COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
COMPTE RENDU N° 37
(Application de l'article 46 du Règlement)
Mardi 16 mai 2006
(Séance de 18 heures 30)
Présidence de M. Edouard Balladur, Président
SOMMAIRE
page | |
- Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (n° 2978) - M. Philippe Cochet, Rapporteur |
|
Protection et promotion de la diversité des expressions culturelles
La Commission a examiné, sur le rapport de M. Philippe Cochet, le projet de loi autorisant l'adhésion à la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles (n° 2978).
M. Philippe Cochet a indiqué que cette convention avait été adoptée par l'Unesco le 20 octobre 2005 à une écrasante majorité : 148 voix pour, 2 contre (États-Unis et Israël) et 4 abstentions. Ce texte comble un vide juridique en instaurant un cadre de référence mondial pour la protection et la promotion de la diversité culturelle.
Il a ensuite apporté des précisions sur sa genèse et le contexte de sa négociation.
La problématique de la diversité culturelle a progressivement émergé à l'Unesco à la faveur de la croissance du commerce des biens et services culturels, qui est passé de 38 à 60 milliards de dollars entre 1994 et 2002. Il a rappelé les batailles juridiques et politiques menées lors des négociations commerciales internationales au cours des années 90, d'abord dans le cadre du GATT puis à l'OMC. Dans ces enceintes, notre pays a toujours plaidé en faveur d'une « exception culturelle » qui vise à exclure les biens et services culturels du champ des négociations commerciales internationales. Mais face à la menace permanente sur le statut des biens et services culturels, notre pays a dû adapter sa stratégie et passer d'une posture défensive de l'exception culturelle à une posture offensive de la promotion de la diversité culturelle. L'Unesco est apparue comme l'enceinte la plus appropriée.
Il a rappelé les étapes qui ont conduit à l'adoption de la convention, qui est le résultat d'une prise de conscience progressive par la communauté internationale de la nécessité de promouvoir la diversité culturelle.
- d'abord, l'adoption par l'Unesco à l'automne 2001 d'une déclaration sur la diversité culturelle - texte politique sans portée normative - qui érige la diversité culturelle au rang de « patrimoine commun de l'humanité » ;
- ensuite, la tenue un an plus tard à Johannesburg du Sommet mondial du développement durable au cours duquel le Président de la République s'est prononcé en faveur de l'adoption d'un instrument juridique international sur la diversité culturelle ;
- enfin, le lancement à l'automne 2003 des négociations au sein de l'Unesco qui ont abouti à l'adoption de la convention, deux ans plus tard, en octobre 2005. Ces négociations ont été marquées par le rôle d'impulsion joué par la France et le Canada qui ont réussi, notamment à travers la francophonie, à mobiliser leurs partenaires. Le Rapporteur a également mentionné le rôle joué par l'Union européenne qui a fait preuve d'une unité remarquable en faveur de l'adoption de la convention. En revanche, les États-unis - qui sont revenus à l'Unesco après vingt ans d'absence - ont opposé une résistance à l'adoption d'un texte auquel ils sont opposés au nom du principe de liberté des échanges.
Le Rapporteur a ensuite exposé le contenu de la convention, dont les principales dispositions concernent en premier lieu la reconnaissance de la spécificité des biens et services culturels, comme porteurs de valeurs et d'identité. En conséquence, la convention reconnaît la légitimité des politiques publiques de soutien au secteur culturel, qu'elles aient pour objectif de promouvoir les expressions culturelles ou bien de protéger les cultures gravement menacées ou en voie d'extinction. Il a précisé que le champ d'application de la convention portait sur les expressions culturelles, c'est-à-dire les contenus, et non pas les vecteurs de la diversité culturelle, qui peuvent évoluer au gré des progrès technologiques.
Enfin, la convention instaure un cadre de coopération internationale pour encourager l'échange d'informations dans le domaine de la promotion de la diversité culturelle. Elle mentionne la nécessité d'intégrer la culture dans le développement durable et dans les politiques de coopération. Le texte prévoit la création d'un Fonds international pour la diversité culturelle, qui sera abondé par des contributions volontaires. Le Rapporteur a jugé important que ce fonds soit rapidement abondé afin de répondre à l'attente légitime des pays en développement.
Puis il a évoqué la portée juridique et politique de la convention. D'un point de vue juridique, le dispositif est exclusivement incitatif tandis que le mécanisme de règlement de différends n'est pas contraignant car la convention requiert l'accord des parties et ne prévoit pas de sanctions.
Se pose également la question sensible de l'articulation de la convention avec les autres instruments juridiques internationaux. A cet égard, le principe de non subordination a été retenu, ce qui signifie que la convention de l'Unesco est placée sur un pied d'égalité avec les autres traités et engagements internationaux en vigueur. Cependant, l'article 20 § 2 prévoit expressément que « rien dans la présente convention ne peut être interprété comme modifiant les droits et obligations des Parties au titre d'autres traités auxquels elles sont parties ».
Cette disposition réduit la portée de la convention, puisqu'elle n'empêche en rien la conclusion d'accords bilatéraux ou régionaux qui peuvent fragiliser la diversité culturelle. Or les États-unis, qui n'ont pas signé la convention de l'Unesco, multiplient ces types d'accords, notamment avec les pays en développement. Par ailleurs, cette convention de l'Unesco ne préjuge en rien de l'inclusion ou de l'exclusion des biens et services culturels des accords de l'OMC ; mais il est incontestable qu'elle encouragera les parties à prendre en considération les objectifs de diversité culturelle et les dispositions de la convention dans le cadre de la négociation de leurs engagements commerciaux.
Le Rapporteur a ensuite salué l'impact positif que devrait avoir la convention sur le droit de l'Union européenne puisque la Communauté sera partie à la convention. Cette adhésion doit consolider la prise en compte des exigences liées à la diversité culturelle notamment dans le cadre de la politique européenne de concurrence ainsi que de la politique commerciale commune.
En l'absence de mécanisme véritablement contraignant juridiquement, l'autorité de la convention dépendra donc avant tout de la volonté politique des Parties et de la mobilisation de la communauté internationale.
Pour entrer en vigueur, elle doit être ratifiée par au moins trente États signataires. A ce jour, trois pays (le Canada, l'Ile Maurice et le Burkina Faso) l'ont ratifiée. Une course de vitesse s'est engagée alors que les États-unis exercent des pressions sur nombre d'États pour qu'ils ne ratifient pas la convention et concluent avec eux des conventions bilatérales de libéralisation des biens et services culturels. Il est donc important de manifester clairement une volonté politique en accélérant le processus de ratification qui doit être massif ; il faut en effet viser bien plus que 30 ratifications pour donner à la convention une assise politique incontestable.
Le Rapporteur a rappelé que la France avait une responsabilité particulière au regard de son rôle d'impulsion dans l'élaboration de la convention et de l'implication personnelle du Président de la République dans ce dossier qui dépasse les clivages politiques. Il est donc important de ratifier ce texte dans les meilleurs délais. Signe de l'importance politique qu'il y attache, le Gouvernement a fait le choix d'une ratification parlementaire alors qu'il n'en était pas juridiquement obligé.
Cette convention est une chance pour la diversité culturelle ; c'est aussi une chance pour l'Unesco, une enceinte internationale trop longtemps sous-utilisée, et dont l'acte constitutif mentionne la « féconde diversité » des cultures. Le Rapporteur a estimé que la France devait continuer à jouer un rôle moteur dans le combat pour la diversité culturelle et mobiliser avec succès, comme cela a été fait jusqu'à présent, l'ensemble de ses réseaux, en particulier la francophonie qui rassemble un quart des États de la planète. A l'heure d'un prétendu « choc des civilisations », ce texte doit contribuer à promouvoir l'indispensable dialogue des cultures et des civilisations.
Le Rapporteur a conclu en recommandant l'adoption du présent projet de loi.
Le Président Edouard Balladur a rappelé la difficulté, lors des négociations du GATT, à faire admettre aux États-unis le statut particulier des biens et services culturels. Se félicitant que la convention de l'Unesco rende légitimes les politiques publiques de soutien à la culture, il a demandé au Rapporteur si la pratique des quotas était protégée par la convention. Il a alors fait état des récentes déclarations surprenantes de dirigeants de France Télévisions qui se plaignent que TF1 et M6 achètent la plupart des séries américaines. Le Président Edouard Balladur a ensuite demandé au Rapporteur comment il était juridiquement possible pour la Communauté européenne d'adhérer à cette convention de l'Unesco.
M. Roland Blum a demandé au Rapporteur si la multiplication d'accords bilatéraux de libéralisation des échanges de biens et services culturels n'allait pas sensiblement réduire la portée de la convention, indépendamment du nombre des ratifications.
Le Président Edouard Balladur a alors souhaité savoir si le même État pourrait à la fois ratifier la convention de l'Unesco et signer un accord bilatéral de libéralisation des échanges de biens et services culturels.
En réponse, M. Philippe Cochet a indiqué que la pratique des quotas perdurait. Il a estimé que ce qui se passe en ce début d'année 2006 en France, où le cinéma français représente 50% de parts de marché, démontre l'impact positif des politiques culturelles et devrait encourager les pays à ratifier la convention. Il a également mentionné la création d'un fonds international pour la diversité culturelle qui devrait inciter les pays en développement à ratifier la convention. Puis, le Rapporteur a précisé que la ratification conjointe de cette convention par la Communauté européenne, d'une part, et les États membres, d'autre part, s'imposait en raison de la mixité des compétences concernées par la convention, dès lors que la politique commerciale relève d'une compétence exclusive de la Communauté européenne. Il a néanmoins rappelé le verrou de l'unanimité prévu par le traité de Nice pour toute éventuelle négociation et conclusion d'accords dans le domaine du commerce des services culturels et audiovisuels. Enfin, il a déclaré qu'en théorie rien ne s'opposait à ce qu'un même État ratifie la convention tout en concluant parallèlement des accords bilatéraux de libéralisation des échanges des biens et services culturels. Cependant, une dynamique politique s'est incontestablement engagée en faveur de la promotion de la diversité culturelle, comme en témoigne l'adoption de la convention par 148 pays et notre capacité à mobiliser des partenaires de plus en plus nombreux - notamment grâce à la francophonie - autour d'un objectif commun. L'action de la France a porté ses fruits.
Le Président Edouard Balladur s'est réjoui du maintien des quotas audiovisuels. Toute en se félicitant de l'adoption de la convention, il en a souligné le caractère finalement peu normatif qui doit nous conduire à rester vigilants sur le respect de la diversité culturelle.
Conformément aux conclusions du Rapporteur, la Commission a adopté à l'unanimité le projet de loi (n° 2978).
______
· Diversité culturelle
© Assemblée nationale