, concrètement, nous pourrons mettre en _uvre cette exigence d'égal accès aux mandats et fonctions, permettez-moi d'évoquer maintenant une éventuelle modification de l'article premier de la Constitution. Si nous avions ajouté " sans distinction de sexe " nous serions retombés dans l'énumération du catégoriel. En revanche, ce qui est proposé avec l'adjonction à l'article 3, c'est une redéfinition de la souveraineté, qui a un double intérêt. Tout d'abord, il y a là une " déliaison " extrêmement rare dans l'histoire de la pensée occidentale. Permettez-moi de rappeler que, depuis la pensée de l'Antiquité, depuis Aristote, les femmes ne sont, comme je l'ai écrit dans l'un de mes articles, " jamais pensées seules ", mais avec les serviteurs, les enfants, les fous, les Juifs , les artistes, les colonisés ou les handicapés, comme dans le quatrième pilier du plan national d'action pour l'emploi. Par ailleurs, elles sont encore et toujours pensées, depuis vingt-cinq siècles, soit dans le langage de l'oppression, soit dans celui de l'émancipation. La " déliaison " ainsi opérée permet de dire que le rapport hommes-femmes dans la société doit être inscrit dans la Constitution. Pour la philosophe que je suis, cette inscription symbolique ne se limite pas à un gadget : tout le monde sait en effet que le symbolique peut avoir des effets dans le réel ! L'inscription du principe à l'article 3 qui traite des conditions d'exercice de la souveraineté plutôt qu'à l'article premier nous rappelle que nous sommes en train, aussi, de repenser la souveraineté nationale. Qu'est-ce que la souveraineté dans une démocratie ? Qu'est-ce que la souveraineté dans une République ? En fait, tout au long de l'histoire, la souveraineté doit s'incarner. Or, dans notre République, quelle que soit la formule utilisée, les deux sexes sont évoqués. Pour ceux qui le craindraient, je précise cependant qu'il n'est pas question de fonder la souveraineté sur le biologique. La proposition qui est faite aujourd'hui par le Gouvernement ne comporte d'ailleurs pas l'inscription de la parité en tant que telle - je sais que certaines de mes amies féministes vont être extrêmement fâchées que je parle en ces termes - et c'est précisément pourquoi elle est particulièrement intéressante. Il me semble que nous avons à redéfinir la souveraineté sachant que le biologique ne peut être utilisé pour refonder le politique mais que la souveraineté doit nécessairement être incarnée dans un peuple souverain ! Il existait bien jadis deux corps du roi et, aujourd'hui, s'ils ont disparu, il reste, en revanche, des hommes et des femmes qui doivent exercer leur pouvoir de souveraineté. Mme Danièle Lochak : Je suis heureuse d'avoir entendu Mme Geneviève Fraisse car cela va me permettre d'alimenter mon intervention. En ce qui concerne l'option d'une réforme constitutionnelle, je pense personnellement qu'elle est judicieuse. Les suggestions et les propositions qui avaient pour objet d'éviter la réforme constitutionnelle en se fondant sur la convention pour l'élimination de toutes les discriminations ne me semblaient pas satisfaisantes, car je considère qu'à partir du moment où l'on peut faire quelque chose, qu'on le veut politiquement et qu'il existe un consensus, il faut choisir la voie de la révision constitutionnelle, qui est aussi la seule permettant de contourner les obstacles dressés par le Conseil constitutionnel. Même l'organisation d'un référendum ne me paraissait pas une proposition judicieuse : il est préférable d'affronter carrément l'obstacle, comme j'aurais également souhaité qu'on le fasse pour le droit de vote des étrangers, autre problème qui est hors sujet aujourd'hui ... Pourtant, et même après avoir entendu Geneviève Fraisse, je me pose quand même quelques questions, notamment sur la portée de la rédaction de cet article au regard de l'article du préambule, qui dispose " la loi garantit à la femme dans tous les domaines des droits égaux à ceux de l'homme ". Il est vrai qu'on ajoute quelque chose, d'abord parce que l'on intervient sur un article concernant spécifiquement la souveraineté, mais ensuite - et surtout - parce que l'article du préambule proclame simplement l'égalité juridique. De fait, en matière politique, il est incontestable que les femmes ont juridiquement des droits égaux à ceux des hommes. Avec le projet de loi, on va donc un tout petit peu plus loin, puisqu'il est question de " favoriser l'égal accès ", c'est-à-dire que l'on vise un objectif et que l'on tend vers l'égalité de fait. Cela étant, et ce sera mon dernier mot, je reste tout de même un peu sceptique sur la portée de cet article. Il présente l'avantage, parce qu'il est finalement symbolique - il n'est à mon sens que symbolique - de pouvoir rallier les suffrages de tous ceux et de toutes celles, dont bon nombre de mes amis, qui, au nom de l'universalité, critiquent la parité. En effet, cet article mentionne simplement que " la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions " et je ne vois vraiment pas qui pourrait s'opposer à cette formule qui respecte parfaitement l'objectif d'universalité. Mais, du coup, je me demande - j'ignore si je ne fais pas ici un peu de provocation - si le jour où la loi inscrira dans les textes une disposition qui, non pas " favorise " mais " assure " l'égal accès des hommes et des femmes, autrement dit, le jour où une loi inscrira la parité dans les textes, cette disposition sera susceptible de faire fléchir le Conseil constitutionnel dans la mesure où, entre la formulation retenue et la parité, il y a une grande marge ! Je suis d'autant plus à l'aise pour le dire que je ne suis, ni tout à fait pour, ni tout à fait contre la parité. A priori, la parité me gêne quelque peu mais que j'estime qu'il faut parfois savoir ce pourquoi on se bat : si, depuis cinquante ans, l'on n'est pas parvenu à assurer l'égalité des hommes et des femmes en politique, il faut quand même effectivement s'y résoudre ! Mme la Présidente : Pourriez-vous expliquer ce que vous entendez en disant que vous n'êtes pas " tout à fait pour " la parité et qu'elle vous " gêne quelque peu " ? Mme Danièle Lochak : Je pense qu'il y a deux façons de justifier la parité. La première est purement pragmatique et j'y adhère volontiers. La seconde, défendue par des personnes pour qui j'ai, par ailleurs, beaucoup d'estime, me gêne un petit peu : elle consiste notamment à dire que les catégories hommes-femmes ne sont pas réductibles aux autres formes de classement en catégorie puisque, finalement, les hommes et les femmes constituant les deux moitiés de l'humanité, les femmes ne sont pas une catégorie comme les autres. Je pense que le fait de considérer que la " catégorisation " hommes-femmes n'est justifiée que par la biologie - parce que c'est bien ce qui nous est proposé - est dangereux. Si, en revanche, elle s'explique par la culture, l'aliénation étant une réalité, l'oppression n'est alors que temporaire et n'est pas liée à l'essence des femmes. Dans ce cas, il n'y a pas lieu de prendre des dispositions qui s'inscriraient dans la durée. Je pense que l'on peut transiger avec l'universalisme abstrait lorsque c'est nécessaire et si le remède n'est pas pire que le mal. J'admets que l'universalisme a pendant longtemps été un alibi, qu'il a fait le jeu des hommes et je serais donc prête à y déroger, mais à condition, encore une fois, que la parité inscrite dans les textes soit justifiée par une argumentation pragmatique, montrant que c'est la seule façon d'y parvenir en instaurant - bien que je n'aime pas le mot - une sorte de " discrimination " positive. J'exclus cependant toute argumentation fondée sur la nature ou sur la culture, étant entendu que je ne considère pas que l'objectif soit d'avoir strictement autant de femmes que d'hommes au Parlement : ce qu'il faut, c'est instaurer une réelle égalité des chances et s'il n'y a pas d'autre moyen d'y parvenir que la parité, allons-y pour la parité ... Pour me résumer, j'estime que les fondements idéologiques, symboliques et philosophiques de la parité sont fragiles, mais je l'admets si la situation ne peut pas être débloquée autrement ! Mme Gisèle Halimi : Je voudrais présenter, en les résumant, les conclusions du rapport de la commission pour la parité en politique de l'Observatoire de la parité, mis en place, par le décret du 18 octobre 1995, pour trois ans et qui vient d'être renouvelé par un nouveau décret. En outre, je souhaiterais vous livrer mon sentiment personnel, qui est postérieur à la publication dudit rapport. En ce qui concerne la commission, je dois d'abord dire que nous y avons travaillé trois ans sous la direction de Mme Roselyne Bachelot-Narquin dans une parfaite communauté de vue - je parlerai même de symbiose - tant pour ce qui était des personnalités à auditionner que de la rédaction du rapport et j'ajouterai, de l'amitié. Nous nous sommes d'abord attachées à trouver, en quelque sorte, les racines du mal - sans jeu de mots - de la discrimination à l'égard des femmes. Nous avons ainsi auditionné une cinquantaine de personnalités de tous les horizons, à commencer par les personnalités religieuses - puisque la culture judéo-chrétienne imprègne notre société dite " laïque " - puis les sociologues, les historiens, les philosophes, les dirigeants politiques des grandes formations, les associations, certaines femmes qui nous ont fait part de leur expérience, notamment celles qui avaient occupé des responsabilités importantes, comme Edith Cresson, Michèle Barsach ou Simone Veil et, enfin, des représentants des médias et des constitutionnalistes. Quelles ont été les conclusions de ce rapport ? La révision constitutionnelle, pour reprendre le plan que vous avez proposé, est évidemment nécessaire en raison de l'annulation par le Conseil constitutionnel, le 18 novembre 1982, d'un amendement que j'avais soutenu sur le projet de loi relatif à l'élection des conseillers municipaux, qui reprenait les travaux de Monique Pelletier qui, lorsqu'elle était ministre de la condition féminine, avait eu l'excellente initiative de soumettre un projet de loi à l'examen du Sénat en emboîtant le pas à un article du doyen Vedel sur la question. L'amendement avait été voté à la quasi unanimité, même au Sénat, ce qui est assez remarquable pour qu'on le souligne. J'indique qu'en l'occurrence, le Conseil constitutionnel s'était en quelque sorte auto-saisi puisqu'aucun député ni sénateur n'avait invoqué l'inconstitutionnalité de cet amendement et demandé son annulation au Conseil. Pourquoi cette décision ? Il serait trop long de l'expliquer ici, mais je crois que Danièle Lochak a fait une critique de la décision tellement convaincante et éblouissante que j'ai tenu à la rapporter dans notre rapport de la commission en soulignant que cela revenait à ranger les femmes, comme les hommes d'ailleurs, dans des catégories. La révision constitutionnelle a donc été jugée nécessaire mais je tiens à préciser que la chose n'allait pas de soi et que nous avons été divisés : certains, opposés à une révision, réclamaient un vote, arguant que personne ne saisirait le Conseil constitutionnel et que, si c'était le cas, il suffirait de faire du lobbying auprès de la haute juridiction pour qu'il n'y ait pas de nouvelle décision d'annulation, ce qui ne me paraissait pas très sérieux ! Notre rapport concluait à la modification de l'article 3 dans des termes qui ne sont ceux du projet de loi qui nous est soumis. Nous proposions le texte suivant : " l'accès égal aux mandats et aux fonctions est assuré par la parité ". Cette rédaction était claire : elle mentionnait la " parité ", l'" accès égal " et elle retenait le terme " assurer ". De là vient, je crois - mais c'est mon sentiment personnel - la principale critique que l'on peut adresser au projet de loi. En retenant le verbe " favorise " - de ce point de vue, je ne me situe pas tout à fait sur la même longueur d'ondes que Danièle Lochak - il constitue un pas, bien sûr, mais il n'apporte aucune garantie. Pour ce qui me concerne, j'avais également proposé, pensant que c'était là un toilettage envisageable dans la foulée, la modification de l'article premier de la Constitution, puisque vous avez peut-être noté que celui-ci assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion, mais qu'il ne mentionne pas les distinctions de sexe. Pour ce qui a trait maintenant à la procédure, tous les constitutionnalistes interrogés qui, à l'exception peut-être de M. le doyen Favoreu, étaient farouchement opposés au principe même de la parité - je pense notamment au Doyen Vedel - étaient favorables à une révision par référendum. Je pense très franchement que nous avons perdu une grande occasion de faire du problème de la parité un véritable débat national, ce qui nous ramène à la troisième question à laquelle vous souhaitiez que nous répondions car, pour traduire dans les faits la parité, encore faut-il qu'il y ait un débat ! Or, nous savons que les procédures à l'Assemblée, au Sénat et au Congrès, ne permettent pas un débat qui impliquerait tous les citoyens et les citoyennes. Ceux-ci auraient pu être interrogés sur une question d'ailleurs très simple - souhaitez-vous qu'il y ait autant de femmes que d'hommes dans les assemblées élues ? - à laquelle ils étaient tout à fait à même de répondre, dès lors qu'ils ont répondu à une question aussi complexe que celle de la ratification du traité de Maastricht. La voie du référendum de l'article 11 n'a pas été retenue alors qu'elle aurait été parfaitement adaptée. Le Doyen Vedel, ainsi que je le souligne dans notre rapport, l'a dit d'une manière parfaitement claire lorsqu'il présidait le comité consultatif pour la révision de la Constitution ; il avait conclu que l'on ne pouvait plus utiliser l'article 89 parce que cela donnait, ce qui est une évidence, un droit de veto à l'une des deux assemblées dans la mesure où le texte doit être adopté dans les mêmes termes. Finalement, c'est le recours à l'article 89 qui a prévalu, ce qui implique le vote identique des deux assemblées et la ratification par le Congrès à la majorité qualifiée des trois cinquièmes. En tout état de cause, je souhaite que l'Assemblée manifeste un intérêt suffisamment marqué pour que, même en l'absence de référendum, un véritable débat national puisse avoir lieu. Je crois que ce n'est pas une question que l'on peut traiter de manière purement technique car, si elle est indéniablement technique puisqu'elle concerne une révision de la Constitution, elle doit avoir des échos profondément populaires, c'est-à-dire que tous les citoyens et citoyennes doivent pouvoir se prononcer. J'en arrive au point de mon exposé qui traite de la façon de traduire la parité non seulement dans la vie politique, mais aussi dans d'autres domaines. Dans la vie politique, cela paraît presque simple et je voudrais préciser à cet égard que, dans notre rapport, nous avions conclu à la nécessité de mesures transitoires dont on ne parle plus et de mesures d'accompagnement qui restent nécessaires. Quelles sont-elles ? Le non-cumul des mandats - selon les sondages 84 % des citoyens se déclarent hostiles au cumul - une limite d'âge pour les carrières politiques - certains partis l'ont prévu de manière interne même si je crois que la règle n'a pas été respectée - un statut de l'élu - c'est à l'unanimité que nous avons adopté cette proposition qui me paraît très importante, non seulement pour les femmes mais également pour les hommes - et, enfin, une éventuelle modification du mode de scrutin, proposition sur laquelle des divergences sont apparues étant entendu qu'une des difficultés techniques que présentera la mise en _uvre de la parité sera de définir la façon de procéder pour un scrutin uninominal à deux tours ... Le parti communiste s'est exprimé sur ce point, sans pour autant en faire une condition préalable - ce qui était tout de même un très grand progrès - puisque Robert Hue est venu dire qu'il faudrait un scrutin proportionnel. Le parti socialiste également, Lionel Jospin qui le représentait s'étant lui aussi, déclaré favorable à une modification du mode de scrutin, de même que l'U.D.F. qui, par la voix de Gilles de Robien, a fait savoir qu'il désirait maintenir le scrutin uninomimal mais en corrigeant ses effets négatifs. Je terminerai cet exposé en parlant de tous les autres domaines. A ce sujet, je souhaite qu'il y ait une clarification car j'avoue être quelque peu agacée en entendant parler de " parité dans la vie domestique ". Qu'est-ce que cela veut dire en termes de Constitution et en termes de loi ? Il faut tout de même ne pas galvauder le langage et je crois qu'en utilisant des termes totalement inappropriés, on complique le débat. Je reconnais que je me livre là à une autocritique puisque cette tendance est plutôt le fait des mouvements féministes. Je voudrais ajouter, en conclusion, que j'ai publié un article que vous avez peut-être eu l'occasion de lire dans le journal Le Monde sur un fait divers et où je soulignais qu'une femme mourrait tous les dix jours de violences conjugales en Espagne ... A cette violence dans la vie domestique, dans la vie privée, il y a beaucoup de solutions en amont. Cependant, si nous imaginons une Assemblée nationale composée d'autant de femmes que d'hommes dans une démocratie, qu'elle soit de droite ou de gauche, j'aimerais savoir quelle serait la femme de droite ou de gauche qui pourrait accepter un tel état de fait et qui ne chercherait pas des solutions légales, y compris par des lois répressives si besoin en était ... Voilà donc un problème qui est d'ordre domestique et privé épouvantable et auquel des solutions pourraient être apportées par la parité en politique. M. Guy Carcassone : Je suis, j'imagine comme tout le monde, consterné qu'il soit nécessaire de passer par une révision de la Constitution, mais cependant sans le moindre état d'âme sur sa justification dès lors que, d'un point de vue pragmatique, elle apparaît indispensable ! Cette précision étant posée, je m'en tiendrai à un seul aspect : la révision constitutionnelle est nécessaire, avant tout, pour permettre de revenir, de manière publique et totalement assumée, sur la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 1982. J'observe, au passage, que l'on fait porter au Conseil constitutionnel une responsabilité indue à mon sens : le Conseil aurait pu interpréter la Constitution de manière différente, mais son interprétation de 1982 est tout sauf scandaleuse ... Il faut donc modifier la Constitution. Reste à s'interroger sur le contenu du projet de loi soumis à notre examen, que je crois à certains égards critiquable pour des raisons à la fois techniques et parlementaires. En effet, sur le plan parlementaire, pour évacuer ce point rapidement, il est clair que la nécessité d'un vote conforme par les deux assemblées est une contrainte puisque l'on peut craindre une forte réticence, au moins au palais du Luxembourg et sans doute nettement moindre au Palais Bourbon. Or, à partir du moment où on la prévoit, il n'est pas forcément sot d'essayer d'anticiper. Techniquement, je suis réservé sur le fait d'inscrire dans la Constitution des obligations positives de faire, qui s'imposent au législateur. En d'autres termes, il va de soi que la révision constitutionnelle qui est nécessaire n'est pas suffisante et qu'il faudra, en tout état de cause, que le Parlement intervienne pour aménager les textes, notamment de droit électoral, pour donner son sens à l'obligation qui lui serait, par hypothèse, imposée. Ce qui me préoccupe un peu, c'est la rédaction même du projet dont vous êtes saisis. En effet, à partir du moment où l'on écrit que " la loi favorise l'égal accès " - je sais que déjà on regrette que ce soit simplement " favorise " plutôt que " garantit " - cela signifie qu'il va y avoir un nid à contentieux constitutionnels qui, contrairement à ce que l'on peut croire, va jouer dans les deux sens. Je veux dire par là que, techniquement, il sera possible à tout saisissant grincheux du Conseil constitutionnel, sur pratiquement absolument n'importe quel texte, même totalement hors du champ institutionnel, de dire : " ce texte sur la législation des baux ruraux, est contraire à la Constitution parce qu'il n'a pris aucune disposition favorisant l'égal accès des femmes en qualité de titulaires de baux ruraux ". J'exagère évidemment, mais à peine, car je sais bien, ne serait-ce que par expérience, ce que sont les tentations de ceux qui ont à rédiger des saisines. En fait, je crains beaucoup la situation dans laquelle, finalement, pratiquement tout le contentieux constitutionnel fera de manière quasiment rituelle l'invocation d'un moyen fondé sur le dernier alinéa de l'article 3, au point de le galvauder. En sens inverse, on court le risque, presque plus grave, que le juge constitutionnel - je ne vise pas du tout la composition actuelle du Conseil constitutionnel ou sa composition future que, par définition, j'ignore - ne devienne finalement plus " paritariste que les paritaristes " et que, compte tenu de la rédaction retenue, il soit en mesure, en 2010, de censurer des textes qui iraient effectivement dans le sens de la parité, non plus, comme en 1982, parce qu'ils vont trop loin, mais parce qu'ils n'iraient pas assez loin ! Or, à partir du moment où l'égal accès deviendrait le critère unique, un juge constitutionnel mal disposé pourrait toujours trouver à redire, y compris vis-à-vis de dispositions que le législateur aurait été obligé de prendre pour des raisons techniques ou politiques d'évidence. Je souligne, à cet égard, que parvenir à une répartition exacte à cinquante-cinquante dans les scrutins uninominaux est un défi auquel il est possible intellectuellement, mais beaucoup plus difficile politiquement, d'imaginer des réponses. Bref, tout cela m'amène à considérer qu'il serait peut-être possible de parvenir au but recherché en recourant à des moyens techniques plus adéquats. La proposition de rédaction que je vous suggère consiste, en quelque sorte, à inverser la logique de la phrase qui pourrait se lire à peu près de la façon suivante : " l'accès équilibré (ou l'égal accès) des femmes et des hommes aux mandats et fonctions est recherché dans les conditions déterminées par la loi... ", de sorte qu'il soit bien clair, d'abord, que la loi peut faire désormais ce qui lui a été interdit en 1982, ensuite que ce n'est pas une obligation absolue qui lui est imposée, dont le non-respect entraînerait la censure. En effet, ne nous voilons pas la face : soit le législateur est décidé à aller dans ce sens et il le fera, soit il n'y est pas décidé et rien ni personne ne pourra l'y contraindre ; il me semble sage d'anticiper une telle option. J'ajoute que ce type de rédaction qui, j'en suis convaincu, ne serait pas de moindre portée que celle qui est proposée, susciterait sans doute moins d'hostilité chez vos collègues du Sénat. Mme Monique Pelletier : Mon propos sera sans doute beaucoup plus pragmatique mais je réfléchirai à la proposition présentée par Guy Carcassonne qui me paraît fort intéressante, compte tenu des obstacles, j'espère imaginaires, qu'il a évoqués. J'interviens ici parce que j'ai été chargée, au sein d'un gouvernement, de la défense des droits des femmes et qu'après d'autres et avant bien d'autres, je me suis efforcée de faire progresser ces droits. J'interviens aussi, non pas que je sois mandatée, mais parce que je fais partie du Groupe des Dix pour la parité, qui rassemble dix femmes, toutes anciens ministres d'opposition et de la majorité à part égale, qui se réunissent régulièrement pour évoquer tous les problèmes de la vie des femmes et les injustices ou anomalies que la situation leur réserve encore. Nous avons publié, il y a maintenant trois ans, un manifeste des Dix pour la parité, publié dans l'Express, qui, à l'époque, a eu un retentissement important et se voulait une proposition destinée à faire avancer plus vite la marche vers la parité. Personnellement, je suis tout à fait désireuse que l'Assemblée, et les parlementaires qui sont de la famille dont je me réclame, s'associent à ce projet de loi qui m'apparaît tout à fait important - la vie m'a appris qu'on n'avait jamais tout, tout de suite, qu'il fallait accepter une voie pragmatique et progressive - et marque une avancée significative. Cependant, comme Guy Carcassonne l'a souligné, il ne constituera un réel progrès que si suivent des lois qui mettront en place les moyens réels de favoriser cette égalité de chances que nous demandons pour les femmes dans les assemblées représentatives. Bien sûr, je ne ferai pas le constat que nous connaissons tous, bien sûr je ne rappellerai pas que, désormais, les droits théoriques à l'égalité sont reconnus aux femmes, qu'ils soient inscrits dans la déclaration des droits de l'homme, dans la Constitution ou dans les lois. Les femmes bénéficient donc d'un droit théorique à l'égalité mais il existe un immense fossé entre ce droit théorique et les droits concrets, pratiques, qui leur permettent d'accéder à une représentation plus normale, moins choquante, moins dérisoire dans la vie publique. C'est le premier effet que va avoir ce texte puisqu'il reconnaît le droit aux assemblées de favoriser ou de rechercher, peut-être demain par les textes qui suivront, les moyens de favoriser cette meilleure représentation. Il y a, bien sûr, la modification évoquée du scrutin majoritaire - lequel constitue un lourd handicap pour les femmes - qui consiste à y ajouter une dose de proportionnelle ; c'est en tout cas mon souhait personnel. Il y a également l'attitude des partis politiques qui devraient, dans les instances d'investiture, mettre autour de la table suffisamment de femmes, et elles sont nombreuses à pouvoir y prétendre. Il devra y avoir enfin des projets de loi concrets qui mettront en _uvre ce que certains appellent " une discrimination positive " en faveur des femmes et que je préfère appeler " une action positive ", c'est-à-dire qu'à compétence égale, une préférence serait donnée, pendant un temps, pour un poste, une fonction, un mandat, à une femme. Nous avons à remédier à un important déséquilibre et il faudra beaucoup de temps pour y parvenir : nous ne disons pas aujourd'hui, et je crois que personne parmi nous ne le prétend, que la parité est un objectif pour demain ! Yvette Roudy a parlé de dix ans pour réussir ; je pense, quant à moi, que les résultats ne seront pas immédiats mais qu'il faut que les pas vers cette parité se fassent de manière ininterrompue. J'évoquerai deux objections sur la parité que l'on entend ici ou là, mais qui m'apparaissent réellement non fondées. Premièrement, certains prétendent que nous allons, avec ce texte, faire surgir des demandes de catégories diverses, dont la liste est archiconnue parce qu'elle est archirépétée, et contrevenir ainsi au principe d'égalité des citoyens devant la loi. Je réponds, et je pense qu'on ne peut pas ne pas répondre, que les femmes ne sont pas une catégorie, qu'il y a des femmes comme des hommes chez les beurs, chez les aveugles, chez les handicapés, que nous sommes la moitié de l'humanité, que nous sommes la partie féminine de l'humanité avec, je l'ajoute, les différences que pour ma part je revendique ! Deuxièmement, argument qui m'apparaît également mal fondé : certains arguent en outre qu'il n'est pas nécessaire de légiférer puisque cette égalité est déjà inscrite dans tous les textes fondamentaux. A cette assertion, je rétorque que le principe de l'égalité est inscrit mais qu'il n'est pas transformé en actes concrets et qu'il faut donc remédier à cette distorsion entre principe et réalité. J'approuve le recours à la modification constitutionnelle dans la mesure où, dans sa décision du 18 novembre 1982, le Conseil constitutionnel garant de la Constitution - et je partage l'avis de Guy Carcassonne qui disait qu'il n'avait pas tort en droit même s'il avait tort, à mon avis, en opportunité - a dénoncé l'atteinte au principe de l'égalité des citoyens devant la loi. Pour ce qui me concerne, je souhaite, tout comme Gisèle Halimi, qu'un vrai débat public s'instaure sur cette question. Je vous rappelle, à ce propos, que le dernier sondage demandé par le Groupe des Dix avant de publier son manifeste, montrait que 86 % des hommes et des femmes et que 91 % des jeunes de dix-huit à vingt-quatre ans souhaitaient cette marche vers la parité. Il me semble que les assemblées devraient tenir compte de ce changement d'opinion pour accepter que les femmes jouissent d'une réelle égalité de droit en leur sein. Je terminerai par un propos qui est très personnel : je souligne que ce ne sont pas des féministes enragées qui souhaitent ce progrès mais des femmes qui - c'est en tout cas mon cas et celui de nombreuses femmes - se reconnaissent comme différentes et complémentaires et qui ont donc leur part à prendre dans les décisions, qui s'enrichiront de cette complémentarité. La famille est aujourd'hui et depuis toujours mixte, la vie sociale et professionnelle le devient, pourquoi seule la vie politique resterait-elle à l'écart de ces évolutions ? Je pense et j'espère que les assemblées s'intéresseront à ce débat puis qu'ensuite, elles prendront par leur vote la décision qui est souhaitée par une très grande majorité des citoyens de ce pays parce qu'elle est juste d'une part, et qu'elle permettra la prise de meilleures décisions d'autre part. Mme la Présidente : Je vais vous demander, Monsieur le doyen, de bien vouloir clore ce tour de table. C'est un rôle qui vous revient de par l'originalité de votre position puisque vous êtes ici le seul à avoir pris, depuis longtemps déjà, une position sensiblement différente de celles qui viennent d'être exprimées, même si elles comportaient déjà un certain nombre de nuances. M. Louis Favoreu : Je suis en effet de ceux qui, sur ce sujet de la parité, ont élevé des objections d'ordre juridique, mais non d'ordre personnel. J'observe, par ailleurs, que ce matin, la parité n'est pas tout à fait respectée puisque nous ne sommes que deux hommes sur les six invités, ce dont je ne me plaindrai pas du tout, jugeant au contraire cette répartition tout à fait souhaitable ! Je répondrai aux questions que vous avez posées et j'aborderai rapidement quatre points : l'opportunité d'une révision, un tableau du droit comparé qui me semble important, l'historique et l'examen de la proposition. Sur la question de savoir s'il faut une révision, je dirai que je suis de ceux qui la souhaitaient. D'ailleurs, avec Danièle Lochak, nous sommes arrivés à un accord total, l'année dernière, lors des journées socialistes de La Rochelle puisque, alors que nous pensions débattre de nos propositions respectives, nous nous sommes aperçus qu'elles ne divergeaient pratiquement pas. A cet égard, je soulignerai que je pourrais abréger mon exposé dans la mesure où j'ai écrit sur ce point un petit texte que je tiens éventuellement à votre disposition et qu'en outre, nous avons organisé, l'année dernière, un colloque international sur le sujet des " discriminations positives " qui a donné lieu à la publication de quelques centaines de pages dans l'annuaire international de justice constitutionnelle et où vous trouverez les positions d'une quinzaine de pays et énormément d'informations sur la question qui nous intéresse ce matin. Je suis favorable à la révision mais, par rapport au petit texte publié dans le rapport du Conseil d'Etat, je voudrais apporter une précision concernant le doyen Vedel. J'ignorais alors en effet la position qu'il avait prise en 1982, à savoir qu'il s'était récusé, déporté, et qu'il n'avait donc pas participé à la décision. Je tenais à apporter cette rectification puisque je lui prêtais une présence qu'il n'avait pas. Vous me permettrez d'apporter une seconde précision concernant, cette fois, le comité consultatif pour la révision de la Constitution présidé par le doyen Vedel : en réalité - et Guy Carcassonne peut en témoigner - il y a eu une proposition de révision conjointe de l'article 89 et de l'article 11 qui avait pour objet de faire sauter le verrou de l'article 89, tout en évitant que la révision puisse se faire par le biais de l'article 11. C'était donc une sorte de compromis qui avait été proposé dans le cadre du Comité Vedel dans le rapport de février 1993. La révision me semble donc s'imposer. A La différence de Guy Carcassonne, je ne le déplore pas dans la mesure où je considère que nous sommes maintenant, comme les autres grands pays, engagés dans un processus d'adaptation régulier de la Constitution. Si en revanche, Guy Carcassonne veut mettre l'accent sur le risque que comporte une inscription dans la Constitution au-delà même du problème de la révision, je reconnais que c'est un point qui mérite discussion. Il n'en reste pas moins que, sur le fait de réviser la Constitution, contrairement à une opinion largement répandue, je constate qu'en France, on traite enfin la Constitution comme elle devrait l'être et qu'on n'en change pas par des coups d'état et des révolutions mais bien par le biais de révisions. De ce point de vue, j'ai le sentiment que les révisions sont nécessaires et que le Conseil constitutionnel est précisément là pour les provoquer. En réalité s'il est là, c'est bien parce que la Constitution est respectée : lorsqu'il n'y avait pas de juges constitutionnels on pouvait la violer sans qu'il soit nécessaire de la réviser. Pour ce qui concerne le droit comparé, je voudrais répéter ce que j'ai déjà dit, à savoir que si la réforme envisagée est adoptée, nous serons les seuls à nous être engagés dans la voie d'une révision constitutionnelle en la matière. En effet, contrairement à ce qui a été dit souvent, les Etats-Unis n'ont rien fait de tel et l'affirmative action américaine se différencie sur deux points de ce qui est envisagé en France : d'une part, c'est une mesure temporaire de rattrapage d'une situation passée, ce qui n'est pas le cas des mesures qui sont aujourd'hui envisagées en France ; d'autre part, on ne touche jamais la zone suspecte puisqu'il n'y a jamais de " discrimination positive " en matière politique ; d'ailleurs, les femmes ne le réclament pas, à l'exception des organisations les plus extrêmes qui vont jusqu'à revendiquer des collèges séparés ! Du côté des pays scandinaves, il en va de même : les Suédois et les Norvégiens ont des textes qui s'appliquent uniquement dans la sphère administrative, encore que lorsque cette dernière touche au problème de l'élection, il n'y a plus de " discriminations positives " qui tiennent ! En Europe, seule l'Italie s'est lancée dans une démarche comparable à celle de la proposition " Pelletier-Halimi " de 1982, mais il y a eu une décision de la cour constitutionnelle qui l'a interrompue. J'assistai à un colloque à Pise quand la formation bicamérale qui devait proposer la révision a été dissoute et n'a donc pu mener à bien le projet qui se proposait, comme c'est le cas en France, de prendre par la loi constitutionnelle ce que la cour constitutionnelle n'avait pas autorisé, c'est-à-dire une inscription privilégiée des femmes sur les listes de candidatures aux élections municipales. En Belgique, enfin, il y a une mesure beaucoup moins contraignante que celle qui avait été prévue en France, puisqu'elle n'assure pas une égalité de résultats mais simplement une égalité de chances. Au total, en droit comparé, je dirai que, d'une manière générale, la formule de la parité est écartée. Dans ces conditions, comment les Scandinaves sont-ils parvenus quand même à obtenir qu'au Parlement, il y ait 40 % de femmes ? Par des mesures incitatives à l'intérieur des partis politiques, ce qui me permet de vous dire que s'il est très difficile, à mon sens, de satisfaire juridiquement les demandes de Mmes Pelletier et Halimi, le fait de les avoir formulées et largement diffusées a fait progresser les mentalités. Je sais que Mme Halimi n'est pas favorable à la voie scandinave, mais je note qu'elle a permis de réaliser des progrès puisque les femmes représentent non seulement 40 % des élus, mais aussi la moitié du Gouvernement et que le Premier ministre est une femme ; je n'en dirai pas plus puisqu'il s'agit d'une situation bien connue ! Les réflexions auxquelles on peut se livrer sur l'égalité et la parité, me permettent de glisser très rapidement à l'historique et de signaler que l'on est passé, en France, d'une revendication qui était celle de quotas sur les listes de candidatures, à celle de la parité, c'est-à-dire l'égalité des résultats. Autrement dit, on est passé, en seize ans, d'un point de vue à un autre diamétralement opposé ! Par rapport aux revendications présentées à l'étranger, cela représente donc un pas considérable : nous étions peut-être initialement en retard en matière de revendications, mais maintenant nous avons largement dépassé nos voisins avec la parité et cette exigence d'égalité dans les résultats, telle qu'elle apparaît dans la loi sur l'élection des conseils régionaux. J'en arrive maintenant aux questions théoriques qui peuvent se poser. Tout d'abord l'égalité est incontestablement différente de la parité. En réalité, la parité fait que désormais l'égalité est envisagée à l'intérieur de chaque sexe, ce qui veut dire qu'il y a un déplacement de l'égalité. Ensuite, sur le plan théorique, juridique, l'égalité est déjà inscrite dans notre Constitution sous la forme de la non-discrimination. Ce que l'on veut désormais inscrire, c'est la discrimination positive, ce qui représente un pas qui n'a été franchi nulle part ailleurs, notamment au niveau de la Constitution. Les risques de la parité - je raisonne sur ces risques et non pas sur le problème précis qui nous est soumis et sur lequel je reviendrai plus tard - sont connus : c'est le fractionnement en catégories dont on a parlé, car la décision du 18 novembre 1982 est moins fondée sur l'égalité que sur l'indivisibilité du peuple français. Il faut bien voir que cette décision de 1982, que nous hésitons d'ailleurs à faire figurer dans nos grandes décisions, alors que, rétrospectivement, c'en est une, en a fondé une autre assez différente : l'interdiction de toute référence à la notion de peuple corse tire directement sa source de la décision de 1982, laquelle protège l'indivisibilité du peuple et de la République ! J'ajoute que le fractionnement est un risque d'autant plus grand que vient s'y ajouter l'idée que l'on privilégie le groupe par rapport à l'individu. C'est donc la conception individualiste de notre droit qui risque de changer, dans la mesure où c'est l'appartenance au groupe qui va définir les droits et non plus la qualité de l'individu. On rejoint ainsi une réflexion philosophique qui peut être faite sur la diversité et l'universalité ! J'en viens au dernier point de mon exposé : la proposition elle-même. Elle est évidemment très différente de celle qui avait été faite, notamment par Mme Halimi, sur la parité ainsi qu'elle l'a dit elle-même. Par ailleurs, on peut se demander si la formule du préambule de 1946 " la loi garantit à la femme dans tous les domaines des droits égaux à ceux de l'homme " n'est pas plus forte, mais c'est peut-être un geste politique qui, comme l'a dit un expert, Guy Carcassonne, peut avoir sa signification. Ce qui a été dit par Georges Vedel, lors d'un entretien avec le garde des Sceaux, c'est que la modification - et Guy Carcassonne l'a également évoqué - transférera la responsabilité du pouvoir constituant au pouvoir constitutionnel, ce qui est une solution envisageable qui s'est appliquée dans d'autres pays qui ont une Constitution moderne. Par exemple, les constituants espagnols, qui n'ont pas voulu prendre position sur le problème de l'avortement, ont trouvé une formule sibylline qui laissait la responsabilité de l'interprétation au tribunal constitutionnel ! De même, la portée des dispositions constitutionnelles qui vous sont soumises va très certainement largement dépendre de l'interprétation qu'en fera le Conseil constitutionnel. Dans le cadre du projet de loi sur les élections régionales, qui est en cours de discussion, est inscrit le système des quotas pour les listes de candidatures ... Mme la Présidente : et de la parité ! M. Louis Favoreu : ... et de la parité, ce qui est encore plus fort ! Les dispositions qui seraient adoptées pourront donc, le cas échéant, être confrontées à la formule retenue par le projet de loi constitutionnelle : " la loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes ... ". Si l'on avait choisi d'écrire " la loi favorise l'égal accès des femmes ", c'eût été clairement une discrimination positive, mais faire figurer les femmes avant les hommes suppose une intention marquée par la rédaction, sachant que la formule du préambule de la Constitution de 1946 est tout aussi claire et affirme la même volonté de rattraper le retard ... L'idée de transférer au Conseil constitutionnel une marge d'appréciation n'est donc pas invraisemblable : on peut, comme l'a dit Guy Carcassonne, la déplorer ou s'en réjouir ; on peut également regretter que le pouvoir constituant ne prenne pas ses responsabilités et qu'il les délègue au Conseil constitutionnel, à qui " il renvoie la balle ", comme l'a dit le doyen Vedel ; on peut aussi estimer, malgré le risque qu'énonçait Guy Carcassonne, qu'il n'est pas absurde de laisser le Conseil faire évoluer les choses au fur et à mesure. En tout état de cause, je crois que, ainsi que chacun le voit, il y a là bien des commentaires possibles ! Mme la Présidente : Au point où en est parvenue notre discussion, je relèverai, pour ma part, deux éléments qui nous seront certainement fort utiles pour le débat que nous allons mener en commission. D'abord, j'ai noté qu'en ce qui concerne la nécessité d'une réforme constitutionnelle, on voit bien qu'elle donne lieu à plusieurs interprétations différentes ou, en tout cas, qu'elle comporte plusieurs étages d'explications, dont la toute première, sur laquelle je pense que tout le monde se rejoint, est la nécessité de s'opposer à la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1982. Je crois que c'est là le soubassement du projet de loi constitutionnelle. Ensuite, j'ai noté deux apports tout à fait intéressants dans les interventions en ce qui concerne le nécessité de la révision. Le premier est la référence à l'inscription symbolique : sur ce point, je ne pense pas qu'il y ait accord de tous les intervenants mais je considère qu'elle constitue un élément essentiel puisque cette révision représente non seulement une mesure technique d'ajustement de notre texte constitutionnel, mais aussi, dans l'histoire des idées de la société française, une étape qui passe forcément par le symbolique. Le second est la demande d'instauration d'un débat national, public, actualisé, sur une question qui est éminemment une question de société, avec des approches différentes selon que l'on plaide pour le référendum - voie qui, à ce jour, n'a pas été retenue par le Gouvernement - ou pour la procédure parlementaire, avec les interrogations qu'elle soulève et les contraintes qu'elle suppose. Pour ce qui me concerne, mais c'est sans doute parce que je ne suis pas parlementaire depuis longtemps, je veux croire que le Parlement peut être le lieu d'un grand débat public national. Il est un autre point qui ressort clairement des six interventions : l'interrogation sur l'adéquation entre la rédaction actuelle du texte et l'objectif recherché ; cela ressort du débat que vous avez déjà largement engagé les uns et les autres sur le terme " favorise ", avec les interprétations politiques, mais aussi - et Guy Carcassonne y a insisté - juridiques, auxquelles il peut donner lieu. Mme Yvette Roudy : Tout d'abord, je voudrais remercier Geneviève Fraisse au moment où elle quitte les fonctions qu'elle occupe depuis un an, d'abord pour toute la réflexion dont nous avons bénéficié à travers les travaux et ouvrages qu'elle a pu publier depuis un bon nombre d'années, ensuite parce que je suis convaincue qu'elle va continuer à nous aider par une réflexion désormais enrichie par cette année qui lui a permis de comprendre comment fonctionnait, de l'autre côté, l'appareil d'Etat et les affaires ministérielles. Je pense que cette expérience va constituer une richesse pour elle, qu'elle va pouvoir en tirer de très bonnes conclusions et je souhaite que nous puissions continuer à profiter de sa présence à nos côtés, que ce soit sous une forme ou une autre. Pour ce qui concerne l'affaire qui nous réunit aujourd'hui, et s'agissant du texte qui nous est présenté et dont nous avions entendu parler depuis quelque temps, je dois avouer que je pensais qu'il serait différent au moment de sa présentation au Parlement car, très franchement, je dois dire que je reste sur ma faim : on a parlé d'insuffisances, d'éventuelles améliorations mais, pour ce qui me concerne, je dirai que c'est presque de la dérision ! Dans l'exposé des motifs, on voit bien qu'au paragraphe 3 - et pourtant je ne suis pas juriste - on insiste lourdement sur le fait qu'il est déjà inscrit dans la Constitution que " la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ". On comprend donc bien que la Constitution, telle qu'elle est rédigée, ne s'opposerait pas à ce que des moyens permettent de réaliser l'égalité puisque la loi garantit " des droits égaux ". Il est clair qu'il devient dès lors nécessaire de définir les modalités pour réaliser cette intention : la Constitution donne une direction, mais après, il faut naturellement des mesures d'application. Or, il y a eu cette décision du 18 novembre 1982, sur laquelle tout le monde aujourd'hui se bloque, prise par neuf messieurs au nom de leur grande autorité, laquelle donne presque l'impression de relever de l'infaillibilité. Gisèle Halimi a rappelé la vérité sur ce point et l'on sait parfaitement que les choses ont été compliquées, puisque la demande que j'avais présentée au Gouvernement et qui faisait suite à celle de Mme Pelletier a été reprise par le groupe socialiste ; Gisèle Halimi a joué un rôle important dans cette affaire ! Alors que l'ensemble de la représentation nationale avait jugé bon de prendre une mesure, le Conseil constitutionnel a quand même décidé qu'elle était inconstitutionnelle, au motif que les femmes seraient une catégorie et qu'on ne peut pas séparer la société française en catégories, même si on ne se gêne pas pour le faire en certaines circonstances ; je n'ai pas le temps de développer mais on pourrait citer bien des exemples ! L'exposé des motifs du projet de loi qui nous est proposé est tout à fait insuffisant et mériterait d'être un peu fortifié et rédigé d'une manière plus sérieuse, car il donne l'impression d'avoir été fait à la " va vite ". Pour ce qui a trait à l'article unique, je dirai que, franchement, je ne vois pas ce qu'il apporte. Tout le monde a reconnu que le terme " favorise " était trop faible, plus faible en tous cas que celui de " garantit ". Encore une fois, j'estime - cela a été dit sous une forme ou sous une autre - que cela ne va rien changer en l'état. Si on se déplace en grande pompe à Versailles, pour ajouter seulement cette ligne et demie à ce qui est déjà inscrit dans nos textes fondamentaux, je considère que c'est vraiment dérisoire. Sans sous-estimer la force du symbolique qui est très importante, je prétends que l'on ne peut pas accepter que ce texte reste en l'état. Si tel devait être le cas, ce serait un leurre et ce serait extrêmement grave ! Je souhaite donc que la commission et les parlementaires réagissent, fassent des propositions, travaillent, s'entourent d'avis pour faire en sorte que la rédaction actuelle, dont tout le monde dit qu'elle ne peut pas perdurer, évolue. Chacun s'accorde à reconnaître que nous sommes, en France, dans une situation honteuse et un certain nombre de partis ont pris des dispositions pour la modifier. On veut ouvrir un débat public sur la parité, mais il est déjà très largement ouvert depuis qu'en 1992, les institutions européennes, avec la charte d'Athènes, ont lancé des injonctions que nous connaissons. Nous avons toutes participé à des colloques ; il y a eu le manifeste des Dix qu'évoquait Monique Pelletier ; le mouvement des femmes a réalisé un énorme travail. Par conséquent, le débat a déjà eu lieu et l'opinion française est favorable à cette évolution ! Il semble qu'en France, nous avons besoin d'une loi, ce qui n'est pas nécessaire dans les pays scandinaves. J'avais recommandé, à une certaine époque, la stratégie norvégienne qui consiste à demander à tous les partis de réaliser, graduellement, un progrès à chaque élection. C'est un peu le mouvement qu'avait amorcé Lionel Jospin - je me souviens que nous en avions discuté longuement - en affirmant sa volonté de faire en sorte qu'il y ait 30 % de femmes candidates. Le groupe socialiste en dénombre actuellement 18 % et il faudrait que ce chiffre soit doublé jusqu'à l'obtention de la parité ! Pour ce faire, nous avons donc besoin de discriminations positives, d' "affirmative actions " ! Elles se pratiquent couramment dans toute l'Europe ; il n'y a qu'en France où l'on dit que la discrimination positive ou l'action positive s'agissant des femmes, serait contraire à la Constitution ! Or, si tel est le cas, cela revient à dire qu'il est impossible de réduire les inégalités. En effet, comment réduire des inégalités sans discrimination positive ? Je l'ignore mais peut-être quelqu'un est-il en mesure de me l'expliquer ... Je terminerai en disant que s'il faut à tout prix avoir une loi, soit ! Mais je ne suis pas sûre - peut-être faudrait-il engager sur ce point une discussion avec le Gouvernement - qu'il faille absolument passer par une révision de la Constitution car, ce faisant, nous donnons raison à ceux qui prétendent qu'une telle orientation est inconstitutionnelle, alors que de grands juristes et constitutionnalistes m'ont dit que nous ne devions pas nous laisser impressionner par cet argument et que notre démarche n'était pas forcément contraire à la Constitution ! En tout état de cause, il faut compléter le texte proposé sous une forme ou sous une autre. Pour ce qui me concerne, j'ai élaboré une proposition de loi, dans laquelle je partais du principe que cette affaire concernait les partis et qu'il fallait trouver une formule pour que ceux-ci prennent des engagements, puisque ce sont eux qui désignent les candidats. En effet, depuis quelques années, l'Etat distribue une manne aux partis pour les aider à faire élire des représentants. Or cette manne est constituée d'argent public auquel les femmes apportent une large contribution. Dans ces conditions, je ne serais pas choquée si nous prévoyions que la contribution versée par l'Etat aux partis est calculée proportionnellement à la représentation féminine ! M. Guy Carcassonne : Je ne vous présenterai que quelques remarques rapides, avant tout pour dissiper une équivoque possible à la suite des propos de mon collègue et ami, Louis Favoreu. En effet, si j'ai regretté la nécessité d'une révision constitutionnelle, ce n'est pas parce que je suis hostile par principe à des modifications de la Constitution : je trouve qu'il ne faut pas sacraliser ce texte ; en outre, les révisions étant l'occasion pour les constitutionnalistes de donner leur point de vue, elles ne présentent que des avantages ! Plus sérieusement, si je trouve une telle révision consternante, c'est parce que, normalement, les partis politiques auraient dû faire leur travail et nous dispenser d'avoir à adopter des dispositions de caractère juridique. Cette ambiguïté étant levée, je poursuivrai en réagissant, notamment, aux propos qu'Yvette Roudy tenait à l'instant. Je passe sur l'exposé des motifs puisque, le projet étant déposé, on ne peut plus en modifier le texte. Sur le fond, je ne crois absolument pas qu'il s'agisse d'une mesure sans portée et sans signification. En vérité, une fois encore, l'objet essentiel n'est pas de réviser pour réviser, mais de réviser pour rendre possibles les mesures que le Parlement sera amené à prendre ensuite pour aller dans le sens souhaité. A partir de là, la seule question qui nous importe est celle de savoir quelle est la rédaction la plus appropriée pour permettre au Parlement d'exercer ses compétences. On juge que l'actuelle rédaction est insuffisante mais, en vérité, il y a des précédents similaires : ainsi, lorsque, à la suite d'une décision du Conseil constitutionnel du 15 août 1993, la Constitution a été révisée sur le droit d'asile, le nouvel article 53-1 était un texte très imparfait sur le plan juridique sans aucun sens ni aucune portée, qui n'ajoutait rigoureusement rien à la Constitution ; cela n'a pas empêché le Conseil constitutionnel, saisi aussitôt après, de prendre acte du fait que la Constitution avait été révisée pour lever l'obstacle qu'il avait lui-même dressé auparavant et de s'incliner. Dans le cas qui nous intéresse, il en irait évidemment de même. En d'autres termes, je serais tenté de dire que, pratiquement, quelle que soit la rédaction retenue, elle permettra de ne plus risquer les mésaventures de 1982. Reste que, quitte à travailler, autant le faire bien et que le faire bien, selon moi, consiste à adopter la rédaction la plus appropriée ; sur ce point, je me permets d'insister vraiment sur ce que je crois être un danger, que Louis Favoreu soulignait également tout à l'heure sans toutefois le qualifier comme tel, l'idée de transférer la capacité et la compétence au Conseil constitutionnel. Je crois que c'est une idée inappropriée, voire indigne : ce transfert est inapproprié, parce que ce n'est pas le rôle du Conseil constitutionnel que de se substituer, en quelque sorte, au constituant lui-même, et il n'est pas digne parce qu'il est dans la nature de la Constitution et de la démocratie que le Parlement assume pleinement ses responsabilités. Dans ces conditions, je crois que toute rédaction qui marquera extrêmement clairement que c'est au Parlement qu'il appartient de mettre en _uvre ce qui deviendrait un objectif de valeur constitutionnelle sera bienvenu. Moins le Conseil constitutionnel aura de marge d'appréciation et mieux ce sera. Je dis cela par principe, et nullement par défiance à l'égard du Conseil constitutionnel. C'est le Parlement qui, normalement, exprime la volonté générale. Il ne le fait valablement que dans le respect de la Constitution, mais c'est quand même à lui de le faire. Dès lors, il me paraît sage d'indiquer extrêmement clairement l'objectif : d'" égal accès " ou d'" accès équilibré ", cette dernière expression ayant ma préférence sans que j'en fasse une question essentielle. Mais je renonce à ce terme au profit d'un renforcement du verbe qui deviendrait " assurer " au lieu de " favoriser ". Cela donnerait " l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions et mandats est assuré dans les conditions déterminées par la loi ". La formule actuelle incite le juge constitutionnel et pourrait même éventuellement l'obliger à se prononcer en disant : " Non, je considère que cette loi ne favorise pas vraiment " ou " je considère que cette loi ne favorise pas assez "! Finalement, c'est donc lui, en dernier recours, qui, dans des conditions de surcroît assez embarrassantes pour lui, serait l'autorité ultime qui jugerait de ce qui serait bon ou non. Il me semble, en revanche, qu'en renversant la phrase, cela aboutit à autoriser le Parlement à déroger aux exigences habituelles du principe d'égalité, les modalités de ces dérogations étant ensuite déterminées par la loi. Bien entendu, comme dans tous les cas, extrêmement nombreux, notamment dans la déclaration de 1789, où il est fait mention de ce qui est déterminé discrétionnairement par la loi, ces modalités devront respecter les principes constitutionnels. Les scrutins de listes ne posent pas de problèmes particuliers : une fois levé l'obstacle constaté en 1982, on pourra parvenir aisément à la parité absolue. j'y suis personnellement favorable, mais c'est au Parlement d'en décider. Tout le problème, chacun le sait, réside dans les scrutins uninominaux. Pour ma part, j'avais avancé, il y a déjà un certain temps, une proposition dont je pense qu'elle conserve sa pertinence. En matière de scrutins uninominaux, vous serez conduits à " bricoler " quelque chose. Nous ne parviendrons en effet vraisemblablement pas - et il n'est même pas certain qu'il soit souhaitable d'y parvenir - à une parité absolue, automatique et impérative en tout état de cause. Dans la catégorie des ces bricolages, je crois effectivement beaucoup à l'efficacité d'une incitation financière, dans le respect de la Constitution, c'est-à-dire à un mécanisme dans lequel tous les partis continueraient à bénéficier du financement public, y compris un éventuel parti mâle chauvin présentant 100 % de candidats hommes, mais dans lequel le montant de la participation publique serait en quelque sorte gelé, par exemple au niveau atteint dans la loi de finances pour 1999, la répartition de toutes les évolutions ultérieures étant limitée aux seuls partis qui feront les efforts objectifs prévus par la loi en matière de scrutins uninominaux. Cela créera une émulation extrêmement saine car, même si les sommes en jeu sont au départ peu importantes, elles gonfleront avec le temps et par la suite, chaque parti, même s'il n'est pas motivé par l'intérêt financier, sera de toute façon extrêmement désireux que ce ne soit pas le voisin qui en profite. Je pense donc que ce type de bricolages peut avoir des effets extrêmement positifs et finalement aboutir en quelques années - je ne crois pas que cela prenne très longtemps - à la représentation équilibrée que nous souhaitons tous ! Mme Roselyne Bachelot-Narquin : Je ne reviendrai pas sur l'anomalie que constitue la sous-représentation des femmes dans la vie politique française : il suffirait, pour s'en convaincre, de se référer à notre débat du mois de mars 1997, qui pourrait d'ailleurs être utilement versé aux travaux de notre commission puisque tous les partis politiques avaient eu l'occasion de s'exprimer et que ce débat avait été extrêmement instructif tant au niveau du constat que des solutions proposées. Je voudrais revenir sur quelques points qui ont été évoqués ce matin. Je m'arrêterai d'abord sur les mesures incitatives car, n'en doutons pas, parmi ceux qui combattront la révision constitutionnelle, nombreux sont ceux qui reviendront sur ces mesures. Elles sont au nombre de trois : le statut de l'élu, le scrutin proportionnel et la limitation du cumul des mandats. Je suis favorable à ces trois types de mesures, mais je ne pense pas qu'elles soient en elles-mêmes de nature à favoriser un meilleur accès des femmes à la vie publique : le statut de l'élu est utile, mais on a du mal à en constater les effets ; la référence au scrutin proportionnel me conduit à souligner qu'en 1986 - un scrutin proportionnel avait succédé au scrutin majoritaire de 1981, avant d'être remplacé en 1988 à nouveau par un scrutin majoritaire - le pourcentage de femmes parlementaires n'avait pas dépassé les 5,8 %. Cet exemple prouve bien que ce n'est pas le scrutin proportionnel qui permet une meilleure participation des femmes à la vie publique. S'agissant du durcissement de la loi sur le cumul des mandats, j'y suis extrêmement favorable, mais je rappelle qu'en décembre 1985, la première loi visant à limiter ce cumul n'a eu aucun effet sur la participation des femmes à la vie publique. Nous sommes donc contraints à des mesures volontaristes qui sont de trois sortes. Nous n'avons pas beaucoup parlé des quotas ce matin, mais il est impossible de ne pas les évoquer à partir de moment où ils font partie des mesures volontaristes prônées par certains. Pour ma part, je préfère d'ailleurs au terme de " quotas " le terme de " c_fficients de mixité " ; l'idée de 30 % ou 40 % de femmes n'est en effet plus avancée par personne, tout le monde privilégiant l'expression de " pas plus de 60 % ou 70 % de candidats d'un même sexe ", afin d'éviter tout aspect discriminatoire. Je tiens à dire ici que je suis formellement opposée au système des quotas discriminatoires ou différenciés, même lorsqu'ils sont présentés comme des mesures transitoires permettant à des femmes qui ne seraient pas encore capables de participer à la vie politique d'y entrer tout doucement. Le verbe " favoriser " qui figure dans le projet de loi que nous examinons ce matin me paraît extrêmement dangereux, car il ouvre directement la porte à ces mesures transitoires et à ces mesures de quotas. J'en arrive au deuxième type de mesures volontaristes que sont les sanctions financières. Elles me paraissent absolument indispensables. Les partis politiques dans notre pays, en application d'une législation dont la discussion n'entre pas dans le cadre de notre débat de ce matin, bénéficient de deux parts : la première part dépend du nombre de candidats présentés, la seconde du nombre d'élus, c'est-à-dire des intentions et des résultats. C'est, bien sûr, sur ces deux composantes qu'il faut jouer, en consacrant une part, non pas majoritaire, mais importante de ce financement à une sorte de bourse qui tiendrait compte du c_fficient de mixité des partis politiques : s'ils présentent 50 % d'hommes et 50 % de femmes, ils toucheront la totalité de l'allocation et plus ils s'en éloigneront, y compris d'ailleurs s'ils présentent 100 % de femmes, la parité marchant dans les deux sens, plus la part d'allocation qu'ils percevront sera faible. Je signale que cette disposition, selon les constitutionnalistes que nous avions interrogés à l'Observatoire de la parité, ne nécessite pas de révision préalable de la Constitution. C'est une mesure qui pourrait être prise dès maintenant ! La troisième mesure volontariste est la parité, qui me paraît, en l'état actuel de maturité politique de notre société, la seule mesure qu'il soit moralement possible de défendre. Je voudrais en venir maintenant à la réforme qui nous est proposée, à la fois sur sa place dans la Constitution et sur sa rédaction. Placer cette réforme constitutionnelle à l'article 34, comme il en avait été question, était effectivement une stratégie profondément condamnable. Comme nous l'avions conclu à l'Observatoire de la parité, la bonne place est évidemment à l'article 3 ! Pour autant, je pense malgré tout qu'il faut également modifier l'article premier afin que, ainsi que cela a été avancé auparavant, une non-discrimination en fonction du sexe y apparaisse ; nous serons sans doute plusieurs à proposer un amendement en ce sens à l'article premier. S'agissant de la rédaction, il convient de nous demander quel est le but que nous poursuivons. Le premier est d'autoriser clairement le Parlement à faire des lois qui ne soient pas censurées par le Conseil constitutionnel. Le texte qui nous est proposé assure cet objectif de manière indéniable ! Le deuxième objectif est d'éviter les effets pervers dont nous parlions tout à l'heure, effets pervers qui seraient engendrés par des mesures de quotas ou des mesures temporaires : je rappelle que nous avions auditionné Olivier Duhamel qui proposait d'instaurer la parité pendant dix ans afin de concilier le souci d'universalisme et la nécessité de mesures volontaristes. Je dis clairement que le terme " favorise " est générateur de tels effets pervers. Est-ce le terme " établit ", " garantit " ou " assure " qui convient le mieux ? Pour ma part, je penche pour le troisième, mais je n'en fais pas une affaire. Le troisième but de cette rédaction est de déterminer un champ d'application à la fois suffisamment clair et suffisamment restreint : suffisamment clair pour bien indiquer que l'on s'adresse à la sphère politique et suffisamment restreint pour éviter ce qu'évoquait Guy Carcassonne à l'instant, à savoir des dérapages sur toutes sortes de sujets de société - il parlait des baux ruraux mais on peut imaginer qu'il y en ait d'autres - et faire en sorte que le constituant n'outrepasse pas ses droits. Pour atteindre ce troisième objectif, il me paraît indispensable que le terme de " parité " apparaisse à un moment ou à un autre dans le texte. Pour que le champ d'application du principe d'égal accès soit suffisamment restreint de manière à éviter les dérapages, il convient sans doute de modifier la dernière partie de la phrase " aux mandats et aux fonctions " afin d'adopter une rédaction indiquant clairement que la réforme ne concerne que à la sphère politique. M. Claude Goasguen : Tout d'abord, je voudrais savoir ce qu'on entend exactement par " mandats et fonctions ", car cette formule peut donner lieu à une interprétation très large, d'autant que je n'y vois figurer ni l'adjectif " publics ", ni l'adjectif " électifs ". La notion de " mandat " existe en droit privé ; quant à celle de " fonction ", elle peut relever aussi bien du droit public que du droit privé. En conséquence, je voudrais connaître l'avis de nos experts concernant l'interprétation de ces deux termes et leur demander si, d'aventure, il ne conviendrait pas de proposer des amendements pour éviter les éventuels recours devant le Conseil constitutionnel. Ma deuxième question porte sur un problème pratique précis. Nous allons voter dans quelques jours une loi qui instaure la parité pour les élections régionales. Imaginons qu'il y ait un recours devant le Conseil constitutionnel après le vote de la révision constitutionnelle : je me pose la question de savoir ce que dira le Conseil constitutionnel face à deux textes dont le premier prévoit la parité et le deuxième se contente de " favoriser l'égal accès des femmes et des hommes ", que fera le juge constitutionnel devant cette contradiction de termes ? Enfin, ma troisième et dernière question est inspirée par un mot employé par M. Guy Carcassonne à propos du scrutin majoritaire, qui m'a un peu surpris, celui de " bricolage ". Après avoir analysé le texte, je ne parlerai peut-être pas de " bricolage ", mais je crois, en effet, qu'il faudrait avoir beaucoup d'imagination pour trouver une application concrète du principe d'égal accès au scrutin majoritaire. Il y a eu quelques pistes qui ont été évoquées et j'ai bien entendu ce qui a été dit sur les partis politiques et sur la réforme de leur financement. Je pense d'ailleurs qu'il s'agit d'un sujet extrêmement grave et j'estime que la loi sur le financement des partis politiques mériterait vraiment d'être examinée en toute sérénité. Je voudrais néanmoins savoir si nos intervenants ont d'autres idées sur la question que la seule approche par le financement des partis politiques. En tout état de cause, je ne voudrais pas qu'une position favorable puisse laisser penser que nous nous résignons à ce que le scrutin majoritaire soit " bricolé ". M. Christian Paul : Nous aurons, à l'évidence, un vrai débat en commission sur ce projet de réforme constitutionnelle et je crois que, ce matin, c'est avant tout à nos invités que nous devons adresser nos questions, même si je pense que les développements de Mme Bachelot-Narquin ont ouvert des perspectives tout à fait intéressantes, qui n'avaient pas été évoquées jusque là. Je voudrais d'abord poser une question d'ordre juridique qui porte sur la rédaction même de ce texte : on voit bien, et cela a été dit à plusieurs reprises, comment ce texte permet de contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel. On peut, néanmoins, s'interroger sur le point de savoir si sa précision est suffisante. Lorsque l'on parle " d'égal accès ", est-ce que l'on entend une égalité des chances ou une égalité des résultats, selon la distinction qu'établissait M. Favoreu tout à l'heure ? C'est tout à fait différent et lorsque nous devrons, par la suite, passer aux travaux pratiques, selon la voie choisie par le constituant, il est clair que nous adopterons des dispositions tout à fait différentes. Le second registre d'interrogations que je voudrais soulever relève davantage de la pratique politique et du travail parlementaire. J'aimerais savoir quels sont, pour vous, les textes sur lesquels il convient de faire porter en priorité l'effort de déclinaison de ce principe que nous allons adopter. Ce sont à l'évidence les textes électoraux. Nous avons d'ailleurs commencé les travaux pratiques puisque l'obligation de parité figure dans la réforme du mode de scrutin régional. Mais au-delà de ce projet de loi, sur quels autres textes vous paraît-il nécessaire que le législateur fasse porter son effort ? On a évoqué un amendement précisant que l'égal accès concernant les mandats électifs et les responsabilités politiques : doit-on strictement se limiter à ce champ d'application et s'interdire ainsi l'égal accès dans le cadre de la représentation syndicale ? Je suis, en outre, très défavorable à tous les dispositifs d'incitation financière. J'estime que nous entrons là dans un registre qui est tout à fait étranger au principe que nous essayons de mettre en place. Je sais bien que les partis politiques sont rarement animés par de purs esprits, mais je pense que si nous en étions réduits à recourir à des incitations financières pour régler le problème de l'égal accès aux fonctions politiques, ce serait une démission du législateur qui n'aurait pas pris les dispositions nécessaires pour y parvenir par d'autres voies ! M. Renaud Donnedieu de Vabres : Je poserai plusieurs questions qui font écho aux remarques initiales formulées par Mme Halimi. Bien évidemment, ce texte est un préalable à des décisions concrètes. J'en approuve l'objectif qui est d'établir des discriminations au service d'une égalité future, puisqu'il n'y a pas d'autres méthodes pour parvenir à l'égalité et à la parité. Mais, il ne faut pas que cet objectif légitime conduise à de mauvaises décisions. Je considère, à cet égard, que l'introduction de la proportionnelle pour les élections législatives poserait trop de problèmes par rapport à l'objectif fixé. Par ailleurs, j'aurais aimé recueillir votre sentiment sur le projet actuel concernant le cumul des mandats, qui est totalement " entre deux eaux ", puisqu'il ne va pas jusqu'au principe d'" un homme, un mandat ". Je pense en outre que, s'agissant du statut de l'élu, il constitue un non-sens politique absolu alors que l'opinion publique considère que les élus doivent se trouver dans une situation précaire, rester à leur disposition, être les gens d'un moment, d'un suffrage qui s'est exprimé. Dans ce contexte, il ne faudrait surtout pas que les élus puissent paraître bénéficier d'une quelconque garantie de stabilité. Dans la période actuelle, où les esprits sont troublés, la sémantique est évidemment très importante. C'est sur ces points concrets, dont j'ai parfaitement conscience qu'ils sont nécessaires pour parvenir à la parité, que je souhaitais vous interroger. Mme Muguette Jacquaint : Je voudrais, moi aussi, à l'occasion de cette discussion, en souligner l'importance et mettre l'accent sur le rôle qu'a joué Mme Geneviève Fraisse dans le débat d'aujourd'hui comme celui qu'elle jouera dans les débats futurs. Pendant un an et demi, elle a pris bien des initiatives et, même avant d'occuper la fonction de déléguée interministérielle, elle a beaucoup travaillé avec nous pour faire évoluer les réflexions sur les questions qui nous occupent, en particulier la parité. Personnellement, je trouve important, d'obliger le Conseil constitutionnel à modifier sa position sur cette question. J'aurais souhaité, moi aussi, que la notion de parité figure dans les textes. La révision de la Constitution me semble essentielle, parce qu'elle sera encore appelée à évoluer dans le futur pour prendre en compte les avancées de notre société. On a beaucoup parlé de souveraineté, mais on pourrait aussi parler de la démocratie : je ne conçois pas un pays démocratique qui n'offre pas aux femmes la possibilité de jouer leur rôle dans tous les domaines et, en particulier, dans la vie publique et politique La révision constitutionnelle débouchera inéluctablement sur d'autres projets de loi, les textes existant suscitant malheureusement des difficultés dans leur application quotidienne. Je plaide vigoureusement, en ce qui me concerne, en faveur d'un statut de l'élu ainsi qu'en faveur de la modernisation des scrutins et du non-cumul des mandats. Ce sont, selon moi, des idées fortes à retenir. Dans la mesure où cette demande est exprimée par des hommes et des femmes de ce pays, je ne suis pas opposée à ce que s'ouvre, à l'Assemblée nationale, un débat sur la question de la souveraineté, de la démocratie et de la place des femmes. Tout en refusant les catégories, je défends les spécificités des femmes dans la vie publique où elles doivent continuer à jouer leur rôle. M. Pierre Albertini : Je voudrais à la fois faire part de mon accord sur l'objectif recherché par le projet de loi constitutionnelle, mais aussi de mon doute sur la technique utilisée pour y parvenir. Sur l'objectif, tout ce qui peut concourir à une représentation plus équilibrée du personnel politique, non seulement sur le plan des sexes, mais aussi sur celui de l'origine sociale et professionnelle, doit être encouragé. Je dois dire d'ailleurs que l'on pourrait presque parler de la nécessité d'encourager une forme de " biodiversité politique ", tant la classe politique est aujourd'hui une caricature de la société civile : je pense notamment à la place excessive - et je parle aussi pour moi puisque j'en suis - que les fonctionnaires occupent au Parlement et notamment à l'Assemblée nationale. C'est donc dans un débat de caractère général que s'inscrit la question de la place que les femmes veulent occuper et que les hommes acceptent de leur laisser dans la vie politique, notamment à travers les investitures : le point de blocage se situe là et non pas dans l'attitude du corps électoral qui est beaucoup plus ouvert qu'on ne le pense à une évolution et à une modernisation de la vie politique, qui la souhaite même ardemment et qui regrette que nous ne la réalisions pas depuis des dizaines d'années. Mon doute sur la méthode employée vient du fait qu'il s'agit d'une technique à effet juridique différé. On ne connaît pas le contenu des lois futures et on ignore tout du calendrier. On sait, en revanche, que l'on risque de buter sur la question des quotas. Je n'ai donc pas l'impression que, juridiquement, ce projet de loi apporte grand chose par rapport aux textes de valeur constitutionnelle antérieurs, relatifs au principe de l'égalité des droits entre les hommes et les femmes, à la déclaration de 1789 ou au préambule de 1946. J'en viens à mes deux questions. Le danger de cette technique, c'est le face-à-face qu'on est en train d'organiser entre le Conseil constitutionnel et le Parlement. Je suis de ceux qui pensent que le Conseil constitutionnel est nécessaire à la protection de la démocratie. Mais ce n'est pas à lui de faire la loi ; il a d'ailleurs pris la précaution de le dire ! Il lui appartient simplement de vérifier si les lois qui lui sont déférées respectent ou non des principes qui doivent prévaloir sur ce qu'une majorité du moment peut tenter d'imposer. Je suis, personnellement, extrêmement attaché à cette protection démocratique. Mais la jurisprudence de 1982, que l'on invoque très souvent, n'a été que la réaction à une mauvaise technique juridique. Le Conseil constitutionnel a dit : " cette technique juridique n'est pas bonne pour telle et telle raison ". Je pense, pour ma part, que le débat ne sera que différé et dépendra du contenu des lois futures, car le Conseil constitutionnel n'a pas fermé la porte à la recherche d'une forme de parité : il s'est limité à porter un jugement sur la technique retenue. Je crois donc très franchement qu'à travers ce débat sur l'équilibre hommes-femmes ou sur la parité hommes-femmes, c'est aussi la question du rôle du Conseil constitutionnel qui est posée. A cet égard, je considère qu'il est tout de même assez paradoxal que le Parlement réaffirme aujourd'hui qu'il lui appartient de faire la loi : c'est dire dans quel état de dégradation il se trouve pour que, quarante ans après l'adoption de la constitution de 1958, il en soit réduit à cela ! Il faut aborder ce débat sans complexe : c'est au Conseil constitutionnel qu'il appartiendra ensuite de dire si telle ou telle loi respecte les principes de valeur constitutionnelle qui dépassent les coalitions ou les rivalités du moment, quelles qu'elles soient ! Ma première question porte donc sur ce face-à-face entre le Parlement et le Conseil constitutionnel et sur leurs rôles respectifs. Ma seconde question est plus simple : elle porte sur les discriminations financières. Je crois qu'il ne faut pas se méprendre : il est facile de prévoir tous les effets pervers que pourrait engendrer une distribution sélective des crédits en fonction du nombre de candidates. Vous pourriez parfaitement imaginer que tous les partis politiques suscitent eux-mêmes des listes exclusivement féminines pour rafler la mise. Je crois, s'il fallait s'orienter dans cette direction, qu'il faudrait octroyer une prime aux partis qui pratiquent la parité et rien de plus. Mme Yvette Roudy : Et diminuer la prime actuelle, ils ont assez d'argent ! Mme Odette Casanova : Je vais essayer d'être très brève puisque beaucoup de choses ont déjà été dites. M. Albertini parle d'or quand il dit que le problème est celui de la place que les femmes veulent occuper et que les hommes veulent leur laisser : c'est là le vrai problème qu'il faut résoudre ! Je voudrais simplement formuler quelques remarques, en tant qu'élue de base dans une circonscription difficile. Tout d'abord, je peux vous certifier que le débat politique sur la parité est lancé depuis 1982 : les électeurs, hommes et femmes, parlent aux candidats de cette question, font des comparaisons, évoquent la nécessité d'un meilleur équilibre au sein du pouvoir, dans le but, peut-être, - je sais que je vais très loin - de rééquilibrer la morale politique. Par ailleurs, le non-cumul des mandats, la limitation de l'âge maximum, le statut de l'élu ne sont pas des mesures de discrimination positive vis-à-vis des femmes ; il est en effet normal d'y penser et de les mettre en application pour les hommes comme pour les femmes. Je ferai une simple remarque à propos de la parité dans la vie domestique, dont Mme Halimi disait que les féministes la réclamaient. En fait, il s'agit d'introduire la parité dans les cercles de pouvoir, dans la vie publique et politique, mais pas dans la vie domestique, car cette démarche appartient au passé. J'ajouterai que le terme " favorise " m'a immédiatement heurtée, parce qu'il débouche, selon moi, sur des mesures incitatives dont on sait très bien - et je l'ai vécu de 1981 à 1986, lorsque j'étais chargée de mission dans le Var pour le ministère d'Yvette Roudy - qu'elles sont difficiles à mettre en _uvre. Il faut donc que ce terme " favorise ", soit disparaisse, soit devienne beaucoup plus explicite. Je terminerai en disant enfin que je suis tout à fait favorable aux mesures d'incitations financières, de stimulation, et que, sur ce point, j'approuve totalement les propos tenus par M. Guy Carcassonne. Mme Nicole Feidt : Au cours du travail de groupe que nous avons mené, nous nous sommes posé la question de l'opportunité d'une révision constitutionnelle. Ce point étant désormais réglé, je voudrais néanmoins poser la question suivante : le fait de justifier la révision constitutionnelle par la nécessité de contourner la décision de 1982 du Conseil constitutionnel signifie-t-il que la jurisprudence serait intangible et définitivement supérieure à la loi ! Par ailleurs, je considère le texte qui nous est proposé comme un socle pour des propositions futures ! Il ne me convient pas, tant au niveau de l'exposé des motifs que du dispositif, mais je crois qu'il sera possible d'améliorer ce dernier par voie d'amendements. Pour ma part, je suis tout à fait d'accord pour proposer " l'égal accès des femmes et des hommes aux fonctions politiques ... " " ... assuré dans les conditions déterminées par la loi ". On ne peut pas, en effet, laisser le Conseil constitutionnel décider pour le législateur. Mme la Présidente : Dans le très court temps qui nous reste, je vais redonner la parole à nos invités, en commençant par Mme Fraisse dont je souhaiterais qu'elle nous éclaire sur ce qui a amené le Gouvernement à choisir le terme " favorise ". Mme Geneviève Fraisse : C'est l'accord conclu dans le cadre de la cohabitation qui est à l'origine du terme retenu. Contrairement à d'autres projets de loi constitutionnelle, nous avons là un accord droite-gauche, qui porte également sur d'autres points aussi précis. Je voudrais brièvement souligner les quelques éléments terminologiques que je retiens de cette discussion. Je pense, tout d'abord que nous pourrions nous mettre d'accord sur le fait que ce qui se passe aujourd'hui est une redéfinition de la souveraineté. C'est pourquoi, selon moi, le choix du terme " favorise " ou celui de " garantit " n'est pas fondamental. Ce qui est intéressant, c'est qu'il faut redéfinir la souveraineté et ce qu'on appelle l'incarnation du peuple souverain. S'agissant de l'aspect financier, la discussion porte sur la question de savoir si la réglementation doit être incitative ou pénalisante. Je tiens tout de même à vous faire remarquer qu'en choisissant la voie incitative, on met, en quelque sorte, les femmes sur le marché. On a l'habitude dire que les femmes sont un objet ou une monnaie d'échange. N'oublions pas que les femmes peuvent être un objet d'échange, y compris en politique. Je pense que l'objectif de parité sera plus facilement atteint si on l'aborde cette question en privilégiant l'aspect " pénalisation " plutôt que l'aspect incitatif, qui a une connotation commerciale. Enfin, je considère que l'objectif de parité nous renvoie au fait que nous avons à séparer deux choses, ce qui relève du principe - qu'il soit décliné sous la forme " d'égalité " des chances ou sous celle de " parité ", ce qui est pour moi secondaire - et ce qui relève des instruments. Sur ce dernier point, je suis en désaccord avec Roselyne Bachelot-Narquin : nous devons examiner des mesures techniques éventuellement temporaires, ce qui fait que nous ne nous situons pas dans une logique d'égalité mais dans une logique de mixité. A ce propos, je suis amusée de constater que les hommes et les femmes ici présents ne se sont pas mélangés ce matin. M. Claude Goasguen : Il y a cohabitation ! Mme Geneviève Fraisse : Sûrement, je vous le concède ! Je me permettrai, en terminant, d'indiquer que la parité, contrairement à ce qui a été dit aujourd'hui, est quelque chose qui se décline différemment en fonction du pouvoir en jeu et que la parité peut être assortie de qualificatifs : ainsi, on peut parler de parité domestique comme on parle de parité linguistique. Je préciserai à Gisèle Halimi que, si je parle de parité domestique, ce qui va dans le sens de ce que le Gouvernement a voulu faire avec la conférence sur la famille, c'est parce que j'estime que la famille n'est pas seulement un lieu de partage comme le prétendait la sociologie des années soixante, mais aussi un lieu de décision politique. Nous avons à repenser l'espace politique et l'espace privé, et pas uniquement au niveau des droits propres, de la violence et de la contraception qui se rattachent à la sphère privée ou au niveau du partage des tâches qui relèvent de la sphère publique. Ainsi, l'A.G.E.D. ne visait pas simplement à ce qu'une femme en aide une autre à travailler, mais permettait de faire en sorte qu'un homme et une femme décident l'un et l'autre d'avoir une activité professionnelle : c'est là ce que j'appelle la parité domestique. Mme Danièle Lochak : Je voudrais d'abord souligner que l'article 3 ne traite que de la souveraineté et, par conséquent, ce n'est certainement pas à partir de la modification qui va lui être apportée que l'on va greffer des mesures d'égalité ou de parité dans d'autres secteurs de la vie économique et sociale. On n'a pas besoin de cela et, à mon avis, Yvette Roudy a tort, sur ce point, lorsqu'elle évoque les autres mesures, puisque le Conseil constitutionnel ne s'est opposé qu'à l'égalité " politique ". Je note également que l'article 3 ne concerne pas le niveau local : cela a été dit implicitement dans la décision sur Maastricht et à propos du droit de vote des étrangers et cela a d'ailleurs été repris par le Doyen Vedel à l'époque. Néanmoins, je pense que si on le modifie pour y inscrire la parité ou quelque chose qui y ressemble au niveau national, a fortiori, cette modification s'appliquera au niveau local. Pour ce qui concerne le Conseil constitutionnel, on a entendu dire que tout ce qui remontait à 1982 était déjà ancien. Oui, certes, mais le problème c'est que, même si j'ai fait une note d'humeur dans la revue Droit social pour dire que cette décision m'apparaissait " tirée par les cheveux ", les constitutionnalistes l'ont trouvée géniale. Même si personne n'avait demandé au Conseil de censurer ces dispositions, il n'en reste pas moins que l'obstacle constitutionnel étant constamment invoqué pendant le débat parlementaire, il a trouvé des justifications à sa décision et n'a donc aucune raison de la remettre en cause. A l'inverse, je suis, personnellement, beaucoup moins sûre que Guy Carcassonne, de la constitutionnalité d'une incitation financière : on parle en effet d'" atteinte " à la liberté des partis politiques et ce n'est pas parce que l'incitation apporterait un plus, et non un moins, que cela ne modifierait pas la situation actuelle. Cela étant, encore une fois, mon avis a moins d'importance que celui des constitutionnalistes, car si ces derniers considèrent qu'il n'y a pas de problème, cela m'étonnerait fort que le Conseil constitutionnel vienne s'inscrire en faux contre cette position. Mme Yvette Roudy : Et notre contrôle à nous, alors, il n'existe pas ? M. Louis Favoreu : Danièle Lochak vient de soulever le problème exactement comme il fallait le faire en insistant sur un point que je voulais moi-même souligner, à savoir qu'en passant de l'article 34 à l'article 3, vous avez peut-être gagné en dignité mais vous avez perdu en liberté. Je veux dire par là qu'il est désormais inutile de préciser qu'il s'agit des mandats " électoraux " et des fonctions " électives ", cette précision étant implicite puisque le dispositif proposé figure dans un article relatif à la souveraineté. Je ne suis pas du tout d'accord avec Guy Carcassonne quand il prétend que la disposition proposée pourrait s'appliquer en matière de baux agricoles ou dans d'autres domaines. Ne sont en jeu que les fonctions électives, y compris les fonctions électives locales, puisque le Conseil, en 1982, les a liées aux autres. Il s'agit ici du citoyen dans sa globalité, c'est-à-dire de l'homme abstrait et non pas de l'homme situé. En conséquence, toute élection mettant en cause l'homme abstrait rentre dans l'article 3. En revanche, s'il s'agit d'élections syndicales, par exemple, il en va tout autrement parce qu'elles ne relèvent plus du même article de la Constitution. Si vous aviez inscrit la modification à l'article 34, vous auriez pu, alors, par des lois l'étendre aux fonctions syndicales, domestiques et autres. En modifiant l'article 3, vous avez renforcé votre position, mais vous avez diminué votre liberté d'action : il y a là, à mon avis, un problème, car parfois le mieux est l'ennemi du bien. Je répète qu'il n'y a pas de dispositions imposant la parité, ni même des quotas, sauf en Belgique où la formule a d'ailleurs donné des résultats catastrophiques, puisque les femmes, qui devaient représenter au maximum 70 % des candidats sur des listes non bloquées et où les hommes venaient en tête, n'ont pas été élues. Donc la loi a été tournée. Je remercie maintenant M. Claude Goasguen et M. Pierre Albertini pour la question qu'ils ont posée. Je leur répondrai en disant que si la loi relative aux conseils régionaux venait devant le Conseil constitutionnel, en l'état actuel, elle serait certainement déclarée contraire à la Constitution ; si la réforme constitutionnelle passait, je ne suis pas même sûr que cette loi serait déclarée constitutionnelle, ce qui me permet de revenir sur le rôle de cette instance. On a fait du Conseil constitutionnel un bouc émissaire. On lui impute la jurisprudence de 1982, alors qu'en réalité la classe politique a fait preuve d'une formidable hypocrisie, puisque après avoir voté la loi, elle l'a saisi sur un article qui était lié à la disposition censurée, l'obligeant ce faisant à statuer. Par ailleurs, il ne faudrait pas oublier qu'à partir de là, le Conseil constitutionnel a bâti toute une jurisprudence avec le soutien, non seulement de la doctrine, mais aussi du Président Badinter, qui s'est appuyé dessus pour la décision concernant le peuple corse. Cet édifice n'est donc plus un édifice qui ne concerne que les élections, mais un édifice complet : une révision est donc nécessaire. S'agissant du face-à-face entre le Conseil constitutionnel et le Parlement, il convient de rappeler que le rôle du Conseil n'est nullement d'être un " empêcheur de tourner en rond ", mais d'indiquer ce qui peut être adopté par décret, par la loi ordinaire, par la loi organique ou par la loi constitutionnelle. C'est un aiguilleur dont la mission est de dire qu'il y a des mesures qui ne peuvent pas être prises par une simple majorité et qui nécessitent un consensus. Or, ces mesures-là sont capitales et c'est simplement, dans le cas qui nous intéresse, ce qu'il a voulu souligner. Guy Carcassonne a parlé du précédent de 1993 ; mais le président Mitterrand avait proposé, en 1992, au comité consultatif présidé par le Doyen Vedel, de suggérer une révision de la Constitution qui permettrait de tourner la loi sur l'assemblée unique dans les départements d'outre-mer. La jurisprudence n'est, en principe, pas intangible, mais comme le Conseil a bâti tout un édifice sur celle qu'il a élaborée en 1982, il lui est difficile de faire marche arrière. Le meilleur moyen de faire évoluer les choses, c'est que le pouvoir constituant reprenne la parole. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec Mme Catherine Tasca lorsqu'elle parle de la nécessité de " s'opposer " au Conseil constitutionnel, alors que ce dernier souhaite au contraire un dialogue avec un constituant qui lui dirait clairement les choses. Pour terminer, je dirai que ce projet de loi est un texte de compromis : d'un côté, il n'est pas satisfaisant, parce qu'il va donner la parole au Conseil constitutionnel, qui sera amené à interpréter le texte, mais d'un autre côté, il faut peut-être en passer par là pour obtenir un consensus. Si tel est le cas, il représentera un pas vers une amélioration de la situation des femmes. C'est à vous de choisir, au risque de faire un pas trop grand et de tout casser, en sachant qu'aucun pays n'a osé le faire. Mme Gisèle Halimi : C'est un problème de culture ! M. Louis Favoreu : Il n'y a pas de problème de culture : les Allemands, les Italiens et les Espagnols ont la même culture juridique que nous et personne n'a osé le faire. Je vous mets en garde : si aucun pays n'a osé franchir ce pas, c'est qu'il y a un problème. Finalement, le compromis peut être la meilleure des choses ! Mme Gisèle Halimi : Pour clore d'un mot le chapitre des comparaisons avec les autres pays, je dirai qu'ils n'ont pas la même culture politique. Je veux dire par là que si la représentativité des femmes s'est améliorée dans d'autres pays, sans qu'il y ait de modification de la constitution ou de nouvelles dispositions législatives, c'est que les partis politiques ont eu très tôt l'intelligence, de promouvoir des femmes, de façon à parvenir pratiquement à la parité, grâce à un dialogue constant avec les mouvements de femmes et sans bouleverser le droit, ni avoir recours à ce qui fait fonction de Conseil constitutionnel chez eux. Il me semble que nous avons perdu un peu de temps à parler d'incitations ou de sanctions financières. Si une loi est votée conformément à la modification constitutionnelle, nous n'aurons pas besoin d'incitation puisque la loi s'imposera aux partis : s'ils ne la respectent pas, ils se verront appliquer la sanction prévue, comme en Belgique, par exemple, où la sanction consiste en la nullité des candidatures. Nous avons prévu dans notre rapport des mesures incitatives, mais nous avons bien spécifié qu'elles s'appliqueraient dans le cas où il n'y aurait pas de mesures volontaristes allant jusqu'à la modification de la Constitution et de la loi. Je crois donc qu'il y a une confusion ; s'il faut prendre des sanctions, il me semble que celles-ci ne devraient pas être d'ordre financier mais résider dans la nullité de la liste présentée par le parti qui ne respecterait pas la loi. Par ailleurs, comme l'a dit Mme Odette Casanova, les mesures d'accompagnement qui ne sont donc pas des mesures incitatives, sont des mesures d'éthique générale. Pour autant, la limitation du cumul des mandats n'entraînera pas automatiquement l'arrivée des femmes dans la vie politique, les jeunes loups masculins " se bousculent au portillon " des partis, tandis que les femmes ne prennent que les places laissées vacantes ! Je voudrais répondre à M. Claude Goasguen sur un point : j'approuve tout à fait son propos sur le bricolage et si il a, comme je l'espère, le rapport de la commission politique de l'Observatoire de la parité, il verra que j'ai moi-même fait figurer le mot " bricolage " s'agissant des élections législatives au scrutin uninominal. Le " bricolage " qui a été proposé consistait à joindre deux circonscriptions, car il n'est pas possible de les multiplier, et à proposer pour cette nouvelle circonscription double, un couple si je puis dire, c'est-à-dire un député et une députée. Il reste que le scrutin proportionnel supprimerait toute confusion et éviterait de se demander si la parité concerne les candidatures ou les résultats, puisque s'il y a une parité dans les candidatures, il y en aura forcément une dans les résultats ... M. Louis Favoreu : Sauf l'exemple belge ! Mme Gisèle Halimi : En Belgique, contrairement à la proposition de loi qui a été annulée par le Conseil constitutionnel, on n'avait pas pris la précaution d'imposer l'alternance d'une femme et d'un homme et toutes les femmes se sont trouvées en fin de liste. Je dirai à M. Renaud Donnedieu de Vabres que je suis tout à fait d'accord avec lui pour reconnaître l'importance de la sémantique. Il est évident que le statut de l'élu semble dater. Parmi les partis que nous avons auditionnés à la commission politique de l'Observatoire de la parité, c'est le parti communiste qui a été le plus audacieux : dans la proposition de loi qu'il a déposée, il y a deux ou trois ans, il a consacré quatre ou cinq articles à ce sujet et vous verrez à leur lecture que le statut n'est pas une sacralisation des droits des parlementaires, mais au contraire un moyen pour les femmes d'exercer le mieux possible, dans la formation, dans le temps ou même les équipements collectifs, les responsabilités qui sont les leurs : en Suède, le Parlement est doté d'une crèche, parce que la moitié des députés sont des femmes. J'en terminerai en vous informant que le Doyen Vedel, que nous avons interrogé par écrit sur la procédure de révision constitutionnelle la plus adaptée, nous a fait connaître que les réponses qu'il pouvait apporter en qualité de citoyen étaient parfaitement opposées à celles qu'il formulait en tant que juriste. Etant farouchement hostile au principe de la parité, il nous a ainsi répondu que, comme citoyen, il souhaitait que la procédure choisie soit celle qui limite les chances du succès de la révision et que, dans cette perspective, le recours à l'article 89 paraissait la plus indiquée puisqu'elle nécessite une majorité dans les deux chambres, puis une majorité au Congrès ou un référendum. Il a ajouté que tout changement politique suscitant l'hostilité de l'une des deux chambres interdisait le recours à cette procédure, puisque le référendum lui-même ne peut être utilisé que sur un texte adopté à la fois par l'Assemblée nationale et par le Sénat. Il a conclu à la nécessité de recourir, en l'espèce, à l'article 11. Mme Monique Pelletier : Bien évidemment, l'objectif de parité suppose des lois pour être atteint. Je m'inscris en faux contre les propos de Mme Roselyne Bachelot-Narquin, parce que j'estime qu'il faut tout oser, y compris les quotas dans les scrutins de liste, même si c'est absurde, parce que nous sommes dans une situation absurde dont il nous faut tirer les conséquences. Il en va de même du statut de l'élu, de la limitation du cumul des mandats, de la limite de l'âge et de la limitation du nombre de mandats successifs auxquels il est possible de postuler, trois mandats me semblant, à cet égard, un chiffre satisfaisant. Il vous faudra donc mettre en place ces modalités pratiques. Je voudrais néanmoins terminer en disant qu'au sein de partis politiques, il faut demander aussi aux femmes de se battre pour figurer dans les instances d'investiture des candidats, de ne pas rester dans un rôle de soumission, mais d'exiger la place qui leur est due. Je pense, en effet, que tout dépendra de la politique menée au niveau des partis et, d'une part, de la capacité des femmes à se faire entendre, d'autre part, de celle des hommes à les écouter et à tenir compte de leurs revendications. * * * Intervenant dans la discussion générale, M. Claude Goasguen a estimé que l'enjeu de ce débat était plus politique que juridique. Il a souligné que le retard de la France dans l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et aux fonctions politiques s'expliquait, non seulement par la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 1982, mais également par l'inaptitude des partis politiques à prendre la mesure des évolutions de la société. Tout en convenant que ce handicap, partagé avec la Grèce, constituait un inconvénient majeur, M. Claude Goasguen a considéré que le projet ne répondait pas de manière satisfaisante au problème posé. Il a en particulier exprimé la crainte qu'en mettant l'accent sur les seuls mandats et fonctions politiques, le texte ne soit contradictoire avec le préambule de la Constitution de 1946, ce qui pourrait susciter de nombreux recours devant le Conseil constitutionnel. S'interrogeant également sur l'opportunité de l'ancrage de cette réforme à l'article 3 de la Constitution, qui traite de l'exercice de la souveraineté, il a estimé que le dispositif proposé trouverait mieux sa place à l'article 4. Evoquant ses répercussions sur la loi électorale, il a observé que la prise en compte de cette nouvelle exigence constitutionnelle, facile à mettre en _uvre dans le cadre d'un scrutin de liste, ne manquerait pas de se heurter à des difficultés insurmontables, s'agissant du scrutin majoritaire, sauf à introduire une part de proportionnelle ou à substituer purement et simplement un scrutin proportionnel au scrutin majoritaire. Il a conclu son propos en indiquant que le groupe Démocratie libérale, s'il jugeait impossible de s'opposer à ce texte, ne pouvait cependant y adhérer, tant que les incertitudes sur l'évolution du mode de scrutin ne seraient pas dissipées. Mme Nicole Feidt a rappelé que ce projet de réforme constitutionnelle correspondait à la fois à un engagement du Premier ministre et au souci exprimé par le Président de la République de moderniser la vie politique. Elle a déclaré souscrire à cette réforme, soulignant que, compte tenu de la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 1982, toute loi simple tendant à la parité serait frappée d'inconstitutionnalité. Elle a, par ailleurs, justifié l'emplacement retenu dans le projet de loi constitutionnelle, en faisant observer que l'article 3 de la Constitution portait sur les modalités de représentation du peuple. Exprimant, en revanche, la crainte que le libellé choisi, selon lequel " la loi favorise l'égal accès " ne soit trop neutre, elle s'est montrée favorable à une rédaction qui impose une obligation plus effective. Après avoir souligné que le texte constitutionnel devait être appréhendé comme un socle sur lequel s'édifierait une législation appelée à concrétiser le principe posé, elle a plaidé pour l'élaboration d'un statut des élus, particulièrement nécessaire pour les femmes titulaires de mandats et de fonctions, ajoutant que la limitation actuelle des cumuls de mandats était insuffisante pour faciliter l'accès des femmes dans les assemblées politiques. Tout en adhérant à l'objectif poursuivi par le projet de révision constitutionnelle, M. Michel Hunault a exprimé des doutes sur son efficacité. Il a considéré que l'objectif de parité ne pourrait être atteint que dans les seuls scrutins de liste et indiqué qu'il déposerait un amendement tendant à imposer pour ceux-ci l'application de la révision constitutionnelle. Mme Véronique Neiertz a considéré que plusieurs événements étaient à l'origine de ce projet de révision constitutionnelle. Elle a rappelé que la question de la parité des femmes et des hommes dans la vie politique avait d'abord été évoquée au cours de la dernière campagne pour les élections présidentielles, soulignant que les conditions dans lesquelles M. Alain Juppé s'était séparé de plusieurs femmes ministres et secrétaire d'Etat et les réactions fortes suscitées par cet événement avaient marqué une seconde étape dans l'évolution des mentalités sur cette question. Elle a constaté que l'Observatoire de la parité, mis en place par le précédent Gouvernement, ne pouvait apporter une réponse satisfaisante au problème, puis a relevé que la majorité avait, lors des dernières élections, largement favorisé l'accès des femmes à l'Assemblée nationale, le nombre de candidates et de femmes élues n'ayant jamais été aussi élevé. Rappelant que l'obstacle jurisprudentiel du Conseil constitutionnel ne pouvait être contourné par une loi simple, elle a affirmé que les femmes ne pouvaient cependant être perçues comme une catégorie du genre humain. Elle a insisté sur la responsabilité qui incomberait au législateur pour la mise en _uvre de la réforme constitutionnelle et souligné qu'il s'y était déjà attelé, en inscrivant, dans le projet de loi relatif au mode d'élection des conseillers régionaux, une disposition imposant la parité des femmes et des hommes sur les listes. Tout en convenant qu'il était plus facile de le faire dans le cadre d'un scrutin proportionnel, elle a souligné que l'existence du scrutin majoritaire n'empêchait pas cependant la présence de nombreuses élues dans les parlements de nos voisins européens. Considérant que le retard de notre pays en matière de représentation des femmes dans la vie publique ne l'honorait pas, elle a regretté qu'une partie de l'opposition - au risque d'apparaître ne représenter que les hommes - ne vote pas ce projet de loi. Constatant que la France n'était pas parvenue à organiser un égal accès des femmes et des hommes dans la vie publique, M. Jean-Luc Warsmann a rappelé qu'il revenait au Général de Gaulle d'avoir imposé le vote des femmes par l'ordonnance du 21 avril 1944, la première assemblée constituante comptant 39 femmes dans ses rangs. Ajoutant que le Président de la République avait créé un Observatoire de la parité, il a fait valoir que, si l'actuelle opposition était restée au pouvoir, elle aurait sans nul doute déposé un texte voisin devant le Parlement. Considérant, dès lors, que le projet de loi constitutionnelle ne devait pas susciter de controverses entre la droite et la gauche, il a indiqué que s'il ne partageait pas les réserves exprimées par M. Claude Goasguen, il le rejoignait dans ses interrogations sur l'avenir de la loi électorale. Précisant qu'en tout état de cause, son vote n'était pas subordonné à ce problème, il a cependant souhaité que la noble cause de la parité ne soit pas mise à profit par la majorité pour se livrer à des man_uvres politiciennes et souhaité recevoir à ce sujet des assurances du rapporteur. Après avoir indiqué qu'il voterait le projet de révision constitutionnelle, M. Robert Pandraud a néanmoins estimé que celle-ci n'était pas le meilleur moyen de favoriser dans les faits la mise en place de la parité. Il a ainsi considéré que la modulation de l'aide financière de l'Etat aux partis politiques en fonction du nombre de femmes élues et l'amélioration du statut de l'élu seraient des moyens plus efficaces pour atteindre ce but. Rappelant que le Conseil constitutionnel n'était pas la troisième assemblée souveraine du pays, il a jugé légitime que les parlementaires puissent infirmer sa jurisprudence. Il a cependant déploré que le mécanisme traditionnel de la navette parlementaire en matière de révision constitutionnelle permette au Sénat d'imposer, une fois de plus, son point de vue. A cet égard, il a considéré que le mode de scrutin aux élections sénatoriales y rendrait difficile la mise en _uvre de la parité dans la mesure où c_xistent des circonscriptions soumises au scrutin proportionnel et d'autres au scrutin majoritaire. Après avoir souligné le rôle des femmes dans l'histoire de la France au vingtième siècle, M. Gérard Gouzes a estimé que la gauche avait toujours été en pointe dans le combat pour l'égalité des sexes. Il a ainsi rappelé que François Mitterrand avait été le premier Président de la République à désigner une femme Premier ministre et que Michel Rocard avait conduit une liste, aux précédentes élections européennes, composée alternativement d'un homme et d'une femme. Il a par ailleurs considéré qu'il fallait en finir avec la tradition machiste cantonnant les femmes dans la sphère domestique, afin de leur permettre l'égal accès aux mandats et fonctions. Il a déclaré qu'il lui semblait opportun de réviser l'article 3 de la Constitution dans la mesure où celui-ci porte sur l'expression des suffrages, tout en regrettant que l'expression de " parité représentative " ne soit pas préférée à la notion d'égal accès. Enfin, il a indiqué qu'il conviendrait également de revoir la rédaction du projet de loi afin de remédier au caractère insuffisamment contraignant de l'expression " la loi favorise ". Tout en s'interrogeant sur l'efficacité de la loi dès lors qu'il s'agit de faire évoluer les m_urs et les questions de société, M. Michel Crépeau a indiqué qu'il voterait le projet de révision. Estimant que des actes de volonté, tels que la décision de M. Lionel Jospin de présenter un tiers de candidates aux dernières élections législatives, étaient sans doute plus importants qu'une modification de la Constitution, il a jugé nécessaire de rompre avec la tradition écartant les femmes de la vie publique. Rappelant que dans le droit romain les femmes mariées se rangeaient, au côté des enfants et des fous, dans la catégorie des incapables, il a, par ailleurs, évoqué le poids de la tradition catholique interdisant aux femmes de donner la communion et d'exercer le sacerdoce. Observant que les radicaux socialistes s'étaient longtemps opposés au vote des femmes par crainte de l'influence de l'Eglise dans la vie politique, il a reconnu que les temps avaient changé. A cet égard, il a expliqué que la participation croissante des femmes à la vie professionnelle et l'augmentation du nombre de familles monoparentales constituaient un frein, en l'absence d'un véritable statut de l'élu, à leur accès aux responsabilités publiques. Enfin, il s'est interrogé sur les conditions de mise en _uvre du principe de la parité pour les élections présidentielles et législatives, en observant que, dans ce domaine, seule la volonté des formations politiques pouvait faire avancer les choses. M. Jérôme Lambert a estimé qu'il était urgent de favoriser une plus grande participation des femmes à la vie politique et qu'il convenait de faire entrer dans les faits le principe de parité. En réponse aux interrogations de M. Claude Goasguen sur les intentions du Gouvernement en matière de modification du mode de scrutin des élections législatives, il a fait remarquer qu'il n'était pas nécessaire de réviser la Constitution pour entreprendre une telle réforme. Il a par ailleurs approuvé l'idée de moduler le financement des partis politiques en fonction du nombre de femmes élues dans leurs rangs, mais a estimé qu'un tel dispositif nécessitait une révision préalable de la Constitution. M. François Colcombet a évoqué, en préambule, les méfaits du modèle catholique traditionnel, qui concourt à favoriser un modèle d'organisation fortement centralisé, peu propice à l'accès des femmes aux responsabilités, puis a rappelé que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ne contenait aucune référence explicite aux droits des femmes. Il a ensuite fait observer que le texte fondateur en la matière était le préambule de la Constitution de 1946, sur lequel le Conseil constitutionnel aurait dû asseoir sa jurisprudence, aux termes duquel la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits identiques à ceux des hommes et a souligné que, sur ce point particulier, la Constitution de 1958 était en retrait. Ayant rappelé que, depuis 1946, le combat pour l'égalité entre les hommes et les femmes avait essentiellement porté sur le droit de la famille, il a constaté que le retard restait cependant considérable en matière politique. Analysant le texte du projet de loi constitutionnelle, il a insisté sur les termes de " mandats " et " fonctions ", jugeant que la révision devrait avoir une portée qui dépasse le domaine strictement politique, afin de généraliser le principe de l'égal accès, par exemple pour la désignation des jurys d'assises, où les femmes sont trop peu présentes ou, en sens inverse, pour l'organisation des juridictions familiales, presqu'exclusivement composées de femmes. Mettant l'accent sur la nécessité de s'en tenir à l'organisation de l'égal accès et non de rechercher une parité mathématique difficile à mettre en _uvre, il a considéré que le texte de la révision constitutionnelle devrait laisser au Parlement une marge de man_uvre significative lui permettant d'adopter, le cas échéant, des mesures de discrimination positive au profit des femmes, sans que le Conseil constitutionnel soit incité à annuler des lois trop facilement. M. Richard Cazenave a, en premier lieu, regretté que le Conseil constitutionnel ait adressé, en 1982, un signal négatif aux femmes, tout en considérant que le débat devait porter uniquement sur la question de l'égal accès et non pas sur celle des discriminations positives, concept de nature à favoriser l'émergence du communautarisme. Après avoir estimé que le Conseil constitutionnel aurait dû fonder sa jurisprudence sur l'article premier de la Constitution, selon lequel la République assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, il a fait observer que si le texte de la révision constitutionnelle se limitait aux seuls mandats et fonctions électifs, il serait préférable de l'insérer à l'article 4 de la Constitution, et non à l'article 3, lequel concerne l'exercice de la souveraineté nationale. Critiquant la rédaction du projet de loi, il a noté que celle-ci était trop imprécise et qu'elle abandonnait une marge d'appréciation trop importante au Conseil constitutionnel, puis a fait part de son accord pour l'adoption d'un amendement prévoyant que la loi " détermine " l'égal accès aux fonctions et mandats électifs. Considérant que, d'une manière générale, l'insuffisante représentation des femmes dans la vie politique s'expliquait largement par des considérations pratiques, il a souhaité, afin d'éviter que la révision constitutionnelle ne se limite à un simple effet d'annonce, qu'un vaste chantier de réflexion soit ouvert, notamment en ce qui concerne le statut des élus. Mme Nicole Catala a tout d'abord mis l'accent sur la situation française, estimant que celle-ci constituait une exception dans le temps, puisque la proportion des femmes parlementaires en 1997 était identique à celle observée en 1945, mais aussi dans l'espace, dans la mesure où cette même proportion, de l'ordre de 6 %, était nettement inférieure à la moyenne européenne qui s'établit à 16 %, voire à la moyenne mondiale qui atteint près de 12 %. Après avoir contesté que la gauche soit à l'origine de la promotion des femmes dans la vie politique et souligné le rôle éminent du Général de Gaulle en la matière, elle a rappelé qu'en dépit de la ratification de multiples conventions demandant aux signataires d'adopter des mesures d'action positive en faveur des femmes, aucune disposition contraignante n'avait été mise en _uvre en France pour assurer l'égal accès aux fonctions et mandats électifs. Rappelant la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1982 qui a invalidé une mesure de discrimination positive, elle a évoqué, en parallèle, une décision de la Cour de justice des Communautés européennes jugeant non conformes au droit communautaire des mesures de discrimination positive en matière de droit du travail, indiquant toutefois que cette jurisprudence avait été infléchie récemment. Après avoir précisé que le principe de l'égalité des droits avait été mis en _uvre progressivement, notamment dans la fonction publique, elle a abordé l'examen du texte du projet de loi, jugeant que l'emploi du terme " favorise " était ambigu puisqu'il permettrait au juge constitutionnel de maintenir sa jurisprudence et a considéré préférable d'inscrire dans la Constitution que la loi " assure " l'égal accès aux fonctions et mandats électifs, si l'on souhaite retenir une option contraignante ou que la loi " peut assurer " cet égal accès si l'on opte pour une version facultative. Après s'être interrogée sur la nature des mandats et fonctions visés par la rédaction proposée, elle a fait part de ses réticences vis-à-vis de l'adoption du projet de loi constitutionnelle, si celui-ci avait pour objet de justifier une réforme future du mode de scrutin législatif. Rappelant les propos tenus par M. Robert Pandraud, elle a conclu son propos en notant que la solution la plus efficace serait de prévoir une modulation des aides financières aux partis politiques de manière à les inciter concrètement à favoriser l'accès des femmes aux fonctions politiques, option qui ne remettrait pas en cause les droits fondamentaux des citoyens. Intervenant en application de l'article 38 du Règlement, M. Didier Julia a estimé que l'article 6 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, aux termes duquel tous les citoyens sont admissibles à toute dignité, place et emploi public sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents, suffisaitt pour garantir l'égal accès aux fonctions et mandats électifs. Il a ajouté qu'il défendrait son exception d'irrecevabilité en séance publique. En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes : - Au-delà de l'égal accès à la vie publique, il est nécessaire de créer des conditions économiques et sociales destinées à favoriser la participation des femmes ; à cet égard, il convient de noter que l'exposé des motifs du projet de loi évoque l'objectif d'égalité dans l'ensemble des composantes de la vie du pays et pas uniquement dans la sphère politique. - La réforme est indispensable pour contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel, même si la pertinence de cette dernière est contestée par certains juristes. - Dans la mesure où il renouvelle l'affirmation d'un principe qui existe déjà, le projet de loi ne prendra tout son sens que lorsque les textes d'application seront adoptés. Ceux-ci risquent d'ailleurs de poser quelques difficultés, le scrutin uninominal majoritaire notamment étant difficilement compatible avec le principe de l'égal accès des hommes et des femmes. A ce propos, bien que la ministre ait affirmé que la réforme constitutionnelle n'entraînera pas de modification du scrutin législatif, il apparaît nécessaire d'évoquer cette question en séance publique. En tout état de cause, la mise en _uvre de ce principe devra se faire par étape, le texte sur les conseils régionaux, le statut de l'élu ou la limitation du cumul des mandats pouvant constituer les premières pistes de réflexion. - L'ajout de l'adjectif " politiques " aux mandats et fonctions ne semble pas utile dans la mesure où il est proposé d'insérer le dispositif au sein de l'article 3 de la Constitution. De même, la notion " d'égal accès " proposée par le texte est préférable à celle de " parité ", puisqu'elle se rattache aux grands principes républicains alors que la parité renvoie à un déterminisme mathématique impossible à mettre en _uvre ; en tout état de cause, même si ce terme symbolique a été un élément moteur dans le changement des mentalités, il ne pourra être appliqué qu'au cas par cas dans les différents textes à venir. Il reste néanmoins que le projet de loi présente certaines insuffisances terminologiques, le verbe " favoriser " ne donnant notamment pas au législateur les armes suffisantes pour contourner la jurisprudence du Conseil constitutionnel, ce dernier risquant de lui reprocher d'en faire trop ou pas assez ; aussi semble-t-il préférable de le remplacer par le verbe " organiser " qui traduit la force de l'engagement sur le principe de l'égal accès tout en laissant au législateur la responsabilité d'inventer, au cas par cas, les modalités d'application. A cet égard, il semble utile de reprendre l'idée formulée par M. Guy Carcassonne selon laquelle il convient de spécifier que la loi détermine les conditions de l'égal accès, ce qui permettrait d'effectuer un partage clair des responsabilités entre le législateur et le Conseil constitutionnel. La Commission a rejeté l'exception d'irrecevabilité de M. Didier Julia. * * * Puis elle a procédé à l'examen de l'article unique du projet de loi constitutionnelle. La Commission a d'abord examiné un amendement de M. Richard Cazenave visant à intégrer le texte du projet de loi à la fin de l'article premier de la Constitution en lieu et place de l'article 3. Le rapporteur ayant précisé que le projet de loi s'appliquait aux seuls mandats et fonctions politiques, M. Richard Cazenave a indiqué que son amendement ne présentait plus d'intérêt puisqu'il visait à élargir le champ de la révision au-delà de la sphère politique. Constatant que le projet de loi ne s'intégrait pas dans cette logique, il a retiré son amendement. La Commission a ensuite été saisie de deux amendements identiques, l'un de M. Richard Cazenave et l'autre de M. Claude Goasguen tendant à placer le texte du projet de loi à l'article 4 de la Constitution. M. Richard Cazenave a considéré que son amendement donnerait plus de cohérence à la révision en modifiant l'article 4 relatif aux partis politiques, dès lors que l'objet du projet de loi se limite aux mandats et fonctions politiques. M. Claude Goasguen a estimé qu'il était d'une grande importance de bien déterminer l'article de la Constitution où devait s'intégrer le projet de loi, observant qu'en amendant l'article 3, on adopterait une réforme de portée beaucoup plus générale, qui modifierait les termes mêmes de la souveraineté nationale. Le rapporteur a fait valoir que l'inscription dans l'article 3 était la conséquence logique de la jurisprudence du Conseil constitutionnel de 1982 qui avait censuré la disposition relative aux quotas pour les élections municipales en invoquant ce même article. Elle a ajouté qu'intégrer la révision constitutionnelle dans cet article était un moyen d'éclairer le sens de la notion de souveraineté, puis a insisté sur le fait que le projet de loi ne contredisait pas le principe de l'indivisibilité de la souveraineté mais en explicitait plutôt les termes. La Commission a repoussé les deux amendements. Elle a ensuite examiné deux amendements de Mme Nicole Catala, substituant au terme " favorise ", pour le premier, l'expression " peut favoriser " et, pour le second, le verbe " assure " et ajoutant après " mandats et fonctions " le qualificatif " politiques ". Après que M. Robert Pandraud eut fait connaître sa préférence pour le terme " électif " et que le rapporteur eut exprimé son opposition à ces deux amendements estimant, pour le premier, qu'il était trop en retrait par rapport à l'objectif poursuivi et, pour le second, qu'il risquait de donner prise à un contentieux constitutionnel parce qu'il était trop contraignant pour le législateur, la Commission a repoussé ces deux amendements. Elle a, en revanche, adopté un amendement du rapporteur (amendement n° 1), rédigeant le projet de loi sous la forme suivante : " La loi détermine les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions ". Mme Catherine Tasca a souligné qu'il s'agissait d'affirmer le rôle du législateur en la matière et de renforcer l'engagement pris en faveur de l'égalité réelle des femmes et des hommes. Elle a ajouté que cet alinéa complétant l'article 3 de la Constitution relatif au suffrage renvoyait clairement aux mandats électoraux et aux fonctions électives et a jugé qu'il n'était pas alors nécessaire de le préciser. M. Claude Goasguen s'est déclaré favorable à la rédaction proposée parce qu'elle permet d'écarter les risques de contentieux constitutionnel et donne une plus grande sécurité juridique à cette disposition. Tout en rappelant qu'il était préférable de réviser l'article 4 de la Constitution, M. Richard Cazenave s'est réjoui de la convergence des points de vue sur la rédaction même de l'alinéa, puis a souhaité que la majorité reprenne cependant l'amendement précisant la nature des mandats et fonctions. Un amendement de M. Claude Goasguen ajoutant au terme " mandats " l'adjectif " électoraux " et à celui de " fonctions " l'adjectif " électives " est devenu sans objet du fait de l'adoption de l'amendement du rapporteur donnant au deuxième alinéa de l'article une nouvelle rédaction. La Commission a été saisie d'un amendement de M. Claude Goasguen précisant qu'il appartient à la loi de déterminer les conditions dans lesquelles est organisé l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions. Constatant que son amendement était satisfait, M. Claude Goasguen l'a retiré. Enfin, la Commission a été saisie un amendement de M. Michel Hunault prévoyant la parité des candidatures dans les scrutins de liste. M. Michel Hunault a observé que l'on disposait dès aujourd'hui des moyens de concrétiser le principe d'égal accès et que rien n'interdisait de compléter le projet de loi constitutionnelle en ce sens. Mme Catherine Tasca a fait connaître qu'elle n'était pas opposée à cette disposition sur le fond puisqu'elle l'avait elle-même soutenue dans le cadre du projet de loi modifiant le mode de scrutin régional, observant néanmoins que l'insérer dans la Constitution serait donner une lecture restrictive du projet de loi constitutionnelle. Elle a jugé que la mesure proposée par M. Michel Hunault était d'ordre législatif et pourrait être mise en _uvre très rapidement après la révision de la Constitution, puis a ajouté que la proposition de M. Robert Pandraud sur les modulations du financement des partis politiques en fonction de la place des femmes dans les listes, était également d'ordre législatif. Estimant que l'amendement proposé n'était effectivement pas d'ordre constitutionnel, M. Claude Goasguen a réitéré sa demande que le Gouvernement s'engage solennellement à ne pas profiter de cette révision pour amorcer une modification du mode de scrutin avec des arrière-pensées électorales. Il a conclu en indiquant que son groupe s'abstiendrait sur ce projet de loi tant qu'il n'aurait pas obtenu de la part du Gouvernement une réponse à cette question. Mme Nicole Catala s'est associée, à titre personnel, à cette intervention. La Commission a repoussé l'amendement. * * * La Commission a ensuite adopté l'article unique du projet de loi constitutionnelle ainsi modifié. * * * En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République vous demande d'adopter le projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes (n° 985), modifié par l'amendement figurant au tableau comparatif ci-après. ___
AMENDEMENTS NON ADOPTÉS PAR LA COMMISSION Article unique Amendement présenté par M. Richard Cazenave : Rédiger ainsi cet article : " Avant la dernière phrase de l'article 1er de la Constitution, insérer la phrase suivante : " La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions. " Amendements identiques présentés par MM. Richard Cazenave et Claude Goasguen : Rédiger ainsi le premier alinéa de cet article : " Il est ajouté à l'article 4 de la Constitution du 4 octobre 1958 un alinéa ainsi rédigé : ". Amendements présentés par Mme Nicole Catala : · Rédiger ainsi le dernier alinéa de cet article : " La loi assure l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions politiques ". · Rédiger ainsi le deuxième alinéa de cet article : " La loi peut favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats et fonctions politiques ". Amendements présentés par M. Claude Goasguen : · Compléter le dernier alinéa de cet article par les mots : " dans des conditions qu'elle détermine ". · Dans le dernier alinéa de cet article, après le mot : " mandats ", insérer le mot : " électoraux " et après le mot : " fonctions ", insérer le mot : " électives ". Amendement présenté par M. Michel Hunault : Compléter cet article par l'alinéa suivant " Dans les scrutins de listes, chaque liste assure la parité entre les candidatures des hommes et celles des femmes. " CHRONOLOGIE (21) Ancien régime Les veuves dotées d'un fief et les mères abbesses peuvent voter aux Etats-Généraux. 3 juillet 1790 Condorcet se prononce pour le vote des femmes dans un article du " Journal de la société de 1789 ". septembre 1793 Olympe de Gouges publie la Déclaration des droits des femmes (article 10 : " La femme a le droit de monter sur l'échafaud, elle doit avoir également celui de monter à la tribune "). 1848 Eugénie Niboyet crée La voix des femmes. 5 mars 1848 Le Gouvernement provisoire de la République instaure le " suffrage universel " masculin. 1868 Une vingtaine de femmes diffusent, avec l'appui du journal l'Opinion nationale, un manifeste réclamant le droit de vote. 1869 L'Etat du Wyoming (Etats-Unis) instaure le vote des femmes. 13 février 1881 Hubertine Auclert lance le journal La Citoyenne. 1891 Création du Journal des femmes, par Maria Martin. 1893 Création de La Fronde, journal quotidien, par Marguerite Durand. 1893-1902 Instauration du vote des femmes en Nouvelle Zélande (1893) et en Australie (1902). 1er juillet 1901 Première proposition de loi par Gautret, accordant le droit de vote aux femmes (majeures et célibataires, veuves ou divorcées). 1903 La Fronde devient un mensuel (jusqu'en 1905). 1904 Création de l'Alliance internationale pour le suffrage des femmes sous la présidence de l'Américaine Carrie Chapmann Catt. 1907 Instauration du vote des femmes en Finlande. loi du 27 mai 1907 Les femmes sont électrices et éligibles aux conseils des prud'hommes. 3 mai 1908 Manifestation à Paris pour le droit de vote des femmes. 1909 Création à Paris de l'Union française pour le suffrage des femmes (U.F.S.F.), filiale de l'A.I.S.F., par l'Anglaise Jeanne Schmahl. Son programme, pour des raisons tactiques, est limité au suffrage municipal. 16 juillet 1909 A la Chambre, le rapport Buisson propose l'électorat et l'éligibilité des femmes dans les mêmes conditions que les hommes. 1913 La Norvège instaure le vote des femmes. 1914 L'U.F.S.F. compte 12.000 membres. avril 1914 Un plébiscite féminin organisé par les suffragistes réunit 505.972 oui pour le vote des femmes. 1914 L'Islande instaure le vote des femmes. 5 juillet 1914 Première et unique grande manifestation suffragiste à Paris ; elle réunit seulement 6.000 personnes. 1915 Le Danemark instaure le vote des femmes. 1918 La Grande-Bretagne, la Suède, l'Allemagne, la Russie soviétique et la Pologne instaurent le vote des femmes. 1919 Le Canada instaure le vote des femmes à l'échelon fédéral (les femmes votaient dans toutes les provinces sauf le Québec depuis 1918). Les Pays-Bas et le Luxembourg instaurent le vote des femmes. Le pape Benoit XV accepte le principe du vote féminin. 20 mai 1919 La Chambre des députés adopte pour la première fois une proposition de loi instaurant le vote des femmes, par 329 voix contre 95. 1920 Les Etats-Unis instaurent le vote des femmes à l'échelon fédéral, ainsi que la Tchécoslovaquie et l'Autriche. 21 novembre 1922 Le Sénat refuse d'examiner les articles de la proposition de loi sur le vote des femmes (par 156 voix contre 134). 1925 Création de l'Union nationale pour le vote des femmes (U.N.V.F.), d'inspiration conservatrice et catholique. 7 avril 1925 La Chambre des députés adopte par 389 voix contre 140 une proposition de loi instaurant le vote des femmes lors des élections municipales et cantonales. mai 1925 Profitant d'une lacune dans la réglementation, le Parti communiste place des femmes en position éligible sur ses listes pour les élections municipales dans toutes les communes de la banlieue parisienne. Les élues siègeront effectivement jusqu'à l'annulation de leur élection par les tribunaux. 12 juillet 1927 La Chambre des députés adopte, par 396 voix contre 94, une résolution " invitant le Gouvernement à hâter, devant le Sénat, la discussion du projet de loi voté par la Chambre des députés concernant le suffrage des femmes aux élections municipales ". 31 mars 1932 La Chambre des députés, par 446 voix contre 60, adopte une résolution par laquelle elle " invite le Gouvernement à user de toute son influence auprès du Sénat pour obtenir que cette Assemblée mette en délibération les textes votés à ce sujet par la Chambre des Députés ". 1934 La Turquie instaure le vote des femmes. Le Congrès des maires se prononce pour le vote des femmes aux élections municipales dès 1935. 1er mars 1935 La Chambre des députés se prononce pour le vote des femmes pour la cinquième fois, par 453 voix contre 124. 1935 L'U.F.S.F. compte 100.000 membres. Campagne de l'U.F.S.F. et des autres mouvements suffragistes pour l'élection de conseillères municipales. Les Philippines instaurent le vote des femmes. Les femmes votent dans tous les pays d'Europe, à l'exception de la France, la Belgique, la Suisse, l'Italie et des Etats des Balkans. 1935-1936 Plusieurs communes organisent des scrutins parallèles mixtes aboutissant à faire élire des conseillères municipales supplémentaires ; à Louviers (dont le maire est Pierre Mendès France) 6 conseillères sont ainsi élues et siègent avec voix délibérative. 2 juin 1936 Devant le Sénat, Louise Weiss et des militantes de " La Femme nouvelle " offrent aux sénateurs des chaussettes portant l'inscription : " Même si vous nous donnez le droit de vote, vos chaussettes seront raccommodées ". 4 juin 1936 Léon Blum nomme 3 femmes sous-secrétaires d'Etat : Cécile Brunschvicg, présidente de l'U.F.S.F., Suzanne Lacore et Irène Joliot-Curie. Cécile Brunschvicg, par ailleurs membres du comité exécutif du Parti radical, doit quitter la présidence de l'U.F.S.F. 30 juillet 1936 La Chambre des députés se prononce pour la sixième et dernière fois pour le vote des femmes, par 495 voix contre 0. Le gouvernement s'abstient. Le Sénat n'inscrira jamais ce texte à son ordre du jour. 23 juin 1942 Le Général de Gaulle déclare qu' " une fois l'ennemi chassé du territoire, tous les hommes et toutes les femmes de chez nous éliront l'Assemblée nationale ". novembre 1943 Lucie Aubrac est nommée membre de l'Assemblée consultative provisoire. Elle ne siégera qu'en novembre 1944 à Paris. Une femme siège dès 1943 : Marthe Simard. mars 1944 Le programme du Conseil National de la Résistance reste silencieux sur la question du vote des femmes. 18 mars 1944 Le Général de Gaulle déclare devant l'Assemblée consultative provisoire que " le régime nouveau doit comporter une représentation élue par tous les hommes et toutes les femmes de chez nous ". 24 mars 1944 A l'Assemblée consultative provisoire, l'amendement Fernand Grenier instaurant le vote des femmes est voté par 51 voix contre 16. 21 avril 1944 L'article 17 de l'ordonnance portant organisation des pouvoirs publics en France après la Libération dispose que " les femmes sont électrices et éligibles dans les mêmes conditions que les hommes ". 7 novembre 1944 Pour l'ouverture de sa session à Paris, l'Assemblée consultative provisoire comporte 10 femmes. 29 avril-13 mai 1945 Elections municipales. 21 octobre 1945 Premier vote des femmes dans un scrutin national. (Référendum et Assemblée constituante). 34 femmes sont élues membres de l'Assemblée nationale constituante (18 communistes, 1 " Union républicaine et résistante ", 5 S.F.I.O., 8 M.R.P., 2 divers droite). _____________ N° 1240.- Rapport de Mme Catherine Tasca (au nom de la commission des lois), sur le projet de loi constitutionnelle (n° 985) relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes. 1 ) Rappelons qu'Olympe de Gouges et Madame Roland furent guillotinées en 1793. 2 ) Cécile Brunschvicg comme sous-secrétaire d'Etat à l'Education nationale, Irène Jolliot-Curie comme sous-secrétaire d'Etat à la recherche scientifique et Suzanne Lacore comme sous-secrétaire d'Etat à la protection de l'Enfance. 3 ) Janine Mossuz-Lavau, Femmes/Hommes pour la parité, Paris, Presses de Sciences-Po, " La bibliothèque du citoyen ", 1998. 4 ) Georges Ripert, Le Régime démocratique et le droit civil moderne, Paris, L.G.D.J., 1948, p. 109. 5 ) Mariette Sineau dans son article " Droit et démocratie " (in Georges Duby, Michelle Perrot (Dir.), Histoire 6 ) L'ensemble des éléments chiffrés reproduits ici sont tirés de La lettre de la parité de mai 1998. 7 ) Les dernières élections législatives en Allemagne ont renforcé la place des femmes : 207 sur 669 membres du Bundestag, soit 31 % des députés. 8 ) Geneviève Fraisse, Muse de la Raison - Démocratie et exclusion des femmes en France, Paris, Gallimard, 1995, 378 p. 9 ) Titre 3, chapitre 2, section première, article 1er de la Constitution du 3 septembre 1791. 10 ) Lancé dans l'hebdomadaire l'Express et signé par Michèle Barzach, Frédérique Bredin, Edith Cresson, Hélène Gisserot, Catherine Lalumière, Véronique Neiertz, Monique Pelletier, Yvette Roudy, Simone Veil et votre rapporteur. 11 ) Les femmes et la vie publique. Eléments pour une réflexion. Rapport de M. Philippe Richter dans le cadre de la mission commune d'information sur la place et le rôle des femmes dans la vie publique, n° 384, 1996-1997, p. 189. 12 ) Par le décret n° 95-114 du 18 octobre 1995 a été institué un Observatoire de la Parité auprès du Premier ministre qui le préside. Mme Roselyne Bachelot en a été nommée rapporteur général. Quatre commissions ont été créées : celle consacrée à la parité politique (rapporteur : Mme Gisèle Halimi) ; celle sur la parité professionnelle (rapporteurs : Mme Yolaine de Linarès et M. Raymond-Pierre Bodin) ; celle relative à la parité dans la vie privée (rapporteurs : Mme Evelyne Sullerot et M. Jean-Claude Chesnais) ; celle portant sur les enjeux internationaux (rapporteurs : Mme Paulette Laubie). 13 ) Françoise Gaspard et Claude Servan-Schreiber (dir.), Les femmes dans la compétition électorale en France, Parités-Infos, p. 2. 14 ) Journal officiel - Débats de l'Assemblée nationale, 2ème séance du 11 mars 1997, p. 1802 et suivantes. 15 ) Le terme utilisé par la presse pour qualifier ces femmes, " les Juppettes ", peut être interprété de deux façons : il rend compte ironiquement du caractère " gadget " de ces nominations ; ne montrerait-il pas aussi que les vieux réflexes machistes ne survivent pas seulement dans le monde politique mais aussi dans la presse. 16 ) Proposition de loi constitutionnelle n° 1048 présentée par M. Jean-Pierre Chevènement, Mme Christiane Taubira-Delannon, MM. Jean-Pierre Michel et Georges Sarre. 17 ) Danièle Lochak, " Les hommes politiques, les " sages " (?)... et les femmes (à propos de la décision du Conseil constitutionnel du 18 novembre 1982), Droit social, 1983, p. 131. 18 ) Le Conseil d'Etat a adopté cette interprétation dans l'avis qu'il a rendu sur le présent projet de loi constitutionnelle. 19 ) Françoise Giroud, " la parité, oui, hélas ! ", le Nouvel Observateur, 25 juin 1998. 20 ) Si la révision constitutionnelle intervient après l'adoption du projet de loi sur les conseils régionaux, il est possible que le Conseil constitutionnel applique à cette disposition paritaire votée à l'initiative du groupe socialiste la jurisprudence de 1982 et donc l'annule. 21 ) Etablie par le service de la Bibliothèque de l'Assemblée nationale (extrait du catalogue " Le vote des femmes ", Assemblée nationale, décembre 1994). © Assemblée nationale |