COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES

COMPTE RENDU N° 30

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 29 janvier 2003
(Séance de 17 heures 30)

Présidence de M. Edouard Balladur, Président

SOMMAIRE

 

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- Audition de M. Dominique de Villepin, Ministre des Affaires étrangères


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Audition de M. Dominique de Villepin, Ministre des Affaires étrangères

Après avoir remercié le Ministre de sa présence, le Président Edouard Balladur a suggéré, compte tenu de l'actualité, de traiter tout d'abord de la situation en Côte d'Ivoire avant d'aborder la question de l'Irak.

M. Dominique de Villepin, Ministre des Affaires étrangères, a déclaré que l'enjeu en Côte d'Ivoire consistait à éviter la menace conjointe d'une guerre civile et d'un conflit régional. Il a rappelé qu'au cœur de cette crise, se trouvaient des problèmes complexes et très anciens, tels que l'identité, la nationalité, la loi foncière, le statut des étrangers, susceptibles de déboucher sur une perdition du pays.

Le Ministre a d'abord insisté sur la volonté de la France de ne pas se substituer aux Ivoiriens eux-mêmes. Elle est donc venue en appui de la recherche de solutions par les Africains eux-mêmes dans le cadre de la CEDEAO, à Accra, à Lomé, à Dakar, à Bamako, ce qui a permis l'ouverture d'un dialogue, sans aboutir à la conclusion d'un accord.

Une fois sécurisé le cessez-le-feu sur l'ensemble du territoire, la France a réuni toutes les forces politiques ivoiriennes, sans exclusive, à Marcoussis pendant dix jours sous la présidence de M. Pierre Mazeaud, membre du Conseil constitutionnel, avec l'appui d'experts et de facilitateurs de la CEDEAO, de l'Union Africaine et des Nations unies, pour élaborer collectivement des solutions aux problèmes institutionnels et électoraux de la Côte d'Ivoire.

Au bout de dix jours un accord engageant toutes les forces politiques ivoiriennes a été signé à l'unanimité. Il a été garanti par la communauté régionale et internationale représentée par les chefs d'Etat de la région, la présidence de l'Union africaine, le Secrétaire général des Nations unies, l'Union européenne, ainsi que les principaux bailleurs de fonds, notamment les institutions financières internationales. Ceux-ci se sont engagés à apporter un appui conséquent à la mise en œuvre des engagements de Marcoussis.

Le Ministre a rappelé que l'accord de Paris reposait sur la démilitarisation des rebelles, et un processus politique fondé sur la formation d'un gouvernement de réconciliation nationale, dirigé par M. Seydou Diarra, ancien président du Forum de réconciliation et une répartition équilibrée des ministères entre les parties en présence.

Le Ministre des Affaires étrangères a souligné les difficultés de mise en œuvre de toute réconciliation. Il faut en effet aussi préserver l'engagement de ceux qui détiennent plus de la moitié du territoire et l'essentiel de la force armée. Au retour du Président Gbagbo, des mouvements initiés par des extrémistes proches du pouvoir se sont déchaînés contre cet accord, dénonçant le rôle de la France. Face au saccage de la Chancellerie, du centre culturel français, des écoles françaises, la France a maintenu le contact avec toutes les autorités ivoiriennes pour leur demander de prendre leurs responsabilités.

Il a déclaré espérer que le Président Gbagbo saurait expliquer à ses partenaires le sens et l'intérêt des engagements publics qu'il avait pris avec l'accord de Paris, qui restera la base de la réconciliation. Il a souhaité que soient maîtrisés les déchaînements de violence rendant plus difficile la paix. Selon lui, jusqu'à aujourd'hui, l'ensemble des parties, sous l'égide de M. Seydou Diarra, désire trouver un accord pour définir un gouvernement de personnalités acceptables par tous.

S'agissant de la protection de la communauté française et de la communauté étrangère, le Ministre des Affaires étrangères a insisté sur la vigilance du Gouvernement et sur l'existence de dispositions particulières. Cette protection n'est pas aisée car la communauté française est répartie sur une vingtaine de sites et l'armée française ne peut se déployer sur le territoire ivoirien sans risquer d'exacerber les tensions.

M. Paul Quilès a estimé que la présence du Secrétaire général des Nations unies à Marcoussis ne saurait dispenser la France de saisir le Conseil de sécurité de la question ivoirienne. Il s'est interrogé sur le fait qu'il y a sans doute eu une maladresse à mettre en balance dans la négociation la démission de plusieurs membres du gouvernement. En effet, pourquoi le dossier ivoirien est-il géré par notre seul pays ? Comment assurer l'évacuation de nos ressortissants qui sont au nombre de 16 000 ?

Mme Martine Aurillac s'est dite très préoccupée par la situation de la Côte d'Ivoire, et s'est demandé quel rôle l'armée ivoirienne jouait exactement ? Si le rapatriement de nos ressortissants et de celui des autres pays européens est nécessaire, faudra-t-il envoyer des renforts sur place ?

M. Noël Mamère a félicité le Ministre pour le travail accompli à Marcoussis, puisque celui-ci a permis d'aborder des questions aussi délicates que la réforme foncière ou de l'ivoirité. L'absence des Nations unies est toutefois regrettable car il s'agit d'un conflit régional. Pourquoi ne pas saisir les Nations unies pour qu'elles envoient une force d'interposition afin d'éviter que se reproduisent les drames du Rwanda ? On peut douter de la sincérité du Président ivoirien qui, de retour dans son pays, a affirmé que le résultat de la négociation de Marcoussis n'était qu'un ensemble de propositions. Compte tenu de la gravité de la situation, ne serait-il pas souhaitable d'organiser un débat en séance publique sur ce sujet ?

M. Gilbert Gantier s'est demandé si le Président ivoirien n'était pas l'instigateur des désordres qui avaient causé des dommages à la communauté française et aux intérêts français et si la responsabilité de l'Etat ivoirien pouvait être engagée afin que les dégâts commis à l'encontre des particuliers soient remboursés. Ne faut-il pas d'autre part mettre la Côte d'Ivoire devant ses responsabilités en suspendant le cas échéant l'aide qu'elle reçoit ?

M. Dominique de Villepin a répondu aux intervenants.

La France a engagé un processus pour permettre aux Ivoiriens de définir des solutions politiques. Le choix du Premier Ministre comme la répartition des portefeuilles ministériels ne relève que des Ivoiriens eux-mêmes. C'est le Président Gbagbo qui a accepté cette répartition qui relève de sa responsabilité. La France a accompli un travail difficile et complexe dans une affaire grave et l'implication française en Afrique, à laquelle plus aucun autre pays ne prête attention, a besoin du soutien de tous.

M. Dominique de Villepin a déclaré refuser s'immiscer dans les choix opérés par les Ivoiriens de tel ou tel Ministre pour tel ou tel portefeuille. La responsabilité de la France a consisté à se mettre au service des Africains et de la Côte d'Ivoire. Effectivement, revenant à Abidjan, le Président Gbagbo a voulu prendre quelque distance mais a confirmé aujourd'hui qu'il soutenait pleinement les accords de Paris et qu'il le ferait savoir.

Le Ministre a souligné que la difficulté de la répartition des postes montrait l'ampleur de la tâche, en rappelant qu'il s'agissait de passer de la guerre à la paix et qu'il convenait de prendre la mesure de la situation sur le terrain. Comme le Président Gbagbo l'a reconnu lui-même, il n'a pas gagné la guerre. Ce sont les rebelles qui détiennent le pouvoir militaire. A Marcoussis, ils ont accepté de fait la démilitarisation.

Il a fait valoir que le but étant la réconciliation, il fallait proposer à ceux qui détiennent l'essentiel du pouvoir militaire suffisamment de responsabilité attractive pour qu'ils acceptent de déposer les armes. En outre les rebelles sont d'anciens Fanci et toutes ces personnalités se connaissent bien.

En ce qui concerne l'engagement de l'ONU, le Ministre a rappelé que le Secrétaire général des Nations unies a participé à l'ensemble des travaux de Marcoussis, que M. Kofi Annan a lui-même co-présidé le Sommet de Paris et qu'enfin l'ONU est saisie de l'ensemble du dossier. La France a demandé d'apporter une contribution par l'envoi de forces de maintien de la paix, auquel les Etats-Unis sont généralement réticents en raison du coût élevé de ce type d'opérations. Pour l'instant le Secrétaire Général de l'ONU est prêt à envoyer des observateurs civils et militaires, et désignera très prochainement son représentant spécial chargé de présider le comité de suivi prévu par les accords de Paris.

S'agissant de la sécurité des ressortissants français, le Ministre des Affaires étrangères a indiqué que le dispositif d'évacuation pouvait être mis en œuvre à tout moment, permettant d'assurer le départ des Français. Même si la situation s'est apaisée à Abidjan, le Gouvernement a envoyé des renforts de gendarmerie. Les écoles étant fermées à la suite de saccages, à quelques jours des vacances scolaires, le départ des familles sera d'autant plus facilité que les vols d'Air France à destination de la Côte d'Ivoire ont repris.

S'agissant de l'armée ivoirienne, le Ministre a souligné combien elle était affaiblie et dans la quasi-incapacité de maintenir l'ordre. Elle n'est pas un pôle stable. Certains groupes estiment que la division du pays peut leur être profitable.

Les accords de Paris sont parfaitement respectueux de la constitution ivoirienne dont l'article 53 prévoit notamment que le Président peut déléguer son pouvoir à un Premier ministre. La légalité a été totalement respectée et le mandat du chef de l'Etat préservé, ce qui était essentiel pour l'ensemble des Etats africains.

Le Ministre des Affaires étrangères a témoigné de sa disponibilité pour un débat parlementaire sur la Côte d'Ivoire, en soulignant le caractère délicat de la période actuelle de transition. Il s'agit de savoir si le processus de réconciliation nationale s'enclenche ou s'il faut débattre d'autres solutions.

En ce qui concerne les dégâts commis par les émeutiers, le Ministre a rappelé que la Côte d'Ivoire était un pays en crise, en quasi-faillite, tenu de solliciter l'aide extérieure. Il a rappelé que, dans le cadre des accords de paix, le Président de la Commission européenne avait d'ores et déjà annoncé une aide de 400 millions d'euros, tandis que d'autres pays comme le Canada, le Japon et les Etats-Unis et la communauté financières internationale se sont déclarés disposés à aider la Côte d'Ivoire à mettre en œuvre les dispositions de Marcoussis, dès lors que la paix et la réconciliation seraient rétablies.

Le Président Edouard Balladur a estimé que la France a bien fait d'agir comme elle l'a fait - qu'aurait-il d'ailleurs fallu faire d'autre ? - et qu'elle aurait eu tort de se désintéresser totalement de la Côte d'Ivoire. Par ailleurs, il n'y a pas grande différence entre le fait que le Secrétaire général des Nations unies participe aux négociations organisées par la France pour régler la question ivoirienne et le fait que notre pays ait reçu un mandat explicite des Nations unies pour le faire. Pour ces raisons, il est normal que notre pays aide les Ivoiriens dans la situation difficile qu'ils traversent. Si le Gouvernement en est d'accord et si la représentation nationale le souhaite, le Président Edouard Balladur a indiqué qu'il était tout à fait disposé à demander l'organisation prochaine d'un débat en séance publique sur la question ivoirienne.

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M. Dominique de Villepin a ensuite abordé la question de la crise irakienne, soulignant que l'on se trouve à présent à un moment clé, après la présentation, lundi 27 janvier à New York, du rapport de MM. Blix et El-Baradei au Conseil de sécurité, et au lendemain du discours du Président Bush sur l'état de l'Union. Une réunion du Conseil de sécurité aura lieu le 5 février pour présenter les preuves que l'Irak possède bien des armes de destruction massive.

Dans ces conditions, la situation est aujourd'hui la suivante.

Tout d'abord, le rapport des inspecteurs du 27 janvier confirme la validité de la démarche établie par la résolution 1441. La raison d'être des inspections est réaffirmée, même si MM. El-Baradei et Blix ont des approches légèrement divergentes.

L'AIEA considère que le volet nucléaire est quasiment bouclé : l'Agence a progressé dans sa connaissance des capacités irakiennes et les questions qui demeurent sans réponse ne sont pas, selon M. El-Baradei, des questions clés. Les inspections n'en sont qu'à leur début et il serait nécessaire d'avoir plus de temps ; il importe aussi d'obtenir tous les renseignements opérationnels dont disposeraient les Etats. La présence des inspecteurs constitue une dissuasion efficace et une assurance que les programmes de développement d'armes de destruction massive, nucléaires en particulier, ne reprendront pas.

La CCVINU dresse un bilan plus nuancé. M. Blix constate que l'Irak a globalement assez bien coopéré en ce qui concerne notamment l'accès aux sites, mais il demande que la coopération soit plus active sur le fond. Il relève des questions clés non résolues dans les domaines balistique, chimique et biologique. Il s'interroge, en ce qui concerne les missiles, sur les programmes postérieurs à 1998 et, sur les deux autres volets, il relève des questions clés sur les programmes antérieurs à 1998.

Ces conclusions sont proches de l'analyse de la France qui estime nécessaire que les inspections se poursuivent. A cet égard, il faut prendre la mesure de l'effort engagé : se trouvent actuellement sur le terrain plus de cent experts pour la commission de contrôle et une dizaine pour l'équipe de l'AIEA, appuyés par 58 membres du personnel de soutien et 50 membres d'équipage pour les opérations aériennes. Les inspections se déroulent à un rythme dense d'au moins 300 visites par mois. Notre connaissance de la situation s'améliore et les inspections offrent déjà une forte garantie de sécurité.

Mais la coopération irakienne doit être plus active, principalement dans les domaines chimique et biologique ; la déclaration remise par l'Irak le 7 décembre aux Nations unies comportait des zones d'ombre dans ces deux domaines. Pour que la communauté internationale considère l'actuelle démarche comme un succès, Bagdad doit coopérer activement avec les Nations unies, sous diverses formes : remise d'équipements prohibés, déclaration d'activités concernées par les résolutions, remise de documents, entretiens en privé avec les scientifiques irakiens.

La France est mobilisée pour donner toutes ses chances à la paix par l'application de la résolution 1441. Le Gouvernement maintient une forte pression sur l'Irak. Il œuvre par ailleurs pour que l'Europe s'exprime d'une seule voix sur ce dossier ; il a été entendu lors de l'adoption de conclusions communes par les Quinze au dernier Conseil Affaires générales.

Le Ministre a souligné qu'il faut aider la CCVINU et l'AIEA dans leur mission, en fournissant les ressources humaines et matérielles, ainsi que toute l'information dont disposeraient les Etats. La France est le deuxième contributeur à la CCVINU, en moyens humains et matériels.

Les Etats-Unis maintiennent une très forte pression, avec le déploiement de 55 000 soldats dans la région, certaines sources évoquant pour la mi-février un déploiement de près de 220 000 hommes. La contribution britannique est d'environ 30 000 hommes et celle de l'Australie de 2 000 hommes. Les Etats-Unis ont cherché à impliquer l'OTAN, ce à quoi la France s'est opposée.

Washington s'efforce de constituer un « dossier à charge » contre l'Irak afin d'être en mesure, le moment venu, de justifier un recours à la force. Mais cela n'empêche pas les interrogations de se développer, aux Etats-Unis même - où l'opinion publique évolue - ainsi que chez nos principaux partenaires.

Notre position s'appuie sur le respect du droit, ce qui implique que les prérogatives du Conseil de sécurité soient respectées à chaque étape de cette crise. Cela implique aussi de ne pas se servir de la résolution 1441 comme d'un prétexte ; la France ne saurait accepter que le Conseil de sécurité légitime le recours à la force si les inspecteurs n'ont pas relevé de manquements graves de la part de l'Irak. Le Gouvernement fait de la lutte contre la prolifération l'une de ses priorités et considère que les enjeux de la crise dépassent l'Irak : il y va de la stabilité du Moyen-Orient et de nos relations avec le monde arabe.

Enfin, le Ministre a rappelé que l'unité de la communauté internationale était sa meilleure chance de parvenir au désarmement de l'Irak par la coopération.

M. Paul Quilès a salué les efforts louables de la France pour obliger l'administration Bush à modifier sa démarche et son calendrier, mais ceux-ci ne sont pas parvenus à modifier l'objectif des autorités américaines, qui est d'écraser l'Irak pour obtenir le départ de Saddam Hussein et contrôler l'ensemble de la région du Golfe. Les Etats-Unis ont mis à profit le temps requis pour les inspections de l'ONU afin de convaincre les pays hésitants par la voie diplomatique, de poursuivre les préparatifs au plan militaire et de convaincre les opinions publiques par le biais des médias. La question des armes de destruction massive relève du prétexte, car la Corée du Nord, qui menace directement les Etats-Unis et ses alliés, et le Pakistan, que l'on ménage par intérêt, ne sont pas inquiétés. La lutte contre le terrorisme apparaît également comme une justification mince pour enclencher un conflit avec l'Irak, dont la véritable motivation réside dans le contrôle du pétrole. Est-il nécessaire que le Conseil de sécurité adopte un texte avant le déclenchement du conflit ? Dans le cas contraire, le droit de veto français serait une arme en papier. La France continuera-t-elle à avoir une position aussi ferme si les Etats-Unis dévoilent les informations sur la dangerosité de l'Irak qui n'ont toujours pas été communiquées au Conseil ? Si les Etats-Unis sont convaincus que Saddam Hussein dispose d'armes chimiques en grande quantité, les représailles sur les armées américaines et sur les populations civiles, en cas de guerre contre l'Irak, ont-elles été précisément évaluées ?

M. Noël Mamère a estimé que le discours du Président des Etats-Unis sur l'état de l'Union valait déclaration de guerre. Si le Conseil de sécurité était saisi d'un texte autorisant le conflit, la France serait-elle prête à utiliser son droit de veto ? En l'absence d'autorisation du conflit par les Nations unies, la France serait-elle prête à participer à l'intervention militaire ?

M. Gilbert Gantier a interrogé le Ministre sur le point de savoir si l'Irak envisageait une intervention contre le Koweït comme certains propos relatés par la presse le laissaient entendre.

M. Jean-Paul Bacquet a demandé quelle était la fiabilité des renseignements détenus par les autorités américaines, alors même qu'elles ne les avaient pas transmis aux inspecteurs, qui auraient pu avoir toute latitude pour les vérifier.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a estimé que la stratégie des autorités américaines consistait à passer de la rétention d'information à sa diffusion. La position française étant conforme aux principes du droit international et à la réalité de la situation en Irak, cette situation a-t-elle changé dans la période la plus récente ? Il importe en tout état de cause de trouver une porte de sortie honorable aux autorités américaines. Enfin, comment envisager à terme la participation de la France au nouvel ordre économique de la région ?

M. Didier Julia a interrogé le Ministre sur le point de savoir s'il était possible, après le rapprochement franco-allemand, de permettre un rapprochement des positions de l'Italie, de la Grande-Bretagne et de l'Espagne avec celles défendues par notre pays.

M. Dominique de Villepin a répondu aux intervenants.

En ce qui concerne la nécessité d'un nouveau texte devant le Conseil de sécurité, nous sommes devant l'inconnue la plus totale et même les Américains ne savent pas véritablement exactement ce qu'ils veulent à ce sujet. Pour la France, la résolution 1441 se suffit à elle-même, complétée par d'autres résolutions déjà existantes comme la résolution 1284 qui fixe un calendrier d'inspections : rien ne paraît donc justifier la nécessité d'une nouvelle résolution car la résolution 1441 ne comprend pas de date butoir mais seulement des principes (reprise des inspections, coopération de l'Irak...).

On peut certes imaginer que les Etats-Unis demandent une nouvelle résolution sur la base d'un texte strictement mécanique afin de leur permettre de justifier une intervention en Irak. Mais les Américains peuvent également se passer des Nations unies et former une coalition avec les Britanniques et quelques autres pays en s'appuyant sur des éléments qui justifieraient cette initiative.

Dans ces conditions, M. Dominique de Villepin a estimé que la question du veto français peut se poser comme elle peut ne pas se poser. Notre position est que nous ne dirons pas à l'avance ce que nous ferons mais que nous nous tiendrons aux principes que nous avons énoncés clairement, notamment continuer d'avancer dans la voie de la coopération tant que cela est possible. Le Ministre a précisé qu'il avait écrit à tous les membres du Conseil de sécurité afin qu'ils apportent toutes les données dont ils disposent aux inspecteurs qui, étant sur le terrain, sont les mieux placés pour interpréter une information.

Le Président Edouard Balladur a demandé quels pays s'étaient conformés à cette demande.

Le Ministre des Affaires étrangères a répondu que la France l'avait fait de même que les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, même si ceux-ci disposent apparemment de réserves encore à exploiter dans ce domaine.

Il a redit que la clé de la résolution 1441 était de savoir si on pouvait continuer d'avancer par la coopération et ainsi obtenir des résultats que l'on n'est pas sûr d'obtenir par des moyens militaires.

En ce qui concerne l'éventuel usage d'armes de destruction massive par l'Irak en cas de guerre, le Secrétaire Général de la Maison Blanche a laissé entendre que les Etats-Unis pourraient alors utiliser des armes nucléaires tactiques : c'est dire jusqu'à quelles aventures une éventuelle guerre pourrait conduire.

Sur la question de l'appui de la France à une intervention américaine unilatérale, le Ministre a clairement répondu par la négative.

M. Dominique de Villepin a estimé qu'il faudra vérifier et apprécier les informations fournies la semaine prochaine par les Etats-Unis au-delà de leur impact médiatique.

Il a par ailleurs rappelé qu'il y avait un temps pour la coopération, mais que si cette solution ne fonctionnait pas, il fallait effectivement examiner les autres options, y compris militaires. A ce sujet, on peut d'ailleurs imaginer d'autres scénarios possibles que l'envoi de 250 000 hommes et l'occupation militaire de l'Irak.

Depuis le début, la France a dit que les changements de régimes, aussi dictatoriaux soient-ils, n'étaient pas un objectif envisageable, car alors la communauté internationale serait littéralement débordée par une telle mission. Dans ce cas, il faudrait aussi se demander quel serait alors l'arbitre légitime et à côté d'un tel ordre international, la loi de la jungle serait bien douce.

Sur la place de la France dans le nouvel ordre économique au Moyen-Orient issu d'une guerre, M. Dominique de Villepin a déclaré qu'il n'avait aucune inquiétude. Faire la guerre et faire la paix sont deux choses bien différentes, or, dans l'état qui suivrait un conflit, la France serait incontournable pour éviter notamment que ne se creuse le fossé entre pays Arabes et Occident. Dans un tel contexte, il sera bien utile de pouvoir recourir à des pays sages, même s'ils sont un peu anciens.

Il est clair que les Américains ont une vision du monde et que la conception de la France est différente car nous craignons qu'une intervention unilatérale n'accroisse encore les problèmes.

Sur les menaces irakiennes à l'égard du Koweït, formulées par Tarek Aziz, il s'agit plutôt d'une déclaration intempestive dont les dirigeants irakiens ont l'habitude plutôt que d'une menace précise.

Le Président Edouard Balladur a remercié le Ministre et il a informé la Commission que celle-ci entendrait prochainement les ambassadeurs des pays voisins de l'Irak dans le cadre d'une audition conjointe.

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