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Assemblée nationale
COMPTE
RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL
Session ordinaire de 2003-2004 - 50ème jour de séance, 127ème séance 2ème SÉANCE DU MARDI 20 JANVIER 2004 PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ Sommaire QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2 GRÈVE À LA SNCF 2 DIALOGUE SOCIAL 2 ÉPERONNAGE DU BUGALED-BREIZH 3 POLITIQUE SOCIALE DU GOUVERNEMENT 4 ENFANTS VICTIMES D'ABUS SEXUELS 5 SOUTIEN AUX VICTIMES 5 JUSTICE 6 EMPLOI 7 ATTENTAT DE KARACHI 7 SERVICE PUBLIC DE LA POSTE 8 MOBILITÉ DES JEUNES EN EUROPE 9 PROJET ITER À CADARACHE 10 RAPPEL AU RÈGLEMENT 11 DÉCLARATION DU GOUVERNEMENT La séance est ouverte à quinze heures. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement. M. Pierre-Christophe Baguet - Monsieur le ministre de l'équipement et des transports, les Français sont très attachés à la notion de service garanti dans les transports publics et comprennent mal que la SNCF soit à nouveau confrontée à une journée de grève. Le groupe UDF, parce qu'il croit aux vertus de la négociation, veut que soit institué un service garanti dans les transports et il soutiendra vos démarches en ce sens. Toutefois, si les négociations à ce sujet n'aboutissaient pas, il faudrait bien recourir à une loi, sur la base de la proposition déposée par M. Christian Blanc... (Exclamations sur les bancs du groupe bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). M. Maxime Gremetz - Quelle horreur ! M. Pierre-Christophe Baguet - Où en est le Gouvernement dans sa réflexion à ce sujet ? Quel est son calendrier ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - Au cours du débat organisé au Parlement en décembre dernier au sujet du service garanti, le Gouvernement a bien perçu la volonté des élus d'aboutir à une juste conciliation de la continuité du service public et de l'exercice du droit de grève. Je partage cette volonté. A l'issue de la concertation approfondie menée sur ces questions avec les partenaires sociaux, le Gouvernement est d'abord convaincu de la nécessité de mieux prévenir les conflits sociaux en généralisant les systèmes d'alerte sociale tels que celui institué avec succès par la RATP depuis plusieurs années. Si la négociation entre les organisations syndicales et les directions des entreprises de transports à ce sujet n'aboutissent pas, le Gouvernement vous soumettra un projet de loi tendant à étendre les dispositifs d'alerte sociale à toutes les entreprises de transports. S'agissant de la nécessaire conciliation des deux principes de valeur constitutionnelle que sont la continuité du service public et le droit de grève, un groupe d'experts a été chargé de définir, pour chaque entité, le niveau de service compatible avec l'exercice normal du droit de grève. Là encore, tout donne à croire que l'on pourra, par la négociation, aboutir à des accords équilibrés (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP). Mme Marie-George Buffet - Le mécontentement monte dans le monde du travail (« Ah !» sur les bancs du groupe UMP) et il gagne tous les secteurs : transports publics, hôpitaux, services de la fonction publique, EDF-GDF, SNCF... Votre politique détruit toujours plus d'emplois et continue de faire régresser le pouvoir d'achat du plus grand nombre. Votre refus obstiné d'ouvrir des négociations salariales et le désengagement de l'Etat que vous orchestrez partout - à l'hôpital, à la SNCF ou dans le secteur de l'énergie - font craindre que le retour de la croissance, si souvent annoncé, ne profite ni à l'emploi, ni au niveau de vie de nos compatriotes. La consommation des ménages est en berne et la production industrielle recule (« La question ! » sur les bancs du groupe UMP). Quant aux nouvelles atteintes que votre projet de loi sur l'emploi tend à porter au code du travail, telle l'institution d'un contrat de mission visant à étendre la précarité, elles ne se justifient que par votre volonté constante de répondre aux exigences du Medef. Le président Seillière s'en est d'ailleurs ce matin même réjoui ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Monsieur le Premier ministre, allez-vous enfin vous décider à ouvrir un véritable dialogue social ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie - Le Gouvernement a maintes fois expliqué les raisons justifiant une évolution du statut d'EDF et de GDF : il s'agit de conforter ces deux grandes entreprises que l'immobilisme handicaperait gravement. En outre, est-il besoin de répéter qu'il n'est envisagé qu'une ouverture minoritaire du capital, sans préjudice des modes de décision actuels ? Pourquoi vous acharnez-vous à répéter que ces catégories vont être privatisées alors qu'il n'en est pas question ? (« Mais si ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Le statut des personnels sera scrupuleusement respecté et nous avons obtenu des garanties quant à la reconnaissance des missions de service public remplies par les entreprises jamais atteintes jusqu'à présent dans le droit communautaire ! Merci, Madame la députée, de m'avoir donné une nouvelle occasion de préciser notre position. Notre seul souci est de permettre à ces entreprises de continuer à remplir leur mission avec le degré d'excellence que tous leur reconnaissent (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Mme Hélène Tanguy - La mer peut être un espace de solidarité. Pas plus tard que dimanche dernier, deux pêcheurs surpris par la montée des eaux à la pointe du Raz ont été sauvés grâce au courage de M. Laurent Maréchal. Mais la mer est aussi le théâtre de drames dus à la lâcheté des hommes. Ainsi, les cinq membres d'équipage du Bugaled-Breizh ont péri au large des côtes britanniques, après que leur chalutier en acier de 24 mètres, en très bon état de fonctionnement, a été coulé par abordage. Les images transmises par le robot de la marine nationale dépêché sur place sont formelles : le bâtiment a bien été éperonné, vraisemblablement par un porte-conteneurs et au vu de la violence du choc, il est inconcevable que l'équipage du navire abordeur ne se soit rendu compte de rien. Las, se rendant coupable d'un véritable crime, il a fui, provoquant sur nos quais stupeur et consternation. Nous avons hélas perdu du temps dans l'identification des auteurs de ce drame, vécu certes sur une mer tourmentée mais en plein jour. Une commission rogatoire internationale a été lancée. Justice doit être faite. Quelles décisions le Gouvernement entend-il prendre pour que l'identification des agresseurs ait lieu sans tarder ? Il n'est que temps de clore définitivement la liste des abordages, dont le coût en vies humaines n'est pas supportable (Applaudissements sur tous les bancs). M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - Le Gouvernement tient à saluer la mémoire des cinq membres d'équipage du Bugaled-Breizh et à exprimer toute sa sympathie à la communauté des gens de mer, si souvent éprouvée. A la rudesse de sa tâche ne doivent pas s'ajouter les risques inconsidérés que font courir certains voyous des mers. Je salue le courage de l'ensemble des sauveteurs, français et britanniques, et le beau geste de solidarité de tous les marins pêcheurs qui se sont portés sur les lieux de l'accident pour tenter de venir en aide à leurs camarades. Dès qu'il a eu connaissance du drame ; le Gouvernement a envoyé sur zone le chasseur de mines Andromède, un représentant du bureau enquête et un officier de police judiciaire. Le patron du chalutier était également à bord. L'exploitation des images sous-marines ne laisse place à aucun doute. Le choc a été extrêmement violent et rien ne justifie la lâcheté de ceux qui ont préféré fuir plutôt que de porter secours à leurs victimes. Les services d'inspection des CROSS ont été mobilisés, de sorte que le navire abordeur soit rapidement appréhendé. Nous avons procédé à une diffusion mondiale des informations susceptibles de permettre son identification. L'ensemble des adhérents du mémorandum de Paris sur le contrôle des navires par l'Etat du port ont été contactés. Soyez certaine de la détermination du Gouvernement à faire en sorte que les auteurs de ce crime soient justement sanctionnés (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe socialiste). POLITIQUE SOCIALE DU GOUVERNEMENT M. Jean-Marc Ayrault - Monsieur le premier ministre, vous avez tenté récemment de justifier votre politique en disant que vous faisiez du « social durable ». En réalité, alors que le chômage et la précarité progressent, c'est bien plutôt une nouvelle forme de souffrance sociale qui gagne nombre de nos concitoyens (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Voilà qui mérite quelques éclaircissements ! Peut-on parler de « social durable », alors que du fait de la suppression des allocations chômage, les « Restaurants du c_ur » sont conduits à distribuer trois millions de repas supplémentaires ? Alors que votre projet de loi sur l'emploi tend à légaliser la précarité ? Alors que le personnel hospitalier est obligé de faire grève ? (« La faute à qui ? » et vives protestations sur les bancs du groupe UMP) Alors que les chercheurs sont obligés de menacer de démissionner pour arracher quelques crédits ? Alors que les assurés sociaux sont sommés de rembourser les 40 milliards de déficits sociaux cumulés ? Alors que toutes vos décisions, de l'augmentation des taxes sur le gazole à la baisse des allocations logement, ne tendent qu'à creuser les inégalités ? Monsieur le Premier ministre, une politique sociale, cela ne consiste pas à payer de mots les Français, ni à les noyer sous la compassion. Le désarroi, chaque jour plus profond, de notre pays s'explique par l'érosion continue de notre pacte républicain et de notre modèle social, de leur alignement insidieux, jamais avoué, sur les normes anglo-saxonnes a minima (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Vous avez le droit de penser que telle est la voie du salut, mais alors ne vous faites pas passer pour le bienfaiteur des pauvres et des sans-grade ! Assumez vos choix de façon que les Français puissent se prononcer en toute clarté dans deux mois (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Monsieur le Premier ministre, vous ne faites pas du social durable, vous avez inventé le social jetable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Vous avez raison, Monsieur Ayrault : il existe bien une différence entre la politique sociale irresponsable que vous avez menée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste), laquelle vous a conduit à un échec électoral historique, et les efforts déployés par ce gouvernement pour adapter notre modèle social aux réalités du monde d'aujourd'hui. Nous n'avons aucune leçon à recevoir de ceux qui, face à la mondialisation, n'ont fait que réduire le temps de travail et recourir massivement à des emplois précaires dans la fonction publique, au prix d'ailleurs d'un effort démesuré pour nos finances publiques (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP.). Nous n'avons pas de leçons à recevoir de ceux qui ont été incapables de faire reculer la pauvreté et de régler le problème des retraites, alors même que notre pays bénéficiait d'une croissance exceptionnelle (Mêmes mouvements) ; de ceux qui ont fait supporter à la sécurité sociale le coût des allègements de charges dans les entreprises (Mêmes mouvements) ; de ceux qui ont gelé les salaires des plus modestes et fait exploser le SMIC (Mêmes mouvements) ; de ceux qui ont échoué à réformer la formation professionnelle et ignoré le dialogue social (Mêmes mouvements). Ne vous en déplaise, Monsieur Ayrault, la politique courageuse de ce gouvernement porte ses fruits : pour la première fois depuis 2001, le chômage a diminué en novembre dernier (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et tous considèrent aujourd'hui atteignable une croissance voisine de 2 %. C'est dans cette perspective que nous allons préparer avec les partenaires sociaux le projet de loi de mobilisation pour l'emploi. Celui-ci, loin d'accroître la précarité, au contraire sécurisera les trajectoires professionnelles. Il est vrai que sur ce sujet, il y a beaucoup à faire ! Ainsi, de 1997 à 2002, le recours à l'intérim a doublé dans notre pays. Quant à l'augmentation du nombre de CDD, elle ne vous a apparemment pas choqués. Quand le symbole de votre politique, ô combien éphémère, de l'emploi aura été l'emploi-jeune, contrat de cinq ans seulement, celui de notre politique sociale durable est le contrat jeune en entreprise, contrat à durée indéterminée (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP). ENFANTS VICTIMES D'ABUS SEXUELS M. Eric Diard - Monsieur le Garde des Sceaux, je vous remercie, ainsi que votre collègue de l'Intérieur, d'avoir prévu dans le projet de loi relatif à la grande criminalité, en cours d'examen au Sénat, la création d'un fichier national des auteurs d'infractions sexuelles graves, comportant l'identité et la dernière adresse des personnes condamnées. Je souhaite dire ici toute l'indignation et la douleur de ma circonscription après l'arrestation d'un instituteur remplaçant, mis en examen pour agression sexuelle sur mineur de moins de 15 ans dans au moins deux établissements. La plus grande fermeté est nécessaire afin de protéger nos enfants. Pouvez-vous nous indiquer l'importance juridique donnée à la parole de l'enfant dans ce type d'affaire ? Elle devrait être prise en compte non seulement lors de l'enquête, mais aussi lors de l'audience et au prononcé du jugement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Je souhaite vous dire d'abord ma détermination à lutter contre ces abominations que constituent les violences sexuelles sur enfant. La semaine dernière, en réponse à une question de M. Jardé, j'ai évoqué la mise en place d'un nouveau dispositif plus efficace de signalement qui, grâce à la mobilisation des policiers, des enseignants et des médecins, devrait permettre de donner l'alerte avant qu'il ne soit trop tard. Vous me demandez aujourd'hui comment faire pour recueillir la parole de l'enfant traumatisé et la conserver tout au long de la procédure judiciaire, de façon qu'il n'ait pas à répéter ce que, de toute façon, il ne peut bien souvent pas répéter une seconde fois. Sous l'autorité des magistrats, avec la collaboration des médecins, en particulier dans les services d'urgence, des policiers et des gendarmes, nous allons progressivement mettre en place sur l'ensemble du territoire - beaucoup d'associations nous aident en ce sens - des lieux de recueil de la parole de l'enfant, où le témoignage de l'enfant sera enregistré et filmé, ce qui permettra de le produire autant de fois que nécessaire ensuite. Je vous remercie enfin de vos propos concernant la création d'un fichier des auteurs d'infractions sexuelles, outil qui nous permettra de lutter plus efficacement contre des actes abominables. C'est pour moi un honneur que de défendre dans quelques instants au Sénat ce projet, qui fait l'objet de critiques injustifiées (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF). Mme Chantal Brunel - Monsieur le ministre de l'intérieur, j'étais à vos côtés jeudi dernier (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), à Melun, lors de la réunion de travail que vous avez tenue avec les associations de victimes. Nous avons tous en mémoire le sort tragique d'Elodie, Estelle, Audrey, Delphine, Marion, Angélique, Emilie, Jessica, Marilou... et bien d'autres encore que je ne peux toutes citer. J'ai été frappée au cours de cette réunion par le courage et la dignité des proches de ces victimes, pourtant durement éprouvés. Ils ont besoin d'accompagnement et d'écoute. Un mot, une attention, un geste sont précieux pour eux. Vous leur avez annoncé la mise en place dans tous les commissariats et toutes les brigades de gendarmerie d'une charte de l'accueil du public et de l'assistance aux victimes. Pouvez-vous nous en dire davantage à ce sujet ? Mais ces hommes et ces femmes réclament aussi des peines de sûreté plus longues pour les coupables, une plus grande sévérité à l'encontre des multirécidivistes. Ils savent, eux, que les politiques de prévention de la délinquance n'empêchent pas les crimes et que seule l'exemplarité de la peine peut avoir un effet dissuasif. Ils vous ont demandé de nouvelles propositions en ce sens. Où en êtes-vous sur ce point ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Ces dernières années, on s'était beaucoup plus préoccupé des délinquants que des victimes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste). La première des injustices, notamment des injustices sociales, est pourtant pour les victimes de subir le mépris. Une femme victime d'une agression sexuelle doit être reçue avec toute la délicatesse nécessaire, la douleur d'une femme ou d'un enfant victimes de violences familiales doit être écoutée avec le plus grand respect. Nous avons décidé que dorénavant dans toutes les écoles de formation, d'anciennes victimes viendraient raconter ce qu'elles ont vécu, de façon que policiers et gendarmes comprennent que ces drames peuvent arriver à tout le monde. Dès lors, ils ne pourront plus recevoir les victimes comme des individus anonymes, voués à devenir des « statistiques ». Ils le feront comme si elles étaient l'un de leurs proches. Humanité et efficacité, voilà ce que policiers et gendarmes s'efforceront de concilier : ils savent que c'est possible (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Ne leur en voulez pas : si jusqu'à présent ils n'ont rien fait, c'est qu'ils pensaient qu'il n'y avait rien à faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; huées sur les bancs du groupe socialiste où plusieurs députés se lèvent et quittent l'hémicycle) M. le Président - Un peu de calme, je vous prie. M. André Vallini - Je tiens à dire que je partage l'indignation de mes collègues devant les provocations répétées et inacceptables du ministre de l'intérieur (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; brouhaha persistant). M. le Président - Monsieur Vallini, posez votre question. M. André Vallini - Elle s'adresse à M. Raffarin, dont j'espère qu'il condescendra à répondre lui-même (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Monsieur le Premier ministre, de votre ministre de l'intérieur et de votre ministre de la justice, on finit par se demander lequel des deux est le plus dangereux (Protestations sur les bancs du groupe UMP). En effet, si M. Sarkozy s'agite beaucoup pour mettre en scène des résultats très contestés (Mêmes mouvements), M. Perben, lui, se démène pour dissimuler une réforme très contestable. A l'autosatisfaction presque indécente du premier, faut-il préférer la discrétion suspecte du second ? (Huées sur les bancs du groupe UMP) Sûrement pas, quand sont en cause les droits de la défense, quand est menacée la protection des citoyens contre l'arbitraire, quand se trouve bafouée l'égalité de tous devant la justice. Les avocats et les magistrats, ainsi que tous leurs syndicats, les associations de défense des droits de l'homme, unanimes, vous demandent un moratoire sur le projet de loi dit Perben II, qui instaurerait dans notre pays, non seulement un état d'exception permanent, mais aussi une justice à l'américaine, dure avec les faibles et conciliante avec les puissants. Saurez-vous les entendre ? Il y va de la dignité de la justice française, il y va des fondements d'une démocratie digne de ce nom ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Revenons à l'essentiel, c'est-à-dire à la situation actuelle de la justice, qui nécessite des réformes pour plus d'efficacité et d'humanité. C'est en fonction de cette seule préoccupation que je travaille. La loi de programmation permet de faire face aux besoins matériels. Mais la procédure est elle aussi à améliorer. J'ai rencontré dimanche, vous le savez, des personnes qui attendent une réponse pénale depuis douze ans ! Ce n'est pas acceptable. C'est pour redresser la situation que j'ai présenté un texte, que vous connaissez puisqu'il en est à sa quatrième lecture au Parlement. Nous voulons donner à la justice les moyens de lutter contre les bandes organisées internationales, vous reconnaîtrez que c'est indispensable. Nous voulons donner à l'institution judiciaire les capacités lui permettant de traiter tous les dossiers dans des délais raisonnables. Pour cela, il convient de diversifier la réponse pénale. Tel est le sens du plaider-coupable à la française, qui renforcera en fait le rôle de l'avocat dans l'exercice de la justice pénale (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Alors soyons sérieux ! Ecoutons les victimes, écoutons les Français, et réformons une justice qui en a besoin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. François Calvet - L'emploi est la première priorité du Gouvernement (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains), et vous travaillez sans cesse à élaborer de nouvelles mesures destinées à améliorer la situation du marché du travail. La semaine dernière, deux experts vous ont remis deux rapports tendant à établir un constat et à faire des propositions. Le premier rapport porte sur l'organisation du service public de l'emploi, sur son fonctionnement et ses faiblesses. Le deuxième traite de la législation du travail et des améliorations susceptibles de lui être apportées. Ces rapports, riches et denses, vous permettront de préparer le projet de mobilisation pour l'emploi souhaité par le Président de la République. Quelles sont les grandes lignes de ces deux rapports, et quelles conclusions en tirez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité - Depuis vingt ans la France détient le triste privilège de posséder un taux de chômage supérieur de deux points à la moyenne des autres pays européens (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). La première cause en est l'inadaptation de la formation, ce qui nous conduit à introduire dans notre projet l'idée d'une deuxième chance offerte à ceux qui sont sortis sans formation du système scolaire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). De plus, le code du travail présente le double inconvénient d'être à la fois trop rigide et générateur d'insécurité et d'instabilité. Le rapport de M. de Virville, qui était entouré d'une commission très pluraliste, propose cinquante mesures qui permettraient d'organiser des trajectoires professionnelles plus sûres (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Il est insupportable de résumer ce rapport à une seule proposition réservée aux cadres et aux salariés qualifiés pour des missions bien spécifiques. La troisième cause de notre taux de chômage élevé tient à ce que l'accompagnement des demandeurs d'emploi n'est pas suffisamment personnalisé. Aussi le rapport Marionbert tend-il à mieux coordonner l'action de l'ANPE et celle de l'UNEDIC, pour qu'à chaque demandeur d'emploi soit proposée une solution personnalisée. Dès la semaine prochaine nous nous mettrons au travail avec les organisations professionnelles, et nous élaborerons ensuite un projet comportant des solutions concrètes, en écartant des visions idéologiques dépassées (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Jean Lemière - Le 15 janvier 2004, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Saint-Lô, dans sa décision relative à l'attentat du 8 mai 2002 perpétré contre des membres du personnel de la DCN à Karachi, retenait la faute inexcusable de l'Etat et étendait l'indemnisation au bénéfice des familles de victimes ayant assigné l'Etat. J'exprime solennellement ma solidarité avec les victimes. Pour ne pas ajouter la souffrance à la souffrance, je demande que l'Etat renonce à interjeter appel de la décision du tribunal (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Madame la ministre de la défense, quelles suites comptez-vous donner à ce jugement en ce qui concerne, d'une part, les familles de victimes ayant assigné l'Etat, d'autre part, celles qui ne sont pas parties à l'instance ? Quelles mesures ont été prises pour assurer la sécurité des employés de la DCN à Karachi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense - L'attentat de Karachi est une tragédie pour les familles des victimes, elle est une tragédie pour la DCN, pour la défense nationale et pour la France tout entière. Il existe des logiques financières, des logiques administratives, des logiques humaines. Il serait intolérable de mettre en cause le supplément d'indemnisation accordé par le tribunal des affaires de sécurité sociale aux familles des victimes. C'est pourquoi je ne ferai pas appel du jugement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Je sais bien, au reste, que l'argent ne peut pas compenser la douleur d'un conjoint ou d'un enfant. Je veillerai à ce que l'indemnisation supplémentaire soit rapidement et effectivement versée. Les familles qui n'ont pas déposé de recours bénéficieront des mêmes dispositions indemnitaires (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Pour assurer la sécurité des personnels à Karachi, nous mettons en _uvre les conclusions établies par l'audit des services de gendarmerie : escortes, protection, sentinelles, caméras numériques, filtrages. Notre devoir est de tout faire pour que la tragédie de Karachi ne se produise plus jamais ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) M. Jean-Paul Bacquet - Monsieur le Premier ministre, quand vous refusez de répondre à l'opposition sur des questions de fond, je ne veux pas croire que ce soit par mépris pour le débat démocratique et pour la représentation parlementaire (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Peut-être souffrez-vous comme moi d'une extinction de voix ! En septembre dernier, le président de la commission des affaires économiques Patrick Ollier a déclaré dans un grand quotidien national que la restructuration de La Poste se traduira par la fermeture de 900 bureaux. Immédiatement votre ministre déléguée à l'industrie a affirmé qu'il n'en était rien, précisant : « Je regrette qu'il y ait des rumeurs aussi réductrices, qui ne correspondent absolument pas à la réalité ». Le Gouvernement a acté cette semaine le contrat de performance et de convergence 2003-2007 avec La Poste, qui prévoit la fermeture de très nombreux bureaux de poste (Interruptions sur les bancs du groupe UMP), près de 6000, avec, si les collectivités acceptent de payer, le remplacement par des points de contact. Qui doit-on croire ? Le président de la commission, votre ministre ou le pacte signé avec le Gouvernement ? (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Qui doit-on croire ? Votre ministre déléguée qui affirmait ici le mois dernier qu'il n'y aurait aucune suppression d'emplois à La Poste, ou le contrat entre La Poste et le Gouvernement, qui prévoit des suppressions massives ? (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) M. Patrick Ollier - C'est malhonnête ! M. Jean-Paul Bacquet - Alors que l'emploi reste la première préoccupation des Français, que les licenciements se succèdent (Interruptions sur les bancs du groupe UMP), voilà les services publics touchés de plein fouet ! (Mêmes mouvements) Sont-ce là les premiers pas de votre plan pour l'emploi ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) M. le Président - La parole est à Mme Fontaine (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie - Personne n'a le monopole de la défense du service public ! (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Qu'il s'agisse d'EDF ou de La Poste, la belle et généreuse idée française qui veut que les biens essentiels soient accessibles à tous doit être vigoureusement préservée (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Notre gouvernement s'y emploie. Nous avons la responsabilité d'agir après cinq ans d'immobilisme (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Il s'agit d'ouvrir ces marchés à la concurrence tout en garantissant le respect des missions de service public. De même que vous vous acharnez à dénoncer une privatisation alors qu'il n'en est pas question, vous parlez de « licenciements » à propos de salariés qui partent en retraite (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). La présence postale sera parfaitement préservée. Il y aura des ouvertures de bureaux de poste dans les banlieues, là où la présence postale n'est pas suffisante. Elle sera diversifiée, pour mieux répondre aux attentes des usagers. Croyez-moi, tout cela est préparé avec le plus grand sérieux et le dialogue social est exemplaire (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Michel Herbillon - Madame la ministre déléguée aux affaires européennes, l'Europe est partout aujourd'hui : dans la vie économique avec le marché unique, dans nos portefeuilles avec l'euro et dans notre législation. Pourtant, pour beaucoup de Français, elle demeure abstraite et lointaine. Ce constat est particulièrement vrai pour de nombreux jeunes qui n'ont pas tous la chance de « vivre l'Europe », comme le souhaiterait Jean-Pierre Raffarin. Or ce sont eux qui feront vivre l'Europe de demain. Les dispositifs prévus pour les faire voyager ou étudier à l'étranger doivent donc être soutenus, comme le préconise notre délégation à l'Union européenne. Vous avez lancé le projet « 10 000 stages en Europe pour l'année 2004 », afin de permettre à des jeunes de visiter les pays européens, de découvrir l'entreprise et de trouver un emploi. Pouvez-vous préciser le contenu de cette initiative ? Et comment comptez-vous accroître la mobilité des jeunes en Europe ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Mme Noëlle Lenoir, ministre déléguée aux affaires européennes - Vous avez raison, la création de l'euro, réalité la plus tangible issue du projet européen, a modifié la relation entre les citoyens et l'Europe. Mais cela ne suffit pas et nous ne pourrons pas continuer à conforter l'Union sans susciter un sentiment d'adhésion. On observe toutefois des signes encourageants. Les Français ont de plus en plus conscience des enjeux européens. Sous l'autorité du Premier ministre, le Gouvernement agit en faveur de la mobilité des jeunes en Europe à travers deux opérations. La première, les 10 000 stages que vous venez d'évoquer, vise à démocratiser la mobilité. En effet, quel que soit son succès, Erasmus concerne moins de 1 % de nos étudiants. Il faut permettre aux jeunes de trouver des formations professionnelles en dehors des frontières nationales. La deuxième opération est organisée avec le concours des élus locaux, dans le cadre des missions locales pour l'emploi : tout jeune qui y fait une démarche a droit à un entretien destiné à le sensibiliser à ses capacités de mobilité en Europe. Nous ne voulons pas que des jeunes restent au bord du chemin. Nous avons le devoir de préparer le destin qui est le nôtre, celui de l'Europe. Chaque jeune doit pouvoir mieux vivre l'Europe (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Mme Maryse Joissains Masini - Le pays d'Aix vous présente ses meilleurs v_ux, à vous ainsi qu'au personnel de l'Assemblée nationale. M. le Président - Nous sommes tous très sensibles à vos v_ux. Mme Maryse Joissains Masini - Madame la ministre déléguée à la recherche, vous savez à quel point les collectivités territoriales du Sud-Est tiennent au projet ITER, qu'elles ont décidé de financer à hauteur de 10 %. Le lancement de ce projet était attendu en décembre, mais les partenaires n'ont pas pu trancher entre le site français de Cadarache et le site japonais. La décision a été reportée à plus tard. Le gouvernement américain a créé la surprise en annonçant qu'il soutiendrait vigoureusement la candidature nippone, considérant le site japonais comme « techniquement supérieur », ce qui n'engage qu'eux-mêmes. L'Union européenne, la Russie et la Chine soutiennent Cadarache ; les Etats-Unis, la Corée et naturellement le Japon préfèrent l'autre site. Le projet européen pourrait être soutenu par le Canada, qui proposait un site à l'origine. A terme, des pays comme l'Inde et le Brésil pourraient rejoindre le consortium. Le projet de réacteur expérimental ITER est trop important pour être abandonné. Selon une dépêche de l'AFP datant du 13 janvier dernier, si aucun consensus n'est trouvé en février, l'Europe pourrait s'engager dans la construction de ce réacteur à Cadarache. Les collectivités territoriales, toutes tendances politiques confondues, sont prêtes à participer au financement de manière plus importante afin de remplacement, le financement américain. Pouvez-vous nous confirmer la position française et nous indiquer l'état d'avancement du projet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies - Vous avez raison, ce projet est trop important pour être retardé ou abandonné. Organiser la coopération internationale en vue de produire l'énergie du XXIe siècle est une priorité. Il s'agit d'un immense projet, qui vise à reproduire sur terre les conditions dans lesquelles se produit l'énergie dans les étoiles. A Cadarache et en Grande-Bretagne, nous avons déjà obtenu des succès encourageants. L'Union européenne, depuis des décennies, soutient la recherche sur la fusion. Le Japon, je le reconnais honnêtement, a des compétences importantes. Nous voulons relever ce défi majeur. Il y a des compétences : organisons les complémentarités ! A Washington, tous les ministres présents ont décidé de se donner quelques semaines de plus pour décider. Ce sont les règles du jeu et nous les respectons. Ceux qui agissent autrement ne sont pas fair play. Pour ma part, je préfère convaincre que Cadarache présente toutes les garanties de succès, qu'il s'agisse des aspects scientifiques et techniques ou de la qualité de l'accueil. Je tiens d'ailleurs à remercier toutes les collectivités territoriales concernées pour leur engagement. Je reviens de Séoul, où avec votre collègue Pierre Lellouche, nous avons plaidé notre cause pour faire évoluer la position coréenne. Nous avons rappelé la détermination de la France et de l'Union européenne. Je crois avoir été entendue et je pense que les Coréens vont réexaminer leur position. Nous allons travailler avec eux dans ce but. C'est en construisant le réacteur à Cadarache que nous donnons à l'ensemble des partenaires les meilleures chances de succès (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). M. le Président - Nous avons terminé les questions au Gouvernement. La séance, suspendue à 15 heures 55, est reprise à 16 heures 25 sous la présidence de M. Baroin. PRÉSIDENCE de M. François BAROIN vice-président M. Jean-Marc Ayrault - Le groupe socialiste est indigné par l'attitude du ministre de l'intérieur. M. Hervé de Charette - Pour ce qu'il en reste, du groupe socialiste ! Vous êtes cinq ! M. Jean-Marc Ayrault - Vous, vous êtes seul de votre côté, M. de Charette. L'Assemblée nationale doit être le lieu du débat démocratique. Nous souhaiterions que, de temps en temps, M. le Premier ministre condescende à dialoguer avec l'opposition. Nous sommes dans notre rôle lorsque nous interpellons le Gouvernement et nous attendons qu'il accepte le débat. Si nous prenons acte de ses refus, nous n'acceptons pas l'anathème et la provocation. M. Sarkozy, systématiquement, s'en prend aux députés socialistes. Aujourd'hui, il a dépassé les bornes ; dire que nous n'avons rien fait pour la sécurité des Français est une insulte que nous n'acceptons pas. J'ai transmis au Président Debré, par écrit, la protestation la plus vive de l'opposition. Nous ne demandons aucune complaisance, nous demandons le respect (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. le Président - Le message est passé et il sera transmis. M. Hervé de Charette - Passons aux choses sérieuses.
L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement sur l'avenir de l'école et le débat sur cette déclaration. M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche - Cette séance est très importante pour M. Darcos et moi-même puisqu'elle contribuera à préparer une nouvelle loi d'orientation qui sera présentée à l'automne prochain. Le Président de la République a souhaité un grand débat national sur l'avenir et les missions de l'école avec deux objectifs : élaborer un diagnostic sur l'état de notre système scolaire, indiquer des priorités. M. Claude Thelot, président de la commission nationale du débat sur l'avenir de l'école, a donné quelques chiffres : plus d'un million de personnes ont participé à ce débat, à l'occasion de réunions organisées soit dans les établissements mêmes, soit à l'échelle des arrondissements, et plus de 300 000 l'ont fait via le site internet de la commission nationale. Parmi les premières, 45 % étaient des enseignants et 35 % des parents d'élèves : cela laisse tout de même 10 % de participants qui n'étaient pas liés étroitement à l'école et que je tiens donc à féliciter pour cet acte de civisme. J'observe par ailleurs que personne n'a, à ma connaissance, contesté le caractère pluraliste ni l'indépendance de la commission Thélot chargée d'organiser et d'animer ce débat. Nul n'a contesté non plus la qualité des documents fournis en vue de nourrir ce débat, c'est-à-dire le diagnostic préparé par le Haut Conseil de l'évaluation présidé par Christian Forestier et les vingt-deux fiches présentant les questions soumises à la discussion, qui avaient été élaborées par la commission Thélot. Quelle sera la suite des opérations ? M. Thélot va maintenant élaborer une « synthèse-miroir » du débat, faisant le point sur un certain nombre des vingt-deux sujets soumis à la réflexion et donnant surtout quelque 50 000 phrases par lesquelles les participants à ce débat ont défini leurs priorités. Ces indications sont particulièrement précieuses car il ne s'agit pas d'un sondage, mais de propos tenus au cours ou à l'issue de débats qui ont duré plusieurs heures, après que chacun eut pris connaissance d'une documentation substantielle. Au surplus, les réunions sur le terrain ne regroupant en moyenne que quarante à cinquante personnes, chacun a pu s'exprimer et « faire passer » son message : nous étions très loin des grand-messes qu'a connues l'Education nationale par le passé et où certains avaient le sentiment de n'être pas entendus ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Les sujets qui ont été prioritairement retenus par nos concitoyens sont les suivants : comment motiver les élèves ? Comment lutter contre la violence scolaire et rétablir l'autorité dans les établissements ? Comment réduire l'échec scolaire ? Comment, enfin, diversifier les parcours, c'est-à-dire, si on lit en filigrane, comment réorganiser le collège unique et conforter la voie professionnelle ? Ces quatre points ont occupé plus de 40 % des débats, le premier en occupant 15 % à lui seul. Je vois dans ces choix une invitation de nos concitoyens à recentrer l'Education nationale sur ses missions essentielles. Il est encore beaucoup trop tôt, évidemment, pour esquisser les contours de la future loi d'orientation. Nous devons attendre la synthèse de M. Thélot afin de tenir compte comme il convient des réflexions de nos concitoyens. Cependant, il m'apparaît que, par un biais ou par un autre, cette loi ne pourra faire abstraction de quelques éléments. En premier lieu, le débat a clairement montré que des sujets qui étaient au premier plan en 1989, lors de la discussion de la précédente loi d'orientation, ont maintenant perdu de leur actualité. Il conviendra soit de reformuler les questions, soit de déplacer l'accent. Ainsi, en 1989, nul ne se préoccupait de la violence scolaire alors qu'aujourd'hui il s'agit de la deuxième priorité. Ainsi encore, alors que la loi d'orientation appelait à amener 80 % des élèves au niveau du baccalauréat, ceux qui défendent cette idée sont aujourd'hui assez peu nombreux. Et, comme l'objectif était assorti d'un délai déterminé, l'article correspondant de la loi de 1989 est de facto devenu obsolète... Il conviendra donc de reprendre cette problématique dans des termes nouveaux. Un dernier exemple de ces évolutions : en 1959, la réforme Berthouin a porté le terme de la scolarité obligatoire de 14 à 16 ans. Certains proposent aujourd'hui de le placer à 18 ans. Il me semble cependant que la réflexion pourrait emprunter d'autres voies et qu'on pourrait par exemple se demander s'il ne serait pas préférable, songeant aux jeunes qui quittent l'école sans diplôme ou qualification suffisants et comme le suggérait à l'instant M. Fillon, d'organiser une formation tout au long de la vie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Relevant ces trois points, je n'annonce pas des décisions : je ne fais, je le répète, qu'énumérer des sujets dont nous devrons nous préoccuper et signaler des glissements que le débat a mis en lumière - en quoi il fut utile, si c'était encore à démontrer. Les sceptiques ont prétendu que le gouvernement en attendait des idées dont il était fort dépourvu, ou un appui pour appliquer celles qu'il n'avait pas le courage de défendre publiquement, mais il s'agissait de bien autre chose. La maison Education nationale dispose de nombreux rapports excellents, rédigés par des recteurs, par des inspecteurs généraux ou par toutes sortes de spécialistes éminents, mais il y a un gouffre abyssal entre ces experts et l'opinion, souvent peu informée sur ces matières. Notre propos était donc de combler ce gouffre. Nous entendions également que nos concitoyens nous indiquent leurs priorités, ce qui ne signifie pas forcément que nous les reprendrons dans la loi, mais que nous nous efforcerons d'en tenir compte et de répondre aux questions ainsi posées en filigrane. Enfin, s'il est sans doute excessif de parler d'exercice de démocratie directe à propos de ce débat, il était indispensable d'associer les Français à la préparation d'une loi d'orientation pour l'école. Mais le Gouvernement n'oublie pas pour autant que la décision reviendra à la représentation nationale et il attache donc la plus grande importance au débat qui va suivre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire - Souhaitant de longue date que votre assemblée se saisisse de la question scolaire bien au-delà du traditionnel débat budgétaire d'automne, je me réjouis du présent débat, en forme de prélude à nos échanges à venir sur la laïcité ou sur une future loi d'orientation. Par son ampleur, la participation de la nation au grand débat sur l'avenir de l'école a été exceptionnelle, n'en déplaise à ceux qui appelaient à le boycotter. Plus d'un million de personnes ont participé aux 30 000 réunions publiques, cependant que 300 000 internautes exprimaient un avis sur le site dédié : quel bel exercice de démocratie participative ! Un enseignant sur deux s'y est associé et l'ensemble de la communauté éducative s'est mobilisée. J'observe en outre que les enjeux les plus lourds - comment aider nos jeunes à réussir, comment mieux enseigner - ont été prioritaires. A l'évidence, les Français veulent se prononcer sur l'école de demain. La presse quotidienne régionale et locale a largement rendu compte de l'entreprise - 1 200 coupures de presse -, dont l'image médiatique ressort comme largement positive. Mais, à l'évidence, débattre ne suffit pas. Tout ceci doit préparer l'_uvre législative voulue par le Président de la République, notamment dans son allocution du 20 novembre dernier : « Le moment est venu pour notre pays de se rassembler autour de ce qu'il désire pour notre jeunesse, et de renouveler le pacte qui le lie à son école. A ce titre, le débat national sur l'avenir de l'école est une chance à saisir ». La première raison de saisir cette chance, c'est que la passion française pour l'école ne tarit pas. Sachons retourner en forces de création les mouvements souvent vécus comme des crises. Bien des convergences, a priori, inenvisageables, sont en fait possibles ! (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe UMP) Qui sait regarder l'Education nationale sur la longue durée ne peut qu'être frappé par le fait que les idées les plus conflictuelles au départ finissent souvent par faire consensus. Inconnue ou décriée au début des années 1980, la notion de projet d'établissement n'a-t-elle pas fini par s'imposer au point de paraître évidente dix ans après ? Débattre pour agir, dans la perspective d'une nouvelle loi organique, c'est vouloir tracer l'horizon de l'école pour les quinze ans qui viennent. Il est naturel que la loi de 1989, déjà vieille de quinze ans, soit actualisée pour répondre aux préoccupations du temps. La prise en compte de la violence scolaire et l'ouverture du système éducatif à l'international doivent être mieux assurées. Notre propos n'est évidemment pas de combattre le texte de 1989 ou de le réformer au seul motif que nous n'en serions pas les auteurs ! Le monde change vite. A l'issue d'un cycle qui s'achève, le système éducatif français doit ouvrir une nouvelle page. Le débat sur la future loi d'orientation nous donne aussi l'occasion de nous rassembler autour de nos enseignants,... M. Guy Geoffroy - Tout à fait ! M. le Ministre délégué - ...trop souvent contestés alors que sévit dans nos sociétés une véritable crise de l'autorité. Alors que la culture scolaire est parfois décriée, il nous revient de faire en sorte que le métier de professeur soit revivifié et mieux compris. Soyons derrière nos enseignants, redonnons-leur la dignité et la reconnaissance qui leur sont dues. La loi organique devra expressément rendre à nos maîtres l'assurance et l'espoir dont ils ont besoin (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). M. Yves Durand - Rassurez-vous, messieurs les ministres, l'école est un sujet bien trop sérieux pour que nous ayons envie d'ironiser mais il y a tout lieu de craindre que le présent débat n'ait guère plus de portée que les synthèses qui seront laborieusement tirées des rencontres le plus souvent confidentielles ayant constitué ce que vous vous obstinez à appeler un grand débat sur l'école... M. Guy Geoffroy - Quel mépris ! Il fallait y participer ! M. Pierre-Christophe Baguet - C'est nul ! M. Yves Durand - Pourquoi organiser aujourd'hui un débat sans vote ? M. Guy Geoffroy - Parce que vous ne l'avez jamais fait ! M. Yves Durand - Malgré l'implication personnelle du Président de la République et une coûteuse campagne publicitaire, votre démarche n'a pas rencontré un vif succès. Au reste, il s'agit sans doute ce soir de tracer les grandes lignes de la loi d'orientation promise par M. Chirac, comme le laissent entendre, messieurs les ministres, vos interventions respectives. A l'évidence, le texte en est déjà prêt... (« Procès d'intention ! » sur les bancs du groupe UMP). M. le ministre balaie d'un revers de main l'objectif de faire parvenir 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat, au prétexte qu'il serait obsolète... M. Guy Geoffroy - C'est qu'il n'a jamais été atteint ! M. Yves Durand - Vous allez un peu vite en besogne ! N'est-ce pas déjà un progrès formidable que de voir 65 % de nos jeunes atteindre le niveau du baccalauréat alors qu'ils n'étaient que 15 % à y parvenir au début des années 1960 ? Déclarer obsolète une telle évolution, c'est enclencher une nouvelle fois la marche arrière pour tout le système ! La seule manière de redonner un peu de crédit à votre démarche, ce serait de vous engager à présenter au Parlement une évaluation objective de la loi de 1989... M. Arnaud Montebourg - Voilà qui est constructif ! M. Yves Durand - Etes-vous prêt, Monsieur le ministre, à prendre devant nous un tel engagement ? Personne ne peut se réjouir de ce rendez-vous manqué de la nation avec son école. Mais ne faut-il pas d'abord y voir une marque de la défiance de l'ensemble des acteurs de l'école à l'égard de votre politique ? Monsieur le ministre, ce que les Français ont voulu vous dire par leur absence, c'est qu'ils ne vous croient plus ! Comment pourraient-ils d'ailleurs vous croire sincères quand vous tentez de masquer par un double langage une réalité qu'ils découvrent semaine après semaine dans chaque académie ? M. Michel Herbillon - Quel procès d'intention ! M. Yves Durand - Pas du tout. La réalité, ce sont la suppression de cinq mille postes dans l'enseignement secondaire, une nouvelle vague de suppressions d'emplois d'aides-éducateurs et surveillants, que ne remplacent pas vos assistants d'éducation, dont, soit dit au passage, personne ne veut (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), la suppression de mille cinq cents postes d'ATOSS, le refus de créer des postes d'infirmières, d'assistantes sociales, de médecins scolaires ou bien encore des tout nouveaux postes de professeurs d'université. M. Alain Néri - La réalité, c'est la casse des équipes éducatives. M. Yves Durand - Comment les enseignants, à l'endroit desquels vous avez pourtant eu, Monsieur Darcos, des propos chaleureux, et les parents, pourraient-ils croire à votre volonté sincère de défendre l'école quand vous n'avez cessé, depuis votre arrivée au ministère, d'en dresser un tel tableau négatif ? Les mots qui reviennent le plus souvent dans votre discours sont, hélas, échec, illettrisme, école en crise ou bien école en panne... Comment rendre confiance quand le ministre lui-même donne, à tort, une image aussi dégradée de l'institution dont il a la charge ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) M. Guy Geoffroy - Et Allègre, qu'avait-il fait, lui ? M. Yves Durand - Comment les enseignants pourraient-ils croire à votre volonté d'écoute quand beaucoup paient encore lourdement les conséquences de votre désinvolture à leur égard lors des grèves du printemps dernier, largement causées par votre incapacité à parler clair et à respecter vos engagements. Pourtant, notre système éducatif est à la croisée des chemins. Il doit faire face à de nouveaux défis. M. Guy Geoffroy - Ah, quand même, vous le reconnaissez ! M. Yves Durand - L'enjeu n'est rien moins que celui d'une démocratisation réelle. Il s'agit de passer d'une école ouverte à tous à une école de la réussite pour tous. Pour relever ce défi, on ne peut pas se contenter d'une série de questions tantôt vagues, tantôt purement techniques, sans ambition, et dont, hélas, les réponses étaient bien souvent téléguidées. M. Michel Herbillon - Quel mépris pour le débat ! M. Yves Durand - Le collège unique permet-il de tenir compte de la diversité des élèves ? A cette question, au vu des conditions de travail actuelles dans les collèges - que vous avez d'ailleurs fortement contribué à dégrader -, la seule réponse possible est non. Poser ainsi la question, c'est tenter de légitimer votre condamnation du collège unique. C'est ce manque, à la fois de clarté et de volonté, qui explique le désintérêt des Français pour votre grand débat, alors qu'ils sont pourtant passionnés par tout ce qui concerne l'école. Nous aurions été à vos côtés si vous aviez eu le courage de poser les questions de fond que se posent tous les responsables éducatifs. Il suffit de les écouter ! Pourquoi n'avoir pas posé la question de l'accueil des enfants dès l'âge de deux ans dans des structures destinées à faciliter le passage de la famille à l'école ? Il est vrai que votre budget sacrifie l'école maternelle et rejette la responsabilité de l'accueil des jeunes enfants sur les familles et les collectivités. M. Guy Geoffroy - C'est faux ! M. Yves Durand - Pourquoi avoir refusé de poser la question du temps de la scolarité obligatoire, non plus en séparant école, collège et lycée, mais en cherchant à créer une continuité éducative jusqu'à 16 ans - et pourquoi pas jusqu'à 18 ans, la question mérite d'être posée -, en décloisonnant la classe et le temps scolaire ? Il est vrai que cela exigerait davantage d'enseignants que de classes, notamment à l'école élémentaire (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). M. Arnaud Montebourg - Ce sont d'excellentes questions ! M. Yves Durand - Notre ambition doit être de maintenir les jeunes dans le système scolaire. Comment se contenter de constater leur échec... tout en leur promettant une formation tout au long de la vie, dont chacun sait qu'elle n'est qu'un leurre sans une formation initiale solide ? M. Alain Néri - Très juste ! M. Yves Durand - Il est vrai que votre politique de réduction d'emplois et votre volonté de créer un nouveau palier de sélection en 5ème sont contraires à cette ambition. Pourquoi n'avoir pas posé la question du passage du lycée à l'université en fixant un objectif ambitieux de diplômés supérieurs par classe d'âge, alors que notre pays en manque cruellement ? Il est vrai que votre budget de l'enseignement supérieur pour 2004 est catastrophique, sans aucune création de postes de professeurs. Pourquoi n'avoir rien dit de l'éducation hors du temps scolaire ? Vous avez limité le débat à l'école, alors que chacun sait que l'éducation se poursuit aussi autour, dans le temps libre. Mme Nadine Morano - Ah, çà, le temps libre, vous savez ce que c'est ! M. Yves Durand - Il est vrai que vous asphyxiez les associations d'éducation populaire en réduisant drastiquement leurs subventions. Pourquoi enfin n'avoir pas posé la question de l'école dans son environnement, en réaffirmant l'objectif d'une politique éducative capable de combattre les inégalités sociales et culturelles ? Pourquoi n'avoir pas dressé un bilan sérieux et objectif des ZEP avant de porter sur elles un jugement négatif ? En refermant l'école sur elle-même, vous l'étouffez. Ce débat devant l'Assemblée est lui aussi tronqué... Mme Christine Boutin - Vous ne pouvez pas dire cela. M. Yves Durand - ...puisqu'il ne sera sanctionné par aucun vote. Ma conclusion ne sera donc pas celle d'une véritable discussion parlementaire. Toutefois, au moment où votre politique scolaire suscite, au mieux l'indifférence, au pire la défiance, je souhaite exprimer la conviction profonde des socialistes. M. Guy Geoffroy - Ils en ont donc une ? M. Yves Durand - L'égal accès de tous aux savoirs est le meilleur, sinon le seul, moyen de lutter contre les discriminations qui minent la démocratie. Lorsqu'aux inégalités sociales, au chômage qui augmente, à des conditions de logement indécentes, s'ajoute l'inégalité des enfants devant le savoir et la culture, l'espoir cède la place au fatalisme et, inéluctablement, l'individualisme, le repli sur soi et la peur de l'autre l'emportent sur la fraternité. Il est d'ailleurs significatif que le beau mot de fraternité ne soit nulle par apparu dans vos questions ! Or, c'est bien cette école de la fraternité qu'il faut construire pour qu'elle soit au fondement d'une République, qui ne sera pas qu'une devise, mais se vivra au quotidien. Pour y parvenir, et sur ce point nous sommes d'accord avec vous, de redoutables difficultés nous attendent. La grande différence entre nous et vous, c'est que, ces difficultés, elles nous ont stimulés pour forger une véritable ambition pour l'école... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) M. Guy Geoffroy - Les enseignants ne sont pas de votre avis. Ce sont d'ailleurs eux qui vous ont fait battre ! M. Yves Durand - ...tandis que vous, et votre politique depuis deux ans, hélas, le montre, comme vos propos de ce soir le confirment, elles vous conduisent à renoncer. Mme Nadine Morano - Scandaleux ! M. Yves Durand - Notre école ne mérite pas votre renoncement. Elle peut compter sur notre ambition (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Yvan Lachaud - Il est bienvenu que les parlementaires puissent s'exprimer aujourd'hui sur l'école, au moment où se termine le grand débat sur l'avenir de l'école, exercice de démocratie directe appliquée au monde scolaire, dont vous avez été les instigateurs, Messieurs les ministres. Je vous en remercie. Le groupe UDF, mobilisant ses parlementaires, ses élus locaux, mais aussi des parents d'élèves, a régulièrement participé aux réunions organisées dans les établissements. Il y a mesuré l'intérêt passionné que les Français portent à leur école. Aujourd'hui, plus que jamais, l'école est la seule arme dont nous disposions pour corriger les inégalités sociales. C'est en effet dans la salle de classe que se forme le futur citoyen. M. Alain Néri - C'est vrai. M. Yvan Lachaud - C'est dans la salle de classe que s'engrange le savoir élémentaire qui servira de bagage pour toute la vie. L'école est bien un patrimoine commun, et c'est à ce titre que nous avons tous droit à la parole, enseignants, parents d'élèves, élèves, anciens élèves, personnels de l'Education nationale,... Les Français ont participé nombreux à ce grand débat (Murmures sur divers bancs). C'est une bonne chose car c'est à partir d'un diagnostic partagé que nous pourrons construire l'école de demain. Les faiblesses et les carences de notre système éducatif sont connues : creusement des inégalités, montée de l'illettrisme ainsi que du nombre de jeunes sortant sans qualification, hiérarchisation arbitraire des filières au lycée, augmentation du taux d'échec en DEUG... Pour autant, notre système demeure l'un des meilleurs au monde. Ses homologues allemand, américain ou britannique traversent depuis longtemps une crise bien plus profonde. Que nos jeunes cerveaux soient courtisés par les pays étrangers est d'ailleurs une preuve de la qualité des formations dispensées en France. Cessons donc de nous autoflageller systématiquement ! Pour l'UDF, le débat ne saurait se résumer à la question des moyens. En effet, nous consacrons déjà 7 % du PIB à l'éducation, soit plus qu'en Allemagne et aux Pays-Bas et bien plus que la moyenne européenne. Il est donc parfaitement démagogique de prétendre que l'école serait victime de la rigueur de Bercy. Certains que notre système éducatif fonctionne assez bien, nous n'en sommes que plus déterminés à résoudre ses difficultés. Notre débat aujourd'hui doit précisément servir à mieux identifier les carences et à proposer des solutions, admises par tous. Si ses conclusions doivent servir à l'élaboration d'un projet de loi, gardons-nous toutefois d'appeler à une « grande réforme », censée résoudre comme par magie tous les maux de l'école. La réforme doit être un effort continu, il n'est pas besoin de tout démolir pour reconstruire. L'école, le collège et le lycée ont au contraire besoin d'une politique sereine de long terme. Réformer l'école, c'est d'abord amener les partenaires de l'éducation à s'accorder sur les questions qui se posent. Par quoi commencer ? Sans doute la lutte contre l'illettrisme, chère au ministre. En effet, comme il n'a cessé de le dire, soutenu par son ministre délégué, la première des missions de l'école est d'apprendre à lire. Mme Nadine Morano - Très bien ! M. Yvan Lachaud - Cela peut paraître superflu de le rappeler. Là est pourtant l'essentiel car notre système souffre de multiples carences en ce domaine. C'est pourquoi François Bayrou a lui-même posé comme principe, au cours de sa campagne présidentielle, que pas un élève ne doit entrer en sixième sans savoir lire, écrire et compter. Or, 15 % des élèves ne savent pas lire en arrivant au collège, et ne rattraperont pas leur retard. Cette situation n'est pas sans lien avec les actes de violence et d'incivilité constatés dans les collèges. Il faut se doter d'une évaluation de la compétence en lecture et en écriture, et concentrer les efforts sur les élèves qui en ont le plus besoin, par exemple par le biais d'un apprentissage de la lecture le plus tôt possible. C'est ce que vous avez fait en dédoublant certaines classes de CP. Les réunions en établissements ont fait apparaître comme une exigence de garantir la paix et le respect dans les collèges. Il existe des classes dans lesquelles les élèves profèrent des menaces contre leurs professeurs, où des élèves viennent avec la peur de se faire racketter ou frapper. Contre ce phénomène, nous pouvons développer des collèges hors les murs, c'est-à-dire un accompagnement pédagogique personnalisé pour les élèves les plus en rupture, pour les resocialiser et leur rendre des repères fondamentaux. Il est évident que le collège forme un maillon essentiel de la chaîne éducative. Il faut donc conforter ses missions et ne pas hésiter, sous couvert de politiquement correct, à remettre en question le collège unique né de la loi Haby et mis en place il y a bientôt 30 ans. Il faut pouvoir privilégier à nouveau l'apprentissage et les filières technologiques. Ceux qui choisissent la voie technologique ont en effet de meilleures chances de réussir leur vie professionnelle. Les itinéraires de découverte, déjà préparés par Jack Lang, méritent sur ce point d'être développés. Les travaux personnels encadrés, dans les lycées, vont également dans le bon sens. En revanche, laissons davantage d'autonomie aux établissements pour s'organiser, et laissons libre cours aux expérimentations. En dépit de nombreux efforts, les jeunes Français continuent à mal parler les langues étrangères par rapport aux élèves des pays voisins. L'apprentissage dans le primaire doit donc être renforcé, sans du reste se limiter à l'anglais. Cet effort limitera le handicap de nos jeunes par rapport à leurs camarades étrangers face aux emplois nécessitant une bonne maîtrise des langues. Ne craignons pas de permettre à ceux qui le peuvent et le souhaitent d'apprendre deux langues vivantes dès la sixième. Quant aux langues régionales, elles doivent être reconnues, en tant qu'expression de la richesse et de la diversité culturelles de notre pays, conformément à la charte européenne des langues régionales. L'action entreprise dans ce domaine par François Bayrou doit être poursuivie afin que les élèves aient le droit d'apprendre le breton, le corse, le catalan ou l'occitan. La vitalité des écoles Diwan donne à réfléchir. Le fameux « 80 % d'une classe d'âge au niveau du bac » est devenu une fixation mal comprise. Le groupe UDF défend l'idée d'un lycée où l'exigence passe avant les statistiques, où le niveau l'emporte sur la quantité. A quoi servirait-il d'obtenir un bac dévalorisé ? Mieux vaut préparer un diplôme technologique ou professionnel sanctionnant des compétences précises. Cessons de niveler par le bas, et gardons à l'esprit que le bac doit sanctionner la fin des études secondaires et s'apparenter à un examen d'entrée à l'université. Grand est le malaise des enseignants, souffrant d'un manque de reconnaissance et soumis aux exigences de plus en plus pressantes des parents, et aussi des élèves. Les salaires des enseignants sont bloqués et de plus en plus en décalage avec l'inflation. Le statut et les décharges des directeurs doivent évoluer. Comment comprendre qu'un jeune professeur, à l'issue de cinq années d'études supérieures gagne nettement moins qu'un jeune ingénieur diplômé d'école supérieure de commerce ? Ces trop faibles rémunérations sont l'une des causes principales de la chute du nombre de candidats, en particulier aux enseignements scientifiques. Le rapport entre le nombre de candidats et celui des postes le montre, le métier d'enseignant n'est plus attractif. Pourquoi alors ne pas permettre de respirer en donnant, tous les dix ans, une année sabbatique à l'extérieur de l'école, pour que les enseignants puissent prendre contact avec une autre réalité professionnelle ? Ce dispositif pourrait être accompagné d'une véritable formation continue, qui fait défaut aux jeunes enseignants. Après vingt ou vingt-cinq ans de carrière, les enseignants qui le souhaitent devraient pouvoir entrer dans une autre administration de l'Etat. La différence d'âge entre enseignants et élèves est souvent source de lassitude et d'incompréhension. La nécessaire réhabilitation des filières professionnelles devrait être déclarée prioritaire. M. Guy Geoffroy - Très bien ! M. Yvan Lachaud - L'organisation de l'école et la gestion des ressources humaines mériteraient d'être améliorées, mais il serait stupide de tout faire depuis Paris. Nous sommes néanmoins convaincus que l'éducation est et doit rester nationale. M. Alain Néri - Très bien ! M. Yvan Lachaud - Socle de la nation, elle est le lien où se fonde l'égalité des citoyens. L'Etat doit donc continuer à jouer un rôle primordial. Parce que l'école est un lieu d'égalité, elle doit également être laïque. Nous aurons à en reparler en examinant le projet relatif au port des signes religieux à l'école. Le groupe UDF est fermement attaché à la laïcité, valeur fondatrice de la République. La laïcité permet la liberté de conscience, elle rend impossible l'exclusion et le rejet, elle est la garantie constitutionnelle de la tolérance et du respect de l'autre. Le port ostensible du voile islamique ne met pas seulement la religion en jeu : il signifie que la loi de Dieu est supérieure à celle des hommes, et il enferme la femme dans un statut inférieur, ce qui est contraire aux principes républicains. Notre système éducatif doit tendre à l'épanouissement de la personne et à son intégration dans la société. Ne cherchons pas à imiter le modèle anglo-saxon, très différent du nôtre. Veillons cependant à ce que l'école assure réellement l'égalité des chances. En effet, certains établissements sont devenus de vrais ghettos où l'échec scolaire est presque systématique, alors que les prestigieux lycées parisiens vident de leur élite les établissements de province. Il est paradoxal que l'école unique n'ait rien changé à une constante de notre système éducatif : un fils de polytechnicien a statistiquement plus de chances de devenir polytechnicien (Approbations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Serait-ce que l'école méritocratique de Jules Ferry tendait davantage vers la démocratisation que notre système actuel ? Dire cela et vouloir le corriger est devenu politiquement incorrect depuis mai 1968. Pourtant, si l'école a su relever le défi de la massification, elle n'a pas réussi une véritable démocratisation. Il faut donc sortir de l'égalitarisme, réviser les programmes et les niveaux d'exigence et admettre que l'égalité de tous les élèves est un mythe. Parlons donc plutôt d'égalité des chances. M. Arnaud Montebourg - Comment y parvenir ? M. Yvan Lachaud - En dissociant le parcours scolaire et l'origine sociale, l'effort, le mérite, le travail doivent redevenir, sans polémique, des fondements de l'école républicaine. L'égalité des chances a pour corollaire la communauté des cursus. L'unité de la République et de l'école exige l'unicité du parcours éducatif. L'école doit pouvoir accueillir tous les enfants de la nation et l'égalité des chances doit appeler la reconnaissance des différences. Je pense en particulier à la scolarisation des enfants handicapés. Monsieur le ministre, dans le rapport que je vous ai remis il y a quelques mois sur ce sujet, je préconise l'accueil de tous les enfants, y compris ceux souffrant d'un handicap, par l'Education nationale. L'inscription automatique de l'enfant dans l'établissement scolaire le plus proche de son foyer n'interdit pas, par la suite, son placement dans une autre structure si la prise en charge de son handicap le nécessite, mais cette formule éviterait aux parents de faire le parcours du combattant pour placer leur enfant dans une école. Tous les enfants, handicapés ou non, appartiennent à une même communauté et c'est à ce titre que j'ai demandé au Gouvernement dans son projet sur l'égalité des chances des personnes handicapées, une évolution sémantique qui me paraît importante : nous ne devons plus parler d' « intégration » des enfants handicapés, mais de « scolarisation ». L'intégration, en effet, ne concerne que ceux qui sont étrangers à une communauté. La mission principale de l'école, c'est l'éducation et l'instruction, très loin de ce rôle de « garderie de la jeunesse » que certains voudraient lui donner. La France se trouve aujourd'hui confrontée à plusieurs défis pour réconcilier les Français avec leur système scolaire. Il lui faut d'abord réduire de façon sensible le nombre d'illettrés, ou de « mal-appris », pour reprendre l'expression de François Bayrou. Il faut aussi renouer avec trois principes : la valorisation du travail et de l'effort, la mixité sociale et la scolarisation de tous. Trois principes qui permettront à chacun de suivre le parcours de formation le plus adapté à ses goûts et à ses compétences. Enfin, nous devons conserver son caractère original à notre système éducatif. Ainsi, nous pourrons continuer à offrir à nos enfants les meilleurs atouts pour réussir et affronter la compétition internationale. La mission de l'enseignant, c'est d'inculquer à l'élève des connaissances, mais aussi de lui apprendre le sens de l'effort, la valeur du travail, l'estime de soi et le respect des autres. C'est au sein de l'école qu'on apprend à comprendre et à juger le monde dans lequel on vit. L'enjeu, pour la France, c'est de pouvoir conserver son statut de grand pays scientifique et technologique. On ne peut en effet faire vivre la démocratie dans une société où prospéreraient l'illettrisme, l'intolérance et l'obscurantisme. L'école de la République, ou plutôt l'école et la République, se sont construites depuis le XIXe siècle autour de valeurs en lesquelles nous voulons croire encore : le savoir, le mérite et le respect (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. André Chassaigne - Je tiens d'abord à vous faire part de la satisfaction du groupe communiste, qui se réjouit de la tenue d'un débat sur l'école dans cet hémicycle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Le mouvement social de l'an dernier dans l'Education nationale a placé le système éducatif au c_ur des préoccupations de notre société. Je saisirai cette occasion pour réaffirmer notre attachement à certains principes, pour vous faire part de quelques remarques sur la façon dont s'est organisé le grand débat animé par la commission Thélot et pour vous alerter sur plusieurs points. La communauté enseignante et les partenaires sociaux vous ont déjà fait part de leur scepticisme quant à l'organisation de ce « grand débat » : nombreux sont ceux qui considèrent que tout était joué d'avance. On a semblé ignorer des décennies de recherche en sciences de l'éducation, depuis le remarquable plan Langevin-Vallon élaboré sur les fondements du programme du Conseil national de la résistance. A cet égard, le choix des membres de la commission Thélot n'a pas été sans influence sur l'élaboration des questions prospectives. Il est dommage qu'on n'ait pas incité plus particulièrement les habitants des quartiers populaires et les jeunes à s'impliquer davantage dans ce débat, qui est resté très institutionnel, avec une faible mobilisation des parents et des élèves. Mais quelles sont vos réelles intentions, Messieurs les ministres ? Ne cherchez-vous pas à faire accepter à l'opinion publique les options libérales de ce gouvernement ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP) A moins que vous souhaitiez leur faire avaliser, avant sa publication, un projet de loi déjà ficelé ? Ces options, nous les connaissons bien : il s'agit d'abandonner, au nom de la réduction de la dépense publique, l'ambition d'un solide niveau de scolarisation et de connaissances pour tous. M. Arnaud Montebourg - C'est ce qui se profile ! M. André Chassaigne - La campagne idéologique menée depuis de nombreux mois est là pour nous le rappeler. On noircit volontairement le diagnostic pour mieux préparer le pays à se résigner au démantèlement de l'école de la République (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Ce n'est pas en mythifiant l'école du passé qu'on règlera les problèmes de notre époque. La sélection, l'abandon du collège unique ou la remise en cause de la mixité n'ont pas d'avenir. Il faut dire aussi qu'au lieu d'observer le silence propice à une réflexion objective et sereine, vous n'avez cessé, Messieurs les ministres, de proférer des déclarations provocatrices et parfois même contradictoires. Je pense, par exemple, à vos propos justifiant la liquidation du système de remplacement, l'annualisation des services ou le recours à la bivalence dans les collèges. Cependant, de nombreux communistes ont participé aux différents débats. A l'échelon national, la sénatrice Annie David a siégé au sein de la commission Thélot ; à l'échelon local, nous avons aussi pris part au débat. Le parti communiste a organisé, le 8 novembre 2003, une rencontre nationale pour l'école. Parce que nous ne voulions pas nous laisser enfermer dans le cadre restrictif que vous avez donné au débat, une seule ambition a guidé notre réflexion : promouvoir les transformations nécessaires pour lutter plus efficacement contre les inégalités. C'est dans ce sens qu'Annie David a rappelé l'exigence de gratuité scolaire pour promouvoir la réussite de tous. Tous les enfants ont des aptitudes pour réussir : c'est pourquoi l'attente vis-à-vis du service public d'éducation est importante, notamment dans les familles populaires. C'est aussi pourquoi nous sommes profondément attachés à une transformation de l'école. Oui, l'école pour tous est possible, mais il faut pour cela tenir compte davantage de la diversité des élèves, de l'environnement social dans lequel ils évoluent, des inégalités territoriales et de la concurrence accrue de l'enseignement privé. Certes, la démocratisation de l'enseignement est en panne, mais il ne faut pas se tromper de débat. Contrairement à vos déclarations alarmistes sur la baisse du niveau, les évaluations nationales affichent certes des disparités, mais elles ne montrent pas une chute brutale du niveau scolaire. Une fois encore, le cliché, le snobisme de salon occultent l'approche scientifique. C'est ainsi que de beaux penseurs demandent l'abandon de la méthode globale, ce qui a été fait il y a déjà un quart de siècle (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). La réalité, c'est que les résultats continuent de révéler d'importantes disparités selon l'origine sociale des enfants. Les statistiques du ministère montrent ainsi que 31 % des étudiants ont des parents cadres supérieurs ou exerçant une profession libérale ; 10,1 % sont des enfants d'ouvriers, et seulement 2,4 % sont fils ou filles d'agriculteurs. La démocratisation de l'enseignement passe aussi par le respect de la mixité. Vous avez affirmé, Monsieur le ministre, le 8 septembre dernier à la Sorbonne que « la mixité scolaire ne sera pas remise en cause ». Vous avez heureusement contredit les propos tenus en mars dernier par Xavier Darcos, manifestement séduit par les chants de quelques sirènes conservatrices, qui avait annoncé l'expérimentation de classes non mixtes dans deux académies (M. Darcos, ministre délégué, fait un geste de surprise). Votre volonté de rationaliser l'offre de formation ne sera pas sans incidence sur les inégalités d'orientation en fonction du sexe. La façon dont ce système éducatif intègre les élèves handicapés est révélatrice de ses capacités à s'adapter à la diversité des publics. Le principal obstacle vient des ruptures qui existent entre les différents niveaux d'enseignement. Si 76 000 élèves handicapés sont intégrés dans les écoles primaires, ils ne sont plus que 20 000 dans le secondaire et 7 500 dans le supérieur. Les inégalités sociales se retrouvent dans ce domaine. En effet, à handicap équivalent, la proportion d'enfants entrant en institution est trois fois plus élevée chez les employés et les ouvriers que chez les cadres et les professions intermédiaires. Pour les classes moyennes ou supérieures, la priorité est bien l'intégration en milieu ordinaire. L'intégration n'en est qu'à ses débuts et la formation également. Les moyens humains et matériels sont encore insuffisants et on déplore de nombreux dysfonctionnements. Le bilan des groupes « handiscol » est mitigé, les familles ne se sentent pas suffisamment écoutées et l'environnement scolaire est encore loin d'être aux normes. Devant toutes ces difficultés, la tentation peut être grande de renoncer. Promouvoir la réussite pour tous passe par la redéfinition des contenus et par l'attribution de moyens suffisants. Il faut prévenir l'échec scolaire en permettant à tous les enfants d'accéder à l'apprentissage de la lecture et de l'écriture. Cela nécessite des effectifs réduits, la possibilité de travailler en petits groupes et l'intervention d'enseignants spécialisés. Prévenir coûte moins cher que guérir. On connaît les difficultés que rencontre le collège pour accueillir les élèves de sixième qui ne maîtrisent pas les fondamentaux. Les exigences sur l'école sont fortes et doivent le rester. Il faut redéfinir un socle commun de savoirs utiles à tous, c'est-à-dire réfléchir aux équilibres entre les disciplines et au contenu des programmes. Ne répondent-ils pas trop aux normes culturelles d'une élite sociale ? Les contenus sont encore facteurs d'exclusion. La nécessité d'une connivence culturelle et sociale des élèves avec les enseignants et le rapport au savoir des élèves les plus défavorisés mériteraient d'être au c_ur de nos réflexions. Ne faudrait-il pas donner moins d'importance à l'abstraction ? Pourquoi ne pas donner toute sa place au développement des activités technologiques et artistiques et privilégier les méthodes d'éducation active ? Pourquoi ne pas essayer de mieux valoriser l'engagement social ou civique des élèves ? La communauté éducative est déterminée à réussir la démocratisation de l'école. Elle l'a montré lors de l'exceptionnel mouvement social du printemps dernier, qui a également révélé une crise d'identité professionnelle des enseignants ; il existe en effet un fort décalage entre les principes et objectifs de l'institution et leur vécu professionnel. Il faudra bien, enfin, répondre à la souffrance de personnes qui ne cessent de protester contre l'insuffisance des moyens alors qu'elles s'investissent totalement dans des établissements qui sont le dernier rempart contre la fracture sociale et culturelle. Il y a crise des vocations dans le second degré. Certains CAPES sont même déficitaires, les étudiants scientifiques préférant devenir ingénieurs plutôt que professeurs ou chercheurs. Le recours croissant à des personnels précaires dans l'Education nationale ne résoudra pas ces problèmes. Au contraire, nous allons vers une dégradation prévisible de l'emploi en raison de choix budgétaires désastreux. Vous préférez sous-évaluer les besoins plutôt que d'y répondre. Belle stratégie ! Mme Nadine Morano - N'importe quoi ! M. André Chassaigne - A la différence de certains, j'ai vécu cette situation pendant toute ma vie professionnelle. Ainsi de l'attribution des dotations horaires aux établissements du second degré, désormais réparties sur des bases strictement arithmétiques, excluant la prise en compte de critères qui préservaient la richesse et la diversité des enseignements. M. Patrick Roy - M. Chassaigne a raison. Mme Nadine Morano - Il faut adapter les moyens. M. André Chassaigne - Dans cette logique, les « intermittents du tableau noir » prennent de plus en plus le pas sur les « hussards noirs ». Recrutés dans l'urgence, souvent sans formation pédagogique, écartelés entre plusieurs établissements, leur statut relève plus des entreprises d'intérim que des personnels de la République. M. Guy Geoffroy - Comme les emplois-jeunes. M. André Chassaigne - Si la stabilité des équipes pédagogiques est une condition nécessaire pour garantir la réussite scolaire de tous, le recours abusif à ce type de sous-emploi ne permet pas de lutter contre l'échec scolaire. La suppression de 2 500 postes de stagiaires et de 1 500 postes d'enseignants titulaires au budget 2004 aggravera la situation. Pour 2002-2003, dans le seul second degré, 5 600 maîtres-auxiliaires, 27 400 contractuels et 10 200 vacataires avaient été recrutés. Quant aux 1 500 créations de postes dans le primaire, elles ne suffisent pas pour accueillir les 54 000 élèves supplémentaires prévus. Certains départements ruraux, comme dans la région Auvergne, ont vu leur nombre de postes diminuer alors que les effectifs augmenteront à la rentrée. En 2003, plus de 60 % des contractuels étaient au chômage et les possibilités de titularisation ont baissé de 1 200 postes. Dans le même temps, les remplacements courts sont de moins en moins assurés. N'envisagez-vous plus l'école comme un service public ? Nous devons être ambitieux, créer une école ouverte à tous, capable de réduire l'échec et l'exclusion, de se libérer des discriminations religieuses, sectaires, politiques ou philosophiques mais aussi sociales. Notre service public d'éducation doit défendre l'égalité et réfléchir à une culture commune capable de rassembler. La question de la laïcité doit bien évidemment s'inscrire au c_ur de cette réflexion et ne peut être abordée qu'en relation avec les valeurs émancipatrices contenues dans nos principes républicains. C'est en abordant toutes les dimensions de la laïcité que nous pourrons réfléchir à une institution garantissant à la fois les libertés individuelles, le pluralisme culturel et l'égalité des citoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). M. Alain Bocquet - Très bonne intervention. M. Pierre-André Périssol - Le grand débat sur l'avenir de l'école, voulu par le Président de la République, décidé par le Premier ministre, mis en _uvre par les ministres chargés de l'éducation et de l'enseignement scolaire, a eu lieu et la majorité peut en être fière. La nation s'est exprimée. L'opposition socialiste vient de minimiser la portée du débat, d'en dénigrer la méthode et les enjeux, mais lorsque vous étiez au pouvoir, vous n'avez pas osé lancer un tel débat. Mme Nadine Morano - C'est vrai ! M. Pierre-André Périssol - En outre, vous êtes le seul groupe à avoir refusé d'envoyer des représentants à la commission chargée de son organisation (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). M. Alain Néri - C'est faux ! M. Pierre-André Périssol - Enfin, vous avez annoncé à grand bruit vos propres assises, qui ont fait un grand flop (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste). Nous attendons toujours vos propositions. Cette attitude contraste avec celle de l'UMP, dont le président, les parlementaires et les membres se sont investis sans compter. Nos concitoyens ont confronté leurs appréciations sur l'école, dont le bilan n'est ni tout blanc ni tout noir. Des résultats exceptionnels ont été obtenus. La nation se doit d'en rendre hommage aux enseignants et à l'ensemble des personnels (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Pourtant, beaucoup reste à faire. Il n'est pas acceptable qu'un écolier sur six éprouve de graves difficultés de lecture et de calcul à l'entrée au collège, que 150 000 jeunes sortent chaque année du système éducatif sans aucune formation professionnelle. Pour faire face à ces défis , les débats ont abordé la question des moyens qui s'ils sont nécessaires, ne sont pas tout, comme le savent nos concitoyens. M. Eric Raoult - Tout à fait ! M. Pierre-André Périssol - Comment aurait-on pu faire face, sans une forte augmentation des moyens, à l'allongement de la durée de la scolarité, à l'effacement des valeurs d'effort et de travail, à l'attraction croissante de l'image et du son au détriment de l'écrit, à l'affaiblissement de l'autorité dans notre société ? M. Yves Durand - Personne n'a dit le contraire. M. Pierre-André Périssol - Il est de notre devoir de proposer des orientations qui répondent aux aspirations qui se sont dégagées de cette consultation. En lançant ce débat, le Président de la République a fixé le cap à suivre et a formulé un certain nombre d'ambitions : conduire 100 % des élèves à une formation réussie, respecter la diversité de leurs parcours, assurer la transmission des valeurs républicaines, susciter des vocations pour les métiers de l'enseignement, organiser le dialogue entre les différents acteurs de l'école. Pour conduire 100 % de nos jeunes à une formation réussie, l'école doit d'abord parvenir à transmettre effectivement à 100 % d'entre eux un socle commun de fondamentaux. Pourquoi tant d'élèves échouent-ils ? En raison d'une trop grande dispersion des apprentissages et d'une uniformisation excessive des modes et des rythmes d'acquisition. En effet, les élèves sont dispersés entre de trop nombreuses disciplines et activités. A force de vouloir transmettre un peu de tout, les élèves sont soumis à un véritable zapping, au point que plus rien ne semble important. A force de tout déclarer prioritaire, il n'y a plus de priorité. Les enseignants ont dit que si certains élèves parviennent à jongler avec ces multiples sollicitations et à retenir l'essentiel, d'autres échouent faute d'avoir acquis au préalable les bases indispensables. Songeant à ceux-là, il est temps d'admettre qu'on ne peut réussir sa scolarité et plus tard sa vie professionnelle et sa vie de citoyen, si on ne maîtrise d'abord un certain nombre de fondamentaux, à définir en termes de connaissances mais aussi, de compétences et de règles de comportement. On ne saurait en effet se limiter à la trilogie lire-écrire-compter : il faut aussi apprendre à comprendre, à analyser un texte, à s'exprimer... et à régler ses différends autrement qu'avec les poings ! Je suis convaincu qu'un large consensus s'est dégagé aux cours du débat national pour fixer cette priorité à l'école et les interventions précédentes ont confirmé qu'il pouvait en être de même ici. Mais alors il faut en tirer les conséquences, agir et dire comment. Tout d'abord en définissant ces fondamentaux : il s'agit là d'un acte fondateur pour l'école et essentiel pour l'identité de la nation, aussi devra-t-il être approuvé par la représentation nationale. Il faut ensuite arrêter les modalités selon lesquelles sera évaluée l'acquisition de ce socle et, enfin, donner aux enseignants les moyens d'en faire réellement une priorité, le reste de ce que l'école doit transmettre n'étant pas abandonné pour autant. Puis il faudra faire sauter le deuxième obstacle, à savoir l'uniformisation des modalités d'apprentissage, des rythmes d'acquisition et des parcours, qui condamne un grand nombre d'élèves à l'échec car les enfants sont différents dans leurs talents, leurs capacités, le rythme de leur progression, les ressorts de leur motivation, et leur maturité. Il convient donc de personnaliser les rythmes d'acquisition en donnant à l'élève le temps qui lui est nécessaire pour chaque apprentissage fondamental. Il convient même de diversifier les parcours, en sorte que chacun puisse trouver sa voie. Ces principes serviront la deuxième priorité, qui est de réussir le collège pour tous en réglant du même coup le problème du collège unique. Il n'est pas de réussite sans bases : aussi le collège doit-il être unique en ce sens qu'il doit transmettre à tous un tronc commun de fondamentaux. Mais il n'est pas de réussite non plus sans la prise en compte du rythme et des capacités propres des élèves : aussi faut-il personnaliser le rythme et les modalités d'acquisition du socle commun. Enfin, il n'est pas de réussite sans respect du talent des élèves : aussi le collège doit-il être diversifié quant aux options proposées à tous. C'est à ce prix que, selon la formule d'Alain Juppé, on passera au « collège pour tous ». Troisième priorité : revaloriser concrètement la voie professionnelle. Celle-ci restera un choix subi tant qu'elle sera assimilée à une voie de relégation pour les élèves qui n'ont pas acquis les bases indispensables. L'acquisition par tous d'un socle commun dans un même collège, mais aussi la découverte de champs professionnels pour ceux qui le souhaiteraient, sont les conditions d'une vraie revalorisation de cette voie. Pour aller plus loin, nous proposons d'introduire dans le socle commun une part de travail manuel, de sorte que celui-ci aussi soit perçu comme une matière noble (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Quatrième priorité : assurer la transmission des valeurs républicaines en faisant de leur acquisition une composante du socle de fondamentaux. Il importe de réagir aux incivilités, à la violence, à la dégradation des relations d'autorité, à la montée du racisme et de l'antisémitisme. Il faut protéger les personnels éducatifs. Des progrès notables ont déjà été enregistrés grâce à Xavier Darcos, mais il conviendrait d'explorer des pistes nouvelles. Il conviendrait d'abord d'inclure dans le socle de bases fondamentales le développement de comportements sociaux adaptés - attention aux autres, esprit de responsabilité, tolérance, solidarité. Pour transmettre ces valeurs républicaines, il faut une éducation à la civilité qui prenne des formes rénovées. En second lieu, l'acquisition de ces comportements devra être évaluée au même titre que les autres disciplines, cela dans le cadre du diplôme de fin de scolarité obligatoire. Enfin, Monsieur le ministre, vous avez encouragé l'engagement citoyen des élèves : ne pourrait-on valoriser ces actions en les prenant en compte dans les cursus scolaires ? Cinquième priorité : susciter des vocations nouvelles en redonnant toute leur attractivité aux métiers de l'enseignement. La France a la chance d'avoir des enseignants de très grande qualité : la nation se doit de se rassembler autour d'eux et de reconnaître pleinement leur rôle. Il faut mesurer précisément les réalités actuelles de ces métiers, qui ont profondément évolué ces dernières années, et nourrir sur le sujet un dialogue avec les organisations syndicales, que je salue (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). A cette occasion, on ne manquera pas de redéfinir ces métiers et de se poser les questions de la formation initiale et continue, des recrutements et de la gestion des carrières : par exemple quels enseignements tirer de l'accord intervenu entre les partenaires sociaux en matière de formation continue ? Après plusieurs années passées devant les élèves, quelles possibilités offrir aux enseignants d'exercer de nouvelles responsabilités : « tutorat », formation, participation à des actions d'inspection... ? Sixième priorité : organiser le dialogue entre les acteurs de l'école en donnant aux parents les moyens de s'impliquer davantage dans la scolarité de leurs enfants. La France est le pays où les parents et les enseignants ont les rapports les moins confiants. Il faut que cela change et nous proposons donc de faciliter les rencontres par le biais d'un « contrat éducatif partagé » définissant les droits et les devoirs de chacun, mais aussi grâce à la remise du bulletin scolaire en mains propres. C'est ainsi que nous parviendrons à un véritable dialogue, dans un esprit de respect et de considération mutuels. Ces différentes orientations dessinent une ambition sur laquelle pourraient se retrouver un grand nombre de nos concitoyens. Des échos que j'ai eus, des débats locaux et des discussions tenues au sein de la commission du débat national, je tire en effet la certitude que la nation peut s'accorder sur l'essentiel. Les Français ont fait savoir sans ambiguïté qu'ils souhaitaient que l'école assure à tous les conditions de la réussite scolaire et d'une authentique égalité des chances. Au terme de ce débat, je ne doute pas qu'il y ait convergence, à défaut de consensus, en faveur d'une telle ambition. Car à la suite du débat national, il faudra agir au plus près des enseignants, en tenant compte des espérances des parents, loin des approches idéologiques. Ce sera l'objet de la future loi d'orientation. Afin de tenir associée la représentation nationale, je propose que ce premier débat, - que nous avions demandé avec force voici quinze mois - soit suivi d'une nouvelle saisine du Parlement, pour valider le cahier des charges relatif au contenu du socle fondamental commun, afin de permettre aux experts de faire au plus vite des propositions. Nous pourrons alors avancer sur ce point central, sans préjudice des autres dispositions de ce projet. Vous pourrez ainsi, Messieurs les ministres, manifester une nouvelle fois votre souci de solliciter et de mobiliser le Parlement comme le souhaite notre Président Jean-Louis Debré. C'est en effet tous ensemble que nous parviendrons à remobiliser la nation autour de son école ne sont pas adoptés, en lui fixant une grande ambition dans la perspective tracée par le Président de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Nous retournant un instant vers le siècle passé, nous pouvons affirmer que l'école a su relever un défi historique : elle a ouvert la voie des études à ceux qui n'étaient pas des « héritiers ». Malheureusement, depuis quelques années, la sélection scolaire et la sélection sociale font à nouveau cause commune. Si les familles aisées parviennent encore à utiliser l'école à leur profit en aidant leurs enfants à accéder aux meilleures filières, beaucoup d'enfants du peuple semblent promis à un nivellement sans appel. Alain Finkielkraut écrivait il y a deux ans : « Jaurès voulait que les enfants du peuple reçoivent une culture équivalente à celle que recevaient les enfants de la bourgeoisie ; les parents instruits et avisés de la bourgeoisie rêvent aujourd'hui que leurs enfants bénéficient d'une culture égale à celle qu'ils ont reçue... ». De fait, depuis quelque temps, on assiste à une sorte de zapping scolaire : les parents se pressent aux portes des écoles privées, non plus par choix idéologique mais parce qu'ils sont angoissés par la perspective d'un échec scolaire socialement plus handicapant que jamais. Notre école est-elle en panne ? Sur le constat, tout le monde s'accorde : illettrisme, violence, stagnation des résultats et échec scolaire. Sur les causes, les avis peuvent diverger. Certains évoquent l'insuffisance supposée des moyens, alors même que notre pays consacre à l'école 7 % de la richesse nationale et cent milliards d'euros, soit deux fois plus qu'il y a vingt-cinq ans. D'autres parlent d'impuissance des gestionnaires. Mais nous sommes nombreux à penser que la sensibilité individualiste et antiautoritaire née de 1968 n'est pas étrangère aux difficultés actuelles... Mme Christine Boutin - Il fallait que ce fût dit ! M. le Président de la commission - Que s'est-il donc passé il y a 35 ans et comment en apprécier les effets ? En résumant, je dirai que toute une génération s'est alors unie dans la volonté justifiée de rompre avec un siècle de morale répressive et pesante ; les revendications d'autonomie et de liberté, la dénonciation d'un certain conformisme participaient incontestablement d'un discours de progrès. L'autonomie était érigée en valeur, opposée à la servitude et, d'abord, à celle des liens familiaux. Mais, pour ce qui regarde l'école, ce fut le début d'un grand malentendu avec les familles. Certes, l'école a toujours été conçue pour rester indépendante de la société civile, de l'argent, des intérêts, des croyances, mais aussi des familles. Néanmoins, jusqu'alors, les parents et l'institution marchaient la main dans la main, l'apostasie des premiers consistant dans l'immense confiance qu'ils plaçaient dans l'école de la République. Avec 1968 s'est rouverte une guerre de frontières, de légitimité, rappelant les grands débats entre Rabaut Saint-Etienne et Condorcet. L'institution s'engage alors dans la voie du tout-professionnel, où elle est condamnée à ne pas tenir toutes ses promesses. Mme Christine Boutin - Bravo pour cette analyse ! M. le Président de la commission - Autre effet : dans les classes, on assiste à la fin du dogme du silence et de l'immobilité, si bien décrit par Michel Foucault. Sonne l'heure de Rudolf Steiner, de Célestin Freinet : une nouvelle pédagogie naît, marquée par le déclin de l'autorité, du travail et de la discipline, auxquels on substitue l'éveil et la créativité. On va assurer que la formation de la faculté d'attention, chère à Simone Weil, est peut-être le plus véritable - et peut-être l'unique - intérêt des études... Mme Christine Boutin - Il faut oser le dire ! M. le Président de la commission - Autre conséquence, la crise de la transmission. L'autorité du savoir que véhiculait l'école s'évapore. Les enfants ne s'inclinent plus devant la culture et les _uvres. Ils n'ont plus conscience que la connaissance leur donne un pouvoir sur le monde sensible. Chacun a désormais bien compris - et le monde enseignant plus que tout autre - que l'abandon de toute autorité par l'éducateur ne produit pas miraculeusement une formation démocratique pour l'enfant. Mme Marie-Jo Zimmermann - Très juste ! M. le Président de la commission - Quand l'adulte laisse tomber le pouvoir, il y a toujours un petit chef pour le ramasser et pour l'exercer d'une manière moins éclairée (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe UMP). Et que l'adulte renonce à tout impératif de transmission, il laisse alors les enfants démunis, incapables de résister aux emprises affectives, idéologiques et marchandes qui les guettent de toutes parts. De fait, la nature ayant horreur du vide, l'espace laissé sans culture n'a pas tardé à être envahi par les écrans de télévision, laissant le champ libre à une gigantesque entreprise d'acculturation collective (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). L'espace laissé sans valeurs communes clairement affirmées a favorisé les revendications communautaires et un déni de la norme au nom de la liberté. Pascal Bruckner ajouterait que le risque d'une telle attitude est aussi de faire naître chez les jeunes en quête de repères une crispation, sous la forme d'une demande d'ordre et de raidissement moral, de les transformer en une classe d'anxieux tentés par le conservatisme : n'est-ce pas ce à quoi nous assistons dans les quartiers, où les enseignants sont dépassés par un constat général de machisme, et aussi ce qui motive la revendication du port du voile dans nos écoles ? Contrairement à ce qui a pu être dit, personne parmi nous ne court après l'illusion d'un ordre ancien - et vous voyez à qui je fais allusion... (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). Mon propos n'est pas de faire le procès de l'époque ou de justifier un modèle assis sur l'échec du précédent. La nostalgie ne mène nulle part... Mme Christine Boutin - C'est vrai ! M. le Président de la commission - Il s'agit de pointer du doigt ce qu'on qualifie d'échec de notre système éducatif ; ce n'est pas l'échec de l'école, mais, plus vraisemblablement, le résultat du désarroi éthique d'une société qui a évolué trop vite, sans prendre le temps de bâtir de solides fondations... Mme Christine Boutin - J'aurais voulu écrire tout cela ! M. le Président de la commission - La crise actuelle est moins celle de l'école que celle de la société dans laquelle elle s'insère. Au bout du compte, nous possédons sans doute encore un système éducatif assez robuste et performant. Encore faut-il arrêter de lui demander de tout résoudre ! C'est tout à l'honneur du débat national que de revisiter de fond en comble le contrat qui lie l'école et la nation : comment et jusqu'où intégrer la valeur d'égalité, poursuivre tout à la fois l'instruction du plus grand nombre et cultiver l'élite nécessaire au pays ? Quid de l'égalité de traitement ? Jusqu'où valoriser les différences individuelles ? Comment prétendre tout à la fois protéger l'enfant et lui reconnaître un droit absolu à la liberté de s'exprimer ? N'a-t-on pas eu par trop tendance à le traiter comme un individu responsable, déjà capable de penser par lui-même - ce que, précisément, il n'est pas encore - ? Jusqu'où prendre en compte l'élève comme individu, porteur d'une culture, de désirs et de goûts propres ? Comment faire vivre en bonne intelligence des enfants d'origines et d'appartenances les plus diverses ? Comment les aider à participer pacifiquement à la vie collective ? Comment redonner aux savoirs universels un statut qu'ils ont perdu dans la société ? Quelle place donner au passé ? Quelles places respectives attribuer à l'instruction et à la préparation à la vie professionnelle ? Jusqu'où devons-nous « ajuster » l'école aux exigences de l'économie contemporaine ? Face à l'emprise exercée par la télévision, l'école doit-elle rester un sanctuaire dans lequel la culture médiatique ne rentre pas ou collaborer ? Mme Christine Boutin - C'est une vrai question ! M. le Président de la commission - Quelle doit être la place des familles face à l'institution scolaire ? Il faut que ces questions deviennent l'affaire de tous. Cette année aura été utile puisqu'elle marque un pas dans cette voie. Au total, un million de Français ont participé au débat sur l'école. L'école relève d'une volonté politique, au sens le plus noble du mot. Ne renonçons pas à notre détermination éducative. Je conclus par un mot à l'attention du corps enseignant. Penser à l'école, c'est essentiellement penser aux maîtres. La qualité de leur travail dépendra des réponses que nous saurons apporter aux différentes questions que j'ai rappelées et de la considération dont ils jouiront dans toute la société,... M. Yves Durand - Qu'est-ce qu'on les aime, les maîtres, à l'Assemblée ! M. le Président de la commission - ... de la base au sommet de la hiérarchie. M. Eric Raoult - Quelle démonstration ! Il faut le publier ! (« Bravo ! » et vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Bernard Derosier - Il se dit depuis plusieurs jours que le débat sur l'école arrive - enfin - au Parlement, et comment ne pas s'en réjouir ? A l'évidence, l'école préoccupe nos concitoyens au plus haut point. Après la grande loi d'orientation de 1989, portée par Lionel Jospin et dont j'ai eu l'honneur d'être le rapporteur, voilà que le Gouvernement semble décidé à présenter une nouvelle loi. Celle de 1989 répondait à une attente forte de tous les acteurs du monde éducatif et vous avez vous-même, Monsieur Darcos, reconnu à Lille en avril dernier qu'elle restait un bon cadre. Dès lors, pourquoi ne pas se contenter de l'adapter plutôt que de vouloir l'abroger ? Vos arguments en faveur de son effacement sont maigres : elle n'aborde pas le problème de la violence scolaire et l'objectif de faire accéder 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat n'est pas atteint. Soit. Mais est-ce suffisant ? Parce que de l'école dépend l'avenir de notre jeunesse, il importe d'inscrire son évolution dans celle de la société, tout en la préservant de certains excès. La loi de 1989 a été préparée dans cet esprit, lequel doit perdurer aujourd'hui dans l'intérêt des jeunes, de la communauté éducative et de la nation toute entière. Le débat de la loi d'orientation de 1989 s'inscrivait dans un contexte politique et social particulier. Cette période était en effet marquée par le besoin de démocratiser l'enseignement ; les étudiants - descendus dans la rue - venaient se mobiliser contre le projet Devaquet, pour marquer leur attachement à l'égalité d'accès au savoir. Dans ce contexte, pour la première fois dans l'histoire de la République, un gouvernement a traité du système éducatif dans son ensemble, de la maternelle à l'université. Cette loi, en donnant des bases solides et novatrices à notre système éducatif, a renforcé les principes républicains de liberté, d'égalité, de fraternité et de justice sociale. Principe de liberté, tout d'abord, avec l'affirmation du droit à l'éducation pour tous. Toute grande démocratie se doit de garantir ce droit et son effectivité. C'est pourquoi il fallait, à l'aube du XXIe siècle, que le droit à l'éducation soit clairement énoncé, considérant que les progrès d'une nation se mesurent à la qualité de son enseignement. Par ailleurs, la loi d'orientation de 1989 affirme dans ses principes la liberté de l'esprit humain, en mettant au c_ur du système l'élève, de sorte que celui-ci construise son savoir plutôt que de subir un enseignement dispensé de manière dogmatique et pour que son intérêt soit considéré en priorité. Principe d'égalité ensuite. La loi de 1989 affirme l'objectif ambitieux de voir 80 % d'une classe d'âge accéder au baccalauréat. Il n'était pas sans signification de donner une valeur législative à cette ambition. Quinze ans après, nous pouvons être fiers de constater que l'objectif est en passe d'être atteint, participant ainsi au souhait de progrès social d'un grand nombre de familles qui, trente ans auparavant, n'auraient jamais osé espérer faire poursuivre des études à leurs enfants (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). Favoriser la scolarisation des enfants dès l'âge de 2 ans - notamment dans les zones socialement désavantagées et dans les zones rurales - a aussi participé de l'affirmation du principe d'égalité. Je regrette que le Gouvernement actuel revienne sur cet objectif, alors que tous les spécialistes s'accordent sur son importance pour promouvoir l'égalité des chances. Et comment qualifier les propos du recteur de mon académie, déclarant qu'il en avait assez de rémunérer des enseignants pour surveiller des enfants qui dorment ! (« Scandaleux ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). La loi d'orientation de 1989 consacrait aussi le principe de fraternité, en reconnaissant les parents d'élèves comme des membres à part entière de la communauté éducative, aux côtés des enseignants et des personnels administratifs, techniques et de services. L'affirmation de ce principe s'est traduite par leur participation aux différents conseils de l'éducation nationale, ainsi qu'aux projets d'établissement. Depuis lors, ils sont pleinement associés à la vie scolaire et leur implication a été pour tous des plus enrichissantes. Promotion de la fraternité, aussi, par la prise en compte de la diversité des élèves, facteur de notre richesse éducative, quelles que soient leurs difficultés sociales ou physiques et je pense notamment à l'intégration des élèves handicapés. Principe de justice sociale, enfin. Grâce à la loi d'orientation de 1989, la carrière et la place des enseignants, dans la société, ont enfin été revalorisées. Le métier d'enseignant est enfin reconnu et son statut réévalué. C'est dans cet esprit qu'ont été créés les instituts universitaires de formation des maîtres, pour leurs formations initiale et continue. Alors qu'un certain ministre avait, au milieu des années 1970, osé affirmer que « si les enseignants n'étaient pas satisfaits de leur rémunération, ils pouvaient devenir éboueurs », il n'a fallu attendre qu'une dizaine d'années pour que soient prises en considération leurs revendications légitimes. Il n'est hélas pas certain que le Gouvernement actuel partage cette préoccupation ! Parallèlement, la loi de 1989, s'inspirant des principes de décentralisation de 1982, a consacré le partenariat entre l'éducation et les collectivités territoriales. Une grande loi sur l'école exige des moyens financiers. En 1989, le gouvernement précédent avait consenti l'effort nécessaire avec une augmentation continue et forte du budget de l'éducation nationale. Je m'honore d'avoir appartenu à une majorité qui a fait de l'éducation la première priorité nationale. La réaffirmation du triptyque républicain dans la loi d'orientation de 1989 a donné un nouvel élan à l'école et modifié la façon même dont est perçue la scolarité. Qu'il s'agisse de la création des cycles, qui a permis de mieux prendre en compte la diversité des élèves, de la modification des rythmes scolaires, destinée à faciliter les apprentissages, de la mise en place des projets d'établissement, visant à mieux intégrer tous les élèves, de l'ouverture de l'école à ses partenaires, afin qu'elle s'inscrive davantage dans la vie du quartier et de la ville, la loi de 1989 a créé les conditions d'une nouvelle culture dans notre système éducatif. Elle a permis une modernisation sans précédent de celui-ci, à l'écoute des besoins des enfants, car, est-il besoin de le rappeler, l'école doit être faite pour eux. Après les lois Ferry, qui ont fondé l'école laïque et républicaine, après la loi d'orientation de 1989, qui a institué l'école pour tous, ce gouvernement souhaite présenter une nouvelle loi d'orientation. Est-ce bien nécessaire ? N'y a-t-il pas un moyen plus simple, et donc plus efficace, d'adapter notre système éducatif aux évolutions de notre société ? En un mot, l'école est-elle en panne au point d'exiger une nouvelle loi d'orientation, alors même que les ambitions de 1989 constituent toujours les défis d'aujourd'hui ? La loi de 1989 a enclenché une dynamique, une rénovation en profondeur, sur lesquelles il serait dangereux de revenir si peu de temps après, au risque de déstabiliser notre système éducatif. Ainsi nous parle-t-on d'un retour aux savoirs fondamentaux... que la loi de 1989 n'avait nullement gommés, simplement intégrés à une vision de la construction du savoir. De la lutte contre l'illettrisme... jamais oubliée par les ministres de l'éducation qui se sont succédé. De la remise en question du collège unique : sur ce point, souhaite-on revenir en arrière et recréer les filières qui empêchaient une part non négligeable des élèves d'accéder à des savoirs indispensables à une pleine réussite ? Qui pourrait raisonnablement le proposer. On nous parle également de revaloriser l'enseignement professionnel, mais c'est précisément ce que faisait la loi de 1989 en instituant les bacs professionnels. Le législateur avait fait le pari de l'intelligence, considérant qu'un jeune s'adapte mieux au monde dans lequel il vit lorsqu'il a atteint un certain niveau d'études. Les questions soulevées aujourd'hui l'étaient déjà en 1989 et le législateur y a alors répondu. Rien ne justifie donc une nouvelle loi d'orientation. Il suffit de continuer de donner à notre système éducatif les moyens nécessaires...mais cela, vous ne le faites pas. Je ne nie pas pour autant la nécessité de quelques adaptations. Si nous avons atteint nos objectifs quantitatifs, des avancées restent nécessaires sur le plan qualitatif. Même si elle a beaucoup progressé, il faut encore renforcer la démocratisation de l'enseignement. Je ne suis, hélas, pas certain que telles soient les intentions du Gouvernement. Vous vous targuez d'organiser un grand débat sur l'école, mais sans en attendre la fin, des dispositions sont d'ores et déjà annoncées et les effets d'annonce se multiplient dans la presse. Cet ersatz de débat national va conduire à un ersatz de loi d'orientation. Pour que s'instaure un véritable débat, il aurait fallu d'abord dresser le bilan de la loi en vigueur, ce que vous n'avez pas fait. Mais peut-être les intentions du Gouvernement sont-elles tout autres... Une loi d'orientation est l'expression d'une pensée politique, d'une philosophie. Celle de 1989 visait à démocratiser l'enseignement, renforcer l'égalité des chances, permettre à tous d'accéder au savoir. Il s'agissait - l'objectif vaut encore - de faire des enfants de notre pays de véritables citoyens, capables d'influer sur le destin de la nation, de s'adapter aux évolutions de la société, et non une simple main-d'_uvre productive et rentable. L'éducation n'est pas un bien marchand. Elle doit échapper à la loi de l'offre et de la demande, elle n'a pas à être « rentable ». Le système éducatif est un corps vivant qui doit être en mouvement permanent. Ce n'est pas une nouvelle loi abrogeant la précédente qui le permettra (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). M. Alain Bocquet - Il n'aura pas fallu longtemps pour constater où mène votre grand débat sur l'école ni pour mesurer les conséquences de votre budget de l'éducation pour 2004 ! Trois mois à peine se sont écoulés, et déjà se confirment toutes les craintes que vos choix avaient suscités concernant la prochaine rentrée. Après la suppression des emplois-jeunes, voici que se profile celle de nombreux postes d'enseignants. Alors que, d'après vos propres chiffres, la population scolaire augmentera en septembre 2004 d'au moins 20 000 élèves, tous degrés confondus, il n'y aura pas un enseignant de plus. Cela est inacceptable. L'encadrement pédagogique en pâtira fortement. Au lieu d'enseigner à des classes allégées comme il serait nécessaire, les enseignants seront encore plus mis sous pression. Deux cent cinquante postes vont être supprimés dans l'académie d'Amiens, ce qui suscite beaucoup d'inquiétudes. Le sort de l'université de Picardie, celui de ses chercheurs et de ses 20 000 étudiants inquiète également. L'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur sont en effet essentiels dans une région où le niveau de formation est faible et où les retards à rattraper sont importants. Il n'est pas acceptable que les décisions prises au niveau national ruinent les efforts locaux. Ainsi l'avenir de l'IUT de l'Oise est-il bien fragile dans ce contexte. Dans une autre académie qui m'est chère, celle de Lille, vos décisions vont aggraver les difficultés scolaires, déjà importantes, en particulier dans les zones sinistrées par la casse industrielle de ces vingt dernières années. Vous invoquez la discrimination positive. Mais est-il un seul parent d'élève, un seul enseignant du Nord ou du Pas-de-Calais pour qui celle-ci puisse passer par la suppression de 600 postes dans le second degré et de 49 postes dans le premier degré, décisions que vous avez pourtant prises, au motif de servir les académies de Versailles ou de Toulouse ? Ces décisions sans précédent sont aberrantes et scandaleuses : 1500 postes auront été supprimés en trois ans dans cette académie, soit autant que pour toute la France cette année dans le premier degré ! A cela s'ajoute la suppression de 58 postes d'administratifs, alors qu'il en manque déjà 300, sans parler même du fait que la décentralisation scolaire, telle que vous l'envisagez, renforcera les inégalités entre les territoires et fera perdre leur statut de fonctionnaire d'Etat aux ATOS. L'émotion et la colère sont dans notre région à la mesure de ce nouveau coup porté au système éducatif, qui conforte chez nos concitoyens le sentiment d'être abandonnés à leur sort par l'Etat. Les syndicats d'enseignants dénoncent bien sûr vigoureusement la suppression des 49 postes dans le premier degré alors que les écoles maternelles et primaires devraient scolariser quelque 2 300 élèves de plus à la prochaine rentrée. En dépit de vos dénégations, ils redoutent, comme les parents, que la scolarisation dès l'âge de 2 ans, l'un des très rares points sur lesquels le Nord-Pas-de-Calais figure encore dans la moyenne nationale, ne soit remise en question. Comment admettre également la suppression de 600 postes dans le second degré alors que les effectifs ne devraient diminuer que de moins d'un élève par classe ? Il en résultera, hélas, la disparition de filières, voire des établissements les plus petits, et la ruine des sections d'adaptation qui permettaient de conduire les élèves du CAP ou du BEP au baccalauréat professionnel. Cela est inadmissible dans une région où la casse sociale et le chômage confrontent les jeunes à des situations dramatiques. L'Etat peut-il dresser sur leur route des obstacles supplémentaires quand, trop souvent hélas, leurs parents et leurs grands-parents n'ont que le RMI pour vivre et que l'école représentait pour eux la seule chance de s'en sortir ? Le Nord-Pas-de-Calais n'est pas un réservoir dans lequel le Gouvernement pourrait puiser à l'envi, pour éviter d'avoir à financer les postes nécessaires dans les autres académies. Où est la justice sociale et territoriale que vous prétendez défendre ? Les enseignants et les parents d'élèves ne voient, eux, qu'un scénario-catastrophe qui, à l'échelle du pays, fera disparaître 1 300 classes de collèges et de lycées, sans parler de ses conséquences sur l'enseignement des options. L'incompréhension est d'autant plus grande dans notre région qu'élus, enseignants et parents n'ont pas manqué de vous alerter, visiblement en pure perte. Vous dites vouloir défendre l'école en milieu rural, mais les suppressions de postes y menacent aussi. J'ai d'ailleurs dû vous alerter sur les projets en cours à Flines-lès-Mortagne dans ma circonscription. Vous assurez défendre toutes les situations d'enseignement. Mais le compte n'y est pas. Ainsi, dans ma ville, elle a annoncé la suppression de huit ou neuf classes, de la maternelle jusqu'au collège. Dans un lycée horticole, les élèves vivent dans des conditions innommables, les ministères de l'éducation nationale et de l'agriculture se renvoyant la balle alors que les collectivités locales sont prêtes à concourir à la construction d'un nouveau lycée. Voilà, derrière votre grand débat national, la réalité des choses. Pourtant l'effort régional en faveur des établissements scolaires a été porté à 18 %, soit 230 millions, celui du département à 15 %, soit 280 millions, mais le désengagement de l'Etat met ces efforts en péril. Il s'ensuit difficultés aggravées et attentes insatisfaites, avec par exemple l'état lamentable de l'hébergement étudiant à Lille ou à Valenciennes, que vous ont vertement rappelé les intéressés. Tout conduit à revoir la copie et à revenir sur vos décisions iniques de suppression de postes. Si ce fameux grand débat national vous laisse sourd aux attentes des populations, vos décisions, lourdes de conséquences, augurent mal de la France de demain, avec vos choix ultra-libéraux qui minent l'école de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste). M. Guy Geoffroy - Contrairement à certains propos tenus à l'instant, je ne crois pas qu'il faille prendre à la légère l'initiative de ce grand débat, ce million de Français qui ont saisi l'occasion de s'exprimer en direct, sans complexe, devrait inviter chacun à un peu plus de retenue dans son commentaire. S'y ajoutent les plus de 300 000 internautes qui sont intervenus et ont dialogué, et qui méritent un peu plus de respect. En tant que membre de la Commission nationale du débat sur l'avenir de l'école, je salue les travaux de l'ensemble des membres de la commission, qui depuis la mi-septembre s'efforcent, avec intelligence et conviction, de faire naître et prospérer ce débat, y apportant leur propre contribution et finiront pour vous fournir la synthèse des travaux qui leur sont parvenus. Je salue en particulier le président Claude Thélot qui a su allier fermeté et ouverture pour faire travailler tous les membres de la Commission. Ceux-ci auraient du reste apprécié un peu plus de respect pour leur engagement et leurs efforts. Durant plus de deux mois, les 19 000 forums organisés ont passé au crible les vingt-deux questions que nous avons patiemment bâties comme autant d'entrées dans une problématique complexe, mais en demeurant au plus près des préoccupations exprimées par nos concitoyens de toutes catégories. La première préoccupation est celle-ci : comment mobiliser nos enfants et les faire travailler efficacement pour qu'ils réussissent ? La seconde, comment faire que notre école, rongée par le doute et par l'inquiétude face à l'irruption chez elle de la délinquance, retrouve sa sérénité ? La troisième préoccupation est de savoir comment positionner notre système éducatif face aux difficultés grandissantes que rencontre un nombre croissant d'élèves ? Comment, quatrième préoccupation, parvenir à ce que l'école intègre l'extrême diversité des élèves qui se constate dans chaque établissement ? La cinquième préoccupation porte sur le partenariat à l'intérieur et autour des écoles. Quelle place pour les parents, les milieux économiques, les acteurs sociaux, l'ensemble des collectivités locales qui sont devenus les partenaires indispensables de l'école ? Mme Claude Greff - Très bien ! M. Guy Geoffroy - Pour répondre à toutes ces préoccupations, nous devons éviter toute position dogmatique et nous tourner vers l'avenir de notre école, qui est pour une bonne part celui de notre société. Le premier enjeu est celui de la réussite de l'école primaire. Ses personnels ne sont pas en cause. Ils souffrent beaucoup et font de leur mieux, mais ils se désespèrent de ne pas pouvoir faire réussir leurs élèves en plus grand nombre. L'école de la République, à qui est confiée 100 milliards chaque année, soit 70 % du PIB doit-elle accepter comme une fatalité que 15 % d'élèves arrivent au collège sans maîtriser les acquis fondamentaux ? Non bien sûr ! La lutte contre l'illettrisme que vous avez engagée doit figurer comme priorité absolue au c_ur de la future loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Il faut utiliser, pour commencer, cet outil de prévention majeur qu'est notre école maternelle, la meilleure du monde. Nous devons nous interroger sur notre mode d'évaluation. Pour quoi ne pas dresser dans chaque commune un bilan annuel de la lutte contre l'illettrisme ? Pourquoi faire entrer en sixième des enfants dont on sait pertinemment qu'ils rencontreront des difficultés de plus en plus grandes et que, perdus et déboussolés, ils risquent de dériver et de provoquer leur propre exclusion ? M. Yvan Lachaud - Très bien ! M. Guy Geoffroy - La loi devra traiter de cette articulation entre l'école primaire et le collège. La diversité au collège est naturelle. Pourquoi la gommer pour des considérations idéologiques, et vouloir imposer le même parcours à tout le monde ? Assurer la réussite d'un élève, c'est lui donner la capacité d'atteindre sa propre excellence. Dispenser à tous le même enseignement pendant quatre ans n'est pas le meilleur service qu'on puisse rendre à chacun. Il faut introduire très tôt les éléments propres à assurer un accompagnement individualisé aux enfants en difficulté, pour les amener au second cycle dans de bonnes conditions. L'orientation devra trouver toute sa place dans la réforme. Aujourd'hui, elle prend trop souvent la forme d'un couperet : on désigne l'élève comme étant en échec scolaire, et tout juste bon à passer quelques années sur les bancs de l'enseignement professionnel. Ce n'est pas ainsi que nous parviendrons à revaloriser concrètement l'enseignement professionnel, alors que, chacun le sait sans que personne le dise, l'objectif de 80 % d'une tranche d'âge au niveau du baccalauréat n'aurait pu être envisagé sans prendre en compte le bac professionnel. Or l'objectif n'a jamais été atteint : en 1994-1995, le chiffre a été de 71 % puis il est retombé à 65 %. Encore pourrions-nous penser que ce n'est pas grave si, chaque année, 160 000 jeunes ne quittaient pas le système éducatif sans qualification. Nous devons lutter contre cela, c'est-à-dire permettre à l'enseignement professionnel de jouer son rôle. Sur cent élèves et soixante-cinq bacheliers, on en compte aujourd'hui quarante dans les filières générales, dont les effectifs n'ont cessé de baisser ces dernières années. Et puis il y a ces malheureux élèves à qui on a conseillé de faire une seconde, voire une première générale, et qu'on a ensuite relégués dans les filières techniques. Par ailleurs, alors que 30 % des collégiens entrent en BEP, ils ne sont plus que 12 % d'une classe d'âge en terminale technologique. Nous ne devons pas ignorer ce décrochage qui se produit dès la première année. Tant que nous ferons de l'enseignement professionnel une voie de garage, nous ne pourrons progresser, ni approcher l'objectif des 80 %. Il nous faut d'abord nous poser la question des maîtres. Notre potentiel est remarquable. Les enseignants comme les autres personnels de l'Education nationale sont des gens dévoués. Nous devons leur accorder une grande attention et leur garantir des carrières attractives, afin que, parvenus à la plénitude de leur art, ils puissent aux côtés des enseignants d'IUFM, partager leur pratique pédagogique. Comment, enfin, ne pas évoquer les familles, dont on nous dit tour à tour qu'elles sont trop présentes ou trop absentes. Nous devons réfléchir aux moyens de soutenir la parentalité, voire de la faire émerger quand elle n'existe pas. Une enseignante d'école maternelle m'a demandé ceci : « Dites dans la loi que l'école n'a pas pour mission d'élever les enfants ». Il faudra tout faire pour que les parents soient tous en mesure d'assurer leur rôle. Nous avons le devoir de regarder l'école en face. Elle a des richesses et des potentialités, mais elle est en décalage avec la société. A nous de lui rendre sa fierté, de restaurer l'autorité du maître, de donner à l'élève la place qui lui est due. Respectons l'école et nos enfants, arrêtons de leur mentir : c'est ainsi que nous bâtirons l'école de demain, l'école de la République, fondatrice de toutes les libertés - une école qui puisse s'enorgueillir d'être l'école de la France (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Mme Martine Lignières-Cassou - Vous semblez considérer que seule l'école créé le lien éducatif, oubliant que l'enfant vit d'autres temps que celui de l'école. Je pense en particulier aux loisirs. Sur 8 500 heures annuelles, l'enfant n'en passe que 1 000 à l'école. Il a 4 000 heures de temps libre, dont 500 passées devant la télévision. En l'absence de régulation publique, le temps libre est une source importante d'inégalité. L'enjeu est d'abord éducatif : le temps social, qui est loin d'être un temps résiduel, peut permettre à chacun de développer ses capacités. L'enjeu est aussi économique, car nous voyons des opérateurs marchands investir ce temps libre, en offrant des séjours linguistiques et des cours particuliers. Ce phénomène ne peut que renforcer les inégalités. Peut-être que pour vous, il y a là place pour le marché, la famille étant seule responsable de sa stratégie éducative. Mais combattre l'inégalité signifie pour nous agir sur les temps de vie des enfants et des familles. La réflexion sur l'école doit donc s'inscrire dans une démarche globale qui reconnaisse les enfants comme des acteurs à part entière. Soutenir la fonction parentale, définir une politique du logement qui permette aux enfants de travailler dans le calme, valoriser les acteurs éducatifs non scolaires, comme les associations d'éducation populaire - dont vous réduisez les subventions -, parvenir à une charte de déontologie avec les médias, voilà ce que nous, socialistes, appelons une politique éducative (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). M. Frédéric Dutoit - Le grand débat sur l'école n'a pas été à la hauteur des enjeux. Trop peu d'audace, trop peu d'ambition et - pourquoi le cacher ? - trop peu d'envie ont limité la réflexion. C'est particulièrement vrai dans l'académie d'Aix-Marseille. Vous avez manqué votre rendez-vous avec la communauté éducative. Enseignants, personnels non enseignants de l'Education nationale, parents d'élèves et élèves ont rarement planché ensemble sur l'avenir de l'école. Cette communauté éducative traverse une grave crise identitaire et son profond malaise ne la prédispose guère à participer à une réflexion institutionnalisée, sinon instrumentalisée. Combien de fois ai-je entendu à Marseille des professeurs me dire : « A quoi bon se projeter dans l'avenir s'il est déjà bouché ? ». Il est dangereux de dire tout et son contraire, de parler d'ambition pour l'école et de programmer pour la rentrée 2004 300 suppressions de postes d'enseignants du second degré dans l'académie Aix-Marseille ou de n'envisager que quelques créations de postes dans les écoles maternelles et primaires, en total décalage avec l'évolution démographique des territoires urbains et ruraux du sud-est de la France. C'est méconnaître à quel point il est urgent de diminuer les effectifs par classe, particulièrement dans les quartiers populaires marseillais. Il faut améliorer d'urgence la situation scolaire dans la deuxième ville de France, afin de permettre aux plus défavorisés de rattraper leur retard. Le nombre des enfants à scolariser augmente fortement à Marseille. Les collèges sont à la limite de la saturation. Mais le taux de scolarisation des enfants de 2 ans baisse alors que, nul ne le conteste, la scolarisation précoce est particulièrement bénéfique aux enfants des milieux défavorisés. C'est dans les zones d'éducation prioritaire que le nombre d'élèves augmente le plus, alors que les moyens humains et matériels tendent à se réduire. On n'observe pas de discrimination positive, principe en vertu duquel il faudrait investir davantage dans certains quartiers pour garantir une véritable égalité. A Marseille, en outre, nous avons accueilli 691 collégiens non francophones, dont beaucoup sont de nationalité française. Il faut leur porter une attention particulière, ce qui nécessite des effectifs réduits et un suivi particulier. Sinon, ils relèveront dans quelques années de l'école de la deuxième chance. Prétendre réunir la grande famille éducative après avoir supprimé des milliers de postes de surveillants ne peut être qu'une man_uvre politique. Si la famille éducative croit en ses missions de service public, elle ne croit pas en votre gouvernement ni en ses capacités à promouvoir l'école de Jules Ferry : celle de la laïcité, de l'égalité, de la fraternité et de la liberté. Il ressort de tous les entretiens que j'ai eus à Marseille que l'Education nationale souffre de naviguer à vue à chaque rentrée scolaire en fonction de l'attribution ou non de postes d'enseignants et de personnels. Le devoir de la nation est d'investir dans l'avenir de ses enfants. Comme me le disait hier une enseignante marseillaise, plus les élèves disposeront d'une culture générale commune, plus ils seront qualifiés, libres, capables d'être utiles à l'homme et à la société. N'est-ce pas là la première mission de l'école, à Marseille comme ailleurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste) M. Claude Goasguen - Notre discussion survient à mi-parcours, entre la fin du débat national et la préparation d'une loi d'orientation. Il fallait débattre largement et ouvertement de l'école. L'initiative du Gouvernement fut heureuse. Messieurs les ministres, vous avez maintenant une obligation de résultat quant à la rénovation de notre système scolaire. L'école de la République a un objectif précis : rétablir l'égalité des chances. C'est son objectif le plus noble, le plus grand. Il ne s'agit pas, en effet, de limiter le rôle de l'école à la seule diffusion du savoir. Nous devons, pour ce faire, rompre avec certaines déviations héritées du passé, dont l'égalité-uniformité. Aujourd'hui, l'uniformité ruine l'égalité. Notre système égalitariste tire les élèves vers le bas et ne permet pas le développement des spécificités de chacun. C'est le moment ou jamais de casser un certain nombre de tabous. Selon un sondage publié samedi dans un grand quotidien, 90 % des personnes interrogées, qu'elles soient de droite ou de gauche, souhaitent pouvoir choisir l'établissement scolaire de leurs enfants. Toutes les audaces sont donc permises. J'ai toujours défendu l'idée selon laquelle l'Education nationale doit avoir les moyens de sa missions. Mais les moyens doivent servir à une véritable discrimination positive : le lycée de La Courneuve n'est pas Louis-le-Grand. Certaines zones privilégiées devront renoncer à des moyens au profit de celles qui ne le sont pas. Le moment est venu d'en finir avec le collège unique. Les établissements professionnels doivent avoir une véritable spécificité. Comme M. Thélot l'avait précisé à l'occasion d'une mission dont il avait été chargé par le précédent gouvernement, notre système éducatif a besoin d'évaluations, qui ne doivent pas concerner seulement les professeurs, mais également les établissements et les élèves. Il faut en finir avec l'anonymat : aucun employeur n'est à même de connaître précisément les compétences de tel ou tel à la sortie du système scolaire. Il ne suffit pas de savoir que tel élève a eu 12 en dictée au cours préparatoire ou 14 en latin au bac ! Mme Nathalie Gautier - Caricature ! M. Claude Goasguen - Mon expérience à l'inspection générale et au rectorat m'a permis de le constater : dans notre système éducatif, l'individualisation et l'évaluation sont nécessaires. Enfin, contrairement à ce qui se passe pour les autres administrations, les règlements qui s'appliquent à l'Education nationale sont trop nombreux... M. le Ministre - Oui. M. Claude Goasguen - ...et ne servent qu'à compliquer ce qui devrait être simple. Nous avons besoin d'une loi et non de tous ces règlements. Et je souhaite que chaque année, un débat d'orientation sur l'école ait lieu devant les représentants de la nation. Car l'éducation est nationale : c'est à la souveraineté nationale qu'elle doit d'abord des comptes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30. La séance est levée à 19 heures 30. Le Directeur du service |
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