Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (session ordinaire 2002-2003)

Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 28ème jour de séance, 72ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 21 NOVEMBRE 2002

PRÉSIDENCE de Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER

vice-présidente

Sommaire

      RAPPELS AU RÈGLEMENT 2

      ORGANISATION DÉCENTRALISÉE
      DE LA RÉPUBLIQUE (suite) 3

      MOTION DE RENVOI EN COMMISSION 3

      ARTICLE PREMIER 20

La séance est ouverte à neuf heures.

RAPPELS AU RÈGLEMENT

M. Augustin Bonrepaux - M. le Garde des Sceaux s'est félicité, hier soir, de la qualité de notre débat ; il est vrai qu'il y a eu, sur tous les bancs, des interventions intéressantes, mais nous ne pouvons nous satisfaire de débattre entre députés sans obtenir de réponses du Gouvernement. Nous avons constaté, en effet que les réponses de M. le Garde des Sceaux étaient sélectives ; il n'a répondu qu'aux orateurs favorables au projet, ignorant même ceux qui, au sein de la majorité, se sont élevés contre l'article 3...

Nous ne pouvons engager la discussion des articles sans avoir obtenu de réponses précises aux questions précises que nous avons posées. Hier soir, sur les trois ministres présents au banc du Gouvernement, deux sont restés muets - dont Mme la ministre de l'outre-mer, alors que des questions importantes ayant trait à son domaine ont été posées.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - J'y ai répondu précisément.

M. Augustin Bonrepaux - ...Mais nous n'avons pas entendu la voix de Mme Girardin.

Vous ne pouvez dire, Monsieur le Garde des Sceaux, que vous avez répondu aux questions que j'ai posées à M. Devedjian sur la « péréquation » dont vous voulez introduire la notion dans la Constitution, et auxquelles il n'a pas répondu non plus, et le Premier ministre pas davantage. Il faudrait tout de même savoir ce qu'elle signifie avant de la mentionner dans la Constitution !

Vous n'avez pas davantage répondu aux questions pertinentes de mes collègues Dosière, Balligand et Derosier, mais seulement, et de façon moqueuse, à celle de M. Montebourg.

M. Jean-Luc Warsmann - Une intervention déplacée, scandaleuse, qui méritait des excuses !

M. Augustin Bonrepaux - Quelles seront les ressources transférées ? Il est écrit : celles qui « étaient » affectées à l'exercice des compétences. Mais à quelle date ? Et quelle sera l'interprétation du Conseil constitutionnel ?

M. le Garde des Sceaux - Ce n'est pas un rappel au Règlement !

M. Augustin Bonrepaux - Mon intervention vise bien à améliorer le déroulement des travaux, en faisant en sorte que les parlementaires soient mieux informés.

M. Jean-Luc Warsmann - Je m'étonne de cette intervention, qui ne constitue en rien un rappel au Règlement.

Nous avons consacré au texte de longues heures en commission, nous avons auditionné les ministres, nous avons très largement débattu de la péréquation. Hier, la discussion générale a eu lieu et, comme le prévoit notre Règlement, le Gouvernement a ensuite répondu. M. Bonrepaux s'est inscrit sur un certain nombre d'articles. Il pourra donc s'exprimer à nouveau !

Aujourd'hui, nous révisons la Constitution ; on ne peut y inscrire des dispositions qui relèvent de la loi organique ou de la loi ordinaire ! Menons à terme le présent débat, après quoi une concertation aura lieu dans le cadre des assises des libertés locales, puis, comme l'a expliqué le Premier ministre, le Gouvernement tirera les conclusions de cette concertation nationale et présentera au Parlement des projets de loi, organique et ordinaire. Chaque chose en son temps !

M. René Dosière - Rappel au Règlement ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Il n'y a pas, dans notre assemblée, deux catégories de députés : ceux aux interventions desquels les ministres répondent, et ceux qu'ils ignorent. Or, les interventions d'un certain nombre de nos collègues, comme Philippe Vuilque ou Victorin Lurel, n'ont reçu absolument aucune réponse. L'opposition est-elle seulement prise en considération ?

M. Jean-Luc Warsmann - C'est un mauvais procès. Le Garde des Sceaux, en commission comme en séance, a répondu à chacun. Au passage, je tiens à dénoncer publiquement la discourtoisie de l'opposition, qui nous a demandé, hier soir, de lever la séance plus tôt parce que M. Queyranne souhaitait défendre la motion de renvoi en commission ce matin, et qui se livre maintenant à des man_uvres dilatoires !

ORGANISATION DÉCENTRALISÉE DE LA RÉPUBLIQUE (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par le Sénat, relatif à l'organisation décentralisée de la République.

MOTION DE RENVOI EN COMMISSION

Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une motion de renvoi en commission, déposée en application de l'article 91, alinéa 6, de notre Règlement.

M. Jean-Jack Queyranne - Au terme de cette discussion générale, un constat s'impose : la décentralisation méritait mieux qu'un débat engagé dans la précipitation et déjà bâclé dans son déroulement.

Quand le Premier ministre a exprimé son intention de faire de la décentralisation un axe fort de son action, nous avons manifesté un réel intérêt pour sa démarche. Son expression - « la République des proximités » - pouvait paraître une habileté de communiquant, mais son intention nous paraissait sincère.

Nous avons également entendu un concert d'hommages aux lois Mauroy-Defferre qui, dès 1982, ont engagé une révolution tranquille de nos institutions et fait passer nos collectivités locales à l'âge adulte. Cette grande réforme du premier septennat de François Mitterrand a représenté une nouvelle donne, en rupture avec deux siècles de centralisation politique et administrative. En vingt ans, que de chemin parcouru ! Le principe de libre administration n'est plus contesté, la décentralisation s'est imposée. La question n'est plus de savoir, désormais, si l'on y est ou non favorable. Elle a été tranchée en 1982. Il s'agit aujourd'hui de franchir une nouvelle étape tout en restant fidèles aux principes de la décentralisation républicaine -maintien de l'unité de la République, renforcement de l'autonomie des collectivités, garantie de l'égalité des citoyens, solidarité des territoires. Or, avec ce projet de révision constitutionnelle, nous sommes loin du compte.

Fallait-il réviser la Constitution ? Rien ne l'imposait vraiment. La commission pour « l'avenir de la décentralisation », présidée par Pierre Mauroy, n'avait pas conclu à l'impérieuse nécessité de le faire et les 154 propositions qu'elle avait formulées pouvaient trouver une simple traduction législative - un certain nombre d'entre elles ont d'ailleurs inspiré la loi du 27 février 2002 sur la démocratie de proximité. La commission Mauroy avait considéré que la souplesse du cadre juridique français permettait cette nouvelle étape, en prenant appui sur le principe de libre administration des collectivités inscrit à l'article 72 de la Constitution - mais le le président de la région Poitou-Charentes, M. Raffarin, était parti avant la fin des travaux pour éviter d'avoir à participer aux conclusions...

Admettons donc l'idée d'une révision de la Constitution, c'est une haute ambition, pourquoi alors, mener une telle réforme au pas de charge ? Les arbitrages, selon la presse, ont été rendus à Matignon, au c_ur de l'été, entre les ministres concernés, en présence des dirigeants du parti majoritaire et des présidents des commissions des deux assemblées. Pourquoi ne pas avoir consulté officiellement un panel de juristes compétents, à l'instar de la commission Vedel en 1992 ? Pourquoi ne pas avoir fait appel non plus aux représentants des différentes collectivités locales ? Vous auriez pu ainsi allier le pluralisme des avis, le sérieux des réflexions et la transparence des propositions. Encore une commission, diriez-vous ? Mais n'est-ce pas une commission - encore une - qui doit remettre d'ici la fin de l'année des propositions sur la responsabilité pénale du chef de l'Etat, question pourtant débattue depuis plusieurs années ?

Vous objecterez que vous avez lancé une grande consultation avec les assises pour les libertés locales, mais elles n'ont été convoquées dans les régions qu'après la présentation du projet de loi en conseil des ministres. Elles doivent, selon vous servir à préparer la phase suivante, celle des lois organiques et ordinaires. Vous vous gardez bien de mettre en débat devant elles le projet de loi constitutionnelle, alors qu'il devait être l'aboutissement d'un processus et non un préalable imposé.

En vérité, ces assises ont été soigneusement organisées pour servir de faire-valoir aux ministres présents. Personne ne s'y trompe : Le Progrès, principal quotidien de Rhône-Alpes, présentait les assises qui auront lieu le 10 décembre dans la région sous le titre « Méthodes jacobines » ! Et la journaliste de conclure : « Vivement la décentralisation ».

Quant aux conditions de saisine du Parlement, aucun gouvernement de gauche n'aurait osé proposer d'aussi brefs délais - qu'aucune majorité sénatoriale de droite n'aurait d'ailleurs acceptés !

Vous avez voulu engager le débat au Sénat, ce qui est une première en matière constitutionnelle depuis 1958. Peut-être vouliez-vous ainsi assurer le billet de retour du Premier ministre ? Mais vous avez été mal payés de votre bienveillance, au point que vous avez dû brusquer les sénateurs, les forçant à retirer leurs amendements, notamment ceux de la commission des lois, pour respecter votre calendrier parlementaire. Quand la gauche est au pouvoir - j'en parle d'expérience en tant qu'ancien ministre des relations avec le Parlement -, la lenteur sénatoriale est présentée comme un gage de sagesse. Elle n'est plus qu'une source d'irritation lorsque la droite veut réviser la Constitution...

Fallait-il tant de précipitation, quand le Président de la République lui-même déclare que « cette réforme mettra beaucoup de temps à porter ses fruits, car elle ne parle pas directement aux Français » ? Que ne vous êtes-vous inspiré de l'adage : « En politique, il faut donner du temps au temps » !

J'observe au passage que vous traitez une révision de la Constitution moins bien que les lois organiques. Celles-ci doivent bénéficier, en effet, d'un délai d'examen minimal de 15 jours. Or, le Sénat n'aura disposé que de 13 jours entre l'adoption de votre texte en conseil des ministres et sa discussion en séance publique. Une telle précipitation confine à l'indécence, la commission des lois du Sénat a même adopté un amendement imposant un délai de 30 jours pour l'examen d'une réforme constitutionnelle, avant de l'abandonner en séance pour ne pas désavouer publiquement le Gouvernement. Tout cela n'est pas de la « bonne gouvernance », comme dirait le Premier ministre.

Ce n'est pas non plus respecter le Parlement, sans quoi vous lui auriez soumis avant la discussion, au moins l'avant-projet de loi organique que vous préparez ! Cela aurait permis à la représentation nationale d'apprécier la portée de vos intentions.

M. Philippe Vuilque - On ne sait pas sur quoi on s'engage !

M. Jean-Jack Queyranne - Lors du débat sur l'indépendance de la justice en 1999, l'opposition d'alors avait fait de la communication du projet de loi organique la condition de son soutien à la réforme, laquelle a finalement été refusée, après une volte-face qui a désavoué le chef de l'Etat, mais le gouvernement n'avait fait nulle difficulté à rendre publics ses projets.

M. Devedjian nous a déclaré que l'avant-projet de loi organique n'était pas prêt, avouant ainsi que le Gouvernement navigue à vue ! Le Premier ministre a bien fait part de ses intentions au groupe UMP il y a une semaine ; il nous a d'ailleurs fallu attendre le communiqué de son président, M. Barrot, pour le savoir, et pour apprendre en même temps que la loi organique serait préparée avec les parlementaires de la majorité ! M. Raffarin aurait même dit : « Nous arrêterons ensemble la liste des expérimentations »... Ce sont pourtant des informations que tous les parlementaires voudraient partager (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste), car l'intervention grandiloquente du Premier ministre, hier, ne nous a rien appris !

M. Philippe Vuilque - Absolument rien !

M. Jean-Jack Queyranne - Faute de connaître vos intentions, nous devons donc en rester aux principes constitutionnels. Force est de constater qu'à ce niveau, la confusion règne. Dans une démocratie, la Constitution a une double fonction : exposer les valeurs et les principes qui fondent le contrat politique et social entre les citoyens et organiser la dévolution des pouvoirs au sein de la République.

Pour l'essentiel, le projet de révision ne se situe pas dans ce cadre. Il relève plus de la loi organique que des principes constitutionnels. Il additionne les concepts vagues, les v_ux pieux et les rédactions ambiguës. Il donne l'impression d'une opération de communication - au demeurant ratée - à destination des élus locaux. Pire, il semble, sur de nombreux sujets, n'être qu'un médiocre compromis entre l'ardeur girondine du Premier ministre et la tradition jacobine de la droite gaulliste, qu'a rappelée avec force le Président de notre assemblée.

Ce projet, marqué du sceau de l'amateurisme, a encouru les foudres du Conseil d'Etat. M. Raffarin n'a pas voulu en tenir compte et M. Devedjian a même déclaré que le Gouvernement ne se laisserait pas arrêter par des observations « qui n'ont pas un caractère juridique déterminant » !

Le Conseil d'Etat a d'abord contesté l'inscription de la décentralisation à l'article premier. Il estime en effet qu'il s'agit d'une modalité d'organisation, qui n'est pas du même ordre que les principes de la République « indivisible, laïque, démocratique et sociale » énoncés dans cet article. Aux yeux de M. Devedjian, il ne s'agissait là que « d'une considération esthétique » de la part du Conseil d'Etat...

M. Philippe Vuilque - C'est un peu léger !

M. Jean-Jack Queyranne - Effectivement. L'article premier contient une formule extrêmement forte qui engage l'ensemble des Français dans un pacte social et politique. Les modalités d'organisation territoriale de la République doivent trouver leur place à l'article 72.

M. Philippe Vuilque - Exactement !

M. Jean-Jack Queyranne - Votre rédaction entretient la confusion. L'article premier déclare que la République est unitaire, parce qu'indivisible. Les pouvoirs publics ne peuvent donc être décentralisés : ni le Parlement, ni le pouvoir exécutif ne sont décentralisés ! L'organisation administrative de l'Etat ne peut être décentralisée : elle est déconcentrée. Seules les collectivités territoriales peuvent être organisées selon un principe de décentralisation territoriale. Vous auriez au moins pu prendre la peine de préciser que c'est l'organisation du territoire qui est décentralisée, et non celle de la République.

M. René Dosière - Qu'est-ce que c'est qu'un Président de la République décentralisé ?

M. Jean-Jack Queyranne - Sur l'expérimentation, le Conseil d'Etat a proposé de faire référence à l'application du principe d'égalité. Il a critiqué la priorité accordée au Sénat pour l'examen des textes « ayant pour principal objet la libre administration des collectivités territoriales », estimant d'une part qu'elle était contraire à la tradition républicaine, qui réserve le premier rôle à l'Assemblée nationale, et d'autre part qu'elle serait très difficilement applicable et susciterait des annulations de dispositions par le Conseil constitutionnel. Quant aux tentatives de MM. Clément et Méhaignerie pour améliorer la formulation, elles ne font que créer de nouvelles difficultés.

Le Conseil d'Etat a également émis des doutes sur l'affirmation du principe de subsidiarité, en se demandant comment juger concrètement du niveau auquel chaque compétence serait « le mieux » exercée. Ce principe de subsidiarité, qui figure au deuxième alinéa de l'article 72 nouveau, est d'essence fédéraliste ; la norme est le pouvoir local, l'exception la compétence nationale. Présenté comme un principe technique de mise en _uvre des politiques publiques, il porte en germe l'abandon de la mise en _uvre des politiques nationales par les administrations d'Etat.

Les collectivités locales disposent actuellement d'une clause de compétence générale : « Les communes, les départements, les régions règlent par leurs délibérations, les affaires de leurs collectivités ». Avec le principe de subsidiarité, on pourrait désormais lire l'article 34 de la Constitution, qui fixe le domaine législatif, comme une énumération limitative des compétences non seulement du législateur, mais aussi de l'Etat. Le débat n'est pas théorique : certains songent même, dans votre majorité, à délocaliser la politique du logement, ou celle de l'éducation ! S'agit-il donc d'une logique fédéraliste non avouée, mais pernicieuse ? En tout cas, des précisions s'imposent. Elles ont été réclamées, en vain, par la commission des lois du Sénat : « La mise en _uvre de ce principe risque de s'avérer délicate », « Il sera difficile de déterminer quelle sera la collectivité territoriale la mieux à même d'exercer les compétences transférées », « cette complexité d'appréciation du niveau idoine (...) risque d'aboutir à des solutions très aléatoires et de susciter un important contentieux ».

Le Conseil d'Etat a aussi jugé inapplicable l'article relatif au seuil « déterminant » des ressources propres des collectivités locales. Il a estimé qu'une obligation dont le respect dépendait des décisions de chaque collectivité n'avait juridiquement aucun sens. Dans ce bric-à-brac constitutionnel,... (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Philippe Vuilque - C'est le terme !

M. Alain Néri - M. Debré a même parlé de « braderie » !

M. Jean-Jack Queyranne - ...je citerai un dernier exemple d'improvisation juridique : la disposition qui fait du représentant de l'Etat « celui de chacun des membres du Gouvernement ». Si cette mention est maintenue, le préfet pourra être, demain, l'ordonnateur secondaire des dépenses des juridictions judiciaires. Ce qui est clairement incompatible avec le principe de l'indépendance de la justice. Le préfet n'est pas votre représentant, Monsieur le Garde des Sceaux !

M. le Garde des Sceaux - Bien sûr que si !

M. Jean-Jack Queyranne - Toutes ces rédactions incertaines peuvent être sources de conflits, dépourvues de toute portée normative, voire de sens, elles tendent à banaliser notre loi fondamentale et à fragiliser l'Etat de droit.

Devant l'avalanche des critiques, votre gouvernement a choisi de presser le pas. Il n'est plus question pour M. Raffarin d'engager sa responsabilité sur ce texte, pourtant présenté comme « la mère de toutes les réformes ». Il vaut mieux faire vite, faire taire les débats au sein de la majorité, dissiper cette « ambiance de malaise » que dénonçait le sénateur Paul Girod.

Après la charge du Président Debré et les inquiétudes exprimées par nombre d'élus de l'UMP, le Parlement est appelé à tourner rapidement la page d'une réforme écrite à la va-vite. M. Clément, président et rapporteur de la commission des lois, a lui-même fixé les limites de l'exercice : « Il faut amender à la marge ». L'objectif étant d'adopter un texte compatible avec celui du Sénat pour que celui-ci, par un vote conforme en deuxième lecture, prive l'Assemblée nationale de navette (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste).

On présente souvent les institutions de la Ve République comme l'expression du « parlementarisme rationalisé ». Vous préférez quant à vous le parlementarisme caporalisé ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Ce débat ouvert dans la précipitation est bien éloigné des préoccupations des Français, mais aussi des v_ux des élus locaux. Puisque l'association des maires de France est en ce moment en congrès, je vous renvoie aux déclarations de son président, le sénateur Daniel Hoeffel, homme généralement mesuré (Sourires), qui évoquait hier la grande crainte des maires : « Voir l'expérimentation contribuer à creuser l'écart entre les régions ».

On ne révise pas la Constitution comme on écrit une circulaire aux préfets ! Il faut reprendre l'ouvrage en commission.

Votre méthode est décevante, mais le fond ne l'est pas moins.

La demande d'une plus grande décentralisation porte d'abord sur l'attribution des compétences. Par leur capacité d'adaptation, par leur faculté à développer de nouveaux services et de nouvelles prestations, les collectivités territoriales ont considérablement enrichi l'offre des services aux citoyens, au cours des vingt dernières années. Mais l'élargissement de leur champ d'intervention a brouillé la perception du paysage institutionnel local. Le citoyen a du mal à se retrouver dans la superposition des administrations et des politiques publiques. Qui fait quoi ? Qui paie quoi ? A qui ? Pourquoi faire ?

Il faudrait donc clarifier, simplifier, en recherchant une spécialisation de chacun des niveaux d'administration territoriale. C'est ce que préconisent le rapport Mauroy, mais aussi celui de votre collègue M. Delevoye, « Pour une République territoriale », remis au Sénat en juin 2000. Ces deux rapports prônent un retour au principe des blocs de compétence, principe des lois Defferre, que l'empilement des textes comme la pratique des contrats de toute nature ont rendu pour partie inopérant. Or une telle clarification repose sur la loi ordinaire. La répartition des compétences n'est pas figée, le cadre législatif et réglementaire peut être modifié sans qu'il soit besoin d'une révision constitutionnelle. De même, la notion de chef de file, qui figurait dans le projet initial, avait peu de sens. La rédaction du Sénat, qui vise à définir une autorité organisatrice, paraît plus pertinente. Mais n'est-ce pas là reprendre ce qui existe déjà dans la loi, pour les transports urbains par exemple ?

De nouveaux transferts de compétences sont indispensables. Il faut fortifier les régions qui ne revendiquent pas des responsabilités à l'essai, mais des blocs cohérents de transferts en bonne et due forme. L'expérience montre que l'action publique est plus efficace à l'échelon régional, pour ce qui est des lycées, des constructions universitaires pour tous publics de la formation professionnelle et continue, des transports régionaux, de l'aménagement du territoire, des fonds européens, des aides aux PME, du tourisme ou de la valorisation de la recherche. Voilà le socle des compétences qui peuvent être légitimement confiées aux régions. Mais, une fois de plus, nous devrons attendre les futures lois pour en juger.

Enfin, votre révision constitutionnelle vise à autoriser l'expérimentation de nouvelles compétences. Cette méthode n'est pas nouvelle. La loi peut autoriser ce type d'expérimentation, susceptible d'apporter une valeur ajoutée, comme on a pu le constater avec la régionalisation des transports ferroviaires. La loi Vaillant du 27 février 2002 prévoyait du reste des expérimentations en matière de protection du patrimoine, de développement des ports maritimes, de gestion des aérodromes.

Modifier la Constitution pour permettre aux collectivités de faire ce qu'elles peuvent déjà faire me paraît une bien curieuse méthode. Quel est votre véritable objectif ? La rédaction des articles 2 et 4 entretient la confusion. Dans la même phrase, à l'article 4, il est fait référence à deux notions pourtant bien différentes : l'expérimentation et la dérogation.

Expérimenter, c'est préparer la réforme. Déroger, c'est autoriser des exceptions. Il ne s'agit pas là d'une simple distinction sémantique. La dérogation, selon un constitutionnaliste, M. Chagnollaud, « ouvrirait la porte à une sorte de fédéralisme à la carte, assez anarchique, dont le moteur serait les inégalités économiques mais aussi politiques entre les collectivités territoriales et d'abord entre les régions ».

Le Gouvernement doit clarifier sa position. En ouvrant un champ très vaste à l'expérimentation, il fait régner une grande incertitude sur les compétences des collectivités locales. En effet, plus on expérimentera, moins on clarifiera la répartition des compétences. Avec la mise aux enchères des compétences, on risque de favoriser une décentralisation à la carte, susceptible de remettre en cause les principes d'égalité et de solidarité.

M. Clément ne déclarait-il pas, hier, qu'inscrire l'expérimentation dans la Constitution « permet d'éviter qu'elle se heurte à une interprétation trop stricte du principe d'égalité des citoyens devant la loi » ? Voilà bien votre objectif : rompre avec le principe d'égalité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains)

Les présidents socialistes de huit régions ont, quant à eux, déclaré qu'à ces « libertés en trompe-l'_il », ils préféraient « le courage d'une loi commune qui ne confonde pas unité et uniformité, mais soit solidement garante du principe d'égalité et évite toute aventure institutionnelle ». Ces propos ont eu un écho, puisque le président de la région Lorraine, M. Gérard Longuet, pourtant membre de l'UMP, a souhaité que la réforme obéisse à ce précepte : « expérimenter peu, transférer beaucoup ». C'est apparemment cette voie que le Gouvernement veut emprunter, mais nous en attendons confirmation.

Par ailleurs, des compétences élargies ne vaudraient rien sans les moyens de les exercer. Preuve supplémentaire de l'impréparation du débat, l'article 6 relatif aux aspects financiers a dû être entièrement réécrit en séance au Sénat, ce qui a peu de précédents en matière constitutionnelle...

Il est proposé dans cet article de constitutionnaliser le principe de compensation contenu dans la loi de 1982 : « Tout transfert de compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales s'accompagne de l'attribution de ressources équivalentes à celles qui étaient consacrées à leur exercice ». Mais vingt ans d'expérience montrent que le respect de ce principe ne suffit pas à éviter le transfert de charges, donc l'augmentation des impôts locaux. La construction et l'entretien des collèges et des lycées en sont de bons exemples : les départements et les régions y ont consacré quatre fois plus de crédits que les compensations attribuées à l'origine.

C'est pourquoi tous les élus locaux craignent que l'Etat, engagé dans un mouvement de débudgétisation des politiques publiques, ne les contraigne à augmenter les impôts locaux pour faire face aux nouvelles charges. Faire payer aux contribuables locaux les allégements d'impôts promis de manière démagogique dans la campagne présidentielle au profit des plus fortunés : voilà le tour de passe-passe financier dont les élus s'attendent à être les ordonnateurs et les contribuables, les victimes (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). C'est la décentralisation du déficit sur les budgets locaux.

M. Philippe Vuilque - Tout à fait !

M. Jean-Jack Queyranne - Cette crainte ne sera dissipée que si les collectivités territoriales obtiennent, dans la Constitution, la garantie qu'elles disposeront, pour chaque compétence transférée, des ressources nécessaires à leur exercice - ce qui implique, à l'origine, un audit impartial, puis une réévaluation des compensations pour tenir compte de l'évolution des besoins. Nous sommes bien loin de la première déclaration de M. Devedjian devant le comité des finances locales, le 9 juillet : « L'Etat paiera de moins en moins ».

Pour faire passer la pilule, le Gouvernement a prévu que l'autonomie financière des collectivités locales ait les honneurs de la Constitution. Mais elle ne se réduit pas à l'autonomie fiscale et à l'assurance de disposer d'une part « déterminante » des ressources. Ce qualificatif, issu de longues tractations avec la majorité sénatoriale, n'a pas en soi de valeur juridique puisqu'il s'appréciera par catégorie ; mais comment une moyenne commune correspondrait-elle à la situation de 36 000 communes aux ressources très différentes ?

La libre administration n'existe pas pour des catégories de collectivités : elle n'a de sens que pour chaque commune, département ou région. Le fait de constater qu'en moyenne plus de la moitié des ressources des communes sont constituées de recettes fiscales propres ne signifiera pas que les communes s'administrent librement. Votre autonomie n'est qu'un leurre qui favorise l'égoïsme des territoires.

Plutôt que de s'aventurer sur des chemins bien incertains, il serait préférable de s'en tenir à deux principes simples.

D'abord, le transfert effectif des ressources. Les mécanismes de la fiscalité locale ont été corrigés par ajustements successifs, le dernier et le plus important concernant la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle, qui a eu des effets bénéfiques sur l'emploi. Il faut maintenant assurer aux collectivités territoriales, et notamment aux régions, l'affectation d'une partie d'un impôt national dynamique. Le Premier ministre a évoqué le transfert d'une partie de la taxe intérieure sur les produits pétroliers. Pourquoi pas, mais on mesure les résistances qui viendront de Bercy. Est-ce un engagement précis ?

Ce transfert n'impliquerait pas la localisation de la perception de la ressource, ce qui n'est pas en soi un obstacle : personne ne vient contester l'autonomie des Länder allemands, qui financent moins de 30 % de leurs budgets sur leurs ressources propres, alors qu'en France cette proportion est de 45 %.

Second principe : la solidarité, nécessaire pour compenser les inégalités entre les collectivités. L'article 6 du projet introduit le principe de péréquation, mais en renvoyant à des lois ultérieures ; le voter en l'état serait donner un blanc-seing au Gouvernement et spéculer sur ses bonnes intentions.

Au fil du temps, les mécanismes de péréquation sont devenus trop complexes et trop faiblement correcteurs, malgré la création par la gauche des dotations de solidarité urbaine et de solidarité rurale, qui d'ailleurs sont en diminution dans la loi de finances pour 2003. C'est pourquoi, à la notion de péréquation, qui signifie redistribution de ressources entre les collectivités, nous préférons celle de solidarité, qui intègre les recettes nationales et traduit la volonté de préserver la cohésion nationale, en luttant contre les fractures sociales et territoriales.

S'agissant encore du volet financier, nous nous inquiétons de la possibilité qui serait offerte aux collectivités locales de déterminer elles-mêmes, sans limites, l'assiette de l'impôt qu'elles perçoivent. Le projet ouvre la voie à un vaste mouvement de substitution fiscale, qui pourrait entraîner un véritable imbroglio puisque les impôts locaux ne sont pas spécialisés par collectivités.

La réforme des finances locales constitue à nos yeux le préalable à toute nouvelle étape de la décentralisation, dont, sinon, les Français seront fondés à penser qu'elle contribue à la montée des impôts locaux. Nous proposerons donc par amendement que ce projet de révision n'entre dans les faits qu'après l'adoption d'une réforme des finances locales qui garantisse plus de justice et d'égalité.

J'en viens à la troisième raison qui justifie votre réforme : la crise de la représentation politique. « La République est loin des citoyens », a déclaré hier M. Raffarin. On pourrait s'attendre à des propositions audacieuses, mais votre projet est marqué par un profond conservatisme. Vous sanctuarisez la carte administrative française, vous faites la part belle au Sénat, vous restez méfiants vis-à-vis de l'expression des citoyens. A la République des proximités, vous préférez la République des notables.

En raison du harcèlement de sénateurs de tous bords, l'intercommunalité a trouvé place dans la révision, mais uniquement à travers le droit à l'expérimentation. C'est une reconnaissance, par la petite porte, de l'idée la plus novatrice et la plus réussie de ces dernières années en matière de décentralisation... Les trois quarts des 36 000 communes sont aujourd'hui regroupées dans des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre, qui disposent de compétences étendues et de moyens considérables, et jouent un rôle majeur dans l'aménagement du territoire et la vie de nos concitoyens. Cette révision n'est-elle pas l'occasion de les reconnaître à l'article 72 ? Vous objectez que les ériger en collectivités territoriales conduirait à admettre le principe de leur élection au suffrage universel direct. Mais cette question est déjà posée régulièrement, et la majorité sénatoriale, je le rappelle à M. Devedjian, n'a pas voulu la résoudre lors de la commission mixte paritaire sur la loi « démocratie de proximité » en février dernier.

Votre timidité en matière d'intercommunalité rejoint celle que vous affichez à l'encontre des pays. Vous vous préparez à donner un coup d'arrêt à ces associations de communes lancées par la loi sur l'aménagement du territoire de M. Pasqua et développées par celle de Mme Voynet, pour la raison qu'elles font concurrence aux départements alors qu'elles étaient précisément conçues pour dépasser les périmètres rigides des collectivités territoriales et faire naître de nouveaux regroupements autour de projets.

Nous respectons les institutions locales qui s'enracinent dans l'histoire de notre pays, mais il faut aussi savoir reconnaître de nouvelles solidarités. C'est ce qu'exprimait le président de l'assemblée des communautés de France, M. Marc Censi, membre de l'UMP, lorsqu'il s'est exclamé : « Allons-nous mener la plus grande réforme de ces vingt dernières années relative à l'organisation politique et administrative de notre pays comme si le temps des territoires était suspendu depuis 1982 ? ». C'est pourtant ce qui est en train de se produire.

Votre décentralisation est tournée vers la France du passé. Elle ne prépare pas l'avenir. Elle renforce le rôle du Sénat, sans modifier ni la durée du mandat, ni le mode d'élection des sénateurs. Donner au Sénat la priorité dans l'examen des textes relatifs aux collectivités locales modifie l'équilibre constitutionnel entre les deux assemblées, et nombre de membres de votre majorité s'en sont émus.

Les rapporteurs, MM. Clément et Méhaignerie, le reconnaissent, mais ils proposent simplement de limiter la portée de cette disposition en en retirant les projets relatifs aux compétences et aux ressources des collectivités territoriales. Ce serait une nouvelle source de conflits à soumettre au juge constitutionnel, qui devrait s'assurer de l'objet principal de chaque projet. Pourquoi ne pas en rester à la règle de 1958, qui donne au gouvernement le choix de s'adresser à l'une ou l'autre des assemblées ?

Une telle contrainte a un sens dans un État fédéral comme l'Allemagne, où la chambre haute, le Bundesrat, représente les Etats de la fédération et a une légitimité concurrente à celle de l'Assemblée élue au suffrage universel. Depuis 1958, le Sénat cherche à grappiller des pouvoirs et à s'arroger un véritable droit de veto dans de multiples domaines. Il veut s'ériger en chambre des collectivités locales, ce qu'il n'est pas. L'article 24 de notre Constitution doit être lu comme simple règle de droit électoral, précisant la façon dont les sénateurs doivent être élus, et non comme une définition de la fonction institutionnelle du Sénat.

Celui-ci ne peut être défini comme la chambre de la décentralisation ou des pouvoirs locaux, ni comme la chambre des libertés locales. Il a d'ailleurs été le premier foyer de résistance au mouvement de décentralisation. En 1981-82, bien sûr, mais aussi, sous le septennat de M. Giscard d'Estaing, quand la réforme Bonnet s'est littéralement enlisée pendant dix-huit mois, au point de ne pouvoir être adoptée avant l'élection présidentielle de 1981.

Je m'étonne d'ailleurs que le Premier ministre, hier, n'ait pas rappelé que, dans « Pour une nouvelle gouvernance », il s'était prononcé pour une réduction de la durée du mandat des sénateurs à six ans, en contrepartie d'une réforme en matière de compétences législatives. Apparemment, il n'en est plus question. Vous envisagez même de revenir sur l'élection à la proportionnelle à partir de trois sénateurs, qui est gage d'une représentation pluraliste.

Dans votre projet, vous avez également détourné la demande de démocratie participative. Droit de pétition et référendum sont conçus comme des instruments au service des élus.

L'encadrement du droit de pétition par le Sénat a bien montré l'hostilité des élus locaux de la majorité à l'égard des consultations populaires. On est loin des envolées lyriques du Premier ministre, qui dans son ouvrage précité, prônait une intervention régulière des citoyens dans le débat public, en écrivant : « A l'échelon local, le référendum d'initiative populaire et la communication interactive doivent accompagner des élus qui ne pourront plus ainsi se replier sur la légitimité de leur seule élection ».

M. Claude Goasguen - Mais vous, vous avez donné ce pouvoir au peuple ?

M. Jean-Jack Queyranne - Attendez nos amendements !

Nous proposerons de rendre toute sa force au référendum d'initiative locale en précisant que si la moitié des électeurs inscrits a participé au scrutin, la délibération approuvée soit directement adoptée.

Dans les dispositions concernant l'outre-mer, je retrouve les grandes liges des évolutions que le gouvernement de la gauche a engagées. Avant les dernières élections, la droite a entretenu beaucoup d'ambiguïtés sur ses intentions, flattant les indépendantistes ici, attisant les peurs des ultras ailleurs.

De nombreux points restent cependant à préciser. Ainsi, La Réunion souhaite demeurer dans le cadre de l'article 73, qui organise l'assimilation législative. C'est pourquoi je ne comprends pas que le Sénat ait adopté un amendement de suppression, auquel s'est d'ailleurs opposée, avec raison, notre commission des lois. Pourquoi les Réunionnais ne pourraient-ils plus recevoir une habilitation législative pour tenir compte des problèmes particuliers de leur île, par exemple dans le secteur du logement ? Evitons une rigidité excessive.

La loi d'orientation du 13 décembre 2000 a ouvert le chantier de l'évolution institutionnelle des DOM en refusant de céder à la tentation de solutions toutes faites et en donnant la parole aux élus. Cette évolution institutionnelle devait intervenir à l'initiative des collectivités et pouvait conduire à un statut « à la carte ». Dans chaque département français d'Amérique, la loi a permis la création d'un congrès des élus départementaux et régionaux. Ces congrès ont formulé des propositions statutaires. Partout, la procédure a été transparente et démocratique. Or, il n'y est plus fait référence.

De plus, le dernier alinéa de l'article 73 limite la consultation des citoyens à la création d'une collectivité nouvelle ou d'une assemblée unique. Les citoyens d'outre-mer perdront la possibilité de s'exprimer sur les pouvoirs et les compétences dont elles pourraient être dotées.

Lors du référendum de 2000, les Mahorais se sont prononcé sur un accord politique et sur un projet de loi détaillé. Aujourd'hui, il n'est nulle part indiqué sur quelle base le Gouvernement et le Président de la République prendront la décision de lancer la consultation de la population. Je le regrette.

Après l'échec du projet de révision constitutionnelle, voté à la quasi-unanimité par les deux assemblées, mais qui n'avait pu aboutir faute de convocation du Congrès en janvier 2000, la Polynésie française trouve son compte de votre révision, avec trois ans de retard. Je n'en dirai pas autant de la Nouvelle-Calédonie, puisque la précision qui devait être apportée sur la composition du corps électoral n'est pas retenue. La ministre de l'outre-mer nous a expliqué en commission qu'il fallait attendre la décision de la Cour européenne saisie de ce contentieux.

M. Christian Paul - Quelle erreur !

M. René Dosière - Mme Girardin renie la signature de la France !

M. Jean-Jack Queyranne - En effet. Le recours a été introduit dès 1998. Le gouvernement précédent, avec l'accord du Président de la République, avait engagé la révision constitutionnelle. C'est le respect de la parole donnée qui est en cause.

L'accord de Nouméa, auquel j'ai contribué comme ministre, repose sur un équilibre fragile et sur un acte de foi en l'avenir. Je crains qu'en Nouvelle-Calédonie, cette omission ne soit ressentie comme un recul grave (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Au total votre projet de révision constitutionnelle est très largement insatisfaisaisant. Les vrais décentralisateurs ne peuvent pas s'y reconnaître. Trop d'ambiguïtés demeurent. Pour reprendre l'interrogation du professeur Yves Meny, après « les lois bavardes », y aurait-il « des constitutions bavardes » ? Derrière des concepts flous empruntés à la rhétorique libérale, s'agit-il d'orchestrer une cacophonie propice à la loi des plus forts et au zèle des plus obéissants ? S'agit-il d'affaiblir l'Etat et les services publics ? S'agit-il de mettre le territoire sans dessus dessous, avec des régions à géométrie variable ? Ou s'agit-il plus simplement d'une opération de communication qui s'éteint à petit feu ?

Les interrogations ne sont pas seulement à gauche. Le trouble est dans votre majorité ; nombre de ses membres l'ont exprimé hier, même si leur expression était corsetée par la contrainte majoritaire (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). La décentralisation, patrimoine commun de tous les républicains, mériterait bien mieux. Pour toutes ces raisons, le renvoi en commission me paraît justifié. Je vous invite à le voter (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Patrick Devedjian, ministre délégué aux libertés locales - Je réponds sans avoir entendu la totalité de l'intervention de M. Queyranne, auquel je demande de m'en excuser. Je reviens également sur quelques points soulevés hier.

A propos de la loi de finances, le Gouvernement a été accusé de n'avoir pas voulu favoriser la péréquation. Ce n'est pas exact. Il a maintenu pour 2003 l'exécution du contrat de croissance et de solidarité et l'enveloppe normée augmente à cet effet de 567 millions d'euros. La DSU augmente de 3 %, soit 130 millions , et la DSR de 1,5 %, soit autant que l'inflation.

M. Augustin Bonrepaux - Elle n'augmente donc à peu près pas !

M. le Ministre délégué - La péréquation, vous le savez, porte sur environ 15 % de la DGF. Nous n'avons pas réellement de leçons à recevoir sure ce sujet, Monsieur Dosière !

M. René Dosière - Peut-être pas de leçons, mais enfin...

M. le Ministre délégué - La gauche a fait une partie du chemin, la droite en a fait une autre (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Ainsi, le gouvernement Balladur a réformé et forfaitisé la DGF en septembre 1993. La loi Pasqua de février 1995 a créé le FNPTP. Le gouvernement Juppé, en 1996, a modernisé la DSU et institué le fonds de solidarité des communes pour la région Ile-de-France (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Augustin Bonrepaux - Pas du tout !

M. René Dosière - Il l'a seulement corrigé !

M. le Ministre délégué - On le voit, la DGF est un produit de l'histoire, et sa répartition est très inégalitaire. Prenons le cas de deux communes très comparables : à Douvrin, dans le Pas-de-Calais, 4,16 € par habitant ; à Saint-Bon-Tarentaise, en Savoie, 522 € par habitant. Il n'y a pas besoin d'aller chercher à Neuilly...

M. René Dosière - Ce n'est pas mal non plus ! Mieux qu'Antony en tout cas ! (Sourires)

M. le Ministre délégué - Aussi le Gouvernement a-t-il raison de vouloir inscrire dans la Constitution l'obligation de la péréquation.

Non, l'expérimentation ne sera pas pratiquée à la carte, ni sans contrôle. Elle aura lieu sur un espace, pour une durée et avec un objet limités ; elle se fera sur la base du volontariat, sera réversible et évaluable, et sera autorisée et finalisée par le Parlement. Ces conditions, vous le voyez, sont très rigoureuses.

Sur les EPCI, le Gouvernement estime que, le processus d'intercommunalité étant en plein développement, il serait inéquitable de changer les règles du jeu. 28 000 communes sur 36 000 sont entrées dans l'intercommunalité. Il nous paraît loyal d'attendre que le processus parvienne à son terme.

S'agissant de l'élection des conseils de communauté au suffrage universel, vous avez dit, Monsieur Queyranne, que l'ancienne majorité, en CMP y avait renoncé pour ne pas rompre le compromis réalisé avec le Sénat.

M. René Dosière - C'est vrai. J'y étais.

M. le Ministre délégué - Je ne discute pas le fait. Cela signifie que vous avez accepté l'équilibre avec le Sénat... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Pierre Balligand - C'est contractuel !

M. le Ministre délégué - ...et vous avez eu raison.

Votre animosité récurrente envers le Sénat.. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Guy Geoffroy - Aggravée !

M. le Ministre délégué - ...est plutôt amusante. De 1958 à 1969, quand il était le bastion de l'opposition au général de Gaulle, vous lui trouviez toutes les qualités ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Maintenant qu'il ne vote plus selon les v_ux du parti socialiste, il est pestiféré ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. René Dosière - Le Sénat n'a jamais été socialiste !

M. le Ministre délégué - D'ailleurs, il est arrivé aussi à des gouvernements de gauche de saisir le Sénat en premier. Nous mettons simplement cette pratique en cohérence avec l'article 24 de la Constitution qui fait du Sénat le représentant des collectivités territoriales (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. André Chassaigne - C'est laborieux !

M. le Ministre délégué - Il est très exagéré de parler d'un bouleversement de l'équilibre institutionnel, dès lors que l'Assemblée conservera le dernier mot. Inutile, donc, de pousser des cris d'orfraie parce que le Sénat sera quelquefois consulté en premier.

M. René Dosière - Pas quelquefois : toujours !

M. le Ministre délégué - Toujours sur des textes relatifs aux collectivités locales. Mais même dans ce cas, l'Assemblée conservera le dernier mot.

Enfin, Monsieur Queyranne, vous avez cru bon de vous moquer de la liberté d'expression de la majorité. Vous n'en avez peut-être pas l'habitude, nous si ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) L'UMP et l'UDF ne sont pas des casernes, chacun peut y exprimer sa différence. Mais lors des votes, cette majorité se retrouve profondément unie. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Pascal Clément, président et rapporteur de la commission des lois - On nous a d'abord expliqué, ce qui ne manquait pas de sel, qu'il était inconstitutionnel de réformer la Constitution (sourires sur les bancs du groupe UMP), puis, de façon moins épicée, qu'il n'y avait pas lieu de délibérer. Maintenant ceux qui, je le suppose, n'ont pas eu le temps de venir toujours en commission, souhaitent une session de rattrapage. Pourtant toutes les objections présentées ont été examinées et, si nécessaire, approfondies. Sur l'article 4, par exemple, je ne me souviens pas que la commission ait essayé de gagner du temps.

Vous parliez de mépris à l'égard de l'opposition. Mais vous souvenez-vous du comportement de Mme Guigou ? Quand nous l'interrogions, nous n'obtenions ni réponse ni même regard. Elle lisait.

M. Charles de Courson - Elle lisait des romans !

M. René Dosière - Si c'est condamnable, pourquoi faites-vous de même ?

M. le Rapporteur - Justement, nous ne le faisons pas. Mais nous avons vraiment été humiliés par certains membres du gouvernement précédent.

Ne voulant pas tomber dans l'éternel travers socialiste, je ne ferai pas de leçon de morale, mais le rôle de l'opposition est de proposer et de construire. Or, dans ces trois motions, vous avez été uniquement négatifs.

L'unité de la République, nous y sommes tous attachés. La solution que nous proposons consiste à mettre au même niveau, mais dans un ordre précis, l'Etat unitaire et son organisation décentralisée, comme c'est le cas dans la Constitution italienne.

M. René Dosière - Notre histoire n'est pas la leur.

M. le Rapporteur - Mais notre avenir est commun dans l'Union européenne. La France est déjà atypique en étant unitaire, elle serait à des années-lumière des autres si son organisation n'était pas décentralisée, c'est-à-dire moderne. Mais ne nous faites pas de procès d'intention : en particulier, je le montrerai le moment venu, le principe de subsidiarité ne s'applique pas ici, sinon nous en serions à l'Etat fédéral.

Vous distinguez aussi péréquation et solidarité. Il va de soi que la péréquation a pour objectif la solidarité, et les dotations accordées aux communes en loi de finances le sont en fonction de tels critères. Il est évident que la commune pauvre du Pas-de-Calais et la commune riche de Savoie citées par le ministre ne reçoivent pas la même DGF, la même DGD, la même DGE. A l'organisation décentralisée, nous ajoutons la péréquation, concept qui, comme l'a rappelé le Premier ministre, fondait les contrats de plan institués par M. Rocard. Ceux-ci ont d'ailleurs connu une dérive qui a atteint son maximum lors du dernier contrat de plan. Dans mon département, 97,5 % des opérations prévues relèvent de la compétence des collectivités territoriales, 2,5 % de celle de l'Etat. La région a signé un transfert de charges massif, financé par d'autres qui n'ont même pas signé. Si vous vouliez tuer les contrats de plan, c'est fait !

Tout cela va coûter cher, dites-vous, et de nous donner en exemple la loi Chevènement sur l'intercommunalité. Elle fonctionne bien, c'est vrai (M. François Goulard conteste), car elle répond aux deux besoins constants de la décentralisation : cohérence et proximité. Mais pour ce qui est du recrutement du personnel, les distorsions sont quand même énormes : la communauté de communes que je préside fonctionne avec 1,5 poste, une communauté voisine qui comporte trois communes de plus en compte avec 42 !

M. René Dosière - C'est la libre administration des collectivités...

M. le Rapporteur - Si c'est çà la libre administration, c'est tout et son contraire. En tout cas, à défaut de l'adopter dans le projet constitutionnel, je souhaite que l'on retienne dans la loi organique l'amendement de M. de Courson sur le transfert des personnels, pour ne pas répéter l'erreur de 1982, quand, les syndicats de fonctionnaires n'ayant rien voulu changer, les collectivités ont simplement recruté des agents supplémentaires. Vous qui nous mettez tellement en garde contre le coût de cette réforme, vous ne pourrez pas être contre cet amendement .

Enfin, puisque vous avez voulu ramener le débat à un aspect accessoire - on comprend bien la portée que je donne à ce terme - un mot sur le Sénat. Vous avez fait un procès indigne au Premier ministre. Mais le Gouvernement n'a fait que reprendre une disposition figurant dans une proposition de loi du Président Poncelet et des présidents de groupe de ce qui était alors l'opposition. De toute façon, traditionnellement ce type de projets était déjà soumis en premier au Sénat.

Plusieurs députés socialistes - Justement !

M. le Rapporteur - Pourquoi le mettre dans la Constitution ? Deux approches sont possibles quant au mode de scrutin des sénateurs : soit il s'agit simplement d'une deuxième chambre, élue peu importe comment, soit elle est élue différemment parce que son rôle est lui-même différent. Dans ce cas-là, il n'est pas anormal que la Constitution consacre sa spécificité. Personne ne souhaite qu'il y ait, en France, deux Assemblées nationales, et j'ose espérer - je m'adresse là à M. Montebourg en particulier - que vous ne souhaitez pas l'institution d'un système monocaméral ? (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste)

M. Arnaud Montebourg - Nous voulons un Sénat démocratique !

M. le Rapporteur - Le système monocaméral n'est pas, en effet, la meilleure des garanties démocratiques : les foucades qu'une majorité du moment est susceptible d'avoir justifient l'existence d'une « chambre de réflexion ». Si nous sommes donc d'accord pour conserver le bicamérisme, nous sommes d'accord sur l'essentiel. Pourquoi, alors, donnez-vous l'impression d'adopter une attitude systématiquement négative, quand la contribution de l'opposition, sur un sujet aussi essentiel, pourrait être importante ?

M. Queyranne a fait référence au vote du Congrès sur le statut de la magistrature. Nous y avons contribué quand nous étions dans l'opposition ; j'appelle l'opposition d'aujourd'hui à avoir le même comportement responsable.

M. Jean-Jack Queyranne - C'était un engagement de Jacques Chirac !

M. le Rapporteur - Nous avions également appelé à voter « oui » au référendum sur la Nouvelle-Calédonie ; soyez, comme nous, constructifs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Emile Blessig - Nous sommes tous d'accord sur le principe de la décentralisation, et nous sommes tous d'accord pour dire qu'en vingt ans, le monde, l'Europe et la France ont changé. Au printemps dernier, nous avons tous constaté la difficile situation de notre pays. Aussi avons-nous apporté des réponses à la hauteur de l'enjeu. La motion de renvoi en commission le permet-elle ? Non, répond le groupe UDF (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe socialiste). Je veux dire : le groupe UMP, mais vous savez qu'on ne peut renier ses origines... (Sourires)

Le Gouvernement propose une nouvelle démarche globale, dont ce texte n'est qu'une étape. M. Queyranne a introduit la confusion en disant que l'ordre d'examen des textes n'était pas le bon.

Si nous avions commencé par les dispositions ordinaires, vous nous auriez dit qu'il fallait d'abord définir le cadre, puis décliner les applications.

M. Jean-Pierre Brard - Picasso peignait d'abord ses tableaux, et achetait le cadre après ! (Sourires)

M. Emile Blessig - Nous apportons de nouvelles modifications au cadre : un nouvel équilibre constitutionnel autour des concepts de liberté, de solidarité, de proximité et de solidarité. Vous craignez, dites-vous, des dérives fiscales. Mais que faites-vous de la responsabilité des élus locaux, du contrôle démocratique du respect de leurs engagements ? Vous donnez le sentiment de vouloir des élus locaux sous tutelle, quand le moment est venu de libérer les énergies !

Cette réforme est urgente ; le pays s'impatiente (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Brard - Tu parles !

M. Emile Blessig - Nous voulons, dans les lois ultérieures, élargir le champ en ce qui concerne les transferts de compétences, la réforme de l'Etat et celle des collectivités locales. Nous en débattrons le moment venu.

M. Jean-Pierre Brard - Avec une telle équipe de godillots ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. Emile Blessig - Le groupe UMP ne votera pas la motion de renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. André Chassaigne - Il est indispensable de retourner devant la commission.

Les différentes interventions d'hier - je ne fais pas allusion à la litanie des « béni-oui-oui » qui se sont répandus en effets de manche stériles, le doigt sous la couture du pantalon (Exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) -, ont montré combien ce texte met en cause l'architecture même de la République, comme certains, parmi vous, l'ont compris. On ne peut se contenter de voter en tirant purement et simplement un trait sur la démocratie ! (M. Montebourg applaudit) Nous assistons à une marche forcée - sera-t-elle de cent jours ?  - qui ne peut conduire qu'au Waterloo de la démocratie (Exclamations sur les bancs du groupe UMP).

Il n'est pas possible de modifier la Constitution sans qu'aient été consultés les conseils municipaux, généraux, régionaux - les quelques grand-messes des assises locales ne suffisent pas - ni sans que la parole soit donnée au peuple - mais vous ne voulez pas sa réflexion. Vous n'avez pourtant que le « local » et la « proximité » à la bouche ! Votre façon d'agir est lamentable ! (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

Sur le fond (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP), vous vous croyez dans le secret des dieux parce que le Premier ministre vous a communiqué quelques éléments, mais vous vous apprêtez à voter un texte dont personne ne connaît les futures conséquences. Comme aiment à le dire les Auvergnats, « on n'achète pas un âne dans un sac » ! (Sourires)

Les réponses du Gouvernement sont contradictoires. Lorsque certains s'inquiètent, y compris dans les rangs de la majorité, du privilège conféré au Sénat par l'article 3, on leur répond que le rôle des collectivités territoriales n'est que marginal, mais le texte vise précisément à l'accroître ! Non, on ne doit pas voter la loi à la hussarde ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur les bancs du groupe socialiste).

M. Charles de Courson - La gauche fait en 2002 ce qu'avait fait, en 1982, l'opposition de l'époque, c'est-à-dire une grave erreur celle de s'opposer à un mouvement de décentralisation, auquel elle est pourtant, dans sa grande majorité, favorable (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Nous perdons du temps avec tous ces procès d'intention, qui ne grandissent pas l'image du Parlement (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP). Je vais vous en donner trois exemples.

Tout d'abord, on nous fait un mauvais procès sur la République « une et indivisible ». Qui a jamais proposé d'y mettre fin ? Si j'étais méchant, je rappellerais le vote de nos collègues de gauche sur la Corse ! Beaucoup d'entre eux étaient défavorables au nouveau statut, seul M. Zuccarelli a eu le courage de dire non, et il est parti.

M. le Rapporteur - Il n'est pas parti, il a été viré !

M. Charles de Courson - Deuxième exemple : la péréquation. Qu'avez-vous fait pour elle en cinq ans ?

M. Augustin Bonrepaux - La DSU !

M. Charles de Courson - C'était avant ! Vous reconnaissez vous-même, mon cher collègue, en tout cas en commission, que même la péréquation est extrêmement faible, par rapport aux 300 milliards de dotations et de compensations diverses.

M. Augustin Bonrepaux - C'est nous qui avons tout fait ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

M. Charles de Courson - Monsieur Bonrepaux, ces excès de langage n'honorent pas la représentation nationale ! Je vous rappelle que la décentralisation n'a de sens que si tous les élus, de tous bords, la font fonctionner. Vous aggravez le sentiment que les débats qui ont lieu dans cet hémicycle sont déconnectés de la réalité.

M. Jean-Pierre Brard - C'est pourtant vrai !

M. Charles de Courson - Troisième illustration : puisque vous faites une fixation sur le Sénat, adoptez donc l'amendement de M. Méhaignerie, qui répond à toutes les objections que vous avez pu soulever !

Dans ces conditions, vous ne vous étonnerez pas que le groupe UDF vote contre le renvoi en commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP).

M. Augustin Bonrepaux - Je ne sais pas si vous vous rendez compte qu'il s'agit de modifier la Constitution (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) et que chaque mot pèse lourd. Certains s'enflamment, comme notre rapporteur, mais ils ne répondent pas aux vraies questions. Quant à M. de Courson, il n'était pas là hier et n'est donc guère autorisé à nous répondre aujourd'hui.

M. Charles de Courson - J'étais là à minuit passé, quand vous n'y étiez pas !

M. Augustin Bonrepaux - Chaque mot de la Constitution, disais-je, doit être pesé et mesuré. Si nous laissons ce soin au seul Conseil constitutionnel, nous allons vers de graves difficultés !

Sur l'article 3, par exemple, je regrette que vous n'ayez pas mieux lu l'excellent rapport de M. Méhaignerie. Il vous aurait convaincu que des risques existent, et qu'il faut s'assurer de les avoir tous supprimés avant d'adopter ce texte. Cet article va en effet déposséder notre assemblée d'une partie de son droit d'initiative. Accepteriez-vous vraiment qu'une proposition de loi dont vous seriez les auteurs soit discutée en premier lieu au Sénat ? La commission doit s'interroger sur la portée de chacune des dispositions de l'article 3 et, s'il n'en reste finalement rien, quel utilité de le maintenir.

D'autres passages nécessitent une explication précise, voire une nouvelle formulation, mais les points que j'ai soulevés n'ont toujours pas reçu de réponse ! Ainsi, en ce qui concerne le transfert des ressources, on nous explique que seront transférés les moyens qui « étaient » consacrés à l'exercice des compétences correspondantes.

M. François Goulard - C'est une obsession !

M. Augustin Bonrepaux - Or, ainsi que le souligne M. Méhaignerie, le code des collectivités locales prévoit le transfert des ressources « nécessaires » à l'exercice normal de ces compétences. Comment articuler ces deux dispositions ? Laisserez-vous l'appréciation au Conseil constitutionnel ? Selon quels critères tranchera-t-il ? Cela mérite une réflexion approfondie en commission.

L'article 3 fait l'objet d'amendements des deux commissions.

Plusieurs députés UMP - Toujours la même chose !

M. Augustin Bonrepaux - Cela ne mérite pas une discussion ?

M. Bernard Accoyer - Vous recommencez toujours la même !

M. Augustin Bonrepaux - On ne peut plus parler, dans cet hémicycle ! En tout cas, on ne peut pas être entendu (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Mme la Présidente - Veuillez poursuivre, Monsieur Bonrepaux.

M. Augustin Bonrepaux - Madame la Présidente, il n'y avait personne au banc de la commission pour écouter l'orateur communiste qui s'est exprimé tout à l'heure !

M. Jean-Pierre Brard - Le rapporteur est là maintenant, mais il ne vous écoute pas plus !

M. Augustin Bonrepaux - Je ne continuerai que lorsque mes collègues voudront bien m'écouter.

Mme la Présidente - Monsieur Bonrepaux, vous approchez du terme de vos cinq minutes.

M. Augustin Bonrepaux - Mais je n'ai pas terminé ! Le mot « déterminant » est-il quantifiable ? En laisserez-vous l'appréciation au Conseil constitutionnel ? En fonction de quoi se prononcera-t-il ? C'est le président de la commission des finances lui-même qui s'en inquiète !

Enfin, vous parlez beaucoup de péréquation, et celle-ci figure, entre autres, dans la Constitution italienne. Mais il faut préciser sa portée !

Plusieurs députés UMP - Faites-le taire !

M. Augustin Bonrepaux - La loi Pasqua, que vous avez votée, mentionne un indice...

M. Bernard Accoyer - Ce n'est pas le débat !

Mme la Présidente - Monsieur Bonrepaux, veuillez conclure.

M. Augustin Bonrepaux - Toutes ces raisons justifient le renvoi en commission, car un texte bâclé aurait de graves conséquences sur le fonctionnement de l'Assemblée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Mme la Présidente - Sur la motion de renvoi en commission, je suis saisie par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.

A la majorité de 85 voix contre 31 sur 117 votants et 116 suffrages exprimés, la motion de renvoi n'est pas adoptée.

M. le Rapporteur - Je voudrais faire un rapide rappel au Règlement, en demandant à M. Bonrepaux et à ses collègues de ne pas attaquer la commission.

M. François Loncle - Sur quel article, ce rappel au Règlement ?

M. le Rapporteur - Vous arrivez à l'instant, peut-être me laisserez-vous terminer mon propos ? (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) C'est insupportable ! Madame la Présidente, certains veulent empêcher le déroulement normal de la séance.

Mme la Présidente - La commission a le droit d'intervenir à tout moment, mes chers collègues.

M. le Rapporteur - Il peut arriver que le banc de la commission soit vide pendant quelques secondes, pour des raisons techniques, mais je peux vous assurer, entre autres, que le « Waterloo de la démocratie » de votre collègue communiste ne m'avait pas échappé...

Monsieur Bonrepaux, j'aurais pu employer exactement ce même type d'argument à votre endroit en ce qui concerne le renvoi en commission, mais j'ai eu la courtoisie de ne pas le faire. Essayez de maintenir le débat au même niveau.

Quant à ceux qui veulent donner des leçons alors qu'ils n'ont participé ni au travail en commission, ni au débat en séance, je leur conseille de rester chez eux, ou d'avoir la politesse d'écouter les autres (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Augustin Bonrepaux - Ils ne comprennent rien, mais ils applaudissent ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

Mme Ségolène Royal - Nous allons commencer la discussion des articles, qui va demander de nombreuses heures, de jour comme de nuit. Je voudrais donc faire un rappel au Règlement relatif au déroulement de nos travaux.

Les députés socialistes ont l'intention d'exercer leurs responsabilités, pour lesquelles ils sont rémunérés par les contribuables et en particulier leur droit d'amendement. Hier, nous avons perçu une contradiction entre ce que nous avait dit, en commission, son président et rapporteur, et ce que nous disait le Premier ministre à la tribune. Ce dernier s'est d'ailleurs fâché, mais si nous faisons parfois preuve de vivacité dans le débat, c'est qu'il s'agit de rien moins que notre loi fondamentale !

M. Clément, qui a beaucoup de qualités dont la franchise, a déclaré devant la commission des lois que tout amendement serait malvenu, y compris les amendements de la majorité. « Nous ne sommes pas là pour tergiverser » a-t-il déclaré, ce qui est tout de même étonnant s'agissant du législateur constitutionnel. Votre objectif est d'aboutir à un texte conforme à celui du Sénat.

M. le Rapporteur - C'est sûr !

Mme Ségolène Royal - Mais il y a une procédure, il y a une navette !

Vous souffrirez que l'Assemblée nationale souhaite une deuxième lecture.

Allez-vous demander à vos amis de se taire ? Ou bien allez-vous respecter le droit d'amendement de l'Assemblée nationale, et en particulier du groupe socialiste, qui ne souhaite pas avoir la même attitude d'opposition systématique que l'opposition de 1982 ? Nous proposons la réécriture de plusieurs articles et un certain nombre de républicains peuvent se retrouver sur nos amendements qui pour certains, d'ailleurs, reprennent ceux que vos amis du Sénat ont été priés de retirer. Monsieur le ministre délégué, le Gouvernement compte-t-il refuser tous les amendements ?

Plusieurs députés UMP - Ce n'est pas un rappel au Règlement !

M. François Goulard - Le ministre n'est pas responsable du déroulement de nos débats.

Mme Ségolène Royal - Je vous mets en garde contre un tel sectarisme, Monsieur du Buisson de Courson, mon groupe a besoin d'éclaircissements.

M. le Rapporteur - Je ne veux pas alimenter la polémique.

Chère Madame Royal, j'ai sous les yeux le compte rendu de nos travaux en commission. Si vous y trouvez les propos que vous me prêtez, je suis prêt à faire des excuses publiques. Je n'ai jamais dit qu'il ne fallait pas amender le texte du Gouvernement. En amont de la discussion, dans un journal national, j'ai simplement déclaré ce qui est pour moi une série de lapalissades : « La loi constitutionnelle doit être concise. Elle demande une grande précision dans les termes, ce qui oblige le Parlement à amender moins que s'il examinait une loi ordinaire, car la Constitution ne doit pas être bavarde » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Peu d'amendements ont été acceptés pour ces raisons de fond, mais je ne remets nullement en question le droit d'amendement de l'Assemblée. C'est heureux d'ailleurs, car dans le cas contraire, je ne vois pas ce que je ferais à la place qui est la mienne (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Jean-Pierre Brard - Rappel au Règlement !

M. René André - Sur quel article ?

M. Jean-Pierre Brard - Je comprendrais la question venant d'un novice, mais elle est indigne de vous. D'ailleurs, Madame la Présidente sait bien sur quel article je me fonde (Sourire).

Nous discutons d'un texte important que vous voudriez faire adopter à l'esbroufe. Pour remplir notre mandat, nous sommes obligés d'utiliser toutes les ressources de la procédure. C'est un texte gravissime, que vous nous présentez comme banal.

Il ne suffit pas de s'exprimer avec son c_ur, comme a dit le faire le Premier ministre pour se justifier de ne rien avoir préparé, il faut parler avec sincérité.

M. Clément n'a pas pu entendre ce qui s'est dit à la commission des finances.

M. le Rapporteur - Vous ne pouvez pas me faire ce reproche, en effet !

M. Jean-Pierre Brard - C'est vous qui faites des reproches à vos collègues, comme si vous aviez le don d'ubiquité.

Voici ce qu'a dit le rapporteur général : « Cet article 3, si on avait pu s'en passer ! »

Quant au président de la commission des finances, c'est un homme habile. S'il avait été vénitien au temps des doges, on l'aurait vu près du pont des Soupirs, expliquer aux condamnés allant à leur exécution que certes ils n'étaient pas coupables, mais qu'il fallait bien se soumettre et que les derniers sacrements qu'il allait leur administrer leur permettraient de rejoindre l'Au-delà de façon confortable (Sourires).

M. François Goulard - Vous préférez le vocabulaire des purges !

M. Jean-Pierre Brard - Je suis sûr que vous reconnaissez, dans ce portrait amical, le président de la commission des finances.

La majorité est en train de faire un 18-Brumaire, sans les uniformes (Protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

Nous avons le devoir d'éclairer l'opinion.

Je vois que Mme Joissains-Masini, dont la culture est encyclopédique, demande à son voisin de quoi je parle.

Mme Maryse Joissains-Masini - Mufle !

M. Jean-Pierre Brard - Vous souhaitez qu'un texte conforme soit vite voté par le Sénat, parce que vous avez peur de l'expression populaire. Il ne vous suffit pas que le Sénat soit toujours à droite : vous voulez lui donner un droit de veto ! Votre refus du référendum en dit long sur vos intentions.

M. Charles de Courson - Rappel au Règlement. Monsieur Brard, certains ont ri de vos propos sur Pierre Méhaignerie, mais je ne crois pas qu'ils améliorent la qualité du débat, pas plus que ceux de Mme Royal à mon égard.

Venons-en au fond. C'est en débattant comme vous le faites qu'on laisse croire à l'opinion que le Parlement ne sert pas à grand-chose.

M. Jean-Pierre Brard - Si ce texte est voté, il ne servira plus à rien !

Mme Maryse Joissains-Masini - Rappel au Règlement, Madame le Président...

M. Jean-Pierre Brard - On dit : « Madame la Présidente »...

Mme Maryse Joissains-Masini - Je m'exprime comme je l'entends : Madame le président, chaque fois que je viens ici, je suis interpellée par un très grossier personnage.

Mme la Présidente - Il s'agit de M. Brard ?

Mme Maryse Joissains-Masini - Vous avez très bien reconnu ce grossier personnage. J'appartiens à une génération qui respecte les dames. Si ma culture n'est pas encyclopédique, j'ai cependant fait avancer le droit de la responsabilité en combattant le Gouvernement que ce monsieur soutenait, qu'il s'agisse du sang contaminé ou de l'amiante. Je n'ai peut-être pas de lettres, mais je connais parfaitement mon boulot d'avocat et mon boulot de maire !

Monsieur, j'attends un autre comportement des élus de la nation !

M. Jean-Pierre Brard - C'est l'hommage du vice à la vertu !

Mme la Présidente - J'appelle maintenant les articles du projet de loi constitutionnelle dans le texte du Sénat.

ARTICLE PREMIER

Mme Ségolène Royal - L'article premier de la Constitution est le pilier de l'édifice républicain. Y toucher suppose un consensus républicain et le vote unanime de l'Assemblée nationale. Or, au Sénat déjà, de profonds désaccords sont apparus, la commission des lois estimant qu'il valait mieux modifier l'article 72 de la Constitution.

Vous aviez auparavant été rappelés à l'ordre par l'assemblée générale du Conseil d'Etat, qui souhaitait disjoindre le principe de l'organisation décentralisée de la République de l'article premier afin de ne pas le mettre sur le même plan que les principes d'égalité, de démocratie, de laïcité et d'indivisibilité. Procéder autrement pourrait amener le Conseil constitutionnel à décider un jour que le principe de décentralisation prime sur les autres.

S'il ne s'agit que de la libre administration des collectivités locales, ce principe figure déjà aux articles 34 et 72 de la Constitution. S'il s'agit d'opposer un Etat unitaire décentralisé au modèle fédéral, le silence convient mieux que la formulation proposée à la situation de certaines collectivités locales d'outre-mer.

Nous sommes partisans de la décentralisation, mais nous attendons des éclaircissements. C'est d'une mutation de notre loi fondamentale qu'il s'agit (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. François Goulard - Contrairement ce qu'elle déclare, l'opposition n'est pas décentralisatrice.

Je crois, chers collègues de gauche, que votre passion de l'uniformité vous empêche d'accepter qu'on laisse la place à l'initiative et à la liberté locales. Sans doute êtes-vous déchirés car en tant qu'élus locaux, vous êtes comme nous confrontés aux absurdités de la centralisation, source d'infantilisation.

Monsieur le ministre, nous attachons un prix considérable à la réforme en cours, mais il faut absolument que l'accroissement des pouvoirs locaux s'accompagne d'une diminution des pouvoirs des fonctionnaires de l'Etat : réforme de la décentralisation et réforme de l'Etat doivent aller de pair.

Il faut montrer qu'on fait confiance aux collectivités locales. La décentralisation de 1982-1983 leur avait surtout permis de dépenser, nettement moins de décider ; ainsi en va-t-il pour la formation professionnelle, compétence reconnue aux régions, mais pour laquelle l'Etat maintient une réglementation extraordinairement vétilleuse.

Un point me paraît essentiel : le contrôle de légalité qui entraîne un formidable gaspillage d'énergie. Dans chaque département des dizaines de fonctionnaires se consacrent à examiner tous les actes des collectivités locales, et nous passons nous-mêmes beaucoup de temps à répondre à des observations subalternes. Si donc la manière dont l'Etat se comporte vis-à-vis des collectivités locales n'évolue pas sensiblement, il n'y aura pas de véritable décentralisation. Notre attente concernant les compétences des collectivités locales se double d'une attente au moins aussi forte d'une évolution de l'Etat (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Victorin Lurel - Notre République est égalitaire et unitaire, cela ne se discute pas, mais elle est aussi diverse. Ne pourrait-on intégrer cette dimension à l'article premier ? De même qu'en matière de religions l'équilibre est assuré par la notion de laïcité, un équilibre doit être assuré entre l'unité et la diversité. Jamais l'Assemblée nationale n'a évoqué ces questions jusqu'à présent, parce qu'on en a peur. Le fédéralisme américain aussi bien que les discriminations positives effraient.

M. Philippe Vuilque - L'article premier de notre Constitution, fruit de notre histoire politique, consacre la liberté, l'égalité, la laïcité et fonde notre citoyenneté. C'est un texte fort, qui a une grandeur, une noblesse, une solennité.

Certes, c'est de votre part une intention louable que de vouloir inscrire la décentralisation dans notre loi fondamentale mais le principe de libre administration des collectivités locales figure déjà aux articles 34 et 72, ce qu'a d'ailleurs rappelé utilement le Conseil d'Etat. Ensuite, la décentralisation est un principe relatif à l'organisation de notre pays. L'élever au même rang que nos principes fondamentaux, c'est les dévaloriser.

C'est aussi introduire une incertitude juridique, puisque le Conseil constitutionnel pourrait autoriser que le principe de décentralisation prévale sur les autres principes de l'article premier. Imaginons, par exemple, qu'en matière d'enseignement, on le fasse prévaloir sur la laïcité et l'égalité : ce serait inacceptable.

Enfin, la rédaction qu'on nous propose est mauvaise, car il est impossible de considérer que l'organisation de la République est, dans sa totalité, décentralisée. Le Gouvernement, le Parlement, l'organisation judiciaire, le Président de la République ne sont pas décentralisés... De même, l'organisation territoriale de l'Etat procède de la déconcentration et non de la décentralisation.

Enfin, la décentralisation implique une action. L'inscrire dans la Constitution signifierait que l'on doit en permanence décentraliser.

Si l'on souhaite consacrer pleinement l'organisation territoriale décentralisée, alors il faut rappeler que la décentralisation doit aller de pair avec l'égalité des citoyens devant le service public et l'indivisibilité de notre République. C'est l'objet de l'amendement que nous défendrons et que, Monsieur le ministre, vous seriez bien inspiré d'accepter. Nous sommes d'accord avec M. Clément sur le fait qu'il faut employer des termes précis !

M. Jean-Pierre Balligand - Le risque est celui d'un télescopage des normes constitutionnelles. Les valeurs fondamentales de notre République ne doivent pas être confondues avec son organisation.

La décentralisation, depuis vingt ans, a d'abord abouti à réduire les contrôles sur les élus locaux, même si le contrôle a posteriori continue, comme il est normal, à s'exercer.

Les communes n'ont reçu, en tout et pour tout, que des compétences en matière d'urbanisme, et encore, à condition qu'elles se soient dotées de POS.

Dès 1979-1980, la discussion au sein du parti socialiste a fait apparaître d'un côté les régionalistes, comme Pierre Mauroy et Gaston Defferre, de l'autre les départementalistes...

M. Charles de Courson - François Mitterrand !

M. Jean-Pierre Balligand - ...comme Louis Mermaz et, en effet, le futur Président Mitterrand. Au total, le grand vainqueur des lois de décentralisation, en 1982-1983, a été le conseil général. La région, alors définie comme établissement public, n'a été reconnue comme collectivité territoriale qu'en 1985, et n'a reçu que des pouvoirs limités, par exemple les lycées et l'aménagement du territoire.

Il reste beaucoup à faire pour rapprocher les citoyens des décisions qui les concernent. Le premier tour des élections présidentielles a sonné comme un avertissement sévère sur ce point. Si donc nous devons refonder sur certains points notre organisation, notre seule ligne de conduite doit être de faire comprendre aux citoyens qui fait quoi. Tout ce qui contribue à compliquer les compétences dévolues aux collectivités territoriales est une catastrophe. Or je crains que le texte proposé apporte plus de confusion que de clarification (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. René Dosière - Il est inévitable que nous soyons conduits à nous répéter quelque peu.

J'ai lu attentivement les rapports du Sénat et de l'Assemblée. j'ai même le compte rendu des débats du Sénat. J'en conclus que faire figurer à l'article premier de la Constitution que l'organisation de la République est décentralisée, est ambigu et dangereux. En effet, le possessif « son » renvoie à la République dans son entier. Or le Président de la République, le Parlement, les institutions judiciaires font partie de la République. Que signifie alors l'organisation décentralisée de la Cour de cassation ? Qu'est-ce qu'un Président de la République décentralisé, qu'un Parlement décentralisé ?

Nous sommes tous partisans, sur ces bancs, de la décentralisation, sans vouloir pour autant que l'organisation de la République dans sa totalité soit décentralisée.

C'est en fait l'organisation territoriale de la République qu'il s'agit de décentraliser. Aussi bien la commission des lois a-t-elle proposé dans un premier temps de le préciser, avant d'y renoncer. Si donc il s'agit bien de modifier l'organisation territoriale de la République, cette réforme doit être introduite au titre XII de la Constitution. La placer à l'article premier est dangereux, car c'est accorder un pouvoir souverain d'interprétation au Conseil constitutionnel. Or le Parlement n'a pas à se dessaisir de ses prérogatives au profit d'une juridiction de caractère politique.

Sommes-nous saisis d'une mesure d'organisation administrative, comme l'indique le Gouvernement dans son exposé des motifs ? Ou s'agit-il de quelque chose de plus comme le relève M. Clément dans son rapport ? « Sur le plan juridique, écrit-il, l'inscription de ce principe ne devrait pas rester sans effet sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui devra le prendre en compte au même titre que l'indivisibilité de la République et l'égalité des citoyens devant la loi ».

Ce n'est pas la même chose de poser un nouveau principe d'organisation administrative, ou de donner au Conseil constitutionnel le pouvoir de se prononcer sur l'indivisibilité de la République, l'égalité des citoyens et la République décentralisée.

Or nous devons savoir ce sur quoi nous allons voter. Puisque le Gouvernement et le rapporteur de la commission des lois ne comprennent pas le texte de la même façon, il nous faut savoir exactement ce que le Gouvernement a en vue en proposant sa rédaction. Nos amendements ont pour objet, précisément, d'éviter toute ambiguïté (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Pierre Balligand - Voilà de l'excellent roi René !

M. Augustin Bonrepaux - M. Dosière a bien montré pourquoi nous examinons le texte avec une telle attention, et je regrette que les arguments qu'on nous a opposés tout à l'heure n'aient pas été plus sérieux. Nous ne voulons pas n'importe quelle décentralisation. Quand on modifie la Constitution, il faut en mesurer les conséquences. Prenons garde à ne pas abandonner les pouvoirs que nous tenons du peuple entre les mains des juges, ce que vous ne voulez pas plus que nous. Les décentralisateurs que nous sommes ont conscience qu'un texte plus précis éviterait de laisser le champ libre à l'appréciation du Conseil constitutionnel. L'imprécision des mots crée un risque certain, et je n'ai reçu aucune réponse à ce sujet.

Le rapport de la commission des finances est excellent. Vous devriez vous en inspirer, et les deux commissions pourraient se rencontrer pour rapprocher leurs points de vue.

Pour le moment, non seulement vous dessaisissez l'Assemblée au profit du Sénat, mais vous donnez au juge constitutionnel un pouvoir d'interprétation que nous ne pouvons pas accepter.

Vous affirmez être favorables à l'intercommunalité, mais vous refusez de la laisser inscrire dans la loi : Pourquoi ? En toutes choses il faut être exact. Quand je vous dis, Monsieur le ministre délégué, que la péréquation recule, je sais de quoi je parle, et les chiffres me donnent raison.

Nous voulons que la Constitution exprime exactement ce que nous souhaitons en fait de décentralisation.

M. Émile Zuccarelli - Chacun ici se déclare favorable à la décentralisation, qu'il l'ait soutenue dès l'origine ou qu'il s'y soit rallié ultérieurement, et la défende aujourd'hui parfois avec l'ardeur du néophyte.

Une deuxième étape de décentralisation était nécessaire et attendue. Il serait injuste de soutenir que, dans l'intervalle, rien n'a été fait. Citons les lois Joxe-Marchand sur l'intercommunalité, les lois Chevènement sur les communautés d'agglomération ou de communes, le transfert à la collectivité de Corse de compétences importantes, dans le cadre de la Constitution actuelle. Si le juge constitutionnel a censuré certaines dispositions de cette loi, je ne le regrette pas.

Pour donner plus de solennité, et selon vous plus de cohérence, à cette seconde étape de la décentralisation, vous voulez l'inscrire dans la Constitution. Je respecte ce choix, assorti d'affirmations rassurantes sur la fidélité aux principes républicains. De plus, vous ne faites pas un sort particulier à la Corse comme on pouvait le redouter. Mais il s'agit ici de la Constitution, et nous devons veiller à ce qu'au détour d'une phrase, on n'introduise pas tel terme qui contredit les grands principes ou des imprécisions mettant à mal cette cohérence à laquelle le Premier ministre dit donner autant de poids qu'à l'objectif de proximité.

Or cette imprécision, vous l'introduisez dans l'article premier. A l'énoncé de principes clairs, forts et éternels, vous ajoutez la mention, qui n'est pas du même niveau, de l'organisation décentralisée. On a dit les conflits de norme qui risquent d'en découler. Si l'opposition demande de connaître dès maintenant le contenu des projets de loi organique ou de loi ordinaire, c'est bien parce que vous introduisez dans la Constitution une considération qui relève de tels projets. Vous le faites pour affirmer votre volonté ; mais la Constitution énonce des principes pérennes.

Mme la Présidente - Veuillez conclure.

M. Émile Zuccarelli - Le débat est organisé par groupes, mais un député non inscrit n'est pas moins légitime comme représentant de la nation.

Clemenceau disait à un journaliste : « Si je vois un adjectif dans votre texte, je le barre, si j'y vois un adverbe, je le mets au panier ». N'introduisez pas d'adjectifs dans la Constitution , ils sont source de divergences dans notre charte commune. A l'article 6, parler du caractère « prépondérant » des ressources propres des collectivités posera le même problème. Nous verrons ce qu'en feront les juges à l'avenir. Pour ces raisons, l'article premier ne doit pas être modifié.

M. Arnaud Montebourg - Elever au rang de principe fondamental un mode d'organisation - qui n'en est pas un par sa nature même - affaiblit les principes qui fondent le pacte républicain. Vous le faites volontairement, pour permettre au juge constitutionnel d'inverser les valeurs, et de considérer que, parfois, le principe d'égalité peut le céder à celui de l'organisation décentralisée de cette nouvelle République.

Poussant à l'absurde cette faculté de décentraliser les institutions de la République, René Dosière envisageait que le Président de la République soit décentralisé ! Ce à quoi Jean-Pierre Balligand observait avec humour que le Président de la République décentralisé, c'est le président du conseil général. Plus sérieusement, dès lors qu'il sera possible de construire des parlements locaux, se posera la question de la loi locale, et se profilera ainsi une sorte d'embryon de fédéralisme. François Goulard y voyait la satisfaction donnée enfin aux choix politiques des collectivités un peu moins soumises aux exigences de la tutelle. Cela signifie en fait l'affaissement de la loi unique que nous produisons en ce lieu.

Ce choix fondamental n'est pas assumé nettement sur le plan politique ; il reste ambigu et sournois. Des sénateurs de la majorité en ont fait l'observation. Qu'il soit bien dit dans les travaux préparatoires, auxquels le juge constitutionnel se référera, qu'il n'y a pas de consensus politique sur cette question. Le groupe socialiste est radicalement opposé à cette absence de hiérarchie entre les grands principes et un mode d'organisation, qui ouvrirait la voie à un parlementarisme local. Vous qui voulez tant donner au Sénat, il serait bon sur ce point de vous référer à ses analyses qui concordent avec les nôtres.

M. Jean-Pierre Balligand - Très bien !

M. Paul Giacobbi - Le débat pend enfin un ton qui convient mieux, et nous abordons les notions juridiques. Celle de fédéralisme demande à être approfondie. Celle de discrimination positive, évoquée par M. Lurel, n'est pas l'épouvantail qu'on prétend, et d'ailleurs le Conseil constitutionnel lui-même commence à l'envisager.

On ne fait pas une Constitution en cent jours, a-t-on dit. Mais l'Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire a été rédigé en cent jours, par Benjamin Constant de Rebecque, il est vrai, ce qui nous place à un certain niveau (Sourires).

Au fil des modifications de l'article premier, le sens s'en perdra. On y introduit la notion d'organisation décentralisée. Mais que retiendront les commentateurs ? Que la France est une République unitaire et décentralisée. Quant à la notion d'organisation déconcentrée, elle n'est même pas législative, mais réglementaire, alors de grâce, ne la mettons pas dans la Constitution ! Conférer au préfet un pouvoir sanctionné par la Constitution serait très choquant. Bref, ou l'on met en avant un principe fondateur, et l'on dit que la République est décentralisée, ou l'on ne peut se mettre d'accord sur la portée de ce qu'on veut, ce qui semble être le cas, et on ne dit rien ! Mais évitons la bouillie pour les chats ; le Conseil constitutionnel n'en fera alors qu'à sa tête et nous aurons perdu notre temps (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. André Chassaigne - Pour le groupe communiste et républicain, cette affaire est d'une extrême gravité. C'est dans la précipitation, à l'issue d'un conseil des ministres, qu'on a décidé d'ajouter cette formule. Le Gouvernement avait-il bien conscience de ce que représente l'article premier qui énumère les principes fondateurs de la République ?

« La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances ».

Cet article, qui édicte de grands principes philosophiques et politiques, est fondamental. Il serait déplacé d'y ajouter une qualification concernant l'« organisation décentralisée » de la République. La décentralisation est un principe d'organisation administrative légitime, mais qui ne peut revêtir la même force que les principes fondamentaux de la République.

M. Arnaud Montebourg - Très bien !

M. André Chassaigne - Le Conseil d'Etat a d'ailleurs indiqué qu'en tant que processus d'évolution de l'organisation administrative d'un Etat, la décentralisation n'a pas sa place dans le premier article du texte constitutionnel ; le principe de libre administration des collectivités locales figures déjà aux articles 34 et 72 de la Constitution. Ce même avis a été très largement exprimé lors des auditions organisées par la commission des lois du Sénat. Bien des juristes - dont Robert Badinter - ont proposé de renvoyer le débat sur la décentralisation à l'article 72. La commission du Sénat a d'ailleurs proposé un amendement tendant à supprimer ce rajout à l'article premier, mais cet amendement a été retiré, sans doute sur les conseils du Gouvernement, sans que les commissaires en aient été informés - procédé inédit et bien étranger à la sagesse de cette assemblée.

Nous nous interrogeons sur l'obstination du Gouvernement à maintenir sa position. Tel qu'il est inscrit dans ce texte, le principe d'organisation décentralisée de la République nous semble porteur de graves risques pour le caractère unitaire et solidaire de la République.

M. le rapporteur a, en commission des lois, répété maintes fois que cette réforme allait « ouvrir le champ du possible ». En fait, vous voulez instrumentaliser la Constitution pour en faire un outil politique.

Les orateurs de mon groupe ont exposé les dangers liés aux notions d'expérimentation et de subsidiarité ; ils ont affirmé de même que le nécessaire approfondissement de la décentralisation ne pourrait signifier une remise en cause de la conception républicaine de l'Etat français.

Nous avons donc déposé un amendement demandant la suppression pure et simple de cet article (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. Charles de Courson - Cette discussion intéressante renvoie à deux philosophies de l'organisation politique, dont la nôtre, qui consiste, pour l'organisation de l'Etat, à faire confiance à la base, la remontée vers des niveaux supérieurs de compétence ne devrait se faire que lorsque les niveaux inférieurs ne sont plus compétents. Pareil principe s'impose d'ailleurs à nos yeux aussi pour l'Europe. Nous soutenons par conséquent l'inscription, dès l'article premier, de ces mots : « Son organisation est décentralisée ». Aujourd'hui, dans notre droit, ce principe n'est pas constitutionnel, même si une jurisprudence récente a essayé de faire émerger le concept d'« autonomie locale ».

Certains nous disent que l'on ne peut mettre au même niveau le principe d'unité et d'indivisibilité de la République...

M. André Chassaigne - On ne doit pas !

M. Charles de Courson - ...et le concept de décentralisation. Je lis l'article 5 de la Constitution italienne : « La République italienne, une et indivisible, reconnaît et favorise les autonomies locales, réalise dans les services qui dépendent de l'Etat la plus grande décentralisation administrative, adapte les principes et les méthodes de sa législation aux exigences de l'autonomie et de la décentralisation. »

M. Arnaud Montebourg - Une organisation qui date de 15 siècles, au temps des princes et des rois !

M. Charles de Courson - Le même article comprend ici les deux éléments.

Au demeurant, les différences philosophiques qui nous séparent ne recoupent pas la division droite-gauche. A gauche, certains partagent notre conception, comme la grande majorité de l'UMP.

M. Jean-Jack Queyranne - Ce n'est pas ce que dit M. Debré !

M. Charles de Courson - N'en faisons pas une question de personne.

Au sein de l'Union européenne, il n'y a pas que des Etats fédéraux et des Etats unitaires. L'Allemagne, l'Autriche, la Belgique sont des Etats fédéraux ; mais les douze autres ne sont pas des Etats unitaires au sens traditionnel : il y a des Etats régionalisés - l'Espagne, l'Italie, et l'on pourrait discuter du cas du Royaume-Uni, avec l'Ecosse et l'Irlande du Nord. Notre pays fait partie des Etats unitaires, mais parmi eux, certains sont fortement décentralisés - Suède, Danemark, Norvège -, d'autres le sont moyennement - dont la France. Restons un Etat unitaire, mais essayons donc de passer de la catégorie d'Etat moyennement décentralisé à celle d'Etat fortement décentralisé. C'est tout l'enjeu de notre débat.

M. Hervé Mariton - La France change, et l'article premier, tel qu'il est rédigé, en prend acte. La Constitution ne fonde plus un Etat tout puissant. Telle est la réalité, et c'est aussi le souhait des concitoyens, qui veulent un Etat efficace, mais non détenteur de tous les pouvoirs.

La décentralisation tient compte de l'existence de collectivités de droit public de nature différente - l'Etat, les collectivités territoriales - et écarte l'idée de hiérarchie. Le mot « décentralisée » porte en lui-même le principe de subsidiarité - hélas non inscrit dans le texte. Avec cet article, Monsieur le ministre, vous placez le débat au niveau qui doit être le sien, même si l'on peut sans doute regretter que d'autres dispositions, un peu techniques, ne soient pas tout à fait d'un niveau constitutionnel.

Lorsque l'on aura écrit dans l'article premier de la Constitution que la « République est décentralisée », il faudra éviter un certain nombre de faux débats - par exemple, entre décentralisation et déconcentration, la première étant un principe constitutionnel et la deuxième un principe administratif.

Demain, le Gouvernement, le Parlement, le juge constitutionnel devront veiller au strict respect du principe de décentralisation. Il faudra être cohérent. Que signifie, ainsi, dans une République décentralisée, le contrôle administratif - que l'Etat n'a pas même les moyens d'assurer ? J'ai proposé la disparition de la fonction de préfet. Charles de Courson a évoqué la situation d'autres Etats européens. Dans certains Etats autres qu'en France, cette fonction existe-t-elle ? Un, peut-être ? Faudra-t-il, dans une République décentralisée, assurer encore une telle représentation emblématique de l'Etat ?

Mme la Présidente - Trois amendements tendent à supprimer l'article premier.

M. Émile Zuccarelli - J'ai déjà largement défendu l'amendement 30 lors de mon intervention sur l'article.

Ne pas vouloir inscrire le terme « décentralisé » dans l'article premier, ce n'est pas être moins favorable à la décentralisation, c'est vouloir éviter les conflits d'interprétation qu'engendrerait forcément un terme qui n'est pas défini. La notion de décentralisation viendrait télescoper les principes fondateurs de la République alors qu'il ne s'agit que d'une modalité d'organisation. Je vous signale que la Constitution n'a jamais mentionné non plus le fait que la République était centralisée ! La notion de décentralisation doit donc être abordée dans d'autres articles.

Mme Ségolène Royal - L'amendement 58 tend lui aussi à supprimer l'article, mais je signale, afin qu'aucun malentendu ne se forme sur notre volonté décentralisatrice, qu'il sera assorti d'autres propositions. Derrière le débat sur les valeurs de la République se profilent des réalités très concrètes : ce que nos concitoyens veulent avant tout, c'est des services publics qui fonctionnent bien ! Et si nous voulons maintenir une hiérarchie entre le principe de décentralisation et celui de l'égalité devant les services publics, c'est pour que tous, élus, fonctionnaires, associations détentrices de prérogatives de puissance publique ou entreprises bénéficiant de fonds publics soient efficaces, honnêtes et au service du public. Je pense que cette exigence peut emporter l'adhésion.

Nous comprenons que le Gouvernement tienne à un effet d'affichage dans l'article premier, mais il ne faudrait pas que cela emporte des conséquences graves pour les Français. Les modalités d'organisation du pays sont loin de figurer parmi leurs premières préoccupations : ce qui compte pour nos concitoyens, ce n'est pas que les routes soient construites par telle collectivité ou telle autre, mais qu'elles existent, qu'elles soient sûres et en bon état, et cela dans tout le pays ! Je sais qu'il existe déjà beaucoup d'inégalités entre les territoires...

M. Jean-Luc Warsmann - Eh oui !

Mme Ségolène Royal - Alors n'inscrivons pas dans la Constitution quelque chose qui pourrait les aggraver !

Il ressort de vos déclarations, bien qu'elles soient parfois contradictoires, que vous ne voulez pas remettre en cause le principe d'égalité devant les services publics. Mais si le principe de la décentralisation est mis sur même plan, le juge constitutionnel pourra le faire prévaloir parfois sur le principe d'égalité comme sur les principes de laïcité ou d'indivisibilité ! Il est donc indispensable de préciser qu'il ne s'agit que de l'organisation territoriale de la République.

Dans ce cas, nous pourrions accepter que cette mention figure dans l'article premier car même si nous jugeons l'article 72 de loin plus adapté, nous comprenons votre volonté d'affichage. Nous ne comprendrions pas, en revanche, que vous puissiez vous opposer à cette précision, d'autant que vous feriez au passage plaisir au Président de cette assemblée, qui vous a mis en garde contre une République en morceaux !

Au-delà des clivages politiques, tous les élus se sont inquiétés des inégalités que pourrait causer votre article premier dans la qualité des services publics. Si le principe de décentralisation l'emporte demain, qui paiera ? Et que se passera-t-il si une collectivité ne peut pas payer ? N'oublions pas que la décentralisation a pour but premier justement l'amélioration du fonctionnement des services publics, et conservons donc la hiérarchie entre l'indivisibilité de la République et son mode d'organisation.

Enfin, pour être efficace, la décentralisation doit s'accompagner de déconcentration. Il y a un grand oublié dans votre réforme, c'est l'Etat. Les Français ne veulent pas d'un Etat mou et mal assuré dans ses compétences et ses responsabilités, ils le veulent plus efficace. Nous vous demandons donc de compléter l'article premier par un volet sur la déconcentration. Le dispositif lèverait ainsi les ambiguïtés et apaiserait les inquiétudes des élus de toutes sensibilités.

Monsieur le ministre, avez-vous un mandat du Premier ministre pour accepter certains de nos amendements, ou devons-nous nous attendre à des refus systématiques ? Nous voulons savoir dans quel état d'esprit s'ouvre cette discussion. Nous voulons exercer nos responsabilités législatives en contribuant à améliorer ce texte et attentifs à vos préoccupations, nous acceptons de faire figurer la décentralisation à l'article premier plutôt qu'à l'article 72 de la Constitution. Êtes-vous prêt à accepter nos propositions, qui rejoignent celles qui ont été faites sur vos propres bancs et à l'assemblée générale de l'association des maires de France ?

M. André Chassaigne - L'amendement 171 vise lui aussi à supprimer cet article approximatif, élaboré dans la précipitation, et qui est hautement symbolique des visées du Gouvernement quant à une République une et indivisible.

La situation actuelle des collectivités locales n'est certes pas satisfaisante, car elles n'ont pas les moyens d'assumer leurs compétences. Mais la réforme qui s'impose est de nature fiscale ! Et les difficultés croissantes qu'elles ont à répondre aux besoins de leurs populations ne peuvent pas servir d'alibi à une poussée vers le fédéralisme, vecteur de libéralisme (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

Nous craignons d'assister à une décentralisation différenciée dans notre pays, et c'est cette même crainte que le ministre de l'intérieur avait exprimée en décembre 2001 ! Le principe de l'organisation décentralisée est porteur d'un émiettement contraire à la spécificité de notre pays, l'unicité de la République. Il mettrait la cohésion sociale en danger. Enfin, le prôner dans l'article premier est incongru et indécent. Cet article fondamental, produit de notre histoire, édicte les grands principes politiques et philosophiques qui fondent notre nation. La décentralisation ne peut être élevée au même rang. Cet acharnement à la faire figurer dans l'article premier plutôt que dans l'article 72 est révélateur de vos intentions : orienter la France vers une République fédérale et la mettre en harmonie avec l'Europe des régions.

M. Jacques Myard - Il ne faut pas exagérer !

M. André Chassaigne - Nous demandons donc la suppression de votre article premier et nous ne nous associerons pas aux amendements qui affaibliraient les grandes valeurs de notre République (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains).

M. le Rapporteur - Je voudrais d'abord rappeler que les deux premiers articles de la Constitution n'en faisaient qu'un jusqu'à la modification constitutionnelle de 1995. Il n'y a donc guère lieu de se demander si cette modification devait être inscrite à l'article 1 ou 2.

Il y a deux catégories de parlementaires. Je voudrais rendre un hommage particulier à MM. Zuccarelli et Montebourg, qui, ici comme lors du débat sur la Corse, ont montré la cohérence de leurs opinions.

Mais c'est avec stupéfaction que j'entends s'exprimer les autres membres de l'opposition. Gaston Defferre, s'il était encore parmi nous, n'en reviendrait pas. En 1982, il est allé aussi loin que possible, mais la France n'était pas prête pour une organisation vraiment décentralisée de son territoire.

Gaston Defferre était profondément décentralisateur.

Vingt ans de pratique ont changé les choses. M. Le Garrec sait que j'étais de ceux qui, il y a vingt ans, se sont opposés aux lois Defferre, avec les arguments que vous utilisez aujourd'hui. Je me suis trouvé une excuse : nous ne savions pas, à l'époque, ce qu'il allait advenir de la décentralisation. Nous voyons maintenant le dynamisme de nos territoires. Grâce à la loi Chevènement, les communautés de communes ont été un facteur de développement économique. La France a merveilleusement évolué en vingt ans. Revenir au débat entre jacobins et décentralisateurs me paraît donc incompréhensible, sauf de la part des deux collègues que j'ai nommés. J'ai infiniment de respect pour ceux qui pensent que la France sortira entamée de cette révision constitutionnelle. Si c'était le cas, nous ne la voterions pas, mais nous pensons que la France va s'enrichir, au contraire, d'une organisation décentralisée qui ne méconnaîtra pas les principes de la République.

Il m'a été reproché d'avoir déclaré que ce texte permettrait d'aller contre le principe d'égalité tel qu'il est strictement interprété par le Conseil constitutionnel. Mais c'est bien pour cela qu'il y a une révision constitutionnelle, Madame Royal. Vous en savez quelque chose : quand vous aviez prévu, pour la Corse, un régime d'adaptation législative, le Conseil constitutionnel vous a dit que ce n'était pas possible ! Or nous ne faisons que donner une base constitutionnelle à votre projet. Que vous nous le reprochiez, les bras m'en tombent !

Charles de Courson a rappelé comment l'Italie avait su régler le problème.

On me reproche aussi de ne pas évoquer la déconcentration. Mais décentralisation et déconcentration ne sont pas sur le même plan, en droit. L'organisation interne de l'Etat est du domaine réglementaire. Pour renforcer les directions départementales, il n'est pas besoin de révision constitutionnelle. On m'explique sans rire qu'il faut faire figurer la déconcentration sur le même plan que la décentralisation. Ce serait un méli-mélo juridique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Nous proposons de déléguer le pouvoir législatif aux collectivités locales dans des délais et pour un objet précis.

On nous reproche de ne pas suivre l'avis du Conseil d'Etat. Mais c'est sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel qu'est calé ce projet. Il ne vise qu'à renforcer la vitalité des territoires, au sein d'une République qui demeurera évidemment indivisible et laïque. Avis défavorable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. le Ministre délégué - Certes, l'article premier de la Constitution est sacré, merveilleux, emblématique. Monsieur Chassaigne, je suis ému par votre hommage à la droite, puisque la rédaction de cet article date du 4 août 1995 (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Puisque cet article a été modifié en 1995, il me semble par ailleurs excessif d'affirmer que nous n'avons pas la légitimité pour le modifier en 2002.

On nous dit que l'indivisibilité de la République est menacée. Au contraire, si nous avons voulu que l'indivisibilité et la décentralisation figurent dans le même article, c'est pour les mettre sur un pied d'égalité et éviter ainsi qu'un des principes prenne le pas sur l'autre.

Monsieur Dosière, l'indivisibilité n'est autre qu'un principe d'organisation de l'Etat (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. René Dosière - Avec tout le respect que j'ai pour vous, je reste dubitatif.

M. le Ministre délégué - Vous avez avancé un argument singulier, en rappelant que la Cour de cassation ne pouvait pas se décentraliser. Mais ce n'est pas ce qui est dit dans le projet. C'est l'organisation de la République dans son ensemble qui doit être conçue de manière décentralisée, et non chacun des organes de l'Etat. Faites-nous le crédit d'une pensée cohérente.

M. Balligand et Mme Royal ont affirmé que seule l'organisation « territoriale » devait être décentralisée. Dans ce cas, il n'y aurait plus d'Etat central ni de préfets. C'est donc sciemment que nous n'avons pas retenu cette formulation. Nous revalorisons, d'ailleurs, le rôle des préfets, estimant que l'Etat doit lui aussi se réorganiser pour être plus efficace.

M. René André - Très bien !

M. le Ministre délégué - Ce qui est énoncé, c'est un principe politique. Il appartiendra au législateur de conjuguer l'ensemble des principes figurant à l'article premier de la Constitution, sous le contrôle du Conseil constitutionnel.

Nous ne voulons pas que l'Etat puisse recentraliser subrepticement, comme c'est la tentation, avouons-le, de tous les gouvernements. Or, quand on veut recentraliser, c'est toujours l'égalité qu'on invoque. Il fallait donc placer le principe de décentralisation sur le même plan.

A la fin de cette discussion, je compterai combien de fois les élus de gauche auront dit : « Nous sommes pour la décentralisation ».

M. Augustin Bonrepaux - C'est nous qui l'avons faite !

M. le Ministre délégué - Vous le répétez si souvent parce que vous concevez qu'on puisse en douter. Cela me fait penser au débat sur l'Europe : ceux qui n'ont cessé de se dire « pour l'Europe », c'étaient les souverainistes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-Jack Queyranne - Monsieur le ministre, votre ferveur décentralisatrice vous fait commettre beaucoup de contresens. D'abord, vous ne pouvez pas dire que l'indivisibilité de la République peut être mise sur le même pied qu'un principe d'organisation, car c'est un principe fondamental de cohésion nationale. Ensuite, écrire « son organisation est décentralisée » confine à l'absurde car tous les pouvoirs publics ne peuvent pas être décentralisés.

Le groupe UDF souhaite une République éclatée, dans laquelle les régions se verraient reconnaître des pouvoirs quasi équivalents à ceux de l'Etat. Telle n'est pas notre conception. C'est pourquoi, même si nous souhaitons faire progresser la décentralisation, nous considérons que l'inscrire à l'article premier est une confusion grave. Il faut réécrire cet article dans le respect de nos institutions.

M. Émile Zuccarelli - Je remercie le rapporteur de m'avoir reconnu une certaine constance dans mes positions, mais j'observe en revanche de l'autre côté de l'hémicycle des évolutions...

Pourquoi, lorsque nous demandons qu'on soit plus précis, nous accuser de ne pas être assez décentralisateur ? La décentralisation est une dynamique, ce n'est pas une valeur fondatrice. C'est la raison pour laquelle elle ne doit pas figurer à l'article premier.

Les amendements 30, 58 et 171, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu cet après-midi, à 15 heures.

La séance est levée à 12 heures 50.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


© Assemblée nationale