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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2003-2004 - 93ème jour de séance, 230ème séance

3ème SÉANCE DU MARDI 25 MAI 2004

PRÉSIDENCE de M. François BAROIN

vice-président

Sommaire

      CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT (suite) 2

      ORDRE DU JOUR DU MERCREDI 26 MAI 2004 26

La séance est ouverte à vingt et une heures trente.

CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT (suite)

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement.

M. André Chassaigne - Nous vivons de plus en plus au rythme des atteintes portées à l'environnement : canicule, inondations chroniques notamment dans la vallée du Rhône, levée du moratoire européen sur les maïs transgéniques, mort d'abeilles en masse causée par des pesticides... Dépassés bien souvent par ces drames, nous nous montrons incapables de trouver les parades adéquates. Disons-le simplement : obnubilée par ses difficultés quotidiennes, notre société est incapable d'une vision stratégique à long terme, elle est incapable de s'interroger sur la relation entre développement social et culturel et nécessité de la protection de l'environnement.

La Constitution et son préambule occultent complètement cette problématique écologique. Cette carence a souvent été dénoncée et, dès 1975, le groupe communiste de l'Assemblée a déposé une proposition de loi visant à y remédier, notamment en introduisant parmi les principes constitutionnels « la protection de la nature et sa mise en valeur rationnelle ».

Parce que le préambule d'une Constitution doit énoncer les valeurs qui donnent sens à une société, cette carence devenait insupportable. Aussi le débat sur cette Charte est-il une chance : ne perdons pas cette occasion de proclamer symboliquement l'attachement du peuple français à son environnement, de manifester ses inquiétudes quant à l'avenir de la planète !

Mais une simple proclamation de principes ne saurait suffire...

M. Guy Geoffroy - C'est toutefois un début !

M. André Chassaigne - ...et cette Charte doit donc définir les principes d'une politique nationale ambitieuse.

Ce document doit, en premier lieu, être d'inspiration humaniste. En effet, adossé à la Constitution au même titre que la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et que le préambule de la constitution de 1946, il faut qu'il soit en conformité idéologique avec ces textes. Mais cet humanisme s'impose également parce que certains courants écologistes, en réaction à la prolifération des pollutions et à la fragilisation des écosystèmes, remettent en cause l'anthropocentrisme et, au nom de prétendues valeurs « naturelles » ou même, parfois, de droits octroyés aux arbres et aux animaux, regardent la science et la technique comme intrinsèquement destructrices. L'homme, quant à lui, ne serait qu'un prédateur irresponsable ! Or, derrière de bons sentiments manifestes se cache là une idéologie foncièrement réactionnaire et antidémocratique.

A en croire M. Deflesselles et Mme Kosciusko-Morizet, cette idéologie n'aurait aucune emprise sur la Charte. Fort bien, mais elle inspire, sous des formes diverses, le droit communautaire de l'environnement. La directive Natura 2000, par exemple, reflète une vision sanctuarisée du monde rural, où l'homme passe au second plan et qui pourrait conduire à paralyser le développement des territoires. Cette divergence d'esprit entre droit communautaire et Charte risque d'ailleurs de faire problème...

Nous devons au contraire prendre le parti de l'homme, car c'est l'humanité qui, seule, peut être au c_ur de tout projet politique démocratique. Et c'est pour préserver l'humanité que nous devons nous interdire de ravager son environnement.

Certes, les préoccupations écologiques sont absentes de la pensée humaniste originelle...

M. Jean-Pierre Brard - Est-ce si sûr si l'on pense à Rousseau ?

M. André Chassaigne - ...Pour autant, elle ne suppose pas que l'homme doive sacrifier la nature à ses caprices. Même s'il a souvent été dévoyé, l'esprit de responsabilité développé par cet humanisme invite au contraire les hommes et les femmes à agir au nom de principes moraux universels.

C'est ce même esprit de responsabilité qui doit être au fondement de toute recherche scientifique, de tout progrès technique. Nous avons tous appris que « science sans conscience n'est que ruine de l'âme ». Que le progrès technique ait pu être dévoyé est une chose, qu'il soit en lui-même à l'origine des dommages causés à l'environnement en est une autre. Condorcet disait très justement, dans son Fragment sur l'Atlantide, qu'« il y aura toujours une énorme distance entre celui qui ne veut acquérir que les connaissances utiles à lui-même et celui pour qui la recherche de la vérité est le but, l'occupation de sa vie entière ». Et il distinguait les racines du dévoiement de l'esprit scientifique dans « un système social combiné pour la vanité » et dans les « vices de l'instruction commune ». En effet, ce n'est pas la science en elle-même qui affecte l'environnement, mais bien un système social fondé sur la culture de la concurrence, du profit et de l'individualisme !

Mais, si ce projet de charte est bien empreint d'humanisme, n'occulte-t-il pas pour l'essentiel les sources des ravages subis par notre environnement ? Répond-il à cette question cruciale : jusqu'à quel point un progrès technique respectueux de l'environnement est-il compatible avec le « système social combiné pour la vanité » qu'évoquait Condorcet ?

On a cité cet après-midi l'Antigone de Sophocle. J'évoquerai, moi, le Prométhée enchaîné d'Eschyle et les « aveugles espérances » que le progrès technique a suscitées « dans le c_ur des hommes », créant l'illusion que la science allait les faire « maîtres et possesseurs de la nature ».

M. Jean-Pierre Brard - Quelle culture ! Nos collègues de droite en sont tout cois !

M. André Chassaigne - Si ces vertiges prométhéens sont aujourd'hui révolus, nous en supportons encore les conséquences : il suffira de rappeler l'assèchement de la mer d'Aral ou les problèmes nés de la construction du barrage d'Assouan...

M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - On pourrait aussi citer l'assèchement du lac Tchad !

M. André Chassaigne - Et aujourd'hui, un autre système économique, désormais dominant, organise le pillage des ressources naturelles de la planète, détruit les écosystèmes et, à force de tout réduire à une comparaison de prix et de coûts, en vient à condamner l'environnement et le bien-être des générations futures. Comment concevoir une Charte qui ferait abstraction de ce système ? Nos critiques porteront donc sur votre refus d'intégrer cet élément de réflexion, sur votre incapacité à dépasser cette contradiction fondamentale qui consiste à vouloir protéger l'environnement sans s'interroger sur la viabilité du système à l'origine de sa destruction progressive.

L'appel, dans l'article 6, à la notion aussi creuse que galvaudée de développement durable ne nous aidera nullement à dépasser cette contradiction. Nous regrettons particulièrement l'absence de toute référence à l'épuisement progressif des ressources naturelles ou à la question de l'eau, comme enjeu vital et enjeu de pouvoir.

Voilà pourquoi nous sommes obligés de dénoncer ces politiques publiques qui mettent à mal notre environnement. Le choix de laisser tomber le secteur fret de la SNCF sonne davantage comme un hommage au tout-routier que comme une conversion à l'écologie politique. De même, la privatisation d'EDF ne laissera que peu de fonds à l'entreprise pour financer la recherche sur les énergies renouvelables.

M. Francis Delattre - C'est M. Gayssot qui a signé la directive !

M. André Chassaigne - Nous regrettons que cette loi constitutionnelle relève surtout du fait du prince. Nous craignons qu'elle n'ait pas vocation à inspirer nos politiques publiques, tout au moins pas davantage que les textes auxquels elle se joindra. Et cette appellation de « Charte », qui relève plus de la Restauration que des valeurs républicaines...

M. Jean-Pierre Brard - C'est une importante question sémantique ! (Sourire)

M. André Chassaigne - Son contenu doit lui-même être discuté. Ainsi la Charte, en son article 4, proclame le principe pollueur-payeur. C'est un principe réducteur. Parce qu'il individualise les sources des atteintes à l'environnement, il exclut toute analyse globale sur la pollution. En retenant une conception large de ce principe faisant appel au principe encore plus large de réparation, vous essayez de dépasser cette contradiction sans que l'on puisse pour autant distinguer les modalités pratiques d'application de ce droit à réparation : comment concevoir une réparation des dommages sans contester un système qui, par nature, implique de fortes dégradations de l'environnement ?

Ainsi, il reviendrait au paysan de réparer personnellement les dommages que son activité professionnelle cause à l'environnement. Mais est-il le seul responsable des fortes concentrations de nitrate dans les rivières ?

M. le Président de la commission des affaires économiques - Cela relève de la prévention.

M. André Chassaigne - L'industriel qui lui a vendu ces engrais n'a pas pollué directement cette rivière, non plus que les commissaires de Bruxelles. C'est pourtant la politique agricole commune qui, à force d'encourager la baisse des prix agricoles, est parvenue à mettre l'agriculture sous tutelle et à l'enfermer dans une logique productiviste.

En outre, ce principe ouvre la porte à la création de droits à polluer. Si, en réparant les dommages que l'on occasionne, on s'exonère de sa responsabilité sociale, la loi attribue de facto un prix à la pollution.

M. le Président de la commission des affaires économiques - C'est une interprétation originale.

M. André Chassaigne - Et c'est bien la logique du libéralisme d'échanger tout ce qui a un prix. Nous devrons donc être très vigilants concernant les modalités d'application juridique de ce principe pollueur-payeur. En aucun cas nous ne pourrons accepter un système qui donne aux riches le droit de polluer.

L'inscription dans la Charte du principe de précaution a soulevé un grand nombre d'interrogations. Je reviendrai sur ce point à l'occasion de la motion de renvoi en commission.

J'ai déposé, au nom de mon groupe, un certain nombre d'amendements par lesquels j'ai essayé de répondre aux questions que j'ai soulevées. J'espère qu'il leur sera fait bon accueil.

Si nous nous réjouissons de l'inscription, dans la Constitution, des problèmes liés à l'environnement, je conclurai en vous demandant : « Encore un effort, camarades ! » (Sourires)

Mme Valérie Pecresse - « A toi qui n'est pas encore né ». C'est par cette dédicace que je souhaite que nous entamions, au nom du groupe UMP, la discussion de cette Charte. Je dédie cet événement historique aux générations futures, aux enfants qui verront le jour sur une planète intacte préservée par des hommes et des femmes de bonne volonté, visionnaires et responsables.

M. Jean-Pierre Brard - Vous ne pensez pas à M. Bush ?

Mme Valérie Pecresse - En adoptant cette Charte, vous serez de leur nombre, y compris vous, Monsieur Brard.

La préservation de l'environnement est une exigence parce que nous sommes des élus, des parents ou des grands-parents soucieux de préparer l'avenir, des êtres humains soucieux de préserver la vie, des Français, enfin, que l'Histoire pousse à construire un monde meilleur.

La France fait entendre partout dans le monde, par la voix de son Président, un message humaniste dont nous sommes fiers. Non, l'écologie n'est ni de gauche ni de droite : elle est universelle.

M. le Président de la commission des affaires économiques - Très bien !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République - Très bien !

Mme Valérie Pecresse - Les députés que nous sommes ont adhéré avec conviction, en 2002, à l'engagement du Président de la République d'élaborer une charte de l'environnement adossée à la Constitution. Elle contient des objectifs à valeur constitutionnelle posant des droits et des devoirs qui se répondent et s'équilibrent.

Certains de nos collègues « verts » reprochent à la Charte de ne pas poser explicitement le principe pollueur-payeur. Mais cette notion est ambiguë et dangereuse. L'inscrire dans notre Constitution pourrait en effet consacrer le droit à polluer : je paie, je peux donc polluer.

M. Jean-Pierre Brard - C'est déjà le cas.

Mme Valérie Pecresse - C'est en effet le cas dans certains pays en voie de développement où les multinationales achètent le droit de polluer et c'est pour éviter une telle situation que la Charte ne mentionne pas ce principe.

M. le Président de la commission des affaires économiques - Très bien !

M. le Président de la commission des lois - Très bien !

Mme Valérie Pecresse - Elle consacre en revanche explicitement le devoir de prévention des atteintes à l'environnement ainsi que les exigences de réparation du dommage environnemental dans son article 4, qui constitue un progrès important puisqu'il permettra d'engager la responsabilité de celui qui cause un dommage à l'environnement même en l'absence de victime directe d'un préjudice matériel.

Les critiques de nos collègues « verts » sont dépourvues de fondement. Je comprends que certains, à gauche, soient malheureux de ne pas être à l'initiative de ce texte historique. Mais qu'ils laissent de côté leur amertume ! Voter contre la Charte serait s'opposer à une avancée inédite.

M. Christophe Caresche - Occupez-vous d'abord de faire voter vos propres amis.

Mme Valérie Pecresse - Ne soyez pas mauvais joueur ! Ne pourrait-on faire cesser la politique politicienne ?

M. Jean-Pierre Brard - Prêchez d'abord à droite. Vous avez du travail !

M. le Président - Laissez Mme Pecresse poursuivre sa démonstration !

Mme Valérie Pecresse - Je crains d'avoir visé juste.

La Charte contient également un principe constitutionnel d'application directe qui s'imposera à toutes les autorités publiques : le principe de précaution.

M. le Président de la commission des affaires économiques - Très bien !

Mme Valérie Pecresse - En l'introduisant, nous avons un temps redouté de bouleverser les grands équilibres de notre société. Ne risquions-nous pas de rompre l'équilibre entre le progrès et la précaution, l'audace et la prudence ? Ceux qui innovent ont besoin de conditions favorables à la prise de risques.

M. Christophe Caresche - M. Ollier l'a déjà dit !

Mme Valérie Pecresse - Nous sommes du même avis, c'est rassurant.

N'allions-nous pas les pousser à délocaliser leurs entreprises ? Nous ne voulons pas d'une France précautionneuse mais d'une France qui va de l'avant.

Ne risquions-nous pas également de rompre l'équilibre entre les pouvoirs exécutif et judiciaire en donnant aux juges des pouvoirs exorbitants ? N'allions-nous pas paralyser l'action des élus locaux ?

A la lumière de mes dix ans d'activité comme juge administratif, j'affirme que c'est tout le contraire.

M. le Président de la commission des affaires économiques - Très bien !

Mme Valérie Pecresse - La France frileuse, c'est malheureusement celle dans laquelle nous vivons.

M. Jean-Pierre Brard - C'est assez vrai (Sourires).

Mme Valérie Pecresse - Le principe de précaution est déjà consacré par le droit national, international et en particulier le droit européen. Pourtant, il demeure flou, complexe et mal encadré. En outre, les contentieux fondés sur ce principe sont très nombreux et leur issue incertaine.

Rien n'empêchera demain le Conseil d'Etat, s'il l'estime nécessaire, d'ériger ce principe en principe général du droit, ni le Conseil constitutionnel de lui conférer la valeur d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République.

M. le Président de la commission des affaires économiques - Exact.

Mme Valérie Pecresse - Et le politique, dans tout cela ? Nous sommes en partie responsables de cette situation. Notre silence a eu pour résultat un développement anarchique du recours contentieux, sur la base d'un principe perçu comme incantatoire. Des associations qui ne poursuivent pas toutes des buts nobles et désintéressés peuvent bloquer pendant des mois tout projet qui les dérange. Or la France n'est pas une vaste réserve naturelle. Elle a besoin de se développer, de se moderniser, de se chauffer. Le politique doit reprendre la main et dire clairement ce qu'est le principe de précaution : un principe de bon sens, compatible avec le progrès. Il doit donc être encadré de manière à éviter son usage abusif.

La précaution n'est pas la prévention. Le risque nucléaire, les risques naturels sont connus et ils relèvent exclusivement de la prévention. Le principe de précaution ne s'applique qu'aux risques inconnus en l'état des connaissances scientifiques. Il ne peut être mis en _uvre qu'au cas où un risque grave et irréversible menace l'environnement.

En outre, la santé humaine n'est pas incluse dans le champ d'application de la Charte. Qu'on se rassure, le principe de précaution n'empêchera donc pas nos chercheurs de trouver de nouveaux vaccins et de nouvelles thérapeutiques.

L'autorité judiciaire devra évaluer le risque encouru, ce qui constitue une protection effective pour le décideur : on ne pourra pas surévaluer a posteriori la connaissance scientifique du risque. Enfin, l'autorité publique devra prendre des mesures provisoires et proportionnées aux circonstances.

Le principe de précaution doit-il avoir un effet direct ? Il pourra de la sorte être invoqué devant les juridictions administratives et les juridictions judiciaires non pénales, mais jamais devant le juge pénal. En effet, le code pénal est d'interprétation stricte. Le principe de précaution ne pourra être invoqué au titre de la loi Fauchon sur la responsabilité des élus ou sur les dispositions relatives à la mise en danger d'autrui.

Le droit pénal mis à part, faut-il donner un effet direct à ce principe ? Oui, parce que nous affaiblirions la Charte en renvoyant à la loi l'application du principe de précaution. Dans ce cas, rien ne changerait. Le code de l'environnement continuerait de s'appliquer, dans son imprécision. Or c'est elle qui donne lieu aux dérives contentieuses et aux incertitudes jurisprudentielles que nous dénonçons. Les juges n'auraient rien à changer à leur jurisprudence. En définitive, nous aurions voté cette Charte pour rien.

En outre, les traités internationaux et les directives européennes prévalant sur les lois nationales, ces normes pourraient un jour venir nous imposer une définition du principe de précaution contraire à ce que nous souhaitons.

Le groupe UMP a arrêté sa position à l'aune d'un débat exemplaire.

M. Jean-Pierre Brard - D'un débat houleux !

M. François Grosdidier - Un débat démocratique, tout simplement.

M. Jean-Pierre Brard - Ils nous ont racheté en soldes le centralisme démocratique (Sourires).

Mme Valérie Pecresse - Nous voulons donner une définition claire et précise du principe de précaution, principe de sagesse, nécessaire à notre temps mais qui n'est pas l'antonyme du progrès.

Cette définition, nous l'inscrirons dans la loi suprême de notre pays, et nous donnerons la mission au gouvernement français de la faire reconnaître à l'échelle internationale, comme la définition universelle de la précaution. Elle aura un effet direct et s'imposera aux autorités publiques et aux juges.

Mais pour redonner toute sa place à la représentation nationale dans la définition des normes environnementales, le groupe UMP soutiendra un amendement présenté par notre collègue Francis Delattre et cosigné par un très grand nombre de députés, qui vise à compléter l'article 34 de la Constitution pour placer le droit de l'environnement dans le champ de compétence du législateur. Pour l'instant, il ne s'y trouve que par raccroc. Nous souhaitons réaffirmer la primauté de la loi sur le règlement dans cette matière si sensible, afin de permettre au législateur d'intervenir à tout moment dans la définition de la politique environnementale.

Cet amendement parachève la Charte qui vous est aujourd'hui proposée et que le groupe UMP sera fier de voter (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Philippe Tourtelier - Introduire dans la Constitution le droit de l'homme à un environnement sain et équilibré, cette démarche fondée sur la nécessité d'un développement durable devrait susciter l'unanimité. Et pourtant, elle suscite un certain nombre de réticences ou de déceptions.

Rappelons d'abord l'apparente opportunité de cette initiative, annoncée par le Président de la République et engagée dans le cadre d'une réflexion plus globale sur le développement durable. Cette notion, consacrée à Rio en 1992, a donné lieu à de nombreuses interprétations. Notre discussion nous donne l'occasion de la préciser pour éviter qu'elle ne soit galvaudée.

Avant Rio, on avait tendance à considérer, sur le modèle occidental de l'humanisme, que le développement était toujours un progrès pour l'homme. Celui-ci était défini comme un être de culture, par opposition à une nature qui avait vocation à être exploitée sans retenue.

La mondialisation nous a obligés à nous interroger sur la réalité d'un développement qui ne serait pas partagé dans l'espace et dans le temps.

Il faut laisser à nos successeurs les ressources leur permettant de réaliser leurs aspirations économiques et sociales. Le concept de développement durable était ainsi formulé. Or il n'apparaît pas ainsi dans la rédaction proposée pour l'article 6 de la Charte, qui tend à opposer « la protection et la mise en valeur de l'environnement » au « développement économique et social ».

L'amendement 52 conserve cette opposition en réservant le terme générique de « développement » à l'économique, suggérant ainsi que dans l'expression « développement durable », c'est l'économie qui prime. Si l'ordre des termes importe peu, l'équilibre entre eux est essentiel. C'est la raison pour laquelle l'amendement que nous avions déposé n'était pas de simplification rédactionnelle. Nous le défendrons à nouveau car il vise à rétablir un équilibre essentiel.

Le développement durable est à la fois un objectif et un moyen dans un monde trop souvent dominé par la recherche du profit pour lui-même et à court terme. On sait que le développement économique, s'il ne favorise pas le développement social, ne peut que creuser les inégalités, sources de violence. Seul un développement économique solidaire est durable. Mais cette solidarité doit s'exercer aussi à l'égard des générations futures.

Notre débat sur l'énergie, indispensable au développement, nous rappelle que nos ressources ne sont pas inépuisables. Mais l'effet de serre nous montre aussi que le développement économique et social actuel doit tenir compte des générations futures.

Il n'est pas question de rechercher la décroissance, mais un autre type de croissance, pour éviter de considérer que le naufrage de l'Erika est un facteur de développement.

Affirmer la nécessité d'un développement durable, c'est bien sûr s'imposer des contraintes, mais c'est aussi faire appel à l'innovation pour dépasser ces contraintes. Ainsi, penser que la Charte de l'environnement va stériliser la recherche est un contresens. Nous avions d'ailleurs proposé que les dispositions de l'article 9 de la Charte, consacrées à la recherche, prennent place après l'article 5, qui traite du principe de précaution, précisant ainsi le lien entre la mise en _uvre de procédures d'évaluation des risques encourus et la recherche, mais aussi entre l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin d'éviter la réalisation de dommage et l'innovation. Le rapprochement des deux articles nous semble contribuer à lever les réserves exprimées sur l'avenir de la recherche.

Si certains pensent que la Charte va trop loin, d'autres à l'inverse estiment qu'elle reste symbolique.

Pour tous ceux qui ne sont pas juristes, le débat sur l'application directe des principes me semble devoir être éclairci. Le texte de la Charte qui nous est proposé n'explicite pas le principe de prévention, le principe pollueur-payeur, le principe de participation, se contentant de renvoyer systématiquement aux « conditions définies par la loi ». Il prive ainsi de force symbolique ces principes qui ont le mérite d'être lisibles par tous.

En faire des objectifs affaiblit le message politique de la Charte. C'est pourquoi nous maintiendrons nos amendements visant à réaffirmer ces principes dans les articles de la Charte.

Quant au principe de précaution de l'article 5, il est le seul d'application directe. Comme le précise le rapport, « cet article sera directement invocable par tout justiciable devant les juridictions judiciaires civiles et administratives ».

M. le Président de la commission des lois - Non !

M. Philippe Tourtelier - C'est le texte du rapport. Il serait bon de préciser en quoi ce principe vise à « répondre à des situations d'urgence » et d'expliciter comment l'amendement modifiant l'article 34 de la Constitution va préciser la portée juridique du principe de précaution. Par ailleurs, à propos de ces interactions entre les articles, il est affirmé dans les deux rapports que la santé humaine est exclue du principe de précaution parce qu'on ne peut pas rapprocher l'article premier de l'article 5. Pourquoi donc ? Le raisonnement est exactement inverse pour les autres domaines. Ainsi, Martial Saddier écrit que le « droit de participation » de l'article 7 « doit être mis en regard de l'article premier de la Charte ou de son article 2, précisant : « L'article 7 constitue un moyen de faire valoir le droit énoncé à l'article premier et une étape préalable indispensable pour s'acquitter du devoir prévu à l'article 2 ».

De même, il est admis que l'article 9 sur la recherche renvoie à la fin de l'article 5 sur le principe de précaution. Enfin, Nathalie Kosciusko-Morizet met en relation cet article 5 avec l'article 6 et précise : « L'article 5 figurant dans un texte de niveau constitutionnel, son propos doit rester concis et porter sur des concepts d'ordre général. Mais en second lieu, il appartient à un document d'ensemble dont les éléments sont cohérents et s'éclaire mutuellement ». Mme Kosciusko-Morizet précise à juste titre qu'une « atteinte directe et exclusive à la santé humaine n'entre pas dans le champ d'application de l'article 5 ». Mais on ne voit pas ce qui empêcherait une lecture combinée des articles premier et 5 permettant d'appliquer le principe de précaution à ce qui affecte à la fois l'environnement et la santé. Avec cette grille de lecture, le principe de précaution s'applique bien dans le cas des rejets polluants ou de produits médicamenteux pouvant altérer la santé humaine.

Si votre objectif est louable, la méthode utilisée ne permet pas de connaître la portée normative de la Charte. Nous aurions préféré inscrire le droit à l'environnement dans l'article premier de la Constitution et recourir à des lois organiques pour l'organiser. Avec votre méthode, on risque d'en rester à un affichage décevant ou de dériver vers le gouvernement des juges, ce qui explique certaines réticences. Nous n'avons pas de garantie de transparence. Comment se fera l'évaluation du risque et de son évolution ?

Enfin, la politique que vous menez depuis deux ans ôte toute crédibilité à votre démarche. Ainsi, les crédits de la recherche diminuent, alors qu'elle est indispensable pour encadrer le principe de précaution. De même la position du Gouvernement sur les OGM est ambiguë. S'agissant de l'énergie, vous avez dit qu'il fallait « internaliser » les coûts pour l'environnement dans celui de l'énergie produite. J'ai défendu des amendements en ce sens au projet de loi sur l'énergie : ils ont été refusés. J'espère pouvoir les défendre en deuxième lecture.

Après un débat très fermé en commission des affaires économiques - aucun de nos amendements n'a été accepté -, espérons que le débat en séance nous permettra de lever les ambiguïtés sur votre méthode. Nous sommes favorables à inscrire dans la Constitution ce droit à l'environnement, à condition qu'il s'agisse d'une réelle avancée démocratique (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains).

M. Jean Lassalle - Comment vous parler en quelques minutes d'un sujet qui me tient autant à c_ur ? Je me réjouis, certes, qu'en proposant cette Charte, la France reprenne l'initiative dans une Europe où elle ne se sent pas tout à fait à son aise et un monde où elle se sent peut-être un peu marginalisée. Mais on aurait pu imaginer qu'elle prenne une grande initiative sur la famine dans le monde, on aurait pu se demander si tous les enfants du monde étaient condamnés à s'entasser un jour dans d'horribles banlieues à Bombay ou Rio de Janeiro comme c'est déjà le cas chez nous ou si l'on ne pouvait chercher une alternative à ces espaces de non-vie et parfois de non-droit. Ne pouvait-on encore prendre une initiative pour éviter que la Chine ne fasse les erreurs que nous avons commises ?

On a choisi l'environnement - ce que j'appellerai pour ma part notre patrimoine, que nos pères nous ont légué pour que nous le léguions à nos enfants, avec une plus-value qu'ils sont en droit d'attendre. Depuis trente ans, à mesure que les idéologies s'effondraient, on a cherché une grande cause qui suscite du rêve durable. L'écologie s'est imposée. Immense battage médiatique, réflexion des savants les plus éminents, tout cela a fini par nous convaincre qu'à défaut de résoudre les problèmes écologiques, nous ne pourrions plus vivre.

Pour ma part, j'aurais pu croire à la sincérité de cette démarche si les gouvernements successifs avaient tout fait pour favoriser le ferroutage, diminuer la circulation urbaine et la production de gaz carbonique, gérer vraiment notre patrimoine. Mais les lois et directives se sont accumulées, les administrations se sont succédé, sans que rien aille mieux. Dans ces conditions, je ne peux voter ce texte. C'est un leurre (Murmures sur les bancs du groupe UMP). Nous nous donnons bonne conscience à bon compte. Au-delà du droit, attaquons-nous au vivant, réveillons la conscience des hommes ; préparons un développement durable, et aussi équitable - car si les riches sont toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres, je ne saurais m'y reconnaître. La réflexion menée est de grande qualité. Mais je ne peux voter ce texte, surtout si on l'adosse à la Constitution de cette manière (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UDF).

Mme Nathalie Gautier - Nous prenons acte du projet du Président de la République d'inscrire dans la Constitution la Charte de l'environnement. Mais cette déclaration d'intention est en contradiction flagrante avec la politique que le Gouvernement mène depuis deux ans dans ce domaine (Murmures sur les bancs du groupe UMP) : réduction du budget de l'ADEME et des crédits de la recherche, suppression de l'Institut français de l'environnement, retard dans l'option d'une réelle politique de l'eau. De même, vous avez supprimé le financement des transports en commun en site propre (Exclamations sur les bancs du groupe UMP) alors qu'il s'agit d'une priorité pour lutter contre l'émission de gaz à effet de serre. Le rapport d'audit sur les infrastructures de transport a privilégié la route et au budget 2004, vous avez diminué le financement de Voies navigables de France, réduit de 25 % la contribution aux charges d'infrastructures ferroviaires versée à RFF, supprimé la ligne réservée au financement des réseaux cyclables en agglomération et aux réalisations favorisant l'usage combiné du vélo et des transports en commun. Vous avez aussi prélevé 210 millions sur les moyens propres des agences de l'eau, et supprimé les contrats territoriaux d'exploitation qui favorisent le développement durable (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Enfin, le projet de loi d'orientation sur l'énergie entérine la priorité donnée au lancement de l'EPR au détriment des énergies renouvelables.

Telles sont les limites d'une politique que nous n'avons cessé de dénoncer et qui contredit les principes que vous proclamez dans la Charte.

Mais ce Président n'en est pas à une contradiction près, lui qui a inauguré son mandat en relançant les essais nucléaires dans le Pacifique !

M. Guy Geoffroy - Il a bien fait.

Mme Nathalie Gautier - Pour une fois du moins, il semble vouloir concrétiser une de ses promesses électorales.

Face à la dégradation de l'environnement, chacun en convient, il est urgent d'agir. Des grandes catastrophes de Seveso, Bhopal et Tchernobyl aux marées noires, de la réduction de la couche d'ozone au réchauffement du climat, de la pollution des eaux à la perte de la biodiversité, le constat est accablant.

La situation est particulièrement alarmante dans les pays émergents où l'absence de contraintes environnementales conduit à la déforestation massive, à l'érosion des sols, à la raréfaction de l'eau, pour ne citer que ces exemples. Et je ne parle pas des conséquences sur la santé de nos concitoyens, notamment en termes de cancers.

Nous devons nous féliciter du travail mené depuis des années par les associations, les scientifiques, les chercheurs, les organisations internationales et les responsables politiques en faveur de l'environnement.

Ce débat s'inscrit dans le mouvement international initié depuis plusieurs années. La déclaration de Stockholm sur l'environnement date de 1972, et l'Union européenne est à l'origine de nombreuses directives.

La population a pris conscience de la fragilité de la terre et nous devons adopter des mesures fortes et ambitieuses.

Or, cette Charte est décevante.

Tout d'abord, la participation. Contrairement aux mesures prévues par la convention d'Aarhus, ni l'avis du Conseil d'Etat, ni le projet de loi constitutionnel avant son adoption en conseil des ministres n'ont été accessibles au public et n'ont été l'occasion de sa participation. Voilà qui ne peut que nous inquiéter pour l'avenir.

Votre projet est de surcroît moins ambitieux pour l'environnement que les propositions de la commission Coppens. Comment admettre que l'application du principe de précaution soit conditionnée par l'existence d'un risque grave et irréversible pour l'environnement?

Le principe de précaution doit s'inscrire dans une logique d'évaluation et de révision en fonction de l'avancée des connaissances scientifiques.

Par ailleurs, pourquoi un tel recul par rapport au principe du pollueur-payeur ? Demain, si la Charte est adoptée en l'état, la personne coupable d'un dommage à l'environnement pourra se contenter d'une réparation partielle.

Votre projet est encore en retrait par rapport aux travaux de la commission Coppens, notamment s'agissant de la faune et de la flore sauvages et des écosystèmes.

Vous consacrez le principe d'éducation, mais gelez dans le même temps les crédits des associations qui travaillent à la sensibilisation de la population. Dans la seule région Rhône-Alpes, votre politique menace plus de 30 % des emplois associatifs.

Comment être rassurés pour l'avenir, quand les députés européens français de l'UMP votent contre l'instauration des seuils protecteurs définis à Kyoto pour l'émission des gaz à effet de serre ? Quand on voit le peu de cas que vous faites du principe de précaution dans le dossier des OGM ?

Enfin, votre projet manque de mesures d'évaluation, de réparation et de sanction. Les pollueurs doivent être sanctionnés proportionnellement au dommage causé.

Il est temps de mettre fin à la mondialisation libérale et à la course au productivisme.

Nous vous proposerons plusieurs amendements qui reprennent des principes auxquels nous sommes attachés et sans lesquels cette Charte risque de rester symbolique (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) .

M. Francis Delattre - Je m'attacherai à la question de la décision politique et de son contrôle par nos concitoyens. Elle doit aujourd'hui intégrer l'analyse des risques et l'importance des enjeux place aujourd'hui l'humanité face à des choix environnementaux stratégiques.

En matière d'environnement et de développement durable, la dispersion des responsabilités et des outils juridiques rendent nos compatriotes sceptiques quant à notre capacité à traiter de ces questions, d'autant plus que les connaissances scientifiques sont largement diffusées en insistant sur le risque.

Or toute décision politique comporte forcément une évaluation des risques.

Nous pourrions réfléchir à une meilleure gouvernance de nos travaux, en associant les citoyens et en nous basant sur des évaluations et des expérimentations. Cette nouvelle approche pourrait contribuer au renouvellement de l'action politique. Tel est notre objectif et nous défendrons un amendement pour inscrire dans le domaine de la loi toute question relative à la préservation de l'environnement et éviter ainsi que ces questions ne soient dénaturées par les professionnels de la désinformation.

Le véritable tyran commence par se rendre maître de l'opinion !

Sur ces questions sensibles, nous avons affaire à un maître à deux têtes: celle du politiquement correct, si habilement relayé sur les plateaux de télévision par les Fogiel et Ruquier, et celle des anciens prophètes, les marxistes-léninistes reconvertis au vert, dont tous les discours s'achèvent par une dénonciation des multinationales et de leurs maléfices supposés.

S'agissant des OGM, je préfère la lucidité de la ministre verte allemande : « les OGM ? Mais nous y sommes ! Traitons donc le problème sérieusement ». Aujourd'hui, 70 millions d'hectares de maïs et de soja transgéniques sont cultivés dans le monde. Depuis dix ans, aux Etats-Unis, des OGM nourrissent le bétail, sans que l'on n'ait relevé d'effets néfastes sur les hommes.

La commission Coppens elle-même affirme qu'il ne faut pas traiter les OGM comme globalement maléfiques, mais les envisager au cas par cas.

En réalité, ils présentent deux intérêts majeurs.

Tout d'abord, ils permettent la production de protéines au coût le plus bas pour nourrir plus de six milliards d'habitants, et dans une vingtaine d'années, plus de dix milliards ! Les grands pays, comme la Chine ou l'Inde l'ont compris, d'autant plus que les OGM sont parfois la seule alternative aux pesticides et aux insecticides.

Le génome du maïs transgénique, qui fait aujourd'hui la une de l'actualité, a été modifié pour intégrer une molécule, le glyphosate, plus connu sous le nom de RoundUp, qui détruit naturellement les insectes qui s'attaquent à la plante, parmi lesquels la redoutable pyrale. Sans ce maïs, il faut pulvériser massivement d'insecticide les champs trois à quatre fois par récolte. Ne faudrait-il pas comparer le « coût » écologique de tels traitements à celui de l'utilisation de ce maïs transgénique et en débattre sereinement au Parlement, plutôt que d'en juger à l'emporte-pièce devant les caméras de télévision, où parfois en la matière la désinformation va très loin ?

Monsieur le ministre de l'environnement, je suis allé récemment visiter près de chez vous, Arvalis, l'institut du végétal. J'y ai appris qu'à partir de dérivés du maïs, biodégradables en quelques mois, il était possible de remplacer quasiment tous les plastiques d'emballage si difficiles à éliminer. Cette possibilité ne mérite-t-elle pas d'être étudiée ? (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) Les biotechnologies ne sont pas l'apanage de Monsanto, comme certains le pensent. L'INRA et beaucoup de nos entreprises travaillent dans ce domaine mais voient, hélas, à cause de nos atermoiements, leurs brevets dévalués, alors même que leurs recherches pourraient contribuer à la protection de l'environnement et générer, à coup sûr, des économies (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Un amendement a été déposé pour prévenir les risques inhérents aux dispositions de l'article 5 de la Charte qui fait du principe de précaution un principe d'application directe. Dans la mesure où il suffira désormais d'invoquer ce principe devant n'importe quelle juridiction pour contester une décision publique, mettre en cause un chercheur ou un élu local, il n'est pas superflu de prévoir une éventuelle loi organique pour empêcher la constitution de jurisprudences contradictoires et la multiplication de procès interminables, où le choix des experts sera déterminant. A notre collègue Caresche qui aurait préféré un projet de loi organique à un projet de loi constitutionnelle, je réponds que si nous n'inscrivions pas à l'article 34 de notre loi fondamentale que la préservation de l'environnement est une matière relevant de la loi, il ne serait pas possible de renvoyer, pour l'application de ce principe, à cette indispensable loi organique.

Toute technologie comme tout produit nouveau, hier la pénicilline et l'électricité, aujourd'hui les OGM ou la fusion nucléaire, sont toujours porteurs de risques, le plus souvent mal évalués. Mais l'expérience montre que les risques nés de l'innovation sont bien moindres que ceux encourus dans une société dont la recherche stagnerait. Les recherches ne sauraient donc être censurées a priori alors qu'elles contribuent souvent à des améliorations et au développement durable.

Le débat sur ces questions doit se dérouler ici plutôt que dans les prétoires, d'autant que ce principe de précaution, de portée encore mal définie, marquera un tournant dans l'appréciation des libertés publiques. Ainsi l'administration pourra désormais interdire a priori une recherche dans le domaine de la santé, quoi qu'on en dise, car environnement et santé sont étroitement liés. Cette révision constitutionnelle, en érigeant le principe de précaution en norme supérieure, exigera que le législateur définisse rapidement les critères précis et quantifiables de son application. Je vous donne donc rendez-vous prochainement pour une loi organique.

M. Christophe Caresche - Vous me donnez donc raison.

M. Francis Delattre - Onze pays de l'Union européenne se sont déjà dotés d'un droit de l'environnement. Des principes environnementaux auraient pu figurer directement dans la Constitution, renvoyant au législateur la définition des modalités pratiques de leur mise en application. Telle est d'ailleurs la philosophie de l'amendement auquel je faisais allusion tout à l'heure.

Pour l'heure, cette Charte de l'environnement consacre l'environnement et les ressources naturelles comme patrimoine commun à tous les hommes. C'est sans réserve que ses objectifs doivent être soutenus. De l'exercice de cette responsabilité envers les générations futures, le Parlement est le meilleur garant, la meilleure garantie durable, oserais-je dire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Daniel Garrigue - C'est l'une des fiertés de la Ve République que d'avoir fait de l'environnement l'une de ses principales préoccupations. Après la mise en place des agences de l'eau dans les années soixante, la création du premier ministère de l'environnement sous le gouvernement de Georges Pompidou, de nombreux textes relatifs à l'environnement ont été votés au fil des ans, jusqu'à cette Charte de l'environnement, qui marque une nouvelle étape, particulièrement importante. Qui ne souscrirait aux principes qu'elle énonce, lesquels ne sont certes que des objectifs, et non des normes ?

Reste que le principe de précaution énoncé à l'article 5 pose problème. Qu'est-ce donc que ce principe ? Il s'agit, dans les domaines où n'existent pas encore de certitudes scientifiques, d'évaluer tous les risques potentiels, de faire toutes les hypothèses, y compris les plus improbables, avant de prendre une décision. Tout serait simple s'il n'y avait pas deux conceptions du principe de précaution. La première le tient pour un principe d'action, visant à limiter le plus possible l'incertitude par l'expérimentation et la recherche et à faire en sorte que les décideurs opèrent dans un minimum de sécurité juridique puisqu'il y va de leur responsabilité. C'est ce qui existe déjà avec la procédure d'AMM pour les médicaments, les études d'impact en matière d'environnement, les tests des prototypes effectués par le service des Mines. Pour ma part, c'est ainsi que je souhaiterais voir appliqué le principe de précaution.

Le problème est que cette Charte propose une tout autre conception du principe de précaution, en en faisant un principe d'application directe pour tout juge administratif, voire civil. Une fois saisis, ceux-ci pourront se demander, devant toute décision d'une autorité publique, si toutes les mesures de précaution ont bien été prises alors même que l'autorité publique ne disposait d'aucun cadre précis pour appliquer ledit principe de précaution. Selon les cas d'espèce, selon la lecture que feront les juges de ce fameux article 5, les décisions pourront varier du tout au tout. Et avant que la jurisprudence s'unifie, beaucoup de temps sera nécessaire, sans compter que, comme on le sait, il y a souvent des revirements de jurisprudence. Nous priverons les décideurs de la sécurité juridique indispensable et nous les inciterons ainsi à fuir leurs responsabilités.

L'application de ce principe est encadré, nous dit-on. Oui, il l'est par certaines notions comme celle de dommages graves et irréversibles. Mais croyez-vous qu'il y ait beaucoup de juges qui soient capables d'apprécier, dans tous les domaines, le niveau actuel des connaissances scientifiques ? Certains tendront à restreindre le champ des hypothèses et des risques potentiels, d'autres à l'élargir démesurément... Pour cette raison aussi, l'application directe est facteur d'incertitude.

On fait valoir également que ce texte corrigera certains inconvénients de la loi Barnier et de l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui a donné lieu à une jurisprudence confuse. Pour ma part, je trouve la loi Barnier plutôt plus précise que l'article 5, de sorte que, si on ne maîtrise pas la jurisprudence dans un cas, on la maîtrisera encore moins dans l'autre !

On nous invite à nous garder de l'Europe et, de fait, le traité de Maastricht mentionne le principe de précaution. Mais la Cour de justice et le tribunal de première instance des Communautés ont bâti en la matière une doctrine qui n'est pas dépourvue de mérites, car elle donne à l'autorité responsable la charge de définir le niveau de risque acceptable : le contrôle exercé sur les décisions est donc un contrôle minimal. Plutôt que de se séparer de l'Europe, on ferait mieux par conséquent de s'en rapprocher.

M. François Sauvadet - Très bien !

M. Daniel Garrigue - Nous avons à choisir entre deux conceptions du principe de précaution : soit nous en ferons un principe d'action, conduisant à une démarche maîtrisée ; soit nous en ferons un principe d'inaction ! (M. Lassalle applaudit) Nous avons donc besoin d'un débat ouvert, qui permette de faire triompher la conception la plus propre à garantir à la fois la protection de l'environnement et le progrès scientifique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Guy Geoffroy - La qualité et la diversité des interventions contribueront à faire de ce débat un moment historique de notre vie parlementaire.

Collecte sélective des déchets, recherche de la haute qualité environnementale dans la conception de nos bâtiments publics, adoption de nouveaux process pour le traitement des déchets, essais de plus en plus réussis pour faire entrer nos politiques publiques dans un cercle vertueux : les exemples sont nombreux qui prouvent qu'on prend de plus en plus conscience, individuellement et collectivement, de la nécessaire dimension écologique. Beaucoup de raisons expliquent sans doute que, dans leur grande sagesse, nos peuples s'attachent à faire avancer cette cause de l'environnement, à éviter que la recherche du progrès et du développement - qui est la vie même - ne détruise pas, au passage, l'homme.

Mais où en sommes-nous ? Et quelles sont les limites à ne pas franchir ? Au cours du siècle dernier, la température de la planète s'est élevée d'un degré et, si nous ne faisons rien, le phénomène risque fort de connaître une accélération. Celle-ci serait dramatique : les scientifiques admettent en effet qu'il suffirait de deux ou trois degrés supplémentaires pour bouleverser les grands équilibres terrestres. Or c'est ce qui nous menace, non dans un siècle ou deux, mais pendant notre existence même ou à tout le moins pendant celle de nos enfants.

L'inaction compromettrait également la biodiversité : de vingt à trente espèces animales pourraient bien disparaître dans les vingt à quarante années à venir et, compte tenu de l'interdépendance au sein du règne animal, l'homme ne serait certainement pas épargné.

De ces périls, le responsable est évidemment l'activité humaine, à l'origine de 90 % des émissions de gaz carbonique. Devons-nous tirer de ce constat un drame ? Devons-nous désespérer et nous replier sur nous-mêmes ? La nature humaine pousse au contraire à la marche en avant, à la recherche de nouvelles marges, de nouvelles limites. Pour l'heure, elle exige aussi de nous que nous préservions les équilibres, que nous préservions un avenir pour nos enfants.

C'est dans ce contexte que, conformément à l'ambition élevée fixée par le Président de la République, ce projet vise à inscrire dans notre Constitution les principes énoncés dans les dix articles de la Charte. Cette dernière représente à la fois une chance pour le présent et une exigence pour l'avenir.

Une chance pour le présent : des principes épars dans notre législation sont enfin rassemblés en bon ordre.

Une exigence pour l'avenir : la Charte permet de se projeter dans le futur avec la certitude raisonnable que les objectifs fixés seront atteints.

Il y a certes, dans ce texte, un article - le cinquième - qui a fait et fera couler beaucoup d'encre mais, sur ce point, par leur qualité, nos débats de ces derniers mois ont permis de considérables progrès. Si certains sont demeurés hostiles, d'autres ont abdiqué leur perplexité et d'autres encore ont trouvé dans notre réflexion de nouvelles raisons d'approuver ce texte, voire de se faire maîtres d'_uvre de son application. Cet article ne fera plus problème, désormais ! Au contraire, grâce à la commission, le principe de précaution y trouve une définition plus précise.

Ce n'est pas qu'il ait été dépourvu d'existence jusqu'ici. Mais, en l'état actuel du code de l'environnement et des traités européens, c'était les juges qui faisaient la loi en la matière. Grâce à l'article 5, grâce à son application immédiate encadrée par les dispositions nouvelles qui seront, je l'espère, acceptées, ce sera le peuple qui décidera, à travers le vote du législateur.

Renvoyer cet article 5 à la loi ordinaire serait le priver de toute sa force et, pour le coup, donner raison à ceux qui soutiennent que cette Charte n'a de vertu qu'incantatoire.

Les modifications qui seront apportées grâce à M. Delattre et à Mme Pecresse notamment, permettront non seulement de lever les inquiétudes, mais de renforcer la cohérence d'ensemble du texte puisqu'elles donneront au législateur la capacité de décider de ce qui doit être fait dans le domaine de l'écologie et du développement durable. Ce projet représente donc un énorme progrès pour notre droit, mais, avec son adoption, c'est aussi un acte de courage politique qu'on nous propose. Le Parlement serait sage de le voter, par conséquent.

Je m'adresse à ceux de nos collègues qui ne voteront pas ce projet, soit qu'ils s'abstiennent, soit qu'ils votent contre : en passant à côté du train de l'histoire, en le regardant passer après avoir hésité à monter dedans, ils commettent une très grosse erreur pour notre pays et pour nos enfants (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Bernard Deflesselles - Rappelons-nous Johannesburg et le sommet de la terre de septembre 2002 ! « La maison brûle et nous regardons ailleurs. La terre et l'humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables. Prenons garde que le XXIe siècle ne devienne pour les générations futures celui d'un crime de l'humanité contre la vie. »

Ce vibrant avertissement du chef de l'Etat reflète l'émergence d'une prise de conscience universelle du risque environnemental. Il y a seulement un quart de siècle, les équilibres naturels semblaient immuables mais la succession de grandes catastrophes écologiques ainsi que les débats scientifiques sur les changements climatiques et la réduction de la couche d'ozone ont démontré que la menace est désormais globale.

La protection de l'environnement est donc devenue une préoccupation majeure de notre société. Les Français sont conscients de la gravité de la situation. Près des trois quarts estiment qu'il faudra changer nos modes de vie. Le Président de la République s'est fait le relais de ces préoccupations en proposant qu'une Charte de l'environnement soit adossée à la Constitution.

Des réticences se sont manifestées, mais il est temps d'apaiser les esprits.

Il fallait faire entrer la préoccupation de l'environnement au c_ur de notre Constitution pour donner aux droits et aux devoirs de la Charte un caractère universel. Les Français se voient reconnaître le droit d'accéder aux informations relatives à l'environnement, de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur celui-ci. En plaçant ces principes au plus haut de notre hiérarchie des normes, c'est notre capacité à être les garants d'une meilleure protection environnementale qui est renforcée.

La Charte et le principe de précaution sont-ils un frein pour le progrès scientifique, un danger pour la liberté d'entreprendre ? Ce texte est le fruit d'un long travail de réflexion de la commission Coppens. Juristes, scientifiques, entrepreneurs ont réussi à concilier des intérêts divergents et à rédiger un texte équilibré. Les rédacteurs ont pris grand soin d'encadrer le principe de précaution pour éviter qu'il soit invoqué à tort et à travers et ne paralyse les initiatives économiques et scientifiques. La rédaction retenue fait de la précaution un principe d'action. Je salue à ce propos le travail des rapporteurs et de la commission des lois qui a pris une part prépondérante à l'équilibre de ce projet.

Le principe de précaution cherche à lever les incertitudes dans le cas où un dommage risquerait d'affecter gravement et de façon irréversible l'environnement. Les chercheurs auront un rôle fondamental à jouer pour faire progresser les techniques d'évaluation des risques encourus.

Enfin, l'amendement adopté par la commission des lois fait entrer pleinement les questions environnementales dans le domaine de la loi et rappelle au législateur qu'il peut apporter sa pierre à l'édifice de la Charte en précisant la portée juridique des principes qu'elle consacre.

La Charte porte une vision humaniste de l'écologie qui constituera une référence dans les décennies à venir. C'est une avancée pour ce que j'appellerai notre « diplomatie environnementale ». Fin 2003, la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne m'a invité à faire un rapport...

M. Guy Geoffroy - Excellent rapport.

M. Bernard Deflesselles - ...pour apprécier la Charte à l'aune du droit européen : la France était alors l'un des rares Etats de l'Union a ne pas faire référence à la protection de l'environnement dans sa Constitution.

Avec ce texte, nous irons plus loin que nos voisins. La Charte nous donnera toute légitimité pour influer sur la législation communautaire. Elle fera de notre pays un leader en matière d'environnement (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Jean-Pierre Blazy - L'examen de ce projet intervient alors que nos concitoyens sont de plus en plus préoccupés par les questions environnementales. Il est nécessaire de définir un véritable droit de l'environnement. Depuis trente ans, le législateur est intervenu à de nombreuses reprises et l'adoption, en septembre 2000, du code de l'environnement, a enfin permis la présentation ordonnée des dispositions législatives et réglementaires applicables.

La Charte nous est présentée comme une avancée. Assurément, l'affirmation d'un droit de l'homme à un environnement sain et équilibré par le biais d'une réforme constitutionnelle est de loin préférable à une reconnaissance jurisprudentielle par le juge. Il importe, dans un Etat de droit, que la Constitution reflète le mieux possible les valeurs et les aspirations des citoyens.

De plus, nous nous rapprochons ainsi de la situation de nombreux pays européens.

Si l'objectif de reconnaissance constitutionnelle de ce droit est largement partagé, le fond et la forme de cette reconnaissance sont néanmoins discutés.

Sur la forme, le Gouvernement a choisi une Charte adossée à la Constitution. Ce sera une première en droit constitutionnel français.

Contrairement à ce qu'a affirmé le Président de la République, je pense qu'il aurait été juridiquement beaucoup plus efficace d'énoncer le droit à l'environnement dès le préambule de la Constitution afin qu'il puisse bénéficier d'une reconnaissance constitutionnelle totale, et non simplement par ricochet à travers la Charte.

De la même manière, les différents principes de la Charte devraient être annoncés dans le préambule.

La portée de la Charte dépendra donc de la doctrine que construira le juge constitutionnel.

M. Christophe Caresche - Excellent.

M. Jean-Pierre Blazy - Le Conseil constitutionnel devra définir la portée normative de chaque alinéa à la place du constituant en devant parfois concilier certains principes environnementaux avec des libertés constitutionnellement reconnues comme par exemple la liberté d'entreprendre. L'ensemble des dispositions de la Charte risque donc de ne pas se retrouver sur un pied d'égalité juridique en fonction du caractère plus ou moins contraignant de leur contenu.

De plus, certains juristes redoutent un risque sérieux de délégation en chaîne du contrôle de constitutionnalité, passant du pouvoir constituant au Conseil puis aux experts. En effet, ce n'est pas au juge constitutionnel de décider ce qui est écologiquement bon ou mauvais. Dès lors se pose la question du recours aux experts et du statut de l'expertise.

La marge de man_uvre importante laissée par le pouvoir constituant au juge constitutionnel en choisissant l'adossement d'une Charte au préambule de la Constitution constitue donc un facteur d'insécurité juridique qui risque de cantonner ce texte à une simple dimension incantatoire, ce que je regrette.

Sur le fond, l'article 4 précise que toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement dans les conditions définies par la loi. La volonté affichée est de pouvoir indemniser plus largement les victimes des pollutions en responsabilisant les pollueurs. Mais ce texte est en fait à plus d'un titre régressif par rapport au principe du pollueur-payeur.

En effet, les mots « contribuer à » ont été inscrits pour restreindre les obligations des pollueurs et faire supporter en partie par d'autres la réparation des dommages causés. Or, le pollueur ne peut être responsable en partie, car cela implique la responsabilité de quelqu'un qui n'est pas le pollueur. Les pollueurs, en fait, ne veulent pas supporter une responsabilité plus grande que celle qu'ils peuvent assurer eux-mêmes. Le but du verbe « contribuer » semble être de faire payer la puissance publique ou les victimes. La mutualisation des risques non indemnisés est une affaire très différente qui n'a rien à voir avec la responsabilité du pollueur, laquelle doit rester pleine et entière. Il faut conserver un lien clair entre réparation et auteur du dommage.

L'article 5, c_ur de la Charte, a suscité les débats les plus acharnés. Il s'agit d'inciter les pouvoirs publics, en application du principe de précaution, à prendre des mesures et à conduire des recherches en cas d'incertitude scientifique sur les conséquences de risques pour l'environnement. Quoi de plus naturel que de prendre le temps de s'interroger sur les conséquences des avancées scientifiques ?

Ce principe de précaution existe depuis longtemps en droit européen et dans le droit français. Il n'a pas eu les effets apocalyptiques que certains lui prêtent aujourd'hui. Le supprimer, comme l'ont proposé certains membres de la majorité, sous la pression de leurs amis du patronat (Protestations sur les bancs du groupe UMP), constituerait une régression.

Vous parvenez tout de même à donner du principe de précaution une formulation en retrait par rapport aux définitions du droit international. Comme tous les principes généraux, il s'imposait aux autorités publiques comme aux personnes privées, en vertu de l'obligation générale de protéger l'environnement figurant à l'article 3 de la Charte et à l'article L. 110-2 du code de l'environnement qui vise expressément les personnes publiques et privées. Finalement, seules les autorités publiques seront responsables, et non les entreprises ou les particuliers. C'est un recul par rapport au code de l'environnement.

Par ailleurs, votre définition ne vise pas les atteintes à la santé. L'appel de Paris, lancé vendredi 7 mai par quatre-vingts scientifiques, juristes et philosophes, dont Yves Coppens, Nicolas Hulot ou encore Corinne Lepage, préconise pourtant d'inclure la santé. En effet, les risques sanitaires liés à la pollution ne peuvent être minimisés. Il aurait été bon d'inclure les atteintes à la santé dans la définition, en prenant en compte la rédaction de l'article premier de la Charte, qui reconnaît à chacun le droit de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé. On ne peut que s'inquiéter de l'amendement de nos collègues Saddier, Ollier et Gonnot visant à amoindrir la portée de cet article premier.

On comprend que les députés UMP, instrumentalisés par le Medef (Protestations sur les bancs du groupe UMP), craignent que le principe de précaution ne fasse obstacle à la sacro-sainte liberté d'entreprendre. Roselyne Bachelot les avait pourtant rassurés lors de son audition en commission, en affirmant que « cette inquiétude n'est pas fondée, car il est juridiquement très difficile de prouver qu'une autorité publique n'a pas pris des précautions proportionnées pour éviter un dommage dans une situation d'incertitude scientifique. En pratique, le principe de précaution est donc davantage un « argument de tribune » qu'un « argument de tribunal ». Monsieur Lepeltier, je ne sais ce que vous inspire ce jeu de mot de votre prédécesseur. Mais quel magnifique aveu ! On le voit, le Président de la République et la majorité ne recherchent qu'un effet d'affichage !

Enfin, on peut s'interroger sur la signification réelle de l'amendement de Francis Delattre et Valérie Pecresse visant à modifier l'article 34 de la Constitution pour donner au Parlement la capacité de légiférer sur l'environnement. A première vue, c'est une excellente chose (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). Mais le législateur, depuis de nombreuses années, n'a cessé de légiférer sur l'environnement. Ne veut-on pas, en vérité, légiférer sur le principe de précaution afin de réduire la portée de ce futur principe constitutionnel ? On a bien compris qu'une concession était ainsi faite à une partie de la majorité pour la rendre plus docile aux volontés du Président de la République.

Les tensions qui ont parcouru l'UMP ne sont pas sans conséquences sur le texte de compromis que nous examinons, après trois reports du débat. Il est d'ailleurs paradoxal que, pour une fois que le Président de la République entendait tenir une de ses promesses électorales, la fronde soit venue de son propre camp (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). La majorité fait preuve de blocage idéologique, en abordant les questions environnementales sous le seul angle de la compétition économique. D'ailleurs, la politique menée depuis deux ans dans le domaine de l'environnement n'est pas à la hauteur de l'ambition affichée par la Charte. Le Gouvernement devrait indiquer à la représentation nationale les projets qu'il devra nous présenter pour appliquer la Charte, en particulier sur la question essentielle de l'internalisation du coût environnemental.

Si la méthode participative choisie au départ était la bonne, le projet de charte ne peut recueillir notre approbation, car nous ne voulons pas laisser au Conseil constitutionnel le soin d'évaluer la valeur constitutionnelle des différents articles. En dépit de la qualité du travail accompli par notre rapporteure, l'imprécision de certains principes et les tentatives d'une partie de la majorité de réduire la portée de ce texte risquent de faire d'un projet initialement généreux une coquille vide.

Nous espérons encore que le débat permettra de l'éviter (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

La séance, suspendue à 23 heures 35, est reprise à 23 heures 50.

M. François Grosdidier - Ce projet de loi constitutionnelle pose de nouveaux principes fondamentaux et vise à modifier radicalement nos comportements. Nous allons mieux protéger notre environnement, c'est-à-dire le bien commun le plus indispensable, en ce qu'il assure les conditions mêmes de la vie. Or elles sont menacées par le réchauffement climatique, la pollution de l'air et de l'eau, l'épuisement des ressources naturelles, la disparition des espèces. Ce sombre tableau n'est pas la prédiction apocalyptique d'une secte, mais le constat rationnel que dressent d'éminents scientifiques comme Hubert Reeves et Jean-Marie Pelt et les 2 500 chercheurs du groupe intergouvernemental sur le réchauffement climatique mis en place par l'ONU.

C'est cette catastrophe annoncée dans l'indifférence générale qui a conduit le Président de la République à dire à Johannesburg : « La maison brûle et nous regardons ailleurs ». Certes, quand l'emploi est en difficulté, les comptes sociaux déséquilibrés, que les quartiers souffrent et que les catégories socioprofessionnelles revendiquent, quand le calendrier électoral rythme la vie publique, il est difficile de faire réfléchir à long terme sur le bien commun.

Pourtant les menaces se précisent et nous voulons léguer aux générations futures un environnement préservé. Il nous faut tout à la fois agir dans l'urgence et nous inscrire dans la durée. Comment les concilier ? Par ailleurs, il nous faut traiter également toutes les autres urgences, économiques, sociales ou de sécurité. Dans ces conditions, donner valeur constitutionnelle aux principes écologiques est particulièrement fondé. Nous sommes confrontés à une exigence d'action, de réparation des préjudices, de prévention des risques et de précaution.

Certains craignent que ce dernier principe n'alimente une jurisprudence excessive, redoutée des administrateurs, paralysant les décideurs, dissuadant les entrepreneurs, sanctionnant les innovateurs. Mais le principe de précaution est un principe d'action, non d'abstention. Et aucun principe constitutionnel n'est de portée illimitée. Pourquoi craindre que celui-là efface tous les autres, pourquoi vouloir de ce fait condamner le principe alors qu'il suffit de bien le préciser ?

Nos chefs d'entreprise, eux, craignent d'avoir à supporter de nouvelles contraintes qui ne s'imposeront pas à leurs concurrents. Mais en fait, ne sont-ils pas plus gênés par la complexité des règlements et les lenteurs de certaines administrations ? Dans leur cas, la réponse n'est pas dans le refus du principe de précaution mais dans la réforme de l'Etat et dans l'Europe.

Enfin, certains contestent la philosophie qui sous-tend ce principe au motif que l'humanité n'a progressé qu'en prenant des risques. N'a-t-il pas fallu que nos ancêtres osent sortir des cavernes pour affronter l'inconnu ? Certes, ils ne s'y sont pas risqués en exposant tous les leurs. Certains sont partis en éclaireurs. Appliquer le principe de précaution n'interdit donc pas de poursuivre l'aventure humaine. Il impose seulement de ne pas exposer inconsidérément la totalité de l'humanité et du vivant : il s'agit également d'un principe de responsabilité, cette responsabilité que nous nous faisons un honneur, à droite, de réhabiliter dans tous les domaines. La responsabilité écologique s'accorde bien avec une autre valeur noble de la droite, la conscience aiguë de devoir transmettre intact aux générations futures l'héritage que nous avons reçu. Inscrire dans la Constitution la protection du patrimoine commun de l'humanité est donc le moins que nous puissions faire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. François-Michel Gonnot - M. Deflesselles a rappelé ce cri lancé par le Président de la République en septembre 2002 : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Devant des milliers de personnes, devant les chefs d'Etat et de gouvernement des pays les plus riches qui ont tant à se faire pardonner en matière d'environnement, ceux des pays les plus pauvres qui n'ont plus grand-chose à espérer, le Président de la République des droits de l'homme a adressé un formidable message au monde.

Refusant de s'arrêter aux mots, il a voulu passer aux actes en donnant à cette Charte de l'environnement une valeur constitutionnelle. Une nouvelle fois, la France ouvre la voie.

Je salue les efforts et la persévérance du Garde des Sceaux et des deux ministres de l'environnement pour donner à ce texte toute son ampleur. Quant aux rapporteurs, ils ont su écouter, convaincre, faire comprendre et rassurer nos concitoyens pendant des mois.

Malheureusement, des craintes subsistent dans les milieux de l'industrie, de la recherche, de la santé, jusque chez les élus locaux, et je le regrette, car ils émanent de ces hommes et de ces femmes qui, par leur travail, contribuent à la richesse de la France.

Malgré tous les efforts réalisés, beaucoup reste à faire pour les rassurer et, à cet égard, je regrette que les ministres de l'industrie, de la recherche, de la santé, de l'agriculture, n'aient pas encore retroussé leurs manches.

Je souhaite qu'aujourd'hui à l'Assemblée, demain au Sénat, nous nous attachions à expliquer ce texte pour rasséréner nos concitoyens (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

Mme Marcelle Ramonet - Le Président de la République a souhaité conférer à la protection de l'environnement une valeur supérieure à celle des lois ordinaires, au même niveau que les droits de l'homme et du citoyen de 1789, ou les droits économiques et sociaux du préambule de la Constitution de 1946.

Il s'agit d'un acte si fort que les communautés juridique, scientifique, économique ainsi que la représentation nationale se sont interrogées sur les contours de ce droit, en particulier le principe de précaution.

Le concept de développement durable, depuis la conférence de Rio de 1992, et le sommet de Johannesburg de 2002, s'est imposé à tous.

Si 80 % de notre législation environnementale est d'origine communautaire, la Charte agira en Europe comme l'élément de référence dans la définition d'un nouvel équilibre entre les activités humaines et la préservation de l'environnement.

La notion de principe de précaution n'est pas nouvelle, elle est apparue pour la première fois en Allemagne à la fin des années 1960, et a été consacrée par nombre de textes internationaux.

Ce principe a été introduit dans notre droit communautaire par le traité de Maastricht en février 1992. Il est effectif en droit français depuis la loi Barnier de 1995.

La question de la prévention et de la précaution a été posée : la première suffisait-elle ? Je ne le pense pas, tant elles diffèrent. La prévention s'attache aux risques identifiés, expertises à l'appui, tandis que la précaution suppose l'adoption de mesures provisoires et proportionnées relevant des autorités publiques dans le seul champ de leurs compétences. Dès lors, le principe de précaution ne pourra être invoqué à l'encontre des collectivités locales.

Le principe de précaution ne saurait nuire à la recherche scientifique, et les inquiétudes à ce sujet sont liées à des malentendus que la réforme constitutionnelle devrait lever.

Par ailleurs, certains ont prétendu que la notion de pollueur-payeur n'avait pas été reprise par la Charte, alors que l'article 4 n'abroge nullement ce principe. Au contraire, la Charte instaure une responsabilité écologique allant au-delà des seules atteintes aux biens ou aux personnes physiques et morales, en prenant en compte les dommages infligés au milieu naturel.

Ce texte est fondamental pour les générations futures.

Chacun, en conscience, doit se poser une seule question : qu'ai-je fait, en tant qu'individu, en tant que parlementaire, pour préserver notre héritage planétaire commun ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Dosé - Qui, demain, après l'adoption de cette Charte, conjuguera avec une efficacité nouvelle le progrès et la prudence, la performance et les solidarités intergénérationnelles, le risque et les précautions ?

Qui, demain, sera hors la loi ?

Qui, demain, n'osera plus ni l'innovation, ni la recherche, ni l'expérimentation ?

La reconnaissance d'un droit constitutionnel à un environnement de qualité et l'inscription du principe de précaution dans notre Constitution nous invitent à une vision globale de la vie politique, de la vie tout simplement.

Cette Charte trouvera sa crédibilité, non dans des déclarations de principe, mais dans des actes.

Diminuer les budgets de la recherche, abandonner le soutien aux transports collectifs en site propre, confier aux marchés la promotion des énergies renouvelables, esquiver la définition d'une politique de l'eau, tout cela nous conduit à vous demander de prouver votre attachement à la défense de l'environnement en y consacrant les crédits nécessaires.

Prenons garde de ne pas affaiblir notre démocratie en posant de nouveaux principes constitutionnels, certes légitimes, mais que l'on serait incapable de décliner au quotidien.

Pouvons-nous conjuguer performance et solidarité entre les générations, risque et précaution, progrès et prudence ? Certains en doutent mais au fil des ans, une nouvelle attente s'est fait jour, que nous devons respecter, et qui est précisément de concilier tous ces aspects. L'inversion des termes témoigne d'ailleurs d'une inversion des priorités, parfois même des valeurs. Certes, l'opinion publique, fût-elle largement majoritaire, n'a pas toujours raison - l'histoire en apporte la preuve -, mais les décideurs les plus avertis n'ont pas nécessairement raison contre elle.

Il nous faut définir plus précisément la notion de précaution afin que nos concitoyens sachent exactement ce qui est autorisé et ce qui est défendu et que ne se multiplient pas les procès. Car, contrairement à ce que prétendent certains, ce n'est pas l'application du principe de précaution qui ouvre la voie à la judiciarisation de notre société, mais bien l'absence de cadre défini pour sa mise en _uvre. Cette Charte doit être un référent commun et citoyen. C'est l'occasion de réaffirmer le primat du bien commun sur les intérêts de court terme, et donc aussi de réhabiliter l'action politique.

Cette Charte peut-elle être un atout au profit des chercheurs et des acteurs économiques ? Assurément oui. Nul ici ne considérerait les droits de l'homme ou les droits économiques et sociaux comme une entrave au développement. Certes, en fonction de nos sensibilités et de nos responsabilités, nous en confortons ou en limitons l'application, mais ils sont devenus des éléments incontournables de notre vie en société. Mieux encore, valorisés, ils sont devenus des instruments de réussite. Pourtant, leur reconnaissance ne fut pas aisée. La fin de l'esclavage comme le droit aux congés payés furent en leur temps fustigés comme une entrave au développement.

Article 5 ou non, le droit à un environnement de qualité et le principe de précaution ne doivent pas être admis comme une tolérance mais assumés comme une chance, celle de la réconciliation des chercheurs, des scientifiques et des entreprises avec l'opinion. Il ne s'agit pas d'interdire mais de partager. Préférons la difficulté du doute à la facilité des certitudes.

M. le Président - Veuillez conclure, je vous prie.

M. François Dosé - L'exigence de précaution n'est pas méfiance mais vigilance. Est-il déraisonnable d'en appeler à cette prudence lorsque certains envisagent d'enfouir nos déchets nucléaires hautement radioactifs, avec les conséquences irréversibles que l'on sait pendant des millénaires ?

Ne conduisez pas ce débat d'excuses en renoncements. Depuis le début, certains s'évertuent à expliquer ce que cette Charte et le principe de précaution ne seront pas. In fine,...

M. le Président - In fine...

M. François Dosé - ...vous discréditeriez celui qui a eu l'initiative de ce texte, ce qui est votre problème, mais, hélas, une fois encore, le politique et les politiques, et cela, c'est aussi notre problème.

Assumons les objectifs, précisons les modalités de mise en _uvre, apportons les nuances nécessaires, mais ne lâchez rien sur l'essentiel. Si tel est le cas, ce rendez-vous pourrait aussi être le nôtre (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. le Président Les groupes ont fixé des temps de parole. J'ai jusqu'à présent été très souple pour tous les orateurs. J'aimerais qu'après un premier rappel de la présidence, les orateurs aillent directement à leur conclusion plutôt que de lire intégralement un texte qui n'entre pas dans le temps imparti. Tout cela fait que nous ne pourrons pas, comme il était prévu, entendre la réponse du ministre aux orateurs, puis l'intervention du président de la commission des lois et la motion de renvoi en commission défendue par M. Chassaigne.

M. Alain Marty - Le débat sur la Charte de l'environnement aura été passionné, tant il est vrai qu'un tel sujet ne saurait s'accommoder d'un consensus mou.

Le constat est partagé et préoccupant : réchauffement du climat, perte de la biodiversité, surexploitation des ressources naturelles. Une réponse politique forte est donc nécessaire. Sur ce point, je partage l'opinion du Président de la République : « La maison brûle, et nous regardons ailleurs. »

Ne soyons pas en retard sur les aspirations de nos concitoyens. En quelques années, de marées noires en Tchernobyl, de crise de l'ESB en augmentation des cancers et diminution de la fécondité, ils ont pris conscience des enjeux environnementaux et souhaitent que le principe de précaution s'applique en ce domaine, comme il s'applique déjà dans le domaine de la santé et de la sécurité alimentaire.

Ce principe de précaution donne toute sa place à la responsabilité politique. Certes, il fait peser un nouveau poids sur les autorités publiques, seules concernées, en ce qu'elles sont à l'origine des initiatives et des arbitrages. Je ne crois pas que le principe de précaution fasse obstacle aux innovations technologiques. Il ne concerne que les risques suspectés et exige des autorités publiques qu'elles procèdent aux recherches, aux expertises, aux consultations et aux régulations nécessaires. L'élaboration de ce cadre normatif relève du politique. Il n'appartient en effet ni aux experts ni aux magistrats de dicter ces mesures.

L'application du principe de précaution, qui revient à marquer les limites de l'inacceptable, peut contribuer à réconcilier nos concitoyens avec la science. Nos étudiants boudent les filières scientifiques, ce qui est grave pour l'avenir. Lever les peurs va donc dans le bon sens.

Notre pays enfin a une responsabilité particulière. En effet, avec ses départements d'outre-mer, en particulier la Guyane, il a la chance d'héberger près de 80 % de la biodiversité mondiale.

Pour ma part, je voterai donc sans réserve cette Charte de l'environnement, texte profondément nécessaire et parfaitement équilibré. L'équilibre entre l'homme et la nature repose sur deux paramètres : il nous faut à la fois préserver le milieu naturel et faire évoluer les comportements des hommes en matière de consommation, de déplacement, d'utilisation des énergies. Il est urgent d'agir en pensant aux générations futures (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. Didier Quentin - Ces débats feront date dans l'histoire de notre droit et de la prise de conscience collective des enjeux d'environnement. Il nous faut concilier les exigences de la technologie, de la science, du progrès économique et social avec celles de l'écologie.

Cette Charte de l'environnement suscite deux grandes séries de réserves, assez contradictoires, et parfaitement réfutables. Certains la jugent trop peu ambitieuse, estimant qu'elle ne pose qu'un principe de précaution a minima. Ils regrettent que le principe pollueur-payeur ait été remplacé par une contribution à réparation, qu'ils jugent insuffisante. D'autres considèrent à l'inverse que le texte va trop loin et craignent qu'il n'aboutisse à une multiplication des plaintes contre les élus et à la paralysie de la recherche. Certains vont jusqu'à dire qu'avec cette Charte, Pasteur n'aurait jamais pu mettre au point ses vaccins et aurait été immédiatement traduit devant les tribunaux.

Aux sceptiques, je réponds que l'article premier constitue en soi une avancée majeure. Certes, on peut prétendre qu'elle est purement symbolique. Pour autant, l'affirmation d'un principe nouveau à valeur constitutionnelle ne saurait être tenu pour négligeable. L'affirmation des droits de l'homme a elle aussi été symbolique. A-t-elle pour autant été inefficace ? Je suis convaincu que la Charte s'inscrira dans la lignée des grands textes fondateurs de notre histoire. Elle devrait même trouver place dans les salles de classe. Les jeunes générations sont très attentives au devenir de leur environnement, comme en témoignent les nombreuses propositions de loi préparées chaque année sur le sujet à l'occasion du Parlement des enfants.

Aux alarmistes qui dénoncent le danger d'une judiciarisation tous azimuts, je ferai observer que les contentieux sont déjà là, mais que l'amendement de nos collègues Delattre et Pecresse redonnera la main au législateur en encadrant les juges. Dès lors, pourquoi jouer à se faire peur ?

A ceux qui estiment que ce texte freinera la recherche et l'innovation et qu'il a de ce point de vue des relents d'obscurantisme, je rappellerai les termes de l'article 9 : « La recherche et l'innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l'environnement. » Le Président de la République n'avait d'ailleurs pas dit autre chose lors des premières assises de la Charte, à Nantes, le 23 janvier 2003 : « Dans cet effort pour mettre fin à la dégradation générale à laquelle nous assistons, l'économie, la science et la technologie ne sont naturellement pas nos ennemies. Elles sont au contraire nos alliées pour instaurer des modes de production et de consommation qui instaureront progressivement une nouvelle relation entre l'homme et la nature. La Charte de l'environnement devra favoriser l'émergence des inventions et des techniques qui permettront de subvenir aux besoins d'un nombre croissant d'êtres humains sans porter atteinte au milieu naturel.»

Le principe de précaution ne nuit donc pas à la recherche scientifique, à moins qu'on ne le confonde avec la revendication du risque zéro. En poussant à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées pour prévenir le danger sans attendre d'avoir levé toutes les incertitudes scientifiques, il est une invitation à évaluer le danger, à élever le niveau des connaissances scientifiques, à investir dans la recherche-développement. On est donc loin d'un principe antiscience !

Ce qui est vrai en revanche, c'est qu'il y a dans le principe de précaution une source d'utiles interrogations pour le monde scientifique, une invite à étudier plus précisément les implications de la technologie. Cela exigera un renforcement de l'interdisciplinarité mais, dans les sciences de l'environnement comme dans toutes les autres disciplines scientifiques, les progrès ne seront possibles qu'à partir d'une recherche fondamentale de très haut niveau. Le soutien public sera donc primordial, en particulier afin de développer des observatoires de l'environnement, pour développer les industries de dépollution, pour renforcer les recherches sur les sources d'énergie alternatives, sur les techniques de traitement des déchets, sur la faune et la flore...

Agir sur l'environnement suppose par conséquent un effort de recherche mieux réparti. Tout en confortant la place que nous avons acquise dans l'approche physico-chimique, nous devons introduire un profond changement en sciences de la vie. Le ministère de l'écologie ne peut l'imposer seul : les ministères de la recherche, des affaires étrangères et de l'outre-mer sont également concernés au premier chef.

On le voit bien, cette Charte n'est ni un texte d'affichage platonique ni un texte régressif et obscurantiste. C'est au contraire un texte équilibré, en faveur d'une logique de veille et propre à nous permettre de « nouer avec la nature un lien nouveau : un lien de respect et d'harmonie », pour reprendre les termes de Jacques Chirac dans son discours de Johannesburg.

Une nouvelle fois, la France va se montrer exemplaire en étant l'un des premiers pays à inscrire dans sa Constitution les principes d'une écologie humaniste et universaliste. Ne perdons pas de temps, par conséquent : en matière d'environnement, « exigence » rime avec « urgence ». Allons de l'avant en votant cette Charte ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jacques Myard - Cette Charte pose, et créera, plus de problèmes qu'elle n'en résoudra. L'initiative peut certes apparaître généreuse et prometteuse, mais elle est aussi empreinte d'un certain romantisme, source de bien des désillusions pour demain.

Mes craintes concernent d'abord notre Constitution, que nous allons modifier pour la douzième fois en douze ans ! Notre loi fondamentale est-elle de la pâte à modeler, malléable au gré des circonstances et des modes ? Ce n'est pas raisonnable de se laisser ainsi dominer par la bougeotte de l'époque, s'agissant d'un texte auquel on ne doit toucher, selon la formule de Portalis, que d'une main tremblante si l'on ne veut affaiblir sa valeur normative, sa valeur de référence suprême. Je ne nie pas qu'on puisse l'amender, mais ce doit être pour y faire entrer des normes juridiques réelles.

Or c'est bien de ce point de vue que votre projet pose problème. Nous sommes tous pour l'environnement, comme nous sommes tous pour la paix, mais comment y verrions-nous une explication du monde ? Vous élevez au rang de principes constitutionnels des concepts qui relèvent en réalité de l'action ou de l'objectif politique ou qui, sous l'appellation de droits-créances, n'ont que l'apparence de normes juridiques - un peu comme le jus de fruit peut avoir l'apparence du vin, produit écologique s'il en est.

Des textes politiques qui ont des effets réels, il en existe beaucoup. Certains sont même plus contraignants que des textes juridiques, qui peuvent donner lieu à contentieux : le meilleur exemple en est l'Acte d'Helsinki. Et ces effets, ils peuvent les avoir sans qu'il soit besoin de leur donner une valeur juridique précise. C'est d'ailleurs une faute que de croire qu'un objectif politique, si louable soit-il, peut devenir une norme constitutionnelle précise du simple fait qu'on l'inscrira dans la loi fondamentale : cet objectif, ou ce concept, risque fort en effet de garder sa dynamique propre, politique forcément, d'autant qu'en l'espèce, la majeure partie de la Charte ne sera pas encadrée par la loi. S'agissant de l'article 5 par exemple, ajouter à l'article 34 la notion d'environnement ne pourra en rien nous prémunir contre ce danger, car la Charte aura une valeur constitutionnelle autonome dont l'interprétation sera celle du juge, non celle du législateur.

J'observe au passage qu'avec ce fameux article 5, on a le sentiment que les Français, comme le disait Sanguinetti, voulant que plus rien de grave ne leur arrive, souhaitent être bordés de partout ! Il évoque une ligne Maginot de l'écologie : le risque zéro !

J'aurais donc souhaité pour ce texte une autre économie : il eût d'abord fallu, bien sûr, introduire dans le préambule constitutionnel la notion de développement durable ; puis nous aurions eu un texte de nature politique, fixant des objectifs, et, enfin, des normes législatives précises.

Au moment où l'action publique devient de plus en plus malaisée et contestée, je crains fort que vous n'ouvriez la boîte de Pandore. Entre le principe de précaution - humain, trop humain - et le principe de paralysie, la dérive est probable et le risque est grand que ce texte ne vous échappe, parce qu'il ne définit qu'un objectif politique prêtant à toutes les interprétations. Vous instituez en fait le gouvernement des juges, instrumentalisé par les lobbies en tout genre : c'est une autre forme de la fin de la démocratie !

M. Jean Lassalle - Très bien !

M. Christian Decocq - Je soutiens, moi, cette Charte et son principe de précaution, sans aucune hésitation ! C'est sans doute de mon expérience - je devrais plutôt dire : aventure - professionnelle, associative et politique que me vient cette détermination. Ce texte m'apparaît en effet avant tout comme l'aboutissement de l'action de la majorité à laquelle j'appartiens. Les grandes décisions et les grandes lois relatives à la protection de l'environnement n'ont-elles pas été adoptées à l'initiative de la famille gaulliste, libérale et centriste ? Loi de 1964 sur le régime et la répartition des eaux, qui posait le principe pollueur-payeur et a permis ainsi d'équiper nos collectivités de stations d'épuration ; création en 1971 du ministère de l'environnement, confié à Robert Poujade ; loi de 1975 sur l'élimination des déchets ; loi Barnier de 1995 ; loi Bachelot de 2003 pour la prévention des risques naturels et technologiques...

Pourtant, malgré ce bilan, pendant toutes ces années, j'ai vu beaucoup de mes amis politiques troublés, pour ne pas dire hésitants lors des débats sur l'écologie. C'est que des discours intégristes ont entretenu la confusion entre croissance et pollution, comme si le prix à payer pour préserver l'environnement était la croissance zéro. Certains plaident même pour une « décroissance ». Le développement ne serait pas nécessairement un bienfait et, en tout état de cause, ne saurait être infini sur une planète aux ressources limitées...

En réalité, les problèmes actuels ne sont pas liés à la finalité de notre modèle économique, qui est de créer une croissance durable, mais à sa capacité insuffisante à intégrer les considérations écologiques. Dès lors, une politique volontariste de l'environnement suppose de réunir deux conditions : il faut d'abord s'appuyer sur un concept humaniste, non sur une vision écologiste radicale telle que celle de la deep ecology des années 1970 qui faisait de la nature un sujet de droit, mais aussi mettre en place et développer des outils d'analyse économique permettant de révéler la valeur du capital « environnement » et de mettre en jeu la théorie des coûts évités. C'est ce que permettra l'application de l'article 5.

L'opposition de l'écologie et de l'économie n'a plus de sens, mais il faut poursuivre nos efforts pour que nos outils d'évaluation économiques intègrent davantage l'environnement comme un capital.

Le principe de précaution, quant à lui, n'est pas un principe d'abstention mais d'action. Il se traduit par une obligation de recherche permettant de mieux connaître le risque, une obligation d'évaluation et de transparence.

Certes, la sémantique ne joue peut-être pas en faveur de ce principe, la précaution renvoyant souvent à l'immobilisme ou au repli. Certains collègues ont ainsi exprimé leur crainte de voir ce principe contribuer à submerger les tribunaux pour immobiliser projets et avancées scientifiques. Mais d'ores et déjà, comme l'a rappelé Valérie Pecresse, le principe de précaution est souvent interprété de façon normative et il est, de plus, souvent confondu avec la prévention.

Néanmoins, les règles prévues par la Charte permettront de réduire le champ d'application du principe de précaution et de cadrer son application. Sans cela, le recours à ce principe continuerait à se développer de manière incontrôlée.

Démontrons notre capacité à innover, assumons nos responsabilités dans les choix qui font l'avenir. Que cette majorité soit fière de voir plus loin et plus avant que les autres ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. René André - C'est à Avranches, le 18 mars 2002, que le chef de l'Etat a rappelé aux Français à quel point l'environnement fait partie des préoccupations de notre temps. Il a évoqué notre responsabilité collective face à sa rapide dégradation et a insisté sur la nécessité de préserver les ressources naturelles qui sont notre commun patrimoine. C'est là qu'il a proposé aux Français d'inscrire le droit à l'environnement dans une Charte adossée à la Constitution.

Il s'agit d'une initiative audacieuse et ambitieuse. Nous sommes conscients que nous nous apprêtons à légiférer dans un domaine crucial. Nous savons également que nous ne devons pas tarder : les menaces sur l'environnement sont devenues globales et nous imposent d'agir.

Ce projet de loi constitutionnelle est un enjeu pour le développement durable. Soyons convaincus qu'il est fondateur, novateur, équilibré. Cette Charte constitue un tournant dans notre histoire constitutionnelle puisque nous nous apprêtons à consacrer au plus haut niveau de la hiérarchie de nos normes un droit de l'homme à l'environnement qui complètera nos droits fondamentaux.

Ces nouvelles exigences s'imposeront à toutes les juridictions et aux autorités publiques qui devront garantir l'impératif écologique.

Ce texte innove car il pose les principes fondamentaux d'une écologie humaniste au c_ur de notre pacte républicain. Ce nouveau droit à l'environnement sera complété par des devoirs visant à le garantir. Ce texte est un acte politique d'une grande portée symbolique.

Si de nombreux Etats ont déjà inscrit la protection de l'environnement dans leur loi fondamentale, la France est le seul pays à se doter d'un texte spécifique. Il nous permet ainsi de faire prévaloir notre vision de l'environnement plutôt que de subir, le cas échéant, une approche communautaire qui ne serait pas conforme à la nôtre.

Comme tout texte novateur, ce projet a suscité des interrogations, voire des inquiétudes, et en particulier l'article 5 qui vise à donner valeur constitutionnelle au principe de précaution.

Je rappelle que son champ d'application est strictement circonscrit par la rédaction de l'article, qui ne concerne que l'environnement et non la santé.

M. Daniel Garrigue - Et l'article premier ?

M. René André - Le dommage à l'environnement doit être grave et irréversible. Deux actions de bon sens doivent dès lors être mises en _uvre : évaluer les risques et prendre des mesures provisoires et proportionnées. L'article 5 doit donc être compris comme un vecteur de l'action qui invite à poursuivre les recherches pour qu'en cas d'incertitude scientifique la nature du risque soit déterminée. Les critiques émises reposent souvent, en effet, sur une confusion entre précaution et prévention.

Enfin, l'amendement présenté par la commission des lois et nos collègues Delattre et Pecresse qui complète l'article 34 de la Constitution pour ajouter explicitement la préservation de l'environnement devrait permettre de lever les dernières inquiétudes quant à la trop grande liberté du juge pour les conditions d'application du principe de précaution. Cet amendement permettra en effet, le cas échéant, de préciser par la loi l'application de ce principe général pour aider la jurisprudence dans son interprétation.

Ce texte concilie développement durable, progrès économique et social.

M. le Président de la commission des lois - Très bien !

M. René André - Je vous invite à le voter sans aucune réserve (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

M. le Président de la commission des lois - Très bien !

M. Jean-Pierre Giran - La contradiction entre les exigences du développement et la protection de la nature est une préoccupation récurrente de nos sociétés. Au début du XIXe siècle, Malthus s'inquiétait déjà des effets catastrophiques que pouvait selon lui engendrer la croissance de la population.

Aujourd'hui, les risques environnementaux sont tels que le Président de la République a justement souhaité que les droits de l'homme à une nature préservée deviennent désormais des principes constitutionnels. L'étape est capitale. Il s'agit d'inscrire une écologie humaniste au c_ur du pacte républicain. On ne peut que se féliciter de cette vision sur le long terme, dépourvue d'égoïsme, qui contraste avec les habitudes corporatistes et les exigences conjoncturelles qui dictent trop souvent les décisions publiques et privées.

Pourtant, dans la mesure où la Charte va constituer une nouvelle référence législative susceptible d'interprétation par le juge, il convient de préciser la signification de certains mots.

Selon l'article 2, « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement ». Première interprétation possible : il s'agit d'un devoir éthique, qui s'impose dans tous les cas. Toutefois, le devoir de contribuer à « l'amélioration » de l'environnement est discutable. A quel titre déciderait-on ainsi de la cause à laquelle il faut consacrer sa vie et son énergie ? Il appartient à chacun d'en décider pour lui-même.

Deuxième interprétation possible, le devoir ainsi proclamé emporte des conséquences juridiques, ce qui pourrait fonder de nombreuses procédures. On s'extasie souvent devant les magnifiques paysages de Camargue, en oubliant qu'ils résultent de l'intrusion de l'activité humaine dans une nature vierge. Je préférerais une autre rédaction de l'article 2, précisant que chacun « se doit » de prendre part à la préservation de l'environnement. Cette rédaction serait moins c_rcitive. Toutefois, en précisant que ce devoir n'était pas opposable à l'abstention d'une personne, le Gouvernement a dissipé mon inquiétude.

L'article 5 définit le principe de précaution, qui est un principe de bon sens. Mais un autre principe essentiel doit être posé, le principe de risque, le principe d'innovation.

Le principe de précaution, en effet, ne doit pas équivaloir à la peur d'agir. Toute théorie de l'évolution économique est fondée sur la prise de risque. Il faut donc confirmer que le principe de précaution est un principe de responsabilité. En aucune façon il ne doit freiner la recherche. S'il permet de réduire l'incertitude, il servira le progrès économique et social. Si au contraire il limitait la créativité, il desservirait à la fois la cause du développement et celle de l'environnement.

Adopter cette Charte est nécessaire. Nous montrerons ainsi que la France est toujours porteuse d'idéaux universels. Mais nous ne pourrons être fiers de ce texte que si son esprit prime sur la lettre (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui se tiendra cet après-midi, mercredi 26 mai, à 15 heures.

La séance est levée à 1 heure 5.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE

ORDRE DU JOUR
DU MERCREDI 26 MAI 2004

A QUINZE HEURES : 1ère SÉANCE PUBLIQUE

1. Questions au Gouvernement.

2. Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle (n° 992) relatif à la Charte de l'environnement.

Rapport (n° 1595) de Mme Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Avis (n° 1593) de M. Martial SADDIER, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

A VINGT ET UNE HEURES TRENTE : 2ème SÉANCE PUBLIQUE

Suite de l'ordre du jour de la première séance.


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