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Assemblée nationale
COMPTE
RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL
Session ordinaire de 2003-2004 - 58ème jour de séance, 148ème séance 2ème SÉANCE DU MARDI 3 FÉVRIER 2004 PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ Sommaire QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2 GRÈVE À RADIO FRANCE 2 CRISE DU LOGEMENT SOCIAL ET ACCIDENTS D'ASCENSEUR 2 LUTTE CONTRE L'ANTISÉMITISME 3 DÉCISION DU TRIBUNAL DE NANTERRE 4 LOGEMENT 5 PRIME D'ASSURANCE AUTOMOBILE 6 DÉCISION DU TRIBUNAL DE NANTERRE 7 RELATIONS COMMERCIALES AVEC LA CHINE 7 SOUTIEN AUX ENTREPRISES 8 PRESTATIONS FAMILIALES DES PARENTS ISOLÉS 8 SÉCURITÉ ROUTIÈRE 9 LUTTE CONTRE LA POLLUTION DES MERS 10 RAPPEL AU RÈGLEMENT 10 DÉPÔT DU RAPPORT ANNUEL APPLICATION DU PRINCIPE DE LAÏCITÉ DANS LES ÉCOLES, COLLÈGES La séance est ouverte à quinze heures. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement. M. Pierre-Christophe Baguet - La radio est le média préféré des Français. Or, les journalistes de Radio France entament aujourd'hui leur deuxième semaine consécutive de grève... (« Scandaleux ! » sur les bancs du groupe UMP) Ce mouvement, le plus dur depuis 1994, pose le problème des relations complexes entre l'Etat et les sociétés du service public de l'audiovisuel. Les journalistes se sentent légitimement malmenés dans ces rapports ambigus... (« Démago ! » sur les bancs du groupe UMP), car si le dialogue social doit se construire au sein de chaque entreprise publique indépendante, la tutelle financière du Gouvernement est décisive. Si l'uniformité salariale entre toutes les entreprises du service public ne semble pas adaptée, on ne peut en revanche accepter que les journalistes de Radio France subissent un gel du point d'indice salarial depuis huit ans... (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Le président de Radio France reçoit aujourd'hui à 17 heures 30 les journalistes. Nous souhaitons que cette rencontre ait une issue positive, mais dans le cas contraire, le Gouvernement envisage-t-il de nommer un médiateur, tel M. Guy Servat, dont le plan, soumis naguère à M. Sarkozy lorsqu'il était en charge de la communication, reste toujours d'actualité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) M. François Goulard - C'est nul ! M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication - Le Gouvernement est très attaché au service public de la radio... M. François Hollande - Prouvez-le ! M. Jean-Jacques Aillagon, ministre de la culture et de la communication - ...et il l'a démontré au moment du vote du budget, puisque c'est Radio France qui a bénéficié de la plus forte augmentation de sa dotation. Le conflit de Radio France porte en effet sur des revendications salariales. Un certain nombre d'organisations syndicales demandent que les salaires soient alignés sur ceux de France 3, mais, vous l'avez dit vous-même, une telle convergence n'a mécaniquement pas lieu d'être car les situations professionnelles sont très différentes. Le Gouvernement a choisi de renvoyer la responsabilité du dialogue social à la direction de la société et aux représentants du personnel. La nomination d'un médiateur est une commodité à laquelle il ne faut pas céder, car elle peut conduire à dédouaner la direction de sa responsabilité et constituer une marque de défiance du Gouvernement à l'égard des dirigeants de l'entreprise. Nous faisons confiance à Jean-Marie Cavada et j'ai trop de respect pour le personnel de Radio France pour ne pas le juger capable de conduire la négociation. Soyez assurés de l'attention extrême que nous portons à cette situation (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste). CRISE DU LOGEMENT SOCIAL ET ACCIDENTS D'ASCENSEUR M. Maxime Gremetz - Cinquante ans après l'appel de l'abbé Pierre, nous sommes confrontés à une nouvelle crise du logement social ; nous souffrons en effet de l'absence d'offre par rapport à la demande et du défaut d'entretien du patrimoine locatif. L'abbé Pierre et les différentes associations notent que le Gouvernement est allé de promesses non tenues en promesses non tenues (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Depuis deux ans, son effort s'est en effet inversé et le budget du logement est passé au-dessous de 2 % du PIB. Dans le même temps, il s'est empressé de supprimer les engagements de nouveaux logements sociaux que nous avions fait voter. Dès lors, ce ne sont pas moins de 320 000 logements qu'il faudrait construire chaque année, au lieu des 260 000 construits au cours des cinq dernières années. La crise du logement social s'accompagne du défaut de réhabilitation, voire de simple entretien des grands ensembles. L'absence d'intervention des pouvoirs publics peut conduire à des drames, tels que celui que nous avons vécu hier. Lundi, un homme de 67 ans est mort dans un accident d'ascenseur dans un immeuble HLM d'un quartier populaire d'Amiens. Je tiens à témoigner de toute ma sympathie à l'égard de la famille. Il s'agit du deuxième accident de ce type à Amiens et il survient après deux accidents mortels d'enfants, à Strasbourg et à Clichy-sous-Bois. Monsieur le ministre de l'équipement et du logement, le Gouvernement a fait voter une loi sur la sécurité des ascenseurs, qui a été publiée en juillet 2003. Sept mois après, il est incompréhensible que son décret d'application se fasse encore attendre. Combien faudra-t-il encore de drames pour que la sécurité des locataires ne soit plus négligée et que la loi s'applique enfin ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste) M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - La sécurité des hommes et des femmes, qu'il s'agisse des routes, de la délinquance de droit commun ou des ascenseurs, est affaire trop sérieuse pour qu'on en fasse un sujet de polémique... (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) M. Maxime Gremetz - Il n'y avait aucune polémique dans mon propos ! M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - Pensons d'abord à la famille de la victime. Dès notre arrivée, nous avons proposé une loi visant à améliorer la sécurité dans les ascenseurs. Elle a été votée contre l'avis de votre groupe... (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Plusieurs députés communistes et républicains - Pas du tout ! M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - ...en juillet 2003. Vous-même avez voté contre ! (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur plusieurs bancs du groupe UMP) Ce texte tendait à mettre aux normes nos ascenseurs, à affirmer l'obligation d'entretien et à former les agents d'entretien. Il n'est pas indispensable que les décrets d'application aient paru pour l'appliquer déjà. Ainsi, l'OPAC d'Amiens l'applique depuis sa promulgation. En l'espèce, c'est dans le cadre d'une opération d'entretien qu'un accident mortel s'est malheureusement produit. Monsieur Gremetz, si notre pays a besoin de logements, c'est parce qu'on n'a pas assez construit au cours des dernières années (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste). Nous avons mobilisé des crédits supplémentaires dès 2002. En 2003, nous sommes passés de 45 000 à 58 000 logements sociaux et nous en réaliserons 80 000 cette année. Nous n'avons donc aucune raison d'être gênés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP) M. René André - Le Gouvernement, sous l'impulsion du Président de la République, a affirmé sa détermination à lutter contre les formes de racisme, et ce combat est couronné de succès puisque les statistiques montrent une diminution des actes racistes et antisémites en 2003. Mais ils restent encore trop nombreux, et nos compatriotes d'origine juive en sont chaque jour les victimes et la France entière a en mémoire des faits précis : on s'en prend à un juge parce qu'il porte un nom juif ; des professeurs ne peuvent enseigner avec la sérénité requise le drame de la Shoah parce que certains élèves en nient la réalité ; des cimetières juifs et des synagogues sont régulièrement profanés ; des enfants sont battus ou maltraités dans la cour de nos écoles à cause - et pour cette unique raison - de leur origine. Hier, une chanteuse, Shirel, a été grossièrement insultée pour le seul motif qu'elle serait d'origine juive. Tous ces comportements sont révoltants et justifient la vigilance sans relâche des pouvoirs publics. La semaine dernière, sous l'autorité de M. le Premier ministre, le comité interministériel de lutte contre le racisme et l'antisémitisme a tenu sa deuxième réunion. Pouvez-vous, Monsieur le ministre de l'intérieur, nous faire part des décisions prises à cette occasion ? (Applaudissements) M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - En matière de lutte contre l'antisémitisme, il ne faut rien accepter... Un député socialiste - Fort des Halles ! M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - ...y compris les facilités de langage. L'antisémitisme, ce n'est pas un affrontement communautaire. D'abord, parce que personne n'a jamais vu dans notre pays un juif agresser qui que ce soit ! Il n'y a pas d'affrontement communautaire, ensuite, parce que nos compatriotes de confession musulmane sont, dans leur immense majorité, décidés à lutter contre toutes les formes de racisme, dont ils sont du reste, hélas, parfois les victimes. L'antisémitisme, c'est donc, ni plus ni moins, un comportement de voyou, devant être traité comme un acte délictueux. Le Gouvernement n'a qu'une seule politique : ne rien accepter. En 2003, on a recensé 37 % d'actes antisémites violents de moins qu'en 2003 ; pour autant, 125 agressions ont été à déplorer. Tant qu'il y aura encore une seule agression antisémite sur le territoire de la République, nous ne serons pas arrivés au bout de notre action. D'ailleurs, la lutte contre l'antisémitisme, ce n'est pas l'affaire de la communauté juive de France mais celle de la communauté nationale dans son ensemble. Chaque fois qu'un juif est attaqué parce qu'il est juif, c'est une tache sur la République française dans son ensemble. Ce n'est pas le problème des seuls juifs (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et du groupe des députés communistes et républicains). Le Premier ministre a décidé de créer un fonds, doté de 15 millions, pour aider les collectivités locales à financer des équipements de sécurisation de tous les établissements sensibles, scolaires ou religieux. Dans notre esprit, il ne s'agit pas seulement de protéger les sites juifs mais tous ceux qui ont besoin, à quelque titre que ce soit, d'être mis en sécurité. Monsieur le député, nous sommes décidés à éradiquer l'antisémitisme sous toutes ses formes, y compris l'antisémitisme mondain qui sévit parfois à la télévision (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). DÉCISION DU TRIBUNAL DE NANTERRE M. Jean-Marc Ayrault - Monsieur le Premier ministre, nous sommes tous ici des républicains et des démocrates. A ce titre, nous sommes tous attachés, d'une part, au respect et à l'application de la loi, d'autre part, au principe de la séparation des pouvoirs. Pour ces deux raisons impérieuses, le jugement rendu vendredi dernier par le tribunal de Nanterre, conforme à la législation en vigueur, adoptée, je le rappelle, à l'unanimité par le Parlement en 1995, ne saurait souffrir, notamment de la part du Gouvernement, aucun commentaire de nature à remettre en cause ces deux principes sacrés que sont l'égalité de tous devant la loi et l'indépendance de la justice (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP). Si vous êtes en désaccord avec cela, n'hésitez pas, Messieurs, à le dire encore plus fort ! Comment pouvez-vous justifier, Monsieur le Premier ministre, vos déclarations ainsi que celles de plusieurs membres de votre gouvernement qui, depuis quelques jours, semblent remettre en cause ces deux principes ? Plusieurs députés UMP - Quel culot ! Et Emmanuelli ? M. Jean-Marc Ayrault - Quelles assurances pouvez-vous donner à la représentation nationale quant à la sérénité nécessaire au bon fonctionnement de la justice dans notre pays ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains) M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Nous partageons tous ici l'idée républicaine selon lequel nul n'est au-dessus des lois. Pour autant, je refuse qu'en l'espèce, certains propos soient caricaturés. Je vais donc préciser le vocabulaire utilisé dans certaines déclarations faites sur la décision du tribunal de Nanterre. Pour ce qui concerne le chef du gouvernement, sachez qu'il n'a pas souhaité jeter le discrédit sur cette décision. Je respecte l'indépendance de la justice, et donc ses décisions (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Plusieurs députés socialistes - Encore heureux ! M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - J'ai parlé de « surprise », ce qui, d'après le dictionnaire, caractérise l'état d'une personne. Ce n'est en aucun cas une opinion, pis un jugement, encore moins un jugement sur un jugement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Je me souviens qu'en d'autres temps certains n'avaient pas hésité à qualifier un jugement « d'inique » ou de « controversé en droit et injuste dans ses effets. » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Jean-Christophe Cambadélis - Ils n'étaient pas membres du Gouvernement ! M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Rappelant par ailleurs que l'appel est suspensif et que par définition, le jugement de première instance n'est pas définitif, je n'ai fait que rappeler les règles du droit. Enfin, le « service du pays » peut prendre mille formes. L'idée du service de la France ne préjuge pas du statut du serviteur. Ma déclaration de chef du gouvernement était à la fois sincère et responsable. J'y suis fidèle, en redisant ici, en toute sérénité, mon amitié pour Alain Juppé... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et quelques bancs du groupe UDF), amitié qui n'est pas incompatible avec le respect de l'indépendance de la justice. Et pour conclure, permettez-moi de vous citer cette phrase de Todorov : « Donner des leçons de morale n'a jamais été une preuve de vertu. » (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Gilbert Meyer - A l'occasion du cinquantième anniversaire de l'appel de l'abbé Pierre, sa fondation a, hélas, dû rappeler que notre pays compte encore trois millions de mal-logés car, au-delà des sans domicile fixe, il faut tenir compte aussi de tous ceux qui vivent dans des abris de fortune, des logements insalubres ou surpeuplés. La politique du logement produit ses effets à long terme : se font sentir aujourd'hui les effets des décisions prises hier et ce sont les décisions prises aujourd'hui qui pourront améliorer la situation demain. Nous payons aujourd'hui le prix de l'absence de volonté politique du gouvernement précédent qui a gaspillé les fruits de la croissance... (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) et n'a pas su lancer la politique du logement qui était nécessaire, quand il en avait les moyens. Monsieur le ministre chargé du logement, quelle a été l'action de ce gouvernement en matière de logement depuis dix-huit mois et quels en sont les premiers résultats ? Plusieurs députés socialistes - Allô ? M. Gilbert Meyer - Chers collègues, à défaut d'avoir eu du courage politique, ayez celui de reconnaître votre échec ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP) Enfin, Monsieur le ministre, beaucoup de nos concitoyens souhaitent devenir propriétaires : 56 % d'entre eux seulement le sont, au lieu de 70 % chez la plupart de nos voisins européens. Quelles mesures envisage le Gouvernement pour faciliter l'accession à la propriété ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - La politique du logement, en particulier du logement social, est en effet déterminante pour la cohésion sociale. Et il est vrai que l'inertie qui a prévalu de 1997 à 2000 (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) a conduit à une crise sans précédent. En 2003, pour la première fois depuis quatorze ans si l'on excepte 1999, dernière année du dispositif Périssol, notre pays a mis en chantier 314 000 logements, contre 300 000 en moyenne dans les années précédentes. Et les perspectives pour 2004 sont tout à fait favorables puisque le nombre de permis de construire a augmenté de 9 % l'an passé. Nous avons par ailleurs financé, l'an passé, 58 000 logements sociaux contre 45 000 seulement en moyenne de 1997 à 2000. Un député socialiste - C'est faux ! M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - Nous espérions que l'aide à l'investissement locatif permettrait d'aider 40 000 logements en année pleine. Or, ce chiffre a déjà été atteint sur les neuf premiers mois de 2003. Les premiers résultats de notre politique sont tout à fait sensibles. La fédération du bâtiment vient de faire savoir qu'elle a créé 8 000 emplois l'an passé et que ses perspectives étaient bonnes pour 2004. En 2004, nous pourrons financer 80 000 logements sociaux, auxquels il faut ajouter 10 000 logements en accession à la propriété. C'est dire l'effort de ce gouvernement en matière de logement, et tout particulièrement du logement social (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Yves Censi - Ma question s'adresse au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. Christian Bataille - Et du chômage ! M. Yves Censi - Les Français ne comprennent pas que leurs primes d'assurance automobile, qui représentent pour beaucoup une lourde charge, n'aient pas diminué alors même que, grâce à la politique résolue du Gouvernement en faveur de la sécurité routière, le nombre d'accidents de la route a considérablement diminué. La concertation à laquelle vous avez convié les assureurs a permis de faire évoluer la situation, avec réalisme et dans le respect de la liberté de fixation des tarifs. A votre initiative, Monsieur le ministre, une réunion a eu lieu à Bercy entre des représentants des compagnies d'assurances, des mutuelles et des associations de consommateurs. Les avancées obtenues vous paraissent-elles satisfaisantes ? La concertation permettra-t-elle à nos concitoyens de voir leurs primes diminuer, ce qui favoriserait assurément leur responsabilisation ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP) M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Pour la première fois depuis bien longtemps, des représentants des assureurs et des assurés se sont en effet rencontrés la semaine dernière à Bercy. Beaucoup se sont étonnés de cette réunion, y compris ses participants, comme si les deux parties avaient oublié qu'elles pouvaient avoir des choses à se dire ! Elles ont, semble-t-il, à cette occasion, découvert qu'elles ne savaient pas communiquer (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Lorsque, comme moi, vous recevez l'avis d'échéance de votre assurance automobile, vous constatez que le tarif augmente ou diminue, mais vous ne savez pas pourquoi ! Il a donc été décidé de préciser en toute transparence la structure des coûts de l'assurance, de façon que le consommateur soit parfaitement éclairé. Lors d'une prochaine réunion, sera examinée la façon dont les assureurs, en toute concurrence, pourront répercuter l'évolution favorable de la sinistralité. Nous espérons beaucoup de cette transparence accrue (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP). DÉCISION DU TRIBUNAL DE NANTERRE M. Arnaud Montebourg - (Huées sur les bancs du groupe UMP) Ma question s'adresse au Premier ministre. Par vos déclarations solennelles depuis l'hôtel Matignon, vous avez bel et bien remis en cause la décision rendue par le tribunal de Nanterre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; vives protestations sur les bancs du groupe UMP), lequel s'est pourtant contenté d'appliquer la loi, rien que la loi, qui est la même pour tous. Les magistrats de Nanterre se sont par ailleurs plaints d'espionnage informatique et téléphonique (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Face à ces graves atteintes portées à l'indépendance de la justice, nous nous étonnons ici que la seule autorité garantissant, aux termes de la Constitution, l'indépendance des juges, à savoir le Conseil supérieur de la magistrature, n'ait pas été saisi par le Président de la République. Beaucoup d'autres autorités ont été saisies, mais pas lui ! Une commission a été constituée de toutes pièces par l'Elysée, mais elle est dirigée par un haut fonctionnaire placé sous votre hiérarchie. Une mission d'information parlementaire a été constituée, mais elle est dirigée par un de vos amis (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Il est clair qu'il s'agit de man_uvres destinées à discréditer les magistrats de Nanterre (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP). Toutes ces enquêtes sur mesure vous serviront à engager le combat contre des juges indépendants qui vous déplaisent, Monsieur le Premier ministre. Expliquez-nous donc pourquoi le Conseil supérieur de la magistrature n'est pas saisi ? Qu'avez-vous à en craindre, sinon son indépendance ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) M. le Président - Monsieur Montebourg, je regrette que vous mettiez en cause mon impartialité ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et de nombreux bancs du groupe UDF) M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Je viens d'entendre beaucoup d'approximations, alors que le droit exige de la précision. De quoi s'agit-il ? M. Jacques Desallangre - De sauver Chirac ! M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - La presse a fait état de pressions qui auraient été exercées sur les magistrats du tribunal de Nanterre. J'ai aussitôt demandé au procureur d'ouvrir une information pour traiter l'aspect pénal de l'affaire. De son côté, sur instruction du Président de la République, garant de l'indépendance de la justice (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste) - c'est la Constitution ! - le Gouvernement a décidé de confier à trois hauts magistrats - le Premier Président de la Cour de Cassation, le vice-président du Conseil d'Etat , le Premier Président de la Cour des comptes - une enquête administrative, qui est indispensable - vous devriez le savoir en tant qu'ancien avocat ! - car l'aspect pénal ne couvre pas tout le champ des investigations. J'ai eu l'occasion de m'entretenir avec les responsables du CSM, et le Président de la République a écrit à tous ses membres pour préciser que la commission des trois hauts magistrats les tiendra informés au fur et à mesure de l'enquête (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste), qui dépasse les compétences du CSM. Votre nervosité, monsieur Montebourg, traduit bien votre embarras ! Si l'enquête en démontre la nécessité, le Président de la République saisira le CSM au titre de l'article 64 de la Constitution (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). RELATIONS COMMERCIALES AVEC LA CHINE M. Guy Drut - Tout ce qui est excessif est dérisoire, et M. Montebourg semble avoir la mémoire assez sélective... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste). La semaine dernière, le Président de la République populaire de Chine a effectué une visite d'Etat en France. Ce fut l'occasion de rappeler l'importance de nos relations dans tous les domaines. La Chine fait preuve d'un dynamisme économique étonnant, qui va s'accentuer encore avec son entrée à l'OMC. Tous ses partenaires, à commencer par les entreprises françaises, devraient tirer profit de cette vitalité. Comment la France perçoit-elle l'enjeu ? Comment nos entreprises pourront-elles profiter de cette croissance ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP) M. François Loos, ministre délégué au commerce extérieur - La Chine a un niveau de production comparable à la France, qui ne représente actuellement que 18 % de la production asiatique, et le tiers de celle du Japon. Mais elle a un taux de croissance de 9 % par an, et elle souhaite développer à la fois le niveau de vie de ses habitants et ses infrastructures : elle projette ainsi de construire 12 000 kilomètres de chemins de fer et d'arriver à une production électrique double de celle de la France d'ici 2010. L'enjeu est donc considérable ! Ceci dit, le dynamisme chinois présente aussi des risques, qu'il s'agisse des contrefaçons ou de la concurrence dans les secteurs à forte main-d'_uvre. L'adhésion de la Chine à l'OMC nous donne des instruments pour faire face à ces risques : l'Union européenne a ainsi déjà utilisé les clauses de sauvegarde. La croissance de la Chine ouvre des marchés importants dans des domaines où nos entreprises sont bien placées, qu'il s'agisse des infrastructures, de l'énergie, de l'environnement, de l'agro-alimentaire. Nous avons cependant du retard dans les secteurs reposant sur les PME : le commerce avec la France ne représente que 1,4 % du commerce extérieur de la Chine alors que dans le reste du monde notre part est de 5,2 %. C'est pourquoi nous avons adopté en septembre un plan d'action commerciale pour soutenir les PME : nous allons ainsi passer de sept salons en 2002 à trente salons en 2004, et chacun sait que les salons sont, pour les PME, le principal moyen de se faire connaître à l'étranger (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP). M. Serge Poignant - Contrairement à la majorité précédente (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste), le gouvernement actuel a résolu de conduire une politique favorable aux entreprises, car ce sont celles qui créent des emplois. Ainsi, la politique volontariste menée par M. Fillon pour encourager l'emploi des jeunes a abouti à la signature de 100 000 contrats « jeunes en entreprise ». Parallèlement, le Gouvernement a encouragé la création d'entreprises par la simplification des démarches administratives et le soutien à l'innovation, grâce à la loi sur l'initiative économique adoptée en juillet dernier. Quels sont les résultats concrets de cette politique ? Comment comptez-vous poursuivre vos efforts en la matière ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP) M. Renaud Dutreil, secrétaire d'Etat aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation - Le Président de la République avait fixé un objectif très clair : créer un million d'entreprises en cinq ans. L'objectif a été atteint en 2003 puisque 200 000 entreprises se sont créées. Si le pari a réussi, c'est parce que nous avons tenu un discours clair, neuf et mobilisateur (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), pris des mesures concrètes et agi rapidement : six mois après le vote de la loi sur l'initiative économique, tous les décrets d'application étaient parus ! Il faut aller encore plus loin pour libérer les énergies : ce sera l'objet d'un second texte, qui vous sera présenté en 2004 et qui traitera de la transmission des entreprises, du statut social des entrepreneurs et de l'accès au crédit. Il est en effet anormal que les entreprises éprouvent autant de difficultés à obtenir des encours bancaires (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). PRESTATIONS FAMILIALES DES PARENTS ISOLÉS M. Philippe Vuilque - Le Gouvernement a pris en catimini une décision qui aura des conséquences dramatiques pour des dizaines de milliers de jeunes mères en situation précaire. Vous avez instauré la PAJE pour remplacer les diverses prestations familiales. L'intention est louable, à ceci près que vous avez supprimé l'allocation différentielle garantissant aux mères en difficulté un revenu minimum : la PAJE n'est plus cumulable, en effet, avec le RMI ou l'API. Gérard Bapt, rapporteur du budget de la santé et de la famille s'en était inquiété, mais vous n'avez pas daigné l'écouter. Ainsi, 40 000 jeunes mères en difficulté vont perdre 1 300 € sur huit mois, alors que dans le même temps vous augmentez la déduction fiscale des familles les plus riches qui emploient une nourrice à domicile (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). C'est un arbitrage budgétaire cynique (Mêmes mouvements) et non un ajustement technique « négligeable », comme vous l'avez déclaré. Que comptez-vous faire pour réparer cette injustice, dénoncée par l'ensemble des associations familiales ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille - Vous parlez de décision prise « en catimini » : il n'y a pas eu de décision prise, et je vais y revenir (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). L'objectif majeur de la PAJE était de lutter contre la précarité... Plusieurs députés socialistes - C'est réussi ! M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille - Jusqu'à présent, une mère isolée ne pouvait cumuler l'allocation de parent isolé avec un emploi à temps partiel ; elle pourra désormais cumuler celui-ci avec la PAJE (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). En outre, elle pourra recourir aux services d'une assistante maternelle : il ne lui en coûtera plus que 10 % de ses revenus, et non plus 30 % (Mêmes mouvements). Naturellement, nous tiendrons compte de toutes les situations d'extrême difficulté qui pourraient survenir (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) et tâcherons d'y répondre avec les partenaires sociaux. Quant à l'API, il n'a jamais été question de cumul, puisqu'elle est une allocation différentielle. Nous travaillons dans la transparence, et vous faites de la mauvaise polémique ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Au total, plus d'un milliard d'euros sont ainsi apportés aux familles : c'est plus qu'il n'avait jamais été fait depuis vingt ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) M. Dino Cinieri - Tout en félicitant le Gouvernement pour son juste combat contre la délinquance routière, je lui fais part d'une observation des gendarmes de ma circonscription. Lorsque les brigades d'intervention rapide ne parviennent pas à intercepter un automobiliste étranger qui commet un grave excès de vitesse, aucune poursuite ne peut être exercée, et l'amende reste impayée. Ne conviendrait-il pas de signer avec nos voisins des conventions comparables à celle qui existe avec la Suisse, afin de mieux réprimer les automobilistes étrangers en infraction ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP) M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer - Si l'on veut des résultats meilleurs encore, il faut combattre le sentiment d'impunité de ces automobilistes. La convention avec la Suisse fonctionne bien, et nous travaillons à étendre ce système à d'autres pays voisins : Grande-Bretagne, Allemagne, Pays-Bas, Belgique, Luxembourg. Il existe en outre un système d'échanges d'informations, basé à Luxembourg, qui commence à porter ses fruits. Un accord-cadre européen sur la coopération procédurale et l'exécution des décisions pénales est en cours d'adoption. Enfin, grâce à l'installation de radars, nous pouvons redéployer des effectifs sur les routes pour renforcer les contrôles et intercepter, immobiliser, voire confisquer les véhicules (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP). LUTTE CONTRE LA POLLUTION DES MERS M. Léonce Deprez - Les Français sont inquiets pour leur emploi et leur logement, et nous devons répondre à leur inquiétude, mais nous devons aussi nous mobiliser contre les pollutions en mer, qui touchent tout notre littoral, véritable source de vie. Des mesures ont été prises après les drames de l'Erika, et du Prestige, en liaison, je l'espère, avec les autorités européennes et internationales. La semaine dernière encore, trois navires qui ont dégazé en mer ont été, heureusement, verbalisés. Quelles mesures ont été prises pour protéger notre littoral de ces actes inqualifiables ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP) M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer - On pense toujours aux catastrophes comme celles de l'Erika ou du Prestige, alors que les pollutions, moins volumineuses mais plus fréquentes, liées au dégazage sont tout aussi nocives. Nous avons, depuis quelques mois, mis en place un dispositif de surveillance aérienne et maritime, et spécialisé trois parquet dans ce domaine : ceux du Havre, de Brest et de Marseille. Les résultats sont probants, les dernières condamnations en témoignent : 200 000 € d'amende et une peine de prison pour l'affréteur et le capitaine d'un cargo, 250 000 € de caution demandés au commandant d'un paquebot roumain, 500 000 € à celui d'un paquebot chypriote, et j'en passe... Par ailleurs, nous travaillons avec Mme Haigneré à la mise au point d'un dispositif de surveillance par satellite, permettant de savoir, n'importe où dans le monde, qu'un bateau est en cours de dégazage, et de le sanctionner immédiatement. Nous pourrons ainsi, qui plus est, dresser une « liste noire » des contrevenants (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement. Avant de suspendre la séance, je vous rappelle que les quatre premières questions de demain porteront sur des thèmes européens. La séance, suspendue à 15 heures 55, est reprise à 16 heures 20. M. Maxime Gremetz - Rappel au Règlement ! La réponse que m'a faite M. de Robien est indigne d'un ministre. Comment peut-on accuser un député d'utiliser à des fins polémiques un accident ayant causé la mort d'un homme ? De plus, le ministre ment, car si nous n'avons pas voté l'ensemble du projet, nous avons bel et bien voté ses dispositions relatives à la sécurité des ascenseurs. Enfin, c'est une nouvelle intéressante que d'apprendre qu'il n'est désormais plus besoin de décret d'application pour qu'une loi s'applique. Voilà qui va nous faire gagner beaucoup de temps, pour beaucoup de textes ! M. le Président - Je prends acte de votre rappel au Règlement, mais il existe effectivement des lois d'application directe. M. Jean-Pierre Brard - Comme celle que nous allons examiner cet après-midi... M. le Président - Exactement. L'ordre du jour appelle le dépôt du rapport annuel de la Cour des comptes. M. le Président - Je donne la parole à M. le Premier président de la Cour des comptes, que je suis heureux d'accueillir dans l'hémicycle. M. François Logerot, Premier président de la Cour des comptes - J'ai l'honneur de déposer sur le bureau de votre assemblée le rapport public annuel de la Cour des comptes, que j'ai remis ce matin au Président de la République. Je suis sensible à l'honneur que me fait l'Assemblée en me permettant de lui présenter les travaux de la Cour des comptes réalisés en 2003. Depuis près de dix ans, le rapport public n'est plus la seule publication de la Cour. Il est l'un de ses dix rapports pour l'année 2003. Outre ses communications sur l'exécution du budget et sur la sécurité sociale, la Cour a consacré sept rapports thématiques à des sujets donc l'actualité n'a pas besoin d'être soulignée. Qu'il s'agisse des pensions des fonctionnaires, de la gestion du système éducatif ou de La Poste, les constats et les recommandations de la Cour ont été délivrés aux pouvoirs publics et à l'opinion au moment où des décisions étaient en préparation. C'est dire que nous avons su anticiper au moment où nous avions programmé ces travaux, pour être, le moment venu, en phase avec l'événement. La Cour entend ainsi apporter sa contribution à la modernisation de la gestion de l'Etat et à l'évaluation des politiques publiques. Mais le rapport public annuel reste spécifique. Tout d'abord, il est l'occasion de communiquer sur l'activité des juridictions financières. Le rapport d'activité, publié depuis trois ans dans un fascicule distinct, est en effet un moyen de répondre aux questions qui nous sont de plus en plus souvent posées : qui êtes vous ? Comment travaillez-vous ? Qui décide de vos thèmes de contrôle ? Etes-vous efficaces ? Cette curiosité est parfaitement légitime puisque nous critiquons, parfois durement, l'administration nationale ou territoriale, les entreprises publiques et quelque fois même les associations. Notre rapport d'activité de cette année tente de répondre à ces questions de manière plus concrète encore que les années précédentes. Nous y abordons, avec des exemples, le contenu même de notre travail. Nous décrivons ce qu'est le « contrôle de la gestion », en comparant cette notion aux principes utilisés par nos homologues étrangers et en expliquant ce que pourra être le contrôle de la « performance », terme consacré par la loi organique relative aux lois de finances. Communiquer sur notre propre activité, c'est enfin montrer que, nous aussi, nous devons rendre compte. Le rapport d'activité est aussi un vecteur de communication sur les effets des interventions de la Cour et des chambres régionales des comptes. Notre pouvoir est de dire les choses, en l'occurrence de les écrire aux ministres et au Parlement ou de les publier par la voie des rapports publics. Les suites qui peuvent être données à nos communications sont donc aux mains d'autres que nous et, notamment, entre vos mains. La Cour passe régulièrement en revue les conséquences tirées par les ministères, les collectivités, les établissements ou les entreprises de ses travaux. Ainsi, deux « insertions de suivi », comme nous les appelons, sont consacrées, l'une à l'action en faveur des anciens combattants qui avait donné lieu à un rapport public en juin 2000, l'autre à la prise en charge du cancer, qui avait fait l'objet de développements dans le rapport sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale, la même année. Quant aux observations figurant dans le présent rapport, elles pourront vous frapper par la diversité des champs qu'elles abordent, puisque presque rien de ce qui concerne l'argent public ne nous est étranger. Parfois même trop, si l'on considère que nos compétences traditionnelles s'alourdissent alors même que la Cour des comptes devra, à brève échéance, analyser l'exécution des missions et programmes des administrations et certifier les comptes de l'Etat. Le rapport traite, cette année, d'un aspect rarement abordé dans le rapport public annuel, celui des recettes fiscales d'une collectivité territoriale, en l'occurrence la Nouvelle-Calédonie, dont l'autonomie en matière fiscale a été consacrée par la loi organique de 1999. Il est aussi très divers par la teneur des observations elles-mêmes. J'en proposerai trois catégories qui me paraissent rendre compte des objectifs de contrôle de la Cour. Certaines insertions contiennent des contributions à l'évaluation de politiques publiques : il en va ainsi de l'insertion sur la professionnalisation des armées, qui fait un premier bilan de la manière dont le ministère de la défense a opéré une transformation radicale des armées en un minimum de temps et dans un cadre financier contraint. Dans le même registre, la Cour dresse un premier bilan de la réforme intervenue dans le secteur ferroviaire, après la création, en 1997, de Réseau ferré de France ; si le financement des infrastructures a été assaini, la croissance de la dette n'est pas encore arrêtée à ce jour. On pourra classer dans cette catégorie les insertions relatives à la lutte contre l'alcoolisme, dans laquelle la Cour souligne les atermoiements, voire la défaillance de l'Etat qui s'est déchargé sur la Caisse nationale d'assurance maladie du poids de cette politique, mais aussi à la politique d'aide à la petite enfance, dont les effets positifs sont quasiment certains au regard des évolutions démographiques mais dont la Cour relève la contradiction interne, puisqu'elle privilégie le mode de garde le plus coûteux, c'est-à-dire les crèches, au détriment, même si la situation évolue, d'autres modes de garde, tels que le recours aux assistantes maternelles. D'autres insertions analysent des organisations et systèmes, incluant une appréciation sur leur fonctionnement. Ainsi l'observation relative au rôle du ministère de la recherche, qui clôt une série de travaux commencés en 1999 avec une étude des relations entre ce ministère et ses établissements publics, tend à cerner les difficultés de financement et de recrutement, ainsi que celles qui sont liées à l'élaboration des stratégies. De même, l'insertion intitulée « L'Etat et le mouvement sportif national » analyse la difficile mutation des interventions traditionnelles du ministère à l'heure de la médiatisation. Enfin, figurent dans ce rapport des insertions relevant du contrôle de la performance et consacrées à tel ou tel pan d'activité de l'Etat, à telle ou telle fonction ou à un projet. Par exemple, notre analyse du projet TGV-Méditerranée souligne les progrès enregistrés depuis la réalisation du TGV-Nord, qui avait donné lieu à de vives critiques dans notre rapport de 1996 ; celle des grands programmes du CEA souligne une certaine difficulté à réagir rapidement et à arbitrer l'allocation de moyens désormais comptés ; quant à l'insertion consacrée aux agences de l'eau, elle s'attache à analyser les résultats de leur septième programme, achevé en 2000, mais vise à nourrir le débat très actuel sur la préservation de la ressource. Je ne citerai pas chacune des 24 insertions de ce rapport, bien que toutes à mes yeux illustrent également, soit les difficultés juridiques ou financières auxquelles se heurte l'action de l'Etat et des collectivités, soit les dérives nées de choix inappropriés ou de contrôles internes insuffisants. Leur diversité montre aussi que la Cour a changé : elle n'égrène plus seulement une litanie d'erreurs ou d'irrégularités, mais souhaite contribuer au débat sur les questions complexes soumises au Gouvernement et au Parlement. Je me dois d'évoquer, pour finir, le chantier que représente la mise en _uvre de la loi organique sur les lois de finances. Dans son rapport de juin sur l'exécution de la loi de finances pour 2002, la Cour s'est inquiétée du retard pris à cet égard par certaines administrations, rejoignant en cela la mission d'information créée par votre commission des finances, avec laquelle elle a noué une collaboration très fructueuse, et à laquelle elle entend bien apporter toute l'assistance souhaitée pour l'analyse de la maquette des missions et programmes de l'Etat. Comme je l'ai déjà souligné, si cette réforme devait se limiter à une présentation nouvelle, plus attrayante, des recettes et dépenses de l'Etat, une occasion unique de rénover la gestion publique aurait été manquée. M. René Dosière - Très bien ! M. le Premier Président de la Cour des Comptes - Pour ce qui la concerne, la Cour continuera d'accorder une priorité particulière à cette partie de ses missions, y voyant une puissante incitation en faveur de sa propre modernisation, comme un point d'application privilégié pour cette entreprise. Pour ce faire, je forme le v_u que l'Assemblée la soutienne dans ses demandes de renforcement de ses moyens. M. Jean-Pierre Brard et M. Arnaud Montebourg - Très bien ! M. le Premier Président de la Cour des Comptes - Les travaux de la mission d'évaluation et de contrôle viennent de reprendre et je me réjouis que les deux thèmes retenus par elle s'appuient sur des travaux menés récemment par la Cour pour évaluer la journée d'appel à la préparation de défense et dresser le bilan de la réforme du système ferroviaire. J'espère que cette convergence permettra de faire prévaloir les impératifs de bonne gestion publique (Applaudissements sur tous les bancs). M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - Si ce rendez-vous habituel est utile, il m'est aussi l'occasion aujourd'hui de souligner le rôle de plus en plus essentiel joué par la Cour. Elle nous fournit des outils extraordinaires pour anticiper, pour exercer notre mission de contrôle et pour veiller à une meilleure gestion de la dépense publique. Les travaux de la Cour nous donnent tous les éléments nécessaires pour amender certains textes, ou pour réduire ou refuser certains crédits - ce qui doit être le cas lorsque ses recommandations ne sont pas suivies d'effets au bout de plusieurs années. Ce rôle sera encore plus important demain, avec l'application de la loi organique. Lorsque le rapport critique la gestion d'une association d'accueil et de réinsertion des personnes handicapées, le pilotage de la recherche publique ou l'état de l'enseignement du français à l'étranger, cela doit nous inciter à réagir contre les gaspillages, qui ne sont pas plus tolérables dans le secteur social que dans les autres (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe UMP). Le soin particulier accordé par la Cour au suivi de ses recommandations antérieures ne peut que bénéficier au contrôle du Parlement : améliorer la gestion publique est affaire de pédagogie, et celle-ci repose notamment sur la répétition... Je constate aussi qu'au fil des ans, la Cour et le Parlement partagent de plus en plus de préoccupations, ce qui me semble un gage d'efficacité pour nos deux institutions. Pour les deux thèmes qu'elle doit traiter cette année, la mission d'évaluation et de contrôle pourra ainsi s'appuyer utilement sur les observations de la Cour. Enfin, si la coopération entre la Cour et le Parlement tend à devenir toujours plus étroite, chacun reste dans son rôle, juridictionnel pour l'une, législatif pour l'autre. Je me réjouis toutefois que la mission d'assistance au Parlement figure désormais en bonne place dans le rapport pour 2003. La mission d'évaluation et de contrôle y est naturellement mentionnée, mais là ne se bornent pas les contacts entre les deux institutions, loin de là : le Parlement et sa commission des finances tirent ainsi profit des rapports sur l'exécution des lois de finances ou de financement de la sécurité sociale, disponibles avant la discussion budgétaire. Tous ces travaux sont des outils irremplaçables pour les rapporteurs spéciaux comme pour les rapporteurs pour avis. La mise en _uvre de l'article 58 et de la loi organique nous permettra encore de renforcer ce dialogue, la Cour assumant désormais la certification des comptes de l'Etat. Il est incontestable que notre fonction de contrôle tend à s'amplifier, au bénéfice de notre fonction de législateur. Je n'exprimerai qu'un souhait personnel : puissions-nous légiférer moins et contrôler mieux ! Mais j'ai la conviction que la Cour nous y aidera ! (Applaudissements sur tous les bancs) M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances - Je remercie à mon tour M. le Premier Président. Plusieurs des observations figurant dans ce rapport, s'agissant de la défense ou des transports, contribueront en effet grandement au travail de la mission d'évaluation et de contrôle sur la journée d'appel de préparation à la défense et sur les relations financières entre le système ferroviaire et ses partenaires publics. Les magistrats et les personnels des juridictions financières le savent, l'Assemblée s'attache à renforcer son contrôle sur les politiques publiques. Cette entreprise est une entreprise de longue haleine et la prochaine mise en _uvre du volet « dépenses » de la loi organique d'août 2001 en sera une étape importante. Le Gouvernement nous a proposé une nouvelle architecture budgétaire, en missions et programmes, et nous comptons vivement sur la Cour pour nous aider à évaluer ce projet. Je profite d'ailleurs de l'occasion pour inviter chacun de nos collègues à présenter ses observations, afin d'assurer le succès de cette nouvelle approche de la dépense publique. Nous avons aussi à réfléchir dès maintenant sur les objectifs et sur les indicateurs de performance. La Cour ayant déjà bien avancé son travail sur ce point, nous comptons sur elle à cet égard également. Mais je souhaiterais aussi qu'elle nous assiste dans la prévision des conséquences financières, fiscales et budgétaires qu'emportent les lois que nous votons - en trop grand nombre, hélas. Voyez là, s'il en est encore besoin, Monsieur le Premier Président, le signe de la confiance que nous vous portons, convaincus que nous pouvons tabler sur le concours précieux de la Cour ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. le Président de la commission - Monsieur le Premier Président, l'année dernière, nous avions abordé la question des moyens de la Cour et je vous avais proposé une piste parmi d'autres. Nous disposons dans notre pays de corps d'inspection de grande qualité, souvent mal utilisés dans leurs ministères... M. Arnaud Montebourg - C'est le moins qu'on puisse dire ! M. le Président de la commission - Pourquoi ne pas mettre au service du Parlement et de la Cour des comptes une partie de ces inspecteurs ? Je suis certain qu'ils seraient eux-mêmes ravis de cette évolution. Merci, monsieur le Président Debré, d'y contribuer. M. le Président - Monsieur le président Méhaignerie, en la matière, vous avez autant d'influence que moi... Monsieur le Premier Président, l'Assemblée nationale vous donne acte du dépôt du rapport de la Cour des comptes. Je vous remercie. La séance, suspendue à 16 heures 45, est reprise à 17 heures 5.
L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics. M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - La capacité à faire vivre les valeurs qui la constituent, c'est la grande force de notre République. Le chef de l'Etat a récemment rappelé solennellement et avec gravité le sens de la laïcité dans notre pays et souhaité que mon gouvernement présente un projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans l'école de la République. La question que pose ce projet de loi, c'est celle de la permanence de nos valeurs, c'est celle aussi de notre capacité à les faire partager à ceux qui, pour nous avoir rejoints récemment, n'en sont pas moins aujourd'hui des Français à part entière. C'est celle enfin de la capacité de la République à pouvoir défendre ses convictions, sans faiblesse. La France possède une tradition d'ouverture : vieille terre de chrétienté, notre pays s'est enrichi au contact de diverses cultures et continuera à le faire, par l'intermédiaire notamment des femmes et des hommes venus de tous horizons, qui y ont aujourd'hui fait souche, dans une logique d'intégration à la nation. L'intégration est un processus qui suppose une volonté réciproque, un mouvement vers des valeurs, un choix de mode de vie, une adhésion à une certaine façon de voir le monde, propre à la France. Cette vision du monde où la religion et la politique sont indépendantes, où l'État est neutre, où toutes les religions sont respectées, nous sommes en droit de la partager avec tous ceux, quels qu'ils soient, qui vivent dans notre pays. C'est le sens de ce texte. Mais notre volonté ne s'arrête pas là. Nous avons conscience de la nécessité d'accueillir, conformément à notre histoire et à notre identité, ceux que nous avons fait venir, comme de celle de faire vivre l'idée d'égalité qui est au c_ur du projet républicain. Cette idée est, hélas, parfois mise à mal, au détriment de ceux qui se sentent rejetés, alors même qu'ils sont, je le répète, des Français à part entière, des Français comme les autres, auxquels nos valeurs paraissent pourtant parfois inaccessibles. Notre devoir est de créer les conditions du partage de ces valeurs. Cette ambition exclut tout renoncement. Nous devons rester fermes sur nos valeurs fondamentales. Ce projet de loi est une étape, fondamentale, dans notre politique de « vivre ensemble » qui vise à renforcer la cohésion nationale. C'est un des chantiers prioritaires de l'Agenda 2006 pour une France d'ouverture. La question de la laïcité est complexe. Elle suppose que les principes qui structurent « le modèle républicain à la française » soient bien clairs. Je rappelle ces principes : liberté, et donc liberté de conscience, égalité, et donc égalité entre les hommes et les femmes, fraternité, valeur humaniste à la fois spirituelle et authentiquement laïque. Ces trois valeurs de notre République se retrouvent pleinement dans la laïcité. La laïcité, notre laïcité n'est pas le refus de la religion. Notre siècle, mouvementé, changeant, porteur d'incertitudes est aussi un siècle d'espérance où les religions peuvent apporter leurs réponses à la double question de la tragédie humaine et du destin de l'humanité. La laïcité est une liberté, celle de penser l'avenir. La laïcité est aussi une grammaire qui permet un dialogue serein et apaisé entre les religions et avec l'Etat, à l'intérieur de notre pays. Elle exige une neutralité de la part de l'Etat et de ses agents. Elle cherche la source du droit dans la raison et la volonté humaine. Elle est, à ce titre, une valeur fondamentale de notre humanisme. Le principe de laïcité s'est construit très progressivement, dans la confrontation parfois, comme au début du siècle dernier, de façon plus apaisée ensuite. Le concile Vatican II, avec l'adoption d'une déclaration sur la liberté religieuse, a parachevé ce que René Rémond décrit comme « la réconciliation entre Église et liberté ». M. René Dosière - Il était temps ! M. le Premier Ministre - Aujourd'hui, toutes les grandes religions de France se sont adaptées à ce principe. Pour la plus récemment arrivée, l'islam, la laïcité est une chance, celle d'être une religion de France. Je salue, à ce titre, toutes les énergies qui ont permis de créer un Conseil français du culte musulman, qui facilitera le dialogue entre l'Etat et les musulmans de France. J'ai pu constater que, dans un contexte difficile, ce Conseil avait su faire preuve d'esprit de responsabilité. Ce projet de loi n'est pas dirigé contre une population ou une religion. La République garantit à tous la liberté de pratiquer la religion de son choix. La neutralité n'est pas la négation. Ce texte est au contraire pour la République le moyen de marquer la frontière entre ce qui est acceptable et ce qui ne l'est pas : son ambition est de répondre à ceux qui voudraient placer leur appartenance communautaire au-dessus des lois de la République. Parce que l'Etat est le protecteur de la liberté de conscience, il se doit d'intervenir quand le prosélytisme, le repli communautaire, le refus d'égalité entre les sexes, menacent cette liberté fondamentale qui est inscrite au c_ur de notre pacte républicain. Dans la République française, la religion ne peut pas et ne sera pas un projet politique (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Après le temps du débat, auquel vous avez largement participé, est venu celui de la décision et de la loi, conformément aux orientations annoncées par le Président de la République récemment, suite aux travaux de votre mission parlementaire et de la commission présidée par M. Stasi. Force est de constater aujourd'hui que certains signes religieux et, parmi eux, le voile islamique, se multiplient dans nos écoles. Ils prennent de fait un sens politique et ne peuvent plus être seulement considérés comme des signes personnels d'appartenance religieuse (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et quelques bancs du groupe UDF). Certains voulaient savoir jusqu'où ils pourraient aller : nous leur apportons aujourd'hui une réponse ferme et précise. Il était temps pour la République de rappeler ses grands principes et de fixer des limites claires, pratiques et opérationnelles. Le silence de la République sur ce sujet serait aujourd'hui une absence. II était naturel que le Parlement soit appelé à se prononcer sur cette valeur fondamentale. Avec cette loi, vous répondez à une attente des Français mais aussi de la communauté éducative qui voulait que le politique prenne ses responsabilités et cesse de se défausser sur les chefs d'établissement, les enseignants et les personnels, placés en première ligne pour défendre la République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). L'école est un espace de neutralité républicaine, elle doit le demeurer parce que c'est le lieu par excellence de la formation des esprits, de la transmission du savoir et de l'apprentissage de la vie de citoyen pour des enfants mineurs - autant de notions incompatibles avec le prosélytisme. L'école, c'est un lieu d'ouverture à l'universel, non de repli sur soi. L'histoire, sur ce sujet, est éloquente. Lors d'un colloque de l'institut Pierre Mendès France, Robert Badinter nous a rappelé le succès populaire de l'un des livres qui nourrissait l'éducation républicaine à la fin du XIXe siècle, « Le tour de France de deux enfants », vendu à plus de huit millions d'exemplaires ! Les valeurs de la République étaient alors partagées par tous les enfants de France, quelles que soient leurs origines (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Dans notre histoire, combien de jeunes immigrés ont été accompagnés, c'est-à-dire intégrés, grâce à des instituteurs et des professeurs qui vivent la République comme une mission. De grands noms sont là aujourd'hui pour porter témoignage. Il faut affirmer, pour eux, cette force de nos valeurs, cette force de la laïcité républicaine. Le chef de l'Etat l'a dit, « ne rien faire serait une faute ». Préparé par Luc Ferry, le ministre de l'éducation, qui s'exprimera demain à la reprise des travaux (Exclamations et interruptions sur les bancs du groupe socialiste), le projet de loi qui vous est présenté est court, simple et équilibré. Il propose d'interdire « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ». Cette interdiction, qui sera rappelée dans les règlements intérieurs, donnera aux chefs d'établissement la force de la loi pour faire appliquer leurs décisions et aidera les enseignants à remplir leur mission au service de la République. La « manifestation ostensible » doit être comprise comme la volonté d'extérioriser et de revendiquer une appartenance religieuse. Selon l'avis de MM. Marceau Long et Patrick Weil, exprimé récemment dans un article commun, le terme voisin de « visible » poserait un problème de conformité par rapport à la convention européenne des droits de l'homme (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Il y a là un risque et c'est pourquoi nous préférons le mot « ostensible ». Avec cette rédaction, un élève pourra porter un objet discret signifiant pour lui-même ses convictions religieuses, dans le respect de l'article 10 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789. Je suis très attaché à ce que l'application de cette loi se fasse dans un esprit de médiation, de dialogue et de discernement, dans le respect des valeurs d'ouverture et de tolérance qui fondent notre République. C'est pourquoi le Gouvernement accepte l'amendement proposé par votre commission des lois qui précise que le dialogue précédera toute sanction. Je sais que pour plusieurs groupes politiques de votre assemblée, ce point était déterminant. Nous en tenons compte. Cette loi s'appliquera à l'outre-mer, dans des conditions liées à la répartition des compétences entre l'Etat et les collectivités concernées dans le domaine de l'éducation. Elle sera suivie d'une autre relative au respect du principe de laïcité dans les hôpitaux parce qu'il faut, dans ces secteurs également, rappeler des principes fondamentaux. N'ayons pas peur des réactions que pourrait provoquer ce texte. Je sais que certains d'entre vous sont inquiets. Les « modérés », ceux dont on craint l'incompréhension, savent très bien que ce n'est pas à eux que profiterait la faiblesse de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et quelques bancs du groupe UDF). L'idée de laïcité porte aussi l'idée de justice pour les fidèles de toutes les religions. Depuis 1905, le paysage religieux de notre pays s'est profondément modifié. Il faut en tenir compte. C'est pourquoi la mise en _uvre des propositions de la commission Stasi est actuellement à l'étude par le Gouvernement. Je souhaite en effet que la « politique de la laïcité » soit équilibrée. Il faut par exemple que, dans le dialogue et la concertation, les coutumes alimentaires, les traditions funéraires, les grandes fêtes religieuses soient respectées dans notre pays, sans que les élèves soient pénalisés. Je souhaite également que l'école développe fortement l'enseignement du fait religieux et prenne mieux en compte l'histoire des immigrations. Ce projet de loi est un point de départ, pas un point d'arrivée. Il est le pivot d'une politique qui pose des limites et dresse les contours de ce que peut et doit accepter la République. Nous devons traiter les causes des problèmes (« Bravo ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) et pas seulement leurs conséquences. C'est ainsi que nous combattrons le plus efficacement les communautarismes qui nous menacent. A nous de faire en sorte que la République tienne sa promesse, qu'elle réagisse aux échecs de l'intégration et mette en valeur les réussites, qui sont nombreuses. L'égalité par la promotion sociale, la liberté par l'acceptation de la diversité, la fraternité entre les Français de toutes origines, telles sont les vraies réussites, qui sont nombreuses. Dès ma nomination, j'ai décidé de faire de l'intégration et de l'égalité des chances une priorité de l'action gouvernementale (« Eh bien ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). J'ai ainsi réuni le comité interministériel à l'intégration, pour la première fois depuis douze ans (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Pour les nouveaux arrivants, j'ai institué un contrat d'accueil et d'intégration qui facilite l'apprentissage de notre langue... M. Jacques Myard - La langue, c'est la patrie ! M. le Premier ministre - ...et le partage de nos valeurs. Pour les enfants de l'immigration qui sont aujourd'hui des Français à part entière, il faut que nous menions énergiquement la lutte contre les discriminations et que nous leur ouvrions les portes de la formation et de l'emploi. Dans le cadre de cette « mobilisation positive » pour l'égalité des chances, nous aurons prochainement des rendez-vous importants. D'abord, la création d'une autorité administrative indépendante pour l'égalité des chances et la lutte contre les discriminations, qui devra être opérationnelle d'ici la fin de l'année. Ensuite, un comité interministériel à l'intégration se tiendra au printemps, et sera largement consacré à l'école et à la formation. Enfin, nous tiendrons au second semestre une conférence pour l'égalité des chances, avec les entreprises et les partenaires sociaux, parce que ce sujet concerne toutes les sociétés : ce sera l'occasion de mobiliser les entreprises, de diffuser des bonnes pratiques et de mettre en _uvre des actions concrètes pour la promotion sociale de ceux qui le méritent. Nous avons également décidé d'_uvrer pour le respect des droits des femmes et de lutter contre les ghettos qui sont le berceau du communautarisme : c'est le sens de la loi quinquennale pour la rénovation urbaine que vous avez votée. La laïcité est au c_ur de notre République. Elle est à la fois une tradition, une manière de vivre et une promesse de liberté. Il faut aujourd'hui, ensemble, lui donner plus de force. C'est pourquoi je vous demande solennellement à tous, quels que soient vos choix politiques, de vous rassembler autour de ce texte qui symbolise notre confiance dans la République et notre volonté nationale de vivre ensemble. Cette loi est à la fois l'expression d'une conviction et le levier d'une action. C'est dans cette concorde entre la pensée et l'action que la politique trouve sa grandeur (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF). M. Pascal Clément, président et rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République - L'adhésion aux valeurs républicaines constitue le lien essentiel entre les citoyens français, porteurs de traditions, de croyances religieuses et philosophiques multiples. C'est sur cette adhésion que se fonde notre principe de laïcité. On la croyait acquise parce qu'elle résulte d'un processus historique vieux de deux siècles. Or, elle doit être réaffirmée, en réponse à la montée de revendications identitaires qui remettent en cause le modèle républicain. Ce projet de loi intervient après un débat national qui a monopolisé l'opinion publique pendant plusieurs mois et qui a fait l'objet des travaux de deux instances. L'une, désignée par le Président de la République et présidée par M. Bernard Stasi, médiateur, a étudié l'application du principe de laïcité dans la République. L'autre, créée au sein de notre assemblée et présidée par Jean-Louis Debré, a débattu du port des signes religieux à l'école. Les débats et les nombreuses auditions auxquelles ont procédé ces deux instances les ont conduites à la même conclusion : le principe de laïcité doit être réaffirmé par la loi. Il doit l'être d'abord à l'école, lieu de formation des futurs citoyens, lieu d'acquisition, non seulement du savoir, mais également du vivre ensemble. Ce projet de loi est donc nécessaire. Il est attendu. Et il a un caractère solennel, puisqu'il répond à la volonté du Président de la République, telle qu'il l'a exprimée dans son discours du 17 décembre dernier. Pourquoi une loi ? D'abord pour répondre à une demande des chefs d'établissement, qui ne disposent pas des outils suffisants pour faire face aux comportements identitaires qui se développent au sein des écoles : refus d'assister à certains cours, contestation du contenu de certains enseignements, revendications de type alimentaire, absentéisme systématique pour des motifs religieux, enfin affichage vestimentaire d'appartenance religieuse. D'une manière générale, nous ne pouvons accepter le communautarisme ; c'est la spécificité française. Nous ne pouvons l'accepter parce qu'il réduit l'individu à une seule identité, parce qu'il fait primer les intérêts particuliers sur l'intérêt général, parce qu'il est synonyme de fermeture et non d'ouverture, parce qu'il affaiblit la cohésion nationale. Parce que l'école est un lien privilégié d'intégration et d'acceptation de l'autre, le communautarisme y est encore moins acceptable. Nous ne pouvons accepter ces comportements violents, racistes, antisémites, liberticides à l'égard des jeunes filles. Dans ce contexte, la première manifestation du communautarisme au sein des écoles - la plus symbolique - est le port de signes religieux. Si le phénomène reste difficile à quantifier, il est source de tensions croissantes, les chefs d'établissement en témoignent. Et le régime juridique actuel n'est pas satisfaisant. Selon l'avis du Conseil d'Etat de 1989, qui a tenté d'établir un équilibre entre les principes constitutionnels de laïcité et de liberté de conscience, et selon la jurisprudence des juridictions administratives, l'autorisation du port de signes religieux au sein des établissements scolaires est la règle, et son interdiction l'exception. Un signe ne serait donc ostentatoire que s'il est accompagné d'un comportement de prosélytisme et de provocation qui reste à prouver. Confrontés à ces situations, les chefs d'établissement adoptent des solutions diverses qui vont de l'acceptation à l'interdiction totale, en passant par des autorisations restreintes, par exemple dans la cour de récréation. Il en résulte une insécurité juridique - les chefs d'établissement parlent même de droit local - alors qu'il s'agit de l'exercice de libertés fondamentales dont la mise en _uvre devrait répondre à des critères clairement définis. La tâche des chefs d'établissement est d'autant plus délicate que les circulaires interdisent implicitement le port de signes religieux, alors que la jurisprudence administrative les autorise. Depuis 1989, les élèves, au fait de cette jurisprudence, acceptent de moins en moins les compromis. L'intervention du législateur est encore indispensable pour répondre à l'exigence de l'article 34 de la Constitution et de l'article 9 de la convention européenne des droits de l'homme, selon lesquelles seul le législateur est compétent pour encadrer l'exercice d'une liberté fondamentale. Mais surtout, la loi, parce qu'elle est l'expression de la volonté générale, aura une valeur pédagogique. Cela étant, quelle loi ? Il ne s'agit pas de refonder la laïcité, qui n'est pas une fin en soi, mais l'un des instruments de notre modèle français d'intégration, qui a fait ses preuves. Au-delà de la différence sémantique entre « ostensible » et « ostentatoire », ce projet de loi inverse la logique actuelle du régime juridique relatif au port des signes religieux à l'école. Le projet prévoit que l'interdiction du port des signes religieux par lequel les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse est désormais la règle, et que l'autorisation est limitée au port des signes discrets. Aujourd'hui, pour engager une procédure disciplinaire, les chefs d'établissement doivent prouver la provocation, ce qui suppose une analyse subjective de l'attitude de l'intéressé. Désormais, ce n'est plus les comportements qui sont visés : le port en lui-même de certains signes religieux pourra être interdit et, éventuellement, mener à une poursuite disciplinaire. En effet, le terme « ostensible » qualifiant les tenues ou les signes objectivement extériorisés par l'élève, ceux-ci seront interdits même en l'absence de prosélytisme. M. François Bayrou - Ce n'est pas le texte de la loi ! M. le Rapporteur - La commission des lois a préféré ce terme à celui de « visible », qui créerait des difficultés pratiques et juridiques. Tout d'abord, cet adjectif ne permettrait pas de régler tous les problèmes. Certains signes, qui ne sont pas vraiment religieux, pourraient être adoptés par des élèves pour manifester une appartenance religieuse, auquel cas le chef d'établissement devrait apprécier l'intention de l'élève, et le terme « visible » ne faciliterait pas forcément sa tâche. Par ailleurs, retenir ce terme conduirait à interdire les signes discrets, alors qu'il s'agit souvent de simples bijoux. M. René Dosière - Où est le problème ? M. le Rapporteur Le chef d'établissement devra-t-il sanctionner l'élève dont la médaille, par exemple, est sortie du pull pendant les jeux de la récréation ? L'interdiction du port de signes visibles d'appartenance religieuse conduirait à une interdiction générale et absolue... M. René Dosière - Et alors ? M. le Rapporteur - ...qui serait contraire à la liberté de religion garantie par l'article 10 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et par l'article 9 de la convention européenne des droits de l'homme. M. Jean Glavany - Mais non ! M. le Rapporteur - Surtout, une telle interdiction ne répondrait pas à l'objectif de la loi qui est de réaffirmer une laïcité tolérante, au moyen d'un texte qui rétablit l'équilibre entre la liberté d'expression et le respect de la laïcité. M. Jean Glavany - Arguties de troisième zone ! M. le Rapporteur - Le port d'une médaille de baptême, d'une croix de David, ou d'une main de Fatima est-il une atteinte à la neutralité de l'école ? Non ! Cette loi est une loi d'apaisement. Ne créons pas de nouvelles tensions. Dans cet esprit, la commission n'a pas étendu l'interdiction aux signes politiques. Avec cette loi, les chefs d'établissement pourront s'appuyer sur l'intention clairement affichée du législateur de protéger la neutralité de l'école. Les règlements intérieurs prévoiront l'interdiction du port des signes religieux ostensibles. Désormais, ni ces règlements, ni les exclusions éventuellement prononcées sur leur fondement ne pourront être infirmées par le juge administratif. Cependant, le rôle des chefs d'établissement restera essentiel. La commission des lois a, en effet, adopté un amendement qui prévoit un temps de dialogue préalablement à toute procédure disciplinaire. M. René Dosière - Beau geste ! M. le Rapporteur - Dans ce cadre, les chefs d'établissement devront expliquer le sens de la loi et, au-delà, celui du principe de laïcité. Ils devront convaincre les élèves que l'adhésion à notre culture n'exclut ni les croyances personnelles, ni les traditions, qu'en enlevant leurs signes ostensibles, ils ne renoncent pas à leur personnalité, que la laïcité protège la liberté de conscience et respecte les convictions de chacun, et ce n'est qu'en dernier recours qu'un chef d'établissement pourra demander l'exclusion d'un élève. Par cette loi, nous ne voulons pas contraindre, mais convaincre. L'école, dans son rôle d'apprentissage et de transmission des valeurs, doit se maintenir en dehors des conflits qui traversent notre monde, sans pour autant les ignorer. Elle doit demeurer un lieu privilégié d'échanges, dans le respect des croyances individuelles. Compte tenu de la force symbolique que nous voulons donner à cette loi, la laïcité doit être réaffirmée sur l'ensemble du territoire français. Cette loi sera d'autant mieux comprise qu'elle s'inscrira dans un ensemble de mesures destinées à donner un nouvel élan à l'intégration. Proclamer notre attachement aux valeurs républicaines n'est pas source de conflits, bien au contraire ! Pour toutes ces raisons, la commission des lois a adopté ce projet de loi, en marquant son souci du dialogue dans les établissements scolaires, et je souhaite que la représentation nationale dans son ensemble, en votant ce texte, affirme son attachement au principe de laïcité. Cette loi est le drapeau français dont nous voulons laisser les couleurs au-dessus de l'école, lieu privilégié d'intégration (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Toute la représentation nationale doit participer à cet acte de fierté pour la France, pour les Français, et pour tous ceux que nous accueillons, et qui souhaitent à leur tour devenir français ou vivre dans notre communauté nationale. C'est un acte de foi en la France, la République, ses valeurs de respect de l'autre et de bonheur d'être ensemble (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Jean-Michel Dubernard, président et rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Notre assemblée vit un moment politique d'exceptionnelle importance, puisqu'il nous est demandé de trancher sur l'essentiel de ce qui fonde la France comme république, comme démocratie, comme nation. Pendant plus d'une année, notre pays, en particulier grâce à la mission d'information parlementaire présidée par M. Debré et à la commission Stasi, a été amené à s'interroger sur ses principes de laïcité et d'égalité entre les hommes et les femmes. C'est au nom de ces principes, et après avoir réfléchi avec gravité, que nous nous apprêtons à interdire « dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port de signes ou tenues par lesquelles les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse ». Comme le disait le doyen Carbonnier, la laïcité est plus historique que logique, et l'on ne peut apprécier cette exception française si on n'a pas en mémoire les luttes qui l'ont engendrée. Notre pays - nous le déplorons tous - a mis des siècles à régler la question juive et quelque trois cents ans à régler la question protestante. Fuite des juifs en Hollande, fuite des huguenots, fuite des prêtres réfractaires, fuite des chartreux vers l'Italie au début du siècle dernier : les vicissitudes de notre histoire ont épouvanté nos voisins européens qui ont accueilli les fugitifs au gré de nos convulsions religieuses. Notre histoire et la violence fondatrice de la laïcité pèsent sur les discussions présentes, elles expliquent sans doute la pudeur religieuse des Français comme la réticence des politiques à débattre de ces questions en public. Je m'adresserai successivement à l'ensemble de nos concitoyens, à nos compatriotes issus de terres où brûle l'islam, aux femmes de ce pays, et enfin, aux adversaires d'un projet que l'opinion nomme « loi sur le voile » et dont elle débat dans la cacophonie. L'exception laïque française est réelle, au point que personne ne la comprend aisément, et que nous-mêmes l'avons un peu perdue de vue. Elle mêle ce que j'appellerai la « petite » et la « grande » laïcité. Dire « petite laïcité », ce n'est pas minorer son importance politique. Héritée des ardents débats qui secouèrent ces bancs de 1882 à 1905, cette laïcité vit la République envoyer l'armée française dans les couvents à la veille de la Grande Guerre. M. Jean-Pierre Brard - C'était pour assurer la mixité... M. le Rapporteur pour avis - Le bilan de ces luttes aux frontières de la guerre civile est que nous avons fait de l'espace scolaire un sanctuaire. Comme le dit si bien Régis Debray, les religions sont désormais « respectées » mais aussi « tenues en respect », dans le lieu de formation des esprits et d'apprentissage de la vie en commun. La « grande laïcité », elle, remonte à la nuit des temps, à Rome, Athènes et jusqu'à Jérusalem. C'est la laïcité qui tranche au rasoir entre la politique et la religion, l'Eglise et l'Etat. Nous la partageons avec des peuples à ce point religieux qu'ils nous paraissent « bigots ». Les Américains en ont fait le socle de leurs libertés : la première phrase du premier amendement de la Constitution des Etats-Unis d'Amérique, en date du 15 décembre 1791, n'affirme-t-elle pas que : « le Congrès ne fera pas de loi en matière de religion » ? Aujourd'hui, l'Assemblée ne va pas voter une loi en matière de religion, ou hostile aux religions, mais une loi de liberté. Nos amis étrangers vont devoir le comprendre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Je m'adresse maintenant à ceux de nos compatriotes qui se sentiraient agressés en tant que musulmans. Nous ne pouvons prendre à la légère cette inquiétude, ce malentendu qui vient de loin. En 1959 déjà, le général de Gaulle évoquait la difficulté de « l'intégration des âmes, liée au différentiel de piété entre les deux rives de la Méditerranée ». Aujourd'hui, certains se reconnaissent dans l'école de pensée des Frères musulmans, dont les théoriciens ont séjourné en France en plein combat laïc, ce qui leur a donné une idée ambiguë et inquiétante de la laïcité. Certains en ont conclu qu'elle était la « conséquence de l'obscurantisme et la mainmise du christianisme sur le pouvoir et les sciences ». Pour d'autres, la laïcité est « la fille naturelle » du christianisme, puisque déduite du principe : « Rendez à Dieu ce qui est à Dieu et à César ce qui est à César ». De ce fait, la laïcité française est considérée par certains jeunes pratiquants, non pas comme un principe inaliénable mais comme un modèle culturel particulier très isolé dans le contexte européen et plutôt hostile à l'islam. Notre projet est au contraire de leur garantir en France les avantages d'une liberté individuelle et d'une paix civile dont trop de terres d'islam sont encore privées. Les multiples mouvances, obédiences, rites et nations d'islam seront ici amenés à s'entendre. En France, aucune tendance ne pourra s'imposer à sa voisine : c'est une chance unique qu'offre la laïcité française. Mais surtout, l'islam français, que nous souhaitons réconcilié, devra s'entendre avec la République, c'est-à-dire, simplement, respecter ses lois. Car telle est la volonté de la majorité qui fonde la démocratie et, si j'en crois le Président de la République, ce n'est pas négociable. M. Alain Bocquet - Cela change tout le temps ! M. le Rapporteur pour avis - S'agissant des femmes, j'entends les adversaires du projet avancer l'argument de la pudeur, de la liberté, des convictions, de la foi de jeunes collégiennes et lycéennes, et surtout celui du respect de leur différence. Certains sont allés jusqu'à considérer que notre laïcité était une machine oppressive dont il fallait se libérer. Nous aurions dû, dans cette affaire, avoir, comme le disait Jacques Maritain, « l'esprit dur et le c_ur doux. Combien, selon ses mots, ont cru avoir le c_ur doux et n'ont eu en réalité qu'un esprit mou ! » Nous sommes arrivés à cette situation absurde que les mêmes jeunes filles, voilées en cours de mathématiques ou d'histoire, sont, quand elles assistent au cours de turc donné dans nos classes par des professeurs turcs envoyés par la Turquie, sommées d'enlever leur voile, ce qu'elles font fièrement par respect pour les dogmes républicains turcs ! On ne peut métisser l'égalité de la femme et son contraire ! Cela non plus, ce n'est pas négociable. Un député socialiste - Alors de quoi discute-t-on ? M. le Rapporteur pour avis - Nous devons revenir aux principes de la République, sans mauvaise conscience, en confirmant que la laïcité dans son sens le plus large, c'est la volonté de considérer le peuple comme unique source de la loi. Quand une lycéenne mineure s'obstine, dans le bureau du proviseur, à réciter que « l'expression de sa foi prévaut sur les respect des lois et règlements de la République », elle joue Antigone sans en avoir l'âge. Aujourd'hui, la réciprocité et le respect deviennent les vertus majeures de la laïcité : elle exige de tous une sorte de timidité dans l'espace public ; elle suppose une retenue, elle appelle à la compréhension et refuse la provocation. Car la laïcité est aussi une valeur de civilisation puisqu'elle tend à faire vivre en bonne intelligence, à l'école, ce que Mirabeau aurait appelé un « agrégat d'élèves désunis » : athés, agnostiques, enfants d'appartenance sunnite, ashkénaze, évangélique, catholique, d'origine arménienne, turque, kurde alevis, assyro-chaldéenne, marocaine, enfants de musulmans « hindous », mandés, petit-fils de harkis, de policiers FLN et de militants du FIS, réfugiés les uns et les autres pour des motifs opposés... Mais la laïcité ne saurait tourner au laïcisme. D'abord, parce que Dieu, quel que soit le nom qu'ils lui donnent, est dans la vie de millions d'hommes et de femmes en France. Ensuite, parce qu'expulsant le sacré, le laïcisme n'est rien d'autre qu'une idéologie religieuse. La laïcité, si elle affirme que le monde doit être « regardé » comme profane, considère, elle, que les traditions religieuses doivent être admises à offrir l'apport de leurs richesses. C'est bien cet équilibre auquel sont attachés les Français. On l'a bien vu, en 1984, lorsque l'esprit public, au nom de la laïcité, arbitra en faveur des partisans de l'enseignement libre. De là l'autorisation des signes discrets, la reconnaissance du fait religieux dans l'enseignement, et la volonté de l'école de ne plus faire silence sur un déterminant de l'histoire collective afin que l'inculture religieuse ne nourrisse plus des heurts communautaires. C'est cette idée de la laïcité qui doit nous conduire aux portes des établissements et dans toute la société, à rester fidèles au discours qu'adressa Rabaud Saint Etienne, en août 1789, à la représentation nationale. Nous devons garantir aux juifs, aux musulmans, aux chrétiens et à tous les croyants « l'égalité des droits, la liberté de leur religion, la liberté de leur culture, la liberté de pratiquer dans les maisons consacrées à cet objet, la certitude de ne pas être plus troublés dans leur religion et l'assurance parfaite d'être protégés comme tous, autant que tous, et de la même manière que tous par la commune loi ». Et, poursuivait-il : « Ne permettez pas que l'on vous cite l'exemple de ces nations encore intolérantes qui proscrivent votre culte chez elles. Vous n'êtes pas faits pour recevoir l'exemple mais pour le donner » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). La France a pris le temps du débat. Il nous faut à présent trancher, quitte à décevoir certains. Il ne s'agit pas d'affirmer le modèle français supérieur à tout autre, mais de dire qu'il a la préférence de la quasi-totalité des Français et que personne ne songe à y renoncer. Il semblerait d'ailleurs que l'Allemagne et les Pays-Bas envisagent désormais de s'en inspirer. Nous n'avons pas l'illusion que l'on peut tout régler par la loi, et cette loi indispensable ne nous épargnera pas un long chemin de reconquête de l'équilibre entre l'individuel et le collectif. Mais certains ont voulu travestir la réalité, disqualifier le débat en parlant d'un « pugilat de chiffonniers autour d'un morceau de tissu ». Sous le chiffon, puissè-je vous en avoir convaincu, il y a la liberté ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. le Président - M. Jean-Marc Ayrault m'a fait savoir qu'il renonce à défendre l'exception d'irrecevabilité qu'il a déposée au nom du groupe socialiste, et M. Alain Bocquet qu'il renonce à défendre la question préalable qu'il a déposée au nom du groupe communiste et républicain. J'en prends acte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Mme Marie-George Buffet - Je veux réaffirmer aujourd'hui l'attachement indéfectible du groupe communiste et républicain à la laïcité, principe essentiel de la République et principe fondateur de notre pacte social. Les députés du groupe se prononcent en conscience, car la question est complexe. Elle appelle un débat digne, et notre assemblée doit à tout prix éviter de se laisser tromper par le prisme déformant de l'actualité, et bien mesurer les défis auxquels nous sommes confrontés. Oui, la laïcité est menacée, et menacée au premier chef par les fractures du pacte social et républicain. Elles nourrissent le repli communautaire, les crispations identitaires et la désespérance, ouvrant ainsi un large champ au fléau intégriste. Qui a l'ambition de donner à la laïcité tout son éclat doit s'attaquer aux causes de ces difficultés plutôt que d'en traiter les seuls effets. Peut-on parler de laïcité lorsque les inégalités se creusent, que les discriminations frappent en masse, que les libertés se réduisent pour beaucoup, que les ghettos créent des frontières entre les populations et que se rompt le fil qui lie les hommes et les femmes, sous le poids du fardeau de chacun ? Il est manifeste que cette laïcité ne peut être garantie que si la liberté, l'égalité et la fraternité sont la règle. Or c'est loin d'être le cas. La laïcité, contestée en Europe comme l'a montré le débat constitutionnel, est également menacée par les postures d'affrontement, par la division, par la stigmatisation, par la négation de l'individu et de sa liberté de conscience, par les intégrismes. Elle l'est aussi lorsque le champ du débat démocratique se rabougrit au profit d'une pensée unique éludant les questions de sens ! Ne faisons pas de cette laïcité un slogan porteur d'interdits. Quand elle s'est forgée depuis la Révolution française comme un élément essentiel de notre démocratie. Alors que la commission Stasi s'était essayée à une réflexion globale, vous avez réduit la discussion à « la loi sur le voile » comme si nous n'avions pas besoin de grands débats publics sur le sujet, ainsi que sur l'égalité entre hommes et femmes. Celui que vous nous aviez annoncé sur l'école aurait pu instruire ces questions mais il s'est rétréci comme une peau de chagrin. Dans notre France du XXIe siècle, les individus vivent des appartenances éclatées. La crise des valeurs et des idéologies, la crise de sens, la crise de la politique qui prospèrent sur le terreau de la crise sociale, accentuent la difficulté à trouver des repères et à se situer dans l'espace de la laïcité. Nous aurions pu parler de tout cela si, préparant le centenaire de la loi de 1905, nous avions osé un grand débat pluraliste sur un siècle de laïcité, débouchant si nécessaire sur une grande loi. La laïcité mérite mieux que la loi partielle que vous proposez. Elle est le principe qui garantit à notre peuple la cohésion dans la pluralité. Elle découle directement de l'affirmation des droits universels de l'être humain, droits qui ne sont pas liés à l'appartenance à tel ou tel groupe social, ni à la profession de telle ou telle opinion. Ces droits, consubstantiels à la condition d'être humain, supposent la liberté d'opinion et de pensée, la liberté religieuse et, plus que la tolérance, la reconnaissance. La laïcité est donc la garantie d'une société de paix, bâtie par des hommes et des femmes différents qui veulent vivre ensemble. Dans un même mouvement, il nous faut affirmer que l'autorité publique, procédant de la souveraineté du peuple, ne peut être soumise à aucune tutelle extérieure. La laïcité fait donc de la République un espace accueillant toutes les représentations du monde, dès lors qu'elles ne contestent pas son principe. C'est pourquoi nous craignons l'image répressive qui en est donnée. Idéal positif et mobilisateur, la laïcité n'est pas une grammaire statique : c'est le sens lui-même, et le mouvement ! C'est dans ce contexte qu'il faut évoquer le voile. Celui-ci représente une atteinte insupportable à l'intégrité et à la dignité des femmes, une négation de leur corps, de leurs désirs et de leur personnalité. La République ne peut se résoudre à ce qu'elles soient ainsi dominées. La lutte pour l'égalité entre hommes et femmes garde donc toute son actualité et c'est en son nom que le voile me semble devoir être combattu, avec constance et détermination. Nous voulons, avec les jeunes filles et les femmes voilées, créer les conditions de leur émancipation. Mais est-ce toujours cette domination masculine qui gêne derrière le voile ? N'est-ce pas pour certains une France devenue plurielle ? Les raisons pour lesquelles des femmes et des jeunes filles portent le voile sont variées. Certaines se le voient imposer, d'autres sont convaincues d'accomplir ainsi un devoir religieux, d'autres enfin entendent se protéger d'agressions masculines. C'est aussi sur ces causes qu'il faut agir, en faisant progresser l'émancipation féminine, en assurant le vivre ensemble dans les cités, en menant le débat sur la laïcité et le combat contre l'intégrisme ! L'intégrisme, qui entend que des préceptes religieux régissent la vie politique, fait violence à l'individu, et va à l'encontre de l'universalité des droits de l'homme. Il faut le combattre de manière politique, en réaffirmant partout l'autorité de l'Etat républicain, et en faisant appliquer nos lois contre le racisme, l'antisémitisme et contre les atteintes à la démocratie. Mais il faut, plus largement, afficher l'engagement républicain pour le progrès et l'émancipation humaine, et donc mener avec conviction le combat laïque. L'autorité de l'Etat suppose en effet la capacité de convaincre pour susciter un mouvement d'ensemble. On ne débusque pas l'obscurantisme, on ne met pas en difficulté les intégrismes en pointant du doigt tous les croyants, en stigmatisant les musulmans, et, plus particulièrement, les musulmanes, comme si le voile était toujours un étendard ! La loi que vous nous proposez laissera pour l'essentiel la communauté éducative désemparée, parce que la source des problèmes ne sera pas tarie. La question du droit et de la dignité des femmes continueront d'être laissée dans l'ombre, et notre choix de l'interdit de conforter une société de la peur et du communautarisme. Combattre l'intégrisme suppose d'avoir confiance en la force des idéaux républicains et démocratiques, en la capacité de chacun et chacune à réfléchir et à comprendre. Votre loi ne fait que diviser notre peuple ! Jusqu'où irons-nous dans cette direction ? D'aucuns ont suggéré de revenir au port de l'uniforme ; le ministre de l'éducation nationale a évoqué le port de la barbe, soulignant ainsi le caractère potentiellement inopérant de cette loi. Quant à la proposition d'étendre l'interdiction aux signes politiques et philosophiques, elle éclaire d'un jour nouveau ce texte : notre République serait-elle donc menacée par les convictions religieuses, politiques et philosophiques ? Pensez-vous que l'on puisse considérer l'école comme un sanctuaire ou que l'on puisse créer une séparation factice entre public et privé, en ce qui concerne les convictions et l'identité de chacun, sans mettre en danger la liberté d'expression ? Croyez-vous qu'on puisse se contenter de poser la question de la laïcité à l'école ? Etes-vous persuadés que l'interdiction et l'exclusion sont les meilleurs moyens de jouir d'une liberté retrouvée ? Votre loi va multiplier les tensions stériles, réduire le champ de la laïcité, et donc de la démocratie, et déséquilibrer le processus éducatif au profit du terme normatif et arbitraire. Elle ne sera alors plus qu'un boomerang. Vraiment, ce n'est pas ainsi que l'on gagnera contre le voile, ni contre l'intégrisme ! Il faut combattre fermement ce qui porte atteinte à la dignité de l'individu et pousse à l'affrontement. La République doit exprimer sa détermination et sa vigilance face à l'intégrisme. Nous avons besoin de faire vivre la laïcité. Si on lui en donne les moyens, la communauté éducative a la capacité de faire respecter des règlements librement consentis, faisant appel à l'intelligence des élèves et aidant au développement de la citoyenneté. Ne faut-il pas également repenser l'enseignement de la laïcité, de l'histoire, du fait politique et religieux ? Ne serait-il pas utile de créer un haut Conseil chargé d'un rôle de médiation et capable de donner à tous les clefs de la laïcité ? Ne faut-il pas réfléchir à la manière de mieux intégrer l'apport de chacun à la cohésion sociale et de susciter les gestes de reconnaissance attendus ? Ne peut-on, en quelque sorte, mettre à l'ordre du jour la question de ce que nous avons à construire ensemble ? La laïcité a besoin qu'on lui donne du souffle, elle a besoin de s'expérimenter, d'être vécue en conscience. Elle a besoin, non de la peur et des phobies, mais de l'expression des différences, dans le respect d'autrui et de la société. Il faut partout permettre d'évaluer les conditions dans lesquelles elle s'exerce et se donner des règles communes pour éviter les situations d'affrontement. Le renouveau de la laïcité doit s'accompagner nécessairement d'un renouveau de la citoyenneté, de la politique, de la recherche de sens. La mixité de notre société, l'unité de notre peuple et l'universalité de l'humanité exigent en effet de rechercher ce qui nous fait semblables sans occulter ce qui nous différencie. Il y faut la liberté, l'égalité et la fraternité. Nous craignons bien d'être conduits aujourd'hui à une délibération qui laissera chacun insatisfait. En effet, vaincre le repli et l'intégrisme suppose une politique beaucoup plus audacieuse en faveur de la laïcité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste) M. Jean-Pierre Brard - Rappel au Règlement, fondé sur l'article 58, alinéa 2. Pour la clarté de ce débat, j'informe l'Assemblée que le groupe communiste et républicain a résolu que nul ne défendrait en son nom une position officielle, ses membres ayant décidé de faire jouer la clause de conscience. Nous aurons donc une expression diverse et, bien sûr, à chaque fois respectable comme telle. M. Jacques Barrot - Ce débat sur la laïcité au sein de l'école est un débat majeur pour l'avenir de la communauté nationale et pour les valeurs de la République. Il faut lui donner sens en évitant le piège de passions excessives. Ce qui sous-tend la démarche du Président de la République, c'est en effet la volonté de promouvoir un modèle de société fondé sur la tolérance et tendu vers la cohésion. Pour mesurer l'enjeu, rappelons les grands principes qui fondent notre citoyenneté. Celle-ci s'est édifiée sur le respect des consciences, visant à donner à tous la chance d'une libre adhésion à des convictions religieuses ou philosophiques. Elle a pour fondement la pratique collective d'une authentique tolérance. Et c'est bien ce respect des convictions de chacun qui fonde le refus des discriminations pour motifs sociaux et religieux. Cet idéal républicain implique le respect de la liberté d'autrui et la pratique de la fraternité. Il exige aussi une égale dignité de la femme et de l'homme, vers laquelle notre société s'est mise progressivement en marche, suivant en cela le principe fondamental de l'égalité. La communauté française trouve son unité et sa fierté dans le partage de ces valeurs, et c'est pourquoi nous sommes souvent regardés dans le monde avec admiration. Cela nous rappelle que l'affirmation de ces valeurs ne s'est pas faite sans un long cheminement, parfois douloureux, ce qui confère encore plus de sens à ces idéaux. Notre société a su distinguer clairement ce qui relève de l'Etat et ce qui procède de la religion. Il fallu pour cela s'affranchir à la fois d'une tentation cléricale hégémonique et d'une volonté de cantonner le fait religieux dans la sphère strictement privée... (Rires sur les bancs du groupe socialiste) En se séparant de l'Etat, en acceptant la laïcité, l'Eglise catholique de France a gagné en liberté et en authenticité... (« Ah bon ? » sur les bancs du groupe socialiste) Elle a fait l'effort d'intégrer la nouvelle donne du concile Vatican II... (Rires sur les bancs du groupe socialiste)... qui a reconnu officiellement que la foi ne doit être l'objet d'aucune contrainte. Je suis heureux de rappeler ici l'apport conciliaire car il converge vers l'idéal du respect de la liberté religieuse. De son côté, l'Etat a permis l'épanouissement d'une société où ceux qui croient en Dieu et ceux qui n'y croient pas se sont retrouvés pour résister aux idéologies qui bafouaient le respect de la personne humaine (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Je comprends mal certains sourires, moi qui suis né dans une famille où la Résistance a fait se rencontrer ceux qui croyaient et ceux qui ne croyaient pas ! (Mêmes mouvements) C'est cet attachement profond à une société pluraliste, respectueuse des familles spirituelles et religieuses, que nous entendons affirmer aujourd'hui dans la défense de la laïcité. C'est pour nous tous un devoir, face à des menaces que nous ne pouvons pas ignorer. Tout se passe comme si, mettant à profit les fragilités d'une société trop individualiste, où les plus faibles sont voués à la solitude, les tentations communautaristes se faisaient plus pressantes, notamment parmi nos compatriotes les moins favorisés et insuffisamment enracinés dans notre pays. Sans doute avons-nous mis trop de temps à prendre conscience de l'influence croissante de minorités tentées de prêcher à leurs coreligionnaires le repli communautariste. Sans doute sous-estimons-nous encore aujourd'hui la dimension internationale d'un fondamentalisme qui entend ébranler les sociétés occidentales, en prenant le prétexte - pas toujours faux mais dangereux - d'une mondialisation qui creuse les fossés entre les peuples au lieu de les unir. Nous devons nous rendre à l'évidence. Il existe aujourd'hui des menaces concrètes pesant sur le « vivre ensemble » républicain et le principe de laïcité. Ces menaces, les élus que nous sommes les connaissent bien, surtout ceux - je pense notamment à une intervention de M. Gerin - qui les affrontent dans nos banlieues : refus par des maris ou des pères de voir leurs femmes ou leurs filles soignées par des médecins de sexe masculin ; montée des pressions prosélytes dans les prisons ; multiplication des violences racistes au prétexte de motifs religieux... L'école peut ainsi devenir le lieu de cristallisation de ces revendications, notamment par des demandes de dispense de certains cours, de gymnastique, de sciences naturelles ou d'histoire. Il faut entendre ces professeurs d'histoire nous expliquer qu'il est devenu très difficile d'évoquer la Shoah et de parler du devoir de mémoire universel ! C'est dans ce contexte qu'il faut aborder la question du port de signes religieux à l'école, et notamment du voile islamique. Nous ne nions pas le fait que le port du voile puisse parfois être l'affirmation d'une sincère conviction religieuse. Mais, dès lors que des jeunes filles mineures ont été pressées - pour ne pas dire forcées - de le porter, le voile peut aussi être l'étendard d'un refus de l'intégration dans la société française (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Et il n'est rien de plus grave que de faire appel au sentiment religieux pour instrumentaliser des êtres sans défense au service de prises de positions idéologiques. Au c_ur des antagonismes d'aujourd'hui, se trouve également une certaine vision de la femme, profondément inégalitaire, et même incompatible avec notre conception de la dignité de la personne humaine. Bien sûr, certains de nos concitoyens de confession musulmane peuvent éprouver le sentiment douloureux que c'est leur religion dans son ensemble qui est montrée du doigt. Tel n'est pas le cas. L'islam est aujourd'hui traversé par un affrontement entre une minorité intégriste et l'immense majorité des musulmans, qui sont attachés à une pratique tolérante de leur religion. Nous devons permettre à ces croyants, qui comptent sur nous, de vivre sereinement leur foi musulmane et leur citoyenneté française. Nous devons soutenir ces jeunes femmes musulmanes, qui désirent s'intégrer dans la société française et qui nous adressent un appel à l'aide. Nous devons apporter un message d'espoir à ceux qui mènent avec courage ce combat pour la démocratie, pour la liberté religieuse, et pour l'égalité des femmes, dans les pays du monde musulman, du Maroc jusqu'à la Turquie en passant par l'Égypte. L'heure est donc venue d'émettre ce signal, qui n'est en rien une stigmatisation de la communauté musulmane, mais qui doit au contraire garantir au fait religieux toute sa place, en le mettant à l'abri de ceux qui cherchent à l'instrumentaliser à des fins politiques. Et si nous doutions des tentatives de pression et de manipulation, les manifestations du 17 janvier sont là pour nous ouvrir les yeux. La manière dont leurs organisateurs ont contesté par avance la loi que la République entendait se donner démocratiquement, leurs emprunts à des slogans antisémites, ne laissent pas de doutes (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Pourquoi une loi est-elle nécessaire ? Pourquoi ce signal, ce coup d'arrêt aux dérives fondamentalistes, doit-il passer par la loi ? Parce qu'il s'agit de libertés publiques, et que le seul vrai fondement d'une interdiction ne peut être que législatif. L'avis du Conseil d'Etat de 1989 est clair : « Le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n'est pas lui-même incompatible avec le principe de laïcité. » Cet avis autorisait donc le port de signes religieux à l'école, y compris le voile islamique, et cette position était logique : la loi d'orientation sur l'école de 1989 avait affirmé le droit absolu des élèves à manifester leurs convictions, le Conseil d'Etat ne pouvant que prendre en compte l'état du droit. sur la base de cet avis, la jurisprudence du Conseil d'Etat a développé une application au cas par cas. Et ce fut seulement en fonction des circonstances - si le port de signes religieux générait des troubles à l'ordre public, dénotait un comportement prosélyte ou s'accompagnait du refus de suivre certains cours - que l'interdiction était possible. Ces critères n'ont pas été faciles à appliquer. Les chefs d'établissement et les professeurs ont couru le risque d'être livrés aux rapports de force locaux et de prendre des décisions divergentes. Les circulaires des ministres de l'éducation nationale, notamment celle de 1994, n'ont pas davantage résolu le problème, comme l'ont souligné les chefs d'établissement auditionnés par la commission Stasi. Le Conseil d'Etat le relève d'ailleurs dans un arrêt de 1995 : « Par sa circulaire du 20 septembre 1994, le ministre de l'éducation nationale s'est borné à demander aux chefs d'établissement de proposer aux conseils d'administration une modification des règlements intérieurs. Une telle instruction ne contient aucune disposition directement opposable aux administrés ». C'est une façon aussi juridique que polie de dire que la circulaire de 1994 ne comporte pas de mesure directement applicable. M. Jacques Myard - Absolument ! M. Jacques Barrot - Nous sommes donc face à un choix clair : ou nous laissons subsister l'état du droit, et le port des signes religieux, quels qu'ils soient, est autorisé ; ou nous voulons changer l'état du droit, et il faut alors passer par la loi. Mais la loi ne doit manifester que les exigences indispensables du « vivre ensemble » républicain. Elle doit donc définir des interdictions mesurées : une interdiction limitée à l'espace scolaire, parce qu'il s'agit de protéger des mineurs et parce qu'il faut soustraire l'école républicaine, ce creuset de l'intégration, aux affrontements. Une interdiction qui vise le port d'un signe religieux qualifié d'ostensible, parce qu'il risque de porter la tentation d'un comportement prosélyte visant à contraindre tous ceux qui appartiennent à une mouvance religieuse de se signaler, de se reconnaître, pour mieux se différencier, voire s'isoler, au risque de briser l'unité de la communauté éducative. On se reconnaît pour mieux se replier sur soi... Certains ont envisagé une interdiction de tous les signes visibles,... M. Jean Glavany - Ne dites pas « certains » ! La commission était unanime ! M. Jacques Barrot - La pensée peut progresser ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Une telle interdiction eût porté le risque de bannir de l'espace scolaire tout signe religieux, même porté avec discrétion, ce qui est contraire à notre conception d'une liberté individuelle respectueuse d'autrui et à cette laïcité d'ouverture que la République nous a appris à pratiquer les uns et les autres. M. Jean Glavany - La laïcité n'a pas besoin d'être qualifiée ! Le principe se suffit à lui-même. M. Jacques Barrot - Enfin, la loi doit être appliquée avec discernement. L'exclusion doit rester l'ultime sanction. Il est essentiel que des efforts de dialogue et de médiation soient conduits avec toute la patience et la diligence voulues. L'amendement de notre commission des lois souligne cette nécessité de dialogue, laquelle s'inscrit d'ailleurs dans le cadre habituel de la politique éducative. Mais la loi ne prendra tout son sens que si elle s'inscrit dans une démarche beaucoup plus large, destinée à convaincre collégiens et lycéens que notre idéal républicain est une chance pour eux. Et d'abord celle d'appartenir à une communauté nationale où chacun se voit reconnaître une égale dignité, où les croyants des grandes religions monothéistes apprennent à se respecter, où croyants et incroyants eux-mêmes adhèrent à un idéal de fraternité humaine, dont personne ne peut se sentir privé ou exclu. Il est vrai que d'autres sociétés occidentales ont choisi de laisser des groupes religieux coexister sur leur territoire, sans chercher à les aider à s'ouvrir les uns aux autres. Moyennant quoi, les chances d'épanouissement individuel se trouvent plus limitées, puisqu'elles ne se cultivent que dans un ensemble ethnique et religieux fermé sur lui-même. Mesurons-nous la chance que nous avons de pouvoir puiser dans ce pluralisme philosophique et religieux pour enrichir nos vies et nos cultures personnelles ! Enfin, et c'est là que nous sommes attendus, la loi ne pourra être comprise et notre idéal républicain partagé que si elle est accompagnée d'un effort sans relâche d'intégration. Le chemin de l'intégration reste encore difficile pour nombre de nos compatriotes issus de l'immigration. C'est pourquoi il est très important de valoriser leurs réussites économiques, culturelles, sportives... Ils sont à bien des égards des modèles, d'autant que c'est par leur seul travail, leur seul mérite personnel, qu'ils ont obtenu une pleine reconnaissance sociale. Mais nous devons aussi pourchasser toutes les formes de discrimination, refuser la ségrégation urbaine qui crée des ghettos, lutter contre l'illettrisme mais aussi les difficultés d'accès à l'emploi. Ce seront nos armes les plus efficaces contre les tentations communautaristes et fondamentalistes. Un vigoureux effort a été engagé pour transformer certains quartiers dont l'architecture inhumaine n'a pas été sans conséquences, et construire davantage de logements pour permettre les mobilités indispensables à une plus grande mixité sociale. Il nous faut aussi combattre toutes les formes de violence à l'école et parvenir à pacifier l'espace scolaire dans les quartiers difficiles, où les maîtres éprouvent de grandes difficultés à éveiller les enfants au respect de l'autre. La très grande majorité du groupe UMP votera cette loi pour mieux protéger les valeurs essentielles de la République et porter un coup d'arrêt aux menaces communautaristes et intégristes. Mais notre vote a valeur d'engagement au service d'une politique active de l'intégration. C'est pourquoi nous avons souhaité, dès mardi matin prochain, profiter du temps accordé à notre groupe pour débattre des efforts supplémentaires nécessaires pour lutter contre les discriminations et renforcer l'égalité des chances. M. Pierre Méhaignerie - Excellente initiative ! M. Jacques Barrot - Le Premier ministre, je l'en remercie, a également fixé trois rendez-vous importants : la création d'une autorité administrative indépendante pour lutter contre les discriminations ; la mise en place d'un comité interministériel à l'intégration ; la tenue d'une conférence pour l'égalité des chances, associant les entreprises et les partenaires sociaux. Loin des tentations individualistes et des solitudes du monde moderne, notre France se doit d'être une communauté unie, riche de ses différences, où l'on puise la fierté d'une identité reconnue et les chances d'une citoyenneté garantissant à chacun le droit à la réussite. Il est temps de retrouver foi et enthousiasme dans un modèle français et de cultiver cette fierté d'une France au visage fraternel. Tel sera le sens de notre vote (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Jean-Marc Ayrault - « L'idéal laïque unit tous les hommes parce qu'il les élève au dessus de tout enfermement ». C'est par cette pensée du philosophe Henri Pena-Ruiz que j'introduirai notre débat car elle en donne la vraie dimension. Loin de défendre un dogme, de combattre les croyances, d'enfermer les enfants dans un moule, nous poursuivons aujourd'hui une _uvre d'émancipation commencée il y a près de cent ans. Soyons-en fiers. Née dans la douleur, la laïcité a patiemment conquis les c_urs. Elle a construit une école de tolérance où la neutralité de l'Etat garantit la liberté de croyance pour chaque citoyen et l'égalité entre chacune des religions. Elle a façonné un « vivre ensemble » et apaisé la communauté nationale. Voilà pourquoi il faut y tenir comme à la prunelle de nos yeux et la préserver de la confusion trop courante du spirituel et du temporel, qui, depuis quelques années, est réapparue. L'islam cherche sa place dans le monde, et donc aussi en France. Porteur d'une histoire et d'une civilisation longtemps rayonnantes, il traverse aujourd'hui une crise d'adaptation à la modernité, comme en ont connues, avant lui, le christianisme ou le judaïsme. La question du voile dans nos écoles est l'une des expressions de cette quête identitaire. Il ne faut ni l'ignorer, ni en avoir peur. Il faut au contraire aider nos compatriotes musulmans à la résoudre. C'est tout le sens de notre débat. En parler n'est pas montrer les musulmans du doigt ni les désigner comme fauteurs de trouble. Qui ne voit qu'ils sont les premières victimes des régimes théocratiques ou des groupes fondamentalistes et les premiers à souffrir de la suspicion et des discriminations ? Qui ne voit que l'écrasante majorité d'entre eux veut vivre en paix, partout dans le monde et donc aussi, dans notre République ? Je le dis du haut de cette tribune à nos compatriotes musulmans. Vous êtes des citoyens à part entière ! Vous avez les mêmes droits, les mêmes devoirs, les mêmes engagements que tous ! Nul ne peut vous séparer des autres Français ! Et cela vaut pour ceux d'entre vous qui croient comme pour ceux qui ne croient pas (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains). La loi que nous voulons faire n'est pas contre l'islam, ni contre les religions. Elle est une loi de liberté, d'égalité et de justice. Elle veut préserver l'école de pressions religieuses ou politico-religieuses ; considère toutes les religions de la même manière ; exige un dialogue avant toute sanction. Comme l'ont écrit Marceau Long et Patrick Weil, tous deux membres de la commission Stasi, « dans notre tradition laïque, l'Etat est protecteur du libre exercice par chacun de sa liberté de conscience, de son expression ou de sa non-expression. Il se doit d'intervenir quand elle est menacée. Les jeunes filles non voilées et celles qui n'ont pas fait leur choix librement n'ont pas moins que les autres le droit à leur liberté de conscience ». Alors, oui, l'interdiction du voile est le gage d'une liberté : celle d'être un citoyen comme les autres, qui n'est pas considéré en fonction de son appartenance ou de son sexe, celle d'être une femme sans tutelle, sans contrainte du regard des autres. Certains s'émeuvent de cette loi. Nous ouvririons, disent-ils, la boîte de Pandore, de réveiller les intégrismes. Etrange retournement ! C'est le retour du religieux dans l'espace politique qui provoque les tensions et les affrontements (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). Et les laïques seraient sommés de se taire ? On nous dit aussi : « La France est isolée ». Mais oui, elle l'est... depuis cent ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) La France est la seule nation d'Europe à avoir une Constitution laïque. Pourtant ce débat provoque des réactions passionnées dans toutes les chancelleries et les opinions, attestant de la force planétaire du symbole. La laïcité est une histoire universelle qui va de Gambetta à Taslima Nasreen, d'Atatürk à Shirin Ebadi. Elle est une lumière pour les femmes prisonnières de l'obscurantisme, elle est un espoir pour les minorités opprimées (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe UMP). Dans quelle démocratie serions-nous donc pour avoir peur de défendre l'une de nos valeurs les plus fortes de tolérance, de concorde et de pacification ? Que ceux qui hésitent au premier anathème regardent l'extraordinaire acquis de la séparation des Eglises et de l'Etat. Toutes les croyances et les non-croyances ont droit de cité. Aucune n'écrase l'autre. La France, que l'histoire a pourtant intronisée « fille aînée de l'Eglise », a pu ainsi brasser depuis un siècle les plus grandes populations musulmanes et juives de toute l'Europe. Chaque année, des milliers de couples se forment par delà les confessions, les origines. Aucune nation au monde n'a réussi une telle mixité culturelle (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe UMP). Voulons-nous donc perdre cet exceptionnel héritage ? L'antisémitisme ou la haine de l'islam ne sont pas les fruits vénéneux de trop de laïcité, mais de trop peu de laïcité (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste). Quand un homme est désigné parce qu'il est juif, musulman ou chrétien, ce n'est pas à cause de la laïcité, mais au contraire parce que les principes de la laïcité qui interdisent de considérer le citoyen en fonction de son appartenance ne sont pas respectés. Nul dans le monde ne doit s'en inquiéter. Ce sont les mêmes principes qui nous font considérer toutes les cultures comme égales et nous ont placés à l'avant-garde du refus de la guerre des civilisations, nous faisant refuser la guerre en Irak décrétée par les Etats-Unis. Et nous avons eu raison (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe des députés communistes et républicains et quelques bancs du groupe UMP). Cessons donc de trembler à la première manifestation des intégristes. Ceux-ci existaient avant cette loi. En apparaissant au grand jour, ils révèlent leur intolérance mais aussi leur faiblesse numérique. Non, les musulmans français ne sont pas avec eux. Non, ils ne veulent pas s'isoler derrière le voile. Au contraire ! Ce dont ils souffrent, en tant que citoyens, c'est que la République soit infidèle à ses principes, qu'elle tolère trop souvent, et depuis trop longtemps, la discrimination sociale qui les frappe plus que tous autres. Ce sont les inégalités qui excluent, pas la laïcité. A cet égard, Monsieur le Premier ministre, je crains que votre politique économique, sociale et éducative ne creuse le fossé. Pour nous, socialistes, la République sociale est le prolongement de la République laïque (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et plusieurs du groupe des députés communistes et républicains). Alors, de grâce, arrêtons de reculer sur nos principes en les confondant avec leurs faiblesses d'application. Retrouvons le courage des républicains du siècle dernier qui ont osé affronter le cléricalisme pour mieux protéger la liberté de conscience et de croyance. Le désarroi que vit notre nation s'enracine trop souvent dans le sentiment que ses représentants n'assument pas les valeurs qui fondent son vivre ensemble. Mesdames et messieurs, on ne légifère pas en s'excusant ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste) Nous savons tous que la dérive communautariste s'étend à d'autres sphères de la vie publique. On exige la récusation d'un magistrat parce qu'il est juif. On refuse des soins parce qu'ils sont administrés par un homme. On refuse de recevoir une patiente parce qu'elle est voilée. On conteste un enseignement parce qu'il ne correspond pas au livre sacré. Et de concession en concession, la communauté nationale se fragmente en communautés rivales avec pour seule devise : « Chacun chez soi et Dieu pour tous ! ». Qui veut de cette France-là, éparpillée, suspicieuse, sans mémoire commune, sans projet collectif ? Une loi ne fait pas un destin, elle n'est qu'un symbole, nous disent ses détracteurs. Eh bien oui, nous la revendiquons comme telle. M. le Président de la commission - Très bien ! M. Jean-Marc Ayrault - La raison doit parfois s'appuyer sur un symbole pour répondre à la puissance des signes que manient les fondamentalismes. Ce symbole traduira la volonté de préserver, d'adapter le pacte républicain et d'ouvrir la voie à un nouveau processus d'intégration qui prend en compte l'enracinement de l'islam dans notre pays. Mais quand on use des symboles en matière législative, la difficulté est de bien choisir ses mots pour qu'ils soient compréhensibles de tous et applicables par tous. C'est là que se posent les questions concernant ce projet. L'idée du Président de la République d'en confier la rédaction à un ministre qui s'y opposait (M. Ferry fait un geste de dénégation) n'a pas grandi sa crédibilité - ce qui n'est pas bien grave -, mais celle du projet de loi non plus, ce qui l'est beaucoup plus. La seule circonstance atténuante pour M. Ferry est d'avoir écrit sous la dictée de l'Elysée avec pour consigne expresse de concilier ceux qui croient à la loi et ceux qui n'y croient pas. Tâche impossible qui a conduit à toutes les confusions. Je crains que votre loi ne soit pas plus claire que la jurisprudence qui, depuis quinze ans, plonge la communauté éducative dans l'incertitude. Ce n'est pas moi qui le dis, mais Nicolas Sarkozy, qui a expliqué au Conseil du culte musulman que cette loi n'allait rien changer. Remplacer le terme « ostentatoire » par « ostensible » risque de conduire aux mêmes difficultés d'interprétation et à des contentieux. Qui va distinguer les signes ostensibles de ceux qui ne le sont pas ? Un bandana est-il de même nature que le voile ? A partir de quelle taille tolèrera-t-on les croix ? Les sikhs peuvent-ils transiger « sur un filet transparent » ? Comparativement la querelle théologique sur le sexe des anges apparaîtra bien terne ! M. Ferry a illustré cette impossible interprétation en se livrant, en commission, à de stupéfiantes exégèses sur le port de la barbe ou de la main de Fatma, qui n'ont fait qu'ajouter le risible à la confusion (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Mais il est encore temps, Monsieur le Premier ministre, de clarifier ce point. En effet, consciemment ou non, vous avez conforté le sentiment que l'interdiction vise avant tout les musulmans. Grave contresens. Là où il fallait éviter toute distinction entre les religions, vous faites une hiérarchie entre les bons et les mauvais signes, vous accentuez l'exclusion, vous semez le trouble. Comment comprendre le désaveu de notre travail de législateur ? Vous ignorez les propositions de la mission parlementaire conduite par notre Président, alors qu'elles ont été votées à la quasi-unanimité de ses membres, après six mois de travaux ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Comment interpréter la danse de Saint-Guy qui a saisi votre gouvernement et sa majorité ? M. de Villepin s'inquiète des retombées diplomatiques. Mme Alliot-Marie et M. Darcos réclament une loi claire. M. Juppé défend votre texte après avoir soutenu celui de M. Debré. M. Madelin votera « non ». M. Balladur « hésite » ostensiblement. C'est le grand concert de la discordance ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) C'est un bien mauvais exemple. Car quand on légifère sur la République, on dépasse les clivages partisans, on recherche l'assentiment le plus large. Méditez donc la leçon des législateurs de 1905, qui ont travaillé à unir les républicains des deux bords. Tel est en tout cas le v_u des socialistes. Nous souhaitons de tout c_ur voter une loi de concorde nationale. Nous voulons témoigner que la nation est encore capable de s'unir autour de valeurs partagées. Nos amendements, qui reprennent les propositions de la mission Debré, n'ont d'autre souci que d'établir une règle claire, égalitaire et applicable. Mesdames et messieurs les députés de la majorité, je veux croire qu'il n'est pas trop tard et que vous saurez vous hisser à la hauteur de l'histoire (Vives interruptions sur les bancs du groupe UMP). Si nous échouons à porter une vision commune, si la loi que nous votons n'offre pas les conditions d'un apaisement, alors craignons de libérer les passions. Une loi qui ne change rien est une loi qui ne sert à rien (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Ce serait donc une faute. Si je parle d'histoire, c'est parce que pour nous socialistes, cette loi ne peut être qu'un début, une porte d'entrée pour réussir une tâche inaccomplie : l'émancipation sociale de nos concitoyens issus de l'immigration (« Qu'avez-vous fait ? » sur les bancs du groupe UMP) et aussi la place de l'islam dans la République. Reconnaissons que, dans ces deux domaines, nous avons subi un échec collectif (« La repentance, enfin ! » sur les bancs du groupe UMP). Plus que tous autres, les enfants de l'immigration vivent une triple discrimination. Discrimination sociale avec un chômage trois fois supérieur à la moyenne et des revenus inférieurs. Discrimination urbaine qui les cantonne dans des quartiers ghettos. Discrimination culturelle qui les désigne comme des citoyens à part du fait de leur nom ou de leur religion. A l'évidence, nos systèmes publics d'intégration ne répondent plus. Comment s'étonner que certains cèdent au repli identitaire et aux sirènes religieuses ? Comment croire qu'une loi interdisant les signes religieux à l'école, fût-elle nécessaire, - et nous le pensions - suffira à leur faire retrouver les valeurs de la République ? C'est toute notre approche qu'il repenser (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Voilà pourquoi je juge légitime le débat sur la nécessité de mesures positives pour combattre les discriminations. Oui, les enfants de l'immigration ont besoin d'une aide spécifique. La société française est prête à le comprendre. Encore faut-il s'entendre sur les critères. Entendre le ministre de l'intérieur, subordonner l'aide de l'Etat aux « quartiers sensibles » à leur volonté de réduire la délinquance est franchement intolérable. C'est faire porter à leurs habitants une responsabilité collective et leur demander de se substituer à la police et à la justice. De même nous ne sommes pas favorables aux quotas ethniques, qui enferment le citoyen dans son appartenance communautaire. Pour quelques-uns que l'on promeut, que deviennent tous les autres ? L'intégration aura lieu quand l'Etat en fera une priorité et l'appliquera dans chacune de ses politiques publiques : destruction des ghettos, mixité urbaine, nouvelles filières de soutien éducatif, incitations puissantes à l'embauche de jeunes des quartiers, service civique pour apprendre la solidarité (« Tout ce que vous n'avez pas fait ! Bravo ! » sur les bancs du groupe UMP). J'insiste aussi sur l'ardente obligation de préserver la mixité dans tous nos espaces publics. Les femmes sont les plus exposées aux discriminations. Je salue le combat de leurs associations, en particulier du mouvement « Ni putes, ni soumises » (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) : elles se battent pour une égalité qu'aucune tutelle ne peut altérer. Et ce message s'adresse à toutes les religions, qui relèguent trop souvent la femme. Il nous faut aussi regarder en face la question de l'exercice de l'islam et cesser cette politique de l'autruche qui, depuis cinquante ans, consiste à ignorer la grande misère dans laquelle les musulmans pratiquent leur culte. J'entends de justes philippiques sur l'islam des caves, sur les prêches d'imams étrangers peu respectueux de nos principes laïques. Mais combien de municipalités délivrent des permis de construire pour les mosquées ou acceptent des carrés musulmans dans leurs cimetières ? Qui se penche sur la formation d'imams français ? Comme le dit l'écrivain Tahar Ben Jelloun, « la France peut être la chance de prouver que l'islam est compatible avec la démocratie et la laïcité » ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) A force d'immobilisme, on offre des arguments à tous les bons apôtres qui veulent réformer les lois de 1905. La tentation effleure déjà le ministre de l'intérieur. Mais ce serait le plus mauvais service à rendre à l'islam et à la République. Les lois de 1905 ont apporté la paix religieuse. Elles ont forgé des règles claires et souples, comme en attestent l'existence d'aumôneries dans les lycées ou la création du Conseil français du culte musulman. Nous pouvons les améliorer en encourageant, par exemple, le double enseignement de la laïcité et de l'histoire des religions à l'école ou en fondant une charte de la laïcité. Mais les réformer, ce serait rompre l'équilibre de notre pacte républicain et ouvrir la voie aux dérives du modèle communautariste, dont l'écrasante majorité du peuple français ne veut pas. Tels sont les enjeux de notre débat. Ils touchent aux fondements de notre identité républicaine. C'est à cette hauteur-là, que le groupe socialiste se déterminera sans considération tactique, sans arrière-pensée électorale (Murmures sur les bancs du groupe UMP). Seule comptera pour nous la qualité de la loi, sa capacité à mettre fin à un conflit dans une société qui a profondément changé. Il ne tient qu'à vous, Monsieur le Premier ministre, de saisir la main tendue. En conclusion, je vous lirai un extrait de la circulaire adressée par Jules Ferry aux enseignants le 17 novembre 1883 : « Ce que vous allez communiquer à l'enfant, ce n'est pas votre sagesse, c'est la sagesse du genre humain... Si étroit que vous semble un cercle d'action ainsi tracé, faites-vous un devoir de n'en jamais sortir. ...Vous ne toucherez jamais avec trop de scrupules à cette chose délicate et sacrée qu'est la conscience de l'enfant. » Puisse cette sagesse-là, Monsieur le Premier ministre, inspirer votre loi et les réponses que vous nous ferez (Les membres du groupe socialiste se lèvent et applaudissent longuement ; applaudissements sur plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains). M. François Bayrou - Il est dommage, Monsieur Ayrault, que vous n'ayez pas cité le passage précédent de la circulaire de Jules Ferry : avant de vous adresser à votre classe en matière de morale, dit-il en substance, demandez-vous si les parents d'un seul de vos élèves pourraient être choqués ou troublés par ce que vous allez dire. Si c'est le cas, ne le dites pas. Si aucun des parents ne peut être dérangé, dites-le car cela ne sera pas votre vision, mais la morale éternelle du genre humain (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). La circulaire de Jules Ferry définissait la laïcité des enseignants, pas celle des élèves. Vous appelez le Parlement à voter une loi sur le port des signes religieux à l'école. Or, il n'y a pas matière à loi. Bien sûr, il y a un problème, qui touche à l'équilibre dans notre société, et à l'autorité dans l'école. Mais votre projet de loi n'est pas la bonne réponse. Il ne changera rien à la situation actuelle, au contraire ! Cela étant, le sujet est difficile, et il faut s'exprimer avec le souci des nuances. Pourquoi le voile pose-t-il question ? Le problème ne touche pas à la conviction religieuse, mais à la condition de la femme. Le voile traduit l'inégalité de la femme et de l'homme. La place de la femme serait à la maison. En dehors, elle doit se dérober aux regards masculins. La femme n'est pas respectable en elle-même ; elle le devient à condition d'adopter une attitude de réserve et de soumission. Cette conception du voile, les jeunes femmes du collectif « Ni putes ni soumises » en ont montré la violence. Par le choix de ce nom, elles ont montré qu'au sein de la cité, la jeune fille n'a le choix qu'entre deux attitudes. Légère, elle est vouée à la consommation brutale. Soumise, elle est enfermée à la maison. Cette conception est inacceptable pour la France, la République, et notre civilisation. Notre culture et notre République ont des fondements radicalement différents. C'est depuis le Moyen Age, temps de l'amour courtois et des troubadours, que les grandes étapes de la féminité respectée se sont construites. Alain Finkielkraut dit très bien : « L'Occident est la civilisation de l'homme par la femme. » Dans notre civilisation, la femme est respectable en elle-même, et c'est aux droits de la femme que commencent les droits de l'homme. Cette opposition entre les deux visions est difficile à opérer car il y a, et M. Ayrault l'a rappelé, l'intégration ratée, le chômage élevé, les garçons atteints dans leur dignité. Quand tout se dérobe, quand on est rejeté pour son nom ou son faciès, ne reste que la maison où la femme veille. Sur cette grande misère sociale, culturelle, sexuelle, vient se greffer le retour de l'identité la plus fondamentaliste. Face à cela, il y a l'immense demande des enseignants, et notamment des enseignantes, qui se voient renvoyer une image de la femme qui blesse ce qui constitue leur engagement. Il y a la demande des responsables d'établissement qui se sentent abandonnés. Il y a celle des jeunes femmes musulmanes qui résistent au port du voile. Il y a une demande générale d'autorité pour défendre les cadres de notre vie en commun. Pour ces raisons, les gouvernements qui se sont succédé ont publié plusieurs textes ... M. Jacques Desallangre - Cela n'a pas suffi ! M. François Bayrou - On pouvait imaginer de reprendre la question en profondeur, comme le préconisait la commission Stasi, et de présenter une grande loi sur l'intégration. Cette tâche aurait été difficile, mais sage. Vous avez préféré présenter un texte de deux lignes qui ne traite pas de l'intégration, et qui ne changera rien. « Le débat s'est rétréci », affirme René Rémond, sage de la commission Stasi, « au point que l'on a oublié ce sur quoi la commission était parvenue à un accord : une loi de portée générale rappelant les principes de la laïcité, non pas seulement par des interdits, mais en termes positifs, un texte solennel sur la nécessité du respect de la loi commune à tous les âges de la vie, un texte préservant la liberté des personnes ». « Voté en l'état », ajoute M. Rémond, « je ne le reconnaîtrai pas comme le fruit de nos travaux. ». « La réponse politique actuelle a un caractère absurde et dérisoire » poursuit-il, « elle entretient nos compatriotes dans l'illusion qu'il suffirait de voter deux articles de loi pour régler le problème de l'intégration ». En réalité, « le voile est un leurre qui dissimule l'enjeu central : la capacité de la France à intégrer des populations nouvelles et l'acceptation de la loi commune par ces nouveaux Français. On se crispe sur un problème ultra-minoritaire, alors que le vrai défi est celui de l'intégration sociale et professionnelle ». M. le Rapporteur - Il n'y a que l'école. M. François Bayrou - Vous offrez un magnifique cadeau aux intégristes en faisant de cette question un problème religieux, et en accréditant auprès d'une grande majorité des musulmans de France l'idée qu'ils sont rejetés. Vous faites encore le lit de l'extrême droite qui ne rêve que de stigmatiser l'immigration pour faire flamber la fièvre électorale. En agissant ainsi, vous portez atteinte à l'esprit de la laïcité. La laïcité n'est pas l'ennemi de la conviction religieuse, mais la prise en compte de toutes. Or, pour beaucoup, le spirituel est le plus précieux de leur être. Plusieurs ministres de l'éducation nationale ont souhaité que l'école transmettre aussi l'histoire des religions. La laïcité est simplement le refus qu'un dogme s'impose dans la sphère publique. Je crains le gâchis. D'abord, dans la société française. Qui peut prétendre que l'on y voit plus clair aujourd'hui ? Et puis sur le plan international, le ministre des affaires étrangères l'a dit dans un séminaire intergouvernemental. Ce projet est souvent perçu comme une régression, dans le monde arabe, mais aussi dans le monde anglo-saxon,... M. Jean Glavany - Où l'on prête serment sur la Bible ! M. François Bayrou - ... en Europe, dans les démocraties marquées par l'héritage réformé, dans les religions, de leurs responsables jusqu'au pape qui s'en est ému. M. Jacques Desallangre - Le pape est faillible ! M. Jean-Pierre Brard - Il va vous excommunier ! M. le Président - Monsieur Brard, ne parlez pas de ce que vous ne connaissez pas ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. François Bayrou - Jean-Louis Debré et nombre de ses collègues ont raison d'affirmer que la formulation retenue ne changera rien à l'état actuel du droit. Depuis 1905, la tradition juridique est invariable : il ne peut y avoir d'interdiction générale et absolue. Sur 139 arrêts municipaux interdisant les processions religieuses, pris entre 1905 et 1936, 136 ont été annulés. Le droit français prévoit explicitement que toute interdiction doit être justifiée par un trouble particulier à l'ordre public : c'est donc affaire de circonstances, de temps et de lieu (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). Quant aux incertitudes actuelles, elles demeureront après le vote de la loi - à moins qu'un sémanticien de génie ne vienne nous expliquer la différence entre « ostentatoire » et « ostensible » (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). M. Jean Glavany - Le sémanticien de génie existe : il est à l'Elysée ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste) M. le Rapporteur - Dans les deux cas, c'est interdit ; donc, la question est réglée ! M. François Bayrou - Le dictionnaire de la langue française en seize volumes établi par le CNRS donne « ostensible » comme synonyme d'« ostentatoire »... (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) Autrement dit, la loi ne changera rien, ne facilitera rien, et son application dépendra toujours du juge. Il en irait autrement si, comme certains le proposent autour du Président Debré, on choisissait le terme « visible ». Dans ce cas, les choses seraient claires, mais le texte serait inconstitutionnel... (« Ce n'est pas vrai ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) car contraire aux droits de l'homme, ces droits sacrés que la déclaration des droits de l'homme et du citoyen a codifiés avec une clarté admirable en 1789. Que dit, en effet, son article 10 ? Que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ». Mais elle précise aussi, en son article 5, que « la loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société ». Autrement dit, encore, sauf à démontrer que le port d'un insigne religieux est nuisible à la société, nul n'a le droit de l'interdire. Si, donc, c'est l'adjectif « visible » qui est retenu, le Conseil constitutionnel censurera le texte. M. le Rapporteur - Là, il a raison. M. François Bayrou - Et voilà pourquoi le groupe UDF votera l'amendement Balladur. M. le Rapporteur - Là, il a tort. M. François Bayrou - Tous les instruments juridiques nécessaires existent pour réprimer et sanctionner les troubles à l'ordre public et le non-respect de la loi - y compris lorsque des élèves refusent d'assister à certains cours, et M. Barrot sait fort bien qu'il y a là motif évident à sanction, le Conseil d'Etat l'a réaffirmé. Encore une fois, rien ne sera changé par ce texte si un trouble intervient. D'ailleurs, en 1994, il avait suffi d'une circulaire du gouvernement Balladur pour que le nombre des voiles soit divisé par dix dans les établissements d'enseignement, et Mme Cherifi, médiatrice de l'Education nationale, avait fait un travail remarquable. Il est vrai qu'ensuite la jurisprudence du Conseil d'Etat a rendu les choses plus difficiles... M. le Rapporteur - Voilà exactement pourquoi une loi est nécessaire, et c'est là que la démonstration prend l'eau ! M. François Bayrou - ...si bien que les chefs d'établissement se sont sentis comme sur des sables mouvants. La solution aurait dû consister, pour leur permettre de regagner la terre ferme, de les décharger de cette procédure et de la confier aux recteurs... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Si ce choix avait été fait, nous n'aurions pas ce débat confus, qui donne le sentiment que la laïcité devient hostile au fait religieux, qui suscite l'inquiétude de certains de nos concitoyens, qui donne au monde l'impression que la France s'en prend aux droits de l'homme... et qui tend à faire croire aux Français que la loi va régler la question, alors qu'il n'en est rien. S'il s'agissait d'affirmer l'autorité, une circulaire suffisait, mais s'il s'agit d'intégration, le texte est insuffisant. Voilà pourquoi le groupe UDF ne pourra le voter en l'état (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF). M. le Premier ministre - Je remercie l'ensemble des orateurs de ce débat de haute tenue. Je suis heureux que la laïcité ait été affirmée comme une valeur fondamentale et structurante d'une République française moderne. Quelles que soient les divergences, il était important de traiter de la place de la laïcité dans la République, de préciser les convictions qui la font vivre et de dire à ceux qui veulent la ronger de l'intérieur qu'il n'en sera rien. Je tiens à remercier également votre commission des lois et votre commission des affaires culturelles pour leur important travail, et leur président respectif, qui ont tous deux souligné que ce texte était attendu et nécessaire. Le désarroi des chefs d'établissement a été rappelé à juste titre. L'Education nationale attend de nous que nous ne nous dérobions pas et, contrairement à ce qui vient d'être dit, le texte modifiera la situation. Il est bel et bien nécessaire. J'ai apprécié le tour du monde de la laïcité auquel nous a conviés M. Dubernard, et je me félicite de l'attachement réitéré du groupe communiste et républicain à la laïcité, même si ses conclusions ne sont pas les miennes. M. Barrot a eu raison de rappeler le message de la Résistance, et par là les valeurs qui sont celles de la République. Tout au long de leur histoire, les Français ont dépassé les clivages communautaires pour se rassembler autour de l'idée de nation (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). J'ai entendu l'appel lancé par M. Bayrou en faveur d'une grande loi, et je le comprends. Mais il sait bien, pour avoir exercé d'éminentes responsabilités, qu'un texte trop long et trop complet aurait risqué, tel, en quelque sorte, l'albatros de Baudelaire, d'être empêtré par « ses ailes de géant » et de n'être pas prêt pour la rentrée 2004. Nous n'avions pas le temps de préparer tous les textes nécessaires, mais il va sans dire que les propositions avancées seront reprises en temps utile. Que M. René Rémond se rassure : notre politique d'intégration ne se résume pas à ces deux articles ! Mais, les uns et les autres, nous avons connu des échecs en la matière. Nous gardons tous comme une blessure le souvenir du match France-Algérie, par exemple. Nous avons donc la volonté de mener une politique qui permette aux Français d'origine étrangère de se sentir Français à part entière. Comment pourrions-nous tolérer qu'il y ait plusieurs catégories de Français ? Nous bâtissons donc cette politique, qui a des composantes politiques, sociales, culturelles et scolaires. Ce faisant, nous nous heurtons à des difficultés dont nous sommes conscients, mais nous sommes convaincus que la République ne sera forte que si nous menons cette entreprise à bien ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Je suis en accord avec ce qu'a dit le président Ayrault dans la première partie de son discours - ce qui ne signifie pas forcément que je désapprouve la seconde ! Il faut en effet résister à tout ce qui, dans le monde moderne, tend à emprisonner la personne. L'action publique doit donc consister à ouvrir les portes, afin de libérer le citoyen et de lui permettre de se construire lui-même. Dans cet esprit, la laïcité doit être comprise comme un élément d'apaisement et de cohésion nationale et notre débat comme une contribution à la compréhension de ce qu'implique le fait de vivre ensemble. Dès lors, il ne faut pas légiférer à reculons, « en s'excusant », comme on a dit. Il faut légiférer parce que nous avons besoin de légiférer. Il faut légiférer par conviction, au nom de la République et en pensant à tous ceux qui attendent de celle-ci qu'elle les défende et n'ont donc intérêt ni à ce qu'elle se taise, ni à ce qu'elle se montre faible ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Monsieur Ayrault, je ne vois aucune opposition idéologique entre « manifestation ostensible » et « signe visible » et j'admets qu'on se prononce pour l'un ou pour l'autre. Ce qui nous a guidé, c'est uniquement une analyse juridique. Il nous faut sortir des ambiguïtés qui caractérisent la jurisprudence depuis 1989. Depuis la fin de la mission parlementaire, nous avons beaucoup consulté et il nous est apparu qu'avec « manifestation ostensible », les risques de contentieux seraient moindres. En effet, si nous laissons de côté le débat constitutionnel et le débat européen, qui sont affaires de spécialistes, et que nous nous en tenons à l'interprétation qui peut être faite à la lumière de nos règles nationales, on peut estimer que le signe visible sera déclaré tel par l'autorité tandis que la manifestation ostensible ne pourra être supposée qu'en faisant référence à une démarche de la personne. Dans le premier cas, la personne est considérée comme passive ; dans le second, elle est active (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Cela étant, je reconnais qu'il est bien difficile d'évaluer le contentieux possible dans chacun de ces deux cas. Mais rien ne nous empêchera de faire évoluer cette loi en fonction de la manière dont elle sera perçue (Mêmes mouvements). Ce qui importe pour l'heure, c'est de réaffirmer la place de la laïcité au sein du pacte républicain ! A ce propos, je ne crois pas comme M. Bayrou que le Front national et l'extrême droite profiteront de ces dispositions. Tous deux ne peuvent profiter que du silence de la République. Chaque fois que celle-ci a affirmé ses valeurs et ses convictions, ils ont reculé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Ce n'est donc pas en cachant ces valeurs sous des discours fades que nous leur résisterons. La République nous rassemble : montrons donc par ce débat qu'il peut y avoir concorde nationale face à l'extrémisme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30. La séance est levée à 19 heures 35. Le Directeur du service Le Compte rendu analytique Préalablement,
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