Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus analytiques (session ordinaire 2003-2004) |
Assemblée nationale
COMPTE
RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL
Session ordinaire de 2003-2004 - 44ème jour de séance, 112ème séance 2ème SÉANCE DU MARDI 6 JANVIER 2004 PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ Sommaire HOMMAGE AUX VICTIMES DE LA CATASTROPHE DE CHARM EL-CHEIKH 2 QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2 CATASTROPHE DE CHARM EL-CHEIKH 2 ÉPIDÉMIE DE LÉGIONELLOSE CATASTROPHE AÉRIENNE DE CHARM EL-CHEIKH 4 CATASTROPHE AÉRIENNE DE CHARM EL-CHEIKH 5 INDEMNISATION DES CHÔMEURS 6 SÉCURITÉ DES LIAISONS AÉRIENNES 7 ÉPIDÉMIE DE LÉGIONELLOSE 7 ACCUEIL DU JEUNE ENFANT 8 PROJET DE CONSTITUTION EUROPÉENNE 9 EMPLOI 10 RETRAITES 11 AUTOROUTES DE LA MER 11 FORMATION PROFESSIONNELLE EXPLICATIONS DE VOTE 12 NOMINATION D'UN DÉPUTÉ FIN DE MISSIONS TEMPORAIRES 17 APPROBATIONS DE CINQ CONVENTIONS OU ACCORDS INTERNATIONAUX 17 DIVERSITÉ LINGUISTIQUE ARTICLE UNIQUE 32 PROFESSIONS JUDICIAIRES La séance est ouverte à quinze heures. HOMMAGE AUX VICTIMES DE LA CATASTROPHE DE CHARM EL-CHEIKH M. le Président - 133 de nos compatriotes ont perdu la vie dans la catastrophe de Charm el-Cheikh. Ce drame, qui frappe des familles entières, nous a tous bouleversés. Nous partageons l'émotion et la peine des proches des victimes. En votre nom à tous, je veux saluer la mémoire de ces victimes et avoir une pensée émue pour ces familles meurtries et décimées. La France participe à ce deuil auquel je voulais associer l'ensemble des députés. Avant de vous inviter à vous recueillir un instant, je passe la parole à M. le Premier ministre. M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - J'associe l'ensemble du Gouvernement au recueillement de la représentation nationale. Je confirme aux familles des victimes la mobilisation totale de mon gouvernement pour donner suite à toutes les conséquences de cette tragédie particulièrement cruelle. Nous exprimons tous ensemble la peine de la nation (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et observent une minute de silence). L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement. CATASTROPHE DE CHARM EL-CHEIKH M. Hervé Morin - La France est triste. 148 personnes, dont 133 de nos compatriotes, ont péri dans un tragique accident d'avion, au retour de leurs vacances, samedi dernier au large de Charm el-Cheikh. Depuis, les interrogations se mêlent à la douleur, en particulier sur la fiabilité de la compagnie égyptienne Flash Airlines et sur l'état de l'appareil. De nombreux témoignages font d'ailleurs état du délabrement des appareils de cette compagnie. A la suite de contrôles inopinés opérés fin 2002, les autorités suisses avaient interdit l'atterrissage des deux Boeings de Flash Airlines sur leur territoire. Les autorités égyptiennes avaient alors ordonné la révision des appareils. Combien de contrôles ont-ils été effectués sur l'appareil qui s'est écrasé, en France et en Europe, depuis sa révision ? Quelles ont été leurs conclusions ? Pourquoi la Suisse n'a-t-elle pas levé son interdiction d'atterrissage alors que les avions de Flash Airlines continuaient à se poser sur le territoire des autres pays européens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - La France a mobilisé sur place des moyens maritimes et sous-marins civils et militaires ainsi que des équipes spécialisées dans les enquêtes sur les accidents aériens. Il s'agit en priorité de retrouver les victimes et les boîtes noires de l'appareil. Toute la transparence doit être faite et les autorités égyptiennes partagent cette volonté. Les contrôles les plus lourds relevant du pays d'immatriculation, les avions de Flash Airlines faisaient l'objet de contrôles approfondis des autorités égyptiennes. Dans le cadre de la procédure dite SAFA, les appareils font en outre l'objet de contrôles aléatoires dans les pays tiers. C'est ainsi que la Suisse a relevé en octobre 2002 plusieurs problèmes dont certains, précise le rapport des autorités helvétiques, ont été traités sur place. Les appareils ont ensuite fait l'objet d'importantes révisions en décembre 2002 et janvier 2003. Celles-ci ont été opérées en Norvège, par une entreprise de réputation internationale, et au Maroc - pour la motorisation - par la SNECMA. Le contrôle opéré en avril par la Pologne dans le cadre de la procédure SAFA s'est révélé satisfaisant. La France a contrôlé l'appareil à Toulouse le 22 octobre 2003 sans détecter d'anomalie. Nous avons appris ce matin que l'Allemagne avait effectué une évaluation globale satisfaisante de la sécurité fin septembre et début octobre 2003. Il semble que Flash Airlines n'ait pas fait de nouvelle demande pour desservir la Suisse, ce qui expliquerait que l'avis des autorités helvétiques n'ait pas été révisé. Aux proches des victimes, auxquels nous pensons particulièrement aujourd'hui, nous nous devons de faire toute la lumière sur les circonstances de l'accident (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur de nombreux bancs du groupe du groupe UMP ; murmures sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). ÉPIDÉMIE DE LÉGIONELLOSE DANS LE PAS-DE-CALAIS M. Alain Bocquet - Au nom des députés communistes et républicains, je m'incline devant les victimes de la terrible catastrophe aérienne qui vient d'endeuiller des familles françaises. Toute la lumière doit être faite sur ce drame dont il importe de tirer les conséquences. Un autre drame, Monsieur le Premier ministre, frappe le bassin minier de la région Nord-Pas-de-Calais : voilà plus d'un mois que l'épidémie de légionellose la plus importante jamais connue en France angoisse la population. 59 cas et 7 décès ont été recensés à ce jour. Ce drame suscite l'anxiété, la colère, et appelle des solutions à la hauteur d'une nouvelle catastrophe sanitaire. Or c'est loin d'être le cas : le sentiment d'abandon, qui est aussi lié aux conséquences de l'épidémie sur l'emploi et l'économie locale, domine (« Démagogue ! » sur les bancs du groupe UMP). Les maires concernés se sont légitimement portés partie civile : l'Etat ne fait pas son devoir (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Il voit petit : ce n'est pas une visite ministérielle le Jour de l'An et quelques experts qui viendront à bout de ce fléau (Mêmes mouvements). L'Institut de veille sanitaire avait déjà appelé l'attention du Gouvernement il y a quinze mois sur la nécessité de mieux contrôler les tours aéroréfrigérantes qui sont à l'origine de ces épidémies : la réglementation existe, mais pour la faire appliquer les inspecteurs font cruellement défaut. La population laborieuse du Nord-Pas-de-Calais (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP) mérite un tout autre respect. Il est de votre responsabilité de mobiliser toutes les équipes pluridisciplinaires - françaises ou européennes - compétentes en matière de santé et d'environnement. M. le Président - Posez votre question. M. Alain Bocquet - Les moyens doivent être accrus. C'est un véritable plan d'urgence qu'il faut pour garantir la santé de notre population et la rassurer. Nous réclamons une commission d'enquête ! (M. Gremetz applaudit) Quelles mesures prendrez-vous pour changer de braquet dans cette douloureuse affaire et répondre enfin à l'enjeu ? Nous attendons des actes forts et des moyens efficaces ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste) M. le Président - La parole est à Mme la ministre de l'environnement (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable - Je regrette le ton inutilement polémique que vous avez choisi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) pour évoquer cette épidémie de légionellose, la plus grave que notre pays ait jamais connue. Nous avons été avisés de l'épidémie le 28 novembre par les services déconcentrés de la santé. Nous en avons immédiatement identifié la probable origine : la tour aéroréfrigérante de l'entreprise Noroxo du groupe Exxon Mobil. Nous avons ordonné la fermeture du site dès le 29 novembre, pour décontaminer la tour. Nous avons également procédé à l'analyse des souches bactériennes de quatorze malades contaminés : elles venaient toutes de l'entreprise Noroxo. Nous n'avons pas pour autant stoppé nos investigations. Début décembre, nous avons inspecté sur dix-huit communes, puis quatre autres, 350 sites industriels. Je salue la mobilisation des services de l'Etat, qui nous a permis d'éliminer - à ce stade - l'hypothèse d'une deuxième source de contamination (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Nous avons donc autorisé Noroxo à rouvrir. Malheureusement, nous avons dû constater que la contamination se poursuivait alors même que la période d'incubation aurait dû être terminée. Nous avons donc nommé une mission d'experts et j'ai décidé le 1er janvier de fermer à nouveau l'entreprise Noroxo. J'ai étendu le périmètre d'investigation à vingt-deux communes supplémentaires. Parallèlement, j'ai renforcé les effectifs de l'inspection de dix agents supplémentaires et fermé toutes les stations de lavage d'automobiles pouvant être incriminées. L'implication de l'Etat a donc été totale et je ne puis vous laisser dire le contraire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Nous sommes confrontés à une forme de contamination extrêmement complexe mais nous ne faiblirons pas à chaque fois qu'il s'agira de la sécurité et de la santé de nos concitoyens (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). CATASTROPHE AÉRIENNE DE CHARM EL-CHEIKH M. Yves Nicolin - Samedi dernier, 133 de nos compatriotes ont tragiquement disparu au-dessus de la mer Rouge. A Roanne, nous avons perdu cinq membres d'une même famille, hôteliers très appréciés dans notre région. Une autre Roannaise a perdu sept de ses parents proches. Au-delà, c'est toute la France que cette multiplication de drames familiaux au lendemain des fêtes de Noël bouleverse. Bien des questions surgissent. Pourquoi le pilote n'a-t-il pas envoyé le moindre signal alors qu'il amorçait un demi-tour ? Quel événement peut entraîner la chute d'un aéronef - de 1 700 mètres en dix-sept secondes ? Si le contrôle de la DGAC du 8 novembre dernier était satisfaisant - ainsi que ceux effectués en 2002 par la Pologne et l'Allemagne - pourquoi n'a-t-on pu éviter une telle tragédie ? Les familles et les proches des victimes, plongés dans l'horreur de leur deuil à accomplir, exigent que les enquêtes en cours soient menées en toute transparence. Si des responsabilités doivent émerger, elles devront être connues de la représentation nationale et de l'ensemble des Français. Nous voulons tous comprendre ce qui s'est passé. Avec le développement du trafic aérien mondial et la multiplication des compagnies, notre exigence de sécurité doit s'accroître. Le même niveau de vigilance doit partout prévaloir. Pourquoi, au moment de la réservation, ne pas informer le passager de l'identité de la compagnie sur laquelle il voyagera ? Les familles de victimes, auxquelles nous redisons notre sympathie, et tous nos concitoyens demandent au Gouvernement qu'il les assure, comme il le fait depuis samedi, de la plus complète transparence sur l'enquête en cours (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - Vous avez raison, nous devons toute la lumière sur cet accident et agir en toute transparence. Depuis samedi, nous communiquons d'ailleurs toutes les informations crédibles dès qu'elles nous parviennent. Le Gouvernement tient aussi à ce qu'on examine les moyens d'améliorer encore les procédures de contrôle des appareils et d'information des passagers. Avec Dominique Bussereau, nous avons demandé à nos services d'étudier les conditions dans lesquelles les tour-opérateurs français pourraient mieux s'assurer du niveau de sécurité des compagnies auxquelles ils recourent. Cela me paraît particulièrement souhaitable en cas d'affrètement de compagnies non européennes, et, à cet égard, je considère qu'il faut envisager de dépasser les contrôles aléatoires SAFA que j'ai décrit tout à l'heure. D'autre part, la loi du 13 juillet 1992 est un peu vague. Il faut la compléter en vue d'imposer la connaissance précise par l'usager du transporteur aérien qui l'acheminera à destination. Tout Français s'adressant à un tour-opérateur doit savoir, au moment de l'achat du billet, avec quelle compagnie il va voyager. Je m'engage, avec MM. Léon Bertrand et Dominique Bussereau, à conduire avec vous ces deux réformes (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP) CATASTROPHE AÉRIENNE DE CHARM EL-CHEIKH M. Paul Quilès - Le drame de Charm el-Cheik a endeuillé nombre de communes et nous nous associons bien évidemment aux messages de sympathie qui ont été transmis aux familles. Il s'agit d'un événement grave, car il concerne la sécurité du transport aérien. Il est indispensable que les règles de sécurité soient strictement respectées, y compris par les compagnies à bas coût. Il est trop tôt pour connaître l'origine du drame, qu'il ne faut peut-être pas assimiler hâtivement, comme cela a été fait, à un « accident classique de décollage ». Il peut y avoir trois causes à ce drame : une cause criminelle - qu'il ne faut pas encore éliminer -, la défaillance du matériel - par suite d'un défaut de maintenance ou, pourquoi pas, d'un sabotage -, le facteur humain - et l'on peut s'interroger à cet égard sur la fiabilité des équipages, surtout si l'on songe au suicide du pilote du Boeing d'Egypt Air en octobre 1999. Dans l'attente des résultats de l'enquête, je vous pose, Monsieur le ministre des transports, quatre questions : les autorités égyptiennes ont-elles bien procédé à toutes les vérifications ? La compagnie Flash Airlines a-t-elle vraiment bonne réputation ? Nombre de témoignages accablants semblent prouver le contraire. Les critiques de l'office fédéral de l'aviation helvétique avaient justifié une interdiction de survol de la Suisse par les appareils de cette compagnie : les déficiences constatées ont-elles disparu ? La France en a-t-elle eu connaissance ? Comment se fait-il que la publication de la directive européenne relative aux avions dangereux, en attente depuis des années, ait été annoncée hier comme imminente ? La transparence, qui n'est malheureusement pas toujours la règle dans le maquis du monde des voyagistes, s'impose absolument. Le groupe socialiste vous demande, Monsieur le Président, qu'une mission d'information spéciale de notre assemblée étudie la question de l'amélioration de la sécurité aérienne et de l'information du public. L'enquête qui débute devra établir toutes les responsabilités. C'est à ce prix que des millions de passagers des compagnies pourront accorder leur confiance au transport aérien (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer - Monsieur Quilès, le ministre des transports que vous avez été a posé quatre très bonnes questions. La première concerne les autorités égyptiennes et je puis vous assurer que dans le cadre des audits régulièrement réalisés par l'organisation mondiale de l'aviation civile, celles-ci sont considérées comme particulièrement sérieuses, aussi bien pour le contrôle de leurs compagnies que de leurs aéroports. Au reste, dans l'enquête qui s'engage, les autorités égyptiennes apportent un concours particulièrement précieux au BEA. S'agissant de Flash Airlines, le contrôle des autorités helvétiques, polonaises, allemandes et françaises s'est exercé dans des conditions désormais connues de tous et satisfaisantes. Nous n'avions aucune raison de prendre une autre position que celle que nous avons arrêtée. Mme de Palacio s'est exprimée hier au sujet de la directive européenne. Le blocage formel était lié au vieux conflit qui oppose l'Espagne au Royaume-Uni au sujet de Gibraltar. Mais la directive, en réalité, est déjà appliquée et la France l'a toujours soutenue. Les organismes européens en charge de l'aviation civile échangent en permanence leurs informations : c'est parce que les Suisses nous avaient alertés que nous avons procédé à de nouveaux contrôles, comme l'ont fait les Polonais et les Allemands. Certes, l'adoption de la directive sera bienvenue car nous disposerons alors d'un cadre juridique s'imposant à tous et susceptible de changer l'habitude de travailler en commun en loi incontournable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). M. Jean-Paul Anciaux - Monsieur le ministre des affaires sociales, l'indemnisation du chômage connaît en ce début d'année des modifications sensibles, voulues et décidées par l'UNEDIC... (Rires sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Le Gouvernement a de son côté entrepris de réformer l'ASS qui couvre les personnes sortant de l'assurance chômage. Nos concitoyens sont légitimement attachés au maintien d'une couverture sociale de qualité pour les demandeurs d'emploi mais ils observent que chez tous nos partenaires européens, des réformes sont en cours pour favoriser le retour à l'emploi. Loin d'être parfait, le plan d'aide au retour à l'emploi permettait à tous ceux qui y adhéraient de percevoir l'allocation d'aide au retour à l'emploi, et de s'engager dans un projet d'accompagnement personnalisé. Alors que l'activité redémarre et que 300 000 offres d'emploi restent non satisfaites dans tous les secteurs, pouvez-vous nous préciser quelles nouvelles mesures pourraient être prises par le Gouvernement pour faciliter le retour à l'emploi d'un grand nombre de nos concitoyens ? Quelles mesures spécifiques entend-il prendre au sujet de l'indemnisation des chômeurs ? Dans quelle perspective s'inscrit le projet de loi de mobilisation pour l'emploi annoncé par le Président de la République ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Le système français d'indemnisation du chômage est aujourd'hui le plus généreux d'Europe... M. Maxime Gremetz - Ce n'est pas vrai ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Or, ce dispositif est menacé par les 4 milliards d'euros de déficit de l'UNEDIC enregistrés en 2003. Avec beaucoup de courage, les partenaires sociaux en charge de l'UNEDIC ont décidé d'une réforme du système, en vue de le pérenniser. La réforme est équilibrée : un tiers est financé par l'augmentation des cotisations des entreprises, un autre tiers par la diminution de la durée de l'indemnisation et le restant par voie d'emprunt, les partenaires sociaux misant sur la reprise économique et sur la baisse du chômage - dont d'ailleurs quelques premiers signes commencent à se manifester... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) La réforme s'inscrit en outre dans la logique de celle du PARE, soutenue par la précédente majorité,... M. Jean Le Garrec - Ce n'est pas la même chose ! M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - ...laquelle prévoyait une réduction de la durée d'indemnisation. M. Alain Néri - Quel culot ! M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - . C'est dans le même esprit que le Gouvernement a choisi de réformer l'ASS. En réalité, l'allongement de la durée d'indemnisation n'est pas la réponse au problème de l'emploi que nous connaissons aujourd'hui. Nous avons besoin, pour ceux de nos concitoyens qui sont assez proches de l'emploi, d'une durée d'indemnisation satisfaisante. Elle est aujourd'hui de deux ans, plus deux ans d'ASS soit quatre ans, alors qu'elle est de six mois au Royaume-Uni et d'un an en Allemagne (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Mais, pour les plus éloignés de l'emploi, nous avons surtout besoin d'une vraie politique d'insertion, laquelle n'a pas été conduite par le passé ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP). C'est pourquoi nous avons décidé de relancer le CIE et de créer le RMA. Ce que nous voulons en 2004, c'est qu'une solution personnalisée puisse être proposée à chaque demandeur d'emploi : un emploi pour ceux qui sont en mesure de l'assurer, un contrat d'insertion ou une formation pour les autres. C'est pourquoi le Gouvernement a décidé un accroissement important des moyens consacrés aux SIFE, les stages d'insertion et de formation à l'emploi, pour offrir des formations qualifiantes, avec une indemnisation, aux chômeurs en situation difficile. Le Président de la République a d'autre part annoncé qu'une loi de mobilisation serait présentée au printemps. Ses principaux axes seront l'engagement d'une réforme de la taxe professionnelle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF), la création d'un dispositif de la deuxième chance pour les jeunes qui sortent du système scolaire sans qualification, la modernisation du service public de l'emploi et des mesures destinées à fluidifier le marché de l'emploi. Comme l'a dit ce matin le Président de la République en présentant ses v_ux aux forces vives, l'assistance ne doit pas être une impasse, mais une aide pour se reconstruire et pour repartir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). SÉCURITÉ DES LIAISONS AÉRIENNES M. Jean-Pierre Door - Peu avant les fêtes, Monsieur le ministre de l'intérieur, les Etats-Unis ont élevé leur niveau d'alerte antiterroriste à l'orange, ce qui signifie un risque très élevé. De nombreux pays ont pris des dispositions de sécurité particulières pour prévenir tout attentat ; la France a élevé le niveau du plan Vigipirate. Dans ce cadre, la compagnie Air France a dû, ces deux dernières semaines, annuler plusieurs vols vers les Etats-Unis, sur la base de renseignements des services secrets américains faisant état de risques d'attentats sur leur territoire. Toute menace doit être prise au sérieux, le principe de précaution s'impose. Nul voyageur ne saurait s'en offusquer, car il vaut mieux douter que pleurer. Comment la France comprend-elle la position des Etats-Unis ? Comment compte-t-elle sécuriser les liaisons aériennes sensibles ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP) M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - La démocratie américaine est un grand pays ami. Ses services secrets font la même analyse que ceux de toutes les démocraties européennes : c'est que le monde est dans une situation de tension, qui exige la vigilance. Quand un pays ami nous demande, sur la base de renseignements qui sont les siens et qu'il nous communique, de prendre garde à la sécurité d'un vol et de contrôler certains voyageurs, imaginez que nous ne l'ayons pas fait et qu'une catastrophe se soit produite : quelle serait aujourd'hui l'ambiance à l'Assemblée nationale et que pourrait répondre le Gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Le Premier ministre et le Président de la République ont donné des consignes strictes : la sécurité doit être la priorité, pour les passagers et les équipages. Mieux vaut six contrôles de trop que six contrôles manqués ! Ce qui compte, c'est qu'à l'arrivée les voyageurs soient sains et saufs. Les querelles d'ego entre nations n'ont pas de sens face à cet enjeu. Le monde connaît assez de catastrophes pour que la France se doive de donner l'exemple d'une sécurité aussi parfaite que possible. Si certains veulent assumer une autre politique, les Français jugeront ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste) M. Albert Facon - Je ferai remarquer à M. le ministre de l'intérieur que la précédente question venait du groupe UMP... La mienne s'adresse à M. le ministre de la santé, qui n'est pas là : je la poserai donc à M. le Premier ministre. L'ancien bassin minier du Nord-Pas-de-Calais subit depuis le 9 novembre une très grave épidémie de légionellose. Le périmètre frappé regroupe quatre cent mille habitants, dont beaucoup ont une santé fragilisée par la silicose. Des dizaines de personnes ont été hospitalisées en novembre, et plusieurs sont décédées. L'entreprise Noroxo, identifiée comme foyer de contagion, a été fermée du 3 au 20 décembre. Le directeur général de l'Institut de veille sanitaire, M. Gilles Brücker, se demande si l'usine a été correctement décontaminée, et ajoute que la lutte contre la légionellose exigera de nouveaux contrôles des tours aéroréfrigérantes. Une deuxième vague d'épidémie s'est déclenchée en décembre. Le bilan est lourd : cinquante-neuf cas avérés, sept décès. J'ai demandé des renforts au ministre de la santé : il a dépêché cinq experts le 31 décembre, sept semaines après le début de l'épidémie. Pouvez-vous, Monsieur le Premier ministre, faire le point de la situation, car notre population est angoissée ? Pensez-vous que les directions de l'industrie, de la recherche et de l'environnement ont des moyens suffisants pour contrôler les installations ? Comptez-vous demander à M. Delevoye, ministre de la fonction publique, d'arrêter les suppressions de postes, notamment dans le domaine de la prévention, dans celui de la santé, et dans les DRIRE ? (Murmures sur les bancs du groupe UMP) Mieux vaut prévenir que guérir ! Faute de moyens suffisants, j'ai peur que d'autres épidémies n'aient lieu, et que M. Mattei doive à nouveau se rendre dans les hôpitaux pour visiter les malades... Notre groupe demande la constitution d'une commission d'enquête (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe des députés communistes et républicain ; exclamations sur les bancs du groupe UMP). Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable - Votre question me permet de compléter ma réponse au président Bocquet. Le Gouvernement a décidé de mettre la sécurité industrielle et environnementale au c_ur de son action. C'est pourquoi, contrairement à ce que vous affirmez, les effectifs des installations classées pour l'environnement n'ont cessé de croître, et cela encore dans la loi de finances pour 2004, avec l'embauche de cent inspecteurs supplémentaires dans les DRIRE. Nous avons d'autre part promulgué le 30 juillet la loi sur la sécurité industrielle, dont un article, et non des moindres, porte sur les sols pollués. A quoi s'ajoute une action réglementaire forte, notamment sur les incinérations à dioxique. Nous allons évidemment, tout en gérant la grave crise actuelle, poursuivre contre la légionellose une action continue, dans le cadre du plan santé-environnement que nous mettons en place avec M. Mattei et M. Fillon. Il comprendra notamment un recensement plus complet des tours aéroréfrigérantes : seules celles qui sont soumises à autorisation ou à déclaration sont aujourd'hui recensées. Le plan comportera aussi une sensibilisation des exploitants, une aggravation des sanctions, et la promotion des technologies alternatives, ainsi qu'une révision de la nomenclature, et sans doute un décret spécifique sur la légionellose. Comme l'a dit ce matin le Président de la République, la lutte pour l'emploi ne saurait s'exonérer du respect de l'environnement : c'est cela, le développement durable. Enfin, si le Parlement décide de constituer une commission d'enquête, je m'exprimerai volontiers devant elle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Mme Françoise de Panafieu - Ma question s'adresse à M. le ministre de la famille. L'arrivée d'un enfant est d'abord une joie. C'est aussi un coût ; c'est un choix de vie, et d'éducation. Et, pour trop de femmes qui travaillent, c'est le casse-tête du mode de garde... Ces familles n'ont pas bénéficié des fruits de la croissance internationale du temps du gouvernement socialiste (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Plus que jamais, elles ont besoin de soutien et d'accompagnement. Vous l'avez bien compris, Monsieur le ministre, puisque vous avez consacré la dernière conférence de la famille, le 29 avril, à l'accueil du jeune enfant et aux modes de garde. A cette occasion, le Premier ministre a annoncé de nombreuses mesures pour les familles, avec un engagement financier important de l'Etat. Ces mesures si attendues entrent aujourd'hui en vigueur, notamment la nouvelle prestation d'accueil de jeune enfant, la PAJE. Pouvez-nous nous préciser ce qui va vraiment changer pour les familles françaises ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille - Le Président de la République a pris l'engagement de revaloriser la politique familiale. Cet engagement trouve sa traduction dans les mesures annoncées le 29 avril par le Premier ministre, et entrées en vigueur le 1er janvier. Elles reposent sur un principe : celui d'une revalorisation pour toutes les familles. Toutes seront gagnantes par rapport au dispositif précédent. La première direction est un renforcement du pouvoir d'achat des familles. Les différentes prestations d'accueil du jeune enfant sont globalement revalorisées de 15 %. Dans certains cas, la revalorisation peut atteindre 180 € par mois pendant trois ans ! D'autre part, les prestations sont simplifiées : les six prestations existantes sont remplacées par la seule PAJE, et un dispositif très simple de « chéquier PAJE » se substituera à des formalités parfois longues et complexes, ramenant à un mois au plus le délai de remboursement. La troisième orientation, c'est plus de temps consacré à l'enfant : le congé parental sera possible dès le premier enfant. Enfin, c'est plus d'offre de garde avec vingt mille nouvelles places en crèche, et, dans quelques mois, la modification du statut des assistantes maternelles (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). PROJET DE CONSTITUTION EUROPÉENNE M. Axel Poniatowski - Bonne année, Monsieur le Président ! Madame la ministre déléguée, le dernier sommet européen n'est pas parvenu à s'accorder pour approuver la future constitution européenne. Ce n'est ni bien ni mal : simplement la décision n'était pas encore mûre. Le Président de la République et le Gouvernement, avec sagesse, n'ont pas souhaité conclure un accord à n'importe quel prix. Pour autant, poursuivre la construction européenne est essentiel, car l'Europe nous a donné la paix depuis soixante ans, après soixante années de guerres dévastatrices. L'Europe contribue aussi à améliorer notre qualité de vie depuis quarante ans. S'agissant des points de blocage actuels, il pourrait être avantageux d'augmenter le nombre de commissaires, la France conservant les deux qu'elle possède actuellement. Se pose aussi la question de l'Europe à plusieurs vitesses, en particulier en matière de défense et de diplomatie. Il y a pour l'Europe, autour d'un noyau France-Allemagne-Grande-Bretagne retrouvé, un espace à occuper. Que compte faire le Gouvernement dans ce sens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes - Notre ambition pour l'Europe est à la mesure du grand projet actuellement en discussion. La Commission étant à nos yeux un rouage essentiel pour défendre l'intérêt général européen, nous sommes plutôt partisans d'un effectif resserré afin de renforcer la cohésion dans le processus de décision. La diplomatie et la défense constituent les deux domaines dans lesquels des progrès substantiels ont été réalisés en 2003, avec la création de l'Agence européenne de l'armement et celle de la cellule de planification pour les capacités civiles et militaires. Mais nous ne voulons pas d'Europe à deux vitesses. C'est l'Europe unie à vingt-cinq qui doit être l'interlocuteur de nos partenaires internationaux, en particulier les Etats-Unis, Monsieur le président du groupe d'amitié France-Etats-Unis, dans le cadre d'une relation transatlantique que le Conseil européen a qualifiée d'irremplaçable. Nous souhaitons tirer parti de toutes les opportunités pour jouer un rôle d'entraînement, comme cela s'est produit avec l'Iran. La France continuera à _uvrer pour que l'Europe sorte renforcée de la phase actuelle et remplisse toutes ses responsabilités dans le monde (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont - Bonne nouvelle, Monsieur le Premier ministre, pour la nouvelle année : 2004 sera, selon le Président de la République, l'année d'une grande loi de mobilisation pour l'emploi. Lors de la présentation des v_ux, le Président a surtout tenu à offrir à la majorité son thème de campagne pour les élections de mars prochain (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Si le chômage est bien la première préoccupation des Français, ce n'est pas au travers de ce genre d'annonce caricaturale qu'une solution verra le jour (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Un vrai plan, des mesures concrètes, voilà ce qu'attendent nos concitoyens. N'y a-t-il pas comme une indécence dans la proposition du Président de la République (Interruptions sur les bancs du groupe UMP), alors que votre gouvernement vient d'amputer de façon drastique les aides destinées aux chômeurs ? (Approbations sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UMP) Ainsi, au 1er janvier, l'indemnisation chômage a été supprimée à 180 000 demandeurs d'emploi ; ils seront 600 000 d'ici 2006 à subir la même mesure. De plus, poursuivant votre politique de régression sociale, vous réduisez l'ASS, dont le versement sera limité à deux ans. Enfin, la transformation du RMI en RMA met gravement en cause le droit au travail, sans parler du transfert hâtif de cette compétence aux conseils généraux, dès ce 1er janvier. A l'évidence, la première préoccupation du Gouvernement, comme viennent de le confirmer les propos de M. Fillon, n'est pas la situation des demandeurs d'emploi, mais, par cette saignée sociale sans précédent (Interruptions sur les bancs du groupe UMP), de faire artificiellement baisser les chiffres du chômage. Nous vous avons interpellé ici, en vain, sur ces questions. Que répondez-vous aux demandeurs d'emploi que vous avez placés en situation de non-droit ? Quelle est la réalité de l'engagement du Président de la République et du Gouvernement en faveur de l'emploi ? Nos concitoyens ne peuvent que redouter le pire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - L'indécence consiste à prôner le statu quo ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) La gauche ne sert pas la cause de la justice sociale en défendant l'idée que l'assistance doit être continue et sans condition (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Les Français comprennent très bien que solidarité ne peut pas être synonyme de laisser-aller et d'impuissance sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste). La gauche ne sert pas non plus le paritarisme en remettant en cause les décisions des partenaires sociaux quand ils prennent leurs responsabilités, comme c'est le cas, dans la gestion de l'UNEDIC. Que propose le parti socialiste pour faire face au déficit de l'UNEDIC ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Enfin, la gauche oublie qu'en agréant le PARE, elle avait accepté l'idée de placer le parcours du chômeur dans un cadre plus personnalisé et plus exigeant. Oui, comme tous les autres Etats européens, nous avons décidé de dynamiser la chaîne de solidarité. La réforme de l'indemnisation du chômage, celle du RMI, s'inscrivent dans une même logique, celle de la solidarité active (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Notre objectif est d'aider chacun, par des solutions personnalisées, à retrouver le chemin de l'emploi. En ce début d'année, j'ai pris la résolution de ne plus jamais élever le ton face aux cris de l'opposition : en vociférant comme vous le faites, vous êtes touchants ! Vous défendez des solutions qu'aucun parti de gauche en Europe ne défend plus, et qui sont justement à l'origine de votre défaite électorale ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Mme Claude Greff - Le vieillissement de la population et l'absence de décisions du précédent gouvernement menaçaient l'avenir de l'ensemble des retraites. C'est pour sauvegarder notre système de retraite que le Gouvernement a décidé d'engager une nécessaire réforme, pour que la France dispose d'un système juste, efficace, et durablement financé. Le Parlement a adopté cette réforme le 24 juillet dernier, elle comporte deux mesures particulièrement attendues : le départ anticipé à la retraite pour les personnes ayant commencé à travailler très jeunes, le rachat des années d'études pour le calcul des pensions. Les décrets d'application de ces deux dispositions ont-ils été publiés ? Quel en est le contenu ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Publier avant le 1er janvier tous les décrets d'application était un défi que le Gouvernement et les partenaires sociaux ont relevé. La loi a été promulguée le 22 août, le décret sur les longues carrières a été publié le 31 octobre, et, sur ce sujet, les partenaires sociaux qui gèrent les régimes complémentaires se sont mis d'accord le 13 novembre : cet accord est pour nous le plus beau des décrets d'application. Grâce à cette réforme 500 000 personnes pourront partir en retraite anticipée avant 2008. Dès maintenant 70 000 demandes ont été adressées aux caisses et la moitié a reçu l'attestation permettant de partir. Voilà un progrès social considérable. Le décret relatif au rachat des années d'études vient d'être publié. M. Maxime Gremetz - C'est pour les riches ! M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Il est parfaitement conforme aux décisions prises par le Parlement. Ces rachats doivent être neutres pour les régimes de retraite, car sinon cela signifierait que ce sont ceux qui n'ont pas fait d'études qui paieraient pour ceux qui en ont fait ! Les versements, échelonnés, seront déductibles du revenu imposable. Restent quelques décrets à publier, suivant la même méthode : concertation et détermination (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Jean-Yves Besselat - Le Premier ministre, le 18 décembre, a réuni un CIAT consacré aux grandes orientations de votre politique des transports. Parmi la cinquantaine de grands projets retenus, figurent les autoroutes de la mer, innovation très importante, tendant à réduire la circulation des camions sur les grands axes terrestres. Quels sont les avantages offerts par ces autoroutes ouvertes en Méditerranée, dans l'Atlantique et bientôt, j'espère sur la Manche ? Quand et comment seront-elles créées ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer - De très nombreux camions remontent de l'Espagne et du Portugal vers le Nord de l'Europe, et le trafic n'est pas moindre entre la péninsule ibérique et l'Italie, tout cela en traversant notre territoire. L'idée est de placer ces camions, et surtout les plus gros, sur des bateaux, avec au moins trois départs quotidiens dans chaque sens, soit au total 150 000 camions chaque année qui ne circuleront plus sur nos routes. Voilà bien du développement durable ! Ces autoroutes de la mer seront de véritables infrastructures, reconnues comme telles par l'Europe. Cette opération sera lancée dès l'an prochain. En février, un comité interministériel de la mer arrêtera les modalités techniques de lancement. L'Etat et les collectivités locales joindront leurs efforts, et nous travaillons déjà avec les armateurs et les affréteurs (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 20, sous la présidence de M. Salles. PRÉSIDENCE de M. Rudy SALLES vice-président L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social. M. Alain Bocquet - Ce projet masque une nouvelle étape dans la course effrénée de la majorité UMP-UDF pour exécuter la refondation sociale prônée par le Medef. L'année 2004 voit ainsi, à l'évidence, la poursuite du travail de sape des acquis sociaux et de la législation du travail que ce gouvernement, en mission, a entrepris depuis dix-huit mois. Après le démantèlement méthodique du processus de réduction du temps de travail - qui trouve d'ailleurs dans ce texte son coup de grâce -, après la suppression des emplois-jeunes, des contrats aidés, des articles de la loi de modernisation sociale votée à l'initiative des députés communistes et républicains sous la précédente législature et permettant de lutter contre les licenciements boursiers, vous répondez une nouvelle fois aux injonctions du patronat. C'est par cette même politique que vous entendez supprimer un jour férié et créer un contrat de projet ouvrant la porte à « l'intermittence dans l'emploi », sans oublier la remise en cause imminente du droit de grève. Votre projet associe délibérément deux réformes, afin de profiter de l'une pour faire passer l'autre. Si nous sommes d'accord pour qu'on inscrive le droit à la formation professionnelle dans le code du travail, dans le prolongement de l'accord signé à l'unanimité par les partenaires sociaux, le 20 septembre dernier, bien des questions importantes demeurent en suspens. Pour nous, le droit à la formation ne peut être effectif que s'il s'exerce pendant le temps de travail, avec une rémunération décente et avec la garantie d'une véritable qualification, choisie en toute liberté. Le second volet, consacré au dialogue social, représente une régression considérable du droit du travail. En premier lieu, vous instituez un faux-semblant d'accord majoritaire comme règle de la négociation. Comme le note fort justement le secrétaire général de la CGT, Bernard Thibault, « une majorité de syndicats, ce n'est pas la même chose que des syndicats représentant une majorité de salariés ». Ce que vous nous proposez aboutira à mettre un bâillon à l'expression majoritaire des salariés. Le patronat, qui s'en félicite, ne manquera pas d'exploiter cette disposition à son avantage. Il n'est pas admissible qu'un accord signé par des partenaires sociaux minoritaires puissent engager toute une profession, voire l'ensemble du monde du travail, ni que les majorités représentatives puissent être bafouées sous couvert d'un droit d'opposition devenu le mode d'arbitrage du droit du travail. Votre texte généralise ensuite l'accord dérogatoire au point que le baron Seillière peut déclarer qu'il est désormais inutile de détricoter les 35 heures par touches successives, puisque on pourra les abroger avec des accords dérogatoires. Le Premier ministre a, d'ailleurs, tenu des propos identiques. A l'heure de la récession économique, d'un chômage massif, notamment des jeunes, qui a augmenté de 8 % en 2003, de l'extension de la précarité, des délocalisations d'entreprises et de la désindustrialisation, vous prenez de front le monde du travail. Depuis 1945, un principe essentiel s'appliquait dans le monde du travail : l'accord collectif ne pouvait déroger à la loi que s'il était plus favorable au salarié. Ce principe de faveur apportait une double protection aux salariés, en particulier à ceux des petites entreprises : préserver, à leur bénéfice, les avantages prévus par la loi ou par les accords interprofessionnels ou de branche ; pouvoir étendre à tous les salariés d'une branche, un acquis obtenu dans une entreprise. Vous mettez en pièce ces dispositions qui sont gages de démocratie sociale et de progrès. Enfin vous refusez de traiter dans ce projet de la représentativité syndicale, inchangée depuis 1966, et qui joue aujourd'hui au détriment d'organisations comme la FSU, l'UNSA ou SUD. Ce faisant, vous contribuez délibérément à la remise en cause de la crédibilité syndicale et de la citoyenneté à l'entreprise. Nous sommes donc devant une des réformes les plus graves de votre gouvernement et de votre majorité, qui risque de remettre en question tout le droit du travail. A ces man_uvres que dénoncent le monde syndical mais aussi d'éminents juristes et des spécialistes du droit du travail, nous opposons des propositions fortes, comme notre proposition de loi visant à inscrire dans le code du travail, le principe d'un accord majoritaire, que nous défendons depuis 1982, en tant qu'expression authentique de la majorité des salariés. Nous défendons une autre conception de la démocratie sociale, autour de trois principes majeurs : l'actualisation de la représentativité ; l'accord majoritaire ; le respect du principe de faveur. Voilà qui contribuerait à la construction d'une véritable démocratie sociale, porteuse de dialogue et d'avancées pour le monde du travail. Nous voterons bien évidemment contre le projet de casse que vous opposez à cette conception (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). M. Bernard Depierre - Quelle renaissance pour la démocratie sociale que d'ouvrir l'année par un texte porteur d'une démarche politique originale, celle de la négociation collective ! (Rires sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Vous ouvrez ainsi une voie nouvelle dans la pratique politique en rénovant le dialogue social et en lui redonnant pleinement un rôle que le temps semblait avoir usé. Et vous initiez l'ensemble de la classe politique à cette méthode en l'appliquant dans ce projet, qui compte deux grandes réformes : la formation professionnelle et la rénovation des règles de la négociation collective. Sur le premier point, le groupe UMP se félicite des avancées que permet la réforme de la formation tout au long de la vie, directement et fidèlement inspirée de l'accord professionnel du 20 septembre. La signature de cet accord par l'ensemble des partenaires sociaux constitue une victoire pour le dialogue social et, à l'instar du Premier ministre, le groupe UMP salue le « sens du dialogue et des responsabilités des organisations syndicales et patronales ». Face aux limites du système actuel de formation professionnelle et aux évolutions démographiques et économiques, ce projet relève le défi. Il pose les fondements d'une évolution culturelle visant à transformer la logique des entreprises et des employés vis-à-vis de la formation. Pour les entreprises, la formation doit être considérée non plus comme une obligation légale et comme une charge, mais comme un investissement dans la qualification des salariés. Parallèlement les employés ne doivent plus subir une formation, mais comprendre que c'est grâce à elle qu'ils pourront se reconvertir facilement. S'il était indispensable de préserver l'équilibre de l'accord signé par les partenaires sociaux, le projet de loi a néanmoins pu être amélioré, notamment s'agissant des employeurs particuliers et de la mise en _uvre des contrats de professionnalisation. Cette modification nécessite des adaptations pour les centres de formation. Le délai prévu ayant été jugé trop court, l'Assemblée a reporté du 1er juillet au 1er octobre la date de mise en _uvre des nouveaux contrats. Avec la création d'un droit individuel à la formation, cette réforme facilitera la reconversion des employés ; elle développera la compétitivité de nos entreprises ; elle remédiera à ce paradoxe qui fait que tant de chômeurs ne parviennent pas à retrouver du travail, tandis que nombre d'entreprises cherchent en vain les salariés. Le Gouvernement s'était engagé à s'inspirer des partenaires sociaux, vous avez, Monsieur le ministre, tenu cette promesse avec cette réforme de la formation professionnelle. Et vous avez souhaité ne pas faire de cette consultation une démarche simplement conjoncturelle mais de l'inscrire dans les pratiques politiques de notre pays : c'est l'objet du deuxième volet du projet. Notre pays se distingue dans le paysage européen par la faiblesse historique de son taux de syndicalisation. Cette situation est lourde de conséquences : le constat d'un dialogue social essoufflé et de l'éclatement des liens sociaux ne peut que nous convaincre de l'enjeu et de l'impératif de cette réforme. L'introduction de la règle majoritaire donnera une légitimité accrue aux accords signés, de même que l'assouplissement de la hiérarchie des normes. Loin de remettre en cause l'édifice social, la possibilité de dérogations aux accords de branche permettra de prendre en compte les besoins particuliers de chaque entreprise et des salariés. Enfin, nous nous félicitons de l'adoption de l'amendement prolongeant de deux ans, pour les entreprises de moins de vingt salariés, la possibilité de n'imputer sur le contingent annuel d'heures supplémentaires que les heures travaillées à partir de la trente-sixième heure. La prolongation de cette disposition de la loi Aubry donnera aux PME un volant d'heures supplémentaires pour accompagner le retour de la croissance. Certains vous ont reproché de ne pas aller assez loin. Mais ce sont les mêmes qui ont reporté cette réforme, alors que la majorité des partenaires sociaux avaient signé, le 16 juillet 2001, une position commune sur la négociation collective. Ce sont les mêmes qui ont fait échec au dialogue social avec l'application autoritaire des 35 heures. Ce projet est la première étape d'une démarche visant à développer la négociation collective. Par son vote, le groupe UMP veut encourager le Gouvernement... M. Alain Néri - Il en a bien besoin ! M. Bernard Depierre - ...Il s'agit de faire confiance à l'avenir, à la démocratie sociale et à ses acteurs ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) M. Alain Vidalies - A l'unanimité des partenaires sociaux signataires de l'accord sur la formation professionnelle, vous auriez pu joindre le soutien unanime de la représentation nationale en présentant ce texte de manière autonome. Mais vous avez préféré organiser un coup fourré qui va remettre en cause les fondements de notre droit du travail. En avançant masqué derrière l'accord sur la formation professionnelle et derrière la position commune de juillet 2001 sur la négociation collective, vous avez ajouté au projet trois articles qui remettent en cause le principe de faveur et la hiérarchie des normes et qui généralisent les procédures dérogatoires. Les conséquences seront lourdes pour des millions de salariés, mais aussi pour les entreprises, car le résultat de cette réforme sera un alignement par le bas des normes sociales qui faussera les conditions de la concurrence. Vous prétendez vous appuyer sur l'accord des partenaires sociaux, mais tous les syndicats de salariés condamnent votre démarche. La CFTC parle de cataclysme, la CGC de loi scélérate, la CFDT d'un désaccord de fond, FO de régression sociale, la CGT de scandale. On pouvait difficilement faire pire... Pourquoi avoir ignoré, voire bafoué l'accord signé le 12 décembre 2001 par l'union professionnelle artisanale - UPA - et par tous les syndicats de salariés qui, au contraire, réaffirme la primauté de l'accord de branche sur l'accord d'entreprise dans les entreprises artisanales ? Les 800 000 entreprises artisanales et leurs deux millions de salariés savent, eux, les conséquences pratiques de votre projet. Ainsi, si demain une PME supprime le treizième mois, tous ses concurrents seront tentés, ou parfois obligés, de faire de même. Ce sera la loi de la jungle et, dans tous les cas, l'atomisation du droit du travail : autant d'entreprises, autant de règles... Par ces quelques articles, ajoutés au dernier moment, vous avez dénaturé complètement le projet. Vos propositions sur la réforme du dialogue social paraissent bien dérisoires au regard de la remise en cause de principes fondamentaux. Ce n'est vraiment pas du bel ouvrage ! La démocratie sociale est un sujet sérieux et important. Les socialistes sont favorables à l'organisation d'un scrutin de représentativité par branche et à l'application du principe majoritaire à tous les niveaux. Nous nous engageons aussi à rétablir le principe de faveur et la primauté de l'accord de branche sur l'accord d'entreprise. Monsieur le ministre, vous prétendez mettre la France en mouvement, mais, sur le plan social, vous ne connaissez qu'une seule direction, la marche arrière. Le groupe socialiste votera contre ce projet, qui marquera d'une pierre noire l'histoire de notre législation sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Francis Vercamer - Au terme de notre débat, le groupe UDF ressent une double inquiétude (Exclamations sur divers bancs) : l'avancée sociale incontestable qu'est le droit individuel à la formation risque d'être effacée par les interrogations liées à la mise en oeuvre du contrat de professionnalisation et le droit à la dérogation, s'il est mal encadré, pourrait bouleverser la hiérarchie des normes sociales. Dans la ligne de l'accord interprofessionnel du 20 septembre 2003, ce texte reconnaît à chaque salarié un droit à la formation tout au long de sa vie professionnelle. Face à la rapidité des évolutions techniques, c'est la condition d'un projet professionnel réussi. Même si les modalités du dispositif doivent être encore améliorées, il s'agit là d'une avancée sociale réelle, lancée et approuvée par les partenaires sociaux. Pour autant, nous aurions aimé que les inquiétudes des professionnels de la formation quant au contrat de professionnalisation soient levées. Il faudra assurer, dans les prochaines semaines, un véritable « service après-vote » de sorte que votre ministère accompagne et encadre l'entrée en vigueur de ce nouveau dispositif. En ce qui concerne le dialogue social, nous sommes globalement favorables au principe majoritaire, qui oblige les partenaires sociaux à privilégier la responsabilité, pour autant qu'il ne porte pas atteinte au pluralisme syndical. En revanche, nous sommes extrêmement réservés sur la possibilité de déroger par un accord de branche ou d'entreprise, à une règle supérieure plus favorable. Cette disposition porte en germe un bouleversement de la hiérarchie des normes et un risque d'anarchie sociale. Elle va fragiliser la situation des salariés et créer des distorsions de concurrence. Certes, dans un marché mondialisé, la rudesse de la concurrence oblige à assouplir la réglementation du travail dans certains domaines. Nous ne sommes donc pas opposés à des dérogations, si elles sont encadrées dans le temps et justifiées par les circonstances économiques. Mais votre texte va trop loin. C'est pourquoi seule l'importance que nous accordons au droit à la formation professionnelle tout au long de la vie nous conduira à approuver ce projet (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). A la majorité de 340 voix contre 151 sur 491 votants et 491 suffrages exprimés, l'ensemble du projet de loi est adopté. M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Cela fait des années que l'on parle de la nécessaire rénovation du dialogue social. A l'issue de ce vote, je remercie la majorité pour sa fidélité à ses convictions réformistes et le rapporteur pour sa détermination pragmatique. Je salue l'UDF, qui nous a rejoints dans notre démarche, mais aussi l'opposition car nos débats furent de qualité. Notre v_u est d'instaurer une société plus participative et mieux qualifiée, qui incite les individus et les groupes sociaux à être davantage acteurs que spectateurs de leur destin. Votre vote donnera à chacun la faculté de mieux maîtriser son parcours professionnel (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) et instaurera de nouvelles formes de régulation pour accompagner les mutations économiques. Le Gouvernement est, en effet, convaincu que les règles actuelles ne permettent pas l'émergence d'une véritable démocratie sociale moderne (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Notre projet, pragmatique et équilibré, va enclencher un processus de révolution douce : généralisation du principe majoritaire - peut-être n'allons-nous pas assez loin, mais le mouvement est lancé - évolution des règles de la représentativité, extension du champ contractuel : voilà qui va changer la donne et contraindre les acteurs, partenaires sociaux et pouvoirs publics, à se réinventer. Le risque n'est pas dans le mouvement, mais dans le statu quo actuel, marqué par la désyndicalisation et le morcellement social qui nourrit surenchères corporatistes et extrémismes politiques (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Jean Dionis du Séjour - Très bien ! M. le Ministre - En faisant ce pari du mouvement, nous faisons confiance à la capacité des partenaires sociaux à se repenser pour mieux s'investir dans leur mission. Notre pays a besoin d'un syndicalisme réformiste et populaire, capable de structurer les revendications, de proposer des solutions, d'accompagner les évolutions nécessaires. Parce que les décisions doivent être moins hiérarchisées et moins uniformes, la relation entre démocratie politique et démocratie sociale doit aussi être plus constructive. Le terrain a besoin de plus de liberté et de responsabilité. Il est facile de critiquer certaines dispositions de ce projet, fruit d'un compromis subtil. Mais rien ne réduira la portée d'une idée simple : après des décennies de statu quo et d'hésitation, la rénovation de notre démocratie sociale est entamée, et c'est cette majorité et ce gouvernement qui en ont pris la responsabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). La séance, suspendue à 16 heures 45, est reprise à 17 heures sous la présidence de M. Le Garrec. PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC vice-président NOMINATION D'UN DÉPUTÉ EN MISSION TEMPORAIRE M. le Président - M. le Président a reçu de M. le Premier ministre une lettre l'informant de sa décision de charger M. Christian Kert, député des Bouches-du-Rhône, d'une mission temporaire auprès de M. le ministre de la culture et de la communication. Cette décision a fait l'objet d'un décret publié au Journal officiel du vendredi 26 décembre 2003. M. le Président - M. le Premier ministre a également informé M. le Président de la fin des missions temporaires précédemment confiées à MM. Bernard Brochand, Olivier Jarde, Francis Hillmeyer, Christian Ménard, Marc Laffineur et à Mme Brigitte Le Brethon. L'ordre du jour appelle le vote, selon la procédure d'examen simplifiée, sur cinq projets de loi, dont un adopté par le Sénat, autorisant l'approbation de conventions ou accords internationaux. M. le Président - Conformément à l'article 107 du Règlement, je vais mettre aux voix l'article unique de chacun de ces textes. L'article unique de la convention fiscale France-Macédoine, mis aux voix, est adopté, de même que les articles uniques de la convention douanière France-Argentine, de la convention douanière France-Surinam, de l'accord douanier France-Malte et de l'accord France-ONU relatif aux peines prononcées par le tribunal pénal international pour le Rwanda. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de résolution de M. Herbillon sur la diversité linguistique dans l'Union européenne. M. Pierre Lequiller, président délégué pour l'Union européenne - Pour la deuxième fois depuis le début de la législature, une proposition de résolution adoptée par la délégation pour l'Union européenne est débattue en séance publique. En tant que président de cette délégation, je ne puis que me féliciter de constater que notre assemblée prend la mesure des enjeux européens pour l'avenir de notre pays, grâce notamment aux nombreuses initiatives du Président Debré pour placer l'Europe plus au c_ur de nos travaux. L'Union européenne est la seule organisation internationale au monde à pratiquer au quotidien la diversité linguistique. C'est d'ailleurs le premier règlement adopté par la Communauté européenne, le règlement n° 1 de 1958, qui garantit l'égalité entre toutes les langues officielles. Rien à voir donc avec ce qui se passe à l'ONU ou au Conseil de l'Europe, où seules quelques langues de travail sont autorisées. Beaucoup considèrent que l'élargissement constitue une menace pour notre langue. Il est vrai que notre pays a manqué le « petit élargissement » de 1995 à l'Autriche, à la Finlande et à la Suède, lequel s'est traduit par un recul sensible du Français au sein des institutions. Pourtant, loin d'être un risque, la réunification de l'Europe est un défi sans précédent car elle ouvre la voie à un plurilinguisme unique au monde et conforme aux valeurs que l'Union entend promouvoir. L'article 3 du projet de traité de constitution européenne, élaboré par la Convention au sein de laquelle j'ai eu l'honneur de représenter notre assemblée, dispose ainsi que l'UE respecte la richesse de sa diversité culturelle et linguistique, hissant de ce fait la diversité linguistique au rang de principe constitutionnel européen. Cette avancée ne devrait pas être remise en cause au sein de la conférence intergouvernementale. Quant au projet d'article 8 sur la citoyenneté communautaire, il tend à constitutionnaliser une stipulation du traité d'Amsterdam, selon laquelle tout citoyen de l'Union peut écrire à une institution dans l'une des langues officielles et recevoir une réponse rédigée dans la même langue. Je fais le pari que l'Europe apportera beaucoup aux langues, si nous faisons preuve d'une volonté politique forte mise au service d'actions concrètes, notamment auprès de la jeunesse. Il faut encourager le développement des classes européennes et des établissements à vocation internationale et favoriser le rapprochement des institutions culturelles des différents Etats membres - Goethe Institut, British Council, Institut culturel français. La diversité culturelle et la diversité linguistique sont les deux faces d'une même médaille. Comment traiter de la question linguistique sans évoquer la relation franco-allemande ? Je me réjouis de la création d'une mission d'information parlementaire franco-allemande sur l'Office franco-allemand pour la jeunesse, à laquelle participe notre collègue Michel Herbillon, très au fait de ces questions. Le déclin accentué ces dernières années de l'enseignement de l'allemand dans les classes françaises et du français dans les écoles allemandes est préoccupant. Si rien n'est fait, l'enseignement de nos langues respectives risque de descendre à des niveaux marginaux, au moment même où, paradoxe, nos deux pays inscrivent délibérément leur action dans une perspective commune. Sur ce sujet aussi, nos intérêts convergent et, au-delà, nous avons en commune vision du monde fondée sur le respect des identités. Notre sujet déborde largement du problème de l'usage des langues au sein de l'UE. Il touche aussi à la formation linguistique et je suis personnellement très attaché à ce que s'applique la décision d'enseigner au sein de l'Union deux langues vivantes en plus de la langue naturelle. La délégation pour l'Union européenne a adopté à l'unanimité la proposition de résolution brillamment présentée par Michel Herbillon. Sur le rapport tout aussi excellent de Juliana Rimane, la commission des affaires culturelles lui a apporté tout son soutien. L'Assemblée nationale aurait pu en rester là, mais l'inscription de cette résolution à l'ordre du jour de la séance publique est une manifestation heureuse de notre détermination à peser de tout notre poids sur les négociations en cours à Bruxelles (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur les bancs du groupe socialiste). Mme Juliana Rimane, rapporteur de la commission des affaires culturelles - Cette proposition de résolution a été adoptée à l'unanimité par la DUE et elle fait suite au rapport de M. Herbillon intitulé Les langues dans l'Union élargie : pour une Europe en VO. A travers elle, la délégation souhaite que notre assemblée exprime son attachement au principe du plurilinguisme dans le nouveau contexte créé par l'élargissement du 1er mai prochain. Garant de la diversité culturelle et linguistique, ce principe, qui permet en effet à chacun de s'exprimer dans sa langue au sein des institutions européennes depuis 1958, participe au premier chef de l'originalité du modèle européen. Le projet de constitution européenne le consacre d'ailleurs au nombre des principes constitutionnels. Au reste, il y a tout lieu de réaffirmer notre attachement à la diversité, pour contrer l'hégémonie croissante du modèle anglo-saxon. Tel est l'enjeu du présent texte. Le régime juridique du plurilinguisme est unique au monde. Garantissant à chacun de pouvoir s'exprimer dans sa langue, il est partie prenante du fonctionnement démocratique des institutions communautaires et il constitue un enjeu essentiel pour la place du Français en Europe. Si le Parlement européen est l'institution qui applique le mieux le principe de stricte égalité entre les langues, la Commission européenne pour sa part manie depuis longtemps seulement trois langues de travail : l'anglais, le français et, dans une moindre mesure, l'allemand. Quant au Conseil, on y recense presque autant de régimes linguistiques qu'il existe de catégories de réunions ! Le quasi-doublement du nombre de langues officielles né de l'élargissement constitue un véritable défi pour l'UE, laquelle n'en comptera alors pas moins de vingt. A ce sujet, les options retenues varient d'une institution à l'autre, sans pour autant que soient remis en cause les fondements du plurilinguisme. Cependant, force est de constater que les élargissements successifs ont affaibli la position de notre langue au sein de l'Union. Alors qu'il occupait une position dominante jusqu'au début des années 1970, le français a subi l'implacable concurrence de l'anglais à partir de 1973 et la situation s'est encore dégradée avec l'élargissement de 1995. Le risque d'un nouveau recul de l'usage du français du fait de l'adhésion des pays d'Europe centrale et orientale est donc bien réel. Affirmant en préambule l'attachement de l'Assemblée nationale à la diversité linguistique et culturelle, la proposition de résolution comporte dix-neuf points, organisés en cinq chapitres, recouvrant à la fois le respect du plurilinguisme et la promotion du français dans les institutions européennes. S'agissant du respect du plurilinguisme dans le fonctionnement des institutions, l'accent est mis sur la nécessité d'affirmer le principe de l'interprétation intégrale pour les réunions de niveau politique, de pérenniser les pratiques linguistiques en vigueur dans les réunions relatives à la politique étrangère et la sécurité commune - PESC - et du comité des représentants permanents - COREPER - et de rechercher, pour le régime linguistique des autres groupes de travail, une solution consensuelle autour de quelques langues pivots. Dans le cadre de la réforme du statut des fonctionnaires européens, la promotion au grade immédiatement supérieur à celui d'entrée en fonction sera soumise à la maîtrise de deux langues étrangères. Par ailleurs, les tests de présélection en trois langues, actuellement organisés pour le recrutement de fonctionnaires issus des futurs pays membres, pourront être généralisés. Enfin, en vertu du respect du principe de non-discrimination linguistique, les infractions commises par les institutions et organismes communautaires en violation de leurs obligations seront systématiquement signalées et une charte linguistique applicable aux sites internet communautaires sera adoptée, afin d'éviter la publication d'informations dans une seule langue. Pour sa part, la délégation souhaite effectuer un suivi annuel de l'évolution des pratiques linguistiques dans les institutions européennes. Afin de promouvoir la langue française, considérant que la formation des fonctionnaires européens représente un enjeu central pour la place du français dans les institutions européennes, la proposition de résolution approuve les actions de formation à la langue française à destination des fonctionnaires de pays membres et candidats. La proposition du rapporteur en faveur de la création d'un pôle européen de formation initiale et continue des fonctionnaires européens, notamment dans le domaine linguistique, mérite donc d'être soutenue. Rappelant l'exigence minimale posée dans la circulaire du Premier ministre du 14 février 2003 relative à l'emploi de la langue française par les fonctionnaires français à l'étranger, la proposition de résolution insiste aussi sur la nécessité de mieux coordonner les actions en faveur du français. Au-delà du cadre institutionnel, le plurilinguisme repose sur l'enseignement des langues vivantes dans les Etats membres, et, plus précisément, sur l'obligation d'en apprendre plusieurs, comme cela se pratique chez nous. A cet égard, la proposition de résolution recommande que l'enseignement obligatoire de deux langues vivantes étrangères soit généralisé par les Vingt-Cinq. On constate en effet que lorsque les systèmes éducatifs ne proposent qu'une seule langue vivante, l'anglais est systématiquement choisi, cependant que l'offre d'une seconde langue favorise le français. Le texte préconise également le développement de l'apprentissage des nouvelles langues officielles de l'Union. Je conclurai en rappelant que la nécessaire promotion des langues nationales au niveau communautaire doit s'accompagner, au nom de l'égalité citoyenne, d'un soutien aux langues régionales dans chaque Etat membre. Mobilisons-nous pour éviter la disparition des modes d'expression des populations minoritaires. La France possède une grande richesse linguistique. La Guyane, à elle seule, a de nombreuses langues : aux différents créoles, à base lexicale française et anglaise, s'ajoutent des langues amérindiennes comme l'arawak, le kalina ou l'émerillon. La sauvegarde de ces langues contribue à la préservation des cultures traditionnelles locales. Comme l'a dit le Président de la République lors de la 31e conférence générale de l'UNESCO, « la réponse à la mondialisation, laminoir des cultures, c'est la diversité culturelle, fondée sur la conviction que chaque peuple a un message singulier à délivrer au monde, que chaque peuple peut enrichir l'humanité en apportant sa part de beauté et de vérité ». Au nom de la commission des affaires culturelles, je vous invite à adopter cette proposition de résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et sur les bancs du groupe socialiste). M. Michel Herbillon, rapporteur de la délégation pour l'Union européenne - Il est de bon ton, dans les milieux à la mode, de fustiger la « France qui tombe » présentant comme une nouvelle inédite un poncif récurrent. Nous voici réunis aujourd'hui pour démentir cette idée d'un déclin inéluctable de notre pays. En se saisissant de la proposition de résolution que j'ai présentée le 11 juin devant la délégation pour l'Union européenne - qui l'a adoptée à l'unanimité, de même que la commission des affaires culturelles -, notre assemblée prend la mesure de l'enjeu politique que la diversité linguistique constitue pour l'Europe et pour la France. Dans à peine plus de cent jours, l'Union européenne accueillira dix nouveaux pays et neuf nouvelles langues, en théorie strictement égales entre elles. Or cette nouvelle Europe est face au défi linguistique le plus important de son histoire. En effet, 110 combinaisons sont aujourd'hui possibles avec 11 langues officielles : ce nombre passera à 400 après l'élargissement. Chaque année 1,3 million de pages sont produites par le service de traduction de la Commission : elles pourraient couvrir la moitié du Luxembourg ! Chaque jour, 700 interprètes sont mobilisés dans plus de 11 000 réunions annuelles de la Commission, du Conseil, du comité économique et social et du comité des régions. Pour éviter que Bruxelles ne devienne une babel moderne, les institutions de l'Union se préparent depuis longtemps à cette nouvelle donne. Mais comment concilier le respect de la diversité linguistique avec l'efficacité du fonctionnement des institutions ? Je ne reviendrai pas sur les régimes en vigueur au sein du Conseil et de la Commission, car Mme Rimane les a excellemment rappelés. J'évoquerai plutôt la négociation en cours au sein du Conseil. Il est trop tôt pour savoir quelle réforme sera décidée, mais la discussion semble s'orienter vers un régime de paiement à la demande, financé pour partie sur le budget communautaire et pour partie sur les budgets nationaux. La présidence italienne sortante a engagé à l'automne une expertise technique des solutions envisagées et procédé à une évaluation budgétaire, selon le nombre de groupes de travail qui bénéficieraient soit d'une interprétation intégrale, soit d'une interprétation à la demande, soit d'aucune interprétation. Il appartient désormais à la présidence irlandaise de poursuivre cette négociation. Pour le français, le coût d'interprétation serait d'environ trois millions d'euros, dont deux millions seraient prélevés sur le budget communautaire et un million sur le budget national. Sans préjuger de la décision, je vous propose, par cette proposition de résolution, de recommander que le compromis retenu se fonde sur les principes de pluralisme linguistique, de souplesse de gestion, et de répartition équitable de la charge financière au cas où serait retenu un régime de paiement à la demande. Engageons-nous aussi à promouvoir une expérimentation plus large des régimes asymétriques qui permettent à chacun de s'exprimer dans sa langue maternelle en ne disposant d'une interprétation active que dans un nombre restreint de langues de travail. Quelle que soit la solution retenue, il est essentiel d'assurer un financement pérenne garantissant l'emploi de notre langue. Ne nous voilons pas la face : le français décline en Europe. C'est une réalité, non une fatalité. Il y a vingt ans, près de 60 % des documents du Conseil et de la Commission étaient rédigés initialement en français : cette proportion a diminué de moitié. Est-il admissible que le site internet de la Banque centrale européenne ne soit, pour l'essentiel, disponible qu'en anglais ? Je l'avais signalé en juin, et en janvier rien n'a changé. Est-il normal que, malgré la circulaire du Premier ministre du 14 février dernier sur l'emploi de la langue française, nombre de fonctionnaires français de l'Union européenne s'expriment le plus souvent en anglais ? Rien ne justifie que nous renoncions à l'usage de notre langue. Nous aurions toutefois tort de croire que la promotion du français est dirigée contre la langue de Shakespeare. Un combat frontal contre l'anglais serait perdu d'avance. L'ambition de la France est bien plutôt d'être le porte-parole d'un plurilinguisme respectueux de la diversité des cultures et des identités nationales. Le Président de la République s'est personnellement engagé en faveur d'une convention mondiale sur la diversité culturelle, afin de consacrer le respect du pluralisme linguistique et la mobilisation contre la disparition des langues. Pour la promotion de la langue française, les incantations ne suffisent plus : l'heure est à des actions concrètes et ciblées. Je propose notamment de créer à Strasbourg, capitale européenne, un centre de formation initiale et continue des fonctionnaires européens, dispensant des formations pluridisciplinaires ainsi qu'une large palette de cours de langues. Je vous propose aussi de recommander que l'enseignement obligatoire de deux langues étrangères devienne la norme dans les systèmes éducatifs de l'union européenne. C'est désormais en Europe que se joue l'avenir du français dans le monde, tout comme c'est dans le cadre de la francophonie que se déploie notre action en faveur du français en Europe. L'adoption de la présente résolution est une étape importante. Elle devra se prolonger par un suivi régulier non seulement de la délégation, mais de notre assemblée sur ce sujet qui nous concerne tous. Parce que les mots ne suffisent plus pour promouvoir la diversité linguistique, le temps est venu de l'action, au service de « réalisations concrètes », pour parler comme Robert Schuman (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe socialiste). M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication - Cette proposition de résolution est le fruit d'un remarquable travail mené par votre délégation pour l'Union européenne et que nous a présenté M. Herbillon. J'adresse à tous ses membres et à son rapporteur, ainsi qu'à ceux de la commission des affaires culturelles, mes remerciements et mes félicitations pour leur analyse approfondie des enjeux linguistiques liés à l'élargissement de l'Union. Je partage entièrement les vues de vos rapports et votre espoir d'une Europe en version originale, pour citer l'un de vos rapporteurs - une Europe respectueuse de la diversité de ses cultures et de ses langues. La promotion de la langue française et celle de la diversité culturelle sont deux combats indissociables. La France, comme l'a rappelé M. Herbillon, est engagée dans une action de longue haleine pour une convention internationale sur la diversité culturelle, et M. le rapporteur a évoqué la part personnelle que le Président de la République a prise dans ce combat. Comme je l'ai dit pour ma part le 13 octobre devant la conférence générale de l'UNESCO, le choix de la diversité ne signifie pas quelque conservation nostalgique des seules expressions traditionnelles. Il signifie au contraire que les cultures sont des réalités vivantes, qu'elles ont un avenir, et que, dans la diversité des langues, les hommes pourront encore demain penser, créer, s'exprimer - et cela dans la perspective de l'échange et du dialogue. Chaque culture est singulière et n'a pas vocation à se replier sur elle-même, mais à contribuer à un patrimoine partagé entre tous les hommes. Pouvons-nous, nous Français, être crédibles dans ce combat, si nous ne nous donnons pas les moyens de défendre la présence de notre langue dans l'espace européen ? D'autre part, comme l'a dit Mme Rimane, nous ne le serons qu'en manifestant notre attachement à la totalité de notre patrimoine linguistique, et notamment ces langues de France qu'elle a évoquées. Affirmer la présence de la langue française en Europe est un combat d'autant plus nécessaire que les capitales européennes sont des villes francophones : une capitulation de notre part serait bien paradoxale. Le constat qu'a rappelé Michel Herbillon est préoccupant. Il rejoint le bilan qu'a dressé de son côté le Gouvernement dans un rapport remis à cette assemblée le 15 septembre. La France dispose, cependant, de nombreux atouts face au choc linguistique résultant de l'élargissement et, plus gravement, de la tentation de la banalisation linguistique. Celle-ci érige en langue vulgaire de l'espace européen et international un anglais lui-même banalisé, au point que l'expression d'une pensée sophistiquée y devient difficile... Dans ce contexte, la proposition de résolution que nous examinons regroupe un ensemble cohérent et réaliste de mesures. Certaines sont déjà appliquées par le Gouvernement. C'est ainsi que les atteintes au principe du plurilinguisme sont régulièrement signalées aux institutions communautaires responsables, et je souhaiterais naturellement, comme le rapporteur, que nos observations soient prises en compte avec davantage de vigueur. La question de l'enseignement obligatoire de deux langues étrangères dans les systèmes éducatifs européens progresse. Son principe est régulièrement promu dans le cadre des échanges bilatéraux conduits par le ministre de l'éducation nationale, et la Commission européenne soutient notre effort de promotion. Il conviendrait en effet, Monsieur le président de la délégation, que ce principe devienne une norme. Michel Herbillon souligne la nécessité d'adapter le régime linguistique des institutions européennes. En effet, l'élargissement induira 420 combinaisons linguistiques possibles. Il y a là une source de richesse, mais aussi de nombreuses difficultés. Le risque est grand que derrière une sorte de façadisme linguistique, l'accroissement du nombre des langues officielles conduise à s'en remettre à l'anglais comme langue vernaculaire au sein de l'Union européenne. Face à cette situation, l'action du Gouvernement se fonde sur plusieurs principes, qui rejoignent exactement ceux de votre proposition. Nous conduisons concrètement une action en faveur du français, de concert avec nos partenaires francophones, à savoir la communauté francophone de Belgique et du Luxembourg, ce qui renforce encore notre position. Un plan intergouvernemental de promotion du français dans les institutions européennes a été mis en place. Son succès est indéniable. En second lieu, nous soutenons la pratique d'un plurilinguisme raisonné, qui fasse toute sa place au français dans l'espace européen. Nous agissons également pour affirmer le rôle de langue de conception et de proposition du français, qui ne doit pas être seulement une langue de traduction. Sur ce point, j'ai toujours plaisir à constater que, dans les réunions européennes, certains de mes collègues étrangers, portugais et grecs en particulier, font l'effort, souvent avec élégance et autorité de s'exprimer en français. Nous devons leur en savoir gré. Il est essentiel que le Gouvernement et l'Assemblée nationale travaillent, comme c'est bien le cas, dans la même direction. Quand l'intérêt culturel de la nation est en cause, il n'y a pas de place pour des attitudes partisanes. Vous écrivez, monsieur Herbillon, que le déclin du français en Europe n'est pas une fatalité. C'est vrai, et la France y travaille. Notre politique produit des résultats encourageants auprès de nos partenaires, qui sont acquis à l'idée que si l'Europe doit parler d'une seule voix, elle doit continuer de s'exprimer en plusieurs langues. La première expression de la diversité culturelle c'est, dans l'espace européen, la diversité linguistique. Le Gouvernement partage entièrement, sur ce point, les vues que vous avez exprimées et c'est pourquoi il soutient sans réserve votre proposition de résolution (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe socialiste). M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie - Je salue le remarquable rapport de Michel Herbillon ainsi que les travaux de la délégation pour l'Union européenne et de la commission des affaires culturelles. Vos recommandations rencontrent l'entière approbation du Gouvernement. Comme vous, je suis convaincu que l'avenir du français comme langue internationale se joue d'abord en Europe. A côté de ce front principal, d'autres sont ouverts, par exemple sur le continent africain. Là, il s'agit avant tout d'une question de moyens, à mettre au service des systèmes éducatifs locaux. Cette action recouvre largement le programme international de scolarisation universelle baptisé « Education pour tous », dans lequel la France joue un rôle déterminant. La République démocratique du Congo offre sur ce point un bon exemple. Ce pays de plus de 60 millions d'habitants, qui sort meurtri d'une longue période de conflits, n'a qu'une seule langue officielle, le français. Mais seuls quelques millions de Congolais le parlent. Si nous parvenons à créer un système capable de délivrer un enseignement de base à tous les enfants, le Congo représentera bientôt 60 millions de francophones, et deviendra ainsi le deuxième pays francophone du monde. Mais si nous voulons que le continent africain soit pour le français ce qu'est le continent sud-américain pour l'espagnol et le portugais, encore faut-il qu'il demeure une langue internationale utile, et d'abord en Europe. Jean-Jacques Aillagon a dit ce que sont nos objectifs et notre détermination. La première de nos priorités consiste à renforcer la coordination de nos actions et de nos moyens, comme le recommande aussi votre proposition de résolution. La présence de la langue française dans le monde est une compétence actuellement dispersée entre plusieurs ministères, services et organismes. Ce constat n'est pas nouveau. Mes prédécesseurs ayant en charge la francophonie ne sont pas réellement parvenus à améliorer la situation. Monsieur Herbillon a rappelé la lenteur avec laquelle progressent des réformes qui sont pourtant de bon sens. L'élargissement de l'Europe nous impose de prendre des mesures urgentes et significatives. Parmi les propositions que j'ai avancées figure la création, entre les ministères des affaires étrangères, de l'économie, de la culture et le secrétariat général du comité interministériel chargé de la coopération, d'un réseau de veille et d'alerte sur les questions linguistiques en Europe, afin de pouvoir réagir vivement aux lacunes et défaillances ainsi constatées. De même, il nous faut mieux coordonner les moyens de promotion du français de nos nombreux services et opérateurs. Nos ambassades dans les pays concernés par l'élargissement disposent pour cela de crédits déconcentrés atteignant près de 10 millions. Le ministère des affaires étrangères alloue en outre une somme de 610 000 €, sur ses crédits bilatéraux, à des actions de formation ciblées en direction de 3 000 ressortissants des pays d'Europe centrale et orientale occupant des fonctions de responsabilité. Notre deuxième priorité consiste à appuyer notre politique en faveur du français sur la promotion du plurilinguisme en Europe. La coordination ne doit pas concerner que nos moyens nationaux ; nous devons également rechercher une concertation active avec nos partenaires les plus attentifs à la question linguistique. Il y a d'abord les francophones, bien sûr, nos amis belges et luxembourgeois. Jean-Jacques Aillagon a cité le « plan pluriannuel pour le français » que nous avons signé en 2002 avec eux. Une enveloppe d'1,4 million d'euros a permis de le financer sur le budget en 2003. J'examine actuellement, avec l'Agence intergouvernementale de la francophonie, la possibilité d'augmenter ces crédits. Ce plan a permis de financer la formation en français de 2 000 ressortissants des nouveaux pays adhérents et d'équiper 20 000 postes de travail d'un logiciel d'assistance à la rédaction en français. Nous avons aussi besoin de nouer des alliances avec d'autres partenaires, attentifs au sort de leur propre langue. Je pense à l'Allemagne, dont la langue est parlée par le plus grand nombre d'Européens, en raison de son poids démographique, et qui fait preuve d'une grande vigilance. Nous avons décidé de coordonner nos positions au sein de l'Union. Nous ne sauverons pas le français seuls contre toutes les autres langues, mais grâce au plurilinguisme. Telle est d'ailleurs l'orientation stratégique capitale qu'a choisie l'Organisation internationale de la francophonie, lors du sommet de Beyrouth en octobre 2002, en se faisant la championne de la diversité culturelle et linguistique dans le monde. Dans le cadre de la Convention européenne en vue de la future constitution européenne, les négociations, serrées, ont abouti, comme le souhaitait la France, à l'inscription à l'article 3 du projet de constitution du principe du respect par l'Union de la diversité culturelle et linguistique. Ce projet n'a pas été adopté, pour le moment, c'est regrettable, mais on peut espérer qu'il le sera sans trop tarder. En tout cas, ce n'est pas sur ce point que les négociations ont achoppé. Nous pourrons donc nous appuyer, le moment venu, sur un élément juridique fondamental pour préserver l'usage des langues, donc de la nôtre. Ce principe constitutionnel nous a fait défaut en plusieurs circonstances où l'usage du français a été mis en cause, y compris devant la Cour de justice européenne, parce que les instances européennes ne se référaient qu'au droit du commerce et de la consommation, le seul édicté jusque-là par les traités existants. La désignation d'un coordinateur pour le multilinguisme auprès des institutions européennes irait également dans le bon sens. Il aurait pour mission d'observer, en toute transparence, l'application des règles. S'agissant des nouveaux pays adhérents, nous avons entrepris, avec l'OIF, de sensibiliser ceux qui sont membres associés de la francophonie à la nécessité de mettre leurs pratiques en cohérence avec leurs engagements. Je compte organiser à ce sujet, dès que possible, avec le secrétaire général de l'OIF, le Président Abdou Diouf, une réunion des ministres des Etats membres et futurs membres de l'Union qui appartiennent également à cette organisation. Troisième orientation : redoubler de vigilance vis-à-vis des régimes linguistiques des institutions européennes. Je ne m'étendrai pas sur ce point, parce qu'il serait de moindre importance, mais parce que les rapports qui vous ont été remis comportent toutes les indications nécessaires, aussi bien sur la dégradation de la situation que sur les solutions à appliquer. Le Gouvernement partage les points de vue de vos rapporteurs, repris dans la résolution, sur l'attitude que nous devons adopter. Il faut conforter les régimes qui réservent expressément une place privilégiée au français, PESC et COREPER ; maintenir le régime d'interprétation intégrale pour les réunions politiques majeures comme les Conseils européens et les réunions ministérielles ; pour les autres enceintes, expérimenter les nouveaux dispositifs actuellement envisagés mais pour une période limitée, toute décision définitive devant être précédée d'une évaluation précise ; effectuer des démarches systématiques auprès des instances européennes pour que les textes en français soient rédigés et diffusés simultanément aux textes en anglais. S'agissant des fonctionnaires européens, à l'initiative de Dominique de Villepin et de Noëlle Lenoir, la France, avec le soutien de plusieurs de ses partenaires, a obtenu que soit inscrite dans leur statut l'obligation de pouvoir travailler dans au moins deux langues de l'Union en plus de la leur pour pouvoir bénéficier d'une promotion. C'est une façon concrète de faire progresser le plurilinguisme dans les services de la Commission et il faudra veiller à ce que cette disposition soit réellement appliquée. Quatrième orientation : présenter une nouvelle offre d'apprentissage du français aux citoyens des membres actuels et futurs de l'Union. Si nous voulons que le plurilinguisme soit assuré dans les institutions, il faut qu'il progresse également dans les peuples. L'apprentissage obligatoire de deux langues vivantes à l'école est un enjeu déterminant. Dans les pays européens qui ont introduit cette règle dans leur système d'enseignement, l'Espagne et l'Italie par exemple, l'accroissement des élèves choisissant le français est spectaculaire. Il faut donc poursuivre dans cette voie et nous y engager nous-mêmes. Pour répondre à la demande extérieure, j'ai décidé de lancer en 2004 un programme triennal de formation de 2 000 professeurs de français dans les pays qui ont adhéré à l'Union. Nous examinons également les conditions dans lesquelles les études supérieures, les bourses et les diplômes français pourraient être rendus plus attrayants pour les jeunes de ces pays. S'agissant de l'Allemagne, le Président Chirac et le Chancelier Schröder ont décidé, lors du dernier Conseil des ministres franco-allemand réuni à Berlin, le 18 septembre dernier, de mettre en _uvre un plan d'enseignement du français en Allemagne et de l'allemand en France pour renverser l'évolution négative constatée ces dernières années. Il faudrait parler également du rapprochement des systèmes éducatifs des pays de l'Union, de l'harmonisation des diplômes facilitant la mobilité des étudiants, des échanges culturels, de la diffusion du livre, des créations audiovisuelles et de bien d'autres moyens de développer la connaissance mutuelle des pays membres, de leur culture et de leur langue. C'est une politique d'ensemble qui doit promouvoir la langue française en Europe et dans le monde. La tentation de la facilité, c'est-à-dire du repli sur un idiome unique de communication, du reste singulièrement appauvri si on le compare à la langue anglaise, est une menace bien réelle. Raison de plus pour faire preuve de détermination et de persévérance ! Pour ma part, ce combat pour la langue française ne date pas d'aujourd'hui : je l'ai longtemps mené au sein de votre assemblée. Aujourd'hui, il y a urgence. Le Premier ministre et le Président de la République sont très attentifs à ce sujet, et le Gouvernement est décidé à mobiliser les moyens nécessaires non seulement pour organiser la défense mais pour mener l'offensive. Nous sommes devant un enjeu national, auquel il faut associer tous nos concitoyens, en montrant que l'avenir n'est pas à l'appauvrissement linguistique et culturel de l'Europe mais, au contraire, à la promotion de la diversité des cultures et des langues. En vous confirmant, avec mon collègue Jean-Jacques Aillagon, l'approbation du Gouvernement à ce projet de résolution, je remercie l'Assemblée nationale, et particulièrement ses rapporteurs, M. Michel Herbillon et Mme Juliana Rimane, pour la contribution importante que le Parlement apporte aujourd'hui à cette démarche (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur les bancs du groupe socialiste). M. Bruno Bourg-Broc - L'apogée de la langue française remonte au siècle des Lumières, et plus particulièrement au traité de Rastadt de 1714 qui a fait du français la langue diplomatique internationale. Sans doute de manière quelque peu provocatrice, Antoine de Rivarol, dans son Discours sur l'universalité de la langue française de 1784, affirmait sans complexe que le français était « la langue humaine ». C'est probablement parce que notre langue a été considérée avec tant de grandeur, que nous avons pris conscience de sa particularité ; et cette prise de conscience nous a sans doute ouverts sur les autres langues et sur les autres cultures. C'est peut-être également la raison pour laquelle nous refusons avec tant de vigueur l'uniformité linguistique. La langue, plus qu'un moyen de communication, est le vecteur de la pensée humaine et l'expression d'un raisonnement. Choisir un mot plutôt qu'un autre, même inconsciemment a une signification précise. Pouvoir s'exprimer en choisissant un terme identifie la personne, son histoire, sa culture. L'uniformisation linguistique, plus qu'une négation d'une autre langue, est la négation d'une culture. La prochaine entrée dans l'Union européenne de dix nouveaux pays suscite, chez nous Français, un sentiment de crainte d'une uniformisation du régime linguistique de l'Europe, notamment en faveur de l'anglais. Au sein de l'assemblée parlementaire de la francophonie, nous sommes très inquiets de constater la faible proportion de francophones, ainsi que l'insuffisance de l'enseignement du français dans les Etats candidats. Cette inquiétude a été relayée dans la résolution que nous avons adoptée en juillet 2003 à Niamey, et qui a été transmise aux instances de l'Organisation internationale de la francophonie. Auguste Comte disait qu'il faut « prévoir, afin de savoir et de pouvoir ». C'est cette assertion qui nous incite à approuver la résolution relative à la « diversité linguistique en Europe ». Cette proposition s'inscrit dans la logique d'un rapport qui m'a été confié par la commission des affaires culturelles de l'APF, sur le français dans les institutions européennes. Ce rapport, qui se conjugue parfaitement avec celui de notre collègue Herbillon, montre qu'il est urgent de réagir. Des rencontres que j'ai eues à Bruxelles, je suis ressorti sur constat pessimiste, mais tout n'est pas encore perdu ! Lorsque nous nous battons pour défendre la place du français dans les institutions européennes, nous nous battons également pour que la diversité linguistique soit une des caractéristiques de l'Union. L'Europe est une entité géographique et politique qui se construit progressivement sur la base de volontariats, dans la négociation et non dans la lutte, à la différence d'un Etat nation. L'Union européenne se bâtit autour des diversités culturelles et linguistiques. Les nier serait nier le fondement même de l'Europe. Ne nous trompons pas de combat : ce n'est pas uniquement du français, et de son éventuelle prédominance qu'il est question. Notre devoir est, certes, également d'aider les autres langues à conserver leur place, leur statut, leur caractéristique, leur originalité au sein de l'Union. M. Pierre Forgues - Très bien ! M. Bruno Bourg-Broc - Nous devons faire évoluer le statut des langues et la France devra être le moteur de cette action, en ayant une attitude ouverte et positive : il ne faut pas jouer le même jeu que la langue anglaise, qui domine et écrase les autres, mais lutter pour la préservation de la diversité linguistique autant que de la diversité culturelle - ces combats sont d'ailleurs très proches. La langue est une composante essentielle de la culture et si l'Europe nie les langues, elle nie les cultures. Je suis convaincu que le destin de l'Europe se jouera autour de cette diversité ! L'Europe sera diversité ou ne sera pas. Cette préoccupation a heureusement été transcrite dans le projet de constitution. La France, par l'intermédiaire de Valéry Giscard d'Estaing, a obtenu que celui-ci stipule que « l'Union européenne respecte la diversité culturelle, religieuse et linguistique ». Pourtant, en travaillant à un rapport sur « le français dans les institutions internationales », j'ai pu constater à quel point cette diversité linguistique est menacée en Europe même, et lorsque j'ai présenté ce rapport à la commission culturelle de l'APF, j'ai constaté l'étonnement de mes collègues devant cet état de fait et leur volonté d'y remédier. Respecter la diversité linguistique, c'est d'abord assurer le plurilinguisme. L'exemple de l'Espagne montre que quand les élèves ont la possibilité d'étudier deux langues étrangères, le français devient en général la deuxième langue. Il faut donc offrir un choix plus large dans l'apprentissage des langues. Au passage, arrêtons de parler de « défense » de la langue française, préférons le terme de « promotion » de la langue française, beaucoup plus positif. La promotion d'une langue passe souvent par la connaissance de l'autre, c'est un échange libérateur. L'accueil des nouveaux pays au sein de l'Union européenne sera plus facile et chaleureux si chacun est assuré de ne pas perdre son identité culturelle et peut s'exprimer dans sa langue. C'est pourquoi, au nom du groupe UMP, j'approuve cette proposition de résolution. Garantir l'interprétation intégrale au Conseil européen est une nécessité impérieuse. Régulièrement, les parlementaires sont saisis par des citoyens las de la suprématie de l'anglais. Comment ne pas s'offusquer quand on découvre que les offres d'emplois au sein des institutions européennes sont, d'une part, rédigées en anglais, d'autre part, souvent réservées à des personnes de langue maternelle anglaise ? De même, comment ne pas s'indigner de la multiplication des appels d'offres en anglais ? Enfin, on peut constater les apports des différents droits, en fonction de la langue dans laquelle le document est rédigé. Ainsi, le traité de Nice, rédigé en français, porte l'empreinte du droit français. Il est temps d'agir en notre nom, et en celui des autres. La demande de respect de la diversité culturelle est très forte, il est de notre devoir d'y répondre. Chaque pays, à commencer par la France, doit être le premier ambassadeur de sa langue ; cela implique que les Français travaillant dans les institutions européennes utilisent leur langue. Je terminerai en rappelant quelques-unes des propositions qui figurent dans la résolution de Niamey. La politique en matière de diversité linguistique doit être réaliste, voire pragmatique. Il ne faut pas formuler de propositions trop coûteuses, ni heurter nos partenaires, sous peine de courir à l'échec. Mais il faut aussi savoir faire preuve de fermeté en exigeant l'application des textes et des consensus qui se sont dégagés au fil du temps, en veillant à l'usage du français par les fonctionnaires d'origine française. Dans cet esprit, je ferai diverses suggestions : développer la francophonie à Bruxelles, notamment en favorisant la vie culturelle francophone ; prendre contact avec les représentations permanentes des futurs membres de l'Union ; faire preuve de vigilance en matière de recrutement ; être présent dans les différentes structures ; favoriser l'apprentissage des langues tout au long de la vie professionnelle ; faire savoir aux citoyens et aux entreprises qu'elles n'ont pas à écrire en anglais aux institutions européennes ; insister en permanence pour préserver trois langues de travail, position qui semble recueillir un certain consensus. Il conviendrait, en particulier, d'exiger des candidats aux concours la parfaite maîtrise d'au moins deux de ces trois langues, en plus de leur langue maternelle, de conforter le trilinguisme modulaire - anglais-français-allemand ou anglais-français-espagnol -, de soutenir la création d'une école européenne d'administration préparant aux concours d'entrée des institutions européennes dans les trois langues de travail, de créer des classes d'immersion dans les différentes langues de l'Union européenne dès le niveau primaire. Ces propositions sont ambitieuses, mais il s'agit d'une démarche à mener dans la durée. Notre avenir est entre nos mains, le groupe UMP votera cette proposition (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Pierre Forgues - Le prochain élargissement de l'Union européenne, le projet de constitution européenne, le recul du français comme langue de travail dans les instances européennes sont à l'origine de cette proposition de résolution, adoptée à l'unanimité par la délégation à l'Union européenne. Il s'agit d'exprimer notre attachement au principe du plurilinguisme et de promouvoir le français comme l'une des langues de travail dans l'Europe élargie. Le principe de l'égalité des langues, relativement simple à mettre en _uvre lorsque la Communauté n'avait que quatre langues, est devenu de plus en plus difficile à respecter avec les élargissement successifs et les langues de travail se sont imposées. Toute langue est le support d'une culture et la culture est le bien le plus précieux de tout citoyen européen. Pourtant la culture est restée à la marge de la construction européenne, qui s'est concentrée sur le développement d'une union économique et monétaire. Il n'est donc pas surprenant que l'Europe soit trop souvent ressentie comme une menace pour la diversité des cultures et aujourd'hui il est essentiel qu'elle sache, au contraire, valoriser cette diversité. Elle ne saurait se réduire à un espace économique, générateur de réglementations que les citoyens ont souvent du mal à accepter. Chacun ne se sentira européen que si sa langue a toute sa place dans l'Union. Il ne peut donc pas y avoir d'harmonisation linguistique et culturelle dans le cadre d'une citoyenneté européenne. Il faut, au contraire, réaffirmer le principe du plurilinguisme et de l'égalité des langues, et le faire vivre. Mais comment ? Aujourd'hui y a onze langues officielles dans l'Union européenne, en mai prochain, il y en aura une vingtaine. Au Parlement, au Conseil européen, dans les réunions du Conseil des ministres, chacun s'exprime dans sa langue, et l'interprétation dans toutes les langues est assurée. En revanche, les réunions entre fonctionnaires se font dans les trois langues dites de travail - l'anglais, le français et l'allemand - ou en deux langues, - l'anglais et le français - et plus souvent encore en une seule langue - l'anglais. En effet, les élargissements successifs ont conduit à favoriser l'anglais, au détriment du français et de l'allemand. La majeure partie de la documentation de la Commission est rédigée en anglais, seule langue utilisée, d'ailleurs, lors des négociations d'adhésion. A la Banque centrale européenne, l'unique langue de travail est l'anglais. Comment faire face au défi logistique, technique et budgétaire que représente le principe d'égalité dans une Europe à vingt langues ? C'est un exercice très délicat. Le projet de constitution laisse le problème ouvert, se contentant d'affirmer que la Conseil des ministres devra adopter, à l'unanimité, un règlement européen fixant le régime linguistique des institutions de l'Union. Parmi les propositions avancées, nous retiendrons celle qui ferait passer le Parlement européen du plurilinguisme intégral à un « multilinguisme maîtrisé » autour de trois langues-pivots, l'allemand, l'anglais et le français. La Commission conserverait ses trois langues de travail actuelles, ce qui risque cependant d'être contesté par l'Espagne, l'Italie ou la Pologne... Sur quels critères définir une langue de travail ? Le seul qui s'impose est celui du nombre d'Européens qui la parlent. L'efficacité voudrait, d'autre part, qu'il n'y ait qu'une seule langue de travail, qui serait inévitablement l'anglais. Personne n'osera faire une telle proposition, que la France ne manquerait pas de récuser. La sagesse commande donc que l'on en reste au statu quo. Mais ce multilinguisme, si maîtrisé soit-il, devra au moins s'ouvrir à l'espagnol et à l'italien. En revanche, le Conseil de l'Union et le Conseil des ministres doivent obéir au régime d'interprétation intégrale. Maintenir le français comme langue de travail dans les institutions européennes ne suffira pas à assurer sa promotion, qui passe d'abord par l'apprentissage de deux langues dans tous les pays de l'Union. Pour la première, l'anglais s'imposera. Pour la deuxième, le français a de nombreux atouts, qu'il partage avec l'espagnol et l'allemand et, à un degré moindre, avec les autres langues européennes. M. Salles remplace M. Le Garrec au fauteuil présidentiel. PRÉSIDENCE de M. Rudy SALLES vice-président M. Pierre Forgues - Si le principe est celui de l'égalité de toutes les langues, Espagnols et Italiens pourraient revendiquer l'apprentissage d'une troisième langue. Ce raisonnement ne résiste donc pas à l'analyse. Il faudra aussi exiger des fonctionnaires européens qu'ils maîtrisent deux langues en plus de leur langue maternelle, et développer les échanges scolaires avec les autres pays de l'Union. Or, l'argent manque pour cela, et en ce domaine, les grands discours ne sauraient suffire. Enfin, nous devons accueillir des fonctionnaires européens dans notre pays pour des stages. Malgré nos bonnes intentions, la marche vers le monolinguisme dans les échanges de travail semble inexorable. Si elle se fait au profit d'une langue nationale, ce sera l'anglais. Pour parer à toute hégémonie ou discrimination, ne devrait-on pas promouvoir une langue non nationale comme deuxième langue ? Cette langue existe depuis plus d'un siècle : c'est l'esperanto. Cela peut paraître utopique, mais pas plus que l'euro il y a vingt ans ou la construction européenne il y a soixante ans. Cela relève de la raison et de la décision politique. Contrairement à ce que l'on pourrait croire, rien n'est jamais acquis. Avant le français, le latin fut la langue de travail et d'échange en Europe. Cela ne l'empêchera pas, bien au contraire, de péricliter et de mourir. Demain comme hier, les philosophes, les savants, les poètes, les artistes, les citoyens feront l'Europe, leur Europe, celle de leur culture, de leur langue, de leur identité, bref l'Europe humanisée au service du progrès économique et social, où chaque Européen se sentira chez lui : la mission des politiques est de les y aider (Applaudissements). M. Gilbert Gantier - Le groupe UDF se félicite que nous ayons une fois encore l'occasion de débattre de l'Europe, et sur un sujet essentiel : la diversité des langues au sein de l'Union européenne. Notre langue n'est pas seulement un ensemble de mots, c'est toute une culture, une manière de penser et même de vivre, bref, un héritage reçu de nos ancêtres et que nous avons le devoir de transmettre à notre tour. Si nous attachons tant de prix à la construction européenne, c'est parce que nous y voyons le seul moyen pour la France de demeurer une grande puissance et de nouer des relations de solidarité et d'amitié avec ses voisins. Ce qui fait l'originalité de cette construction européenne, c'est le multilinguisme : les autres organisations internationales ne reconnaissent qu'un nombre limité de langues officielles. Les pères fondateurs de l'Europe, Jean Monnet, Robert Schuman, Konrad Adenauer, Alcide De Gasperi, étaient particulièrement attachés à ce pluralisme linguistique que nous nous devons aujourd'hui de reprendre à notre compte. Or, la perspective de l'élargissement rend la question de la diversité linguistique très épineuse. Dans notre Europe à quinze, il n'existe pas moins de onze langues officielles et de travail. C'est déjà beaucoup, voire trop. Demain, avec l'élargissement à vingt-cinq, l'horizon linguistique s'ouvrira à neuf langues supplémentaires, du hongrois au polonais, du tchèque au maltais. Nous devrons compter avec pas moins de vingt langues ! Le rapporteur l'a montré, les difficultés liées à la traduction et à l'interprétation de toutes ces langues ne sont pas seulement financières, mais aussi techniques et matérielles. Si le service européen d'interprétation est la plus grosse machine à interpréter au monde, le coût en reste supportable. Le problème porte davantage sur des questions techniques, en particulier le recrutement de traducteurs et d'interprètes dans les nouvelles langues : il n'existe pas de traducteurs maltais parlant le finnois ! (Sourires) Nous considérons, à l'UDF, que le régime d'interprétation intégrale doit être maintenu au Conseil européen et lors des réunions ministérielles du Conseil de l'Union. Tout représentant du peuple a le droit de s'exprimer dans sa langue maternelle. Il est également souhaitable de pérenniser les régimes linguistiques des réunions sur la politique étrangère et de sécurité commune - l'anglais et le français - et des réunions du comité des représentants permanents, les réunions des ambassadeurs des Etats membres - l'anglais, le français et, dans une moindre mesure, l'allemand. Sur ces systèmes linguistiques, il existe un consensus fondé sur une pratique ancienne : il nous faut le conserver. Quant aux réunions des autres groupes de travail du Conseil, il est souhaitable d'aboutir à un accord tenant compte des principes du pluralisme linguistique et de l'efficacité politique et administrative, ainsi que du coût. Le groupe UDF s'oppose fermement à la généralisation des réunions sans interprétation, qui favoriserait l'utilisation d'une seule langue, contrairement au principe du multilinguisme. La solution qui s'impose serait un régime « asymétrique » : chacun pourrait parler dans sa langue maternelle mais les débats ne seraient traduits que dans un nombre limité de langues de travail. Il faut donc en fixer le nombre. L'essentiel est de maintenir le principe selon lequel chacun doit pouvoir s'exprimer dans sa langue, même s'il sera difficile d'empêcher l'utilisation d'une langue véhiculaire, aujourd'hui l'anglais, qui risque de s'imposer plus encore après l'adhésion des nouveaux membres. L'enjeu de notre discussion d'aujourd'hui est donc la place du français. Il s'agit non seulement de répondre au défi linguistique que représente l'élargissement, mais aussi de promouvoir le français par une démarche volontariste. Comment ne pas être choqué que Malte soit le seul pays candidat où le français est plus enseigné que l'allemand ? L'avenir du français dans le monde se joue désormais en Europe. C'est pourquoi une politique ambitieuse doit être menée pour le défendre, mais aussi pour le promouvoir. Il faut en particulier défendre l'idée d'une deuxième langue étrangère obligatoire : elle peut être un bon moyen de promouvoir d'autres langues que l'anglais. Il nous faut également encourager l'accueil en France d'étudiants étrangers. Garantir le plurilinguisme, défendre les langues minoritaires - y compris certaines langues régionales - constitue également un moyen de promouvoir le français. Au moment où nous parlons de la diversité des langues nationales, nous ne pouvons passer sous silence la question des langues régionales. La défense du plurilinguisme est un moyen de maintenir et de développer les traditions et la richesse culturelles de l'Europe. La protection et la promotion des langues nationales comme des langues régionales contribue en effet à la construction d'une Europe fondée sur les principes de la démocratie et de la diversité culturelle. Mais il s'agit surtout de défendre notre langue contre l'usage, qui tend à s'imposer, d'un anglais utilitaire bien éloigné de celui des grands auteurs de langue anglaise. Or cette dérive est aussi liée au développement d'une « a-culture » hélas caractéristique de notre époque. La défense du français est donc aussi un élément essentiel de la sauvegarde de la culture européenne dans ce qu'elle a de plus universel. Je rappelle à cet égard que le roi d'Espagne et le Premier ministre de Grande-Bretagne ont tenu à s'exprimer en français à cette tribune, rendant ainsi à notre langue l'hommage qui lui est dû. C'est dans cet esprit que le groupe UDF approuve cette proposition de résolution et souscrit à ses trois objectifs : garantir un plurilinguisme maîtrisé, promouvoir la langue française et développer l'apprentissage des langues étrangères dans les systèmes éducatifs européens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Jacques Brunhes - A travers cette proposition de résolution, deux questions indissociables sont posées. La première concerne le défi linguistique que représente un élargissement qui pourrait consolider la progression de l'anglais au sein des institutions européennes, la deuxième a trait à la place du français dont le recul, tout aussi net depuis le début des années 1990, pourrait s'intensifier. Face à cet enjeu, ce texte préconise à la fois le respect du plurilinguisme sous une forme maîtrisée et une démarche volontariste de promotion de notre langue. Certes, mon groupe soutiendra cette démarche. Mais permettez-moi de faire d'emblée deux observations. D'abord, les v_ux, sans moyens, restent pieux et la réaffirmation de principes justes, même mille fois répétés, ne donne pas les résultats escomptés si l'essentiel ne suit pas. En l'espèce, l'essentiel, c'est de conduire une politique dynamique ambitieuse, assise sur les moyens adéquats dans tous les domaines qui font le rayonnement de notre culture. Loin de moi l'envie de polémiquer avec mon ami Pierre Forgues, mais, pour moi, la langue est l'élément constitutif de la nation à laquelle nous sommes viscéralement attachés. Elle ne peut être un vague esperanto ou un quelconque volapük étranger à notre histoire, à notre culture, à notre école, à notre pays et à notre continent. Au reste, l'avenir du français ne se joue pas, n'en déplaise à notre rapporteur, qu'en Europe : il se joue d'abord en France et aussi dans le monde entier. Depuis fort longtemps, mon groupe se bat en faveur de la diversité culturelle et linguistique et pour la promotion du français car ces deux enjeux constituent les deux fronts d'un même combat contre l'uniformisation du monde et la domination du modèle anglo-saxon. Dans cette perspective, le pluralisme linguistique n'est pas un handicap, car il permet de dépasser l'affrontement stérile car perdu d'avance entre le français et l'anglais. Il est vrai que l'équilibre à atteindre n'est pas aisé, comme l'atteste la situation communautaire, cependant même que l'Union consacre le principe d'égalité des langues officielles de l'Union. Las, ce régime est plus ou moins théorique en fonction des règles retenues par chaque institution faisant que certaines langues sont « plus égales » que les autres... Mais au-delà des distinctions d'usage entre elles, une réalité incontournable nous interpelle : le rôle croissant de l'anglais et le déclin parallèle du français, accentué depuis 1995. Nous en avons de multiples exemples : chute libre des documents de la Commission initialement rédigés en français ; sites internet des institutions disponibles uniquement en anglais tel celui de la Banque centrale européenne ; appels d'offres rédigés en anglais, annonces de recrutement spécifiant que les candidats doivent obligatoirement être de langue maternelle anglaise... La situation risque encore d'empirer avec l'élargissement aux Dix et le passage d'onze langues officielles à vingt ou vingt et une. Il est à craindre que face aux problèmes matériels que posera une telle évolution, le principe juridique d'égalité devienne un peu plus théorique encore et que, de fait, s'instaure un régime de domination sans partage de l'anglais. Rappelons en effet que cette langue est maîtrisée par une très forte proportion des étudiants de la nouvelle Europe et qu'elle était la langue unique des négociations d'adhésion. Elle est la première langue étrangère parlée par 82 % des 162 observateurs au Parlement européen, issus des futurs pays adhérents. J'ai observé avec effarement que le français n'était parlé que par 4 % d'entre eux, contre 14 % pour l'allemand ! Ce constat n'est d'ailleurs que le reflet de la situation de notre langue dans le système éducatif de ces pays, où elle arrive en troisième position, dans quasiment tous les cas, loin derrière l'allemand ! Dans ces conditions, les mesures que contient la résolution sont certes utiles, mais elles restent très insuffisantes eu égard à la situation critique de notre langue et aux défis qu'elle doit affronter. L'avenir du français, contrairement à ce qu'affirme le rapporteur, ne se joue pas essentiellement en Europe mais d'abord au plan national. Il dépend des moyens donnés à l'école pour l'apprentissage du français et des langues étrangères, du rayonnement de notre culture dont l'appauvrissement est synonyme d'appauvrissement de la langue, de l'état de notre recherche, de la valorisation de notre potentiel économique, soit autant de domaines où la politique gouvernementale est désastreuse et tend à renforcer l'omniprésence de l'anglais, déjà bien ancrée dans les sciences, dans l'informatique, dans les techniques. Nous en sommes au point où le français risque de devenir un dialecte dans notre propre pays. L'avenir du français se joue aussi à l'échelle internationale, où le constat du déclin, dressé dans de nombreux rapports d'information remis ces dernières années au Premier ministre ou au Parlement, est sans appel. Ainsi, aux Nations unies, le français, pourtant langue officielle, recule en faveur de l'anglais dont l'usage est prépondérant dans le travail quotidien, à New York, à Vienne et même à Genève ! Les enjeux linguistiques sont vitaux et nous ne pouvons nous résigner à un déclin qui n'a rien de fatal. En effet, notre langue ne manque pas d'atouts : 160 millions de locuteurs répartis sur les cinq continents, un riche réseau de promotion de la francophonie, le véhicule de valeurs universalistes et une incomparable créativité. La défense de la langue est affaire de volonté politique et celle-ci se jauge à l'aune des mesures effectivement mises en _uvre pour contrer les difficultés. Il est urgent de conduire une réflexion globale, bien au-delà des propositions lacunaires pour répondre au défi de l'élargissement de l'Union, sur l'ensemble des causes de ce déclin et sur celles de l'efficacité limitée de l'action gouvernementale en la matière. Cela m'avait conduit à déposer une proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur les politiques publiques de promotion de la langue française. Las, elle n'a pas été reprise par la commission des affaires culturelles, au motif sans doute que bien des initiatives avaient déjà été prises à ce sujet depuis le début des années 1980. Il reste que nous manquons toujours d'une vision synthétique et globale de ces enjeux alors que nous sommes très nombreux sur ces bancs, dans tous les groupes, à vouloir défendre avec acharnement la place du français dans le monde. M. le Président - Il faut conclure. M. Jacques Brunhes - Pour reprendre la belle formule du délégué général à la langue française, il faut attiser le désir du français et ne jamais se résigner au désenchantement qui semble pouvoir gagner le reste du monde à son endroit. Le désir du français est indissociable du regard porté sur nos valeurs. Plus la France sera porteuse d'un projet alternatif au schéma libéral dominant, plus elle défendra les valeurs de solidarité et d'égalité des cultures, plus elle répondra à sa vocation de promoteur inlassable des valeurs humanistes, plus la place de notre langue dans le monde sera confortée (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste). M. Céleste Lett - La perspective de l'élargissement du 1er mai prochain et le projet de constitution européenne élaboré par la Convention sur l'avenir de l'Europe ont remis sous les feux de l'actualité les enjeux linguistiques, qu'il s'agisse de l'utilisation des différentes langues officielles des Etats membres ou de la place des langues régionales. Dès l'origine de la construction européenne, la Communauté a édifié un ensemble juridique particulièrement protecteur de la diversité linguistique, en affirmant l'égalité des langues officielles et en soutenant les langues régionales. Pour l'Union, la pluralité linguistique constitue une richesse sans équivalent. Le fait que chacun se voit reconnaître le droit de s'exprimer dans sa propre langue participe du fonctionnement démocratique des institutions communautaires. Parallèlement, la reconnaissance des langues régionales - souvent langues internationales ou langues reconnues officiellement dans d'autres Etats, tels le catalan en Espagne - témoigne de l'orientation tolérante et respectueuse de l'altérité dont est porteuse l'oeuvre communautaire. La valorisation du français au sein de l'Union passe par la reconnaissance de nos langues régionales à l'intérieur de nos frontières. Il serait vain de revendiquer une place prépondérante pour notre langue si nous sommes incapables de reconnaître toutes celles qui vivent sur notre propre sol. La France a signé la charte des langues régionales ou minoritaires. Elle se doit désormais de trouver les voies de sa ratification. Au-delà des dispositions en faveur de la langue française concernant les fonctionnaires et les diplomates, son enseignement, ou les activités culturelles en français en Europe, la France serait à la hauteur de sa mission en Europe et dans le monde en servant de modèle pour le développement du plurilinguisme. Il est souhaitable que l'enseignement obligatoire de deux langues vivantes devienne une norme européenne, et que les langues des nouveaux pays membres soient largement enseignés dans l'Union. D'autre part, une large information des citoyens français sur l'utilité de cette diversité, et la mise en place d'une large palette de langues proposées à l'enseignement en France - y compris en tant que « langue vivante 1 », pour éviter le monopole impérial de l'anglais - sont souhaitables. Cela suppose une démarche volontariste, tout comme le pôle européen de formation initiale et continue peut aussi être envisagée et pourquoi pas à Strasbourg ? Pour ce qui est des langues régionales, M. le ministre de la culture, lors des premières assises nationales des langues de France le 4 octobre, a souhaité que des initiatives parlementaires permettent l'expérimentation de nouveaux dispositifs dans le cadre de la décentralisation. Il a également souhaité qu'un statut législatif et réglementaire pour les langues régionales vienne combler le vide actuel. Aujourd'hui leur présence dans le cadre réglementaire se limite à l'enseignement. Deux dispositifs existent : soit un enseignement extensif de deux heures, soit un enseignement bilingue paritaire de treize heures dans chaque langue. Cet enseignement ne doit pas se concevoir seulement comme une initiation, mais aussi développer l'apprentissage bilingue précoce dès la maternelle, permettant l'utilisation de la langue seconde pour l'acquisition de différentes matières. Ce sont les méthodes utilisées par les écoles françaises à l'étranger. A titre d'exemple, je citerai les dialectes alémanique et francique en Alsace-Moselle, et leur forme standard, le haut-allemand, utilisé par plus de cent millions de locuteurs. Il importe d'introduire une troisième langue vivante dès la sixième. Ces innovations, en France, permettront à la langue nationale de connaître un nouveau développement dans l'Europe des Vingt-Cinq. Mais ces enseignements devront se développer plus vite qu'aujourd'hui, avec une réglementation plus contraignante à l'égard de l'éducation nationale. Toutes ces avancées traduiront le respect d'une tradition plurilingue et d'un enjeu où la France doit s'investir fortement pour être digne du rôle de moteur européen (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Pierre Forgues - Très bien ! La discussion générale est close. M. le Rapporteur de la délégation - L'amendement 1 a pour but de tenir compte de l'évolution intervenue depuis l'adoption du texte par la délégation. En effet, la Commission européenne a récemment approuvé les termes du compromis intervenu le 19 mai dernier, tendant à introduire dans le statut des fonctionnaires européens l'obligation de maîtriser deux langues vivantes, en plus de leur langue maternelle. L'amendement propose donc une nouvelle rédaction du troisième alinéa du V de l'article, demandant au Gouvernement de veiller à ce que les termes de ce compromis soient transcrits dans le statut des fonctionnaires, et que celui-ci prévoie une procédure objective d'évaluation des compétences linguistiques. L'amendement 1, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. M. le Rapporteur de la délégation - L'amendement 2 tend à supprimer l'avant-dernier alinéa du V. Celui-ci est devenu sans objet depuis que la délégation s'est prononcée, le 23 octobre, sur la proposition de règlement du Conseil modifiant le statut des fonctionnaires européens. L'amendement 2, accepté par la commission et par le Gouvernement, mis aux voix, est adopté. L'article unique, ainsi modifié, mis aux voix, est adopté. M. Pierre Forgues - Je souhaite faire une mise au point sympathique, dans un débat qui a été serein, et où chacun s'est exprimé dans sa langue, en évitant la langue de bois (Sourires). M. Brunhes ne m'a pas bien compris. Quand il dit que la langue est constitutive de la nation, j'irai plus loin : elle est constitutive de l'individu. Je ne propose pas que l'espéranto se substitue, par exemple, au gascon, qui est ma langue maternelle. Je demande, pour éviter toute hégémonie d'une langue nationale et tout conflit que l'esperanto puisse être une deuxième langue de travail, que connaîtraient tous les Européens. Cela conforterait toutes les autres langues. Moi qui ai été un défenseur de la langue gasconne, me voici occupé ici, par un étrange retour de l'histoire, à défendre la langue française... L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques. M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Le présent projet répond à la double nécessité d'adapter le statut des professions judiciaires et juridiques aux mutations de la dernière décennie, et de les préparer à affronter de nouveaux défis. Cette réforme doit garantir à nos concitoyens le recours à des professionnels toujours mieux formés, plus compétents et animés d'une forte rigueur déontologique. C'est au prix de ces efforts d'adaptation que nos professionnels montreront leur capacité à répondre à une demande croissante de droit et affronteront avec succès une concurrence toujours plus vive. Fruit d'une étroite concertation, ce projet a été enrichi par les débats au Sénat et adopté dans un large esprit de consensus. Il tend principalement à rénover la formation professionnelle des avocats, à adapter le droit disciplinaire de plusieurs professions, et à améliorer le recrutement et la déontologie des experts. Le travail accompli par votre commission des lois, et pour lequel je remercie son président ainsi que le rapporteur Mme Barèges, contribuera, j'en suis certain, à l'améliorer encore. Considérons d'abord l'économie générale du texte. Il aborde en premier lieu la formation des avocats, à laquelle je suis attentif, car l'avenir d'une profession dépend essentiellement du recrutement de ses membres et de leur formation. Nous avons donc travaillé à mettre plus de cohérence dans l'organisation de la formation initiale des avocats, en supprimant le stage et en allongeant la durée de l'enseignement dispensé dans les centres régionaux de formation professionnelle. Pour ceux qui s'interrogent encore sur ces choix, je rappelle qu'ils ont été, dès l'origine, non seulement partagés mais inspirés par les représentants de la profession, et notamment par des délibérations réitérées du Conseil national des barreaux. Ces dernières ont durement critiqué les carences du stage, sous sa forme actuelle : ambiguïté du statut du stagiaire, faiblesse du contenu pédagogique du stage, pénurie de stages, position d'infériorité de l'avocat stagiaire lors de la négociation des termes de sa collaboration... A quoi j'ajouterai que le dispositif actuel, par son caractère hybride, offre au stagiaire, peu de garanties de bénéficier d'une véritable formation pratique. Tout au plus est-il « jeté à l'eau » avec les conseils plus ou moins attentifs d'un « patron » souvent peu disponible. A ces difficultés il convenait de remédier. Le projet organise une véritable formation en alternance qui permettra à l'élève avocat d'acquérir, en dix-huit mois, l'ensemble des connaissance dont il aura besoin dans sa pratique quotidienne. L'allongement de la durée de la formation permettra d'en faire une période d'intégration professionnelle à part entière. Enfin, le rôle du Conseil national des barreaux en matière d'harmonisation des programmes et de coordination des actions pédagogiques a été renforcé. Mais il ne suffit pas de sélectionner les talents : il faut qu'ils puissent se développer au fil du temps. Le Sénat a donc eu raison de compléter les avancées considérables du projet en matière de formation initiale en introduisant une obligation de formation continue pour tous les avocats. Ce sera pour la profession un gage de qualité supplémentaire, la garantie de compétences renouvelées dans des spécialités juridiques qui tendent à se diversifier de plus en plus. Restait à délimiter les contours de cette obligation nouvelle et à préciser le rôle qu'y jouerait le Conseil national des barreaux. Votre commission des lois propose de renvoyer la définition du contenu de la formation à un décret en Conseil d'Etat, de confier au Conseil national des barreaux la détermination des modalités de mise en service de l'obligation. Cette répartition des compétences m'apparaît équilibrée et pragmatique. Le deuxième axe de ce projet traduit la volonté du Gouvernement de renforcer la confiance des usagers de la justice envers les professions judiciaires et juridiques. Qu'il s'agisse des avocats ou des notaires, le texte issu du Sénat vise à renforcer l'impartialité des organes chargés de la discipline en redéfinissant leur compétence territoriale. Pour les avocats, un conseil de discipline institué auprès de chaque cour d'appel se substitue aux conseils de l'ordre traditionnellement compétents. Le dispositif proposé renforce les garanties d'impartialité : il encadre le régime de la suspension provisoire, et limite la saisine du conseil de discipline par les seules autorités de poursuite que sont le bâtonnier et le procureur général. S'agissant des notaires, le Sénat a adopté deux amendements du Gouvernement, qui modernisent leur régime disciplinaire, dans le même esprit que pour la profession d'avocat. Pour garantir l'impartialité de la formation de jugement, la compétence disciplinaire jusque-là dévolue à la chambre départementale est désormais confiée au conseil régional siégeant en chambre de discipline. Les règles générales relatives à la discipline des officiers publics et ministériels ne sont évidemment pas modifiées. Le syndic de la chambre départementale conserve donc ses attributions en matière de poursuites. Le Gouvernement a ainsi choisi de régionaliser la fonction disciplinaire sans rompre le lien avec l'échelon de proximité que constitue la chambre départementale des notaires. Pour les greffiers des tribunaux de commerce, et afin d'améliorer l'exercice de la discipline, le projet élargit l'échelle des sanctions disciplinaires. La discussion au Sénat a permis d'avancer, d'autre part, sur la question délicate de la confidentialité des correspondances échangées entre avocats, dont la Cour de cassation avait estimé, sur le fondement des dispositions de la loi du 31 décembre 1971, que le principe de confidentialité les couvrait entièrement. Or, cette situation présente de graves inconvénients pratiques. Un avocat doit pouvoir produire le courrier d'un confrère valant acquiescement, désistement ou offre transactionnelle. Aussi, l'amendement adopté au Sénat a-t-il introduit une dérogation au principe de confidentialité pour les correspondances entre avocats portant la mention « officielle ». Le Gouvernement a décidé d'améliorer le recrutement et de renforcer la déontologie des experts judiciaires. Sans vouloir leur conférer le statut de profession réglementée, le Gouvernement entend renforcer le contrôle des magistrats sur leurs compétences techniques et leurs aptitudes à exercer leur mission, qui seront évaluées périodiquement. Corrélativement, la réinscription sur la liste unique des experts perd tout caractère automatique. Sur ce point, le texte adopté par le Sénat opère une meilleure distinction entre le régime de cessation volontaire de l'activité d'expert judiciaire et la radiation pour cause d'incapacité ou de sanction disciplinaire. Dans un souci de transparence et de sécurité, le Sénat, à l'initiative du Gouvernement, a introduit deux dispositions intéressant l'intervention des experts dans les ventes volontaires de biens aux enchères publiques. Sur l'ensemble de ces dispositions, l'important travail accompli par votre rapporteur et par votre commission permet d'augurer un nouvel enrichissement du texte. Sur la formation des avocats, le projet initial proposait, pour les rares avocats s'installant directement après l'école, un tutorat. Votre commission vous propose de le supprimer car la profession s'est inquiétée du risque que ce tutorat devienne prétexte à solliciter du jeune avocat l'exécution de tâches au profit du tuteur. C'est pourquoi je me rallierai sans réserve à sa suppression, et engagerai la préparation d'un texte réglementaire destiné à renforcer la formation des jeunes avocats en matière de déontologie. Votre commission a également approfondi la réflexion sur les holdings et les réseaux pluri-disciplinaires. En effet, les professions juridiques et judiciaires, et en particulier les avocats, évoluent sous la double influence de la construction européenne et de l'internationalisation des échanges, de sorte que le besoin d'une adaptation se fait sentir, qu'il s'agisse du périmètre d'activité, de la rémunération, de la promotion des cabinets français à l'étranger, ou des structures facilitant l'exercice professionnel. L'amendement de M. Houillon, adopté par votre commission, tend ainsi à modifier l'article 31-1 de la loi du 31 décembre 1990, et à améliorer le statut des sociétés de participations financières de professions libérales. C'est donner une réelle portée aux avantages attendus de la holding, favoriser une dynamique de groupe et permettre aux professionnels de prendre des participations dans des groupements étrangers. Le Gouvernement approuve ces améliorations, tout comme l'amendement de votre commission qui impose aux avocats de mentionner leur appartenance à un réseau pluridisciplinaire national ou international. Cette obligation, qui fait écho aux dispositions de la loi « de sécurité financière » du 1er août 2003, permettra non seulement de garantir une meilleure information de la clientèle mais aussi de contrôler plus efficacement le respect de l'indépendance et de la déontologie par l'avocat exerçant au sein d'un réseau. Au total, il ne s'agit ni de stigmatiser, ni d'ignorer les réseaux pluridisciplinaires dans un marché du droit désormais mondial, mais de veiller aux garanties déontologiques qui les accompagnent. Enfin, votre rapporteur a introduit une disposition judicieuse tendant à sécuriser les fonds détenus par les huissiers de justice pour le compte de leurs clients. En effet, comme une décision de justice récente l'a fait apparaître, le principe de fongibilité des sommes déposées par un officier ministériel sur un compte bancaire rend pratiquement impossible la preuve que certaines de ces sommes appartiennent à des tiers, de sorte qu'elles peuvent être saisies indistinctement par les créanciers des professionnels. C'est pourquoi il est indispensable d'imposer le dépôt des fonds de tiers sur un compte séparé. Enfin, le Gouvernement a déposé un amendement en vue de transposer la directive du 4 décembre 2001 relative à la prévention de l'utilisation du système financier aux fins du blanchiment de capitaux, fléau contre lequel tout Etat de droit doit lutter ardemment. La directive associe les membres des professions juridiques aux mécanismes de prévention du blanchiment d'argent. Aux yeux des avocats, cet impératif démocratique se heurte au principe du secret professionnel qui est au c_ur de leur statut, et auquel je suis très attaché. Il nous fallait donc aménager un régime particulier pour les avocats, les avoués et les avocats aux conseils, s'agissant, d'une part, du champ de la déclaration de soupçon et, d'autre part, des modalités de transmission de cette déclaration. Depuis un an, j'ai à cet effet engagé avec la profession une intense concertation et nous sommes parvenus ensemble au texte de transposition que je vous soumets et qui tend à combiner la lutte contre le blanchiment et le respect du secret professionnel. Ainsi la déclaration de soupçon ne s'appliquera pas aux informations obtenues dans le cadre de l'activité judiciaire de l'avocat. De plus, toute information obtenue dans le cadre d'une consultation juridique sera exclue du champ de la déclaration de soupçon, sauf, bien entendu, si le professionnel a la volonté d'aider à blanchir. Seule la rédaction d'actes juridiques pourra constituer l'occasion d'une déclaration de soupçon, dans les domaines limitativement énumérés par la directive. A la demande de la profession, il est prévu que l'avocat communique sa déclaration à son bâtonnier, à charge pour celui-ci de la transmettre à TRACFIN, sauf s'il considère qu'il n'existe pas de soupçon de blanchiment. Enfin, l'avocat pourra, une fois qu'il aura saisi TRACFIN, informer son client de cette saisine. Au total, nous avons trouvé, j'en suis convaincu, le point d'équilibre entre la préservation du secret professionnel et la lutte nécessaire contre le fléau du blanchiment. En outre, le dispositif permettra aux professionnels de se prémunir contre toute tentative d'utilisation abusive de leurs compétences et de leur statut aux fins de blanchiment. Les professions judiciaires et juridiques, qui participent pleinement au service public de la justice, sont des interlocuteurs quotidiens des cours et tribunaux et, auprès d'eux, les interprètes incontournables de nos concitoyens qui, parfois mal à l'aise face au monde du droit et de la justice, expriment néanmoins un besoin toujours plus pressant de sécurité juridique. Améliorer les conditions d'exercice des métiers du droit et renforcer leur déontologie garantira cette sécurité et répondra à l'attente exprimée. Notre travail commun pour enrichir le projet servira, j'en suis sûr, cet objectif (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Mme Brigitte Barèges, rapporteure de la commission des lois - Adopté par le Sénat le 2 avril dernier, ce projet visant à l'origine cinq catégories professionnelles : avocats, greffiers des tribunaux de commerce, huissiers de justice, conseils en propriété industrielle, experts judiciaires, a été élargi aux notaires et aux experts en ventes aux enchères publiques. En dépit de cette diversité, le texte est bâti de façon cohérente autour de deux axes forts : volonté d'adapter les modalités d'accès à ces professions, ainsi que la formation, gage d'une compétence et d'une professionnalisation accrues : renforcement de la déontologie et de la discipline, conditions d'une confiance retrouvée. Ce projet était très attendu par les professionnels. Il est le fruit d'une étroite concertation avec eux et les auditions ont été constructives et consensuelles. Cette loi permet aussi à la France de se mettre en conformité avec plusieurs directives européennes. Je m'en réjouis car ces professions seront ainsi plus concurrentielles, en Europe mais aussi dans le monde entier. S'agissant donc, en premier lieu, des modalités d'accès à ces professions, et plus particulièrement à celle d'avocat, le texte transpose en droit français la dernière des trois directives, celle du 16 février 1998, résultant de longues négociations, qui rend effectif le principe de libre circulation des avocats. Ainsi, les ressortissants des Etats membres de l'Union auront désormais la possibilité d'exercer de façon permanente cette profession en France. La commission s'est davantage préoccupée des dispositions relatives à la formation professionnelle. Dans le système actuel, après l'examen d'entrée au centre régional de formation, l'étudiant y suit un an de préparation pratique pour passer le CAPA avant d'effectuer deux ans de stage auprès d'un professionnel pour obtenir le certificat de fin de stage. Or, compte tenu du doublement des effectifs de 1990 à 2003, dû notamment au regroupement avec la profession de conseil juridique, il est devenu très difficile à tous ces élèves de trouver des contrats de collaboration, ce qui a conduit à supprimer le stage, auquel j'étais personnellement attachée. En contrepartie d'une formation plus longue, la commission vous proposera, pour les mêmes raisons, de supprimer le tutorat. Parallèlement au contrôle de la formation continue obligatoire instauré par le Sénat et que nous souhaitons voir confié au conseil de l'ordre, nous demanderons à la Chancellerie de dresser, au bout de trois ans, un rapport d'évaluation pour vérifier si ces mesures donnent satisfaction. La commission a aussi souhaité mieux préciser la répartition des compétences en matière de formation professionnelle. C'est désormais un décret en Conseil d'Etat qui en fixera le contenu, les modalités relevant du Conseil national des barreaux. En ce qui concerne les experts, nous nous réjouissons que le nouveau système d'inscription tienne compte de la spécialisation des contentieux et de la technicité des matières. Il répond à leur attente comme à celle des magistrats car le processus actuel de nomination ne garantit pas une bonne sélection des candidats. Il était donc nécessaire d'améliorer le dispositif adopté en 1991, en prévoyant, après une période probatoire, l'inscription sur une liste pendant cinq ans pour la Cour d'appel et sept ans pour la Cour de cassation. On évitera ainsi les « experts-ventouses »... La profession a bien accueilli ce projet et elle a demandé que les magistrats soient tenus de nommer les experts inscrits sur les listes et, à défaut, de motiver leur décision. La commission l'a suivie sur le premier point, le second lui paraissant contraire à la liberté des magistrats et propice aux contentieux dilatoires. Nous proposons également que les experts hors liste prêtent serment, ce qui renforcera la déontologie de cette profession. J'en viens à la discipline, à la déontologie et à la transparence. Pour les avocats, la déontologie, pleinement intégrée dans leur pratique, fonde l'estime mutuelle de ceux qui se désignent sous le beau vocable de « confrères ». Mais, au-delà de ce code d'honneur, le respect de la déontologie c'est aussi le moyen de protéger l'image de cette profession, de mettre en valeur la qualité de ses prestations. Cette loi a vocation à appliquer l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme, qui prévoit la séparation des autorités de poursuite et de jugement en matière disciplinaire. La commission souhaite toutefois que l'on tienne compte de la spécificité du barreau parisien. S'agissant de la suspension provisoire pour manquement professionnel, nous avons ajouté au critère d'urgence celui de protection du public. Nous souhaitons également que l'avocat soit tenu de préciser son appartenance à un réseau multidisciplinaire. Enfin, l'impossibilité pour les avocats étrangers de participer à une juridiction ne devrait pas viser la fonction arbitrale. Je me réjouis vivement de l'amendement du Gouvernement destiné à transposer la directive relative à la lutte contre le blanchiment. J'avais été profondément mortifiée quand la Commission européenne avait « épinglé » la France, comme étant l'Etat le plus corrompu d'Europe. Il était impératif de corriger cette image et de transposer cette directive, quand bien même la déclaration de soupçon imposée aux avocats se heurtait au principe intangible du secret professionnel, tradition spécifiquement française. Les négociations que vous avez personnellement menées avec la profession, Monsieur le Garde des Sceaux, ont permis fort heureusement d'aboutir à un consensus. Ainsi notre Parlement sera-t-il le seul à avoir intégralement transposé la directive tout en reconnaissant le caractère singulier du secret professionnel. Je reviendrai dans le cours du débat sur les raisons qui nous font proposer le retrait de l'amendement Fauchon, relatif à l'exécution immédiate des jugements de première instance. Je veux, enfin, vous faire part de la gratitude de l'ensemble des professionnels que j'ai auditionnés. Tous ont compris que la confiance est au c_ur de leur activité car elle est un facteur de sécurité juridique et de compétitivité. Dans leur diversité, ces professionnels puisent leur force et leur unité dans un engagement invariable au service de l'homme et d'une éthique toujours plus vivace (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Patrick Braouezec - Ce projet ne concerne pas moins de cinq professions. Il regroupe des mesures éparses, sans cohérence ni vision d'ensemble de notre système juridique et judiciaire. Si les mesures proposées répondent en partie aux attentes des professionnels, je tiens à vous faire part de certaines réticences. Les nouvelles dispositions relatives aux greffiers de commerce, aux experts judiciaires et aux conseils en propriété industrielle encouragent ces professions à gagner en déontologie. Le texte élargit les sanctions disciplinaires, améliore la sélection des experts judiciaires, institue l'obligation de secret pour les professionnels conseillant les entreprises dans la protection et la défense de leur patrimoine intellectuel. Nous sommes favorables à ces mesures. De même, le projet renforce le rôle du Conseil national des barreaux, en élargissant ses missions de formation et de déontologie. A sa tâche d'harmonisation des programmes des enseignements s'ajouteront la coordination et le contrôle des actions de formation. Ces dispositions vont dans le sens de l'unité de la profession, nous ne pouvons que les approuver. Les mesures concernant la discipline et la déontologie des avocats sont une mise en conformité de notre législation avec l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme et reprennent, pour l'essentiel, des propositions du Conseil national des barreaux. Elles visent à garantir l'impartialité de l'organe délibérant, à éviter les effets de proximité, et à encadrer le régime de suspension provisoire. Ces dispositions étaient indispensables. Nous sommes, en revanche, plus que réservés sur le droit conféré aux huissiers de justice de consulter directement le fichier des comptes bancaires, initialement créé pour la seule administration fiscale, et cela alors même que les personnes inscrites dans ce fichier n'y ont pas accès. C'est une dérive préoccupante, qui s'ajoute à la liste déjà longue des atteintes aux libertés individuelles commises par ce gouvernement. La disposition la plus notable du projet est sans doute la transposition de la directive du 16 février 1998, autorisant tout avocat ressortissant de l'Union européenne à exercer sa profession en France sous son titre d'origine. Mais cette égalité est bien trompeuse, la France posant des conditions bien moins contraignantes que ses voisins pour l'exercice de cette profession. Pour que les futurs avocats puissent exercer dans d'autres pays membres, de gros efforts seraient à fournir en matière d'apprentissage des législations et procédures de ces pays, mais aussi du droit communautaire et des langues étrangères. Vous arguez, Monsieur le Garde des Sceaux, de l'obligation d'appliquer les textes européens. Mais différentes lois adoptées par votre majorité ne se sont pas embarrassées de ces considérations et ont ignoré sans complexe les articles de la convention européenne des droits de l'homme s'opposant à la reconnaissance préalable de culpabilité, à la pénalisation de la prostitution, ou encore à l'allongement de la durée de rétention des étrangers. En outre, cette mesure risque de renforcer encore l'emprise du droit anglo-saxon sur nos procédures et du critère de rentabilité dans le choix de la clientèle des cabinets d'avocats. S'agissant de la formation des avocats, le projet remplace la formation théorique d'un an, suivie de deux années de stage en cabinet, par une formation en alternance de dix-huit mois dans le cadre d'un contrat d'apprentissage. L'objectif est de combattre les stages fictifs, voire l'exploitation du stagiaire. Mais les jeunes avocats ont déjà des difficultés à trouver un maître de stage et aucune disposition dans ce texte n'est prévue pour remédier à ce problème. Et les garanties d'un bon encadrement durant la période d'apprentissage sont insuffisantes. Il est aussi à craindre que ce nouveau cursus n'engendre une formation à deux vitesses, certains élèves pouvant poursuivre leur formation au-delà des dix-huit mois au sein du cabinet d'accueil, tandis que d'autres seront livrés à eux-mêmes pour trouver un tuteur. Enfin, je relève les lacunes du texte concernant la rémunération de l'élève et le contenu de l'apprentissage : le risque est grand que l'employeur ne forme l'avocat qu'à sa propre spécialité, alors qu'il aurait fallu garantir au jeune professionnel une approche généraliste de tous les aspects de la profession. Si les professions judiciaires et juridiques connaissent d'importantes mutations, c'est largement dû au fait que la société perd peu à peu ses valeurs de solidarité et d'égalité, et à l'approche sécuritaire qui gouverne aujourd'hui l'action publique. Or, alors que les jeunes avocats auraient besoin d`une formation large leur apportant toute compétence pour intervenir dans le champ social, leur domaine d'activité tend à se concentrer sur les secteurs rentables, valorisant exclusivement le savoir technique. Ce projet fait aussi l'impasse sur l'aide juridictionnelle et l'accès au droit. Le rapport Bouchet de mai 2001, qui préconisait des mesures améliorant l'accès au droit pour tous, est tombé aux oubliettes : visiblement, il ne s'agit pas pour vous d'une priorité. A Saint-Denis, nous avons ouvert une maison de la justice et du droit, fruit d'un travail concerté avec les professions judiciaires. Ce lieu d'information et d'aide aux victimes a pour but de faciliter l'accès au droit de chaque citoyen, qu'il soit démuni ou non. L'égalité d'accès à la justice est un fondement des droits de l'homme. Mais l'exercice effectif de ce droit suppose une volonté politique et des moyens. Les préoccupations du Gouvernement ne vont pas dans ce sens. En conclusion, ce texte répond pour partie aux souhaits des professions judiciaires et juridiques. Mais il ne comblera pas les besoins insatisfaits des justiciables, ni n'améliorera la situation des avocats qui connaissent des difficultés d'exercice. C'est pourquoi le groupe communiste et républicain s'abstiendra. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance qui aura lieu, ce soir, à 21 heures 30. La séance est levée à 19 heures 35. Le Directeur du service Le Compte rendu analytique Préalablement,
|
© Assemblée nationale