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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 60ème jour de séance, 153ème séance

2ème SÉANCE DU JEUDI 5 FÉVRIER 2004

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

      APPLICATION DU PRINCIPE DE LAÏCITÉ
      DANS LES ÉCOLES, COLLÈGES ET LYCÉES PUBLICS
      (suite) 2

      ARTICLE PREMIER 26

      APRÈS L'ARTICLE PREMIER 35

      ART. 2 36

      ART. 3 36

      APRÈS L'ART. 3 37

      TITRE 38

La séance est ouverte à quinze heures.

APPLICATION DU PRINCIPE DE LAÏCITÉ
DANS LES ÉCOLES, COLLÈGES ET LYCÉES PUBLICS (
suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi relatif à l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics.

M. Gilbert Le Bris - D'abord, le bon sens - toujours, surtout lorsqu'il a tendance à disparaître dans le tintamarre médiatique qui accompagne un sujet intéressant l'ensemble des citoyens ! On ne le retrouve plus alors nulle part, à force d'entendre des arguments parcellaires qui ne mettent en lumière que des points de détail. Le bon sens auquel je fais référence est celui de ma Basse-Bretagne, comme l'on disait avant le temps du politiquement correct, et donc celui de toutes les campagnes. Celui d'une époque où les messages n'étaient pas parasités, où un débat sur la laïcité n'aurait pas été « spamé ». Que dit ce bon sens paysan ? Qu'un Cornouaillais qui se rend chez les Léonards ou les Vannetais doit se comporter comme eux et inversement ; qu'un nouveau mousse ne commence pas par vouloir changer toutes les habitudes du chalutier ; qu'une identité culturelle, sociale ou professionnelle doit être assumée avec fierté, mais en respectant celle des autres ; que lorsqu'une coutume est suivie par tous, c'est bien, mais que lorsqu'elle prête à contestation, il faut qu'un texte arbitre bien vite. En termes politiques contemporains, cela veut dire que nos lois et notre culture sont le résultat des générations qui nous ont précédés : on fête Noël et Pâques, on ne travaille pas le dimanche, on vit en monogamie, on tend à l'égalité entre les hommes et les femmes et on a réussi, fort douloureusement, à trancher les liens entre l'Eglise et l'Etat.

L'islam est d'implantation récente chez nous. Sa croyance est parfaitement respectable, mais ses pratiquants doivent s'adapter à nos valeurs et à nos traditions.

M. Guy Geoffroy - Très bien !

M. Gilbert Le Bris - A peine arrivée dans notre pays, une minorité qui n'a que faire de nos valeurs pousse à un fanatisme politico-religieux, et voilà que le voile veut s'introduire dans l'école laïque. Pourquoi pas la burka, demain ? On ne peut l'accepter. Toute faiblesse serait trahison de nos ancêtres et mépris de nos enfants. Je suis donc favorable à une loi. Dès 1989, je demandais d'ailleurs à M. Jospin, alors ministre de l'éducation, de prendre toute mesure, y compris législative, pour éteindre les premiers feux du fanatisme. Un verre d'eau suffit au commencement d'un incendie, mais ensuite, il faut des Canadairs !

Certes, il s'agit d'une communauté importante, qui a un rôle à jouer dans la France contemporaine, qui est réellement fragilisée par le chômage et qui est trop souvent vue par le prisme d'une minorité activiste. Son intégration passe par un traitement vigilant et volontariste. Mais l'essentiel se résume en deux points. D'abord, la laïcité, cette valeur élaborée au fil des siècles, à laquelle nous sommes attachés comme à la prunelle de nos yeux et qui doit être un réflexe de priorité donnée à la citoyenneté. Ensuite, l'autorité, envisagée dans le cadre de la nation, ce vouloir-vivre en commun. Nous ne pouvons pas céder à l'extrémisme, à une minorité de fondamentalistes. C'est l'autorité de la République qui est en jeu. La notion de signe visible aurait été à cet égard plus à même d'exprimer notre volonté, mais faisons tout de même confiance au bon sens !

Cette loi présente des insuffisances, elle s'arrête au milieu du gué, mais elle est utile. Lorsqu'on dit chez moi que quelqu'un a du vent dans les voiles, cela veut dire qu'il titube, qu'il chancelle. Je n'ai pas envie que la laïcité titube ou chancelle. Je veux défendre ce pilier de la République, et cette loi peut y contribuer (Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe UMP).

M. Jacques Remiller - Le bon sens de l'Isère est en effet très proche de celui de la belle région bretonne. Force est de constater que l'examen de ce projet de loi et le débat passionné qu'il suscite se déroulent un an avant le centième anniversaire de la loi de 1905 proclamant la séparation des Eglises et de l'Etat, qui énonçait le principe de la laïcité de la République. Ce concept est mouvant par nature : la laïcité, ce n'est pas la négation des religions, mais la possibilité d'exercer son culte ou de ne pas en avoir, dans le respect des autres. Ce projet ne vise nullement à dénoncer telle ou telle religion, mais uniquement à clarifier la règle juridique applicable dans les écoles, collèges et lycées. Il s'agit d'interdire le port des signes et tenues qui manifestent ostensiblement une appartenance religieuse.

La laïcité est avant tout affaire de tolérance, envers toutes les religions. Elle refuse toute forme de communautarisme et de prosélytisme. C'est pourquoi il aurait sans doute été préférable que l'article premier mentionne, outre les signes et tenues, la notion de comportement. Seule une mention explicite, dans la loi, permettrait de sanctionner comme il le faut le refus de participer à certains enseignements, sportifs notamment.

Légiférer était devenu impératif, et il est bien que le Gouvernement et le Parlement prennent leurs responsabilités, après qu'une large réflexion a eu lieu. Jusqu'à présent, on ne le sait que trop, l'application du principe de laïcité à l'école était réglée par une jurisprudence ambiguë, qui empêchait l'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire de la République et plongeait les chefs d'établissement d'enseignement dans le désarroi. C'est le mérite de ce texte de définir un cadre juridique plus clair.

Seulement, si la loi est nécessaire, elle ne suffira pas à empêcher toute forme de communautarisme et, au-delà des principes énoncés, leur application suscite des interrogations. Comment les chefs d'établissement vont-ils apprécier l'interdiction ? Certes, le dialogue devra être privilégié, mais l'on sait bien que les affaires seront traitées en fonction des circonstances propres à chaque cas, tel qu'il aura été soumis aux premiers intéressés, soit, toujours, les chefs d'établissement. C'est pourquoi j'attends avec impatience la circulaire qui précisera comment les règlements intérieurs devront traduire la loi. Pouvez-vous, Monsieur le ministre, nous éclairer ?

Surtout, la question se pose de savoir comment les chefs d'établissement apprécieront les sanctions. A cet égard, je me félicite que la commission ait adopté un amendement tendant à inviter le « contrevenant » à se conformer à la règle avant toute procédure de sanction. Mais quelle sera l'échelle des sanctions ? Et quel délai courra entre le début de la médiation et la notification de la sanction à l'intéressée ? Y aura-t-il des contrôles, propres à éviter à la fois tout arbitraire et tout contournement de la loi ?

Les précisions que vous nous donnerez éclaireront utilement notre assemblée avant qu'elle ne se prononce sur un texte que, naturellement, je voterai (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Yves Le Déaut - Alors que partout dans le monde, les attaques contre la démocratie se font de plus en plus nettes et que les communautarismes se développent, y compris sur notre territoire, il est indispensable de réaffirmer notre attachement aux valeurs qui fondent notre République et que testent les fondamentalistes. Le principe de laïcité, au c_ur de cette exigence, suppose neutralité et respect mutuel. Il ne s'agit en aucun cas de refuser la différence ou de l'interdire, mais d'assurer à chacun un espace de liberté politique, philosophique et religieux, en séparant sphère publique et sphère privée.

La question du port de signes religieux à l'école ne peut donc être assimilée à celle de la laïcité tout entière comme l'indique pourtant le titre du projet. Une partie importante de ce texte aurait dû être consacrée à l'enseignement de la laïcité. Or, on n'y trouve rien sur l'enseignement de l'histoire des religions, pas un mot sur la lutte contre les communautarismes, rien sur la connaissance de notre système politique et institutionnel. Comment peut-on demander à des enfants, à des adolescents de respecter des règles s'ils n'en comprennent pas le sens ? L'instruction civique devrait rester le ciment du système éducatif et contribuer à forger l'idée d'appartenance à une même communauté.

Surtout, le texte ne dit rien de l'intégration. Des populations issues de l'immigration ne trouvent plus les moyens de s'intégrer, et la politique sociale du Gouvernement accentue encore ce sentiment de rejet. Cette impossible intégration de jeunes gens nés en France, et qui y ont été scolarisés, pousse certains d'entre eux vers toujours plus de radicalisme, ou vers des extrémismes contre lesquels la République doit lutter. Député de Lorraine, je peux témoigner de ce que des vagues successives d'intégration sont possibles !

Le débat s'est trop focalisé sur la question du port du voile islamique à l'école, au point de donner l'impression que se développait en France un sentiment anti-musulman. Je repousse vigoureusement cette allégation. Aucun de nous ne veut stigmatiser la religion musulmane mais, tous, nous considérons que l'école doit être le lieu de l'intégration et non celui de l'affirmation de différences. Le port du voile dans les écoles par des jeunes filles mineures est un problème qu'il faut résoudre dans un esprit de dialogue avec les familles et les autorités religieuses musulmanes qui, pour une grande part, affirment très clairement leur attachement au principe de laïcité. Le véritable problème, c'est celui de l'absence de lieux de culte pour les musulmans qui veulent pratiquer leur religion avec sérénité et dans le respect des principes républicains.

Une loi m'apparaît nécessaire pour lever les ambiguïtés de la situation actuelle. Pour être utile, elle doit fixer des règles claires et applicables simplement par les enseignants et les chefs d'établissement.

L'article 10 de la loi d'orientation de juillet 1989 doit être précisé. Il affirme en effet que « dans les collèges et les lycées, les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d'information et de la liberté d'expression ». Mais, dans l'esprit du législateur, « la liberté d'expression » ne signifiait en aucun cas l'abandon du principe de laïcité à l'intérieur des établissements. Et c'est au nom de la liberté d'expression que le Conseil d'Etat, dans son avis du 27 novembre 1989, affirmait que « la liberté ainsi reconnue aux élèves comporte pour eux le droit de s'exprimer ou de manifester leur croyance religieuse à l'intérieur comme à l'extérieur des établissements scolaires, dans le respect du pluralisme et de la liberté d'autrui ». Il prenait ensuite position contre le port de signes religieux ostentatoires ou revendicatifs au motif qu'ils « constitueraient un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou de propagande », mais il avait introduit la confusion en considérant que le terme « liberté d'expression » battrait en brèche le principe de laïcité, pourtant affirmé dans la Constitution française.

La circulaire qui a suivi indiquait que le port de signes religieux par les élèves n'est pas incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il relève de la liberté d'expression. Il y a bel et bien eu dépassement de la volonté du législateur.

M. Gilbert Le Bris - C'est vrai !

M. Jean-Yves Le Déaut - L'école est un lieu d'acquisition de connaissances, mais également de construction de la citoyenneté, d'apprentissage des règles de vie en société. Quel sens aurait une école si les familles avaient déjà prédéterminé le comportement futur des enfants ? Nous ne pouvons accepter que l'on refuse les cours d'éducation physique ou les séances de piscine pour les jeunes filles ni que des parents s'octroient le droit d'interrompre cours ou examens, de contester des pans entiers des enseignements de sciences de la vie ou d'histoire pour des motifs religieux, ni que des garçons contestent l'autorité d'enseignantes ou de chefs d'établissement femmes.

L'équilibre entre liberté d'expression et neutralité du service public doit être inscrit dans la loi et il est essentiel de réaffirmer la nécessité du dialogue, l'exclusion devant demeurer une solution extrême. Il appartient à chaque établissement de préciser son règlement intérieur pour encadrer la liberté d'expression car la loi n'est pas l'outil adéquat pour exclure ou sanctionner les élèves ; elle doit fixer les principes fondamentaux, qui seront ensuite déclinés au cas par cas.

Or, le texte ne tient pas assez compte de cet impératif de dialogue. Il considère seulement nécessaire de bannir de l'école les signes « ostensibles », mais le mot est ambigu et source de contentieux car il induit une interprétation nécessairement subjective des intentions de la personne considérée. C'est pourquoi nous lui préférons le terme « visible ». J'aurais même préféré - et il n'est pas trop tard pour y réfléchir - que nous reprenions les termes de la circulaire de Jean Zay du 15 mai 1937, selon lesquels « l'enseignement public est laïc. Aucune forme de prosélytisme ne saurait être admise dans les établissements. Je vous demande d'y veiller avec une fermeté sans défaillance ». Le mot « prosélytisme » est beaucoup plus clair que le mot « ostensible » et comme le disait Paul Valéry, « rien ne me choque plus que le prosélytisme et ses moyens, toujours impurs ».

Le Président de la République se pose en garant de la laïcité et en grand pourfendeur des discriminations. Ses intentions sont louables mais, malheureusement, les actes ne sont pas à la hauteur des engagements, car, en sa rédaction actuelle, le texte est trop réducteur.

Peu de textes, au cours de ma carrière parlementaire, m'ont posé pareil cas de conscience, et je remercie le président Debré d'avoir permis que tous ceux qui le souhaitaient puissent s'exprimer (Applaudissements sur tous les bancs).

En effet, nous avons à trouver un équilibre impossible entre liberté individuelle de conscience et d'expression et principe collectif de laïcité, fondement essentiel de notre République. Le danger serait d'opposer ces principes, qui ne concernent pas les mêmes sphères. Après mûre réflexion, je suis aujourd'hui favorable au vote d'une loi reposant sur la séparation claire de la sphère privée et de la sphère publique, une loi claire et applicable, élément de reconstruction du pacte républicain parce que réaffirmant la primauté des valeurs de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Dominique Paillé - Ce projet est bienvenu car, devant la montée des communautarismes et la remise en cause de la place des femmes dans la cité, la République doit réaffirmer ses principes haut et fort. Cependant, la loi doit être efficace et, pour cela, facilement applicable par les chefs d'établissement. Mais, selon moi, la terminologie retenue ne le permettra pas. J'étais très satisfait des conclusions de la commission Debré, dont il me paraissait qu'elles et elles seules devaient fonder la loi. Cela n'a pas été le cas, je le regrette. Je regrette également que l'on ne se préoccupe pas, à l'occasion de ce texte destiné à faire respecter le principe de laïcité, de préserver l'école de devenir le champ clos d'affrontements politiques. Cette dimension est absente du présent débat et je crois donc que nous aurons à y revenir.

J'espère que l'on prendra mieux la mesure des enjeux au cours de la discussion des amendements.

Si tel n'était pas le cas, je serais contraint de m'abstenir.

M. Xavier Darcos, ministre délégué à l'enseignement scolaire - Nous le regretterions.

Mme Annick Lepetit - Malgré une « mission d'information » présidée par le Président de l'Assemblée nationale, malgré une « commission de réflexion sur l'application du principe de laïcité dans la République », malgré la remise de rapports importants, malgré l'ampleur des débats dans la presse, nous voici réunis pour débattre seulement de « l'application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics ». Bref, beaucoup de bruit pour peu, puisque ce projet de loi concerne uniquement les signes religieux à l'école.

M. Guy Geoffroy - C'est déjà beaucoup !

Mme Annick Lepetit - Comme l'a dit l'un des membres de la commission Stasi, « la montagne a accouché d'une souris ».

Le présent débat aurait pourtant dû être l'occasion de clarifier les choses et d'aborder d'autres aspects du principe de laïcité. Faute de le faire aujourd'hui, nous serons contraints d'y revenir demain.

Il aurait d'abord dû être l'occasion de traiter de « l'intégration et de l'égalité des chances ». Je reprends volontairement l'intitulé du débat sans vote proposé par l'UMP qui aura lieu mardi matin, à la va-vite, avant le vote du présent projet, ce qui ajoute à la confusion des esprits. Confusion dont on peut se demander parfois si elle ne participe pas d'une stratégie politicienne du Gouvernement et de sa majorité (Protestations sur les bancs du groupe UMP).

M. Guy Geoffroy - Nous ne sommes pas comme vous !

Mme Annick Lepetit - Pourquoi ne pas parler maintenant des moyens qui permettraient de garantir à tous les Français l'égalité des chances, quelles que soient leur origine, leur religion ou leur couleur de peau ?

La commission Stasi a dénoncé « les difficultés de l'intégration », les conditions de vie dans un certain nombre de quartiers, les discriminations à l'embauche et au logement que subissent les Français issus de l'immigration. Les discriminations sont à dénoncer haut, fort et concrètement, si nous ne voulons pas que celles et ceux qui subissent tous les jours l'exclusion tournent le dos aux valeurs de la République.

La réaffirmation du principe de laïcité est l'une de ces valeurs. Donner des règles pour vivre ensemble dans la communauté nationale, voilà ce à quoi aspirent nos concitoyens, tous nos concitoyens, surtout les plus démunis.

Ensuite, ce débat aurait dû être l'occasion de réfléchir à la place de la religion musulmane dans notre pays. Nous avons raison de vouloir affirmer le principe de la laïcité, mais faire cela, c'est aussi garantir le libre exercice de toutes les religions, dans le respect des lois de la République. Or, ce libre exercice est loin d'être garanti pour la deuxième religion de notre pays. Actuellement, en effet, des milliers de musulmans prient dans des caves ou dans la rue. Non seulement cette situation est humiliante pour les croyants, mais en outre elle nourrit tous les extrémismes. Il faut rattraper le retard et construire des lieux de culte musulman. Je pourrais aussi parler des carrés confessionnels dans les cimetières ou des aumôneries, mais d'autres l'ont fait avant moi. Tous les cultes devraient bénéficier des mêmes avantages.

Enfin, ce débat aurait dû être l'occasion d'aborder la place des femmes dans notre société. Le combat pour l'égalité entre les femmes et les hommes est en effet loin d'être fini ! Ces derniers mois le confirment encore. De nombreuses femmes ont le courage de témoigner des contraintes intolérables imposées à certaines d'entre elles au nom d'une conception intransigeante de la religion, une conception selon laquelle la loi de Dieu prévaut sur la loi républicaine. Faut-il rappeler que, dans certains pays au XXIe siècle, les femmes qui ne se cachent pas ont des sanctions pouvant aller jusqu'à la mort ? En Iran, elles sont menacées de lapidation, en Afghanistan, d'une exécution, au Bangladesh, d'être brûlée à l'acide.

En France, si les raisons de porter le foulard sont multiples, celui-ci n'en demeure pas moins le symbole et l'instrument d'une discrimination. L'accepter, c'est remettre en question la mixité à l'école, c'est admettre la dispense de certaines disciplines scolaires...

La commission Stasi s'alarme de la déscolarisation croissante. La loi devrait réaffirmer les règles d'obligation scolaire, rappeler par exemple que l'inscription par correspondance n'est de droit que dans des circonstances exceptionnelles. La commission propose, entre autres, que les élèves à partir de 16 ans puissent choisir sans le consentement de leurs parents de poursuivre leur scolarité. Voilà une proposition simple, claire et pas chère. Pourquoi, Monsieur le ministre, ne pas la reprendre ?

En conclusion, je ne voudrais pas que le vote de cette loi occulte des questions essentielles, qui, j'en suis sûre, continueront à agiter notre communauté nationale.

Oui à l'interdiction des signes religieux à l'école, mais de manière simple, forte et claire. Mais aussi oui au combat contre les discriminations et contre le sexisme, oui à l'égalité des chances. Malheureusement, Monsieur le ministre, votre politique ne donne aucun signe de ce côté-là (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission des lois - Taratata !

M. Xavier Darcos, ministre délégué - Excessif !

M. Mansour Kamardine - Après un débat national particulièrement nourri, le Président de la République a souhaité apaiser les inquiétudes qui se sont fait jour à propos du port du voile islamique à l'école. Les enjeux du projet ayant déjà été exposés par les personnalités les plus qualifiées, je m'attarderai simplement sur ses conséquences pour Mayotte, avant de m'adresser directement à nos compatriotes de confession musulmane de France et à la communauté nationale dans son ensemble.

S'agissant de Mayotte, des rumeurs savamment orchestrées ont, un moment, laissé entendre que cette collectivité départementale ne serait pas concernée par le projet, en raison du statut personnel de l'immense majorité de ses habitants de confession musulmane. Rapidement, le regard s'est porté sur la tenue traditionnelle des femmes pour la qualifier de tenue religieuse et certains ont, à notre place, affirmé que ce projet poserait des problèmes à la communauté mahoraise.

A tous, je veux donc rappeler que la République n'est pas l'apanage de telle ou telle religion, de telle ou telle communauté raciale ou culturelle, mais qu'elle est l'affirmation d'un certain nombre de règles inhérentes à la communauté de destin que nous avons souhaitée ensemble, règles au premier rang desquelles je trouve la laïcité.

Le présent projet est clair et concis. Il interdit le port à l'école, au collège et au lycée de tous signes religieux ostensibles. Il n'a pas pour vocation de gommer les cultures régionales, qui enrichissent la culture nationale, ni d'imposer une identité française et européenne uniforme, où les filles auraient la même coupe de cheveux et la même tenue vestimentaire.

En réaffirmant le principe de laïcité dans les enceintes de l'école de la République, le projet proscrit simplement les signes religieux.

Il laisse par conséquent aux traditions locales une liberté d'expression, que les filles mahoraises ont d'ailleurs toujours su utiliser avec éclat, en alternant dès la maternelle, tenue européenne et habit traditionnel. Celui-ci, très coloré, se compose du « salouva » et du « kishali », le premier étant une pièce fermée enfilée autour du corps alors que le second est constitué d'une pièce de forme rectangulaire, portée indistinctement autour de la tête, sur la tête, sur l'épaule ou encore autour du cou, le tout agrémenté, notamment à l'occasion des fêtes, d'un rouge à lèvres et d'un masque de beauté pour mieux mettre en valeur la beauté de nos femmes.

Cette tenue traditionnelle ne peut être confondue avec la tenue religieuse qui est le « bwibwi », constitué d'un ensemble noir et triste couvrant entièrement la femme des pieds à la tête, y compris le visage, et qu'elle porte par-dessus la tenue traditionnelle. Cette tenue constitue la négation même de la femme ; elle est en cela contraire à l'idée que nous nous faisons des droits de l'homme et de la place de la femme dans notre société. Heureusement peu usitée dans l'île, elle ne concerne que des adultes, en petit nombre.

Un autre objet peut prêter aussi à interrogation, je veux parler du kofia, qui est une coiffe portée par les hommes. Le règlement intérieur des établissements publics en proscrit déjà le port pendant les cours. Adoptée par la communauté éducative, donc par les délégués des élèves et des parents, cette disposition n'a jamais posé le moindre problème.

Telles sont les raisons qui me font croire que ce projet peut s'appliquer, sans difficultés particulières à Mayotte. Cette extension aura deux avantages majeurs : d'une part, affirmer l'intégration complète de Mayotte dans la République ; d'autre part, constituer un rempart contre les assauts d'un intégrisme venu d'ailleurs, qui cherche par tous moyens à radicaliser une pratique tolérante et ouverte, mais multiséculaire, de l'islam sur ce territoire. La récente tentative - avortée - de manifestation contre le présent projet est là pour en témoigner. Décidément, les Mahorais surprendront toujours la communauté nationale.

Oui, à rebours des extrêmes, Mayotte apporte la preuve, depuis la fin des années 1950, de sa capacité d'émancipation de la femme. Mme Zena M'Dere, se levant contre les velléités indépendantistes de l'époque, conduisit victorieusement Mayotte à la séparation d'avec l'ensemble comorien et au maintien de l'île dans la France. Sur cette île, très attachée aux traditions, l'autorité de cette grande dame a toujours été reconnue par tous.

Plus récemment encore, en juillet dernier, sur la proposition de votre serviteur et avec l'appui sans faille de la ministre de l'outre-mer, à qui je veux redire notre gratitude, le Parlement a adopté l'une des mesures les plus symboliques mais parmi les plus révolutionnaires que les Mahorais aient connues depuis l'abolition de l'esclavage.

La loi du 21 juillet 2003 interdit désormais la polygamie et la répudiation. Elle rétablit l'égalité entre les filles et les garçons devant la succession et autorise la reconnaissance d'enfants naturels.

Curieusement, les oppositions les plus vives sont venues de Paris où comme par le passé, de beaux esprits continuent de parler de Mayotte à la place des Mahorais, sans jamais les écouter et pour soutenir certains archaïsmes.

Or, si les Mahorais sont, pour la plupart, musulmans, ils sont aussi de fervents républicains.

M. Xavier de Roux et M. René Dosière - Très bien !

M. Mansour Kamardine - Cette réforme du droit local des personnes conduit à une profonde réforme de la société mahoraise, et Mme la ministre de l'outre-mer a pu constater l'adhésion massive de la population à cette évolution. Mayotte, c'est l'exemple de la cohabitation fraternelle de différentes religions.

Je dirai à nos compatriotes de confession musulmane : « Ne vous trompez pas d'adversaire ». Votre adversaire, ce ne sont ni les autres religions, ni ce projet de loi, c'est l'intégrisme.

M. René Dosière - Très bien !

M. Mansour Kamardine - Tous ceux qui ont choisi la République l'ont fait pour mieux vivre leur foi.

Celle-ci doit s'exprimer dans nos c_urs et dans la limite du respect de l'autre.

Depuis longtemps, l'éducation religieuse relève, à Mayotte, de l'école coranique, structure privée fréquentée par nos enfant en dehors des horaires de l'école républicaine et laïque. Notre foi ne s'en trouve pas altérée pour autant. Nous vivons à Mayotte, une laïcité apaisée, et je voudrais qu'il en aille de même pour la nation tout entière.

Le monde évolue. Le Maroc, entièrement musulman, vient ainsi de réformer son droit de la famille pour encadrer la polygamie, interdire la répudiation, et réaliser l'égalité de l'homme et de la femme devant la succession.

La communauté nationale doit aussi évoluer et porter un regard neuf sur la communauté musulmane.

Nous devons, ensemble, refonder notre contrat social pour assurer à tous la même égalité de chance et de succès dans la société.

Comment rester indifférent aux propos tenus par le Président de la République le 17 décembre dernier à l'Elysée, qui soulignait « le sentiment d'incompréhension, de désarroi, parfois même de révolte de ces jeunes Français issus de l'immigration dont les demandes d'emploi passent à la corbeille en raison de la consonance de leur nom et qui sont, trop souvent, confrontés aux discriminations pour l'accès au logement, ou simplement pour l'entrée dans un lieu de loisir ».

M. Jean-Michel Dubernard, président et rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Très bien !

M. Mansour Kamardine - Parce que nous souhaitons offrir à la nation les moyens de son apaisement, je voterai votre projet, même s'il ne résoudra pas toutes les questions.

D'ores et déjà, un vaste effort de dialogue doit être entrepris.

Permettez-moi de conclure en rappelant que Jules Ferry, pour gagner la cause de l'école laïque, avait imaginé l'enseignement de la leçon de morale pour que les enfants rapportent de leur classe des habitudes plus respectueuses, plus de goût pour le travail, plus de soumission au devoir, enfin les signes d'une incessante amélioration morale.

Les c_urs de nos enfants ont besoin d'être éclairés pour devenir de bons citoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe socialiste).

M. Victorin Lurel - Je me réjouis d'un tel débat qui permet à chacun de dire sa « religion » sur la laïcité dans la République, et j'en félicite notre Président.

Je souscris globalement à la nécessité d'élaborer une loi tout en sachant qu'elle ne résoudra pas tous les problèmes. Permettez-moi simplement d'ajouter une touche antillaise à ce débat. Rappelez-vous l'affaire de Creil. Tout d'abord, le principal du collège était d'origine martiniquaise. Les Antillais sont fort attachés à la laïcité, et le principal a voulu appliquer rigoureusement le règlement intérieur, en interdisant aux trois jeunes filles voilées, de pénétrer dans la salle de classe. Quand on connaît l'histoire des Antilles à l'époque où seule la religion catholique était autorisée, on comprend mieux l'intensité avec laquelle les Antillais vivent la laïcité. Ensuite, on n'a pas interdit à ces jeunes filles de pénétrer dans l'enceinte de l'école ; elle ont été invitées à rester dans la bibliothèque, la salle de classe étant, d'une certain manière, sanctuarisée, sacralisée.

Enfin, j'observe que la laïcité a eu gain de cause, puisque les élèves ont enlevé leur voile, mais sur injonction du roi du Maroc, commandeur des croyants. Il a donc fallu l'intervention d'une autorité extérieure à la République, pour faire respecter la loi de la République. Et aujourd'hui, M. Mariani l'a rappelé, des autorités extérieures s'immiscent dans l'_uvre pédagogique, via l'enseignement de la langue et de la culture de ce pays, sans aucun contrôle.

En réalité, le problème du voile islamique est symptomatique du malaise de la société française qui digère difficilement l'héritage postcolonial.

La société française est, comme on dit dans les Caraïbes, une société atavique, avec une racine judéo-chrétienne. On a du mal à accepter intrinsèquement l'autre. La France connaît une véritable mutation, et se transforme en une société multiculturelle, sans pour autant reconnaître les minorités, les communautés. On reconnaît l'individu dont on veut faire un citoyen. Mais quand ce citoyen a le sentiment de n'être pas reconnu, il cède à la tentation du repli communautaire. Pour appartenir moi-même à une minorité, je sens le regard de l'autre. Le problème d'intégration est réel.

Je vis dans une société caraïbe, multiculturelle, à identité « mangrove », où l'on va à la rencontre de l'autre.

La France vit un processus non de métissage, mais de créolisation. Entre le vieux et le neuf, il y a ce choc des cultures. Il suffit de s'asseoir à la terrasse d'un café parisien pour voir défiler des citoyens de toutes les origines.

La France a du mal à digérer son passé colonial. La laïcité a été l'idéal qui a permis de la souder. Mais notre société multi-ethnique n'a pas su trouver le bon outil aujourd'hui. Il lui faut sans doute un plan Marshall de l'intégration. Nous avons besoin de signes forts, comme la suppression du mot « race » dans la Constitution : il n'y a pas de races humaines, mais un polymorphisme génétique.

Oui, il nous faut une autorité de lutte contre les discriminations. Quant à la « discrimination positive », on la fait hypocritement.

Qu'est-ce que la politique de la ville ? Qu'a fait le directeur de Sciences Po, sinon de la discrimination positive ?

Il faut absolument trouver le moyen de faire cohabiter l'universalité avec la diversité, avec la « diversalité » pour reprendre le terme de Chamoiseau.

C'est ainsi que nous pourrons élaborer un nouveau pacte laïc (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Jean-Jacques Descamps - J'ai lu les rapports, j'ai écouté les arguments des uns et des autres. J'ai entendu le Premier ministre, mon ami, en qui j'ai une grande confiance. J'ai entendu hier le ministre de l'éducation nationale défendre l'idée fondatrice de ce projet : cette loi serait un signe simple et clair envoyé à tous ceux qui veulent attenter au principe de laïcité républicaine.

Je comprends ces arguments, mais ce débat est bien plus complexe et cette loi ne suffira pas à le clore.

On veut interdire le voile, signe ostensible d'appartenance religieuse, et avec lui tous les autres signes religieux. Mais en fait, c'est bien de l'islam qu'il s'agit, de l'islam qui interpelle soudainement l'opinion publique française, habituée au subtil équilibre construit depuis 1905, et surtout depuis 1924, entre les partisans d'une laïcité républicaine conforme à la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, et ceux qui veulent maintenir le strict respect par l'Etat de nos traditions judéo-chrétiennes. L'opinion publique accepte que les communes entretiennent les lieux de culte catholiques et la présence d'aumôniers catholiques et protestants dans l'armée, les écoles, les prisons. Est-elle prête à l'accepter pour la religion musulmane ? Peut-être, sous réserve que soient levées les incertitudes sur cette religion. Est-elle l'expression d'une croyance en un dieu aussi respectable que celui des chrétiens, ou a-t-elle des visées géopolitiques et morales inacceptables pour notre société ?

L'arrivée dans notre pays de cette religion, pratiquée par une population nouvelle que nous avons accepté d'accueillir sans contrôle et sans réserve ou qui est devenue française par le droit du sol, l'arrivée de cette religion modifie l'équilibre qui existait jusqu'alors entre une vision raisonnable de la laïcité républicaine et une pratique religieuse modérée confortée par les vagues d'immigration précédentes : polonaise, espagnole, portugaise. La confusion entre l'islamisme, le fondamentalisme et le terrorisme a créé une appréhension irréversible devant la montée en puissance de la religion musulmane.

Quelques apparitions de jeunes filles voilées et la pression médiatique ont fait surgir au grand jour cette inquiétude partagée par la majorité de la population. Elles ont suscité le débat actuel, salutaire, mais à mon avis trop limité.

En réalité, n'est-ce pas tout le problème de l'intégration de la religion musulmane et de ses conséquences sociologiques qui est posé ? Et si c'est le cas, est-ce que ce projet apporte vraiment une réponse ?

La solution est-elle donc vraiment d'interdire la grande croix ou le port de la kippa à l'école, afin de pouvoir justifier l'interdiction du voile ? Est-elle de laïciser un peu plus encore les jeunes élèves pour qu'elles échappent à une culture familiale qu'elles retrouveront naturellement chez elles ?

L'islam est là, chez nous. Comment faire pour qu'il s'exprime de façon modérée ? Il y a cinquante ans, les prêtres catholiques portaient la soutane et les femmes, à l'église, se couvraient la tête. La religion catholique a évolué. La religion musulmane peut-elle aussi évoluer ? Si on ne le croit pas, il y a vraiment danger.

Alors que faire en présence de ce texte qui, à mon sens, ne répond pas aux vraies questions ?

Peut-on le rendre plus conforme à la déclaration des droits de l'homme en ne prévoyant d'interdiction qu'en cas de troubles de l'ordre public, comme le propose Edouard Balladur ? Je le pense et je soutiens son amendement.

On aurait pu aussi, au nom de la neutralité de l'enseignement, assortir cette interdiction des signes religieux d'une interdiction des signes politiques, ou des comportements agressifs.

Vous avez fait le choix de la simplicité, mais le risque est d'ouvrir ainsi la porte à une vision très radicale de la laïcité républicaine, dont des extensions ultérieures seraient inacceptables : son application dans les écoles privées sous contrat par exemple.

Certains, à force de craindre les effets de la religion sur la morale ou sur la politique, refusent l'expression publique et modérée des croyances religieuses.

J'ai le sentiment qu'on donne plus d'importance aux signes religieux qu'aux comportements. J'aimerais qu'on s'intéresse davantage aux comportements de tous ceux qui, de toutes origines, vivent sur notre territoire et ont choisi la nationalité française. Il faudra veiller à ce qu'ils respectent les devoirs qui en découlent. C'est ainsi qu'on forgera un pays diversifié, innovant, dynamique.

Ce n'est pas à l'école que le problème est le plus difficile à résoudre. C'est dans la vie quotidienne qu'il faut veiller au respect de nos valeurs républicaines, fondées sur la liberté de croire, de penser et de parler. C'est cela, la laïcité républicaine dans le respect des consciences de chacun.

En conscience, je ne me satisfais pas totalement de ce projet qui ne répond pas aux vrais problèmes. Je m'abstiendrai donc de le voter en l'état.

M. Daniel Garrigue - Qu'il s'agisse des pressions exercées sur les jeunes musulmanes ou de la provocation faite au reste de la communauté scolaire, le plus choquant dans l'affaire du voile est l'atteinte à la liberté de conscience.

On ne l'a pas suffisamment souligné : c'est le problème de la liberté de conscience qui se pose, autant que celui de la laïcité.

Il faut prendre garde, en légiférant dans les circonstances actuelles, de ne pas adopter un texte de circonstance. Les conceptions de la laïcité sont très diverses, des plus rigoureuses aux plus ouvertes.

En ne visant que les signes religieux, on suscite chez certains un sentiment de gêne, voire d'humiliation. Personne n'a le monopole de la République.

La première des exigences, dans ce débat, est la réciprocité. Les juifs et les protestants ont adhéré dès l'origine à la République. Les catholiques l'ont officiellement accepté à la fin du XIXe siècle. La grande majorité des musulmans sont attachés aux principes républicains. Le rôle du Conseil français du culte musulman vise à faciliter les relations entre cette religion et la République.

Ceux qui font profession de laïcité ont parfois versé dans le laïcisme, qui est une forme d'intégrisme. Or la laïcité n'est pas une frontière entre la République et la religion, c'est un espace commun qui a ses propres frontières et celles-ci doivent être respectées.

C'est pourquoi j'aurais souhaité que ce texte s'applique également aux enseignants, aux personnels des établissements scolaires, et qu'entre les signes religieux, il vise aussi les signes politiques, maçonniques ou philosophiques.

Il ne faut pas s'enfermer dans une laïcité formelle, mais il convient au contraire d'entretenir une laïcité de dialogue. L'article premier de la loi de 1905 garantit en effet le libre exercice du culte religieux, on l'oublie trop souvent.

De plus, l'enseignement des principales religions à l'école serait préférable au silence ou à des cours qui échappent à toute règle, comme celui de l'ELCO, évoqué hier par M. Mariani.

De même, la loi de 1905 mériterait-elle sans doute des adaptations prudentes.

Le dialogue est également nécessaire dans le cadre de la constitution européenne. Nous ne ferons pas l'économie de ce débat et nous aurons besoin de définir les principes pour garantir une conception commune de la laïcité.

Je voterai ce texte, car il est actuellement nécessaire, mais je vous demande, Monsieur le ministre, d'engager une réflexion sur une laïcité exigeante, et néanmoins ouverte et partagée (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président - Je salue particulièrement les élèves mal-entendants du lycée François Truffaut ici présents (Mmes et MM. les députés applaudissent). J'exprime toute ma reconnaissance à leur interprète, qui a bien voulu venir cet après-midi au Palais-Bourbon.

Le mot « fraternité » est sur toutes les mairies de France. C'est elle qui s'exprime ici aujourd'hui (Mmes et MM. les députés applaudissent).

M. Germinal Peiro - Le port du voile pose depuis plusieurs années de sérieux problèmes dans les établissements scolaires.

A mon sens, le voile est avant tout le symbole de l'inégalité entre les sexes, le signe imposé par l'homme de la soumission de la femme.

Dans notre pays, la marche pour l'émancipation a été longue : 1945, le droit de vote est accordé aux femmes ; il a fallu attendre les années 1960 et 1970 pour qu'elles puissent disposer librement de leur corps, avoir accès aux méthodes de contraception et à l'IVG. Aujourd'hui encore, à qualification égale, le salaire n'est pas égal entre un homme et une femme.

Le combat pour l'émancipation a toujours été mené contre les religions. Aujourd'hui, des millions de femmes vivent sous le joug de religieux qui leur imposent un statut social inférieur, la privation des libertés fondamentales ou qui préfèrent les laisser mourir du sida et des autres maladies sexuellement transmissibles plutôt que d'autoriser l'usage de préservatifs.

Certes, toutes les sociétés humaines ne peuvent évoluer de la même façon et en même temps, mais nous devons néanmoins réaffirmer l'idéal humaniste né des Lumières et concrétisé par la Révolution de 1789 puis par l'abolition de l'esclavage.

C'est en effet avant tout au nom des droits de l'homme que nous avons le devoir de nous opposer au port du voile à l'école.

Nous devons réaffirmer le principe de la séparation des Eglises et de l'Etat. Notre République est laïque et c'est la laïcité qui nous permet de vivre ensemble. Elle marque en effet des limites à chacune des confessions religieuses et constitue ainsi la seule et véritable garantie de la liberté de chacun.

Les écoles publiques, mais aussi les écoles privées sous contrat financées par les deniers publics, doivent rester des espaces neutres.

Il est nécessaire aujourd'hui de rappeler aux services de l'Etat eux-mêmes que leur premier devoir est de respecter le principe de laïcité inscrit dans la Constitution.

Il est nécessaire de rappeler à tous les agents de l'Etat que si, dans leur vie privée, ils ont l'entière liberté d'adhérer à telle ou telle croyance ou de ne pas croire, ils ont le devoir, dans le cadre de leur fonction, de respecter les règles fondamentales de notre République.

Il n'est pas acceptable de voir aujourd'hui un préfet en uniforme chanter, prier, communier lors d'une manifestation religieuse. Il n'est pas acceptable de voir des militaires organiser publiquement des manifestations religieuses auxquelles ils n'hésitent pas à inviter la population et les élus.

M. Jacques Remiller - La Sainte-Barbe et la Sainte-Geneviève !

M. Germinal Peiro - Vous ne manquerez pas, Monsieur le ministre, d'accepter l'amendement du groupe socialiste qui demande que l'ensemble des signes religieux visibles soient interdits dans les écoles. Il faut en effet une réponse claire qui évitera les appréciations subjectives, source de contestations futures. Il faut surtout, affirmer que la loi n'est pas contre l'islam. Sinon, le texte interdira le voile et sera perçu comme autorisant les signes plus discrets des autres religions.

Notre République mérite mieux qu'une position ambiguë qui suscitera de nouveaux conflits. La laïcité est un principe fondamental, dont vous êtes, Monsieur le ministre, le garant.

Il en va du message universel de respect mutuel et de liberté qui participe à la construction de la paix dans le monde (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

Mme Marie-Hélène des Esgaulx - Depuis la charte de 1830 qui met fin à la religion d'Etat, depuis la loi de 1905, la laïcité s'est peu à peu affirmée dans notre pays. Depuis plusieurs années pourtant, ce principe est battu en brèche. En effet, dans les lycées, des jeunes filles portent le voile, librement ou sous la contrainte. S'en remettre à un avis du Conseil d'Etat, comme en 1989, n'a rien réglé.

Il est de notre devoir, il en va de même de notre honneur de parlementaire, de réaffirmer la laïcité comme l'un des principes fondamentaux de notre République.

Il s'agit, en premier lieu, de défendre la place de la femme dans notre société.

Il ne servirait à rien de voter des lois garantissant l'égalité des sexes dans le milieu professionnel, si l'égalité entre garçons et filles dans le cercle familial, l'égalité devant l'acquisition des valeurs et du savoir ne sont pas assurées.

Il ne servirait à rien non plus de voter des lois sur la parité si des femmes se voient imposer le port du voile. En quoi la chevelure d'une femme constitue-t-elle un outrage à la morale ?

Nous risquons de voir se multiplier les exemptions de cours d'éducation physique pour les jeunes filles, puis on nous expliquera qu'il faudrait revenir sur la mixité, et l'on trouvera normal, enfin, de ne se faire soigner que par un médecin du même sexe. De tels comportements sont contraires aux principes républicains.

Le féminisme n'est pas mon combat. Les femmes ne veulent ni des quotas, ni des places réservées. Elles souhaitent seulement l'égalité des chances et la liberté de choix.

L'application du principe de laïcité à l'école publique est au c_ur de notre identité. L'école ne doit pas redevenir le théâtre d'affrontements idéologiques ou religieux, mais pour le bien de nos enfants, elle doit rester un terrain neutre, un espace de liberté, d'égalité et de tolérance.

L'école est le lieu où sont transmises les connaissances et les valeurs qui fondent notre société, et le point de rencontre d'enfants d'origines diverses, qu'elle soient sociales, religieuses ou géographiques. Elle est le creuset qui a permis de forger l'identité de la France républicaine, de la République « indivisible, laïque, démocratique et sociale » de notre Constitution. Si les instituteurs ne sont plus les hussards noirs de la République, les enseignants ont toujours pour mission de transmettre à nos enfants les valeurs qui permettent l'enracinement de l'idéal républicain.

C'est pourquoi l'école doit être préservée de tout conflit religieux, contraire aux intérêts des enfants. Elle doit être protégée, pour permettre aux professeurs d'exercer sereinement leur mission. Nous devons donc inscrire dans la loi la règle claire qui est depuis longtemps dans nos usages et qui fonde notre pratique de laïcité dans l'école publique. La République française garantit toutes les libertés individuelles, dont la liberté de culte. Chacun est donc totalement libre de vivre sa foi, dans le respect de la laïcité au sein de l'école publique. Dans l'enceinte de l'école, la neutralité religieuse est la seule garante de la liberté de conscience des élèves et de l'égalité des chances entre les sexes, à l'école et pour plus tard.

J'ai beaucoup hésité quant à la nécessité d'une loi. Pourquoi figer un principe qui était devenu une réalité depuis longtemps ? On nous dit que les cas de voile dans les établissements sont en diminution. Pourtant, ils suscitent depuis plusieurs mois un débat de société. Il est temps de donner aux professeurs et aux proviseurs les moyens juridiques d'assurer l'éducation de nos enfants dans la sérénité. Il ne leur appartient pas de déterminer dans quelle mesure une croix, un voile ou une kippa peuvent être portés, pour qu'ensuite leur décision soit annulée par un tribunal. C'est au législateur, et à lui seul, de prendre ses responsabilités. C'est ce qu'il fait en votant cette loi.

En votant ces quelques lignes, nous réaffirmerons à ceux qui ne voulaient pas l'entendre que la France est le pays des libertés. J'ai entendu ces intégristes manifestant dans la rue ou investissant les plateaux de télévision, qui se prévalent des libertés individuelles. Ils se posent en défenseurs de millions de personnes, mais ne furent que quelques milliers dans la rue ! La liberté de culte ne doit pas être une porte ouverte aux intégrismes. A tous ceux qui dénoncent une atteinte aux libertés, il faut dire que la laïcité garantit la liberté de conscience. C'est la liberté de croire ou de ne pas croire. C'est la liberté de s'exprimer et de pratiquer sa foi. C'est le respect, le dialogue et la tolérance. C'est l'essence même de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Marc Nesme - Ce projet de loi me rend perplexe. Il paraît être une mauvaise réponse à un vrai problème, autrement dit une fausse bonne idée. L'article premier de la Constitution, selon lequel la France est une République laïque, est la règle suprême qui s'impose à tous. Celui qui ne la respecte pas ne respectera pas plus une loi de circonstance. La loi qui interdit les signes religieux ostensibles à l'école ne sera pas plus appliquée que les règlements intérieurs actuels des établissements. Pourquoi serait-elle plus claire que l'affirmation constitutionnelle du principe ? On voit déjà les exégètes se disputer entre « visible », « ostensible » et « ostentatoire », signe religieux ou politique... Comment réagira l'opinion lorsqu'elle découvrira une lycéenne catholique ou protestante, juive ou musulmane expulsée de son établissement en application de ce texte ? Cette loi est pain béni pour les intégristes de tout poil. Et si elle n'est pas appliquée, l'Etat aura une fois de plus perdu une partie de son autorité.

Faudra-t-il une autre loi pour affirmer que notre République est ostensiblement laïque ? Après une loi pour les hôpitaux, en faudra-t-il une pour les services de l'Etat, les services municipaux, les cantines et les piscines ? Et une pour interdire aux sportifs de se signer en entrant dans un stade ?

M. François Loncle - Caricature !

M. Jean-Marc Nesme - Ne peut-on craindre le développement d'un intégrisme laïc demandant la destruction des calvaires, le changement de nom des communes qui comprennent le mot « Saint » ou l'interdiction des expositions publiques d'_uvres d'art d'inspiration chrétienne - 80 % de notre patrimoine culturel ? Pourquoi ouvrir la boîte de Pandore et porter atteinte à l'équilibre entre Etat et religions, raviver de vieilles querelles et favoriser le repli communautariste ? La laïcité n'a rien à voir avec ce texte. La notion a été faussée par certains courants de pensée pour se transformer en propagande athée - ce qui est le contraire même de la laïcité ! Ainsi comprise, écrit Jean Foyer, ancien ministre de la justice, elle veut mettre sous le boisseau l'expression de toute conviction religieuse. Or, la laïcité est le respect intégral des religions et des croyances. L'Etat est le garant de cette tolérance. Le général de Gaulle l'avait bien compris, qui déclarait que la République est laïque, mais la France chrétienne ! La société civile n'est pas laïque.

On nous dit que ce projet de loi est destiné à protéger les écoliers contre les situations créant des troubles à l'ordre public. L'argument ne tient pas. L'apprentissage de la tolérance, du vivre ensemble, du respect de l'autre se fait très jeune, au sein de la famille puis de l'école. Faire des adolescents des abstractions et des établissements des sanctuaires coupés des réalités est le plus sûr moyen de construire une société intolérante et individualiste. La vraie question n'est pas de combattre les signes religieux à l'école, mais d'y enseigner le fait religieux, comme l'écrivait Régis Debray dans son rapport en 2002 : l'histoire des religions est le moyen de raccorder le court au long terme, en retrouvant les enchaînements longs propres à l'humanité qui sont occultés par l'audiovisuel, apothéose répétitive de l'instant.

Ce projet de loi est contraire à plusieurs textes ratifiés par la France. Ainsi, la convention internationale des droits de l'enfant prévoit que les Etats respectent le droit de l'enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion. La charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, où le mot « laïcité » n'apparaît jamais, mais celui de « religion » dans quatre articles, affirme la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, en public ou en privé. Rien n'assure que la Cour européenne des droits de l'homme ne sanctionnera pas cette loi, des conséquences de laquelle l'Espagne et la Grande-Bretagne viennent de s'émouvoir. D'autres pays européens disent ne pas comprendre, sans parler du monde arabo-musulman. Il faut donner du temps au temps, avant de créer une nouvelle exception française.

Promulguer une loi pour interdire le seul voile islamique est inimaginable. Pour se soustraire au reproche de l'inégalité de traitement, on nous propose donc d'interdire tous les signes religieux ostensibles. Mais il y a bien longtemps que la majorité des élèves ne créent plus de trouble à l'ordre public pour des raisons religieuses ! Cette loi d'exclusion met tout le monde dans le même sac Elle peut être considérée comme humiliante pour une grande majorité de croyants et attentatoire à leur foi et à l'éducation qu'ils reçoivent de leurs parents. La République connaîtrait-elle une crise si grave qu'elle nierait l'apport des religions en général, et du christianisme en particulier ? Elle refuse que la Constitution européenne mentionne dans son préambule les racines judéo-chrétiennes de notre continent ! Saint-Exupéry disait bien qu'un peuple sans mémoire est un peuple sans avenir... Ce n'est pas en niant ce que nous sommes que nous serons respectés par un islamisme sûr de lui et de ses valeurs. En outre, ce projet est en total décalage avec le dialogue qui se développe dans notre pays entre les trois grands monothéismes.

Ce projet de loi semble inutile, parce qu'il ne traite pas au fond des problèmes. Il ignore les groupuscules d'activistes islamiques qui, sous couvert de théologie, mènent des combats politiques contre la République, la France et l'Occident, exploitant la misère d'une population dont les familles ont connu la colonisation et qui s'intègrent mal dans notre société. Mais il ne s'agit que de groupuscules ! S'ils s'apparentent à des sectes ou à des groupes terroristes, appliquons les lois en vigueur ! Si leurs agissements sont contraires aux droits de l'homme - polygamie, répudiation, excision, mariages forcés - appliquons les lois en vigueur ! Mais le texte qu'on nous propose est dérisoire face à ces problèmes. Loin d'être un signe de soumission, sauf exception, le signe religieux montre une appartenance. Il répond donc à un désir fréquent chez les adolescents. Je préfère les signes religieux aux piercings et aux cheveux teints en vert. Ils mènent les jeunes sur un chemin d'espérance. Vouloir affirmer l'univocité du signe religieux est une intolérance, un jugement de type inquisitorial qui prétend sonder les reins et les c_urs et gouverner les consciences. Au nom de quoi accepter des tatouages provocants et refuser une croix, une kippa ou un voile ? On les refuse au prétexte qu'ils violeraient la laïcité républicaine et la dignité des jeunes musulmanes voilées, alors que la société marchande exhibe des corps de femmes nus et racoleurs sans que les farouches défenseurs des vertus républicaines s'en offusquent ! Là, c'est la cléricature de l'argent et du sexe qui prévaut ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP)

M. le Président - Mon cher collègue, il faut conclure.

M. Jean-Marc Nesme - Il nous faut une République médiatrice. Il est certes de la responsabilité de l'Etat de défendre la liberté de conscience, de veiller à une coexistence sociale pacifique entre toutes les composantes de la société et de s'opposer à toute forme de violence tendant à imposer une foi à la société. Mais si la République doit être vigilante, elle doit être avant tout accueillante et médiatrice, capable de mobiliser les familles spirituelles au service du lien social, de renouveler la pratique d'une laïcité ouverte, qui reconnaisse l'apport des religions à la vie publique. Cela doit commencer à l'école, et ce projet de loi n'y mène pas. Je m'abstiendrai donc de le voter.

M. Michel Charzat - La laïcité est constitutive de notre histoire nationale. Pour autant elle n'est pas, à elle seule, un projet. C'est à la politique de réaliser les principes de la laïcité que sont la séparation de la foi et de la loi, du public et du privé ainsi que la liberté de conscience, garanties par un Etat neutre et impartial, mais aussi l'égalité des chances. C'est au regard de ces principes que doit être apprécié ce projet, et ne pas légiférer maintenant serait une imprudence de la part de tous ceux qui défendent la liberté de conscience et de pensée.

Il convient de donner un coup d'arrêt à ces forces qui veulent tester la capacité de notre pays à promouvoir son éthique républicaine et, dans ce combat entre la démocratie laïque et la théocratie, la France n'est pas à la traîne, elle est en avance. Sa tradition politique et culturelle lui assigne une responsabilité particulière : affirmer la possibilité de concilier le vivre ensemble et le pluralisme, refuser de sous-traiter la cohésion sociale aux intégristes et aux communautaristes.

Il convient également de donner un coup d'arrêt à la remise en cause de l'égalité entre les sexes. Les fondamentalismes considèrent les femmes comme des êtres mineurs et entendent les subordonner à un statut particulier, attentatoire à la dignité humaine. Fadela Amara, présidente du mouvement « Ni putes ni soumises », nous rappelle que le voile traduit la volonté « de tous ceux qui veulent renvoyer les femmes dans leurs foyers, dans un rôle extrêmement traditionnel et surtout dans une situation d'oppression ». L'obscurantisme, voilà l'ennemi !

Pensons à toutes ces femmes de nos cités, emmurées dans le silence de ce voile devenu prison ! Mais pensons également à toutes celles et à tous ceux qui attendent beaucoup de notre pays, particulièrement de l'autre côté de la Méditerranée !

Enfin, il convient de mettre l'école à distance du monde pour mieux le comprendre. L'élève n'est pas un usager, ni l'école un prestataire de services : elle forme, elle instruit, elle façonne des citoyens autonomes. Elle est, selon la définition de Jean Zay, « un asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ». Mais cette conception de l'école n'est pas celle portée par la jurisprudence du Conseil d'Etat depuis 1989. Or, la pression sur les personnels de l'Education nationale est sans commune mesure avec celle qui prévalait alors.

Voilà pourquoi nous proposons d'interdire les signes religieux « visibles » reprenant ainsi la proposition unanime de la mission d'information parlementaire. La loi en sera plus claire, et donc plus efficace. Il faudra par ailleurs affirmer la nécessité de l'explication et du dialogue.

Mais on ne peut faire abstraction du contexte. A l'ère du scepticisme civique et du capitalisme mondialisé, beaucoup de nos contemporains réagissent par un repli identitaire, si bien que le communautarisme rampant menace notre communauté nationale.

Aujourd'hui, le modèle français d'intégration est en panne. L'abaissement de l'Etat, l'effacement de la nation comme espace de projet commun, l'incapacité de note société à offrir des perspectives aux plus modestes minent le pacte républicain, de même que l'abandon de certains de nos quartiers populaires au prosélytisme intégriste.

Il n'y a pas de déclin français mais une souffrance de la France au contact d'une mondialisation qui lui semble étrangère. Il faut donc une laïcité en actes, qui redonne du souffle aux principes proclamés, et d'abord au principe de l'égalité

Egalité entre les religions d'abord, ce qui implique que l'on reconnaisse la place de l'islam dans la République. Comme le souligne Tahar Ben Jelloul, « la France peut devenir la preuve vivante que l'islam est compatible avec la démocratie et la laïcité ». Encore faudrait-il rompre avec la douteuse et dangereuse man_uvre du ministre de l'intérieur, qui valorise des représentants du culte musulman éloignés du modèle républicain de l'intégration et obtenir de lui qu'il n'utilise plus cet oxymoron que constitue l'expression « un préfet musulman ».

Dans le respect de la loi de 1905, il appartient aux collectivités locales de permettre l'exercice effectif du culte musulman et à l'Etat d'assurer la formation d'imams autochtones qui faciliteront la transition d'un islam en France vers un islam de France.

Egalité entre les citoyens ensuite : comme le souligne la commission Stasi, l'émancipation des enfants issus de l'immigration n'a de sens que si l'égalité des chances est assurée en tout point du territoire. J'ajoute que l'intégration de tous ceux qui ont des relations stables et anciennes avec la France appelle la reconnaissance de leur droit à participer aux élections locales.

Le moment est venu de relancer le creuset républicain, cette machine à fabriquer des citoyens, non par une politique de discrimination positive fondée sur des quotas mais par un projet offrant la perspective d'un avenir commun. Il appartient au politique de reconstruire le socle éthique de la laïcité, de défendre tous les services publics et de redéfinir les droits et les devoirs de l'individu en société. Il lui appartient aussi de casser les ghettos urbains, de restaurer la mixité sociale et d'instaurer un service national pour les jeunes, filles et garçons.

Il s'agit, on l'aura compris, de garantir un égal accès à tous les droits. Dans cette perspective, les discriminations à l'embauche ou au logement doivent être combattues vigoureusement. Mais le Gouvernement, en traitant de façon séparée l'intégration, la lutte contre les discriminations, la place des religions dans notre pays, les signes religieux à l'école, la politique de la ville, l'aménagement du territoire, se contente d'une action qualifiée, sévèrement mais lucidement par le Président de notre assemblée, de « boutiquière ». Il nous appartient donc de proposer un nouvel horizon, celui d'une République laïque et sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Gilles Cocquempot - Pour moi qui suis né dans une famille socialiste et républicaine, la laïcité a toujours été une évidence, car je la considère comme fondement de toute société ouverte et moderne. C'est dire que lorsque la laïcité est contestée, comme c'est le cas aujourd'hui, c'est l'identité même de notre pays qui est remise en question, ce pays qui, en 1905, a consacré la séparation des Eglises et de l'Etat, assurant du même coup la liberté de conscience et garantissant le libre exercice des cultes. C'est bien la vision humaniste de notre société qui est en jeu, et le moment est venu de rappeler à la nation qu'elle ne peut accepter de voir sa diversité remise en cause par un communautarisme réducteur.

Il faut redonner tout son sens à la laïcité, et en faire un projet politique rappelant au monde que la France reste un espace de liberté, d'égalité et de fraternité, un modèle pour les démocraties qui considèrent que ni l'argent du pouvoir ni le pouvoir de l'argent n'ont rien à voir avec le bien-être des peuples.

Le projet qui nous occupe a donc une signification plus large que son seul contenu, faible et limité. Mais comment aurait-il pu être autre, quand le ministre des cultes est un récent converti et quand le ministre de l'éducation nationale hésite à prendre la plume ?

Au-delà de la sémantique, le texte a une portée historique, comme en témoigne le fait qu'un quart de la représentation nationale a exprimé le désir d'intervenir dans le débat. Tous les élus de la nation qui le souhaitaient auront ainsi pu dire, à titre personnel, leur volonté collective d'égalité.

M. Eric Raoult - Très bien !

M. Gilles Cocquempot - Chacun a conscience que le projet ne règle rien, mais il tente d'en finir avec l'amalgame récurrent entre islam et islamisme. Les musulmans de France ont toute leur place chez nous, au même titre que les juifs, les catholiques, les protestants, les orthodoxes, dès lors qu'ils veulent exprimer leur foi sans tomber dans une dérive sectaire. Quant à la République, elle doit donner à chaque enfant de France, fille ou garçon, la reconnaissance de sa pleine citoyenneté. Une démarche politique doit donc permettre l'égalité réelle des chances, l'égalité d'accès à l'emploi et à un logement décent pour tous les citoyens, quelles que soient sa couleur ou sa confession. Ainsi, et ainsi seulement, empêcherons-nous le fondamentalisme de s'enraciner en France. Exprimer sa croyance par le port du voile ou de la barbe, c'est réduire l'islam à de superficielles questions de forme.

A ce sujet, que nous dit le grand poète arabe Adonis ? Que nul passage du Coran n'impose le voile à la femme musulmane, et que tout musulman se doit d'établir une nette distinction entre sphère privée et sphère publique, la mosquée étant le seul endroit où il lui est légitime de se singulariser. L'institution, ajoute-t-il, appartient à tous les citoyens. L'école et l'université sont des lieux de savoir commun, ouverts à tous, des lieux où doivent disparaître les signes extérieurs d'appartenance confessionnelle. La rue, les cafés, les lieux de rencontre, les cinémas doivent, selon lui, être ajoutés à ce que l'on appelle « l'institution ».

Une loi peut-elle régler le problème ? Je ne le crois pas, mais je pense qu'elle peut être un début et un signe fort. Mais si elle doit être un débat, il faut une suite. Il serait donc utile que le Parlement soit régulièrement saisi de ces questions et qu'il évalue à cette aune l'impact des lois qu'il vote.

En ce qui concerne le présent projet, je souhaiterais que nous puissions définir une sorte de code de la laïcité, afin de ne pas laisser seuls les enseignants et les chefs d'établissement dans le dialogue et la médiation préalables à d'éventuelles sanctions.

En conclusion et en conscience, je ne me crois pas faire obstacle à la raison, même si je privilégie souvent le c_ur (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Etienne Mourrut - Le 25 octobre 1989, Lionel Jospin, alors Premier ministre, déclarait ici même, à propos du premier cas de jeunes filles voilées au lycée que « l'école ne pouvait exclure » et qu'elle « était faite pour accueillir... » Il décidait alors de s'en remettre à la décision du Conseil d'Etat.

Ce dernier se défaussa à son tour en indiquant, le 27 novembre 1989 que : « Le voile pouvait faire l'objet d'une réglementation de la seule compétence du directeur d'établissement. »

La brèche était ainsi ouverte. Nous payons depuis lors le prix fort de l'inconséquence du gouvernement de l'époque, qui n'a pas su appréhender le phénomène islamique.

M. Jean Glavany - Qu'avez-vous fait entre temps ?

M. Etienne Mourrut - En quelques années, du fait de cette négligence fautive, ce qui aurait dû rester un épiphénomène est devenu un réel problème pour notre société en s'étendant aux hôpitaux, aux établissements publics, à l'administration...

La simple voie réglementaire aurait pu apporter une solution efficace, mais l'idée que notre système politique fondé sur le contrat pouvait être compris de tous et adapté à toutes les cultures a prévalu. Résultat : le foulard est aujourd'hui brandi comme une bannière et il est devenu le symbole du choc des cultures.

Il nous faut donc mettre un terme à la pression de ces intégristes qui, à partir du foulard, ôtent la liberté à la femme en la murant dans la féodalité ; portent atteinte au principe d'égalité, en plaçant la femme en situation d'infériorité par rapport à l'homme ; et abolissent la fraternité en enfermant les femmes dans l'exclusion. Il est de notre responsabilité de défendre toutes ces femmes qui résistent courageusement aux pressions. Nous devons être fermes et poser des règles.

L'islam fondamentaliste est une religion politique. Le Coran est sa loi religieuse, civile et pénale, ne l'oublions pas. Le courant politico-religieux, qui n'est pas dans nos traditions, constitue une réelle menace pour nos institutions républicaines. L'insidieuse infiltration de principes radicalement opposés aux nôtres rend indispensable le recours à la loi.

Bien évidemment, j'apporterai mon soutien à ce texte, que je considère comme une étape, convaincu que je suis qu'il faudra prendre d'autres dispositions pour « réaffirmer avec force la neutralité et la laïcité du service public », comme le disait Jacques Chirac le 17 décembre dernier.

Il nous faut rester vigilants et fermes, Monsieur le ministre, et surtout tenir le cap de notre modèle d'intégration (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Decool - Depuis 1989, le débat sur le port du voile, et donc sur la laïcité, a suscité de nombreux remous. La jurisprudence du Conseil d'Etat et les circulaires ministérielles ont semblé suffire pendant quelques temps. Mais, aujourd'hui, on en voit bien les limites : absence d'uniformité dans l'application territoriale des règles, résolution des conflits au cas par cas, médiatisation du voile... Le recours à la loi s'impose désormais pour apaiser les conflits, et aussi pour protéger l'école publique républicaine.

L'école est le socle de nos valeurs républicaines. Elle est parfois la dernière institution de la République présente et respectée. Elle se doit d'être un lieu de neutralité. Or, la réalité du terrain montre l'importance d'une intervention du législateur. On m'a récemment fait savoir qu'un nombre grandissant de chefs d'établissement mettent des salles en permanence à la disposition des élèves musulmans afin qu'ils y fassent leurs prières pendant les cours. Au restaurant scolaire, de nombreux collèges et lycées ne servent plus de viande de porc. Des enseignants de biologie, de sciences naturelles ou d'histoire avouent être obligés d'occulter certaines parties de leur programme.

Le texte qui nous est soumis inverse heureusement la logique actuelle qui, aux termes de la jurisprudence du Conseil d'Etat, autorisait le signe religieux et ne condamnait qu'un certain type de comportements. Par l'adverbe « ostensiblement », il permet en effet de viser à la fois le signe et le comportement.

Je terminerai en émettant le souhait que les signes « discrets » d'appartenance religieuse soient mieux définis. Il faudrait pouvoir « quantifier la discrétion ». Mettons-nous à la place du chef d'établissement qui devra apprécier le caractère ostensible ou discret d'un signe religieux. Sans vouloir le doter d'un pied à coulisse, il me paraît cependant nécessaire de lui donner quelques repères mesurables. Il serait dommage qu'un manque de précision permette à certaines personnes de ne pas respecter l'esprit de cette loi de tolérance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. René Rouquet - Alors que la représentation nationale s'est engagée dans un processus législatif historique, je souhaite réaffirmer avec force et vigueur la volonté de clarification qui nous anime, nous socialistes, qui nous sommes toujours situés dans le camp des militants de la laïcité, qui avons été de tous les combats pour les libertés et qui aujourd'hui répondons présents à ce rendez-vous démocratique essentiel pour notre société, afin, comme l'a souligné Jean-Marc Ayrault, de « poursuivre une _uvre d'émancipation commencée il y a près de cent ans ».

Parce que je crois en l'homme et parce que la laïcité est pour moi une valeur première de la République, je veux apporter ma pierre à l'édifice fragile mais indispensable que nous tentons de construire ici-même, pour essayer d'aboutir à une loi utile, claire et efficace, une loi de liberté, d'égalité et de fraternité.

Tout d'abord, je rappellerai que la laïcité garantit la liberté de conscience. Chacun doit rester libre de croire, de ne pas croire ou de douter. C'est là une condition première de l'organisation sociale.

Parce qu'elle s'appuie d'abord sur la liberté de conscience, définie dans la déclaration des droits de l'homme de 1789 puis dans celle de 1948 et dans la convention européenne des droits de l'homme de 1950, qui affirme en outre la liberté pour chacun de changer de religion et de conviction, la laïcité vise à construire un monde, où l'individu est libre de croire ce qu'il veut, dans la sphère privée.

Mais parce que le « vivre ensemble » nécessite un espace commun, il fallait fixer un cadre juridique permettant l'expression dans la sphère publique de tous les citoyens, égaux en droits mais aussi en devoirs. Tel est le sens de la loi qu'avaient voulue nos prédécesseurs en 1905 et qui impliquait de la part de l'Etat et de ses représentants une stricte neutralité par rapport aux options spirituelles ou philosophiques.

Mais en un siècle, les enjeux sont devenus trop nombreux et les interrogations trop fortes pour qu'il n'y ait pas urgence à clarifier les choses et à réaffirmer les principes de laïcité. Nos concitoyens sont-ils préservés des excès des préjugés et des dogmes ? La laïcité est-elle toujours l'antidote du communautarisme et de ses dérives, le racisme et l'antisémitisme ? La démarche laïque nous permet-elle encore de répondre à la complexité culturelle et sociale de notre époque, sans le soutien d'une loi ? N'avons-nous pas simplement oublié un peu vite que la laïcité n'est jamais acquise mais reste un combat permanent ?

La question est arrivée sur le devant de la scène médiatique à la faveur de l'« affaire du foulard islamique » dans un collègue de Creil, il y a quinze ans déjà. Depuis, ce problème posé à la communauté scolaire est devenu un véritable fait de société, et s'est radicalisé à l'excès, alors qu'il aurait suffi d'appliquer à la lettre la loi de 1905 et d'interdire tout signe d'appartenance religieuse dans le cadre scolaire.

D'autres épisodes ont suivi, des piscines réservées aux femmes au refus, par certaines élèves, de participer aux cours de gymnastique. Les revendications de certaines élèves qui récusent les programmes de biologie ou de philosophie sont particulièrement inacceptables. La laïcité incarne aussi l'égalité devant les lois et valeurs de la République ; égalité à l'école, égalité des chances d'intégration.

Face aux difficultés nées des diverses interprétations de la loi, et notamment l'avis du Conseil d'Etat sur le port du voile, une solution législative est indispensable, mais il ne faut pas pour autant négliger les multiples autres attaques commises contre le principe de laïcité de l'Etat. Les crucifix demeurent encore dans certains bâtiments publics. Le régime de laïcité n'est pas appliqué dans certains territoires comme la Guyane, l'Alsace-Moselle ou la Polynésie. Et même si je me réjouis de l'évolution de Mayotte, beaucoup de chemin reste à parcourir. Est-il normal de devoir demander une dérogation pour échapper à une instruction religieuse, au sein de la République ?

Dans cette société ou le communautarisme a profité des brèches de la loi de 1905, il faut, pour reprendre les propos du grand maître du Grand Orient de France, « reconquérir les territoires perdus par la République ».

Le moment est venu d'interdire tout signe d'appartenance religieuse « visible », pour que l'école demeure ce lieu d'émancipation des individus voulu par les pères de l'école publique. Voici plus d'un siècle, le plus proche collaborateur de Jules Ferry, Ferdinand Buisson, proclamait : « La République n'a pas fondé l'école laïque comme une menace pour l'Eglise ; elle l'a fondée pour garantir le dogme des dogmes : la liberté de conscience ».

A l'heure où les fondamentalistes manifestent pour empêcher le Parlement de légiférer, où l'on voit, au-delà du seul Front national, des politiciens critiquer notre débat, la représentation nationale a raison de ne pas céder.

On tente de convaincre l'opinion que légiférer sur le port du voile est liberticide, alors que nous voulons, justement, garantir à tous une même liberté, et une même égalité.

Mais la laïcité est aussi fraternité en ce qu'elle préserve le droit de vivre ensemble pour les croyants et les athées, le droit pour chacun de choisir son culte, d'en changer, ou de n'en exercer aucun.

La loi que le groupe socialiste veut voter est celle qui rassemble autour des valeurs de la République, laïque et indivisible ! C'est celle qui fournira à l'école des outils de dialogue et de sanctions, dans un cadre clair et précis. C'est celle qui préservera l'égalité des droits et les chances d'émancipation, pour favoriser la mobilité sociale et l'intégration républicaine (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Daniel Mach - Je suis satisfait de ce débat sur la laïcité qui nous permet de nous exprimer sur un thème d'actualité très sensible. Depuis 1905, les problèmes ne se posent plus de la même façon. Notre pays a connu de nombreuses mutations, et il est devenu aujourd'hui une véritable mosaïque, culturelle et spirituelle, religieuse et politique. Notre pays en est enrichi, mais le Parlement doit aussi prendre ses responsabilités.

Pourquoi en sommes-nous arrivés à devoir légiférer pour imposer la primauté de la laïcité ?

En trente ans, les enseignants ont perdu leur autorité, les élèves leurs valeurs et les parents leur rôle, pendant que nous tentons vainement de canaliser les débordements de la mixité sociale et religieuse de notre société.

L'école est le premier lieu d'intégration, et elle ne doit pas être mise à mal par des provocations d'extrémistes pour qui la religion est la seule perspective d'avenir et le seul projet politique.

Or, une religion ne saurait être un projet politique, et nous devons combattre les communautarismes qui menacent notre République.

L'école de la République n'est pas un amphithéâtre où les élèves seraient en droit de clamer leurs convictions. C'est un espace civique irremplaçable qui vise à la transmission de la connaissance.

Mais il y a un second enjeu : refuser la discrimination entre hommes et femmes dans les lieux publics. Admettre le voile dans nos écoles, c'est admettre les pressions exercées sur les femmes, c'est cautionner l'asservissement de la femme.

M. Guy Geoffroy - Très bien !

M. Daniel Mach - Le port du voile est un acte politico-religieux imposé par une minorité, et incompatible avec la laïcité. Les étrangers viennent en France pour y trouver la richesse...

M. Jean Glavany - Il faut le dire vite !

M. Daniel Mach - ...mais aussi la liberté. Je crains même qu'à terme l'on use de signes politiques qui deviendraient des démarches de propagande dans des lieux où la neutralité est de mise. C'est pourquoi il conviendrait d'interdire aussi les signes politiques ostensibles. Mais je voterai ce projet de loi en l'état.

M. Frédéric Reiss - Voilà plus de vingt heures que nous débattons de la laïcité, et de nombreux orateurs sont venus exprimer leur attachement aux valeurs de la République et à la cohésion nationale.

L'idée d'un Etat laïque est née avec la Révolution française, un Etat qui serait neutre entre les différents cultes, dégagé de toute conception théologique. Au XIXe siècle, la laïcité est un mot nouveau, défini aussi par Ferdinand Buisson : « La laïcité ou la neutralité de l'école à tous les degrés n'est autre chose que l'application à l'école du régime qui a prévalu dans toutes nos institutions sociales. Nous sommes partis comme la plupart des peuples d'un état de choses qui consistait essentiellement dans la confusion de tous les pouvoirs et de tous les domaines, dans la subordination de toutes les autorités à une autorité unique, celle de la religion. Ce n'est que par le lent travail de siècles que, peu à peu, les diverses fonctions de la vie publique se sont distinguées, séparées les unes des autres et affranchies de la tutelle étroite de l'Eglise. »

L'enseignement laïque, Ferdinand Buisson l'a porté comme on porte un enfant : il l'a nourri, élevé pour lui forger une identité. L'école laïque s'impose alors une stricte neutralité confessionnelle, s'interdit de prendre position pour ou contre aucune Eglise mais entend ne pas démissionner de sa tâche éducative. La religion est alors le domaine sacré de la conscience et, parallèlement, la morale entre hardiment à l'école : la morale de la générosité, de la liberté, du progrès, de la tolérance, de la vérité et de l'honnêteté. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Le XXIe siècle est le siècle de la mondialisation, de la globalisation des échanges, du brassage des idées et des populations. Dans nos démocraties occidentales où l'individualisme et le multiculturalisme se développent, l'affirmation de valeurs communes qui permettent de faire vivre ensemble au sein d'une même nation est fondamentale. Ainsi, la laïcité est-elle devenue un enjeu politique.

Comme l'a laissé entendre Mme Cherifi à la mission Debré, le voile n'est pas le signe d'une appartenance religieuse musulmane mais le signe de l'appartenance à l'islam fondamentaliste.

Le voile, qui est censé protéger les jeunes femmes des hommes, les rend en réalité serviles. Il rappelle l'interdiction qui leur est faite d'épouser un non-musulman.

En Alsace, la discussion sur le voile a suscité de nombreuses prises de position sur le contenu du principe de laïcité. Dans son grand discours du 17 décembre 2003, le Président de la République a posé les problèmes de manière claire avec l'objectif de mettre un terme aux confusions. Il a souhaité que ce débat prouve notre capacité à nous réunir sur l'essentiel. A un moment de l'histoire où la surinformation trouble les esprits plus qu'elle ne les enrichit, il est important pour notre pays d'empêcher le communautarisme d'entrer dans les écoles.

Lorsque des fondamentalistes encouragent les conflits au détriment de la scolarité ou cherchent à déstabiliser l'Education nationale, notre société est en danger : il est impératif de réagir.

Comme de nombreux députés, j'ai longtemps hésité, pensant qu'une stricte application du règlement intérieur de l'établissement scolaire était suffisante. Cependant, bon nombre de discussions et d'événements m'ont éclairé. Les incidents hypermédiatisés dans certains lycées, les pressions pour occulter certaines parties du programme, les manifestations de femmes voilées ont fait que je voterai cette loi : comme l'ont dit Alain Juppé et beaucoup d'autres, elle est nécessaire même si elle n'est pas suffisante.

L'avant-projet de loi a été largement diffusé, l'exposé des motifs très commenté. Un amendement prévoyant une procédure de dialogue préalablement à la sanction pourrait faciliter la mise en _uvre de la loi. Le Parlement doit jouer son rôle d'apaisement, d'explication et de décision. La loi sera un rempart contre les dérives communautaires. Elle favorisera l'intégration et l'égalité des chances.

Il était important de commencer par l'école, qui est le lieu de formation des citoyens. Le débat soulève inévitablement le problème du voile dans les administrations, les tribunaux ou les hôpitaux, où des solutions restent à trouver.

A l'école, il s'agit de favoriser le « vivre ensemble » d'enfants d'origines et de croyances différentes, conformément à la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

M. Jean-Pierre Brard - Sociale, pas toujours !

M. Frédéric Reiss - Nous puisons notre avenir dans le terreau de notre histoire judéo-chrétienne. Mais chaque jeune fréquentant l'école de la République, quelle que soit son appartenance religieuse, doit pouvoir s'y épanouir. Il ne s'agit nullement de museler qui que ce soit, mais de respecter ce lieu de neutralité et d'apprentissage pour tous.

La conception de la laïcité, dans les écoles publiques d'Alsace-Moselle, est conforme aux principes que sont le respect de la liberté de conscience et de religion, la neutralité de l'Etat à l'égard des convictions religieuses, la non-discrimination en matière religieuse. Le droit local alsacien-mosellan a un fondement historique. L'Alsace-Moselle était allemande en 1905. Il met ces principes en _uvre, autrement que le droit général. Si, en Alsace comme ailleurs, les croyants pratiquants ne remplissent plus les églises, 78 % de nos concitoyens alsaciens et mosellans sont favorables au maintien des cours de religion à l'école primaire et au collège, cours de religion qu'il ne faut pas confondre avec catéchisme. En début d'année, les parents peuvent de manière très simple dispenser leur enfant du cours de religion, sans nuire d'aucune manière à sa scolarité.

M. Jean-Pierre Brard - Tout de même !

M. Frédéric Reiss - La commission Stasi a estimé que la réaffirmation de la laïcité par une loi ne remet pas en cause le statut de l'Alsace-Moselle, auquel est particulièrement attachée la population de nos trois départements. Il serait bon de le préciser clairement dans une circulaire aux recteurs. Il est incontestable que, si un enseignement religieux est organisé dans les écoles publiques d'Alsace-Moselle pour certaines confessions, il ne peut être exclu pour d'autres. Comme l'a affirmé Emile Blessig, il est impératif de recenser correctement la demande, de former les enseignants et de définir le statut de recrutement avec les autorités religieuses. L'improvisation ne peut être de mise.

Dès la rentrée, la loi doit être applicable et des circulaires devraient permettre aux chefs d'établissement de mettre en conformité leur règlement intérieur. En cas de conflit, lorsque le dialogue et la médiation auront échoué, la loi servira à pacifier les relations à l'intérieur de l'école.

Dans certains quartiers, l'école est la seule institution de la République encore respectée. Même imparfaite sur le fond, la loi en consolidera les bases et permettra à l'école de s'occuper de l'essentiel : instruire, éduquer et permettre à chacun, sans distinction de race, de religion ou de sexe, de trouver sa place dans notre société (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Roger-Gérard Schwartzenberg - L'école publique, c'est l'école de tous. Elle a pour vocation d'accueillir sur les mêmes bancs tous les élèves, quelles que soient leur condition, leur confession, leur opinion. L'école de la République leur permet de vivre ensemble par-delà leurs différences. Elle assure, comme le disait Pierre Mendès France, « l'apprentissage en commun de la vie commune ».

Cette école assure la transmission des connaissances, la formation à l'autonomie intellectuelle et à la liberté de jugement. Elle favorise l'éveil de consciences libres, qui choisiront elles-mêmes leur destin. Elle forme des esprits libres qui, une fois éclairés et parvenus à l'âge adulte, pourront effectuer eux-mêmes leurs propres choix religieux et politiques.

Pour cela, l'école publique doit être un espace de neutralité et de laïcité. La République laïque garantit la liberté de conscience, respecte toutes les croyances, mais ne reconnaît aucun culte. Elle ne combat pas les religions. Elle se borne à vouloir que celles-ci se limitent à la sphère privée. Espace public par excellence, l'école publique doit être un lieu de paix et de concorde ou, selon l'expression de Jean Zay, ministre radical de l'éducation nationale, « cet asile inviolable où les querelles des hommes ne pénètrent pas ». L'école publique doit transmettre le savoir dans le calme et la sérénité. Elle doit échapper aux tensions ou affrontements confessionnels identitaires et politiques, qui troubleraient l'ordre public dans les établissements et la quiétude de la vie scolaire.

Aujourd'hui, certains tentent d'exercer des pressions religieuses sur l'école de la République, qui se trouve confrontée à la montée des communautarismes et des intégrismes, inspirés par de nouveaux cléricalismes. L'école publique ne peut devenir le champ clos de batailles confessionnelles. Elle ne peut être soumise à l'ostentation de la foi.

Pour éviter cela, une loi est nécessaire. Le législateur doit cesser de tergiverser, comme il le fait depuis quinze ans. Il ne peut s'en remettre à une jurisprudence et à des circulaires administratives imprécises qui, depuis 1989, sont à l'origine des graves difficultés rencontrées par les établissements scolaires.

Selon un sondage CSA, publié dans Le Monde du 5 février, 76 % des enseignants interrogés sont favorables à une loi interdisant à l'école publique les signes et tenues qui manifestent ostensiblement l'appartenance religieuse des élèves. A titre personnel, j'estime que le choix de l'adverbe « ostensiblement » a permis de trouver un point d'équilibre. Cette rédaction procède du même esprit que la circulaire prise le 15 mai 1937 par Jean Zay, qui interdisait le « prosélytisme », la « propagande confessionnelle », c'est-à-dire l'ostentation de la foi à l'école publique.

Il s'agit donc de poser une exigence de discrétion. Ce texte n'interdit pas les signes religieux discrets, qui ne troublent pas la vie scolaire. Au demeurant, une telle interdiction risquerait d'être inconstitutionnelle. En effet, notre Constitution se réfère à la déclaration des droits de 1789 qui dispose, à son article 10, que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi ».

De même, selon la Constitution, les traités ont « une autorité supérieure à celle des lois ». Or, parmi ceux-ci, la convention européenne des droits de l'homme précise que « la liberté de manifester sa religion » ne peut être restreinte que pour des motifs relatifs « à la protection de l'ordre ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». La Cour européenne pourrait donc juger que l'interdiction des signes religieux discrets ne serait pas proportionnée à l'objectif recherché et apporterait une limitation excessive à l'exercice de la liberté de conscience.

Telle qu'elle est rédigée, cette loi est donc équilibrée. Elle est indispensable pour assurer tranquillité et sérénité à l'école de la République. Refuser de légiférer, ce serait maintenir l'incertitude et le trouble dans nos établissements scolaires. Ce serait aussi sembler reculer devant les manifestations intégristes qui somment le Parlement de ne pas légiférer. Dans une République laïque, la foi ne peut prétendre dicter la loi. La République doit rappeler à tous ses principes fondamentaux, dont l'impératif de laïcité. Quand celui-ci est contesté puis menacé, le législateur ne peut rester inerte.

Par ailleurs - et j'ai déposé un amendement en ce sens -, il importe que la loi interdise également le port de signes ou de tenues qui manifestent ostensiblement l'appartenance ou l'engagement politiques des élèves. En effet, le port de signes politiques présente le même risque pour la tranquillité et l'ordre public que celui de signes religieux. Porter ostensiblement l'insigne ou le badge d'un parti politique, porter une tenue qui symbolise le soutien à telle ou telle cause nationale, peuvent provoquer des tensions ou affrontements dans la vie des établissements scolaires.

La première circulaire prise par Jean Zay le 1er juillet 1936 portait sur les signes politiques. Elle visait « tout objet dont le port constitue une manifestation susceptible de provoquer une manifestation en sens contraire ». Tous les textes et rapports ayant précédé le présent projet de loi comportaient donc l'interdiction des signes à la fois religieux et politiques, qu'il s'agisse des travaux de la mission d'information présidée par M. Debré, de la proposition de loi déposée le 18 novembre 2003 par les membres du groupe socialiste ou du rapport de la commission Stasi, qui proposait la rédaction suivante : « Sont interdits dans les écoles, collèges et lycées les tenues et signes manifestant une appartenance religieuse ou politique ».

Pourquoi le Premier ministre n'a-t-il pas retenu cette double interdiction ? Je ne le comprends pas. Surtout après avoir écouté M. Raffarin avant-hier. Celui-ci a en effet déclaré : « Certains signes religieux, et parmi eux le voile islamique, se multiplient dans nos écoles. Ils prennent de fait un sens politique et ne peuvent plus être seulement considérés comme des signes personnels d'appartenance religieuse. »

Soyons cohérents. Si le Premier ministre entend interdire les signes religieux qui « prennent de fait un sens politique », alors il faut évidemment interdire les signes politiques à l'école. On ne peut pas à la foi interdire le voile islamique en considérant qu'il est en réalité un signe politique et autoriser les autres signes politiques ostensibles.

Mon amendement qui, au demeurant, n'interdit pas les signes politiques discrets, est compatible avec la loi d'orientation sur l'Education nationale du 10 juillet 1989, qui consacre, à son article 10, la liberté d'expression des élèves dans les collèges et lycées, tout en précisant que l'exercice de cette liberté doit respecter « le principe de neutralité » et « ne peut porter atteinte aux activités d'enseignement ». L'amendement proposé ne fait obstacle qu'à des manifestations ostentatoires d'appartenance ou d'engagement politiques. Il n'empêche pas l'organisation de débats politiques, dans des conditions qui ne troublent pas la quiétude de la vie scolaire. Dans le sondage que j'ai déjà cité, 72 % des enseignants se déclarent favorables à l'interdiction des insignes politiques à l'école. Il importe d'être attentifs à leur message.

Ce que je propose pour l'école publique peut se résumer en trois principes : oui à la libre expression, non à la propagande ; oui à la liberté de conscience, non au prosélytisme ; oui à l'intégration, non à l'intégrisme.

Le Parlement est le porte-parole de la nation et la voix de la République. Il doit donc s'exprimer avec force et clarté. Il doit le faire parce qu'il s'agit de défendre le creuset même de la France républicaine, l'école publique. Cette école doit rester un espace de paix et de concorde. Aujourd'hui comme hier, elle doit permettre à tous les élèves, de vivre ensemble, de devenir ensemble les citoyens de la République (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Antoine Herth - Si j'ai d'abord douté de l'utilité de cette loi, je me suis laissé convaincre en suivant les travaux de l'Assemblée nationale et en revisitant ma bibliothèque. En effet, je lis dans un essai publié en 1996 par M. Luc Ferry, philosophe et écrivain : « La volonté d'étendre à l'univers entier le système humaniste et laïque qui a si bien fait ses preuves dans l'Europe d'après-guerre aurait quelques raisons d'apparaître comme un dessein d'envergure. La fidélité aux droits de l'homme, la liberté politique, la paix, une relative prospérité, le respect des autres cultures et le regard critique sur soi, n'est-ce pas là l'idéal que notre modeste continent pourrait offrir au reste du monde s'il avisait de s'en inspirer ? (...) »

M. Jean-Pierre Brard - C'est un défi pour l'auteur lui-même !

M. Antoine Herth - « Quoi qu'il en soit, c'est pour une raison de fond que la comparaison avec des sociétés différentes ne suffit plus à justifier nos modes de vie : c'est maintenant de l'intérieur que l'Occident commence à percevoir des failles que son opposition à des régimes hostiles lui avait si longtemps permis d'occulter.

« L'homme politique des républiques islamiques peut prétendre tirer sa force de ce qu'il incarne une figure de l'absolu. Le chef d'Etat nationaliste détient encore la possibilité de représenter aux yeux du peuple le génie incomparable de sa nation, entité sacrée parce que supérieure à ses membres. Le leader révolutionnaire maintenait, tant bien que mal, le sentiment d'incarner une mission sacrée. Dieu, la patrie, la révolution consacraient de grands desseins. Comment le politicien laïque et démocrate pourrait-il, en comparaison, ne pas faire figure de gestionnaire au petit pied ? »

M. Jean-Pierre Brard - Vous parlez pour vous !

M. Antoine Herth - « On lui accordera, dans le meilleur des cas, des vertus de compétence. Mais comment suffiraient-elles à justifier l'exorbitante prétention, dont il hérite avec ou contre son gré, à s'élever au-dessus du commun des mortels pour leur servir de guide ? Il ressent l'urgence de formuler un vaste projet. Mais où trouver cette " grande politique " dans un univers dont la source et l'horizon sont si bien humanisés que rien ne peut s'y élever de sacré sans contrevenir aux idéaux laïcs et démocratiques ? »

J'ai ainsi cru comprendre que cette loi est un début de réponse du ministre au philosophe. Elle vise en effet à redonner corps à cette « personne morale » qu'est notre République démocratique et laïque, et donc à donner du sens à l'action politique.

Ce message s'adresse d'abord aux Français, pour leur rappeler que les valeurs fondatrices de notre nation restent plus que jamais d'actualité. Il s'adresse aussi au monde, et affirme que là où flotte le drapeau tricolore, là s'appliquent les lois de la République.

Oui, cette loi et le débat qui l'entoure sont nécessaires. Mais je m'inscris en faux contre ceux qui prônent l'interdiction de tout signe religieux visible. Quelle contradiction entre cette surenchère réglementaire et leur attachement supposé à la préservation des libertés individuelles !

Je suis d'autant plus surpris que cette position est défendue par mon collègue Armand Jung. Il devrait pourtant se rappeler que, durant les heures tumultueuses de la Révolution, la flèche de la cathédrale de Strasbourg fut un temps coiffée du bonnet phrygien.

M. Jean-Pierre Brard - Ce n'était pas si absurde.

M. Antoine Herth - Faudra-t-il, après la prohibition des signes religieux vestimentaires, raser les clochers d'Alsace, dès lors qu'ils seraient visibles depuis la cour de l'école ? Ne tombons pas dans les excès d'une inquisition laïque qui rendrait cette loi inapplicable.

Enfin, je ne trouve aucune raison de douter que cette loi soit compatible avec le concordat en Alsace-Moselle, question qui me tient également à c_ur. Ce qui pourrait menacer le principe concordataire, ce serait un affaiblissement de l'Etat laïque. Cette loi, au contraire, renforce la souveraineté de l'Etat, et, par là même, redonne de la force au contrat qui le lie aux cultes concordataires.

Je rejoins MM. Frédéric Reiss et Emile Blessig pour souligner l'attachement des Alsaciens et des Mosellans à cet acquis historique. Ce dernier a soulevé la question de l'élargissement du concordat à l'islam, seconde religion pratiquée en Alsace. Une expérimentation pourrait alimenter la réflexion nationale, à deux conditions toutefois : les autorités religieuses de l'islam doivent prouver leur capacité de s'organiser pour devenir des interlocuteurs crédibles de l'Etat ; il me paraît ensuite indispensable que ces mêmes autorités affirment haut et fort leur engagement à appliquer la loi.

M. Jacques Barrot - Très bien !

M. Antoine Herth - Dans ces conditions seulement, un dialogue constructif sera possible.

Le débat sur l'avenir de l'école a permis une très large mobilisation. Avec ce texte, nous réaffirmons notre identité. Cette laïcité que nous proclamons pour nos écoles, c'est la garantie réelle de la liberté d'opinion, c'est le renforcement de l'égalité des chances, c'est le progrès vers une société fraternelle sans distinction de couleur de peau. Pour tout le travail accompli, je vous remercie, Monsieur le ministre, et je voterai ce texte si aucun amendement ne vient en dénaturer le sens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La discussion générale est close.

M. le Président - La discussion générale aura duré 21 heures 30, et 120 parlementaires ont pu s'exprimer. Vos interventions seront publiées dès jeudi dans un livre qui vous sera distribué.

Le président du groupe socialiste m'a fait savoir qu'il retirait la motion de renvoi en commission qu'il avait déposée. J'en prends acte.

La séance, suspendue à 17 heures 55, est reprise à est reprise à 18 heures.

M. le Président - J'appelle maintenant les articles du projet de loi dans le texte du Gouvernement.

ARTICLE PREMIER

M. Jean-Pierre Brard - J'observe que M. Lagarde n'est pas encore ici pour défendre son amendement : il va nous faire le coup de Bayrou dans la loi de finances ! Beaucoup de gestes, mais peu d'actes !

L'article premier de ce texte appelle des améliorations, comme l'a constaté la commission des lois elle-même en adoptant un amendement judicieux sur le dialogue. Mais cet article est nécessaire. La jurisprudence développée à propos de la circulaire de décembre 1989 a progressivement dénaturé l'esprit de la loi de 1905 et des autres lois de laïcité. Le principe est aujourd'hui la possibilité d'afficher des signes d'appartenance religieuse, l'interdiction étant réservée à des cas exceptionnels. La confusion est telle qu'il faut une note de plus de trois pages pour établir l'état du droit ! Certains de nos collègues, qui n'ont certainement pas lu la jurisprudence, soutiennent qu'il est superflu de légiférer. Ils ne devraient pas s'en tenir à des approximations trompeuses. Je sais qu'il est politiquement incorrect de critiquer le Conseil d'Etat, mais il faut bien reconnaître qu'il a fini par faire dire à la loi de 1905 le contraire de ce qu'elle disait ! D'où la nécessité de légiférer.

En 1994, une seconde circulaire ministérielle a posé le principe de l'interdiction, tout en autorisant les signes discrets. Le Conseil d'Etat a décidé que le ministre de l'époque s'était borné à faire connaître son interprétation de la laïcité et qu'aucune des dispositions de cette circulaire n'avait de valeur normative. Les juges ont donc maintenu leur jurisprudence, en écartant la nouvelle circulaire d'un revers de main... Mettre fin à cette situation est à l'évidence notre devoir de législateur.

Donner des orientations claires et des instruments juridiques aux chefs d'établissement ne saurait évidemment emporter un quelconque mécanisme de sanction automatique, procédé détestable. Le dialogue avec les élèves qui porteraient des signes prohibés est indispensable : il ne s'agit pas d'interdire pour interdire, mais de faire partager les principes républicains du bien-vivre ensemble. L'amendement qui prescrit le dialogue est donc une mesure de sagesse. Il faut faire comprendre à des citoyens en formation le principe de laïcité, qui n'est pas nécessairement présent dans leur patrimoine familial, et la distinction entre sphère privée et sphère publique. Le travail de pédagogie est indispensable. C'est pourquoi notre mission a préconisé la formation obligatoire des enseignants à la laïcité, et l'enseignement de la laïcité dès l'école primaire. Certains détracteurs de la loi dénoncent une man_uvre électorale. Faudrait-il différer, voire renoncer à ce texte ? Quel cadeau aux extrémistes de tous bords ! Nos concitoyens jugeraient sévèrement une attitude aussi irresponsable. Il faut donc améliorer ce texte et le voter sans retard. Mais il ne règlera pas à lui seul l'importante question de l'intégration des habitants de culture musulmane dans notre société, qui passe en particulier par le droit de vote pour les élections locales. Surtout, la liberté défendue par la loi de 1905 implique de donner aux croyants des lieux de culte. La République n'a à intervenir ni dans la théologie ni dans les rites, pourvu qu'ils respectent ses lois.

M. le Président - Merci, Monsieur Brard...

M. Jean-Pierre Brard - Mais l'islam, qui est arrivé après les autres cultes, ne dispose pas de lieux de culte dignes. Il faut régler la question de leur construction, en s'inspirant du modèle du logement social par exemple. Par l'amendement 22, je propose d'étendre le champ de la loi à tous les locaux, durant l'intégralité du temps scolaire ainsi que lors des sorties et des voyages scolaires. J'attends surtout du président de la commission des lois qu'il délimite explicitement le champ d'application de cet article.

M. le Rapporteur - Les amendements de M. Brard posent plusieurs questions différentes. M. Brard s'est d'abord demandé si cette loi était nécessaire, et il a conclu à son inutilité.

M. Jean-Pierre Brard - Comment ! Je viens de dire exactement le contraire !

M. le Rapporteur - La jurisprudence du Conseil d'Etat se fonde sur la loi d'orientation pour l'école, dite loi Jospin, de 1989, selon laquelle les élèves disposent, dans le respect du pluralisme et du principe de neutralité, de la liberté d'information et de la liberté d'expression. La Cour européenne de justice dit, elle, que l'on peut limiter les libertés pour des motifs de sécurité publique, de protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publique ou de protection des droits et libertés d'autrui. Cette liberté ne peut être limitée que par le législateur. Le Conseil d'Etat n'a donc d'autre possibilité que de juger que les signes religieux sont permis et que seul le comportement de l'élève peut pousser le chef d'établissement à en interdire certains.

Le projet de loi inverse la problématique : le signe est interdit en lui-même.

M. Jean Glavany - Pas avec le terme « ostensiblement » !

M. le Rapporteur - Nous y reviendrons plus tard.

M. Brard demande ce qu'il en est hors de l'enceinte scolaire. La réponse est dans l'exposé des motifs : l'interdiction vaut pour toute la période où l'élève est placé sous la responsabilité de l'établissement, y compris pour les activités qui se déroulent en dehors de son enceinte, comme les sorties scolaires ou les activités physiques et sportives. Le juge se reportera à l'exposé des motifs pour interpréter la loi.

M. Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche - Même avis.

M. Jean-Pierre Brard - Je suis heureux, Monsieur le Président, que vous ayez l'intention de faire éditer nos interventions. On verra que M. Clément cherche à faire croire que je suis opposé à cette loi, alors que je ne cesse de la soutenir. Mais s'il était mal parti, le président de la commission des lois a fini par prendre le bon aiguillage, sur les signaux du sémaphore Jean Glavany (Sourires). Il a précisé le champ d'application de la loi - et l'expérience montre, avec le Conseil d'Etat, que de telles précisions sont toujours utiles. Je retire donc l'amendement 22.

S'agissant de l'amendement 21, il s'explique par son texte même. L'interdiction du port d'insignes religieux dans le cadre scolaire n'a rien d'arbitraire : il tend à concilier le respect de toutes les croyances et l'accès au savoir. Cette interdiction doit donc s'appliquer, aussi, dans les établissements privés sous contrat. Adopter l'amendement éviterait d'entendre une nouvelle fois ce que la mission d'information parlementaire a entendu alors qu'elle auditionnait le principal d'un collège privé : il a expliqué sans ciller que le collège comptait tant de musulmans et tant de chrétiens - et il a fallu lui demander depuis quand, en France, on distinguait les enfants en fonction de leur appartenance religieuse.

M. le Rapporteur - Je puis comprendre que l'intervention de ce principal de collègue devant la mission d'information ait suscité votre réaction, qui tend à imposer aux établissements privés sous contrat l'idéal républicain, mais je vous rappelle que la loi Debré de 1959 mentionne explicitement « le caractère propre » de ces établissements, et les relations particulières qu'ils entretiennent avec la religion. Si cette obligation leur était faite, les établissements privés, à 95 % catholiques, seraient fondés à s'interroger sur le respect de la liberté d'enseignement. En d'autres termes, la disposition que vous proposez ne peut s'appliquer car « le caractère propre » prévu par la loi de 1959 doit être respecté. Cela n'empêchera pas que ces établissements puissent s'inspirer de la pratique en vigueur dans les établissements publics.

M. le Ministre - Avis défavorable.

M. Jean Glavany - Je ne soutiendrai pas la proposition de mon collègue Brard, mais il pose une bonne question.

M. Jean-Pierre Brard - Comme toujours ! (Sourires)

M. Jean Glavany - Comme souvent... (Sourires). Le Conseil constitutionnel a certes reconnu « le caractère propre » des établissements privés, mais il ne l'a jamais défini précisément. Or, l'une des conséquences paradoxales de cette loi est que nous allons le préciser, puisque nous établirons que les établissements privés sous contrat ont des obligations de service public... sauf celle-là. On voit bien qu'avec ce texte on a ouvert la boîte de Pandore, ce qui nous oblige à jongler en permanence, comme la mission d'information s'en était parfaitement rendu compte. Voilà pourquoi je ne prendrai pas part à ce vote.

L'amendement 21, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean-Pierre Brard - Par l'amendement 23 corrigé, je propose de rédiger ainsi l'article premier : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port apparent de tout signe d'appartenance religieuse est interdit ». Il s'agissait, pour moi, d'un amendement de repli, et je suis surpris de la place qui lui est attribuée dans l'examen des amendements, mais son importance est flagrante.

Que voulons-nous, sinon un texte clair, non susceptible d'interprétations divergentes ? Aussi bien, les conclusions de la mission Debré étaient limpides quant à l'objectif qui devait être utilisé, et le Président de notre assemblée n'a pas dû être le moins surpris par le débat sémantique qui a ensuite fait rage. Certains collègues ont dit craindre les foudres éventuelles de la Cour européenne des droits de l'homme, mais ils ont été démentis par le jurisconsulte de la Cour, auditionné par la mission. Il n'empêche qu'après que celle-ci eut tranché, par un vote à l'unanimité moins deux voix, le groupe UMP, poussé par le Président de la République, s'est transformé en un cénacle de sémanticiens...

M. Gérard Léonard - Et qu'avait dit la commission Stasi ?

M. Jean-Pierre Brard - Vous avez mal lu ses conclusions ! Mais puisque vous ne voulez pas de l'adjectif « visible », disons « apparent ». J'invite mes collègues du groupe UMP, dont beaucoup ont montré qu'ils tenaient pour leur ce patrimoine commun qu'est la laïcité, à adopter un amendement qui lèvera toute équivoque.

M. le Président - Je ne suis pas certain qu'un signe « apparent » puisse ne pas être visible...

M. Jean-Pierre Brard - Voyez où nous en sommes ! Il aurait fallu en rester à votre adjectif !

M. René Dosière - Pour l'amendement 15, nous proposons de rédiger l'article premier ainsi qu'il suit : « Dans les écoles, les collèges et les lycées publics, le port visible de tout signe d'appartenance religieuse est interdit ». Cette proposition, qui a été longuement débattue en commission, a fait l'objet de commentaires détaillés lors de la discussion générale, en particulier par Laurent Fabius. Je n'y reviendrai donc pas, sauf pour dire qu'il ne s'agit pas d'une querelle sémantique. En proposant l'interdiction des signes « visibles », nous savons être plus stricts que le Gouvernement. Mais ce faisant, nous reprenons la formulation retenue par la mission Debré, plus claire que la rédaction actuelle et qui, surtout, met toutes les religions à égalité. En l'état, le texte du Gouvernement nous paraît axé sur la religion musulmane - et nous ne sommes pas les seuls à avoir ce sentiment, puisque la hiérarchie catholique dit ne plus se sentir concernée. C'est une erreur. Quant au risque de censure, il n'est pas certain, puisque les avis des juristes de la Cour européenne des droits de l'homme divergent. Ils nous appartient donc de donner une réponse politique à un problème politique, tout en évitant que le texte ne donne lieu à des interprétations diverses, ce qui irait contre la sécurité juridique que les chefs d'établissement appellent de leurs v_ux.

M. le Président - Monsieur Brard, considérez-vous l'amendement 20 corrigé comme défendu ?

M. Jean-Pierre Brard - Non, car M. Dosière a dit qu'il n'était pas d'accord avec mon interprétation (Sourires).

Mais je m'en tiendrai à quelques phrases. Qu'avons-nous remarqué durant les travaux de la mission ? Que si la haute administration, recteurs en tête, prétendait que tout allait très bien, Madame la marquise, les chefs d'établissement, eux, appelaient au secours ! C'est pourquoi il faut légiférer clairement. J'ajoute que les sondages confirment ce que nous avons entendu lors de la mission. Il faut entendre ce que nous disent les enseignants, et pas seulement prêter l'oreille à l'écho de ce qui se dit de l'autre côté du fleuve.

Puisque nos collègues de la majorité hésitent entre différents adjectifs - ostensible, visible, apparent -, je propose de supprimer l'adjectif ou l'adverbe et d'écrire tout simplement que tout signe religieux est interdit.

Ainsi, nous mettrons fin au débat sémantique. J'ai le sentiment que vous appréciez ma proposition, Monsieur le Président...

M. le Président - Il n'y a rien de visible sur mon visage (Sourires).

M. Jean-Pierre Brard - Oh, j'ai interprété un mouvement de sourcils (Sourires). Quoi qu'il en soit, je crois que nous aurions mieux fait de ne pas nous engager dans ce débat sur les adjectifs.

M. le Rapporteur - Je veux répondre à nos différents collègues, car Dieu sait que...

Plusieurs députés socialistes - Non, pas cette expression ! Pas aujourd'hui ! (Sourires)

M. le Rapporteur - ...car tout le monde sait que nous sommes là au c_ur du débat.

Et je voudrais d'abord insister sur l'idée que le débat n'est pas sémantique, mais bien juridique et politique. Certains nous disent qu'en choisissant tel ou tel terme, on obtiendra tel ou tel résultat. En réalité, rien n'est jamais sûr en matière juridique et un justiciable qui entre au tribunal en étant sûr de gagner son procès peut fort bien en sortir en pleurant.

Cela étant, le législateur ne peut pas méconnaître les principes juridiques posés par le Conseil constitutionnel ou la Cour européenne des droits de l'homme, qui interviendra en dernière instance dans ces affaires...

Or, deux juristes sont venus dire à la mission Debré, l'un qu'avec l'adjectif « visible », il y avait un risque de censure, l'autre qu'il n'y en avait pas... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste).

Voyons donc ce que dit la convention elle-même. Que toute limitation de liberté doit, d'une part, se fonder sur une loi, d'autre part, qu'elle doit être proportionnée au but poursuivi.

Par ailleurs, le législateur est obligé de concilier deux principes contradictoires : le principe de laïcité et le principe de liberté religieuse. C'et ce qui nous pousse à ne pas radicaliser la loi sur le plan juridique. Certains peuvent vouloir aller plus loin - c'est le cas du groupe socialiste - mais je redis quant à moi que la laïcité est un concept qui a beaucoup évolué depuis cent ans et que nous sommes aujourd'hui tous d'accord pour une laïcité ouverte. Réaffirmer la laïcité, oui, mais une laïcité ouverte.

Je crois, d'autre part, qu'il y aura toujours matière à interprétation par les chefs d'établissement, quelle que soit la formulation, et que vouloir leur supprimer toute marge d'appréciation serait méconnaître leur capacité de jugement prudentiel, dans les circonstances particulières qu'ils auront à gérer.

Nous sommes nombreux ici à être fiers de cette loi, qui rappelle la laïcité républicaine. Mais cette laïcité ne doit pas être prise pour un refus du fait religieux ou de l'expression religieuse. Encore une fois, nous défendons une laïcité ouverte (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jacques Barrot - Très bien !

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Nous avons tous beaucoup travaillé sur ces questions délicates et nous avons un débat respectable. Pour sa part, le Gouvernement est convaincu que la rédaction se référant au « port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse » est celle qui conduit à un niveau de contentieux minimum et qui nous permet d'atteindre notre objectif commun.

Cela étant, le Gouvernement est prêt à donner un avis favorable à l'amendement tendant à ce qu'il soit procédé à une évaluation de ce niveau de contentieux, au fil de l'application de la loi.

Dans cette affaire, notre objectif est de donner aux chefs d'établissement et à tous ceux qui sont confrontés au problème la capacité d'affirmer leur autorité ainsi que celle de la République, et de faire ainsi respecter le principe de la laïcité (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Luc Ferry, ministre - Pour préparer ce projet, j'ai rencontré un bon millier de chefs d'établissement et longuement discuté avec leurs représentants syndicaux, du public et du privé, de droite comme de gauche...

M. Jean-Pierre Brard - Comment saviez-vous qu'ils étaient de droite ou de gauche ?

M. le Ministre - Oh, un peu d'intuition suffit... Au début de ces discussions, tous les chefs d'établissement pensaient qu'il serait plus clair d'interdire les signes religieux « visibles », mais outre les arguments juridiques de constitutionnalité et de proportionnalité, fort bien exposés par le président Clément, j'ai fait valoir que si nous interdisions les signes visibles - ce qui comprend les signes discrets -, il nous faudrait aller vérifier sur chaque pendentif, sur chaque bague, sur chaque bracelet la présence ou non d'un signe religieux (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Les chefs d'établissement ont parfaitement compris le danger.

De plus, la capacité d'inventer de nouveaux signes étant infinie, on peut très bien imaginer toutes sortes de contournements, qui obligeraient encore plus les professeurs et les chefs d'établissement à aller voir sur chaque bijou s'il comporte ou non un signe religieux. Là encore, les chefs d'établissement ont été convaincus.

M. Jean Glavany - Je remercie tout d'abord M. le Premier ministre de son esprit d'ouverture concernant l'un de nos amendements.

Je veux redire ensuite au rapporteur que la laïcité n'a pas besoin d'adjectifs. Ouverte, fermée, ancienne, moderne... Non, la laïcité, c'est la laïcité ! Et ceux qui l'affublent d'adjectifs la dévalorisent en réalité.

Enfin, je voudrais lancer un appel à tous ceux, ici, qui croient à la nécessité d'une loi : ne parlons pas de « querelle sémantique » ! Ceux qui ramènent le débat à cela veulent en réalité discréditer la loi. Ne tombons donc pas dans ce piège ! Le problème est bien juridique et politique.

Nous sommes d'accord sur l'idée que tout principe juridique fait toujours l'objet d'une interprétation et chacun sait bien que pour le même délit, le jugement sera différent d'un tribunal à l'autre. Personne ne peut donc préjuger de l'avis de telle ou telle instance. Et en vérité, nous n'avons entendu, au cours de la mission Debré, aucun argument qui nous donne à penser qu'il y ait inconstitutionnalité par rapport à la convention européenne des droits de l'homme. Le vice-président de la Cour européenne de justice nous a simplement dit que l'important était de faire une loi. Je me souviens de nombreux parlementaires qui se réjouissaient d'être à un tournant du débat, et d'enfin pouvoir légiférer.

Cet argument juridique est une argutie.

M. Gérard Léonard - Mais non !

M. Jean Glavany - Le véritable débat juridique est celui de l'applicabilité de la loi. Répondons-nous réellement aux attentes des chefs d'établissement qui ont réclamé une législation claire ? Qui sera juge de la discrétion d'un signe religieux ? Le chef d'établissement. Et de quelle manière ? Reconnaissez-le : vous opérez un arbitrage politique pour autoriser des signes religieux discrets.

Si vous n'acceptez pas le terme « visible », les mêmes questions d'interprétation se poseront à nouveau (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Bruno Le Roux - C'est vrai, ce débat est respectable, en particulier pour ceux pour qui la question n'est pas symbolique, et encore moins sémantique.

L'adjectif « visible » ne revêt pas de caractère inquisitoire. Il a, au contraire, le mérite de la clarté.

J'ai consulté les enseignants et les chefs d'établissement. Le terme « visible » recouvre la notion d'ostentation. On n'ira pas vérifier si une croix se cache dans le foulard. En revanche, à quoi pense-t-on en matière de signe ostensible ? Au seul voile.

Ces débats s'appuient sur les travaux approfondis d'une commission, qui a choisi un terme clair.

Avant de prévoir les contentieux, il faut faciliter l'interprétation de la loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

L'amendement 23 corrigé, mis aux voix, n'est pas adopté.

Les amendements identiques 15 et 20 corrigé, mis aux voix, ne sont pas adoptés.

L'amendement 24, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Raoult remplace M. Debré au fauteuil présidentiel.

PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT

vice-président

M. Daniel Garrigue - Par l'amendement 5, je propose d'étendre les dispositions du projet de loi aux enseignants et aux personnels des établissements scolaires. Que fera-t-on si, demain, une enseignante arrive voilée à son cours ?

Quant à l'amendement 4, il vise à l'interdiction des signes maçonniques.

La laïcité n'est pas une simple frontière entre la République et le religieux. Monsieur Glavany, il n'existe pas une seule conception de la laïcité. On peut défendre une laïcité de combat comme une laïcité de dialogue. La laïcité doit être protégée contre les abus, quels qu'ils soient.

M. le Rapporteur- M. Garrigue, haut fonctionnaire d'origine, devrait savoir que le statut de la fonction publique impose un devoir de neutralité. Ce principe a été confirmé en 1986 par le Conseil constitutionnel, par le Conseil d'Etat le 3 mai 2000, et par la Cour européenne des droits de l'homme en 2001. Avis défavorable à l'amendement 5.

Quant à l'amendement 4, la mission Debré, pas plus que la mission Stasi, n'ont mentionné d'abus liés aux signes que vous évoquez. Si l'on vous suit, pourquoi ne pas aller jusqu'à interdire les signes culturels. N'enlevons pas de puissance à ce texte.

M. le Ministre - Même avis.

M. Christian Bataille - Je suis rassuré par l'avis de M. Clément quant à l'amendement 4. Si l'on suivait M. Garrigue, certains travaux manuels supposant l'utilisation de l'équerre et du compas ne seraient plus possibles. Il en irait de même pour l'enseignement de la géométrie qui elle aussi a le plus grand besoin de l'équerre et du compas... (Sourires)

L'amendement 5, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l'amendement 4.

M. Hervé Mariton - Le Premier ministre l'a rappelé plusieurs fois, ce projet s'inscrit dans une démarche d'ensemble qui vise à préserver ce lieu particulier qu'est l'école. Comme l'a souligné le président Clément, la neutralité des agents du service public est une règle générale. Je ne doute pas qu'elle soit parfaitement respectée.

Ce projet ne vise donc que les élèves. Or les auditions et les analyses ont montré que le problème des signes religieux se transporte vite sur le terrain politique. Le fait générateur de ce texte, le port du voile, est une question aussi politique que religieuse.

La mission Debré, la commission Stasi et l'UMP ont suggéré une approche commune des signes religieux et politiques. Un récent sondage a montré que 72 % des enseignants sont favorables à l'interdiction des signes politiques. C'est ce que je propose dans mon amendement 3 rectifié. Il serait surprenant qu'un amendement que tout le monde approuve soit repoussé.

M. René Dosière - On l'a vu plus d'une fois !

M. Hervé Mariton - Le problème est réel, même si, le président Clément a eu raison de le rappeler, il n'a pas été spécialement évoqué au cours des travaux préparatoires.

Qu'il s'agisse de politique intérieure ou de politique internationale, nous savons que l'école peut être un lieu d'affrontement. En pareil cas, notre réglementation n'est pas suffisante. On peut invoquer les circulaires prises par Jean Zay en 1936 et 1937, mais si des circulaires suffisaient, nous n'aurions pas à débattre d'un texte législatif sur le port des signes religieux. La circulaire ne suffit pas, quelle que soit la clarté de sa rédaction.

Il y a eu, heureusement, le décret de 1976, qui était clair et aurait pu suffire. Mais est venue ensuite la loi Jospin qui mêle « neutralité » et « pluralisme » (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Outre le débat de principe, il y a des problèmes pratiques à résoudre, signes politiques et religieux étant souvent mêlés.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Mon amendement 17 vise à interdire « le port de signes ou de tenues qui manifestent ostensiblement l'appartenance ou l'engagement politique des élèves ».

Pour demeurer un espace de laïcité et de neutralité, l'école doit être préservée aussi bien du prosélytisme religieux que de la propagande politique.

Jean Zay, en 1936, a eu pour premier réflexe d'interdire les signes politiques. Sa première circulaire visait « tout objet dont le port constitue une manifestation susceptible de provoquer une manifestation en sens contraire ». Il ajoutait : « L'ordre et la paix doivent être maintenus à l'intérieur des établissements scolaires ». Sa deuxième circulaire, de 1937, a étendu l'interdiction aux signes religieux. Porter ostensiblement l'insigne d'un parti politique, porter une tenue qui symbolise le soutien à telle ou telle cause nationale, peuvent provoquer des troubles dans les établissements scolaires.

Les rapports ayant précédé le présent projet comportaient l'interdiction des signes à la fois religieux et politiques. Qu'il s'agisse des travaux de la mission Debré ou du rapport de la commission Stasi, qui proposait la rédaction suivante : « Sont interdits dans les écoles, collèges et lycées les tenues et signes manifestant une appartenance religieuse ou politique ».

Le Premier ministre a déclaré s'opposer au port du voile parce que cette pratique « prend de fait un sens politique ».

Si le Premier ministre entend interdire les signes religieux qui « prennent de fait un sens politique », alors il faut évidemment interdire les signes politiques à l'école. Mon amendement 17, qui n'interdit pas les signes politiques discrets, est compatible avec la loi d'orientation sur l'Education nationale du 10 juillet 1989, qui consacre, à son article 10, la liberté d'expression des élèves, tout en précisant que son exercice doit respecter « le principe de neutralité » et « ne peut porter atteinte aux activités d'enseignement ».

L'amendement ne fait obstacle qu'à des manifestations ostentatoires d'appartenance ou d'engagement politiques. Il n'empêche pas l'organisation de débats politiques, dans des conditions qui ne troublent pas la quiétude de la vie scolaire.

Dans le sondage que j'ai déjà cité, 72 % des enseignants se déclarent favorables à l'interdiction des insignes politiques à l'école. Nous devons être attentifs à leur message.

Je souhaite que vous votiez cet amendement pour que l'école reste un espace de concorde où les élèves apprennent à vivre ensemble.

M. le Rapporteur - M. Mariton, comme M. Schwartzenberg, ont déjà répondu à leur propre argumentation... Y a-t-il eu une seule demande d'interdiction des signes politiques par un chef d'établissement pendant les travaux préparatoires ? La réponse est non.

La circulaire de Jean Zay est-elle toujours applicable ? Le ministre a répondu par l'affirmative.

M. Hervé Mariton - Ce n'est qu'une circulaire !

M. le Rapporteur - Cela ne pose pas de problème, puisqu'elle est valable. Ce projet a une très belle finalité : réaffirmer ce principe incroyable pour le reste du monde que nous appelons « laïcité », afin que nos enfants, quelle que soit leur origine, découvrent le goût de vivre ensemble dans un lieu d'intégration privilégié, l'école. N'abîmons pas la loi en ajoutant des dispositions qui nous éloigneraient de notre but : il s'agit de faire une loi d'intégration. Ces amendements ne sont pas opportuns.

M. le Ministre - Même avis.

M. Jérôme Rivière - Beaucoup ont identifié le voile comme étant aussi un signe politique. Nombreux ont été les orateurs choqués à l'idée d'interpeller uniquement la communauté musulmane.

M. Jean Glavany - Il n'y pas de communauté musulmane. Il n'y a qu'une communauté nationale.

M. Jérôme Rivière - Adopter cet amendement montrerait que le voile peut aussi constituer un signe politique et éviterait toute provocation à l'égard d'une communauté qui n'est pas directement visée.

M. Jean Glavany - Je suis opposé à ces amendements. Le groupe socialiste a d'ailleurs changé d'avis à ce sujet.

Pourquoi prendre une disposition pour régler un problème qui n'existe pas, étant entendu que les chefs d'établissement n'ont formulé aucune demande ?

En outre, il n'est pas question de revenir sur la liberté d'expression politique des élèves.

Enfin, les chefs d'établissement sont à même de décider ce qui, sur le plan politique, est acceptable ou non. Faut-il interdire aux jeunes de porter un tee-shirt à l'effigie de Che Guevara ? Cela n'a pas de sens.

M. Hervé Mariton - Alors, c'est sans doute dans un moment d'égarement que la mission Debré, la commission, une importante formation politique ont évoqué la question des signes politiques...

Quand j'entends M. Glavany, je me dis que tout le monde est d'accord, mais sur une ambiguïté.

C'est en fait le problème de la neutralité des établissements qui est posée. Certes, la circulaire de Jean Zay existe, mais la loi doit se prononcer si l'on veut que, demain, les problèmes ne se multiplient pas.

L'amendement 3 rectifié, mis aux voix, n'est pas adopté, non plus que l'amendement 17.

M. Edouard Balladur - Il est selon moi légitime de réglementer le port des signes religieux à l'école.

Le principe du texte proposé est incontestable, mais encore faut-il qu'il puisse être clairement mis en _uvre et que la liberté de conscience soit pleinement respectée. Il me semble dès lors que le texte doit être précisé.

En effet, le chef d'établissement devra apprécier le caractère ostensible des signes religieux. Il appartiendra ensuite au juge de vérifier le bien-fondé de sa décision, mais il le fera en appliquant les principes relatifs à la liberté de conscience, qui sont supérieurs à la loi. Je pense à l'article 10 de la déclaration des droits de l'homme et à l'article 9 de la convention européenne des droits de l'homme qui précisent que la liberté de religion ne peut être contrainte que si la protection de l'ordre le justifie. L'amendement 1 corrigé proposé donc de rendre la loi incontestable en précisant que l'interdiction du port de signes religieux est légitime dès lors qu'ils sont de nature à troubler le bon ordre de l'établissement.

Cet amendement permet en outre de tenir compte des conditions locales, variables selon les territoires. Je note d'ailleurs que, concernant les établissements français à l'étranger, le texte prévoit des décrets en Conseil d'Etat.

Cet amendement permet également de proportionner l'interdiction aux circonstances de fait. Pourquoi faudrait-il interdire là où aucun problème ne se pose ?

Enfin, il n'introduit aucune insécurité juridique, l'intervention du juge, dans une société libre, étant au contraire un élément de sécurité.

M. le Rapporteur - Monsieur le Premier ministre, chacun d'entre nous ne peut que comprendre et approuver la finalité de cet amendement. Cependant (Rires sur divers bancs), nous avons vécu, depuis des années, des situations où l'exclusion d'une élève était tantôt confirmée, tantôt infirmée par le juge administratif. Les droits locaux, comme disent les chefs d'établissement, se sont multipliés. Or, aujourd'hui, enfin, nous avons collectivement le courage de proposer une loi. Mais si l'on rajoute comme vous le proposez une variable supplémentaire, Volens nolens, nous reviendrions à la situation antérieure.

En outre, vous vous êtes appuyé sur la convention européenne des droits de l'homme et sur l'article 10 de la déclaration des droits de l'homme. Or, ce dernier précise que nul ne doit être inquiété pour ses opinions religieuses pourvu que leurs manifestations « ne troublent pas l'ordre public établi par la loi. » C'est précisément ce que nous allons faire : établir la loi qui définit l'ordre public.

Vous voulez que le respect de l'autre soit tel qu'il y ait toujours une proportionnalité. Je crains que cela finisse par nous faire manquer notre objectif.

M. Jean-Pierre Brard - C'est dur, Monsieur Balladur, d'avoir des amis !

M. le Ministre - Avis défavorable.

M. Pierre-Christophe Baguet - Le groupe UDF votera cet amendement. Laisser aux chefs d'établissement, sous le contrôle du juge, le soin d'apprécier si les signes sont ostensibles ou non permet d'introduire quelque humanité dans un texte empreint d'une certaine brutalité, qui ne sied pas aux situations complexes qui sont concernées. Nous aurions préféré que ce pouvoir d'appréciation revienne au recteur, mais le traitement au cas par cas est de toutes les façons souhaitable. Les cas de voile qui ont réellement posé problème se comptent sur les doigts ! Une loi ne semblait donc pas nécessaire. Enfin, cet amendement est conforme à l'article 10 de la déclaration des droits de l'homme selon lequel nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leurs manifestations ne troublent pas l'ordre public. Il rappelle à chacun le respect de la loi. Il se situe d'ailleurs dans le même esprit que le prochain amendement que la commission des lois va présenter.

L'amendement 1 corrigé, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. le Rapporteur - L'amendement 8, deuxième rectification, est déposé par la commission des lois, mais je préfère le laisser présenter par ceux qui l'ont largement inspiré, M. Dosière et M. Léonard.

M. Jean Glavany - J'ai entendu un orateur reprocher à cet amendement d'exprimer une méfiance à l'encontre de la communauté éducative. C'est tout le contraire. Nous savons que 95 % des contentieux sont aujourd'hui réglés par les chefs d'établissement et les équipes pédagogiques, qui arrivent, par le dialogue et la pédagogie, à convaincre les jeunes filles de retirer leur voile à l'entrée de l'établissement. L'amendement 8, deuxième rectification, rend ce dialogue obligatoire pour les rares qui se réfugieraient derrière la loi pour exclure des élèves arbitrairement. Il est très important de donner ce signe et nous remercions la commission et le Gouvernement d'avoir accepté cette proposition.

M. Gérard Léonard - Ce souci de dialogue apparaît très clairement dans l'exposé des motifs. Si j'insiste pour l'inscrire dans le corps de la loi, c'est pour épauler les chefs d'établissement. A cet égard, Guy Geoffroy, ancien proviseur, a souligné l'importance d'utiliser le terme « rappelle » dans cet amendement : « Le règlement intérieur rappelle que la mise en _uvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec l'intéressé ». Le dialogue s'instaure généralement, mais il doit être prévu par la loi, ne serait-ce que pour protéger le proviseur des critiques quant à la procédure qu'il suit.

M. le Rapporteur - La commission des lois a été sensible à cette volonté de dialogue, d'autant plus opportune que ce texte se veut une loi d'apaisement. En ce qui concerne le terme « rappelle », le débat en commission a souligné que le règlement intérieur ne pouvait ni rester en deçà ni aller au-delà de la loi. Il ne peut que la reprendre mot à mot. J'ai lu dans un quotidien que le règlement intérieur pourrait adapter la loi : il n'en est pas question ! Il rappelle ses dispositions.

Par ailleurs, je voudrais proposer une rectification orale : le règlement intérieur rappellerait que la mise en _uvre d'une procédure disciplinaire est précédée d'un dialogue avec « l'élève », et non avec « l'intéressé ».

M. le Président - Il s'agit donc de l'amendement 8, troisième rectification.

M. le Ministre - Avis favorable.

M. Pierre-Christophe Baguet - Pourrait-on envisager de préciser qu'il s'agit d'un dialogue avec l'élève « et sa famille » ? (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Elle est souvent directement concernée, et doit intervenir dans la procédure d'exclusion.

M. le Rapporteur - La famille en question, la plupart du temps, comprendra mal le français ; c'est en tout cas ce qu'elle prétendra. Il faudra donc des interprètes, et des juristes... On passerait du dialogue à la confrontation ! Or, nous ne voulons pas d'un texte de contrainte, mais de pédagogie. Le but est d'expliquer, avec le plus de gentillesse et de force de conviction possible, à une élève ce que c'est que vivre ensemble, ce que c'est que la tolérance. Face à dix personnes, ce n'est plus possible ! L'école est un lieu de formation. Il n'y a plus de pédagogie possible devant le rassemblement que vous voudriez organiser.

M. Jean-Michel Dubernard, président et rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales - Sans vouloir empiéter sur le terrain du président de la commission des lois, je rappelle qu'il n'y a pas de définition juridique de la famille...

L'amendement 8, troisième rectification, mis aux voix, est adopté.

L'article premier modifié, mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ARTICLE PREMIER

M. Jean-Pierre Brard - Evoquer les questions religieuses avec les jeunes mène rapidement à un constat d'ignorance sans ambiguïté. Cet analphabétisme religieux est une des causes des difficultés que nous rencontrons. L'ignorance mène à la méfiance, à l'hostilité, voire à la haine. Il est donc nécessaire de passer, comme le dit Régis Debray, d'une laïcité d'incompétence - au sens juridique du terme - à une laïcité d'intelligence.

La laïcité d'incompétence emporte qu'on ne parle pas de religion à l'école parce qu'elle divise, et que l'école doit unir. La laïcité d'intelligence veut permettre aux élèves de comprendre leur propre histoire et celle des autres. Elle propose, dans la sphère publique, une vision objective et scientifique du religieux : il s'agit d'apprendre des chronologies, le sens des fêtes des différentes religions, sans entrer dans le domaine de la croyance. Il ne s'agit pas de juger une religion, mais d'exposer ce qu'elle a de différent des autres : ses dogmes, sa théologie, sa géographie, son histoire. Il s'agit non plus de culte, mais de la culture que chacun doit posséder pour devenir un citoyen instruit. Voilà pourquoi, par l'amendement 19, je propose d'introduire l'enseignement du fait religieux dans les programmes.

M. le Rapporteur - Je partage votre opinion sans réserve, mais une telle disposition n'a pas sa place dans un texte que nous avons voulu fortement symbolique et, pour cela, le plus ramassé possible. Retirez l'amendement, contre lequel il me déplairait de voter : je ne doute pas que votre proposition sera reprise dans un prochain texte.

M. le Ministre - Je suis d'accord avec l'objectif visé. J'ai d'ailleurs introduit dans les programmes, en 1996 et 1997, le renforcement de l'enseignement des religions, et signé le décret créant l'institution que préside M. Debray. Il nous reste à améliorer la formation des enseignants. Nous y travaillons, mais ces dispositions sont d'ordre réglementaire.

M. Jean Glavany - Je suis favorable à la disposition proposée par M. Brard mais, aurait-elle été examinée que je l'aurais sous-amendée car il faut aussi renforcer l'enseignement de l'histoire de la laïcité, et de sa signification.

M. Jean-Pierre Brard - Je partage bien sûr ce point de vue, et j'espère que l'ouvrage collectif à paraître sur nos débats sera bien publié. Je retirerais l'amendement, si le ministre prenait l'engagement que nous reviendrons sur le sujet lors de l'examen de la loi d'orientation. Ainsi passerons-nous de la laïcité d'incompétence dénoncée par Régis Debray à la laïcité d'intelligence que nous appelons tous de nos v_ux.

M. le Ministre - Je prends l'engagement que le renforcement de l'enseignement de la laïcité figurera, à coup sûr, dans le projet de loi d'orientation.

M. Jean-Pierre Brard - Ainsi soit-il ! (Sourires) L'amendement est retiré.

ART. 2

M. René Dosière - Chacun s'est accordé à dire que la laïcité est au c_ur de l'identité républicaine. Pourtant, le texte ne s'appliquera pas en Polynésie française au motif, nous dit-on, que ce territoire a un statut d'autonomie. Je souhaite que la navette donne l'occasion de reconsidérer cette position, car le contenu des programmes continue de dépendre de la métropole, et l'autonomie ne peut justifier une dérogation aux valeurs républicaines.

M. le Rapporteur - Les amendements 26 et 25 sont rédactionnels.

Les amendements 26 et 25, acceptés par le Gouvernement, successivement mis aux voix, sont adoptés.

L'article 2 ainsi modifié, mis aux voix, est adopté.

ART. 3

M. Jean-Pierre Brard - Le président Alain Bocquet va se trouver devoir, la semaine prochaine, exprimer la position commune d'un groupe qui n'en a pas... Comme nous en arrivons au terme de ce débat, je tiens à expliquer la mienne. Pour moi, la laïcité est la balise cardinale de l'ordre républicain, et il fallait en réaffirmer le principe dans une rédaction claire écartant toute interprétation. Mais, en France, de par la loi de 1905, laïcité et liberté de cultes sont complémentaires. C'est dire que chacun doit avoir un droit égal à la pratique religieuse, et que cela vaut, aussi, pour la deuxième religion de France. Tous les fidèles doivent pouvoir pratiquer leur culte dans des conditions dignes, et des dispositions législatives doivent être prises à cette fin, dans le respect de la loi de séparation des églises et de l'Etat et en proscrivant clairement tout financement étranger. Il convient enfin, je l'ai dit, de combattre l'analphabétisme religieux.

Avec de telles dispositions, le législateur ouvre des perspectives, mais l'on sait bien que la loi ne règle pas tout. Le champ de la laïcité est beaucoup plus vaste que celui auquel il est circonscrit ici - et c'est pourquoi je m'associerai à l'amendement déposé par le groupe socialiste à propos du titre de la loi. Il est d'autres secteurs, dont celui de la santé, où la laïcité doit être réaffirmée avec force, car elle n'est pas négociable dans tout le champ public.

L'article 3 mis aux voix, est adopté.

APRÈS L'ART. 3

M. Jérôme Rivière - Par l'amendement 7, je propose d'introduire dans le texte une sanction pénale. Ainsi évitera-t-on qu'il ne soit purement déclaratif. Cette disposition permettra aussi de satisfaire M. Glavany, qui s'inquiétait que le chef d'établissement soit seul juge du caractère « ostensible » du port de signes religieux...

M. Jean Glavany - Je suis rassuré que vous m'ayez aussi mal compris...

M. Jérôme Rivière - L'amendement est très mesuré...

M. Jean Glavany - Et comment !

M. Jérôme Rivière - ...puisqu'il ne prévoit qu'une contravention de cinquième classe. De plus, si les enfants concernés sont mineurs, il reviendra à leurs parents de payer la sanction, ce qui les rappellera à leurs responsabilités. Surtout, nous plaçons ainsi les enfants sous la protection de la justice : s'ils apparaissent manipulés par leur famille, toutes les dispositions légales qui constituent l'aide à l'enfance pourront être appliquées. A ces divers titres, l'amendement renforcerait le texte.

M. le Rapporteur - La commission n'est pas d'accord, pour des raisons à la fois de fond et de forme.

Si le Gouvernement a souhaité que ce projet soit voté maintenant, c'est parce qu'il souhaite que les six mois nous séparant de la prochaine rentrée scolaire soient mis à profit par les chefs d'établissement pour, d'une part, intégrer la loi dans les règlements intérieurs, d'autre part, mener un travail de pédagogie en direction des enseignants et des élèves. Si vous ajoutez à la loi une sanction financière, vous faites disparaître tout cet aspect pédagogique et c'est alors tout l'esprit de la démarche qui est atteint.

J'ajoute qu'une contravention de cinquième classe, c'est par exemple le fait de donner la mort à un animal domestique. Nous sommes donc là juste avant le délit, ce qui me semble quelque peu disproportionné.

M. le Ministre - On ne peut pas faire passer deux symboles en même temps... Si nous faisons le pari du dialogue et de la pédagogie - j'indique d'ailleurs que nous proposerons bientôt un guide de la laïcité républicain -, nous ne devons pas ajouter une sanction pénale. Cela brouillerait le message.

M. Jérôme Rivière - Je voudrais respectueusement dire au président de la commission des lois qu'une atteinte à la dignité humaine me paraît une infraction plus grave que de donner la mort à un animal domestique. Je ne vois donc pas où est la disproportion. J'ajoute que si un élève écrit dans le journal du lycée que tel professeur est incompétent, on considère qu'il s'agit là d'une injure, et donc d'un délit, ce qui nous met bien dans le domaine pénal.

M. Mansour Kamardine - Nous parlons ici d'école et donc d'enfants, de mineurs... Et voici que certains voudraient les faire comparaître devant une juridiction ! Je crois que l'opinion se poserait des questions si nous adoptions un tel amendement.

Et je ne vois pas pourquoi on prévoirait une sanction pénale, alors qu'il existe déjà des sanctions administratives telles que la suspension de l'accès aux cours.

M. le Rapporteur pour avis - Très bien !

L'amendement 7, mis aux voix, n'est pas adopté.

M. Jean Glavany - Puisque nous ne sommes pas arrivés à vous convaincre que la formulation que vous avez choisie ne changera quasiment rien à la situation et qu'il aurait mieux valu écrire « visibles », nous proposons dans l'amendement 27, de repli, que la loi fasse l'objet d'une évaluation un an après son entrée en vigueur. C'est ainsi la réalité qui vous convaincra.

J'ai cru comprendre que le Premier ministre était favorable à cet amendement et je m'en réjouis, car nous faisons là un pas vers un consensus.

M. Charles Cova - Un tel amendement risque de dévaluer la loi.

M. le Rapporteur pour avis - La question a été abordée en commission des affaires sociales et j'avais alors engagé mes collègues à exercer un suivi de la loi et à se donner rendez-vous dans un an pour en évaluer l'impact. A titre personnel, je suis donc favorable à cet amendement.

M. le Rapporteur - J'ai également un avis favorable, car nos commissions permanentes sentent bien que le rôle du législateur ne peut se limiter au vote de la loi et que celui-ci a vocation aussi à s'intéresser à son application - nous examinerons d'ailleurs prochainement une proposition de loi de M. Warsmann sur ce thème. L'évaluation des lois est donc appelée à se généraliser au niveau de toutes les commissions.

Dans le cas particulier qui nous occupe, personne ne peut être sûr d'avoir raison. Le chef de l'Etat et le Gouvernement ont fait un choix. C'est un choix politique dont nous souhaitons tous qu'il facilite les choses sur le plan pratique. Et je trouve M. Glavany un peu sévère quand il estime que le présent projet ne changera rien à la situation sur le terrain. Nous avons tout de même inversé la logique qui prévalait jusqu'ici, puisque les signes religieux étaient permis et qu'ils seront à l'avenir défendus.

Nous examinerons ensemble les contentieux qui surviendront peut-être et nous verrons alors s'il y a lieu d'amender la loi. Dans cet esprit, je m'engage à présenter un rapport sur les éventuels contentieux administratifs et à déposer, s'il le faut, une proposition de loi. Au bénéfice de cet engagement, je souhaite que nous puissions tous voter cet amendement, qui est le fruit d'un travail commun.

M. le Ministre - J'ai un avis favorable sur l'amendement 27 mais contrairement à M. Glavany, je ne pense pas que l'évaluation nous permettra de savoir qui avait raison. Une démarche scientifique rigoureuse exigerait en effet que l'on fasse deux lois et que l'on voit laquelle produit le plus de jurisprudence (Sourires).

M. Gérard Léonard - Je voterai l'amendement, mais pas parce qu'il faudrait, dans un an, procéder à une sorte d'examen de rattrapage après que nous eussions adopté un texte inconsistant et difficile à mettre en _uvre. Non, je le voterai, car le développement d'une culture de l'évaluation est une très bonne chose et parce qu'il est normal qu'existe, en ces domaines, une part de doute, lequel est tout à notre honneur.

L'amendement 27, mis aux voix, est adopté.

TITRE

M. René Dosière - J'avais déposé un amendement 14 afin de préciser un peu la portée du projet, la laïcité ne se résumant pas à nos yeux à la limitation du port de signes religieux. La commission l'ayant repoussé, je présente l'amendement 14 rectifié qui me semble plus susceptible de recueillir l'avis favorable de la commission des lois. Je propose donc ce titre : « Projet de loi relatif au port de signes religieux dans les écoles, collèges et lycées publics en application du principe de laïcité ».

M. le Rapporteur - Fondamentalement, les députés socialistes ont raison. Le titre du texte gouvernemental - Application du principe de laïcité dans les écoles, collèges et lycées publics - peut laisser craindre que le principe de laïcité se résume au seul contenu de ce projet.

Si M. Dosière était d'accord, je proposerais cette formulation : « Projet de loi, encadrant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse, dans les écoles, collèges et lycées publics ».

M. Pierre-Christophe Baguet - Je préfèrerais : « Projet de loi relatif au port de signes ou de tenues dans les écoles, collèges et lycées publics, en application du principe de laïcité ».

M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Les titres les plus courts sont les meilleurs. L'adjectif « relatif » suffirait, car il n'est pas utile de décrire la loi dans le titre (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Daniel Garrigue - Ce débat est révélateur des lacunes du projet de loi qui se limite aux seuls signes religieux.

M. Emile Blessig - La notion d'établissement public d'enseignement englobe les universités...

M. René Dosière - Cette version a été corrigée.

M. le Rapporteur - Je formule une dernière proposition : « Projet de loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges, et lycées publics ».

M. Gérard Léonard - C'est indigeste, mais clair.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg - La référence au principe de laïcité ne me paraît pas nécessaire. Il suffit de faire référence au port de signes religieux.

M. le Rapporteur - Si l'on supprime la référence à la laïcité, on fait une loi uniquement répressive, sans aucune noblesse républicaine.

M. Antoine Herth - Il est en effet essentiel de maintenir la référence à la laïcité.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg - Pourquoi ne pas raccourcir en parlant d'établissements scolaires publics ?

M. le Ministre - Les écoles ne sont pas des établissements...

M. René Dosière - J'approuve la nouvelle rédaction.

M. le Ministre - J'y suis favorable.

L'amendement 14, 2ème rectification, mis aux voix, est adopté.

M. le Rapporteur - Je remercie M. Gérard Léonard pour sa précieuse participation, et M. Dosière dont les lumières nous ont été salutaires (« Très bien ! » sur de nombreux bancs).

M. le Président - Conformément à la décision de la Conférence des présidents, les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble du projet de loi auront lieu le mardi 10 février, après les questions au Gouvernement.

Prochaine séance, ce soir, à 22 heures.

La séance est levée à 20 heures 30.

              Le Directeur du service
              des comptes rendus analytiques,

              François GEORGE

Le Compte rendu analytique
est disponible sur Internet
en moyenne trois heures après la fin de séance.

Préalablement,
est consultable une version incomplète,
actualisée au fur et à mesure du déroulement de la séance.

www.assemblee-nationale.fr


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