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Assemblée nationale

COMPTE RENDU
ANALYTIQUE OFFICIEL

Session ordinaire de 2004-2005 - 80ème jour de séance, 197ème séance

1ère SÉANCE DU MERCREDI 6 AVRIL 2005

PRÉSIDENCE de M. Jean-Louis DEBRÉ

Sommaire

SOUHAITS DE BIENVENUE A UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE 2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT 2

BUDGET COMMUNAUTAIRE 2

PRÉVENTION DES CRISES AGRICOLES 3

DIRECTIVE EUROPÉENNE SUR LE TEMPS DE TRAVAIL 3

DÉFENSE EUROPÉENNE 4

CONTESTATION DANS LES LYCÉES 5

CONVENTION DE RECLASSEMENT PERSONNALISÉ 6

LUTTE CONTRE LES DÉLOCALISATIONS 6

RÉFORME DE L'ASSURANCE-MALADIE 7

FISCALITÉ RÉGIONALE 8

LUTTE CONTRE LE CHÔMAGE 9

PÊCHE À LA MORUE 10

POLITIQUE EUROPÉENNE DE LA RECHERCHE 11

LUTTE CONTRE LE DOPAGE (suite) 11

TRANSPOSITION DU DROIT COMMUNAUTAIRE A LA
FONCTION PUBLIQUE 15

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ 18

La séance est ouverte à quinze heures.

SOUHAITS DE BIENVENUE A UNE DÉLÉGATION PARLEMENTAIRE

M. le Président - Je suis heureux de souhaiter en votre nom la bienvenue à la délégation conduite par M. Björn von Sydow, président du parlement suédois, accompagné de nombreux parlementaires. (Mmes et MM. les députés et Mmes et MM. les membres du Gouvernement se lèvent et applaudissent)

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

M. le Président - Les quatre premières questions porteront sur des thèmes européens, conformément à notre tradition.

M. Jean-Pierre Brard - Cela va faire gagner des voix au non ! (Sourires)

BUDGET COMMUNAUTAIRE

M. Pierre Cohen - L'Europe prépare ses prévisions budgétaires pour la période 2007-2013. Après avoir défini le budget de la PAC en 2002, le Gouvernement a décidé de plafonner le montant du budget à 1% du PIB communautaire. Comment allez-vous, dans ces conditions, financer la solidarité due aux nouveaux Etats membres, le développement de nos territoires ruraux, les fonds structurels qui aident nos régions à investir ou à se reconvertir et les objectifs de Lisbonne en matière de recherche, de développement et d'emploi ? Allez-vous indiquer aux chercheurs, que vous rencontrez cet après-midi, la méthode retenue pour remplir l'objectif d'un budget de la recherche équivalent à 3% du PIB en 2010 ? Comment comptez-vous relever les défis de la politique spatiale européenne ? La frilosité du Gouvernement ne doit pas conduire à sacrifier des secteurs essentiels. Monsieur le Premier ministre, quand allez-vous enfin réviser votre intenable position, pour donner à l'Europe le budget de combat dont elle a besoin ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre - Je souhaite apporter les éclaircissements nécessaires, d'autant que la question m'a été posée en termes modérés. Chacun sait que l'Union européenne souhaite, pour elle-même comme pour les différents Etats membres, la meilleure gestion possible. Les Etats membres répondent à cette attente en faisant du pacte de stabilité et de croissance la règle commune. Mais il faut aussi que l'Union s'applique les règles qu'elle demande aux Etats d'observer. Nous avons le devoir de veiller à ce que tout euro dépensé par l'UE soit bien dépensé pour les Européens (« Très bien ! » sur les bancs du groupe UMP), et nous invitons par conséquent l'Union à maîtriser son budget. Naturellement, nous allons à la discussion avec une position de négociation, définie par le chef de l'Etat en concertation avec plusieurs de nos partenaires, laquelle fixe à 1% du PIB communautaire le budget commun. Ce niveau de dotation doit permettre de remplir les principaux objectifs communautaires, notamment en matière de recherche. En outre, grâce au ministre des finances, nous avons obtenu la révision du pacte de stabilité et de croissance, en sorte que les dépenses de recherche, d'action extérieure ou de développement continuent d'être prises en compte en cas de déficit. Nous construisons une Europe ouverte, soucieuse du développement de ses régions, et la France se conforme à une position de bon gestionnaire. Elle attend de l'Union qu'elle s'applique à elle-même les règles qu'elle demande aux Etats membres. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

PRÉVENTION DES CRISES AGRICOLES

M. Jean Dionis du Séjour - La saison des fruits et légumes commence ces jours-ci, avec les premiers fruits rouges dont la fraise. Or, la saison précédente a été l'une des plus calamiteuses depuis soixante ans, pour nos arboriculteurs et maraîchers. Nous avons été nombreux à réagir à cette crise, et nous souhaitions que la récente loi pour le développement des territoires ruraux permette d'en prévenir la répétition. Les causes en sont en effet connues, l'une des principales tenant au fait que les fruits et légumes constituent un secteur sacrifié de la grande distribution française. La loi pour le développement des territoires ruraux a créé un espoir : enfin, la France donnait dans la loi la définition des éléments constitutifs d'une crise agricole et interdisait la pratique des marges arrières excessives. En adoptant l'amendement du sénateur UDF Daniel Soulage a été aussi instauré le coefficient multiplicateur, liant le prix d'achat au producteur au prix de vente au client. Un décret devait donner le feu vert à la mise en œuvre de ce dispositif. Las, alors que la saison commence, il n'a toujours pas paru ; pis, les projets qui ont circulé témoignent d'une approche laxiste du problème, à l'opposé de la volonté du législateur. Monsieur le ministre de l'agriculture, je vous alerte sur les répercussions très graves que pourrait avoir un tel état de fait. Avez-vous fait le nécessaire pour que le dispositif soit validé par la Commission européenne ? Quelles mesures comptez-vous prendre pour que le décret respecte la volonté du législateur ? Quand sera-t-il publié ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF)

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité - Vous avez raison d'évoquer la crise des fruits et légumes. Comme j'ai eu l'occasion de le vérifier lors de mon récent déplacement en Provence, il s'agit d'un secteur difficile, mais riche en emplois. Notre dispositif de gestion des crises se décline d'abord au plan européen. Au Conseil des ministres du mois prochain, la Commission européenne doit nous faire des propositions à cet égard, et tout porte à croire qu'elles s'inspireront de la position définie par la France dans le cadre de la négociation du financement de la PAC jusqu'en 2013. La loi « territoires ruraux » dispose quatre mesures de gestion des crises directement issues du rapport Canivet : une mesure d'encadrement des prix - applicable immédiatement -, une mesure portant sur la définition de la crise - qui appelle un arrêté ministériel, en cours de signature -, une mesure relative à l'encadrement des rabais et ristournes - relevant d'un décret en cours de signature - ; enfin, une mesure demandée sur tous les bancs de la majorité...

M. André Chassaigne - Et au-delà !

M. Dominique Bussereau, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et de la ruralité - ...tendant à instituer le coefficient multiplicateur - qui nécessite un décret en Conseil d'Etat devant être pris avant le début de la campagne des fruits. En tout état de cause, je m'engage à ce que les défauts que vous avez évoqués soient corrigés avant sa publication. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

DIRECTIVE EUROPÉENNE SUR LE TEMPS DE TRAVAIL

M. Frédéric Dutoit - Monsieur le Premier ministre, décidément, vous êtes un adepte inconditionnel de la concurrence « libre et non faussée » prônée par le projet de Constitution européenne.

Alors que vous envisagez d'ouvrir, sans aucune contrepartie, notre système d'aide au cinéma aux studios américains, plutôt que de construire l'Europe cinématographique défendant l'exception culturelle française et l'emploi, la directive temps de travail dite « opt out » concoctée par la Commission européenne, véritable directive « des travaux forcés », permet de fixer la durée du travail jusqu'à 65 heures hebdomadaires !

Cette directive remet en cause la santé comme la sécurité des travailleurs. Lors de sa négociation en décembre, la France s'est opposée à ce texte. Mais c'est une mascarade car dans la réforme des 35 heures vous l'avez introduite avec la notion de « temps choisi». L'Europe libérale, avec ce texte, porte un nouveau coup de poignard au monde du travail et de la création.

En disant « non » le 29 mai, les Français mettront un coup d'arrêt à votre politique pour ouvrir les portes d'une Europe sociale, solidaire et fraternelle. (Exclamations sur les bancs du groupe UMP)

Avec le carcan de la Constitution et des directives qui se succèdent, comment comptez-vous améliorer la situation de l'emploi et garantir les droits des salariés en France autrement que par des promesses ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains)

M. Gérard Larcher, ministre délégué aux relations du travail - Un mot d'abord de l'exception culturelle. En 2004, grâce au crédit d'impôt, plus de 1 500 emplois ont été créés dans le cinéma, avec notamment, comme à Versailles, le retour de tournages qui se faisaient ailleurs. L'extension de ce crédit d'impôt à l'audiovisuel en 2005 devrait y créer autant d'emplois. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mais venons-en à vos approximations. Il est faux de dire que le projet de directive sur le temps de travail conduirait les Français à travailler plus. La directive de 1993 a-t-elle empêché M. Jospin de réduire le temps de travail à 35 heures ? Non ! (Mêmes mouvements) Ayez l'honnêteté de reconnaître que le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin est le chef de file de ceux qui refusent le projet de directive sur le temps de travail et que le 7 décembre, malgré l'insistance de M. Blair, nous l'avons fait échouer, grâce au soutien de la Suède et de la Belgique. (Mêmes mouvements) Il est faux de dire que ce projet est une régression. Nous n'acceptons pas le système de l'opt out, c'est-à-dire la possibilité de dérogation par accord individuel. Nous ne changerons pas de position, car nous sommes partisans d'une Europe fondée sur des valeurs sociales partagées, et nous voulons lutter contre le dumping social.

Avec le nouveau Traité, le « front » qui a refusé cette directive ne pèsera plus 31% mais 40% des droits de vote. Que donc les Français comprennent ce qu'ils doivent faire ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

DÉFENSE EUROPÉENNE

M. René Galy-Dejean - Ma question s'adresse au ministre de la défense. L'Union européenne, grande puissance économique, joue un rôle croissant sur la scène internationale grâce à l'action concertée de pays membres importants qui, réunis, agiront plus efficacement encore à condition de disposer de moyens propres dans les domaines de la monnaie, de la diplomatie et de la défense.

Nous avons déjà l'euro. Le Traité constitutionnel donnera à l'Europe une véritable dimension politique et diplomatique. Pour être crédible, elle devra s'appuyer sur des forces militaires suffisamment importantes pour parer à toute menace ou intervenir dans le monde pour restaurer la paix ou protéger nos approvisionnements.

Nous avons tiré la leçon d'événements comme ceux qui se sont produits dans l'ex-Yougoslavie, et le projet d'Europe de la défense s'est alors renforcé, avec la mise en commun de capacités militaires nationales rapidement mobilisables pour assurer ensemble des missions de gestion de crise. La France a joué un rôle moteur dans ce développement.

Récemment, l'Europe a assuré des missions en Bosnie, au Congo, en Afghanistan, en Côte d'Ivoire. Quels enseignements en tirez-vous sur la maturité de la défense européenne ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense - Il y a dix ans, la défense européenne était une utopie ; il y a cinq ans, après le sommet de Saint-Malo entre le président Chirac et Tony Blair, c'était un beau projet ; depuis trois ans, c'est devenu une réalité. Des soldats portant l'écusson européen sont présents en Macédoine, en Bosnie, au Congo et aussi en Afghanistan. Principalement à l'initiative de la France, grâce à la crédibilité que nous a donnée la loi de programmation militaire voulue par le Président de la République, nous avons pu doter l'Europe des moyens de se protéger contre des risques de terrorisme et de prolifération des armements, et de lutter contre les crises dans lesquelles nos compatriotes ou nos intérêts peuvent être menacés.

Nous avons pu créer les groupements tactiques, force d'intervention très rapide qui intervient en moins de 15 jours pour empêcher une crise de se développer, et créer la force européen de gendarmerie pour éviter les reprises de violence en fin de crise. Les groupements tactiques qui regroupent aujourd'hui les 25 pays européens commencent à être opérationnels et la force européenne de gendarmerie, installée en Italie, avec un commandant français, va l'être également. La cellule civilo-militaire sera en place dès juillet et la cellule opérationnelle le sera en 2006 pour préparer nos interventions. Enfin, la nouvelle agence européenne de défense nous permet de coordonner les programmes et de soutenir notre industrie de défense.

L'Europe de la défense existe bien, et la France a joué un rôle important dans sa création. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

CONTESTATION DANS LES LYCÉES

M. Eric Raoult - Les adversaires de la loi Fillon sont-ils des démocrates ? C'est une vraie question, quand on observe la situation de certains lycées et les appels au blocage de la Confédération nationale lycéenne pour demain. Depuis quinze jours, une minorité de jeunes politisés tente de bloquer l'institution scolaire dans certains lycées de la région parisienne. Par des piquets de grève, des obstructions, des occupations nocturnes, ils empêchent la grande majorité de leurs camarades de suivre les cours, ce qui commence à nuire gravement à la préparation des examens de fin d'année. Les blocages d'aujourd'hui ne sont plus les contestations d'hier. Dans mon département de Seine-Saint-Denis, parents et élèves deviennent inquiets pour la préparation des examens. Dans ma ville du Raincy, après une manifestation, j'ai reçu avant-hier une délégation de lycéens. Je pensais qu'ils me parleraient de l'école, de leur avenir, qu'ils proposeraient une alternative de négociation... Rien de tout cela ! Ils m'ont parlé du capitalisme, de l'école des patrons, de la marchandisation des savoirs (Approbation sur plusieurs bancs du groupe des députés communistes et républicains et du groupe socialiste)... et m'ont donné le tract des Jeunesses Communistes pour le non à la Constitution ! (Huées sur les bancs du groupe UMP) Leurs TPE, ils doivent les faire à la fête de L'Huma, ou à Cuba ! Aidée par certaines municipalités représentées sur ces bancs, cette contestation n'a rien de spontané. Accompagnés d'une poignée de professeurs d'extrême-gauche, ils faisaient hier de la désinformation : aujourd'hui ils font de la manipulation et de la récupération (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP). Je souhaite, Monsieur le ministre de l'éducation nationale, connaître votre réaction devant ces faits, et savoir quel message vous souhaitez faire passer aux familles et aux élèves qui fréquentent ces établissements et souhaitent travailler. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche - Je ne suis pas insensible aux inquiétudes exprimées depuis plusieurs semaines par beaucoup de lycéens, et notamment au sentiment qu'ils ont d'assister à une montée - qui ne date pas d'hier - des inégalités au sein du système éducatif. Je leur dis que la loi d'orientation apporte de puissants instruments pour lutter contre ces inégalités, en particulier la définition des priorités éducatives. Je recevrai demain les élus du Conseil national de la vie lycéenne, et nous pourrons débattre d'un certain nombre de leurs revendications, concernant notamment l'organisation du lycée. Enfin les textes d'application de la loi d'orientation feront l'objet d'une large concertation avec toutes les organisations syndicales.

Mais je ne laisserai pas une infime minorité bloquer le fonctionnement des établissements (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) et ce à quelques semaines du baccalauréat. Des instructions très fermes ont été données aux recteurs et aux préfets afin qu'ils mobilisent tous les moyens nécessaires pour mettre fin à ces blocages, qui concernent moins d'un centième des établissements français. A cette occasion je veux rendre hommage aux chefs d'établissements et à l'encadrement (Mêmes mouvements) qui ont fait preuve d'une loyauté et d'un courage exemplaires. Qu'ils sachent qu'ils ont le soutien entier du Gouvernement.

Je remercie également celles des organisations syndicales et des associations de parents d'élèves qui ont appelé, quelles que soient leurs convictions, au respect de la loi et de la démocratie. En revanche je veux dire à celles de ces organisations qui continuent, pour d'obscures raisons, à encourager, voire à initier ces blocages, qu'elles ne rendent service ni à la jeunesse, qu'elles prétendent défendre, ni à la démocratie et à la République, dont elles bafouent les principes ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

CONVENTION DE RECLASSEMENT PERSONNALISÉ

M. Richard Cazenave - Le Gouvernement, sous l'impulsion du Président de la République, s'est donné pour objectif d'amorcer d'ici la fin de 2005 une baisse significative et durable du chômage, et s'est donné les moyens de lutter prioritairement contre le chômage de longue durée et celui des jeunes. Dans ce sens notre majorité a voté le 18 janvier la loi de cohésion sociale, qui institue notamment différents contrats favorisant le retour à l'emploi : contrats d'avenir, contrats RMA et contrats d'apprentissage, ainsi qu'un volet sur le développement des emplois de service à la personne. L'article 74 de cette loi comporte aussi une mesure très attendue, qui ouvre au salarié licencié un réel dispositif de reclassement. Dans la nuit de lundi à mardi, Monsieur le ministre de l'emploi, après plus de onze heures de négociation, les partenaires sociaux sont parvenus à un accord sur une convention de reclassement personnalisé pour les licenciés économiques. Il s'agit d'étendre aux entreprises de moins de mille salariés un dispositif jusque là réservé aux grandes entreprises. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette mesure sociale très importante et sur la mise en œuvre de ce dispositif ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale - Les salariés des entreprises de moins de mille salariés représentent dans notre pays la grande majorité des victimes de licenciements ; or, en pareil cas, ils étaient abandonnés à leur sort. Le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin a voulu mettre un terme à cette situation, et renforcer, dans le cadre d'une convention de reclassement personnalisé, leurs conditions d'accompagnement, de bilan de compétences, de validation des acquis de l'expérience et de formation. C'est la loi que vous avez votée le 18 janvier. Moins de dix semaines après, les partenaires sociaux ont passé un accord de principe largement consensuel. Il prévoit les mesures d'accompagnement, le statut de la formation professionnelle, et une rémunération de 80%, c'est-à-dire 95% du salaire net, pendant trois mois, puis de 70%, c'est-à-dire 85% du net, pendant une période globale de huit mois. C'est un grand accord qui a été conclu, et je remercie l'ensemble des partenaires sociaux d'avoir répondu aussi vite à la demande du Gouvernement et du Parlement.

La mise en place en sera simple. L'Etat mobilisera, comme prévu dans la loi, à la fois les services de l'ANPE et le doublement du financement du droit individuel à la formation. Je recevrai les partenaires sociaux dans les jours à venir, sitôt réunies les signatures formelles, et je compte pouvoir signer le décret de mise en place pour la fin du mois. J'espère que, pour les 200 000 licenciés économiques que compte annuellement notre pays, la vie va pouvoir changer à partir du 1er mai ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

LUTTE CONTRE LES DÉLOCALISATIONS

M. Dominique Strauss-Kahn - Il est aujourd'hui une question qui angoisse grandement nos concitoyens : celle des délocalisations. Des hommes et des femmes souffrent de perdre leur emploi, de manière parfois très abrupte, et ne savent vers qui se tourner.

Ce phénomène est le résultat de secteurs qui s'étiolent, de territoires qui se vident, bref du siphonnage de notre tissu économique. En 25 ans, la France a perdu 1,5 million d'emplois industriels, perte que l'on ne peut évidemment imputer entièrement aux délocalisations.

Notre pays a besoin d'une industrie puissante. Nous ne pouvons vivre uniquement sur les services.

Au-delà de l'aspect économique, la souffrance des salariés et leur sentiment d'injustice devant la perte de leur emploi doivent être pris en compte. Comment oublier les salariés de Bosch à Vénissieux contraints de travailler plus pour un salaire horaire diminué afin de conserver leur emploi ?

Devant une telle situation, les pouvoirs publics ne peuvent rester inactifs. Je ne crois pas à une loi générale qui, par miracle, écarterait les délocalisations (« Ah ! » sur les bancs du groupe UMP). Pour autant, nous ne devons pas baisser les bras.

Monsieur le ministre, j'ai rendu visite à une entreprise que je qualifierai d'exemplaire. Il s'agit de Sediver qui a annoncé la fermeture du site de Saint-Yorre, dans l'Allier pour délocaliser sa production en Chine et au Brésil, après avoir été rachetée par un groupe étranger. Cette usine est exemplaire au premier chef parce qu'elle est aujourd'hui bénéficiaire (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) même si ses comptes ont été aménagés pour justifier la délocalisation du produit dont on voulait arrêter la production en France. Ensuite, elle est exemplaire car elle produit des isolateurs électriques qui demandent beaucoup de savoir-faire et dont EDF est un grand consommateur. Il est donc peu probable que ces isolateurs, leur production une fois délocalisée, soient de même qualité. Enfin, cette entreprise est exemplaire parce que ses produits sont relativement stratégiques. Sa fermeture signifierait qu'EDF devra se fournir à l'étranger, hors de l'Europe.

Or, il y a eu des repreneurs même si les salariés n'ont jamais réussi à connaître leur identité. Cette conspiration du silence, cette résignation à l'inaction n'est pas acceptable. Monsieur le ministre, je vous demande de rouvrir ce dossier, de favoriser la négociation, de fournir aux salariés l'information qu'ils demandent. Les pouvoirs publics doivent être impliqués dans la politique industrielle même quand il s'agit de petites et moyennes entreprises. Il y va de l'avenir de notre industrie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Sur le plan général, il est vrai qu'au cours des 25 dernières années, le tissu industriel de la France a perdu 1,5 million d'emplois. Dans cette Assemblée, nous sommes tous d'accord pour nous battre pour l'industrie de notre pays...

M. Henri Emmanuelli - Ou pour les actionnaires !

M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie - Aujourd'hui, l'emploi industriel ne représente plus que 22% de l'emploi contre 65% pour les services. Nous devons soutenir notre industrie, porteuse d'avenir, d'innovation, de recherche et développement.

Effectivement, Sediver est une entreprise qui a souffert. Je me suis penché sur ce dossier après M. Sarkozy qui n'avait pas attendu, Monsieur Strauss-Kahn, que vous rendiez visite à l'entreprise le 10 mars. En juillet 2004, des discussions ont eu lieu. Le 24 novembre, les pouvoirs publics ont proposé une solution aux salariés. Sur 288 emplois, 166 ont pu être préservés. Pour des raisons qui m'échappent encore, les salariés ont repoussé cette proposition, peut-être parce qu'on leur demandait de travailler un peu plus à titre provisoire. Le préfet s'en est saisi. Une médiation a eu lieu le 5 janvier.

Je prends donc l'engagement de vous écrire sous dix jours pour vous informer de l'évolution du dossier. L'ouverture éventuelle d'une instruction judiciaire bloquerait toute action des pouvoirs publics.

Ceci dit, dans la région, grâce aux pouvoirs publics et aux collectivités locales qui travaillent main dans la main - car c'est ensemble que nous réussirons - de nouvelles entreprises s'installent. Par ailleurs, le Gouvernement a mis en place les pôles de compétitivité et l'Agence pour l'innovation industrielle, 2 milliards d'euros ont été investis dans le tissu industriel français. Voilà les moyens mis en œuvre par ce gouvernement pour lutter contre les délocalisations ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

RÉFORME DE L'ASSURANCE-MALADIE

M. Philippe Pemezec - Parce que la situation de l'assurance-maladie était préoccupante depuis de nombreuses années, le Gouvernement a mis en œuvre une réforme structurelle pour sauvegarder notre système de sécurité sociale, auquel les Français sont vivement attachés. Cette réforme vise à mieux organiser le système, à rationaliser les dépenses et à responsabiliser tous les Français : médecins, patients et industries pharmaceutiques.

Elle était nécessaire. Le trou de la sécurité sociale était devenu un gouffre : 13 milliards d'euros de déficit prévu en 2004, dont 1,5 milliard au titre de la couverture médicale universelle, la CMU. Monsieur le ministre, quand la carte infalsifiable sera-t-elle mise en place ? Comment comptez-vous lutter contre les abus à la CMU et à l'aide médicale d'Etat ?

D'autre part, les comptes de la sécurité sociale pour 2004 ont été arrêtés aujourd'hui. Les premières évolutions pour 2005 correspondent-elles aux prévisions établies par la commission des comptes de la sécurité sociale. Enfin, quels sont les indicateurs qui permettront le suivi de la réforme de l'assurance-maladie ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille - Le relevé des comptes de la sécurité sociale montre une amélioration importante. Sur le régime général, 2 milliards d'économies, dont 1,6 milliard sur l'assurance-maladie, ont été réalisées en sus de ce qui avait été prévu en septembre par la commission des comptes de la sécurité sociale (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des députés communistes et républicains). Ces chiffres sont une réponse à tous ceux qui ne croyaient pas à cette réforme !

Essentiellement, cette amélioration des comptes correspond à une meilleure maîtrise des dépenses de l'assurance-maladie.

L'objectif national des dépenses d'assurance-maladie, que vous avez voté, devait aboutir à une augmentation de 5,2% qui a été limitée à 4,9%. Les deux premiers mois de 2005 montrent que cette tendance se confirme : les dépenses de soins de ville ont seulement augmenté de 1,6%. Pour retrouver une telle performance, nous devons remonter dix ans en arrière.

Quant aux arrêts de travail, ils ont diminué de 5% grâce à la mise en place de la politique de contrôle des bénéficiaires. Cette diminution n'avait pas été enregistrée depuis 20 ans.

Quant aux indicateurs de suivi sur la réforme de l'assurance-maladie au nombre de douze, ils seront publiés tous les six mois en toute transparence. Parmi ces indicateurs, vous trouverez le nombre de contrôles des cartes vitales. Les cartes vitales infalsifiables seront mises en place lors du prochain renouvellement. Elles permettront de s'assurer que le porteur de la carte vitale en est bien le propriétaire (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe UMP). C'est seulement à ce prix que nous parviendrons à maîtriser les dépenses de santé.

Nous allons dans le bon sens mais il ne faut pas crier victoire trop vite. Je tiens à dire à tous ceux qui n'ont pas osé entreprendre cette réforme qu'ils sont mal placés pour donner des leçons !

FISCALITÉ RÉGIONALE

M. Dominique Richard - Depuis plusieurs mois, nous assistons à une véritable campagne de désinformation menée par les exécutifs socialistes des régions sur la flambée de la fiscalité locale. Selon eux, elle serait due au financement de la décentralisation. Chacun sait pourtant que les transferts de compétences seront intégralement compensés par l'Etat. La pression fiscale ? Elle est le fait de la gestion irraisonnée de la gauche, qui a fait exploser les frais de fonctionnement des collectivités locales et mis en œuvre des promesses électorales décidées uniformément rue Solférino. Bel esprit décentralisateur !

Hier soir, les présidents socialistes ont annoncé leur décision de ne pas signer les conventions relative au transfert aux régions des agents relevant jusqu'alors de l'Etat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) Seul le président Zeller a signé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

Ce comportement d'élus de la République est inadmissible ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste) C'est la négation de la loi, qui n'est ni de gauche ni de droite ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP) Qu'en penseront nos concitoyens, à qui on demande du civisme, alors que des élus s'affranchissent de cette ardente obligation ! Comment l'Etat peut-il accepter ces nouvelles féodalités ? Monsieur le ministre délégué au budget, comment jugez-vous ce comportement irresponsable ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire -Alors que depuis trois ans, le Gouvernement a engagé avec une détermination totale la baisse des impôts et des charges sociales, pour rendre du pouvoir d'achat aux Français, l'histoire retiendra que le premier mandat des régions socialistes s'est soldé par une explosion des impôts régionaux, en hausse de 25% en Ile-de-France, de 30% en PACA, et de 50% en Bourgogne et en Languedoc-Roussillon. Quand la gauche a des responsabilités, elle commence toujours par augmenter les impôts ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

Mais l'histoire retiendra également une deuxième chose. Alors que nous avons engagé une concertation considérable avec les partenaires sociaux sur l'affectation des personnels techniques dans les collèges et les lycées, pour un meilleur service public au quotidien, nous constatons que des régions socialistes ont décidé de s'ériger en contrepouvoir ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) C'est le contraire des valeurs de la République ! Il faudra s'en souvenir : c'est à cause de ce type de blocage que la France s'enlise dans les conservatismes. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF ; exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Nous voulons, nous, une nation rassemblée, au service de l'intérêt général, et qui regarde vers l'avenir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

LUTTE CONTRE LE CHÔMAGE

M. Eric Besson - Un peu de modestie, Monsieur le ministre ! La commission d'enquête qui a été mise en place sur la question risque de vous déstabiliser. Surtout, vous oubliez de dire que vous avez préféré baisser l'impôt sur la fortune, plutôt que les taxes et les impôts que paient l'essentiel des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

Mais c'est sur la nouvelle dégradation du chômage, désormais solidement installé au-dessus de la barre des 10%, que je voudrais interroger le Premier ministre. Depuis l'entrée en fonction de votre gouvernement, la France compte 225 000 chômeurs de plus. Cela ne vous empêche pourtant pas, pas plus que MM. Sarkozy et Fillon, de prétendre en permanence avoir réhabilité le travail. Les Français sont de plus en plus nombreux à juger la formule indécente ! Les faits ? En 32 mois de gouvernement Jospin, on comptait 630 000 chômeurs en moins. Sous gouvernement Raffarin, et durant la même période, on compte 225 000 chômeurs et 125 000 érémistes de plus ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

On connaît le refrain, me direz-vous. Certes, mais vous disposiez d'une forte croissance en 2002, et surtout en 2004. Monsieur le Premier ministre, vous êtes donc directement responsable de cet échec, du à une politique injuste et inefficace.

A partir de quel taux de chômage accepterez-vous de reconnaître vos erreurs ? Quand comptez-vous changer de politique ? Quand allez-vous lutter contre le chômage ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste ; exclamations sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale - Le gouvernement Jospin a bénéficié d'une croissance européenne extrêmement forte. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Cette croissance, vous l'avez cassée, tant est si bien qu'elle était nulle lorsque M. Jospin a quitté ses fonctions. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) Dans le même temps, on assistait à une montée inexorable du chômage, obligeant Jean-Pierre Raffarin, dès sa prise de fonction, à sortir au plus vite de la récession pour retrouver la croissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF) Et que dire du SMIC, que vous avez bloqué, et que nous nous sommes employés à revaloriser pendant trois ans ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)

En matière d'emploi, plusieurs mesures spécifiques ont été prises : la maison commune de l'accueil pour les demandeurs d'emploi, les formations adaptées, les contrats d'avenir pour les bénéficiaires du RMI et de l'ASS, les conventions de reclassement personnalisé et les services individualisés pour l'emploi. Cet ensemble de mesures cohérentes va produire ses effets et notre situation sera meilleure que la moyenne européenne dès la fin de l'année ou du semestre suivant. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

PÊCHE À LA MORUE

M. Gérard Grignon - En juin 2003, le gouvernement d'Ottawa promulguait une loi sur les espèces en péril. La même année, un comité de scientifiques canadiens indépendants considérait que le stock de morues franches de l'ensemble de la région, qui englobe la zone économique exclusive française autour de Saint-Pierre-et-Miquelon, était menacé. En janvier 2004, ce comité demandait au ministre canadien de l'environnement d'ajouter la morue à la liste des espèces en péril. Si le ministre l'accepte, la pêche à la morue sera mise sous moratoire, avec les conséquences économiques que l'on peut imaginer. Le comité scientifique officiel franco-canadien, qui s'est réuni fin mars, est beaucoup plus optimiste sur l'avenir du stock de morue, mais tout se passe comme si une décision de cette importance pouvait être prise sans que le gouvernement français y soit associé, au mépris des traités franco-canadiens sur la pêche de 1972 et de 1994. Le Gouvernement a-t-il l'intention de s'investir pour protéger les intérêts de la France sur son propre territoire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF).

M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie - Les ministères des affaires étrangères, de l'agriculture et de l'outre-mer sont très attentifs à la situation, et le Gouvernement partage l'inquiétude des pêcheurs de Saint-Pierre-et-Miquelon depuis que le comité sur la situation des espèces en péril a recommandé l'inscription de la morue sur la liste des espèces menacées. La délégation française au conseil consultatif franco-canadien qui s'est tenu en mars a rappelé que rien ne pourrait être décidé sans consultation préalable de la France.

Je précise que la décision du Gouvernement canadien ne saurait intervenir avant début 2006, et qu'il ne s'agira pas d'une interdiction mais de simples restrictions. Par ailleurs, le comité sur la situation des espèces en péril fera des propositions fin 2005, et l'on sait déjà que son appréciation sur la biomasse du secteur de Saint-Pierre-et-Miquelon est plus positive que pour le reste de la zone. Enfin, le risque d'une dérive étroitement environnementaliste de la gestion a été levé par l'administration canadienne elle-même, qui a confié à un groupe tripartie - avec les gouvernements du Labrador et de Terre-Neuve - une mission de réflexion pour trouver un équilibre.

L'année 2005 a vu les intérêt français préservés, puisque les quotas habituels de morue ont été reconduits. Nous ne laisserons pas des décisions se prendre sans nous en 2006. Nous veillerons à ce que Saint-Pierre-et-Miquelon soit protégé d'une nouvelle crise de la morue. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP).

POLITIQUE EUROPÉENNE DE LA RECHERCHE

M. Pierre Lasbordes - Pour favoriser la croissance et créer des emplois, l'Europe a décidé, dès 2000, de faire de son économie de la connaissance la plus dynamique et la plus compétitive de la planète. Dans le monde ouvert d'aujourd'hui, le meilleur moyen de préserver nos emplois et notre modèle social et de conquérir des parts de marchés est de mettre l'accent sur la recherche et l'innovation. La recherche permet en effet de produire des biens et des services à haute valeur ajoutée et de disposer d'une longueur d'avance dans la compétition internationale. A Toulouse, avec Airbus, à Grenoble avec ST Microelectronics ou à Kourou avec Ariane, la science irrigue nos territoires d'emplois et de richesses nouvelles.

L'Europe a donc fait de la recherche une de ses priorités. Elle en est à son sixième programme cadre de recherche et de développement, soit 20 milliards injectés dans les laboratoires et les entreprises innovantes. Le projet de traité constitutionnel a renforcé encore le rôle de la recherche, notamment spatiale, dans la politique européenne. Le septième PCRD devrait accroître l'action en faveur de la recherche fondamentale, avec la création en 2007 d'un conseil européen de la recherche chargé de financer spécifiquement les projets en la matière. Pouvez-vous préciser les perspectives qu'ouvre ce dispositif ? (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. François d'Aubert, ministre délégué à la recherche - L'Europe a en effet un magnifique bilan en matière de recherche, et le septième PCRD, qui est en cours de préparation, est très ambitieux : il faut dire que le niveau européen est le plus adapté aux programmes de recherche, et c'est vrai dans toutes les disciplines. On parle déjà d'un montant total de dix milliards sur sept ans : la réflexion sur ce point doit être poursuivie plus en détail, mais cette ambition paraît nécessaire pour développer encore davantage la recherche, et donc mutualiser encore plus les moyens et coordonner encore mieux les systèmes nationaux. Le conseil européen de la recherche a proposé d'amplifier plus spécifiquement l'effort de recherche fondamentale, c'est-à-dire les avancées désintéressées de la science, le progrès de la connaissance. C'est indispensable vis-à-vis des Etats-Unis et de l'Asie. Cette proposition a été lancée par des scientifiques français et soutenue par notre Gouvernement. J'espère que nous arriverons à un accord fondé sur les principes d'une bonne recherche : transparence, évaluation par les pairs et bonne organisation. Enfin, le Traité constitutionnel devrait encore renforcer cette ambition en faisant de l'espace une compétence partagée. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

La séance, suspendue à 16 heures, est reprise à 16 heures 15 sous la présidence de M. Raoult.

PRÉSIDENCE de M. Éric RAOULT

vice-président

LUTTE CONTRE LE DOPAGE (suite)

L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote par scrutin public du projet de loi relatif à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé des sportifs.

M. François Rochebloine - Ce projet de loi répond aux engagements internationaux de la France dans la lutte contre le dopage et à une démarche largement soutenue par le mouvement sportif français, en particulier le comité national olympique et sportif. Après les lois Herzog de 1965, Bambuck de 1988 et Buffet de 1999, il convient aujourd'hui de mettre notre législation en conformité avec les nouveaux règlements du comité international olympique et les dispositions du code mondial de lutte anti-dopage adopté en 2003. Cette harmonisation, particulièrement opportune, mettra fin à la spécificité française. Elle rendra plus efficace la lutte contre le dopage en même temps qu'elle évitera les dérives et les excès constatés ces dernières années dans certaines disciplines, qui ont jeté le discrédit sur les sportifs et provoqué un véritable acharnement médiatique, entraînant l'adoption de mesures si rigoureuses que des sportifs ont été empêchés de se soigner au cours d'épreuves.

Je ne reviens pas sur les remarques qu'appelle ce texte largement consensuel, que j'ai eu l'occasion d'exposer lors de la discussion générale. Le Gouvernement y affiche une priorité claire. Pour autant, il sera difficile de faire l'économie d'une véritable intégration internationale. L'ensemble des pays devra faire preuve de volontarisme afin d'harmoniser les dispositifs prévus par l'Agence mondiale anti-dopage. Si l'idée semble faire son chemin en Europe, les initiatives demeurent encore bien timides au niveau international. Le groupe UDF considère que les mesures proposées sont les bonnes pour renforcer la lutte contre le dopage et ainsi préserver la santé de nos sportifs.

Avant de conclure, je voudrais, Monsieur le ministre, me réjouir de vos propos lors de votre conférence de presse du 1er avril dernier, concernant l'exercice de la profession d'agent sportif, qui reprennent largement le contenu d'une proposition de loi que j'ai déposée en février dernier avec mon collègue et ami Edouard Landrain, et qui a été rédigée en étroite collaboration avec la Ligue française de football, en particulier son président, ce sport étant le principal concerné.

Pour en revenir au texte qui nous est soumis, le groupe UDF le votera avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UDF et du groupe UMP)

Mme Marie-George Buffet - En 1998-1999, la France s'est engagée dans une nouvelle étape dans la lutte contre le dopage et pour la préservation de la santé des sportifs. Très largement rassemblés dans cet hémicycle, nous avons adopté une loi qui a permis de lutter contre ce fléau tout en résistant au discours, faux, du « Tous dopés ». Certains ont prétendu alors que cette loi isolait notre pays. Bien au contraire, elle a permis d'enclencher un mouvement au niveau européen puis d'obtenir du CIO en 1999 la création d'une Agence mondiale anti-dopage. Celle-ci a fait adopter en 2003 un code mondial de lutte anti-dopage, avec l'adhésion de toutes les fédérations internationales, et propose aujourd'hui l'entrée en vigueur d'une convention sous l'égide de l'UNESCO. Ce combat humaniste pour le respect du sport et des sportifs aborde aujourd'hui une nouvelle étape. Le texte qui nous est soumis prend en effet acte des modifications intervenues au niveau international.

Permettez-moi, Monsieur le ministre, d'insister sur quatre points. Tout d'abord, la nécessité d'un engagement politique sans faille car la lutte contre le dopage se heurte à de multiples lobbies - économiques, politiques, nationalistes.... -, comme la nécessité d'importants moyens humains et financiers pour assurer non seulement les contrôles, mais aussi l'éducation et la prévention. L'engagement de l'Etat doit aller de pair avec celui du mouvement sportif. Ce qui fait la force de l'Agence mondiale, c'est qu'y sont précisément associés les Etats et le mouvement sportif. En second lieu, dans la mesure où la nouvelle Agence nationale sera à la fois chargée d'effectuer les contrôles, d'analyser les prélèvements puisque le laboratoire national sera sous sa tutelle, et de prononcer les sanctions, il importe de veiller à éviter toute confusion des rôles. Une vigilance permanente sera nécessaire. Ensuite, il faudra poursuivre les contrôles de la validité des justifications thérapeutiques qu'avait commencés le CPLD. Enfin, notre pays devra conforter le rôle de l'Agence mondiale anti-dopage, notamment face aux pressions que peuvent encore exercer certaines fédérations internationales qui n'ont pas toutes adopté le nouveau code mondial avec l'enthousiasme que l'on aurait pu souhaiter.

Ces remarques constituent pour nous autant d'appels à des engagements clairs et à une mobilisation permanente des autorités publiques comme du mouvement sportif. Je sais que nous pouvons compter sur celui-ci puisque, dès 1998, il avait organisé un relais depuis le siège du CNOSF jusqu'à celui du CIO à Lausanne pour lancer une grande campagne sur « le sport net ».

Mobilisés atour des sportifs et pour le sport, le groupe des députés communistes et républicains votera ce texte, en veillant au respect des points sur lesquels j'ai insisté. (Applaudissements sur les bancs du groupe des députés communistes et républicains et sur de nombreux bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-Marie Geveaux - Ce texte met notre législation en conformité avec les nouvelles exigences internationales d'une part, renforce l'organisation de la lutte anti-dopage au niveau national d'autre part. Il prend acte de la création de l'Agence mondiale anti-dopage en 1999 et de l'adoption d'un code mondial anti-dopage en 2003. Il était attendu tant au niveau national qu'international, et sera en vigueur comme prévu avant les Jeux olympiques de Turin. Sur le plan national, la nouvelle Agence française de lutte contre le dopage va prendre le relais du Conseil de prévention et de lutte contre le dopage, avec des responsabilités et des missions élargies. En matière de prévention, le ministère des sports aura désormais un rôle pilote à jouer, témoignant de l'engagement de l'Etat en ce domaine. A ses côtés, tous les acteurs devront se mobiliser pour assurer une protection optimale aux sportifs, quel que soit leur niveau de pratique. Cela passe notamment par le renforcement des contrôles inopinés, y compris sur les lieux d'entraînement et au domicile des sportifs.

Ce texte consacre une longue tradition, celle de l'exemplarité de la France dans la lutte contre le dopage. Depuis longtemps, et grâce à une mobilisation sans faille sur tous les bancs de cet hémicycle, notre pays a joué un rôle pionnier. A l'heure de la candidature de Paris pour les Jeux d'été de 2012 et à l'approche des Jeux d'hiver de 2006, nous donnons un signal fort et montrons que notre détermination ne faiblit pas.

Dans l'intérêt même du sport et des sportifs, le groupe UMP le votera lui aussi avec enthousiasme. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Alain Néri - La France a toujours été pionnière en matière de lutte contre le dopage. Après la loi Herzog de 1965 et la loi Bambuck de 1989, vint la loi Buffet de 1999 sur laquelle certains ironisèrent, craignant que, trop sévère, elle n'isole notre pays. Bien au contraire, celle-ci reçut un très large écho et dix ans après son adoption, il nous faut nous mettre en conformité avec la nouvelle législation internationale, après la création de l'Agence mondiale en 1999 et de l'adoption du code mondial en 2003, qui entrera en vigueur le 1er février 2006, jour d'ouverture des Jeux olympiques de Turin. Tous les pays souhaitant continuer d'accueillir des compétitions internationales devront avoir adopté le code mondial avant cette date. Ce sera le cas de la France après l'adoption du présent texte et ce code régira, espérons-le, les Jeux de 2012 à Paris. Si nous avons débattu de ce texte dans un esprit aussi ouvert et constructif, c'est aussi pour contribuer à ce que la France organise ces jeux où les athlètes de tous les pays doivent pouvoir concourir à égalité de chances.

Ce texte appelle cependant quelques réserves, notamment pour ce qui concerne l'autorité de l'Agence mondiale sur les fédérations internationales ou la conciliation des missions d'expertise, de contrôle et de jugement au sein de la nouvelle agence française de lutte contre le dopage. N'y a-t-il pas lieu de redouter que l'évolution statutaire ne traduise un désengagement de l'Etat ? De même, nous déplorons que le laboratoire de Châtenay-Malabry perde son statut d'établissement public national pour se fondre dans l'agence, alors que nul ne conteste son rôle éminent dans la mise à jour des effets de l'EPO et de l'hémoglobine réticulée. Nous regrettons par conséquent que notre amendement demandant son maintien dans la sphère d'influence du ministère de la santé n'ait pas été accepté. Enfin, nous continuerons à dénoncer l'utilisation à des fins prétendument thérapeutiques de certains produits interdits, au moyen d'ordonnances de complaisance délivrées par des médecins complices.

Si certaines de nos inquiétudes ont été levées au cours de la discussion, nous regrettons l'absence de réponse pénale adaptée, ceux qui trichent devant être mis à l'index afin que nos jeunes soient efficacement dissuadés de les imiter. Enfin, nous persistons à considérer que la lutte anti-dopage constitue un enjeu de santé publique, à apprécier en tant que tel.

En dépit de ces réserves, parce qu'il estime que ce texte adapte notre législation à la norme internationale, et en vue d'éviter - dans la perspective de la candidature de Paris à l'organisation des Jeux olympiques de 2012 - que toute objection ne soit appréciée comme une atteinte à l'unité de la position française, le groupe socialiste le votera (« Bravo ! » sur les bancs du groupe UMP) Puisse cette marque de bonne volonté témoigner de notre souhait unanime d'accueillir les Jeux de 2012 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur les bancs du groupe UMP)

A l'unanimité des 372 suffrages exprimés sur 372 votants, l'ensemble du projet de loi est adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Jean-François Lamour, ministre de la jeunesse, des sports et de la vie associative - Votre unanimité témoigne de l'intérêt que votre assemblée porte à la lutte contre le dopage et à la protection de la santé des sportifs. Il n'existe pas de sport sans affirmation de règles éthiques, et c'est sur ce constat simple que l'intérêt à agir des pouvoirs publics au service du développement de la pratique sportive trouve son fondement. Au cœur de l'apprentissage sportif, l'adhésion aux règles de vie en société est indissociable de l'acquisition du geste technique. Dès lors, transgresser les principes de loyauté, ce n'est pas seulement tricher : c'est remettre en cause l'essence même du sport. Le Président de la République l'avait exprimé avec force lors des états généraux du sport de décembre 2002, en affirmant : « le dopage c'est l'anti-sport » !

M. François Rochebloine - Absolument !

M. le Ministre - La reconnaissance du sport s'est accompagnée de celle des risques sanitaires que les pratiques dopantes ou des formes perverties de techniques d'entraînement font courir à la santé des sportifs. La lutte contre le dopage s'inscrit donc résolument dans une logique de santé publique. Avec la loi Herzog, la France a érigé dès 1965 la lutte contre le dopage au rang de priorité nationale. A l'époque comme aujourd'hui, cette préoccupation a transcendé les clivages partisans, avec les apports postérieurs de la loi Bambuck de 1989 puis de votre loi, Madame Buffet, en 1999.

Six ans après ce dernier texte, j'ai eu l'honneur de présenter un dispositif renforcé de lutte contre le dopage, intégrant les principales évolutions internationales de ces dernières années. L'engagement du CIO et du mouvement sportif international aux côtés des gouvernements nationaux a permis de réelles avancées, dont je retiens trois étapes clés : la création de l'agence mondiale anti-dopage en 1999 ; l'adoption - dans la déclaration de Copenhague de mars 2003 - du principe d'un code mondial antidopage, désormais reconnu par l'ensemble des fédérations internationales olympiques ; la rédaction d'une convention internationale de l'UNESCO visant à faire converger les législations anti-dopage des différents Etats.

Une politique efficace de lutte contre le dopage repose sur trois axes d'intervention indissociables : une politique volontariste de prévention et de recherche publique, intégrant un suivi médical performant des pratiquants - en particulier des sportifs de haut niveau ; un dispositif de répression pénale sans concession à l'encontre des trafics de produits dopants, fondé sur une coopération internationale renforcée ; la mise en conformité de notre droit avec le code mondial antidopage. Telles étaient les motivations essentielles du présent texte, dont I'économie générale se résume en trois points essentiels.

Il fixe d'abord un principe simple de répartition des compétences : le contrôle de la loyauté des compétitions internationales relève des instances internationales, celui des rencontres nationales et de l'entraînement des sportifs sur le territoire des autorités nationales. Il réaffirme ensuite le rôle premier de l'Etat dans le domaine de la prévention et de la recherche, ainsi que dans l'amélioration de la santé des sportifs. Enfin, il confie l'ensemble du champ disciplinaire national à une autorité indépendante aux compétences renforcées, l'agence française de lutte contre le dopage, tout en garantissant la stricte séparation des procédures de contrôle, d'analyse et de sanction disciplinaire.

Ces indispensables évolutions devront s'accompagner d'une vigilance constante au niveau international. En effet, les standards de la lutte contre le dopage doivent être adaptés en permanence. Les gouvernements - et la France y veillera - doivent, par leur action au sein de l'Agence mondiale, travailler en ce sens avec les fédérations internationales et le CIO.

Le projet que vous venez d'adopter, et le code mondial antidopage, doivent permettre de traiter équitablement tous les athlètes de haut niveau, quels que soient leur nationalité, leur lieu d'entraînement et le type de compétitions auxquelles ils participent. Je souhaite enfin que ces nouvelles dispositions permettent aux parents d'encourager sans appréhension la pratique sportive de leurs enfants en clubs. Elles ne visent, en définitive, qu'à redonner toute leur place aux valeurs éducatives et sociales du sport. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP, du groupe UDF et du groupe des députés communistes et républicains)

La séance, suspendue à 16 heures 45, est reprise à 17 heures 5.

TRANSPOSITION DU DROIT COMMUNAUTAIRE A LA FONCTION PUBLIQUE

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique.

M. Renaud Dutreil, ministre de la fonction publique et de la réforme de l'Etat - Ce projet est le premier que, dans mes fonctions actuelles, je vous soumets. Vous connaissez mes orientations : renforcer la motivation des fonctionnaires en réformant la structure de la fonction publique tout en étant fidèle au statut ; ouvrir la fonction publique sur la société, notamment grâce à une nouvelle voie d'accès par l'apprentissage, le PACTE, et à la modification des règles de la déontologie pour permettre aux fonctionnaires de participer à la création d'entreprises ; développer la formation permanente. Nous y reviendrons à l'occasion d'un projet ultérieur.

Ce projet transpose l'ensemble des directives et de la jurisprudence européenne applicables dans la fonction publique. Je souhaitais d'autant plus que nous soyons exemplaires en la matière que cette transposition est source de progrès social tout en respectant intégralement les particularités de notre fonction publique. Le projet de traité constitutionnel marque d'ailleurs, d'une certaine manière, la reconnaissance de notre modèle par l'Union européenne. Il reconnaît en effet à l'article II-96 le rôle social indispensable des services publics, laisse les Etats libres d'en définir le mode de financement par l'article II 122 et autorise les aides d'Etat dans ce domaine par l'article III-138. Les services publics seront donc mieux respectés avec le traité, contrairement à ce que certains veulent faire croire.

Ces mesures de transposition le montrent d'ailleurs clairement. En premier lieu, le projet de loi parachève l'ouverture de la fonction publique française aux ressortissants communautaires. Cette ouverture, qui résulte du principe de libre circulation des travailleurs, renforcera le sentiment d'appartenance commune, et permettra un enrichissement mutuel par la confrontation des cultures administratives. Actuellement, les corps sont ouverts au cas par cas. Désormais l'ouverture sera la règle et la fermeture l'exception. Les ressortissants communautaires pourront se présenter à tous les concours de la fonction publique et y entrer par détachement en cours de carrière. Seul l'accès aux emplois relevant de la puissance publique continuera à être réservé aux nationaux français. Nous avons déjà reçu plusieurs demandes d'élèves européens de l'ENA, qui souhaitent intégrer la fonction publique française. Nous leur proposons aujourd'hui des contrats. Demain, ils pourront être recrutés sur un pied d'égalité avec leurs camarades français. L'échange, la collaboration, au sein d'un même service, entre Français, Allemands, Italiens ou Suédois par exemple, ne peuvent qu'être bénéfiques à tous.

Je soulignerai deux autres aspects du projet. D'une part, il renforce la lutte contre les discriminations et en particulier met fin à certaines différences de traitement entre hommes et femmes pour les dérogations aux limites d'âge ou aux conditions de diplôme au moment du recrutement. D'autre part, il impose la continuité des contrats des agents publics en cas de transfert du secteur privé à l'administration, en application de la directive du 12 mars 2001. L'administration aura l'obligation de reprendre les personnels, comme le code du travail l'impose aux employeurs privés, et devra préserver les clauses substantielles des contrats. Ceci jouera par exemple lorsqu'une administration prend en charge les missions d'une association ou d'une concession de service public.

Enfin, le dispositif le plus important met fin à la précarité inacceptable des contractuels de la fonction publique. En effet, le statut actuel sépare radicalement les titulaires, qui ont droit à une protection intégrale, des contractuels, qui bénéficient de garanties très inférieures à celles des salariés du secteur privé, puisqu'il n'existe pas de CDI dans la fonction publique. De ce fait, Etat et collectivités territoriales peuvent employer des agents sur des contrats à durée déterminée sans aucune limitation de durée et les renouveler des dizaines de fois. Sauf à passer un concours - ce qui ne leur est pas forcément possible - ces contractuels n'ont aucun espoir d'améliorer leur situation.

Pour y remédier, ce projet n'autorise le renouvellement des contrats à durée déterminée que pour une durée totale de 6 ans. Au-delà, le contrat sera transformé en contrat à durée indéterminée. En outre, les agents de plus de 50 ans et justifiant de 8 ans de service public bénéficieront automatiquement de la transformation en CDI.

Par le passé, des « plans de titularisation » mis en place de façon un peu aveugle, n'ont pu régler le problème. Nous avons trouvé là, grâce à l'Europe, un bon moyen de sortir de la précarité les agents non titulaires. Cette mesure de justice et d'équité n'entraîne aucune dépense supplémentaire pour l'Etat et ne remet en rien en cause le statut des fonctionnaires. Elle s'applique aux trois fonctions publiques.

Plus de stabilité, plus d'ouverture, plus d'égalité, tels sont les acquis essentiels de ce projet. Il montre que l'Europe peut-être un moteur de progrès, de protection et d'innovations positives pour notre fonction publique. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP et du groupe UDF)

M. Pierre Morel-A-L'Huissier, rapporteur de la commission des lois - En avril 2003, le professeur Lemoyne-Deforges a présenté, à la demande du Gouvernement, un rapport relatif à l'adaptation du droit de la fonction publique française au droit communautaire et, la même année, le Conseil d'Etat a consacré son rapport public aux perspectives pour la fonction publique. Enfin, le 23 mars dernier, le Sénat, après audition des trois conseils de la fonction supérieure publique, des syndicats, associations d'élus et d'universitaires, a adopté le projet dont nous débattons.

Au fil du temps, la fonction publique est devenue un champ de compétence communautaire. Ce projet de loi met notre pays en règle, tant au regard des directives communautaires que de certains principes fondamentaux formulés depuis des années par la Cour de justice des Communautés européennes, voire par la Cour européenne des droits de l'homme. Sur le premier point, ce ne sont pas moins de six directives qui fondent ce texte : celle du 11 février 1976 sur la mise en œuvre du principe d'égalité de traitement entre hommes et femmes ; celle du 15 décembre 1977 sur les possibilités de travail à temps partiel ; celle du 28 juin 1999 sur le travail à durée déterminée, qui pose en principe que la forme normale du travail est la relation de travail à durée indéterminée ; celle du 12 mars 2001 concernant le maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprise ; celle du 11 mars 2002 sur la consultation des travailleurs ; enfin celle du 23 septembre 2002, modifiant la première citée sur l'égalité de traitement entre hommes et femmes. Pour ce qui est d'autre part des principes communautaires, il s'agit pour l'essentiel des principes d'égalité entre les hommes et les femmes, de libre circulation des travailleurs, de pérennité des travailleurs, d'ouverture aux ressortissants communautaires, de parité et de protection contre les discriminations.

Chacun reconnaît le retard français dans la transposition des normes communautaires. La France a été condamnée près d'une centaine de fois au titre de la procédure en manquement, non seulement pour non-transposition dans les délais, mais aussi pour non-respect de dispositions communautaires, voire mauvaise transposition d'une directive. Cette situation a conduit le Gouvernement à agir récemment par voie d'ordonnance, et à créer le 27 septembre 2004, par circulaire, un réseau interministériel de transposition. Le présent projet prolonge cette démarche ; par souci de transparence, le Gouvernement a choisi, pour la fonction publique, d'organiser un véritable débat et non de recourir aux ordonnances. Comme l'a dit M. le ministre, l'effort de transposition s'achève avec le présent texte, puisqu'à l'issue de son examen il ne restera aucune directive en souffrance de transposition concernant la fonction publique. C'est dire son importance.

En première lecture, le Sénat, sur 22 articles, en a adopté huit sans modification et a procédé à quelques adaptations du texte. Celles-ci tendent principalement à rappeler que le recours à des agents non titulaires pour occuper un emploi permanent demeure une exception, à assouplir le dispositif transitoire prévu pour les agents non titulaires âgés d'au moins cinquante ans, à prévoir une application différée de la loi pour les dérogations aux conditions d'âge et de diplôme, et à simplifier certains dispositifs.

Votre commission des lois s'est attachée à faire ressortir les grands principes mis en œuvre par ce texte, mais aussi à assurer la meilleure sécurité juridique possible aux agents de la fonction publique.

Considérons d'abord les dispositions relatives à la promotion de l'égalité entre les femmes et les hommes et à la lutte contre les discriminations, que je vous proposerai par cohérence de présenter dans un seul chapitre. Il s'agit de traiter désormais de manière équivalente les hommes et les femmes dans leurs droits et devoirs de fonctionnaires. Aujourd'hui plusieurs textes prévoient des régimes plus favorables pour les femmes, concernant par exemple les limites d'âge ou les conditions de diplôme pour présenter un concours. L'objectif est d'étendre aux hommes les dispositifs spécifiques aux femmes et, pour certains, de les adapter aux évolutions de la société et de la fonction publique. Il est également prévu de garantir au fonctionnaire la priorité au retour à son ancien emploi à l'issue d'un congé de maternité ou de paternité. Le projet tend par ailleurs à harmoniser les droits des victimes de discriminations et renforce leurs droits dans le cas où ils n'étaient pas prévus par la loi, avec notamment l'institution d'une protection en cas de plainte.

D'autres dispositions concernent l'ouverture de la fonction publique aux ressortissants de l'Union européenne et la mobilité. La libre circulation des personnes est l'un des fondements même du traité instituant les Communautés européennes. Or, jusqu'à présent, les ressortissants communautaires ne pouvaient accéder à un corps de la fonction publique que si cette possibilité était expressément prévue. Le texte inverse cette règle : les ressortissants pourront désormais accéder à tous les corps sauf si une exception est prévue par le statut particulier. Seuls leur resteront fermés les emplois dont les attributions ne sont pas séparables de l'exercice de la souveraineté et ceux qui comportent une participation directe ou indirecte à l'exercice de prérogatives de puissance publique.

Le projet prévoit en outre la généralisation du détachement, permettant ainsi une mobilité entre les trois fonctions publiques et dans chacune, y compris en faveur des ressortissants communautaires non français. Cette disposition innovante permettra une collaboration entre Français, Suédois, Belges, Italiens et autres, ouvrant ainsi de nouveaux horizons au travail de chacun, au bénéfice de l'intérêt général.

Les dispositions relatives à la lutte contre la précarité sont certainement celles qui donnent à votre projet un relief tout particulier : il s'agit de répondre à la fois à la précarité des agents contractuels de la fonction publique et à celle des salariés d'une structure dont l'activité est reprise par une collectivité publique. Pour les agents non titulaires, le texte limite tout d'abord le recours aux contrats à durée déterminée à deux périodes de trois ans, soit six ans, et instaure au-delà un contrat à durée indéterminée que la collectivité pourra proposer. Il prévoit par ailleurs pour les agents employés depuis plus de six ans et âgés de plus de cinquante ans une transformation automatique en CDI.

Cette disposition trouve son fondement dans la directive du 28 juin 1999, qui aurait dû être transposée avant le 10 juillet 2001. Elle constitue une véritable réponse sociale pour des personnes dans une situation d'extrême précarité. Cette directive pose en principe que la forme normale du travail est la relation à durée indéterminée. Partant de ce principe, il ne s'agit nullement de créer une deuxième fonction publique placée sous l'égide du contrat, ni d'ouvrir une nouvelle voie d'accès à la fonction publique, mais de permettre de « déprécariser » certaines situations individuelles devenues anormales. Loin de toute idéologie, il s'agit simplement de résorber des emplois précaires, et il n'y faut voir aucune volonté de remettre en cause les fondements du statut de la fonction publique que sont le concours et les garanties statutaires. Ce sont près de 700 000 personnes qui sont aujourd'hui concernées, dont près de 200 000 pour la fonction publique d'Etat - qui, depuis des années, renouvelle à l'envi des contrats sans donner aux agents en question un véritable statut.

Cette disposition permettra également de réguler une pratique que nous connaissons tous au sein des collectivités locales, mettant dans une dépendance totale vis-à-vis des exécutifs certains contractuels, qui ont pu se retrouver dernièrement à l'ANPE... A nos yeux ce dispositif est plus adapté que ceux qui l'ont précédé, notamment la loi Sapin, qui proposait une titularisation à la fois complexe et inadaptée aux situations que traite le présent texte. La loi Sapin était sans intérêt pour les non titulaires âgés de plus de 50 ans, ayant plus de six, dix ou vingt ans d'ancienneté, car elle ne prévoyait ni reprise d'ancienneté, ni reclassement indiciaire, ni différentiel de cotisations à racheter, ni indemnité compensatrice face aux pertes très conséquentes de salaire.

Sans pour autant vouer un culte au CDI, ce projet de loi constitue une avancée notable dans l'émergence d'une fonction publique qui tienne compte et des évolutions de la société, et des principes communautaires. Je vous sais sensible à cet aspect, Monsieur le ministre, et ouvert à ce que le maximum d'agents contractuels puisse bénéficier de cette mesure, dont le cadre juridique sera fixé par voie règlementaire.

Pour ce qui est enfin des salariés des structures de droit privé dont l'activité est reprise par une collectivité locale dans le cadre d'un service public administratif, l'article 15 tire les conséquences d'une évolution jurisprudentielle issue de la directive du 12 mars 2001 relative au rapprochement des législations concernant le maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprise. La Cour de justice des Communautés européennes, le Tribunal des Conflits, la Cour de Cassation et tout dernièrement le Conseil d'Etat, dans un arrêt Lamblin du 22 octobre 2004, ont précisé les termes de cette directive et en conséquence ceux de l'article L. 122-12 de notre code du travail, qui est en quelque sorte le pendant de l'article 15 du projet. Ce dernier propose auxdits salariés, en cas de transfert de l'activité à une personne publique, un contrat de droit public d'une durée déterminée ou indéterminée selon le type de contrat dont ils disposent au moment du transfert. Une telle situation se rencontre dans les trois fonctions publiques. Cet article a le mérite de clarifier la situation de tels salariés et de leur donner enfin un espoir réel de poursuite de leur activité. A l'occasion de l'examen de cet article 15, je vous demanderai, Monsieur le ministre, une précision sur son articulation avec les dispositions d'ordre public de l'article L. 122-12 du code du travail, afin de rendre l'article 15 incontournable dans son application réelle. Je pense que nous pourrons ainsi clarifier la situation de certains salariés jetés à la rue après l'alternance politique en Languedoc-Roussillon, et dont l'activité a été reprise par d'autres associations financées par des collectivités publiques ; cela dans l'esprit même du projet de loi, qui est de résorber l'emploi précaire.

Au terme de cette présentation, Monsieur le ministre, je voudrais saluer votre esprit d'initiative dans la transposition des directives communautaires tout comme votre volonté, maintes fois réaffirmée, de placer un certain nombre d'agents publics précaires dans une situation enfin régulière et pérenne. La commission des lois vous invite, en conséquence, à adopter ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ

M. le Président - J'ai reçu de M. Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité déposée en application des l'article 91, alinéa 4, du Règlement.

M. Bernard Derosier - Le Gouvernement nous propose aujourd'hui un texte qui, s'il est adopté en l'état, modifiera profondément le visage de la fonction publique française.

Toutes les directives européennes ne sont pas forcément mauvaises. Certaines vont même dans le bon sens. Ainsi nous avons aujourd'hui l'occasion d'apporter à l'administration française des mesures de modernisation initiées au niveau communautaire en matière de lutte contre les discriminations, d'égalité entre les femmes et les hommes, de recrutement initial, de mobilité en cours de carrière des fonctionnaires et d'ouverture aux ressortissants de l'Union Européenne : c'est l'objet de trois des quatre directives transposables. Malheureusement, chassez les vieux démons de la droite, ils reviennent au galop ! Sous prétexte de transposer une directive relative au travail à durée déterminée, vous proposez un dispositif proprement scandaleux, en tous cas inadmissible pour ceux qui sont attachés à la qualité de notre fonction publique. Vous imaginez d'introduire le contrat à durée indéterminée dans la fonction publique. Mais il existe, Monsieur le ministre : c'est le statut ! « Certains veulent faire croire », disiez-vous ; mais qui d'autre que vous veut faire croire que l'introduction du CDI est la réponse à je ne sais quelles situations ? Rien ne nous obligeait à permettre que des agents au service de l'Etat, des collectivités territoriales, du système hospitalier, c'est-à-dire des citoyens, soient désormais dans une situation de précarité définitive. Un CDI ne garantit pas l'emploi sur toute la carrière : un emploi sur CDI peut toujours faire l'objet d'une suppression. Que deviendra le titulaire ? Vous auriez pu imaginer de renforcer encore la qualité de nos services publics en permettant qu'ils soient assurés par des fonctionnaires recrutés selon des règles bien connues.

D'ailleurs, les organisations syndicales s'y sont fortement opposées. Le 22 décembre dernier, le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale s'est prononcé contre ce projet à l'unanimité des votants. (M. Tron s'exclame) Monsieur Tron, si vous aviez été présent, vous vous seriez abstenu comme vos collègues de la majorité.

M. Georges Tron - Sûrement pas !

M. Bernard Derosier - Ce vote traduit l'opposition à la création des CDI dans la fonction publique, à l'institution d'une nouvelle voie d'accès sans concours et d'une nouvelle catégorie d'agents, et à une remise en cause du statut de fonctionnaire qui va au-delà de la transposition du droit communautaire.

Dans son rapport du 14 avril 2004 relatif à la fonction publique territoriale, le Conseil supérieur avait déjà rappelé son attachement au concours comme accès de droit commun aux emplois publics. Le Gouvernement n'a pas entendu son appel. Cela n'a rien d'étonnant compte tenu du piteux état du dialogue social dans la fonction publique aujourd'hui.

Jusqu'à présent, le Gouvernement a été incapable de mener une politique salariale cohérente. Après l'expression massive de la colère des salariés du public, le 10 mars dernier, le Gouvernement a enfin trouvé une partie des fonds qui lui manquaient fin 2004 pour ouvrir une véritable négociation. En réalité, la hausse annoncée n'a pas été négociée. Une hausse supplémentaire de 0,8% pour cette année 2005 a été décidée unilatéralement par le Gouvernement qui, dans le même temps, n'a pas renoncé à s'attaquer aux fonctionnaires accusés d'être trop nombreux.

Sous le prétexte de transposer des directives, le Gouvernement met en cause les grands principes constitutionnels et républicains qui fondent le statut de la fonction publique depuis 1946. La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 pose, en son article 6, le principe de l'égal accès des citoyens aux places et emplois publics : tous les citoyens « sont également admissibles à toutes dignité, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ».

M. Xavier de Roux, vice-président de la commission des lois - C'est exactement ce que nous sommes en train de rendre possible, avec vertu et talent !

M. Bernard Derosier - A reculons !

Ce projet de loi, sous couvert de transposer la directive du 28 juin 1999, propose de consacrer la notion de CDI de droit public dans la loi. Sous le prétexte de lutter contre la précarité, le Gouvernement sape les fondements de la fonction publique en créant une nouvelle catégorie de fonctionnaires : les agents recrutés par l'Etat ou les collectivités publiques par CDI. Etrange logique !

Aux termes de l'article 3 de la loi du 13 juillet 1983, les emplois permanents de l'administration doivent être occupés par des fonctionnaires. Les cas de recours à des contractuels sont prévus à titre exceptionnel : aux articles 3 à 6 de la loi du 11 janvier 1984 pour la fonction publique d'Etat, à l'article 3 de la loi du 26 janvier 1984 pour la fonction publique territoriale, et l'article 9 de la loi du 9 janvier 1986 pour la fonction publique hospitalière. Dès lors, pour combattre l'emploi public précaire, l'effort devrait se concentrer sur l'application des règles relatives au statut de la fonction publique.

Afin de garantir au mieux le respect du principe constitutionnel d'égal accès aux emplois publics, le recrutement s'effectue en principe par voie de concours. Dans la fonction publique, le CDD est donc une exception au mode normal de recrutement. Les défenseurs du statut et des conditions d'accès à la fonction publique sont accusés d'être ringards, d'avoir une vision rétrograde de la fonction publique. « Quand on veut tuer son chien »...

Vous ne nous opposez aucun argument cohérent. Certes, la fonction publique, comme tout corps vivant, doit s'adapter pour permettre aux services publics de mieux répondre aux attentes des citoyens. Pourtant, deux approches existent : il y a ceux qui veulent des services publics de qualité avec des fonctionnaires recrutés dans le respect des garanties que le concours assure, et les réactionnaires libéraux pour qui la rentabilité, même en matière de service public, prime.

La seconde option semble avoir inspiré ce projet de loi qui, dans son chapitre III, comporte des dispositions confondant manifestement les logiques de l'emploi public et celles de l'emploi privé. Il prévoit notamment que les agents non titulaires sont engagés sur des CDD d'une durée maximale de trois ans, renouvelables dans la limite de six ans au total. A l'issue de cette période de six ans, les contrats peuvent être reconduits, par décision expresse et pour une durée indéterminée.

Ce projet va bien au-delà du droit communautaire. Le Conseil d'Etat, dans son rapport de 2003 sur les perspectives pour la fonction publique, se contentait « d'inciter à une plus stricte application des principes mêmes du statut général ». Il ne serait donc pas juste d'imputer à l'Europe l'instauration des CDI au sein de la fonction publique. Ce projet relève au contraire d'une démarche idéologique propre au Gouvernement : contrat plutôt que statut. J'en veux pour preuve sa décision de supprimer des postes de titulaires et la création concomitante de CDD dans la fonction publique.

En réalité, ce texte amorce le démantèlement de la fonction publique. A juste titre, les syndicats s'y sont opposés comme les membres des Conseils supérieurs des trois fonctions publiques, à l'exception des membres de l'administration. Il organise le brouillage du statut de la fonction publique puisqu'à côté du concours reposant sur des critères objectifs - procédé privilégié par notre tradition juridique pour la fonction publique -, il met en place un autre système de recrutement reposant sur des critères subjectifs. Cette régression, dangereuse pour le service public, est contraire au principe d'égalité dans l'accès aux emplois public comme à l'égalité devant le service public.

La loi du 19 octobre 1946 posant le premier statut général de la fonction publique a consacré le concours comme mode de recrutement de la fonction publique. Les statuts généraux ultérieurs ont maintenu ce principe. Malheureusement, le concours n'est pas une exigence constitutionnelle. Ainsi, à propos de l'ouverture d'une troisième voie d'accès à l'Ecole nationale d'administration en 1982 et du recrutement dans les corps d'inspection et de contrôle en 1984, le Conseil constitutionnel n'a pas estimé que le concours était l'unique recours pour garantir un recrutement conforme à l'article 6 de la Déclaration des droit de l'homme et du citoyen.

Pour les agents relevant des catégories C, on le sait, rien n'interdit au législateur de prévoir que leur recrutement se fasse sans concours.

Dans tous les autres cas, le législateur a prévu un cadre et des principes permettant de garantir l'aptitude des candidats au recrutement. Il s'agit même d'une exigence constitutionnelle, à laquelle se sont conformées les lois d'intégration. La loi de résorption de l'emploi précaire du 3 janvier 2001, qui a permis d'intégrer des centaines de fonctionnaires, posait ainsi des conditions de titres, de diplômes ou d'équivalences, ainsi que des conditions d'expérience qui étaient autant de garanties à la qualité du service public assuré par les agents intégrés.

Le principe d'égalité dans l'accès aux emplois publics, posé par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, doit s'entendre au regard des qualités respectives des candidats, non à l'écoulement du temps que met en avant ce texte. Au total, certains agents publics verront leurs compétences sanctionnées par un concours ou la validation de leur expérience professionnelle, quand d'autres n'auront eu qu'à passer un contrat. Cette situation est injuste ! En outre, en limitant le contrôle de l'aptitude à exercer la fonction des contractuels au simple renouvellement du contrat tous les trois ans, le législateur laisse au pouvoir réglementaire toute latitude pour encadrer les modalités de recrutement des contractuels.

L'aptitude à être agent public ? La loi doit l'encadrer, sauf à vouloir compromettre l'égalité des citoyens devant le service public. Le Conseil constitutionnel l'a rappelé dans sa décision du 19 février 1998 à propos d'une loi organique portant recrutement exceptionnel de magistrats de l'ordre judiciaire. Votre texte, lui, préfère traiter indifféremment des trois fonctions publiques et n'établir aucune différence entre agents, postes et catégories. Or, ne pas fixer de règles minimales précisant le cadre de l'exercice du pouvoir réglementaire nous condamne à ne pas exercer nos compétences. Lutter contre la logorrhée législative ? Oui, à condition que le législateur exerce ses pouvoirs !

De fait, votre projet tend à multiplier le recrutement des contractuels, à l'heure où les collectivités territoriales sont confrontées à une réelle crise des ressources humaines. Il prévoit même la création d'une sous-catégorie d'agents publics employées en CDI dans les communes de moins de 1 000 habitants. Les procédures dérogatoires vont se multiplier, vider de son contenu le statut et ouvrir les voies d'accès à la fonction publique sans concours. Sous couvert de transposer une directive européenne, vous entendez transformer les CDD en CDI, et ouvrir une nouvelle voie d'accès sans concours avec le parcours d'accès aux carrières de la territoriale, de l'hospitalière et de l'Etat - PACTE.

Bref, votre projet conduira à une discrète vente à la découpe du statut, qui avec le fort renouvellement de la génération du baby-boom, permettra de gommer progressivement les règles statutaires. Votre réforme, loin de résorber la précarité, comme l'avaient fait les plans Le Pors, Sapin ou Perben, aboutira à l'effet inverse : elle multipliera le nombre des agents sous contrat, dans un contexte où le chômage touche plus de 10% de la population active.

Ce projet organise aussi la rupture du principe d'égalité dans le déroulement de la carrière. Les contractuels en CDD, employés pour des tâches identiques à celles effectuées par des agents publics statutaires, recevront pourtant un traitement différent. Les gestionnaires publics et les exécutifs territoriaux auront le choix entre une fonction publique statutaire et une fonction publique contractuelle. Mais les nouveaux contractuels ne manqueront pas d'exiger la définition d'une carrière, avec des avancements légitimes et un régime indemnitaire, avantages réservés jusqu'à ce jour aux seuls fonctionnaires titulaires. Et comment la mobilité des agents en CDI sera-t-elle assurée ? Dans la mesure où l'acte contractuel est un acte bilatéral lié à un emploi, il sera nécessaire, pour passer d'une collectivité ou d'un ministère à l'autre, de rompre ce contrat. Le principe de mobilité est complètement désossé ! Comment s'effectuera le déroulement de carrière ? Sera-t-il même possible ? Qui représentera ces agents ? Comptez-vous mettre en place des comités techniques ou des commissions administratives paritaires ? Se dirige-t-on vers un système de convention collective au sein des collectivités publiques ? Sans compter que ces agents ne pourront pas bénéficier de formation, puisqu'ils ils auront été recrutés pour une profession bien spécifique. On en revient donc à la situation antérieure à 1983, voire à 1946 !

La promotion d'une fonction publique d'emploi fait naturellement courir un risque à l'ensemble de la fonction publique. Dans l'immédiat, cependant, c'est la fonction publique territoriale qui est la plus exposée, car la diversification des métiers assurés par ses agents permettra de s'affranchir aisément des règles du statut. Comment ne pas craindre de nouveaux clientélismes ? Seule une véritable intégration dans la fonction publique répondant à des critères objectifs constituerait un progrès pour les agents non titulaires et répondrait aux nombreuses situations de précarité que rencontre actuellement la fonction publique dans son ensemble. Et que dire des vacataires, très nombreux dans l'Education nationale, et dont on connaît la précarité ?

Il aurait été plus judicieux de s'attaquer de front à la question du statut de la fonction publique et de régler le sort des contractuels dans le cadre d'une loi de modernisation de ce statut.

M. Jean-Pierre Dufau - Oui !

M. Bernard Derosier - La notion de statut ne doit pas être synonyme de rigidité. Bien au contraire, elle doit pouvoir évoluer en conformité avec les grands principes d'égalité et de neutralité qui sont au centre de notre fonction publique. Du reste, le principe de la séparation du grade et de l'emploi, essentiel au statut, permet toutes les adaptations à l'évolution des métiers. Son organisation doit être plus souple et moins cloisonnée, moins étanche pour permettre d'accueillir l'ensemble des agents qui travaillent à l'accomplissement du service public.

Dans un contexte marqué par l'appauvrissement de l'Etat, par l'accroissement du chômage et par le transfert des charges de l'Etat vers les collectivités territoriales, on ne peut que déplorer ce traitement aberrant de la fonction publique. En raison de la massification des départs en retraite, de l'évolution des modalités d'intervention de l'Etat et des transferts de charges aux collectivités locales, la fonction publique est à une période charnière de son histoire.

En omettant de fixer de grandes orientations, c'est l'avenir même du service public que le Gouvernement hypothèque. Un véritable débat d'orientation sur le devenir de la fonction publique et de son statut s'impose. Réformer la fonction publique ? C'est la moderniser, et d'abord définir les améliorations à apporter à l'existant, en matière de recrutement, de formation tout au long de la vie, de reconnaissance de l'expérience professionnelle. Ce qu'il faut faire, c'est réformer au plus vite le statut et l'adapter aux nouvelles méthodes de gestion des ressources humaines et aux nouvelles missions de service public.

Enfin, la procédure que vous utilisez ne peut que susciter des interrogations : plus que de transposer une directive communautaire, ce projet de loi a pour objet de modifier le statut de la fonction publique, ainsi que l'exposé des motifs en témoigne. Le véritable objet de notre débat est dissimulé, et il y a un décalage important entre la présentation du projet et son contenu réel.

L'esprit des directives est de mettre fin à la précarité, mais en aucun cas de transformer des contrats à durée déterminée en contrats à durée indéterminée ! On aurait fort bien pu recourir à une nouvelle loi de résorption de l'emploi précaire semblable à la loi Sapin. Le fait qu'il existe déjà au sein de l'Etat des agents en contrat à durée déterminée et le décalage que cela entraîne entre les dispositions législatives et réglementaires ne justifient en rien que l'on étende la possibilité de recours à ces contrats et n'ôtent rien à l'inconstitutionnalité du texte. Le respect de la hiérarchie des normes n'est pas un exercice formel. Voter l'exception d'irrecevabilité nous permettrait d'énoncer notre interprétation des principes constitutionnels qui s'appliquent au service public dans son ensemble. Je suis certain que vous ne pourrez vous résoudre à contredire ce principe essentiel qu'est le principe d'égalité. Avant que le Conseil constitutionnel ne censure cette loi, permettez à la représentation nationale de protéger elle-même nos règles fondamentales. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. le Ministre - Malgré un cheminement tortueux, le discours de M. Derosier n'a pu me convaincre. Il m'a même semblé qu'il n'évitait pas les contradictions en affirmant d'un côté le respect du principe du concours et en soutenant de l'autre des solutions qui y dérogent.

La première obligation constitutionnelle, rappelée par la décision du Conseil du 10 juin 2004, est celle de la transposition des directives. Elle s'appliquait déjà au gouvernement que vous souteniez, Monsieur Derosier, et à la directive de 1999 qu'il a approuvée mais qu'il n'a pas voulu transposer. S'il y a eu entorse à l'obligation de transposition, la responsabilité est à chercher de votre côté. J'attends de vous que vous nous disiez pourquoi ce gouvernement n'a pas profité de l'occasion offerte par la loi Sapin, qui avait justement comme objectif de lutter contre la précarité.

M. Bernard Derosier - Je vous répondrai à ce sujet.

M. le Ministre - J'ai sur ce point ma petite idée. Le plan de titularisation que comportait la loi Sapin ne pouvait résoudre le problème de la précarité dans la fonction publique. Vous voulez opposer le contrat au statut, mais le contrat existe bien, dans le droit de la fonction publique ! Les articles 3, 4 et 5 de la loi de 1984 - qui donc était au pouvoir ? - définissent le recours au contrat à durée déterminée. Essayer de faire croire que nous introduisons cette notion est donc une manœuvre un peu grossière. Et c'est bien parce que le contrat existe depuis belle lurette que nous sommes aujourd'hui confrontés à une hyper précarité.

Lorsque j'interroge les quelque 250 000 contractuels qui pourraient bénéficier du projet de loi, croyez bien qu'ils préfèrent un CDI à leur situation actuelle - des CDD qui se renouvellent sans jamais aucune sécurité, situation contre laquelle vous n'avez rien fait ! Mais vous ne les écoutez pas : vous préférez le dogme aux hommes. Alors que le Gouvernement, sensible à des situations difficiles, veut leur trouver des solutions pragmatiques, vous restez focalisé sur votre vision dogmatique du statut. Mais, ainsi que le disait Descartes, qui fait l'ange fait la bête.

M. Jean-Pierre Dufau - « L'homme n'est ni ange, ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête ». C'est de Pascal !

M. le Ministre - Ce n'est pas en vous accrochant au statut sans chercher de solution pour eux que vous aiderez ces contractuels ! La seule solution que vous proposiez, la titularisation des agents en CDD, est contraire à l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme, qui pose le principe du concours ! On ne voit pas pourquoi ces agents pourraient être assimilés à ceux qui ont passé un concours. C'est au contraire pour respecter ce principe du concours que nous avons prévu un délai de six ans, suffisamment long pour donner à tous les titulaires de CDD la chance de passer dans de bonnes conditions les concours internes. Car il n'y aura pas de « seconde fonction publique » : le CDI ne constitue pas une nouvelle façon d'entrer dans la fonction publique. On peut en revanche entrer en CDD et se voir proposer, au bout d'un certain temps, un CDI. C'est très différent ! Vous savez que le Gouvernement a proposé aux organisations syndicales de créer un groupe de travail pour corriger les défauts des articles 3, 4 et 5 de la loi de 1984. Il s'agit d'éviter que l'employeur public, et en particulier l'Etat, ait recours à des contractuels pour contourner les autorisations budgétaires qui lui sont accordées par la représentation nationale. Avec les organisations syndicales, nous allons resserrer les contraintes qui pèsent à cet égard sur les employeurs publics.

Enfin, vous avez exposé des idées de modernisation de la fonction publique. Ainsi que j'ai déjà eu l'occasion de l'expliquer, nous avons puisé les nôtres dans le rapport du Conseil d'Etat de 2003, qui ouvre des pistes nouvelles. La fonction publique n'est ni de droite, ni de gauche : c'est la fonction publique de la République. Les membres du Conseil d'Etat, institution de la République, se prononcent en toute impartialité et sont animés par le seul intérêt général. Les propositions des conseillers ne peuvent donc être que propres à rassembler par delà les partis politiques et je suis heureux que vous ayez ouvert la porte au consensus en citant abondamment leur rapport. Vous êtes allé plus loin, en reprenant textuellement certains de mes propos : j'avais déjà exprimé mon attachement au principe de la séparation du grade et de l'emploi, qui s'est petit à petit calcifié, j'avais souhaité une fonction publique moins cloisonnée et moins étanche, j'avais indiqué vouloir adapter le statut de la fonction publique aux contraintes et aux nécessités de notre époque en ce qui concerne le recrutement, la formation et la reconnaissance de l'expérience professionnelle... Merci donc du soutien que vous m'apportez !

S'il faut réformer la fonction publique, faisons-le avec la volonté de réunir et d'éviter les discours à l'emporte-pièce, désignant les uns comme les avocats inconditionnels du statut de la fonction publique et les autres comme ceux qui veulent le démanteler ! Vous savez bien que la plupart des fonctionnaires et des organisations syndicales veulent tout simplement trouver des solutions de bon sens. C'est ce que ce texte vous propose aujourd'hui, et la meilleure preuve en est que les contractuels qui vont en bénéficier l'approuvent. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. le Rapporteur - Le président de la commission des lois n'a pas tenu les propos qui lui ont été attribués par M. Derosier. Il a simplement indiqué que la fonction publique devait s'adapter. Elle n'est pas un bloc monolithique, en-dehors du temps. A ce propos, je vous renvoie à un excellent article de doctrine paru dans Les Cahiers de la fonction publique. Il y est indiqué que la fonction publique est devenue de facto un champ de compétence communautaire et que lors de toute réforme, il faudra désormais avoir le réflexe de vérifier sa compatibilité avec le droit communautaire.

M. Bernard Derosier - Ce n'est pas la question.

M. le Président - Pour les explications de vote, la parole est d'abord à M. Tron.

M. Bernard Derosier - Un homme de nuance !

M. Georges Tron - J'aimerais l'être. Mais pour cela, encore eût-il fallu que votre discours lui-même le fût. Hélas, je n'ai entendu qu'un laborieux plaidoyer, comme à votre habitude, technique mais cette fois très inspiré par la politique, prononcé sur un ton doctoral. Votre tâche était difficile, puisqu'il s'agissait de démontrer qu'il fallait rejeter des dispositions allant pourtant dans l'intérêt des fonctionnaires. Avec nuance, et malgré la haute idée que vous avez de la façon dont vous avez défendu votre point de vue, permettez-moi de vous dire que je ne le partage pas et vous prie de m'en excuser.

Vous avez présenté ce texte comme une manœuvre contre la fonction publique, vous gardant d'ailleurs bien de rappeler que cette directive date de 1999. Plutôt que de nous donner des leçons sur l'Europe, vous auriez mieux fait de nous démontrer que vous ne l'invoquez pas lorsqu'elle vous sert pour la laisser de côté lorsqu'elle vous dessert. Vous qui êtes en général si soucieux de précision, Monsieur Derosier, auriez dû signaler que la directive de 1999 s'applique à l'ensemble du droit du travail, et pas seulement à la fonction publique. Il ne saurait donc s'agir d'une manœuvre contre elle.

Vous avez fait référence aux nombreux plans de titularisation passés. Je vous invite à relire les propos que j'ai tenus alors : vous vous apercevrez que je suis sans doute plus homme de nuance que vous. J'avais notamment, au nom du groupe RPR, approuvé les objectifs du plan de titularisation lancé par M. Sapin. La nuance, voyez-vous, Monsieur Derosier, c'est de prendre en compte l'intérêt des agents, au-delà des considérations politiques. J'attendrais de vous aujourd'hui la même attitude raisonnable. Pour le reste, on peut toutefois se demander si la multiplication de ces plans de titularisation depuis vingt ans va dans le bon sens. Je ne le pense pas. Le dispositif proposé aujourd'hui a en tout cas l'intérêt de régler la situation des personnes de plus de cinquante ans, qui ne l'était pas dans le plan Sapin.

Vous redoutez une nouvelle filière de recrutement des fonctionnaires par la voie de contrats à durée indéterminée. Il n'en est rien : il n'y aura aucun recrutement direct en CDI, seulement des CDD transformés en CDI. Prétendre le contraire, c'est être dans l'erreur ou de mauvaise foi. Le recrutement par concours reste la règle, comme le ministre, interpellé à ce sujet par le sénateur Legrand, a eu l'occasion de le rappeler au Sénat.

Quoi qu'en dise M. Derosier, auquel je me réserve d'ailleurs le droit de rappeler la façon dont les fonctionnaires ont été traités par le gouvernement Jospin, notamment en matière salariale, le dispositif proposé suscite beaucoup d'intérêt. Les sénateurs ont d'ailleurs été nombreux à en demander l'extension aux filières de l'enseignement, notamment dans les CFA et les GRETA. Nul ne peut objectivement prétendre que ce dispositif n'est pas intéressant pour les agents en situation précaire.

Espérant encore que d'une discussion sereine pourrait naître un consensus, le groupe UMP ne votera bien sûr pas cette exception d'irrecevabilité.

M. François Asensi - Le groupe communiste rejette ce texte. En effet, sous couvert de lutte contre la précarité, c'est un rude coup qui est porté au statut de la fonction publique avec l'autorisation de recrutements en contrat à durée indéterminée. Coexisteront désormais dans la fonction publique des personnels sous statut et des personnels sous contrat de droit privé.

Contrairement à ce que certains pourraient penser, on est ici en plein débat sur la future Constitution européenne. Nous voilà une nouvelle fois, avec ce texte, contraints de nous adapter au droit communautaire. Le contrat à durée indéterminée risque de torpiller notre fonction publique. J'espère que les électeurs s'en souviendront et qu'il sera mis fin, une fois pour toutes, à cette débauche libérale le 29 mai prochain.

M. Jean-Pierre Dufau - Le groupe socialiste votera bien entendu cette exception d'irrecevabilité, remarquablement défendue par Bernard Derosier. Son intervention n'était ni partiale ni manichéenne, mais au contraire solidement argumentée. Qu'elle puisse gêner les auteurs du texte ne lui enlève rien de sa pertinence !

Jamais notre collège n'a dit que la fonction publique était immuable. Il a au contraire appelé de ses vœux une réforme de l'Etat. Si, sur la nécessité de cette réforme, il s'accorde avec le Gouvernement, il appelle son attention sur le fait que ce texte ne recueille pas l'assentiment des représentants des fonctionnaires et pense qu'il serait plus prudent de ne faire évoluer les trois fonctions publiques qu'en concertation avec eux.

A M. Tron qui nous a fait observer, comme si nous ne l'avions pas nous-mêmes noté, que la directive ne s'appliquait pas seulement à la fonction publique mais à l'ensemble des secteurs privé et public, je dirai que c'est bien ce qui nous inquiète. En effet, depuis quelques années, l'emploi intérimaire et les contrats à durée déterminée se multiplient, en particulier dans le privé. (« Et alors ?» sur les bancs du groupe UMP) Au lieu de réfléchir aux moyens d'endiguer cette précarité, vous allez l'étendre dans le public. Certes, il y a beaucoup de situations à régler. Les 250 000 contractuels de la fonction publique, dites-vous, Monsieur le ministre, attendraient ce texte avec impatience. Mais qu'apportera-t-il aux vacataires, nombreux à nous alerter, qui ne voient pas comment sortir de leur situation ?

Pour en revenir au débat que nous avons eu tout à l'heure concernant Descartes et Pascal, je dirai que le propos de notre collègue Derosier alliait l'esprit de géométrie cartésien et l'esprit de finesse pascalien. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Georges Tron - Quelle indulgence !

L'exception d'irrecevabilité, mise aux voix, n'est pas adoptée.

M. Jérôme Lambert - Il n'est pas courant d'examiner des directives communautaires ayant trait à la fonction publique. On pourrait même s'en étonner dans la mesure où la gestion de la fonction publique relève des prérogatives exclusives des Etats membres, ce à quoi la future Constitution ne change d'ailleurs rien. Ce projet de loi va donc bien au-delà des dispositions des textes actuels, et même futurs, de l'Union. 

En fait, l'Union européenne a édicté des règles qui s'imposent en vertu de la primauté du droit communautaire. Certaines sont anciennes, la première remontant à 1976, son application n'ayant du reste pas suscité de difficultés particulières. C'est pourtant au nom de ces directives que le Gouvernement entend aujourd'hui imposer une gestion idéologique de la fonction publique. Il va ainsi favoriser la création d'une nouvelle catégorie, celle des agents contractuels permanents, à côté des fonctionnaires statutaires et des titulaires de CDD - qu'on a intégrés en masse sous la législature précédente afin de mettre fin à la précarité de leur situation. Travailleront dorénavant dans les trois fonctions publiques des agents permanents, non protégés par le statut et recrutés au choix de l'autorité de gestion de l'administration concernée. Il sera donc loisible, pour répondre aux besoins, de recruter par la voie du concours républicain ou de créer de toutes pièces un nouveau corps de contractuels permanents, dont les critères de recrutement seront laissés à la discrétion de l'autorité administrative. Telle est bien, sous couvert d'une simple transposition de directive, la volonté du Gouvernement ! Bien entendu, toutes les organisations de fonctionnaires y sont résolument opposées. Et que le Gouvernement ne vienne pas dire que c'est la faute à l'Europe ! Il faut assumer ses responsabilités : l'Europe n'imposait en rien de créer un nouveau type d'agents publics, permanents mais non fonctionnaires. Ce que nous imposent les directives, c'est de mettre fin à la précarité de nombreux contractuels. La solution que nous eussions dû retenir était de faciliter leur intégration dans les différents corps de fonctionnaires, comme le permet la loi Sapin...

M. le Ministre - Que ne l'avez-vous fait ?

M. Jérôme Lambert - Ce n'est pas un progrès social que de faire des agents publics des salariés comme les autres, privés de toute garantie statutaire. Certains en rêvaient : vous le faites ! Si vous vous engagez dans cette voie au nom de l'Europe, il ne faudra pas s'étonner que nos compatriotes se montrent de plus en plus sceptiques quant aux bienfaits du projet communautaire. Vous le dénaturez, en présentant comme un progrès social un dispositif qui ne tend qu'a diffuser la précarité dans l'ensemble du corps social. A la vérité, pour reprendre une expression récemment utilisée par le chef de l'Etat, vous vous tirez une balle dans le pied ! Vous risquez de le regretter bientôt car nos compatriotes ne seront pas dupes. S'ils ont soif de progrès social, ils ne veulent pas d'une fonction publique où le recrutement au choix serait généralisé et où les nouveaux agents ne bénéficieraient d'aucune des garanties statutaires traditionnelles. Si vous voulez défendre par ce texte la politique européenne, vous prenez, Monsieur le ministre, un risque supplémentaire d'être sanctionné par les Français aux prochaines échéances. Quant à nous, nous nous opposerons résolument à l'adoption de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. François Rochebloine - Avant d'entrer dans le vif du sujet, j'appelle l'attention de notre assemblée sur le constant retard de la France dans la transposition des actes communautaires. Certes, des efforts considérables ont été entrepris et les retards tendent à s'amenuiser. Œuvrons sans relâche à ne plus être le mauvais élève de l'Europe !

J'en viens au présent texte, lequel s'articule autour de trois principes essentiels. Le premier consiste à promouvoir l'égalité hommes-femmes dans la fonction publique, dans le cadre de la lutte contre toutes les formes de discrimination. Qu'il s'agisse du recrutement ou des différents régimes de congés - maternité, paternité, adoption -, l'objectif est de coller aux évolutions récentes des schémas familiaux, les responsabilités au sein de la cellule familiale étant de plus en plus partagées. Il n'était que temps d'adapter notre droit. Toute mesure tendant à renforcer l'égalité entre fonctionnaires ne peut que recueillir notre assentiment.

Deuxième principe directeur du texte, l'ouverture de notre fonction publique à tous les ressortissants de l'UE. A l'heure où l'Europe occupe la majeure partie de notre actualité, de telles dispositions nous permettent de montrer la voie. Nous les appuyons sans réserve, car elles représentent une nouvelle possibilité d'enrichissement mutuel et de promotion de la libre circulation des personnes. On peut d'ailleurs se demander pourquoi ce principe n'a pas été appliqué plus tôt ! Nos collègues sénateurs du groupe de l'union centriste ont légitimement insisté sur la nécessaire réciprocité du principe d'ouverture, dans l'ensemble des pays de l'Union.

Enfin, le texte vise à concourir à la réduction du nombre d'emplois à durée déterminée. Destiné à lutter contre la précarité des agents non titulaires, le projet de loi tend à mettre fin aux renouvellements abusifs des CDD, en les transformant en contrats à durée indéterminée passé un délai de six ans. Nous ne croyons pas du tout que l'application d'un tel principe remette en cause les fondements du statut de la fonction publique. Cela permettra simplement aux contractuels de sortir de la précarité qui les prive de projet à long terme.

La commission des lois du Sénat a rappelé que le recours à des agents non titulaires devait demeurer une exception. A ce sujet, je souhaite recueillir l'éclairage du ministre sur l'amendement de notre collègue Vercamer. L'article 7 du projet fixe une durée maximale pour les CDD : au bout de six ans, la seule reconduction possible se fera sous forme d'un contrat à durée indéterminée. Cependant, ces dispositions excluent les personnels enseignants recrutés dans le cadre de conventions de formation, d'insertion, de reconversion professionnelle ou d'apprentissage. Si la directive permet aux Etats de prévoir ce type d'exclusions, ses critères ne sont pas suffisamment explicites. Dès lors, il nous semble important que la politique de résorption de la précarité s'applique également à ces catégories d'enseignants.

Dans l'attente d'une réforme plus conséquente de la fonction publique, du reste souhaitée par le Gouvernement, le groupe UDF votera ce texte.

M. le Ministre - Très bien.

M. François Asensi - Le texte qui nous est soumis comporte des mesures louables en matière de détachement, d'accès des ressortissants communautaires aux emplois de la fonction publique ou de parité. Nous saluons également quelques avancées en matière de lutte contre les discriminations et harcèlements de toutes natures, même si l'ajout de la notion de « bonne foi » n'encouragera pas les salariés à dénoncer les pratiques dont ils ont été témoins ou victimes, tant les craintes de pression et de perte d'emploi sont fortes.

Ce projet nous est présenté comme une simple transposition de la directive du 28 juin 1999 relative au travail à durée déterminée, laquelle pose le principe selon lequel la forme normale d'activité est la relation de travail à durée indéterminée. En conséquence, elle demande aux Etats membres de prévenir les abus résultant de l'utilisation de CDD successifs.

Après le cours de droit communautaire auquel se sont livrés l'ensemble des rapporteurs, présentant la France comme le mauvais élève de l'Union en matière de transposition, les rapports écrits vont à l'essentiel : la réforme de la fonction publique.

Dans sa communication du 11 décembre 2002 relative à la libre circulation des travailleurs, la Commission européenne a rappelé que « les fonctionnaires et les agents du secteur public sont des travailleurs au sens de l'article 39 », ce qui revient à les considérer comme des travailleurs comme les autres. Mais, précisément, que dit le présent texte des « autres salariés », ces milliers de travailleurs du secteur privé soumis à la précarité de l'emploi ? Rien. Et pourtant, dans le secteur privé, on compte plus de 13,1% d'emplois précaires, soit plus de deux millions d'intérimaires, de contrats aidés et de CDD, et la majorité des emplois créés le sont sous statut précaire.

Quant au travail temporaire, il représente aujourd'hui un marché juteux, permettant à Manpower, à Adecco ou à VédiorBis de dégager toujours plus de profits. Outre le bénéfice de la flexibilité et les économies en formation, les entreprises qui ont massivement recours au travail temporaire se félicitent de n'avoir à payer ni congés payés, ni ancienneté, cependant qu'elles ne se sentent pas tenues de proposer une véritable évolution qualifiante du parcours professionnel. Conçu pour remplacer un travailleur temporairement indisponible, l'intérim est devenu l'outil préféré des entreprises pour adapter leur production. Les postes proposés sont essentiellement des emplois peu qualifiés, ce qui permet aux entreprises de disposer d'une grande réserve de travailleurs potentiels.

Pour le travailleur, la réalité est moins favorable ! Les missions de courte durée le maintiennent dans une fragilité qui l'oblige à accepter toutes les missions. Il lui est impossible de prévoir quelle sera la durée de son contrat et de quoi demain sera fait. Comme le note la sénatrice Jacqueline Gourault, engagés sur des CDD insusceptibles d'être reconduits chaque fois qu'ils arrivent à leur terme, certains agents peuvent connaître d'importantes difficultés dans leur vie quotidienne, notamment pour réunir les garanties nécessaires à l'obtention d'un prêt ou pour la location d'un logement. Cette appréciation ne vaut-elle pas aussi pour tous les salariés précaires du privé ?

Sous couvert de transposer un texte communautaire et de lutter contre la précarité, le Gouvernement s'attaque au statut de la fonction publique hérité de la Libération, en créant une nouvelle catégorie juridique à côté des agents titulaires, celle des contractuels à durée indéterminée, dont nul pour l'instant n'a la moindre idée de ce que vont être leurs droits et garanties.

Les zones d'ombre sont trop nombreuses pour ne pas susciter les plus vives inquiétudes. D'un côté, il y aura les fonctionnaires soumis au statut général de la fonction publique avec leurs droits et leurs obligations ; de l'autre, de nouveaux contractuels permanents, dont on ignore à peu près tout ! Non soumis à une grille indiciaire, ils vont notamment pouvoir négocier leur salaire. Faut-il en déduire que des rémunérations différentes seront possibles pour les mêmes emplois ?

La création de contractuels à durée indéterminée dans le secteur public est d'autant moins anodine que le rapport annuel de la fonction publique dénombre, au 31 décembre 2002, quelque 331 000 contractuels dans la fonction publique d'Etat, 294 000 dans la fonction publique territoriale et 110 000 dans la fonction publique hospitalière. On peut légitimement se demander si tant d'agents ont vocation à devenir des contractuels permanents de l'Etat, sans qu'une telle évolution ne vienne compromettre le statut des fonctionnaires !

Le double statut que vous tendez à instaurer a pour seul précédent celui de France Télécom. Et l'on ne sait que trop ce qu'il advient de l'emploi statutaire, lorsqu'on joue - si telle est la volonté politique - de la suppression des postes ou de l'extinction « naturelle » d'une catégorie.

Cette transposition ouvre la voie à une transformation en profondeur de l'organisation des services publics en faisant des contractuels une variable d'ajustement très flexible. De fait, depuis trois ans, vous n'avez fait que diminuer le nombre d'emplois publics ; avec ce texte, vraie bombe à retardement, vous serez en état de faire disparaître progressivement le statut. Rien n'est dit sur ce que deviendront les agents au terme des six années de CDI. Pour des raisons budgétaires, ils pourront être écartés sans autre forme de procès, puisqu'il n'y a obligation de reconduction du contrat que pour les salariés de plus de 50 ans. En prétendant lutter contre la précarité, vous allez créer une nouvelle précarité. L'employeur public pourra user et abuser de ces CDI et les remercier systématiquement leurs titulaires.

En outre, ce texte ne prévoit pas de durée minimale des CDD, qui peuvent être très brefs. Pour lutter vraiment contre la précarité dans la fonction publique, il fallait d'abord mieux appliquer la loi du 3 janvier 2001, la « loi Sapin ».

M. le Ministre - M. Sapin n'a pas transposé la directive.

M. François Asensi - Le Gouvernement introduit le CDI dans la fonction publique alors qu'il démantèle les garanties que le code du travail confère à ce type de contrat dans le secteur privé.

Lors du débat budgétaire, j'avais déjà dénoncé le rapport de Virville qui suggérait un contrat de projet, véritable bible du cadre jetable, ainsi que le rapport Camdessus, qui jugeait le CDI trop rigide. Comment croire aujourd'hui que vous introduisez le CDI pour réduire les CDD et la précarité de la fonction publique !

Cette mesure s'inscrit en réalité dans une offensive sans précédent contre les statuts, contre les droits et les garanties en général. Vous fragilisez l'ensemble du secteur public en créant, au mépris de tous les acquis statutaires, deux grands corps d'emplois disparates pour le même service du public. Nous avons ici un texte de combat contre le statut de la fonction publique, ce qui n'était pas l'objet de la directive communautaire.

Plus qu'il n'a transposé, le Gouvernement a transfiguré dans un sens libéral un texte dont il aurait pu faire un bien meilleur usage. C'est pourquoi nous le condamnons catégoriquement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Georges Tron - Avec ce texte, nous transposons six directives prises de 1976 à 2002, et notamment la directive de 1999 sur la résorption de l'emploi précaire. Or, le gouvernement précédent a eu plus d'une occasion de la transposer, et si les socialistes avaient eu une conception rigoureuse de l'Europe, nous n'aurions pas à le faire. De plus, il est assez paradoxal de les entendre critiquer aujourd'hui une directive acceptée par le gouvernement Jospin.

Avec ce projet, vous avez en quelque sorte remis les pendules à l'heure, puisqu'il n'y a plus de directive à transposer dans votre domaine de compétence.

M. le Ministre - Tout à fait.

M. Georges Tron - Je vous en félicite. Cependant, il est inconvenant que la France se fasse régulièrement rappeler à l'ordre car elle est dixième ou onzième sur les Quinze, quinzième sur les Vingt-cinq en ce qui concerne la transposition.

M. le Ministre - Nous progressons.

M. Georges Tron - Oui, mais en restant dans le peloton de queue, et nous ne pouvons nous en satisfaire.

J'en viens au texte. En préalable, j'observe que la France et l'Europe ont une approche différente de la lutte contre les discriminations liées au sexe. La directive bannit tout ce qui pourrait relever d'une « discrimination positive ». Il faudra y penser désormais en élaborant nos textes.

Quant au CDI, y recourir traduit le fait que les plans de titularisation, de celui d'Anicet Le Pors en 1984 à ceux de M. Perben en 1996 et de M. Sapin en 2001 n'ont pas réglé le problème de la précarité. Nous y avons tous réfléchi, et faisons aujourd'hui le même constat, qui a été fait aussi pour le privé. C'est pourquoi je m'étonne que quelques sénateurs d'opposition aient proposé d'en rester à ce genre de dispositifs qui, dans leur répétition même, ont montré leurs limites.

Je veux insister sur le fait que ce texte ne permet pas un recrutement direct sur CDI dans la fonction publique. Nous aurions été plusieurs dans la majorité à refuser cette remise en cause du statut. Il s'agit au contraire de permettre à des agents de sortir de la précarité en passant d'un CDD à un CDI. Je m'étonne que des socialistes ne voient pas ce progrès. Bien sûr, je le comprendrais s'il s'agissait de créer une filière parallèle aux concours.

M. Jean-Pierre Dufau - C'est le cas.

M. Georges Tron - Mais pour les 250 000 agents en CDD, la garantie offerte est une aubaine.

D'autre part, les dispositions relatives à la fin de carrière de ces agents en CDI ne diffèrent en rien de celles qui s'appliquent aux agents qui sont en CDI dans des régimes dérogatoires du statut actuel.

Enfin, nul ne peut être insensible à l'effort substantiel fait pour les agents de plus de 50 ans en CDD qui ont la durée de service nécessaire et passeront en CDI. C'est évidemment là, pour une catégorie qui compte parmi les plus fragiles sur le plan professionnel, une garantie substantielle. Si donc on interprète l'article 7 avec objectivité, on doit être sensible à ses avancées.

Mais la transposition des directives doit être inscrite dans notre réflexion plus générale sur la politique de la fonction publique. M. Derosier a évoqué d'autres aspects de cette politique, et notamment la question salariale. Je pense qu'elle fait partie d'un problème plus large, qui est celui de l'attractivité de la fonction publique. Maintenir cette attractivité est un impératif, si nous ne voulons pas que d'ici quelques années notre fonction publique voie diminuer sa qualité. C'est dans ce cadre que se pose la question des rémunérations, et à cet égard nous n'avons pas à rougir ! Je rappelle que durant trois années - qui furent pourtant des années de croissance - le précédent gouvernement n'a pas fait le moindre geste à ce sujet. Lorsqu'aujourd'hui les organisations syndicales nous demandent, - et elles ont été entendues - de faire un geste, elles ne manquent pas de nous rappeler que durant trois ans il n'y a pas eu de relèvement indiciaire.

A la question salariale sont également liées la réflexion que le Gouvernement mène sur la refonte des grilles et la recherche, qui doit intéresser notre commission des finances comme le Gouvernement, de dispositifs permettant - de façon éventuellement collective et non nécessairement individuelle - de rémunérer les fonctionnaires en fonction des résultats. Enfin, au-delà de la question des rémunérations, se posent celles de la mobilité et de la souplesse des dispositifs, exigences qui avancent aussi grâce à l'Europe : les dispositions d'ouverture de la fonction publique aux ressortissants de l'Union Européenne vont dans le bon sens, non seulement parce qu'elles sont cohérentes avec notre vision de l'Europe, mais aussi parce qu'elles inciteront notre fonction publique à établir des règles plus souples. Dans le même esprit, je me réjouis de la généralisation du détachement. Celui-ci sera possible entre les trois fonctions publiques et dans chacune. Plus largement, nous devons réfléchir à la possibilité pour un agent public de passer quelque temps dans le secteur privé, mais inversement à la possibilité pour des compétences issues du privé de s'exercer pour un temps dans le secteur public : ce serait un enrichissement réciproque.

Pour toutes ces raisons, j'apporte à ce projet de loi mon entière approbation. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Jean-Pierre Dufau - Dans cette discussion générale, je m'exprimerai de façon « généraliste » ; la motion de renvoi me permettra une intervention plus « urgentiste »

Votre projet de loi, sous prétexte de transposer des directives européennes, amorce une réforme libérale de la fonction publique, dont elle remet en cause la spécificité statutaire. La démarche est significative d'une méthode de gouvernement. Elle met en lumière une nécessaire transposition, globalement approuvée par tous, mais introduit insidieusement un bouleversement des acquis de la fonction publique. La transposition des directives n'est qu'un prétexte. En invoquant l'urgence due au retard de ces transpositions, ce sont elles que l'on met en exergue dans l'intitulé du projet, cependant qu'on tait hypocritement la remise en cause de l'accès unique à la fonction publique par concours.

La transposition des directives du 11 février 1976 et du 23 septembre 2002 relatives à l'égalité de traitement entre hommes et femmes, et de celle du 15 décembre 1977 sur les possibilités de travail à temps partiel, ainsi que l'ouverture de la fonction publique aux ressortissants des Etats Européens, font l'objet d'un large accord, à quelques amendements près tendant à préciser les cas où aligner la parité des situations vers le haut plutôt que par le bas.

Devant cette approche partagée, j'espère que vous aurez à cœur de votre côté de faire preuve d'ouverture d'esprit face aux amendements socialistes. Cela n'a pas été le cas en commission, mais la séance vous offrira une session de rattrapage pour témoigner de votre bonne volonté.

En fait, vous procédez méthodiquement à une réforme libérale de la fonction publique que vous entendez démanteler. Ce texte, soumis aux trois conseils supérieurs de la fonction publique, a fait l'objet d'un vote négatif. Les organisations syndicales vous ont rappelé la règle, à savoir que les emplois permanents de la fonction publique doivent être occupés par des agents titulaires. De plus, avec la mise en place de la LOLF et la fongibilité dite asymétrique, c'est-à-dire la possibilité d'utiliser des crédits d'emplois en crédits de fonctionnement mais non l'inverse, la gestion des ressources humaines de la fonction publique sera considérablement flexibilisée. M. Tron a rappelé que le CDI ne serait pas d'accès immédiat, mais interviendrait après un ou plusieurs CDD : dont acte. Mais il faut aller au bout du raisonnement : les CDD ne seront pas automatiquement suivis d'un CDI... On n'aboutira donc pas forcément à une résorption de l'emploi précaire. D'autant que ce gouvernement avait esquissé, si ma mémoire est bonne, un fameux CDI de cinq ans, dont il est vrai on ne parle plus guère. Il faut donc être extrêmement prudents.

Pour convaincre du bien-fondé de cette réforme, vous sous-évaluez systématiquement le nombre de non titulaires au sein de la fonction publique. Pouvez-vous, Monsieur le ministre, confirmer les chiffres qu'a donnés M. Asensi, concernant le nombre des vacataires, ainsi que des contractuels non titulaires, et nous préciser leur répartition dans les trois fonctions publiques ? Devons-nous croire que tous ces agents se verront offrir un CDI ? Si c'est votre intention, il faut nous le dire, et retourner rapidement en commission des finances pour analyser le détail des rémunérations en jeu. Un projet aussi ambitieux appelle un travail en profondeur.

Ce projet de réforme ne convainc pas les personnels, mais pas non plus les employeurs. M. Rossinot, le président du Centre national de la fonction publique territoriale, qui n'est pas socialiste, Monsieur Tron, s'alarme et juge que cette réforme sera « dévastatrice ». Que lui répondez-vous ?

M. Georges Tron - La même chose qu'à vous...

M. Jean-Pierre Dufau - Monsieur le ministre, lors de la séance des questions au Gouvernement du 30 mars dernier, vous avez prétendu que le droit communautaire permettait grâce à ce texte des avancées dans la voie de la modernisation de la fonction publique. J'imagine qu'en disant cela vous ne pensiez pas à la création des CDI, qui aura pour effet de substituer le contrat au statut de la fonction publique. Bertolt Brecht a intitulé une de ses pièces L'exception et la règle : on peut craindre qu'avec ce projet, l'exception devienne la règle... Si nous ne bordons pas sérieusement l'accès contractuel en CDI à la fonction publique, pour le limiter à des fonctions spécifiques et hautement qualifiées, ou à des agents de plus de cinquante ans, ce projet de loi entamera gravement le statut des fonctionnaires. Il contribuera à creuser le fossé entre les agents de la fonction publique et le Gouvernement. L'absence d'accord sur la revalorisation générale de 0,8%, octroyée en catastrophe il y a quelques jours, en dit long, tout comme le refus des organisations syndicales, qui l'ont exprimé en quittant la table des négociations, de se lier les mains pour 2005 et 2006. Le Gouvernement n'a pas la confiance des fonctionnaires et de leurs représentants. Alors que le chômage poursuit sa montée, décidément vous suscitez beaucoup de frondes à la fois, avec les risques que cela comporte...

Soit le Gouvernement et sa majorité accordent aux amendements du groupe socialiste un accueil constructif, soit vous persistez dans votre engagement idéologique libéral. Le débat qui s'ouvre nous éclairera. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

M. Gérard Charasse - Je m'exprime bien sûr en mon nom propre, mais aussi au nom de mon ami Emile Zuccarelli, un de vos prédécesseurs, Monsieur le ministre.

L'Etat, les collectivités locales ou la fonction publique hospitalière ont en tant qu'employeurs un devoir d'exemplarité dans leurs relations avec leurs agents, qui sont au service de leurs concitoyens. Toutefois, on constate un recours abusif aux CDD regrettable, dans la fonction publique comme ailleurs. La directive européenne, que ce texte se propose de transposer, se donne justement pour objectif de « prévenir les abus résultant de l'utilisation de contrats ou de relations de travail à durée déterminée successifs ». En cela, elle constitue une avancée sociale indéniable. Comme toute directive, elle laisse à l'appréciation des Etats membres la définition des moyens pour atteindre les objectifs fixés. Or, si je souscris à l'objectif de réduction de la précarité dans la fonction publique, je suis plus dubitatif sur le chemin que le Gouvernement nous propose d'emprunter.

L'introduction des CDI dans la fonction publique, au chapitre III de ce projet de loi, soulève de nombreuses questions.

Certes, le recours aux contractuels reste dérogatoire. Il est conditionné à l'absence de corps de fonctionnaires susceptibles d'assurer les fonctions et réservé aux emplois de catégorie A, sauf dans les représentations de l'Etat à l'étranger lorsque la nature des fonctions le justifie. Hélas, dans les faits, ces conditions sont souvent interprétées de manière très large. Il est à craindre que ce texte ouvre la voie à la « banalisation du recours aux CDI pour les agents non titulaires » comme le titre d'un paragraphe du rapport de la commission des lois du Sénat le laisse penser, et à la création d'une voie parallèle de recrutement dans la fonction publique.

Un dispositif transitoire avait été mis en place par la loi du 3 janvier 2001 pour mettre fin à la précarité des agents contractuels en recourant à des moyens adaptés, tels les concours réservés ou les examens professionnels, et améliorer la gestion prévisionnelle des effectifs afin d'éviter le recours abusif aux contractuels. Un bilan de l'application de cette loi a-t-il été réalisé ?

Au lieu d'envisager le recours aux CDI, pourquoi ne pas permettre à la personne déjà en poste de passer un examen professionnel pour intégrer un poste statutaire ? Les concours et les examens professionnels demeurent les meilleurs remparts contre l'arbitraire des décisions de recrutement.

En l'absence d'une obligation faite à l'administration de recruter en CDI les contractuels en CDD à l'issue de la durée maximale, nous pouvons craindre que l'employeur préfère à un agent engagé depuis six ans et donnant toute satisfaction, un nouveau contractuel qu'il engagera en CDD.

Quelles seront les perspectives de carrière offertes aux agents contractuels ? Quelles seront les modalités de fin de contrat ? Ce texte n'en dit rien.

Le mécanisme instauré par la loi du 3 janvier 2001 luttait plus efficacement contre la précarité dans la fonction publique que ce projet de loi. Eluder l'impératif de gestion prévisionnelle et utiliser les contractuels comme variable d'ajustement serait une erreur.

Monsieur le ministre, vous devez apporter des garanties plus précises sur le caractère dérogatoire du recours aux non titulaires, le recrutement en CDI du contractuel à l'issue de la durée maximale de six ans en CDD et les perspectives de carrière des agents ainsi recrutés.

En l'état, les radicaux de gauche ne peuvent approuver ce projet de loi (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste).

M. Bernard Derosier - Revenons à cette fameuse directive du 28 juin 1999 sur le travail à durée déterminé.

M. le Ministre - Saurons-nous enfin pourquoi votre majorité n'a pas transposé cette directive ?

M. Bernard Derosier - Elle invite à mettre en œuvre un principe qui imprègne déjà le droit du travail français : le CDI est la forme générale des relations de travail.

D'autre part, le recours aux contractuels est limité quantitativement dans la fonction publique par des règles que les préfets font appliquer avec rigueur s'agissant de la fonction publique territoriale. Pour la fonction publique d'Etat, ce point est laissé à la discrétion du Gouvernement.

Monsieur le ministre, ces règles sont-elles maintenues ? Vont-elles disparaître au profit des CDI, ce qui serait contraire à la règle selon laquelle un poste public doit être occupé par un fonctionnaire titulaire dont le contrat est, par nature, à durée indéterminée. D'ailleurs, selon le Conseil d'Etat, le droit communautaire « ne fait rien d'autre qu'inciter à une plus stricte application des principes mêmes du statut général ». Par conséquent, il n'était pas nécessaire de modifier le droit.

Seuls les plus de 50 ans ayant 8 ans d'ancienneté bénéficieront d'un passage automatique en CDI ; tous les autres seront dépendants du bon vouloir de leurs employeurs. Or, ces contrats, plus flexibles, pourront facilement être utilisés comme des variables d'ajustement en cas de difficulté budgétaire.

D'ailleurs, Monsieur le ministre, vous avez presque avoué votre « forfait ». Dans Le Monde du 3 février dernier, vous avez affirmé que votre ambition est de lutter « contre une mauvaise gestion prévisionnelle des emplois ». Ce projet de loi ne contient aucune définition précise des cas autorisant le recours aux contractuels.

Durant ce débat, nous avons convoqué Descartes, Pascal puis Brecht. Malgré vous, Monsieur le ministre, vous avez peut-être cité La Fontaine en parlant du « chemin tortueux » - ou « malaisé » ? - qui serait le mien. Comme le président de la commission des lois, vous vous êtes contenté de répondre à mon argumentation : « Vous préférez le dogme aux hommes », renvoyant - c'est facile - mes questionnements à une position dogmatique. En réalité, vous ne pouvez leur opposer des arguments de fond.

Pourquoi, demandez-vous, n'avons-nous pas transposé cette directive ?

En premier lieu, les directives en attente de transposition sont aujourd'hui extrêmement nombreuses. Pour ne pas alourdir l'agenda parlementaire, le Gouvernement Jospin avait choisi d'utiliser la modalité plus rapide de l'ordonnance et votre Gouvernement fait aujourd'hui de même.

Ensuite, cette directive devait être transposée avant juillet 2001. Or, il y avait d'autres urgences : les 35 heures qui donnent des boutons à votre majorité, la CMU dont beaucoup se réjouissent, les emplois jeunes que vous avez supprimés. D'ailleurs, cette directive, en son article 2, laissait la possibilité ouverte aux Etats membres de transposer le texte ou de s'assurer que les partenaires sociaux avaient mis en place les dispositions nécessaires. Je note que, depuis juin 2002, votre Gouvernement n'a pas discuté avec les partenaires sociaux pour trouver une solution à ce problème. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste)

La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance, qui aura lieu, ce soir à 21 heures 30.

La séance est levée à 19 heures 30.

            Le Directeur du service
            des comptes rendus analytiques,

            François GEORGE


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