COMMISSION des LOIS CONSTITUTIONNELLES,
de la LÉGISLATION et de l'ADMINISTRATION GÉNÉRALE
de la RÉPUBLIQUE

COMPTE RENDU N° 18

(Application de l'article 46 du Règlement)

Mercredi 4 février 2004
(Séance de 11 heures)

Présidence de M. Pascal Clément, président,
puis de M. Jean-Luc Warsmann, vice-président.

SOMMAIRE

 

Pages

- Proposition de résolution modifiant le Règlement en vue d'informer l'Assemblée nationale sur la mise en application des lois (n° 1023) (M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur)


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- Examen, en application de l'article 88 du Règlement, des amendements au projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics (n° 1378) (M. Pascal Clément, rapporteur) (amendements)



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La Commission a examiné le rapport de M. Jean-Luc Warsmann sur sa proposition de résolution modifiant le Règlement en vue d'informer l'Assemblée nationale sur la mise en application des lois (n° 1023).

Le rapporteur a indiqué que la proposition de résolution répondait au constat global, et malheureusement permanent, du retard dans la mise en oeuvre des lois promulguées, faute de la publication des textes réglementaires nécessaires. Il a souligné que, compte tenu de la longueur des délais de parution des textes d'application, qu'il s'agisse des décrets et arrêtés ou des circulaires, un aiguillon efficace s'avérait indispensable pour améliorer la diligence du Gouvernement, avant de s'interroger sur la cohérence d'une pratique consistant à déclarer l'urgence sur nombre de projets de loi et à retarder ensuite la parution des textes d'application.

Rappelant que la proposition de résolution faisait suite à plusieurs tentatives effectuées depuis une trentaine d'années et dont la mise en œuvre n'avait pas été durable, il a souligné que ce texte tendait à valoriser les compétences acquises par les rapporteurs, dont la mission serait ainsi prolongée pour une durée d'au moins six mois après l'entrée en vigueur de la loi. Il a souligné que cette procédure devrait permettre de doter enfin l'Assemblée nationale des moyens nécessaires à la mission de contrôle que chacun souhaite voir développée, sous la forme d'un mécanisme de suivi systématique de l'élaboration et de la parution des textes réglementaires nécessaires à la mise en application des lois. Il a ajouté que le texte rejoignait opportunément la préoccupation du Gouvernement, qui a décidé de mettre en place ses propres outils de suivi, annoncés par le Premier ministre lors d'une communication au Conseil des ministres du 31 décembre 2003.

Il a enfin précisé que le rapport sur l'application de la loi pourrait revêtir plusieurs formes et avoir divers contenus, suivant le souhait et les exigences de chaque rapporteur, à charge pour les commissions d'organiser la mise en œuvre des nouvelles dispositions réglementaires dans le cadre d'un dialogue constructif mais exigeant avec le Gouvernement.

M. Philippe Vuilque, ayant évoqué Montesquieu, a estimé que les lois mal appliquées affaiblissaient la loi. Il a donc regretté le caractère partiel, incomplet et insuffisamment ambitieux de la proposition de M. Jean-Luc Warsmann, avant de rappeler qu'elle était issue des travaux du groupe de travail mis en place par le Président de l'Assemblée nationale, qui avait unanimement conclu que le Parlement exerçait insuffisamment sa mission de contrôle. Il a fait valoir que, même avant ces travaux, ce constat avait conduit le groupe socialiste à demander le renforcement du contrôle : ainsi, M. Paul Quilès avait déposé, le 2 octobre 2002, une proposition de loi tendant à modifier l'article 34 de la Constitution pour donner au Parlement le pouvoir de contrôler l'application de la loi et d'en évaluer les résultats. Il a également évoqué les propos qu'il avait lui-même tenus en séance publique le 26 mars 2003, lors de l'examen de la proposition de résolution modifiant le règlement de l'Assemblée nationale : il avait, à cette occasion, plaidé en faveur d'une obligation de publication des textes d'application de la loi dans un délai de six mois et d'une obligation, pour le ministre en charge de celle-ci, de venir en rendre compte devant la commission compétente un an après. Il a estimé que ces propositions étaient beaucoup plus complètes que le texte proposé par M. Jean-Luc Warsmann, qui ne formait d'ailleurs qu'une partie des suggestions que le groupe socialiste avait rassemblées dans le courrier qu'il avait adressé au Président de l'Assemblée nationale lors de la constitution du groupe de travail précité. Il a regretté que rien ne soit envisagé en matière d'évaluation des lois et que l'évolution de la culture ministérielle, qui conduisait aujourd'hui les ministres à établir un bilan de leur activité annuelle, ne s'accompagne pas de l'obligation pour ceux-ci de venir s'exprimer sur ce point devant la commission compétente.

Le président Pascal Clément a rappelé que les ministres étaient entendus par la Commission dans le cadre de la présentation de projets de loi et en outre de leur budget et qu'ils seraient naturellement disposés à revenir aussi souvent que nécessaire, la véritable limite étant en réalité la disponibilité des parlementaires eux-mêmes.

M. Philippe Vuilque a annoncé que le groupe socialiste voterait en faveur de la proposition de résolution, qui malgré ses insuffisances représentait un début de réponse au problème posé. Il a appelé la majorité à faire preuve de volontarisme politique et lui a suggéré de mettre à profit la situation actuelle pour réviser l'article 34 de la Constitution, comme l'avait proposé naguère le groupe socialiste.

Approuvant l'auteur de la proposition de résolution, M. Gérard Léonard a estimé qu'elle répondait à un problème notoire, tenant soit à des difficultés techniques réelles, notamment liées à l'articulation entre les normes nationales et les normes supranationales, soit à la mauvaise volonté de l'administration, comme il avait pu en faire l'expérience à plusieurs reprises, soit, enfin, à l'influence des groupes de pression. Il a déploré ainsi l'absence d'application de l'article 11 de la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité du 21 janvier 1995, relatif aux enquêtes de sécurité préalable aux opérations d'aménagement public, avant de relever que l'engagement pris en 2002 par le garde des Sceaux de mettre en œuvre cette disposition n'avait pas non plus été suivi d'effet. Tout en admettant que la proposition de résolution ne prétendait pas à la perfection, il a jugé qu'elle s'imposait et suggéré que sa mise en œuvre fasse l'objet d'une évaluation pouvant conduire, le cas échéant, à une révision constitutionnelle.

M. Émile Blessig a rappelé qu'une proposition de loi constitutionnelle devait, après son adoption dans les mêmes termes par les deux assemblées, être approuvée par référendum.

Après avoir rappelé que la commission des Lois avait décidé de suivre attentivement la mise en place du nouveau statut de la Nouvelle-Calédonie en envoyant, à une seule reprise toutefois, une délégation sur place, M. René Dosière a exprimé le souhait que la Commission persévère dans cette voie, tout en soulignant qu'en l'absence de texte spécifique, les commissions permanentes disposaient néanmoins des moyens juridiques leur permettant de contrôler l'application des lois dont elles avaient eu à connaître.

Le rapporteur, après avoir évoqué la longue histoire des multiples tentatives parlementaires pour améliorer le contrôle de l'application des lois - proposition de résolution de MM. André Chandernagor et Pierre Lagorce en date du 9 mai 1973, proposition de résolution de M. André Rossi en date du 10 mai 1973, initiative de M. Jacques Chaban-Delmas en date du 31 mai 1979, décision de la conférence des présidents, le 20 décembre 1988, demandant à chaque commission permanente de nommer en son sein, pour toute la durée de la législature, un de ses membres qui se chargerait de surveiller l'application de l'ensemble des lois relevant de ladite commission, etc. - a expliqué que sa proposition, qui faisait reposer ce contrôle sur le rapporteur, présentait un caractère nouveau. Il a mis en exergue le caractère très pragmatique de la mesure proposée, dont le succès ou l'échec dépendait de la seule volonté du Parlement, qu'il s'agisse de l'inscription à l'ordre du jour, par les présidents de commission, de l'examen du rapport prévu à l'issue du délai de six mois, ou de la volonté des rapporteurs de poursuivre le travail qu'ils avaient engagé dans la phase d'examen du projet de loi. Il n'a pas exclu que les lois puissent faire l'objet d'une véritable évaluation mais, objectant qu'un tel travail nécessitait des moyens humains importants, il a jugé que, pour l'instant, il serait souhaitable de s'en tenir à une réforme pragmatique. Il s'est félicité que celle-ci ait obtenu le soutien du président de l'Assemblée nationale et adressé ses remerciements aux membres de son groupe, qui ont accepté l'inscription de la proposition dans la partie de l'ordre du jour réservée aux initiatives parlementaires.

La Commission a examiné le dispositif de la proposition de résolution.

Article premier : Modalités de la présentation du rapport sur la mise en application de la loi :

La Commission a adopté un amendement du rapporteur proposant une nouvelle rédaction de cet article, afin de préciser que le dispositif proposé par la proposition de résolution ne se substitue pas à celui prévu à l'article 145 du Règlement permettant la constitution de missions d'information sur les conditions d'application d'une législation, et que le rapport sur la mise en application de la loi intervient à l'issue d'un délai de six mois suivant l'entrée en vigueur de celle-ci.

La Commission a ensuite été saisie d'un amendement de M. Philippe Vuilque prévoyant que le rapport sur la mise en application de la loi devait être présenté dans un délai d'un mois après l'expiration du délai de six mois suivant l'entrée en vigueur de la loi. Son auteur a expliqué qu'il lui semblait souhaitable que le Parlement se fixe des délais puisqu'il demande au Gouvernement d'en respecter un en matière de publication des textes d'application de la loi. Après que le président Pascal Clément eut jugé inutile de prévoir une rigidité de cette nature et que le rapporteur eut fait part de sa préférence pour l'adoption d'un dispositif empreint de souplesse, M. Philippe Vuilque a retiré cet amendement.

La Commission a été saisie d'un amendement du même auteur prévoyant que la commission compétente devrait auditionner le ministre lorsque, à l'issue d'une période de six mois, les textes réglementaires d'application de la loi n'auraient toujours pas été publiés. Le rapporteur a fait observer que, s'il était loisible à la commission d'auditionner les ministres compétents, rendre systématique des auditions de cette nature aurait pour effet de multiplier dans des proportions déraisonnables le nombre de celles-ci. Suivant l'avis de son rapporteur, la Commission a rejeté cet amendement. Par coordination, elle a également rejeté un amendement du même auteur prévoyant que, dans un délai d'un an suivant la publication d'une loi, le ministre concerné rendrait compte de son application devant la commission compétente.

La Commission a ensuite adopté cet article ainsi modifié.

Après l'article premier :

La Commission a été saisie d'un amendement de M. Philippe Vuilque prévoyant que toute question écrite à laquelle il n'a pas été répondu dans un délai d'un mois suivant sa publication est convertie en question orale si son auteur le demande. Après avoir indiqué que cet amendement reprenait une disposition figurant dans le Règlement du Sénat qui devrait permettre de garantir que les ministres concernés répondent aux questions des parlementaires dans les délais qui leurs sont impartis, son auteur a néanmoins déploré que certains de ses collègues recourent de façon excessive aux questions écrites au motif que certains journaux évaluent leur activité de parlementaire à l'aune de ce seul critère, ce qui conduit à la saturation des services ministériels concernés. Après que le rapporteur eut rappelé qu'une disposition de cette nature avait figuré dans le Règlement de l'Assemblée nationale jusqu'en 1994 mais qu'elle avait été supprimée en raison de son caractère inapplicable, la Commission a rejeté cet amendement. Par cohérence avec son vote à l'article premier, la Commission a ensuite rejeté un amendement de M. Philippe Vuilque prévoyant que les commissions compétentes devraient auditionner, chaque année, les ministres sur le bilan de l'action de leur ministère.

Article additionnel après l'article premier: Présentation du rapport sur la mise en application des recommandations des commissions d'enquête :

La Commission a adopté un amendement du rapporteur étendant le dispositif de suivi et prévoyant que le rapporteur d'une commission d'enquête, à l'issue d'un délai de six mois suivant la publication du rapport, présentera à la commission permanente qui a examiné la proposition de résolution initiale un rapport sur la mise en œuvre de ses recommandations. Par coordination, la Commission a adopté un amendement du rapporteur modifiant le titre de la proposition de résolution.

La Commission a ensuite adopté l'ensemble de la proposition de résolution ainsi modifiée.

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Statuant en application de l'article 88 du Règlement, la Commission a examiné, sur le rapport de M. Pascal Clément, les amendements au projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, les collèges et les lycées publics (n° 1378).

Article premier : Interdiction dans les établissements scolaires publics, du port de signes et de tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse :

La Commission a repoussé l'amendement n° 11 de M. Jean-Christophe Lagarde et les amendements nos 21, 22 et 23 de M. Jean-Pierre Brard. Elle a été saisie de l'amendement n° 6 de M. Jérôme Rivière interdisant le port de vêtements religieux ayant pour objet de dissimuler tout ou partie de la tête, son auteur l'ayant toutefois rectifié pour supprimer l'adjectif « religieux ». Il a fait valoir que le problème du foulard devait être clairement évoqué, car il représentait une discrimination envers les femmes et que son interdiction, en visant les signes qui dissimulent la tête, avait le mérite de la clarté. Le rapporteur a souligné que l'objectif du projet de loi était de ne pas stigmatiser une religion, et que l'amendement proposé, en visant un signe religieux particulier, était contraire à cet objectif. La Commission a repoussé cet amendement.

Elle a ensuite repoussé les amendements n° 24 de M. Jean-Pierre Brard et n° 10 de M. Maurice Leroy.

La Commission a été saisie d'un amendement n° 9 de M. Maurice Leroy tendant à interdire le port de signes politiques dans les écoles. Le rapporteur a fait valoir que les chefs d'établissement n'avaient pas demandé une telle interdiction et que le fait d'évoquer le port des signes politiques affaiblirait la portée de la loi. M. Michel Piron a suggéré d'étendre l'interdiction aux signes idéologiques, pour traiter toutes les formes de propagande, notamment sectaires. Le rapporteur a souligné que l'interdiction des signes idéologiques n'était pas souhaitable, compte tenu de la difficulté de définir juridiquement ce qu'est une idéologie. La Commission a repoussé cet amendement, puis l'amendement n° 17 de M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

À l'initiative du rapporteur, elle a adopté une rectification de caractère formel de l'amendement n° 8 de la Commission, précisant que le règlement intérieur prévoit une phase de dialogue avant toute sanction disciplinaire. M. Guy Geoffroy suggéré à la Commission, qui l'a suivi, de modifier la rédaction de l'amendement afin que le règlement intérieur rappelle l'obligation de dialogue et non la prévoit.

La Commission a été saisie de l'amendement n° 18 de Mme Martine Billard, M. Yves Cochet et M. Noël Mamère rendant facultatif l'enseignement religieux dans les départements d'Alsace et de Moselle. Le Rapporteur a fait valoir qu'un tel amendement, réformant le statut scolaire en vigueur dans les départements, excédait l'objet du projet de loi. M. Emile Blessig, rappelant que cet amendement reprenait une proposition faite par la commission présidée par Bernard Stasi, a souligné que, si l'enseignement religieux était obligatoirement organisé, les élèves avaient la faculté de demander à en être dispensés. Il a précisé que l'enseignement religieux ne relevait pas du Concordat mais de dispositions de la loi Falloux encore en vigueur dans les départements d'Alsace-Moselle. À l'issue de cette discussion, la Commission a repoussé cet amendement.

Article 2 : Application territoriale de la loi

La Commission a repoussé l'amendement n° 12 de M. Jean-Christophe Lagarde.

La Commission a accepté deux amendements du rapporteur visant à clarifier la rédaction de l'article 2.

Article 3 : Entrée en vigueur

La Commission a repoussé l'amendement n° 13 de M. Jean-Christophe Lagarde.

La Commission a été saisie de l'amendement n° 7 de M. Jérôme Rivière prévoyant que le non respect de l'interdiction posée par l'article 1er serait puni d'une contravention de cinquième classe. Son auteur a fait valoir que cet amendement, en permettant l'intervention du juge des enfants, visait à protéger ceux qui subiraient des pressions très fortes de leurs parents. Le rapporteur a souligné qu'une contravention de cinquième classe, particulièrement élevée, était inadaptée à cette situation. Il a rappelé que la loi prévoyait une sanction disciplinaire et non pénale, et qu'un tel amendement serait contraire à l'objectif d'apaisement qu'elle poursuit. La Commission a repoussé cet amendement.


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