Session ordinaire de 2003-2004 - 39ème jour de séance, 99ème séance 3ème SÉANCE DU JEUDI 11 DÉCEMBRE 2003 PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC vice-président Sommaire La séance est ouverte à vingt-deux heures. FORMATION PROFESSIONNELLE ET DIALOGUE SOCIAL (suite)
L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social
QUESTION PRÉALABLE M. le Président - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des députés communistes et républicains une question préalable déposée en application de l'article 91-4 du Règlement. M. Maxime Gremetz - Nous sommes saisis à l'approche de Noël, ce qui n'est sûrement pas un hasard ni un cadeau, d'un projet constitué de deux éléments distincts sans doute pour profiter de l'un pour faire passer l'autre. C'est ce que donne en effet à croire le refus incompréhensible de la commission d'organiser un vote séparé sur chacune des deux parties du texte, comme le prévoit l'article 63-3 du Règlement dont j'avais demandé l'application. Le président de la commission a fait procéder à un vote, et la majorité a refusé que nous nous prononcions séparément sur les deux textes. Ils sont pourtant très différents puisque le premier transcrit dans la loi les termes d'un accord historique sur la formation, signé par l'ensemble des organisations syndicales, tandis que le second est rejeté par elles toutes. Nous souhaitions, nous, pouvoir approuver le premier et nous opposer sévèrement au second. Après ce vote négatif, on nous a déclaré en commission qu'il appartenait au ministre de décider. De fait, le Gouvernement aurait dû procéder en deux temps, et le couplage des deux textes est d'autant moins justifié que le ministre a prétexté un problème de calendrier. L'identification des enjeux de chacune des deux parties, que permet un vote séparé, serait-elle de nature à vous gêner ? Un dispositif relatif à la formation professionnelle d'un côté, un dispositif portant réforme du dialogue social de l'autre, voilà deux révolutions, bien différentes, dans le domaine de la législation sociale. Dans les deux cas, vous vous appuyez sur deux compromis passés entre les partenaires sociaux. Mais nous ne les considérons pas du tout avec le même regard, comme vous allez le voir. Commençons par la formation professionnelle dont l'évolution a toujours dépendu du progrès technique. Le rythme de ce dernier s'est accéléré au point que la transmission des savoirs et des savoir-faire ne passe plus par la seule expérience familiale. L'adaptation aux avancées scientifiques et techniques s'imposant tout au long de la vie, chacun doit pouvoir renouveler sa formation à un moment ou l'autre de son existence. Après de laborieuses négociations, l'ensemble des organisations syndicales et patronales ont signé l'accord sur l'accès des salariés à la formation tout au long de la vie. Cet accord historique traduit la volonté commune de refonder un système de formation devenu inégalitaire. Les pratiques issues de l'accord national interprofessionnel de juillet 1970 et de la loi de 1971 ont révélé que la formation va à la formation, que la formation continue ne paie pas, que la formation tend trop à se réduire à l'adaptation du salarié à son emploi. Aujourd'hui, l'éducation permanente des adultes n'agit que très marginalement comme outil de rééquilibrage des inégalités sociales. La concentration sur l'adaptation au poste de travail et la difficulté de s'inscrire plus largement dans des logiques de développement professionnel et personnel, l'insuffisance de l'investissement en formation, les inégalités d'accès au marché du travail sont autant de dérives qui ont éloigné le système de ses objectifs initiaux. De la Révolution française à la loi de 1971, la formation et l'enseignement, voués d'abord à enrichir l'individu, ont reçu pour objectif une promotion sociale qui passerait par la promotion professionnelle. Dès la IIIe République, la loi « Astier » du 25 juillet 1919 institua des cours de perfectionnement pour adultes. Le préambule de la Constitution de 1946 fit de la formation professionnelle un « principe politique, économique et social particulièrement nécessaire à notre temps », la nation devant garantir « l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture ». L'inscription juridique du droit à la formation professionnelle se situe donc au plus haut niveau de la hiérarchie des normes. La loi de 1971 a instauré une obligation de dépenses pour les entreprises et posé les bases d'un droit à la formation avec le congé individuel de formation. Il s'agissait alors de relier de façon cohérence la formation initiale et la formation continue. Mais la monté du chômage et la multiplication des statuts d'emploi ont installé la précarité au c_ur des évolutions professionnelles. La flexibilisation de la production a modifié ce que les entreprises attendent de leurs salariés. Ainsi, les missions de promotion sociale dévolues à la formation disparaissent au profit de réponses à des problèmes d'activité professionnelle. Le Livre blanc de mars 1999 tire les enseignements de cette évolution, en ouvrant quatre perspectives : développer la validation des acquis de l'expérience, mettre en place un droit individuel à la formation, reconfigurer les dispositifs de professionnalisation des jeunes et clarifier le rôle des acteurs de la formation continue. Après l'adoption de la loi de janvier 2002 sur la validation des acquis de l'expérience, l'accord interprofessionnel et, aujourd'hui, ce projet donnent corps à cette réforme. Le droit individuel à la formation ouvre une sorte de droit de tirage, permettant au salarié de négocier son projet et de mieux accéder, de sa propre initiative, à la formation. Car toute la question est bien d'inciter l'individu à se faire acteur de sa promotion professionnelle. Or, et c'est sur ce point que nous divergeons, il ne peut y avoir réalisation d'un droit à la formation que pendant le temps de travail, avec une rémunération décente et la garantie d'obtenir une véritable qualification, choisie en toute liberté. Tant que l'on reste en deçà, il n'y a que la liberté de se former ou de ne pas se former, pour simplement préserver son « employabilité ». C'est cette prétendue liberté, et non un droit, que le projet organise en imposant l'idée d'un co-investissement entre salarié et employeur. De même, nous défendons avec véhémence le droit à l'initiative en matière de formation. Or, que devient cette initiative dans un projet qui donne à l'employeur un droit de regard sur le contenu, sur les modalités et sur les périodes de la formation ? En ces temps de fort chômage, la menace du licenciement va encore brider cette même initiative et l'on voit bien, déjà, comment s'opposeront intérêt de l'entreprise et intérêt du salarié. Comment, dans ces conditions, concilier promotion sociale individuelle et contribution collective au développement économique ? Là était pourtant ce qui fondait le consensus idéologique dont est issue la loi de 1971. D'autre part, comment consacrer un droit individuel à la formation et à l'éducation tout au long de la vie sans les financements adéquats ? Comment ne pas réduire ce droit à un droit abstrait ? La formation des demandeurs d'emploi n'était pas au c_ur des préoccupations des auteurs de ce texte, la décentralisation et le désengagement corrélatif de l'Etat pourraient à terme aggraver encore les difficultés auxquelles se heurtent les personnes les plus fragiles. Qu'en sera-t-il de l'offre publique de formation après le vote de ce projet ? De nombreux courriers nous ont mis en garde contre l'effet que pourrait avoir ce dernier, notamment sur l'activité des centres de formation en alternance. Nous espérons que nos débats apporteront des réponses suffisamment claires pour que nous puissions continuer de nous féliciter de l'inscription dans la loi de cet accord historique. Avant d'entrer dans le détail de votre projet de réforme du dialogue social, attardons-nous un instant sur votre bilan, Monsieur le ministre. Mais, pour être honnête et précis, je devrais plutôt parler du bilan du Gouvernement, car vous n'êtes qu'un des rouages, n'est-ce pas ? M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Un rouage modeste ! M. Jean-Claude Lefort - Mais néanmoins important... M. Maxime Gremetz - Je ne veux pas vous faire porter le poids de tous les malheurs du monde. Après tout, vous devez compter avec les arbitrages du Premier ministre, avec le Président de la République, avec le ministre de l'intérieur... et avec le Medef ! Au bout de quelque dix-huit mois, la majorité UMP-UDF a marqué de son empreinte notre environnement social et compte bien continuer d'exécuter le carnet de commande bien rempli du Medef - c'est d'ailleurs pourquoi, lors de notre discussion relative au RMA, j'ai parlé de bon génie exauçant tous les v_ux du baron Seillière - lequel ne m'a pas démenti, bien au contraire. Mais pour quels résultats ? En octobre, le nombre de demandeurs d'emploi a progressé de 0,2 %, le chômage atteint 9,7 % de la population après la hausse de 1 % enregistrée en septembre. Nous en sommes à 2 440 000 chômeurs, dont 4 300 venus s'ajouter le mois dernier ! Mois après mois, nous nous rapprochons de la barre fatidique des 10 %, jamais plus atteinte depuis 1993 et un certain gouvernement... L'avenir n'est toujours pas à la décrue puisque l'INSEE estime à 9,9 % le taux de chômage pour cette fin d'année. Croyez que je ne m'en réjouis pas, car, derrière ces chiffres, il y a des jeunes, des femmes et des hommes, des familles qui souffrent, et des régions qui vont affronter les effets de vos choix idéologiques avec des bouées de sauvetage toujours un peu moins gonflées et des lots de consolations toujours plus dérisoires ! Selon un économiste de l'OFCE, rien ne permet d'espérer une baisse prochaine du nombre de demandeurs d'emploi. D'après lui, les taux de marge des entreprises restent très bas et, pour les rétablir, un relèvement des prix n'étant guère envisageable, la seule solution serait de baisser les coûts, c'est-à-dire de licencier ! Le chômage devrait donc s'accroître tant que la croissance n'atteindra pas 2 %. Et si décrue il doit y avoir, elle viendra en même temps que la fonte des neiges, c'est-à-dire au printemps prochain. Mais le même économiste constate que « le Gouvernement ne contribue pas à enrichir la croissance en emplois »... Et il n'est pas marxiste ! M. Jean-Claude Lefort - Seulement réaliste ! M. Maxime Gremetz - Vous pouvez toujours crier aux 35 heures, comme on crie au loup, mais oserez-vous mesurer l'efficacité de la multiplication des exonérations et avantages fiscaux accordés aux entreprises ? Et que dire de votre budget d'investissement ? Vingt milliards d'euros sur trente serviront à compenser ces exonérations de cotisations sans effet pour l'emploi ! Pendant ce temps, les coupes claires déciment les crédits, y compris ceux qui sont destinés aux contrats aidés. Quant aux chômeurs âgés, leur avenir s'assombrit un peu plus chaque jour. Même si le chômage des plus de 50 ans a légèrement diminué à la fin d'octobre, près de 380 000 chômeurs de plus de 50 ans « bénéficient » actuellement d'un dispositif qui, tout en leur assurant un revenu, les dispense de rechercher un emploi. C'est-à-dire, pour parler clair et picard, qu'ils ne sont pas comptabilisés au nombre des chômeurs. Mais dès l'an prochain, la réforme du régime UNEDIC conduira à une réduction des durées d'indemnisation. Les chômeurs de plus de 55 ans qui bénéficient de l'ASS vont perdre le surcroît d'allocation de 40 %. Et vous voulez les faire travailler et cotiser plus longtemps ! Mais ils sont déjà sans emploi ! Votre réforme des retraites est décidément un contresens économique autant que social. Comment les Français jugent-ils votre bilan ? Pour vous, même si cette réforme des retraites a été difficile, tout irait quand même bien. Nos compatriotes, eux, ne s'y trompent pas : ils savent pour qui ce gouvernement gouverne. Pour les plus pauvres ? Que non ! Selon un sondage que je viens de découvrir, 2 % seulement pensent ainsi. Mais 67 % sont convaincus que c'est au bénéfice des privilégiés. Ils sont 69 % à désapprouver la réforme des retraites, 72 % à estimer que votre politique de l'emploi est une faillite et 72 % à condamner vos mesures relatives à l'impôt ! Vous trouverez cela dans le dernier numéro de l'Express... M. Jean-Claude Lefort - Qui n'est pas suspect de partialité ! M. Maxime Gremetz - Voilà les résultats d'une politique qui a commencé sur les chapeaux de roue avec l'assouplissement des 35 heures, il y a dix-huit mois. Le Medef déclarait à votre arrivée au Gouvernement : « Les 35 heures sont une aberration. Il faut les abroger ». Aussitôt dit, aussitôt fait ! Le bon génie que vous êtes les a assouplies ! C'était le premier étage de votre fusée en direction de la planète Medef. Vinrent ensuite, après la suppression des emplois-jeunes, des CES, des CEC, du programme Trace, la suspension des principes de la loi de modernisation sociale, la création du RMA et aujourd'hui la réforme du dialogue social qui constitue en fait une remise en cause du code du travail. Car sur la planète Medef, point besoin de code. Si la législation sur la réduction du temps de travail a été diversement appréciée, c'est en raison d`un manque d'audace, et non en raison des objectifs affichés : la preuve en est le faible taux de renégociation. Incontestablement, la loi sur la réduction du temps de travail méritait d'être améliorée. C'est pourquoi nous avions déposé un certain nombre d'amendements. Mais, tant dans son principe que dans ses objectifs, les salariés l'ont appréciée. Dès lors, vous ne pouviez pas annoncer frontalement que vous réduiriez à néant leurs attentes. Mais vous relayiez déjà les propos du Medef et rejetiez en bloc tout processus historique de réduction du temps de travail. Et aujourd'hui, vous présentez un projet qui remet en cause subrepticement les 35 heures par le biais des accords dérogatoires d'entreprise. En détournant le principe de faveur, vous confortez à nouveau le Medef. Vous parliez d'assouplissement, mais c'est une supercherie. Avec une batterie de mesures anti-sociales fragilisant la croissance et l'emploi, vous aggravez les conditions de travail des salariés et remettez en cause l'équilibre entre vie professionnelle, vie familiale et sociale. D'ailleurs, 85 % des salariés estiment que leurs conditions de travail se sont dégradées. Concernant les 35 heures, je vous livre les résultats d'un sondage réalisé par l'IFOP pour le Journal du dimanche les 9 et 10 décembre 2003. 62 % des personnes interrogées travaillent dans une entreprise qui a bénéficié d'un accord sur la réduction du temps de travail. 66 % se déclarent satisfaites des 35 heures. J'ai l'impression que le Gouvernement pense à la place des gens ! Je continue. 73 % des personnes interrogées déclarent que les 35 heures leur ont permis de consacrer plus de temps à la vie familiale, 63 % plus de temps aux loisirs, 56 % au repos, 27 % à la vie associative. 65 % des personnes interrogées estiment que les 35 heures ont eu un impact positif sur l'ambiance au travail, 59 % un impact positif sur l'implication de chacun dans l'entreprise, 55 % sur la qualité des produits ou de la prestation délivrée, 47 % sur la rentabilité. Et vous osez prétendre que les 35 heures ne sont pas une bonne chose ? Ce que vous proposez est à mille lieues de ces préoccupations. Vous allez même à l'encontre des propos du Président de la République : « Travailler plus pour gagner plus ». Avec votre réforme, certains travailleront plus, d'autres ne verront jamais baisser leur temps de travail, tous gagneront moins. Ainsi, l'harmonisation des différents SMIC a déjà limité le pouvoir d'achat des salariés. L'augmentation du SMIC horaire que vous n'avez cessé de mettre en avant, c'est en fait l'arbre qui cache la forêt. Si cette harmonisation était impérative, si l'amélioration du dispositif existant était nécessaire, vous avez dissimulé les conséquences terribles du système retenu. Car vous prévoyez certes d'accorder des coups de pouce, mais vous avez supprimé l'un des deux mécanismes d'indexation qui entraînait la progression du SMIC chaque année. En dévoyant le mode traditionnel de calcul du SMIC, en revenant aux bases de calcul du SMIC, vous faites faire aux salariés un bond en arrière de 35 ans. Il y a deux ans, vous prétendiez - c'était une contre-vérité - que réduction du temps de travail et augmentation du pouvoir d'achat étaient incompatibles. Aujourd'hui, augmentation du temps de travail s'articule avec perte sensible de rémunération. De plus, vous renvoyez à la négociation salariale la majoration des heures supplémentaires avec un plancher de 10 % et non plus 25 %. Comme vous étendez ce dispositif aux entreprises de moins de vingt salariés, les heures supplémentaires seront moins rémunérées pour un plus grand nombre. Où est la possibilité de travailler plus pour gagner plus ? Vous nous avez accusés de mépriser les chômeurs et les travailleurs précaires. Que faites-vous aujourd'hui en n'incitant pas les entreprises à réduire leur temps de travail et en créant le RMA ? Où sont les dispositifs permettant de libérer du travail et d'encourager les créations d'emplois ? Dans ses interventions du jeudi 3 octobre 2002, mon amie Muguette Jacquaint disait déjà : « Votre projet de loi, en visant la baisse du coût du travail sans contrepartie, aura des effets négatifs sur l'emploi, des conséquences sociales inacceptables, des résultats néfastes sur l'économie, et ce au moment où le chômage remonte et la croissance ralentit ». Regardez les chiffres de la conjoncture économique : c'est aujourd'hui incontestable. Toutes ces dispositions s'inscrivaient déjà dans la remise en cause de l'ordre public social telle qu'elle apparaissait dans un avis du Conseil d'Etat en 1973. En renvoyant à la négociation, vous permettez au patronat de dévoyer toutes les mesures pour lesquelles la loi prévoit des garanties minimum pour les salariés. C'est une véritable régression. Les 35 heures sont populaires et ne sont pas à l'origine de tous nos maux, quoi que certains de vos collègues de la majorité prétendent. Elles sont appréciées et cela vous gêne. Le deuxième étage de la fusée « direction planète Medef » a été la suspension, pour ne pas dire l'abrogation, des articles anti-licenciements de la loi de modernisation sociale que nous avions arrachés au précédent gouvernement. Je dois reconnaître que nous ne sommes allés jusqu'au bout ni de notre logique, ni des attentes du monde du travail. Nous sommes restés au milieu du gué. Avec ce texte, vous avez poursuivi la démolition des avancées sociales de la gauche, y compris les plus modestes. Après avoir brisé le processus de réduction du temps de travail, vous vous êtes attaqués méthodiquement au droit de contestation et de proposition face aux licenciements dits économiques. Seul le Medef, comme aujourd'hui, y a trouvé avantage. Oui, ce projet était un texte de revanche sociale. Il est unanimement condamné par les organisations syndicales de salariés, et je tiens toutes leurs déclarations à votre disposition. Après les drames de Lu, Danone, Michelin ou Whirpool, les parlementaires communistes ont voulu faire progresser la protection des salariés en matière de licenciements économiques. Manifestement, leur désarroi et la destruction morale de leur famille ne suscitent chez vous aucune émotion. Vous vous résignez facilement à cette prétendue fatalité économique et cédez à l'appétit du Medef de voir encore et toujours remis en cause le code du travail, ouvrant du même coup la porte à l'arbitraire, aux inégalités entre les salariés et au détournement de la négociation collective. Mais ce texte n'était qu'un commencement. Délibérément enfermés dans une logique dogmatique, qui veut accorder toute liberté au patronat dans sa recherche du profit et sa volonté de rendre les salariés taillables et corvéables à merci, vous allez au devant des exigences des grands groupes qui veulent démanteler la législation sociale. Avec le ralentissement de la croissance et de l'augmentation du chômage, l'heure n'est vraiment pas à ouvrir les vannes des licenciements ! A l'occasion de cette loi, vous aviez pourtant avancé un principe intéressant : celui de l'accord majoritaire. Mais sous ce prétexte, vous proposiez aux salariés de creuser leur propre tombe, en négociant leur licenciement ou celui de leurs collègues ! Cette philosophie transparaît dans la deuxième partie de votre projet de loi. En outre, vous vouliez nous faire croire à une simple suspension des articles, mais leur suppression pure et simple est programmée. Vous n'avez aucun scrupule à amenuiser ainsi la prévention des licenciements. D'ici six mois, les partenaires sociaux devront se mettre d'accord sur de nouvelles règles selon les nouvelles modalités de négociation. Vous êtes mêmes allés jusqu'à détourner le sens de la négociation collective : alors que son objet devrait être de conférer des droits et des garanties aux salariés, elle devient ici un instrument de régression sociale, notamment parce que vous remettez en cause, sans le dire, comme à votre habitude, le principe de faveur. Malgré la pression que subissent les négociateurs dans le cadre des plans de licenciements, vous faites servir la négociation à déroger aux garanties légales dans un sens défavorable aux salariés. C'est une atteinte grave à l'ordre social et à la hiérarchie des normes. Que reste-t-il comme garantie, si le droit de licenciement est renvoyé à la négociation d'entreprise sans même être encadré par la négociation de branche ? Le texte que vous nous présentez aujourd'hui de façon précipitée a donc un air de déjà vu. Pour donner un semblant de légitimité à une négociation dont la seule vocation est la déréglementation, il introduit la notion d'accord majoritaire, qui sonne agréablement aux oreilles - celle-là même que nous avons proposée à propos de l'assouplissement des 35 heures et qui avait été rejetée. Rappelons-nous que vous êtes le ministre qui dit avoir sauvé le système de retraite par répartition en introduisant les fonds de pension à la française ! Dans la même veine, vous voulez moderniser le dialogue social par l'avènement de l'accord majoritaire, mais en bouleversant la hiérarchie des normes. Ne vous laissez pas aveugler par le chant des sirènes du Medef : il en voudra toujours plus ! Les parlementaires communistes s'opposent à cette volonté de déréglementation sociale. Ils ne veulent pas d'un monde du travail sans foi ni loi. Assouplissement des 35 heures, suspension de la loi de modernisation sociale, renvoi aux départements de la responsabilité de l'insertion avec la décentralisation du RMI et création du RMA... Le tour est pratiquement joué ! Ne reste qu'à préparer l'atterrissage de la fusée sur sa nouvelle terre promise, aux dépens de l'ordre public social. Le but est de préparer le terrain des prochaines réformes, car c'est bien à la lumière de cette nouvelle « démocratie sociale » que vont s'élaborer les prochains accords sur la durée du travail, la suppression d'un jour férié, les règles de licenciement ou le nouveau contrat de chantier, espoir du Medef ! Vous avez en effet de grands projets. Vous travaillez, comme par hasard, à « dépoussiérer » le code du travail, et à mettre en place cet OVNI qu'est le RMA, avant le prochain contrat de chantier. Vous nous expliquez, Monsieur le ministre, que nous manquons de souplesse, de flexibilité et de précarité... Ce nouveau contrat est à la carte, sans formalisme et sa durée est liée à celle du projet... C'est un recul d'un siècle ! Si vous n'avez pas attaqué frontalement les 35 heures, si vous n'avez que suspendu la loi de modernisation sociale, c'est que vous prépariez le dernier étage de la fusée : la négociation et l'extension du champ des accords dérogatoires. Ainsi, la boucle est quasiment bouclée et vous aurez rempli en tous points les v_ux du Medef. Il n'y a plus qu'une étape à franchir, plus qu'un maillon de la chaîne protectrice des salariés à briser : celui des garanties collectives, qui empêchent de déroger aux principes de la loi. Vous vous écrierez que les précédents gouvernements avaient déjà engagé le principe dérogatoire. C'était d'ailleurs contre notre avis, car lorsqu'une dérogation est créée, on s'engouffre dans la brèche. Mais ce n'est pas parce que quelqu'un a déjà mal fait qu'il faut continuer ! Nous avons critiqué cette atteinte au code du travail, mais d'une exception, vous faites la règle ! C'est un recul de cinquante ans dans notre législation. Il faut toutefois reconnaître votre habileté. Vous tentez tout d'abord de faire croire à la révolution de l'accord majoritaire. Puis vous faites une concession au Medef : la généralisation de l'accord dérogatoire, le prétexte à tout cela étant la transcription d'une position commune censée redynamiser la démocratie en entreprise. M. Seillière a en effet déclaré, le 15 octobre, qu'il n'accepterait l'accord majoritaire que s'il y avait une remise en cause du principe de faveur et une généralisation de la dérogation. Cette déclaration a précédé votre ultime volte-face : vos derniers arbitrages ont en effet été sauvages. Le Medef a vraiment dû vous trouver formidables : il a eu tout ce qu'il voulait ! Votre intervention m'a rappelé, tout à l'heure, cette personne qui disait : « Il a bien parlé, mais qu'est-ce qu'il a dit ? » Regardons donc de plus près votre conception de la démocratie sociale. Pour décrypter les notions d'accord majoritaire et de principe dérogatoire, il faut partir de la position commune signée par l'ensemble des organisations syndicales, à l'exception de la CGT. Cette position commune reconnaît l'essoufflement de la négociation sociale et une crise de légitimité de la représentativité. Il faut tout de même rendre hommage aux organisations syndicales pour avoir essayé de moderniser les relations sociales. En juillet 2001, quatre confédérations syndicales et trois organisation patronales ont amorcé un changement profond dans le système en vigueur depuis la Libération. Dans leur position commune, elles affirment vouloir renforcer le dialogue social, ce qui suppose au moins deux conditions : une organisation ne doit plus pouvoir à faire la pluie et le beau temps par sa seule signature et l'Etat, avant de légiférer, doit inviter les partenaires sociaux à négocier. Cela nous met en outre au diapason des pratiques européennes. La CFDT et la CGT revendiquent une troisième condition, que nous soutenons : le fait que la représentativité des organisations syndicales s'appuie sur des instruments de mesures précis. Reconnaissons d'abord que, faute d'unanimité sur la négociation collective et le principe d'accord majoritaire, cette « position commune » est bien fragilisée. La volonté d'élargir le champ de la négociation collective et d'assurer son développement exige de prévoir un mode de conclusion des accords qui, sans remettre en question la capacité de chaque organisation syndicale représentative d'engager l'ensemble des salariés, renforce la légitimité des accords et garantisse l'équilibre de la négociation, indiquent en substance les « interlocuteurs sociaux » signataires de la position commune. Ils ajoutent qu'une période de transition pourrait être prévue « pour vérifier que ce nouveau mode de conclusion constitue une étape positive au regard du double objectif de développer la négociation collective et de renforcer sa légitimité ». Il est intéressant de regarder de plus près cette formulation délibérément floue. « Un accord national interprofessionnel ou un accord de branche, quel que soit le nombre d'organisations syndicales représentatives signataires, n'entrerait en vigueur que dans la mesure où la majorité des organisations syndicales n'aurait pas fait usage de leur droit d'opposition », propose le patronat, suivi par FO, la CFTC et la CGC. Ainsi - si la position commune était un véritable accord -, deux organisations syndicales ne pourraient pas, même si elles avaient recueilli une écrasante majorité lors des élections professionnelles, faire valoir de droit d'opposition. Il en irait de même dans les branches qui - fait essentiel -, décideraient du mode de conclusion des accords dans les entreprises. S'agissant des accords d'entreprise, leur entrée en vigueur serait subordonnée à celui des deux modes de conclusion retenu dans l'accord de branche. Allons donc voir de plus près de quoi il retourne. Il faut en effet décortiquer le texte, car il est si intelligemment rédigé que l'on peut très bien n'y rien voir. Faisons preuve d'un peu de pédagogie. Bien que la CGT et la CFDT recueillent à elles deux 57 % des voix lors des élections professionnelles, elles ne parviendront jamais à un accord majoritaire car toujours l'avis des trois autres organisations représentatives l'emportera, au motif qu'elles sont trois contre deux, et ce quelle que soit leur représentativité réelle parmi les salariés (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Si nous étions élus ainsi, chers collègues, vous ne manqueriez pas de dénoncer des élections à la mode soviétique ou à la mode Poutine ! Et vous auriez raison... Nous, communistes, nous battons depuis 1982 pour l'accord majoritaire... M. le Ministre - Pas très efficacement. M. Maxime Gremetz - ..., sans lequel il n'y a pas de démocratie sociale. Vous acceptez le principe de l'accord majoritaire dans les entreprises, mais, jugeant sans doute cela trop risqué, vous le rattrapez au niveau de la branche où seront décidés, par les organisations syndicales majoritaires en nombre mais non en voix, non seulement le mode de conclusion des accords d'entreprise mais aussi dans quels domaines peuvent être conclus des accords dérogatoires aux conventions collectives, aux accords de branche et même à la loi. M. Jean-Claude Lefort - C'est du bonneteau. M. Maxime Gremetz - Tout à fait. Mais nous ne sommes pas sots, nous avons compris la man_uvre ! Si ce n'est pas remettre en question le principe de faveur, qu'est-ce que c'est ? Les conséquences seront, hélas, dramatiques pour les salariés. Tout l'esprit de la « position commune » transparaît bien derrière ce minuscule pas fait en direction d'une légitimité accrue des acteurs sociaux et de la validation majoritaire des accords. Preuve en est que les « interlocuteurs sociaux » ont pris la peine de préciser « qu'en l'absence d'accord de branche, les accords d'entreprise devraient, pour entrer en vigueur, être conclus dans les conditions définies au point B ». Et on nous parle de démocratie sociale alors qu'on limite le pouvoir des organisations syndicales à faire jouer leur droit d'opposition ! Monsieur le ministre, si votre objectif, sans doute louable, est de respecter cette « position commune », cela ne dispensait pas l'Etat d'étudier les conséquences du relevé de décisions. Avec cette conception du dialogue social et ce mode de validation des accords, nous allons tout droit au blocage ! Votre texte ne touche en rien à la représentativité, à laquelle rien n'a été changé depuis 1966. Il faudrait pourtant des élections de représentativité dans chaque branche. Comment prétendre faire progresser le dialogue social en écartant des organisations comme la FSU, l'UNSA ou SUD... ? Je ne suis pas pour un monopole de la CGT, ni de quelque organisation que ce soit, mais bien pour le pluralisme syndical. Ensuite, votre texte répond à l'exigence du Medef qui était de remettre en question le principe de faveur, parti pourtant condamné par toutes les organisations syndicales. Si celles-ci ne sont pas d'accord sur tout, par exemple sur le principe de l'accord majoritaire auquel ne sont favorables que la CGT et la CFDT, toutes s'accordent à reconnaître que votre texte n'est pas bon, ne transpose pas la « position commune » et remet en question sans en avoir l'air le principe de faveur en permettant la multiplication d'accords dérogatoires. C'est la plus grave des réformes entreprises par ce gouvernement, plus grave encore que celle des retraites ou de la sécurité sociale, car tout le droit du travail risque de s'en trouver remis en question. Avec ce texte, se prépare un recul social sans précédent. Le ministre nous répond que demeure le code du travail, mais n'a-t-on pas récemment chargé un certain M. de Virville de le « dépoussiérer » ? Bref, « le Medef en rêvait, le Gouvernement l'a fait » : ce n'est pas moi qui le dis, ni la CGT, mais FO elle-même. J'ai en mains les déclarations de tous les syndicats (M. Gremetz brandit un document). Voulez-vous connaître la position de la CGT ? Un député UMP - Non ! M. Maxime Gremetz - Voilà bien votre conception de la démocratie sociale ! Vous vous moquez de la position de la CGT. M. le Président - Personne n'a dit cela. M. Maxime Gremetz - Dans le supplément économie du Figaro de ce matin, Bernard Thibaut relève que l'accord majoritaire tel que proposé est « une perspective virtuelle ». « Une majorité de syndicats, ajoute t-il, ce n'est pas la même chose que des syndicats représentant une majorité de salariés ». Bref, « le dialogue social, dit-il, restera artificiel ». Sur la remise en question de la hiérarchie des accords, il observe que les syndicats ont été consultés sur un projet qui n'est pas celui qu'a examiné le Conseil des ministres : entre temps, le Medef a obtenu de Matignon la remise en question de la hiérarchie des normes. On va vers un maquis juridique inextricable, alors qu'une mission est chargée par le Gouvernement de « simplifier » le droit du travail. Il ajoute encore que ce gouvernement qui affiche sa volonté de dialogue met en fait les syndicats devant le fait accompli et se fait le porte-parole du Medef. Dans ces conditions, conclut Bernard Thibaut, la contestation ne peut que s'amplifier. Il y a des mois que nous travaillons avec les organisations syndicales sur le renouvellement du dialogue social. Celui-ci passera par la représentativité, l'autonomie des niveaux de négociation avec le principe d'un accord majoritaire - c'est-à-dire signé par les syndicats représentant une majorité de salariés aux élections - et le respect de la hiérarchie des normes. Certes, vous parlez de tout cela. Mais pour dire quoi, au fond ? Sur la représentativité, vous ne prévoyez rien. Or, il n'y aura pas de négociation collective vivante sans des acteurs légitimes. Nous le constatons comme vous, le dialogue social s'essouffle ; en un demi-siècle, les syndicats se sont affaiblis et le taux de syndicalisation est désormais proche de 5 %. En 1988 déjà, Pierre Rosanvallon notait que cette faiblesse endémique et les équivoques engendrées par le pluralisme brouillaient les critères de la représentativité. En 1998, le débat fut relancé par la signature d'un accord le 28 juillet, dans la métallurgie, par FO, la CGC et la CFTC tandis que la CGT et la CFDT majoritaires chez les salariés s'y opposaient. C'est alors que ces syndicats se sont penchés sur le problème de la représentativité, d'autant que le Gouvernement se voulait neutre et voyait là une question interne au mouvement syndical. Aujourd'hui, nous proposons une fois de plus, comme nous le faisons depuis 1982, de lier actualisation de la représentativité et introduction de l'accord majoritaire - en voix chez les salariés. Ceux-ci seraient ainsi incités à choisir leurs représentants et les patrons - chez lesquels également une organisation se présente comme seule représentative - ne seraient plus sûrs de trouver à tout coup des signataires. C'est aussi ce que souhaitent la CGT et la CFDT. Pour actualiser la représentativité, nous proposons donc de regrouper les élections de délégués du personnel et des comités d'entreprise le même jour dans chaque branche. Nous voulons également qu'on organise des élections professionnelles y compris dans les entreprises de moins de dix salariés, car actuellement, en raison des seuils pratiqués, la majorité des salariés n'ont pas de représentants. Et que représente vraiment un salarié mandaté ? Aujourd'hui, seules les cinq confédérations peuvent se présenter aux élections de façon automatique. Pour les autres syndicats, c'est le juge qui tranche de leur légitimité, devenant ainsi l'arbitre du dialogue social. Il faut ouvrir les élections à tous les syndicats légalement constitués, dans un scrutin à un seul tour. Les syndicats exclus actuellement du bénéfice de la présomption de représentativité, comme SUD, la FSU, l'UNSA sont de fervents partisans de la révision des règles. Nous avons donc déposé un amendement proposant que les élections se tiennent le même jour dans chaque branche. Sans représentativité assurée par le vote, le principe majoritaire serait en effet faussé. Sur l'accord majoritaire et le principe de faveur, le Gouvernement a présenté la position commune des syndicats de juillet 2001 comme « la base de son projet ». Il n'en est rien. Avec ce projet, le principe majoritaire sera facilement escamoté et la dérogation sera généralisée. La position commune prévoyait deux possibilités pour l'entrée en vigueur d'accord d'entreprise en l'absence d'accord de branche : ou une ou plusieurs organisations ayant obtenu au moins 50 % des voix signaient l'accord ; ou l'on se contentait de l'absence d'opposition de ces mêmes organisations. A suivre il suffira qu'un accord d'entreprise soit signé par un syndicat minoritaire et que les autres s'abstiennent de prendre position, pour que l'opposition du syndicat majoritaire soit vouée à l'échec. Ainsi, à supposer que les résultats des élections au comité d'entreprise soient identiques aux moyennes constatée aux dernières élections, on voit bien que la seule opposition des deux premiers syndicats, CFDT et CGT, sera insuffisante pour faire échec à un accord signé par les trois autres. Le Gouvernement ne peut justifier cet écart par rapport à la « position commune » par le fait qu'il a introduit dans la loi, pour les accords de branche, la possibilité de subordonner leur validité à leur signature par des organisations syndicales majoritaires en nombre. En effet, à défaut d'un accord de branche sera appliquée la règle selon laquelle l'accord est valable si une majorité d'organisations syndicales ne s'y oppose pas. C'est d'une simplicité biblique ! M. le Président - Veuillez conclure ! M. Maxime Gremetz - Votre dispositif revient à encourager ceux qui ne signent jamais et récoltent quand même le fruit des accords. Au vrai, l'accord majoritaire, pour être valide, n'a pas besoin d'être signé par des syndicats ayant la majorité des voix aux élections professionnelles. En fait, au niveau interprofessionnel, un accord pourra être minoritaire si une majorité de syndicats ne s'y oppose pas, cette majorité étant mesurée non pas en voix, mais en nombre d'organisations. Curieuse conception de la démocratie. Vous persistez ainsi dans le travers déjà dénoncé : la minorité pourra continuer de faire la règle. Sans doute une branche sera-t-elle libre d'organiser, pour légitimer ses accords, une élection de représentativité. Elle pourra aussi permettre à ses entreprises de fonder leurs accords sur l'approbation de syndicats majoritaires aux élections professionnelles. Mais cette ouverture risque de n'être que virtuelle puisqu'elle est conditionnée par l'acceptation d'une majorité de syndicats de la branche en nombre. C'est l'une de nos grandes critiques. Votre réforme pose également le principe de l'accord dérogatoire généralisé, qui est à la fois simple et vicieux. Si l'accord ne peut pas comporter des clauses défavorables aux salariés, par rapport à l'accord de niveau supérieur, dans les domaines du salaire minimum, des classifications et de la protection complémentaire, dans tous les autres domaines des clauses défavorables seront possibles, par exemple, des indemnités de licenciement moins élevées que dans l'accord de branche. Enfin, ce n'est que si l'accord de branche écarte expressément la possibilité de clauses dérogatoires que les accords d'un niveau inférieur ne pourront déroger dans un sens défavorable au salarié. M. le Président - Concluez, je vous prie ! M. Maxime Gremetz - En clair, si les syndicats veulent que les clauses de l'accord de branche s'imposent à tous les employeurs, il leur faudra « lâcher » des concessions, par exemple la réduction du montant des indemnités de licenciement. Ce qui est aujourd'hui l'attribut essentiel de la norme, c'est-à-dire son caractère impératif, se marchandera demain. La « marchandisation », par un nouveau bond en avant, vient donc se loger dans le c_ur même du droit du travail. Je vais terminer avec ce qu'a dit le président Seillière : « Il faut détricoter les 35 heures par touches successives. Il est inutile désormais, grâce aux accords dérogatoires, de les abroger. » Pour ceux qui douteraient encore, voici un avis impartial : « Le projet présente un diagnostic pertinent, mais démontre un réel état d'impréparation. Le ministre n'attache pas assez d'importance aux effets que les changements de règles peuvent entraîner. La position commune des partenaires sociaux, de juillet 2001, représentait un équilibre entre les organisations syndicales, hormis la CGT et le Medef. » M. le Président - Concluez ! M. Maxime Gremetz - Je vais au bout de la citation : « Si on donne une telle responsabilité aux branches, il faut au moins un accord majoritaire à ce niveau et pas seulement un droit d'opposition. » M. le Président - Cela suffit ! M. Maxime Gremetz - « Il est extrêmement regrettable de ne pas rechercher un profond consensus sur les règles de la négociation collective. Il faut donner confiance aux protagonistes. Fixer de nouvelles règles du jeu exige que les joueurs les comprennent et les acceptent ». Voilà ce qu'a déclaré un éminent juriste, le professeur Antoine Lyon-Caen. Ce propos est très clair. Monsieur le Président, j'ai respecté mon temps de parole à la minute près. M. le Président - Pas du tout ! La démocratie passe par le respect du Règlement qui s'impose à tous ! M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - S'agissant du vote par division, si M. Gremetz entend mettre en cause l'unité du projet, le Gouvernement ne le suivra pas. Si en revanche il entend signifier son souhait de voter positivement sur une partie du texte, je m'en félicite. Il marquerait ainsi son accord avec la volonté unanime des partenaires sociaux, et rendrait justice au travail du Gouvernement, qui a consisté à transposer fidèlement l'accord signé en septembre. Si tel est le cas, je vous invite, Monsieur Gremetz, à voter les articles du titre premier, ce qui revient à voter par division. Pour le reste, nous avons de vraies divergences. Vous n'acceptez pas la logique de l'accord tendant à créer un mécanisme de coresponsabilité dans la mise en _uvre d'actions de formation. Je le regrette, car il s'agit d'un choix des partenaires sociaux, qui donnera une réelle impulsion à la formation professionnelle. Sur le dialogue social, vous désirez réviser les règles de représentativité et passer à l'accord majoritaire sur la base de la seule majorité d'adhésion. Vous sous-estimez ainsi la nécessité d'une étape. Toutes les concertations auxquelles j'ai procédé me conduisent à la prudence. Le texte pose le principe d'une élection de représentativité, sans y obliger. Il laisse le choix entre la majorité d'adhésion et l'absence d'opposition majoritaire. C'est que le Gouvernement veut que la réforme réussisse réellement, et contribue à un vrai développement du dialogue social. Ecarter a priori le mécanisme du droit d'opposition manifeste une ignorance de la réalité des relations sociales dans nombre d'entreprises. Je ne prendrai pas dans la loi le risque de bloquer les processus de négociation collective. Vous avez dit que ce projet était plus grave que la réforme des retraites. Il n'est pas plus grave, mais il est plus important. Vous pouvez toujours instruire le procès de notre démarche. Mais rien ne réduira la portée d'une idée simple : c'est nous, et pas la gauche, qui nous apprêtons à rénover les conditions d'un syndicalisme aujourd'hui essoufflé ; c'est nous, et pas la gauche, qui faisons entrer le principe majoritaire et celui d'une représentativité élargie dans le champ social ; c'est nous, et pas la gauche, qui insistons sur la nécessité d'un meilleur partage entre la démocratie politique et la démocratie sociale. Les critiques du groupe communiste sont certes intéressantes, mais que pèsent-elles au regard du mouvement que nous essayons de lancer après des années de statu quo ? Vous êtes comme nous à la recherche d'une société plus participative, Monsieur Gremetz : n'ayez pas peur du mouvement ! Il sera toujours plus utile au syndicalisme que le statu quo (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). M. Claude Gaillard - J'ai écouté attentivement M. Gremetz - pendant un peu plus d'une heure et demie ! - car j'étais curieux de voir comment il justifierait cette question préalable, c'est-à-dire comment il prouverait qu'il n'y a pas lieu de délibérer. Suivre le fil de la démonstration n'était pas simple, d'autant que l'orateur a plusieurs fois emprunté des chemins de traverse, mais j'ai noté qu'il regrettait que le syndicalisme n'ait pas plus de poids dans notre pays et j'ai compati lorsqu'il a expliqué que, depuis 1982, il souhaitait une évolution. En effet, sur ces vingt-deux années, la gauche a été au pouvoir pendant quinze ans et rien ne s'est passé ! J'interprète donc le propos comme un réquisitoire des plus sévères contre les gouvernements qu'il a soutenus. Aujourd'hui, j'admettrais qu'il soutienne que nous n'allons pas assez loin, mais ne pourrait-il considérer comme un premier pas un projet qui réhabilite le syndicalisme et fait revivre la démocratie sociale, plutôt que de lui opposer une question préalable ? Par cohérence, une partie de son groupe devrait bien voter contre cette motion, comme le fera le groupe UMP qui voit dans le projet une avancée considérable et qui n'a trouvé dans le discours de M. Gremetz qu'une nouvelle démonstration du bien-fondé de ce texte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Jean-Claude Lefort - Le groupe communiste et républicain tout entier votera cette motion, Monsieur Gaillard ! Comme M. Gremetz, il considère en effet qu'il n'y a pas lieu de débattre de ce projet. L'orateur a proposé de scinder celui-ci, dans la mesure où une partie semble jouir de la faveur unanime alors que l'autre suscite des réactions beaucoup plus contrastées. M. le ministre a rétorqué que nous avions tout loisir d'approuver les articles relatifs à la formation professionnelle, mais cela ne règle en rien la question du vote sur l'ensemble du texte, auquel il faudra bien venir. Je ne comprends pas que le Gouvernement ne saisisse pas la perche que nous lui tendons et manque l'occasion d'un vote unanime, sous réserve de l'adoption de certains amendements. Que l'Assemblée n'applique-t-elle elle-même le principe de faveur ? Autrement dit, que ne refuse-t-elle de débattre d'un texte qui constitue, au jugement de tous les syndicats, un recul en matière sociale ? J'irai même plus loin et j'avancerai un argument auquel vous ne devriez pas être sourd, Monsieur le ministre - un sonotone s'imposerait sinon ! (Sourires) En mai, l'élargissement de l'Union européenne va devenir réalité. Un projet de constitution est actuellement en discussion. En vertu de la logique défendue par M. Gremetz et pour assurer le succès de l'Europe et de l'élargissement, il conviendrait que ce texte aussi pose en principe le refus de toute régression sociale. Si nous voulons promouvoir un modèle social européen, il ne faut pas mettre les gens en concurrence, mais tout faire pour qu'ils travaillent ensemble, et cela implique une harmonisation par le haut. Autrement dit, les directives se doivent s'appliquer que dans la mesure où elles constituent un progrès pour les peuples. Nous contribuerions à une telle évolution si nous commencions à appliquer ici même le principe de faveur ! M. Gremetz a parlé d'une fusée que vous lanceriez vers la planète Medef. Pour ma part, je crains beaucoup qu'à force de tendre vers ce prétendu soleil, vous ne connaissiez le destin d'Icare ! (Sourires) M. Francis Vercamer - M. Gremetz a pour habitude de déroger au principe de faveur et à la hiérarchie des normes qui ont cours dans cette assemblée et il a donc allégrement dépassé son temps de parole (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Ce faisant, il était bien mal placé pour critiquer les dérogations ! Sur le fond, il a bien parlé et il a évoqué nombre de problèmes importants. Ainsi celui de la représentativité syndicale : comment soutenir que des syndicats sont représentatifs lorsque seulement 5 % des salariés du privé sont syndiqués ? Ainsi encore celui du droit social : déroger aux principes de base, est-ce le démanteler ou bien est-ce avancer ? Il est vrai que nous ne voyons pas tous le progrès sous le même jour... Quant au principe majoritaire, l'UDF aussi y est attachée et M. Bayrou l'a défendu lors de la campagne présidentielle, comme il le rappelait tout à l'heure à M. Blondel, à la télévision. Mais les réponses apportées par M. Gremetz à cette question ne sauraient nous satisfaire. Nous en attendons donc d'autres et, dès lors, il ne serait pas logique pour nous d'écourter le débat en votant cette question préalable. M. Alain Vidalies - Non, Monsieur le ministre, vous n'êtes pas le premier à appliquer le principe majoritaire : je vous renvoie aux deux lois sur les 35 heures ! S'agissant d'autre part du respect des accords, je pourrais de même citer la transposition de celui de 1990, visant à limiter les contrats précaires. Votre prétention au monopole n'est donc guère fondée. Nous sommes dans une situation singulière : nous examinons un texte qui, pour partie, vise à réformer les conditions du dialogue social. Or, toutes les organisations syndicales de salariés le condamnent en termes véhéments, comme en témoignent nombre de communiqués de presse. L'UPA même, qui regroupe un million d'artisans, s'inquiète des conséquences qu'aura ce projet. Les experts en droit du travail s'interrogent. Vous-même avez avoué que vous auriez souhaité un texte plus clair, posant pour principe l'application de l'accord majoritaire. Nous venons d'apprendre que M. Bayrou serait sur la même position. Comme le groupe communiste et nous-mêmes défendons l'idée, que continuons-nous à débattre ? Puisque tout le monde veut aller dans le même sens, reconnaissons qu'il n'y a pas lieu à délibérer et votons la question préalable ! La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée. M. le Président - Nous allons entamer la discussion générale. Dans un souci d'équilibre, je vais donner la parole à un représentant de chaque groupe, en demandant à tous de respecter leur temps de parole afin de pouvoir lever la séance à une heure décente. M. Jean-Claude Lefort - Nous sommes saisis d'un projet de loi très important qui introduit deux modifications majeures dans notre législation, et les conditions dans lesquelles nous l'examinons ne sont pas à la hauteur de son enjeu. Nous sommes loin de disposer du temps nécessaire, notre assemblée souffrant d'un engorgement de son ordre du jour, tant nous avons affaire à des gens pressés. La venue précipitée de ce texte a terriblement limité les auditions pour lesquelles nous avons tous été sollicités. Il faut voir là une volonté maligne du Gouvernement. On nous dira que ces deux modifications ont fait l'objet d'une large réflexion par les partenaires sociaux. Mais c'est à nous qu'il appartient de légiférer. Cette consultation a donné lieu à deux accords historiques, mais pour des raisons bien différentes. Le premier d'entre eux, sur le dialogue social, a été discuté le 16 juillet 2001 tandis que le second, sur la formation professionnelle tout au long de la vie, a été signé à l'unanimité, le 20 septembre dernier. Si nous n'appréhendons pas la traduction législative de l'accord sur la formation professionnelle - qu'il est toutefois souhaitable d'améliorer -, nous sommes en revanche inquiets en ce qui concerne le dialogue social. Votre « gaullisme social », Monsieur le ministre, peut sous-tendre des démarches opposées... Le titre premier de votre projet inscrit dans la loi le droit à la formation. Nous apprécions qu'il résulte d'un accord interprofessionnel. La création d'un droit individuel à la formation peut être considérée comme l'amorce de la construction d'un socle de droits transférables et cumulables d'une entreprise à l'autre. Nous faisons confiance aux partenaires sociaux pour que ce droit, la validation des acquis de l'expérience et la professionnalisation entrent en vigueur au mieux des intérêts des salariés. Mais nous espérons pouvoir corriger certaines imperfections de ce projet pour que son texte reste fidèle à la rédaction du compromis réalisé entre les partenaires sociaux. La partie du texte relative à la prétendue « réforme » de la négociation collective constitue à nos yeux une régression. Pour citer Raymond Soubie, « le dialogue social, tout le monde est pour, mais il est plus souvent un alibi ou un slogan qu'une pratique ». M. le Ministre - C'est vrai ! M. Jean-Claude Lefort - Votre texte conforte, hélas, cette appréciation. Pourtant, nous aurions pu nous féliciter qu'un gouvernement se décide enfin à rénover le droit en matière de négociation collective. Or, dans la version actuelle, votre texte risque fort d'être une occasion gâchée. Il offrira une nouvelle occasion au Medef pour dévitaliser le code du travail. Après le démantèlement progressif mais méthodique du processus de réduction du temps de travail, après la suppression des emplois-jeunes, des contrats aidés, des dispositions permettant d'ester contre les licenciements boursiers, ce projet répond une nouvelle fois positivement aux desiderata du patronat. C'est indécent, vis-à-vis du monde du travail, de faire accroire que des intérêts particuliers sont synonymes d'intérêt général et, pis encore, qu'ils puissent le supplanter. Il s'agit là d'une grave entorse au gaullisme social. Pour permettre la transcription législative de ce que vous êtes bien le seul à appeler « la modernisation du dialogue social », vous vous appuyez sur une position des syndicats qui n'est pas unanime. Ce texte comporte un redoutable « contrat », imposé une fois encore par le Medef : en échange d'une avancée - qui n'en est pas véritablement une - vers l'accord majoritaire, s'ouvrent la porte de la dérogation et la perspective de la fin de l'ordre public social. Vous prétendez que ce texte est d'une portée révolutionnaire en posant « le principe majoritaire » tout « en renforçant l'autonomie des niveaux de négociation ». Or, l'autonomie des niveaux de négociation est un leurre. Il est évident que tout accord de banche définira ou encadrera les négociations au niveau des entreprises. Est-ce là ce que vous appelez « autonomie » ? Le principe de l'accord majoritaire que vous prétendez défendre est tout aussi virtuel. La formule que vous proposez sacralise le droit d'opposition. Ainsi les problématiques que nous rencontrons dans les négociations perdureront. Il n'est pas admissible qu'un accord signé par des partenaires sociaux qui sont minoritaires puisse engager toute une profession, voire l'ensemble du monde du travail. Nous défendons une autre conception de la démocratie sociale, reposant sur trois éléments principaux : l'actualisation de la représentativité, le principe de l'accord majoritaire et le respect du principe de faveur. Nous voulons impulser, à tous les niveaux de la négociation collective, une nouvelle dynamique du dialogue social, plus riche car plus démocratique. Nous avons donc déposé une proposition de loi visant à inscrire dans le code du travail le principe de l'accord majoritaire, au sens où un accord est réputé majoritaire quand il est l'expression de la majorité des salariés. Cette condition vaut validation de tout accord. Votre projet, lui, détricote le code du travail. J'en veux pour preuve que, lorsque l'accord de branche ne précise pas les conditions de validation, vous proposez que ce soit le droit d'opposition qui valide tout accord. Singulière conception de la démocratie sociale qui privilégie le principe d'opposition ! Votre texte ne prévoit pas, en effet, de subordonner l'entrée en vigueur des accords interprofessionnels et des accords de branche à la signature des syndicats qui représentent la majorité des salariés. Il prévoit seulement que ces accords n'entreront pas en vigueur lorsque la majorité des organisations s'y opposeront. Il suffira donc que, dans une branche, trois syndicats décident de ne pas faire opposition pour que votre règle dite majoritaire soit satisfaite. Un tel mécanisme ne peut que renforcer le poids d'organisations peu représentatives. Serait-ce une manière de discrimination positive ? (Sourires) Dans ce cas, cette « discrimination positive » made in Fillon ne peut qu'avoir l'agrément du Medef. La conséquence directe de ce mécanisme se devine. Certes, une branche pourra organiser une élection permettant d'apprécier la représentativité des forces syndicales afin de renforcer la légitimité de ces accords. Elle pourra aussi permettre à ses entreprises de fonder la validité de leurs accords sur la signature d'une ou plusieurs organisations syndicales représentant la majorité des salariés exprimée aux dernières élections. Mais cela risque d'être une exception dans la mesure où ces possibilités ne peuvent être ouvertes que par le feu vert d'un accord supérieur, lequel sera adopté sur le mode du droit d'opposition. J'imagine mal des organisations syndicales minoritaires faire en sorte de se donner moins de poids pour influer dans les négociations de rang inférieur en privilégiant l'accord majoritaire au sens où nous l'entendons... Il n'y a donc ni autonomie de négociation, ni principe d'accord majoritaire mais simplement restriction de ces notions majeures. En outre, votre projet donne satisfaction au Medef en ce qui concerne la deuxième partie du contrat, dite de position commune : la généralisation de l'accord dérogatoire. Le code du travail n'est même plus nécessaire. Le contrat a valeur limitée et dérogatoire, c'est la négation des notions d'égalité et d'universalité. Le Medef, par la voix de son président milliardaire, affirmait dans La Croix du 20 novembre dernier : « Le Medef juge qu'un nouvel ordre économique et social doit remplacer le modèle mis en place en 1945 ». Le Medef « juge » donc désormais ? Et « 1945 », cela ne vous rappelle rien, Monsieur le ministre ? Depuis 1945, un principe essentiel s'applique dans le domaine du travail : l'accord collectif ne peut déroger à la loi que s'il est plus favorable qu'elle au salarié. Ce principe de faveur, qui apparaît dans le code du travail, n'a malheureusement pas été repris dans le projet de constitution européenne. Monsieur le ministre, que faites-vous à cet égard ? Ce manque tirera tout le monde vers le bas et nuira à la construction européenne - je ne veux pas croire que ce soit ce que vous souhaitez... Le Conseil d'Etat, dans un avis du 22 mars 1973, a estimé que ce principe faisait partie des principes généraux du droit du travail. Il accorde en effet une double protection aux salariés, et plus particulièrement à ceux des petites entreprises. Il garantit en premier lieu qu'une convention ou un accord collectif, même signé par une seule organisation syndicale représentative minoritaire dans la branche ou l'entreprise, ne portera pas atteinte aux avantages prévus par la loi ou les accords de rang supérieur. Il favorise ensuite la diffusion des acquis obtenus dans une entreprise aux salariés de toute la branche. Dès lors qu'un employeur a consenti un avantage, il a en effet le plus grand intérêt à ce qu'il soit repris par un accord de branche étendu, pour le rendre obligatoire pour tous les autres employeurs de la branche ! M. Maxime Gremetz - Sinon, ce serait de la concurrence déloyale ! M. Jean-Claude Lefort - Le principe de faveur fait donc obstacle au dumping social entre entreprises d'une même branche. Il constitue également un élément essentiel de la viabilité de la négociation de branche : quelle serait en effet la portée d'un accord de branche si les employeurs pouvaient ensuite y déroger par des accords d'entreprise ? Depuis plusieurs années, le Medef fait de ces dérogations un des points forts de sa refondation sociale. J'ai le très réel regret de constater que vous le suivez dans cette voie. M. Seillière le reconnaît avec jubilation, en disant que la refondation sociale se met peu à peu en place et que la réforme du dialogue social va instaurer un profond changement en donnant plus d'autonomie aux entreprises. Il souhaite autant de règles qu'il y a d'entreprises et de situations qu'il y a de salariés. Le Medef, qui décidément vous inspire de façon incroyable, surtout lorsqu'on vous connaît, trouve son compte à cette réforme. Il concède que « si ce n'est pas encore le paradis, ce n'est tout de même pas l'enfer ». Quand M. Seillière estime que ce n'est pas l'enfer, on peut être sûr qu'il est tout près du paradis pour ceux qu'il représente ! (Sourires) Une étape supplémentaire pour la déréglementation est donc engagée. Si le projet de loi met en _uvre, dans sa première partie, un accord historique, son deuxième volet est très préoccupant. La hiérarchie des normes est brutalement remise en cause. La loi n'aura plus à être respectée ! Le principe de l'accord majoritaire est l'arbre qui cache la forêt : l'extension des accords dérogatoires pourra en effet faire voler en éclats les garanties apportées par la loi aux salariés. Le Gouvernement relaie bel et bien la volonté de casser un à un les droits historiques des salariés au lieu de les moderniser et de les renforcer - ce que nous appelons, nous, le progrès. Les députés communistes et républicains s'opposent résolument à cette contre-réforme, qui est condamnée par les organisations syndicales et les plus grands juristes. Une réforme moderne, donnant plus de droits aux salariés et à leurs représentants, reste à réaliser. C'est dans ce sens qu'iront toutes les propositions que nous défendrons au cours du débat. M. Maxime Gremetz - Ce n'est qu'un début ! M. Bernard Depierre - S'il m'était permis de qualifier le Gouvernement, j'utiliserais sans doute le terme d'initiateur, dans toutes les acceptions du terme. En effet, non seulement il ouvre une voie nouvelle dans la pratique politique, en rénovant le dialogue social et en lui redonnant un rôle que le temps semblait avoir usé, mais il initie l'ensemble de la classe politique à cette nouvelle méthode en l'appliquant directement. Selon le dicton : « Il n'y a de pédagogie que d'exemple », l'un des volets du projet met en _uvre la méthode présentée dans l'autre. Enfin, le Gouvernement donne d'autant plus de sens à la rénovation du dialogue social qu'il l'applique à un enjeu ambitieux : la formation professionnelle tout au long de la vie. Ce projet de loi transpose deux accords signés par les partenaires sociaux. Il était risqué, mais courageux, de lier des réformes de cette envergure à de tels accords. Votre témérité, Monsieur le ministre, s'est avérée payante. Le premier volet du texte concerne la modernisation de notre appareil de formation professionnelle. Il n'aurait pas pu voir le jour sans la profonde volonté de changement des partenaires sociaux, qui les a conduits jusqu'à l'accord du 20 septembre. Cet accord, que l'on peut qualifier d'historique tant il tranche sur le paysage syndical habituel, a mis un terme à une négociation entamée il y a trois ans. Sa signature par l'ensemble des partenaires sociaux, y compris la CGT qui n'avait pas signé d'accord interprofessionnel national depuis 1995, constitue une victoire pour le dialogue social, et nous saluons le sens des responsabilités des organisations syndicales. Ce projet de loi est donc exemplaire sur la forme, puisqu'il reprend fidèlement l'accord des partenaires sociaux, mais aussi sur le fond, puisqu'il crée un droit individuel à la formation tout au long de la vie. On ne peut qu'être convaincu de l'impérieuse nécessité de cette réforme. La loi du 16 juillet 1971, modifiée en 1984, prévoit que les entreprises de plus de dix salariés consacrent 1,5 % de leur masse salariale à la formation de leurs employés. Cette obligation a été étendue aux autres entreprises, aux indépendants et aux professions libérales à hauteur de 0,25 % de leur masse salariale. Or, ce système est aujourd'hui contesté. Les 22 milliards dépensés n'ont abouti qu'à des résultats décevants. Tout le monde s'entend pour condamner le manque de lisibilité de ce système, qui déresponsabilise l'ensemble des acteurs - partenaires sociaux, Etat et régions - tant leurs compétences sont enchevêtrées. Par ailleurs, la législation actuelle engendre des inégalités. Les premières sont relatives au niveau d'études : la formation concerne un ouvrier pour quatre cadres, et ce sont souvent ceux qui en ont le plus besoin qui n'en bénéficient pas. Ensuite, la formation est fonction de la taille de l'entreprise : elle concerne environ 15 % des travailleurs des entreprises de moins de six salariés, contre 45 % des salariés des entreprises de plus de 500 personnes. Le récent séminaire national sur la maîtrise de la langue française a relevé que la France comptait plus de deux millions d'illettrés, sans compter les insuffisances linguistiques graves. Cette situation illustre un ensemble de détresses sociales, mais aussi l'absence de formation professionnelle. C'est pourtant celle que nous dispensons aujourd'hui qui prépare l'avenir de notre pays. La formation professionnelle est en effet indispensable pour faire face aux évolutions économiques et démographiques. Du point de vue économique, elle participe à la compétitivité des entreprises, mais peut aussi remédier au fait que les chômeurs ne trouvent pas de travail alors que l'on manque de main-d'_uvre dans l'hôtellerie, la restauration, le BTP ou l'aide à domicile. De surcroît, dans un contexte de mondialisation, et donc de concurrence croissante, la mobilité des salariés et les ruptures professionnelles sont plus fréquentes. La formation est donc un élément essentiel de la reconversion des salariés. D'un point de vue démographique, le vieillissement de la population appelle également un effort important de formation professionnelle. Les départs massifs en retraite des dix prochaines années vont créer un appel d'air sur le marché du travail. Les jeunes sortis du système éducatif ne suffiront pas à répondre aux besoins, et les entreprises devront donc trouver dans leurs rangs le personnel qualifié dont elles ont besoin. Face à cette situation, ce projet de loi cherche à changer la perception de la formation professionnelle. Les entreprises ne doivent plus la considérer comme une obligation légale et une charge, mais comme un investissement dans la qualification des salariés. Les employés ne doivent plus subir leur formation, mais comprendre qu'elle les aidera à se reconvertir. Première innovation du projet de loi : l'instauration pour chaque salarié d'un droit individuel à la formation de vingt heures par an, à l'initiative du salarié, en liaison avec son employeur. Deuxième innovation : le partage du temps de formation entre temps de travail et temps libre. Sur ce point, le projet de loi reprend fidèlement l'accord interprofessionnel qui instaure une coresponsabilité entre le chef d'entreprise et le salarié, celui-ci pouvant se former sur son temps libre et recevoir de son entreprise une allocation de formation en contrepartie. Troisième innovation : la création des contrats de professionnalisation, qui se substitueront aux actuels contrats de formation en alternance. Ils s'adressent aux jeunes de moins de 26 ans sans qualification professionnelle ou qui veulent compléter leur formation initiale, ainsi qu'aux demandeurs d'emploi, auxquels ils permettront d'acquérir un diplôme, un titre ou une qualification. Le temps de formation sera d'au moins 15 % de la durée du contrat, et pourra être porté à 25 %. Beaucoup ont souhaité une période transitoire pour que les contrats de qualification en cours puissent aller à leur terme. Autre disposition importante : la part de la masse salariale consacrée à la formation professionnelle passera de 0,15 % à 0,55 % en deux ans pour les entreprises de moins de dix salariés et de 1,5 % à 1,6 % pour celles de plus de dix salariés. Le Gouvernement s'était engagé à s'appuyer sur les partenaires sociaux. Avec cette réforme de la formation professionnelle, vous tenez cette promesse. Mais, au-delà, vous avez décidé d'inscrire cette consultation des partenaires sociaux dans les pratiques politiques de notre pays. C'est l'objet du deuxième volet de votre texte. Notre démocratie sociale a en effet besoin de nouveaux modes de régulation et de participation. La France se distingue par la faiblesse de son taux de syndicalisation, tombé à 7 % quand il culmine à 80 % au Danemark. Cet essoufflement du dialogue social, autant que la distension des liens sociaux, nourrit les extrémismes et les corporatismes. Alors que l'ensemble des partenaires sociaux, à l'exception de la CGT, avaient signé le 16 juillet 2001 une « position commune sur les voies et moyens de la négociation collective », le précédent gouvernement a préféré ne rien faire - tout comme il a fait fi du dialogue social lors de la mise en _uvre autoritaire des 35 heures. Rompant avec cette logique, ce gouvernement a au contraire placé le dialogue social au c_ur de son action. Ainsi, pour l'assouplissement des 35 heures, la loi a renvoyé à la négociation la fixation du contingent d'heures supplémentaires, le contingent réglementaire n'intervenant plus qu'à titre supplétif. De même, le Gouvernement a renvoyé à la négociation interprofessionnelle les orientations d'une nouvelle réforme de la loi de modernisation sociale. Il est aussi possible que des accords d'entreprise dérogent à certaines des règles applicables en matière de licenciement, à condition d'avoir été signés par des syndicats majoritaires dans l'entreprise. L'objectif de la réforme est double. Tout d'abord, renforcer le rôle des partenaires sociaux en étendant le champ de la négociation collective par rapport à la loi. Ensuite, renforcer la légitimité des accords collectifs, et donc des syndicats chargés de les négocier. Pour ce faire, il est prévu de renvoyer désormais systématiquement à la négociation collective avant toute procédure législative, lorsque les relations sociales sont en jeu. Le texte s'inspire là du droit communautaire, qui fait obligation à la Commission de saisir les partenaires sociaux européens avant de proposer une directive. Le principe majoritaire devient la règle pour les validation des accords, dans les branches comme dans les entreprises. Sans remettre en question le principe de faveur entre les différents niveaux de négociation, ni les prescriptions du code du travail, le texte laisse plus d'autonomie aux accords d'entreprise par rapport aux accords de branche ou interprofessionnels. Les accords, pour gagner en légitimité, seront soumis à la règle majoritaire. Enfin, l'articulation des niveaux de négociation est repensée. Un accord d'entreprise pourra ainsi déroger à un accord de branche. Cet assouplissement est toutefois triplement encadré au niveau de la loi, des branches elles-mêmes, et bien sûr par le vote majoritaire. D'aucuns pourraient vous accuser de permettre aux organisations syndicales électoralement minoritaires de bloquer la négociation en choisissant systématiquement d'exercer leur droit d'opposition plutôt que de rechercher un accord. En ce sens, votre texte ne va pas assez loin, mais il n'est qu'une étape dans le processus de généralisation nécessaire de l'accord majoritaire. Cette étape est nécessaire et prudente, car il n'est pas certain qu'aujourd'hui, toutes les organisations syndicales représentatives pourraient signer des accords majoritaires. Les partenaires sociaux vont devoir s'approprier les responsabilités nouvelles que la loi leur confère. Le Gouvernement a tenu votre engagement ; nous tiendrons le nôtre, notamment en rassurant les professionnels qui peuvent avoir des inquiétudes. Ce texte a le mérite de lancer une réforme, jusque-là toujours différée, et d'encourager les partenaires sociaux à négocier et à trouver des accords. D'ores et déjà, nous vous félicitons, Monsieur le ministre, d'avoir ouvert une voie nouvelle dans la pratique politique française. En bon initiateur, vous laissez d'ailleurs la voie ouverte à des évolutions ultérieures. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) M. Christian Paul - Dans la période que nous traversons, propice à la réduction des droits et à l'affaiblissement des protections sociales, marquée par l'appauvrissement des budgets publics - certains ont même parlé de la « clochardisation » de votre ministère, Monsieur le ministre - et inspirée par le néolibéralisme, le volet formation de ce texte aurait pu apparaître comme une oasis de progrès dans un univers de revanche sociale. L'accord national interprofessionnel du 20 septembre dernier a conclu trois années de négociations souvent difficiles, et je salue le travail de tous ceux qui ont contribué à son élaboration. En couplant l'examen du texte sur la formation à celui, inacceptable, sur la négociation collective, vous avez pris en otage la formation professionnelle. Nous acceptons néanmoins de débattre de celle-ci, comme l'accord nous y invite. Et nous souhaitons que sa dynamique sorte renforcée de nos débats. Pour autant, je vous invite, Monsieur le ministre, à ne pas vous réfugier systématiquement derrière la signature des partenaires sociaux pour obtenir notre adhésion. Il y a en effet, dans ce texte, plusieurs dispositions qui ne respectent pas la lettre de l'accord. M. le Ministre - C'est faux ! M. Christian Paul - Non, en comparant mot à mot le texte de l'accord et le vôtre, d'énormes différences apparaissent. M. le Ministre - Demandez leur avis aux organisations syndicales ! M. Christian Paul - La CFDT nous reproche des « coquineries » introduites sous l'influence du Medef. Concernant la date limite des accords pouvant déroger à la loi, le Medef essaie de jouer la montre et vous avez tenté de lui faire gagner deux ans. M. le Ministre - Pas du tout ! M. Christian Paul - L'accord est plus riche que votre texte. Il inclut par exemple, de même que la lettre paritaire qui l'a suivi, la formation qualifiante différée que l'on ne retrouve pas ici. Votre texte n'a pas recherché une approche globale de la formation, qui aurait eu pour objectifs la sécurité professionnelle et l'éducation permanente. Enfin, l'Etat n'assume plus vraiment ses responsabilités en matière de formation, comme en témoignent les deux derniers budgets de votre ministère, le projet de transférer cette compétence aux régions, ou encore la fin programmée de l'AFPA. Quant aux régions, qui jouent pourtant déjà un rôle essentiel en ce domaine, elles n'ont pas été associées à la préparation de cette loi, hormis d'une table ronde où vous n'avez fait que passer. Pour nous, l'affirmation d'un droit social est indissociable des conditions réelles de son application. Cela vaut particulièrement pour le droit à la formation tout au long de la vie. Où sont l'ambition et la volonté dans votre texte ? Nous revendiquons, nous, un véritable droit d'accès à la formation pour tous les salariés, y compris ceux des trois fonctions publiques, qui ne doivent pas être oubliés. Nous pourrions partager votre diagnostic. Tout d'abord, sur les inégalités d'accès à la formation : les salariés les mieux formés des grandes entreprises sont les principaux bénéficiaires du système actuel. Ensuite, sur l'insécurité professionnelle : les salariés les moins qualifiés sont les plus exposés au chômage. Enfin, sur le déficit de qualifications et de compétences dans de nombreux secteurs professionnels et de nombreuses zones du territoire. Tout cela est connu, et le rapport de Nicole Pery l'a parfaitement mis en évidence. Mais au-delà du constat, partageons-nous les mêmes ambitions ? Evoquant le droit à la formation, l'UMP va jusqu'à parler, comme l'a fait en commission M. Ueberschlag, de « devoir de formation », à l'initiative de l'employeur. Nous pensons, pour notre part, que l'autonomie de chacun est d'autant mieux garantie qu'il existe d'authentiques garanties collectives. Au fond, il existe deux visions de la formation professionnelle. La première lui donne pour objectif de prévenir l'insécurité professionnelle grâce à un coinvestissement de l'entreprise et du salarié. Cette coresponsabilité n'est pas critiquable en soi, mais elle ne suffit pas. Le risque doit également être couvert par des mécanismes de solidarité et des politiques publiques qui engagent le ministère de l'éducation nationale tout autant que celui du travail. Certes, il s'agit d'améliorer le capital de chacun. Mais éducation permanente et formation professionnelle sont aussi des biens publics, et même des éléments d'un nouveau contrat social. Or vous ne créez pas les conditions de la deuxième chance, malgré des années de réflexion à ce sujet. Et la différer, c'est y renoncer pour longtemps, comme on l'a observé en commission. La faute n'en est pas au manque de maturité des partenaires sociaux, mais bien au manque de volonté du Gouvernement. Nous sommes d'accord également sur le choc que représente l'évolution démographique pour notre économie. Mais vous amorcez un désengagement massif de l'Etat alors qu'il aurait dû investir sur une grande échelle pour conforter l'effort des entreprises. Pour apprécier la portée de ce texte, et votre politique, je voudrais engager le débat sous quatre angles. D'abord, le droit individuel à la formation est la principale innovation de l'accord national interprofessionnel, et la loi doit le conforter. Mais pour cela, il faut respecter l'accord - je sais que ce rappel vous déplaît... M. le Ministre - Il ne me déplaît pas, mais ce que vous dites est faux. M. Christian Paul - Nous avons donc déposé plusieurs amendements pour revenir au texte initial. Il faut aussi affirmer les droits des salariés les plus fragiles, à mi-temps ou en CDD, que, du fait de la résistance du Medef, le projet traite à la légère. Par exemple, on ne doit pas « proratiser » le droit à formation - un vilain mot pour une bien vilaine chose. Alors que 20 % des salariés changent d'emploi tous les cinq ans au moins, il faut que ce droit soit transférable. Peut-être des délais sont-ils nécessaires. Mais prenez un engagement d'y parvenir, ou au moins d'organiser un rendez-vous pour évaluation dans deux ans au plus tard. Il importe enfin de rendre ce droit applicable en pratique dans les entreprises et dans les différents territoires, faute de quoi, ce sera une occasion manquée. J'insiste pour éviter deux types d'inégalités. La première est territoriale. Or aucun pilotage local n'est prévu. Les branches jouent un rôle majeur dans votre projet, qui en devient centralisateur, alors que les syndicats sont peu organisés au niveau régional et que les conseils régionaux eux-mêmes n'ont pas tous une stratégie. M. Jean-Paul Anciaux, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Ce n'est pas le cas en Bourgogne ! M. Christian Paul - C'est justement à la Bourgogne que je pensais. Il faut aussi éviter l'inégalité entre les salariés selon la taille de leur entreprise. En second lieu, le nouveau contrat de professionnalisation élimine le contrat de qualification. Certes, celui-ci avait pu devenir ici ou là un substitut de la formation initiale, et il est défendu par des organismes qui craignent de ne pas avoir le temps de s'adapter au changement. Mais il ne faudrait pas remplacer cet outil utile par un autre moins efficace pour les jeunes sans qualification, qui ont un réel besoin de l'insertion professionnelle par l'alternance. Surtout, ne laissons pas à l'écart les demandeurs d'emploi qui ont besoin de reconversion. En troisième lieu, sur le droit à la deuxième chance, ce texte marque un renoncement majeur. Vous parlez bien de contribution de l'Etat, mais sans fixer de contenu, d'objectif, de financement, alors que l'accord contient des propositions, et que les partenaires sociaux vous ont invité à aller plus loin. Ce faisant, vous ne relevez pas l'un des principaux défis de notre temps. Pourtant nous devons offrir une seconde chance à ceux qui quittent le système scolaire, en adaptant l'effort collectif au niveau qu'ils ont atteint. L'Etat devrait leur donner un « droit de tirage » inversement proportionnel à leur niveau de formation initiale. Il nous faut de même aider les salariés ou les chômeurs qui veulent accéder à un nouveau métier. Les socialistes ont fait des propositions précises sur ce point. Elles exigent, il est vrai, une mobilisation considérable. Mais c'est ainsi que nous pourrions vraiment parler de « formation tout au long de la vie ». Par nos amendements, nous vous offrirons l'occasion de vous rattraper. Je reviens enfin sur le rôle des politiques publiques ; malgré vos déclarations, rien dans les maigres budgets de la formation ne prouve que l'Etat la considère, ainsi qu'il le devrait, comme une obligation nationale. Nous avons des inquiétudes - en Bourgogne autant qu'ailleurs - sur deux points en particulier. Il s'agit d'abord des transferts financiers aux régions - dans le cadre de la décentralisation - et de l'absence de vraie politique régionale. Il s'agit ensuite du sort de l'AFPA. Cet organisme remplit une mission essentielle grâce à la qualité de ses équipes et de ses programmes. Allez-vous enfin lui donner des garanties claires ? Quel sera le contenu des conventions avec l'Etat et les régions ? Comment l'AFPA pourra-t-elle assurer sa mission de service public face à la concurrence ? Son action s'inscrira-t-elle dans le cadre d'une convention durable ou d'appels d'offres successifs ? Faute de réponse à ces questions, votre texte pourrait rejoindre le long cortège des lois sans avenir. Nous disons oui à la mise en _uvre de l'accord national interprofessionnel, mais non au désengagement de l'Etat. Les syndicats ne pouvaient obtenir plus, ni accepter moins que ce que contient l'accord. C'était à vous d'aller plus loin. Mais à partir d'un accord-plancher, vous faites une loi en sous-sol ! Aussi le groupe socialiste veillera-t-il à inscrire l'accord national dans la loi, mais dénoncera l'absence d'une politique à laquelle le Gouvernement a étrangement renoncé (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). M. Francis Vercamer - Quels liens unissent, se demandent certains, la formation professionnelle tout au long de la vie et la relance du dialogue social, d'autre part ? M. Jean-Claude Lefort - Vous avez trouvé ? M. Francis Vercamer - C'est qu'il s'agit, dans les deux cas, de répondre aux profondes transformations que connaît le monde du travail ; nombreux emplois non pourvus, nouvelles technologies de l'information et de la communication ont entraîné de substantiels bouleversements. Comment, dans ces conditions, assurer au salarié le développement continu de ses compétences pour améliorer son employabilité ? Le droit doit-il évoluer par la loi, ou par la négociation, c'est-à-dire le contrat ? La réforme négociée de la formation professionnelle, puis du dialogue social, tend à répondre à ce que certains ont appelé « la révolution des activités humaines ». Y parviendra-t-elle ? Il sera nécessaire, sur certains points, de nous en convaincre. L'Union européenne, dont l'UDF défend les idéaux, accorde une grande importance à la négociation et au dialogue social. C'est pourquoi je me réjouis de l'adéquation de votre projet avec nos engagements européens. M. Jean-Claude Lefort - Ah ! M. Francis Vercamer - Dans l'exposé des motifs, vous prenez « l'engagement solennel de renvoyer à la négociation nationale interprofessionnelle toute réforme de nature législative relative au droit du travail ». Je vous épargnerai les commentaires ironiques émis sur cette affirmation, eu égard aux consultations pratiquées à propos de la question du jour férié. On ne peut également que sourire, lorsque l'on entend certaines remarques acerbes sur un gouvernement qui parlerait plus du dialogue social qu'il ne le pratiquerait. Elles émanent précisément de ceux dont les pratiques de 1997 à 2002 n'ont guère brillé par leur exemplarité. Reste que de cet engagement, dans le corps du texte, ne se trouve aucune trace. Cette prééminence que vous reconnaissez aux partenaires sociaux reste donc dépendante de la bonne volonté du ministre, dont nous ne doutons pas en ce qui vous concerne... La position commune du 16 juillet 2001 incitait à créer une dynamique de complémentarité entre le rôle de la loi et celui de la négociation collective, ce qui appelle une clarification, faute de laquelle la négociation collective risquerait de demeurer subordonnée à la validation législative. Lors de la campagne présidentielle, François Bayrou et l'UDF ont proposé d'inscrire le droit à la négociation dans la Constitution, afin de préciser le rôle de l'Etat et d'asseoir la sphère d'autonomie des partenaires sociaux. La négociation collective serait ainsi devenue une échelle normative à part entière, comme le souhaitaient les partenaires sociaux. L'UDF est particulièrement attachée à la formation professionnelle, moyen, pour chacun, de développer son employabilité. En reconnaissant un véritable droit individuel à la formation, le projet marque une étape considérable, tout à fait dans l'esprit du compte épargne temps formation proposé par Hervé Morin et l'UDF voilà deux ans. Nous accueillons donc avec satisfaction ce nouveau dispositif. S'agit-il pourtant bien du « droit à la deuxième chance » évoqué par le candidat Jacques Chirac ? En effet, le DIF est ouvert à ceux qui travaillent en entreprise. Qu'en est-il du droit à la formation pour ceux qui ont perdu leur emploi ? Le chantier, sur ce point, reste ouvert. La formation professionnelle continue renvoie à la capacité d'apprendre à apprendre, à l'importance de l'esprit d'initiative, qui comptent autant que la quantité des savoirs. Plus que jamais elle doit servir à relancer l'ascenseur social, actuellement en panne. Or la formation professionnelle continue demeure profondément inégalitaire. Il est plus facile d'accéder à la formation lorsqu'on est salarié de la fonction publique ou d'une grande entreprise et qu'on est diplômé de l'enseignement supérieur. Les représentants des organisations professionnelles jugent que votre texte est assez fidèle à l'accord de septembre, à quelques nuances près. Ainsi, sur la mise en _uvre du droit individuel à la formation, sur les modalités de conclusion de l'accord entre le salarié et l'employeur, le texte n'est pas assez précis. Il ne détaille pas davantage la façon de calculer l'acquisition des droits lorsqu'un salarié dépend de plusieurs employeurs, ni les modalités de prise en charge financière des frais de formation du salarié. Un salarié qui bénéficie d'une formation, continue-t-il à acquérir, le temps de celle-ci, des droits à formation ? Une inquiétude a pu poindre chez les professionnels de la formation continue, concernant l'articulation entre la fin des contrats de qualification et l'entrée en vigueur des contrats de professionnalisation. Mes collègues Gilles Artigues, Yvan Lachaud et Rudy Salles ont déjà eu l'occasion d'attirer votre attention sur ces questions, qui ont fait l'objet d'amendements, rejetés par la commission. Nous vous les soumettrons, à nouveau, en séance. Enfin, nous aurions aimé trouver des dispositions volontaristes touchant à la transparence du financement de la formation professionnelle, devenue extrêmement complexe, voire opaque. Moins consensuelle est la partie de votre texte relative à la réforme du dialogue social, qui fait du principe majoritaire la règle de l'adoption des accords collectifs. Voilà une innovation majeure dans notre système de négociation collective, tant le principe majoritaire était éloigné de la conception française traditionnelle du syndicat, qui a vocation à représenter la classe ouvrière dans sa globalité. Or, représenter une majorité, c'est admettre qu'on ne représente pas l'ensemble. Reste que l'idée majoritaire avait commencé de faire son chemin, d'abord avec les accords d'entreprise, ensuite avec les lois Aubry sur le temps de travail. Nous sommes globalement favorables au principe majoritaire, en ce qui oblige les partenaires sociaux à privilégier la responsabilité, mais à condition qu'il ne porte pas atteinte au pluralisme syndical. Nous pensons qu'il se traduira davantage par la pratique du droit d'opposition majoritaire, que par l'application du principe majoritaire proprement dit. Nous regrettons le silence du texte sur les conditions d'amélioration de la représentativité des syndicats, alors que le taux de syndicalisation est très faible dans notre pays. Pourquoi ne pas organiser à brève échéance des élections de représentativité, et engager une réflexion sur la révision de la liste des organisations syndicales représentatives fixée en 1966 ? En effet, la représentativité de droit ne pousse pas les organisations syndicales à séduire les électeurs. Manquent également des mesures incitatives pour amener les salariés à se déplacer pour les scrutins professionnels ou de représentativité. Au-delà du seul nombre d'adhérents, la représentativité syndicale se mesure, en effet, également à la participation des salariés aux élections. Sur ce sujet, nous formulerons également plusieurs propositions. Enfin, la question de la représentativité et de la légitimité des acteurs se pose d'autant plus lorsque ceux-ci peuvent déroger à une règle supérieure plus favorable, alors que le principe de faveur est l'un des piliers de l'ordre public social. La possibilité de déroger dans un sens moins favorable à un accord de branche, par un accord d'entreprise et d'établissement, suscite donc de nettes réserves. Certes, vous ne faites que confirmer une tendance apparue depuis 1982 notamment, à la faveur des lois Auroux qui favorisaient les négociations au sein de l'entreprise sur l'organisation du temps de travail. On voit bien aussi ce qui vous incite à étendre la faculté de dérogation : le souci de plus de souplesse, afin d'adapter les règles aux réalités des entreprises. Depuis plus de trente ans d'ailleurs, le législateur a bien perçu la nécessité d'aider les entreprises à affronter les changements économiques et sociaux : il a multiplié les primes et incitations, baissé les charges sociales, etc. Cependant, à force d'incitations et de dérogations, il a rendu le droit social complexe au point qu'il devient difficilement compréhensible pour ceux qu'il est censé protéger ! Il est urgent de simplifier et la réforme du dialogue social aurait gagné à s'inscrire dans un texte d'ensemble, visant à moderniser réellement notre législation sociale. Cette modernisation ne doit toutefois pas se faire au détriment des salariés. Or le principe de dérogation pourrait précisément complexifier la situation de ceux-ci sans l'améliorer. Il risque en effet de précipiter la parcellisation des situations de travail et un émiettement du droit. Il peut aussi, inversement, stimuler une ardeur excessive chez le législateur, qui s'épuisera à inscrire les accords dans la loi afin d'éviter les dérogations. Par ailleurs, vous donnez le sentiment d'instituer la dérogation en principe d'organisation du dialogue social. Le seul moyen d'empêcher la prolifération d'accords d'entreprise dérogatoires sera de mentionner le caractère impératif des dispositions dans l'accord de branche. Nous craignons en outre que, tentés de s'en remettre aux accords d'entreprise, les acteurs de la branche ne se trouvent déresponsabilisés. C'est pourquoi nous restons attachés à la primauté de l'accord de branche sur l'accord d'entreprise : celui-ci ne doit pouvoir déroger à celui-là qu'à la condition d'y être expressément autorisé par la branche. Ces dérogations doivent également être justifiées par les conditions économiques : une dégradation sérieuse de l'état du marché, par exemple. De la même manière, dans des secteurs comme le textile où la concurrence est particulièrement exacerbée, un accord de branche pourrait venir déroger, temporairement et sous certaines conditions, à l'accord interprofessionnel. En tout état de cause, l'accord dérogatoire doit redevenir l'exception. Il fera l'objet d'une nouvelle négociation, au sein de l'entreprise ou de la filière, afin de vérifier le maintien ou non des conditions économiques qui l'avaient justifié. A défaut, l'accord de branche sera remis en vigueur. Si donc nous approuvons, sous réserve de quelques améliorations, la partie du projet consacrée à la formation professionnelle, nous sommes plus réservés sur les modalités de relance du dialogue social. A défaut de pouvoir nous prononcer par des votes distincts sur ces deux parties, c'est bien l'importance que nous accordons à la formation professionnelle tout au long de la vie qui nous amènera à approuver le projet. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu ce matin, vendredi 12 décembre, à 9 heures 30. La séance est levée à 1 heure 20.
ORDRE DU JOUR
DU VENDREDI 12 DÉCEMBRE 2003 A NEUF HEURES TRENTE : 1ère SÉANCE PUBLIQUE Suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi (n° 1233) relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. M. Jean-Paul ANCIAUX, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. (Rapport n° 1273.) A QUINZE HEURES : 2ème SÉANCE PUBLIQUE
Suite de l'ordre du jour de la première séance. A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 3ème SÉANCE PUBLIQUE
Suite de l'ordre du jour de la première séance. |