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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2002-2003 - 66ème jour de séance, 164ème séance

1ère SÉANCE DU JEUDI 13 MARS 2003

PRÉSIDENCE de Mme Paulette GUINCHARD-KUNSTLER

vice-présidente

Sommaire

      SUPPRESSION DU MOT « RACE »
      DE LA LÉGISLATION 2

      RAPPEL AU RÈGLEMENT 14

      MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR PRIORITAIRE 15

La séance est ouverte à neuf heures quinze.

SUPPRESSION DU MOT « RACE » DE LA LÉGISLATION

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Michel Vaxès et plusieurs de ses collègues tendant à la suppression du mot « race » de notre législation.

M. Michel Vaxès, rapporteur de la commission des lois - A quelques jours de la journée internationale du 21 mars contre toutes les formes de racisme et de discrimination, la lutte contre le racisme et les discriminations reste une priorité.

Certes, la loi seule ne peut suffire à combattre le racisme et l'intolérance, mais cette évidence même impose de déclarer la guerre à l'ignorance. Cet effort doit être mené au quotidien, partout et par tous : institutions républicaines et religieuses, hommes et femmes politiques, médias, et chaque individu.

En ce sens, les avancées de la science peuvent constituer des points d'appui essentiels pour affronter les préjugés racistes, ou, comme le montre l'histoire, légitimer les propos et les actes d'idéologues racistes. Ainsi la société colonialiste s'est-elle efforcée d'accréditer l'idée de « races » hiérarchisées : elle fondait sur le postulat d'inégalité naturelle entre groupes humains les inégalités sociales et l'esclavage. De même, l'idéologie fasciste, sous ses formes nazie, mussolinienne ou franquiste, s'est prévalue de la science pour justifier les horreurs qu'elle a commises il y a un demi-siècle à peine.

Tirant parti d'études scientifiques aujourd'hui réfutées, l'idée que les « races » humaines étaient inégales s'est vulgarisée. Des idéologues ont prétendu que les « races » correspondaient à différents stades de l'évolution de l'espèce animale. L'Européen germanique ou anglo-saxon était ainsi présenté comme le plus évolué, tandis que se trouvaient « naturellement » justifiées toutes les discriminations et les souffrances imposées aux « races » dites inférieures ou cosmopolites.

Le concept de « race » n'a désormais plus la moindre légitimité scientifique : depuis plus de trente ans, nombreux sont les scientifiques qui ont montré que les « races » n'existent pas dans la famille humaine.

M. Jacques Brunhes - Très bien !

M. le Rapporteur - Il n'est nécessaire d'en convaincre aucun de vous. Il nous incombe cependant de tenir compte du décalage considérable qui subsiste entre la science et l'imaginaire des hommes. C'est pourquoi le combat contre les préjugés racistes se mène aussi sur le terrain du langage. Les premiers constituants l'avaient bien compris, eux qui disaient que « l'abus des mots a toujours été un des principaux moyens qu'on a employés pour asservir les peuples ».

Tel est l'objet de notre proposition, qui tend à supprimer le mot « race » du langage juridique dans tous les cas où il ne se réfère pas à la désignation d'espèces animales.

Si le mot « race » est apparu pour la première fois dans notre législation en 1939, c'est dans la législation antisémite de Vichy qu'il a été érigé en catégorie juridique explicite. Le législateur de l'époque s'était efforcé d'en définir le contenu, et la relecture des lois du 3 octobre 1940 et du 2 juin 1941 donne la mesure de la responsabilité du législateur durant cette sombre période de notre histoire et de la charge mortelle de ce mot dès lors que lui est attachée une signification juridique.

Dès 1945, les textes proscrivant les discriminations fondées sur la « race » ont réagi contre le nazisme et le régime de Vichy. Mais ce faisant, le législateur a malgré lui entériné l'existence de ce terme. Pis : dans toutes les lois où il apparaît, le mot « race » est suivi ou précédé des mots : « religion », « nation », « ethnie » ou « origine ». Pour le législateur, la « race » est donc une donnée aussi objective que l'appartenance à une religion, à une ethnie ou à une nation. A quelle réalité le concept renvoie-t-il ainsi, sinon celle, anthropobiologique, à laquelle il reste attaché ?

C'est également en s'appuyant sur la présence de ce mot dans notre législation que le décret du 2 février 1990 a autorisé le fichage des origines « raciales » des personnes. Depuis les lois sur le statut des juifs, c'est la première fois que la « race » réapparaît ainsi dans notre droit positif, et c'est l'inversion de l'injonction d'interdiction en agrément qui a conféré à l'expression « origines raciales » une portée juridique positive. Telles sont les dérives que permet la présence du mot « race » dans notre droit.

Conscient de cette incohérence, le législateur a délibérément pris le parti en 1983 de ne pas se référer à la « race » mais à l'« ethnie », dans la loi relative aux droits et obligations des fonctionnaires. Le Sénat l'a cependant amendée, dans la loi du 16 novembre 2001 sur la lutte contre les discriminations, pour y introduire la référence au mot « race » alors même que l'absence de ce mot n'a jamais empêché le juge, en dix-huit ans, de qualifier une discrimination raciste.

S'il n'appartient pas au législateur de régler l'usage des mots dans la langue, il est de son devoir de veiller à leur bon emploi institutionnel.

Notre proposition de loi ne prétend nullement enrayer à elle seule les idées ou attitudes racistes. Du moins permettra-t-elle d'empêcher que les idéologues racistes tirent prétexte de la présence du mot « race » dans notre législation pour valider leurs certitudes sur l'existence et la hiérarchisation des « races ».

M. Alain Bocquet - Tout à fait !

M. le Rapporteur - La commission des lois, estimant que la suppression du mot « race » fragiliserait l'ensemble de notre édifice juridique, a décidé de ne pas présenter de conclusions sur cette proposition. Son adoption aurait pour effet de faire disparaître un « outil juridique » permettant la répression des infractions à caractère raciste.

M. Christian Vanneste - Absolument !

M. le Rapporteur - Voilà une assertion surprenante. L'article 6 de la loi de 1983 précédemment évoquée a-t-il jamais empêché le juge de sanctionner des discriminations inspirées par des sentiments racistes ?

Dans tous nos textes visant à combattre le racisme, le mot « race » n'apparaît jamais seul. Il est toujours accompagné des termes « ethnie », « origine », « nation », ou « religion ». Dans aucun des articles où il est employé, sa suppression ne permettra, même à un juge peu scrupuleux, de se réfugier derrière cette absence pour ne pas sanctionner des comportements racistes : les mots qui l'accompagnent se suffisent à eux-mêmes. A l'inverse, conserver le mot revient à faire de l'expression du préjugé un « outil juridique », que le législateur ne peut accepter.

M. Victorin Lurel - Très bien !

M. le Rapporteur - Reprenant à son compte une partie des arguments qui nous sont opposés, une certaine presse a poussé plus loin le raisonnement : au nom de la science, nous - le parti des fusillés -, préparerions des lendemains qui chantent au racisme ! L'auteur de cet avertissement serait bien inspiré d'interroger l'actuel ministre de la santé, Jean-François Mattei, qui lui expliquerait les raisons qui l'ont conduit, il y a quelques années, à cosigner la charte Galilée 90 demandant la suppression du mot « race » dans l'article 2 de la Constitution (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). A ceux pour qui nous aurions la naïveté de penser qu'un peu de sémantique suffirait à éradiquer le racisme, je fais courtoisement remarquer qu'aucun de ceux qui plaident pour la suppression du mot « race » n'a prétendu qu'elle suffirait à combattre le racisme.

On nous a objecté que le mot « race » avait plusieurs sens, qu'il était un élément du langage courant. Mais est-ce au législateur de promouvoir la langue du préjugé, au motif qu'elle est comprise par le plus grand nombre ?

J'ai abordé toutes ces questions dans mon rapport écrit. Ceux qui s'y sont référés sans préjugé partisan auront sans peine été convaincus de la nécessité de la réforme que je vous présente.

L'article premier du texte tend à supprimer le mot « race » dans notre législation, à l'exception des textes où il se réfère à la désignation d'espèces animales.

Les articles 2 et 3 s'attachent à supprimer les adjectifs dérivés de ce mot - « racial » et « raciaux » - au profit de l'adjectif « ethnique » si la seule suppression pose des difficultés.

Bien évidemment, les mots « raciste » et « racisme » ont vocation à demeurer dans notre droit ; si les « races » n'existent pas, le racisme et les racistes existent malheureusement.

La suppression du mot « race » de notre législation signifierait solennellement que le législateur ne reconnaît pas l'existence des « races » et mettrait un terme à la contradiction qui veut que notre législation invoque la « race » ou les origines « raciales » pour prévenir ou combattre une discrimination contraire à notre Constitution. Et puisque le Gouvernement entend enrayer le racisme en milieu scolaire, une telle loi serait un point d'appui efficace pour les enseignants désireux d'aborder avec leurs élèves la question du racisme.

Certains pourraient légitimement reprocher à notre proposition de ne porter que sur nos lois, à l'exclusion de nos textes fondamentaux. Pour tenir compte des réticences de certains de nos collègues à revoir des textes de portée historique, nous proposons de ne modifier, dans un premier temps que les lois ordinaires. Cette première étape pourrait déboucher ultérieurement sur une révision constitutionnelle.

Conformément à l'article 94 du Règlement, notre assemblée devra statuer sur le passage à la discussion des articles. Je souhaite que contrairement à la commission des lois, elle décide d'examiner son contenu pour voter éventuellement un texte dont les effets ne doivent pas être sous-estimés (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - L'Etat de droit, qui repose sur les valeurs essentielles d'égalité, de liberté et de sécurité, doit défendre ses membres contre les atteintes à leur intégrité physique ou psychique, à leur dignité, à leur propriété, et se montrer plus implacable encore lorsque ces atteintes ont un mobile raciste, antisémite ou xénophobe.

Le Gouvernement est animé de la plus grande détermination pour lutter contre toutes les discriminations. Il a récemment encouragé et soutenu la proposition de votre collègue Pierre Lellouche visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe, que le Parlement a adoptée à l'unanimité et qui s'intègre parfaitement dans le dispositif destiné à réprimer tous les comportements discriminatoires. A côté des infractions racistes par nature, la loi du 3 février 2003 a ainsi fort opportunément créé une circonstance aggravante applicable à certaines infractions portant atteinte aux personnes et aux biens lorsque leur mobile est raciste, comblant ainsi un vide juridique que trop de victimes ont vécu comme un renoncement de l'Etat de droit. Je l'avais dit à cette occasion, le racisme est l'atteinte la plus grave et la plus intolérable qui puisse être portée à la liberté.

En effet, il aliène les hommes, les rend étrangers à eux-mêmes et crée des catégories ou des groupes là où il n'y a que des hommes égaux qui possèdent tous les mêmes « droits inaliénables et sacrés » comme le proclame solennellement le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946.

Le Gouvernement souhaite renforcer encore ce dispositif puisque le projet portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité que je présenterai prochainement, comportera une série de dispositions renforçant la lutte contre les discriminations. Il s'agira d'étendre le champ de la circonstance aggravante aux menaces, au vol, à l'extorsion de fonds ; d'aggraver les peines encourues pour le délit de discrimination commis par des personnes exploitant une activité ouverte au public ; d'allonger le délai de prescription de l'action publique de trois mois à un an pour les délits de provocation à la discrimination, d'injures ou de diffamation raciales.

La présente proposition aborde la problématique générale de la lutte contre le racisme et votre commission a justement soulevé les questions de fonds, philosophiques, juridiques, que pose la référence au mot « race » dans notre législation.

Si le Gouvernement partage, bien évidemment, l'élan humaniste qui anime la représentation nationale et la finalité de la proposition qui est de consacrer l'inexistence des races au sein de l'espèce humaine, il convient cependant de ne pas perdre de vue qu'en l'état actuel du droit positif, le mot « race » reste un outil nécessaire pour l'incrimination des infractions dont je viens de parler.

A cet égard, la Convention internationale des Nations unies sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale du 7 mars 1966, qui guide l'action des Etats en cette matière, est exemplaire. Elle devrait nous conduire à éviter avec pragmatisme d'affaiblir notre dispositif répressif.

Même si j'ai conscience que notre discussion intervient fort opportunément avant la journée nationale de lutte contre les discriminations et le racisme du 21 mars, un examen attentif de l'ensemble de notre législation demeure un préalable indispensable à toute modification législative. Cette réflexion pourrait d'ailleurs s'inscrire dans un cadre européen voire international, afin de garantir la sécurité juridique et l'efficacité de la répression des actes racistes.

Le Gouvernement se range ainsi à la position adoptée par votre commission (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Pascal Clément, président de la commission des lois - La commission a beaucoup apprécié le travail du rapporteur et le débat qui a suivi. Si l'on considère parfois que ces séances d'initiative parlementaire ne font pas l'objet d'une préparation approfondie, tel n'a absolument pas été le cas, car M. Vaxès a vraiment fouillé le sujet.

Cette proposition est très importante car elle rappelle, si ce n'est aux parlementaires qui le savent tous, du moins à l'opinion publique, qu'il n'y a aucun fondement scientifique ou biologique au mot « race ». Cette _uvre pédagogique est fort utile car nous voulons tous, comme le rapporteur et son groupe, combattre le racisme.

Mais toute la question est de savoir si ce texte aboutit au résultat escompté.

M. Christian Vanneste - En effet.

M. le Président de la commission - Or il existe des mots qui ne reposent pas sur des réalités scientifiques mais qui constituent des outils juridiques indispensables. Philosophiquement, nul ne peut s'opposer à cette proposition, techniquement les choses sont moins tranchées. Alors que de plus en plus d'autres propositions sont déposées pour durcir la répression contre le racisme, M. Vaxès voudrait supprimer le mot tout en gardant l'outil. Cela, nous ne savons pas le faire.

C'est parce qu'il a été rédigé au lendemain de la Shoah que le préambule de la Constitution de 1946 est devenu un texte sacro-saint. Cinquante ans plus tard, on sent encore une très forte sensibilité chez tous ceux qui sont attachés à ce que cette période abominable de notre histoire ne soit pas enfouie. C'est ce qui rend le préambule intouchable et qui empêche de toucher à certains mots, en dépit de leur connotation.

C'est sur cette base que le mot « race » continue à être employé. Ainsi, la loi de finances rectificative de décembre 2001 y fait référence en prévoyant l'indemnisation des orphelins dont les parents ont été exterminés en raison de leur race.

On ne peut revenir là-dessus. Utiliser un autre mot reviendrait à dénaturer l'histoire.

J'en viens à la sémantique. Force est de constater que les mots traduisent la pensée. C'est d'ailleurs pourquoi le rapporteur tente de substituer « ethnie » à « race ».

M. Christian Vanneste - C'est grave !

M. le Président de la commission - Se laisse-t-il ainsi emporter par ce vent du politiquement correct qui nous vient de l'ouest et qui nous pousse à préférer l'euphémisme au mot juste ? Mais à quoi bon si cela ne change pas le concept ?

L'ethnie se définit comme la volonté de vivre ensemble. M. Lurel et moi-même sommes tous deux français, nous avons la volonté de vivre ensemble ; pour autant, dire que nous appartenons à la même ethnie serait perçu comme un abus de langage. Or il ne faut pas que les mots mentent dans l'esprit des gens ; ils doivent correspondre à la catégorie mentale d'un moment , sociologiquement et historiquement datée.

Or, nous sommes en 2003, pas en 2040. M. Vaxès est donc un peu en avance.

M. Alain Bocquet - Nous avons toujours été à l'avant-garde !

M. le Président de la commission des lois - Le mot « race » ne correspond à rien sur le plan conceptuel, mais il constitue un outil juridique indispensable, étant entendu que le droit n'est pas fait, contrairement à la philosophie, pour énoncer la vérité mais pour fixer des règles concernant la vie en société. Et ces règles doivent employer des mots de tous les jours. Voilà pourquoi la commission des lois s'est opposée à la proposition de loi de M. Vaxès qui a par ailleurs le mérite de la vérité scientifique et de la pédagogie (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Janine Jambu - Si la loi est l'expression d'une volonté, notre assemblée peut aujourd'hui, en se prononçant pour la suppression du mot « race » de notre législation, exprimer clairement sa volonté d'être actrice d'une pédagogie de la tolérance. Ce faisant, elle effectuerait un geste de portée symbolique certes, mais aussi historique et politique.

Sur le strict plan du droit, je rappellerai que les textes portant sur les droits et obligations des fonctionnaires et la déontologie médicale ne mentionnent pas le mot « race » et n'en perdent pas pour autant leur efficacité en matière de sanction des discriminations. Dans le code pénal, le mot « race » apparaît bien comme une référence en trop dont la suppression ne gênerait nullement la qualification juridique de la discrimination.

A l'approche de la journée du 21 mars, journée internationale de lutte contre le racisme, ne serait-ce pas l'honneur de la France d'être à l'origine d'une réflexion internationale visant à l'éradication d'un concept dont plus personne n'ose défendre les fondements ? Ne s'agirait-il pas là d'une contribution s'inscrivant dans la filiation des Lumières et de la Déclaration de 1789 ainsi que dans notre tradition républicaine laïque et universelle rejetant à bon droit les modèles communautaristes ?

Ne serait-ce pas un apport précieux au travail pédagogique que M. le ministre de l'éducation nationale vient d'engager en milieu scolaire ? Le message transmis aux élèves à cette occasion sera sans doute proche de celui porté par le petit livre de Tahar Ben Jelloun, Le racisme expliqué à ma fille, dont je tiens à citer un passage : « Le mot "race" ne doit pas être utilisé pour dire qu'il y a une diversité humaine. Le mot "race" n'a pas de base scientifique. Il a été utilisé pour exagérer les effets de différences apparentes, c'est-à-dire physiques. On n'a pas le droit de se baser sur les différences physiques - la couleur de la peau, la taille, les traits du visage - pour diviser l'humanité de manière hiérarchique c'est-à-dire en considérant qu'il existe des hommes supérieurs par rapport à d'autres hommes qu'on mettrait dans une classe inférieure. Je te propose de ne plus utiliser le mot "race". » C'est cette même proposition que nous faisons aujourd'hui à la représentation nationale.

Car si la science a démontré l'inconsistance du concept de race dans l'espèce humaine et permet d'énoncer cette belle définition d'autrui, extraite de la charte Galilée 90 - « autrui est un semblable en chaque individu différent » -, la loi continue, elle, à véhiculer le mot « race », ce qui donne un point d'appui à ceux qui se font les chantres des idéologies d'exclusion et de rejet.

Les 20 et 21 mars prochains, l'UNESCO invite à célébrer la journée internationale pour l'élimination de la discrimination raciale. Ses documents de travail soulignent que « l'éducation et l'enseignement constituent les voies royales de la transformation des esprits », et que « l'élimination des manifestations du racisme, de la xénophobie et de l'intolérance constitue un processus long qui nécessite une volonté politique, la mobilisation de moyens et un travail d'éducation ». C'est cette volonté politique que nous voulons affirmer aujourd'hui avec cette proposition de loi.

Si nous n'avons pas la naïveté de penser que la suppression du mot « race » permettra de décréter l'éradication du racisme, nous avons la conviction que les débats engendrés par ce vote, auront une profonde et durable portée.

Souvent, les premières victimes du racisme, privées de perspectives par la crise économique et sociale ainsi que par les limites du communautarisme, sont aussi les porteurs non conscients de préjugés engendrant hostilité et rejet. Ils sont ainsi doublement victimes.

Il en est ainsi encore de celles et ceux pour qui le rejet de l'autre apparaît comme l'exutoire immédiat de leurs propres souffrances. La méconnaissance et la peur fournissent alors un fonds de commerce politique à ceux qui, à l'extrême droite, sont ouvertement racistes et fondent leur soif de pouvoir sur la haine, l'exclusion, la régression sociale.

Plus subtils sont ceux qui, cheminant sur les mêmes terres, manipulent les thèmes de l'inquiétude et de l'insécurité sociale, poussant ainsi les feux d'une politique qui divise et rejette et est lourde, à terme, de dangers pour la liberté d'action de chaque citoyen.

Face à ces menaces, nous voulons redonner force aux valeurs de solidarité, de respect, d'ouverture à l'autre et empêcher, selon une formule de Sartre, que le « racisme permette aux maîtres de communier avec leurs serviteurs ».

Pour l'ensemble de ces raisons, nous appelons notre assemblée à donner un signal fort en adoptant notre proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

M. Jean-Paul Garraud - Nous sommes tous d'accord pour dire que les races n'existent pas. C'est une vérité scientifique aujourd'hui totalement admise. Et nous sommes également tous d'accord pour lutter contre le racisme, comme l'a montré l'adoption unanime du texte visant à aggraver les peines en ce domaine et comme le montrera aussi le projet qui sera prochainement présenté et qui contiendra des dispositions permettant de mieux combattre le racisme, notamment en repoussant la prescription.

La question qui nous occupe ce matin est de savoir si la suppression du mot « race » - et de ses adjectifs dérivés - permettra de lutter plus efficacement contre le racisme. Et là, nous ne sommes plus d'accord. Je pense même que cette suppression pourrait avoir l'effet inverse de celui recherché.

Je constate tout d'abord que M. le rapporteur ne va pas au bout de sa logique : en effet, si l'on supprime le mot « race » de notre législation, il faut aussi le supprimer de nos textes fondamentaux, à savoir le préambule de la Constitution de 1946 et l'article 2 de la Constitution de 1958, ainsi que des textes internationaux tels que la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 ou la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme de 1950.

A cette difficulté formelle s'ajoute un problème de fond. Le terme « race » et les adjectifs dérivés sont utilisés dans notre législation à une seule fin, qui est justement de lutter contre le racisme et les discriminations. Comment le remplacer ? Vous proposez le terme « ethnie », mais cela ne règle rien et risque même de créer de nouvelles difficultés. En droit pénal, l'interprétation de la loi doit être stricte, le juge a peu de latitude. Si on supprime le mot « race » et ses dérivés de la législation, la justice ne sera peut-être plus en mesure de réprimer le racisme.

Je comprends votre démarche, mais l'enfer est pavé de bonnes intentions et ce n'est pas en cassant le thermomètre que l'on élimine la maladie ! Nous ne nous plaçons pas sur un plan sémantique ou symbolique. Nous voulons être efficaces, pragmatiques et faire en sorte que le racisme soit effectivement condamné. Notre groupe est convaincu qu'il faut conserver ce mot comme outil juridique pour lutter contre le racisme. Nous sommes tous bien d'accord sur les objectifs, je le répète, mais non sur les moyens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Philippe Vuilque - Cette proposition de loi est courte, mais son importance juridique et surtout symbolique est inversement proportionnelle à sa longueur. Il s'agit en effet de supprimer l'exécrable mot « race » de l'ensemble de notre législation.

Nous avons déjà demandé cette suppression à plusieurs reprises : lors de la discussion de la loi contre les discriminations, dont j'étais rapporteur ; puis lors du débat sur la décentralisation, où notre collègue Victorin Lurel a brillamment défendu un amendement tendant à supprimer le mot « race » de l'article premier de notre Constitution. Tout récemment encore, lors de l'examen de la proposition de M. Lellouche visant à aggraver les peines punissant les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe, j'ai insisté sur la nécessité d'avancer en ce sens.

A ce propos, permettez-moi, au nom du groupe socialiste, de vous exprimer à nouveau notre indignation suite aux propos de M. Lellouche accusant la gauche modérée, y compris le parti socialiste, d'être contaminée par l'antisémitisme. Le parti socialiste a toujours été à la pointe des combats contre le racisme et l'antisémitisme. Nous connaissons l'ego surdimensionné de M. Lellouche. Ce n'est pas une raison pour inventer n'importe quoi. M. Lellouche serait bien inspiré de nous faire des excuses publiques.

Mais revenons au texte. Le groupe socialiste avait l'intention de déposer une proposition allant dans le même sens. La référence à la race n'a plus sa place dans notre législation : la réfutation scientifique de la notion de race en a fait un terme ambigu et dangereux.

Si le mot « race » est apparu dans notre droit avec le décret Marchandeau du 21 avril 1939, qui interdisait la propagande antisémite, c'est le régime de Vichy qui l'a élevé au rang de catégorie juridique et en a fait, avec « les lois juives », un concept porteur de discriminations.

En réaction, les Constituants de 1946 ont utilisé le mot « race » pour interdire les discriminations et le texte a été repris dans la Constitution de 1958. La Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 et d'autres textes internationaux y font également référence avec le même objectif. C'est aussi le cas de toute notre législation répressive : loi du 1er juillet 1972 relative à la lutte contre le racisme, loi du 6 janvier 1978 sur les fichiers informatiques, loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations et loi déjà citée du 3 février 2003 sur les infractions à caractère raciste, antisémite ou xénophobe.

Notre législation met donc le mot « race » à toutes les sauces, sans réflexion sur sa portée réelle. La notion de race n'a aucun sens concernant l'espèce humaine, scientifiquement c'est une ineptie, les travaux de François Jacob, Albert Jacquart, Jacques Ruffié l'ont démontré. La charte « Galilée 90 », signée par de nombreux scientifiques, dont M. Mattei, pour demander la suppression du mot « race » de la Constitution, relève que la race n'est qu'une idée, fondée sur les apparences et les m_urs, qui « renforce l'adversité entre les groupes sociaux » et « entretient dans l'imaginaire des individus la force des préjugés ». Si un fait scientifique ne peut, en soi, constituer un principe de droit, la loi ne saurait invoquer des concepts dont la validité a été scientifiquement réfutée, concluent les signataires.

La suppression du mot « race » de notre législation a une importance à la fois pédagogique, juridique et symbolique. Or si nous sommes tous d'accord philosophiquement, nous divergeons sur les conséquences juridiques d'une telle suppression. Pour notre part, nous estimons qu'elle ne mettrait pas en péril l'efficacité de notre législation pénale contre le racisme (« C'est toute l'erreur ! » sur les bancs du groupe UMP). Il n'y aurait pas de vide juridique puisque la référence continuerait à figurer dans la Constitution et dans la Convention européenne des droits de l'homme, évitant toute fausse interprétation.

M. Christian Vanneste - Si vous le laissez dans le Constitution, il faut le laisser aussi ailleurs !

M. Philippe Vuilque - Nous pourrions donc continuer à combattre le racisme sous toutes ses formes. J'entends bien les arguments du président de la commission des lois, qui craint la disparition d'un outil juridique permettant la répression des infractions à caractère raciste. Nous ne partageons pas cet avis, mais la majorité de la commission a suivi sa proposition de ne pas examiner les articles. Si notre assemblée l'adoptait, ce serait une occasion perdue. Pour lever vos craintes, Monsieur le Président, et éviter tout risque, je propose de créer, au sein de notre commission, un groupe de travail pour examiner les conséquences juridiques d'une telle suppression (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Evaluons ces éventuels risques et prenons une décision.

A quelques jours du 21 mars, journée nationale de lutte contre les discriminations et le racisme, l'adoption de ce texte en première lecture aurait été un symbole fort permettant de mettre notre législation en conformité avec la réalité scientifique et de nous éviter de parler de race pour lutter contre le racisme (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Yvan Lachaud - Le mot « race » n'a pas toujours été considéré comme un terme péjoratif ; il est même apparu comme une donnée d'observation évidente à certaines époques ; selon les lieux et les régions, il peut revêtir des significations différentes. Comme l'a rappelé François Bayrou, en béarnais, on se glorifie d'être « de bonne race », c'est-à-dire de bonne lignée.

Néanmoins, ce mot a pris un sens tragique avec l'avènement de l'hitlérisme et d'idéologies fondées sur la prétendue inégalité des races. Il a été introduit dans le droit français par la législation antisémite du régime de Vichy. Souvenir des tragédies passées, le mot « race » reste connoté péjorativement : il est utilisé pour stigmatiser des populations et véhiculer des préjugés liés à l'origine des individus.

Beaucoup de jeunes, notamment dans les banlieues, ont le sentiment d'être exclus à cause de leur nom ou de la couleur de leur peau. Il importe d'en tenir compte. La lutte contre le racisme et les discriminations doit être au c_ur de la politique républicaine d'intégration. Ainsi, notre discussion aurait mérité de s'inscrire dans un débat plus large au lieu de se limiter à un ajustement technique de notre législation.

Mme Janine Jambu - C'est un alibi !

M. Yvan Lachaud - Personne ne nie l'absence de fondement scientifique du concept de « race ».

Nous savons ce que la consécration du terme de « race » comme catégorie juridique peut avoir d'ambigu. Néanmoins, la suppression de ce mot de notre législation soulèverait d'autres problèmes.

Cette question a déjà été évoquée lors du débat sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République. L'amendement de M. Lurel tendant à supprimer le mot « race » de notre Constitution avait alors été rejeté.

La suppression du mot « race » de notre législation constituerait une réforme partielle et peu cohérente.

La question du remplacement du mot « race » dans notre législation se poserait alors. La proposition d'y substituer le terme « ethnie » mérite d'être débattue puisque la signification des deux termes ne fait pas l'unanimité.

Les députés du groupe UDF s'abstiendront de voter cette proposition de loi qui, si elle s'inspire d'une bonne intention, ne pousse pas le débat à la mesure des enjeux de cette question (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

M. Victorin Lurel - Des collègues l'ont dit : j'avais proposé ici-même la suppression du mot « race » de notre Constitution. SOS racisme m'avait envoyé un courrier de soutien ; seul l'UMP avait voté contre, alors que nous avions le soutien du groupe communiste et de l'UDF. L'argument principal était le risque de régression juridique dans la lutte contre le racisme que comporterait cette suppression, argument totalement infondé dès lors que l'interdiction de différence selon la « race » continuerait de figurer dans le préambule de la Constitution de 1946 - qui a la même valeur juridique que notre Constitution - ainsi que dans la Convention européenne des droits de l'homme.

Je regrette que vous n'ayez pas saisi cette occasion, alors que le ministre de l'éducation nationale s'inquiète de la recrudescence des violences communautaires à l'école, alors que M. Mattei, est lui-même membre de l'association Galilée 90 dont l'unique objet est de supprimer le terme « race » de notre loi fondamentale.

Il est urgent de reconnaître que ce terme est inapplicable. Les attentats du 11 septembre, les élections du 21 avril, les propos scandaleux d'un chef de Gouvernement sur la supériorité d'une civilisation sur une autre, la banalisation du discours xénophobe et les agressions dues à la seule couleur de la peau imposent une vigilance de tous les instants et une action exemplaire de notre part.

A l'heure où la peur de l'autre, l'assimilation maghrébins-musulmans-islamistes-terroristes font florès, alors que M. Jean-François Copé, ici-même, a eu un lapsus révélateur - dont il s'est excusé - en se félicitant de « la présence dans le Gouvernement de deux ministres musulmans », la République doit rappeler ses principes fondamentaux : tous les hommes sont égaux, quelle que soit leur origine, la couleur de leur peau ou leur religion.

L'inscription du terme « race » est inadmissible, même dans des « phrases qui ont pour objet de lui dénier toute portée » - je cite l'ouvrage de Guy Carcassonne sur la Constitution de 1958.

La Constitution reconnaît l'usage d'un terme dont l'application à l'espèce humaine est non seulement inopérante mais dangereuse. Il convient de supprimer ce mot de notre droit positif.

Le concept biologique de race n'est pas pertinent pour l'espèce humaine. Son indétermination est dangereuse, comme son rôle de support idéologique. La classification et la hiérarchisation qu'il induit permet de présenter un ordre des valeurs justifiant l'inacceptable.

En tant que Républicain et homme de couleur, j'agrée à la suppression du mot « race » dans notre Constitution et notre législation.

Le 26 août 1789, ici-même, l'égalité des hommes a été proclamée - mais ce n'était valable que pour l'Europe et, pour employer des catégories que nous n'aimons pas, que pour les « blancs ». Il a fallu le combat de Toussaint Louverture pour que la liberté et l'égalité s'appliquent aux esclaves et aux noirs.

Si la suppression du support ne supprime pas le discours, il lui ôte toute légitimité. Lorsque la loi interdit d'établir une distinction selon « la race », elle légitime paradoxalement l'opinion selon laquelle il existe des « races distinctes ».

L'apparition subreptice de ce terme dans le droit positif puis dans la Constitution est conjoncturelle et historiquement datée. On comprend les raisons pour lesquelles Pierre Cot et Paul Ramadier, au lendemain de la seconde guerre mondiale, ont amendé le préambule du projet de Constitution de 1946 pour ajouter qu'« au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ».

On comprend beaucoup moins que le constituant de 1958, puis le législateur aient conservé le terme de « race » alors que le mot « origine » convient pour prévenir toutes les discriminations.

La loi fondamentale de notre République reconnaît et fonde, en quelque sorte, un concept que la science récuse. On le sait, notre humanité forme une seule espèce génétiquement polymorphe qui fait mentir toute conception typologique ou holotypique de l'espèce humaine. Il me semble opportun, puisque le Gouvernement et la majorité n'ont pas voulu saisir l'occasion de la révision constitutionnelle, de tenter de redonner une base à l'identité de notre République. Au moment où resurgissent l'hydre du racisme et du fanatisme et où les « nouveaux réactionnaires » banalisent un discours justifiant les inégalités de tous types, il est bon de raturer dans notre loi toute référence à une notion contraire à l'essence de la démocratie égalitaire.

Faire figurer le mot « race » dans une phrase qui promeut l'égalité sans discrimination et qui refuse toute forme de darwinisme social, c'est, comme on peut faire de la mauvaise littérature avec de bons sentiments, créer un corpus juridique douteux avec des idées généreuses.

Utilisé pour distinguer les groupes humains sur la base de caractères apparents, ce terme s'applique tout autant aux différences culturelles et sociales pour établir une hiérarchie implicite ou explicite. Vecteur de férocité et d'inhumanité, scandale sémiotique qui a gravement profané l'unité de l'espèce humaine, il n'a pas sa place dans notre droit.

L'argument selon lequel la suppression de ce mot ferait régresser la lutte contre les discriminations ne tient pas. En effet, seront parallèlement maintenus des termes plus objectifs qui permettront toujours de sanctionner des actions ou propos racistes : ceux-ci continueront bien évidemment de tomber sous le coup de l'article 225-1 du code pénal qui, si l'on en retire le mot « race », définirait la discrimination comme « une distinction opérée entre les personnes physiques à raison (...) de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation ou une religion déterminée ».

A supposer même que cela ne soit pas vrai, la présence dans des textes supra législatifs de l'interdiction d'une discrimination selon la race sera suffisante puisque le juge n'aura qu'à invoquer le bloc de constitutionnalité - qui, selon la décision du Conseil constitutionnel de 1971 relative à la liberté d'association, comporte non seulement la Constitution de 1958 mais également son Préambule, donc celui de la Constitution de 1946 et la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

On peut même aller jusqu'à dire que le maintien du mot « race » dans notre législation est dangereux. En effet, il est envisageable qu'une personne conteste la définition du délit ou du crime pour lequel elle est poursuivie et qu'un juge reconnaisse que l'incrimination est fondée sur un concept qui n'existe pas.

J'emprunterai ma conclusion à un journaliste du Figaro, Guy Baret, qui, malgré son opposition à cette proposition de loi, reconnaissait que, « n'existant ni philosophiquement, ni scientifiquement, la race devient un pur concept judiciaire n'ayant aucune réalité ailleurs que dans le prétoire ». Désireux de mettre fin à cette schizophrénie juridique, le groupe socialiste votera cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Christian Vanneste - Oui, l'enfer est pavé de bonnes intentions. Vous voulez exclure le mot « race » de notre législation parce qu'il vous fait horreur, et l'utilisation idéologique qui en a été faite par le pire des totalitarismes, le nazisme, permet à chacun de vous comprendre ; mais sans doute est-ce la plus mauvaise façon de combattre un crime que de ne pas le nommer.

Votre proposition de loi repose sur une triple erreur.

La première : vous voulez exclure ce mot parce qu'il ne serait pas scientifique. Curieuse conception que de subordonner la loi à la vérité scientifique ! La première est l'expression de notre liberté, découle du contrat social et prend sa source dans des valeurs de plus en plus universellement admises sur le plan philosophique ; la seconde se constate, mais une société qui chercherait à s'y soumettre ne serait pas une démocratie, mais Le meilleur des mondes d'Aldous Huxley. Je laisse à ce propos les auteurs de la proposition interroger leur inconscient idéologique (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

Le mot « race » ne nous intéresse que dans la mesure où il est lié au problème de l'inégalité et de l'égalité. Il est tout à fait possible que la biologie fournisse d'autres arguments beaucoup plus solides que la race en faveur de l'inégalité : la génétique ne donne pas à tous les individus la même espérance de vie et les mêmes handicaps ; mais, c'est bien la preuve que le droit n'a pas à obéir à la science. Lorsque la science souligne les inégalités, le droit doit au contraire les combattre.

D'ailleurs, ce n'est pas tant le concept de race qui n'est pas scientifique que la théorie dans laquelle il s'intègre. Dans Le racisme devant la science, ouvrage cosigné sous le patronage de l'UNESCO par Claude Lévi-Strauss, Michel Leiris et un biologiste, M. Dunn, celui-ci écrivait clairement : « Il semble préférable de définir ce terme, d'expliquer comment il faut l'employer, et de le dégager ainsi de ses acceptions erronées, plutôt que de l'écarter purement et simplement ».

Chacun sait bien sûr qu'est absurde la théorie de Gobineau suivant laquelle des caractères héréditaires de groupe comme la couleur de la peau induisent des inégalités culturelles ; mais vous voulez à la fois dénoncer la théorie et interdire d'employer le concept sur lequel elle s'appuie...

Pourquoi ? Tout simplement, et c'est là votre deuxième erreur, parce que vous méconnaissez sa part de subjectivité. La race, comme la nation, comme la religion, est une notion non scientifique, en partie objective et en partie subjective. Comment définir la religion ? Où finit-elle et où commence la secte ? Un habitant de Salt Lake City n'aura sans doute pas la même réponse qu'un habitant de Rome ou de La Mecque. Et que dire de la nation corse ?

M. Emile Zuccarelli - Nous parlons de « peuple » corse !

M. Christian Vanneste - La distinction que vous faites entre la race d'une part, la religion et la nation d'autre part, est infondée puisque les textes n'utilisent ces concepts que pour dénoncer leur utilisation à des fins de ségrégation.

Il serait particulièrement inopportun de substituer le mot « ethnie » au mot « race » car pour le coup, il s'agit d'un concept scientifique. Son utilisation au nom du « politiquement correct » aurait pour effet de le polluer en lui associant un jugement de valeur. Claude Lévi-Strauss avait souligné le risque de voir les préjugés racistes, à peine déracinés de leurs bases biologiques, se reformer sur un autre terrain. La diversité des cultures humaines est un fait qui se constate à travers l'étude des ethnies, l'inégalité des races est un préjugé qui se combat.

Plus grave encore, et c'est votre troisième erreur, et même une faute (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) : vous semblez complètement oublier que le préjugé raciste est celui qui a conduit au XXe siècle au mal absolu, qui a tué des femmes, des hommes, des enfants simplement parce qu'ils étaient nés. Aucun autre mot que celui de race ne recouvre cette réalité. Il faut le conserver par respect pour les morts d'Auschwitz et pour en dénoncer définitivement l'horreur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Alain Bocquet - Bel humanisme !

M. André Chassaigne - Un discours très ambigu !

M. le Rapporteur - M. Garraud nous a dit que nous étions tous d'accord sur le fond. Eh bien non ! De même, selon notre président, le droit devrait être distingué de la politique. Dans ce cas, j'aurais du mal à comprendre que lorsqu'on veut l'écrire de ce côté-ci, on se heurte à des obstacles de ce côté-là, et vice-versa. Non, l'obstacle n'est pas juridique mais politique, et faire le droit, c'est faire de la politique.

Commençons par rappeler deux définitions. D'abord celle que le Petit Larousse donne du mot « race » : « catégorie de classement biologique et de hiérarchisation des divers groupes humains ». Voilà ce que recouvre le mot « race » dans notre législation ! Mais le dictionnaire ajoute : « scientifiquement aberrante, dont l'emploi, Monsieur Vanneste, est au fondement des divers racismes et de leurs pratiques ».

M. Christian Vanneste - Nous sommes d'accord.

M. le Rapporteur - Quant à l'ethnie, c'est « ce qui fonde des distinctions entre des populations non pas sur des critères génétiques, mais sur des spécificités sociales, historiques. Il est fait référence à des caractères de civilisation, à une communauté de langue, de culture, à des particularismes alimentaires, sociaux ou de croyance. Ce terme permet-il aujourd'hui de qualifier le comportement raciste ? Je dis oui.

M. Christian Vanneste - Non !

M. le Rapporteur - Alors il faudra nous expliquer comment le législateur aurait pu être assez aveugle pour laisser subsister dans la loi de 1985 sur les droits des fonctionnaires une expression visant à condamner les discriminations sans employer le mot race. Aucun juriste ne l'a déploré.

Les arguments avancés sont toujours les mêmes. D'abord la référence à la Constitution de 1946. Je rappelle à notre éminent juriste que son préambule étant intouchable, nous ne pouvons faire autrement que de le conserver. Mais dans un souci de cohérence, je suis prêt à déposer une proposition de loi constitutionnelle et je pense que notre groupe sera d'accord pour que vous en soyez cosignataire ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

Autre objection : le mot « race » serait selon certains de nos collègues un outil juridique irremplaçable, légitimé par l'usage qu'en font les textes internationaux et la Constitution. Surtout, il serait plus facilement appréhendé par le plus grand nombre.

Accepter ces objections conduirait le législateur à préconiser l'utilisation de la langue du préjugé au motif qu'elle est la seule intelligible par tous.

M. Christian Vanneste - Pour le dénoncer !

M. le Rapporteur - Au-delà d'un singulier mépris pour nos concitoyens, ce serait une bien curieuse façon de lutter contre l'ignorance et l'obscurantisme. Ce serait surtout s'entêter à ne pas voir les dérives auxquelles une telle cécité nous expose. S'il y a un risque à supprimer le mot, vous n'en donnez pas la moindre preuve. Le risque réside à mon sens dans son maintien. J'en veux pour preuve ces deux exemples parmi tant d'autres.

Le premier est emprunté à un règlement militaire des années 1950 qui définit ainsi les missions du colonel : il « indique les moyens les plus propres à développer le patriotisme : fortifier l'amour de la patrie et le sens de la supériorité de la race ». Vous m'avez bien entendu ! Il ne s'agit pas d'un règlement applicable à l'armée allemande sous le nazisme, mais bien à l'armée française et il a été imprimé en 1957 ! Je ne sais s'il figure encore dans les bibliothèques des armées. Mais qu'une telle phrase ait pu recevoir l'aval de ministres et chefs d'Etat-major montre bien comment il peut paraître naturel de définir une « race française » en la glorifiant par rapport à d'autres races.

En rechignant à supprimer le mot de son vocabulaire, le législateur laisse donc la porte ouverte à toutes les dérives.

Second exemple : le dictionnaire de la langue française Lexis Larousse, édité en 1993 et toujours en vente, définit ainsi le mot « race » : « Groupe d'individus se distinguant des autres par un ensemble de caractères biologiques, psychologiques ou sociaux qui se transmettent par hérédité... ». Nos enfants apprendront cela et notre droit n'interpellera pas les auteurs de cette aberration sans doute diffusée à des millions d'exemplaires !

Voilà à quoi conduit la définition biologisante du terme « race » !

M. Christian Vanneste - Non !

M. le Rapporteur - Que l'on puisse encore nier ces dérives, comme vous le faites après ces deux exemples, me stupéfie et renforce ma conviction qu'il faut bannir ce concept dangereux du vocabulaire législatif.

Il n'apparaît d'ailleurs jamais seul dans nos textes. Notre collègue Victorin Lurel a cité l'article 225-1 du code pénal, aux termes duquel « constitue une discrimination toute distinction opérée entre les personnes physiques à raison de leur origine (...), de leur appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, « une race » ou une religion déterminée ». Si nous supprimons le mot « race », il est évident que la qualification juridique de la discrimination fondée sur des sentiments racistes demeure. Mais si nous le maintenons, il n'ajoute rien d'autre que sa signification anthropologique du XIXe siècle.

Je ne reviens pas sur la loi de 1983 sur les droits des fonctionnaires.

Alors que le nouveau racisme qui s'étend en appelle principalement à la différence ethno-culturelle, pourquoi pérenniser ainsi une telle acception biologisante ? Je laisse un scientifique américain mondialement reconnu avancer son explication après avoir dénoncé l'une des plus récentes tentatives de justification de la hiérarchisation naturelle des groupes humains. Dans The bell curve, publié en 1994, Richard Herrnstein et Charles Murray exprimaient une nouvelle fois ces thèses si chères aux Américains pour justifier les inégalités culturelles et sociales par les prétendus diktats de la biologie. Stephen Jay Gould, dans La mal mesure de l'homme estime qu'il ne fallait pas s'étonner que la publication de The bell curve ait coïncidé « avec une période de restriction des dépenses sociales sans précédent aux Etats-Unis, l'arrêt de toutes les subventions en faveur des arts, la réduction d'impôt pour les riches » et que le retour périodique des thèses du déterminisme biologique recouvre les périodes de récession économique et de repli politique.

M. Victorin Lurel - Exact !

M. le Rapporteur - Il ajoutait que le déterminisme biologique devenait ainsi une arme sociale, avant de rappeler que la période d'activité maximale des scientifiques soutenant ces thèses correspondait aux années qui ont suivi la première guerre mondiale, époque des restrictions à l'immigration, des quotas concernant les juifs, de l'exécution de Sacco et Vanzetti et de la flambée des lynchages dans le sud des Etats-Unis. Pourquoi ? Je vous invite à méditer cette phrase de Darwin : « grande est notre faute si la misère de nos pauvres découle non pas des lois naturelles mais de nos institutions ».

Interrogez donc votre inconscient, Monsieur Vanneste. Et si la difficulté du législateur à bannir de son vocabulaire ces notions que la science a depuis longtemps répudiées avait à voir avec ce rapport entre le bio-déterminisme et les inégalités sociales ?

L'invitation à poursuivre la réflexion est pour moi la conclusion d'un débat qui ne fait que commencer, mais doit aller à son terme pour que ne souffre plus la France de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, celle des Lumières, des conquêtes sociales et des avancées démocratiques, la France de Jaurès, pour qui « la vérité est toujours bonne à dire »... mais a tant de mal à être reconnue. Vous nous le démontrez à nouveau.

Il est encore possible que notre assemblée décide de ne pas suivre l'avis de la commission des lois et de passer à la discussion des articles pour nous permettre de mettre notre législation en conformité avec le bon usage des mots, comme y invitait déjà Diderot lorsqu'il réclamait pour la nation un dictionnaire débarrassé des fausses acceptions.

Oui, la représentation nationale s'honorerait à supprimer de notre vocabulaire juridique un concept impropre et dangereux, elle exprimerait ainsi sa détermination à combattre l'obscurantisme et ses conséquences sur des hommes et des femmes toutes et tous différents, mais toutes et tous semblables parce qu'appartenant toutes et tous à une même et grande famille humaine (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)

Mme la Présidente - La commission des lois n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du Règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles dans le texte initial de la proposition.

Conformément aux dispositions du même article, si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion, la proposition de ne sera pas adoptée.

L'Assemblée, consultée, décide de ne pas passer à la discussion des articles. En conséquence, la proposition de loi n'est pas adoptée.

RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Alain Bocquet - Après s'être vu appliquer mardi l'article 40 de la Constitution à sa proposition visant à permettre à tous ceux qui ont cotisé 40 annuités de prendre leur retraite avant 60 ans, le groupe communiste et républicain est cette fois victime de l'article 94, alinéa 3 du Règlement. Il est inacceptable qu'en ces deux occasions nous n'ayons pu passer à la discussion des articles, au cours de laquelle chacun aurait pu se déterminer en conscience. Je regrette vivement que la procédure des niches parlementaires soit ainsi vidée de son sens. Sans doute faudrait-il modifier notre Règlement pour nous permettre d'aller au fond de tels débats (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste).

Mme la Présidente - Dans les deux cas, il a été fait une stricte application du Règlement.

M. le Président de la commission - Nous aurons bientôt l'occasion de nous pencher sur le Règlement de notre assemblée. Mais j'indique dès aujourd'hui que je ne partage pas le point de vue de M. Bocquet.

Nous avons tous dit, au cours de ces deux heures de débat, que nous étions d'accord avec la philosophie et avec la finalité pédagogique de cette proposition mais, pour notre part, nous avons considéré - comme d'ailleurs le parti socialiste naguère... - qu'il était impossible d'en faire un outil juridique. A quoi bon dès lors y passer deux heures de plus, si ce n'est pour faire fuir nos collègues de l'hémicycle ?

De façon plus générale, je ne vois pas l'intérêt de modifier le Règlement pour prolonger le débat, alors que le débat au fond a déjà eu lieu et a déjà été tranché.

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR PRIORITAIRE

Mme la Présidente - Il résulte d'une lettre que je viens de recevoir de M. le secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement que la discussion de la proposition de résolution sur la création d'un procureur européen est retirée de l'ordre du jour.

L'ordre du jour prioritaire est ainsi modifié.

Prochaine séance, cet après-midi, à 15 heure.

La séance est levée à 11 heures 5.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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