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Assemblée nationale
COMPTE
RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL
Session ordinaire de 2003-2004 - 93ème jour de séance, 229ème séance 2ème SÉANCE DU MARDI 25 MAI 2004 PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ Sommaire QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2 LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS 2 FISCALITÉ SUR LES CARBURANTS 2 FERMETURE DE L'USINE NESTLÉ DE MARSEILLE 3 POLYNÉSIE FRANÇAISE 4 SAPEURS-POMPIERS 5 CATASTROPHE DE ROISSY 6 ÉDUCATION NATIONALE 6 DISPARITIONS D'ENFANTS 7 DOSSIER MÉDICAL PARTAGÉ 8 ASSURANCE MALADIE 8 SERVICE MINIMUM DANS PRIX DES SMS 9 CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT 10 EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 20 QUESTION PRÉALABLE 27 La séance est ouverte à quinze heures. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement. LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS M. Francis Vercamer - Monsieur le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, il y a quelques jours, une équipe de sociologues de l'Observatoire des discriminations, relevant de l'université de Paris I, a publié une étude montrant que, bien que sanctionnées par la loi, des discriminations à l'embauche, fondées sur l'âge, le sexe, le handicap, mais aussi l'origine ethnique ou le lieu de résidence, continuent d'être pratiquées dans notre pays. Ainsi un Français d'origine maghrébine aurait-il cinq fois moins de chances qu'un autre d'obtenir un entretien d'embauche pour un emploi commercial. De même, habiter un quartier considéré comme difficile prive tout candidat à l'embauche de chances sérieuses de trouver un emploi. Face à cette situation qui perdure depuis trop longtemps, l'exaspération de nos concitoyens d'origine maghrébine, en particulier les jeunes, va croissant. Ceux-ci se sentent en effet doublement stigmatisés, du fait de leur histoire familiale et du quartier où ils habitent. C'est le cas dans l'agglomération de Roubaix où cette réalité est dénoncée depuis plusieurs années. A plusieurs reprises, le Gouvernement a exprimé le souhait de créer une Haute Autorité de lutte contre les discriminations, sans toutefois donner de suites concrètes à sa proposition. Quelles initiatives compte-t-il prendre en ce domaine ? Quand cette Haute Autorité, attendue depuis plusieurs mois, sera-t-elle en place ? De quels moyens concrets sera-t-elle dotée pour assurer le respect du principe républicain d'égalité des chances ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) Mme Catherine Vautrin, secrétaire d'Etat à l'intégration et à l'égalité des chances - Vous avez raison, les discriminations alimentent les réflexes identitaires et le communautarisme, en même temps qu'elles sont contraires à l'idée que nous nous faisons de la République. C'est pourquoi dès octobre 2002, le Président de la République a annoncé à Troyes la création d'une Haute Autorité de lutte contre les discriminations de toute nature et, dès juin 2003, confié à M. Bernard Stasi, alors médiateur de la République, la tâche d'esquisser cette future Haute Autorité. Le rapport remis par celui-ci au Premier ministre en février dernier a fait l'objet d'un très large consensus. C'est sur cette base que Jean-Louis Borloo a élaboré un projet de loi qui doit être transmis au Conseil d'Etat dans les tout prochains jours. Nous déterminons actuellement les moyens nécessaires pour que la Haute Autorité soit, comme prévu, opérationnelle le 1er janvier 2005. Cette Haute Autorité traitera des cas individuels de discrimination dont elle sera saisie. Elle disposera de pouvoirs d'enquête et de recommandation, lesquels s'exerceront en liaison étroite avec les autorités judiciaires. Enfin, elle avalisera les bonnes pratiques, dans l'administration comme dans les entreprises. D'ores et déjà, nous recensons ces bonnes pratiques dans l'audiovisuel, les télécommunications, le service public de l'emploi, les grands groupes, et bien sûr la fonction publique. Après la laïcité, nous souhaitons faire partager et respecter par tous cette autre valeur fondamentale de notre République qu'est l'égalité des chances. Nous nous en donnons les moyens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). M. Jean-Pierre Brard - Monsieur le Premier ministre, nous voici à la saison des festivals de théâtre et je dois avouer que lorsque je pense à vous, il m'arrive parfois de vous voir en Chimène languissant pour Rodrigue... (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) ...seulement votre Rodrigue à vous, c'est le baron Ernest-Antoine Seillière de Laborde (Rires sur de nombreux bancs). Vous avez pour lui tous les égards, en ce qu'il représente nantis et privilégiés, pour lesquels vous avez, depuis deux ans, successivement abaissé l'impôt sur le revenu, l'impôt sur la fortune, les droits sur les donations, et pour lesquels vous vous apprêtez à voter une amnistie fiscale, c'est-à-dire à pardonner les voleurs qui ont fait fuir illégalement leurs capitaux à l'étranger (Vives exclamations sur les bancs du groupe UMP). Pendant ce temps-là, pour la France d'en bas, les salariés qui doivent chaque jour se rendre à leur travail en voiture, les agriculteurs, les marins pêcheurs..., le prix de l'essence ne cesse d'augmenter. Qui gagne à cette envolée ? Par exemple TotalFinaElf qui a réalisé un bénéfice net de deux milliards d'euros au dernier trimestre et qui, ce que les Français ne savent pas assez, possède, comme les autres compagnies pétrolières, des puits de pétrole et, avec l'aide d'Etats complices, fait monter les prix. L'Etat est l'autre gagnant à cette hausse des carburants qui accroît le produit de la TVA et de la TIPP. Qui perd ? Eh bien, tous les électeurs de la France d'en bas, que vous regardez de haut, peu soucieux que vous êtes de leur sort ! (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) Mes questions sont simples. Allez-vous faire rendre gorge aux compagnies pétrolières qui s'enrichissent sur le dos de nos concitoyens ? Comment allez-vous vous y prendre pour faire baisser les taxes sur les carburants ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste) M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat au budget et à la réforme budgétaire - Chacun aura pu apprécier l'humour de M. Brard... Cependant, puis-je vous rappeler, Monsieur Brard, que 50 % des Français paient l'impôt sur le revenu, si bien que la baisse de cet impôt a profité à un Français sur deux, et non pas, comme vous le prétendez, seulement aux plus fortunés d'entre eux (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste). S'agissant de ce que vous appelez l'amnistie fiscale, le Premier ministre étudie la possibilité de faire rapatrier en France certains capitaux qui ont quitté le pays, d'ailleurs pas toujours de manière illégale. Rien n'a encore été décidé sur ce point : nous analysons notamment les mesures de même nature prises par le gouvernement social-démocrate allemand. C'est le moment venu, en fonction des informations alors disponibles, que le Premier ministre tranchera. Pour ce qui est de la TIPP flottante, mesure prise par le gouvernement de Lionel Jospin... (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), cette TIPP flottante a été instituée à un moment où le prix du baril était - en euros - 10 % plus élevé qu'aujourd'hui. Cette mesure avait coûté très cher aux finances publiques et nous avait valu une condamnation par l'Union européenne. Cela étant, si nous constations que si l'augmentation du prix du baril pénalise la croissance au moment où celle-ci repart, les mesures nécessaires seraient prises (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). FERMETURE DE L'USINE NESTLÉ DE MARSEILLE M. Roland Blum - Monsieur le ministre de l'économie, la direction de Nestlé France a annoncé son projet de fermer prochainement son usine Saint-Menet à Marseille. Cette décision, aussi brutale qu'inattendue, est inacceptable : quelque 450 personnes risquent de se retrouver au chômage, sans compter les pertes d'emplois induites chez les sous-traitants, que l'on peut estimer à deux cents. Nestlé France promet certes une reconversion économique du site, mais nul n'en connaît les modalités et quoi qu'il en soit, une telle reconversion prendrait plusieurs années. Le groupe promet également un « traitement social exceptionnel » avec pour chaque salarié une proposition d'emploi dans une autre usine du groupe... à Dieppe, Dijon, Pontarlier. Comme s'il était facile pour des familles, souvent installées à Marseille depuis très longtemps, de déménager à l'autre bout de la France ! Les élus marseillais, unis autour de leur maire, ne comprennent absolument pas cette décision de fermer cette usine, dont rien ne prouve que la rentabilité soit insuffisante. Enfin, comble de l'affaire, Nestlé France refuserait d'engager toute négociation avec un repreneur, en l'occurrence les cafés Legal, qui s'engagent pourtant à maintenir les emplois. Que peut faire le Gouvernement pour nous aider afin de garantir la poursuite de cette activité industrielle à Marseille ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie - La fermeture de cette usine, installée à Marseille depuis 1948 et qui emploie 428 personnes, serait en effet un coup dur pour votre ville. La direction du groupe a pour le moins agi avec désinvolture puisque les élus ont, semble-t-il, appris la nouvelle dans la presse, au point que M. Gaudin, M. Muselier et vous-même ont dû convoquer les dirigeants pour en savoir davantage. Le Gouvernement a demandé au préfet de région de recevoir ces dirigeants en leur indiquant que l'Etat serait particulièrement exigeant s'agissant des mesures de reconversion (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). Pour l'heure, le plan social comporte des préretraites pour quatre-vingts à quatre-vingt-dix salariés de 55 ans ou plus. Nestlé s'est engagé, pour tous les autres, à leur faire une proposition de reclassement sur un autre site, il est vrai ailleurs qu'à Marseille, ville à laquelle il est sans doute difficile de s'arracher. Nestlé a également prévu des mesures de réindustrialisation ainsi que des mesures en faveur des publics les plus défavorisés des secteurs difficiles de la ville. La société accepte enfin de remettre à la disposition de la commune les vingt-cinq hectares de son site. Pour autant, vous avez raison, Nestlé, curieusement, refuse de céder son usine à la société Legal, alors même que ce n'est pas une question de prix. J'ai donc demandé à rencontrer les dirigeants de Legal pour examiner de manière plus détaillée leur offre et voir si une solution de reprise sur place, largement préférable, ne serait pas possible. Vous le voyez, le Gouvernement suit de très près cette affaire importante pour Marseille (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. René Dosière - Madame le ministre de l'outre-mer, en janvier dernier, votre majorité a voté à la hussarde un nouveau statut pour la Polynésie française. Elaboré à l'Élysée avec votre soutien, ce statut comportait un nouveau mode de scrutin à un tour avec une prime majoritaire de 30 %. Après la débâcle des élections régionales et la défaite de Mme Michaux-Chevry par notre ami Victorien Lurel (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), la première décision du nouveau gouvernement Raffarin a consisté à dissoudre précipitamment l'assemblée de Polynésie à la demande de Gaston Flosse (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Vous complétez votre bilan par la défaite de Jacques Lafleur aux élections provinciales en Nouvelle-Calédonie (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Dimanche dernier, en Polynésie, Gaston Flosse, l'ami de Jacques Chirac et le vôtre, a été mis en minorité en obtenant 28 sièges contre 29 pour les oppositions, victime du mode de scrutin qu'il avait lui-même inventé (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; interruptions sur les bancs du groupe UMP). La victoire d'Oscar Temaru à la tête d'une liste d'union soutenue par le parti socialiste représente un événement historique (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Cette défaite annonce la fin d'un système néocolonial basé sur le clientélisme et la corruption, le système Chirac (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Contrairement aux fantasmes de vos amis, le vote intervenu ne porte pas sur l'indépendance de la Polynésie, comme l'a bien précisé Oscar Temaru. En soulignant, dans vos premiers commentaires, que le Tahoeraa demeurait le parti le plus important, vous oubliez de dire qu'il est minoritaire en voix, puisque vos adversaires ont obtenu 54 % des suffrages exprimés (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Reconnaissez-vous ici la légitimité de la nouvelle majorité, conduite par Oscar Temaru, élu pour cinq ans avec un mode de scrutin que vous avez vous-même institué, et allez-vous coopérer loyalement avec cette nouvelle majorité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UMP) Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer - Par vos propos, vous contribuez à éclairer la représentation nationale sur la réalité de la politique socialiste outre-mer, qui tend au démembrement de la République (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Votre satisfaction devant la victoire encore très incertaine de M. Temaru est éloquente (Exclamations et interruptions prolongées sur les bancs du groupe socialiste). Vos propos ne m'étonnent pas, après avoir entendu hier M. Hollande affirmer que les quatre régions d'outre-mer avaient basculé à gauche, annexant ainsi la victoire en Martinique d'un élu indépendantiste (Exclamations sur les bancs du groupe UMP ; interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Vous vous félicitez très logiquement de la victoire du parti indépendantiste avec lequel vous avez signé un accord le 20 mai dernier prévoyant l'accession pleine à la souveraineté de la Polynésie française, avec, j'imagine, la totale indépendance financière (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Votre discours à géométrie variable sur la Polynésie française ne trompe personne. Vous avez expliqué pendant des mois que nous avons fabriqué un statut pour convenance personnelle, afin d'assurer l'élection triomphale de M. Flosse. Si c'était le cas, vous n'auriez pas à vous réjouir aujourd'hui. D'ailleurs ne vous réjouissez pas trop vite. Le processus électoral est loin d'être terminé. Ce qui en revanche n'est pas à géométrie variable, c'est la politique socialiste de largage et d'abandon de l'outre-mer (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP) et de ses deux millions et demi de Français dont vous ne songez qu'à vous débarrasser. Ce n'est pas notre conception de la République, ni le souhait de l'immense majorité de nos compatriotes d'outre-mer (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste). M. Dominique Paillé - Ma question, plus consensuelle je pense, porte sur les sapeurs-pompiers. Chaque jour, les sapeurs pompiers travaillent avec efficacité et souvent au péril de leur vie pour la sécurité de nos concitoyens. Ils constituent ainsi un corps très apprécié qui mérite la gratitude de la nation. En ce sens, la reconnaissance du caractère dangereux de leur métier est un progrès, dont toutes les conséquences doivent être tirées. La modernisation des équipements, le réaménagement des retraites, la bonification des fins de carrière, induisent un coût très élevé, dont les collectivités locales ne doivent pas seules assumer la charge. Comment, dans la prochaine loi de modernisation de la sécurité civile, comptez-vous répondre à la fois à la légitime attente des sapeurs-pompiers et aux préoccupations des départements ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Vous avez exprimé, j'en suis sûr, le sentiment général. Les sapeurs-pompiers sont au c_ur de la sécurité quotidienne des Français. Leur action est synonyme de courage, de solidarité et d'efficacité. Les trois plans rouges décidés ce week-end en Loire-Atlantique, à Roissy et à Lisieux, en témoignent. Les pompiers paient un lourd tribut : quatre décès depuis le début de l'année, treize l'an dernier et vingt-cinq en 2002. Ils font face à des risques croissants qui exigent des ressources humaines et des moyens matériels adaptés. C'est pourquoi une loi de modernisation est indispensable, dont j'entends qu'elle soit adoptée avant la fin de l'année. Pour les professionnels, je prévois la reconnaissance de la dangerosité du métier. Voilà trente ans qu'on en parle, nous allons le faire. Nous comptons aussi améliorer leur fin de carrière, en abaissant à vingt-cinq ans le seuil de déclenchement de la bonification. Nous proposerons des projets personnalisés à ceux qui éprouvent des difficultés dans l'exercice de leurs missions. J'ai signé sur ces bases, le 18 mai, un protocole d'accord avec quatre organisations majoritaires de la profession. Pour les 200 000 volontaires, il faut des mesures spécifiques. Plus d'un tiers ne renouvellent pas aujourd'hui leur contrat. Nous avons besoin de les fidéliser, en leur offrant un statut plus valorisant, avec un avantage retraite spécifique. Je conduirai cette réforme dans un esprit de responsabilité et l'Etat contribuera au financement des mesures destinées à encourager le volontariat. Une part de la taxe sur les conventions d'assurance sera transférée aux départements. La sécurité civile est une exigence quotidienne et républicaine. Il nous appartient à tous d'y participer (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. François Scellier - Dimanche dernier, une section de 30 mètres du toit du terminal 2E de l'aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle s'est effondrée. Quatre personnes sont mortes, deux autres blessées. Nos pensées vont aux familles et aux proches des victimes. Comment un tel drame a-t-il pu se produire, alors que ce terminal a été inauguré il y a moins d'un an ? Quelles mesures d'urgence le Gouvernement et Aéroports de Paris ont-ils prises ? Cette catastrophe aura-t-elle des conséquences économiques sur le développement de l'aéroport ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer - Au nom du Gouvernement, j'exprime l'émotion qu'a provoquée cet accident terrible, et je transmets nos sentiments de compassion aux familles des victimes, dont toutes ne sont pas encore identifiées. Avec Nicole Guedj et Dominique de Villepin, nous nous sommes rendus aussitôt sur les lieux, où nous avons constaté avec quelle efficacité se sont mobilisés les services de secours et ceux d'ADP. Dès lundi matin, le Premier ministre est venu les remercier. Grâce à eux, d'autres victimes ont sans doute été évitées. Le terminal 2E est entièrement évacué et fermé. Nous voulons savoir ce qui s'est passé, et que nous ignorons jusqu'à présent. Dès dimanche, une enquête judiciaire a été diligentée. Ce matin, avec François Goulard, nous avons signé une lettre de mission pour diligenter une commission d'enquête administrative, dont nous attendons un rapport d'étape dès le mois prochain. Les vols sont répartis sur l'ensemble du site de Charles-de-Gaulle. Le trafic se poursuit. Dans la perspective des déplacements estivaux, nous travaillons pour organiser les flux dans la sécurité, la ponctualité et la qualité de service. Dans cet esprit, François Goulard et moi avons demandé au directeur général de l'aviation civile d'assurer une coordination spécifique pour veiller au respect de ces objectifs (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP). M. Manuel Valls - Depuis votre installation au ministère de l'éducation nationale, Monsieur le ministre, nous avons pu noté un changement de style par rapport à votre prédécesseur : la cacophonie et le mépris ont fait place au silence (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Le mauvais budget de 2004, aggravé par la suppression de plus de 30 % de postes aux concours, enlève à l'école les moyens de fonctionner correctement. Ce sera encore le cas lors de la rentrée prochaine, avec un mauvais encadrement des élèves, des classes surchargées, une remise en cause de l'école maternelle (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), le non-remplacement d'enseignants. Le manque d'enseignants titulaires contribuera également à accroître la précarité. Après avoir été le premier licencieur de France avec la suppression des emplois-jeunes et des aides-éducateurs, vous vous apprêtez à devenir les champions de l'emploi précaire dans la fonction publique (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Mais en fermant des portes aux concours, alors que les effectifs des élèves augmentent, vous organisez une crise et une pénurie sans précédent. La crise actuelle est d'abord la conséquence de vos choix budgétaires. Vous engagez-vous à rétablir les postes supprimés en 2004 alors qu'ils étaient inscrits au budget ? Vous engagez-vous à remplacer les milliers de départs à la retraite prévus pour 2005 dans le cadre d'un plan pluriannuel de recrutement ? (Applaudissements bancs du groupe socialiste) M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche - Je viens de recevoir les organisations syndicales de l'éducation nationale qui m'ont fait part de leurs inquiétudes, lesquelles s'expriment d'ailleurs dans la rue, quoique de façon modérée. Mais le Gouvernement est attentif aux mouvements sociaux, sachant qu'ils comportent toujours une part de vérité. Cependant, derrière les slogans, la réalité est bien différente de celle que vous avez décrite. L'éducation nationale est la première priorité de notre pays (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) avec une dépense de 104 milliards. C'est le premier employeur de France avec plus de 800 000 enseignants dans le primaire et le secondaire. C'est aujourd'hui le premier recruteur avec plus de 30 000 postes offerts. Il n'y a pas de menace quant à l'encadrement des classes. Nous préparons le budget pour 2005 et cherchons à concilier la modernisation de l'éducation nationale et la nécessité de réduire les déficits : on ne peut en effet tout miser sur notre jeunesse et lui laisser supporter les dépenses que nous n'aurons pas été capables d'assumer (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Je souhaite réfléchir avec les organisations syndicales à un plan pluriannuel qui tiendra compte des effectifs - ils augmentent dans le primaire et diminuent dans le secondaire -, des départs en retraite et des priorités de la politique éducative du Gouvernement. Ainsi, il est nécessaire de mieux éclairer les étudiants quant aux carrières de l'enseignement et il convient également de faire régresser la précarité. Je serais heureux, sur ces sujets, de connaître les propositions du parti socialiste. Soutenir les slogans des manifestants ne constitue pas une politique (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Jean-Paul Garraud - J'associe à ma question Mme Henriette Martinez. C'est aujourd'hui la journée internationale des enfants disparus. Il y a quelques jours, le corps du petit Jonathan a été découvert. Nous avons tous une pensée pour sa famille et ses proches et nous souhaitons que l'auteur de ce crime ignoble soit identifié et arrêté. Nous avons également tous en mémoire les prénoms d'Estelle, Marion, Karine et de bien d'autres : 627 enfants ont à ce jour disparu sans laisser de trace. On dénombre environ 36 000 fugues par an. De nombreuses associations, fondées par des parents d'enfants disparus ou assassinés, donnent de belles leçons de courage et d'altruisme (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Elles ont contribué à faire progresser les lois : les lois d'orientation et de programmation sur la justice ou sur la sécurité intérieure ont ainsi permis un renforcement de l'arsenal juridique. Mais il reste beaucoup à faire. Aujourd'hui se déroulent de nombreuses manifestations en Europe et aux Etats-Unis. Les enlèvement internationaux, l'organisation de réseaux pédophiles via internet posent de nouvelles et inquiétantes questions. Je connais la détermination du Gouvernement pour améliorer le sort des victimes. La création d'un secrétariat d'Etat aux victimes en témoigne. Quels engagements comptez-vous prendre en faveur de ces victimes particulièrement vulnérables que sont les enfants ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - En effet, on dénombre près de 36 000 fugues chaque année qui, heureusement, se terminent pour la plupart par des retrouvailles avec les familles. Plus de 600 enfants, en effet, sont aujourd'hui portés disparus. Les associations ont attiré notre attention sur ces questions et c'est grâce à elles que dans la loi de septembre 2002, vous avez adopté un dispositif qui permet de commencer une procédure judiciaire dès le signalement de la disparition. Il y a un an, nous avons demandé à ces associations, avec Christian Jacob, de nous faire un certains nombre de propositions. Aujourd'hui, avec Marie-Josée Roig, nous avons signé avec la fondation pour l'enfance et la fédération des associations de victimes une convention au terme de laquelle nous pourrons mettre en place, le 1er octobre prochain, un numéro Azur qui permettra aux familles confrontées à ces drames d'avoir des conseils et un compte rendu de l'enquête en cours. Le tissu associatif, les bénévoles nous amènent à prendre des initiatives nouvelles. En cette journée du 25 mai, nous pouvons les remercier pour leur travail (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF). M. Marc Bernier - Hier, à Toulouse, Monsieur le ministre de la santé, vous avez dévoilé les grandes lignes du projet relatif au dossier médical partagé qui sera, à l'horizon de 2007, l'un des points importants de la réforme de l'assurance maladie. Comme l'a démontré l'expérience engagée dans mon département de la Mayenne, ce dossier médical facilitera la coordination entre médecins libéraux et hospitaliers et améliorera le suivi des patients tout en responsabilisant les assurés sociaux et les médecins. De plus, ce fichier informatique sécurisé permettra d'éviter la multiplication d'actes redondants dont l'abus a des conséquences préjudiciables sur les dépenses de santé publique. Ce projet est accueilli de manière favorable, mais des interrogations demeurent : comment comptez-vous garantir la confidentialité des données médicales de nos concitoyens ? Ce projet sera-t-il effectivement mis en place dans les délais que vous avez fixés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale - La régulation médicalisée que nous proposons pour réformer l'assurance maladie est fondée sur trois axes : le rôle important du médecin traitant dans l'organisation des soins, l'élaboration de bonnes pratiques médicales, le dossier médical partagé qui sera informatisé, personnalisé et confidentiel. N'accéderont au dossier médical sur internet que le malade, avec sa carte et son code secret, et le médecin traitant avec sa carte professionnelle. La confidentialité des informations est sérieusement garantie. C'est pourquoi 20 millions de nos concitoyens utilisent internet pour consulter leur compte bancaire ou pour faire leur déclaration d'impôt (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Gérard Bapt - Monsieur le ministre de la santé, il semble que nous allons enfin connaître votre plan de réforme de l'assurance maladie. Les socialistes ont présenté leurs propositions dans le cadre de la mission d'information présidée par M. Jean-Louis Debré. Lisez notre texte avec attention, il mérite autre chose que la caricature que vous en avez faite. Nous venons d'assister à une nuit des dupes, dénoncée comme telle par les syndicats. Vous qui ne cessez d'invoquer le dialogue social, avez-vous pour méthode de déployer des rideaux de fumée ? Sur la gouvernance, vous annonciez : « Ni étatisation, ni privatisation ». Mais votre ralliement à la position du Medef combine étatisation et privatisation. Les Français ont assisté à une succession d'annonces tronquées : l'augmentation de la contribution de solidarité que vous refusiez au départ, la création d'une contribution obligatoire, fixée d'abord à un euro mais que vous augmenterez ensuite, et une nouvelle hausse du forfait hospitalier (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Est-ce là votre conception de la justice sociale ? La charge sera supportée principalement par les salariés, ce qui pénalisera les plus modestes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale - Les choses sont claires (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste). Notre plan s'articule en trois volets. Premièrement, nous voulons revoir la gouvernance de l'assurance maladie, c'est-à-dire renouveler sa gestion en donnant un haut degré de responsabilité à l'ensemble des acteurs, en particulier aux partenaires sociaux. Il est important que chacun prenne ses responsabilités. Deuxièmement, dans l'organisation des soins, nous souhaitons donner une importance accrue au médecin traitant, qui devra être consulté avant le spécialiste. J'ai par ailleurs évoqué le dossier médical partagé (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste). Ce n'est pas de ma faute si vous ne l'avez pas fait avant moi : il suffisait d'y penser ! Troisièmement, nous avons prévu des mesures financières. Oui, nous souhaitons responsabiliser les patients et les professionnels de santé. Monsieur Bapt, j'ai lu ce matin dans la presse que les socialistes reprochaient aux journalistes de ne pas faire état de leur programme pour l'assurance maladie. N'en voulez pas aux journalistes : il n'y a rien dans ce plan ! (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste) SERVICE MINIMUM DANS LES TRANSPORTS PUBLICS M. Michel Diefenbacher - Monsieur le ministre de l'équipement, je veux associer à ma question mon collègue Lecou, auteur d'un rapport sur le service minimum dans les transports publics. Nous avons découvert au début de l'année les grèves préventives. Il existe aussi des grèves collatérales. Il y a quelques jours en effet, un nouveau conflit a agité la SNCF : il portait sur le fret, mais ce sont encore les voyageurs qui en ont fait les frais, avec les conséquences que nous connaissons : des milliers d'heures de travail perdues, une nouvelle atteinte aux recettes ainsi qu'à l'image de la SNCF. Nous sommes tous attachés à la belle aventure du rail. Faut-il pour cela se résigner à ce que de tels conflits la compromettent ? En décembre dernier, un sondage de l'IFOP avait montré que les trois quarts des Français étaient favorables au service minimum dans les transports publics. Depuis le début de la législature, huit propositions de loi ont été déposées en ce sens. Le 9 décembre, vous nous annonciez le dépôt d'un projet tendant à anticiper les conflits et la constitution d'un groupe d'experts qui devrait rendre son rapport avant l'été. Pouvez-vous faire le point ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer - Parce que la SNCF a su anticiper le conflit que vous évoquiez, celui-ci n'a eu que des conséquences limitées. Cette grève, au reste, a été peu suivie. Mais il n'en sera pas toujours ainsi. C'est pourquoi nous avons mis en place un dispositif de prévention des conflits, c'est-à-dire un système d'alarme sociale. J'ai demandé à toutes les entreprises de transport public de voyageurs de parvenir à un accord. Faute d'un tel accord, un texte sera déposé à la rentrée pour généraliser l'alarme sociale. Par ailleurs, dans le but de garantir la continuité du service public sans porter atteinte au droit de grève, qui est un droit constitutionnel, nous avons constitué un groupe d'experts qui travaille avec les partenaires sociaux, sous la présidence de M. Mandelkern. Il nous rendra son rapport à la fin du mois de juin. Le Gouvernement pourra ainsi prendre les dispositions nécessaires pour concilier le droit de grève avec la continuité du service public (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP). M. Lucien Degauchy - Monsieur le ministre délégué à l'industrie, dans la nuit de la Saint-Sylvestre, nos concitoyens ont envoyé 88 millions de SMS pour souhaiter la bonne année à leur famille et à leurs amis. Ce record montre l'engouement des Français pour ce mode simple et pratique de communication, ainsi que la place prise par la téléphonie mobile dans leur vie quotidienne. Mais le prix des SMS est prohibitif. Les marges des opérateurs seraient supérieures à 80 %. En présentant ses v_ux à la presse, le Premier ministre avait demandé que les prix soient révisés à la baisse. Pouvez-vous nous indiquer vos intentions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie - Vous avez raison, le développement des SMS constitue un phénomène de société, qui ne touche pas seulement les jeunes. Pourtant, la France n'est pas aussi avancée dans ce domaine que certains de ses voisins. Le prix de ces messages, chez les trois opérateurs français, s'élève à 15 centimes d'euros, pour un prix de revient d'environ 7 centimes, ce qui donne une marge très confortable ! Il est vrai que les opérateurs ont longtemps investi à perte. On peut concevoir qu'ils aient eu besoin de reconstituer leurs marges. C'est aujourd'hui chose faite. Je les ai donc avertis tous les trois que nous étions préoccupés de trouver sur le marché des prix non seulement trop élevés, mais identiques. Si la concurrence n'est pas plus vive, le Gouvernement sera appelé à prendre des mesures, comme le recours à des opérateurs virtuels. Ce message a été entendu, puisque deux opérateurs ont déjà annoncé des baisses de tarif et le troisième ne devrait pas tarder à le faire. Par ailleurs, la loi sur la confiance dans l'économie numérique a renforcé les moyens d'action de l'autorité de régulation des télécommunications, ce qui devrait permettre de faire baisser les prix par la concurrence (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. le Président - Nous avons terminé les questions au Gouvernement. La séance, suspendue à 15 heures 55, est reprise à 16 heures 20. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement. M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Ces dernières années, notre environnement a connu de profonds bouleversements. Notre planète évolue dangereusement, mais nous n'en avons pris conscience que trop récemment. Les cris d'alerte n'ont pourtant pas manqué. Dès 1970, Gorges Pompidou proposait une morale de l'environnement imposant aux Etats et aux individus quelques règles élémentaires sans lesquelles notre monde deviendrait irrespirable. En 1976, le Garde des Sceaux, Jean Lecanuet, proposait déjà de faire entrer le droit à l'environnement dans la Constitution. Pour les entendre, il aura fallu des crises et des catastrophes, des marées noires qui ont touché notre pays à la désertification, la régression de la forêt en Amazonie, le risque, pour certains îlots du Pacifique, d'être engloutis suite au réchauffement climatique. Il aura fallu que l'air soit plus pollué, la qualité de l'eau plus dégradée, et que nous en subissions davantage chaque jour les effets désastreux sur notre santé. Il aura fallu aussi que les experts annoncent pour 2020, si nous ne faisons rien, la désertification d'une partie importante des continents et des difficultés d'accès à l'eau potable pour deux habitants sur trois de notre planète. Or nous savons que ces menaces sont imputables à l'action de l'homme, ou à son inaction, et à des choix économiques à court terme. Pour que le développement reste bénéfique pour les générations à venir, il faut faire prévaloir une nouvelle conception des rapports entre l'homme et la nature. Il ne doit plus seulement en être le possesseur, selon le mot de Descartes, mais le responsable. Longtemps affaire de spécialistes, la protection de l'environnement est désormais une préoccupation majeure de nos concitoyens. Face aux dangers, à l'inquiétude, les pouvoirs publics ont le devoir éthique d'imposer une logique de l'intérêt collectif. Le Président de la République nous a appelés à assumer cette responsabilité dans ses discours du 3 mai 2001 à Orléans, puis du 18 mars 2002 à Avranches. Il a souhaité que la France en soit porteuse dans les enceintes internationales, par son exceptionnel discours de Johannesburg (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Mais, familiers de l'urgence, nous ne savons pas toujours anticiper. Cela explique les réticences, les incompréhensions, les méfiances qu'a suscitées la Charte de l'environnement. Elle est pourtant nécessaire sur le plan symbolique comme par souci d'efficacité. C'est pourquoi le Président de la République a proposé de l'inscrire dans la Constitution au même niveau que les droits de l'homme et les droits économiques et sociaux. Ce projet se caractérise par un processus d'élaboration démocratique original, un engagement en faveur d'une écologie humaniste et l'affirmation de droits et de devoirs complémentaires résultant de cette logique de responsabilité. La Charte a été élaborée dans la participation et la transparence. Une commission de dix-huit membres, présidée par Yves Coppens a, pendant neuf mois, mené un travail approfondi en tenant compte des questionnaires adressés à plus de 55 000 acteurs régionaux, des quatorze assises territoriales et de la contribution de nombreux experts. Elle a remis au Président de la République un projet à partir duquel mes services et ceux du ministère de l'écologie ont mené à leur tour un important travail. Le Gouvernement a fait le choix d'une écologie humaniste - six des sept considérants s'y réfèrent - qui scelle l'alliance de l'environnement, de la science et du progrès économique. La Charte ne saurait être un obstacle à leur développement, mais doit offrir un cadre propice à l'initiative, à la recherche, à l'innovation technologique, en les inscrivant dans la durée. En effet, le droit à l'environnement doit se concilier avec les autres intérêts fondamentaux de la nation comme avec les droits et libertés reconnus par la déclaration de 1789 et le préambule de 1946. La Charte proclame conjointement des droits et des devoirs. L'homme peut menacer l'environnement ; il a donc des obligations à son égard. Ainsi, notre code de l'environnement dispose déjà qu'il est du devoir de chacun de veiller à la sauvegarde de l'environnement, et cette idée se retrouve dans la convention de Rio de 1992 et la convention d'Aarhus du 25 juin 1998. Dans son unique considérant, la déclaration des droits de l'homme de 1789 rappelle déjà cette conjonction des droits et des devoirs. Dans la Charte, l'article premier et l'article 7 énoncent des droits ; les autres renvoient aux devoirs. La révision constitutionnelle qui vous est soumise est donc une innovation de grande ampleur, mais elle s'inscrit aussi dans l'évolution du droit national et international. Au cours des trente dernières années, le droit de l'environnement s'est construit par touches successives et une jurisprudence complexe s'est développée. Il est temps de prendre acte de ces évolutions, comme l'ont déjà fait d'autres pays en Europe et dans le monde. Sur le plan international, on compte plus de 300 traités multilatéraux concernant l'environnement. Les conférences internationales ont eu un impact décisif, qu'il s'agisse de celle de Stockholm sur l'environnement humain en 1972, de celle de Rio sur l'environnement et le développement en 1992, ou de celle de Johannesburg en 2002. C'est la déclaration de Rio de 1992 qui a formalisé les principes du développement durable, du droit à un environnement sain et équilibré, et du principe de précaution, tandis que la convention de Rio de cette même année, sur la diversité biologique, formalisait le principe de prévention. La convention de Londres de 1972 sur la prévention de la pollution des mers résultant de l'immersion des déchets a consacré le droit à la réparation des atteintes causées à l'environnement. Quant à la convention d'Aarhus, de 1998, elle a consacré le droit des personnes à accéder à l'information, la participation du public au processus décisionnel, et l'accès à la justice. S'agissant du droit européen, l'Acte unique européen de 1986 a consacré l'environnement comme une véritable politique communautaire, le traité de Maastricht de 1992 a inscrit le principe de précaution, sans pour autant le définir, comme un principe fondateur de la politique communautaire dans le domaine de l'environnement, et le traité d'Amsterdam de 1999 a fait du développement durable un objectif de l'Union européenne. La jurisprudence est venue préciser et compléter cette base, en particulier le principe de précaution. En droit interne, la loi Barnier du 2 février 1995 a posé les principes majeurs du droit de l'environnement, qui figurent maintenant dans le code de l'environnement. Il est aujourd'hui temps de consacrer au plus haut niveau de notre hiérarchie des normes la protection de l'environnement, comme l'ont déjà fait onze de nos voisins européens, mais aussi le Brésil et l'Argentine. La France, au regard de son engagement international et européen dans le domaine de la défense de l'environnement, se devait de s'engager à son tour dans cette voie. Avec ce projet de loi, un Etat consacre pour la première fois au droit de l'environnement une déclaration constitutionnelle complète. Comme l'a souhaité le Président de la République, la Charte de l'environnement est adossée à la Constitution. Ce texte comprend deux articles : le premier complète le premier alinéa du préambule de la Constitution et renvoie aux droits et aux devoirs définis dans la Charte de l'environnement. Le second ajoute au bloc de constitutionnalité une charte de l'environnement composée de sept considérants et dix articles. La Charte aura pleine valeur constitutionnelle dans toutes ses dispositions, qui représentent un socle de garanties au-dessous desquelles le législateur ne peut descendre. Cependant, à l'exception du principe de précaution, les autres principes sont des objectifs de valeur constitutionnelle dont la mise en _uvre nécessitera l'intervention du législateur. Le Conseil constitutionnel pourra fonder son contrôle sur ces objectifs, mais il devra les concilier avec les autres normes constitutionnelles. Le premier article de la Charte consacre le droit de l'homme à vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé. Il s'agit d'une disposition nouvelle par rapport au préambule de la Constitution qui garantit déjà la « protection de la santé », en ce qu'elle désigne le maintien de la biodiversité, le bon fonctionnement des écosystèmes, et la maîtrise de la pollution. L'article deux énonce le devoir de participer à la préservation et à l'amélioration de l'environnement. Il s'agit d'un devoir proportionné à la place et aux responsabilités des personnes qui y sont tenues. Comme l'article premier, c'est un objectif de valeur constitutionnelle, qu'il ne sera pas possible d'opposer directement à la simple abstention d'une personne. L'article 3 est consacré à la prévention des atteintes à l'environnement, en présence d'un risque de dommage connu et certain. Là est la différence avec le principe de précaution. Chacun a le devoir de prévenir les atteintes qu'il est susceptible de porter à l'environnement, ou d'en réduire les effets, dans les conditions définies par la loi. L'article 4 dispose qu'en cas d'échec de la prévention, la réparation incombe au premier chef à l'auteur du dommage. Le cadre constitutionnel de la responsabilité est ainsi mieux complété que par le recours au principe du pollueur-payeur, dont la formulation ambiguë pourrait laisser croire à la reconnaissance d'un droit à polluer. La contribution à la réparation peut être partielle ou totale, et le législateur en définira les conditions de mise en _uvre. L'article 6 intègre l'exigence de développement durable dans l'ensemble des politiques publiques. La Charte est ainsi en harmonie avec le traité instituant la Communauté européenne, selon lequel les politiques de la Communauté intègrent la notion de développement durable, mais aussi avec les nombreux textes internationaux qui, depuis la convention de Rio, prennent en compte le développement durable. L'article 7 consacre un droit constitutionnel d'accès aux informations relatives à l'environnement détenues par les personnes publiques et de participation à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement. Le législateur pourra définir les conditions d'exercice de ce droit et en fixer les limites, notamment lorsque sera en cause la protection de secrets légitimes. L'article 8 consacre le lien entre l'éducation et la formation à l'environnement, d'une part, et la faculté d'assumer les devoirs et d'exercer les droits énoncés par la Charte, d'autre part. L'article 9 dispose que la recherche et l'innovation doivent concourir à la préservation et à la mise en valeur de l'environnement. L'article 10 précise que la Charte inspire l'action européenne et internationale de la France, qui se doit de promouvoir une écologie humaniste. L'environnement est le patrimoine commun des êtres humains. L'article 5 énonce le principe de précaution qui a suscité des interrogations, voire des inquiétudes. C'est la première fois que ce principe sera consacré au niveau constitutionnel, et c'est la seule norme de ce texte qualifiée de principe. Bien qu'il ait été reconnu dans des textes internationaux er européens de portée contraignante, il n'a jamais été véritablement défini. La Cour de justice des Communautés européennes n'a pas été plus précise, non plus que le tribunal de première instance, même s'il a jugé que le principe de précaution était un principe général du droit communautaire. En droit interne, le Conseil d'Etat s'est aussi fondé sur ce principe en 1998, sans en faire un principe général du droit. La Charte permettra de lever ce flou juridique. L'article 5 énonce les trois conditions d'application du principe de précaution : il faut que la survenue du dommage soit incertaine en l'état des connaissances scientifiques, qu'il soit causé à l'environnement, enfin qu'il soit grave et irréversible. Lorsque ces trois conditions, cumulatives et restrictives, sont réunies, il appartient à l'Etat ou aux collectivités locales de prendre des mesures provisoires et proportionnées pour éviter que le dommage survienne. Les autorités publiques doivent également veiller à ce qu'existe préalablement une procédure d'évaluation des risques. Le principe de précaution est un principe d'action, qui doit donc être distingué de la prévention. Loin d'entraver les recherches scientifiques et les activités économiques, il encouragera les expérimentations contrôlées. Le principe de précaution est d'applicabilité directe, ce qui n'est d'ailleurs pas nouveau, puisque les juges l'ont d'ores et déjà mis en _uvre à plusieurs reprises. La difficulté tient à ce qu'il n'a jamais été défini. Avec la Charte, son application par les juridictions administratives et judiciaires sera désormais encadrée. Enfin, la violation du principe de précaution n'a aucune incidence sur le plan pénal. Elle ne pourra en effet pas être considérée comme un « manquement à l'obligation de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement », éléments constitutifs des délits non intentionnels prévus par le code pénal. En effet, la loi pénale est d'interprétation stricte et le juge pénal ne peut raisonner par extension, analogie ou induction. Un texte à valeur constitutionnelle ne saurait servir de fondement à la caractérisation d'une faute qui ne peut résulter que de l'inobservation d'une loi ou d'un règlement. La Charte ne modifie donc pas le régime de responsabilité pénale des élus locaux issu de la loi Fauchon. Nombre d'élus locaux se sont inquiétés, à juste titre, de l'application concrète du principe de précaution. Je les rassure, il n'auront à l'appliquer que dans le strict champ de leurs compétences et de leurs attributions - je me félicite sur ce point de l'amendement qui précise de manière claire la portée de ce principe. Que le principe de précaution soit d'applicabilité directe, c'est-à-dire directement invocable devant le juge, n'empêche pas le législateur d'intervenir, s'il le souhaite, pour en préciser les procédures d'application dans certains domaines particuliers. L'inscription de ce principe dans notre Constitution permettra, j'en suis convaincu, d'enrichir notre droit positif de l'environnement. Cette révision constitutionnelle traduit une ambition forte. Elle répond au devoir du politique de tenir compte de l'attente de nos concitoyens et de préserver l'avenir des générations futures. Il ne s'agit nullement de renoncer au développement économique et sociale, mais de le concilier avec la préservation de l'environnement. La Charte doit nous permettre d'y parvenir, pour nous, pour nos enfants et pour nos petits-enfants (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure de la commission des lois - La Charte de l'environnement, que j'ai l'honneur de rapporter devant vous, n'est pas un texte banal. Aucune des révisions constitutionnelles intervenues depuis dix ans n'a eu l'ampleur de celle-ci. Aucune assemblée élue dans le monde n'a eu à débattre de dispositions relevant de telle manière le défi écologique. Cette Charte, loin d'apporter une solution définitive, intégrale et conçue d'avance aux questions environnementales, inaugure un vaste mouvement politique et lance un défi juridique. Fixant des objectifs constitutionnels aussi nombreux, elle appelle le Parlement à décliner dans la loi son ambition. Il nous faudra ainsi rédiger, dans les années à venir, les termes d'un contrat de confiance renouvelé, subtil et souple, qui prenne en compte la complexité de notre société, qui conjugue responsabilité et flexibilité, droits individuels et droits collectifs. En un mot, il nous faudra réinventer l'idée de progrès. La méthode même d'élaboration de ce texte fondateur est révélatrice de sa modernité. La Charte a fait l'objet d'une longue préparation, s'appliquant à elle-même le principe de participation des citoyens qu'elle édicte en son article 7. Entre la communication de Roselyne Bachelot au Conseil des ministres du 5 juin 2002 et le dépôt de ce projet de loi constitutionnelle le 27 juin 2003, une longue concertation a eu lieu. Dès juin 2002, le Premier ministre mettait en place la commission Coppens, chargée de préparer un projet de charte, sur lequel un large consensus s'est fait jour alors même que les positions initiales de chacun étaient assez éloignées. Parallèlement, le Gouvernement faisait naître un large débat sur les enjeux de la Charte avec l'organisation de quatorze assises territoriales, l'envoi d'un questionnaire à tous les élus locaux, la tenue d'un colloque au cours duquel l'accent fut mis sur trois priorités : responsabilité, réparation, éducation. La commission des lois de notre assemblée a poursuivi le travail, procédant à pas moins de soixante auditions de novembre 2003 à avril 2004. Je tiens d'ailleurs à remercier tous ceux qui ont participé à ces travaux. Autant dire que jamais la préparation d'une révision constitutionnelle sous la Ve République n'aura été aussi transparente et riche. Avec cette Charte, novation juridique, dont l'architecture même est la preuve, s'ouvre le chantier du troisième pilier de notre bloc de constitutionnalité. Elle offre une sécurité juridique nouvelle à notre droit de l'environnement. Tout cela n'est pas le fruit du hasard. Ce texte fondateur vient après trente ans d'hésitations, de tentatives de consécration constitutionnelle du droit à l'environnement auquel Georges Pompidou et Jacques Chaban-Delmas ont apporté, par leur action et leur détermination, leur première pierre. L'idée d'inscrire dans la Constitution le droit pour chacun de vivre dans un environnement sain et équilibré figure pour la première fois dans le rapport Armand de 1970. En décembre 1975, l'Assemblée nationale était saisie de trois propositions de lois tendant à conférer à ce droit valeur de liberté publique garantie par la Constitution. La première avait été déposée par Jean Foyer, la deuxième par le groupe communiste, la troisième par Gaston Defferre. Ces trois propositions furent envoyées pour examen à une commission spéciale présidée par Edgar Faure, laquelle rédigea une proposition de loi unique fin 1977, laquelle ne fut, hélas, jamais soumise au vote. La consécration constitutionnelle d'un « droit de la troisième génération » n'en était pas moins entamée pour ne plus jamais cesser. Ce fut le choix de Jean Lecanuet, Laurent Fabius, Ségolène Royal et Edouard Balladur. D'autres, comme Noël Mamère et d'autres députés écologistes en décembre 1997, ont cherché à compléter la déclaration des droits de l'homme de 1789 par un titre II. Une proposition de loi identique, signée notamment par Roselyne Bachelot, était déposée en février 2000. Enfin, le 20 mai 2003, Christine Boutin et plusieurs de nos collègues proposaient une nouvelle rédaction de l'article 42 de la Constitution - Michel Barnier avait, lui, en 1992 proposé de modifier l'article 34 et André Santini, en 1990, avait déposé une proposition de loi constitutionnelle tendant à inclure le droit de l'environnement dans la liste des matières dont la loi fixe les règles. La Charte qui vous est aujourd'hui présentée est plus ambitieuse encore que tous ces projets. Elle répond à l'attente de nos concitoyens, confrontés chaque jour à la menace écologique. La première catastrophe industrielle à frapper les opinions publiques de par le monde eut lieu à Minamata au Japon en 1959. Depuis, Seveso, Bhopal, Tchernobyl, Three Miles Island, assèchement de la mer d'Aral, pollution du lac Baïkal, marées noires de l'Exxon Valdez, de l'Amoco Cadiz, de l'Erika, du Prestige, la liste des désastres écologiques n'a cessé de s'allonger. Les risques sont désormais globaux : effet de serre, amincissement de la couche d'ozone, désertification, déforestation, perte de la biodiversité, développement des maladies dites de civilisation... Il existe maintenant un impératif écologique qu'il est grand temps de traduire dans notre droit. Selon un sondage d'août 2001, 89 % des personnes interrogées espéraient que la protection de l'environnement figure dans notre Constitution. Le droit à l'environnement, nouveau droit de l'homme, a été, à plusieurs reprises, défendu par le Président de la République dans les instances internationales, notamment dans son discours lors du 50e anniversaire de la déclaration universelle des droits de l'homme le 7 décembre 1998 à l'UNESCO. Il y défendait « le droit pour les générations futures à bénéficier de ressources naturelles préservées, au même niveau que le droit de tout être humain à la vie, à la liberté et à la sûreté. » Il existait à l'évidence un vide juridique dans notre droit à ce sujet, les textes existants n'ayant pas une portée normative suffisante - il leur est ainsi reproché de ne composer qu'un « droit de l'ingénieur », critique à laquelle je suis particulièrement sensible. Paradoxalement, alors que le droit à l'environnement est marqué par la prolifération juridique, l'environnement est absent des matières énumérées à l'article 34 de la Constitution comme relevant du domaine de la loi. Le projet permet de corriger cette incohérence. Notre droit positif ne peut pas en plus continuer à ignorer l'effort accompli au sein des instances internationales, ni les avancées du droit et de la jurisprudence européenne, même s'il a fallu attendre 1986 et l'Acte unique pour faire entrer l'environnement dans les traités fondateurs. Si ces principes ne se sont pas imposés d'emblée au législateur, ils ont inspiré les très nombreuses directives transposées en droit interne. Ainsi, malgré le silence de la Constitution, le législateur français est contraint de prendre en compte les exigences d'environnement définies par le droit communautaire. Le constituant se devait de prendre position. Il fallait une impulsion pour renforcer le troisième pilier de notre bloc de constitutionnalité. Le Président de la République a fixé clairement l'objectif dès le 3 mai 2001 à Orléans : « Le droit à un environnement protégé et préservé doit être considéré à l'égal des libertés publiques. Je souhaite que cet engagement public et solennel soit inscrit par le Parlement dans une Charte de l'environnement adossée à la Constitution ». Le présent projet traduit fidèlement cet engagement. Une révision constitutionnelle n'est pas une loi comme les autres. Celle-ci est originale par sa désignation, une charte, par l'idée dont elle procède, un adossement à la Constitution, et par son architecture innovante. La concision et la clarté du texte sont un gage de sécurité pour le législateur. Il appartient en effet au constituant de désigner les buts généraux à atteindre et au législateur de choisir les politiques et les moyens à mettre en _uvre. La Charte doit être accessible à l'ensemble des citoyens et en même temps donner des orientations sans ambiguïté au législateur et au juge. Mais il faut aussi ne pas figer ce dispositif nouveau dans des définitions par trop rigides. La concision est donc aussi un gage de pérennité. L'insertion d'un troisième pilier implique d'opérer une conciliation entre les éléments divers composant le bloc de constitutionnalité. La portée des dispositions de la Charte a fait l'objet d'une évaluation au trébuchet entre principes de valeur constitutionnelle, directement applicables et invocables par les citoyens devant le juge, et objectifs de valeur constitutionnelle qui, bien que s'imposant au législateur, réclament son intervention. Leur méconnaissance par notre assemblée pourrait justifier une censure par le Conseil constitutionnel. Ne relève de la notion de principe que l'article 5 relatif à la précaution. Le principe de précaution, on le sait, aura fait l'objet des discussions les plus denses, mais il témoignera de la démarche fondatrice de la Charte pour animer notre pacte républicain face à des impératifs dramatiques inattendus. Là est la principale gageure du texte. Les secousses écologiques sont multiples, les atteintes aux grands équilibres naturels suffisamment graves pour apparaître comme des convulsions dans la relation intime que nous entretenons avec le progrès. Le texte a pour originalité de dessiner une frontière mobile entre écologie et progrès et, par la précaution, de bâtir un droit nouveau du partage des responsabilités. Il nous restera à procéder au compromis dont j'ai parlé, par exemple entre les droits et devoirs nouvellement créés et l'égalité, la propriété, la liberté d'entreprendre. La Charte offre néanmoins une protection particulière à ces nouveaux fondements du droit de l'environnement. Le doyen Favoreu parle plaisamment de « l'effet artichaut » : là où le législateur peut enlever feuille à feuille des éléments du régime législatif, il ne peut toucher au c_ur. L'intervention du législateur sera désormais juridiquement garantie. Les amendements adoptés par la commission à l'initiative de Francis Delattre et Valérie Pecresse font de la préservation de l'environnement une matière relevant de la loi au terme de l'article 34. La Charte ouvre également des domaines nouveaux à l'intervention du législateur sur des bases clarifiées : le nouveau droit proclamé par l'article premier, les exigences posées par les articles 2 et 5, les nouvelles dimensions des politiques publiques ouvertes aux articles 6 à 10. La Charte assure enfin au législateur des mesures supralégislatives et durables. Il ne s'agit pas d'imposer la règle pour la règle. L'article 8 reconnaît la nécessité de recourir à plus d'information et à un meilleur effort de formation pour éveiller les consciences à la compréhension des phénomènes complexes mis en jeu par le développement durable. La responsabilité éminente de la recherche est également reconnue par les articles 5 et 9. Le principe de précaution, principe d'action par excellence et internationalement reconnu, ne figure encore dans aucune constitution, hormis celle de l'Equateur. L'Italie devrait nous suivre. Partout les autorités publiques doivent engager leur responsabilité ; partout apparaît à travers chaque décision une zone incertaine, source d'insécurité juridique. Comment concevoir de ne pas insérer ce principe de précaution dans une Charte de l'environnement ? Il ne s'agit pas d'instaurer une haine ou un mépris du savoir. Il faut retrouver le compromis entre rationalisation et scepticisme. Pour cela, nous devons réapprendre à habiter le temps, à habiter la terre,... M. Jacques Myard - On ne vient pas de Mars, tout de même ! Mme la Rapporteure - ...à l'épargner, à la protéger de nos propres excès. La précaution répond en toute clarté juridique au risque du chaos. Jusqu'à présent la situation demeure confuse. Il n'existe aucune interprétation jurisprudentielle stable de la loi Barnier du 2 février 1995. La Charte permet de sortir des incertitudes actuelles. Le principe de précaution agit comme réducteur de l'incertain, de l'incompréhensible et de l'inattendu. Comment procéder ? La voie d'un conservatisme critique nous est ici et là proposée. Loin de la onzième thèse de Marx sur Feuerbach, qui n'offre comme perspective que la rupture, je préfère l'Antigone de Sophocle et le chant de la mesure qui s'élève du ch_ur. L'introduction de la précaution dans la Charte répond surtout aux canons modernes du droit et de la politique. Inutile de la diaboliser, ni non plus d'en attendre plus qu'elle ne peut offrir. Simplement, elle fonde un droit à la sécurité qui, le Président de la République l'a souligné, est la condition de notre liberté. De la Charte se dégage ainsi le projet d'un ordre juridique renouvelé appliqué à l'environnement, et qui répond à l'ambition du Président de la République de replacer la France en position d'avant-garde dans le monde (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Mme Mignon succède à M. Debré au fauteuil présidentiel. PRÉSIDENCE de Mme Hélène MIGNON vice-présidente M. Martial Saddier, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Ce projet de loi constitutionnelle résulte de la prise de conscience des multiples menaces qui pèsent sur notre planète et sur notre cadre de vie. Notre mode de développement nous a dotés d'un pouvoir sur la nature que nous n'avions jamais possédé. Nous prenons également conscience de nos responsabilités envers les générations futures, à qui nous devons garantir des conditions de vie au moins aussi bonnes que les nôtres, et donc léguer un environnement de qualité, tout en leur assurant des conditions favorables à l'initiative économique, à l'innovation et à la recherche. C'est donc vers le développement durable que nous devons nous tourner. Enfin le projet de Charte résulte de la prise de conscience des exigences croissantes de nos concitoyens quant à la qualité de leur cadre de vie. On ne peut en faire abstraction et la Charte sera un instrument puissant pour satisfaire ces attentes. Ce texte est l'aboutissement d'une démarche inédite et très ouverte. La commission présidée par le professeur Coppens, composée de dix-huit membres, a conduit les travaux de préparation du 26 juin 2002 au 8 avril 2003. Dans le même temps, une consultation nationale de grande ampleur a été menée : un questionnaire a été adressé à plus 55 000 acteurs régionaux et quatorze assises territoriales regroupant plus de 8 000 participants ont permis de prendre la mesure des aspirations environnementale de notre société et de leur nécessaire conciliation avec les impératifs économiques et sociaux. La Charte introduit une innovation majeure dans notre droit en affirmant dans notre bloc constitutionnel un droit à l'environnement qui repose sur des droits et des devoirs. Il s'agit d'une approche équilibrée, audacieuse et pragmatique. J'ai considéré que ma mission, en tant que rapporteur, consistait avant tout à écouter les acteurs du monde économique, de la recherche et des milieux associatifs pour connaître leur réaction. J'ai procédé à près d'une quarantaine d'auditions, et j'ai constaté que l'ensemble des personnes auditionnées sont favorables au principe d'une Charte de l'environnement et à la consécration d'un droit à l'environnement dans notre Constitution. J'ai également constaté que ce texte suscitait des interrogations, et parfois des inquiétudes, le plus souvent nées de la confusion entre prévention et précaution. Au terme d'un effort de pédagogie, les craintes ont été souvent apaisées. Parmi les critiques formulées, l'article 5 de la Charte relatif au principe de précaution ouvrirait la porte à un contentieux incontrôlable qui paralyserait notre vie économique. Certes, comme chaque fois que de nouvelles normes sont introduites, la Charte pourra susciter des contentieux, mais notre société est déjà marquée par une forte judiciarisation. La jurisprudence actuelle sur le principe de précaution n'a du reste pas eu besoin de la Charte pour se développer. Ainsi, dans certains domaines considérés par l'opinion publique comme sensibles - je pense au nucléaire -, les décisions publiques sont aujourd'hui systématiquement attaquées. Il convient désormais d'encadrer les interprétations abusives, ce qui suppose de préciser notre droit - c'est ce à quoi précisément s'emploie la Charte. De plus, la commission des affaires économiques a adopté un amendement important qui précise que le principe de précaution doit être appliqué par les autorités publiques dans le cadre de leurs attributions respectives. Il s'agit d'un élément de sécurité juridique accru. Deuxième critique : le principe de précaution sonnerait le glas de notre industrie et de notre recherche. Je rappelle que le champ d'application de l'article 5 est strictement circonscrit. Le principe de précaution ne concerne que les risques de dommages causés à l'environnement et non ceux causés à la santé humaine . Il convient d'en rester à cette lecture stricte de la rédaction proposée. Toute interprétation extensive serait abusive. Le principe de précaution concernera de plus un nombre très restreint de risques. Il ne doit pas y avoir confusion entre précaution et prévention. Trois conditions devront être cumulées pour que le principe de précaution soit appliqué : une incertitude scientifique pesant sur le risque, la gravité du dommage encouru et son caractère irréversible. Ainsi, dans leur grande majorité, les risques industriels ne relèvent pas du principe de précaution : il s'agit de risques connus et probabilisables. M. Christophe Caresche - Madame la présidente, le temps de parole est dépassé depuis longtemps. C'est une motion de procédure ? M. le Rapporteur pour avis - Dans le domaine nucléaire, c'est la prévention et non la précaution qui doit être généralement appliquée. Mme la Présidente - Veuillez condenser vos propos s'il vous plaît. M. le Rapporteur pour avis - Je termine. Enfin, troisième critique, la Charte porterait un coup fatal à notre recherche par l'article 9. Là encore, les craintes ne sont pas fondées puisque l'article 9 et la fin de l'article 5 encouragent précisément l'innovation et la recherche. La Charte est ambitieuse. C'est un texte historique, une indéniable avancée dont nous nous devons d'exposer la richesse et toutes les implications afin de préparer le consensus qui devrait prévaloir lors de l'adoption d'une norme constitutionnelle (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Ce projet est fondateur. Conformément aux v_ux du Président de la République, il consacre au plus haut niveau une écologie humaniste reposant sur une nouvelle génération de droits de l'homme : le droit à l'environnement. En plaçant la Charte aux côtés de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen et des droits économiques et sociaux consacrés par le préambule de la Constitution de 1946, ce texte constitue une avancée considérable et répond à une forte attente de nos concitoyens . Il s'agit de garantir aux générations futures un environnement et des conditions de vie de qualité mais aussi de participer à la défense de notre planète. Le choix du Président de la République consiste à adosser à notre Constitution un texte énonçant des droits et des devoirs. C'est une démarche nouvelle, originale et équilibrée que nous ne pouvons qu'approuver. La France se place ainsi à la tête du combat pour la défense de l'environnement. Elle confirme aussi sa volonté de promouvoir le développement durable. Concilier les exigences environnementales, économiques et sociales, au présent mais aussi pour les générations futures, tel est en effet l'objectif central de la Charte de l'environnement. C'est pourquoi la commission des affaires économiques s'est saisie pour avis de ce projet. Il a semblé indispensable à notre commission d'analyser les conséquences de ce texte pour l'environnement, mais aussi pour les acteurs économiques, scientifiques ou associatifs. Je me félicite, à ce titre, de l'esprit de coopération qui a animé les deux rapporteurs, qui ont su travailler en respectant un partage rationnel des compétences entre les deux commissions. Nous avons fait de même, M. Clément et moi. Tout en faisant preuve d'initiative, la commission des affaires économiques s'est concentrée sur l'écoute des acteurs économiques, du monde de la recherche et des associations, afin de recueillir leurs réactions et de faire _uvre de pédagogie quand c'était nécessaire. Ainsi, le travail accompli a été particulièrement constructif. L'opposition y a pris sa part. Les amendements adoptés par la commission des affaires économiques, notamment aux articles premier et 5, permettront de lever les inquiétudes, qui n'ont pas manqué. J'entends dire que la Charte de l'environnement portera un coup à la compétitivité de notre économie, à notre recherche ; qu'elle paralysera toutes les initiatives. Nous ne pouvons souscrire à de telles affirmations. Je comprends que des inquiétudes se manifestent : ce n'est pas tous les jours que nous révisons notre loi fondamentale. Il est légitime de s'interroger sur les conséquences d'une telle initiative. Mais on ne peut refuser a priori ce texte. Quand on en a pesé tous les termes, on se rend compte que la Charte de l'environnement, loin d'être un frein à l'innovation, constitue une chance que nous devons saisir (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Les inquiétudes et les critiques émises à l'encontre de la Charte reposent essentiellement sur des confusions et des malentendus. Il y a en particulier confusion entre les dispositions de portée directe figurant à l'article 5 et les droits-créances qui ne pourront pas être directement invoqués par les justiciables. Il y a surtout confusion entre précaution et prévention. Un risque connu et identifié doit faire l'objet de mesures de prévention. Les lois sont très claires à ce sujet et le dispositif de prévention est déjà conséquent. Les risques naturels relèvent majoritairement de la prévention, non de la précaution. Même si les inondations surviennent de manière incertaine, on ne peut pas dire qu'elles donnent lieu à une incertitude scientifique. En effet, leur occurrence est scientifiquement établie : les crues centennales suivent une loi de probabilité qui est établie. C'est toute la distinction entre risque aléatoire et risque incertain, en l'état des connaissances scientifiques. M. Christophe Caresche - Alors, à quoi servira ce texte ? M. Jean Lassalle - A rien ! M. le Président de la commission des affaires économiques - Autre exemple : le transport de produits dangereux. En cas d'accident, il y a certes un risque d'atteinte grave et irréversible à l'environnement, mais s'il y a une incertitude quant à l'impact des substances déversées sur le milieu naturel, il n'y en a pas quant à la probabilité d'occurrence du dommage, qui dépend de l'état du moyen de transport. Il faut donc, là aussi, appliquer une démarche de prévention, qui passe notamment par la réglementation des modes de transport et des trajets. On connaît le risque de contamination par la légionellose à proximité des tours aéro-réfrigérantes. L'article 5 ne s'applique pas non plus dans ce cas. Tout d'abord, on ne se trouve pas en situation d'incertitude scientifique. Et surtout, le dommage présumé est causé à la santé humaine, qui est exclue du champ d'application. Cette Charte n'est pas une charte de la santé publique ! L'article 5 ne concerne en effet que les dommages causés à l'environnement. Comme l'a fort justement précisé M. Saddier, on ne peut prétendre que, par un effet de ricochet, le principe de précaution s'appliquerait à la santé. Il n'en est rien et il me semble important de le souligner explicitement. Je citerai deux derniers exemples : les lignes à très haute tension et les antennes de téléphonie mobile. Dans les deux cas, nous ne sommes pas en situation d'incertitude scientifique. Ainsi, s'agissant des effets des antennes de téléphonie mobile, un récent rapport de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale a conclu à leur innocuité. Je sais que les conclusions des experts sont décriées par certains groupes de pression. Mais, si on s'en tient à l'expertise scientifique qui a été menée, on ne peut prétendre que nous sommes en situation d'incertitude scientifique. Il n'y a donc pas lieu d'appliquer le principe de précaution. Bien plus, ces deux exemples relèvent du domaine sanitaire. M. Christophe Caresche - Vous ne citez aucun cas dans lequel la Charte pourrait s'appliquer. M. le Président de la commission des affaires économiques - Vous en citerez vous-même, vous qui êtes si savant ! La mise en _uvre du principe de précaution n'est possible que si trois conditions cumulatives sont réunies : une incertitude scientifique pesant sur le risque, un dommage encouru d'une certaine gravité et un dommage irréversible causé à l'environnement. Le critère d'incertitude est contesté par certains. Il est pourtant essentiel. C'est lui qui permet de distinguer précaution et prévention. Je m'élève donc contre les faux procès intentés à la Charte. Je me suis interrogé, moi aussi, sur les conséquences. J'ai moi aussi pensé qu'il fallait recourir à la loi, comme intermédiaire entre les citoyens et la Constitution. L'amendement de la commission des lois résout en partie le problème et je pense qu'il ne faut pas aller plus loin, car notre Constitution nous protège des décisions européennes, alors que la loi doit s'y soumettre. Les inquiétudes concernant l'activité économique ou scientifique sont levées après une lecture très détaillée de l'article 5. Je souhaite qu'ensemble, tout au long de ce débat, nous puissions mettre fin au quiproquo entre prévention et précaution. Je souhaite que la reconnaissance du principe de précaution soit admise par tous comme un progrès. Notre responsabilité est grande aujourd'hui. Nous devons ensemble faire prendre conscience aux Français que leurs enfants hériteront de la planète telle que nous l'avons laissée. C'est pourquoi ce texte doit être soutenu avec conviction (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe communiste et républicain une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement. M. Patrick Braouezec - Avec ce projet, le Gouvernement et sa majorité font vivre la société française dans l'enfer des bonnes intentions. C'est ce qu'ils ont déjà fait à propos des retraites, en présentant la diminution des pensions et l'allongement de la durée de cotisation comme le sauvetage du régime par répartition. M. Francis Delattre - C'était vrai ! M. Patrick Braouezec - Le Gouvernement s'apprête à faire de même pour la sécurité sociale. La logique est constante : on convoque les grands principes pour mieux les sacrifier. C'est donc en application du principe de précaution que je vais m'efforcer de plaider l'irrecevabilité du projet. Ce gouvernement adopte la même méthode qu'en matière de décentralisation. Il convie le Parlement à modifier la Constitution tout en nous renvoyant à un dispositif législatif ultérieur dont nous ne savons rien. C'est un tel saucissonnage qui a conduit une partie de la majorité à voter contre le projet d'autonomie financière des collectivités locales après avoir approuvé la révision constitutionnelle. Ce gouvernement n'a en réalité aucune ambition en matière d'environnement. La traduction la plus simple d'une volonté politique se lit dans le budget de la nation. Or, depuis deux ans, les priorités du Gouvernement sont les prisons, la police et l'armée. Le logement, l'emploi, l'éducation et la santé sont sacrifiés. Le budget du ministère de l'écologie et du développement durable stagne et il devrait diminuer l'an prochain, d'après les lettres de cadrage. Cette réduction budgétaire est en rupture avec l'évolution dynamique observée entre 1997 et 2002, quand les crédits du ministère de l'environnement ont été multipliés par 2,7 en cinq ans. Dès votre budget pour 2002, les crédits alloués à la lutte contre la pollution de l'air baissaient de 10 % et la lutte contre le bruit, de 52 %. Les crédits de l'ADEME, les moyens consacrés à la lutte contre la pollution des eaux et les dotations octroyées aux associations sont en baisse. Les proclamations constitutionnelles se font à peu de frais. Mais les chiffres sont têtus. L'environnement cesse d'être une priorité budgétaire. Certes, tout n'est pas qu'une question de moyens, mais l'usage même des crédits est problématique. Les orientations du Gouvernement ne sont pas lisibles. Le rattachement de l'aménagement du territoire au ministère de la réforme de l'Etat se traduit par un recul des préoccupations écologiques dans l'aménagement. Ainsi, le budget des transports donne priorité à la route sur le ferroutage. Or l'environnement n'est pas un supplément d'âme, c'est un gisement d'emplois qu'Allemands et Scandinaves ont su exploiter. Le débat sur les OGM offre un autre exemple de votre attitude. En juin 2003, devant le congrès mondial des jeunes agriculteurs, Jaques Chirac affirmait qu'un aliment n'est pas un produit banal. S'en souviendra-t-il quand les boites de maïs BT-11 arriveront dans les supermarchés ? En effet, depuis le 19 mars dernier, la Commission européenne a autorisé son importation, levant ainsi le moratoire imposé depuis cinq ans sur les OGM. Le ministre de l'agriculture a bien indiqué qu'il n'était pas un chaud partisan des OGM et que les autorisations se feront au cas par cas, la France prenant position en fonction de l'avis de son agence de sécurité des produit alimentaires. Mais aux yeux de nombreuses associations de consommateurs, les études de toxicité sont insuffisantes et, par précaution, il faudrait donc maintenir la réserve sur les aliments génétiquement modifiés. M. André Chassaigne - Ils pratiquent la précaution à géométrie variable. M. Patrick Braouezec - Tout à fait. Il faudrait avoir le courage de refuser les OGM, donc de dire non à une multinationale, Monsanto. Selon Gérard Pascal, directeur scientifique à l'lNRA, aucune expérience sur les OGM n'est concluante ni ne montre qu'ils aient la moindre utilité. La seule conclusion, c'est que l'herbicide utilisé a rendu des champs stériles. Plutôt que sur les aliments génétiquement modifiés, c'est sur ce risque, dénoncé dans le préambule de la Charte ainsi que ses conséquences sur la santé, que le ministre de l'agriculture devrait se concentrer. Gérard Pascal confirme bien qu'il n'y a pas de risque zéro pour les cultures classiques et les plantes sauvages. Le ministre doit donc prendre le risque de déplaire aux lobbies et à la multinationale Monsanto, de choisir le développement durable contre le profit. C'est quand il interdira les produits et la culture des OGM qu'on saura que le Gouvernement ne se contente pas de proclamer, comme dans cette Charte, des intentions, bonnes certes, mais soumises au système financier. Nous ne pouvons accepter que des multinationales organisent des activités illicites au mépris des droits fondamentaux. Maintenir l'agriculture OGM, c'est attenter à la santé, contrairement à ce que dit l'article premier de la Charte. M. Francis Delattre - Mais aucun scientifique n'a dit cela ! M. Patrick Braouezec - J'ai cité Monsieur Gérard, je peux en citer d'autres. M. Francis Delattre - Vous courez mal après José Bové ! M. Patrick Braouezec - Je ne cours après personne. M. André Chassaigne - Il ne faut surtout pas attaquer les multinationales ! M. Patrick Braouezec - C'est exact. Une fois de plus, la Commission européenne, en décidant de laisser entrer ce produit OGM sur notre marché, a choisi de défendre des agriculteurs américains et des intérêts agroalimentaires. Cela finira par contaminer les autres cultures, comme le dénoncent les tenants de l'agriculture biologique et pas seulement José Bové. Aussi, cette Charte est-elle bien tardive. Il aurait fallu refermer la boite de Pandore avant que les droits corporatifs et privés ne l'emportent sur ceux de la personne. M. Francis Delattre - Quel ignare ! M. Patrick Braouezec - Madame la Présidente, ce genre de langage est intolérable. Mme la Présidente - Je vous demande à tous d'être correct, ou je devrais suspendre la séance. M. Patrick Braouezec - La décision de la Communauté européenne prouve bien que le marché prévaut sur l'homme. De même, vous renoncez à toute référence à la protection de l'eau. Le projet de loi adopté en première lecture en 2001 a été abandonné au profit d'une transcription a minima de la directive européenne, ce qui démontre le poids des groupes de pression. Cette absence d'ambition se manifeste également dans le débat en cours sur la politique énergétique. En effet, le Gouvernement remet en cause le service public dans le projet sur EDF-GDF. Quant aux économies d'énergie, les orientations données par le ministre de l'économie sont bien modestes. Nous ne renouons pas avec une politique volontariste. Les crédits de l'ADEME diminuent, ni la France ni l'Union européenne ne programment les investissements nécessaires pour que le ferroutage l'emporte sur le rail. La France a aussi été rappelée à l'ordre à propos des gaz à effet de serre. La prépondérance du nucléaire, qui limite leur émission, limite aussi nos ambitions de faire des économies d'énergie ou de développer des énergies renouvelables. Enfin, le Gouvernement ne relève pas le défi que pose le traitement des déchets nucléaires. Par nature, sa politique libérale est incompatible avec une protection volontariste, efficace et démocratique de l'environnement. M. Francis Delattre - Les anciens pays communistes, voilà sûrement l'exemple à recommander ! Mme la Présidente - Respectez l'orateur ! M. Francis Delattre - Et Tchernobyl ? Il est vraiment mal placé pour parler ! M. Philippe Tourtelier - Cela suffit ! M. Francis Delattre - Et ils ont défendu le bilan « positif » ! Mme la Présidente - Monsieur Delattre, vous n'avez pas la parole ! M. André Chassaigne - Quel provocateur ! M. Patrick Braouezec - Je vois que certains sont encore au siècle dernier. Je le répète, la politique libérale... M. Francis Delattre - Tchernobyl, ce n'est pas en France ! Mme la Présidente - Et alors ? Vous ne nous faites rien découvrir. M. Patrick Braouezec - Par nature, donc, la politique libérale de ce gouvernement est incompatible avec la protection efficace de l'environnement, le marché est incapable de prévision à long terme et de précaution. Vous citiez Tchernobyl ? Citons le naufrage de l'Erika, celui du Prestige, la crise de l'énergie en Californie. M. Francis Delattre - Et aussi le naufrage du sous-marin nucléaire russe ! M. Patrick Braouezec - L'ancien dirigeant du PDS allemand, Gregor Gisy, voit un nouvel avenir à la gauche au XXIe siècle. Je partage son sentiment. En effet, jusqu'alors la question sociale a été traitée surtout comme une question morale. Elle devient désormais existentielle. Si on ne la résout pas, on ne résoudra pas la question écologique. M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République - C'est vrai. M. Patrick Braouezec - En d'autres termes, l'intérêt de l'humanité est que l'on ne déboise pas la forêt tropicale au Brésil. Cela suppose que la question sociale dans ce pays soit résolue. Si la gauche relève ce défi, une nouvelle chance s'offre à elle. L'idée que l'énergie, l'eau, comme les transports et l'éducation, ne sont pas de simples marchandises, progresse partout. Or, la politique libérale du Gouvernement concourt à traiter comme des marchandises ces biens communs universels. La Charte de l'environnement elle-même laisse quelques questions en suspens, dont celle de la justiciabilité. Où, et contre qui, toute personne physique ou morale de droit public et privé pourra-t-elle agir ? La commission Coppens a souligné la difficulté de tout dire dans cette Charte, mais faute de précision, celle-ci risque de n'avoir qu'une portée symbolique. Vous prétendez faire de la protection de l'environnement un objectif fondamental de la nation, mais encore faudrait-il prendre des mesures pour prévenir les dommages, seraient-ils incertains ! Je pense au principe de précaution visé par l'article 5. Olivier Godard, chercheur au CNRS, l'affirme lui-même : en appeler à ce principe ne saurait régler la question des mesures à prendre. Or, en matière environnementale, à quel niveau faut-il agir ? Régional, national, ou international? La Charte reste silencieuse. Par ailleurs, je souhaiterais que le Gouvernement se positionne clairement sur la question du développement durable. Selon le rapport d'information, le développement durable doit intégrer l'écologique, l'économique et le social. Mais qu'est-ce qu'un développement économiquement efficace ? Les dégâts dus à la croissance sont aujourd'hui plus importants que les biens produits. « Aujourd'hui, l'économie politique ne conçoit la communauté des hommes, leur humanité, leur intégration réciproque pour une existence dans la solidarité, pour une vie vraiment humaine, que sous la forme de l'échange et du commerce. La société est une société commerçante. Chacun de ses membres est un commerçant. » J'ai cité Karl Marx. Dés lors, ajoute Geneviève Azam, la société se trouve réduite à une communauté de besoins, et le lien social à un lien économique. Rien d'étonnant à ce que les humains se trouvent instrumentalisés, à ce que la nature soit considérée comme un objet, un réservoir de matières premières. Elle ajoute que, si l'utilisation des matières premières par rapport à la croissance du PIB diminue dans les pays du Nord, ces derniers, loin d'en tirer les enseignements nécessaires, incriminent les pays pollueurs du tiers monde dont la consommation d'énergies fossiles augmente. La dégradation de l'environnement ne serait pas due à l'accumulation de capital et de richesse dans les pays riches, mais plutôt aux pauvres qui ne possèdent pas encore les techniques propres. Cette orientation permet ainsi à la société industrielle de ne pas s'imposer de limites. Enfin, votre projet est irrecevable du fait de la dévalorisation des principes qu'il proclame. Les proclamations démenties dans les actes ont un effet dévastateur. Il serait plus salutaire pour la démocratie que le Gouvernement assume ses conceptions libérales et ne se dissimule pas derrière des principes qui ne sont pas les siens. Pour toutes ces raisons, je vous propose de voter cette motion de procédure (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste). M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable - S'agissant du budget de l'écologie, l'augmentation socialiste était due surtout à l'évolution de son périmètre et à une politique d'affichage reposant sur des autorisations de programme non financées par des crédits de paiement. Du coup, il nous a fallu aller chercher 210 millions d'euros dans les agences de l'eau ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) M. Francis Delattre - Un grand classique ! M. Patrick Braouezec - Mais la vraie question, c'est de savoir si les orientations étaient bonnes ! M. le Ministre - L'écotaxe de Mme Voynet a été en grande partie annulée par le Conseil constitutionnel pour des raisons d'équité fiscale, car il n'était pas possible de prendre des mesures fiscalement pénalisantes pour une certaine catégorie de citoyens, en l'espèce ceux qui polluent plus. La Charte de l'environnement répond à ce problème, en introduisant l'environnement dans la Constitution. Sur la politique menée depuis deux ans, je ne citerai que deux exemples. Tout d'abord, les incinérateurs qui ne répondaient pas aux normes ont tous été fermés. Une loi sur les risques industriels a été prise, et on a créé 400 postes d'inspecteurs afin d'appliquer les textes votés. En matière de lutte contre le bruit, des financements ont été prévus. Quant aux OGM, il faut préciser que c'est sous un gouvernement socialiste, avec une ministre de l'environnement du parti vert qu'a été décidé, en 1999, que l'on pourrait sortir du moratoire lorsque l'étiquetage serait effectif et qu'en cas de majorité insuffisante pour ou contre, la Commission pourrait décider. Aujourd'hui, nous voulons distinguer la recherche, dont il faut promouvoir le développement, de la commercialisation des produits, où une extrême vigilance est de rigueur. Je vous rappelle que pour le BT11, à partir du moment où des réserves ont été émises dans la procédure d'instruction et de vérification des produits, la France a voté contre. Vous avez ensuite évoqué, Monsieur Braouezec, la politique des transports. Savez-vous quelle part des crédits figurant dans les contrats de plan Etat-région, notamment pour financer des transports collectifs, ont été consommés jusqu'en 2002 ? On est proche de zéro ! (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) M. François Grosdidier - Voilà la politique de gauche ! M. le Ministre - Pour ce qui est de la politique de l'eau, à laquelle vous avez aussi fait allusion, le gouvernement de Lionel Jospin s'était engagé à présenter une loi sur l'eau. Mais ni Dominique Voynet ni Yves Cochet n'ont jamais réussi à le faire... M. Francis Delattre - Et la gauche nous donne maintenant des leçons ! M. le Ministre - ...alors que, pour ma part, je présenterai un projet de loi avant la fin de l'année (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP). Il ne peut y avoir de véritable politique écologique que dans un pays démocratique. Il faut en effet des corps intermédiaires, une opposition... M. Patrick Braouezec - Nous sommes d'accord sur ce point. M. le Ministre - ...pour défendre l'environnement contre certains intérêts. J'en viens au développement durable - par quoi il faut entendre le développement économique et social dans la durée. Il suppose de préserver les ressources naturelles et énergétiques, et d'en permettre le renouvellement. D'après une étude du WWF, si toute la planète vivait comme l'Occident, nous aurions besoin de deux terres supplémentaires ! M. Patrick Braouezec - Cela montre bien qu'il faudra en arriver à la décroissance ! M. le Ministre - C'est dire l'importance d'intégrer les préoccupations environnementales dans notre fonctionnement économique et, par exemple, les coûts environnementaux dans le prix des productions. Cela est tout à fait possible dans un système libéral (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). La TIPP par exemple intègre le coût que représente pour l'environnement la consommation de carburant. M. Patrick Braouezec - C'est vraiment aborder le problème par le petit bout de la lorgnette ! M. François Grosdidier - Ne nous donnez pas de leçons ! Regardez ce qui est arrivé sur le plan écologique dans les pays de l'Est ! M. le Ministre - J'en viens à la mondialisation, que vous avez longuement abordée. Qu'il faille, au Brésil par exemple, résoudre les problèmes économiques et sociaux pour pouvoir mettre un terme au désastre écologique que constitue la déforestation dans ce pays, j'en suis d'accord avec vous. Les trois piliers, économique, social et environnemental, du développement durable, sont indissociables. Pour le reste, je suis surpris, Monsieur Braouezec, que vous prôniez la « décroissance ». Je ne suis pas sûr que les salariés, que vous défendez quelquefois, soient favorables à une moindre consommation et à une « décroissance» ! M. Patrick Braouezec - Il faut en parler avec eux, ils pensent eux aussi ! De toute façon, j'ai parlé d'une décroissance soutenable et solitaire. M. le Président de la commission des lois - Comment une révision de la Constitution pourrait-elle être inconstitutionnelle ? L'incongruité de la question ne vous a pas échappé, Monsieur Braouezec, et je ne m'étendrai donc pas sur ce point. Je m'efforcerai plutôt de vous démontrer que nous partageons les mêmes préoccupations. Avec cette Charte de l'environnement, nous franchissons une étape essentielle qui, pour moi, ne devrait faire l'objet d'aucune polémique partisane. Nous ne disons en effet rien de plus que ceci : il faut préserver la Terre pour nos enfants et nos petits-enfants. Comment cet objectif pourrait-il être partisan ? Nous aurions tort d'aborder la question par le petit bout de la lorgnette. C'est une chance, avez-vous dit, pour les politiques - c'est même là l'une des grandeurs du politique - d'affirmer qu'ils peuvent, par les décisions économiques et sociales qu'ils prendront, sauver les populations d'Afrique, d'Asie ou d'Amérique du Sud des ravages de la déforestation et du désastre écologique qu'elle entraîne. Après la reconnaissance des droits civiques et politiques dans la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, après la reconnaissance des droits économiques et sociaux dans le préambule de la Constitution de 1946, nous faisons aujourd'hui un nouveau pas en cherchant à concilier progrès économique, progrès social et respect de l'environnement. M. André Chassaigne - Et le profit ? M. le Président de la commission des lois - Tel n'est pas mon propos à cet instant. Nous faisons aujourd'hui le pari que croissance et préservation de la planète sont conciliables. Jusqu'aux années 70, des entités aussi éminentes que le club de Rome prônaient la croissance zéro parce qu'on pensait à l'époque que plus de croissance, c'était forcément plus de pollution. Or, aujourd'hui, nous savons qu'il n'en est rien. La pollution régresse, sauf sur deux points : l'effet de serre et les déchets. Mais en matière de déchets, il est difficile de faire évoluer les mentalités et les comportements de nos concitoyens ! Libéralisme et préservation de l'environnement sont-ils compatibles ? Vous reprochez au système libéral de négliger l'homme. C'est oublier qu'il appartient au législateur d'encadrer les pratiques, de mettre des bornes là où c'est nécessaire, de dire où la croissance et le développement doivent s'arrêter pour ne pas mettre en péril l'homme et la planète. Soit on refuse tout progrès, tout développement de la science, toute élévation du niveau de vie (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains), soit on les accepte en les encadrant. Tel est précisément l'objectif de cette Charte. Par elle, nous souhaitons faire échapper le législateur aux considérations de court terme et nous placer dans une perspective plus vaste. L'un des problèmes est que, jusqu'à présent, le principe de précaution n'a jamais été défini de façon juridique - la loi Barnier disposait seulement que le législateur « s'inspire » de ce principe, sans en dire davantage. Il est désormais bien précisé que le principe de précaution s'applique si la survenue du dommage est incertaine, en l'état des connaissances scientifiques. Sinon, il s'agit de prévention, non de précaution ; et si le dommage risque d'être grave et irréversible pour l'environnement - les dommages causés à la santé ne sont pas concernés. De là, découlent des décisions de simple bon sens comme la nécessité d'évaluer les risques et de prendre, en fonction de ces risques, des mesures provisoires et proportionnées. Ce n'est que prudence élémentaire. Ceci posé, ceux qui s'opposeraient à l'application du principe de précaution seraient donc hostiles à l'appréciation des risques et à la prise de mesures adaptées ! Il n'existe pas de risque zéro dans notre société, du fait même que l'homme est libre. C'est contraignant, la liberté ! M. Patrick Braouezec - J'aime vous l'entendre dire ! M. le Président de la commission des lois - Le risque zéro est une utopie. Mais l'homme, dans sa sagesse, peut, face au risque qu'il se propose d'évaluer, prendre des mesures provisoires et proportionnées, en particulier sur le plan économique. Le juge ne pourra pas exiger des mesures exagérément coûteuses face à un dommage incertain, alors que ni l'Etat ni la commune n'en aurait les moyens. Imaginez que nous n'introduisions pas le principe de précaution. Le juge le ferait pour nous, comme il l'a déjà fait. Le principe de précaution, on le sait bien, est invoqué à toutes les sauces, et à tort. La constitutionnalisation rendra cela impossible. Vous préféreriez que la précaution soit conçue comme une exigence, et non pas posée comme un principe d'application directe. Un jugement européen du 21 octobre dernier fournit la réponse : « Le principe de précaution impose aux autorités concernées de prendre des mesures appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels pour l'environnement, en faisant prévaloir les exigences liées à la protection de ses intérêts sur les intérêts économiques ». En clair, le principe de précaution appliqué à l'environnement surpasse tous les autres. Si vous voulez verser dans une jurisprudence qui ira bien au-delà de ce que propose le Gouvernement, ne constitutionnalisez pas. Si au contraire vous voulez que notre droit français demeure indemne de l'intervention de toute jurisprudence internationale, alors il faut constitutionnaliser. Sinon, c'est s'en remettre au juge, au risque d'avoir à s'en mordre les doigts. Ne renonçons pas à cette sécurité qu'offre la constitutionnalisation et ayons, une fois de plus, la prétention de penser que notre conception du principe de précaution pourrait influencer celle de nos amis européens. Là où le juge européen établit une hiérarchie entre le droit de l'environnement et les autres droits, nous pensons, nous, à une conciliation entre le développement économique, le progrès social et la préservation de notre planète. Quelle plus belle ambition pour des parlementaires que de contribuer à sauver la planète, ce que pendant si longtemps nous n'avons pas fait, sous prétexte de progrès économique et dans l'oubli de l'intérêt de l'homme. Et sur ce point, nous nous rejoignons. Enfin, si le législateur ne se saisit pas de la question, nous serons, pieds et poings liés, livrés aux experts. On le voit bien avec les OGM. Si nous ne fixons pas par le droit les règles du jeu, nous sommes obligés de nous en remettre aux experts. En constitutionnalisant le principe de précaution, nous prenons l'initiative de consulter l'expert et la décision, pour finir, nous appartient. M. André Chassaigne - C'est un conte de fée ! M. le Président de la commission des lois - En conclusion, voici quelques phrases que je trouve très belles : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs » (Murmures sur les bancs du groupe socialiste). « La nature mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer et nous refusons de l'admettre. L'humanité souffre de mal-développement et nous sommes indifférents » (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste). « La terre et l'humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables ». Merci de l'avoir reconnu : c'était Jacques Chirac dans son discours de Johannesburg (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée. Mme la Présidente - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l'article 91-4, du Règlement. M. Christophe Caresche - L'inscription du droit à l'environnement dans notre Constitution est attendue par de nombreux Français, conscients que les menaces pesant sur l'environnement, et donc sur l'homme, imposent des réponses. La France a pris du retard dans sa politique de préservation de l'environnement, et aussi sur le plan juridique. Notre droit de l'environnement s'est constitué de façon disparate par des ajouts successifs. Il lui manque la consécration constitutionnelle, démarche importante que nous approuvons. Plusieurs députés socialistes, comme Ségolène royal et Victorin Lurel, ont déposé des propositions en ce sens. Cependant la Charte de l'environnement, telle qu'elle nous est présentée par le Président de la République suscite des interrogations. Quelle sera sa véritable portée ? Quelles seront ses conséquences juridiques ? Comment seront conciliés les principes qu'elle contient avec les autres principes reconnus par le Conseil Constitutionnel, par exemple la liberté de la recherche ? Ces questions ne peuvent pas être renvoyées à la commodité consistant à opposer défenseurs et adversaires de l'environnement. Qu'il y ait des réserves liées au refus de mesures contraignantes, dans l'intention de préserver certains intérêts, c'est probable. Que l'on puisse réduire l'ensemble des expressions à cette dimension, c'est faux ! Ainsi l'Académie de médecine ne me paraît pas guidée par une hostilité avérée envers l'écologie et encore moins par la promotion d'intérêts particuliers. Ces questions, nous devons nous les poser. Nous n'examinons pas un texte comme les autres. Il s'agit de modifier le préambule de la Constitution. Je ne sais si nous devons le faire « la main tremblante », comme nous le recommande Madame la rapporteure, mais assurément nous devons le faire « les yeux ouverts ». Nous ne pouvons pas accepter un texte dont nous ne mesurons pas totalement la portée et les conséquences, sauf à adopter une forme d'esthétisme constitutionnel. L'inquiétude joue d'ailleurs dans les deux sens. Certains peuvent craindre une interprétation volontariste de la Charte, d'autres une interprétation restrictive. Il n'est pas certain que le juge adopte un point de vue ambitieux en matière d'environnement. Le problème posé par la Charte n'est pas tant de savoir si elle va trop loin ou pas assez, que de savoir où elle va. L'incertitude tient d'abord à la démarche singulière, voire révolutionnaire, choisie par le Président de la République : une charte adossée au préambule de la Constitution. Cette démarche donne au juge un grand pouvoir d'interprétation. Ensuite, vient le refus du Président de la République de permettre au législateur de modifier le contenu de la Charte, qui est à prendre ou à laisser. On me dira que cette attitude n'est certes pas une nouveauté sous la Ve République, mais ici elle renforce le dessaisissement du législateur, écarté par la démarche constitutionnelle qu'on lui impose et par le choix politique consistant à l'empêcher de corriger le texte qui lui est soumis. Nous ne pouvons l'accepter, ni au regard des compétences des parlementaires dans le processus de révision constitutionnelle, ni au regard des incertitudes en matière de contentieux que fait peser l'adoption de la Charte en l'état. C'est pourquoi je défends une question préalable. Cette Charte de l'environnement constitue une démarche constitutionnelle singulière dont la portée est incertaine. Les rapporteurs ne s'attardent guère sur les débats auxquels ce choix a donné lieu, tout d'abord au sein de la commission Coppens. Plusieurs possibilités ont en effet été envisagées pour constitutionnaliser le droit à l'environnement. La première, la plus évidente, consiste à introduire ce droit dans le texte même de la Constitution et renvoyer au législateur le soin de préciser les principes permettant de décliner cet objectif. La commission Coppens a considéré que cette solution n'était pas assez ambitieuse. Une seconde solution consistait à accompagner la reconnaissance du droit à l'environnement d'une loi organique qui aurait précisé des règles et principes considérés comme essentiels pour la protection de l'environnement. Cette solution, selon M. Yves Jegouzo, avait « assez nettement la préférence de la commission Coppens ». On peut le comprendre, à la lecture du rapport de cette commission qui précise que l'intérêt d'une telle loi organique est double puisqu'elle a pleine valeur normative et qu'elle permet, mieux qu'un texte constitutionnel, de préciser certains principes dont l'interprétation ou la portée soulève de nombreux problèmes. Il en est ainsi, notamment, du principe de précaution. Une loi organique, toujours selon le rapport, peut également organiser des procédures pour renforcer l'efficacité du droit de l'environnement : études d'impact, instruments économiques et fiscaux incitatifs. Cette solution, très séduisante, avait également, semble-t-il, la préférence du ministère de l'environnement. Pourquoi n'a-t-elle pas été reprise par le Président de la République ? Nous aurions souhaité bénéficier de votre éclairage. Mme la Rapporteure - Vous l'aurez. M. Christophe Caresche - En tout cas, cela ne figure pas dans votre rapport. Mme la Rapporteure - Si. M. Christophe Caresche - Sans doute fallait-il une visibilité politique à la hauteur de l'ambition proclamée et du retard pris par la France dans ce domaine. La France a voulu se hisser à sa façon au niveau des autres pays, avec arrogance et prétention. M. le Président de la commission des lois - Mais non ! M. Christophe Caresche - Exit, donc, la loi organique, et place à la Charte, égale des droits de l'homme et des droits fondamentaux inscrits dans le préambule de la Constitution de 1946. On me rétorquera que le droit à l'environnement mérite bien une telle considération. Mais c'est justement parce que je le respecte que je me méfie de cette entreprise au caractère grandiloquent. La Charte pourrait bien se révéler être un miroir aux alouettes. Je n'en veux pour preuve que le décalage entre l'inaction du Gouvernement en matière d'environnement et « l'ambition » de cette Charte. Le choix de la démarche constitutionnelle n'a donc pas été guidé par des considérations juridiques. Il en résulte un certain nombre d'interrogations, et notamment sur la valeur constitutionnelle de la Charte. Si la formule de « l'adossement » est validée, ce sera une première dans notre droit constitutionnel. Formellement, l'adossement n'implique d'ailleurs pas intégration dans le bloc de constitutionnalité - étymologiquement, ce serait plutôt l'inverse. Ce sera en tout cas aux juges constitutionnels qu'il appartiendra de dire si la Charte fait partie intégrante de ce bloc. M. le Président de la commission des lois - C'est garanti. M. Christophe Caresche - On peut penser que ce sera le cas, mais ce n'est pas une certitude. Sera-ce également le cas pour l'ensemble des articles ? Nulle certitude là non plus. M. le Président de la commission des lois - Oh ! Oh ! M. Christophe Caresche - La deuxième interrogation concerne la portée normative de la Charte. De nombreux juristes déplorent une rédaction imprécise. C'est notamment le cas de M. Laurent Fonbaustier, professeur de droit public à l'université de Rennes I, de M. Gérard Yves Jegouzo, professeur à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne, de M. Guy Carcassonne, professeur à Paris X-Nanterre, de M. Bertrand Mathieu, professeur à l'université de Paris I Panthéon-Sorbonne, de M. Dominique Chagnollaud, professeur à Paris II-Assas. Ce dernier estime qu'il appartiendra au Conseil constitutionnel « de trancher la question de la valeur respective des principes et des objectifs que comporte ce texte et de concilier ces différentes exigences constitutionnelles. » M. le Président de la commission des lois - C'est ce que nous disons ici même ! M. Christophe Caresche - M. Mathieu parle d'insécurité juridique. L'interrogation porte également sur la façon dont les dispositions de la Charte seront conciliées avec d'autres exigences constitutionnelles : le droit de propriété, la liberté du commerce, de la recherche. De plus, on ne peut considérer que la Charte soit très éclairante. Elle pose certes, en son article 6, la nécessaire conciliation entre la protection de l'environnement et le développement économique et social, mais elle s'arrête là. De même, elle ne donne aucune indication sur la façon dont ces différents principes s'articulent entre eux. En définitive, c'est le Conseil constitutionnel qui le fera - sauf pour quatre principes explicitement renvoyés au législateur - et le juge ordinaire également, qui peut contrôler la constitutionalité d'un acte administratif ou d'un acte de droit privé. Les juridictions administratives se saisiront de ces principes constitutionnels, les individus également qui ont la possibilité d'invoquer devant un juge le texte même de la Constitution dans un litige privé contre un autre individu pour faire reconnaître la violation par ce dernier des droits fondamentaux qui y sont consacrés. Ce n'est pas en soi une difficulté, mais la Charte est-elle assez précise pour le permettre ? Certains, comme Guy Carcassonne, considèrent qu'elle risque de provoquer des subdélégations en chaîne. Selon le rapport de Mme Kosciusko-Morizet, le Conseil constitutionnel devra faire appel à des laboratoires indépendants, de sorte que la décision pourrait passer du juge à des experts privés. La même incertitude plane sur l'application du principe de précaution. Cette question a beaucoup focalisé les débats, peut-être à tort, puisque ce principe figure déjà dans notre droit. Je ne pense pas, pour ma part, qu'il puisse fonder une responsabilité pénale comme certains le redoutent. Le problème est moins son introduction dans la Charte, qui me semble justifiée, que l'insuffisance de l'encadrement procédural. Bertrand Mathieu et Michel Verpeaux considèrent que « sa portée juridique est relativement incertaine ». Les juristes n'ont guère eu la parole dans ce débat. M. le Président de la commission des lois - Ils ne sont pas législateurs. M. Christophe Caresche - De nombreux juristes insistent sur le statut de l'expertise. Quel sera le pouvoir scientifique habilité à constater une probabilité de risque suffisamment précise pour que les pouvoirs publics mettent en _uvre une procédure d'interdiction ou de suspension ? « Comment constituer ces instances, quelles procédures appliquer pour que la règle du contradictoire, la transparence soient respectées ? », s'interroge M. Yves Jegouzo dans les Cahiers du Conseil constitutionnel. M. Michel Prieur, qui n'est pourtant pas un opposant à la Charte, ne dit pas autre chose quand il écrit : « La reconnaissance scientifique est souvent incertaine, aussi peut-on se demander qui déterminera que le degré d'incertitude a atteint le seuil de déclenchement du principe de précaution ». Et de suggérer des garanties procédurales intéressantes pour définir ce statut de l'expertise. Malheureusement, ces garanties ne figureront pas dans la Charte, alors que le principe est d'application directe. C'est le juge qui, en réalité, les précisera. Espérons qu'il lira Michel Prieur ! On le voit, l'insuffisante précision de la Charte, l'absence de hiérarchisation entre les principes laisse une grande marge d'interprétation, par excès ou par défaut. Ce qui la caractérise, c'est à bien des égards son indétermination. Il appartenait au législateur, qui en l'espèce est aussi constituant, de lever les ambiguïtés. Toujours selon Guy Carcassonne... Mme la Rapporteure - Quel succès ! M. Christophe Caresche - Ce n'est pas la plus mauvaise référence. M. Guy Geoffroy - Ce n'est pas la meilleure. M. Christophe Caresche - Selon Guy Carcassonne, « il suffit de laisser les assemblées faire leur travail, mais il le faut ». Il était possible de reprendre certaines rédactions, de préciser la portée des droits et des devoirs, ce qui aurait permis sans drame d'aboutir à un texte convenable. Ce travail n'a pas été possible. Vous avez procédé à de nombreuses auditions, Madame la rapporteure, mais on ne peut pas dire qu'elles vous aient beaucoup inspirée (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). On a eu le sentiment que vous étiez postée là, comme une sentinelle, et non pas comme l'animatrice d'un travail collectif (Même mouvement). En procédant ainsi, vous n'avez pas servi la cause de l'environnement (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Je ne polémique pas. J'ai développé des arguments. S'il y a un lieu pour le faire, c'est bien ici. Pratiquement aucun des amendements examinés en commission n'a été retenu. Certains collègues ont même été priés de retirer leurs amendements en commission, ce que je n'avais jamais vu (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Aucune des pistes indiquées par les personnalités auditionnées n'a été explorée. Il était pourtant possible d'améliorer la Charte, de réduire les incertitudes, de limiter l'insécurité juridique. En refusant ce travail, qui est pour le législateur un devoir, vous confirmez que seule l'intention vous intéresse, seul l'affichage compte. Cette démarche créera beaucoup de désillusion et de confusion. C'est pourquoi, chers collègues, je vous invite à voter la question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. le Garde des Sceaux - Il est important de voter les yeux ouverts. Ce sera le cas à l'issue de ce débat. Vous m'avez interrogé sur la signification de la Charte. Elle est extrêmement claire. Vous reconnaissez vous-même qu'une constitutionnalisation était nécessaire. Je l'ai dit, toute la Charte aura valeur constitutionnelle. S'agissant de sa portée, seul l'article 5 sera d'application directe. Les autres articles, qui fixent des objectifs constitutionnels, devront être développés par des lois. Vous avez réclamé une loi organique, alors que vous nous aviez reproché d'en lier une à la révision constitutionnelle sur la décentralisation. Je ne comprends pas votre logique. M. André Chassaigne - Cela n'a rien à voir ! M. le Garde des Sceaux - Renvoyer l'application du principe de précaution à une loi organique, ce serait retirer son effet direct à ce principe et faire perdurer une insécurité juridique que justement nous voulons faire disparaître. On ne peut par ailleurs parler d'affichage. Vous l'avez reconnu, cette Charte constitue un réel progrès ! Citant de nombreux universitaires, vous avez tenté de prouver l'existence d'un flou juridique. En fait, l'article 5 fixe une règle et les autres des objectifs constitutionnels. Le travail du juge consiste précisément à concilier différents objectifs. C'est pour cela que le Conseil constitutionnel a été créé ; les objectifs constitutionnels ne créent pas directement un droit, mais ils instituent une obligation d'agir, dont les modalités seront définies par le législateur. Vous avez plusieurs fois cité Guy Carcassonne. Or, il a déclaré approuver la Charte « sans état d'âme, ni regret, ni réticence » ; cette citation, il me semble, complète utilement les vôtres... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Mme la Rapporteure - Mise en cause personnellement, je voudrais rectifier quelques points. L'hypothèse d'une loi organique, d'après vous, aurait séduit la commission Coppens. Qu'elle ait convenu au professeur Jegouzo, j'en conviens, mais à la commission elle-même, ce n'est pas certain. Vous me reprochez par ailleurs de ne pas avoir étudié cette hypothèse dans mon rapport. C'est faux, voyez les pages 20 à 27. Si elle n'a pas été retenu, c'est parce que les lois organiques, qui visent à organiser les pouvoirs publics, n'ont pas vocation à énoncer des droits. En outre, alors que nous regrettons tous le flou de la jurisprudence communautaire, une loi organique ne nous en prémunirait pas. Je comprends mal comment vous pouvez reconnaître l'urgence de ce texte et préconiser le recours à la loi organique. Vous avez fait référence aux auditions. Je me réjouis que vous ayez lu si attentivement les comptes rendus, mais je regrette que vous ayez négligé le rapport, dans lequel vous trouverez les réponses aux interrogations suscitées par la Charte. Les auditions ont eu lieu en décembre 2003 ; les travaux conduits de janvier à mars ont permis de résoudre les problèmes soulevés. Les juristes auditionnés nous ont d'ailleurs aidés à distinguer entre objectifs et principes constitutionnels. Il reviendra au législateur de les décliner. Le Conseil constitutionnel exercera son contrôle, qui sera minimal. Le rôle des experts ne sera pas supérieur à ce qu'il est d'habitude. En définitive, c'est un sentiment de gêne que j'ai ressenti. Vous reconnaissez l'intérêt d'un texte que vous ne pouvez pourtant vous résoudre à adopter, de même qu'en commission vous avez repoussé un amendement de M. Delattre ressemblant pourtant à l'un des vôtres. Ne manqueriez-vous pas un peu d'honnêteté intellectuelle ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Guy Geoffroy - La débauche d'arguments employés par M. Caresche cache mal la gêne des socialistes devant ce texte, si attendu en raison du retard accumulé. De 1981 à 2002, ils ont été quinze ans au pouvoir, mais c'est pendant les six ans où nous avons été au gouvernement qu'a été votée la loi Barnier, élément important de notre droit de l'environnement. Rappelons aussi que c'est sous le général de Gaulle dans les années 1960 qu'ont été votées les premières lois sur l'eau, et sous le président Pompidou que fut créé le ministère de l'environnement. Sur ce sujet comme sur tant d'autres, vous n'êtes donc pas une référence. Vous avez avancé que le fait d'adosser la Charte à la Constitution était un facteur de fragilité. Pas du tout : de la première à la dernière ligne, le texte a valeur de loi fondamentale. Vous prétendez également que le législateur a été dessaisi. Comment dire cela, alors même que nous sommes ici constituants pour graver dans le marbre des éléments dont vous regrettez qu'ils ne l'aient pas été plus tôt ? Si figurants il y a, ce sont les membre socialistes de la commission des lois. Ils se sont contentés de sourire en nous écoutant débattre entre nous, ils ont glosé sur nos différences. Eh ! bien oui, le groupe UMP a débattu, et il est bon que sur de tels sujets il y ait une diversité d'approche, que nous avons su surmonter intelligemment. Grâce à tout ce travail, auquel vous avez si peu contribué, le texte n'en sera que meilleur, surtout si, comme je n'en doute pas, nous adoptons l'excellent amendement présenté par Mme Pecresse et par M. Delattre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) qui inscrit dans l'article 34 le fait que toutes les questions d'environnement relèvent de la loi. M. Caresche ayant abusé des citations, je citerai pour ma part le professeur Hubert Reeves qui, en commission, nous a dit que nous étions les responsables de la crise de notre planète, ses victimes potentielles, mais aussi ses sauveurs possibles. Et c'est dans un esprit résolument optimiste qu'il nous a invités à adopter cette Charte. Vous nous demandez de lever les ambiguïtés. Le meilleur moyen de le faire est de repousser cette question préalable (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée. Mme Ségolène Royal - Après quelques vicissitudes, ce texte est enfin inscrit à l'ordre du jour. Il aura fallu, paraît-il, faire preuve de beaucoup de conviction auprès des parlementaires de la majorité et du président de la commission des lois. Celui-ci a donc changé d'avis puisque, le 21 novembre 2002, il déclarait que, si l'on donnait valeur constitutionnelle à la Charte de l'environnement, il faudrait faire de même ensuite pour d'autres chartes, et qu'à force d'ajouts ce ne serait plus la Constitution, mais la Bible ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste) M. le Président de la commission des lois - J'assume. Mme Ségolène Royal - Il paraît aussi que le Président de la République a dû se fâcher. Sans doute faut-il remercier Nicolas Hulot et beaucoup de membres de la commission Coppens qui lui ont demandé de tenir ses engagements. S'agissant d'inscrire le principe de précaution dans la Constitution, les socialistes sont prêts à vous rejoindre si une partie de leurs amendements sont retenus et, surtout, si vous vous engagez à mettre vos actes en conformité avec vos déclarations de principe. M. Jean-Pierre Blazy - Ce qui n'est pas sûr ! Mme Ségolène Royal - Le double langage n'est plus de mise. J'en prendrai trois exemples dans l'actualité. D'abord, la levée du moratoire sur le maïs transgénique. Comment la loi du commerce a-t-elle pu l'emporter de façon aussi cynique sur le principe de précaution que vous nous proposez ? Cet obscurantisme confine à l'absurde, car les industriels sont très inquiets devant la baisse de la consommation. M. François Sauvadet - Il y a un étiquetage. Mme Ségolène Royal - Il ne suffit pas. Les consommateurs ont tranché. C'est la passivité et le double langage de votre gouvernement qui a permis cette mauvaise action. En effet, le Conseil est resté paralysé pendant trois mois et la Commission a donc tranché. N'est-ce pas le revirement de la France, qui a voté le 18 février 2004, en faveur de l'importation du maïs NK 603 modifié génétiquement par Monsanto, qui a permis la levée du moratoire ? Le ministre de l'agriculture déclare, bizarrement, « ne pas être fanatique des OGM ». On ne lui demande rien de tel. On lui demande de respecter les principes. Ce n'a pas été le cas pour le principe de précaution. S'il entre désormais dans notre Constitution, nous souhaitons que, lors d'un prochain conseil des ministres de l'agriculture, la France remette en cause la levée du moratoire. Pour notre part, nous sommes favorables à la recherche fondamentale sur les OGM, en particulier pour déterminer leurs effets sur la santé et sur l'environnement. Elle doit être faite dans des sites fermés, en nombre limités, dans la transparence et par des organismes publics. M. Francis Delattre - Et il faut qu'on ne les détruise pas ! Mme Ségolène Royal - L'étiquetage de produits contenant des OGM, ou d'animaux nourris aux OGM, sont un droit essentiel pour le consommateur et pour la filière agroalimentaire. Tout produit génétiquement modifié et commercialisé doit être traçable, même après transformation, ce qui n'est pas encore le cas. Nous sommes contre toute levée du moratoire européen sur l'importation de nouveaux OGM, en l'état actuel des connaissances ; contre les essais transgéniques en plein champ ; contre le brevetage du vivant et le pillage par les multinationales des ressources génétiques qui constituent le patrimoine commun de l'humanité ; et contre la diffusion trop précoce de plantes génétiquement modifiées par des multinationales, ce qui nuit à l'image de toutes les recherches, même celles qui pourraient être bénéfiques. Enfin, nous sommes pour un juste partage entre le Nord et le Sud des avantages découlant des utilisations de ressources génétiques existantes, et qui doivent rester dans le domaine public. Ils doivent notamment servir à des investissements pour protéger la biodiversité. Deuxième exemple, celui de l'autorisation aberrante des stocks de « régent » et de « gaucho », malgré la dangerosité démontrée de ces produits pour la santé publique, notamment pour le f_tus. La région Poitou-Charentes que je préside délibérera prochainement pour interdire l'utilisation des stocks et négocier leur rachat, et je souhaite que le ministère de l'environnement soutienne les régions qui agiront de même. Dès lors que le principe de précaution sera inscrit dans la Constitution, le ministre de l'environnement pourra imposer au ministre de l'agriculture d'autres règles de fonctionnement. Enfin, les essais d'OGM en plein champ. Vous le savez, l'ensemble des régions à présidence socialiste, sur le fondement du principe de précaution et de l'incompatibilité entre ces essais et le développement de l'agriculture biologique, de l'agriculture traditionnelle de qualité et des différents labels, a incité les maires à prendre des arrêtés d'interdiction, limités dans le temps - un an - et l'espace - trois kilomètres. Or, je découvre aujourd'hui un courrier du préfet des Deux-Sèvres qui, en votre nom, vient de demander aux maires de retirer leurs arrêtés! M. le président de la commission des lois - Mais ce n'est pas de leur compétence! Mme Ségolène Royal - Si, ils peuvent prendre des arrêtés! M. le Président de la commission des lois - Pour une ancienne conseillère de François Mitterrand, ce n'est pas brillant ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Mme Ségolène Royal - Il y a urgence à agir. Au sommet de Rio, il y a douze ans, nous avions obtenu que la communauté internationale proclame l'état d'urgence, consacre le principe de précaution, et garantisse aux générations futures un environnement préservé. Depuis, rien de sérieux n'a été entrepris ! De l'égoïsme des uns à la lâcheté des autres, notre patrimoine collectif se dégrade de jour en jour. Et pourtant, les enjeux sont aujourd'hui clairement identifiés, qu'il s'agisse des marées noires, de l'insécurité alimentaire, ou encore des phénomènes climatiques extrêmes, pour ne citer que ces exemples. Le lien entre la mondialisation et l'insécurité écologique est avéré : les pollueurs ont su tirer parti de la mondialisation pour s'exonérer de toute règle de droit, fiscale, sociale, ou environnementale. Il faut donc agir. Mais agir, c'est autre chose que des déclarations de principe contre les pollueurs ou des promesses de mesures, surtout quand, dans le même temps, les positions les plus libérales sont défendues devant l'organisation maritime internationale, quand une fiscalité subventionnant massivement le transport routier est encouragée. L'action contre l'insécurité écologique ne peut plus s'accommoder de ce double langage. Les comportements ne changent que sous la contrainte. Comment des députés UMP peuvent-ils vanter les mérites de cette Charte parce que, justement, elle n'est pas contraignante? Les citoyens n'ont pas de contre-pouvoirs, la loi est donc nécessaire. Il faut user de méthodes innovantes de consultation directe et de démocratie de proximité. Agir pour l'environnement, c'est agir pour la paix. L'écologie est devenue un enjeu majeur dans les relations internationales, et la guerre de l'eau en est l'un des aspects les plus tragiques. Il faut faire tomber les tabous de la liberté du commerce, de la liberté des mers, du système financier international, de la construction européenne. La recherche louable du consensus international n'est plus compatible avec l'état d'urgence. L'Europe doit fédérer la lutte contre les Etats voyous, au premier rang desquels figurent les Etats-Unis eux-mêmes, qui refusent toutes les actions concertées contre le dérèglement climatique, aux conséquences pourtant bien plus meurtrières que le terrorisme. Nous attendons de ce débat des avancées, et des engagements précis. Ce texte doit être contraignant. Il faut être solidaire du vivant et apprendre à lutter contre la fatalité. La politique doit protéger en priorité l'humanité. Les socialistes seront attentifs à la qualité du débat sur les amendements (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. François Sauvadet - Madame Royal, vous m'inquiétez. Vous ne parlez, une fois encore, que de contraintes, alors qu'il faut au contraire associer et impliquer l'ensemble des citoyens. Votre échec dans le domaine de l'agriculture en atteste. Nous voici enfin à ce texte. Il aura fallu presqu'un an avant que ce projet soit inscrit à notre ordre du jour, mais c'était un temps nécessaire pour en débattre. ²Ce texte a fait l'objet de nombreuses interrogations, pour certaines parfaitement légitimes, comme celles qui concernent le principe de précaution. Bien que les contours de ce principe aient été précisés, notamment en commission des lois - aux réunions de laquelle j'ai assisté, bien que n'en étant pas membre -, des incertitudes demeurent, en particulier sur son application concrète. Ainsi, avant même que ce principe figure dans la Constitution, la question des OGM est déjà abordée sous cet angle. De même, ce principe ne s'appliquera pas dans certains domaines, comme celui de la santé - le président Ollier nous l'a confirmé. Cette Charte a fait l'objet d'un large débat au sein de l'UDF, comme au sein de l'UMP. Nous avons entendu les avis des constitutionnalistes, ceux des experts de l'Académie des sciences morales et politiques, de l'Académie des sciences et de l'Académie de médecine, écouté leurs doutes et leurs craintes. C'est la preuve qu'il n'est pas si facile de trouver un consensus, pourtant indispensable s'agissant d'une révision de la Constitution, de surcroît sur un sujet devenu l'une des préoccupations majeures des Français. Marées noires successives, pollution de l'air, réchauffement du climat ont renforcé la prise de conscience qu'il faut agir pour préserver l'équilibre, toujours délicat à trouver, entre progrès, recherche, innovation, activité économique et préservation de ce patrimoine commun que sont l'environnement et la biodiversité. Parmi les points positifs du texte, la reconnaissance du droit à chacun de vivre dans un environnement sain, « équilibré » et « favorable à sa santé », mais aussi celle d'un devoir des citoyens vis-à-vis de l'environnement. Et sur ce point, je ne pense pas comme Mme Royal : en matière d'environnement, il est aussi des devoirs. Chaque citoyen est coresponsable du patrimoine commun et doit prendre part à sa préservation et à son amélioration. De même, exiger de l'auteur d'un dommage à l'environnement qu'il le répare va dans le bon sens. Pour autant, était-il opportun d'adopter maintenant cette Charte de l'environnement alors qu'au niveau européen, le futur traité constitutionnel, qui comportera un chapitre relatif à l'environnement, est encore en discussion ? Dans ce contexte, on peut craindre que les dispositions de la Charte, en particulier son article 5, posent un problème de cohérence avec celles en vigueur dans les autres pays. Que nous soyons les plus vertueux dans l'Union en matière de précaution et de prévention ne servira pas à grand-chose sans harmonisation européenne. Pour avoir présidé la commission d'enquête sur la maladie de la vache folle, je sais que si la France a, la première, pris toutes les mesures de protection nécessaires, il a fallu attendre quatre ans pour que des pays voisins prennent des mesures de même nature, quatre années donc où des produits alimentaires non sécurisés ont pu circuler dans notre pays en toute légalité... Une harmonisation des législations européennes est indispensable, et la France doit bien sûr être en pointe pour la faire aboutir. Afin qu'elles n'induisent pas de distorsions de concurrence, notamment pour nos filières agricoles et agro-alimentaires, les préoccupations environnementales doivent être traitées d'abord au sein de l'Union européenne, puis au sein de l'OMC, où l'Europe devrait se présenter unie. Pour ce qui est des OGM, je partage l'avis de Mme Royal sur la nécessité de prendre toutes les précautions nécessaires, notamment pour éviter leur dissémination. Mais je pense qu'il ne faut pas pénaliser notre recherche pour le futur, par rapport à des pays qui se sont engagés sans réserve dans la mise au point d'OGM. Le génie génétique a permis d'adapter la culture de certaines plantes à des conditions extrêmes comme la sécheresse, la salinité, la présence de parasites... Ainsi certain maïs transgénique permet-il d'éviter l'emploi de produits phytosanitaires extrêmement polluants pour l'eau. Ne nous privons donc pas des voies du progrès, d'autant qu'il est très difficile de contrôler si un produit importé contient ou non des OGM, puisqu'un seuil de « moins de 1 % » est toléré. En revanche, une information claire et totalement transparente des consommateurs en ce domaine est indispensable. Ils doivent savoir s'ils consomment ou non des OGM. Dans le débat en cours sur le projet de loi d'orientation sur l'énergie, personne, à l'exception, notable, de Nathalie Kosciusko-Morizet et de notre collègue de l'UDF Jean Dionis du Séjour, n'a fait référence à cette Charte de l'environnement. Pourtant, si nous voulons respecter les engagements pris au niveau international, une politique d'incitation fiscale est indispensable pour favoriser le développement des énergies renouvelables. M. Francis Delattre - Il faut défiscaliser les biocarburants. M. François Sauvadet - En effet, ces énergies permettent de réduire les émissions de gaz à effet de serre. C'est bien là appliquer le principe de précaution. Simplement il faut passer de la théorie à la pratique. D'une manière plus générale, il s'agit de savoir quel niveau de risque est tolérable et toléré dans nos sociétés. Le principe de précaution pose une bonne question, celle du développement durable, mais y apporte une réponse un peu commode, qui risque de conduire à un malentendu. En effet, il ne saurait y avoir de risque zéro - dont la tentation est pourtant forte. Je le dis amicalement au président de la commission des lois, prenons garde à ne pas jouer le Rousseau des Rêveries du promeneur solitaire contre l'esprit des Lumières, et cherchons plutôt à trouver un nouvel équilibre entre progrès et précaution. Je l'affirme ici solennellement, notamment à l'intention de Mme Royal, jamais la sécurité alimentaire n'a été aussi bien garantie dans notre pays qu'aujourd'hui (Dénégations de Mme Royal). Au nom du principe de précaution et du risque zéro, on menace la diversité alimentaire. On a failli tuer par exemple l'époisse, fromage de ma région. Je vous le dis, Madame, qui présidez une région où l'on produit l'excellent chabichou... Pour protéger efficacement le vivant dans son ensemble, il nous faut penser à l'homme dans son environnement, et non pas seulement à l'environnement. Plus d'audace et plus de pédagogie dans notre politique environnementale et énergétique seront nécessaires. Nous risquons, sinon de voir se multiplier des recours systématiques, comme c'est déjà le cas en matière de nouvelles infrastructures. Voilà vingt ans que nous attendons, de recours en recours, la réalisation d'une voie de contournement de l'agglomération dijonnaise ! S'il est important que nos concitoyens puissent s'exprimer, s'il faut leur apporter toutes les garanties nécessaires, il ne faudrait pas aller trop loin, au risque de paralyser tout projet. Autre point, jusqu'à présent peu discuté, de la Charte : son article 7 dispose que « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ». Je crains que cette participation des citoyens, sans garde-fou, ne constitue une entrave supplémentaire. Il faudra notamment bien expliquer à nos concitoyens la différence entre principe de précaution et prévention du risque. Le nucléaire relève ainsi du second et non du premier, dans la mesure où c'est un risque parfaitement identifié. Il faudra aussi être précis au sujet de la pollution atmosphérique. Il en va de même pour les risques naturels et industriels. La question du principe pollueur-payeur est encore devant nous. Nous ne pourrons pas concentrer les responsabilités et les charges financières sur des secteurs que la gauche a naguère « victimisés », comme l'agriculture. Les agriculteurs ont consenti beaucoup d'efforts, nous devons être à leurs côtés, et les associer à la protection de l'environnement. Autre problème, l'article disposant que le coût de la réparation doit revenir au pollueur. Il restera à préciser qui prend en charge quoi, et sous quelle forme : une participation, une contribution ? En conclusion, il nous semble que l'on a répondu à une attente de nos compatriotes, et que l'on a cherché à faire, un peu hâtivement, du politiquement correct, sans suffisamment intégrer la dimension européenne. A l'UDF, nous avons fait, dans d'autres débats, des propositions originales, relatives par exemple à la fiscalité énergétique. Ne bornons pas notre démarche en faveur de l'environnement à cette seule déclaration de principes constitutionnels, et travaillons à répondre concrètement aux préoccupations qui s'expriment. L'article 5 suscite chez nous une sorte de malaise. N'oublions pas non plus la crainte éprouvée par les ruraux face à la tentation de transformer leurs territoires en conservatoire. Les citadins doivent comprendre que la campagne a besoin d'activités pour conserver une présence humaine. M. Jean Lassalle - Très bien ! M. François Sauvadet - Voilà nos réserves. Au nom du groupe UDF, j'annonce que je voterai la Charte, parce qu'elle ouvre un chemin, sans être convaincu qu'il soit le mieux adapté. Certains de mes collègues ne l'emprunteront pas. Mais l'important, c'est qu'il y ait un chemin (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et sur quelques bancs du groupe UMP). La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30. La séance est levée à 20 heures 5. Le Directeur du service |
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