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Assemblée nationale
COMPTE
RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL
Session ordinaire de 2004-2005 - 74ème jour de séance, 182ème séance 2ème SÉANCE DU MARDI 22 MARS 2005 PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ Sommaire QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2 RÉFORME DU PACTE DE STABILITÉ 2 JOURNÉE DE SOLIDARITÉ 2 LUTTE CONTRE LE RACISME ET L'ANTISÉMITISME 3 AVENIR DE L'EUROPE 4 CONTRATS D'AVENIR 5 SÉCURISATION DES PAPIERS D'IDENTITÉ 5 LIBAN 6 POUVOIR D'ACHAT DES RETRAITÉS 7 TRAVAIL DES DOUANES 7 DÉLOCALISATION DE COLGATE-PALMOLIVE 8 FISCALITÉ RÉGIONALE 8 JOBS D'ÉTÉ 9 ORGANISATION DU TEMPS DE TRAVAIL DANS L'ENTREPRISE (suite) 10 CRÉATION DU REGISTRE INTERNATIONAL FRANÇAIS 13 EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 17 QUESTION PRÉALABLE 23 La séance est ouverte à quinze heures. M. François Cornut-Gentille - Monsieur le ministre de l'Economie, l'actualité européenne de la semaine a été marquée par la réforme du pacte de stabilité, qui donne lieu à des interprétations divergentes. Certains se réjouissent des assouplissements apportés par la réforme, d'autres estiment qu'elle ne va pas assez loin d'autres encore qu'elle va trop loin. Pouvez-vous nous dire clairement ce que la France attendait de cette réforme et ce qu'elle a obtenu ? J'aimerais aussi que vous nous éclairiez sur une de vos déclarations : avec cette réforme, avez-vous indiqué, le pacte de stabilité devient moins technocratique et plus politique... (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Vous rendant compte ici même, il y a deux semaines, des discussions en cours à Bruxelles au sein de l'Eurogroup, puis de l'Ecofin, je vous faisais part de mon optimisme relatif. Je puis aujourd'hui vous annoncer qu'après de longues heures de discussion ce week-end, l'Eurogroup, puis l'Eurogroup élargi, ont décidé de ratifier à l'unanimité les modifications du pacte de stabilité et de croissance. Elles seront présentées cet après-midi au Conseil européen qui, je l'espère, les ratifiera. Nous attendions de cette réforme une lecture plus politique, plus économique, en un mot moins mécanique et technocratique, du pacte de stabilité. Le chiffre de 3% du PIB n'est nullement remis en cause : il est hors de question de revenir sur ce critère pour mes collègues ministres des finances. Conformément à la volonté du Président de la République de construire une Europe plus politique, tournée vers l'avenir et vers les autres, certaines dépenses pourront en revanche être prises en considération dans le cadre des facteurs dits pertinents : il s'agit des dépenses de recherche et développement et de solidarité extérieure - aide aux pays en voie de développement, mobilisation sur des théâtres d'opérations extérieures sous mandat de l'ONU... Le pacte est assoupli en fonction des spécificités cycliques : à un Etat qui connaît une forte croissance économique, on demandera d'être plus rigoureux sur le remboursement de la dette ; pour un Etat dont la croissance est faible, on fera une lecture plus souple du pacte. Une lecture plus politique, donc, qui a été largement inspirée par la position de la France, conformément aux engagements du Président de la République. En se mettant autour de la table de la négociation, on peut faire avancer les choses en Europe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur quelques bancs du groupe UDF) Mme Danièle Hoffman-Rispal - Cette année voit naître une nouveauté : la fameuse journée de solidarité, qui est en fait une journée de travail gratuite - en général le lundi de Pentecôte - imposée à tous les salariés. Dans le même temps, vous procédez à la suppression de fait des 35 heures. Nous refusons sans ambiguïté cette notion de travail gratuit, qui fait reposer l'effort sur les seuls salariés. De plus, le prélèvement lié à cette journée de travail devait financer exclusivement un plan pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées. Or les dépenses supplémentaires prévues en 2005 pour les maisons de retraite et les services à domicile ne s'élèvent qu'à 200 millions d'euros sur les 700 budgétés. Quid des sommes non utilisées ? Serviront-elles à combler le déficit de la sécurité sociale ? (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Faut-il s'en étonner, d'ailleurs, quand votre ministre de la santé déclare que ce jour férié supprimé ne suffira pas à financer la dépendance au vu de l'étendue des dégâts ? Les salariés devront-ils bientôt travailler le jour de Noël, le Jour de l'an ou le 14 juillet ? (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) Cette approche du vieillissement traduit votre manque de volonté politique : l'allongement de la durée de la vie est une chance qui impose des solutions adaptées. C'est ce que nous avions entrepris avec la création de l'APA, (Interruptions sur les bancs du groupe UMP) dont vous vous êtes empressés de réduire la portée. Vous ne mettez même pas en œuvre le plan en faveur de l'autonomie que vous aviez annoncé ! Allez-vous continuer à faire des économies sur le dos des personnes âgées ou allez-vous vraiment utiliser la nouvelle APA pour répondre au défi du vieillissement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées - Je vais redire ce que le Premier ministre, le ministre des Finances, le ministre délégué au Budget ou mes collègues du pôle santé ont déjà dit. Le don d'un jour de solidarité va permettre de rattraper un retard que le Gouvernement cherche depuis des mois à combler : retard dans le financement de l'APA, retard dans la mise en place de solutions pour les personnes handicapées. Les Français peuvent être assurés que cette journée de solidarité répondra à son objectif. La création de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie assurera la gestion de ce don d'un jour férié, mais aussi le fléchage transparent de cet effort national de solidarité. Le produit - 1,2 milliard pour les personnes âgées, 800 millions pour les personnes handicapées - en sera utilisé à l'euro près (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) pour les plans mis en place - médicalisation des établissements, recrutement de personnels de santé, préfiguration de la prestation de compensation du handicap. S'agissant du handicap, 180 millions seront fléchés dès 2005 à destination des personnes les plus lourdement handicapées qui attendent des forfaits d'auxiliaires de vie pour faire face à leurs besoins quotidiens. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Les Français, qui sont généreux, verront ainsi leur effort se traduire dans des actes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) LUTTE CONTRE LE RACISME ET L'ANTISÉMITISME M. Michel Hunault - Monsieur le Premier ministre, la Commission nationale consultative des droits de l'homme vous a remis hier son rapport annuel. Le constat est accablant : jamais les actes racistes et antisémites n'ont été aussi importants. Ils portent atteinte à notre idéal républicain, fondé sur le respect, la tolérance et la différence. Il faut donc réagir avec force et détermination. Il y a peu, l'Assemblée a autorisé à l'unanimité la ratification de la convention internationale sur la cybercriminalité, qui permet d'incriminer des actes racistes et antisémites. Monsieur le Premier ministre, comment compte réagir le Gouvernement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Je veux d'abord saluer la création de la commission consultative des droits de l'homme par la loi du 13 juillet 1990. Grâce à cette initiative, une autorité indépendante peut mesurer régulièrement et de façon objective l'état de notre société pour ce qui est du racisme et de l'antisémitisme. Mon gouvernement a fait le choix de regarder l'ennemi en face, avec des statistiques réalistes sur ces phénomènes. Ainsi, dans l'Education nationale, nous avons mis en place un dispositif qui nous permet de détecter les actes antisémites parmi les actes racistes et d'identifier toutes les injures de manière à ce que les autorités académiques aient les moyens d'agir. Bien entendu, cette volonté de regarder en face toutes les manifestations racistes aboutit à constater leur augmentation. Cela n'entame en rien notre détermination. Le Gouvernement agit, le Parlement agit. Après la loi du 13 juillet 1990, due à une autre majorité, la loi du 3 février 2003, ou loi Lellouche, a permis de condamner tous ceux qui profèrent des injures racistes ou antisémites. Puis, la loi Perben 2 du 9 mars 2004 nous a donné la possibilité d'interdire des émissions de télévision qui sont des mises en scène de la haine, ainsi que des chaînes racistes qui, grâce à l'initiative de la France, ne peuvent plus non plus diffuser dans d'autres pays.(Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Enfin, la loi du 30 décembre 2004 a créé la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité. Avec ces mesures, et le comité interministériel, nous nous sommes dotés des outils nécessaires pour condamner le racisme et l'antisémitisme, car ils constituent des agressions contre la République, notre République. Trop longtemps on n'a pas voulu voir cette réalité en face, comme l'insécurité d'ailleurs. Mais ce n'est pas en niant les problèmes qu'on peut les résoudre. Lors des cérémonies de Yad Vashem, j'ai pu voir ce que représentait pour le monde entier la terrible honte de la Shoah : la France peut être fière d'être à la tête des pays qui combattent le racisme et l'antisémitisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) M. Michel Vaxès - Monsieur le Premier ministre, les 25 chefs d'Etat et de Gouvernement de l'Union européenne vont adopter demain la révision de la stratégie de Lisbonne. En parfaite cohérence avec le projet de traité constitutionnel, ce Conseil de Bruxelles devrait entériner une feuille de route qui fera de l'Europe une zone de compétitivité absolue où le bien-être des individus sera subordonné aux intérêts financiers. Selon nos informations, le menu sera amer pour les peuples européens pour les cinq ans à venir : directive Bolkestein sur la libéralisation des services, libéralisation de l'énergie et des transports, y compris ferroviaires, et des services portuaires, réduction des aides d'Etat, incitations à allonger la durée de la vie active, diminuer les salaires, rendre le marché du travail plus flexible. Redoutable programme que cet « agenda social » qui est en fait une casse sociale sans précédent ! Mais les peuples ne sont pas dupes, comme le prouvent la mobilisation de ce week-end à Bruxelles et la montée du non au traité constitutionnel, à mesure qu'on le connaît mieux. Les Français ne se laissent pas berner. Soutenez-vous au nom de la France l'adoption de la deuxième partie de l'agenda de Lisbonne, dont les orientations sont applaudies par le prochain patron des patrons européens, le baron Seillière ? Si oui, on comprendra mieux pourquoi vous voulez reporter au lendemain du référendum les négociations sur les salaires. C'est inacceptable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale - Vous évoquez la stratégie de Lisbonne et la directive Bolkestein. Mais M. Bolkestein n'est plus commissaire européen, et au Parlement européen, la rapporteure, Madame Gebhardt, a dit ce qu'il fallait penser du projet de directive sur les services, et de toute façon, ce projet, profondément remanié à la demande de la France, de la Grèce, du Portugal, de l'Espagne, de l'Italie, ne verra pas le jour sous sa forme actuelle, et d'ailleurs vous le savez bien. (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Dès lors, je m'interroge vraiment. Dans la stratégie de Lisbonne révisée, l'essentiel, c'est l'agenda social et le pacte européen pour la jeunesse demandé par le Président Chirac, M. Zapatero, et M. Schröder. Ce dont rêvent les ultra-libéraux de par le monde, c'est un marché sans Europe sociale ni Europe politique. Je suis surpris que vous, les communistes, vous tombiez dans le piège qui consiste à en rester à cette Europe purement économique en refusant un traité constitutionnel qui confirme le modèle social européen et le fait syndical. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et sur certains bancs du groupe UDF) M. Jean-Paul Anciaux - En janvier dernier, nous avons adopté la loi de cohésion sociale qui apporte des réponses aux difficultés de nos concitoyens dans les domaines de l'emploi, du logement, de l'égalité des chances. Elle représente un engagement financier de 15 milliards sur cinq ans, pour changer la donne sociale et préparer l'avenir. L'une de ses mesures phares concerne le contrat d'avenir, destiné à faciliter l'insertion sociale et professionnelle des allocataires du RMI, de l'ASS ou de l'allocation de parent isolé. Réservé aux employeurs du secteur non marchant - collectivité et associations -, ce nouveau contrat de travail est assorti d'une obligation de formation et d'accompagnement individuel vers l'emploi, ce qui constitue une réelle avancée. Monsieur le ministre de l'emploi, vous vous étiez engagé à prendre rapidement les décrets d'application nécessaires... M. Maxime Gremetz - Ils viennent de paraître ! La question est téléphonée ! M. Jean-Paul Anciaux - Qu'en est-il à ce jour ? Quel sera le calendrier précis de lancement des premiers contrats ? Pouvez-vous en rappeler les grands principes et les objectifs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale - Merci, Monsieur le député Anciaux, pour le remarquable travail de pilotage que vous accomplissez en vue d'installer, partout sur le territoire, les maisons de l'emploi qui vont regrouper tous les partenaires au profit des demandeurs d'emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) S'agissant des contrats d'avenir, dont la création a été décidée dans la loi du 18 janvier, les décrets d'application ont été publiés vendredi dernier au Journal Officiel, et les premiers contrats seront donc disponibles sous une dizaine de jours. Je voudrais que chacun mesure qu'il ne s'agit pas simplement d'un nouveau contrat mais d'une véritable révolution ! Il n'était plus acceptable de se contenter de verser une allocation aux titulaires des minima sociaux, au risque de laisser nos compatriotes concernés dans un cruel isolement. Il convient en effet de mettre à leur disposition une équipe d'accompagnants, afin de les aider à se réinsérer dans la vie active. Je compte sur chacun d'entre vous pour participer à ce traitement novateur de la situation difficile des érémistes et des allocataires de l'ASS ou de l'API. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP) SÉCURISATION DES PAPIERS D'IDENTITÉ M. Thierry Mariani - Ma question porte sur la lutte contre le fléau de la fraude à l'identité. Selon Christophe Naudin, spécialiste des questions de sécurité, la fraude documentaire coûte de plus en plus cher aux Etats, du fait notamment des prestations sociales indûment versées. Par ailleurs, les faux papiers permettent aux criminels en général, et aux terroristes en particulier, de développer leurs activités. En France, le mal a empiré depuis qu'il a été décidé de délivrer gratuitement les cartes d'identité. A l'expérience, il y a tout lieu de considérer qu'il s'est agi d'une fausse bonne idée. En effet, en 1997, seulement 39 000 CNI étaient déclarées perdues ou volées ; sept ans après, nous en sommes à 500 000 déclarations chaque année, soit quasiment treize fois plus... M. Jean Glavany - Mais que fait la police ? M. Thierry Mariani - Certains Etats n'ont pas tardé à réagir. Ainsi, les Etats-Unis ont supprimé la dispense de visa de court séjour pour tous les entrants non titulaires d'un passeport biométrique. Monsieur le ministre de l'intérieur, vous avez évoqué à plusieurs reprises le projet INES d'identité nationale électronique sécurisée, qui doit répondre aux impératifs de notre sécurité nationale en introduisant des éléments de biométrie dans les titres officiels. Quelles sont les intentions du Gouvernement à ce sujet ? Quel calendrier avez-vous arrêté pour renforcer la lutte contre la fraude à l'identité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - La sécurisation des titres d'identité constitue un enjeu majeur dans la lutte contre le terrorisme et contre l'immigration irrégulière, et la possibilité d'introduire des identifiants biométriques dans les titres de séjours et dans les visas constituera à l'évidence une avancée déterminante. Comme vous l'avez rappelé, l'usage de faux papiers coûte en outre plusieurs milliards à la nation chaque année. Pour régler le problème, nous pouvions bien sûr nous adresser à Zorro... M. Jean Glavany - A Zorro ou à Sarko ? M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales - Mais il n'était pas disponible, et c'est pour cela que nous avons sollicité INES... (Sourires) L'identité nationale sécurisée répond aux exigences de simplification administrative et de transparence, tout en respectant strictement les libertés individuelles. A cet égard, j'appelle votre attention sur le fait qu'il n'y aura pas une seule base de données mais plusieurs, de manière à garantir strictement les libertés. Quant au calendrier, il sera rapide et ambitieux : un projet de loi conforme aux prescriptions du Conseil d'Etat et de la CNIL vous sera soumis avant la fin de cette année et les premiers titres hautement sécurisés seront délivrés avant la fin 2006, conformément à nos engagements européens et en pleine concertation avec nos amis américains. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Jean-Paul Bacquet - Il y a un peu plus d'un mois, l'ancien Premier ministre libanais Rafic Hariri était lâchement assassiné. Nous souhaitons tous que l'enquête internationale aboutisse le plus rapidement possible, afin d'identifier formellement les commanditaires et les coupables de cet odieux attentat. A Beyrouth, cet événement dramatique a suscité un large mouvement populaire, des manifestations pacifiques ayant réuni plus d'un quart de la population libanaise. Ces mouvements rassemblent alternativement l'opposition au gouvernement pro-syrien et la mouvance chiite du Hezbollah, qui dénonce les ingérences occidentales. La France a toujours soutenu les accords de Taëf, et l'on constate aujourd'hui que la pression internationale a permis un redéploiement des troupes étrangères sur le territoire libanais. Notre pays a coparrainé avec les Etats-Unis la résolution 1559, adoptée le 2 septembre dernier au Conseil de sécurité de l'ONU, qui exige le retrait des militaires syriens et le désarmement des milices. Monsieur le ministre des affaires étrangères, au moment où l'on peut nourrir pour le Liban les plus grandes espérances, mais aussi les plus vives inquiétudes, surtout après l'attentat meurtrier de la semaine dernière, quelles initiatives la France compte-t-elle prendre en son nom propre en faveur de la démocratie et de la souveraineté du Liban, auquel nous rattachent un long passé et une profonde relation d'amitié ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie - Permettez-moi tout d'abord d'excuser l'absence de Michel Barnier, retenu au sommet de la Ligue Arabe, à Alger. La France est attentive aux événements qui se déroulent au Liban. S'agissant du lâche attentat qui a coûté la vie à Rafic Hariri, ainsi qu'à quinze autres Libanais, nous attendons pour bientôt le rapport de l'enquête internationale, décidée par le secrétaire général des Nations unies, à la demande du Conseil de sécurité. Quant aux manifestations populaires, elles montrent combien les Libanais aspirent, dans la dignité, à un régime démocratique et souverain. Tel est bien l'objectif de la communauté internationale qui s'en tient à la résolution 1559 du conseil de sécurité pour demander le retrait de toutes les forces étrangères du Liban avant la tenue des élections législatives. Nous n'avons pas d'autre objectif qu'un Liban libre et souverain, comme l'ont réaffirmé le Président de la République vendredi dernier, dans un communiqué également signé par MM. Poutine, Schröder et Zapatero, et Michel Barnier, ce matin même, à Alger. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Jean-Claude Thomas - Le pouvoir d'achat de nos concitoyens est l'une des priorités de notre gouvernement, qui agit en faveur du maintien des prix, de l'augmentation du SMIC, de l'emploi. Cette question du pouvoir d'achat concerne tous les Français, et surtout ceux qui ont travaillé de longues années. Le Gouvernement a, grâce à sa réforme, sauvé notre régime de retraite par répartition, et garanti à chacun une juste rémunération après des années de travail. Après d'âpres négociations, les partenaires sociaux sont enfin parvenus, hier, à un accord sur la revalorisation des retraites complémentaires du secteur privé. Monsieur Douste-Blazy, pourriez-vous nous apporter quelques précisions ? M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille - Les pensions de retraite qui dépendent du régime de base ont été revalorisées en 2005 de 2 %, et l'ensemble des partenaires sociaux ont abouti à un accord pour prendre en compte l'augmentation de l'inflation en 2004, et revaloriser de 2 % les pensions de retraite concernant les organismes complémentaires. C'est une très bonne nouvelle, et le Gouvernement se félicite de cette décision qui maintient l'équilibre financier des régimes complémentaires et augmente le pouvoir d'achat des retraités. Deux ans après la réforme des retraites, nous pouvons affirmer que ce gouvernement a sauvé le pouvoir d'achat des retraités ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste ; applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Jean-Louis Léonard - Monsieur Copé, vous avez présenté hier les excellents résultats des services des douanes pour 2004 qui témoignent de l'implication du Gouvernement mais aussi de la mobilisation de tous les douaniers. Si les Français sont sensibilisés, par les médias, aux prises records, ils ignorent, pour la plupart, le travail quotidien des douaniers. A un moment où certains présentent l'élargissement de l'Europe comme la porte ouverte à tous les trafics, pourriez-vous nous parler des mesures que vous avez prises pour assurer la sécurité des Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire - C'est vrai, nos douaniers ont accompli, en 2004, un travail remarquable dans au moins deux domaines, la lutte contre la drogue et la lutte contre les contrefaçons. 75 tonnes de cannabis, soit plus de 15% par rapport à l'année précédente, et 3,5 millions articles de contrefaçons ont été saisis, et nous essaierons de faire mieux en 2005, grâce à un programme d'investissement important - plus de 70 millions de matériel supplémentaire sur les prochaines années, et la modernisation de nos services. Ces résultats sont dus à la qualité de nos équipes, mais aussi à la coopération européenne en matière de renseignements ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) DÉLOCALISATION DE COLGATE-PALMOLIVE M. Arnaud Montebourg - Monsieur Breton, la firme multinationale Colgate-Palmolive, qui emploie 1 400 personnes en France, et a réalisé 2 milliards de profits en 2003, a récemment délocalisé depuis la France son siège social et ses centres de profit à Genève, véritable paradis fiscal qui a, pour l'occasion, mené une brutale politique de dumping fiscal, en cassant littéralement le montant de son impôt sur les bénéfices, en limitant cet impôt au taux de 6 % pendant dix ans, quand celui de la France et des grands pays européens était d'environ 30 %. Colgate-Palmolive inflige ainsi à nos caisses publiques un préjudice de près de 40 millions d'euros par an, et fait payer les contribuables français pour améliorer les dividendes versés à ses actionnaires... Et, de surcroît, pour financer les plans sociaux en Europe où 4 500 postes supplémentaires seront supprimés. Qu'entendez-vous faire pour lutter contre cette forme de racket ? Avez-vous envoyé les protestations du Gouvernement au gouvernement helvétique ? Avez-vous déclenchez une enquête fiscale contre Colgate-Palmolive ? Dans le cas contraire, que restera-t-il aux Français sinon le boycott massif des produits Colgate ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire - J'enregistre une nouvelle d'importance : M. Montebourg vient donc de rejoindre le camp de ceux qui veulent que les impôts baissent. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste) Nous veillons certes à lutter contre les évasions fiscales frauduleuses, mais l'essentiel est de développer l'attractivité fiscale de notre pays tout en préservant notre modèle social. Lorsque nous conformons notre fiscalité à la moyenne européenne, nous enrayons les délocalisations comme nous l'avons vu l'année dernière avec les mesures qui ont été prises concernant l'impôt sur les sociétés ou l'exonération des plus-values de cession sur les sociétés cotées. Je note, sur ce dernier point, que le groupe socialiste s'est abstenu au Sénat, c'est dire combien les mentalités évoluent (Sourires). Soyez donc cohérents : on ne peut d'une part regretter les délocalisations et d'autre part critiquer un gouvernement qui prend les mesures fiscales qui s'imposent pour faire en sorte que nos entreprises soient fiscalement compétitives. J'espère bien bénéficier de votre appui dans ce combat, Monsieur Montebourg. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste) M. Louis Giscard d'Estaing - Le conseil régional d'Auvergne a fait voter le 1er mars dernier l'augmentation de 30 % de tous les impôts directs locaux régionaux (Huées sur les bancs du groupe UMP). Qu'est-ce qui justifie une telle hausse ? (Mêmes mouvements) Première piste : l'augmentation des frais de fonctionnement, qui passent de 14,7 millions à 18 millions. Dans ces frais doivent être inclus le nombre de vice-présidents, passés de six à treize, ainsi que celui des membres de la commission permanente, passé de 13 à 47 (Mêmes mouvements), mais également une augmentation des indemnités des élus, des frais de réception et des dépenses de communication ainsi que du nombre général des postes, les effectifs passant de 200 à 230 (Mêmes mouvements). Deuxième piste : des investissements nouveaux ou une politique de désendettement, mais en la matière, je ne relève qu'une somme de 3,2 millions pour acheter le terrain où sera construit le nouvel hôtel de région (Mêmes mouvements). Enfin, en matière d'emploi, comment justifier une augmentation de la taxe professionnelle de 30 % (Mêmes mouvements) alors que la région Alsace ne l'augmente que de 2,45 % ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) Qu'est-ce qui peut donc vraiment justifier de telles hausses, Madame la ministre déléguée à l'intérieur ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Mme Marie-Josée Roig, ministre déléguée à l'intérieur - La hausse globale des impôts de 22 millions dans la région Auvergne s'explique en effet par une augmentation de 20 % des frais de structures mais également par des promesses de campagne qu'il faudra bien tenir ou le paiement du nouvel hôtel de région (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste ; protestations sur les bancs du groupe UMP). Néanmoins, ces augmentations sont en fait injustifiées car la région a inscrit dans son budget plus de 9 millions pour les compensations de transferts de charges alors que celles-ci sont prévues par la loi et que la commission d'évaluation mise en place le 10 février se réunira au mois d'avril pour faire un premier bilan. Ces augmentations sont également inconsidérées car ce sont autant de mauvais signaux envoyés aux entreprises : en effet, ce n'est qu'en travaillant en synergie que l'Etat et les régions pourront véritablement défendre l'attractivité de nos territoires. De surcroît, le Gouvernement a cette année augmenté son aide aux collectivités de 3,3 % sur le plan national et de 4,4 % pour la seule région Auvergne, ce qui représente 107 € de dotation totale par habitant pour l'Auvergne contre 82 € pour l'ensemble du pays. De plus, tous les mécanismes de compensation et d'évaluation sont en place : j'ai cité la commission d'évaluation, je pourrais également mentionner les commissions locales tripartites qui regroupent l'Etat, les collectivités et les représentants des personnels. Enfin, les garanties de transfert étant constitutionnelles, qu'est-ce que l'Etat peut faire de plus ? Que chacun prenne donc ses responsabilités ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; protestations sur les bancs du groupe socialiste) M. Marc Le Fur - Beaucoup d'étudiants et de lycéens recherchent des jobs d'été qui leur permettront de découvrir le monde du travail et, pour nombre d'entre eux, de trouver leur voie ou d'améliorer les revenus de leur famille. Pour faciliter l'obtention de tels jobs, il importait tout d'abord de prendre des mesures fiscales, comme l'a fait le Gouvernement. Je rappelle que jusqu'alors, lorsqu'un étudiant trouvait un job d'été, cet argent s'ajoutait aux revenus de la famille qui ainsi payait plus d'impôts ou mieux, de non imposable qu'elle était, était assujettie à l'impôt sur le revenu. La majorité a su mettre un terme à cette absurdité puisque dès 2005, l'équivalent de deux mois de jobs d'été sera exonéré au titre des impôts de 2006. Nous devons maintenant prendre des mesures juridiques et administratives pour faciliter l'obtention de tels jobs car à force de vouloir protéger les jeunes dans l'entreprise, nous en arrivons au paradoxe de les en exclure. Quelles dispositions entendez-vous prendre pour faciliter la première expérience des 16-18 ans dans le monde du travail ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Laurent Hénart, secrétaire d'Etat à l'insertion professionnelle des jeunes - Au moment où le plan de cohésion sociale favorise le développement de l'apprentissage et l'accès à l'emploi des jeunes chômeurs, c'est évidemment une priorité gouvernementale que de préparer l'ensemble des 16-18 ans aux réalités du marché de l'emploi. M. Lamour inaugure en ce moment le forum « Jobs d'été » d'Ile-de-France. Ces forums organisés en partenariat entre le ministère du travail et celui de la jeunesse dans toutes les régions vont mettre à la disposition des jeunes 40 000 offres, dont 6 000 dans d'autres pays européens. La proposition de François Fillon de développer la troisième de découverte professionnelle - avec trois à six heures par semaine de découverte des métiers, autour de projets concrets - va dans le même sens. Enfin, vous l'avez dit, il faut simplifier. Nous avons à cet effet un premier outil, que nous vous devons, Monsieur Le Fur, puisqu'il est issu de l'un de vos amendements. Il consiste à exonérer d'impôts les revenus des emplois de vacances des jeunes de moins de 21 ans, et ce dans la limite de deux SMIC. Cela évite aux familles de devenir imposables, de sauter une tranche d'imposition ou de perdre des allocations. Le titre emploi entreprise constitue quant à lui un outil adapté à l'embauche des jeunes mineurs. Un document unique, qui vaut contrat de travail, quittance de cotisation, déclaration d'embauche, bulletin de paie, simplifie grandement les formalités des employeurs, dans la limite de 700 heures. Le Gouvernement reste à la disposition du Parlement pour aller plus loin, étant entendu que le défi à relever est important - le taux d'activité des 16-25 ans n'est que de 25 % en France, contre 55 % chez nos voisins européens - et qu'il y a encore beaucoup de chemin à parcourir. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) La séance, suspendue à 15 heures 50, est reprise à 16 heures 15. L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble de la proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise, en deuxième lecture. M. Maxime Gremetz - Contre vents et marées, malgré la mobilisation populaire de ces dernières semaines et l'attachement des Français aux 35 heures, vous avez maintenu cette proposition de loi. Ce texte purement idéologique constitue un contre-sens historique et une erreur économique : il va entraîner une dégradation des conditions de travail jusqu'à mettre en jeu la santé des salariés et accentuer la baisse du coût du travail alors que des millions de personnes restent au chômage. Cette proposition de loi mêle mensonge, duperie et supercherie (Murmures sur les bancs du groupe UMP). Le slogan « travailler plus pour gagner plus » est mensonger car les heures supplémentaires seront désormais payées au lance-pierre, 0,76 centimes d'euro de l'heure, soit même pas l'euro par consultation imposé par la réforme de l'assurance maladie. La réforme du compte épargne-temps constitue une supercherie car l'employeur pourra décider unilatéralement de l'utilisation de ce compte et s'en servir pour différer le paiement des salaires en cas de choix spéculatifs incertains ou pour le transformer en fonds de pensions. Enfin, duperie avec la notion de temps choisi qui remet en cause la durée légale du temps de travail et individualise les rapports sociaux au sein de l'entreprise au détriment du salarié. En réalité, en faisant voler en éclat la limitation la durée du travail, vous cherchez à anticiper une directive européenne. Ainsi, en France les salariés pourront travailler jusqu'à 48 heures (Rires sur les bancs du groupe UMP) par semaine ! Plusieurs députés UMP - Par jour ! Avec le goulag en prime ! M. Maxime Gremetz - Où est votre Europe sociale ! Plusieurs députés UMP - Dans la Constitution ! M. Maxime Gremetz - Après la directive Bolkestein, voici la directive opt out qui allonge la durée du travail. Dans ce contexte, nous encouragerons les Français qui souhaitent une construction européenne plus sociale, garantissant l'emploi et les salaires, à voter « non » lors du référenduM. Rassurez-vous une victoire du « non » ne signifierait en rien la fin du monde... (Protestations sur les bancs du groupe UMP) Plusieurs députés UMP - Mais celle de l'Europe ! M. Maxime Gremetz - Au contraire, nous pourrons ainsi renégocier un autre projet de Constitution (Mêmes mouvements). Votre proposition de loi est un leurre pour les salariés. Les entreprises, elles, ne connaissent pas la crise avec une augmentation des profits de plus de 55 % en un an ! Plusieurs députés UMP - Fort heureusement ! M. Maxime Gremetz - Le Medef est pour la Constitution, rien d'étonnant à ce que les salariés soient contre ! Vous avez rejeté toutes nos propositions, notamment celles relatives à la définition du temps de travail effectif et à l'interdiction du travail de nuit des femmes dans l'industrie. Vous avez refusé le retour au principe de l'accord majoritaire, pourtant incontournable, si nous voulons asseoir la légitimité de la négociation sociale. Enfin, nous proposions de subordonner le bénéfice des exonérations de cotisations patronales à l'effort consenti par les entreprises en matière de réduction du temps de travail et de création d'emplois stables et correctement rémunérés. La Cour des comptes s'inquiète de la surenchère en matière d'exonération de cotisations sociales patronales et du faible impact sur l'emploi de ce dispositif. Pour que ce système soit efficace, de nouveaux droits d'intervention devraient être accordés aux salariés. Tout cela, vous n'avez pas voulu l'entendre ! Vous préférez, avec votre majorité UMP et UDF, satisfaire aux attentes du Medef ! (Vives protestations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Voyez le résultat de cette politique : un taux de chômage de 10 %, une augmentation du nombre de bénéficiaires du RMI de 9 %, la multiplication des travailleurs pauvres et un pouvoir d'achat en baisse de 0,3 % ! Pour ces raisons, nous voterons contre cette proposition de loi. Nous encouragerons le développement du mouvement social contre votre projet de Constitution européenne (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). M. Hervé Novelli - Tout a été dit sur cette proposition de loi. Je rappellerai simplement que ce texte est organisé autour de quatre idées. Premièrement, la liberté pour le salarié de choisir son temps de travail dans le respect des accords conclus (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains). Deuxièmement, la confiance dans les partenaires sociaux pour négocier les assouplissements nécessaires. Troisièmement, le pouvoir d'achat (« Ah ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) qui avait reculé en 2004 pour les salariés du privé. Pour nous, cette baisse est le résultat de la loi Aubry 2 (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) qui a entraîné une stagnation salariale dont il est difficile de sortir aujourd'hui ! Les électeurs, semble-t-il, ne s'y sont pas trompés, puisqu'ils ont préféré se faire représenter par Sébastien Huyghe plutôt que par Martine Aubry lors des dernières élections législatives ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP) Quatrièmement, le maintien du dispositif dérogatoire jusqu'au 1er janvier 2009 pour les entreprises de moins de 20 salariés. Les ajouts du Sénat n'ont pas fondamentalement altéré cette philosophie même si la rédaction de l'Assemblée était préférable sur certains points. Voter ce texte conforme nous permettra de clore ce chapitre législatif pour passer à celui de la négociation. Nous croyons que des accords destinés à ceux qui souhaitent travailler plus et gagner plus sont possibles. Nous devrons aborder tôt ou tard, pourquoi pas en 2007, le problème plus général du peu de place laissée à la négociation collective ou individuelle par rapport à l'appareil législatif et fonder un nouveau contrat social. De même, par simple souci d'équité, nous devrons étendre ce dispositif à la fonction publique pour que les fonctionnaires qui le souhaitent puissent accroître leur pouvoir d'achat en travaillant plus. M. Maxime Gremetz - Démagogue ! M. Hervé Novelli - Cette proposition de loi est le signal d'une démarche moderne destinée à rendre notre démocratie sociale plus apaisée et responsable (Protestations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste). L'UMP votera cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Alain Vidalies - L'examen en deuxième lecture de ce texte est intervenu dans un contexte marqué par les incohérences et les échecs de la politique du Gouvernement. L'INSEE a ainsi révélé que le pouvoir d'achat des salariés du secteur privé avait diminué de 0,3 % en 2003. Il faut remonter à 1996, date à laquelle vous étiez déjà aux affaires, pour trouver un résultat aussi médiocre - et à l'époque, on ne pouvait incriminer la loi Aubry ! Le nombre des chômeurs a augmenté de 200 000 depuis 2002. Encore avez-vous renvoyé vers le RMI des dizaines de milliers de demandeurs d'emploi en modifiant les règles de l'allocation spécifique de solidarité. Le nombre des allocataires du RMI a augmenté de 9 % en 2004, soit 81 000 personnes. Dans le même temps, les résultats des grands groupes battent tous les records, avec des augmentations de 40 %, 100 % et jusqu'à 800 %, et ce dans tous les secteurs. Votre politique de réduction des impôts pour les plus aisés et de démantèlement du droit du travail fragilise la situation des salariés et encourage la captation de la richesse produite au détriment du travail et au profit des actionnaires. Au moment où notre pays compte 3 millions de demandeurs d'emplois et de plus en plus de salariés à temps partiel subi, le Gouvernement et l'UMP ne trouvent rien de mieux à faire que de porter le volume des heures supplémentaires à 220 heures, alors que la moyenne utilisée par les entreprises n'est que de 59 heures ! Vous avez déjà augmenté le nombre de salariés dont le temps de travail peut être comptabilisé en forfait jour, réduit le droit au repos compensateur, supprimé un jour férié, et augmenté le temps de travail effectif en modifiant sa définition. Vous poursuivez méthodiquement le démantèlement du code du travail, en facilitant les licenciements et en remettant en cause la hiérarchie des normes. Votre conception du dialogue social est à géométrie variable. Vous avez inscrit ce texte à l'ordre du jour prioritaire de l'Assemblée sans aucune négociation préalable avec les organisations syndicales. Il est dès lors paradoxal que M. Novelli présente l'accord comme un préalable nécessaire dans ses explications de vote ! Le choix de la proposition de loi pour éviter de soumettre le texte au Conseil d'Etat en dit d'ailleurs long sur votre attachement au dialogue social. Il est extraordinaire de proposer, en 2005, une loi qui autorise l'employeur à alimenter le compte épargne-temps à sa seule initiative. En cas de variation de l'activité, il pourra en effet décider d'affecter des heures effectuées au compte épargne-temps au lieu de les rémunérer immédiatement. Il n'est dès lors pas étonnant que le slogan « travailler plus pour gagner plus » provienne d'une proposition de la Fédération patronale de l'Union des industries minières. Pour la première fois dans notre pays, le texte ouvre la possibilité de déroger, par un accord direct entre le salarié et l'employeur, à la loi sur les congés payés. Mais comme le pire n'est jamais sûr, l'UMP et son président viennent de proposer, en guise de politique pour l'emploi, des exonérations de cotisations sociales sur les heures supplémentaires. Le message est clair : si demain la croissance est au rendez-vous, les entreprises seront incitées à recourir aux heures supplémentaires plutôt qu'à embaucher. Les demandeurs d'emploi apprécieront ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Ce texte n'est que la manifestation de la fuite en avant d'une majorité en perdition (Exclamations sur les bancs du groupe UMP), dont le raidissement sur des principes idéologiques d'un autre siècle pénalise l'emploi et les salaires. Voilà pourquoi le groupe socialiste votera avec détermination contre cette proposition de loi économiquement absurde et socialement injuste. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) M. Hervé Morin - Nous avons assisté à un débat de postures : posture de la gauche, qui voit dans ce texte une remise en cause d'acquis sociaux majeurs, posture de la droite, qui le présente comme une réforme de la lourde erreur économique et sociale que furent les 35 heures. Nous aurions aimé, Monsieur le ministre, que le Gouvernement prenne ses responsabilités et tienne es engagements de 2002. Mais la réalité est qu'hormis des dispositifs techniques, ce texte n'apportera pas d'améliorations significatives, puisque les dérogations au dispositif législatif sont soumises à de strictes conditions. L'essentiel des membres du groupe UDF approuvera ces dispositifs techniques, mais nous n'attendons pas de ce texte l'évolution majeure promise en 2002. Notre position, quant à elle, n'a pas varié depuis deux ans : maintien de la durée légale à 35 heures, possibilité de mieux rémunérer le salarié, avec une bonification de 25 % pour récompenser le travail entre 35 et 39 heures, en-dehors du contingent des heures supplémentaires, et réduction à due concurrence des cotisations sociales. Nous aurions ainsi pu améliorer le pouvoir d'achat de nos compatriotes. Cela n'exigeait que de prendre ses responsabilités au Parlement. C'est ce que nous aurions souhaité. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF) A la majorité de 350 voix contre 135 sur 485 votants et 485 suffrages exprimés, l'ensemble de la proposition de loi, mise aux voix, est adopté. La séance, suspendue à 16 heures 40, est reprise à 16 heures 50, sous la présidence de M. Le Garrec. PRÉSIDENCE de M. Jean LE GARREC vice-président L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la création du registre international français M. Jean-Yves Besselat, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - A l'issue des travaux de notre commission, le texte relatif au registre international français - RIF - est très amendé par rapport celui qu'a voté le Sénat. Mais ayant beaucoup travaillé sur le sujet depuis quinze mois, nous avons le sentiment de proposer un texte équilibré. Il était urgent de se pencher sur le sort de la marine marchande française qui, après la stabilisation apportée par la création du pavillon Kerguelen, a connu un véritable effondrement. 762 navires battaient pavillon français avec 43 550 marins en 1970, il y en a 210 aujourd'hui, dont 94 sous pavillon Kerguelen, avec 9 300 marins, dont 1 800 sous pavillon Kerguelen. Certains ici, se sont contentés d'être spectateurs pendant des années ; pour notre part, nous passons aux actes. M. Gilbert Le Bris - Et c'est un massacre ! M. le Rapporteur - La France, quatrième exportateur mondial, ne maîtrise plus le transport, puisque si le trafic de pondéreux se fait à 90 % par mer, - et il augmente de 8 % à 9 % par an -, la plupart des navires qui l'assurent ne sont pas Français. Le pavillon Kerguelen n'est plus compétitif. La Commission de Bruxelles le considère comme le plus rigide et le moins compétitif pour ce qui est de l'emploi. Sur le plan juridique, le décret de 1987 qui imposait 35 % de marins français à bord des navires battant ce pavillon a été annulé par le Conseil d'Etat. L'article unique de la loi de 1996 qui le légalise dispose que le commandant ou son substitut doivent être français mais, pour le reste, renvoie à un décret qui n'a jamais été pris. S'agissant de la protection sociale, le pavillon Kerguelen renvoie au code du travail de l'outre-mer et, comme celui-ci n'existe pas, c'est le code de métropole qu'on applique. Pour les marins étrangers, on est dans le vide juridique complet. Même si la loi l'interdit, les armateurs ont recours aux sociétés de manning qui mettent des marins à leur disposition, sans qu'ils aient à connaître des salaires ni des conditions sociales. Néanmoins, en général les normes IFT, de l'International Worker's Transport Federation, sont appliquées. Ce que nous vous proposons aujourd'hui, c'est de réagir à cette chute vertigineuse du pavillon français. M. Maxime Bono - Mal. M. le Rapporteur - Que n'avez-vous réagi plus tôt ? Pour aller à l'essentiel, les navires aidés - en GIE fiscal ou en quirats - devront employer un minimum de 35 % de marins ressortissants de l'Union européenne - pour l'essentiel français - et les navires non aidés, un minimum de 25 %. Actuellement, les dépenses de personnel représentent 65 % des coûts sur un navire sous pavillon des Terres Australes et Antarctiques Françaises - TAAF -, contre 50 % pour un navire sous pavillon belge, pour ne pas parler des pavillons de complaisance. Avec le système plus avantageux pour eux que nous proposons, les armateurs de navires non aidés pourront s'inscrire au RIF. Sur un de ces navires, pour 16 marins inscrits sur la fiche d'effectifs, il y aura au moins quatre marins européens, dont deux français, sur un navire aidé, il y aura au moins six marins européens, en pratique certainement français. Aussi, si nous votons cette proposition, en trois ans, 70 navires pourraient adopter le pavillon RIF ce qui, à cinq emplois en moyenne par navire et quatre emplois induits pour un navigant, permettra de créer 1 400 emplois supplémentaires. Si nous ne l'adoptons pas, dans trois ans, il y aura 60 navires et 1 400 marins en moins sous pavillon français. Le texte prévoit également la défiscalisation du revenu des marins.. M. Daniel Paul - Un cadeau supplémentaire, après la taxe sur le tonnage ! M. le Rapporteur - Non, c'est un moyen de susciter des vocations. La protection sociale prévue sous pavillon RIF est la meilleure d'Europe. Les officiers français résidant en France seront obligatoirement embauchés par les armateurs, et ne pourront plus l'être par les sociétés de manning ; ils seront donc soumis au code du travail maritime, aux conventions collectives en vigueur et bien sûr au régime ENIM. Pour les marins étrangers, la proposition crée une protection sociale qui n'existait pas sous pavillon TAAF. Elle légalise les sociétés de manning, qui devront obtenir l'agrément, et assurer une protection sociale conforme aux normes internationales de l'OIT et de l'ITF. En cas de défaillance de la société de manning, l'article 20 prévoit que l'armateur se substituera à elle pour payer le rapatriement et les sommes qui restent dues aux marins et aux organismes sociaux. Le navire battant pavillon RIF sera immatriculé dans un port français, et placé sous l'autorité de l'administration française sur le plan juridique, fiscal et social, ainsi qu'en ce qui concerne la sécurité. Dès lors, parler de pavillon de complaisance, c'est énoncer une contre-vérité. Il s'agit en fait de donner un nouveau dynamisme à notre marine marchande et de créer des emplois. Ceux qui nous critiquent n'ont rien proposé quand ils étaient au pouvoir. Nous le faisons aujourd'hui, et ces dispositions vont être gravées dans le marbre de la loi. M. Daniel Paul - Si elles ne réussissent pas, vous démissionnez ? M. le Rapporteur - A l'heure où l'on parle de délocalisation, inciter des armateurs à s'inscrire sous pavillon français, c'est relocaliser. L'on peut toujours tenir des discours pour faire peur ; nous, nous préférons passer aux actes et prendre la réalité telle qu'elle est ! Enfin, l'article 34 pose une clause politique essentielle, puisqu'il dispose qu'un rapport d'évaluation de l'application du texte sera présenté au Parlement dès 2007. Je gage que cette loi concourra à de nombreuses embauches et que l'on ne verra plus, comme parfois dans le passé, certains de nos élèves officiers fraîchement émoulus de nos écoles peiner à trouver des embarquements. Monsieur le ministre, vous m'avez autorisé, pour conclure, à révéler à nos collègues que le Gouvernement allait faire de nouvelles propositions en matière d'exonération des charges patronales : qu'il en soit par avance remercié, car cela correspond à une véritable attente, que se sont notamment attachés à relayer nos collègues Tanguy et Kerguéris. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. René Couanau, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales - La proposition de loi telle que l'avait adoptée le Sénat avait légitimement suscité nombre d'interrogations, beaucoup doutant qu'il soit obligatoire de créer un pavillon bis pour conduire une politique maritime ambitieuse. Certes, la plupart de nos partenaires européens ont choisi cette voie, mais n'est-ce pas faute d'avoir jeté ensemble les bases d'une véritable politique européenne de la marine marchande ? (« Tout à fait ! » sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste) Adopté pour ainsi dire par défaut, le pavillon Kerguelen n'a pas davantage convaincu, et l'objet de la proposition sénatoriale était donc de le remplacer, avec la double ambition de renforcer la compétitivité de la flotte et de développer l'emploi, tout en introduisant des mesures sociales en faveur des marins. A cet égard, le texte du Sénat comportait plusieurs avancées notables, mais aussi nombre d'imprécisions. Le travail de nos deux commissions a bien amélioré le texte sur ce point... M. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer - Absolument ! M. le Rapporteur pour avis - Quant à la compétitivité de la flotte française, le RIF « version Sénat » y contribue bien peu, en recourant de surcroît à l'artifice de la réduction du nombre d'emplois français ! C'est du reste sur ce point que la proposition est la moins acceptable, puisqu'elle limite à deux le nombre de marins français devant être embarqués : le commandant et son adjoint... M. François Liberti - Quel progrès ! M. le Rapporteur pour avis - Dès lors, quelles sont nos principales propositions ? Nous souhaitons d'abord clarifier le statut social pour le moins disparate des marins embarqués sous pavillon bis, en précisant au moins que le code du travail maritime français et les conventions collectives en usage dans notre pays s'appliquent aux navigants français. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste) Quant aux entreprises de travail maritime, elle ne seront pas autorisées en France, et c'est bien le moins ! Nous nous félicitons qu'un amendement du rapporteur règle ce point. Autre proposition validée par nos deux commissions, voir plus loin que le pavillon bis et tendre à renforcer la compétitivité de notre flotte autrement qu'en réduisant le nombre de marins français embarqués. L'examen de ce texte doit nous permettre de décider enfin d'exonérer les navires de notre flotte de toutes les charges sociales patronales, puisqu'il est établi que leur montant constitue l'un des principaux freins à leur compétitivité. Le remboursement de ces charges a certes été instauré en 2002, mais il est effectué de façon tardive et sporadique, au terme de négociations ardues avec les ministères concernés. Aucune société d'armement ne peut gérer sereinement son activité dans des conditions aussi précaires. Notre amendement tendant à l'exonération totale a été adopté par nos deux commissions et il est heureux que le Gouvernement semble disposé à nous donner satisfaction. Quant au développement de l'emploi français, l'on ne peut pas dire que la proposition sénatoriale y contribuait valablement en limitant à deux le nombre d'officiers français requis à bord ! Cela n'est pas acceptable. Une marine marchande battant pavillon français se doit d'employer des marins français, ne serait-ce qu'à raison de leur compétence mondialement reconnue. A cet effet, nous proposons fermement qu'il soit fait obligation aux armements d'employer des navigants français ou ressortissants de l'UE - puisque l'on ne peut faire autrement ! - à hauteur d'au moins 35 % de l'effectif embarqué. Combinée à l'exonération, une telle obligation serait de nature à préserver l'emploi maritime et constituerait somme toute une contrepartie logique à l'effort fiscal substantiel consenti par la nation. Nous comprenons bien que le pavillon bis doive être attractif, mais battre pavillon français, cela se mérite ! M. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer - La proposition de loi qui émane du Sénat nous donne l'occasion d'évoquer la place, souvent injustement méconnue, de l'économie maritime dans notre pays : sait-on bien que 400 000 emplois en dépendent directement ? Mme Josiane Boyce - Absolument ! M. le Secrétaire d'Etat - Or, si la France dispose en la matière de réels atouts, ils ne sont pas toujours suffisamment exploités. Nos activités maritimes ont vocation à se développer, mais elles ne peuvent en aucun cas ignorer le contexte de mondialisation ou la nécessité d'innover en permanence pour rester compétitives. S'il serait illusoire de penser que nous pouvons produire sur le territoire national des vraquiers dans des conditions compétitives, je me dois de rappeler que nous construisons a Saint-Nazaire les plus beaux paquebots du monde et les méthaniers les plus modernes. Quant à notre plaisance, elle constitue un marché récent mais prometteur, puisque la France est le premier pays constructeur de voiliers du monde. Qu'il s'agisse des services à l'exploitation pétrolière off-shore ou de la recherche océanographique, nous nous situons pareillement au premier plan mondial. Certains de nos atouts restent cependant sous-exploités. Il en va ainsi des ports, où, faute d'avoir procédé à temps aux adaptations nécessaires, nous avons décroché par rapport aux meilleurs, même si nous avons aujourd'hui la ferme intention de redresser la barre ! Et il en va de même de la marine marchande, où le recul impressionnant de nos performances tranche avec le redressement sensible - au moins au plan numérique - des flottes de plusieurs pays européens. Il existe à mes yeux trois conditions de réussite pour la relance de la flotte de commerce française. La première est d'examiner objectivement les raisons de la réussite des politiques menées par nos voisins. N'agissons pas comme si nous étions seuls au monde, alors que l'environnement est plus concurrentiel que jamais ! En dix ans, nous sommes passés de 6,4 millions de tonnes à 6,1 millions, cependant que l'UE - hors élargissement - progressait dans la période de 102 à 122 millions de tonnes. La seconde condition de réussite, c'est de mettre au point une politique globale et durable de soutien à la flotte, traitant tout à la fois des questions fiscales et de l'aide à l'investissement. La troisième est de respecter la culture sociale maritime française. Nous nous sommes attachés à créer les conditions du succès pour nos entreprises d'armement - dégrèvements de taxe professionnelle, substitution de la taxe forfaitaire au tonnage à l'impôt sur les sociétés, mise en place du GIE fiscal, puissant levier d'aide à l'investissement, reposant sur la création d'un déficit fiscal par le jeu des investissements, et sur l'exonération de plus-values. Ce dispositif efficace n'a malheureusement pas été notifié à la Commission européenne, et fait aujourd'hui l'objet d'une enquête. Avant la fin de cette année, nous présenterons un dispositif de substitution à l'actuel GIE fiscal, compatible avec la règlementation européenne, et tout aussi efficace. Depuis 2001, nous avons entrepris de rembourser les charges sociales patronales pour les marins - 44 millions d'euros ont été inscrits à ce titre en loi de finances pour 2005. MM. Besselat et Couanau l'ont dit, nous avons travaillé pendant plusieurs mois, avec les milieux professionnels, à la recherche d'une solution durable et lisible, et j'ai le plaisir de vous annoncer que nous approuvons l'introduction dans ce texte d'une mesure d'exonération des charges patronales au profit des employeurs de navigants affiliés à l'ENIM, pour l'ensemble des navires français. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). C'est une avancée ! Le caractère spécifique de l'ENIM justifie que cette mesure soit limitée à ses affiliés ; son extension à d'autres régimes nous exposerait en effet à des demandes conventionnelles justifiées d'autres secteurs d'activité. Enfin, tous les pays européens qui ont réussi à développer leur marine marchande, ont instauré un pavillon bis. Notre pavillon « Kerguelen » présente de nombreuses insuffisances, notamment sur le plan juridique, aussi le sénateur Henri de Richemont a-t-il déposé une proposition de loi créant un registre international français, adoptée en décembre 2003 par le Sénat. Ce texte a suscité un vaste débat, et fait naître une certaine incompréhension, en particulier son fameux article 4 qui impose la nationalité française du capitaine et de son substitut, laissant entendre qu'il n'y aurait que deux marins français à bord. Telle n'était pas l'intention du Sénat, mais il fallait dissiper ce malentendu, et le Gouvernement, en liaison avec la commission des affaires économiques de l'Assemblée, a demandé à une personnalité reconnue du monde maritime, M. Scemama, de jouer le médiateur entre les différentes parties. Ce travail, qui a duré plusieurs mois, a en partie réussi, mais il reste encore à faire. Vos commissions ont adopté certains amendements, et le Gouvernement en approuve l'esprit. L'amendement de M. Besselat, qui tend à ce que la proportion des marins originaires de l'Union européenne soit portée à 35 % à bord d'un navire qui a bénéficié du dispositif d'aide fiscale pour son acquisition, et réduite à 25 % pour les autres, est sage et de nature à concilier les points de vue. Je vous rappelle d'ailleurs que les pavillons des pays qui ont réussi à relancer leur flotte ont tous des contraintes en termes de nationalité bien plus faibles ! Je remarque par ailleurs que l'amendement de M. Couanau est assez proche. Nous devons bien prendre conscience aujourd'hui qu'aucun navire au long cours n'a choisi le pavillon français. Nous sommes dans une démarche de reconquête, et ces ratios permettront de relancer l'emploi maritime français. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : moins 5 % pour la flotte française en dix ans, plus 20 % pour les pays qui se sont dotés d'un pavillon bis. Pour conclure, j'insisterai sur trois points. Tout d'abord, en arborant un pavillon français, un navire est soumis à l'ensemble des règles de sécurité maritime françaises, et ce point est fondamental dans le contexte actuel. Par ailleurs, l'inspection du travail maritime sera compétente à bord des navires battant pavillon RIF. Enfin, ce texte propose une avancée sociale inédite en apportant aux marins non européens des garanties en matière de droits syndicaux, d'horaires de travail, de protection sociale, de congés. Aucun pavillon bis européen ne comporte de dispositions analogues ! Ce texte nous donnerait les moyens de relancer la flotte de commerce française, et plutôt que de refuser la réalité en s'enfermant dans le corporatisme le plus étroit, qui signerait la mort de notre flotte maritime, nous vous proposons d'adopter une conduite volontaire, pragmatique, et respectueuse de la tradition française. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement. M. Jean Gaubert - La France devrait être un grand pays maritime. La mer représente les deux tiers de nos frontières, nous comptons de nombreux grands ports - Dunkerque, Le Havre, Nantes, Saint-Nazaire, Bordeaux, Marseille - sans parler des ports militaires - Brest, Cherbourg, Toulon - ni des lieux mythiques, comme La Rochelle ou Rochefort. Nous avons une histoire avec la mer, et d'abord avec nos grands découvreurs - Jacques Cartier -, nos grands aventuriers - Colas, Tabarly, Peyron, Riou. Mais de marine marchande, nous n'en avons plus, ou si peu. De 800 bateaux en 1960, dont 570 cargos, et 160 pétroliers, nous sommes passés à 200 aujourd'hui, dont 90 cargos et 55 pétroliers, et ce alors même que le commerce international s'est accru. Certes, l'incontestable augmentation des capacités des bateaux pourrait justifier leur moindre nombre, mais nous sommes principalement confrontés à un transfert de l'activité vers d'autres pays moins regardants sur le plan social et sur le plan de la sécurité des hommes, des cargaisons, ou des bateaux : en effet, ce sont parfois de véritables « tas de rouilles » qui accostent dans nos ports, des « bateaux poubelles » qui circulent sur la façade maritime européenne. La France en a payé le prix : que l'on se souvienne de l'Amoco Cadiz, de l'Erika, de l'Ievoli Sun ou du Prestige. Oui, la France a perdu sa place de puissance maritime, et le registre TAAF n'a pratiquement rien changé. Vous présentez aujourd'hui le RIF comme sa version améliorée : certes, par rapport aux conventions de l'Organisation internationale du travail, mais non par rapport à notre droit social. Ce projet a été élaboré au Sénat à la fin de 2003 en concertation avec les armateurs, si ce n'est sous leur dictée. Il devait d'abord être discuté à l'Assemblée le 20 janvier 2004 ; sa discussion fut ajournée une première fois face au mécontentement des salariés de la façade maritime, sans doute aussi en raison de l'approche des élections régionales et de l'émoi des élus. Certains présidents sortants de conseils régionaux, pourtant signataires du texte, se sont en effet rendus compte qu'il était urgent d'attendre, en l'occurrence le 27 avril, date à laquelle était nouvellement programmée sa discussion. M. le ministre a alors proposé fort sagement que la réflexion se poursuive de manière à trouver un point d'équilibre. La mission de M. Scemama, directeur de l'établissement national des invalides de la marine, a été évoquée : plusieurs réunions ont eu lieu au printemps avec les responsables syndicaux et les armateurs, dont les conclusions présentaient un certain nombre d'avancées. Un texte gouvernemental différent était donc attendu mais soudain, et pour quelle raison , vous présentez le même projet. Je sais bien que les armateurs attendent, Monsieur le rapporteur... M. le Rapporteur - Les négociations ont duré quinze mois ! M. Jean Gaubert - ...mais est-il si urgent de voter une mauvaise loi ? Enfin, le texte a été inscrit à l'ordre du jour le 27 janvier dernier avant que son examen ne soit à nouveau reporté. Il est vrai qu'il existait encore des dissensions internes, mais surtout il fallait éviter que les grèves ne se prolongent jusqu'à la semaine suivante. Aujourd'hui, les ports français sont encore en grève et la pression des responsables des armateurs est la même. Votre projet est motivé par des considérations idéologiques. Selon vous, le problème majeur de notre pays réside dans les salaires : s'il n'y avait pas de salariés à rémunérer, s'il n'y avait pas ces foutues charges sociales, tout irait beaucoup mieux. Ces vieilles lunes coûtent pourtant beaucoup à notre économie car rémunérer insuffisamment les salariés, c'est faire baisser la consommation. De la même manière, lorsqu'il est question du déficit de notre commerce extérieur, soit vous évoquez l'euro, soit vous évoquez des salaires trop élevés. Comment procèdent donc les Allemands, alors qu'eux aussi font bien évidemment partie de la zone euro et que les salariés sont beaucoup mieux payés ? Cessez donc d'incriminer toujours les mêmes boucs émissaires ! Les salaires, sur les cargos et les porte-conteneurs, représentent entre 4 % et 10 % du coût total de l'affrètement. M. le Rapporteur - C'est faux. M. Jean Gaubert - Quel est l'intérêt de gagner quelques points ? Nous compterons des chômeurs supplémentaires dans le monde maritime et nous aurons créé un « pavillon d'extinction », car c'est bien de cela qu'il s'agit dès lors que diminuera le nombre de marins français ou sous statut français puisque nous avons appris que la fiche d'effectif passera à 25 % - soit deux à trois Français sur un bateau où la fiche d'effectif pétrolier peut être de dix ou douze : à force de diminuer les effectifs français, ceux-ci disparaîtront totalement. Il est donc fallacieux de prévoir des articles et des amendements sur la formation des marins et le devenir des écoles maritimes. Dès lors que ce pavillon favorisera d'autres types d'embauches, ceux qui étudient aujourd'hui dans les écoles maritimes ont peu de chances de trouver un emploi. Dans quelques années, les armateurs expliqueront que 25 % de la fiche d'effectif, c'est encore trop, qu'il n'y a même plus de candidats français et qu'il faut aller encore plus loin. Des marins peu ou mal formés, ne parlant pas la même langue, soumis à deux ou trois statuts différents... Tout cela risque d'occasionner des ruptures dans la chaîne du commandement et d'avoir des conséquences sur la sécurité, qu'il s'agisse de pollutions ou d'accidents. Je pense à un accident comme celui qu'a causé le Bow Eagle, ce bateau norvégien qui a éperonné le Cistude dans la nuit du 26 avril 2002. L'armateur a essayé de s'en tirer en expliquant que le marin philippin qui était de quart n'avait pas compris les signaux...On peut, hélas, craindre d'autres Bow Eagle. Le 12 janvier 2004, M. Bussereau expliquait que les conditions de travail - temps de repos, notamment - étaient un élément essentiel de la sécurité et que de nombreux accidents étaient causés par des manquements à des règles de bon sens. Le facteur humain, concluait-il, est le fondement de la sécurité maritime que la France s'attache à promouvoir au niveau international. Vous-même, Monsieur le ministre, déclariez le 2 décembre que la France militait pour que l'Union se dote d'une directive imposant des sanctions pénales pour les pollutions volontaires ou involontaires causées par les navires. Nous voulons demeurer, concluiez-vous, les mieux-disants européens en matière de sécurité maritime. Ce qui est proposé aujourd'hui s'accorde mal avec ces déclarations ! Il ne faudra pas pleurer ni taper du pied sur une plage de l'Atlantique dans une boulette de pétrole le jour où vous récolterez ce que vous avez semé ! Quant aux sociétés de manning, vous les avez refusées, Monsieur le rapporteur, pour les Français et les Européens, mais il fallait aller plus loin et les refuser pour tout le monde, car elles sont les négriers des temps modernes ! M. le Rapporteur - Faites des propositions ! M. Jean Gaubert - Nous en faisons ! En tout cas, on ne peut pas dire : ce n'est pas bon pour nous, mais ça l'est bien assez pour les autres ! L'article 18 est particulièrement scandaleux, qui dit que le contrat d'engagement peut prendre fin par décision de l'armateur en cas de débarquement du navigant pour maladie ou blessure. M. le Rapporteur - Il a été supprimé. M. Jean Gaubert - Il est encore dans le tableau récapitulatif, pourtant ! Il arrive que certaines exceptions d'irrecevabilité soient un peu tirées par les cheveux, mais je crois que l'inconstitutionnalité du présent projet est flagrante, que ce soit au regard de l'article premier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 - « les hommes naissent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune » - ou par rapport au préambule de la Constitution de 1946 : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. » Avec ce projet, les personnes travaillant sur un même bateau auraient des droits différents selon leur origine. Permettez-moi aussi de vous citer l'article II-75 du traité établissant une Constitution pour l'Europe : « Toute personne a le droit de travailler et d'exercer une profession librement choisie ou acceptée... » M. Daniel Paul - On ne parle plus de droit au travail ! M. François Liberti - On reconnaît aux gens le droit de respirer, quand même ! M. Jean Gaubert - ...« Les ressortissants des pays tiers qui sont autorisés à travailler sur le territoire des Etats membres ont droit à des conditions de travail équivalentes à celles dont bénéficient les citoyens de l'Union. » Avec ce projet, nous sommes loin du compte. Mais nous sommes en revanche très près de la fameuse directive Bolkestein ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Plusieurs députés communistes et républicains - En effet ! M. Jean Gaubert - Vous ne faites en effet ici qu'appliquer de façon anticipée ce qu'elle contient et que vous prétendez contester, à savoir le principe du pays d'origine ! Comment allez-vous expliquer cette contradiction ? Vous auriez pu au moins attendre que le référendum soit passé ! M. Jean-Marc Lefranc - Quel amalgame ! M. Jean Gaubert - Autre problème : le GIE fiscal. On pouvait jusqu'ici le considérer comme un avantage compensant le « handicap » surmonté par les armateurs français, en particulier ceux qui assurent le transport de passager et qui sont donc plus concernés, comme je l'ai expliqué, par le niveau des charges salariales. Mais si on supprime toutes les contraintes supportées par les armateurs, comment justifier le maintien de cet avantage ? Ce sera d'autant moins facile que les armateurs voudraient encore réduire les contreparties qui l'accompagnent. Ils demandent en effet que l'engagement pavillon français soit réduit de 7 à 5 ans. Sait-on quel est le coût de ce dispositif et quelle est son incidence sur ceux qui continuent à jouer le jeu en embauchant du personnel français ? Le gouvernement précédent avait accordé des exonérations patronales. Vous les avez modifiées en passant à une taxe au tonnage... M. le Rapporteur - Rien à voir ! M. Jean Gaubert - En effet, ce ne sont pas les mêmes qui en bénéficient ! Je ne serais en tout cas pas surpris qu'à l'avenir, les armateurs demandent, en échange de l'immatriculation de leurs navires en France, à être exonérés de taxes portuaires ou des charges afférentes au débarquement et à l'accostage. Quel bénéfice notre pays tirera-t-il en définitive du nouveau pavillon ? Aura-t-il pour effet de faire embaucher quelques marins de plus ? J'en doute. Par contre, l'Etat, les régimes sociaux et peut-être les collectivités locales auront des charges supplémentaires à supporter. Les navires inscrits au RIF seront à peu près aussi français que ces vêtements arrivés de Chine qui portent l'étiquette « made in France » ! Ne tirant aucun avantage de cette réforme, notre pays devra en supporter tous les inconvénients. Vous justifiez les entorses au droit social prévues par ce texte par les difficultés particulières que connaît notre marine marchande, mais chaque bateau, désormais considéré comme territoire français, pourra se prévaloir de difficultés pour bénéficier du dispositif ! Il existe donc un risque important de dérive. En cela, cette proposition participe de l'entreprise de déconstruction du droit du travail que vous menez depuis trois ans, mais elle organise également la baisse du coût du travail dans le secteur maritime : vous êtes-vous demandé ce que sera notre société quand les salaires ne permettront plus aux travailleurs de consommer ? Pour toutes ces raisons, je vous engage à voter cette exception d'irrecevabilité. Ce texte est antisocial car, sous prétexte de permettre le recrutement de deux Français et de quelques Européens par bateau, il ouvre la possibilité d'embaucher des étrangers en les sous-payant. Le seul avantage économique que nous tirerons de cette réforme est maigre : un macaron et un drapeau français sur quelques bateaux. M. le Rapporteur - Ce n'est pas rien ! M. Jean Gaubert - Enfin, comme je l'ai longuement démontré, ce texte est anticonstitutionnel. Combattu par la majorité des députés de la façade maritime de Dunkerque à Marseille - bien que certains se fassent discrets par fidélité à leur groupe politique -, il est également repoussé par tous les maires du littoral et par tous ceux qui sont en relation avec la chose maritime. Quinze mois n'auront pas suffi pour le rendre acceptable. Aussi le rejetons-nous ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) M. le Secrétaire d'Etat - Monsieur Gaubert, dans un premier temps, j'ai cru que vous alliez plaider pour le registre international français, le RIF. En effet, vous avez fort bien expliqué la baisse inquiétante du nombre de nos navires et l'importance de la sécurité maritime, questions auxquelles vous êtes sensibles en tant qu'élu breton. Cependant, la suite du propos ne fut pas celle qu'on attendait, comme si vous ne m'aviez pas entendu démontrer que le RIF apporterait des garanties incontestable en matière de sécurité et comme si vous ignoriez que les « bateaux poubelles » quittent aujourd'hui les eaux européennes grâce au renforcement des procédures de contrôle sous l'impulsion de l'Union. Plusieurs députés UMP - Absolument ! M. le Secrétaire d'Etat - Vous avez fait la démonstration de votre ignorance des réalités économiques et juridiques. Les premières nus interdisent de pouvoir exiger des bateaux à 100 % français, où notre droit du travail s'appliquerait entièrement - si tel était le cas, croyez que nous abandonnerions immédiatement le système du RIF ! Aujourd'hui, il s'agit de faire face à la concurrence des bateaux sous pavillon de complaisance où l'on ne respecte ni le droit du travail ni les règles de sécurité maritime. Inscrits au RIF, les navires seront dans l'obligation d'appliquer les règles de sécurité maritime et de garantir aux marins non français une protection sociale minimale. Nous ne vivons pas dans un monde idéal ! C'est la réalité qu'il nous revient d'améliorer après l'avoir reconnue telle qu'elle est. Du point de vue juridique, je vous rappelle que notre Constitution ne protège que les citoyens français et que le traité constitutionnel européen ne concernera que les ressortissants communautaires. Le RIF permettra d'assurer aux autres marins étrangers une protection effective. Par ailleurs, les chiffres que vous avez avancés pour le coût de l'exploitation d'un navire sont plus que contestables et vous paraissez ne pas savoir qu'un armateur peut changer de pavillon en une demi-journée pour choisir celui qui est le plus favorable. L'avenir de la marine marchande française ne saurait être garanti par votre approche malthusienne : on ne crée pas de l'emploi en relevant par la loi le pourcentage des marins nationaux obligatoirement présents sur un navire. La réalité économique est par ailleurs souvent fort différente de ce que prévoient les textes et la proportion des marins européens est souvent plus élevée que vous ne pensez, même à bord de navires battant pavillon bis. Vous avez trop oublié ce principe de réalité par le passé : d'où la situation que nous entendons corriger aujourd'hui ! (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. le Président - Nous passons aux explications de vote. M. François Liberti - Je suis sidéré par les propos que vient de tenir M. le secrétaire d'Etat. Il fait la critique de l'ultra-libéralisme qui a sévi dans le secteur maritime ! Malheureusement, il ne tire pas les conclusions de ce constat que nous partageons. Ce texte représenterait « une chance historique » ou encore « une avancée sociale ». Nous avons l'impression d'entendre ses prédécesseurs défendre, dans les années 1970, la création du pavillon des îles Kerguelen. Ce dispositif n'a pu ralentir l'hémorragie de notre marine marchande : de plus de 600 navires, il n'en reste que 200 ; des milliers de marins sont au chômage et les accidents maritimes se multiplient sous l'effet de la déréglementation. Après le pavillon des îles Kerguelen, voici maintenant le RIF qui se fonde sur le même principe et la même méthode, étendus à l'ensemble de la flotte pour favoriser la rentabilité maximale de l'armement au détriment de la protection sociale. Ce texte est repoussé par les organisations syndicales et par les acteurs du monde maritime, unanimes. Comme eux, les députés du groupe communiste et républicain s'y opposeront et commenceront par voter cette exception d'irrecevabilité. M. Léonce Deprez - Il n'existe que deux attitudes possibles face au monde actuel : le condamner ou chercher à le rendre meilleur. Si on prend le deuxième parti, il faut procéder par étapes. C'est ce que nous faisons aujourd'hui pour la mer. François Goulard me paraît être l'homme de la situation, en raison de sa connaissance des questions maritimes que de sa connaissance des questions économiques et juridiques. J'ai pu apprécier chez lui, comme chez le président Le Garrec d'ailleurs, une remarquable ouverture au monde dans lequel nous vivons. Nous luttons tous pour rendre ce monde meilleur, même si nous ne prenons pas toujours les mêmes chemins. Et il faut savoir que, dans le cas présent, la ligne droite n'est pas celle qui permettra d'atteindre le but recherché. Il faut regarder ce texte comme l'expression d'une volonté de reconquête. Je me suis battu pendant des années pour reconquérir le bassin minier du Pas-de-Calais : cette bataille de plus de trente ans, nous l'achevons à peine. Il nous faut de même nous battre pour une vie nouvelle sur les mers, pour une organisation du monde maritime. Nous ne voterons pas cette exception d'irrecevabilité. Rappelons-nous d'où nous venons : en 1962, il y avait 798 navires français; ils ne sont plus que 211. Nous avons perdu cette bataille-là, et il nous faut regagner pas à pas le terrain perdu. Nous voulons des droits sociaux équivalents en Europe, puis dans le monde. Nous sommes évidemment loin du compte, et nous partageons votre révolte devant ces témoignages d'équipages qui vivent dans la misère. Mais notre politique est une politique sociétale libérale : la liberté est le chemin à prendre, et le but à atteindre, c'est l'équilibre du monde et le respect des droits des citoyens et des travailleurs. Pour cela, il nous faut un gouvernement politique de l'Europe et une gouvernance mondiale - nous avons d'ailleurs commencé avec l'ONU, puis avec l'OMC. (Exclamations sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains) Or cela prendra des dizaines et des dizaines d'années. Ce texte marque, je le répète, une étape. Il va redonner à la France l'ambition maritime qu'elle avait perdue. Parce que le but ultime exigera encore beaucoup d'efforts, nous soutenons la Constitution européenne - qui nous permettra d'avoir un gouvernement politique européen - et nous soutiendrons, demain, un gouvernement mondial. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) M. Gilbert Le Bris - Le groupe socialiste votera évidemment l'exception d'irrecevabilité que vient de défendre brillamment notre collègue Jean Gaubert. Loin d'ignorer les réalités économiques et juridiques, ou d'évoquer un monde idéal, il n'a fait que défendre un monde différent de celui dont vous rêvez, un monde qui ne soit pas celui du moins-disant social vers lequel nous entraîne ce texte. Nous avons affaire à la déclinaison maritime de la directive Bolkestein... M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - Ce n'est pas sérieux ! M. Gilbert Le Bris - ...Pire même, puisque c'est à l'échelle du monde qu'on veut ignorer ce moins-disant social. On cherche à protéger l'illusion nationale d'un pavillon. Mais que serait un pavillon français sans Français ? Sans parler de la fracture sociale qui se révélera à bord des navires... M. Aimé Kerguéris - Elle existe déjà ! M. Gilbert Le Bris - ....ce texte compromet la sécurité maritime et la protection de l'environnement. Comment assurer la communication à bord des navires avec des équipages hétéroclites ? Voilà qui nous promet de nouveaux Erika et autres Amoco Cadiz. Ce n'est pas l'avenir que nous souhaitons pour notre pays ! L'adoption de cette proposition va ouvrir une brèche dans le code du travail, brèche où s'engouffreront hélas le rail, la route et les airs. On ne peut ignorer ce risque. Comment la France pourra-t-elle, en déréglementant son propre droit du travail, prétendre améliorer les conventions internationales à l'OMI ou à l'OIT ? Ne nous payons pas de mots : c'est bien vers un pavillon de complaisance que nous allons. Or les pavillons de complaisance violent l'article 91 de la convention de 1982 sur le droit de la mer, qui exige un lien substantiel entre l'Etat du pavillon et le navire. Ce texte est destiné à être étendu en quelques années à la totalité de la flotte. Le RIF vise donc à généraliser un système de sous-traitance, c'est-à-dire un alignement par le bas. A-t-on oublié que, par l'article 117 du traité de Rome, les Etats membres étaient convenus de la nécessité d'améliorer les conditions de vie et de travail de la main-d'œuvre, en vue de leur égalisation ? On en est loin ! Ce texte au rabais, discuté à la va-vite, n'a qu'un seul objectif : permettre à la France de faire comme les autres, c'est-à-dire de transporter au coût le plus bas au mépris des conditions de travail (Protestations sur les bancs du groupe UMP). Le RIF n'est qu'un renoncement, indigne de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée. La séance, suspendue à 18 heures 25, est reprise à 18 heures 35. M. le Président - J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du Règlement. Mme Marylise Lebranchu - En décembre 2003, le Sénat votait en première lecture une proposition de loi créant un registre bis de pavillon français, dit RIF - sigle qui n'aide pas à comprendre ce que recouvre en fait ce registre international français, et je le regrette. Je regrette plus encore qu'après plusieurs retraits successifs de l'ordre du jour, ce texte n'ait pas été définitivement abandonn. Pour notre part, nous nous sommes toujours élevés contre cette volonté de la majorité de créer un vrai-faux pavillon de complaisance français. M. Raffarin semblait pourtant avoir renoncé à cette proposition qui n'avait pas fait l'objet d'une grande concertation, pour ne pas prendre la responsabilité de menacer l'emploi des marins français avant les élections. Il avait alors eu la bonne idée de nommer un médiateur, M. Scemama, et des négociations avaient enfin pu avoir lieu entre armateurs et organisations syndicales. A la même époque, il nous avait garanti que nous aurions un droit d'accès aux conclusions de la mission de médiation, et qu'il déposerait un projet - non plus une proposition - tenant compte de ces conclusions. M. le Secrétaire d'Etat - Il n'a jamais été question de cela ! Mme Marylise Lebranchu - Dont acte dans ce cas. Et voici que ce texte nous revient à l'identique, sans changement ni sur la forme ni sur le fond, même si vous avez avancé quelques propositions fiscales. Nous sommes déjà en train de l'examiner en séance. Cela n'a pas empêché les marins de comprendre l'enjeu et de se mobiliser, même si nous déplorons tous les incidents et les débordements qui ont eu lieu. Ce qui me choque, c'est que l'on a fait fi de la majorité de la commission des affaites sociales, alors que la proposition touche, pour l'essentiel, au droit du travail et que, de ce fait, cette commission aurait dû être saisie au fond. C'est dommage pour la démocratie et l'opposition a d'ailleurs eu du mal à se situer, entre les travaux des deux commissions. Ce seul fait prouve que le contenu du texte va bien plus loin que ce que l'on veut bien dire. Si, par cette précipitation, vous vouliez éviter les grèves, le pari est manqué, je l'ai dit. J'appelle votre attention sur le cas très symbolique de ce navire de Brest qui est rentable et emploie 24 marins français. Ceux-ci sont en grève car ils savent qu'à court terme, leur emploi est en jeu. En effet, l'armateur peut gagner sa vie en employant des marins français, mais si on lui ouvre d'autres possibilités, il ne va pas les refuser par philanthropie. Le temps qui nous a été laissé pour examiner ce texte est manifestement insuffisant, d'autant que la majorité elle-même est très divisée à son sujet. Parce qu'il tend à légiférer dans un domaine éminemment complexe, il méritait d'être analysé sereinement, sans céder à une quelconque forme de précipitation. Je rappelle d'ailleurs que certains armateurs - que vous connaissez bien - proposaient eux aussi de retenir une approche plus globale du texte, plutôt que d'en faire l'instrument d'une nouvelle dérogation au droit du travail. Enfin, vous vous étiez aussi engagé à tenir compte des conclusions de la conciliation entre armateurs et syndicats. Depuis le début des années 1970, nous déplorons tous le déclin continu de la marine marchande française, passée de 514 navires en 1975 à seulement 207 en 2004. Mais nous ne pouvons ignorer que cette évolution est essentiellement liée à l'essor des pavillons de complaisance, enregistrés sous des régimes fiscalement favorables et dégagés de toute obligation quant à la nationalité des équipages. L'occasion nous est aujourd'hui donnée de discuter de ces sujets essentiels, mais le texte ne traite qu'une partie du problème et présente, comme l'ont déjà dit plusieurs de nos collègues, des risques majeurs de dérive sociale. C'est, en quelque sorte, une nouvelle directive Bolkestein appliquée aux services maritimes... M. le Rapporteur - Amalgame ! M. le Secrétaire d'Etat - Allons donc, cela n'a rien à voir ! Mme Marylise Lebranchu - Mais si ! Nous sommes bien dans le champ des services et je croyais avoir compris que tout le monde était d'accord pour combattre le dumping social. En l'espèce, vous l'acceptez pourtant... M. le Secrétaire d'Etat - Incroyable ! Mme Marylise Lebranchu - En ne faisant obligation aux armateurs de n'embarquer que deux officiers français, l'article 4 tel que l'a adopté le Sénat fixe, au nom de la sacro-sainte rentabilité, une obligation a minima. Faute d'inventer des instruments de régulation tendant à atténuer les effets de la mondialisation, vous choisissez de tirer vers le bas la rémunération des salariés. De telles orientations sont inacceptables. En outre, le même article contrevient au principe de non-discrimination entre travailleurs ressortissants de l'Union, puisque certains marins relèveront des normes françaises, alors que d'autres resteront soumis au droit de leur pays d'origine, comme dans une certaine directive récemment débattue... (« Exactement ! » sur les bancs du groupe socialiste) M. le Rapporteur - Cela vous arrange ! Mme Marylise Lebranchu - N'en croyez rien ! Cette forme de dumping social nous dérange d'autant plus qu'à l'exception de certains armateurs, personne - et certainement pas l'Union européenne ! - n'avait rien demandé. Les armateurs eux-mêmes sont loin d'être unanimes sur le choix d'une telle option, et la proportion souhaitable de marins français à retenir pour constituer un équipage continue de faire débat. En retenant un pourcentage minimal, vous tendez à dire au contribuable français que sa contribution à la performance économique du navire sous GIE fiscal n'est assortie d'aucune contrepartie en matière d'emploi. Aidé par la collectivité, l'armateur peut se dispenser d'embaucher en nombre des salariés français... M. le Secrétaire d'Etat - Vous raisonnez à l'envers ! Mme Marylise Lebranchu - Absolument pas, et il n'est pas nécessaire d'être particulièrement clairvoyant pour voir que vous ouvrez là une brèche extrêmement dangereuse. Il eût été bien plus raisonnable de tenir compte des résultats de la négociation entre les armateurs et les organisations syndicales pour inscrire dans la loi un pourcentage socialement acceptable. Le système à deux vitesses que vous tendez à consacrer n'est pas tolérable. Parallèlement, vous faites part de l'intention du Gouvernement d'harmoniser par le haut le régime des cotisations patronales, ce qui revient à consentir de nouvelles exonérations... M. Aimé Kerguéris - Y êtes-vous opposée ? Mme Marylise Lebranchu - Non, mais toute avancée en ce sens doit être assortie de nouveaux devoirs pour les employeurs. En accordant de nouvelles facilités sans demander de contrepartie, vous prenez une décision qui sera difficile à justifier à moyen terme et qui tend à accentuer les incompréhensions entre le citoyen et les décideurs. Nous sommes tous d'accord pour mieux protéger les marins français et communautaires, mais il faut aussi fixer de nouvelles contraintes pour les loueurs de main-d'œuvre... M. Daniel Paul - Pour les marchands d'hommes ! M. François Liberti - Ce sont parfois de véritables marchands d'esclaves ! Mme Marylise Lebranchu - Certaines situations ont en effet été dénoncées comme des formes d'esclavage moderne. Et l'on ne peut se contenter des nouvelles garanties de solvabilité demandées aux employeurs. Est-il concevable que la loi française se borne à disposer qu'il faut rapatrier les gens malades ou inemployés ? Il n'y a pas là un véritable progrès, mais plutôt une timide tentative d'humanisation de situations particulièrement scandaleuses. Au final, les obligations faites aux employeurs français risquent de ne guère les distinguer de leurs homologues malaisiens ou philippins. Chacun sait en effet que les normes de l'OIT ne fixent que des obligations minimales ! Mais il est encore temps, d'ici à demain, de se ressaisir et de changer la donne. Mais surtout, nous savons tous qu'entre l'effectif affiché et l'effectif réellement embarqué, il y a des différences, et l'on ne pourra faire respecter la réglementation qu'à partir de l'équipage réel ! Où sont les inspecteurs nécessaires ? J'en profite pour saluer l'amendement de M. Couanau qui va dans le sens d'une plus grande sécurité maritime, et d'une meilleure garantie d'emploi pour les marins français, en prenant en compte ce que nous savons tous de la réalité maritime. Je m'interroge par ailleurs sur la réalité de l'application du quota de 35 %, s'il ne résulte que d'un accord de branches. Vous aviez promis, Monsieur le secrétaire d'Etat, que ces quotas seraient présents dans le texte ! Finalement, seuls les navires bénéficiant de mesures financières incitatives devront maintenir un minimum de 25 % de marins communautaires sur leurs navires. Et les autres ? Une nouvelle fois, l'intérêt économique prime sur le droit du travail. La vocation des politiques, c'est aussi de faire de la régulation, et agir sur les contraintes économiques. Croyez-vous que les armateurs non concernés par le GIE fiscal feront tout de même appel à des navigants communautaires ? Nombre d'entrepreneurs maritimes ont d'ailleurs salué la position raisonnable des syndicats sur les quotas de navigants communautaires. Si ce texte est adopté en l'état, 80 % des 970 marins travaillant sur les navires TAAF risquent de perdre leur emploi dans l'année, sans parler des 1 200 marins aujourd'hui au chômage ! Et que dire du risque de discrimination à l'égard des marins extra-communautaires ? Ces navigants seront soumis au droit de leur pays d'origine ou au droit du pays d'établissement de la société de travail maritime par laquelle ils sont entrés en lien avec l'armateur. Or, la loi du pavillon crée un lien juridique entre le navire enregistré sous ce pavillon et l'Etat du pavillon, aussi le droit applicable est, me semble-t-il, celui de l'Etat du pavillon auquel est rattaché le navire. Vous vous réjouissez de créer un régime plus protecteur que celui du TAAF, mais nous aurons alors deux droits. Ce registre Kerguelen n'est pas notre fierté, mais nous aurions pu aller plus loin que vous ne le faites. Par ailleurs, je ne vois pas pourquoi les armateurs se refuseraient à embaucher des étrangers au moindre coût, et il deviendra de plus en plus difficile de trouver des marins dans notre pays - la filière est aujourd'hui, d'ailleurs, largement désaffectée ! C'est un grave danger pour nos écoles maritimes, et pour l'avenir de nombre de transporteurs, qui ont besoin de marins français hautement qualifiés. S'agissant de la sécurité maritime, dès 1978, les députés membres de la commission d'enquête créée à la suite du naufrage de l'Amoco-Cadiz avaient relevé les risques liés au fait que « pour mieux amortir leur investissement, les armateurs s'efforcent d'obtenir un taux de rotation extrêmement élevé ». Ils avaient ensuite relevé que le souci de réduire les rémunérations conduisait à recruter des équipages peu qualifiés. Jacques Loiseau, président de l'Association française des capitaines de navires, au moment du naufrage de l'Erika, résumait ainsi la situation : « Un équipage qui n'a aucun lien avec l'armateur ou le navire n'a aucun intérêt particulier à assurer un excellent entretien du navire [...] Nous avons en effet affaire à des marins qui sont un peu comme des « mercenaires » : ils sont employés à la tâche. » Voilà une déclaration qui aurait mérité d'être davantage prise en compte. Que ceux qui sont tentés de voter ce texte veillent donc à la sécurité maritime ! Sans doute serait-il possible d'engager à cette fin une politique volontariste au sein de l'Union européenne... M. le Secrétaire d'Etat - Très bien. Mme Marylise Lebranchu - ...en créant par exemple un pavillon européen qui pourrait faire face à la concurrence internationale et particulièrement à celle des Etats complaisants. Mais avec votre loi, la Commission ne manquera pas de nous demander de balayer devant notre porte. M. le Secrétaire d'Etat - Sur ce plan-là, nous faisons mieux que les autres pays. Mme Marylise Lebranchu - Bien au contraire. La libéralisation supplémentaire induite par ce texte nous interdira désormais de nous ériger en procureur en cas de nouvelle catastrophe. En outre, la proposition fait la part trop belle aux entreprises de manning. Les négociations sont venues à bout de la légalisation de ce type de société sur notre sol, et c'est heureux, mais dans ce cas, ne pourrait-on les priver de toute reconnaissance ? Le texte, en effet, évoque le lien entre l'armateur et la société de loueur de mains-d'œuvre, ce qui suffit à conférer à celle-ci une reconnaissance législative fort malvenue. Je rappelle en effet que ces sociétés se livrent à des enchères dégressives sur la main-d'oeuvre. M. Alain Gouriou - A des ventes à la criée ! Mme Marylise Lebranchu - Absolument. L'éthique de la protection sociale est tombée bien bas. Quid, également, de la participation des personnels aux comités d'entreprise ou aux comités d'hygiène ? La liberté syndicale existe, et les navigants syndiqués ne peuvent désigner leurs délégués syndicaux. Vos hésitations dans l'inscription à l'ordre du jour sont également révélatrices. Ce texte est éloigné de ce que souhaitaient les syndicats à l'issue de négociations qui permettaient d'œuvrer à une meilleure reconnaissance de la marine marchande française. J'entends parler depuis des années de l'absence de concertation dont nous aurions fait preuve en ce qui concerne les 35 heures... M. Aimé Kerguéris - Effectivement. Mme Marylise Lebranchu - Vous aussi, Monsieur Kerguéris, vous aurez l'impression de ne pas avoir tout fait à l'issue de votre mandat. Mais ce gouvernement fait pire en laissant miroiter une négociation, qui a lieu, et dont il ne tient pas compte. En procédant ainsi, c'est la République tout entière qui commet une faute. Si le poids de notre pays est aujourd'hui réduit au sein de l'OMI, la formation de ses navigants est néanmoins reconnue. Or, la mort programmée de la filière de formation maritime sera préjudiciable et nous pénalisera dans le cadre des discussions internationales. Le registre TAAF était insuffisant, certes, mais nous attendons encore une grande loi sur la marine marchande. Une baisse du coût de la main-d'œuvre ne résoudra pas la crise. Il est temps en effet de redéfinir les missions de notre marine, de développer des activités attrayantes telles que le cabotage international. Les collectivités seraient prêtes à vous suivre dans cette voie, mais certainement pas dans celle du libéralisme outrancier qui ne garantit en rien la pérennité de notre flotte. Ne conviendrait-il pas plutôt de lancer une vaste concertation pour qu'enfin des règles de sécurité maritime pertinentes soient posées à l'échelle européenne ? Ainsi, l'Agence européenne pour la sécurité maritime aurait dû être saisie et devrait jouer un rôle plus actif. Il conviendrait également de prendre en compte la décision de la Commission européenne d'élaborer un livre vert sur une politique intégrée de la mer, occasion unique de faire valoir la nécessité d'un pavillon européen harmonisant les normes économiques avec les normes sociales et les normes de sécurité. La marine marchande est victime de la globalisation et l'Union est un atout pour y répondre. Vous vous en privez pourtant en jouant seul et mal, en faisant des marins une variable d'ajustement des comptes. Je vous demande donc de voter cette question préalable car nous ne pouvons approuver un Gouvernement qui, à travers l'initiative de quelques sénateurs, propose un texte qui détourne le code du travail et porte atteinte à la dignité des marins français en voulant se passer de leurs compétences. L'Europe n'est pour rien dans ce projet et vous demandez aux Français de vous croire lorsque à Bruxelles vous plaidez, à juste titre, pour le respect du droit social ! Vous avez aujourd'hui l'occasion d'être cohérent. Or, votre engagement en faveur de la protection sociale est inexistant alors qu'il est le plus moderne qui soit. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains) M. le Secrétaire d'Etat - Mme Lebranchu a prononcé un beau discours, parfois émouvant et qui aurait pu convaincre quelqu'un ne connaissant rien à la question. Ses raisonnements sont en effet fondés sur des erreurs, des contre-vérités, voire parfois des mensonges. Concernant la procédure, vous laissez supposer que le Gouvernement n'a pas été à la hauteur de ses responsabilités en ne transmettant pas à l'Assemblée un texte profondément modifié par rapport à celui qui a été voté au Sénat. Mais quand une assemblée a voté une proposition de loi, le texte vient conforme à l'ordre du jour de l'autre assemblée : telle est la procédure règlementaire. Vous avez parlé de « manière dommageable » pour la démocratie, mais c'est précisément le non-respect de la procédure parlementaire qui en aurait été une. Les amendements devaient-ils être présentés par le Gouvernement ou par les parlementaires ? S'agissant d'une proposition de loi, il nous a semblé convenable d'opter pour des amendements parlementaires, notamment du rapporteur. Je passe sur l'accusation choquante de pavillon de complaisance. C'est une contre-vérité. Vous dites que nous n'avons tenu aucun compte de la médiation Scemama. Nous en avons au contraire tenu le plus grand compte et ce patient travail de rapprochement des points de vue a permis des avancées sur de nombreux points, loin d'être négligeables tels que l'application du code du travail maritime aux marins résidant en France, la formation embarquée, la mise en place d'un suivi de l'application du RIF avec les organisations socio-professionnelle ou encore la suppression de la disposition qui permettait aux sociétés de manning de s'établir en France. A vous entendre, Madame Lebranchu, on pourrait croire que de nombreux navires sous pavillon métropolitain pourraient demain choisir le RIF et employer moins de marins français. En vérité, un seul navire pourrait être dans ce cas... Mme Marylise Lebranchu - Non, 12 ! M. le Secrétaire d'Etat - Mais il se trouve que l'affréteur a demandé par contrat que l'équipage soit 100 % français. Le risque est donc nul. Et qui pourrait prétendre ici que le pavillon TAAF est plus protecteur que le RIF ? Mme Marylise Lebranchu - Personne ne dit cela ! M. le Secrétaire d'Etat - Depuis un arrêt du Conseil d'Etat de 1995, il n'est plus assorti d'aucune obligation d'emploi français ou européen. Alors, bravo pour la protection ! J'ajoute que ce pavillon a été créé en 1987 et que les majorités de gauche n'ont pas paru éprouver l'envie de le supprimer. Ne faites donc pas de procès à ceux qui tentent aujourd'hui de l'améliorer ! Le risque de dumping social est nul, puisque les marins embarqués sous pavillon RIF auront un statut plus protecteur que celui qu'ils ont aujourd'hui. J'ai eu un moment, en vous écoutant, Madame Lebranchu, le sentiment que vous pensiez que les navires bénéficiant du GIE fiscal étaient ceux qui avaient la contrainte sociale la plus faible. C'est évidemment le contraire. L'aide à l'investissement est assortie d'une exigence supérieure en termes d'emploi. S'agissant des exonérations sociales, j'avoue avoir du mal à cerner la position du groupe socialiste. M. Gaubert semblait plutôt contre, mais j'ai eu l'impression que lorsqu'elles se pratiquaient en Finlande, vous trouviez quant à vous cela très bien ! Mme Marylise Lebranchu - Mais non ! M. le Secrétaire d'Etat - J'en viens aux entreprises de travail maritime, les sociétés de manning. Par amendement parlementaire, nous allons interdire qu'elles puissent s'établir en France. En ce qui concerne celles qui sont établies ailleurs, nous avons maintenu une disposition protectrice. On peut certes avoir à ce sujet une position morale du type « cachez ce sein que je ne saurais voir », mais il se trouve que ce sein existe, et que nous pouvons au moins protéger les salariés que le manning concerne. S'agissant des marins abandonnés, vrai sujet, je rappelle que la France milite à l'OIT et à l'OMI pour l'adoption de résolutions qui les protègent dans le monde entier, car le problème est par essence international. Le minimum de marins employés, Madame Lebranchu, ne dépend pas d'un accord de branche mais est défini dans la loi. Un pavillon européen ? Oui, bien sûr ! Dans ce domaine comme dans d'autres, nous souhaitons une harmonisation ; et si demain cette question était inscrite à l'ordre du jour du Conseil ou du Parlement européens, la France aurait la tête haute, car c'est elle qui a la législation la plus protectrice d'Europe. Enfin, si l'Agence européenne de sécurité maritime n'a pas été consultée sur le RIF, c'est tout simplement parce que cette question n'entre pas dans ses compétences. M. Daniel Paul - S'il y avait eu autant d'avancées que vous le dites, Monsieur le secrétaire d'Etat, les marins n'auraient pas fait grève comme ils viennent de le faire. Ce projet se situe dans le sillage de la libéralisation générale qui accompagne, hélas, la construction européenne. L'idée est de baisser les coûts, et donc de tirer les salaires vers le bas. De fait, on trouvera toujours des hommes prêts à travailler pour moins cher, afin de nourrir leur famille, et aussi des armateurs désireux de payer moins cher ! Mais il suffirait que la prestation soit payée à son juste prix - je pense en particulier aux conteneurs - pour qu'il ne soit plus nécessaire de mettre ainsi les hommes en concurrence. La France a bien œuvré en ce qui concerne les normes techniques et elle a une des flottes les plus jeunes d'Europe, voire du monde. Mais pour la sécurité, cela ne suffit pas, comme l'a par exemple montré le naufrage de l'Erika, dont l'une des causes était l'hétérogénéité linguistique de l'équipage et l'incompréhension qui en résulte. Vous nous dites que ce projet n'a rien à voir avec la directive Bolkestein. Mais si ! Et comme M. Jourdain avec la prose, vous faites du Bolkestein sans le savoir ! En tout cas, sans le dire. C'est en effet bien le principe du pays d'origine que vous appliquez ici. Vous nous dites que l'amendement interdisant aux sociétés de manning de s'établir en France est une avancée. Non, c'est la simple sagesse et il me paraît difficile de considérer comme une avancée le fait de supprimer une disposition qui n'aurait jamais dû avoir sa place dans ce texte. M. Aimé Kerguéris - Je pense que Mme Lebranchu ne se fait guère d'illusions sur le sort de sa question préalable, et elle a raison, car enfin, s'il est un point sur lequel nous sommes tous d'accord, c'est bien sur la nécessité de délibérer ! Depuis des années, nous cherchons à enrayer le déclin de la marine marchande française. Le dispositif du quirat s'était révélé efficace mais il a été remis en question par la gauche quand elle revenue au pouvoir. De nombreux intervenants socialistes et communistes jettent l'opprobre sur les armateurs. Pourtant, ce sont eux qui créent des emplois et nous ne reviendrons pas à une économie dirigée. Madame Lebranchu regrette que ce texte ne soit pas un projet de loi. Pourtant, elle devrait s'en féliciter : nous nous plaignons trop souvent du manque de pouvoir du Parlement. Nous pouvons comprendre les craintes des marins. Toute évolution suscite inquiétude en France, le raisonnement vaut pour la Constitution européenne. Face à cette réaction, nous devons affirmer que ce texte a pour objectif de ralentir le déclin de la marine marchande. Le groupe UMP votera cette proposition de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). M. Alain Gouriou - Selon un certain nombre d'intervenants, socialistes et communistes ne seraient pas réalistes. Pourtant, tous les députés de la gauche qui ont pris la parole depuis le début de cette séance, sont des Bretons... Plusieurs députés UMP - Et nous ? Et les Normands ? M. Alain Gouriou - Nous savons quelle a été la contribution économique de la marine marchande à nos départements. Aujourd'hui, les hommes d'équipage, les marins et les officiers manifestent dans nos ports pour exprimer l'inquiétude que leur cause ce texte. Bien qu'il y ait eu un rapprochement avec les organisations du secteur, il semble que ce texte ne suscite toujours pas l'enthousiasme des syndicats. Monsieur le secrétaire d'Etat, nous avons récemment visité ensemble un lycée maritime à Paimpol. A cette occasion, vous avez souligné la qualité et le sérieux de la formation délivrée dans ces établissements. Demain, quels seront les débouchés de ces filières ? Sur un bateau moderne et mécanisé, l'équipage se réduit aujourd'hui à douze ou quinze personnes. Si le taux de 35 % de ressortissants français est appliqué, cela ne fera guère que 3 à 4 postes. Nous sommes loin des centaines de créations de postes que vous annoncez ! La réduction des effectifs rend également les équipages plus vulnérables aux attaques des pirates en mer. S'agissant de la sécurité maritime, vous affirmez que le temps des bateaux poubelles est révolu mais encore faut-il que les contrôles soient réellement effectués, par des personnels qualifiés ! Quant à la légalisation des sociétés de manning, elle était inadmissible. Vous faites le choix de favoriser les armateurs, mais cela aura-t-il un impact positif sur l'emploi ? En réalité, vous ne faites que substituer un pavillon de complaisance à un autre, il est vrai légèrement amélioré. Vous allez dans le sens d'une directive que nous condamnons. Aussi, nous voterons la question préalable de Mme Lebranchu. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) La question préalable, mise aux voix, n'est pas adoptée. Mme Marylise Lebranchu - Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai toujours eu beaucoup de respect pour le débat politique et je n'aime pas que l'on utilise le terme de « mensonge » ou de « contre-vérité » à mauvais escient. J'admets n'être pas une experte du secteur maritime, mais j'ai travaillé sérieusement sur ce texte. Je n'avancerais jamais un argument que je saurais infondé. Je vous demande d'en prendre acte (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste). M. le Secrétaire d'Etat - Je retire volontiers ces termes excessifs et vous prie d'agréer mes excuses, ce qui ne m'empêche pas d'être en profond désaccord avec l'ensemble de vos conclusions (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu ce soir, à 21 heures 30. La séance est levée à 19 heures 50. Le Directeur du service |
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