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Assemblée nationale
COMPTE
RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL
Session ordinaire de 2003-2004 - 87ème jour de séance, 215ème séance 1ère SÉANCE DU MERCREDI 12 MAI 2004 PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ Sommaire SOUHAITS DE BIENVENUE QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2 RÉMUNÉRATION DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISE 2 PERSPECTIVES DE CROISSANCE 3 DÉCENTRALISATION DE LA GESTION DU PERSONNEL NON-ENSEIGNANT DE L'ÉDUCATION NATIONALE 4 SÉCURITÉ ROUTIÈRE 4 CORSE 5 LOI SUR LA SAUVEGARDE DES ENTREPRISES 5 PRÉCAUTIONS CONTRE LES CANICULES 6 LIAISON FERROVIAIRE LYON-TURIN 7 LUTTE CONTRE L'INSÉCURITÉ 7 OUVERTURE DES MAGASINS LE DIMANCHE 8 SÉCURITÉ ROUTIÈRE 8 INDUSTRIE TEXTILE 9 AUTONOMIE FINANCIÈRE EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 16 La séance est ouverte à quinze heures. SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE DÉLÉGATION ÉTRANGÈRE M. le Président - Nous attachons tous une grande importance à l'approfondissement de la coopération entre l'Assemblée nationale et le Bundestag. Douze de nos collègues députés allemands sont aujourd'hui à l'Assemblée nationale. Ils assistent à notre séance et je suis particulièrement heureux de leur souhaiter en votre nom la bienvenue (Mmes et MM. les députés et les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent). L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement. RÉMUNÉRATION DES DIRIGEANTS D'ENTREPRISE M. Jacques Desallangre - Pour les pairs du baron Seillière le bonheur est à portée de stock-options ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Leurs indemnités peuvent donner le tournis aux chômeurs recalés de l'ASS. Les anciens salariés de Woerth, licenciés en raison de l'incompétence de leurs dirigeants, seront ravis d'apprendre que leur sacrifice a permis à leur patron, Edouard Michelin, d'augmenter son salaire de 146 % en 2003. Sa rémunération annuelle doit aujourd'hui correspondre à celle de 400 salariés ! Dominique Ferrero, ex-directeur général du Crédit agricole, remercié après l'OPA sur le Crédit lyonnais, a touché 6 millions de prime de départ, 4 millions de stock-options et un golden parachute de 2 millions ! M. Rodier, ex-président de Pechiney, dispose pour sa retraite de 10,5 millions, soit 700 années de salaire d'ouvrier qualifié ! M. Tirouflet, ancien PDG de Rhodia, a touché, après dix mois de travail, 3,4 millions pour avoir échoué dans sa mission ! Le PDG d'Aventis, président du directoire pendant deux ans seulement, touchera en tout 30 millions d'euros, en toute légalité ! C'est non seulement insupportable, mais écoeurant si l'on se souvient que l'ASS est fixée à 400 € par mois ! Quand ces pratiques qui donnent la nausée et offensent la morale vont-elles cesser ? M. le Président - Merci, Monsieur Desallangre... M. Jacques Desallangre - Le Gouvernement acceptera-t-il d'étudier ma proposition, selon laquelle l'assemblée générale fixerait la rémunération du patron en se basant sur le salaire le plus faible versé dans l'entreprise ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste) M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Nous avons débattu de cela il y a environ un an, avec la loi sur la sécurité financière. Nous avions alors convenu que la transparence était la meilleure réponse et défini une politique pour y parvenir, combinant obligations légales et normes professionnelles. Cette politique porte ses fruits. Les Français peuvent aujourd'hui connaître les rémunérations des patrons des entreprises du CAC 40 (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). La comparaison amène progressivement les chefs d'entreprise à une certaine régulation (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Certaines de ces rémunérations sont en effet très élevées. Il faut être vigilant. La commission des lois de l'Assemblée travaille sur cette question, et contribue à créer une dynamique positive. Un de vos collègues communistes y participe. Je serai très attentif aux conclusions de la mission lorsqu'elles seront connues. Je voudrais rappeler que les rémunérations sont décidées par les conseils d'administration sous le contrôle des assemblées générales d'actionnaires (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Ce fonctionnement me paraît logique. Par ailleurs, il faut envisager cette question dans une perspective internationale. Elle ne peut être réglée à l'intérieur d'un seul pays. M. Jean-Michel Fourgous - L'INSEE vient de publier les chiffres de la croissance française du premier trimestre : 0,8 %. Nous nous réjouissons de ce résultat, mais ne nous satisferons pas d'une croissance due à une conjoncture internationale favorable. Nous souhaitons établir les conditions d'une croissance durable, plutôt que de continuer à être à la remorque des Etats-Unis. La France doit établir elle-même les conditions de sa croissance, et c'est ce à quoi tendent les mesures intelligentes et réalistes prises par le Gouvernement. Je relève à ce propos qu'on entend souvent parler de socialisme et de libéralisme, mais il me paraît plus judicieux de se soucier de réalisme ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP) L'économie répond à des règles. Il faut les respecter pour obtenir de la croissance. Les discours incantatoires des hommes politiques n'ont aucun impact (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). En matière d'économie, on ne commet pas impunément des erreurs. Les 35 heures, mesure démagogique, ont ainsi cassé la croissance (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste). Elles ont mis à mal la sécurité sociale, en lui prélevant 15 milliards dans des conditions scandaleuses ! Revenons aux fondements de l'économie (« Et les salaires des patrons ? » sur les bancs du groupe socialiste). Ce sont des choses très simples qui font la croissance. Il faut stimuler le travail : c'est fait. L'investissement aussi, même si c'est perfectible. Il faut promouvoir l'innovation et la formation des salariés, et c'est fait aussi. Comment comptez-vous alors transformer cette brise qui s'annonce en souffle pour l'avenir de la France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Selon une dépêche de l'AFP sur les estimations de l'INSEE, la croissance serait de retour, (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) les économistes n'en croient pas leurs yeux. Qu'ils écoutent le Gouvernement ! Cela fait des mois que nous l'annonçons, et que nous disons que le toboggan de la croissance s'est arrêté à la fin du premier semestre 2003 ! Nous avons atteint le sommet en l'an 2000. Puis, le bilan de nos prédécesseurs nous a conduits à une rupture (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; protestations sur les bancs du groupe socialiste). 4 % en 2000, 2 % en 2001, 1 % en 2002 : cela ne se discute pas ! Des chiffres divisés par deux chaque année, voilà le bilan des socialistes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). Naturellement, la croissance repart en 2003 (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Je ne fais qu'exprimer des vérités ! Je n'ai pas fait l'ENA, je cite les chiffres que les experts me donnent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Je reconnais qu'il est rare de dire à un Gouvernement que ses prévisions de croissance sont peut-être pessimistes. M. Jean Glavany - Regardez donc mes statistiques ! M. le Premier ministre - Pourtant, l'INSEE me dit que la France fait un demi-point de plus que la zone euro ! Malgré tout cela, je ne suis pas satisfait. Je veux que la mobilisation continue, car la croissance n'a de sens pour nous que si elle est riche en emplois. Le Gouvernement persiste dans son action pour la création d'emplois, (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) la revalorisation du travail - et notamment celle du SMIC, de 5 %, au 1er juillet ! - (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) la création d'entreprises, la relance de la consommation et le développement des investissements. Voilà une politique cohérente, et ses fruits commencent à apparaître. La grande différence avec vous, c'est que nous voulons les partager avec les Français (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). DÉCENTRALISATION DE LA GESTION DU PERSONNEL NON-ENSEIGNANT Mme Françoise Imbert - Monsieur le Premier ministre, vous avez confirmé le transfert aux régions et aux départements de la gestion du personnel non-enseignant de l'éducation nationale. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Les présidents de ces collectivités vous ont rappelé leur opposition à ce transfert, au nom du principe de l'unité du service public de l'éducation nationale. Ils vous ont fait connaître leurs craintes sur les modalités de compensation et sur la répartition du personnel au sein des collectivités. Vous leur avez répondu avec la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, mais vous savez bien qu'elle n'apporte aucune garantie financière, pas plus d'ailleurs que le projet de loi organique sur l'autonomie financière des collectivités territoriales ne garantit leur autonomie. En Midi-Pyrénées par exemple, le transfert, qui concernerait 150 lycées, générerait en quelques années une augmentation de la fiscalité régionale de près de 30 % (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). En outre, en stoppant le plan pluriannuel de recrutement de l'éducation nationale, le Gouvernement crée des déficits d'emploi. C'est surtout les manques d'effectifs qu'il compte mettre à la charge des régions et départements ! Il impose aux collectivité de titulariser des agents en contrat emploi solidarité. Personne n'est dupe. En fait, vous transférez les déficits de l'éducation nationale. Monsieur le Premier ministre, allez-vous enfin retirer de la loi sur les responsabilités locales le transfert d'une catégorie entière de personnel ? Allez-vous enfin en finir avec le démantèlement du service public, qui a pour résultat l'augmentation de la taxe d'habitation tandis que l'Etat baisse l'impôt des plus riches ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP ; applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur - Je vous trouve bien sévère. Nous avons ouvert depuis deux ans le chantier de la décentralisation avec une idée simple : celle de renforcer l'efficacité publique, et pour cela d'aller au plus près du terrain. Notre devoir est de poursuivre ce travail, avec un principe simple : celui de garantie. Et ce n'est pas un mot en l'air. Car nous avons fait quelque chose qui tranche avec le passé, et notamment avec votre période. Nous avons modifié la Constitution pour que certains aspects choquants des transferts de compétences ne se produisent plus jamais. Pour nous l'idée de garantie se traduit en termes de transparence : il n'y aura pas une compétence transférée sans que l'accompagne la ressource correspondante, à l'euro près (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Des garanties pour l'autonomie financière, nous débattrons dans quelques instants avec la loi organique. Enfin, pour les personnes qui vont passer de l'Etat aux collectivités locales, la garantie réside dans le libre choix : chacun choisira d'aller dans la fonction publique territoriale ou de conserver sa situation actuelle. Ce libre choix est aussi une manière de travailler à la modernisation du pays. Je comprends que vous exprimiez quelques inquiétudes : comme nous, vous avez été choqués, du temps où l'on pouvait créer une allocation pour les personnes âgées, qu'on demande aux départements de la payer, et ne jamais donner un euro pour cela... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Les temps ont changé. Grâce au verrou de la Constitution, ce genre de choses n'arrivera plus ! (Mêmes mouvements) M. Rudy Salles - Les Français, de quelque bord qu'ils soient, ne peuvent que se réjouir des résultats spectaculaires obtenus par le Gouvernement en matière de sécurité routière. De huit mille morts sur la route en 2001, la France est passée à cinq mille en 2003. Même si ce chiffre reste trop élevé, Monsieur le ministre de l'équipement, il montre l'efficacité des moyens que vous avez mis en _uvre : campagnes d'information et de responsabilisation, systèmes de contrôle et de sanction. Mais la route tue encore trop. La presse a récemment relaté plusieurs accidents graves dus à l'alcool. Vous avez contribué à faire évoluer les mentalités quant à la vitesse : il faut faire de même sur les risques liés à l'alcool. Quelles mesures envisagez-vous en ce sens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer - En effet l'alcool tue au volant : ce sont 1 000 à 1 500 personnes chaque année qui pourraient rester en vie si l'on respectait les règles de la loi de juin 2003. Celle-ci a considérablement renforcé les mesures contre l'alcool au volant. Encore faut-il qu'elle soit respectée. Pour y aider, j'ai décidé de lancer avant l'été l'opération « l'éthylotest à un euro », avec les pharmaciens et leurs syndicats, les distributeurs et les grossistes. Les personnes qui ont fait un bon repas pourront aisément s'assurer si elles sont en état de conduire : il leur suffira de déplier ce petit sachet, de souffler dedans (M. le ministre joint le geste à la parole) et de s'assurer que le tube reste vert (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP). M. le Président - Si vous pouvez m'en donner 577, nous ferons le test à la sortie de l'hémicycle ! (Rires) M. Camille de Rocca Serra - Malgré ses indéniables atouts, Monsieur le ministre de l'Intérieur, la Corse souffre encore d'actes violents. Son développement reste handicapé par ces dérives. Sans la mobilisation de tous les Corses, mais aussi de l'Etat, elle ne pourra connaître un développement économique à la hauteur de ses légitimes ambitions. Le Gouvernement a ouvert depuis deux ans différents chantiers en matière économique, sociale et culturelle. L'installation d'une nouvelle Assemblée de Corse, la désignation de nouveaux exécutifs à la tête de la collectivité territoriale et des deux départements doivent donner un nouveau souffle à l'action publique. Votre déplacement en Corse quelques jours après votre prise de fonctions a montré votre attachement à notre île. Quelle politique le Gouvernement entend-il conduire pour que la Corse s'engage résolument dans la voie du développement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Je suis en effet attaché à la Corse, et à sa place dans la République. Notre règle, c'est la fidélité et la volonté. Et d'abord dans la lutte contre la violence et les dérives maffieuses, d'où qu'elles viennent. Car il n'y aura pas en Corse de développement sans sécurité, et pas de sécurité sans respect de l'autorité de l'Etat. Fidélité et volonté encore dans l'action au service du développement. L'Etat tiendra tous ses engagements. La loi de 2002 sera appliquée pour le financement du programme exceptionnel d'investissements et la ligne budgétaire unique, ainsi que pour la mise en _uvre de la convention relative à la langue corse. J'entends agir au service de la Corse et des Corses pour compenser les handicaps liés à l'insularité, et prendre en compte les spécificités, y compris culturelles, de l'île - avec le plan de relance de l'agriculture et de désendettement des agriculteurs ; avec la convention entre l'Etat, la collectivité territoriale et l'université de Corte ; avec des politiques d'aménagement du territoire qui soutiendront l'économie, le tourisme, l'artisanat ; avec des actions valorisant l'image de l'île et son attractivité. C'est un vrai partenariat que nous allons construire avec la collectivité territoriale, les conseils généraux et les communes, c'est-à-dire les institutions démocratiques qui représentent la population corse. Vous avez formulé avec les élus corses de nombreuses propositions : le Gouvernement sera à vos côtés pour les mener à bien. Je reviendrai prochainement à Ajaccio et à Bastia (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). LOI SUR LA SAUVEGARDE DES ENTREPRISES M. Philippe Houillon - Monsieur le Garde des Sceaux, le Conseil des ministres a adopté ce matin votre projet de loi de sauvegarde des entreprises, qui vient opportunément réformer le redressement et la liquidation judiciaire. Les textes actuels ont montré leurs limites, notamment pour la préservation de l'emploi. En effet, quelque 90 % des dépôts de bilan conduisent à la liquidation de l'entreprise et à une cessation d'activité ; on compte chaque année plus de 40 000 cas de cette nature. Vous avez souhaité attaquer la cause du mal, et développer le traitement en amont des difficultés grâce à de nouvelles procédures : la conciliation et la sauvegarde. Pouvez-vous nous dire plus précisément comment ce projet contribuera à sauver plus d'entreprises et d'emplois ? Envisagez-vous par ailleurs un travail pédagogique envers les chefs d'entreprise, pour les inciter à utiliser à temps les nouveaux dispositifs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; « Allô ! » sur les bancs du groupe socialiste) M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - L'adoption de ce projet par le Conseil des ministres est un élément important de la politique pour l'emploi. Car, vous l'avez dit, quelque 50 000 entreprises sont concernées chaque année, soit 200 000 à 300 000 salariés, dont près de la moitié finit par être licenciée. Que se passe-t-il aujourd'hui ? Les procédures collectives interviennent trop tard : tel est le vrai bilan des lois de 1984-85. Notre projet a été élaboré après que nous ayons recueilli, au cours d'une concertation de dix-huit mois, les avis de tous les partenaires économiques et sociaux sur l'amélioration possible de la loi. Le projet permettra au chef d'entreprise, dès qu'il sent venir une vraie difficulté, de déclencher un processus et d'entrer en négociation avec les fournisseurs et les créanciers pour construire un plan de redressement. C'est cette anticipation qui permettra d'améliorer les choses. Par ailleurs nous maintenons deux procédures amiables - l'administrateur ad hoc et la conciliation - en sus de la nouvelle procédure de sauvegarde. Je confirme par ailleurs que, lorsque le Parlement aura débattu de ce texte, nous ferons un travail pédagogique. Car la réussite d'une telle loi passe par la bonne connaissance qu'en auront les chefs d'entreprise, en particulier ceux des PME, qui représentent 90 % des entreprises concernées. Région par région, nous ferons ce travail indispensable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). PRÉCAUTIONS CONTRE LES CANICULES M. Serge Janquin - Ma question, qui s'adresse au ministre de la santé, est provoquée par le Plan canicule, et plus particulièrement par les recommandations pour lutter contre la canicule dans les établissements d'accueil des personnes âgées, qui viennent d'être adressées aux députés. Ces recommandations m'ont stupéfié, révolté, pour tout dire glacé les sangs (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). On y trouve ceci : « installer les personnes âgées dans des pièces rafraîchies naturellement telles que les caves » (Rires sur les bancs du groupe socialiste), « utiliser les espaces rafraîchis naturellement - les centres commerciaux, les églises anciennes en pierre (Mêmes mouvements), les cinémas, métros, musées ». Ou encore : « L'installation d'une climatisation est une mesure complémentaire qui ne doit être envisagée que si les mesures prioritaires semblent insuffisantes. » Il doit y avoir longtemps que vous n'avez pas pris le métro au mois d'août, Monsieur le ministre ! Nous avons déjà souligné la curieuse conception que le Gouvernement se fait de la solidarité entre les générations. Travailler une journée supplémentaire non payée pour en arriver là ! Après les 15 000 morts de l'été dernier, la dérision de vos propositions s'ajoute à l'outrage ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) M. Hubert Falco, ministre délégué aux personnes âgées - Les recommandations les plus simples sont parfois les meilleures (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). En juin 2002, j'ai rédigé une circulaire disant que l'été, il fallait donner à boire aux personnes âgées et les rafraîchir (Mêmes mouvements). En septembre 2003, après la terrible canicule, les plus grands gérontologues se sont accordés pour dire que la meilleure des préconisations était de faire boire les personnes âgées et de les rafraîchir. Une fois de plus, vous caricaturez (Mêmes mouvements). Plusieurs voix sur les bancs du groupe socialiste - A la cave ! M. Hubert Falco, ministre délégué aux personnes âgées - Oui, les personnes âgées ont besoin qu'on leur offre toutes les conditions d'une récupération : c'est bien ce qui leur a manqué en août 2003 (Mêmes mouvements). Un peu de dignité, je vous prie ! Nous parlons de vies humaines et de nos anciens ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) LIAISON FERROVIAIRE LYON-TURIN M. Michel Bouvard - Monsieur le ministre de l'équipement, mercredi dernier, en présence du Premier ministre et du Président du Conseil italien, un mémorandum a été signé sur la répartition des financements pour le projet de liaison ferroviaire Lyon-Turin. Pouvez-vous nous en préciser la teneur et nous dire s'il permet de respecter le calendrier notifié à Bruxelles ? Pourriez-vous également nous indiquer où en est la mise en place de l'agence de financement des infrastructures, dont la création a été décidée par le CIAT le 18 décembre dernier et qui doit utiliser, entre 2004 et 2012, 7,5 milliards pour financer, outre ce projet, trente-six autres, qui contribueront à la relance directement et indirectement ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP) M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer - J'ai en effet signé avec mon homologue italien un accord de financement qui est l'aboutissement d'une âpre discussion. Elle avait démarré sur la base de 65 % pour la France et 35 % pour l'Italie, et s'achève sur une répartition 50 /50 - avec des différences selon les tronçons puisque deux sont nationaux, deux sont internationaux et un - le tunnel - est commun. C'est un projet de 13 milliards d'euros. Nous avons posé deux conditions à sa réalisation : d'abord, que nous ayons un concours de l'Europe à hauteur de 20 %, soit 2,6 milliards ; ensuite, qu'il y ait véritablement un report de la route vers le ferroviaire. L'agence que le CIAT de décembre dernier a décidé de créer pour recueillir les dividendes des autoroutes sera mise en place dès 2004 et permettra donc de financer en 2005 le début des travaux du Lyon-Turin ainsi que tous les autres projets qui ont été retenus (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP). M. Michel Terrot - Monsieur le ministre de l'intérieur, les chiffres du mois d'avril confirment la baisse de la délinquance, qui est continue depuis plus de vingt mois. Après les années de laxisme du précédent gouvernement (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), nous pouvons saluer la volonté de celui de Jean-Pierre Raffarin, soutenu par notre majorité, qui s'est attaqué à ce difficile dossier de l'insécurité en consentant un effort sans précédent (Mêmes mouvements). M. Lucien Degauchy - C'est la vérité ! M. Michel Terrot - Ce faisant, il a répondu à l'attente de tous nos concitoyens. La fermeté et la vigilance doivent rester les maîtres mots de votre action. Quelles priorités vous fixez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Je veux vous confirmer ma détermination (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). La délinquance générale a encore baissé de 4,63 % par rapport à avril 2003, et la délinquance de voie publique de près de 10 %. Je salue la motivation des forces de sécurité. Les infractions révélées à leur initiative sont en augmentation de 12,49 % ; le nombre de faits élucidés est en forte progression. L'effort doit être poursuivi et même amplifié. J'ai à ce titre quatre priorités. La lutte contre les atteintes aux personnes, qui depuis vingt ans ne cessent de progresser. Je veux engager une action ciblée contre ce type de violence, notamment contre les violences intrafamiliales, en définissant une action de prévention avec les ministres de la cohésion sociale, de l'éducation nationale et de la justice. La lutte contre les violences urbaines, avec davantage de présence policière la nuit et dans les quartiers difficiles et en fournissant un effort particulier pour les interpellations en flagrant délit, afin de faciliter le travail de la justice. J'ai donné des instructions aux préfets en ce sens. La lutte contre les trafics de drogue et le crime organisé, notamment en sollicitant davantage les groupements d'intervention régionaux. Enfin, la lutte contre le terrorisme, qui appelle notre particulière vigilance. Une meilleure coordination européenne et internationale est nécessaire, comme je l'ai indiqué à la réunion du G8 de Washington (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). OUVERTURE DES MAGASINS LE DIMANCHE Mme Marylise Lebranchu - Je voudrais simplement indiquer à M. Falco qu'une circulaire peut être mal rédigée et comporter des phrases humiliantes. Mieux vaut dire alors tout simplement qu'on va la rectifier (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Ma question s'adresse au ministre chargé des PME et de l'artisanat. Il y a quelques jours, le ministre de l'économie a évoqué la possibilité de faciliter l'ouverture des magasins le dimanche pour relancer la consommation. Mon prédécesseur au ministère du commerce et de l'artisanat, M. Raffarin, s'était opposé en son temps à cette proposition. Celle-ci sème l'inquiétude chez beaucoup de commerçants et d'artisans qui résistent à la grande distribution en choisissant des créneaux d'ouverture différents, au sein des associations de consommateurs, qui craignent les effets sur le surendettement, chez les salariés de la grande distribution, enfin chez les familles, qui se disent qu'on les aime quand elles consomment et qu'elles travaillent un jour de plus sans être payées... J'espère que vous allez me dire qu'elle est d'ores et déjà abandonnée (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie - Premièrement, il n'est pas question d'autoriser l'ouverture systématique le dimanche. Deuxièmement, il n'est pas question d'autoriser les grandes surfaces à ouvrir le dimanche pour modifier les conditions de la concurrence (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Cela étant, la réglementation reste complexe et souvent inappliquée, aussi souhaitons-nous rationaliser ce système, en concertation avec les associations familiales, la grande distribution, les commerces de proximité, les associations de consommateurs, les partenaires sociaux, afin que les mairies puissent autoriser huit à dix ouvertures le dimanche par an - et non plus seulement cinq - et que la notion de zone touristique soit assouplie. Il ne s'agit que de cela (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Francis Saint-Léger - Le 7 avril dernier, la journée mondiale de la santé, consacrée à la sécurité routière, s'est tenue à Paris à la demande de l'OMS, pour la présentation officielle du rapport mondial sur la prévention des traumatismes dus aux accidents de la circulation. Par ce choix, l'OMS a souhaité saluer les progrès de la France en ce domaine et l'engagement personnel du Président de la République. La politique ambitieuse et déterminée du Gouvernement a porté ses fruits. Alors que chaque année, plus de 8 000 personnes étaient tuées sur les routes, votre politique a permis d'épargner 1 500 vies en 2003. Les chiffres de 2004 suivent. Déjà peut être confirmé le slogan : « L'accident de la route n'est pas une fatalité » (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer - En avril 2004, les chiffres de la sécurité routière sont bons, et nous enregistrons même 9,7 % de victimes en moins par rapport à avril 2003, lui-même en recul de 25 % ! Malheureusement, si les résultats sont en net progrès en milieu rural, il n'en va pas de même en milieu urbain. Si nos efforts portent leurs fruits en ce domaine, il pourrait y avoir moins de 5 000 victimes de la route en 2004, ce qui serait un bon résultat, même si c'est encore trop. Pour que la discipline soit respectée, elle doit être mieux comprise, et nous allons prochainement mettre en place un site internet pour permettre aux automobilistes qui remarqueraient des anomalies dans la signalétique routière de les signaler (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Michel Heinrich - La fin de l'accord Multi-Fibres prévu en 2005 met l'industrie textile française en péril. Malgré ses efforts de recherche, d'innovation et de développement, l'industrie textile n'est pas prête à affronter cette ouverture totale du marché. Cette industrie, qui représente 250 000 emplois, a perdu, au cours des trente dernières années, les deux tiers de ses effectifs et continue de perdre 20 000 emplois par an. L'ouverture totale du marché pourrait conduire à sa disparition sur notre territoire. Face à cette situation, les Etats-Unis, la Turquie, le Mexique, ont signé, le 3 mars 2003, la déclaration d'Istanbul afin de convaincre l'OMC de reporter de trois ans le démantèlement des quotas. Monsieur le ministre, allez-vous agir auprès de l'Union Européenne afin qu'elle s'associe à cette initiative? M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie - C'est vrai, des pans entiers de notre industrie textile sont aujourd'hui en difficulté. J'étais ce matin à l'assemblée générale de l'union des industries textiles et les commentaires allaient bon train sur cette déclaration. Cependant, les règles de l'OMC imposent le consensus pour le report d'une telle échéance... M. Jean-Claude Lefort - Faux ! M. le ministre délégué à l'industrie - ...et il serait assez difficile de l'obtenir. Par ailleurs, il semble paradoxal que l'Union Européenne, premier exportateur mondial, fonde sa stratégie sur le protectionnisme. En revanche, j'étais hier à Bruxelles avec les commissaires Lamy et Liikanen, et la Commission a décidé de constituer un groupe de travail de haut niveau sur le textile pour que soit mise en place, dès juillet 2004, une zone de libre échange sur 45 pays - les 25 de l'Union Européenne et 20 de la Méditerranée. J'ai, de surcroît, demandé au commissaire Lamy de mettre en _uvre les clauses de sauvegarde dès la première infraction, et non, comme cela se passe aujourd'hui, en ultime recours, après de longues discussions. Nous pourrons ainsi faire face à la concurrence parfois sauvage de certains pays asiatiques. La séance, suspendue à 15 heures 55, est reprise à 16 heures 20. M. Baroin remplace M. Debré au fauteuil présidentiel. PRÉSIDENCE de M. François BAROIN vice-président L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique pris en application de l'article 72-2 de la Constitution relatif à l'autonomie financière des collectivités territoriales. M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Je suis heureux de vous présenter la loi organique sur l'autonomie financière des collectivités territoriales. Je remercie vivement les rapporteurs, MM. Geoffroy et Carrez, qui ont fait un travail remarquable sur ce sujet complexe et sensible. Ce texte est une clé de voûte de la décentralisation et s'inscrit dans la continuité des lois organiques déjà votées. Ce mouvement, initié par le Premier ministre, répond à un impératif de modernisation de nos institutions et du fonctionnement de notre démocratie : il en va de l'efficacité de la décision publique. L'engagement de l'Etat repose en l'occurrence sur une double garantie, et tout d'abord une garantie de responsabilité. A travers un calendrier clairement établi, cet examen intervient avant la deuxième lecture du projet de loi sur les responsabilités locales, deuxième lecture qui doit elle-même avoir lieu après la période de concertation à laquelle s'est engagé le Premier ministre, afin de notamment tenir compte du renouvellement des associations d'élus. La troisième étape sera celle de la réforme de la taxe professionnelle et des dotations de l'Etat aux collectivité territoriales. Vous le voyez, il s'agit d'un chantier immense. M. René Dosière - Et qui n'est pas très précis ! M. le Ministre - Garantie de responsabilité également à travers le renforcement du principe d'autonomie financière, qui était juridiquement fragile car dépendant du principe de libre administration : or, aucun seuil d'autonomie financière n'était défini pour la préciser. Les gouvernements successifs ont ainsi pu, sans encourir le risque d'inconstitutionnalité, transformer plus de 14 milliards de ressources fiscales locales en dotation de l'Etat. La loi organique permet aujourd'hui de restaurer clarté et équilibre. Elle garantit l'autonomie financière sur le plan constitutionnel et renforce ainsi la crédibilité de l'Etat. Elle empêche désormais tout transfert, création ou extension de compétences sans compensation financière équivalente, comme cela a pu être le cas avec l'APA. M. Augustin Bonrepaux - Nous avions prévu le financement. Regardez le code des collectivités territoriales ! M. le Ministre - Garantie de résultat ensuite concernant l'égalité des territoires. L'article 72-2 a établi des principes de péréquation... M. René Dosière - Où sont-ils? M. le Ministre - ...au niveau constitutionnel afin d'assurer une meilleure égalité entre les territoires. M. Augustin Bonrepaux - Encore faut-il les appliquer ! M. le Ministre - Mais pour que cette redistribution soit effective, il faut que vous puissiez connaître l'exacte évolution des ressources des différentes collectivités. L'Etat est donc prêt à vous donner toutes les informations nécessaires pour que vous puissiez exercer pleinement votre rôle de contrôle. C'est également dans cet esprit que le Gouvernement a renforcé le rôle de la commission de l'évaluation des charges, désormais présidée par un élu afin que les compensations soient réalisées en toute équité. Garantir le résultat, c'est également pouvoir établir des comparaisons avec nos voisins européens. Aujourd'hui, la moyenne d'autonomie financière des pays du Conseil de l'Europe est de 25,7 % or, la part déterminante définie dans le texte présenté se situe bien au-dessus. Si l'on se fonde sur l'année de référence de 2003, ce taux atteint plus de 35 % pour les régions, plus de 51 % pour les départements et 53 % pour les communes et les groupements. La France occupe ainsi le huitième rang sur les 45 pays du Conseil de l'Europe. M. René Dosière - Bravo au gouvernement précédent ! M. le Ministre - Le texte garantit l'autonomie financière à travers quatre articles. L'article premier définit le plus simplement et le plus largement possible les catégories de collectivités territoriales. Les trois grands niveaux retenus sont ceux de droit commun : les communes - avec les EPCI -, les départements et les régions. Les collectivités à statut particulier et les collectivités territoriales d'outre-mer ont, elles, été regroupées avec celles de métropole dans un souci de clarté. L'article 2 définit la notion de « ressource propre » : impositions de toutes natures, redevances pour services rendus, produits du domaine, participations d'urbanisme, produits financiers, dons et legs. Les impositions de toutes natures comprennent quant à elles le produit de tous les impôts et taxes locales perçu directement par les collectivités ainsi que le produit d'impôts nationaux pouvant être transféré par la loi aux collectivité territoriales. M. René Dosière - C'est bien là le problème. M. le Ministre - Je sais que cette définition est discutée. M. René Dosière - Oh oui ! M. le Ministre - Jean-François Copé s'attachera à vous montrer que cette définition est juridiquement pertinente et qu'elle est la seule politiquement acceptable. Affecter aux collectivités un impôt dynamique, c'est leur conférer une ressource propre évolutive et une ressource liée au dynamisme du territoire. C'est là une différence essentielle avec les dotations de l'Etat qui, elles, ne constituent pas une ressource propre. L'article 3 définit la part déterminante comme celle qui garantit la libre administration des collectivités territoriales au regard de la nature des compétences qu'elles doivent exercer, sans référence à un taux unique car les niveaux d'autonomie financière des catégories de collectivités locales sont aujourd'hui trop hétérogènes et il fallait tenir compte des types de compétences exercées. L'article 4 définit les modalités selon lesquelles le Gouvernement rend compte au Parlement de la mise en _uvre de la loi organique ainsi que de l'évolution de la part des ressources propres pour chaque catégorie de collectivités territoriales. Il prévoit également les conditions dans lesquelles le Gouvernement garantit au minimum le maintien des niveaux de 2003. Il engage enfin le Gouvernement à restaurer les taux d'autonomie financière par des dispositions en lois de finances dans les trois ans qui suivent celles où le franchissement du seuil a été constaté. La définition de ce mécanisme correctif illustre à nouveau la volonté de vous donner toutes garanties sur le respect du principe de l'autonomie financière, à propos duquel j'ai souhaité que nous ayons une explication claire et sans arrière-pensée. Ensuite, nous pourrons continuer à travailler ensemble pour réformer notre pays en profondeur, et rapprocher nos concitoyens des décisions qui les concernent (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Guy Geoffroy, rapporteur de la commission des lois - La commission des lois est saisie au fond de ce dossier important, qui concerne les finances locales, en application de l'article 36 du Règlement relatif aux projets de lois organiques. J'ai eu grand plaisir à travailler en équipe avec Gilles Carrez, dont on connaît l'immense compétence en matière de finances locales. M. Pascal Clément, président de la commission des lois - C'est bien vrai ! M. le Rapporteur - Le sujet dont nous traitons est complexe, mais plutôt neuf. Il s'agit pour nous de décliner, comme le demande la Constitution au 3ème alinéa de son article 72-2, les dispositions qui permettront de garantir de manière sûre et définitive une autonomie financière dont par ailleurs nous allons pour la première fois fixer le point de départ. Ce point peut paraître anecdotique, surtout à ceux qui ont parlé d'autonomie financière mais qui n'ont pas cessé de pratiquer la politique inverse et qui n'ont aucune leçon à donner à la majorité actuelle ! M. Bernard Derosier - Ne soyez pas si péremptoire ! M. le Rapporteur - Songeons seulement à l'APA, dont il est aisé de démontrer... M. Alain Gest - Ne soyez pas trop cruel pour l'opposition ! M. le Rapporteur - ...que la mise en _uvre a été dénoncée par l'ensemble des présidents de conseil général, tant elle a été éloignée de la volonté présumée de garantir l'autonomie financière des collectivités (Protestations sur les bancs du groupe socialiste). Cette autonomie financière n'est pas dans notre pays une notion facilement acceptée. Sous la IIIe République, le principe inverse prévalait. Ce n'est qu'au début des années 1930 que l'Etat a commencé à consentir à apporter une contribution permettant le retour à un peu plus d'autonomie. Cette autonomie date en fait de 1970, quand a été supprimée l'approbation préalable du budget des communes. En 1979, la DGF a été substituée au versement représentatif de la taxe sur les salaires. La troisième grande décision, prise en 1980, consiste à donner pour la première fois aux collectivités locales le droit de déterminer le taux des impositions locales, alors qu'elles n'avaient jusque là que la possibilité de fixer la masse fiscale globale. M. René Dosière - Cela revenait au même ! M. le Rapporteur - Les lois de décentralisation de 1982 ont poursuivi dans la même voie, en tirant plus largement les conséquences du principe de libre administration des collectivités territoriales. La décentralisation a, dès le début, introduit un processus d'inversion de la tendance. Sur le transfert aux départements et régions des collèges et lycées, les faits sont là. Entre 1986 et 1993, les dépenses consacrées par les collectivités à la construction et à l'entretien des établissements a décuplé, alors que les ressources correspondantes en provenance de l'Etat n'ont que quadruplé. Le développement du nombre et de la qualité des établissements a été un phénomène heureux, mais on a pu à cette occasion constater l'énorme effort qu'ont dû consentir les collectivités pour pallier les insuffisances notoires de l'Etat... M. Bernard Derosier - Après vingt-trois ans de gaullisme ! M. le Rapporteur - ...surtout entre 1982 et 1986, l'Etat préférant garder des sommes de référence minimales pour les transférer à moindre coût. M. René Dosière - C'est ce qui va se passer pour les TOS ! M. le Rapporteur - Enfin, à la suite d'une décision unilatérale de l'Etat, les collectivités territoriales ont dû assumer les conséquences du passage aux 35 heures pour les personnels de la fonction publique territoriale. Comme tous les élus locaux, j'ai constaté dans ma commune que la masse fiscale a augmenté d'environ 10 %, sans que le service rendu à la population soit en rien amélioré. Certains élus ont choisi d'augmenter leurs impôts, d'autres, comme moi, ont préféré faire autrement, mais au détriment du développement de leurs services. M. Augustin Bonrepaux - Alors vous êtes un mauvais gestionnaire ! M. le Rapporteur - La majorité précédente a abouti à ce que le ratio constatable de l'autonomie financière des collectivités n'a jamais cessé de se dégrader. M. Augustin Bonrepaux - Avec votre loi, cela va être pire ! M. le Rapporteur - Citons la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle, réputée créer de l'emploi, mais qui a considérablement dégradé l'autonomie financière des collectivités. M. Augustin Bonrepaux - Pourquoi n'avez-vous pas pris une disposition inverse ? M. le Rapporteur - Par exemple, les villes nouvelles ne garantissent leur équilibre que quand elles accueillent des entreprises nouvelles. Or à Sénart, le président actuel, qui est de vos amis, n'a cessé de répéter que si la part salariale n'avait pas été supprimée, la ville nouvelle n'aurait pas besoin tous les ans de négocier les moyens de son équilibre financier. Voilà un exemple de la politique qui, entre 1997 et 2002, a conduit à cette dégradation de 58 % à 54 % pour les communes, et de 58 % à 53 % pour le département et de 57 % à 36 % pour les régions du seuil constatable d'autonomie financière. Le projet de loi organique tend à décliner ce que la Constitution lui impose de faire. L'article premier définit les trois catégories de collectivités à partir desquelles sera établie l'évaluation, et éventuellement rétabli le ratio. L'article 2 définit la notion délicate de ressources propres. L'article 3 précise ce qu'est cette fameuse part déterminante qui fut au c_ur de nos débats sur la révision constitutionnelle, et indique que le ratio sera celui constaté en 2003. L'article 4 met en place le dispositif propre à garantir si nécessaire le retour à ce ratio. Ce texte est non seulement novateur, mais probablement révolutionnaire. C'est la première fois qu'est inscrit dans la Constitution un principe qui semblait couler de source, mais qui n'avait jamais été appliqué. C'est surtout la première fois que nous mettons l'ensemble des collectivités locales à l'abri de toutes les difficultés que l'évolution naturelle de leurs relations avec l'Etat pourrait poser. C'est la raison pour laquelle, à l'issue d'un débat dont je salue la qualité, la commission des lois vous propose d'adopter ce projet de loi organique, qui représente une avancée considérable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Gilles Carrez, rapporteur général de la commission des finances saisie pour avis - Nous pouvons être fiers de ce projet de loi organique sur l'autonomie financière des collectivités locales. M. Augustin Bonrepaux - Ah oui ! M. le Président - Monsieur Bonrepaux, nous savons que vous êtes là... M. le Rapporteur général - Il marque un coup d'arrêt dans la descente aux enfers des finances locales. M. Michel Bouvard - Eh oui ! M. Augustin Bonrepaux - Personne n'y croit ! M. le Rapporteur général - Souvenons-nous de l'avalanche de mesures Jospin-Strauss-Kahn-Fabius qui ont réduit l'autonomie financière des collectivités locales ! Le premier acte fut la suppression de la part salaire de la taxe professionnelle, remplacée par une subvention de l'Etat. Lors du débat, le 17 octobre 1998, nous n'étions que quelques uns à protester ! M. Michel Bouvard - Eh oui ! M. le Rapporteur général - Face à nous, la majorité, pourtant riche de spécialistes des finances locales, restait silencieuse et tétanisée. Elle n'a même pas accepté d'opter pour un dégrèvement plutôt que pour une dotation de l'Etat ! Le président de la commission des finances de l'époque, Augustin Bonrepaux, si bavard cet après-midi, est resté muet ! M. Augustin Bonrepaux - Et je maintiens ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) M. le Rapporteur général - Il a tenu des propos lénifiants : la libre administration des communes ne serait pas remise en cause, la Constitution permettait la transformation d'impôts locaux en dotations... Vous étiez soumis à une discipline de fer, qui vous a forcé à vous taire. Le deuxième acte eut lieu au printemps 2000 : après avoir entendu Dominique Strauss-Kahn théoriser sur le principe d'autonomie financière des collectivités locales, disant qu'il ne s'agissait en rien des recettes, mais simplement de la liberté de dépenser, son successeur Laurent Fabius s'est engouffré dans la brèche et a supprimé la part régionale de la taxe d'habitation. M. Michel Bouvard - Et voilà ! M. le Rapporteur général - Suppression qui s'est faite dans des conditions iniques. M. Augustin Bonrepaux - Ce qui n'est jamais le cas de votre part ! M. le Rapporteur général - Les régions socialistes avaient en effet été prévenues dès le début de l'année. Elles se sont empressées d'augmenter leurs taux : 9 % pour le Nord-Pas-de-Calais, 19 % pour Provence-Alpes-Côte d'Azur ! Ainsi ont-elles pu bénéficier d'une meilleure dotation d'Etat - appliquant ainsi une de vos techniques préférées : faire financer l'impôt local par le contribuable national. Nous allons, au contraire, vous faire des propositions pour responsabiliser le décideur local. M. Augustin Bonrepaux - Bien sûr ! M. le Président - Monsieur Bonrepaux, si vous ne pensez pas à nous, pensez donc à votre temps de parole de tout à l'heure ! M. le Rapporteur général - Il y eut l'année suivante la suppression de la vignette, puis la baisse des droits de mutation. Au total, 15 milliards d'impôts locaux remplacés par des dotations ! La conséquence en est que le taux d'autonomie financière des régions est passé de 60 % à 30 %. Au même moment se déroulaient les travaux de la commission Mauroy. Lors de la première séance, Jean-Paul Huchon a protesté contre cette dégradation. On ne l'a plus jamais entendu par la suite ! Sans doute lui a-t-on fait comprendre qu'il n'était pas séant de mettre en évidence une telle évolution... Mais nous avons continué à protester, et avons fini par quitter la commission à cause de ce seul problème : l'asservissement des finances locales à l'Etat. M. Augustin Bonrepaux - Et vous, que faites-vous ? M. le Rapporteur général - Dès l'automne 2000, nous avons élaboré, au Sénat, une proposition de loi sur l'autonomie financière des collectivités locales, dont s'inspire largement le présent projet. Cette proposition a été adoptée au Sénat mais nous n'avons jamais obtenu son inscription à l'ordre du jour de l'Assemblée. Je rappelle cela car M. Fabius, hier matin, a osé parler d'imposture à propos de ce projet de loi organique ! M. le Rapporteur - Quel culot ! M. le Rapporteur général - Les bras vous en tombent ! Ce vocabulaire outrancier, qui ne lui ressemble pas, n'avait qu'un but : masquer la succession d'erreurs commises pendant la précédente législature. Quant à nous, nous avions pris l'engagement, durant la campagne des présidentielles et des législatives de 2002, de relancer la décentralisation et de sécuriser les finances locales. Nous avons tenu notre parole. Le projet de loi sur les responsabilités locales a été examiné en première lecture. M. René Dosière - Dans l'enthousiasme général ! M. le Rapporteur général - La Constitution a été modifiée, avec l'introduction de trois principes. D'abord, le principe de compensation équitable, que la loi Defferre n'avait pas réussi à appliquer. Ensuite, celui de péréquation - et c'est notre honneur d'avoir commencé à l'appliquer avec la loi de finances pour 2004. M. Augustin Bonrepaux - Des mots ! M. le Rapporteur général - Un groupe de travail étudie cette question au sein du comité des finances locales. Il a présenté il y a quinze jours ses propositions pour améliorer la péréquation, qui seront mises en _uvre dans la loi de finances pour 2005. Le troisième principe est celui de l'autonomie financière, qui fait l'objet du texte que nous examinons aujourd'hui. Nous avons donc strictement respecté nos engagements. Ce projet de loi organique part d'une idée simple : il faut garantir un certain niveau de ressources propres dans les ressources de chaque collectivité locale. L'année de référence est 2003, qui marque la fin de la réforme de la taxe professionnelle : il fallait bien solder l'héritage de la précédente législature ! M. le Rapporteur - Lourd héritage ! M. le Rapporteur général - Par ailleurs, cette année a été validée par le Conseil constitutionnel. Chaque année en effet, MM de Courson, Bouvard ou Méhaignerie et moi avons saisi le Conseil quant à la perte d'autonomie des communes. Chaque année, il nous a répondu que l'article 72 de la Constitution n'était pas encore mis en cause, tout en nous invitant à légiférer. Ce texte affirme ensuite que les impositions de toute nature doivent être considérées comme des ressources propres même si la collectivité n'en vote pas le taux ni n'en maîtrise l'assiette. Cette position est juridiquement inattaquable, mais en pratique, des questions se posent. Je prendrai l'exemple de la taxe intérieure sur les produits pétroliers. La TIPP va être rétrocédée pour partie aux régions. A la suite des discussions que nous menons à Bruxelles, les régions pourront certainement voter un taux différentiel. M. Augustin Bonrepaux - Ce n'est pas sûr ! M. le Rapporteur général - Il s'agit donc d'une véritable fiscalité. En ce qui concerne les départements au contraire, le partage se fait au plan national, et il y a ensuite redistribution entre les départements. Les élus départementaux doivent pouvoir participer à ce partage. M. Augustin Bonrepaux - Bien sûr ! M. le Président de la commission - Mais taisez-vous donc ! M. le Président - Monsieur Bonrepaux, vous allez prendre la parole pour une motion de procédure. Vous allez défendre vos convictions. En attendant, laissez le débat se poursuivre, par respect pour nos institutions et pour le public. M. le Rapporteur général - Je pense qu'il est possible d'améliorer le partage de la TIPP entre les départements, en associant les élus au partage annuel entre l'Etat et les départements - c'est possible par le biais du comité des finances locales par exemple - et en adaptant l'évolution aux spécificités des départements. A ce propos, je voudrais dire à M. de Courson que le partage d'un impôt national vaut toujours mieux qu'une dotation ! La suppression de la vignette, dans la Marne notamment, est revenue au partage d'un impôt d'Etat, auquel il faut associer les élus le mieux possible. Je pense indispensable, à terme, que tous les niveaux de collectivités disposent de ressources fiscales significatives dont elles puissent voter le taux et maîtriser l'assiette. Pour les régions, je fais le pari que nous aurons gain de cause à Bruxelles et que nous pourrons leur transférer des montants substantiels de TIPP. Pour les communes et les intercommunalités, nous avons la taxe professionnelle, notamment la taxe professionnelle unique. Dans le cadre de la réforme de la TP, il faudra veiller à garder le lien et la responsabilité territoriale. M. Michel Bouvard - Très bien ! M. le Rapporteur général - Le Premier Ministre a été très clair sur ce point. Mais je veux ici montrer combien nous nous comportons de façon plus convenable envers les collectivités que nos prédécesseurs socialistes (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) : l'exonération des nouveaux investissements 2004-2005 se fait, non par une compensation en dotation, mais par dégrèvement, de sorte que les collectivités ne perdront pas un euro à cette occasion. M. Augustin Bonrepaux - Cela ne durera pas ! M. le Rapporteur général - Pour les départements, comme la TIPP pose un problème, ne faudrait-il pas réfléchir à un réagencement de la fiscalité locale ? La taxe professionnelle est aujourd'hui perçue par les régions - pour 1,9 milliard d'euros - ainsi que par les communes, les intercommunalités, les départements et les chambres de commerce. Il semble possible de simplifier ce système et de rétrocéder aux départements une part de TP régionale. Les régions perçoivent également le foncier bâti, pour un milliard d'euros, et la carte grise ou le permis de conduire, pour un montant équivalent. Il y a donc 5 milliards de fiscalité régionale autre que la TIPP, qui pourraient être en partie basculés vers les départements pour garantir leur autonomie financière. Contrairement à nos prédécesseurs, nous n'avons pas une approche idéologique, mais pragmatique : nous voulons sécuriser les finances locales, nous avons tenu nos engagements, et nous avons enrayé une dérive pernicieuse. Avec l'acte II de la décentralisation que sera la loi sur les responsabilités locales, cette loi organique sera un acte fondateur, et d'une certaine manière révolutionnaire, comme l'a dit M. Geoffroy. Nous avons travaillé en étroite coordination avec la commission des lois, son président et son rapporteur, et j'en suis heureux. Et nous l'avons fait avec d'autant plus d'énergie que ce texte est excellent, et que nous sommes fiers de le voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Pierre Méhaignerie, président de la commission des finances - Nous pouvons différer d'opinion, sur ces textes et en général. Mais certains propos nous engagent sur une voie dangereuse. C'est avec stupéfaction que j'ai lu hier les propos de M. Fabius. A l'en croire, cette loi est une « totale imposture » : venant d'un ancien Premier ministre, un tel propos est très dangereux, et il l'est plus encore lorsqu'il parle d'une « _uvre de démolition des collectivités locales »... Les mots ont-ils un sens ? Parler de la sorte est nuisible au débat démocratique. D'autant que certains élus, lors des derniers débats régionaux, ont fait des promesses, y compris sur des compétences qui ne sont pas les leurs ! Et ils s'apprêtent demain à renvoyer au Gouvernement la responsabilité d'une hausse des impôts locaux... Qu'ils le sachent : face à ce piège que vous nous tendez, nous répondrons avec une extrême vigueur. Il n'est pas possible de s'engager dans cette voie du mensonge (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement. M. Augustin Bonrepaux - Je vais avoir l'occasion de démontrer qu'en effet cette loi est une imposture, par son incohérence et son hypocrisie. Et si certains s'engagent dans la voie du mensonge, c'est bien vous, en essayant de faire croire que cette loi garantira l'autonomie des collectivités locales, alors qu'elle va la réduire. Ce projet a pour objet de préciser l'article 72-2 de la Constitution, en particulier les conditions financières dans lesquelles doivent se faire les transferts de compétences et la réforme de la taxe professionnelle. Il faut donc regretter que ce texte vienne si tard. Le transfert du RMI aux départements, entré en vigueur au 1er janvier 2004, et la première lecture de la loi sur les responsabilités locales à l'Assemblée montrent déjà combien l'autonomie des collectivités est menacée avec les compensations prévues. Car c'est bien une des inquiétudes que les citoyens ont voulu exprimer au Gouvernement et à sa majorité lors des dernières élections : la crainte que la décentralisation, sans améliorer le service rendu, ne provoque une hausse des impôts locaux. Malgré leur débâcle électorale, le Gouvernement et la majorité s'obstinent. Dans un premier temps, les propos de plusieurs ministres avaient laissé croire que le Gouvernement serait plus à l'écoute des socialistes et des élus locaux. Mais, démontrant la vacuité des feintes réprimandes adressées par le Président Chirac à son action, le Premier ministre s'en tient à son projet initial. Il pousse le cynisme jusqu'à présenter comme des signes d'ouverture la reprise de ses engagements antérieurs... Il évoque la possibilité d'une discussion avec l'ensemble des parlementaires, mais aussi avec les associations, pour améliorer éventuellement ce texte, afin de revenir en deuxième lecture avec un projet refondé à la lumière de débats eux-mêmes enrichis par la loi organique. De son côté, M. de Villepin disait avoir entendu les inquiétudes des uns et des autres. Et il s'engageait à ce que la loi organique sur l'autonomie financière des collectivités territoriales soit votée avant la deuxième lecture du projet sur les responsabilités locales. Il affirmait sa volonté d'échanges approfondis avec les associations d'élus. Le seul effet en aura été une entrevue aussi courte que stérile entre les présidents de régions et de départements et le Premier ministre. Après avoir exagéré les prétextes pour modifier la Constitution, le Gouvernement se montre incapable de tenir ses promesses d'autonomie et tente de justifier dans cette loi organique des procédés qui réduiront encore l'autonomie des collectivités. Le transfert du RMI en offre déjà l'amère démonstration. La première décentralisation avait compensé les charges transférées par des impôts dont les collectivités pouvaient faire varier le taux. La vignette automobile et la taxe sur les droits de mutation étaient compensées par une dotation globale de décentralisation progressant comme la DGF. Quant à la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle - que personne ne devrait remettre en cause, puisque le Gouvernement l'a poursuivie - elle a été compensée par une dotation évoluant comme la DGF. Ceci a été bénéfique pour les collectivités en difficulté qui ont subi depuis des disparitions d'entreprises, mais ont continué à percevoir la compensation : c'était là une mesure de péréquation. Quant à la suppression de la taxe d'habitation des régions et de la vignette automobile, elle a été compensée dans les mêmes conditions. Dans le cas de la vignette, la mesure a été favorable aux départements les plus défavorisés, où le nombre de véhicules augmente peu, et qui ne pouvaient augmenter les taux en raison du dumping pratiqué par le département de la Marne, même si l'Assemblée a essayé de le corriger. A propos de l'APA, je ne me rappelle pas avoir perçu une très forte opposition à l'Assemblée nationale quand elle fut créée. Les effets de la canicule n'auraient-ils pas été encore plus désastreux sans le personnel mobilisé auprès des personnes âgées par les associations de services à domicile et les établissements ? Alors que vous vous préoccupez seulement aujourd'hui de trouver des moyens supplémentaires, avez-vous oublié que vous aviez supprimé, au printemps dernier, une partie des crédits aux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes ? Quant au financement, s'agissant d'un service nouveau créateur d'emplois, n'était-il pas équitable de partager la charge entre l'Etat et le département ? Ce dernier avait connu une forte baisse de ses dépenses avec la mise en place de la PSD, en raison de l'inefficacité de cette mesure. Quant à l'Etat, n'est-il pas équitable qu'il contribue à cette mesure de solidarité, créatrice d'emplois donc source de cotisations fiscales et sociales ? En revanche on ne voit pas pourquoi le RMI, qui ne crée ni services ni emplois nouveaux, entraînerait une augmentation des impôts locaux. Quant à la départementalisation des SDIS, son principe a été prévu par un amendement de M. Hyest à la loi Pasqua. Elle remédie à la complexité du système antérieur, qui faisait peser la principale charge sur les communes sièges d'un centre de secours, et le remplace par un financement départemental auquel participent dans les mêmes conditions tous les contribuables. N'est-ce pas plus équitable ? En revanche, Monsieur le ministre de l'intérieur, la réduction des subventions aux SDIS en 2002 n'aggrave-t-elle pas la fiscalité des départements ? Mais le véritable problème des SDIS est ailleurs. Si le but de la décentralisation était de clarifier les compétences, l'Etat devrait assumer entièrement cette responsabilité régalienne qu'est la sécurité et en assumer la charge, comme le proposait l'Assemblée des départements de France. Ce sont en effet le ministère de l'intérieur et le préfet du département qui décident des interventions. Ce système, où l'Etat commande et les collectivités paient, est-il compatible avec la clarification attendue de la décentralisation, et avec le principe d'autonomie financière des collectivités locales ? Tous ces fallacieux prétextes avancés à propos de la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle avaient conduit le Sénat à examiner une proposition de loi constitutionnelle définissant les principes d'une réelle autonomie financière, cosignée par MM. Poncelet, président du Sénat, Jean-Pierre Raffarin, président de l'association des régions de France, Jean-Pierre Fourcade, président du comité des finances locales, et Jean Puech, président de l'assemblée des départements de France. Il s'agissait de « consacrer le principe de libre administration des collectivités locales, dont l'autonomie fiscale et financière est un fondement essentiel ». L'article premier posait « le principe de la prépondérance des ressources fiscales au sein des ressources des collectivités territoriales », reconnaissait aux collectivités territoriales « la faculté de bénéficier d'impôts modernes » et prévoyait de « protéger les ressources fiscales locales en prohibant le remplacement d'impôts locaux par de simples transferts financiers en provenance de l'Etat ». Le rapporteur déclarait : « Il n'y a pas d'autonomie locale sans autonomie financière, laquelle doit être assurée à 50 % au moins par des ressources propres, c'est-à-dire des ressources dont les collectivités locales fixent elles-mêmes le montant ». Jean-Pierre Fourcade enfonçait le clou : « l'autonomie financière des collectivités locales, qui est l'autre face de la libre administration des collectivités locales, repose sur trois piliers. Le premier, c'est la possibilité de disposer de ressources fiscales dont les collectivités peuvent déterminer les taux, de manière à adapter ces recettes à leurs dépenses. Le deuxième, c'est la possibilité de recevoir des compensations lorsqu'il y a transfert de charges et qu'elles soient évolutives et pérennes. Enfin, lorsque l'Etat remplace une part d'impôt local par une compensation, la dotation de l'Etat doit être, elle aussi, indexée et pérenne ». Jean-Pierre Raffarin s'en était pris dans son intervention au gouvernement de Lionel Jospin et aux sénateurs socialistes en déclarant « Nous, nous travaillions dans une perspective à vingt ans et dans l'intérêt général ». On est frappé aujourd'hui par la vitesse à laquelle il est revenu sur les principes qu'il défendait alors... La commission prévoyait d'assurer que « globalement la part des recettes fiscales représentent plus de la moitié des ressources », en précisant qu'elle visait « des recettes fiscales propres, c'est-à-dire des recettes dont les collectivités territoriales peuvent moduler le produit par le vote des taux », et non le reversement du produit d'impôts nationaux. Cette proposition fut adoptée par le Sénat le 26 octobre 2000. Jean-Pierre Raffarin a semblé avoir bien oublié qu'il l'a votée ! Ce projet de loi organique fait totalement l'impasse sur la diversité des situations au sein des « catégories de collectivités territoriales » qui ne sont qu'au nombre de trois : communes, départements, régions. En outre, à l'image du projet de loi sur les responsabilités locales, il ne dit rien des intercommunalités à fiscalité propre, dont l'autonomie financière n'est donc pas garantie. M. Jean-Marc Roubaud - C'est faux ! M. Augustin Bonrepaux - Cela d'autant plus que la taxe professionnelle, ressource unique des intercommunalités les plus intégrées, est menacée de suppression. M. Michel Raison - Réformer n'est pas supprimer ! M. Augustin Bonrepaux - Cette loi devrait préciser d'abord les conditions de l'évaluation des transferts, puisque le quatrième alinéa de l'article 72-2 de la Constitution, qui reste très vague, permet toutes les manipulations. Il est en effet très en retrait par rapport à la loi du 29 décembre 1997, qui disposait que tout accroissement de charges résultant du transfert de compétences devait être accompagné du transfert concomitant des ressources « nécessaires à l'exercice normal de ces compétences ». On se souvient que le RMI a été transféré dans la précipitation. M. Alain Gest - Et l'APA ? M. Augustin Bonrepaux - Il a été transféré au 1er janvier, mais la compensation a été calculée sur la base de ce qu'il coûtait en décembre, alors qu'il augmentait de 1,5 % ! Et chaque RMA entraîne une charge supplémentaire de 15 % : ce n'est pas moi qui le dis, c'est Mme Boutin, rapporteur du texte. En outre, depuis le 1er janvier, le nombre de Rmistes a augmenté de 10 %. La conséquence, c'est l'explosion des impôts locaux. Quant aux TOS, le Gouvernement a préparé leur transfert en réduisant leur nombre... Cette année encore, bien des postes sont supprimés dans nombre d'établissements, alors qu'ils étaient nécessaires et qu'ils le seront encore demain ! De surcroît, dans chaque établissement, plus de 60 % du personnel ne relève pas de l'éducation nationale - contrats à durée déterminée, contrats emploi-solidarité, contrats emploi-consolidé - alors que la loi de décentralisation a prévu de transférer les crédits relatifs aux seuls emplois de l'éducation nationale ! Il en va de même du transfert du Fonds social du logement, dont les crédits ont été réduits de 25 % en 2003, sans que l'augmentation de cette année ne compense cette baisse. Ce sont encore les départements qui paieront la différence ! Et que dire du transfert de la voirie ! Vous prétendez tenir compte de ce qui a été fait les cinq dernières années pour calculer la compensation, mais l'Etat n'a rien fait ces cinq dernières années ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe UMP). Dans mon département, le représentant de l'Etat m'a présenté un projet d'aménagement de la Nationale 20, mais nous ne recevrons pas les moyens nécessaires! Consultez donc vos amis qui sont à la tête des conseils régionaux... Un député socialiste - Il en reste! M. Augustin Bonrepaux - ...et vous verrez combien ils sont inquiets de ce transfert de la voirie ! Pour ces raisons, il serait nécessaire qu'un audit détermine le niveau des charges transférées et leur évolution, afin que les ressources transmises soient suffisantes. J'en viens à l'article 2 et à la définition des ressources propres, contraire au principe d'autonomie financière. Une ressource propre serait « le produit des impositions de toutes natures ». Le Gouvernement et les rapporteurs incluent dans cette catégorie des impositions dont les collectivités votent le taux mais aussi les parts de produits d'impositions transférées sans possibilité de vote des taux par les collectivités. De qui se moque-t-on ? Du reste, un amendement voté en commission des lois à l'occasion de l'examen du projet de loi relatif aux responsabilités locales, à l'initiative du rapporteur M. Daubresse, tendait à ce que la compensation financière des transferts de compétences s'opère par l'attribution d'imposition de toutes natures « dont les collectivités territoriales votent les taux, ou déterminent le tarif ». M. René Dosière - C'était un amendement Dosière, approuvé par M. Daubresse. M. Clément lui-même était d'accord ! M. Augustin Bonrepaux - Malheureusement, cet amendement n'a pas été adopté, parce que la majorité a eu tort de faire confiance au Gouvernement qui lui avait promis de traiter cette question lors du projet de loi organique. Il le fera, certes, mais pas comme la majorité l'aurait souhaité. Du reste, de nombreuses associations d'élus locaux représentant les communes, les départements et les régions ont adopté une motion pour qu'une ressource propre soit celle dont l'assemblée délibérante de la collectivité peut faire varier l'assiette ou le taux. « Les ressources propres des collectivités locales sont exclusivement constituées de ressources fiscales et parafiscales dont les collectivités locales fixent le montant par l'assiette ou le taux », écrivait hier encore Daniel Hoeffel, président de l'association des maires de France, dans un article du Monde. M. Alain Gest - Un moment d'égarement ! M. Augustin Bonrepaux - Vous avez eu du mal à expliquer cette décentralisation lors des dernières élections, mais ce sera pire lorsque les transferts auront eu lieu, et que les impôts locaux auront explosé ! Venons-en au transfert du RMI aux départements! Les collectivités territoriales ne peuvent se contenter de recevoir le produit d'impôts de l'Etat dont elles ne maîtrisent rien! Une dotation indexée sur la dotation globale de fonctionnement est bien préférable au transfert de la TIPP, dont le montant n'évolue même pas en fonction de modalités précisées par la loi ! Ainsi, le coût du RMI a augmenté de 4,4 % en 2003, et le produit de la TIPP de seulement 1,4 - qui comblera la différence ? Les collectivités locales par une hausse des impôts locaux ! Et qu'on ne prétende pas que la TIPP aurait connu dans les années 1990 une croissance supérieure de un point à la DGF, car il faudrait alors rappeler les augmentations des Gouvernements Balladur et Juppé sur le gazole et l'essence sans plomb ! En tout état de cause, il n'en ira pas ainsi en 2003, car la consommation de carburants a diminué, du fait du ralentissement de la croissance et des limitations de vitesse! Ne nous dites pas alors que la TIPP est une ressource évolutive ! M. Francis Delattre - Mais que proposez-vous? M. Augustin Bonrepaux - Que vous votiez notre amendement qui pose qu'une ressource propre est une ressource dont les collectivités locales peuvent faire évoluer le taux. M. René Dosière - Ils l'avaient voté en commission des lois ! M. Augustin Bonrepaux - Le rapporteur Daubresse s'était engagé à redéposer cet amendement lors de la navette, mais il n'est plus là pour tenir cet engagement. M. Francis Delattre - M. Daubresse est vivant ! M. Augustin Bonrepaux - Bref, mieux vaut adopter notre amendement, pour garantir l'autonomie fiscale des collectivités que vous promettiez d'instaurer en principe constitutionnel. Les parts d'impôts nationaux transférés sans possibilité de vote des taux n'apportent aucune liberté nouvelle aux collectivités et sont semblables à des dotations - avec l'inconvénient supplémentaire de ne pas être indexés. Seules les impositions dont les collectivités déterminent les taux ou fixent les tarifs doivent être considérées comme des ressources propres comme le prévoyait la loi constitutionnelle, comme vous l'avez promis, et comme vous le souhaitez certainement sur les bancs de la majorité. Ce qui s'est produit avec le RMI se reproduira avec les autres charges transférées. Est-il normal que le Gouvernement n'ait pas encore annoncé quels seraient les impôts transférés et dans quelle mesure les collectivités pourront en faire évoluer les taux ? L'engagement du Premier ministre selon lequel l'Etat transfèrerait une part de la TIPP aux régions constitue la simple reprise des promesses précédentes. Nicolas Sarkozy indiquait ainsi au Sénat : « Nous proposons que les nouvelles compétences soient intégralement financées par le transfert d'une ressource fiscale dynamique, c'est-à-dire d'une ressource dont l'évolution sera liée non pas seulement à son actualisation mais aussi à la croissance : il s'agit de la TIPP. Les régions pourront par ailleurs moduler le taux de la taxe. » Pourtant, la Commission européenne n'accepte pas cette variation pour le gazole. De plus, les propos de M. le ministre des finances selon lesquels seul le gazole professionnel serait concerné ne sont pas clairs : comment faire varier le taux de taxe sur le gazole pour les particuliers et non pour les professionnels ? La ressource sera donc insuffisante pour couvrir les charges transférées. Il y aura en outre rupture d'égalité avec les départements, lesquels recevront une part de TIPP dont ils ne pourront faire évoluer le taux, part qui n'évoluera pas au rythme des dépenses, et même pas au rythme de l'inflation. Le Gouvernement évoque les taxes sur les conventions d'assurances, mais il est surprenant qu'aucune simulation n'ait été présentée à la commission des finances. Quelles en sont les bases ? Comment sont-elles réparties par département ? Quelles mesures sont-elles prises pour qu'elles ne soient pas délocalisées comme la vignette ? Leur montant par département correspondra-t-il aux charges transférées ? Enfin, il est tout aussi surprenant que les deux rapporteurs puissent encore considérer les dégrèvements comme une ressource propre puisqu'il s'agit d'une participation de l'Etat. Rien ne nous garantit, de plus, que le dégrèvement ne sera pas suspendu ultérieurement. Quant à la réforme de la taxe professionnelle annoncée par le Président de la République, elle soulève plusieurs problèmes, particulièrement pour les communautés qui ont opté pour la TPU. En effet, toute réforme qui modifiera les bases - par exemple, si la valeur ajoutée remplaçait la valeur locative et les investissements - délocalisera une partie des ressources des collectivités locales. Avec le choix de la valeur ajoutée, le risque est grand de centraliser la richesse fiscale sur les zones de concentration d'entreprises à forte valeur ajoutée, avec comme corollaire l'appauvrissement des collectivités des zones industrielles ou artisanales à fort taux de main-d'_uvre. Vous assurez que la Constitution interdira les réformes et les suppressions d'impôts comme la vignette ou la taxe d'habitation. Mais serions-nous plus avancés si ces dernières avaient été remplacées par une part de la TIPP non évolutive ? Serons-nous plus avancés si la TP est supprimée et compensée par une part de TIPP qui n'évoluera pas ? Qui vous croira quand vous affirmez que l'autonomie des collectivités est respectée pour les communautés de communes qui n'ont que cette ressource ? N'est-ce pas là l'asservissement des collectivités aux décisions de l'Etat ? M. le Rapporteur général - Pas du tout. C'est le contraire. M. Augustin Bonrepaux - En conservant une part de dotation globale de décentralisation pour les départements et les régions, vous envisagez de poursuivre de tels transferts et de remplacer des impôts par des dégrèvements comme vous le faites pour la TP. La nouveauté, c'est que le ministre des finances considère que la DGD peut subir un gel. Peut-on considérer qu'une ressource propre puisse être amputée par une décision de l'Etat ? M. le Rapporteur général - La DGD n'est pas une ressource propre. M. Augustin Bonrepaux - Tout cela réduit encore plus le lien entre l'impôt et le citoyen puisque celui-ci n'aura prise sur aucune de ces ressources transférées suite à la décentralisation. Du reste, M. le Rapporteur général le reconnaît dans son rapport. « L'affaiblissement du lien entre la contribution des contribuables locaux, écrit le Rapporteur général, et le montant recouvré au titre de cet impôt par la collectivité bénéficiaire, conduit à une dilution de l'exercice des responsabilités locales qui constitue une perte de sens de la décentralisation. » M. Alain Gest - Ce constat concerne votre période ! M. Augustin Bonrepaux - Une part élevée de recettes fiscales à l'intérieur des recettes totales permet à une collectivité locale d'établir un équilibre entre les intérêts des contribuables et ceux des usagers des services publics. Mais lorsque les charges augmentent à structures constantes de fiscalité propre, la collectivité n'aura d'autre ressource que d'augmenter sa pression fiscale, et en particulier le taux de la taxe d'habitation, dont l'injustice n'est plus à démontrer. Aussi le lien entre élus, contribuables et usagers locaux est-il primordial. Or, la réforme du Gouvernement va exactement en sens inverse. Ainsi, inscrire la redevance télévisuelle sur l'avis d'imposition de la taxe d'habitation, comme vous l'avez annoncé, et donc mélanger impôt local et impôt national, incitera le contribuable à penser que la pression fiscale locale augmente. L'article 8 du projet tend à rendre plus concrète la notion de « part déterminante », dont il retient une conception purement défensive. Cette formule de part déterminante demeure néanmoins bien imprécise, et celle de « part prépondérante » retenue par le Sénat était bien préférable. Au reste, le rapporteur pour avis de la commission des finances, à propos de l'article 72-2 de la Constitution, s'est exprimé éloquemment : « La portée de cette disposition demeure floue. Si l'on excepte l'assurance selon laquelle la part déterminante des ressources propres ne peut être inférieure au niveau constaté au titre de l'année 2003, la définition donnée par le projet de loi organique de la part déterminante des ressources propres comme celle garantissant la libre administration des collectivités territoriales n'apporte pas de réponse claire. » Ainsi s'exprimait M. Laurent Hénart, ajoutant qu'en l'état du texte il reviendrait au Conseil constitutionnel de « déterminer à partir de quel niveau des mesures fiscales prises par l'Etat ne permettent plus de garantir la libre administration, ce qui était la situation, fort critiquée, avant la réforme constitutionnelle. » M. le Rapporteur général - C'est parfait ! M. Augustin Bonrepaux - Pourquoi avoir adopté la réforme constitutionnelle si c'est pour revenir à ce qui existait déjà, à savoir que la part est déterminante lorsqu'elle garantit la libre administration des collectivités territoriales ? Nombre de députés de la majorité qui ont voté la réforme de bonne foi ne s'aperçoivent-ils pas aujourd'hui qu'ils ont été bernés ? M. Jean-Pierre Balligand - Les pauvres ! M. Michel Piron - Nous assumons ! M. Augustin Bonrepaux - Autre hypocrisie, le choix du plancher, pour la définition du taux d'autonomie financière. Selon le rapporteur général, le choix du niveau atteint en 2003 est « particulièrement opportun », car il s'agirait de la dernière année où se feraient sentir les décisions de la précédente législature tendant à substituer des dotations indexées à des ressources propres. Or, c'est bien le gouvernement Raffarin qui a décidé d'achever la suppression de la part salariale de la taxe professionnelle, mesure heureuse en soi mais qu'il n'était nullement obligé de prendre, comme rien ne l'oblige à prendre 2003 comme année de référence, alors qu'il est aux affaires depuis mai 2002. C'est vraiment bizarre ! M. le Rapporteur - C'est un peu facile ! M. Augustin Bonrepaux - Si l'autonomie des collectivités était menacée en 2000, au point que le sénateur Raffarin vote la proposition de loi constitutionnelle, comment, arrivé au Gouvernement, n'a-t-il pas toutes affaires cessantes agi en sorte de garantir cette autonomie ? Or, voici que l'article 4 du projet aboutit à ce que, si le taux d'autonomie s'avérait inférieur au niveau atteint en 2003, des mesures correctrices ne seraient prises que cinq ans plus tard ! M. René Dosière - Comment ferait-on ? M. Augustin Bonrepaux - Avant ce délai, rien n'est prévu. Le Gouvernement pourrait-il donc sciemment, sans encourir la censure du Conseil constitutionnel, laisser se dégrader le taux d'autonomie financière en arguant du fait que la Constitution ne lui impose que de proposer des mesures correctrices dans un délai de cinq ans ? Quelle hypocrisie ce serait ! Il est donc nécessaire d'élaborer des mécanismes de respect a priori du seuil fixé à l'article 3. En outre, inscrire dans une loi organique une disposition inspirée de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à la compensation financière du transfert du RMI aux départements, serait beaucoup plus protecteur que le texte proposé par le Gouvernement, le dernier alinéa de l'article 72-2 de la Constitution disposant que « la loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l'égalité entre les collectivités territoriales ». Or, le projet reste muet sur la péréquation, et ne reprend même pas la disposition de la loi Pasqua de 1995 tendant à instaurer une péréquation à partir d'un indice synthétique, que l'on n'a d'ailleurs jamais vu venir, n'est-ce pas Monsieur Balligand ? Mais il est vrai que la péréquation est le dernier des soucis du Gouvernement. Pourtant elle joue un rôle déterminant dans l'équilibre des finances locales, d'autant que la décentralisation aggrave les inégalités. Ainsi, la charge du RMI transféré n'est pas équitablement répartie sur l'ensemble du territoire. Alors que le taux moyen de Rmistes est inférieur à 3 %, ce sont les départements les moins favorisés comme l'Ariège... M. Alain Gest - Alors il faut changer le président de son conseil général ! M. Augustin Bonrepaux - ...l'Aude ou le Gard, ou ceux qui souffrent de la crise industrielle comme le Nord et le Pas-de-Calais, dont les taux sont les plus élevés, dépassant souvent 5 %. Rien, dans la loi sur le transfert du RMI, ne permet de compenser ces dépenses supplémentaires ! Les inégalités s'accroissent donc et ce sont les départements les plus défavorisés qui sont le plus lourdement touchés. Voilà qui montre bien que la réforme constitutionnelle n'apporte en fait aucune garantie. La plupart des mesures de péréquation ont d'ailleurs été prises par des gouvernements de gauche. M. Francis Delattre - La DSU, ce n'est pas vous ! Vous n'aviez pas la majorité pour la voter ! M. Augustin Bonrepaux - C'était en 1991. Vous n'étiez peut-être pas là, mais moi si ! M. Francis Delattre - Je n'étais pas là en 1991 ? M. Augustin Bonrepaux - La dotation de développement rural aussi, c'était en 1991, et la dotation de fonctionnement minimale aussi ! M. Michel Bouvard - La DDR, c'était en 1995 ! M. le Président - Mes chers collègues il y aura des explications de vote tout à l'heure. Laissez conclure M. Bonrepaux, qui aura bientôt achevé son temps de parole. M. Alain Gest - On ne peut pas le laisser dire n'importe quoi ! M. Augustin Bonrepaux - Je dois rafraîchir la mémoire de M. Bouvard : ce sont les élus de la montagne, lors de la discussion de la loi sur la coopération intercommunale de 1992, qui ont instauré la DDR. Vous avez voulu ensuite la saupoudrer sur toutes les collectivités locales. Lorsque nous sommes revenus au pouvoir en 1997, nous l'avons de nouveau focalisée sur les communautés de communes, pour qu'elle remplisse son rôle de péréquation. J'attends que vous me citiez une mesure de péréquation que vous auriez prise ! M. Michel Bouvard - La DFM ! M. Augustin Bonrepaux - Elle a été créée en 1991 ! Il faut rappeler quelques vérités : au moment du vote de la DSU, les élus de la montagne ont dénoncé l'absence de mesures pour les départements ruraux en difficulté. Nous avons donc voté la DFM, par un amendement de Jacques Barrot que j'ai sous-amendé. M. Francis Delattre - Les communistes ne l'ont pas votée ! M. Augustin Bonrepaux - La coopération qui existait autrefois entre élus de la montagne a permis d'obtenir une majorité. Je regrette que l'actuel gouvernement écoute beaucoup moins les élus de la montagne... La péréquation entre régions, c'était en 1992, dans la loi relative aux communautés de communes. Nous avons fait tout cela sans avoir besoin de réformer la Constitution ! J'ajoute que nous avons bonifié la dotation globale de fonctionnement en 1997 pour les communautés d'agglomérations et les communautés de communes à taxe professionnelle unique, certes à partir d'un amendement du Sénat. Ce sont les gouvernements de gauche qui ont fait tout cela ! Et vous, qu'avez-vous fait de la loi Pasqua, promulguée en 1995 et qui, en 1997, n'était toujours pas mise en _uvre ? Les membres de la commission spéciale devraient se souvenir que lorsque M. Pasqua a commencé à évoquer une péréquation, tous les élus des communes les plus aisées l'ont freiné ! Depuis 2002, vous avez commencé à rogner les mesures du gouvernement Jospin. La dotation de compensation de la taxe professionnelle, par exemple, servait de mesure de régulation. Jusque là, on avait évité qu'elle baisse pour les communes défavorisées. Vous nous avez expliqué qu'on ne pouvait pas la réduire pour les uns et pas pour les autres, et vous l'avez baissée pour tout le monde ! Voilà votre conception de la péréquation... N'hésitez pas à m'interrompre si vous pouvez démontrer le contraire ! Cette année, pour la DGF, vous avez même réussi un exploit : mettre en répartition des crédits qui n'existaient pas ! Il manquait 20 millions par rapport à ce que disait la loi, mais vous avez fait comme s'ils existaient : du coup, la DSR et la DSU augmentaient de 2,93 % ! Vous vous récupérerez sur la régulation ou sur l'année prochaine : l'essentiel était de laisser passer les élections... Avez-vous une véritable volonté politique de péréquation ? Vous élaborez des mesures, mais vous laissez au comité des finances locales, dominé par des élus de droite, le soin de les mettre en _uvre, sachant pertinemment qu'ils auront pour première préoccupation de préserver les situations acquises ! Et n'avez-vous pas organisé l'asphyxie financière des collectivités locales ? (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) M. Alain Gest - C'est vous qui dites cela ? M. Jean-Pierre Grand - Dites-le sans rire ! M. Augustin Bonrepaux - Les crédits du FNDAE qui baissent de 50 %, ce n'est pas l'asphyxie pour les communes rurales ? Et le hold up du Gouvernement sur les crédits de développement européens ? Michel Bouvard, hier, en commission, regrettait l'utilisation faite par l'Etat de ces crédits ! M. Michel Bouvard - Je regrette encore davantage la gestion de la précédente législature ! M. Augustin Bonrepaux - Vous laissez croire aux citoyens que la baisse des crédits européens est due à l'élargissement de l'Europe, mais ils ont été confisqués par le Gouvernement ! Et aujourd'hui, les contrats de pays manquent de moyens, les subventions ont diminué de moitié et souvent l'Etat n'est plus en mesure de financer les projets des zones rurales ! D'ailleurs, M. Sarkozy a proposé au ministre de l'intérieur de geler les dotations votées par le Parlement : DGE, DDR et DGD ! Je ne fais que rappeler la réalité ! M. Alain Gest - On peut vous faire confiance ! M. Augustin Bonrepaux - Vous devriez vous souvenir de ce qui s'est passé au mois de mars ! M. Alain Gest - Et de ce qui s'est passé en 2002 ? M. Augustin Bonrepaux - Il n'y a donc aucune réelle volonté de péréquation dans votre texte. Vous restez fidèle à la loi du plus fort : bien chanceux les habitants des territoires aisés, ils pourront jouir de services culturels, éducatifs, de logement, de transport et de soins. Les autres devront oublier un vieux rêve républicain : l'égalité des chances pour tous sur l'ensemble du territoire. Cette loi organique est donc une véritable imposture. Elle est incohérente et hypocrite. Vous aggravez la décentralisation des déficits et l'abandon par l'Etat d'une partie de ses responsabilités. Vous favorisez les transferts de charges pour poursuivre votre politique clientéliste de cadeaux fiscaux. Vous enserrez les ressources des collectivités locales dans le corset des décisions de l'Etat, en leur laissant comme seule liberté l'escalade des impôts locaux les plus injustes, comme la taxe d'habitation. Vous démantelez l'action publique et aggravez la fracture territoriale. C'est pour toutes ces raisons que le groupe socialiste présente cette exception d'irrecevabilité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). M. Salles remplace M. Baroin au fauteuil présidentiel. PRÉSIDENCE de M. Rudy SALLES vice-président M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur - Nous aurons l'occasion de revenir plus en détail sur les nombreux points évoqués par M. Bonrepaux, sur lesquels il y a beaucoup à dire. Permettez-moi pour l'instant de regretter qu'il ait utilisé des formules si agressives, dans la droite ligne des propos de M. Fabius hier, qui nous ont tous choqués. L'un de vos amis, président de la région Aquitaine, s'est montré tout aussi agressif, en reprochant au Gouvernement de ne pas vouloir dialoguer. Je m'en étonne. Nous avons toujours été très ouverts à la discussion. D'autres réunions sont prévues, avec les présidents de région, ceux des conseils généraux ou les maires. Nous sommes d'autant plus ouverts qu'il s'agit de sujets qui dépassent largement les clivages politiques, et sur lesquels il serait temps que nous devenions plus consensuels. Car nous nous sommes tous exprimés sur ces problèmes, et le plus souvent dans le même sens - mais, il est vrai, pas aux mêmes périodes... Etre dans l'opposition incite certes à être « tout contre » ; mais sur ces questions nous pouvons aussi peut-être trouver de quoi nous rassembler, et je souhaite que ce débat le permette. L'objet de votre motion était de montrer que le projet n'était pas conforme à la Constitution. Vous auriez pu arguer par exemple que le vote des taux est une condition obligatoire pour qu'une ressource des collectivités locales soit qualifiée de ressource propre. Mais nous avons bien regardé les textes : le constituant n'a pas restreint la notion « de produit d'impositions de toute nature » - qui font partie des ressources propres - à celles dont la collectivité fixe le taux ou l'assiette ; M. Carrez l'a d'ailleurs rappelé. Un autre motif d'inconstitutionnalité pourrait consister à dire que ce projet n'a pas épuisé sa compétence, faute d'avoir fixé en valeur absolue la part déterminante mentionnée à l'article 72-2 de la Constitution. Mais ici encore nous avons été attentifs : le fait de proposer un niveau plancher, qui sera celui de 2003, est de nature à répondre à ce risque d'inconstitutionnalité. Un troisième motif possible consisterait à soutenir qu'on s'est écarté du champ fixé par la Constitution pour cette loi. Mais l'alinéa 3 de l'article 72-2 renvoie au champ de la loi organique pour la seule fixation des conditions dans lesquelles la règle de la part déterminante est mise en _uvre, et c'est bien l'objet du présent texte. Vous avez évoqué de façon vigoureuse et très critique les transferts de ressources correspondant au transfert aux départements de la compétence RMI-RMA. Je veux vous rassurer, car l'un de mes buts principaux dans ce débat sera de créer entre le Gouvernement et l'ensemble du Parlement la confiance nécessaire sur la mise en _uvre de la décentralisation. En l'occurrence, nous avons été clairs : une provision a été versée pour 2003, et, quand les montants définitifs seront connus, le complément éventuel sera versé en 2004. En nous faisant ce procès d'intention, vous vous trompez de gouvernement : vous confondez avec ce qu'a fait le gouvernement de M. Jospin pour l'APA, pour les 35 heures et pour les SDIS... A ce sujet aussi nous avons tiré les leçons du passé. Il ne faut pas qu'un gouvernement puisse mettre des compétences sur le dos des collectivités locales, sans donner les ressources correspondantes, tout en en tirant le bénéfice politique. Cela, c'est le passé : nous avons veillé, en révisant la Constitution, à empêcher le retour de ce type de situations. Vous avez aussi parlé de péréquation, et ouvert une sorte de concours entre droite et gauche pour savoir qui était le meilleur en ce domaine. M. René Dosière - Il n'y a pas photo ! M. le Ministre délégué - En effet ! Certes la création de la DSU, c'était en 1991 : mais l'amélioration de la DSU, c'était le gouvernement de M. Balladur. La DDR a été créée en 1992, mais le Fonds de solidarité Ile-de-France date de 1996. A y regarder de près, chacun y a sa part ; mais la réforme qui a relancé la péréquation date de décembre 1993, sous le gouvernement Balladur. Elle avait pour but d'alimenter la péréquation deux fois plus vite que la dotation forfaitaire : ce point vous a sans doute échappé, mais s'il fallait, en ce temps de festival, attribuer une palme d'or de la péréquation, je pense qu'il faudrait la donner au Gouvernement qui a le courage d'aller jusqu'à modifier la Constitution pour que cette notion soit désormais au c_ur des relations entre l'Etat et les collectivités locales ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Dans ce débat, nous allons devoir tordre le cou à un certain nombre de contre-vérités qui circulent un peu trop sur la gauche de cet hémicycle, et qui tendent à politiser un débat qui mérite mieux. On parle depuis vingt ans de réforme des finances locales ; tout le monde a apporté sa contribution... M. René Dosière - Sur la DDR, où étiez-vous ? M. le Ministre délégué - Nous n'avons pas la vérité révélée : nous essayons d'avancer, en nous posant des questions. Il y a quelques années Pierre Mauroy a conduit une commission et fait des propositions. Nous n'avons pas écarté son rapport au seul motif qu'il émanait d'adversaires politiques : nous l'avons étudié, et nous en avons repris une bonne part dans nos différents projets de loi. Ainsi, avec tout l'esprit de conviction dont nous pouvons faire preuve, en particulier MM. les rapporteurs, nous arriverons peut-être à vous convaincre que cette loi organique est un élément majeur pour la décentralisation, et que nous l'avons faite pleinement conforme à la Constitution (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Michel Bouvard - Je souhaite une suspension de trois quarts d'heure pour réunir mon groupe. M. le Président - Le mieux est de lever la séance. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30. La séance est levée à 18 heures 35. Le Directeur du service |
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