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Assemblée nationale
COMPTE
RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL
Session ordinaire de 2003-2004 - 39ème jour de séance, 98ème séance 2ème SÉANCE DU JEUDI 11 DÉCEMBRE 2003 PRÉSIDENCE de Mme Hélène MIGNON vice-présidente Sommaire BIOÉTHIQUE -deuxième lecture- (suite) 2 ART. 18 2 ART. 18 BIS 6 ART. 19 6 ART. 19 BIS 15 ART. 20 15 ART. 21 16 ART. 21 BIS A 16 ART. 21 BIS 17 APRÈS L'ART. 21 BIS 17 ART. 22 17 ART. 23 17 ART. 24 17 ART. 25 17 ART. 27 17 APRÈS L'ART. 27 18 ART. 28 18 ART. 29 18 ART. 30 19 EXPLICATIONS DE VOTE 20 FORMATION PROFESSIONNELLE EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 30 La séance est ouverte à quinze heures. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la bioéthique. Mme Martine Aurillac - Cet article touche à une question sensible, qui dépasse les clivages politiques. Il interdit le transfert d'embryon après le décès du père. Légiférer en la matière est certes difficile, mais je considère que si le projet de transfert était manifestement en voie d'exécution au moment du décès, la mère doit pouvoir le mener à terme. Il s'agit en effet de l'aboutissement d'un long parcours, souvent semé d'obstacles. Cette proposition, qui permettrait à l'enfant de grandir dans l'amour de son père, me paraît recevable. La commission ne l'a pas acceptée, mais le Comité national d'éthique s'y est déclaré favorable, par trois fois, ainsi que l'Académie de médecine et le Conseil d'Etat. Pour encadrer cette disposition, on pourrait appliquer la procédure un peu lourde utilisée pour les mariages posthumes. Cependant, cette procédure n'est soumise à aucun délai. Je proposerai donc, par amendement, une fourchette comprise entre six mois et un an : six mois au moins pour éviter une décision trop émotionnelle et un an au plus, ce qui semble raisonnable, compte tenu que le consentement du père avant son décès est acquis. Il s'agit à l'évidence de cas rarissimes - probablement moins d'un par an. Cette grossesse posthume respecte la liberté de choix de la mère, seule juge de sa volonté de maternité, dans laquelle la société n'a pas à s'immiscer. Comment lui dénier ce droit alors que son propre embryon peut, paradoxalement, être accueilli par un autre couple ? Elle permet également d'éviter la sélection par l'argent, les parents pouvant décider, avant l'accident, de mener leur projet à l'étranger, dans un pays dont la législation permet ce procédé. On m'objectera l'impérieuse nécessité du travail de deuil, mais le deuil peut être facilité si la femme, aidée par un accompagnement personnalisé, met au monde un enfant élevé dans l'amour de son père. On m'opposera aussi qu'un enfant doit être élevé par ses deux parents, mais il court toujours le risque d'être orphelin. Un enfant posthume voulu par son père, que sa mère a aimé au point d'assumer seule son éducation, connaît à bien des égards de meilleures conditions de vie qu'un enfant né de père inconnu, ou dont la mère a été abandonnée, ou encore qui est victime d'un divorce conflictuel. En outre, rien n'empêche une mère célibataire de concevoir ou d'adopter seule un enfant. Autant de situations bien réelles que la société la plus totalitaire ne saurait interdire... Pour l'ensemble de ces motifs, je souhaite que l'Assemblée revienne sur cette interdiction. M. Alain Claeys - Je partage l'analyse de Mme Aurillac. Il s'agit, Monsieur le ministre, d'une décision difficile, et le débat que nous avions eu il y a deux ans avait été marqué par le respect de l'opinion d'autrui. Dans les cas rares de cette espèce, la femme a actuellement le choix entre détruire l'embryon ou l'offrir à un couple tiers. Le législateur doit lui offrir la possibilité de poursuivre son projet, sans que cela paraisse le moins du monde automatique : les délais proposés par Mme Aurillac paraissent à cet égard raisonnables. Je voudrais dire quelques mots sur la procréation médicalement assistée. Il ne s'agit pas uniquement de technique : il faut garder à l'esprit le chemin difficile que cela représente pour les couples. Les taux de succès sont relativement faibles. Les techniques de la procréation médicalement assistée évoluent très rapidement. Ainsi, le législateur, en 1994, ne connaissait pas encore la technique de l'ICSI pour lutter contre l'infertilité masculine. Cette technique a été utilisée sans évaluation ou expérimentation préalable. Au moment de réviser la législation, nous devons garder deux soucis à l'esprit : mieux encadrer les techniques de procréation médicalement assistée - l'Agence de biomédecine devrait nous y aider - mais aussi permettre l'expérimentation des nouvelles techniques. C'est ce que nous avions décidé en première lecture, et qui a été repoussé par le Sénat. On ne peut pas prétendre protéger les couples et ne pas s'en donner les moyens. On demande aux couples engagés dans un processus de procréation médicalement assistée de prendre des décisions graves : accepter ou non la création d'embryons surnuméraires, décider si ceux dont ils n'ont plus besoin seront détruits ou accueillis par un autre couple, accepter qu'ils servent à des recherches... Il faut les y aider. Par ailleurs, la concrétisation de l'espoir d'une médecine embryonnaire passe par l'accroissement des connaissances sur les mécanismes du vivant. Enfin, l'expérience de l'ICSI, dont le Comité consultatif national d'éthique vient de rappeler qu'elle n'a été mentionnée que dans une circulaire de 1999, montre que le respect des exigences éthiques est mieux garanti par des protocoles de recherche déclarés, encadrés et contrôlés. Nous vous proposerons donc de reprendre votre position de première lecture et d'instituer une évaluation des techniques d'assistance médicale à la procréation, qui nécessitera la conception d'embryons, dans le cadre exclusif de l'assistance médicale à la procréation. Diminuer le taux de destruction des embryons in vitro décongelés, augmenter le pourcentage de réussite des FIV ou mieux connaître les milieux de culture des embryons répondent à des exigences éthiques. M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées - La définition actuelle de l'assistance médicale à la procréation est suffisamment souple pour englober les évolutions médicales et techniques qui pourraient apparaître. Il est cependant nécessaire de veiller à ce que seules des techniques dont les risques sont considérés comme acceptables soient mises en _uvre. L'amendement 224 précise donc que la liste en est fixée par arrêté du ministre de la santé. M. Pierre-Louis Fagniez, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Avis favorable. L'amendement 224, mis aux voix, est adopté. M. Alain Claeys - L'amendement 156 est défendu. L'amendement 156, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté. M. Alain Claeys - L'amendement 157 corrigé est défendu. M. le Rapporteur - Avis défavorable. M. le Ministre - Je comprends le souci de M. Claeys, qui souhaite que des embryons soient créés pour tester l'efficience des techniques de procréation assistée. Il est vrai qu'on a beaucoup reproché à l'ICSI de ne pas avoir fait l'objet d'expérimentations animales et de travaux préalables à l'utilisation chez l'homme. Vous proposez que, pour être sûr qu'une technique de fécondation artificielle fonctionne, elle soit testée sur des embryons créés in vitro. Mais, une fois la fécondation effectuée, va se poser la question de savoir si l'embryon se développe. Il faudra donc procéder à un essai d'implantation, puis à un essai de développement, et en définitive à un essai de naissance, pour voir si la technique conduit à la naissance d'un enfant normal ! Il ne s'agit plus d'essais sur l'homme, mais d'essais d'hommes ! Il est certain que nous n'avons pas suffisamment développé les modèles animaux d'expérimentation, mais, en l'état actuel des choses, le Gouvernement rejette cet amendement. M. Alain Claeys - Monsieur le ministre, il me choque que vous puissiez utiliser les mêmes arguments que Mme Boutin hier soir. Votre hauteur de vue, vos compétences devraient vous empêcher d'assimiler clonage thérapeutique et clonage reproductif. Je comprends que vous puissiez être opposé au premier, mais de grâce, évitons des amalgames dangereux. Cela étant, comment pouvez-vous à la fois regretter que les techniques de procréation assistée n'aient pas été suffisamment encadrées par le législateur en 1994 et refuser aujourd'hui les moyens d'un meilleur encadrement ? Mme Haigneré avait évoqué au Sénat le concept de médecine de l'embryon. Je pense en effet qu'une telle médecine doit voir le jour. C'est tout le sens de notre amendement. L'amendement 157 corrigé, mis aux voix, n'est pas adopté. Mme Jacqueline Fraysse - L'amendement 101 vise à autoriser le recours au transfert post mortem d'embryons dans des conditions strictement encadrées pour la femme d'un couple engagé dans un projet de procréation médicalement assistée, dont le conjoint est décédé. Ce qui me gêne dans le texte actuel, c'est l'interdiction totale de ce transfert. Il me semble qu'il appartient seulement au Parlement d'encadrer très rigoureusement cette possibilité - les cas sont d'ailleurs très rares. Le choix doit revenir à la famille et au médecin, après un dialogue singulier où tous les aspects doivent être pris en compte, notamment l'intérêt de l'enfant à naître. Notre amendement propose que le transfert ne puisse avoir lieu que si le conjoint décédé a donné son consentement écrit à la poursuite du processus dans l'éventualité de son décès, et dans un délai minimal de six mois et maximal de dix-huit mois après le décès. Il précise en outre que la naissance d'un ou de plusieurs enfants à la suite d'un même transfert met fin à la possibilité de réaliser un autre transfert, et que le mariage ou le remariage de la femme fait obstacle à un transfert. M. le Rapporteur - La commission a rejeté cet amendement pour des raisons que je vais exposer à Mme Fraysse et à Mme Aurillac. Il est évident que l'avis spécifique des femmes compte beaucoup en l'espèce. La rapporteure pour avis s'est elle-même longuement interrogée et visiblement s'interroge toujours. Le cas est rare, vous l'avez dit, Madame Fraysse, tout au plus un par an. Pour autant, ce transfert d'embryons post mortem aboutit à une transgression majeure, puisqu'il conduit à mettre au monde un enfant orphelin de père, jusqu'à deux ans après la mort de celui-ci. Tous les psychologues et psychanalystes ont fait valoir que l'enfant ainsi né aurait de grandes difficultés à construire son identité psychique et serait exposé à des difficultés. Il me semble largement préférable d'informer le couple, avant l'engagement du processus de PMA, que le transfert d'embryons ne sera plus possible en cas de décès de l'un des membres du couple. Contrairement à vous, Madame Fraysse, je pense qu'il revient bien au législateur de créer, en l'espèce, un interdit. Mme Valérie Pecresse, rapporteure pour avis de la commission des lois, de la législation et de l'administration générale de la République - La commission des lois a été consultée sur les problèmes juridiques que soulèverait l'éventualité d'un transfert post mortem, comme la nécessité de reporter le règlement de la succession et de maintenir l'indivision le temps nécessaire. Elle a toutefois considéré qu'en l'espèce, devaient primer non les aspects juridiques mais bien éthiques. M. le Ministre - Même avis que la commission. L'amendement 101, mis aux voix, n'est pas adopté. M. Alain Claeys - L'amendement 155 est défendu. M. le Rapporteur - Avis défavorable. M. le Ministre - Même avis. L'amendement 155, mis aux voix, n'est pas adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 84 rectifié mentionne explicitement les cas dans lesquels il est fait obstacle à la poursuite du projet d'assistance médicale à la procréation engagé par un couple : décès d'un des membres du couple, dépôt d'une requête en divorce ou en séparation de corps, cessation de communauté de vie, révocation par écrit du consentement de l'homme ou de la femme auprès du médecin chargé du projet. M. le Ministre - Avis favorable. L'amendement 84 rectifié, mis aux voix, est adopté. M. Alain Claeys - L'amendement 158 est défendu. M. le Rapporteur - Avis défavorable. M. le Ministre - Même avis. L'amendement 158, mis aux voix, n'est pas adopté. Mme Martine Aurillac - L'amendement 186, qui a le même objet, est défendu. L'amendement 186, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté. M. le Ministre - L'amendement 225 a pour objet de permettre les recherches sur les embryons non susceptibles d'être transférés en raison de leur faible chance d'évolution vers une grossesse. La recherche sur l'embryon doit être clairement orientée vers la connaissance de la physiologie embryonnaire et bénéficier au développement de la médecine embryonnaire. M. le Rapporteur - Avis favorable. L'amendement 225, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 255 récrit l'article L. 2141-4 du code de la santé publique. Il précise les possibilités de devenir des embryons conservés en cas d'abandon de son projet parental par le couple : consentement à l'accueil de l'embryon par un autre couple dans un délai maximal de cinq ans, consentement à ce que des recherches soient menées sur cet embryon ou demande de fin de conservation. Dans tous les cas, le consentement ou la demande doivent être exprimés par écrit et faire l'objet d'une confirmation après un délai de réflexion de trois mois. M. le Ministre - Avis favorable. La rédaction approuvée par le Conseil d'Etat est en effet meilleure. L'amendement 255, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 256 précise que le couple accueillant l'embryon est préalablement informé des risques présentés par la mise en _uvre de l'assistance médicale à la procréation pour l'enfant à naître. M. le Ministre - Avis favorable. L'amendement 256, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 88 est rédactionnel. M. le Ministre - Avis favorable. L'amendement 88, mis aux voix, est adopté. M. le Ministre - L'amendement 223 est rédactionnel. M. le Rapporteur - Avis favorable. L'amendement 223, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 257 abandonne la notion de « fragment » de tissu germinal, qui est trop limitative, en raison notamment du développement du prélèvement et de la conservation d'ovaires entiers préalablement à certains traitements anti-cancéreux. M. le Ministre - Avis favorable. L'amendement 257, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'article L. 2141-11 du code de la santé publique, tel que modifié par l'article 18 de ce texte, prévoit qu'un prélèvement et conservation de gamètes ou de tissu germinal d'une personne peuvent être réalisés préalablement à un traitement susceptible d'altérer sa fertilité. L'amendement 258 étend cette possibilité à d'autres cas, par exemple l'ablation des gonades en cas de cancer. L'amendement 258, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 89 a le même objet que le précédent, le cas visé étant cette fois celui de la femme atteinte de ménopause précoce. L'amendement 89, accepté par le Gouvernement, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 273 confie aux établissements et laboratoires autorisés à pratiquer l'assistance médicale à la procréation la responsabilité de tenir un registre des tissus germinaux qu'ils conservent. L'amendement 259 le complète. M. le Ministre - Avis favorable aux deux amendements. Les amendements 273 et 259, successivement mis aux voix, sont adoptés. L'article 18 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté. M. Alain Claeys - L'amendement 159 rétablit cet article supprimé par le Sénat. L'amendement 159, repoussé par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté. L'article 18 bis demeure supprimé. Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies - Je suis heureuse de pouvoir vous rejoindre. Vous le savez, la France a été retenue comme candidate de l'Union européenne pour l'implantation du projet ITER. La décision va être prise dans les prochains jours. Nous devons donc tous nous mobiliser, ce qui explique que je n'ai pu m'impliquer autant que je l'aurais souhaité dans le début de la discussion sur ce projet, qui me tient à c_ur car il est très important pour la recherche biomédicale. Il est le fruit du travail d'une équipe et Jean-François Mattei, qui en est le capitaine, en connaît tous les aspects. Dans son propos liminaire, il a rappelé que l'on n'attend pas du législateur qu'il concilie les contraires, mais que, avec un souci d'humanité, il définisse un cadre permettant aux chercheurs de s'exprimer librement et de créer dans le respect de l'intérêt collectif. Au passage, certains ont souhaité rouvrir la discussion sur le budget de la recherche. Ce n'est pas le lieu de le faire, mais je suis prête à en trouver l'occasion pour préciser de nouveau les orientations de notre politique. La loi de finances 2004 traduit un effort en particulier pour la recherche fondamentale, source de toute innovation. Nous avons beaucoup travaillé avec les ministères de la santé et de la justice et avec le Sénat pour faire évoluer ce projet. Il est maintenant clair en ce qui concerne le clonage et je me suis attachée à ce qu'il garantisse les possibilités de recherche, dans un cadre strict, sur l'embryon humain et sur les cellules-souches. Certes, les autorisations ne sont accordées qu'à titre dérogatoire pour cinq ans, mais c'est une réelle avancée pour nos laboratoires.. M. Roger-Gérard Schwartzenberg - C'est un recul par rapport à 2002. Mme la Ministre déléguée - ...qui vont pouvoir revenir rapidement dans le peloton de tête de la recherche européenne. Certes, et les débats d'hier soir l'ont montré, il s'agit d'une transgression pour tous ceux, nombreux en France, pour qui l'embryon humain mérite le respect absolu dès les premiers stades. M. Jean-Marie Le Guen - Au moins c'est clair. Mme la Ministre déléguée - Mais c'est mon devoir de ministre de la recherche que de faire en sorte que les interdits n'empêchent pas les progrès de la science, surtout lorsqu'elle poursuit des visées aussi bénéfiques que celles dont traite l'article 19. Bien au-delà de la compétitivité ou du benchmarking européen, nous touchons ici à l'éthique, à l'humanité, au lien social. Je peux vous affirmer que le Gouvernement a la volonté d'avancer rapidement en ce qui concerne la recherche sur les cellules-souches embryonnaires. Aux conseils européens du 26 novembre et du 3 décembre, j'ai soutenu la position de la Commission qui propose un financement immédiat, dans le cadre du sixième programme-cadre, des recherches sur les embryons humains et les cellules-souches dérivées... M. Jean-Marie Le Guen - Qui trompez-vous ? Mme la Ministre déléguée - ....La France est donc ouverte sur la position de compromis proposée par la Commission alors que l'Allemagne ou l'Italie sont très réservées, car nous voulons que notre pays soit présent dans ce domaine de recherche. M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Mais il y a une interdiction de principe. Mme la Ministre déléguée - C'est le sens de l'amendement que nous proposons à l'article 27. Il sera ainsi possible de mettre en place, dès l'adoption de la loi, un dispositif transitoire pour autoriser l'importation et l'utilisation des lignées de cellules-souches existantes et régler un dossier qui, depuis plusieurs mois, nous met dans une situation embarrassante vis-à-vis de la communauté scientifique. Sans attendre la mise en place - trop longue sans doute - de l'agence de biomédecine, un décret en Conseil d'Etat créera un comité ad hoc. Jean-François Mattei a préparé les modalités pratiques lui permettant d'être opérationnel dès le vote en seconde lecture au Sénat. Les projets de qualité déjà sélectionnés pourront ainsi démarrer immédiatement. Parallèlement, mon ministère soutient la recherche sur les cellules-souches adultes. Un appel d'offres a été lancé par l'INSERM, en partenariat avec l'AFR. Nous sommes convaincus que ces recherches dans les deux voies permettront les progrès thérapeutiques attendus. J'agis également pour que la recherche sur les cellules-souches adultes soit prise en compte au niveau européen. De nombreux autres aspects du projet suscitent mon adhésion. S'agissant du clonage thérapeutique, je réaffirme la réserve, que j'ai exprimée devant le Sénat, sur l'opportunité d'ouvrir dès maintenant de nouveaux champs d'exploration sur l'homme alors que la société n'est pas prête et qu'il reste tant à faire sur les modèles animaux. D'autre part, s'agissant des recherches sur les échantillons biologiques humains, nous avons su trouver un équilibre entre les attentes des chercheurs et de l'industrie pharmaceutique, et les exigences éthiques de protection des personnes. Jean-François Mattei a conclu son intervention liminaire sur la prudence nécessaire dans l'élaboration de cette loi. Au nom de la communauté scientifique, je tiens à affirmer que cette nécessaire prudence n'exclut pas l'audace ni la prise de risque dans la recherche, car celle-ci est confrontée par nature à l'incertitude et donc poussée à explorer les possibles, même s'ils sont improbables, avec intelligence, dignité et en toute responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. le Ministre - M. Schwartzenberg a parlé d'un recul par rapport à 2002. Mais il y a une incontestable avancée par rapport à 1994 (Rires sur les bancs du groupe socialiste). M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Un pas en avant, deux pas en arrière ! M. le Ministre - Non. Vous aviez fait deux pas en avant, admettons qu'on en fasse un en arrière par rapport à 2002. M. Roger-Gérard Schwartzenberg - C'est le ministre de l'entrave à la recherche. M. le Ministre - En 1994, les recherches sur l'embryon n'étaient pas autorisées. En 2002, elles le seront dans certaines conditions. Après un délai de réflexion de cinq ans, nous verrons s'il faut poursuivre ou si d'autres voies se sont ouvertes. Loin de marquer un recul, ce projet organise trois avancées par rapport au texte de 2002 : il autorise les recherches sur les embryons qui ne seraient pas implantés après diagnostic préimplantatoire, ainsi que sur ceux qui, issus d'une fécondation in vitro, ne seraient pas transférés et dont on jugerait qu'ils ne méritent pas d'être conservés ou congelés, et à titre transitoire, il autorise la reprise des recherches sur les cellules dont vous avez autorisé l'importation. Tous les pays n'ont pas fait de telles avancées ! Mme Haigneré et moi l'affirmons sans ambiguïté : aucune équipe qui a élaboré un projet de travail sur l'embryon ne sera empêchée de le mener à bien, dès lors que ce projet sera conforme aux intérêts de la science et à l'éthique. Nous entendons simplement rester fidèles à l'esprit de l'article 16 du code civil, qui pose comme principe premier le respect de la vie, en rappelant que ce principe ne souffre d'exception que pour satisfaire à un autre principe tout aussi essentiel. Mais ce choix ne conduit pas à une fermeture : il y a au contraire large ouverture ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) M. Alain Claeys - Qui trompez-vous ? Ceux qui sont favorables aux recherches sur l'embryon ou ceux qui y sont hostiles ? M. Claude Evin - Les deux sans doute. M. Alain Claeys - Madame la ministre déléguée, vous avez eu pour finir un propos authentique. Lorsqu'il y a incertitude, on cherche les possibles, même s'ils semblent hors de portée, avez-vous dit en substance. A ce moment, vous avez parlé en ministre de la recherche, comme on l'attendait de vous... L'utilité de la loi bioéthique est double : affirmer des interdits, comme nous l'avons fait à propos du clonage reproductif, et offrir aux chercheurs des espaces de liberté. De ce dernier point de vue, la seule question qui se pose est la suivante, Monsieur le ministre : faut-il, oui ou non, au vu de l'évolution de la recherche fondamentale et des espoirs thérapeutiques, lever les interdits pesant sur les recherches relatives à l'embryon et aux cellules-souches embryonnaires ? Le Sénat a répondu par la négative et, à travers son vote, c'est votre position, naguère minoritaire, qui triomphe... M. Michel Piron - Caricature ! M. Alain Claeys - Comme vous ne pouvez interdire, vous proposez un moratoire. Mais pouvez-vous en conscience affirmer que ces recherches sont inutiles ? Si tel n'est pas le cas, acceptez notre amendement, quitte à encadrer ces recherches comme nous l'avions fait. Votre position n'est certainement pas de nature à rassurer les chercheurs. Vous ne faites que donner des gages à ceux qui voudraient rouvrir le débat sur le statut de l'embryon. Pour nous, qui avons entendu les représentants de toutes les confessions et de tous les courants philosophiques, nous considérons que notre rôle n'est pas de trancher entre les différentes convictions : comme l'a dit à juste raison M. Le Guen, les lois bioéthique sont éminemment des lois laïques, des lois de respect des droits de l'homme. Adopter une position de fermeture est dès lors une faute. Au reste, pourquoi un moratoire de cinq ans, et pas de quatre ou six ans ? Croyez-vous que des chercheurs en sciences fondamentales puissent s'engager sur le terme de leurs travaux ? Croyez-vous qu'ils puissent s'engager à parvenir à une application thérapeutique ? Votre décision est lourde de conséquences pour les malades actuellement considérés comme incurables et qui attendent un traitement. Qui vous dit que ces recherches ne permettront pas de mieux comprendre la différenciation cellulaire, et donc les mécanismes du cancer, ou ceux de la dégénérescence cérébrale ? C'est ce qui nous conduit, en ce qui nous concerne, à vouloir comme en première lecture autoriser les recherches sur l'embryon tout en les encadrant. Il n'y a là nulle fuite en avant, mais retour à ce qui faisait consensus. Qu'il s'agisse du clonage reproductif, de l'AMP ou du diagnostic préimplantatoire, nous prenons nos responsabilités en refusant les faux-semblants. De grâce, acceptez de revenir au texte de l'Assemblée ! Nous sommes cohérents avec nous-mêmes, et ce n'est pas parce que nous sommes aujourd'hui dans l'opposition que nous allons oublier les questions que nous posions hier à propos du clonage thérapeutique. Il se trouve simplement qu'en deux ans, la science a évolué et nous souhaitons donc que l'Agence de biomédecine élabore rapidement un rapport pour décider si, oui ou non, cette technique doit être autorisée par la loi. Ces lois de bioéthique ne seront assurées de durer que si nous parvenons à fixer des règles propres à rassurer les Français et à proposer à la communauté scientifique un contrat de confiance. Dès lors que nous aurons arrêté cette position claire, je suis convaincu que notre position internationale s'en trouvera renforcée. Mme Jacqueline Fraysse - Je m'avoue moi aussi heurtée par une décision rétrograde et indigne de responsables de la recherche. N'y a-t-il pas contradiction, d'ailleurs, à poser une interdiction de principe, puis à autoriser à titre dérogatoire la recherche sur les embryons et sur les cellules-souches embryonnaires ? Vous invoquez la prudence, mais vous rompez l'équilibre entre exigences de la recherche et éthique qui caractérisait la rédaction initiale de cet article. A l'époque, nous étions unanimes pour protéger la recherche contre elle-même mais, conscients des perspectives thérapeutiques qu'ouvraient les travaux sur l'embryon, nous avions souhaité les encourager tout en empêchant les dérives - c'est pourquoi nous n'avions autorisé que les recherches portant sur les embryons surnuméraires. Même si les embryologistes sont aujourd'hui moins optimistes, nous ne pouvons freiner ces recherches, et ce ne serait d'ailleurs pas notre rôle. Il faut certes encadrer, pour éviter que se constitue un marché des ovocytes ou qu'il y ait surproduction d'embryons dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation. Ce n'est pas nous qui oublierons que nous vivons dans un monde mercantile, où la peur de perdre en bourse l'emporte sur la peur du gendarme ! Mais cela ne suffit pas à nous convaincre de renoncer à ces recherches, comme vous vous apprêtez à le faire pour des motifs pour le moins spécieux. En effet, si, sous la pression des milieux de la recherche médicale, vous ménagez des dérogations, allant jusqu'à parler de transgression nécessaire, vous en limitez strictement la portée : vous exigez qu'il n'y ait pas concurrence et vous bornez la durée des protocoles à cinq ans - comme si tout parcours de recherche n'était pas singulier et comme si tous les projets pouvaient aboutir en un temps aussi court ! Sans vouloir le définir précisément, vous prenez position sur le statut de l'embryon. De ce point de vue, l'amendement Garraud a eu une importance symbolique. Les limites posées par le Gouvernement pour restreindre le champ de la recherche ne sont-elles pas « l'attachement au principe du respect de l'être humain dès le commencement de sa vie » plutôt que l'impératif sanitaire ou la protection des femmes ? Après la question du brevetage, évoquée hier soir, vous effectuez, Monsieur le ministre, un nouveau grand écart. Il n'y a là nulle cohérence. Nous sommes convaincus qu'il faut donner à l'embryon un statut particulier, mais celui-ci ne peut être celui d'un être humain. Le considérer ainsi serait dogmatique et aurait pour conséquence de brimer la recherche. La rédaction initiale du texte permettait de développer la recherche et de respecter le statut singulier de l'embryon. Nous proposons donc d'y revenir. Ne cédez pas aux forces conservatrices. N'oubliez pas qu'il fut un temps où la dissection de cadavres était interdite. Les ministres ne sauraient entraver la recherche. Il faut empêcher cet indigne recul (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Je ne partage pas les positions des ministres. Je connais l'importance des thérapies cellulaires et donc de la recherche sur les cellules souches issues d'embryons surnuméraires. Le Président de la République affirmait lui-même à Lyon, le 8 février 2001, que les perspectives ouvertes par les thérapies cellulaires pouvaient justifier une évolution de la législation. Il se déclarait favorable à la recherche sur les embryons conservés depuis plusieurs années, en application de la loi de 1994. Je souhaiterais que les ministres aient une position aussi progressiste, comme celle exprimée d'ailleurs en 2002 par 325 députés. En fait, malgré vos circonlocutions, vous tendez à interdire la recherche sur les cellules souches d'embryons en ne l'autorisant que de manière dérogatoire et transitoire. Je partage la position de M. Claeys sur ce que l'on appelle abusivement le clonage thérapeutique et qu'il est préférable d'appeler « transfert de noyaux de cellules somatiques ». Il convient de rester sur la position définie en 2002, en considérant qu'un éclairage scientifique supplémentaire mais rapide est nécessaire. Le 7 février 2001, M. Mattei, qui n'était pas encore ministre, se déclarait favorable au clonage thérapeutique : « Une cellule souche obtenue par un transfert nucléaire dans un ovocyte vide doit être considérée pour ce qu'elle est : une cellule. Je ne vois donc pas d'obstacle en ce qu'on en utilise à des fins médicales ». A cette époque, Monsieur le ministre, vous alliez plus loin que nous... M. le Ministre - Sûrement pas ! M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Vous déclariez en outre qu'il ne fallait pas tarder à trancher cette question : « Si demain ces cellules fournissent des thérapeutiques, toute personne qui a un enfant malade et qui peut le faire soigner à New York sautera dans l'avion, si elle en a les moyens ». M. le Ministre - Il n'y a pas de contradiction. M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Nous ne ferons pas une proposition semblable car le clonage thérapeutique est encore une technique difficile mais nous souhaiterions que le conseil d'orientation de l'Agence de biomédecine nous informe des évolutions en cours. Le droit des malades est également en cause. On ne peut négliger leur attente, non plus que traiter leurs problèmes au cas par cas, par dérogation, de façon honteuse, ou brider la recherche. Un ministre de la recherche devrait protéger les droits des chercheurs. Tel n'est pas le cas ici. Je n'ai pas entendu prononcer un seul mot en faveur du texte voté en 2002, ni faire une seule référence à l'appel lancé par plusieurs prix Nobel demandant que l'on puisse faire enfin en France, au grand jour, des recherches sur les cellules souches embryonnaires issues d'embryons surnuméraires. Vous n'êtes assurément pas dans la bonne direction en croyant détenir la vérité contre quatre prix Nobel et, je le répète, 325 députés. Vous-mêmes n'êtes d'ailleurs pas assurés de votre propre position, la sachant indéfendable. M. Jean-Marie Le Guen - J'ai été frappé par le ton employé par les deux ministres. Était-ce de la gêne, de l'habileté ? Il était en tout cas adéquat à la sinuosité de l'argumentation. Qu'est-ce qui justifie le changement d'orientation par rapport à la loi votée en première lecture ? Des déclarations du Président de la République, des prises de position d'académies scientifiques ou du Conseil d'Etat ? Non. Personne n'a prétendu que la législation de 2001 était mauvaise. Nous sommes à un moment historique, face à une rupture avec la façon dont ont été élaborées depuis quinze ans les lois de bioéthique. D'un certain point de vue, nous vivons la fin des lois de bioéthique, et le commencement des lois de l'ordre moral sur la recherche (Protestations sur les bancs du groupe UMP). M. le Rapporteur - Non. M. Jean-Marie Le Guen - La loi de 2001 reposait sur un compromis. A partir de positions plus ou moins radicales, nous avions su, comme pour les précédentes lois de bioéthique, construire un consensus politique. Il y a encore quelques instants, les lois de bioéthique n'étaient pas entrées dans le champ de l'affrontement politique. C'est indépendamment de nos positions politiques, comme en première lecture, que nous nous sommes prononcés hier soir sur le DPI ou, tout à l'heure, sur l'embryon post mortem. Avec cet article qui renverse les convictions d'une partie de la majorité, on nous propose cette fois un clivage politique entre la gauche et la droite. C'est un changement de la nature même des lois de bioéthique. Celles-ci s'étaient construites jusqu'ici sur un dialogue entre le législateur et le chercheur : le second se tournait vers le premier pour lui demander dans quelles limites il devait inscrire son action. Désormais, comme l'a dit Roger-Gérard Schwartzenberg, c'est la loi qui retiendra le chercheur. Au lieu de l'aider à aller plus avant, elle prône la fermeture. Le hasard fait que c'est le jour même où la commission Stasi remet son rapport - qui va nous amener à réaffirmer un certain nombre de principes au nom de valeurs communes - que nous renonçons, par faiblesse et par calcul politique, à élever notre législation au-dessus des contraintes idéologiques qui s'expriment dans l'ombre. Il y a là un esprit de laïcité mal partagé et un manque d'équité - peut-être pas le dernier, il est vrai - dans l'action de ce gouvernement. En acceptant de prendre, sans la partager, la position qui sera sans doute la leur tout à l'heure, un certain nombre de nos collègues de la majorité acceptent ce changement de nature du débat sur les lois de bioéthique. Après une parenthèse historique, le débat sur le progrès épouse donc à nouveau le cours du débat politique dans notre pays. M. Michel Piron - J'entends dénoncer une interdiction générale de la recherche sur l'embryon. Permettez-moi donc de m'interroger à mon tour. Sauf à accorder à la science une primauté absolue sur l'éthique, le potentiel humain peut-il être considéré comme un matériau ordinaire ? Vous dites accepter l'encadrement de la recherche sur ce « matériau ». Ce n'est rien d'autre qui est ici proposé. Quel postulat autoriserait la recherche sur l'homme à n'importe quelles conditions, voire sans limites ? Mme Jacqueline Fraysse - Personne n'a dit cela ! M. Michel Piron - Une des difficultés est que l'homme devient à la fois sujet et objet. Devant une question aussi complexe, il est pour le moins excessif, Monsieur Schwartzenberg, de laisser entendre qu'on manquerait de franchise ou de rigueur : ce faisant, vous réduisez le débat à un choix entre des termes simplistes. Pour ma part, je serais bien incapable de donner une définition de l'homme. J'ai pourtant voté hier soir l'autorisation de la recherche - encadrée - sur les embryons surnuméraires. Je ne suis pas toujours Mme Boutin, mais nous sommes ici devant un véritable saut : je ne me sens pas le droit de laisser croire que le choix serait entre la lumière et l'obscurantisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. le Ministre - Il est facile de recourir à des affirmations mensongères. La recherche sur les cellules embryonnaires, vous allez l'autoriser, aujourd'hui. M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Dites la vérité ! Vous l'interdisez en principe. M. le Ministre - Nous avons pris conscience, comme le Président de la République, que vous avez cité, ou le Conseil d'Etat, qu'elle était devenue un passage obligé. Vous vous étonnez que nous ne l'autorisions que pour cinq ans. Ce n'est pas de la méfiance, c'est de bonne pratique. Quand on a commencé à manipuler l'ADN et les gènes dans les années 1960, ce sont les chercheurs eux-mêmes qui ont demandé un tel moratoire. M. Jean-Marie Le Guen - Et cette fois, vous l'ont-ils demandé ? M. le Ministre - Nous allons prendre le temps de nous pencher sur l'encadrement, l'évaluation et les résultats de ces recherches. Vous n'êtes pas les seuls à consulter les chercheurs. Pourquoi vous auraient-t-ils tous dit la même chose à vous ? Souffrez que la commission et le Gouvernement aient eux aussi rencontré les chercheurs, et que ceux-ci aient accepté que l'on prenne le temps de mettre au point les modalités des recherches. Vous nous avez accusés, Monsieur Le Guen, de créer un clivage. Celui-ci ne date pas d'aujourd'hui. En 1992, en première lecture, la majorité de l'époque avait voté d'un seul bloc alors que l'opposition se divisait entre le vote pour, l'abstention et le vote contre. C'est en 1994, en deuxième lecture, que le clivage est apparu : la nouvelle opposition s`est opposée en bloc. Dans nos rangs, il n'y a eu ni consigne de vote ni vote unanime. M. Claeys me dit que je n'ai pas le droit d'enfermer la recherche sur les cellules embryonnaires dans la finalité thérapeutique. J'entends bien cet argument. Mais en d'autres circonstances, le clonage a été appelé «thérapeutique » pour être défendu. Les recherches qui seront menées si on opère un jour ce transfert de noyau dans des cellules énuclées ne seront pas nécessairement à finalité thérapeutique. Le glissement du thérapeutique vers le médical s'opère généralement de façon naturelle. Nous voulons éviter à ce stade des recherches qui n'auraient rien à voir avec la guérison des malades. Vous n'avez pas non plus le monopole des rencontres avec les associations de malades ! J'ai été personnellement mis en cause par M. Schwartzenberg. Je n'ai rien à redire sur les propos qui m'ont été prêtés. Il n'y a aucune ambiguïté pour moi : le clonage thérapeutique n'est pas un processus sexué. Je continue de m'interroger sur le statut de cette cellule qui a un potentiel embryonnaire, mais n'est pas issue d'une fécondation. Il n'empêche que, transférée dans un utérus, elle se développe comme un embryon et devient un embryon. Je m'interrogeais donc sur la différence entre une cellule embryonnaire parce que résultant d'une conception sexuée et une cellule issue d'un noyau unique. Mais vous ne m'avez cité que partiellement. J'ajoutais qu'au-delà des interrogations philosophiques sur le statut de la cellule, il persistait deux obstacles au clonage thérapeutique : d'abord, ce serait la porte ouverte au clonage reproductif. Ensuite, cela pose le problème de la marchandisation des ovules humains. On peut conserver un doute sur la nature de la cellule initiale asexuée, mais le clonage thérapeutique ne peut être accepté du fait des risques qu'il fait courir. Bon nombre de choses ont changé depuis 1994, et certaines de mes positions ont évolué. On a interdit la recherche alors que ce n'était probablement pas le moment de le faire. Dix ans plus tard, il n'y a pas eu de progrès sensible sur le sujet et nos chercheurs n'ont pas perdu de temps. Quant aux modèles animaux, nous n'avons pas non plus de données réellement déterminantes. Pour l'instant, nous voulons ouvrir la possibilité de la recherche, de manière provisoire et très encadrée. Pour suivre votre logique jusqu'au bout, vous devriez demander la réécriture de l'article 16 du code civil. Votre amendement vient en effet le contredire (Protestations sur les bancs du groupe socialiste), ainsi que la convention d'Oviedo que nous allons ratifier. M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Je ne mets pas en doute votre bonne foi, Monsieur le ministre. Vous ne disiez rien de plus, dans votre entretien à Libération, même si vous avez dit ailleurs que le clonage thérapeutique et le clonage reproductif commençaient de la même manière. Je voulais faire remarquer que dans cet article, vous considériez que les cellules embryonnaires ne constituaient pas un embryon. J'en déduis que, si toute recherche sur l'embryon est interdite, la recherche sur les cellules embryonnaires est autorisée... Veuillez donc nous le confirmer ! M. le Ministre - Mais non ! M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Monsieur Mattei, vous définissez l'embryon par deux conditions : une production sexuée et l'implantation dans un utérus. Je pense que c'est exact. Une cellule embryonnaire n'est donc pas un embryon. Si toute recherche sur l'embryon est interdite, vous n'interdisez pas la recherche sur les cellules souches embryonnaires, ou avez-vous changé de conception de l'embryon ? Vous évoquez sans cesse l'article 16 du code civil, mais le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 27 juillet 1994, a dit expressément que le principe du respect de l'être humain dès le commencement de la vie ne s'applique pas aux embryons conçus par fécondation in vitro. Vous ne pouvez donc nous opposer aucun principe constitutionnel. Nous sommes en présence d'une disposition législative ordinaire, dans le code civil, et nous sommes libres d'en voter une autre. Vous avez répété que les thérapies cellulaires ou les thérapies géniques n'ont pas donné grand succès depuis dix ans et que par conséquent personne n'a perdu de temps. Je rappelle que la seule thérapie génique qui a abouti est l'_uvre du professeur Fischer : des bébés-bulles sont dorénavant rentrés chez eux ! D'autres recherches se poursuivent ailleurs en ce qui concerne les thérapies géniques. Quant aux thérapies cellulaires, il n'y a qu'à écouter le Téléthon pour en connaître les progrès ! L'utilisation des cellules embryonnaires étant interdites, les chercheurs travaillent sur des cellules f_tales : faut-il rappeler les travaux de M. Peschanski ? Comment le ministre de la santé, et donc de la recherche médicale, cotuteur de l'INSERM, peut-il dire que la recherche n'a pas vraiment progressé ? Quelle modestie en ce qui concerne le travail des chercheurs français ! Cette pudeur est tellement exquise qu'ils la remarqueront certainement, mais je préférerais leur rendre hommage et considérer qu'ils pourraient faire encore davantage s'ils n'étaient entravés par la loi. M. le Ministre - Je vous remercie, Madame la Présidente, de laisser quelque temps à ce débat. Monsieur Schwartzenberg, les travaux réalisés par Alain Fischer étaient naturellement autorisés par la loi. Vous me reprochez d'être trop critique vis-à-vis de la thérapie cellulaire, mais il ne s'agit pas de cela ! Je connais très bien les remarquables travaux de M. Peschanski, qui portent sur des cellules f_tales, et non des cellules embryonnaires ! M. Roger-Gérard Schwartzenberg - C'est ce que j'ai dit ! M. le Ministre - Certes, mais vous procédez par approximation, pour laisser supposer que nous sommes opposés à la recherche, que nous sommes obscurantistes et conservateurs. Mais que dire de votre façon d'aborder le débat ? Vous ne pensiez pas un seul instant que nous serions capables d'autoriser la recherche, dans certains cas, sur les cellules embryonnaires (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Vous en étiez tellement persuadés que vous aviez bâti toute votre argumentation en fonction de cela, mais ce que nous proposons aujourd'hui satisfait tous ceux qui ont des protocoles de recherche sur le sujet. Le débat sur la portée du code civil et de la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1994 vaut la peine d'être engagé, ainsi que celui sur la distinction entre une cellule qui procède d'une fécondation sexuée et qui est un embryon - la loi parle d'ailleurs à tout moment d'embryons congelés - et une autre, qui bénéficie d'un transfert nucléaire et sur la nature de laquelle on peut s'interroger. M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Considérez-vous que la cellule souche qui provient d'embryons surnuméraires serait un embryon, alors que celle qui provient d'un clonage thérapeutique ne le serait pas ? Le statut d'embryon dépendrait de la provenance de la cellule ? M. le Ministre - On est en train de couper les embryons en quatre ! M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Vous êtes ministre de la santé, et en outre un professeur éminent. Vous êtes donc là pour nous éclairer ! La cellule devient-elle, dans l'un des deux cas, un embryon ? Je crains que vous ne bouleversiez la science ! M. le Ministre - Peut-être avez-vous des certitudes, moi je continue à m'interroger. En ce qui concerne la situation nouvelle d'un ovocyte énucléé dans lequel on met un noyau à 46 chromosomes, ne résultant pas d'une fécondation sexuée, je m'interroge sur le statut que peut avoir cette cellule. En revanche, une cellule embryonnaire provient bien d'un embryon, ce qui ne veut pas dire qu'elle soit elle-même un embryon. C'est pourquoi je ne me suis pas contenté de parler de la recherche sur les cellules embryonnaires, mais aussi de la recherche sur l'embryon. Vous mélangez la recherche sur l'embryon au bénéfice de l'embryon - si nous ne faisons pas des études sur l'embryon complet, nous ne comprendrons jamais un processus de développement - et la recherche sur les cellules embryonnaires, qui ne sont pas des embryons mais proviennent des embryons et ne peuvent donc pas être traitées comme un vulgaire matériel. M. Alain Claeys - L'amendement 132 est défendu. M. le Rapporteur - La commission s'est beaucoup interrogée. Un des principaux arguments pour ne pas autoriser le clonage thérapeutique est le risque de glissement vers le clonage reproductif, sur lequel le Président de la République a solennellement interrogé l'opinion. Tous les chercheurs nous disent par ailleurs qu'il faut continuer les travaux expérimentaux sur l'animal, qui n'ont pas donné tous les résultats qu'on pouvait en attendre. C'est donc un principe de précaution qui a conduit la commission à rejeter cet amendement. L'amendement 132, repoussé par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté. M. Alain Claeys - Les amendements 161, 129 et 130 sont défendus. Les amendements 161, 129 et 130, repoussés par la commission et par le Gouvernement, successivement mis aux voix, ne sont pas adoptés. Mme la Présidente - Sur l'amendement 160, je suis saisie par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public. M. Alain Claeys - Cet amendement 160 autorise la recherche sur l'embryon humain et les cellules embryonnaires si « elle a une finalité médicale » et à condition « qu'elle ne puisse pas être poursuivie par une méthode alternative, d'efficacité comparable, en l'état des connaissances scientifiques. » M. le Rapporteur - La commission a repoussé cet amendement. M. le Ministre - Même avis. A la majorité de 20 voix contre 15 sur 35 votants et 35 suffrages exprimés, l'amendement 160 n'est pas adopté. M. le Ministre - L'amendement 228 rectifié clarifie les modalités de recueil du consentement des couples en matière de recherche sur les embryons dans les différentes situations pouvant se présenter. M. le Rapporteur - Avis favorable. L'amendement 228 rectifié, mis aux voix, est adopté. Mme la Présidente - L'amendement 131 tombe. M. le Ministre - L'amendement 226 est de conséquence. M. le Rapporteur - Avis favorable. L'amendement 226, mis aux voix, est adopté. M. le Ministre - L'amendement 227 permet l'exportation de tissus ou de cellules, embryonnaires ou f_taux, aux fins de recherche, que n'autorise pas le texte dans sa rédaction actuelle. Il s'agit de faciliter les programmes de recherche internationaux. M. le Rapporteur - Avis favorable. M. Roger-Gérard Schwartzenberg - L'article 19 de la loi du 1er juillet 1998, complété par un décret du 23 février 2000, autorise déjà l'importation et l'exportation de ce type de produits. Vous ne faites donc que maintenir la législation existante. M. le Ministre - Si cet amendement n'avait pas été nécessaire, nous ne l'aurions pas déposé. M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Vous devriez mieux surveiller le travail des membres de votre cabinet. M. le Ministre - Ce type de remarque ne vous honore pas. L'amendement 227, mis aux voix, est adopté. M. Alain Claeys - L'amendement 162 est défendu. M. le Rapporteur - Avis défavorable. M. le Ministre - Même avis. Revenant sur l'échange que nous avons eu tout à l'heure avec M. Schwartzenberg, je lui indique qu'en 1998, la recherche sur les cellules ou tissus embryonnaires n'était pas autorisée. Ni l'exportation ni l'importation de tels produits à cette fin ne pouvaient donc l'être. M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Je maintiens que le décret du 23 février 2000 s'appuie sur la loi du 1er juillet 1998. Lorsque je vous invite à surveiller le travail de votre cabinet, Monsieur le ministre, je ne pense pas même à cet été, mais à l'incongruité qu'il y a à voter une disposition législative qui existe déjà. M. le Ministre - Ce décret a été annulé. M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Il est faux de prétendre que le juge administratif a annulé l'autorisation d'importation. Le décret a seulement été suspendu par le Conseil d'Etat, le tribunal administratif qui a jugé l'affaire au fond, lui, l'a validé, déboutant l'association chère à Mme Boutin -dont je respecte les convictions. Le spontanéisme, Monsieur le ministre, n'a pas sa place lorsqu'on légifère (Murmures sur les bancs du groupe UMP). M. le Ministre - Ce n'est pas moi qui me permettrai de vous donner des leçons de droit... M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Ce serait difficile (Murmures sur les bancs du groupe UMP). M. le Ministre - Les cellules et tissus, embryonnaires ou f_taux, ne sont pas traitées de la même façon que les éléments ou les produits du corps humain. L'amendement 162, mis aux voix, n'est pas adopté. L'article 19 modifié, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - Cet article, introduit par le Sénat, prévoit la remise de deux rapports, l'un par l'Agence de la biomédecine, l'autre par l'office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, concernant les recherches sur l'embryon et les cellules souches embryonnaires. Lors du débat au Sénat, plusieurs orateurs ont, à juste titre, souligné l'intérêt que ces deux rapports comparent les résultats obtenus grâce aux recherches sur les cellules souches embryonnaires, d'une part, sur les cellules souches adultes, d'autre part. En effet, ces deux voies de recherche doivent être suivies parallèlement et l'information du Parlement être la plus complète possible. C'est le sens de l'amendement 90. M. le Ministre - Avis favorable. L'amendement 90, mis aux voix, est adopté. L'article 19 bis modifié, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 91 rectifié prévoit un consentement écrit préalable de la femme avant que soient prélevés des tissus ou cellules des embryons ou f_tus après une interruption de grossesse, sauf si les prélèvements ont pour but de rechercher les causes de celle-ci M. le Ministre - Avis favorable, sous réserve de l'adoption du sous-amendement 277, qui laisse à la femme un délai de réflexion d'au moins 48 heures entre le moment où elle reçoit l'information sur les finalités du prélèvement et le recueil de son consentement. M. le Rapporteur - La commission n'a pas examiné ce sous-amendement. A titre personnel, j'y suis favorable. Le sous-amendement 277, mis aux voix, est adopté. L'amendement 91 rectifié ainsi sous-amendé, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 92 précise le régime juridique applicable aux prélèvements à finalités diagnostiques opérés sur des embryons ou des f_tus lorsque la femme est mineure ou fait l'objet d'une mesure de protection légale. Le texte actuel n'indique pas clairement si celle-ci peut s'y opposer. Si en tant que mineure, la personne ne peut donner son consentement, elle a en revanche un droit de s'opposer. Son refus doit alors faire obstacle au prélèvement. M. le Ministre - Avis favorable. L'amendement 92, mis aux voix, est adopté. L'article 20 modifié, mis aux voix, est adopté. Mme la Rapporteure pour avis - L'amendement 7 prévoit pour la prescription des peines le même délai de trente ans que pour la prescription de l'action publique pour les crimes contre l'espèce humaine. L'amendement 7, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. Mme la Rapporteure pour avis - Les amendements 8 et 9 sont rédactionnels. Les amendements 8 et 9, acceptés par la commission et par le Gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés. M. le Rapporteur - L'amendement 274 est rédactionnel. L'amendement 274, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. Mme la Rapporteure pour avis - L'amendement 10 tend à sanctionner le fait de procéder à une recherche ou une étude sur l'embryon humain alors que le consentement du couple dont est issu l'embryon serait révoqué. L'amendement 10, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. M. le Ministre - L'amendement 229 introduit dans le code pénal des pénalités pour défaut d'autorisation de recherche sur les cellules souches embryonnaires, qui ne figurent pas dans le projet. M. le Rapporteur - Avis favorable. Mme la Rapporteure pour avis - L'amendement prévoit le cas où l'autorisation est suspendue ou révoquée. Le sous-amendement 285 ajoute celui où le consentement est révoqué. Le sous-amendement 285, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. L'amendement 229 ainsi sous-amendé, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 93 corrige une erreur matérielle. L'amendement 93, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. M. le Ministre - L'amendement 230 aménage les sanctions pénales applicables en cas d'importation ou d'exportation de tissus à des fins de recherche sans autorisation de l'Agence de la biomédecine. L'amendement 230, accepté par la commission, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 260 rectifié est de cohérence avec l'amendement à l'article 17. L'amendement 260 rectifié, accepté par la commission, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 261 précise une référence. L'amendement 261, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - L'amendement 94 est de coordination. L'amendement 94, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. L'article 21 ainsi amendé, mis aux voix, est adopté. Mme la Rapporteure pour avis - L'amendement 11 est de coordination. L'amendement 11, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. L'article 21 bis A ainsi modifié, mis aux voix, est adopté. M. Alain Claeys - L'amendement 165 est défendu. L'amendement 165, rejeté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, n'est pas adopté. L'article 21 bis demeure supprimé. Mme la Rapporteure pour avis - L'amendement 12 donne aux associations de lutte contre les sectes la possibilité de se porter partie civile en cas d'infraction contre l'espèce humaine qu'elle soit criminelle ou délictuelle, comme la provocation au clonage et la publicité ou la propagande en faveur de l'eugénisme. L'amendement 12, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. M. le Ministre - L'amendement 231 est rédactionnel. L'amendement 231, accepté par la commission, mis aux voix, est adopté. M. le Ministre - L'amendement 233 reproduit dans le code de la santé publique l'article 511-19-3 introduit par amendement dans le code pénal. L'amendement 233, accepté par la commission, mis aux voix, est adopté. L'article 22 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté. Mme la Présidente - Les articles 23 à 25 ont été adoptés dans un texte identique par les deux assemblées. Mais la commission des affaires culturelles a souhaité présenter des amendements de coordination. M. le Rapporteur - L'amendement 268 est de coordination rédactionnelle. L'amendement 268, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. L'article 23 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - Les amendements 270 et 269 sont de coordination avec la nouvelle rédaction de l'article 7. Les amendements 270 et 269, acceptés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés. L'article 24 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - Les amendements 95 et 96 sont de coordination avec la nouvelle rédaction de l'article 13. Les amendements 95 et 96, acceptés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés. L'article 25 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté. M. le Ministre - Afin de ne pas accentuer le retard pris par la France dans ce domaine, l'amendement 234 organise des mesures transitoires pour pratiquer la recherche sur les cellules souches embryonnaires en attendant la mise en place de l'Agence de la biomédecine. M. Alain Claeys - Confirmez-vous que ces décisions transitoires seront prises conjointement par le ministère de la recherche et celui de la santé, alors que l'agence sera sous la seule tutelle du second ? M. le Ministre - Le ministère de la recherche est impliqué de plein droit dès lors qu'il s'agit de sujets relevant de sa compétence. M. Alain Claeys - Dans ce cas, pourquoi n'y a-t-il pas cotutelle de l'agence, qui concerne des secteurs de la recherche ? M. le Ministre - Je m'en suis expliqué hier : l'agence s'organise à partir de l'Institut français des greffes pour lequel il n'y a pas de cotutelle, avec pour perspective de fusionner avec l'AFSSAPS, qui n'en a pas non plus. Mais le ministre de la recherche a un droit de veto et participe à la nomination des experts. Il est donc impliqué dès lors qu'il s'agit de recherche. M. Alain Claeys - Mais pour les membres du conseil d'administration dont la nomination relève du Gouvernement, seul le ministre de la santé décide. M. le Ministre - Je parlais de la nomination des experts du comité d'orientation. L'amendement 234, mis aux voix, est adopté. L'article 27 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté. M. le Ministre - L'amendement 235 proroge de deux ans les autorisations et agréments accordés aux établissements et praticiens pour laisser le temps à l'agence de les prendre en charge progressivement. L'amendement 235, accepté par la commission, mis aux voix, est adopté. M. le Ministre - Les dispositions portant révision de la loi Huriet-Sérusclat ont été intégrées dans le projet de loi relatif à la politique de santé publique. Par souci de cohérence, l'amendement 236 reporte l'examen de l'habilitation prévue à cet article à la prochaine lecture au Sénat du projet de loi de santé publique. L'amendement 236, accepté par la commission, mis aux voix, est adopté. L'article 28 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur - Pour pouvoir tenir compte des progrès scientifiques, l'amendement 97 prévoit un rendez-vous législatif sur la nouvelle loi dans un délai maximum de cinq ans après son entrée en vigueur, comme le prévoyaient les lois de 1994. Le président Dubernard y tient beaucoup et, en 1994, M. Mattei y était favorable. M. le Ministre - Le président Dubernard aurait sans doute accepté de retirer cet amendement après discussion. Je ne souhaite pas ce rendez-vous après cinq ans. En 1994, j'y étais favorable comme on l'avait fait en 1975 pour la loi sur l'interruption de grossesse. Mais on n'avait pas, après sa révision par Mme Pelletier, prévu de rendez-vous systématique tous les cinq ans. Il en était de même pour la loi Huriet-Sérusclat. Ce n'est pas parce qu'on l'a fait une fois qu'il faut systématiquement prévoir une révision à date préfixe ! D'autre part, cette loi s'intitule « loi relative à la bioéthique », ce qui n'était pas le cas en 1994. Je ne voudrais pas que, par le biais de ces révisions régulières, on limite définitivement la bioéthique aux sujets traités dans ce texte. Il existe en effet de nombreux autres domaines qui en relèvent et qui demanderont peut-être que nous légiférions avant le terme de cinq ans : ainsi, peut-être, le clonage thérapeutique. Au reste, en 1994, on avait décidé que la révision interviendrait dans les cinq ans et il s'en est écoulé dix ! Depuis 1997, on n'a cessé en effet de renvoyer ce travail d'année en année... Evitons donc de ligoter le législateur, au risque de l'obliger à retarder ou à hâter une loi indispensable. Si, malgré ces observations, vous votiez l'amendement, je serais contraint de proposer au Sénat un nouvel intitulé pour cette loi, ce qui risquerait de semer la confusion dans les esprits. Surtout, il me semble qu'il appartient au législateur de décider quand et sous quelle forme il doit traiter de chaque sujet. C'est pourquoi, nonobstant l'amitié et le respect que j'ai pour le président Dubernard, je vous invite à repousser cet amendement. M. Alain Claeys - Je ne vous comprends pas ! Pourquoi cette attitude de blocage dès lors qu'en sus de l'échéance quinquennale, nous prévoyons un rapport annuel de l'Agence de biomédecine ? Cette deuxième disposition laisse toute la souplesse nécessaire ! Et pourquoi refuser ce terme de cinq ans quand c'est précisément celui du moratoire que vous imposez à la recherche sur l'embryon ? Pour ma part, je soutiens cet amendement de qualité. M. le Ministre - Vous venez de me fournir une objection supplémentaire ! En rapprochant la durée d'une disposition d'ordre scientifique, relative à la recherche sur les embryons, et le délai que vous fixez pour la révision de cette loi, vous donnez le sentiment que la bioéthique se réduirait aux sujets couverts par le projet, ce qui n'est évidemment pas le cas puisqu'on trouvait des dispositions en relevant aussi bien dans la loi instituant la CMU - je pense à la stérilisation des femmes adultes handicapées -, dans la loi de modernisation sociale et même dans la loi sur les droits des malades. Cela étant, je le répète, le Gouvernement n'entend rien imposer : la décision vous appartient. M. Alain Claeys - En quoi un moratoire de cinq ans est-il une « mesure d'ordre scientifique » ? M. le Ministre - D'une façon générale, c'est la durée que préconisent les scientifiques chaque fois qu'ils veulent se donner le temps de la réflexion sur un sujet. Je sais bien que vous objectez : pourquoi pas quatre ou six ans ? Mais je vous renvoie à mon tour l'argument, s'agissant de la révision... Le délai de cinq ans est celui qui a été retenu dans la loi de 1975 sur l'interruption de grossesse et dans la loi Huriet-Sérusclat, et c'est pourquoi on l'a à nouveau retenu en 1994. Mais en l'occurrence, il ne pouvait être respecté, compte tenu du temps nécessaire à l'élaboration des textes d'application, à l'agrément des équipes et à l'évaluation. D'autre part, s'agissant de la transplantation, de la thérapie cellulaire, de la thérapie génique ou des recherches sur l'embryon, il est clair qu'on n'avancera pas partout au même rythme. M. Alain Claeys - Le sous-amendement 168 est défendu. M. le Rapporteur - Avis favorable, dans un esprit d'ouverture ! Monsieur le ministre, la commission connaissait vos arguments car je les ai fait valoir, mais elle ne les a pas faits siens. Je maintiens donc la position donnée tout à l'heure. Le sous-amendement 168, mis aux voix, n'est pas adopté. L'amendement 97, mis aux voix, est adopté et l'article 29 est ainsi rétabli et rédigé. M. le Rapporteur - Cet article, introduit par le Sénat, est un cavalier. De surcroît, il paraît peu opportun de traiter du dopage dans la loi sur la bioéthique - la disposition pouvant en revanche trouver sa place dans un prochain DMOS. D'où l'amendement 98. L'amendement 98, accepté par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté, et l'article 30 est ainsi supprimé. M. le Ministre - M. Schwartzenberg ayant mis en doute la validité d'un amendement, je préciserai que les cellules embryonnaires ne sont pas considérées comme des produits du corps humain. De ce fait, les dispositions qui s'y rapportent relèvent, non du livre Ier du code de la santé publique, mais du livre II, relatif à la santé de la famille, de la mère et de l'enfant. Avant la présente loi, ce code n'en faisait même pas mention, d'ailleurs. Le décret du 23 février 2000 non plus, et le Conseil d'Etat a donc considéré qu'il ne permettait pas l'importation de lignées de cellules souches embryonnaires. Autrement dit, on ne peut considérer que les dispositions sur les éléments et produits du corps humain couvrent ces cellules. Le tribunal administratif statuant au fond s'est écarté de la décision prise par le Conseil d'Etat en référé. Notre amendement 227 ajoute seulement l'exportation, l'importation ayant été introduite au Sénat. M. Alain Claeys - Lorsque nous avons recommencé à travailler sur ce texte, nous avions d'abord un souci de rigueur intellectuelle : nous entendions rester cohérents avec notre position de première lecture, sans nous laisser affecter par notre passage dans l'opposition. Mais nous avons également eu le souci de tenir compte de ce qui s'était passé en deux ans, qu'il s'agisse de l'évolution de la science, du renforcement des droits des malades ou des attentes de nos concitoyens. C'est en fonction de ces deux éléments que nous avons analysé le texte adopté par le Sénat et élaboré des amendements. Notre conclusion est que nous ne pourrons voter ce projet. Nous ne le pouvons, d'abord pour des raisons qui tiennent à la recherche : pour nous, la recherche sur les embryons surnuméraires est nécessaire, aussi bien pour les malades que pour les chercheurs, et rien en deux ans n'est venu démentir cette analyse. C'est pourquoi nous avons combattu l'attitude de fermeture, tout à fait indéfendable, du Sénat. Notre deuxième raison a rapport avec la procréation médicalement assistée. En 1999, M. Huriet et moi-même nous sommes rendu compte que l'AMP n'était ni encadrée ni évaluée. En première lecture, nous avons souhaité remédier à cette lacune en amendant le texte du Gouvernement. Rien depuis deux ans n'est non plus de nature à nous faire revenir sur cette position. Je crois que les chercheurs, les couples ou les femmes engagés dans le processus de procréation médicalement assistée ont un souci légitime de sécurité et de garanties. L'Agence de biomédecine, je le répète, doit être placée sous la double tutelle des ministères de la santé et de la recherche au vu des progrès dans les sciences de la biologie et de la santé. Enfin, je prend date en ce qui concerne la brevetabilité du vivant, sujet essentiel que les politiques devront s'approprier dans les années à venir. Les pétitions ne suffiront pas, Monsieur le ministre. Un certain nombre d'actes forts seront nécessaires, dont la révision de la directive européenne. Je souhaite que le Président de la République poursuive la démarche engagée auprès de la Commission et je continue de penser qu'un vote aurait renforcé la position française. Je me félicite, en revanche, du travail accompli concernant le diagnostic préimplantatoire. Je félicite MM. les rapporteurs ainsi que les fonctionnaires de l'Assemblée nationale. Nous avons eu un débat qui honore la représentation nationale car nous avons tenté d'apporter une réponse, en conscience. Je suis heureux que nous ayons pu nous rassembler sur ce point. Certes, il est important de faire une loi, mais le combat à mener sur le plan international est également essentiel. Les équipes françaises ne doivent pas être marginalisées au sein de la recherche européenne. L'initiative franco-allemande doit être poursuivie. De plus, la France doit faire comprendre aux pays qui veulent conditionner clonage reproductif humain et clonage thérapeutique qu'ils prennent une lourde responsabilité. Je souhaite que, sur ce sujet, la France s'exprime haut et fort (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Michel Piron - Le groupe UMP soutiendra le projet de loi. Il ne faut pas caricaturer les positions que nous défendons en matière de recherche, qui est certes encadrée, mais surtout pas niée. L'objet de ce type de recherche ne peut être en effet considéré comme tout à fait ordinaire. Comme l'idée que nous nous faisons de l'humanité et de la vérité est en jeu, nous laissons à chacun le choix de se déterminer en conscience. Mme Jacqueline Fraysse - Nous avons eu des échanges riches et instructifs, révélateurs de divergences profondes. Nous avions été unanimes sur de nombreux points lors de la rédaction initiale, et notamment sur la question de la brevetabilité du vivant. La réécriture du projet a brisé cette union, même si nous avons cherché à dépasser les clivages. Nous sommes hélas aujourd'hui en désaccord sur la plupart des questions. Ainsi, nous nous étions rassemblés sur la nécessité de réduire les risques de discrimination consécutifs à l'usage des caractéristiques génétiques d'une personne. J'ai défendu l'interdiction du non-usage professionnel d'un tel examen et vous n'avez pas jugé utile de m'entendre. Nous nous étions rassemblés sur la nécessité d'engager une vaste politique en faveur du don d'organes, et vous refusez aux citoyens la possibilité de se prononcer de façon systématique. Tout en repoussant notre amendement, vous vous êtes déclaré favorable à notre démarche. Sachez que nous veillerons à ce que vos actes suivent vos paroles. Nous nous étions rassemblés sur la nécessité de condamner le clonage reproductif. C'est heureux que nous le soyons toujours, mais nous considérons qu'il n'est pas opportun d'incriminer comme vous le faites le clonage thérapeutique. C'est en effet prendre le risque de faire obstacle aux traitements de maladies aujourd'hui incurables. Nous nous étions rassemblés sur la nécessité d'autoriser de façon très encadrée les recherches sur l'embryon. Vous avez préféré une logique d'exception, brimant ainsi des pans entiers de la recherche. Notre position sur le brevetage du vivant symbolisait notre unité. Avec l'amendement de notre groupe adopté en première lecture, le Parlement interdisait le brevetage du génome humain face aux injonctions européennes appelant à sa privatisation partielle. Aujourd'hui, vous militez pour une disposition législative qui composera avec la directive, plutôt que d'engager une nouvelle négociation. Vous avez préféré sacrifier sur l'autel de l'Office européen des brevets et de l'OMC ce patrimoine commun de l'humanité. Vous avez finalement reconnu la nécessité d'inclure dans le conseil d'orientation les associations de malades, des usagers du système de santé et des familles, mais cette ouverture est bien timorée. Nous ne souhaitons pas la division. Nous ne voulions pas nous opposer aux attentes des chercheurs et des associations qui espèrent une loi depuis des années. Pour autant, nous ne pouvons accepter ce texte-ci, qui cède aux forces conservatrices et constitue un recul. Nous voterons contre. Croyez bien que je le regrette, Monsieur le ministre, mais vous ne nous offrez pas d'autre possibilité. L'ensemble du projet de loi, mis aux voix, est adopté. La séance, suspendue à 17 heures 45, est reprise à 18 heures. L'ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Depuis mon arrivée au ministère, nous avons débattu de nombre de réformes dans le champ du travail. En vous présentant ce projet, j'ai la même conviction que nos débats touchent au c_ur de la modernisation de notre pacte social. Ce texte fondamental transpose deux accords conclus par les partenaires sociaux. Pour répondre aux exigences d'une économie globalisée et rythmée par les évolutions technologiques, les Français ont besoin d'une formation professionnelle adaptée aux défis de notre temps et d'un système de négociation collective rénové. Les deux volets de ce projet sont complémentaires. Ils jettent les bases d'une société plus participative et plus créative. Une société plus participative, c'est une société dans laquelle les corps intermédiaires jouent pleinement leur rôle au côté de l'Etat, et où chacun dispose des atouts qui lui permettront de maîtriser son parcours professionnel. Démocratie sociale et formation des salariés, l'enjeu est le même : offrir à nos concitoyens la possibilité d'être acteurs et non spectateurs, protagonistes et non otages des évolutions du monde contemporain. Nous posons les fondements d'une nouvelle régulation sociale en déclinant les instruments collectifs et individuels de la participation. Le 21 avril a été le révélateur des crispations qui secouent la France. Notre pays est en mal de dialogue, de lien social et de consensus. Il cherche les repères collectifs que les pouvoirs traditionnels peinent à susciter. Mais j'ai la conviction que notre démocratie sociale, à condition d'être adaptée, peut être l'instrument d'une nouvelle société française. Ce texte est le fruit d'un long processus de maturation. Rien n'aurait été possible si je ne m'étais pas inspiré des partenaires sociaux. Ce texte reprend donc pour l'essentiel la position commune sur la négociation collective, signée par tous les partenaires sociaux, à l'exception de la CGT, le 16 juillet 2001, qui a servi de base à la concertation. Il ne s'agit de rien de moins que de repenser un système inchangé depuis des décennies, en modifiant la loi de 1950 sur les conventions collectives. C'est bien la modernisation de notre démocratie sociale qui est en jeu : les règles de la négociation collective englobent les modalités de conclusion et la légitimité des accords, les champs de négociation et les niveaux de compétence. Il faut donc repenser l'articulation entre la loi et le contrat, provoquer une nouvelle donne susceptible de modifier la nature des relations sociales. Cette nouvelle donne, certains la redoutent : elle bouscule des habitudes qui ne sont pas toutes illégitimes. D'autres la repoussent, parce qu'ils s'accommodent - sans le dire - de la faiblesse des syndicats. D'autres la rejettent au nom d'une culture d'opposition dont le syndicalisme devrait être le moteur. Entre ceux qui ne veulent rien changer mais qui n'osent l'avouer et ceux qui veulent tout changer pour ne pas avoir à se prononcer sur un compromis, la voie est étroite : beaucoup de « bonnes raisons » pour ne rien faire sur ce dossier qu'aucun gouvernement n'a osé aborder depuis longtemps... Effrayée par l'ampleur de la tâche, la gauche a fui le sujet, préférant peut-être dominer un champ social dévitalisé plutôt que structuré. Avec le Premier ministre, nous sommes décidés à agir, conformément aux engagements pris par le Président de la République. Notre détermination est fondée sur un constat inquiétant, celui d'un système de relations sociales proche de l'essoufflement. Le taux de syndicalisation n'a jamais été aussi bas. Il se concentre dans le secteur public. Aux dernières élections prud'homales, le taux de participation s'est effondré pour n'atteindre qu'un tiers. Cette situation est unique en Europe, d'autant plus que la division et le morcellement syndical tendent à s'aggraver. La tradition contractuelle en France est faible. A l'étranger, au contraire, forte syndicalisation, unité syndicale et vie contractuelle vont de pair. Les pouvoirs publics ont leur part de responsabilité dans cette situation qui ne peut plus durer : notre centralisation politique séculaire a placé les corps intermédiaires dans un rôle d'accompagnateur plutôt que dans celui d'acteur de la régulation économique et sociale. La faiblesse de notre démocratie sociale a deux conséquences majeures. Première conséquence : la culture de la protestation sociale demeure plus prégnante que celle du réformisme dont dépend pourtant la sauvegarde de nos acquis. Conformément à un jeu de rôles assez convenu, le syndicalisme français reste à la fois auteur - mais aussi otage - d'une tradition plus contestataire que réformatrice. Les règles de négociation et d'adoption des accords ne portent pas vers le réformisme assumé dont la France a besoin. Seconde conséquence : l'atonie de notre démocratie sociale participe au morcellement social de notre société, dont surgissent extrémismes et comportements radicaux. Comme la démocratie politique, la démocratie sociale est renvoyée au défi républicain : contre le poujadisme, la désillusion et la solitude sociale, il faut recréer du lien pour se parler, se comprendre, se respecter, pour arbitrer nos différences, les réguler puis nous rassembler. Pour accompagner les mutations du XXIe siècle, le monde du travail a besoin d'un syndicalisme moderne et populaire qui structure les attentes, hiérarchise les revendications, promeuve des solutions, mette en marche le changement. Cette dynamique est d'autant plus nécessaire que, dans une société complexe, le politique et l'Etat ne doivent plus et ne peuvent plus tout décider d'en haut, ni prétendre au monopole de la réflexion et de l'action. Entre l'Etat, le législateur et les partenaires sociaux, il est grand temps d'établir à une complémentarité créative. Non que les rapports de forces n'aient plus leur rôle à jouer. Mais les solutions économiques et sociales du XXIe siècle ne passent plus par des pratiques dirigistes et des schémas dogmatiques que la fin des idéologies a épuisés. Les réponses dépendront désormais d'un dialogue de terrain que de nouvelles règles doivent encourager. Ces nouvelles conditions de dialogue favoriseront l'émergence de synthèses entre intérêts économiques et sociaux. Elles doivent s'inventer et se nouer dans la société elle-même. N'en déplaise aux nostalgiques du dirigisme, l'Etat et le politique, loin d'être déstabilisés par cette évolution, peuvent en tirer profit pour se repenser. Une démocratie sociale renforcée ne signifie nullement une démocratie politique affaiblie. Bien au contraire, l'une et l'autre sont appelées à définir plus clairement leurs objectifs. L'autorité de l'Etat sortira ressourcée de cette dynamique participative, qui peut être l'un des leviers de la modernisation d'un Etat trop souvent présent là où il devrait être absent et absent là ou il devrait être présent. Voilà ce qui nous pousse à agir. Notre projet renforce le champ et la portée de la négociation collective. Il s'inscrit dans le prolongement d'une démarche entamée dès 1919 avec la loi fixant le statut légal des conventions collectives, poursuivie avec la loi du 24 juin 1936 créant le mécanisme de l'extension et amplifiée avec la loi du 11 février 1950, qui affirme le principe de la liberté contractuelle et reste la pierre angulaire de notre droit de négociation collective. Elle a certes été modifiée en 1967, 1971 et 1978 afin de faciliter l'extension d'accords de branche. De même, la loi de décembre 1968 sur les délégués syndicaux et la loi de novembre 1982 sur l'obligation de négocier ont eu des conséquences sur les modalités de négociation. Notre système a donc évolué en essayant de concilier la nature contractuelle de l'accord collectif avec sa portée quasi réglementaire, lorsque, par le biais de l'extension, un accord de branche s'applique à toutes les entreprises du secteur. Il a également cherché à concilier la pluralité syndicale, en passant de l'exigence d'un accord unanime, souvent illusoire, à des accords minoritaires, pour permettre à chaque salarié de bénéficier d'une couverture conventionnelle. Mais le temps de l'adaptation parcellaire est révolu. Une réforme d'ensemble s'impose pour lutter contre l'éparpillement syndical et sortir d'une conception où seul l'Etat réglemente. Cette réforme a pour objectif de donner toute leur portée à la loi de 1950, en reconnaissant pleinement la liberté contractuelle, et aux textes de 1982, en faisant de la négociation d'entreprise l'échelon le plus important. Tout revient en fait à renforcer le rôle des partenaires sociaux, en leur confiant des outils adaptés au dialogue social. Tout revient à leur faire confiance. Je parie sur leur capacité à prendre les décisions qui s'imposent, y compris lorsqu'elles sont difficiles. L'un de mes prédécesseurs affirmait ici, en 1999, que c'est de la négociation qu'émergent les solutions équilibrées et adaptées à la réalité de chaque entreprise. Mme Elisabeth Guigou - Et je n'ai pas changé d'avis ! M. le Ministre - Pour cela, il faut renforcer la légitimité des accords collectifs négociés. Un nouvel équilibre doit également être trouvé dans les rôles respectifs de l'Etat et des partenaires sociaux, et entre les partenaires sociaux eux-mêmes. Ainsi, avant toute réforme législative touchant aux relations du travail, le Gouvernement s'engage à donner la priorité à la négociation collective. Les partenaires sociaux prendront leurs responsabilités, s'ils le souhaitent, avant que nous entreprenions quelque démarche législative que ce soit. On reconnaîtra le principe de droit communautaire qui conduit la Commission à saisir les partenaires sociaux européens avant de proposer une directive au Conseil et au Parlement. On reconnaîtra également une pratique nationale qui a souvent bien fonctionné, comme le prouve l'accord interprofessionnel de 1970, suivi par la loi de 1971 sur la formation professionnelle. Il y a malheureusement des contre-exemples, tels que celui de la réduction autoritaire du temps de travail, à rebours des pratiques de toutes les démocraties modernes. Cet engagement ne signifie certes pas que l'Etat et le législateur abdiquent toute responsabilité, mais que les rôles sont mieux répartis entre les acteurs politiques et sociaux. Cette clarification répond aux attentes des deux parties et à l'intérêt de notre démocratie : forger des lois centrées sur des principes clefs et permettre leur adaptation sur le terrain - des lois dont l'interprétation plus facile devrait au passage ralentir le recours croissant aux tribunaux. Il va de soi que le projet ne remet nullement en cause le rôle de la loi. L'accuser d'introduire un code du travail différent dans chaque entreprise n'a aucun sens. Le projet se contente, mais c'est déjà beaucoup, de donner davantage d'autonomie à l'accord d'entreprise par rapport à l'accord de branche. Ceux qui nous accusent de démanteler le droit du travail ne font tout simplement pas confiance à la démocratie sociale. Les évolutions qu'ils craignent seront encadrées par la loi, et surtout par le résultat de décisions démocratiques. Il est vrai que la plupart des petites entreprises n'ont pas de syndicats. C'est précisément un des objectifs de ce texte que d'entraîner les organisations syndicales à investir le champ déserté des PME et PMI. L'équilibre de cette réforme repose sur des principes clairs. D'abord, le principe majoritaire est la condition de validité des accords collectifs, et pose ainsi leur légitimité. Par conséquent, il faut renforcer l'autonomie des niveaux de négociation et permettre à un accord d'entreprise majoritaire de déroger aux accords de rang supérieur. Au niveau de l'entreprise, le principe de l'accord majoritaire devient fondamental : les accords seront toujours majoritaires, par adhésion ou par absence d'opposition majoritaire. Au niveau de la branche, c'est le principe de l'élection de représentativité qui est affirmé. Au niveau interprofessionnel, ou de la branche à défaut d'une élection de représentativité, un accord sera valide si une majorité d'organisations syndicales ne s'y opposent pas. J'aurais souhaité, comme d'ailleurs la CFDT et la CGT, aller bien plus loin et rendre obligatoire, au niveau des branches, un accord réunissant une majorité des salariés, et pas seulement d'organisations syndicales. J'ai cependant choisi de rester fidèle à la position commune de juillet 2001. J'ai posé le principe d'une élection de représentativité, dont l'un des mérites sera de clarifier le contenu des branches. Au vu de certaines réactions, c'est déjà beaucoup. En effet, de nombreuses branches seront tout naturellement conduites à mettre en place cet accord majoritaire. Quel argument permettrait d'écarter un des principes clefs de la démocratie ? Qui pourrait passer des accords avec des syndicats minoritaires contre la volonté d'une majorité de salariés ? S'il n'y a pas de big bang de la représentativité, nous n'enclenchons pas moins un processus certes raisonnable, mais dont les conséquences seront considérables. Les salariés exigeront l'usage de ces nouveaux instruments de la démocratie sociale. L'accord d'entreprise devient, par principe, pleinement autonome par rapport à l'accord de branche, qui reste toutefois impératif dans trois domaines : la fixation des salaires minima, les grilles de classification et les mécanismes de mutualisation des financements, comme pour la formation professionnelle par exemple. Récusons tout de suite un faux procès : le texte ne compromet en rien la primauté de la loi. Elle seule continuera à définir le champ des dérogations. Cette autonomie est rendue possible car l'accord d'entreprise sera forcément majoritaire. Loin d'être une jungle, l'autonomie est une liberté, maîtrisée par les partenaires sociaux Cette disposition figure, cela va sans dire, dans la position commune, bien que certains signataires semblent l'avoir oublié. J'ajoute que l'accord de branche pourra conserver son caractère impératif si les négociations le prévoient. On a également beaucoup entendu que nous mettions à mal le principe de faveur. M. Maxime Gremetz - C'est vrai ! M. le Ministre - Ce n'est nullement le cas en ce qui concerne les rapports entre la loi et les accords collectifs. Je rappelle que c'est en 1982 que les socialistes ont écorné ce principe, avec l'introduction des accords de branche ou d'entreprise dérogatoires à la loi. Ceux qui prétendent que nous dévalorisons le principe de faveur sont en fait convaincus que les partenaires sociaux sont incapables d'en assumer l'application. Quant à l'articulation entre accord de branche et accord d'entreprise, il eut été incohérent de donner aux partenaires sociaux un pouvoir de décision par la négociation tout en leur interdisant de choisir l'effet des accords qu'ils concluent. C'était l'esprit de la position commune, et c'est donc celui du projet de loi. Il n'y a donc pas de remise en cause du principe de faveur entre la loi et les accords, pas plus que par rapport au contrat de travail, mais une simple reconnaissance du principe d'autonomie des accords d'entreprise par rapport aux accords de branche. M. Alain Vidalies - Ce n'est pas rien ! M. le Ministre - Aujourd'hui, il est de plus en plus difficile d'évaluer les clauses respectives des accords de branche et d'entreprise. Et s'il faut comparer leurs stipulations, quelles sont les dispositions les plus favorables : travailler moins ou être payé plus, par exemple ? Les accords de branche sur les 35 heures prévoyaient pour la plupart une modération des salaires et comportaient des clauses optionnelles ouvrant des mécanismes de réduction du temps de travail. Quelle était la plus favorable : la réduction hebdomadaire, ou calculée annuellement ? Ce choix était naturellement laissé au niveau le plus pertinent, celui de l'entreprise. Je tiens à souligner que ces nouvelles dispositions sur l'articulation des niveaux de négociation n'ont pas de caractère rétroactif. Nous respectons la valeur hiérarchique que les négociateurs avaient entendu conférer à ces accords. Ce projet est un point de départ. Il donnera donc lieu à une évaluation d'ici 2008. La réforme est progressive, car les vraies réformes s'inscrivent dans la durée. Le projet contient d'autres propositions, généralement issues de la position commune, pour favoriser le développement de la négociation collective. Des accords pourront ainsi être conclus avec des élus du personnel ou des salariés mandatés dans les entreprises où il n'y a pas de délégué syndical. Cette disposition est parfois remise en cause par l'opposition. Elle ne fait pourtant que reprendre l'accord interprofessionnel de 1995, qui avait été transposé à titre expérimental par la loi de novembre 1996, puis largement repris par les lois de 1998 et 2000. Elle facilitera les accords collectifs dans les petites entreprises et y encouragera le développement du fait syndical. Enfin, les moyens du dialogue social seront renforcés, avec le droit de saisine pour les organisations syndicales, l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et l'organisation des carrières des militants syndicaux. Telles sont les principales dispositions du titre II sur le dialogue social. Si elles sont si critiquée, c'est sans doute qu'elles remettent en question bien des habitudes, et surtout qu'elles froissent quelques intérêts acquis, mais qui n'ont plus de justification (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Ce texte, novateur et équilibré, ouvre la voie au renouveau de la démocratie sociale. Il fait confiance aux acteurs sociaux, plus libres et plus responsables. N'abordons pas l'avenir avec les yeux du passé, ni même du présent. Projetons-nous sur les cinq prochaines années, en misant sur l'émergence d'un syndicalisme renouvelé et influent. La révolution sociale que nous engageons réussira parce qu'elle repose sur les partenaires sociaux. Très attendue, la réforme de la formation professionnelle en France est aujourd'hui devant vous. Le projet de loi qui vous est soumis reprend fidèlement l'accord conclu par les partenaires sociaux, à l'unanimité, en septembre. Mme Elisabeth Guigou - C'est faux ! M. le Ministre - Il permet de mettre en _uvre dans le consensus l'un des engagements majeurs du Président de la République : le droit à la formation pour tous et tout au long de la vie, qui est la meilleure arme contre le chômage. Améliorant la production, elle participe aussi à la compétitivité globale de notre pays. Elle constitue, enfin, l'un des principaux atouts pour réhabiliter le travail. Face aux fluctuations du marché du travail et aux évolutions des métiers ainsi que des carrières, elle est le moyen pour chaque salarié de progresser dans son entreprise ou de « rebondir » professionnellement. Cette capacité personnelle est plus protectrice que toutes les lois et règlements tatillons. En la plaçant au c_ur des stratégies entrepreneuriales, nous pouvons escompter un changement dans les pratiques sociales des entreprises. Au carrefour de la compétitivité et de la solidarité, l'investissement en formation sera bien, au XXIe siècle un levier central du progrès. Notre objectif est de rénover notre appareil de formation professionnelle, et en premier lieu de lutter contre les inégalités d'accès à la formation, dont sont victimes les salariés les moins qualifiés et ceux des petites entreprises. Le projet de loi prévoit que chaque salarié bénéficiera d'un droit individuel à formation de vingt heures par an, cumulable pendant six ans, et qu'il pourra librement exercer avec l'accord du chef d'entreprise. Ce droit sera utilisable en cas de licenciement, sauf pour faute grave. Deuxième innovation du texte : le partage du temps de formation entre temps de travail et temps libre. L'accord interprofessionnel, que nous avons repris, prévoit un équilibre de coresponsabilité entre l'entreprise et le salarié : celui-ci pourra développer ses compétences en utilisant une partie de son temps à se former, celle-là lui versera une allocation de formation s'il se forme partiellement en-dehors de son temps de travail. A cet égard, le projet de loi distingue trois catégories de formation. Les formations d'adaptation au poste de travail auront bien entendu lieu pendant le temps de travail. Les formations pour évoluer ou se maintenir dans l'emploi pourront également avoir lieu sur ce temps. Sous réserve d'un accord d'entreprise ou d'un accord formalisé du salarié, elle pourra s'imputer sur le contingent d'heures supplémentaires, dans la limite de cinquante heures par an. Enfin, la formation pour développer ses compétences pourra, avec l'accord du salarié, se dérouler en dehors du temps de travail dans la limite de quatre-vingts heures par an. Elle donnera lieu au versement d'une allocation correspondant à 50 % de la rémunération nette et n'étant pas soumise à cotisations sociales. Lors de la consultation du comité d'entreprise sur le projet de plan de formation, le chef d'entreprise devra préciser la nature des actions proposées en distinguant ces trois catégories. Troisième innovation : la création des contrats de professionnalisation qui se substitueront aux actuels contrats de formation en alternance. Leur objectif est de favoriser l'insertion ou la réinsertion professionnelle en permettant d'acquérir un diplôme, un titre ou une qualification. Ils comporteront une période de formation et une autre de travail en entreprise. J'invite ceux qui critiquent si vivement ces nouveaux contrats à prendre connaissance de leur contenu exact... et à ne pas suspecter les partenaires sociaux d'être les fossoyeurs de l'alternance. Ce dispositif, modulable, doit aider les jeunes à acquérir une qualification et faciliter la reconversion des salariés en deuxième partie de carrière. La commission a proposé un amendement facilitant la transition entre le contrat de qualification et ce nouveau contrat. Quatrième point important de la réforme : la part de la masse salariale consacrée à la formation passera de 0,15 % à 0,55 % dans les entreprises de moins de dix salariés et de 1,5 % à 1,6 % dans celles de plus de dix salariés. Même si, en pratique, beaucoup d'entreprises font davantage que le minimum légal, il en résultera un progrès significatif, en particulier dans les PME. Dernier point : ce projet de loi s'inscrit dans le cadre de l'allongement de la durée d'activité. Il faut mettre fin à l'éviction des seniors du marché du travail et accroître le taux d'activité des plus de 55 ans. La responsabilité des entreprises est considérable en ce domaine. Dans cette perspective, l'accord interprofessionnel fournit des outils particulièrement intéressants comme le bilan systématique de compétences après vingt ans de carrière, l'entretien professionnel prévu tous les deux ans, le passeport formation, la validation des acquis de l'expérience, la création d'observatoires des métiers dans les branches. L'institution du droit individuel à formation et la période de professionnalisation faciliteront également cette formation tout au long de la vie, meilleur gage pour le salarié d'adaptation et d'accroissement de ses compétences face à l'évolution des métiers et des emplois. Pour accompagner cette réforme, l'Etat renforcera son effort financier en faveur de la formation (« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste). Ainsi les contrats de professionnalisation seront-ils exonérés de cotisations, de même que l'allocation de formation. L'Etat apportera aussi, le moment venu, sa contribution aux formations dites de deuxième chance, c'est-à-dire les formations qualifiantes pour les personnes sorties sans qualification du système scolaire. Ces formations devront être définies en liaison avec les régions, sur les nouvelles compétences desquelles il convient de ne pas empiéter. Ce sera d'ailleurs l'un des grands enjeux futurs que le développement de la coopération entre les branches professionnelles et les régions. La concertation sociale devra aussi être mieux structurée au niveau territorial. Ce projet n'est pas le fruit d'un choix partisan. Il intervient au terme d'une longue réflexion collective. Sa maturation a permis de mettre en lumière divers blocages dont souffre notre société : blocage des corps intermédiaires, blocage du débat, stérile, entre sociaux et libéraux, blocage des gouvernants devant la réforme. Ce texte n'est pas non plus pour le Gouvernement un choix de court terme inspiré par les circonstances. Si je le porte devant vous, c'est tout simplement qu'il est conforme à l'idée que je me fais de ma mission : donner à la France, pour le long terme, les outils structurels de son développement et de son adaptation à la modernité. C'est aussi qu'il est porteur d'une philosophie politique à laquelle je crois : l'alliance entre la liberté d'entreprendre et l'ambition sociale. Au-delà de nos clivages, ce sont les Français eux-mêmes qui contribueront à sceller cette alliance, grâce aux instruments que peut leur fournir ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'UMP). M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - De 1967 à 2003, le code du travail est passé de 600 à plus de 3 800 articles. A la complexité croissante du monde du travail a logiquement répondu la complexité croissante du droit. Il est toutefois étonnant que cette évolution du droit ait laissé si peu de place à la négociation collective. La hausse du nombre d'accords collectifs conclus ces dernières années n'a fait que dissimuler la pauvreté du dialogue social. En effet, ces accords découlent le plus souvent de négociations contraintes, menées sous la menace d'une intervention législative ou dans le cadre de textes tatillons n'exigeant au bout du compte que la signature des partenaires sociaux au bas de dispositions au contenu déjà largement déterminé. La meilleure preuve de cette insuffisance de la négociation collective est l'appel solennel, lancé le 16 juillet 2001 par l'ensemble des partenaires sociaux, à l'exception de la CGT, c'est-à-dire dans une unité inédite, pour un changement des règles du jeu. Il aura fallu près d'un an au gouvernement actuel pour renouer les fils du dialogue brisé, pour que, forts des assurances données par le Premier ministre, les partenaires sociaux parviennent à conclure l'accord national interprofessionnel sur la formation de septembre dernier, avec la certitude, inédite, que les résultats de cette négociation ne seraient pas enterrés autoritairement. De fait, ce projet de loi transpose pour l'essentiel cet accord, ainsi que la position commune du 16 juillet 2001. Cette transposition est fidèle, même si le Gouvernement n'a pas hésité à assumer ses responsabilités en se démarquant sur certains points, mineurs, et en tranchant parmi les options parfois laissées ouvertes. Le titre premier du texte traite de la formation professionnelle. La France y consacre, ainsi qu'à l'apprentissage, près de 22 milliards d'euros, soit environ 1,55 % du PIB. Ce texte constitue donc une réforme fondamentale, concrétisant une nouvelle espérance, celle d'une formation tout au long de la vie. Celle-ci répond à un exigence humaniste, mais aussi à des impératifs économiques et sociaux. Il faut répondre aux aspirations des salariés comme aux exigences des employeurs et de la société. Le Président de la République s'était engagé, pendant la campagne électorale, à permettre aux salariés de « se former tout au long de la vie », cette formation pouvant constituer le socle d'une sorte « d'assurance emploi ». Le Conseil européen de Lisbonne de mars 2000 avait également fixé un objectif stratégique à l'Union en ce domaine. C'est dans cette perspective que la Commission a prescrit aux Etats membres en novembre 2001 de garantir les conditions d'une telle formation. Le projet de loi transpose fidèlement l'accord national interprofessionnel du 20 septembre dernier... Plusieurs députés socialistes - Faux ! M. le Rapporteur - ...accord signé par les cinq syndicats de salariés et les trois organisations patronales. Certaines dispositions de l'accord ne sont pas reprises, mais la raison en est toujours donnée. Cela peut tenir au retard dans l'élaboration du texte auquel cela aurait conduit, à leur caractère réglementaire, ou bien encore au fait que les signataires de l'accord eux-mêmes n'ont pas demandé la transposition. Moi-même, en commission, je me suis attaché à respecter les équilibres délicats ayant permis d'obtenir la signature de tous les partenaires. Nous avons usé avec prudence du droit d'amendement, ce qui ne nous empêche pas de penser que sur certains points, il faudra aller plus loin. Le nouveau droit individuel à la formation est une première étape vers une « assurance formation ». Mis en _uvre à l'initiative du salarié, il requiert l'accord de l'employeur. Il est effectué hors du temps de travail et donne lieu au versement d'une allocation égale à 50 % du salaire. Il est également transférable en partie. A côté du plan de formation de l'entreprise et du projet individuel du salarié, il s'agit d'une initiative commune de formation. La commission a amélioré l'information du salarié et supprimé la proratisation du droit à formation pour les salariés travaillant au moins à mi-temps. Il faudra également clarifier les dispositions pour les salariés en CDD. Construire sur cette base un vrai droit à formation tout au long de la vie nécessitera encore des modifications substantielles, qui devront intervenir par accord entre les partenaires sociaux. S'agissant du plafonnement des droits acquis, il serait opportun de prévoir des durées plus longues. Il faudra aussi améliorer les possibilités de transfert des droits acquis en cas de démission ou de licenciement du salarié. Les partenaires sociaux ont également précisé le contenu du plan de formation de l'employeur. Les formations liées à l'évolution de l'emploi, au maintien de l'emploi, à l'adaptation au poste de travail continueront à s'imputer sur le temps de travail, sans être considérées comme des heures supplémentaires en cas de dépassement de l'horaire de référence. Les actions visant à développer les compétences des salariés auront lieu pendant son temps libre. S'agissant de l'alternance, les contrats existants sont remplacés par un dispositif unique, le contrat de professionnalisation, ouvert aux jeunes de moins de 26 ans et aux demandeurs d'emploi en vue d'acquérir un diplôme ou une qualification. La durée du contrat est de six à douze mois mais peut être portée à vingt-quatre mois dans certains cas par accord de branche. La formation en représente au moins 15 % avec un plancher de 150 heures, mais pourra aller jusqu'à 25 % pour certains publics. La commission a adopté un amendement permettant d'accroître encore cet effort de formation. Pendant la période de transition, il faudra bien informer les intéressés. Les contrats de qualification déjà conclus ne sont pas concernés par ces nouvelles dispositions, dont la commission a proposé de reporter l'application au 1er janvier 2005. La négociation de branche obligatoire sur la formation professionnelle aura lieu désormais tous les trois ans et non plus tous les cinq ans, et les comités d'entreprise disposeront d'éléments plus complets pour délibérer du plan de formation. Les employeurs ont accepté d'augmenter de façon significative leur effort financier, notamment pour l'alternance, et cet effort doublera pour les PME. La commission souhaite que cette très forte augmentation soit atténuée pour les particuliers employeurs et pour les exploitants agricoles. Pour simplifier un système de collecte très complexe, les deux organismes, AGEFAL et COPACIF, fusionneront. La commission a souhaité que des mécanismes assurant la transparence et le contrôle du fonds unique soient introduites, en attendant d'aller plus loin avec l'assentiment des partenaires sociaux. S'agissant de l'alternance, le plafonnement des contributions des organismes collecteurs aux CFA et le reversement des collecteurs de branche aux collecteurs interprofessionnels sont supprimés, au profit d'un nouveau mécanisme de mutualisation, ce qui suscite certaines inquiétudes pour le financement des contrats d'alternance interprofessionnels de longue durée. Quatre mesures constituent les prémices de la réforme de l'apprentissage, qui a fait l'objet d'un livre blanc. Trois d'entre elles, en particulier le retour à la journée de huit heures, et non plus sept, pour les apprentis et jeunes travailleurs de moins de 18 ans, sont des mesures de souplesse que nous approuvons. En revanche, nous sommes réservés sur l'autorisation donnée à l'employeur et à un salarié en CDI de passer un contrat d'apprentissage. Outre que les garanties pour le salarié sont insuffisantes, ce serait confondre formation initiale et formation continue. De toute façon, ces quelques mesures trouveraient sans doute plus leur place dans la grande loi annoncée sur l'apprentissage. A l'inverse, il faut approfondir quelques pistes. Ainsi, il conviendrait d'améliorer la qualité des formations, en donnant un label aux instituts. Les partenaires sociaux pourraient engager la concertation à ce sujet. La complexité du système est telle qu'à terme, il faudra procéder à une refonte totale. Le grand débat en cours sur l'école pourrait ainsi conduire à inscrire dans la future loi d'orientation le droit individuel à la formation. Enfin, il faudra revenir sur la dimension régionale de la formation professionnelle, qui n'est qu'effleurée dans l'accord interprofessionnel et n'apparaît qu'à l'article 42 de ce projet. Le deuxième objectif du projet est l'instauration d'un véritable dialogue social. Pour mettre les partenaires sociaux en état de mener des négociations de qualité dont la légitimité soit assurée, il faut d'abord réformer notre méthode d'élaboration du droit du travail. Actuellement, la loi oscille entre deux écueils : fixer une règle générale qui ne tient pas assez compte des spécificités, ou sombrer dans le détail dans l'espoir de couvrir toutes les situations. Le législateur étouffe la négociation collective ; mais une organisation ultra-minoritaire peut engager seule l'ensemble des salariés. Dans ces conditions, le dialogue social est souvent un dialogue de sourds. Réformer c'est d'abord rendre plus harmonieuse l'action de l'Etat et celle des partenaires sociaux. Le texte s'inspire donc étroitement des souhaits exprimés par ces derniers dans la position commune de juillet 2001. Il s'agit de développer la négociation collective, de renforcer les moyens du dialogue social, de rendre la loi et la négociation collective plus complémentaires, en évitant que leur légitimité ne s'opposent. Sur ce point, le projet ne suit pas la position commune, car il ne modifie pas le rôle des pouvoirs publics dans l'élaboration du droit du travail par la loi. Le Gouvernement propose cependant de respecter une sorte de code de bonne conduite, en tenant mieux compte de la négociation collective pour élaborer les textes à venir. Mais cette négociation pâtit de la faiblesse des acteurs syndicaux, dispersés, parfois contestés. Sans doute la possibilité de conclure des accords minoritaires a-t-elle contribué à leur émiettement. En tout cas, dans les entreprises, les délégués syndicaux sont peu implantés. Le projet valorise la négociation d'entreprise et assoit la représentativité au niveau de la branche sur les résultats des élections professionnelles ou d'une consultation spécifique. Néanmoins, étant donné la grande faiblesse des syndicats dans les plus petites entreprises, des mécanismes de substitution s'imposent. Ainsi, à défaut de délégué syndical, les représentants élus du personnel pourront signer des accords sous réserve de validation par une commission paritaire. Si même ces représentants élus font défaut, un salarié pourra être mandaté par une organisation pour signer un accord, que les salariés devront ensuite approuver. D'autre part, dans le droit fil de la position commune, l'article 34 consacre le principe majoritaire. Il y aura une « majorité d'engagement » si la majorité des organisations représentatives de salariés ou des organisations représentant la majorité des salariés signent l'accord. A défaut, on tiendra compte de l'absence d'opposition de la majorité des organisations ou des organisations représentant la majorité des salariés. Pouvait-on faire immédiatement de la majorité d'engagement la règle de droit commun ? Ce n'était pas le souhait exprimé par les partenaires sociaux et, d'autre part, l'entreprise semble le meilleur niveau pour mettre en _uvre la majorité d'engagement, car le mieux adapté pour mobiliser organisations syndicales et employeurs, directement sous le regard des salariés intéressés, dans une négociation où chacun redoutera de se retrouver sans accord. Plus légitime, la négociation collective peut s'exercer plus librement. L'article 36 tend à une articulation plus souple entre accords interprofessionnels et accords de branche. Le principe de faveur n'est pas remis en cause, mais on pourra y déroger à condition que les partenaires sociaux ne l'aient pas expressément interdit au niveau interprofessionnel. M. Maxime Gremetz - Enfin un début de vérité ! M. le Rapporteur - L'article 37 procède à la même adaptation, s'agissant de la relation entre négociation de branche et négociation d'entreprise. Cette dernière conserve donc un rôle « structurant », et ce d'autant que son contenu reste impératif pour les salaires minima, les classifications, la protection complémentaire, etc. Toutes ces mesures appellent un dialogue entre les différentes sources du droit du travail. Dans une économie dont le dynamisme dépend avant tout du degré de responsabilité et de liberté de ses acteurs, ce projet favorise un équilibre global. Avec ces nouvelles relations contractuelles et ce renouveau du dialogue social, vous ouvrez, Monsieur le ministre, un vaste chantier. Ensemble, nous devons parier que les idées de réforme, d'anticipation et d'adaptation à un monde nouveau l'emportera sur les rapports de force d'antan, sur les corporatismes et sur la peur du changement. Vous avez eu raison de faire confiance au dialogue et à la négociation car vous ouvrez ici des voies nouvelles. Nous attendons la feuille de route pour préparer l'étape suivante ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement... M. Maxime Gremetz - Il doit y avoir une erreur. Au tirage au sort, nous avons obtenu de défendre la première motion de procédure, ce qui est d'ailleurs sans précédent, et je vous prierai donc de procéder à une vérification. Mme la Présidente - C'est ce que nous allons faire. La séance, suspendue à 19 heures, est reprise à 19 heures 5. Mme la Présidente - Après vérification, c'est bien à M. Vidalies qu'il appartient de défendre l'exception d'irrecevabilité. M. Alain Vidalies - Ce projet comporte deux parties bien distinctes : l'une est la traduction législative de l'accord sur la formation professionnelle, l'autre tend à modifier les conditions de la négociation collective. Attaché au progrès de la démocratie sociale, le groupe socialiste salue la conclusion de l'accord interprofessionnel sur la formation, signé par l'ensemble des organisations sociales représentatives. A cette unanimité des partenaires sociaux, vous auriez pu, Monsieur le ministre, ajouter celle de la représentation nationale en présentant un texte consacré à ce seul sujet : son importance le valait. Pour des raisons politiciennes, vous avez préférer avancer masqué derrière cet accord et derrière la position commune de juillet 2001 sur les voies et moyens de la négociation collective, pour imposer un bouleversement de la hiérarchie des normes et de notre droit du travail. Vous tentez là un coup fourré lourd de conséquences pour des millions de salariés, mais aussi pour nos entreprises car l'alignement par le bas de nos normes - ce que d'aucuns appellent le dumping social - affectera aussi les conditions de la concurrence ! Vos propositions de modification du mode d'élaboration des accords collectifs nous semblaient bien modestes au regard de l'enjeu. Vous vous borniez à un traitement homéopathique, mais qui autorisait néanmoins un débat légitime et serein. Et voici qu'à notre stupéfaction, au dernier moment, vous avez ajouté au texte des dispositions d'une gravité exceptionnelle, qui en modifient complètement la portée et qui apparaîtront comme une immense régression, dans l'esprit d'une mondialisation libérale qui ne connaît comme dialogue social que celui qui se limite à l'entreprise. Vous ne voulez rien de moins qu'enterrer une partie de notre histoire collective, que déchirer le contrat social écrit en 1936, en 1950, en 1968 et en 1982. Comment pouvez-vous prétendre que ce texte conforte le dialogue social alors que toutes les organisations de salariés y sont hostiles ? La CFTC prédit « un véritable cataclysme », dénonçant un projet qui permettrait de « revenir sur les acquis de la loi et de la convention collective grâce à un accord dérogatoire conclu au sein de l'entreprise ». Elle prédit un « démantèlement du droit du travail ». Force Ouvrière s'insurge « contre la partie du texte qui ferait du principe de faveur un objet de négociation » et redoute que soit réduit à rien le rôle économique de la branche, « qui empêchait que la concurrence ne se fasse sur le dos des salariés ». Elle parle de « régression sociale ». La CGC qualifie ce texte de « loi scélérate, au titre mensonger » et qui videra de toute substance la négociation de branche. « Nos accords de branche nous garantissent au moins le pain et le beurre, écrit-elle, mais avec la loi Fillon, nous serons réduits au quignon de pain sec ! ». La CFDT manifeste « un désaccord de fond sur le rôle et la place de chaque niveau de négociation », jugeant que vous avez satisfait aux demandes patronales en privilégiant à l'excès la négociation d'entreprise, « mesure libérale qui risque de conduire à l'appauvrissement de la négociation par branche,... pivot de la négociation collective ». La CGT, enfin, estime que vous bouleversez le droit du travail dans des proportions à ce point scandaleuses que votre projet a suscité « un désaccord unanime et argumenté de toutes les organisations syndicales de salariés ». Pour elle, il est temps « que le Gouvernement prenne conscience que son parti pris en faveur du Medef devient indécent et provocateur ». Vous pouviez difficilement faire plus mal, admettez-le ! Même l'union professionnelle artisanale s'insurge contre le transfert de compétences de la branche à l'entreprise ! « Si tout le monde est contre ce projet, c'est qu'il est bon », venez-vous d'expliquer. Souffrez que je ne fasse pas mien ce beau principe de gouvernance ! En défendant ce projet dans ces conditions, vous lancez un défi au bon sens. Mais vous êtes lucide et c'est en toute conscience que vous tentez un passage en force, avec le soutien du seul Medef qui manifeste un enthousiasme d'ailleurs bien compréhensible - en fait de dialogue social, vous ne favorisez que le monologue patronal. Après avoir remis en cause les 35 heures, nivelé par le bas notre système de retraites, privé des centaines de milliers de chômeurs de l'ASS et créé en même temps que le RMA une catégorie de sous-salariés quasi gratuits, après avoir mis à bas la législation adoptée en 2001 pour protéger les travailleurs exposés au comportement des patrons voyous, vous vous apprêtez à voter une loi qui permettra de passer par pertes et profits certains principes fondamentaux du droit du travail. Je note que vous avez voté toutes ces lois sans jamais mener de négociations sérieuses avec les partenaires sociaux, que vous semblez vouloir aujourd'hui responsabiliser. Comment accorder le moindre crédit à vos bonnes intentions quand les principes des réformes que vous avez votées ont toujours été le fruit d'accords minoritaires ? Votre lucidité quant à ce texte est d'ailleurs confortée par les modifications qui y ont été apportées avant son passage en Conseil d'Etat, sans demander l'avis de quiconque. Au lieu de construire une nouvelle architecture de la démocratie sociale, votre projet n'entraînera que le doute et la méfiance tant les règles susceptibles d'en émerger seront obscures et sujettes à une infinité d'interprétations. La revue Droit social s'est interrogée : « Faut-il brûler le code du travail ? » Si l'on ajoute à la réduction des prérogatives du législateur la fin du principe de faveur, le bûcher peut être effectivement dressé. Il n'y aura presque plus de code, mais une extraordinaire augmentation de la législation locale, de la jurisprudence et des interprétations. La moindre interrogation des salariés quant aux garanties dont ils peuvent bénéficier se transformera en parcours du combattant. Vous devriez plutôt réfléchir à une autre organisation des relations sociales qui s'appuierait sur le principe majoritaire et ferait émerger une véritable représentativité à chaque niveau de négociation, toute en respectant l'ordre public social. Selon nous, la démocratie ne se limite pas au champ politique ou institutionnel. L'exigence de progrès social implique la représentation des salariés par des acteurs légitimes. La négociation collective est le principal outil des salariés et de leurs représentants pour faire vivre le dialogue social. Il faut aujourd'hui donner aux organisations syndicales les moyens d'être pleinement actrices du changement. Au XXIe siècle, tout salarié devrait se voir reconnaître un droit effectif à la représentation syndicale et à la négociation collective. Ce principe, inscrit dans le préambule de la Constitution de 1946 doit devenir effectif. A partir du moment où vous vous autoproclamez porteurs d'une modernisation de la démocratie sociale, il conviendrait que les Français soient informés de toutes les positions en présence. Or sur ce sujet comme sur les autres, vous avez choisi le pourrissement et le chacun-pour-soi, nous choisissons le changement et la solidarité. Notre droit syndical est à bout de souffle : la représentativité syndicale est toujours fondée sur l'arrêté de 1966, et la règle de l'unicité de signature permet à un seul syndicat, même minoritaire, d'engager toute une collectivité. Ces deux règles ne sont plus justifiées si l'on considère le profond changement des négociations sociales. L'exemple des conflits sociaux de l'année 2003 illustre la nécessité d'une clarification des rapports entre Etat et partenaires sociaux, entre loi et convention collective. Notre première exigence consiste donc à proposer la réunion, au début de chaque nouvelle législature, d'une grande conférence sociale tripartite qui définirait les priorités de l'action publique en matière sociale ainsi qu'une grille de répartition des compétences entre ce qui doit revenir à la négociation collective et ce qui restera entre les mains du législateur. Aucune rénovation de la démocratie sociale, d'autre part, ne peut faire l'économie d'une réforme du concept de représentativité syndicale, qui doit être désormais fondée directement sur le vote des salariés. Un tel progrès implique que des élections professionnelles soient organisées le même jour, dans toutes les entreprises, ce qui permettrait de déterminer les organisations syndicales représentatives dans chaque branche. Les syndicats ayant dépassé un certain seuil, calculé au niveau de la branche, seraient ainsi déclarés représentatifs. On pourrait alors autoriser toutes les organisations syndicales légalement constituées à déposer des listes au premier tour des élections professionnelles dans les entreprises. Le changement en profondeur des enjeux de la négociation collective impose également de s'orienter vers la généralisation du principe des accords majoritaires. Un premier pas en ce sens a été fait avec le vote de la deuxième loi sur la réduction du temps de travail en janvier 2000. Les négociateurs ont démontré leur capacité à s'adapter à ce système en signant plus de 100 000 accords, pour la plupart majoritaires, en moins de quatre ans. Nous pensions d'ailleurs que la définition de l'accord majoritaire s'imposait d'elle-même : à la lecture de votre projet de loi, il n'en est rien. L'accord majoritaire, selon nous, ne peut être que celui signé par des organisations syndicales qui représentent la majorité des salariés, sur la base des suffrages exprimés lors des élections professionnelles. Le respect du principe majoritaire ne peut en aucun cas être réduit à la signature d'une majorité de syndicats, qui ne représentent souvent qu'une minorité de salariés dans l'entreprise ou dans la branche. La hiérarchie des normes et le principe de faveur constituent les fondements de notre droit du travail. En vertu de l'ordre public social, à mesure que l'on descend dans la hiérarchie des normes, on ne peut qu'améliorer les droits des travailleurs et les garanties sociales. En d'autres termes, le contrat de travail ne peut être moins favorable aux salariés que l'accord d'entreprise, l'accord d'entreprise que l'accord de branche, et l'accord de branche que l'accord interprofessionnel. Un grain de sable dans cette mécanique suffirait à entraîner l'effondrement de tout l'édifice. Il est donc inacceptable que soit remis en cause ce principe, au nom d'une prétendue libération de la négociation d'entreprise qui ne serait qu'incitation à la flexibilité et entraînerait la paupérisation des salariés. Il est même impératif que ces principes soient étendus aux trois fonctions publiques. Nous proposons ainsi l'élargissement à tous les agents de la fonction publique du champ de la négociation, l'institution d'une obligation annuelle de négocier, la mise en _uvre du principe des accords majoritaires et l'instauration d'un processus qui permettrait aux accords d'acquérir une force juridique, compatible avec le statut des fonctionnaires. Pour qu'une véritable démocratie sociale voie le jour, il est indispensable que tous les salariés soient concernés, ce qui implique la présence de syndicats dans toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Le mandatement constitua déjà une étape importante dans la reconnaissance du droit à la négociation collective dans les petites entreprises. Nous proposons d'aller au-delà en instituant des délégués syndicaux interentreprises par branche professionnelle ou par bassin d'emplois, spécialement compétents pour négocier dans ce type d'entreprises. Nous sommes également favorables à la généralisation et au renforcement du rôle des conseillers du salarié. Il n'est plus tolérable que des salariés soient exclus du droit constitutionnel à la détermination collective de leurs conditions de travail. En outre, la grande variété des sources de financement des organisations syndicales n'est pas compatible avec la mise en _uvre d'une démocratie sociale rénovée. Nous devons donner aux syndicats les moyens d'exercer les missions d'intérêt général que leur confère la loi dans des conditions qui préservent leurs prérogatives et leur indépendance. Il n'est évidemment pas question de remettre en cause le caractère militant que revêt l'acte individuel de l'adhésion syndicale, mais nous demandons que soit parallèlement institué un mode de financement public fondé sur le poids de chaque organisation au regard des suffrages obtenus lors des élections professionnelles. Il est temps, enfin, de faire entrer pleinement la démocratie sur le lieu de travail, c'est-à-dire de permettre aux salariés d'être représentés dans les organes de direction des grandes entreprises. Cette avancée, fondée sur la volonté de donner un pouvoir de décision aux salariés, ne revient en aucun cas à confondre les responsabilités entre employeurs et salariés. A cet égard, nous récusons le leurre d'une prétendue disparition de la frontière entre les intérêts du capital et ceux du travail via l'actionnariat salarié. C'est pourquoi nous refusons de réserver la participation à la direction des entreprises aux seuls salariés actionnaires. Il faut inscrire dans la loi le principe d'une représentation des salariés, à travers leurs représentants syndicaux, dans les conseils d'administration et de surveillance. Telles sont les lignes de ce que devrait être une véritable réforme de la démocratie sociale. A l'opposé, votre projet ne répond à aucune des attentes du monde du travail. Il ne fait que figer des règles inconciliables avec l'objectif affiché, et pire, met durablement en cause le droit du travail et les garanties sociales de nos concitoyens. Si nous reconnaissons tous que la loi ne peut pas tout en ce domaine et qu'il faut laisser une place à la politique contractuelle, tout le monde n'est pas d'accord, en revanche, pour réformer la démocratie sociale de la façon dont vous le faites. Votre nouvel article L. 132-2 du code du travail dispose ainsi que l'accord est valable « en l'absence d'opposition de la majorité des organisations syndicales représentatives ». Même si vous avez pu vous inspirer de la position d'un certain nombre d'organisation syndicales, celle-ci n'est pas conforme au principe démocratique. Les épisodes récents, souvent douloureux, n'ont pas permis d'asseoir la légitimité de ce mode de fonctionnement. Il existe cinq organisations syndicales représentatives : il suffirait donc que deux d'entre elles signent l'accord et qu'une troisième s'abstienne d'exercer son droit d'opposition pour que l'accord soit valable. Or, rien ne garantit que les signataires représentent une quelconque majorité, ni même une « minorité qualifiée ». Pour être vraiment légitimes, les accords interprofessionnels devraient s'appuyer sur la signature des organisations syndicales majoritaires parmi les salariés. Vous nous dites que les partenaires sociaux peuvent prévoir pour les accords de branche des règles de majorité particulières. Vous ouvrez ainsi en théorie - la possibilité de passer des accords réellement majoritaires. Mais je suis prêt à parier que cette possibilité restera l'exception. Vous avez d'ailleurs exprimé votre préférence à cette tribune, et je ne suis pas sûr que les partenaires sociaux s'en félicitent ! Il aurait mieux valu que le texte soit plus précis. Les mesures transposées de la position commune concernant le mode de négociation en entreprise perdent donc de leur intérêt. Certes, vous avez prévu plusieurs modes de conclusion des accords, laissant le choix aux partenaires sociaux entre l'approbation sans opposition des syndicats majoritaires et l'approbation par une majorité de salariés à travers leurs représentants. Mais si l'on s'en tient au choix qui sera certainement opéré dans les accords de branche, on n'aura qu'une seule voie possible, celle de l'approbation sans opposition d'une majorité de syndicats. Vous ferez ainsi perdurer les accords minoritaires dans la plupart des branches. On reste confondu devant ce funambulisme juridique, qui maintient sournoisement la règle des accords minoritaires au moment même où la multiplication des dérogations aux dispositions d'ordre public met les salariés sous pression et les syndicats devant le fait accompli. Votre objectif inavoué transparaît assez pour que l'on ne s'y trompe pas : vous voulez en finir avec la négociation centralisée, qu'elle soit interprofessionnelle ou de branche, pour renvoyer l'intégralité du champ de la négociation collective à l'entreprise ou à l'établissement. A partir du moment où vous subordonnez le maintien du principe de faveur à son approbation expresse par les parties contractantes, c'est-à-dire à partir du moment où vous le supprimez implicitement - parce qu'aucun représentant du Medef ne signera une convention prévoyant le maintien général du principe de faveur -, vous renvoyez tout à la négociation d'entreprise, c'est-à-dire à un échelon pertinent pour résoudre des problèmes pratiques mais qui fragilise irrémédiablement les salariés, tant les niveaux d'implantation syndicale y sont disparates. Cette volonté ne fait plus aucun doute à la lecture de votre article 38 : tous les domaines où le code du travail renvoie à un accord de branche pourront faire l'objet d'accords d'entreprise dérogatoires. En somme, vous allez faire du droit du travail une vaste dérogation où le principe d'exception régnera en maître. Ce que vous avez inventé, c'est quelque chose de totalement inédit : le droit du non-droit. Je reviendrai sur l'article 38 et sur son inconstitutionnalité. Problématique sur la forme et scandaleuse sur le fond, cette disposition va permettre de déroger à des pans entiers de notre droit du travail, qu'il s'agisse du temps de travail, de la santé et des conditions de travail, ou bien du recours aux contrats à durée déterminée. Vous affectez, dans votre article 39, de maintenir la valeur hiérarchique des accords passés avant l'entrée en vigueur de la loi. Mais il ne s'agit que d'une protection en trompe-l'oeil : le principe de la hiérarchie des normes n'exige pas d'accorder une valeur hiérarchique aux dispositions des conventions de branche. Il est donc presque impossible de déceler dans les accords de branche actuels la valeur hiérarchique accordée par les signataires : dans la quasi-totalité des cas, elle s'induisait de la loi. Il sera ainsi aisé de contester la pérennisation de ces dispositions au regard de la nouvelle hiérarchie des normes imposée par voter projet. La rédaction retenue, et notamment l'expression « valeur hiérarchique accordée par leurs signataires » est hasardeuse, voire délibérément tendancieuse. Vos propos apaisants sur la sécurisation juridique des accords antérieurs mériteraient de se traduire par une rédaction juridiquement plus explicite et en conformité avec vos engagements réitérés. Sous prétexte d'étendre le champ de la négociation collective aux petites et moyennes entreprises, le plus souvent dépourvues de représentants syndicaux, vous généralisez la conclusion des accords par les institutions représentatives du personnel. Vous confiez à des instances qui n'ont pas pour objet légal de défendre les intérêts de leurs mandats, ni même l'expérience et la formation nécessaires à cette tâche, la mission de se confronter, dans le secret des PME, à des employeurs qui jouiront d'un avantage d'autant plus exorbitant que la base de négociation sera à géométrie variable, du fait de la suppression du principe de faveur. Si vous voulez réellement mettre sur pied un mode de négociation loyal, rétablissez le principe de faveur et abaissez les seuils de représentation des délégués syndicaux et de création de section syndicale. Si vous avez l'ambition de faire avancer la négociation collective dans les plus petites entreprises, reprenez à votre compte mes propositions sur le délégué interentreprises ou par bassin d'emploi et sur le conseiller du salarié. Si vous aviez maintenu le principe de faveur et vous étiez abstenu de généraliser les accords d'entreprise dérogatoires, nous aurions pu discuter des modalités d'association des institutions représentatives du personnel à la négociation collective. Mais dans de telles conditions, nous ne pouvons qu'y être défavorables. Cette liste de griefs n'est pas exhaustive. Nous aurions pu également traiter des accords de groupe, que vous institutionnalisez dans votre article 40. Quelque utiles qu'ils puissent être à la bonne marche de nos multinationales, récemment reconnus par la jurisprudence, ils n'en poseront pas moins d'énormes difficultés pratiques. De nombreux praticiens du droit du travail s'interrogent sur la possibilité de les décliner dans les différents secteurs d'activité des firmes. A quelle convention de branche se référer ? Il serait bon que vous nous éclairiez sur ce point, à moins que la réponse soit la référence exclusive au niveau de l'entreprise ou de l'établissement. Vous avez dit à de nombreuses reprises que cette réforme du dialogue social n'était que la transposition du texte approuvé par le Medef et certaines organisations syndicales le 16 juillet 2001, plus connu sous le nom de « position commune sur les voies et moyens de l'approfondissement de la négociation collective ». Votre rôle n'aurait donc consisté qu'à prendre acte de la volonté des partenaires sociaux. Je vous rappelle qu'une organisation syndicale, et non des moindres, n'a pas signé ce texte. Cela n'enlève rien à son importance intrinsèque, mais il s'agit tout de même de la première organisation syndicale en France, si l'on se réfère aux résultats des dernières élections prud'homales. Son avis compte aussi. Et je ne parle là que des organisations réputées représentatives au sens de l'arrêté de 1966 : bien d'autres syndicats, qui n'ont jamais été associés à l'élaboration de ce texte, à cause de l'archaïsme de la règle de représentativité, ont à maintes occasions exprimé leurs réserves ou au moins le souhait que leurs observations soient prises en compte. A la lecture comparée de votre projet et de la position commune, je me vois dans l'obligation de contester l'expression « toute la position commune et rien que la position commune » que vous avez utilisée récemment en réponse à une question d'actualité. Les articles 37, 38 et 39 sont parfaitement étrangers à la position commune, et violemment rejetées comme tels par toutes les organisations syndicales. En outre, vous avez extirpé de la position commune les dispositions de votre texte visant à organiser la négociation au niveau des entreprises. Vous voulez ainsi faire semblant d'avoir respecté la volonté des partenaires sociaux, mais, loin de respecter l'économie générale du texte, vous avez proprement procédé à son saucissonnage. On ne peut se prévaloir de l'accord des partenaires sociaux tout en inventant un dispositif, en l'occurrence l'organisation de la négociation par branche, qui lui enlève toute portée pratique. On peut légitimement penser que l'accord majoritaire au titre de la représentation des salariés pourra difficilement s'affranchir de la nécessité d'un accord de méthode au niveau de la branche. Dès lors, la question de l'option retenue à défaut d'un tel accord devient majeure. Vous tranchez en faveur du mode le moins démocratique, à savoir la signature minoritaire sans opposition des syndicats majoritaires. Vous vous éloignez donc de façon flagrante de la position commune, qui prévoyait pour les entreprises le libre choix entre les deux modes de conclusion. Il est donc faux de prétendre que votre projet respecte la position commune à la lettre. Monsieur le ministre, la réforme de la démocratie sociale est une nécessité. Nous vous proposons des solutions alternatives. En renonçant à organiser des élections de représentativité, vous avez choisi un système dont la complexité n'aura d'égale que l'inefficacité. En y ajoutant les articles sur la remise en cause de la hiérarchie des normes, vous avez dénaturé le grand débat qu'attendaient les acteurs sociaux. Le résultat est un véritable gâchis. Les articles 36, 37 et 38 du projet de loi auront de graves conséquences et fondent les moyens d'irrecevabilité que je vais vous exposer. Votre texte contrevient en effet de manière frontale à quatre principes de valeur constitutionnelle. En premier lieu, il crée des cas d'incompétence négative du législateur. L'article 34 de la Constitution prévoit que la loi fixe les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale. Il impose donc au législateur d'exercer pleinement sa compétence, excluant de renvoyer à d'autres le soin de déterminer les règles applicables. Le Conseil constitutionnel a déjà eu à plusieurs reprises à se prononcer sur la valeur du principe de faveur, qui entraîne, en cas de conflit entre différentes normes de droit du travail, l'application de la plus favorable pour les salariés. Ce principe n'a pas valeur constitutionnelle mais constitue un principe fondamental du droit du travail, relevant de ce fait directement de l'article 34 de la Constitution. Selon ce même article, le législateur peut autoriser la négociation collective à déroger aux normes qu'il édicte, le cas échéant dans un sens qui n'est pas favorable aux salariés, mais le Conseil constitutionnel a toujours soumis cette possibilité à des conditions strictes : la délégation de compétence doit notamment porter sur des sujets précisément et limitativement énumérés par le législateur. Or, vous donnez par deux fois à la négociation le pouvoir de déroger aux normes légales ou conventionnelles de niveau supérieur, sans aucune condition ni aucun encadrement par la loi. Selon l'article 37 du projet, en premier lieu, l'accord d'entreprise peut déroger aux dispositions applicables en vertu d'une convention couvrant un champ plus large, sauf si elle en dispose autrement. Mais l'article 34 de la Constitution interdit de confier aux partenaires sociaux le soin de disposer du principe de faveur, qui est un principe général du droit, sans l'encadrer. En second lieu, votre article 38 prévoit qu'un simple accord d'entreprise pourra désormais mettre en _uvre une disposition législative, au lieu d'une convention ou d'un accord de branche pour l'instant. La négociation collective acquiert ainsi le droit de déroger à des dispositions législatives dans des domaines où le législateur n'avait envisagé la dérogation que par des accords de branche étendus, c'est-à-dire avec l'aval des pouvoirs publics. La loi ne peut plus exercer pleinement le pouvoir que lui confère l'article 34 de la Constitution. Ces deux exemples sont des cas flagrants d'incompétence négative du législateur, que le Conseil constitutionnel ne manquera pas de censurer. Le deuxième moyen d'inconstitutionnalité est la violation des exigences de clarté de la loi et de sécurité juridique. L'article 38 du projet permet à un accord d'entreprise de déroger à la loi, alors que seul l'accord de branche le pouvait. Or, le code prévoit qu'un décret, fondé sur un accord collectif de branche, peut augmenter la durée maximale hebdomadaire du travail. L'application à la lettre de l'article 38 permet à un accord d'entreprise d'augmenter cette durée, mais le décret resterait nécessaire. Il est inconcevable que le ministre soit appelé à en édicter un à chaque fois qu'un accord d'entreprise augmente la durée maximale du travail ! Cet impair rend votre projet, en l'état, inapplicable, et il contrevient dès lors au principe de clarté de la loi et de sécurité juridique des citoyens face à son application. Troisième moyen : votre projet porte atteinte à la sécurité des personnes. Selon le Conseil constitutionnel, nombre de dispositions du code du travail concernent directement la sécurité des personnes, telles celles qui touchent à la durée maximale du travail ou aux obligations relatives au repos. Dans la majorité des cas, des dérogations sont permises actuellement par accord de branche étendu. Les confier à des accords d'entreprise revient à instituer des régimes différents selon les entreprises. La nécessité d'un accord de branche étendu garantissait une égalité de traitement des salariés dans toute la branche. Surtout, elle impliquait un décret, et donc l'intervention de la puissance publique. Seul cet imperium étatique peut justifier une inégalité de traitement devant des règles qui touchent à la santé et à la sécurité des travailleurs, et le droit général à la dérogation par l'accord d'entreprise viole donc ce principe de notre Constitution. Le quatrième motif d'inconstitutionnalité est la violation du droit des salariés à la détermination collective de leurs conditions de travail, qui figure dans le préambule de la Constitution de 1946 et qui impose au législateur de fixer les conditions dans lesquelles ce droit s'applique. En d'autres termes, la loi doit dire qui sont les agents de la négociation collective, à tous les niveaux. Or, vous permettez, de façon là encore générale et inconditionnelle, à l'accord de branche de déterminer les modalités de conclusion des accords collectifs dans les entreprises. Le principe de participation implique pourtant à l'évidence que tous les salariés puissent l'exercer dans les mêmes conditions. L'accord collectif de branche pourra choisir entre trois modes de conclusion des accords collectifs dans l'entreprise : ils seront valides soit s'ils ont été signés par des organisations syndicales représentant la majorité des salariés, soit s'ils n'ont pas fait l'objet d'une opposition des organisations syndicales représentant la même majorité, soit s'ils sont conclus par les représentants élus du personnel et validés par une commission paritaire. L'inégalité de traitement est flagrante. La capacité de la négociation collective à engager l'ensemble des salariés d'une entreprise impose que cet engagement découle des mêmes conditions de conclusion des accords, quelle que soit l'entreprise. Tous ces moyens juridiques visent en priorité l'article 38 de votre projet. Le tableau qui figure aux pages 176 et 177 du rapport dresse la liste impressionnante des textes qui relèvent aujourd'hui d'un accord de branche et seront demain de la compétence d'un accord d'entreprise. Nous sommes opposés à ce transfert, et je suis heureux de constater que la commission partage ce point de vue (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). Le commentaire de la page 177 est en effet édifiant : « Cet inventaire des dispositions concernées ne semble malheureusement pas suffisant pour adopter l'article en l'état, qui ne permet quasiment aucune des insertions projetées, même au prix d'une interprétation souple de l'article ». M. Christian Paul - Un instant de lucidité ! M. Alain Vidalies - Je continue à citer le rapport, page 178 : « La mention de la branche n'est pas pertinente puisque dans près de la moitié des cas, le terme de branche ne figure pas et le fait que la négociation ait lieu au niveau de la branche ne peut qu'être déduit de l'existence d'une procédure d'extension. « Certaines dispositions prévoient un recours au décret. Faut-il le prévoir dans le cas des accords d'entreprise ? ». Mme Elisabeth Guigou - Voilà enfin la vérité ! Tout est dit. M. Alain Vidalies - Pour le rapporteur lui-même, il convient de réécrire « l'article prévoyant la modification pertinente de chacune des dispositions concernées dans ces différents codes ». Mme Elisabeth Guigou - CQFD ! M. Alain Vidalies - Puisque nous sommes manifestement d'accord pour constater les insuffisances juridiques de ce texte, je ne doute pas que vous en tirerez les conséquences en votant avec nous cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. le Ministre - M. Vidalies vient de développer devant nous le projet du parti socialiste en matière de dialogue social, lequel nous a vivement intéressés. Mais que n'avez-vous mis en _uvre ces excellentes idées pendant toutes ces années où il vous était loisible de le faire ! Vous étiez pourtant au pouvoir lorsque les partenaires sociaux ont adopté leur position commune de juillet 2001. Par ailleurs, bien des principes que vous avez exposés sont ceux-là même que les partenaires sociaux ont écartés. Ils ont ainsi choisi - ce que je regrette, je le redis - de ne pas traiter de la représentativité. Ne fallait-il donc pas commencer par une étape correspondant à ce que les partenaires souhaitaient ? C'est le choix qu'a fait le Gouvernement car ce sont les partenaires sociaux qui font vivre les relations sociales. M. Claude Gaillard - Les socialistes ne les écoutent jamais ! M. le Ministre - Vous avez également, Monsieur Vidalies, vivement critiqué l'accord d'entreprise alors même que ce sont les socialistes qui leur ont permis d'apparaître dans le droit du travail en 1982. La nécessité de tels accords est reconnue par tous les spécialistes. Dans le rapport qu'il avait remis au ministre du travail en 1997, M. Robineau, conseiller d'Etat, soulignait l'utilité « de disposer d'un espace plus grand pour la négociation d'entreprise, à condition de garantir l'adhésion des salariés. » L'articulation souple prévue dans le texte entre les niveaux de négociation et le principe majoritaire correspond à cette exigence. Quant au principe de faveur, je rappelle que la hiérarchie des normes conventionnelles n'a pas de valeur par elle-même. M. Alain Vidalies - Je n'ai pas dit cela. M. le Ministre - Le législateur peut l'aménager en fonction des exigences de la négociation, dans l'intérêt du dialogue social. La décision du Conseil constitutionnel du 13 janvier 2003 est explicite sur ce point. Le professeur Langlois montre, dans un article paru dans un journal économique, que l'article 8 du préambule de la Constitution de 1946 donne aux partenaires sociaux la faculté de nourrir le droit du travail en complément de la loi. M. Christian Paul - Vous enfoncez des portes ouvertes ! M. le Ministre - Il montre aussi comment la négociation d'entreprise peut nourrir la négociation de branche et combien il serait regrettable d'en rester à un système pyramidal. S'agissant de l'incompétence négative, je ne peux pas être d'accord alors que le projet de loi se borne à dire que là où l'accord de branche est autorisé, l'accord d'entreprise le sera désormais aussi. L'accord d'entreprise n'aura d'existence légitime que dans les cas où un article du code du travail renvoie à la négociation collective. M. Alain Vidalies - Ce n'est pas ce que dit le rapporteur. M. le Ministre - Tous les accords, à tous les niveaux, devront être conformes au droit du travail. M. Maxime Gremetz et Mme Martine Billard - Encore heureux ! M. le Ministre - En fait, M. Vidalies est l'héritier d'une tradition dirigiste de la négociation collective, à l'inverse précisément de ce que préconise le Conseil constitutionnel, notamment dans sa décision du 6 novembre 1996. Pour ce qui est de l'article 38, la question de forme soulevée sera naturellement corrigée. J'invite donc l'Assemblée à repousser cette exception d'irrecevabilité, à laquelle M. Vidalies ne croit d'ailleurs pas lui-même puisqu'il nous a en permanence renvoyé à la discussion qui va suivre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. le Rapporteur - Sur l'article 38, je n'ai rien à ajouter à ce qu'a dit le ministre (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). M. Pierre-André Périssol - L'orateur socialiste nous a parlé de « coup fourré », de « gravité exceptionnelle »... Que de bruit pour rien ! M. Alain Vidalies - Ce n'est pas moi seulement qui le dis : les syndicats aussi ! M. Pierre-André Périssol - Ce texte transpose un accord interprofessionnel adopté à l'unanimité. Le gouvernement précédent aurait sans doute bien aimé obtenir un tel accord ! Hélas pour lui, les syndicats ont refusé ses propositions. M. Vidalies a insisté sur la nécessité d'instaurer un droit à la formation tout au long de la vie, mais qu'ont fait les socialistes sur ce sujet ? Rien. L'accord obtenu aujourd'hui par M. Fillon... M. Alain Vidalies - Non ! Par les partenaires sociaux ! M. Pierre-André Périssol - ...met en _uvre une véritable assurance emploi, progrès majeur. Il prévoit également un effort accru de la part des entreprises et de l'Etat en matière de formation (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). M. Christian Paul - L'Etat ne met pas un euro de plus ! M. Pierre-André Périssol - Avec ce texte, on s'attache enfin à résoudre les difficultés d'emplois que rencontrent les plus de cinquante ans. Bilans de compétences systématiques, entretiens professionnels plus fréquents, formation renforcée, autant d'outils qui devraient aider cette catégorie de salariés. Je suis sûr qu'au fond de vous, vous pensez de même. Au nom de l'UMP, je tiens à saluer la maturité, la responsabilité des partenaires sociaux qui ont eu le courage de s'engager sur un partage du temps de formation entre temps de travail et temps libre. L'autre volet du texte a trait à la rénovation de la démocratie sociale. Il y est dit que, lorsque la loi intervient dans le champ social, priorité doit être donnée à la négociation collective. Il y est dit aussi qu'il faut faire confiance aux partenaires sociaux. Si les socialistes les avaient écoutés et leur avaient demandé de dégager les modalités possibles d'une réduction du temps de travail, bien des erreurs et des difficultés auraient été évitées ! Alors que prônez le dialogue social, Messieurs, lorsque vous aviez la possibilité, le devoir même, de le favoriser, vous vous en êtes méfiés et l'avez étouffé. Qui ne voit que la démocratie sociale est plus faible chez nous que chez nos voisins ? Qui ne voit que des syndicats forts constituent un atout, y compris pour les entreprises ? Les socialistes n'ont pourtant rien fait pour redonner de l'attrait au syndicalisme et pour inciter les syndicats à faire des choix, parfois difficiles, mais indispensables à la modernisation des relations sociales comme des conditions de travail. Finissons-en donc avec les archaïsmes qui peuvent certes parfois, à court terme, être avantageux, surtout lorsqu'on est dans l'opposition, mais qui de fait étouffent notre pays. Au nom de l'UMP, je dis bravo au ministre des affaires sociales qui, faisant confiance aux partenaires sociaux, a réuni les conditions d'une modernisation, d'une respiration de notre démocratie sociale, c'est-à-dire de la démocratie tout court. Je vous invite donc à repousser l'exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Maxime Gremetz - Comment se peut-il qu'un texte prétendument destiné à renforcer la démocratie sociale soit contesté par toutes les organisations syndicales - dont toutes ne sont pas marxistes ? M. Christian Paul - Mais l'UMP, elle, est devenue autiste ! M. Maxime Gremetz - Seul le Medef est satisfait ! Et le bon sens même veut que lorsque le Medef est content, les salariés ont des soucis à se faire. « Le Medef en rêvait, le Gouvernement l'a fait » : ce n'est pas moi qui le dit, mais Force Ouvrière elle-même. Des juristes, comme Jean-Emmanuel Rey dans Liaisons sociales, dénoncent « la nouvelle articulation des niveaux de négociation », voire leur « désarticulation ». Il s'agit, faut-il le préciser, pourtant de la mesure-phare de ce texte ! Autonomie à tous les niveaux, renonciation au principe de faveur, voilà la vérité que vous voulez masquer. Aussi une délégation de la CGC a-t-elle dit clairement aux élus UMP du Finistère qu'elle n'approuverait jamais de telles dispositions. Il en va de même de la CFDT, de la CFTC, sans parler de la FSU ou de l'UNSA, que vous ne considérez pas comme représentatives. M. Christian Paul - C'est scandaleux. M. Maxime Gremetz - Tout à fait ! Parler de dialogue social et imposer à toutes les organisations une loi dont elles ne veulent pas, c'est remettre en cause le droit du travail. Inutile, après cela, de demander à M. de Virville de faire des propositions pour réformer ce droit. Bien entendu, nous voterons l'exception d'irrecevabilité. Mme Elisabeth Guigou - Ce projet part de deux grandes idées. La première, celle de la formation tout au long de la vie, est une magnifique idée, gage de progrès social et facteur de compétitivité dans un monde sans cesse plus concurrentiel, où nous ne pouvons défendre notre modèle social européen qu'en donnant aux salariés le sentiment d'y être partie prenante. La seconde grande idée est celle de la démocratie sociale, qui doit conforter la démocratie politique, et que nous avons un urgent besoin de revivifier. Les partenaires sociaux ont signé à l'unanimité l'accord de septembre 2003 sur la formation professionnelle et plusieurs organisations ont signé la position commune sur le dialogue social. On pouvait attendre que vous nous proposiez d'acter dans la loi la totalité de ces accords, de les accompagner et de les enrichir. Or vous faites l'inverse. Vous ne transposez pas la totalité des accords, vous visez seulement à légitimer le désengagement de l'Etat, et vous mettez en cause ce principe fondamental du droit du travail qu'est le principe de faveur. Sur la formation continue, vous prenez des dispositions minimales qui ne pourront en aucun cas donner une seconde chance aux salariés sans qualification - et sans que l'Etat y mette un centime d'euro. Ce projet ne restera qu'un effet d'annonce. M. Christian Paul - On se moque des Français ! Mme Elisabeth Guigou - D'autre part, vous anéantissez le principe de faveur, reconnu par une jurisprudence constante face aux attaques du Medef. Récemment encore, le tribunal de grande instance de Paris tranchait dans un arrêt du 14 mars 2002 contre la fédération française des assurances alors dirigée par M. Denis Kessler, qui n'avait en tête que de faire remplacer les accords interprofessionnels et de branche par les accords d'entreprise. Dans la mise à jour récente de son manuel Droit du travail, droit vivant, le professeur Rey considère qu'avec cette possibilité de dérogation conventionnelle, tout dépendra désormais des négociateurs de branche : « Si les limites qu'ils fixent sont trop larges et les domaines susceptibles de dérogations trop nombreuses », écrit-il, on va tout droit à l'« atomisation des conditions de concurrence » dans le secteur économique considéré. Voilà à quoi conduit votre projet. Vous comprendrez que nous votions l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Francis Vercamer - Sur le premier volet, celui de la formation professionnelle tout au long de la vie, si importante dans un monde du travail qui évolue rapidement, nous ne pouvons qu'être tous d'accord, d'autant que le projet transpose un accord signé à l'unanimité par les syndicats. S'il subsiste des imperfections, nous essaierons d'y remédier. Mais sur le dialogue social, on peut être plus inquiet. Faut-il bouleverser la hiérarchie des normes et abandonner le principe de faveur ? Voter le texte en l'état, c'est remettre en cause les relations sociales. Le groupe UDF proposera donc un certain nombre d'amendements. Nous ne sommes pas contre le principe de la dérogation. Par exemple, si l'on avait permis aux buralistes des zones frontalières de déroger à un accord national, nous n'aurions peut-être pas connu une telle effervescence dans la profession (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). De même, quand une entreprise est au bord de la faillite, une dérogation, acceptée par les salariés comme l'employeur, peut aider à la sauver. Mais il faut encadrer ces dérogations, les accorder, pour une durée limitée, dans le cadre d'un accord de branche et non s'en remettre à un rapport de forces. Le groupe UDF ne votera pas l'exception d'irrecevabilité, car il pense que le texte peut être amendé. L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 22 heures. La séance est levée à 20 heures 30. Le Directeur du service Le Compte rendu analytique Préalablement,
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