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Assemblée nationale
COMPTE
RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL
Session ordinaire de 2004-2005 - 66ème jour de séance, 162ème séance 1ère SÉANCE DU MERCREDI 2 MARS 2005 PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ Sommaire DISPARITION DE FLORENCE AUBENAS QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 3 DIRECTIVE BOLKESTEIN 3 COOPÉRATION TRANSFRONTALIÈRE 3 CHIFFRES DU CHÔMAGE 4 POLITIQUE AGRICOLE EUROPÉENNE 5 CARTE SANITAIRE 6 LIBAN 7 SAUVEGARDE DES ENTREPRISES 7 ÉCONOMIE FRANÇAISE 8 ASSURANCE RÉCOLTE 9 ASSURANCE MALADIE 9 CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT 10 PLAN D'URGENCE GRAND FROID POUR L'HÉBERGEMENT DES SANS-ABRI 11 AVENIR DE L'ÉCOLE 12 SAUVEGARDE DES ENTREPRISES QUESTION PRÉALABLE 15 DISCUSSION GÉNÉRALE 16 La séance est ouverte à quinze heures. DISPARITION DE FLORENCE AUBENAS ET HUSSEIN HANOUN AL SAADI M. le Président - Monsieur le Premier ministre, voici près de deux mois que notre compatriote Florence Aubenas et son accompagnateur Hussein Hanoun al-Saadi ont été enlevés et sont détenus en Irak. Vous connaissez l'émotion qu'ont suscitée les images de Florence Aubenas que nous ont montrées hier la télévision et la presse. Me faisant l'interprète de l'ensemble de l'Assemblée, je vous demande si vous pouvez aujourd'hui nous donner quelques informations à ce sujet. Je vous en remercie par avance au nom de tous les députés. (Applaudissements sur tous les bancs) M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Je vous remercie de votre initiative qui prolonge les démarches effectuées par tous les présidents de groupe dans les dernières heures. Florence Aubenas et son accompagnateur Hussein Hanoun ont disparu le 5 janvier, il y a maintenant cinquante-six jours. J'ai été particulièrement meurtri par les images qui ont été diffusées hier à partir d'une cassette audiovisuelle déposée à l'agence Reuters, à Bagdad. Elles montrent à l'évidence la souffrance endurée par Florence Aubenas, la cruauté de la captivité, le caractère inacceptable de sa détention. Ou ces images sont vraies et elles sont insupportables, ou elles sont fabriquées et elles sont inacceptables. Bouleversantes, elles sont surtout préoccupantes. Nous pensons tous au choc subi par la famille de Florence, par ses proches, ses innombrables amis, ses confrères et tous ceux qui entretiennent la mobilisation pour obtenir sa libération. Nous devons aussi penser à la famille de Hussein Hanoun, absent de ces images. Certes, c'est un nouveau signe de vie que nous recevons, après la précédente cassette que nous avons montrée à la famille de Florence Aubenas. Nous guettons tous ces signes : dans tous les contacts que nous établissons, nous demandons au préalable que nous soient apportées des preuves de vie. Nous ne sommes pas encore à même de déterminer les dates exactes et l'ordre d'enregistrement de ces cassettes : nos experts y travaillent. Ce qui est certain, c'est que la disparition de Florence Aubenas et Hussein Hanoun n'est en rien comparable à celle de Christian Chesnot et Georges Malbrunot. Aucun groupe n'a à ce jour revendiqué un enlèvement, aucun dialogue n'a pu être établi de manière stable avec des ravisseurs authentifiés. La nature et la teneur du message diffusé hier suscite d'importantes interrogations. Je le dis ici, devant la représentation nationale : toute personne qui croirait détenir des informations sérieuses sur la situation de Florence Aubenas a le devoir de les porter immédiatement et sans conditions à la connaissance des autorités. La sécurité de notre compatriote et de son accompagnateur prime sur toute autre considération. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe UDF) Florence Aubenas a lancé un appel à un parlementaire français qui a déclaré connaître probablement ses ravisseurs. J'ai demandé au directeur général de la sécurité extérieure de prendre contact avec lui - avec vous, Monsieur le député - pour recueillir toutes les informations qui pourraient être nécessaires à nos services (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) afin que la République agisse dans une seule direction, sous une seule autorité, sans accepter la moindre diplomatie parallèle. La disparition de Florence Aubenas et d'Hussein Hanoun nous touche profondément. Nous souhaitons obtenir leur libération par l'action de la France et de ses services. Je fais confiance à ces derniers pour réunir les conditions qui nous permettront de l'obtenir. Comme plusieurs d'entre vous l'ont souhaité, je réunirai demain les présidents de groupe et les dirigeants des partis politiques pour leur exposer nos analyses et leur faire part de toutes les informations dont dispose le Gouvernement à ce jour. L'ensemble de la représentation nationale - et je vous remercie de votre question, Monsieur le Président - est aujourd'hui mobilisé en faveur d'un objectif : obtenir la libération de Florence Aubenas et Hussein Hanoun dans l'unité de la République. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et sur plusieurs bancs du groupe socialiste) M. le Président - Les quatre premières questions porteront sur des thèmes européens, conformément à notre tradition. M. François Liberti - Monsieur le Premier ministre, la directive Bolkestein sur la libéralisation des services consacre le choix du nivellement de la protection sociale par le bas, à travers le principe du pays d'origine. Elle applique en effet à la lettre le principe de la concurrence « libre et non faussée », objectif stratégique énoncé par le traité établissant une Constitution pour l'Europe. Une contradiction flagrante apparaît ainsi chez les tenants du « oui », qui prétendent s'opposer à cette directive, puisque c'est le traité constitutionnel qui lui confère une base juridique. La contradiction ne s'arrête pas là : à l'exception des parlementaires communistes, tous les groupes du Parlement européen ont approuvé la directive lors de sa présentation en février 2003. Après avoir manifesté votre accord, vous opérez aujourd'hui un repli tactique en demandant sa révision. Le débat sur son contenu est, il est vrai, de nature à éclairer nos concitoyens, à la veille du référendum, sur la véritable portée du traité. Pour la Commission européenne, qui voit ses pouvoirs singulièrement renforcés, il n'est pas question de supprimer la directive Bolkestein : son application est renvoyée après la ratification du traité. La seule garantie d'enterrer cette directive est donc que le « non » l'emporte au référenduM. Quelles sont vos intentions vis-à-vis de ce texte qui vise à appliquer les objectifs du traité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes - La position du Gouvernement est très claire : la directive est inacceptable en l'état et doit faire l'objet d'une remise à plat. L'approfondissement du marché intérieur des services apportera sans aucun doute croissance et emploi (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste) - spécialement en France, premier pays exportateur de services d'Europe - mais la méthode proposée ne saurait être admise. Une application mécanique du principe du pays d'origine tirerait les législations vers le bas. Une Europe qui signifierait moins de protection pour les consommateurs ou pour les travailleurs serait un contresens ! La poursuite du processus d'harmonisation est donc essentielle. Nous tenons bien sûr à préserver notre modèle social et culturel. Nous avons donc demandé à exclure du champ d'application de la directive les services sociaux et de santé, l'audiovisuel et la presse, les professions juridiques réglementées, la gestion collective des droits d'auteur, les jeux d'argent et les transports. La Commission a pris conscience des réactions que le texte a soulevées et son président a annoncé vouloir parvenir à un consensus. Le Parlement européen, qui va en discuter en première lecture dans les prochains mois, prend nos préoccupations en compte et, en France, l'Assemblée et le Sénat sont très mobilisés. Croyez que nous resterons toujours très fermes quant à notre conception de l'Europe et que l'approche constructive proposée par la Commission va nous permettre de travailler sereinement au réexamen de la directive. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Gilbert Meyer - Le Premier ministre espagnol, que nous avons entendu hier, a délivré un message fort en faveur de l'Europe, et a établi des comparaisons intéressantes en matière de coopération renforcée. De ce point de vue, il convient de repenser notre stratégie et d'améliorer notre efficacité pour atteindre les objectifs que nous assignons à l'Europe, a fortiori l'Europe à 25. L'expérience acquise dans la coopération transfrontalière peut être à cet égard très instructive. Les actions engagées avec l'Allemagne ou l'Italie par exemple méritent d'être mises en avant. Mais la coopération renforcée ne peut être approfondie sans outils juridiques adaptés. Or, les dispositions actuelles posent problème. En ce qui concerne par exemple les rapports entre la France et l'Allemagne, l'installation d'un outil juridique de coopération est presque irréalisable sans contrevenir au droit français ou allemand. Il n'existe aucun outil communautaire global permettant une action multiforme aux partenaires. Dans le meilleur des cas, ils peuvent adopter une série de délibérations en conformité avec le droit interne des pays concernés. Si tel est le constat pour le transfrontalier, nous sommes loin d'être en position de proposer une coopération renforcée aux nouveaux membres ! La Commission européenne a adopté en juillet une proposition de règlement visant à instituer un instrument de coopération au niveau communautaire. M. le Président - Monsieur Meyer, veuillez poser votre question. M. Gilbert Meyer - Cet outil sera-t-il opérationnel à court terme ? Le dispositif entrevu va-t-il unifier les règles entre les pays concernés ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe UMP) Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée aux affaires européennes - L'Europe encourage les coopérations territoriales. Des instruments financiers ont été mis en place pour la période 2000-2006, et de nombreuses régions françaises en bénéficient. Nous sommes très attachés aux programmes Interreg, qui comportent trois volets : transfrontalier, transnational et interrégional, ainsi qu'à la préservation après 2007 de ces outils, en tout cas dans la zone antérieure à l'élargissement. La Commission propose un outil juridique, qui pourrait être mis en place dès 2007 : le groupement européen de coopération transfrontalière. Le Gouvernement y est favorable. Le GECT devrait permettre de résoudre les difficultés créées par les disparités entre les droits nationaux. Les collectivités locales qui sont engagées dans ces opérations devront bien sûr respecter le cadre de compétence qui leur est dévolu, mais ont déjà des outils à leur disposition, tels que l'accord de Karlsruhe entre la France et l'Allemagne ou le traité franco-belge. Le district européen, créé par la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales, permet d'étendre à l'ensemble des frontières françaises les accords de Karlsruhe. Il rend possible une répartition juridique claire là où est situé le siège de l'organisme de coopération. Mon homologue allemand et moi vous avons rendu visite, Monsieur le député, dans l'eurodistrict de Colmar, et nous avons évoqué la nécessité d'une structure juridique adaptée pour mettre en place les projets transfrontaliers qui doivent répondre aux besoins des populations. Tout ne repose évidemment pas sur le droit : c'est également question de gouvernance et d'expérimentation locale. Vous en êtes les acteurs principaux. J'ai donc demandé à Alain Lamassoure, député européen, d'engager une réflexion sur l'évolution des coopérations transfrontalières. Son rapport me sera remis dans quelques semaines et je vous en ferai part. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Michel Dasseux - Les déclarations du Premier ministre selon lesquelles il ferait baisser le chômage de 10 % en 2005 sont déjà à ranger au chapitre des promesses non tenues : c'est au contraire le seuil des 10% de chômeurs qui vient d'être franchi ! C'est un des plus mauvais résultats d'Europe ! Et il est à mettre en parallèle avec les produits faramineux des entreprises, dont les actionnaires sont les seuls bénéficiaires. Vous avez produit 200 000 chômeurs depuis que vous êtes au pouvoir ! Pire, et malgré 2,5 % de croissance, c'est la première fois depuis quinze ans qu'il n'y a pas de création d'emplois. Et ne venez pas nous parler des 500 000 emplois virtuels de M. Borloo ! A force de détricoter tout ce que nous avions mis en place (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UMP),seuls les plus ultralibéraux de vos amis sont satisfaits. Aujourd'hui, à peine 10 % des Français souscrivent à votre politique pour l'emploi. Quel enthousiasme ! Alors, épargnez-nous votre credo sur la responsabilité du gouvernement précédent ! (« Si ! » sur les bancs du groupe UMP) En 1997, nous avons trouvé un taux de chômage de 12,5 %. Nous l'avons ramené à 10 % en 2000 pour vous léguer en 2002 un taux de 8,7 %. Qu'en avez-vous fait, Monsieur le Premier Ministre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) C'est votre méthode qui est en cause ! Vous êtes aujourd'hui le chef d'un Gouvernement qui fait que moins de Français travaillent et pour gagner moins ! Comment justifiez-vous ce bilan catastrophique ? Allez-vous mettre un terme à votre entreprise de démolition sociale et cesser de casser l'emploi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste) M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale - Le fait que 2001 ait été l'année où le chômage des jeunes a le plus augmenté devrait inciter certains à plus de modestie ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) M. Henri Emmanuelli - Parlez-nous d'aujourd'hui ! M. le Ministre de l'emploi - Les efforts conjugués de tout le Gouvernement tendent à maintenir le cap fixé par le Premier ministre, qu'il s'agisse du plan apprentissage piloté par Laurent Hénart, du programme jeunes, du programme des services à la personne ou de l'organisation des pôles de compétitivité. Nous sommes allés voir ce qui fonctionnait le mieux chez nos partenaires européens. Les maisons de l'emploi s'inspirent ainsi du modèle finlandais - je rappelle que ce pays a su faire passer son taux de chômage de 16 à 8 %. Le plan de baisse du chômage sera maintenu, conformément aux instructions que j'ai reçues du Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Philippe Folliot - « Je ne suis pas partisan d'un modèle agricole à l'américaine. Je refuse de laisser les campagnes européennes se dépeupler. L'agriculture familiale doit avoir sa place. » C'est ainsi que s'exprimait il y a peu la nouvelle commissaire européenne à l'agriculture, Mme Mariann Fischer Boel, devant le Parlement européen. Mais au-delà des mots, quelle sera la politique de la Commission ? L'inquiétude est grande dans nos campagnes. Le monde agricole sait ce que la PAC a apporté, mais la nouvelle PAC, le découplage des aides, la fin programmée des fonds structurels, la multiplication des contraintes administratives, les difficultés de la filière viticole et la poursuite de l'injuste surtaxation, par les Américains, de certains produits de qualité comme le roquefort sont autant de motifs d'incertitude. Que compte faire le Gouvernement pour peser sur la Commission européenne de façon à répondre à toutes ces inquiétudes et à maintenir une politique agricole commune volontaire et efficace ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité - Votre question est vraiment une question d'actualité puisque la commissaire européenne Mariann Fischer Boel est venue hier au Salon de l'agriculture, où elle a rencontré l'ensemble des organisations syndicales et pu ainsi dialoguer sur de nombreux sujets. La PAC est un acquis qu'il faut conserver. Elle représente 8 milliards d'euros chaque année pour la ferme France. Nous nous efforçons par ailleurs, en concertation avec la profession, de simplifier les règles de l'écoconditionnalité et nous enverrons l'an prochain aux agriculteurs un livret simplifié qui tiendra compte de toutes les remarques entendues cette année. Quant aux droits de paiement unique, ils représentent une mécanique compliquée, avec découplage partiel, mais je rappelle que c'est la profession qui avait souhaité ce système. Nous avons retardé l'envoi des documents et nous retravaillons sur ce qui concerne l'installation, les retraités et les jeunes afin d'améliorer la copie européenne. Enfin, en ce qui concerne le roquefort, les représailles qui s'exercent sont inacceptables. La France a donc émis une protestation auprès de l'OMC et le roquefort sera défendu comme il se doit ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Henri Emmanuelli - Et le foie gras ! M. Dominique Le Mèner - Au moment où les Français reçoivent un formulaire leur demandant de choisir un médecin traitant, certains d'entre eux ne sont pas en mesure de fournir le nom d'un référent, soit du fait d'un accès aux soins difficile, en particulier dans le monde rural, soit parce que les généralistes de leur secteur ne peuvent pas accepter de nouveaux patients. Cette situation ne s'explique pas seulement par la démographie médicale, puisque la densité médicale globale est aujourd'hui trois fois plus élevée qu'en 1970. Mais il y a derrière les chiffres globaux de grandes disparités selon les secteurs géographiques et les spécialités. Par ailleurs, si jusqu'en 2007 on estime que le nombre de nouveaux médecins sera équivalent à celui des départs en retraite, il y aura en 2014 et en 2015 8 000 départs pour seulement 5 500 nouveaux médecins. Grâce au relèvement du numerus clausus, ces départs devraient être compensés ensuite, mais cela ne peut être la seule réponse et il est urgent de rééquilibrer la carte sanitaire pour remédier à la désertification médicale. Dans la Sarthe, la moyenne d'âge des médecins est de plus de 50 ans et dans certains cantons, il y a moins de trois généralistes pour 5 000 habitants, avec hélas peu de perspectives de nouvelles installations. Monsieur le ministre de la santé, vous avez annoncé il y a quelques mois la création d'une commission nationale de la démographie médicale. Quelles propositions peut-on en attendre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille - Vous posez la question essentielle en matière de santé publique : celle de la désertification médicale dans certains territoires. Le Gouvernement y apporte trois réponses. La première est le numerus clausus. Avec François Fillon, nous l'avons porté de 5 100 à 6 200 de 2003 à 2005, et nous allons arriver à 7 000 d'ici à 2007. La seconde consiste en des aides et incitations à l'installation dans certaines zones, conformément à la loi sur le développement des territoires ruraux, qui a été promulguée le 24 février et dont les décrets d'application sortiront dans les prochaines semaines. Des aides pourront être données directement par les collectivités locales. D'autres pourront l'être par l'assurance maladie - une convention a été signée à cet effet il y a quelques semaine. D'autres enfin pourront l'être par l'Etat, sous forme de déductions fiscales. Enfin, il faut arrêter de fermer les hôpitaux locaux (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) - comme vous l'aviez fait ! - et au contraire y développer des services d'urgence équipés en scanners permettant d'effectuer des diagnostics et d'agir, notamment en cas de problèmes vasculaires cérébraux ou d'infarctus du myocarde. Quant à la commission Berland, nous aurons ses conclusions à la fin du mois de mars. Nous ferons très rapidement des propositions pour assurer l'égal accès aux soins sur tout le territoire français. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Gérard Léonard - L'assassinat il y a deux semaines de l'ancien Premier ministre du Liban Rafic Hariri a provoqué la stupeur et l'indignation de la communauté internationale. La France, par la voix du Président de la République et celle de nombreux responsables de tous horizons, a témoigné sa solidarité active au peuple libanais. Au travers de la personne de Rafic Hariri, c'est tout le processus de libération de la tutelle syrienne, la marche du Liban vers la souveraineté et la démocratie retrouvée qui étaient clairement visés. Les manifestations populaires qui ont suivi ont frappé tous les observateurs tant par leur ampleur que par leur caractère consensuel, toutes les familles religieuses et presque tous les partis politiques y étant représentés. Des élections législatives doivent se dérouler dans quelques semaines. Au-delà du retrait des troupes syriennes, il s'agit d'un enjeu majeur pour l'avenir du Liban. Comment envisagez-vous celui-ci, Monsieur le ministre des affaires étrangères ? Où en est-on de l'enquête internationale diligentée pour rechercher les assassins ? Où en est l'application de la résolution 1559 sur le retrait des troupes syriennes du Liban ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères - Rien de ce qui concerne le peuple libanais ne laisse la France et les Français indifférents, vous le savez bien, vous qui présidez le groupe d'amitié avec le Parlement de Beyrouth. Nous sommes tous ici émus par les démonstrations quotidiennes, dignes et courageuses, du peuple libanais qui demande simplement sa liberté et sa souveraineté. Le peuple libanais et la communauté internationale ont le droit de savoir qui a perpétré ce tragique assassinat, qui l'a commandité. C'est l'objet de l'enquête internationale qui est en cours et qui doit faire appel à la coopération de la justice libanaise. La résolution 1559, expression de la communauté internationale unanime, doit conduire au retrait de toutes les troupes et de tous les services étrangers qui occupent le Liban. Nous avons entendu ce matin le Président syrien annoncer une intention, mais nous serons tous extrêmement vigilants pour qu'elle se traduise dans les actes. Enfin, les élections qui se tiendront dans quelques mois seront le moment de vérité. Elles devront être libres, démocratiques, transparentes, équitables pour chacune des communautés du Liban, et se dérouler sous le contrôle d'observateurs internationaux. Le seul objectif de la France et des Français est que le Liban soit libre, démocratique et souverain. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Alain Vidalies - Monsieur le Premier ministre, notre assemblée examine actuellement le projet de loi réformant le droit des faillites, qui crée une nouvelle procédure, dite de sauvegarde, susceptible d'être déclenchée à l'initiative du chef d'entreprise en dehors de tout état de cessation de paiement. La majorité UMP de la commission des lois a voté un amendement tendant à étendre à cette nouvelle procédure les licenciements économiques simplifiés prévus pour le redressement judiciaire et la liquidation. Le Gouvernement s'y est déclaré opposé, mais nous ne sommes pas rassurés pour autant. En effet ce matin, cette même majorité a voté un amendement identique signé par M. Cardo, en contradiction avec la position défendue par le Garde des Sceaux. Vous excellez dans la pratique du double discours, et les Français connaissent désormais votre méthode consistant à durcir les textes de loi en utilisant votre majorité parlementaire pour faire adopter des mesures que vous faites mine de ne pas assumer vous-mêmes (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). Vous avez procédé de la sorte pour remettre en cause la hiérarchie des normes, le principe de faveur, dans une loi sur le dialogue social, et déjà pour faciliter les licenciements dans une loi sur la cohésion sociale. Au moment où votre politique a des résultats calamiteux en matière d'emploi, c'est une véritable provocation que de proposer de lutter contre le chômage en accélérant les licenciements (Même mouvement) ! Toutes les organisations syndicales s'inquiètent légitimement des conséquences de l'éventuelle adoption de cet amendement. Le Gouvernement va-t-il, aussi bien devant l'Assemblée nationale que devant le Sénat, s'opposer avec détermination à l'adoption de cet amendement désastreux ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Je vais vous redire aujourd'hui ce que j'ai dit hier devant vous, qui étiez présent lors de ma présentation de ce projet. Celui-ci a pour objet de corriger les lois Badinter de 1984-85, tout le monde convenant qu'elles sont obsolètes. Il vise, premièrement, à permettre au chef d'entreprise d'anticiper les difficultés avant qu'il ne soit trop tard ; deuxièmement, à simplifier les procédures ; troisièmement, à les élargir en particulier aux professions libérales. M. Christian Bataille - Répondez à la question ! M. le Garde des Sceaux - Laissez-moi le temps de le faire ! Le but est de sauver des emplois, donc il est hors de question pour le Gouvernement d'autoriser, au moment de la sauvegarde, c'est-à-dire avant toute cessation de paiement, les procédures simplifiées de licenciement qui sont prévues en cas de redressement judiciaire. La sauvegarde, contrairement à ce qui est écrit ici ou là, n'est pas un redressement judiciaire anticipé. Les choses sont claires pour moi et je m'opposerai à cet amendement, comme je l'ai déjà indiqué ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur plusieurs bancs du groupe socialiste) M. Michel Bouvard - Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie et des finances, à qui notre groupe souhaite de réussir dans sa mission difficile, ainsi, je crois, que l'ensemble des membres de la commission des finances car personne ne peut souhaiter un échec qui serait celui du pays. Monsieur le ministre, vous prenez vos fonctions au lendemain de l'annonce par l'INSEE de l'accroissement de la dette publique - 1 066 milliards -, alimentée par trente ans de déficit budgétaire, au lendemain aussi de la remise du rapport de la Cour des comptes. Quelles sont vos intentions pour accélérer les réformes des structures de l'Etat et pour limiter ses déficits ? Par ailleurs, au moment où nous voyons que beaucoup d'entreprises dégagent des résultats, ce qui est heureux pour la redistribution, quelle action entendez-vous entreprendre pour mieux répartir les fruits de la croissance, au profit des actionnaires bien sûr, mais aussi de l'investissement, de la recherche et du pouvoir d'achat des salariés - qui alimentent la croissance et l'emploi ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) M. le Président - Soyez le bienvenu à l'Assemblée nationale, Monsieur le ministre. M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Je ne reviendrai pas longuement sur les conditions de ma nomination (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). C'est pour moi un honneur que de servir ce gouvernement : vendredi soir, j'ai été nommé ministre de l'économie et des finances sur proposition de M. le Premier ministre et dès lundi matin j'étais au travail avec l'équipe de mon prédécesseur car il n'y a pas une seconde à perdre. En 1980, la dette publique s'élevait à 90 milliards ; elle est cette année de 1 066 milliards : tel est notre héritage ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) Je serai donc intraitable quant à la dépense publique, de manière à pouvoir libérer des marges de manœuvre en faveur de l'emploi, du pouvoir d'achat, de la croissance et de l'innovation (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Avec l'ensemble de mes collègues du Gouvernement et des agents de mon ministère, je veux que la France retrouve la confiance et pour cela, j'entends établir des paramètres clairs dont je m'engage à vous faire part, tout comme je vous rendrai des comptes sur les progrès de notre économie, de l'emploi - je rencontre dès demain M. Borloo -, ainsi que du pouvoir d'achat des ménages (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Vous avez fait allusion, Monsieur le député, aux profits des entreprises : je suis un fervent adepte de la participation, qui constitue l'un des moyens les plus efficaces pour résoudre les problèmes auxquels notre pays est confronté. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) M. Jacques Bobe - J'associe à ma question M. Christian Ménard, rapporteur de la mission parlementaire sur les OGM, actuellement à l'étranger. Notre agriculture a été très affectée par la canicule de 2003 : le volume de la production a considérablement diminué. Les conséquences de cette calamité ont également pesé sur l'activité et le revenu des agriculteurs, déjà confrontés par ailleurs à de nombreuses difficultés dues à la concurrence des autres pays producteurs. Les élevages ont été touchés et les éleveurs ont eu à affronter en particulier un important déficit fourrager. Au-delà, les catastrophes naturelles auxquelles les agriculteurs peuvent être confrontés sont diverses : grêle, gel, sécheresse, inondation. Il convient donc de trouver des réponses appropriées pour garantir la pérennité des exploitations et leur viabilité économique en cas de sinistre climatique. M. Ménard a particulièrement insisté sur cette question dans le rapport relatif à la gestion des risques climatiques qu'il a remis au Premier ministre en février 2004. Une large concertation s'est ensuivie avec l'ensemble des partenaires concernés afin de dégager les principes d'une assurance récolte. Qu'en est-il de ce dispositif, quelle forme pourrait-il prendre, quels en seraient les principes, quand pourrait-il être appliqué ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité - Vous avez en effet raison de rappeler les différentes calamités auxquelles l'agriculture peut être confrontée et dans la très belle région dont vous êtes l'élu, le Poitou-Charentes (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) des craintes se font jour quant à une éventuelle sécheresse l'été prochain. Sachez qu'avec M. Lepeltier, nous envisageons d'ores et déjà de prendre un certain nombre de mesures. Par la qualité de ses propositions, M. Ménard, que je remercie, a préparé le dispositif adopté par le Gouvernement : l'Etat prendra ainsi à sa charge 35 % - ou 40 %, pour les jeunes agriculteurs - des cotisations de l'assurance récolte à laquelle nous consacrerons 10 millions dès cette année, puis 20 et 30 millions dans les années suivantes, à mesure que le dispositif montera en puissance. L'assurance récolte remplacera progressivement le fonds national pour les calamités agricoles qui perdurera bien entendu tant que celle-ci n'aura pas atteint un niveau suffisant pour couvrir l'ensemble de la profession . J'ajoute enfin que M. le Président de la République, dans son discours de Murat, a annoncé la création d'une agence de gestion des risques. Ce sera chose faite dans le cadre de la future loi d'orientation agricole que nous préparons avec M. Forissier et qui sera présentée en conseil des ministres au printemps prochain. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Gérard Bapt - Après la réforme de l'assurance maladie, de nombreux mouvements sociaux ont traduit l'inquiétude des médecins généralistes, des internes, des personnels hospitaliers, lesquels sont épuisés après l'épidémie de grippe et de gastro-entérite à laquelle ils ont dû faire face (Exclamations sur les bancs du groupe UMP). Vous n'êtes sans doute pas allés dans les services d'urgence, comme je l'ai fait ! (Protestations sur les bancs du groupe UMP) L'inquiétude grandit également chez les assurés sociaux qui constatent que la liberté tarifaire accordée aux spécialistes crée une médecine à deux vitesses. La part des dépenses restant à la charge des patients, sous couvert de ce que vous appelez la « responsabilisation », augmentera considérablement. De même s'envolent les montants des cotisations demandées aux mutualistes, rendant ainsi l'accès à la couverture assurance maladie complémentaire plus difficile pour beaucoup de ménages. Votre réforme aggrave enfin les inégalités d'accès aux soins en raison de l'insuffisance flagrante du dispositif d'aide à l'acquisition d'une mutuelle pour les familles dont les revenus sont à peine supérieurs à ceux requis pour bénéficier de la CMU. En Haute-Garonne, c'est ainsi plus de la moitié des assurés modestes qui bénéficiait, grâce au dispositif « Atout santé », de la gratuité de la couverture complémentaire et qui en sera désormais écartée. En outre, le dispositif du médecin référent privera de nombreux assurés du bénéfice du tiers payant. Avez-vous l'intention de prendre des mesures pour corriger ces inégalités nouvelles et si oui, lesquelles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille - Le Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, qui n'est pas susceptible d'être partisan, a donné son avis : il n'y a aucune raison pour que les cotisations des mutuelles et des assurances complémentaires augmentent. Si tel était le cas, ce ne serait absolument pas le fait de cette réforme. Le dispositif du médecin traitant est un succès : nous venons ainsi de fêter le deux millionième Français qui vient de faire connaître le nom de son médecin traitant. Chaque jour, 120 000 Français renvoient le formulaire de choix de leur médecin traitant ; 86 % des médecins généralistes en ont rempli au moins un et 98 % des médecins référents sont déjà entrés dans le nouveau dispositif. S'agissant du parcours personnalisé de soins, vous n'avez pas voulu le mettre en place lorsque vous étiez au pouvoir. C'est nous qui l'avons fait. Il nous paraît en effet normal de mieux rembourser les patients qui s'inscrivent dans un tel parcours et de rémunérer à leur juste valeur les actes médicaux pratiqués dans ce cadre. Bref, la différence entre nous est que vous aviez choisi l'immobilisme tandis que nous avons opté pour le courage et l'efficacité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Mme Nathalie Kosciusko-Morizet - La Charte de l'environnement, adoptée avant-hier par le Congrès, fait désormais partie de notre bloc de constitutionnalité. Succès pour le Gouvernement et à l'honneur du Parlement, cette Charte est l'œuvre du Président de la République. Ce 28 février faillit pourtant être une journée des dupes. Alors qu'il est des moments, dans notre histoire nationale, où les clivages droite-gauche doivent s'effacer, comme cela fut le cas en 2004 sur les questions de la laïcité et de la fin de vie, et que l'écologie aurait dû susciter le même consensus, les arguments ont fusé à gauche, ce jour-là, pour refuser la Charte de l'environnement. Nos collègues socialistes ont argué de problèmes d'organisation et de calendrier, reconnaissant que sur le fond il leur était difficile de s'opposer à ce texte. Fort heureusement, leur refus n'a pas été unanime, d'aucuns s'abstenant et, mieux encore, plusieurs d'entre eux votant ce texte historique, profondément novateur. Au fond, le groupe socialiste n'aurait-il pas tout simplement voulu en être l'auteur ? (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste) Le pire, qui aurait été que cette Charte ne soit pas adoptée, a pu être évité. A cet égard, je tiens à remercier toutes les associations de protection de l'environnement qui se sont fortement mobilisées ces dernières semaines pour éviter tel rejet. Mais trêve du passé ! Tournons-nous vers l'avenir. Quel est, Monsieur le ministre de l'écologie et du développement durable, le calendrier des réformes que vous envisagez ? Toutes les politiques publiques doivent prendre en compte la dimension environnementale. Comment comptez-vous y parvenir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable - Que cette Charte de l'environnement trouve place, dans notre Constitution, aux côtés de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1789 et des droits sociaux réaffirmés par le préambule de la Constitution de 1946, constitue un progrès historique. Ce grand pas pour l'écologie a pu être accompli grâce à la détermination du Président de la République et du Premier ministre. Par ce vote, la France confirme son rôle pionnier dans le monde en matière d'environnement et porte désormais un projet supérieur pour l'ensemble de notre planète. Les principes de prévention, de réparation et de précaution sont désormais reconnus dans notre Constitution. Pour répondre plus précisément à votre question, nous sommes en train de recenser les textes qui devront être modifiés pour respecter cette Charte et de voir comment ses principes pourront être mis en application au plus vite. Le parti socialiste et le parti communiste ont commis une faute en refusant de s'associer à ce progrès historique (Interruptions sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Ils ont affiché par là leur mépris pour l'écologie. Cela aura été une occasion manquée d'union nationale sur un sujet qui appelle pourtant à dépasser les clivages partisans. L'intérêt supérieur de notre pays et de la planète tout entière aurait dû l'emporter sur de simples considérations tactiques à court terme. L'avenir, j'en suis convaincu, leur donnera tort, tandis qu'il donnera raison à la majorité sur cette grave question. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) PLAN D'URGENCE GRAND FROID POUR L'HÉBERGEMENT DES SANS-ABRI M. Alain Moyne-Bressand - Depuis la mi-février, un froid très vif s'est installé sur notre pays. Il s'est encore intensifié depuis une semaine, les températures négatives de ce début de mars n'ayant pas d'équivalent depuis trente ans. Il faut remonter à 1971 pour en trouver de semblables ! Face à cette situation, dès dimanche soir, a été déclenché le niveau III du plan d'hébergement d'urgence des sans-abri dans vingt départements, dont celui de l'Isère, et 11 000 places supplémentaires ont été ouvertes. A cet égard, nous remercions et félicitons les associations caritatives pour leur travail quotidien exemplaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Nos concitoyens aussi doivent se mobiliser, et ils le font d'ailleurs activement. Où en est, Madame la ministre chargée de la lutte contre l'exclusion, le plan d'urgence d'accueil, de jour comme de nuit, des sans-domicile-fixe ? Les équipes mobiles qui sillonnent les rues à la recherche des personnes en difficulté ont-elles été renforcées? Qu'est-il prévu pour les SDF refusant tout hébergement d'urgence et toute aide ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Mme Nelly Olin, ministre déléguée à l'intégration, à l'égalité des chances et à la lutte contre l'exclusion - Dès le 25 février, vu les prévisions de Météo France, j'ai adressé à tous les préfets un appel à la vigilance. A ce jour, 63 départements sont en niveau II d'alerte et 23 en niveau III. Nous avons ouvert 11 700 places d'hébergement supplémentaires, en sus des 90 000 ouvertes en permanence. Toutes les équipes du Samu social ont été renforcées - ainsi 19 équipes mobiles sillonnent chaque soir la capitale. Nous avons également recruté des personnes pour répondre aux appels téléphoniques de détresse, dont le nombre a par exemple été hier de 2 700 - je précise que, contrairement à ce qui a pu être dit ici ou là, le taux de réponse a été de 84 %. Des locaux sont ouverts 24 heures sur 24 dans tous les départements pour les personnes qui refusent de se rendre dans un centre d'hébergement. Plus de 270 lieux accueillent ainsi, de jour comme de nuit, les personnes en grande difficulté, qui peuvent s'y restaurer et y être réconfortées. L'accord passé avec France Télévisions, TF1 et Radio France a facilité les signalements et augmenté le nombre d'appels passés au 115. Je me rends chaque soir sur le terrain pour faire le point de la situation. Le Gouvernement s'associe aux remerciements que vous venez d'adresser, Monsieur le député, aux associations qui oeuvrent avec courage et dévouement dans des conditions difficiles. Je tiens également à remercier la ministre de la défense qui a mis à notre disposition des locaux de l'armée dans le XVIIIe arrondissement de Paris, ainsi que tous les militaires qui ont accompli un travail remarquable. M. le Président - Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement. La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 20. L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public sur l'ensemble du projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école. M. Yves Durand - Le Président de la République avait souhaité une grande loi d`orientation pour préparer l'école à affronter les défis des quinze ans à venir. Les Français ont été consultés, les experts réunis dans la commission Thélot ont fait des propositions - dont vous n'avez rien retenu, et vous nous présentez une copie bâclée ! Il aurait fallu prendre le temps de consulter vraiment pour élaborer un projet mobilisateur. Le vôtre mobilise certes le monde de l'éducation mais... contre lui ! Refusant d'entendre, vous vous obstinez pourtant à nous présenter ce texte sans souffle, sans ambition et sans moyens. Sans souffle, car les remarques du Conseil constitutionnel et du président de notre assemblée vous ont contraint à bricoler en urgence un projet critiqué par votre propre camp et rejeté par l'immense majorité des organisations représentant le monde de l'école. Ce projet n'est finalement qu'une accumulation de dispositions tentant, sans y parvenir, de satisfaire les réflexes les plus conservateurs. Sans ambition, car il ne répond à aucun des trois défis majeurs que l'école doit relever : élever le niveau de qualification de l'ensemble des jeunes, relancer la démocratisation pour une réelle égalité des chances, renouveler près de la moitié du corps enseignant. Les objectifs que vous affichez sont contredits systématiquement par les dispositions du texte : retour au redoublement, réintroduction d'une orientation précoce, absence totale de réflexion sur l'école maternelle, d'ailleurs sacrifiée (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), suppression de nouvelles pratiques pédagogiques comme les TPE en terminale, silence sur le premier cycle du supérieur. Ce texte est bien étriqué... Alors qu'il aurait fallu jeter les bases d'un projet global avec les parents, les associations, et les élus, vous enfermez l'école sur elle-même, vous rejetez la responsabilité de l'échec scolaire sur les familles et surtout sur les enseignants. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Enfin, c'est un projet sans moyens. Vous avez bien annoncé, en dernière minute, deux milliards de « programmation ». Mais où les prendrez-vous, alors que le budget de l'enseignement scolaire pour 2005 régresse, qu'on apprend les fermetures de classes, les suppressions de postes et remises en cause de filières, et que, quelques jours après le débat, vous gelez 432 millions de crédits budgétaires ? Votre programmation reste virtuelle. Sans doute est-ce pour masquer cette supercherie que vous avez demandé l'urgence alors que le débat était largement entamé. Vous trouverez une majorité pour voter votre texte. Mais vous avez ouvert une grave crise de confiance dans le monde de l'école et la jeunesse ne vous croit plus. Vous avez manqué le rendez-vous que, après l'adoption de la loi de 1989, la nation avait avec son école. D'autres auront à rétablir la confiance et c'est pour préparer cet avenir que le groupe socialiste votera contre votre projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Yvan Lachaud - Pour construire l'école des 15 années à venir, il fallait un texte ambitieux qui réponde aux difficultés et donne une mission aux enseignants, afin de former nos enfants et de préparer leur insertion professionnelle et sociale. Votre projet répond en partie à ces objectifs, mais pas à toutes nos attentes. Certes il comporte des avancées, dont je vous félicite. Il définit un socle commun de connaissances. Mais il y manque la pratique sportive, un enseignement culturel et artistique, une culture historique. Nous vous avions proposé 14 mesures pour améliorer l'école. Vous nous avez écoutés sur la définition des missions des enseignants et sur leur formation, sur l'alternance entre enseignement théorique et présence dans les classes, ainsi que sur le nombre des infirmières et médecins scolaires dans les établissements. Mais pour le reste, il n'y a pas d'accès garanti aux enseignements optionnels dans l'enseignement général ni aux différentes filières de l'enseignement professionnel ; rien sur le recentrage du dispositif ZEP sur les établissements les plus en difficulté, aucun engagement de préserver les écoles rurales et les écoles à classe unique ou à deux classes ; rien non plus pour accompagner la croissance des effectifs dans les établissements privés sous contrat ; pas assez d'éléments pour valoriser l'enseignement professionnel et technologique, et rien sur les postes et la reconnaissance de l'immersion pour favoriser l'enseignement des langues régionales. Nous n'avons pas non plus la garantie que sera élaboré un statut des directeurs d'école - le mot ne figure pas dans l'amendement voté à ce sujet - avec un nouveau système de décharge. Enfin, nous n'avons pas obtenu la validation des formations dispensées dans les classes préparatoires aux grandes écoles et de BTS dans le cadre de la réforme « licence-mastère-doctorat ». Il aurait fallu aussi ouvrir plusieurs chantiers, s'agissant par exemple d'une seconde carrière pour les enseignants ou des modalités de l'évaluation pédagogique. Il fallait adapter le système éducatif à des jeunes fragiles, et surtout résoudre vraiment les problèmes du collège, en multipliant les passerelles et en proposant des voies différentes pour ceux dont leur situation d'échec fait des délinquants potentiels. En déposant une trentaine d'amendements, nous avons adopté une attitude constructive et joué le jeu loyalement. Parce que, la procédure d'urgence nous empêchera de débattre de nouveau et que nous avons l'impression de ne pas avoir été entendus, le groupe UDF s'abstiendra. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) M. François Liberti - Nous voici au terme de l'examen d'un projet de loi qui devait fixer les objectifs de scolarisation de la nation dans les prochaines années. Ce texte bâclé et dogmatique, que nous vous avons instamment demandé de retirer, rejeté par tous les acteurs de l'école et en premier lieu par les élèves, qui manifestaient encore hier, est contesté jusque dans vos rangs et avait été amputé avant même sa discussion. Fruit d'une pseudo-concertation démocratique, il est surtout le résultat du martèlement idéologique de votre prédécesseur, qui affirmait, dans un ouvrage destiné aux enseignants, que l'école était malade. Ce n'est pas tout : l'accélération des débats constitue un déni de démocratie. Non content de recourir à la procédure d'urgence, annoncée en séance, le Gouvernement a décidé d'inscrire ce texte à l'ordre du jour du Sénat le 15 mars. Les conditions de la discussion, dans la nuit du vendredi 18 février, ont escamoté le débat, après que le terrain eut été occupé de manière caricaturale par le rapport annexé à l'article 8, qui n'a aucune valeur juridique et dont les engagements ne sont que poudre aux yeux. Certes, vous avez renoncé au contrôle continu pour le baccalauréat, le contrat individuel de réussite éducative est devenu programme personnalisé de réussite scolaire, le socle de connaissances n'est plus aussi minimaliste. Mais ces quelques concessions ne changent rien à l'idéologie rétrograde et au contexte financer dans lequel s'inscrit votre texte. Quant aux éléments de programmation virtuels que vous avez introduits sous la pression, ils ne font l'objet d'aucune imputation budgétaire, et la prochaine rentrée verra immanquablement la suppression de milliers de postes. Fermetures de classes dans l'enseignement primaire, sélection au collège, qui n'a plus d'unique que le nom, suppression d'options dans les lycées généraux et de filières dans les lycées professionnels, remise en cause des dédoublements et suppressions des TPE : voilà de quoi justifier la colère et l'inquiétude de la communauté éducative et des élèves. L'école de demain sera-t-elle encore l'école de la réussite pour tous ? Votre seul objectif est de l'adapter aux exigences du marché. Nous avons, quant à nous, défendu un vrai projet novateur pour l'école. Vous avez préféré servir les projets d'une technocratie libérale européenne déshumanisée au mépris de l'épanouissement humain. Non seulement ce texte bafoue le travail parlementaire et le dialogue social, mais il consacre une régression sans précédent pour notre école et sacrifie l'avenir de générations entières. C'est donc sans hésitation que nous voterons contre. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) M. Guy Geoffroy - Nous voici au terme d'un débat qui fut riche, nourri et utile et qui offre à notre pays un véritable projet d'avenir pour l'école. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Notre école dispose aujourd'hui d'un formidable potentiel. C'est pour cela que nous avons dû nous interroger sur son incapacité à progresser, sur son incapacité à faire réussir, et ce n'est pas le moindre des mérites de ce projet que de s'attaquer courageusement à ces questions. Vous y abordez, Monsieur le ministre, la question centrale du socle commun des connaissances et compétences indispensables, grâce auquel il n'y aura plus, demain, d'enfants au bord du chemin (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) et grâce auquel ceux qui ont la possibilité et la volonté d'aller plus loin pourront le faire mieux qu'aujourd'hui. Tous les enfants de notre pays seront ainsi assurés d'un suivi et d'une prise en charge personnalisée, qui permettra de détecter très tôt les difficultés et d'empêcher que s'accumulent année après année les handicaps qui conduisent aujourd'hui à ce que, dans une nation moderne comme la nôtre, 150 000 enfants quittent chaque année le système scolaire sans capacité d'insertion sociale et économique. Ce projet, le groupe UMP a eut la fierté de l'accompagner par sa présence jusqu'au dernier instant de son examen. Cette fierté nous conduira tout naturellement à l'adopter, avec le sentiment que nous faisons du bon travail pour la France. Nous sommes d'autant plus fiers que vous avez fait la preuve tout au long du débat, Monsieur le ministre, de votre ouverture aux propositions... Mme Martine David - Non ! M. Guy Geoffroy - ... que notre groupe a formulées pour que, demain, tous les enfants de notre pays réussissent mieux. Nous associons à nos remerciements la commission, son président, et son rapporteur Frédéric Reiss (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP), qui a fait un vrai travail de synthèse et de proposition. Le texte qui en résulte, nourri par de nombreux amendements, devient grâce à la commission et à votre accord non plus seulement une loi d'orientation, mais aussi une loi de programmation. Cette loi est celle attendue par les Français pour la réussite de chacun de leurs enfants. Le groupe UMP est à vos côtés et partage votre fierté de cet excellent travail pour l'avenir de notre pays. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP) A la majorité de 346 voix contre 178 sur 546 votants et 524 suffrages exprimés, l'ensemble du projet de loi d'orientation, mis aux voix, est adopté. M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche - Malgré les crispations qui entourent toute réforme de l'éducation nationale, la majorité s'est faite une fois encore l'interprète du changement. Nul ne doit s'y tromper, l'engagement de l'Assemblée nationale est porteur de sens. Par votre vote, la nation vient de rappeler avec force que l'avenir de l'école n'appartient à nul autre qu'à elle-même, et que l'école doit incarner des valeurs, celles de la République, du respect mutuel, de l'effort et de l'égalité des chances. Par votre vote, la nation souligne avec force que l'école doit préparer notre jeunesse aux enjeux de son temps - le plan en faveur de l'apprentissage des langues étrangères symbolise cette stratégie d'adaptation aux défis contemporains. Elle se prononce du même élan en faveur d'une modernisation de l'éducation nationale. La réorganisation des IUFM, la mise en place d'un conseil pédagogique dans chaque établissement, le remplacement des enseignants absents (« Très bien ! » et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe UMP), optimiseront le fonctionnement de l'éducation nationale. Par votre vote, la nation s'est dotée d'une programmation de moyens pour les cinq prochaines années. Pour la première fois de son histoire, la communauté éducative sait où et comment les deux milliards d'euros prévus pour accompagner la réforme seront affectés, comme elle sait que le recrutement de 150 000 enseignants est garanti. M. André Chassaigne - Et combien de départs à la retraite ? M. le Ministre - La nation a enfin donné un contenu à un objectif central, celui de la justice devant la réussite scolaire. En définissant un socle commun de connaissances et de compétences fondamentales, que 100 % des élèves devront acquérir grâce à l'appui d'une pédagogie personnalisée pour ceux qui « décrochent », la majorité vient de mettre un terme à l'égalité de façade derrière laquelle l'avenir scolaire de centaines de milliers de jeunes se brise chaque année (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Une éducation sans priorités claires est une éducation dont l'essentiel échappe aux enfants qui n'ont pas la chance d'être nés là où il faut. Ce socle commun est l'instrument du combat que nous engageons pour les 150 000 jeunes qui sortent chaque année du système scolaire sans qualification et pour les 80 000 qui entrent en sixième sans savoir ni lire, ni écrire, ni compter. Il sera notre tremplin pour atteindre l'objectif des 80 % de bacheliers et des 50 % de diplômés de l'enseignement supérieur dont la France a besoin pour tenir son rang économique et culturel. Ce débat a été constructif et serein. J'en remercie votre rapporteur, le président de la commission, ainsi que le groupe UMP et son porte-parole, Guy Geffroy, qui ont joué un rôle décisif. Beaucoup d'amendements ont été adoptés, parmi lesquels certains de l'opposition. Je remercie l'UDF, qui a voté chaque article de ce projet, d'avoir contribué à l'enrichir, même si je ne suis pas sûr de comprendre son vote final (Quelques exclamations et rires sur les bancs du groupe UMP). L'intervention de qualité du président Ayrault n'a malheureusement pas inspiré la teneur des objections souvent contradictoires et conformistes opposées à notre projet. A trop flatter le statu quo, on en vient à ignorer ses défauts et à s'accommoder de ses échecs (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Comme le Président de la République et le Premier ministre, j'ai refusé de m'en accommoder ; l'UMP a refusé de s'en arranger. Voilà pourquoi, ensemble, nous réformons l'Ecole de la République. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP) La séance, suspendue à 16 h 45, est reprise à 16 h 50, sous la présidence de M. Baroin. PRÉSIDENCE de M. François BAROIN vice-président L'ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d'urgence, du projet de loi de sauvegarde des entreprises. M. le Président - Hier soir, le vote sur la question préalable a été reporté en application de l'article 61, alinéa 3, du Règlement. Sur la question préalable, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public. M. Arnaud Montebourg - Je voudrais faire un rappel au Règlement. Hier soir, si le président Ayrault a dû venir si tard... (Protestations sur les bancs du groupe UMP) M. le Président - Tout est relatif ! M. Arnaud Montebourg - ...c'est à cause de la conjonction de plusieurs faits quelque peu curieux. D'abord, l'urgence avait été déclarée dans l'après-midi, alors que ce projet est inscrit à l'ordre du jour depuis mai 2004. Cela n'est pas sain. Il s'agit d'un texte difficile, et le Sénat et l'Assemblée auront certainement besoin de débattre plusieurs fois de ses 500 amendements, d'autant que la moitié ont été examinés à la va-vite au titre de l'article 88. Le rapporteur a d'ailleurs déposé un certain nombre d'amendements au titre du même article, modifiant le texte et les amendements issus de la commission. Les parlementaires voient ainsi leur droit d'amendement, alors que les nombreuses initiatives du rapporteur ont conduit à réécrire des morceaux importants du texte, ceux qui font débat dans l'opposition, comme dans la majorité. Nous sommes extrêmement surpris du recours à une méthode qui permet de faire tomber des amendements déjà examinés en commission et nous réduit au seul droit de sous-amendement. Hier, enfin, un débat surnaturel a eu lieu à l'initiative du président de la commission, d'où il ressortait qu'il était « délirant » d'utiliser le mot de « super-privilège » s'agissant des banques. (Interruptions sur les bancs du groupe UMP). M. le Président - Laissez M. Montebourg terminer brièvement. M. Arnaud Montebourg - J'ai là un certain nombre d'amendements présentés par mes honorables collègues de la majorité, et le rapport qui en fait état. Je ne voudrais pas que le débat démarre sur d'autres bases. Nous avons besoin de nous respecter intellectuellement. Nous avons des divergences mais aussi, sur un tel sujet, des points de convergence, et le rapport de la commission des finances exprime d'ailleurs, quant à la position acquise par les banques, des opinions proches des nôtres. Je demande donc au président et au rapporteur de la commission des lois de nous aider à participer à ce débat de la façon la plus constructive possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Xavier de Roux, rapporteur de la commission des lois - Nous sommes en train de débattre d'un texte sérieux, pas de faire de la propagande ! Le rapport de la commission des lois donne toutes réponses, à la page 72, à ce que vous avez dit sur les super-privilèges. N'inventez pas de problèmes dans le seul but de polémiquer ! Cela ne sert qu'à obscurcir le débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. le Président - Nous allons procéder au scrutin public sur la question préalable. A la majorité de 234 voix contre 41 sur 277 votants et 275 suffrages exprimés, la question préalable n'est pas adoptée. Mme Anne-Marie Comparini - Contrairement à d'autres disciplines, le droit des entreprises en difficulté a été peu modifié, mis à part les lois de 1984 et 1985 et de 1994. C'est paradoxal, à l'heure où un renouvellement de notre tissu industriel est nécessaire et alors que l'économie de la dernière décennie a été marquée par une instabilité conjoncturelle. Il était donc temps de disposer d'un instrument législatif permettant de sauvegarder les entreprises lorsqu'elles sont affaiblies, en améliorant la détection en amont des difficultés, en dédramatisant le recours aux procédures collectives et en mobilisant l'ensemble des acteurs pour sauver l'emploi. L'entreprise en difficulté présente des risques pour tous : son chef, mais aussi les salariés, les prêteurs, les fournisseurs et les créanciers. Le projet de loi est donc bienvenu mais il n'est pas d'une totale clarté sur certains points et des contradictions y apparaissent. Rien n'est par exemple prévu pour garantir au chef d'entreprise la confidentialité sans laquelle il risque d'hésiter à engager les procédures prévues. Il faut s'inspirer à cet égard de ce qui existe dans le cadre du mandat ad hoc. Vous avez d'autre part, Monsieur le ministre, supprimé la cession dans le règlement judiciaire, alors que tous les acteurs du traitement des entreprises en difficulté nous disent que les seules cessions qui fonctionnent sont celles qui existent en redressement. Il faut la réintégrer. Troisième point qui parait contradictoire avec l'objectif recherché : les sanctions prévues à l'encontre du chef d'entreprise. Comment peut-on l'inciter à initier une procédure de sauvegarde si elles ne sont pas allégées ? La commission des lois a donc adopté un amendement tendant à ce que la procédure de sauvegarde initiée à la demande du chef d'entreprise ne puisse pas entraîner de faillite personnelle ou d'interdiction de gérer. C'est important si l'on veut permettre à des chefs d'entreprise de rebondir. A l'heure des délocalisations, ne donnons pas à ceux qui pourraient être tentés de s'expatrier un motif supplémentaire de le faire. Le chantier auquel s'attaque ce projet doit donner lieu à une loi claire. Le travail de la commission des lois, qui a adopté un dispositif plus simple, contribue à cette clarté. J'espère qu'il sera retenu et que les travaux d'aujourd'hui nous donneront aussi l'occasion de mieux distinguer les procédures et de bien clarifier les rôles des professionnels qui en seront les maîtres d'œuvre. Mandataire, administrateur, liquidateur chacun a une mission propre. Ce chantier doit aussi donner lieu à une loi qui prenne en compte les développements récents du droit européen des entreprises. Les jurisprudences européennes ont en effet donné une interprétation extensive du règlement du 29 mai 2000 relatif aux procédures d'insolvabilité. C'est l'intérêt de la France de ménager les filiales françaises de groupes européens face aux Anglais, qui ont déjà une certaine prééminence en matière de services financiers et qui pourraient chercher à être plus attractifs en matière de droit des entreprises. Il nous faut enfin une loi qui ne néglige pas la situation des salariés dans la procédure de sauvegarde. Or, le projet ne dit rien du régime des licenciements. Seront-ils soumis au droit commun, ou seront-ils régis, comme dans les cas du redressement, par une procédure « accélérée » ? La différence est notable. La nouvelle procédure de sauvegarde ne doit pas être l'occasion de déréguler le droit du travail... M. Arnaud Montebourg - Très bien ! Mme Anne-Marie Comparini - L'UDF votera contre toute procédure accélérée telle que celle proposée dans l'amendement de la commission des lois. Sortons de l'antagonisme entre le chef d'entreprise et les salariés, pour trouver un équilibre qui respecte les droits de chacun. Après tout, les salariés ont autant d'intérêt que le chef d'entreprise à voir perdurer l'activité de leur société. Je crois, Monsieur le ministre, que la recherche d'un juste équilibre capable de redonner confiance aux professionnels, aux salariés et aux chefs d'entreprise s'accorde à l'esprit du projet de loi que vous présentez. M. Emile Blessig - Très bien. M. Michel Vaxès - En mars 2004, dans l'exposé des motifs du projet de loi habilitant le Gouvernement à simplifier le droit, nous lisions que « la complexité croissante de notre droit était devenue une source majeure de fragilité pour notre société et notre économie ». que « cette obscurité en elle-même regrettable dans un Etat de droit pouvait en outre constituer un obstacle à l'éventuelle implantation sur notre territoire d'investisseurs étrangers » et que, par conséquent, le Gouvernement et le Parlement s'étaient « résolument engagés sur la voie de la simplification du droit ». Quelle sagesse ! Mais à la lecture du présent projet, particulièrement complexe, on se dit que l'on est encore assez loin du compte ! Le droit des entreprises en difficulté mériterait pourtant une particulière clarté. Il semble d'autre part que de façon un peu simpliste, voire faussement naïve, le Gouvernement mette sur le compte des insuffisances de la législation actuelle les 45 000 défaillances annuelles des entreprises françaises, qui aboutissent dans 90 % des cas à des liquidations judiciaires. Il est vrai que beaucoup de chefs d'entreprise connaissent mal les possibilités légales de traitement des difficultés financières, et qu'ils réagissent donc souvent trop tard, surtout s'ils ne sont pas assistés de services juridiques. Avec ce projet dont la présentation obscure rend la lecture et la compréhension particulièrement difficiles, les avocats d'affaires ont de beaux jours devant eux ! Mais si nos entreprises ont des difficultés, c'est surtout en raison du fonctionnement du capitalisme financier, qui voit les grands groupes conduire, dans l'intérêt exclusif des fonds d'investissements et des gros actionnaires, une politique de restructurations brutales, affectant régulièrement leurs filiales et leurs sous-traitants. Combien de PME sont mises en difficultés par la seule volonté d'une multinationale qui fait pression sur les prix et sur l'emploi ! Toute réforme ne prenant pas en compte cette donnée primordiale est vaine. Mais ce n'est pas votre seul oubli. Cette loi ne prend pas non plus en compte l'évolution du financement des entreprises. Celles-ci sont de moins en moins propriétaires de leurs actifs, ou elles en donnent la majorité en garantie aux créanciers. Autre oubliée : la réforme des tribunaux de commerce, pourtant souhaitée depuis 1985. Nous ne pouvons pas envisager sérieusement de réformer le domaine qui nous occupe aujourd'hui sans opérer dans le même temps une réforme des tribunaux de commerce compétents pour connaître la plupart des procédures collectives. Celles-ci ne sont plus l'affaire des seuls créanciers commerçants. Elles intéressent bien d'autres acteurs, au rang desquels les salariés, le Trésor public, la sécurité sociale et, de plus en plus, la collectivité publique. Du reste, les tribunaux de commerce ont des pouvoirs si étendus qu'il était d'ores et déjà incongru que l'on laisse la procédure se dérouler devant une juridiction consulaire composée uniquement de commerçants élus par leurs pairs, futurs débiteurs en difficulté, concurrents ou partenaires. C'est d'ailleurs pourquoi il avait été envisagé, dès cette époque, des formes d'échevinage ou de mixage pour associer magistrats professionnels et magistrats élus, et pourquoi nous avions proposé, lors de la commission d'enquête sur l'activité et le fonctionnement des tribunaux de commerce de 1998, qu'un magistrat professionnel soit assisté de deux assesseurs, dont l'un serait élu parmi les commerçants et l'autre parmi les salariés. Le 12 mai 2004, Monsieur le ministre, dans votre présentation du présent projet à la presse, vous avez placé la sauvegarde de l'emploi au cœur de votre démarche. Mais la lecture de l'exposé des motifs révèle des motivations bien différentes et l'objectif de sauvegarde de l'emploi n'y apparaît même pas. « Le droit des entreprises en difficulté est désormais inadapté à notre économie. Il se traduisait par un considérable amoindrissement des droits des créanciers, au profit de la recherche à tout prix du sauvetage de la plus grande part des entreprises en difficulté, et par une attention insuffisante portée aux objectifs et au déroulement de la liquidation judiciaire ». Il ne s'agit pas en réalité de sauvegarder les emplois, mais surtout « de ne pas porter d'atteintes excessives aux créanciers » ! Alors que la législation actuelle a pour objectifs essentiels le redressement de l'entreprise et la sauvegarde des emplois, tout en assurant le paiement des créanciers de façon aussi égalitaire que possible, votre réforme inverse cette logique. Il s'agit désormais de redresser l'entreprise et d'assurer le paiement des créanciers, la sauvegarde de l'emploi n'étant plus qu'un objectif secondaire. Et parmi ces créanciers, vous avez choisi de porter votre bienveillance non pas sur les créanciers chirographaires, ceux privés de tout privilège, mais sur les banques et les établissements financiers. M. Arnaud Montebourg - Excellent ! M. Michel Vaxès - Vous en faites des créanciers doublement privilégiés, par les sûretés qui garantissent leurs avances, et par le dispositif des articles 8 et 34, qui prévoient le paiement privilégié de leurs crédits ou avances. Vous les exonérez ainsi de tout risque, alors que c'est le risque qui justifie leur rémunération. Les dindons de la farce resteront la collectivité publique et les petits créanciers, décrits par le professeur Gavalda comme « de misérables fantassins par rapport aux blindés représentés par les créanciers munis de sûretés ». Personne ne peut craindre pourtant une faillite des banques, au vu de leurs bénéfices faramineux - 4,7 milliards pour BNP Paribas, 3 pour la Société générale, le Crédit agricole et le Crédit lyonnais... On demande aux créanciers publics de faire des sacrifices sur l'autel de la finance, l'intérêt des créanciers privés prime sur tous les autres. Les salariés, premiers intéressés au redressement de leur entreprise, ne sont pas considérés comme des acteurs à part entière des procédures. On ne peut pourtant limiter leur concours à jouer le rôle de fusible ! La clef du redressement est aussi entre leurs mains, du fait de leur expérience de l'entreprise. Il faudrait leur ouvrir la faculté de demander le bénéfice de l'une ou l'autre des procédures de conciliation ou de sauvegarde, au lieu de laisser ce choix au seul chef d'entreprise, ce qui est source d'insécurité pour les créanciers : comme le souligne fort justement un professeur de droit des affaires, « ils ne seront pas à l'abri d'un débiteur malhonnête qui, pour échapper à ses obligations, aura la faculté de se placer sous la protection de la justice alors qu'il n'est pas objectivement proche de la cessation des paiements ». Dans la procédure de redressement judicaire, il en est de même : les salariés ne disposent pas d'un droit de saisine directe et sont cantonnés au rôle peu glorieux de délateur, en ayant pour seule possibilité de « communiquer tout fait révélant la cessation de paiement du débiteur ». Pourtant, les salaires impayés ne seront pris en charge par l'assurance garantie des salaires que si le redressement judicaire a été prononcé. Nos amendements s'attachent à faire des salariés des acteurs à part entière du redressement. S'agissant de l'AGS, au sujet de laquelle le Medef profère des menaces, nous avons nous aussi bien des raisons de nous emporter et de crier au scandale ! Ce système d'assurance obligatoire est en principe alimenté par les cotisations des employeurs, mais trop nombreux sont ceux qui ignorent délibérément cette obligation. Fort heureusement, les salariés ont droit à la garantie, même si les cotisations n'ont pas été versées par l'employeur. Mais nous ne pouvons nous contenter de cela, et avons donc déposé un amendement pour rendre effectif le versement de la cotisation. Il n'est pas juste que l'absence de recours contentieux de l'AGS contre les mauvais payeurs conduise à augmenter les cotisations des bons payeurs. Vous prétendez que l'objet de ce texte est de sauvegarder les emplois, mais il ne prend nullement en compte les conséquences de la disparition d'une entreprise en matière de chômage, de dégradation de l'environnement économique d'une région, voire de recours obligé à l'importation. Vous avez décidé d'abandonner les victimes de la guerre économique. L'amendement du rapporteur permettant à un chef d'entreprise qui déclenche la procédure de sauvegarde de recourir au régime des licenciements économiques en est la plus parfaite illustration. M. de Roux a d'ailleurs déclaré dans un élan de sincérité confondant : « Quelle pourra être l'efficacité réelle de la politique de sauvegarde, si elle est privée du levier essentiel consistant à adapter rapidement le niveau de l'emploi à l'activité réelle ? ». N'est-ce pas là donner un blanc-seing à tous les chefs d'entreprises qui utilisent malhonnêtement les procédures pour supprimer des emplois en bénéficiant d'un régime dérogatoire? Votre vision n'est pas la nôtre. Pour vous, lorsqu'une entreprise connaît des difficultés, il faut sauvegarder à tout prix les intérêts des gros créanciers, au détriment des autres. Nous nous soucions pour notre part de l'intérêt des salariés, de la collectivité publique et de l'emploi. C'est pourquoi nous ne pourrons voter ce texte, malgré son ambition louable de traiter plus précocement les difficultés des entreprises. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste). M. Philippe Houillon - Après les interventions talentueuses entendues hier - je veux parler de celles du président de la commission des lois et de nos rapporteurs, d'autres n'ayant au mieux pour virtuosité que l'approximation coupable, je n'ai pas grand-chose à ajouter. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Si ce n'est, Monsieur le Garde des Sceaux, ceci : votre texte est intelligent. M. Pascal Clément, président de la commission des lois - Ce n'est pas rien ! M. Philippe Houillon - En effet. Il est intelligent car il part d'un diagnostic exact, d'ailleurs déjà formulé dans le passé, mais dont on n'avait jamais tiré toutes les conséquences, alors que vous le faites. Notre pays détient un triste record : neuf entreprises en difficulté sur dix finissent en liquidation, avec tous les drames que cela suppose pour les salariés, qui perdent leur emploi, pour les créanciers, notamment les créanciers chirographaires qui subissent l'effet domino, pour les dirigeants, notamment ceux des petites et moyennes structures qui, souvent cautions personnelles de leur entreprise perdent le bénéfice d'années de travail. Pourquoi cette situation ? Certes parce que les entreprises françaises sont sous- capitalisées, mais surtout parce que les difficultés sont traitées trop tard. D'ailleurs, jusqu'à présent le bénéfice des procédures collectives n'est ouvert qu'aux entreprises qui sont déjà en état de cessation de paiement. Nous sommes donc dans une logique d'échec avéré, qui impose d'être moribond avant d'être soigné - même si la construction prétorienne du mandat ad hoc, que vous officialisez, a constitué une ouverture significative. Même si des progrès importants ont été réalisés depuis 1967, nous sommes toujours un peu dans une logique de sanction, moins facilement acceptable que la logique de prévention qui permet de traiter les difficultés pendant qu'il est encore temps et d'une certaine manière de rendre la démarche naturelle, de la banaliser. Ce projet permet de revaloriser la fonction de chef d'entreprise. Il diversifie les solutions non judiciaires par la création de la procédure de conciliation et l'affirmation du mandat ad hoc, qui devient une procédure autonome. C'est une grande avancée moderne qui, en déplaçant le curseur, change la philosophie de la démarche. Une difficulté simplement prévisible, en dehors de tout état de cessation de paiement, permettra l'ouverture du traitement avec le mandat ad hoc, la conciliation et la procédure de sauvegarde, autant de réponses adaptées à des situations diverses. La création de la procédure de sauvegarde est le fer de lance de cette réforme. Cette procédure, conçue comme un redressement judiciaire préventif, permet, si des difficultés sont prévisibles, de prendre des mesures avant même que la trésorerie ne soit affectée. Ce mécanisme permet la cessation des poursuites, et facilite, sur la base d'une saisine volontaire par le dirigeant, la négociation avec les créanciers de l'entreprise, dans un délai en principe assez bref. Tout en ayant un caractère judiciaire, elle apparaît comme un instrument au service d'une logique de continuation de l'activité de l'entreprise et d'un traitement de ses difficultés par une voie contractuelle. Le projet amendé par la commission des lois traite aussi des craintes et des peurs qui constituaient un frein psychologique à la démarche : la confidentialité et la caution personnelle. Vous permettez même la négociation partielle des créances des créanciers publics, ce qui constitue une petite révolution. Vous comblez aussi un vide juridique en permettant aux professionnels libéraux d'avoir accès aux procédures collectives. Cette intégration était vivement souhaitée car ces professionnels ne bénéficiaient d'aucune possibilité de sauvetage, étant d'autre part exclus des procédures de surendettement et de rétablissement personnel. Des amendements rétablissent la possibilité d'effectuer des cessions dans le cadre d'un plan de redressement, et étendent cette possibilité au plan de sauvegarde. En effet, il aurait été dommage de limiter les plans de cessions à la procédure de liquidation judiciaire, dans la mesure où jusqu'à présent, ils ont permis d'assurer, dans le cadre du redressement judiciaire, la pérennité de nombre d'entreprises, et ainsi de sauver beaucoup d'emplois. Pour être au cœur des procédures collectives, la notion d'état de cessation des paiements n'est pas toujours rassurante. La « capacité de faire face au passif exigible avec l'actif disponible » est une définition par trop fictive. La cessation des paiements n'est pas une notion comptable non plus qu'une date : elle résulte le plus souvent d'une évolution de l'entreprise. Compte tenu de ses conséquences en ce qui concerne la responsabilité des dirigeants et les sanctions pouvant être prononcées à leur encontre, il aurait été sans doute nécessaire de déterminer des critères juridiquement vérifiables, comme le préconisait le rapport annuel de la Cour de cassation pour 2002. Nous pourrions peut-être, en l'occurrence, réfléchir à la notion déjà connue de « situation irrémédiablement compromise ». J'ai entendu hier soir un certain nombre de critiques, et tout d'abord concernant les tribunaux de commerce. Certains prétendent qu'ils tiennent des « audiences sauvages sans convocation ». Qu'est-ce que cela signifie ? M. Arnaud Montebourg - Demandez-le à l'avocat qui en fait état. M. Philippe Houillon - Les tribunaux de commerce jugeraient donc d'une façon non contradictoire, sans convoquer les différentes parties ? M. Arnaud Montebourg - Cela arrive. M. Philippe Houillon - Il faut tout de même raison garder. M. Arnaud Montebourg - Il faut surtout savoir que tout est possible. M. Philippe Houillon - La conférence générale des tribunaux de commerce s'était naguère montrée favorable à une réforme qui n'a été empêchée que par des pratiques moyenâgeuses faites de terreur, de vexation et d'invectives. La médiatisation a clairement satisfait des intérêts particuliers... M. le Président de la commission des lois - C'est exact. M. Philippe Houillon - ...au détriment de l'intérêt général. M. le Président de la commission des lois - Absolument. M. Philippe Houillon - Mais entre ces deux types d'intérêt, lequel recherchait-on vraiment ? M. le Rapporteur - Très bien ! M. Philippe Houillon - J'ai également entendu des critiques sur le « super privilège des banques » et du new money qui effacerait celui des salariés. Sur ce thème, M. Montebourg me fait penser à une poule qui aurait découvert un œuf. Le privilège du new money date de 20 ans, et n'est jamais que l'article 40 « relooké » de la loi Badinter. La troisième critique porte sur l'instauration, dans la procédure de sauvegarde, d'un régime particulier de licenciement économique. M. le Garde des Sceaux s'est prononcé contre l'amendement adopté à ce sujet par la commission, mais la question est complexe : la sauvegarde a pour objet la réorganisation de l'entreprise, laquelle peut nécessiter un ajustement rapide de la masse salariale pour assurer précisément sa pérennité ainsi que le maintien des autres emplois. En même temps, un tel dispositif suscite légitimement une inquiétude que la procédure soit dévoyée pour échapper au droit commun, ce qui est évidemment inacceptable. Mais il ne faudrait pas non plus que, faute de cet outil, les entreprises choisissent le redressement judiciaire plutôt que la sauvegarde. M. le Président de la commission des lois - Très bonne démonstration. M. Philippe Houillon - C'est une question importante qui mérite d'être travaillée. Peut-être un régime dérogatoire sur les seuls délais, et dans la seule hypothèse d'un accord exprès des instances représentatives du personnel, peut-il constituer une piste de réflexion. Parce qu'il est intelligent, novateur et courageux, le groupe UMP soutiendra ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Mme Marylise Lebranchu - Non seulement l'image choisie par M. Houillon pour évoquer les tribunaux de commerce me semble irrespectueuse mais un parlementaire, en outre, aurait à lui seul empêché le Parlement de légiférer ? J'espère qu'il s'agissait d'une plaisanterie. M. le Garde des Sceaux prétend, dans un article, que ses prédécesseurs ont été « irresponsables » de ne pas avoir réformé les lois Badinter. M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice - Je n'ai pas dit cela, mais qu'il était irresponsable de ne pas le faire. Il y a tout de même une nuance. Mme Marylise Lebranchu - En tant que Garde des Sceaux et aussi comme secrétaire d'Etat au commerce et à l'artisanat, j'ai beaucoup travaillé avec les responsables des PME et des TPE. J'ai constaté combien ils éprouvaient de difficultés pour engager une procédure auprès des tribunaux de commerce. La lenteur de cette justice, son organisation, ses décisions parfois m'avaient alors conduite à penser qu'il importait de la réformer, et c'est précisément par là que vous auriez dû commencer. Non seulement les TPE n'ont pas de conseil juridique, mais lorsqu'elles s'engagent dans une telle démarche, la confidentialité n'est jamais absolue et alors, tout s'enchaîne : les fournisseurs n'ont plus confiance, les sous-traitants s'inquiètent et la situation empire au lieu de s'améliorer. Je ne crois pas que la simple relecture de la carte des tribunaux de commerce suffira à rétablir la confiance. Nombre de juges consulaires considéraient comme nous que l'échevinage était une bonne solution. En outre, je ne suis pas persuadée qu'en cas de difficulté passagère, les chefs de petites ou de très petites entreprises se rendront au tribunal de commerce pour demander une procédure de sauvegarde - je note à ce propos, sur un plan formel, que le mot de « sauvegarde » a été déjà utilisé par certains patrons pour demander des licenciements accélérés et qu'il est donc particulièrement maladroit. La première démarche aurait pu être différente : la CGPME, par exemple, évoque une réunion du CODEFI, ce qui me semble une piste très intéressante. D'autre part, je ne peux comprendre le privilège que le texte accorde aux banques. M. le Président de la commission des lois - C'est faux ! Vous répétez les propos de M. Montebourg, qui sont erronés. Mme Marylise Lebranchu - J'ai lu le texte... M. le Président de la commission des lois - Vous aggravez votre cas ! Mme Marylise Lebranchu - Peut-être n'ai-je pas votre intelligence, mais croyez bien que je le regrette (Sourires). Les banques, à la différence des autres créanciers, font payer le risque qu'elles prennent lors de la création de l'entreprise puis de son développement et elles se réassurent même sur leurs propres créances. La perte bancaire annuelle de 14 millions sur ce type d'opérations est minime par rapport au paiement de la prise de risque à travers les taux d'intérêt, les garanties et les cautions. Les deux amendements importants qui visent à encadrer les taux d'intérêt méritent d'être étudiés de près, et peut-être pourrons-nous les voter, car cette distorsion est choquante. Il est en outre étonnant que le chef d'entreprise soit seul pour prendre sa décision, puisqu'il n'est nullement question de consulter les salariés ou le conseil d'administration. Et il est encore bien seul dans la procédure que vous l'invitez, à juste titre, à suivre en essayant de trouver des solutions avant que l'entreprise ne soit en cessation de paiement. Il est seul devant le conciliateur, il ne peut pas être reçu par le président du tribunal, il ne peut pas demander à changer d'interlocuteur en cas de rupture de confiance... Bref, il est livré à lui-même, totalement isolé face à la machine judiciaire. Je dirai un mot enfin des salariés. Ils ne sont pas irresponsables, ce ne sont pas eux qui empêchent de redresser les entreprises. Au contraire, il y a tout à gagner à les écouter davantage. Combien d'entreprises auraient pu être sauvées s'ils avaient été entendus lorsqu'il en était encore temps ! Ainsi dans ma circonscription, 250 emplois ont disparu parce que personne n'a voulu entendre les salariés qui demandaient pourtant d'urgence un tour de table et étaient d'ailleurs prêts à accepter des licenciements pour sauver l'entreprise. Qu'on le veuille ou non, il faudra bien replacer les salariés au cœur de la procédure de sauvegarde. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) M. Stéphane Demilly - Trop de procédures de redressement aboutissent à une liquidation, faute d'anticipation suffisante des difficultés de l'entreprise. Préconiser de ne pas attendre la cessation de paiement pour engager une procédure est donc de bon sens, et à cet égard, nous ne pouvons qu'approuver l'esprit du projet de loi. Dans ma circonscription, à Péronne, dans la Somme, l'entreprise Flodor vient d'être mise en liquidation, après une longue mise à mort préméditée. Une procédure de sauvegarde aurait sans doute permis de mieux protéger ses salariés - aux côtés desquels je me trouvais encore hier à l'occasion d'une grande manifestation de soutien. Permettez-moi de m'étendre sur ce cas certes local, mais emblématique. Après un énième plan social en 2002, dans cet établissement du groupe italien Unichips, après le démontage, à l'insu des salariés, d'une chaîne de production en août 2003, au terme d'une valse incessante des PDG sans qu'aucun investissement ou presque ait jamais été réalisé dans l'entreprise, après un dernier plan de licenciement en janvier 2005 suite au retrait d'Unichips du plan de sauvegarde, Flodor a fermé, laissant près de deux cents salariés sur le carreau. Le mépris et le machiavélisme des dirigeants du groupe étaient tels qu'ils ont refusé de recevoir des repreneurs potentiels que nous leur avions proposés. Quelles leçons tirer de ce triste cas ? Tout d'abord, que la procédure de sauvegarde peut être une solution, à condition que le chef d'entreprise adopte une attitude volontaire et responsable, ce qui n'a, hélas, pas été le cas à Flodor. Ensuite, que le sort des salariés doit être une considération prioritaire : à cet égard, l'amendement du rapporteur concernant les licenciements, que vous ne soutenez pas, Monsieur le Garde des Sceaux et nous vous en remercions, n'est pas acceptable, car il fragiliserait les droits et les garanties des salariés. Enfin, qu'il convient de se placer résolument dans une perspective européenne, faute de quoi ce projet de loi serait en grande partie vide de sens. Il ne trouvera sa pleine valeur qu'avec l'adoption de la Constitution européenne qui intègre la Charte des droits fondamentaux. C'est d'ailleurs pourquoi il faut adopter l'amendement de notre collègue Anne-Marie Comparini qui conférera aux procédures françaises une reconnaissance automatique dans tous les pays de l'Union et donnera la souplesse nécessaire à la sauvegarde d'une entreprise française faisant l'objet d'une procédure d'insolvabilité ouverte par un autre Etat membre. Cette adaptation de notre législation est indispensable dans un marché global européen. Espérons que ce projet de loi permettra d'éviter des situations aussi intolérables que celle vécue par les salariés de Flodor à Péronne. Aujourd'hui, en France, moins de 4 % des procédures se terminent par un redressement avec continuation de l'activité, 90 % des dépôts de bilan se concluent par une liquidation et une cessation d'activité, et 40 000 liquidations sont prononcées chaque année. Ces chiffres, à eux seuls, justifieraient ce projet de loi. M. Jean-Pierre Nicolas - Vivre dignement du fruit de son travail est une aspiration naturelle et légitime de nos concitoyens. L'emploi doit donc être au cœur de nos préoccupations, surtout dans le contexte international actuel. A cet égard, la détermination du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin doit être soulignée. La loi relative à l'initiative économique a favorisé la création d'entreprises : pour la première fois depuis quinze ans, 220 000 ont été créées en 2004. Mais au-delà, il importait de se préoccuper de leur sauvegarde, et je félicite le Garde des Sceaux de nous présenter ce projet de loi. En effet, notre législation en ce domaine, qui date de 1984 et 1985, n'est plus adaptée au contexte économique et juridique actuel. Une entreprise naît, se développe, et, hélas, parfois meurt. La loi Dutreil a permis des avancées significatives en matière de création. D'autres viendront avec le projet préparé par Christian Jacob. Il s'agit maintenant de conforter la pérennité des entreprises. En effet, de la disparition ou de la survie d'une entreprise dépend le maintien de nombreux emplois, puisqu'aujourd'hui un dépôt de bilan entraîne presque toujours la liquidation judiciaire. C'est à tort que l'on parle de redressement judiciaire, puisque moins de 10 % des entreprises survivent au terme de cette procédure. Ce projet de loi devrait permettre d'améliorer les choses. Il serait d'ailleurs intéressant de disposer d'un suivi statistique pour connaître le nombre de redressements réussis. Autre volet du texte particulièrement important, celui des sanctions. Le chef d'entreprise bénéficiera désormais d'une présomption de bonne foi. Il est vrai qu'en-dehors de quelques cas de patrons-voyous qui ont défrayé la chronique, marqué l'opinion et jeté le discrédit sur la fonction, la quasi-totalité des chefs d'entreprise est de bonne foi. 95 % des entreprises de notre pays comptent moins de 20 salariés. Au-delà de leur mission économique, ces patrons de PME remplissent une véritable mission sociale en créant, souvent sur leurs fonds propres, les premiers emplois de leur entreprise. Ils connaissent parfaitement leurs salariés, avec lesquels ils constituent souvent une famille professionnelle. La mort d'une entreprise, qui peut faire suite à des erreurs de gestion, mais aussi à la défaillance d'un client - lequel peut être une collectivité publique -, est toujours un drame pour les salariés et le chef d'entreprise. Je suis donc particulièrement sensible, Monsieur le Garde des Sceaux, à votre volonté de réhabiliter le droit à l'échec pour l'entrepreneur. Il faut aider celui-ci, toujours désireux d'entreprendre à « rebondir ». Ce projet de loi, fruit d'une large concertation, parvient à un équilibre entre les intérêts qui peuvent paraître antagonistes des différents acteurs de la vie économique et sociale. Privilégiant avec bon sens la prévention et la négociation, il adapte notre législation au service de l'emploi. Je le soutiendrai avec détermination. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Arnaud Montebourg - Monsieur le Garde des Sceaux et Monsieur le président de la commission, vous vous êtes permis tout à l'heure d'interrompre Mme Lebranchu durant son intervention, sans lui en demander l'autorisation. Vous avez dit, Monsieur le Garde des Sceaux, que vous n'aviez pas mis en cause le précédent gouvernement dans l'échec de la réforme des tribunaux de commerce. Or, dans la Tribune d'hier matin, vous déclariez que « le dossier avait été totalement bloqué par des initiatives irresponsables du gouvernement précédent ». Mme Lebranchu avait donc parfaitement raison de dire que le gouvernement Jospin avait été mis en cause. En réalité, nous avions voté un texte et le Sénat a adopté une motion de renvoi, alors que les postes budgétaires de magistrats étaient inscrits dans la loi de finances pour 2002. M. le Garde des Sceaux - Je précise mes propos. Mme Lebranchu avait cru comprendre que je l'accusais d'être irresponsable. Je lui ai répondu que je n'avais pas dit qu'elle était irresponsable, mais que la décision qu'elle avait prise l'était. Je n'ai pas l'habitude de mettre en cause les personnes, mais je combats les politiques. M. Pascal Terrasse - Selon vous, ce projet adopte « une approche plus économique que judiciaire » et fera en sorte que « notre système juridique ne soit pas destructeur d'emplois ». Il n'en est rien, et son seul objet est de satisfaire la communauté bancaire, en échange d'une promesse d'améliorer l'accès au crédit pour les petites entreprises, ce qui ne sera pas le cas. Le constat est connu. Une entreprise sur deux disparaît dans les cinq ans qui suivent sa création, et l'écrasante majorité des procédures collectives en 2003 concernait des entreprises de moins de dix salariés. Avec 5 à 6 millions d'emplois, elle forment le véritable tissu économique de notre pays, et ce sont elles qui ont le plus de mal à trouver un financement en cas de difficulté, donc elles qu'il faut aider à survivre. Or, le Gouvernement a choisi d'œuvrer en priorité en faveur des banques et des grandes entreprises, avec l'appui amical du Medef. Ce projet renforce encore la dépendance des petites entreprises à l'égard de leurs créditeurs. En effet, elles ont du mal à accéder au crédit, et les banques sont leur seule source de financement externe. Avec la procédure de sauvegarde et la procédure de conciliation, elles leur seront encore plus soumises. Certes, leurs dettes seront suspendues, mais elles devront trouver un accord avec leur unique banque, qui sera maître des négociations puisque l'homologation de la procédure devant le tribunal rendra leurs difficultés publiques et que la banque, créancier majoritaire, dictera ses conditions financières, en ayant la garantie d'être remboursée prioritairement en cas de difficulté ultérieure sans risque d'être accusée de soutien abusif. Les banques, principales bénéficiaires de ce projet, décideront désormais du sort des entreprises et des salariés, pourront faire pression sur les dirigeants tout au long de la procédure en exigeant le paiement des créances, et obtiendront, en contrepartie d'un apport d'argent frais, un « superprivilège » comme créancier. Or, en réalité, ce sont elles qui ne jouent pas le jeu pour financer les petites entreprises. Elles consentent des taux différents en fonction essentiellement de la taille de l'entreprise, et souvent ne réagissent pas aux premiers signes de dégradation avant un premier défaut de paiement. D'autre part, loin de sauvegarder l'emploi, les nouvelles procédures permettront de licencier sans contrôle en cas de difficulté temporaire dans une entreprise. Soyez certains que leur adoption entraînera des restructurations, donc plus de chômage. Par ce texte, vous ne limiterez pas le nombre de faillites. Son seul objet est de satisfaire la communauté bancaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Jacques Bobe - Ce texte est une avancée importante. Il facilitera le maintien ou la reprise des entreprises dans de bien meilleures conditions, puisqu'il permettra de détecter les difficultés plus en amont, bien avant la cessation de paiement, et repose sur la confiance dans les entrepreneurs qui, en initiant la procédure de sauvegarde, témoigneront de leur bonne foi et de leur volonté de faire face à des difficultés temporaires. Les procédures de conciliation et de sauvegarde sont des actions préventives extrêmement utiles. Toutefois, il me semble utile de formuler certaines remarques en gardant toujours à l`esprit que l'essentiel est bien la sauvegarde des entreprises. D'autres reviendront sûrement sur la critique que l'on vient de faire du rôle des banques. Pour ma part, je me limiterai à quatre observations. D'abord, il est possible de faire homologuer l'accord qui conclut la procédure de conciliation par jugement du tribunal ou par simple constatation du président du tribunal. D'expérience, cette seconde solution me semble présenter des risques d'insécurité, voire d'arbitraire. Ensuite, plutôt que de procéder à un inventaire des petites créances, mieux vaut, pour gagner un temps qui est précieux, s'en tenir à leur déclaration, avec une date limite de présentation - et c'est encore là une leçon de l'expérience. Il convient aussi de préciser davantage les modalités d'interruption de l'accord de conciliation et les conséquences de celle-ci lorsque les clauses de cet accord ne sont pas respectées. Enfin, le recours au régime des licenciements économiques utilisé en cas de redressement judiciaire présente deux inconvénients majeurs. Il suscitera l'hostilité de certains acteurs de l'entreprise qui craindront qu'on en fasse un usage excessif, et introduit une confusion entre différentes procédures collectives de traitement des difficultés des entreprises. Il serait préférable de réserver le régime actuel des licenciements économiques au seul cas de redressement judiciaire. Cela étant, je félicite chaleureusement les auteurs du projet et la commission, ainsi que son rapporteur, pour les améliorations qu'ils proposent. (Quelques applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Jean Le Garrec - Ce texte est important. J'ai écouté attentivement le rapporteur et le Garde des Sceaux, j'ai lu les travaux de la commission, et ne voulant pas paraphraser les excellentes interventions de M. Montebourg et de M. Giacobbi, je me placerai sur le terrain économique et social, tirant parti de ma double expérience d'homme d'entreprise et d'élu qui, dans le Nord, a pu observer de trop nombreuses procédures collectives dans des entreprises en difficulté. Vous nous avez dit vouloir réécrire le droit des procédures collectives et pas le droit du travail. Ce n'est pas si simple, quand les conséquences de ce texte viennent directement percuter les problèmes sociaux. Pas si simple quand certains des amendements adoptés en commission concernent le droit du travail. Pour suivre depuis longtemps ces problèmes, je connais la nécessité de lier la sécurité des entreprises et leur développement avec la protection des salariés. Nos collègues évoquent tous dans leurs interventions la nécessité de la prévention. Lorsqu'une entreprise connaît des difficultés - pour de multiples raisons que M. de Roux a évoquées en partie hier soir - l'intervention est souvent trop tardive : le feu est déjà à la maison. Malgré tous les dispositifs qui peuvent être mis en place, il est très difficile de reprendre le fil de l'action. Parmi les causes des difficultés des entreprises, M. de Roux n'a pas suffisamment évoqué la pression énorme et grandissante qui pèse sur les sous-traitants et celle qu'exerce la grande distribution, notamment à travers la pratique des marges arrière. Je viens encore d'apprendre la fermeture d'une entreprise de 150 salariés qui ne faisait pourtant qu'assembler des pièces dont la production était déjà délocalisée en Tunisie. On aurait pu imaginer que la procédure de sauvegarde s'inscrive dans un objectif de prévention. Hélas, je ne le crois pas. La formule employée par le texte est si large qu'elle n'oblige nullement à une étude réelle et précise de la situation de l'entreprise. Que recouvrent en effet les « difficultés susceptibles de la conduire à des cessations de paiement » ? Le texte de la chancellerie, qui parlait de « difficultés avérées » était bien meilleur. Il supposait, dans l'approche des difficultés, une précision qui est la moindre des choses. Trop souvent, en effet, le raisonnement est superficiel et privilégie l'aspect comptable, ce qui ne saurait suffire. Se contenter de la formulation aussi large qui est proposée, c'est permettre à n'importe quelle entreprise de l'utiliser. M. Arnaud Montebourg - Mais ils ne veulent pas mettre en place les garde-fous ! M. Jean Le Garrec - Nul ne conteste la nécessité de revenir sur la loi de 1985. Je pourrais multiplier les exemples : les problèmes de marketing, de commercialisation et d'organisation jouent un grand rôle dans les difficultés des entreprises. En ce sens, la multiplication des audits conduits dans le cadre du passage aux 35 heures a été bénéfique, car elle a contraint les entreprises à se pencher sur ces problèmes d'organisation. Sans enquête préalable, que reste-t-il ? Une approche purement financière, certes nécessaire, mais qui ne rend pas compte de la réalité des problèmes. L'article 15 dispose que le tribunal peut, avant de statuer, commettre un juge pour recueillir tous renseignements sur la situation de l'entreprise. Outre qu'il ne s'agit que d'une faculté, sur quels éléments ce juge travaillera-t-il le cas échéant ? Quelle devra être son approche critique ? Il faut tout de même prendre en compte les salariés et leurs compétences ! Vous avez dit, Monsieur le Garde des Sceaux, que l'on pouvait entendre les délégués du personnel ou les membres du comité d'entreprise. Mais ce n'est pas ainsi qu'on conduit un audit précis de la situation potentiellement critique d'une entreprise. En ce domaine, les faiblesses de notre pays sont grandes. La deuxième critique que je formulerai à l'endroit de ce texte est l'élargissement de la procédure de sauvegarde à des licenciements simplifiés. Cela rejoint tout le débat sur l'utilisation des licenciements comme variable d'ajustement dans le fonctionnement des entreprises. Le président de la commission a été très clair : l'amendement de M. de Roux, nous a-t-il dit hier soir, ne vise qu'à préserver un maximum d'emplois en prévoyant une procédure de licenciement adaptée lorsque l'entreprise rencontre des difficultés particulières. En bref, on licencie aujourd'hui pour garantir les emplois de demain ! C'est une approche que je récuse sans concession : elle est erronée sur le plan économique et catastrophique sur le plan social. M. Arnaud Montebourg - Très juste. M. Jean Le Garrec - Je ne mets pas un instant en doute votre bonne foi, Monsieur le Garde des Sceaux. Vous avez répondu précisément à M. Vidalies, et nous en prenons acte. Mais l'approche qui consiste à faire du licenciement préventif une variable d'ajustement sans le moindre audit de l'entreprise... M. Jean-Michel Fourgous - Avec quel argent ? M. Jean Le Garrec - ...domine chez beaucoup d'orateurs de la majorité. Or cela conduit à l'insuffisance des procédures collectives et à l'absence de tout droit de reclassement. Vous êtes dans le droit fil de ce que vous faites depuis deux ans : on suspend les dispositions de la loi de modernisation sociale, avant de les abroger ; on remet en cause la hiérarchie des normes dans le dialogue social ; on allège les procédures de licenciement économique et - vous allez jusqu'au bout - du licenciement comme mesure préventive. La boucle est bouclée. J'en viens à l'AGS. Nous prenons acte des déclarations du Garde des Sceaux, et le débat ne fait que commencer. Mais l'équilibre du système est précaire : le taux de la cotisation des entreprises est passé - provisoirement - de 0,35 à 0,45 %, et un décret insensé publié en 2003 a divisé par deux les garanties offertes aux salariés en cas de licenciement. Dans le même temps, vous élargissez le champ de l'AGS à l'article 187 et vous faites du compte épargne-temps, dans le projet de loi relatif au temps de travail, un réservoir où l'entrepreneur peut stocker à sa guise rémunérations, augmentations de salaires ou primes - tout cela garanti par l'AGS ! C'est une véritable implosion du système qui se profile. Ou vous allez prolonger ou augmenter le prélèvement sur les entreprises - et il faut le dire - ou vous réduisez les garanties des salariés, et il faut le dire aussi. L'AGS ne peut pas garantir tous les dispositifs. Le Medef y est d'ailleurs opposé, et la CGPME évoque un détournement. M. Arnaud Montebourg - Vous êtes seul avec votre texte ! M. Jean Le Garrec - Vous avez, enfin, beaucoup parlé des PME et des PMI. Je crains pourtant que ce texte ne les concerne guère. Vous dites dans l'un de ses articles qu'un décret fixera la taille des entreprises concernées. M. le Garde des Sceaux - Pas pour l'application de la loi ! M. Jean Le Garrec - Sans doute ai-je mal compris. Tant mieux si mes craintes ne sont pas fondées. Je ne fais pas de procès d'intention : je pose des problèmes précis, et des réponses précises du Gouvernement serviront grandement la suite de la discussion. Selon un article paru dans The Economist et repris dans le numéro du 14 février de Courrier international, « les bénéfices explosent mais se font sur l'appauvrissement des salariés ». Voilà une analyse pertinente. M. Jean-Michel Fourgous - Cela concerne quarante entreprises sur 2,4 millions ! Il y en a marre ! C'est de la caricature ! M. Jean Le Garrec - N'employez pas ce genre d'expressions ! Défendez plutôt vos idées ! M. le Président - Veuillez laisser finir M. Le Garrec. M. Jean Le Garrec - Je terminerai en citant Cornelius Castoriadis, grand économiste et philosophe : selon lui, l'accroissement du chômage est désormais dans la logique de la mondialisation du capitalisme, et est du reste favorablement accueilli par les couches dirigeantes, qui préfèrent, dans la situation actuelle, un volant important de chômage pour discipliner les salariés. J'espère que le combat que nous menons les détournera de cet objectif. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Jean-Michel Fourgous - Quel combat ? Vous agitez des banderoles ? M. Gérard Charasse - A la lecture de ce projet de loi, ma première idée d'amendement fut d'en changer le titre : il convient plus de parler de sauvegarde des banques que des entreprises ! Point phare de votre texte, la procédure de conciliation remplace le règlement amiable. En fait, elle en modifie considérablement le périmètre d'application puisque le fait générateur n'est plus la cessation de paiements mais la difficulté juridique, économique ou financière, avérée ou prévisible. Cette procédure se déclenche donc plus vite, sur des faits non avérés, est arbitrée au final par un conciliateur sans que le parquet en soit même informé et évite, au passage, aux créanciers - et notamment aux banques - d'être poursuivis pour soutien abusif. Chacun aura compris : vous voulez déréglementer les procédures collectives, les écarter du champ juridique, qui leur garantit une certaine publicité, et socialiser les pertes. Monsieur le ministre, les faillites d'entreprises, en France, augmentent. Nous en sommes à 49 000, contre 42 000 en 2001. Nous sommes le mauvais élève de l'Europe. M. Jean-Michel Fourgous - Grâce à la croissance due aux socialistes ! M. Gérard Charasse - Mais 90 % des entreprises concernées sont des PME. On peut chiffrer tout cela en millions d'euros. Affaire de sensibilité, je le chiffre en emplois : 145 000 licenciements ! Face à cela, et alors que le chômage vient de dépasser la barre des 10 %, votre majorité a choisi de réduire l'indemnisation des salariés victimes d'une faillite. En mai 2004, vous avez supprimé la prise en charge par l'AGS d'une indemnité de licenciement supérieure au minimum légal ; en juillet 2003, vous aviez déjà divisé par deux l'indemnité susceptible d'être versée en cas de non paiement des salaires. Dans ce contexte, et alors que ce projet est resté oublié presque un an, vous comprendrez que mes collègues radicaux nourrissent quelques doutes lorsque vous prétendez en faire un volet majeur de votre politique. Je ne cacherai pas par ailleurs mes regrets de n'avoir pas vu la précédente majorité s'attaquer dès après la fin de la commission d'enquête sur la justice commerciale, dont j'étais secrétaire, à une vraie réforme. Motif supplémentaire de ne pas être convaincu par votre texte : le bassin d'emploi qui m'a élu connaît une crise grave. La justice vient de donner raison aux salariés de Sediver, et donc aux quelques élus, dont je suis, qui dès le départ avaient dénoncé un plan social illégal. J'avais publiquement regretté que le Gouvernement choisisse de ne rien entendre. Aujourd'hui, une décision de justice prouve que l'Etat a fait, pendant un an, la promotion active d'une solution illégale. Voilà pourquoi je ne souhaite pas que des décisions économiques qui ont un impact sur la vie des familles, sur des régions entières puissent se traiter dans les couloirs, entre des initiés qui se délivreront mutuellement des certificats d'amnistie. Les radicaux sont viscéralement attachés à la République, à la transparence et à l'idée du bien commun. Cela suffit pour qu'ils s'opposent à ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) M. Richard Mallié - Quarante mille ! C'est le nombre des entreprises qui, chaque année, mettent la clé sous la porte. Quarante mille foyers d'emplois qui disparaissent ! Le métier de chef d'entreprise est encore plus difficile aujourd'hui qu'hier, en ces temps où la concurrence internationale fait rage et où les entrepreneurs doivent se battre bec et ongles pour rester dans le coup, sauver leur peau et celle de leurs employés. Mais la volonté et l'énergie qu'ils sont capables de mobiliser ne font pas tout. Il est indispensable que les dirigeants en difficultés puissent être épaulés, y compris par la législation. Je tiens donc à saluer l'initiative du ministre. Il était temps d'avoir le courage de dépoussiérer un pan de notre droit désuet, souvent inadapté. Le droit des procédures collectives présente des insuffisances considérables, et c'est en raison du caractère tardif et complexe de la procédure que beaucoup d'entreprises se retrouvaient en cessation de paiements, puis étaient contraintes à renoncer. L'attitude d'ouverture dont vous avez fait preuve lors de l'élaboration du projet est à souligner. En allant regarder les modèles étrangers et les pratiques qui ont réussi, vous avez montré que vous étiez fermement décidé à donner aux forces vives de notre pays un droit qui privilégie la prévention et la négociation, afin que l'issue du dépôt de bilan ne soit plus inéluctablement la liquidation. Il me semble que l'une des grandes innovations de ce texte, la création d'une procédure de sauvegarde des entreprises, est symptomatique de la place que notre majorité donne à l'emploi. En permettant aux chefs d'entreprise de suspendre, dès les premières difficultés et avant même que la cessation des paiements ne soit constatée, les échéances des dettes, elle leur permettra de sauver autant que possible leur activité. Elle fait également du chef d'entreprise l'acteur central de la sauvegarde : c'est sur son initiative que la procédure sera déclenchée, et il gardera la gestion de la société durant toute la période. C'est loin d'être négligeable : le monde des affaires n'a jamais été un monde enchanté, mais il ne faut pas oublier que derrière toute entreprise, et c'est encore plus vrai pour les plus petites, il y a un homme qui a porté un projet, l'a pensé, accouché, puis a tenté de le faire vivre ; un homme auquel il faut donner une chance de s'en sortir. Toutefois, certaines dispositions du texte me semblent devoir être corrigées. Il en est ainsi de la révision des procédures de sauvegarde et de redressement judiciaire après deux mois. Je crains que cette remise en cause systématique, si rapide, crée une situation d'attentisme généralisé qui paralyse le redémarrage de l'entreprise. De la même manière, dans le cadre de la nouvelle procédure de conciliation, ouverte aux débiteurs en cessation de paiements depuis moins de 45 jours, la publicité donnée à l'accord qui aura été conclu est à mon sens une erreur. Elle entraînera inexorablement une période d'extrême fragilité pour l'entreprise, dans la mesure où tous ses partenaires seront informés de ses difficultés alors que l'accord ne sera pas encore mis en place. Et ces partenaires ne sont pas là pour faire du mécénat ! On peut par exemple raisonnablement penser que les fournisseurs de la société exigeront un règlement immédiat des achats. Si la transparence est nécessaire, cette disposition risque de précipiter l'entreprise à sa perte. Quand on se lance dans un grand ménage de printemps, on ne sait jamais ce que l'on va retrouver derrière les meubles. Il en va de même en politique, lorsque l'on sort d'un tiroir un dossier lourd et poussiéreux. Pourtant, l'opération de nettoyage que vous avez entreprise me semble vouée à la réussite. Le texte que vous nous soumettez aujourd'hui nous donne une fois de plus la preuve, Monsieur le ministre, que notre Gouvernement refuse l'archaïsme et qu'il continuera à chasser les araignées. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Arnaud Montebourg - Hier, le rapporteur a cru pouvoir qualifier l'un des orateurs de fumiste - et le mot a été repris par la presse. Je constate qu'il n'est même pas là pour écouter les parlementaires s'exprimer sur le texte ! Je demande une suspension de séance en attendant qu'on le retrouve. La séance, suspendue à 18 h 40, est reprise à 18 h 50. M. Gérard Bapt - Nul ne peut nier que la prévention des difficultés des entreprises ne représente un enjeu majeur. Quel est le député qui n'a pas entendu des chefs d'entreprises se plaindre de liquidations précipitées, voire suspectes, de leur entreprise ? Quel député n'a pas entendu des chefs d'entreprises regretter que leur offre de reprise d'une entreprise en redressement ait été rejetée par le tribunal de commerce, comme si le principal souci de celui-ci était de liquider au plus vite ? Cette situation avait conduit le gouvernement Jospin à programmer une réforme d'ampleur de la justice commerciale. Malheureusement, la réforme des tribunaux de commerce engagée par le gouvernement Jospin, sous l'impulsion de notre collègue Arnaud Montebourg, a été bloquée par l'actuelle majorité. Elle reste à faire pour que les chefs d'entreprise et les salariés retrouvent confiance dans la justice commerciale. Il serait important que les artisans rentrent dans le corps électoral des tribunaux de commerce. Cela renforcerait leur crédibilité, qui en a bien besoin. Le présent projet nous inquiète, car il donne une position dominante et protégée aux organismes de crédit dans la procédure de règlement amiable. Il en change la nature puisque la procédure devient mixte, ouverte non seulement aux entreprises éprouvant une difficulté avérée ou prévisible, mais aussi à celles en cessation de paiement depuis moins de 45 jours. Elles auront le choix entre la procédure de conciliation et la procédure classique de redressement judiciaire. Le projet indique que la procédure de conciliation ne peut être ouverte qu'à l'initiative du débiteur. En réalité, tant en raison de la faible confiance des entrepreneurs dans la justice commerciale que de la publicité donnée à la procédure, il y a peu de chances qu'il se rende spontanément devant le tribunal de commerce. Ce seront plutôt les créanciers qui vont obliger leurs débiteurs à demander une procédure de conciliation. Celle-ci sera donc une procédure contrainte pour le débiteur, lequel risque en revanche d'être définitivement fragilisé par la publicité donnée lors de l'homologation de l'accord. Il serait donc utile de prévoir une disposition alternative de confidentialité. Mais surtout, la procédure de conciliation prévue par le projet assure la domination des organismes de crédit. En effet, une banque aura un triple intérêt à l'ouverture d'une procédure de conciliation. D'abord, celle-ci sécurise le nouvel apport que la banque peut consentir. Il bénéficiera en effet d'un privilège par rapport à toutes créances nées avant l'ouverture de la conciliation. On peut même penser que cet apport nouveau permettra d'honorer des engagements bancaires anciens. En second lieu, la banque sera protégée contre le « soutien abusif » - sauf fraude - y compris dans le cas de figure que je viens de citer. Enfin, elle sera par avance amnistiée pour des actions antérieures à la date de cessation des paiements, puisque celle-ci peut être fixée jusqu'à 18 mois avant l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire. L'expérience que nous avons en France du comportement habituel des organismes de crédit nous conduit à prévoir qu'ils abuseront de la procédure de conciliation, qui sera ainsi détournée de son objectif affiché ! Une autre de nos inquiétudes vient de ce que des patrons indélicats pourraient détourner la procédure pour échapper au délit de banqueroute. Les salariés sont quant à eux abandonnés à leur triste situation. Ils sont pénalisés par la décision du Gouvernement de diviser par deux l'indemnité de l'AGS en cas de non paiement des salaires, et ce d'autant plus que le périmètre des créances qui leur sont dues a été réduit par la loi du 4 mai 2002 relative à la formation professionnelle. De plus, l'effectivité du super privilège des salariés a été mise à mal au cours des 18 derniers mois avec la monétarisation du compte épargne temps. Enfin, un amendement de la commission étend à la procédure de sauvegarde la procédure allégée de licenciement économique applicable lors d'un redressement judiciaire. Le vote par le Parlement de cette disposition priverait les salariés des protections d'un plan social et du droit au reclassement ! Pour nous, la sauvegarde de l'entreprise vise à assurer la continuation de l'entreprise, mais aussi la pérennité de l'emploi. Les mesures de réorganisation de l'entreprise ou de nature financière ne doivent pas être négligées au profit d'une plus grande facilité à licencier. Le projet est trop vague quant aux conditions dans lesquelles les créanciers publics pourraient consentir des remises d'impositions ou de cotisations dues, au profit du débiteur. Si cette possibilité n'est ouverte que sous condition d'un effort consenti par les créanciers privés, aucune limite n'est fixée quant à la proportion existant entre efforts publics et efforts privés. C'est d'autant plus inacceptable que les créanciers bancaires intègrent le risque dans leurs taux d'intérêt, ce qui n'est pas le cas pour les créances publiques. Aussi proposerons-nous par amendement d'encadrer ce dispositif pour limiter cette dérive potentielle. En définitive, ce projet instaure des procédures qui, en s'enchaînant les unes aux autres, peuvent constituer une formidable machine à broyer les entreprises, à l'inverse de l'objectif affiché, au profit des organismes bancaires et au détriment des salariés. Il participe au démantèlement du droit social que ce Gouvernement a entrepris. Nous nous y opposerons donc, tout en essayant de limiter les dégâts par nos amendements. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Jean-Michel Fourgous - Il faut pousser les entreprises qui montent sans pour autant lâcher celles qui tombent. Avec la loi Dutreil, le Gouvernement a réussi la première partie de ce programme : 230 000 entreprises ont été créées, bravo, c'est un record depuis des décennies et 30 % de plus qu'en 2000. La future loi Jacob permettra d'aller encore plus loin sur plusieurs points et de soutenir l'esprit d'entreprise, qui est malheureusement assez mal compris en France. Avec le présent projet, on s'attaque à la deuxième partie du programme. Bonne initiative, en particulier pour nos PME. Je rappelle que la BDPME a un budget de 240 millions d'euros pour plus d'un million d'entreprises, tandis que la SNCF a 12 milliards d'euros par an alors qu'elle n'emploie « que » 180 000 personnes. L'injustice est flagrante et unique au monde. Quand on parle de l'entreprise, on pense trop souvent aux grandes, celles du CAC 40. Et l'on harcèle les petits chefs d'entreprise en faisant croire à leurs salariés qu'ils font des profits exorbitants ! C'est insupportable ! Il y a des gens qui vivent de cela, de cette haine qu'ils entretiennent et qu'ils vendent ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) La réalité économique de notre pays est pourtant avant tout faite de ces petites entreprises qui se battent au quotidien pour décrocher des marchés, créer de l'activité et donc des emplois. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Il faut avoir un jour su décrocher un marché et vendu un produit à un client pour le savoir. M. Paul Giacobbi - Vous n'avez pas le monopole de l'entreprise ! M. Jean-Michel Fourgous - Si, je pense que la droite a le monopole de la création de richesses ! D'autres vivent du système public ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) L'entreprise est le premier moteur de la solidarité puisqu'elle redistribue plus de 90 % de son chiffre d'affaires. L'entreprise, c'est l'abbé Pierre ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Elle redistribue pour payer les salaires des Français, nos hôpitaux, nos écoles, nos crèches, nos fonctionnaires... Sur 100 euros de chiffre d'affaires TTC net d'impôt, le vilain chef d'entreprise que vous vous plaisez à vilipender (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) touche en général moins de 1 %. J'ai entendu un député de gauche dire qu'il fallait faire rendre gorge aux chefs d'entreprise. Un autre a dit il y a quelques mois qu'il fallait faire des lois contre les entreprises. Alors, Messieurs, gardez vos leçons de morale ! Chaque entreprise qui meurt, c'est un peu moins de solidarité. Or, nos petites entreprises sont les premières victimes des retours de conjoncture ; 90 % des procédures concernent des entreprises de moins de dix salariés. Les procédures collectives actuelles sont trop lourdes, trop tardives pour permettre le sauvetage des entreprises en difficulté. Les entreprises sont en effet aussi les premières victimes d'un droit français inspiré de la lutte de classes, qui entraîne un chômage qu'on peut qualifier de culturel. Quand une petite entreprise qui a besoin de 15 000 € pour s'en sortir ne les trouve pas, les dix salariés qui se retrouvent au chômage peuvent coûter 150 000 € à l'UNEDIC ! Tout cela parce que dans ce pays, la petite entreprise est méprisée. Ce projet va résolument dans le bon sens pour soutenir les entreprises les plus vulnérables, sauver nos emplois et assurer une croissance durable. Que l'entreprise ait des difficultés ne signifie pas forcément que le chef d'entreprise a commis une faute ; il peut avoir brutalement perdu un marché, un client. Or, il ne peut pas, lui, résoudre le problème en augmentant les impôts ou la dette ! Ce texte marque un changement de culture, et je m'en réjouis. Il valorise le chef d'entreprise, premier de cordée, en apportant des réponses adaptées lorsqu'il est de bonne foi et en sanctionnant la malhonnêteté. Puisqu'il s'agit de tout faire pour permettre à l'entreprise d'assurer sa continuité, je voudrais insister sur la proposition réaliste de notre rapporteur. Tous ceux qui connaissent la vie d'une entreprise privée savent qu'en cas de difficultés, le temps est compté. Le chef d'entreprise doit donc pouvoir prendre rapidement les bonnes décisions. Pour sauver l'entreprise et ses emplois, il faut parfois prendre des mesures courageuses, qui peuvent passer par un ajustement des effectifs. Raccourcir les délais de procédure est donc indispensable. Les chefs d'entreprise ne licencient pas par plaisir, comme on l'insinue souvent ici ! Respectons-les, eux qui créent la richesse de notre pays et font son honneur. Avec le développement de la concurrence asiatique, il faudra bien les aimer et les aider un peu plus ! Nous devons avoir un seul objectif : sauver les emplois qui peuvent être sauvés. Avec un taux de chômage de 10 %, il faut faire preuve de responsabilité et abandonner les postures idéologiques. On connaît les conséquences de délais beaucoup trop longs. Monsieur le ministre, faisons en sorte que ce projet de loi tant attendu et si novateur soit à la hauteur des espérances et sauve les emplois dans les entreprises les plus vulnérables ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Mme Arlette Grosskost - Puisque j'interviens en dernier, vous m'excuserez de répéter ce qui a déjà été dit... Pour contrer la morosité économique et soutenir l'emploi, le Président de la République a souhaité une politique ambitieuse en faveur des petites et moyennes entreprises. L'objectif de création d'un million d'entreprises en cinq ans sera vraisemblablement dépassé, notamment grâce à la loi sur l'initiative économique. Il était également essentiel de se pencher sur le problème des entreprises en difficulté. Actuellement, plus de 90 % des procédures se soldent par une liquidation judiciaire. Il s'agit le plus souvent de petites entreprises qui n'ont pas réussi à s'organiser suffisamment en amont, faute de moyens ou de compétences, pour détecter et contrer les premières difficultés. Il était donc urgent de renforcer les moyens de prévention, et plus généralement de privilégier l'approche économique et contractuelle des dossiers plutôt que l'analyse juridique et comptable. Ce projet répond à cet impératif. Il bouleverse le droit des procédures collectives issu des lois de 1985 pour relever trois défis : amener les entreprises à franchir, avant qu'il ne soit trop tard, les portes des tribunaux de commerce ; convaincre les créanciers, et particulièrement les banques qui se montrent très frileuses, de s'asseoir autour d'une table pour négocier avec les débiteurs un rééchelonnement de la dette ; préserver les droits des salariés et renforcer la procédure d'alerte. De surcroît, ce projet répare une inégalité en étendant le champ d'application des procédures collectives aux professionnels indépendants et libéraux. A cet égard, le droit local alsacien-mosellan a bien joué son rôle de laboratoire car il a fait bénéficier depuis fort longtemps les professionnels non commerçants du régime des faillites civiles. L'élément phare de ce projet est la procédure de sauvegarde, qui se place avant la cessation des paiements. Permettez-moi ici d'ailleurs de regretter qu'on n'ait pas profité de ce texte pour revoir la définition de celle-ci. M. Arnaud Montebourg - Rien ne vous empêche de déposer des amendements ! Mme Arlette Grosskost - Il importe de détecter dès que possible les faiblesses susceptibles de porter atteinte à la vie de l'entreprise. A cet égard, un dispositif de « clignotants » pourrait alerter l'entrepreneur à l'apparition de difficultés, et à ce titre, une remontée d'information de la part de l'URSSAF ou de l'administration fiscale me semble primordiale. Plus généralement, on pourrait associer tous les professionnels du chiffre et du droit à l'élaboration d'un guide de bonnes pratiques à l'intention des chefs d'entreprise. Je veux rappeler aussi qu'un dépôt de bilan sur quatre est la conséquence d'une défaillance d'un client, et qu'il convient alors de réagir très rapidement. La réalité des faits doit l'emporter sur l'idéologie. Couper une branche malade pour préserver l'arbre, voilà le but. L'hypocrisie n'est pas de mise ! Or, force est de constater que notre droit social est un carcan. Un droit social dérogatoire au stade de la sauvegarde me paraît indispensable. M. Arnaud Montebourg - Nous y voilà ! Merci de votre honnêteté ! Mme Arlette Grosskost - Je comprends qu'on puisse craindre que la procédure de sauvegarde soit utilisée comme un instrument de gestion accélérée des sureffectifs. Mais j'ai confiance dans les professionnels du droit, qui sauront reconnaître l'abus de droit. Je voudrais encore souligner trois points essentiels. D'abord, la faculté est ouverte au tribunal de prononcer la liquidation judiciaire en même temps que le plan de cession, ce qui permet de concilier les impératifs économiques et la sécurité juridique. En conséquence, il me semble inopportun de rétablir la possibilité de cession lors du redressement judiciaire car dédoubler cette possibilité en l'ouvrant d'une part en redressement, d'autre par en liquidation, serait source de confusion. Le maintien du commissaire au plan ne fait en outre qu'accroître l'insécurité juridique. Deuxième point important : la procédure de liquidation simplifiée est particulièrement adaptée aux petites entreprises car elle permet un traitement rapide du dossier grâce auquel les chefs d'entreprise pourront rebondir plus vite. Dernier point enfin : le régime juridique de la responsabilité. Le projet permet de distinguer les chefs d'entreprises de bonne foi et ceux qui ne le sont pas en adaptant les réponses. Le débiteur malchanceux sera ainsi distingué du maladroit quand les sanctions infligées aux débiteurs malhonnêtes seront, elles, aggravées. Cette distinction me semble fondamentale, notamment pour que les dirigeants de PME puissent espérer refaire surface et ne supportent plus une réputation infamante. Je salue un projet à la fois courageux et réaliste, porteur d'une réforme ambitieuse et pragmatique destinée à sauvegarder notre tissu économique, essentiellement composé de PME. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) La discussion générale est close. M. le Garde des Sceaux - Je remercie tout d'abord M. de Roux pour la qualité de son travail. Il a, dans son intervention, retracé les étapes successives du droit des procédures collectives et a souligné que la réforme de 1984-1985 avait été faite en considération des intérêts du débiteur dans une économie administrée. La réforme de 1994 en a pris dans une certaine mesure le contre-pied en s'attachant à redéfinir la place des créanciers. Aujourd'hui, nous vous proposons un texte équilibré. Avec M. Houillon, M. de Roux a souligné combien la nouvelle procédure de sauvegarde est révolutionnaire. Notre droit était en effet obsolète quand nombre de pays, comme les Etats-Unis, l'Allemagne ou l'Italie, connaissent un régime de prévention des difficultés préalable à la cessation des paiements avec suspension provisoire des poursuites. La procédure de sauvegarde ne copie néanmoins aucun droit étranger. En particulier, elle ne reprend pas trois caractéristiques importantes du chapitre 11 américain : le déclenchement de la procédure par les créanciers, la remise en cause des droits des salariés, la forte judiciarisation de la procédure. Monsieur Le Garrec, la procédure de sauvegarde s'appliquera à toutes les entreprises, le seuil ne concernant que la mise en place obligatoire des comités de créanciers. M. Jean Le Garrec - Dont acte. M. le Garde des Sceaux - M. Chartier a souligné le changement d'esprit inauguré par cette réforme. Il a insisté, de même que Mme Grosskost, sur la nécessaire information qui permettra de la faire connaître : en effet, il ne faut pas limiter l'usage de la conciliation et de la sauvegarde au tribunal de commerce de Paris qui avait initié, dans le passé, le règlement amiable. Il faut au contraire, comme l'a relevé le président Clément, que les acteurs économiques s'approprient les nouvelles procédures. M. Giacobbi a mis en doute la constitutionnalité du projet. Or, le Conseil constitutionnel a déjà eu l'occasion de se prononcer sur le droit des procédures collectives dans une décision de janvier 1985 relative à la réforme Badinter et aux termes de laquelle « la loi a pu, sans être astreinte à prévoir quelques indemnisations que ce soit, modifier le rang des créances assorties de sûretés réelles à l'avantage de créanciers qui, depuis l'ouverture de la procédure, ont concouru à la réalisation de l'objectif d'intérêt général de redressement des entreprises en difficulté ». Cette décision permet de mettre en place des dispositifs favorables à ceux qui aident l'entreprise en difficulté. C'est ce qui fonde les dispositions de la conciliation relatives aux privilèges de « l'argent frais ». M. Montebourg et d'autres orateurs socialistes ont estimé que le texte privilégiait les banques. Or, chacun sait que les banques ont toujours été opposées à la création d'un régime de suspension des poursuites avant la cessation des paiements : la procédure de sauvegarde constitue donc une avancée décisive à propos de laquelle la concertation préalable a été indispensable. En outre, ce régime est favorable aux PME : en effet, les cautions personnes physiques bénéficieront du plan, ce qui remet en cause l'efficacité des sûretés antérieurement prises par les banques. Enfin, un effort général sera imposé aux banques réticentes à aider les entreprises, par la voie du vote des comités. Je tiens à rassurer M. Mallié à propos des procédures de conciliation et de sauvegarde. Les délais seront plus longs qu'il ne l'a affirmé : cinq mois pour la conciliation, six mois pour la sauvegarde, dont quatre mois dans les comités pour définir le plan. Ils permettront, je pense, de parvenir à l'élaboration d'un accord. Plusieurs d'entre vous sont intervenus sur le régime de la cession totale de l'entreprise. M. Houillon, Mme Comparini ont souhaité permettre de telles cessions non seulement en liquidation mais également en redressement judiciaire. Mme Grosskost, au contraire, préfère les préconisations du projet, plus efficaces économiquement et juridiquement. Je suis, quant à moi, ouvert sur ce point à une évolution. En revanche, il est absolument nécessaire de scinder la fonction de commissaire au plan : on ne peut, pour d'évidentes raisons de transparence, conserver des règles qui ignorent la spécificité des métiers. Les interventions ont également été nombreuses sur la question du droit de licenciement, suscitant les inquiétudes, notamment, de Mme Lebranchu et de MM. Charasse et Terrasse. J'ai pourtant à maintes reprises exposé ma position : cette loi ne concerne pas le droit du travail ; il s'agit d'agir avant que le sort d'une entreprise ne soit scellé, précisément afin de préserver l'emploi. Dans cette phase, on ne doit pas pouvoir recourir à des procédures dites simplifiées. Je remercie divers orateurs de la majorité, notamment M. Bobe, d'avoir souligné la justesse de ce choix. La prise en compte de l'emploi est au cœur du projet, comme en témoigne l'article 15. L'intervention de l'AGS me paraît par ailleurs normale en période de sauvegarde et je ne pense pas que ses charges en seront accrues. Le dispositif de sauvegarde devrait au contraire permettre d'augmenter le taux de récupération aujourd'hui très faible dont cette institution bénéficie. La rénovation des sanctions constitue également l'un des points forts du texte. MM. Fourgous et Nicolas l'ont dit : nous devons réhabiliter le droit à l'échec et à la seconde chance pour les entrepreneurs. Autant nous devons être très sévères pour les patrons voyous, autant nous devons offrir une nouvelle chance à ceux qui prennent des risques dans un contexte économique particulièrement difficile. Comme l'a dit M. Demilly : nous ne tolèrerons pas certains agissements. Je remercie Mme Comparini d'avoir fait le lien entre le présent projet de loi et la réglementation européenne, en particulier le règlement communautaire du 29 mai 2000. Je vous confirme que, contrairement à la conciliation, la procédure de sauvegarde emportera insolvabilité au sens de ce règlement. La procédure de sauvegarde sera opposable aux tiers et reconnue par les juridictions des autres pays de l'Union. L'exemple donné tout à l'heure par M. Demilly concernant Flodor à Péronne montre bien l'intérêt que cela aurait eu en l'espèce. Au terme de cette réponse, je vous redis ma conviction que ce texte servira l'emploi et la croissance économique. Je vous redis aussi qu'il s'adresse tout particulièrement aux petites et moyennes entreprises, lesquelles sont une chance pour notre pays et son principal gisement d'emplois. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30. La séance est levée à 19 heures 30. Le Directeur du service Le Compte rendu analytique Préalablement,
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