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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU MERCREDI 3 DÉCEMBRE 2003

COMPTE RENDU INTÉGRAL
2e séance du mardi 2 décembre 2003


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

1.  Questions au Gouvernement «...».

SAPEURS-POMPIERS VOLONTAIRES «...»

MM. Jean-Pierre Decool, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

INTERRUPTION INVOLONTAIRE DE GROSSESSE «...»

Mme Catherine Génisson, M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.

URGENCES MÉDICALES «...»

MM. Olivier Jardé, Christian Jacob, ministre délégué à la famille.

ALLÉGEMENT DE CHARGES «...»

MM. Jacques Desallangre, François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

TVA À TAUX RÉDUIT SUR LES TRAVAUX
DANS LE BÂTIMENT «...»

MM. Marc Bernier, Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre.

INSÉCURITÉ À LAMBERSART «...»

MM. Marc-Philippe Daubresse, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

POLITIQUE DE L'EMPLOI «...»

MM. Jean Le Garrec, François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.

MOYEN-ORIENT «...»

MM. Jean Bardet, Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie.

ÉTHIQUE DES MAGISTRATS «...»

MM. Laurent Hénart, Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.

ALTADIS «...»

M. Bernard Derosier, Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie.

CÔTE D'IVOIRE «...»

M. Antoine Herth, Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense.

INONDATIONS DANS LE SUD-EST «...»

M. Jean-Michel Ferrand, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable.

Suspension et reprise de la séance «...»
PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN

2.  Rapatriés. - Déclaration du Gouvernement et débat sur cette déclaration «...».
M. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'Etat aux anciens combattants.
MM.
Christian Kert,
Kléber Mesquida,
Francis Vercamer,
François Liberti.
M. Guy Teissier, président de la commission de la défense.

Suspension et reprise de la séance «...»

MM.
Michel Diefenbacher,
Philippe Douste-Blazy,
Jean Leonetti,
Mme
Michèle Tabarot,
MM.
Jean-Paul Bacquet,
Alain Merly,
Jean-Marc Roubaud,
Christian Vanneste,
Yvan Lachaud.
MM. Maxime Gremetz, le président.
M. Gérard Bapt.
Renvoi de la suite du débat à la prochaine séance.
3.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

    M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
    Nous commençons par une question du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

SAPEURS-POMPIERS VOLONTAIRES

    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Decool.
    M. Jean-Pierre Decool. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    Monsieur le ministre, les sapeurs-pompiers ont toujours - et cette année en particulier - montré aux Français leur courage et leur détermination face aux sinistres sous toutes leurs formes. Souvent, ce fut au péril de leur vie : de nombreux soldats du feu ont malheureusement trouvé la mort dans leur mission.
    Le 27 septembre dernier, lors du congrès de la Fédération nationale des sapeurs-pompiers, et à plusieurs reprises dans cet hémicycle, vous avez annoncé que des mesures en faveur des sapeurs-pompiers allaient être prises. Ils sont 240 000 en France, dont 80 % de volontaires qui attendent une reconnaissance de leur action. Cette reconnaissance passe notamment par des avantages dans le calcul de la retraite et par l'amélioration des conditions de disponibilité vis-à-vis des employeurs. De même, il est important de reconnaître le caractère dangereux de l'activité du sapeur-pompier.
    Par ailleurs, l'engagement des volontaires doit être pérennisé et assuré par les nouvelles générations. L'adolescent, jeune sapeur-pompier, doit pouvoir continuer sa mission et s'engager dès seize ans. Un jeune de seize ans, mature et imprégné du sens du devoir, ne doit pas être découragé par un critère d'âge trop restrictif.
    Monsieur le ministre, ces mesures ont été annoncées et sont attendues. Quand seront-elles effectives ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le député, vous avez raison : sans les 193 000 sapeurs-pompiers volontaires, la France ne pourrait pas faire face aux obligations de sécurité civile. (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Jean-Claude Lenoir. C'est bien de le rappeler !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Or, ce qu'ils souhaitent, ce sont des décisions et non pas des discours.
    La décision d'abaisser de dix-huit à seize ans l'âge de recrutement pour les sapeurs-pompiers volontaires a d'ores et déjà été prise et le décret a été publié ce matin même au Journal officiel. (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. François Hollande. Comme par hasard !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. L'âge minimum de recrutement des sapeurs-pompiers volontaires est donc désormais de seize ans.
    D'autre part, on peut estimer qu'une personne qui, en plus de sa vie professionnelle et familiale, a consacré vingt ans au secours des autres, doit pouvoir bénéficier d'un avantage retraite. Le projet de loi de modernisation de la sécurité civile, qui crée cet avantage retraite, sera déposé la semaine prochaine sur le bureau du Conseil d'Etat.
    M. Edouard Landrain. Très bien !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Vous le voyez, le Gouvernement travaille. Il avance, bien conscient que les sapeurs-pompiers volontaires sont indispensables à la sécurité des Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

INTERRUPTION INVOLONTAIRE DE GROSSESSE

    M. le président. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour le groupe socialiste.
    Mme Catherine Génisson. Monsieur le Premier ministre, lors de l'examen du projet de loi sur l'adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, le Gouvernement, avec l'accord argumenté de M. le garde des sceaux et soutenu par l'UMP, a accepté un amendement qui crée un délit d'interruption involontaire de grossesse et, de fait, pose de façon implicite la question du statut juridique du foetus. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Richard Mallié. N'importe quoi. C'est faux !
    Mme Catherine Génisson. Cet amendement est injustifiable, même si la situation des femmes ayant perdu prématurément et de façon accidentelle un enfant à naître mérite notre attention, comme le prévoit déjà l'article 223-10 du code pénal.
    Cet amendement insulte la loi Veil, compromet le droit des femmes à accéder à l'interruption volontaire de grossesse et remet en cause la décision prise par le législateur, à la demande des citoyens, de ne pas donner de statut juridique à l'enfant à naître. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Richard Mallié. C'est faux !
    M. Lucien Degauchy. Démago !
    Mme Catherine Génisson. Cet amendement est également une stupidité juridique, car il fragilise la responsabilité médicale et déstabilise la pratique de l'interruption thérapeutique de grossesse. En effet, gynécologues et obstétriciens craignent à juste titre de se retrouver dans l'impossibilité de réaliser certains actes de médecine foetale, dans la crainte de poursuites, au cas où des soins au foetus se termineraient mal. Les femmes, les associations féminines, les associations féministes, les hommes et les femmes de progrès s'insurgent.
    M. Richard Mallié. Parce que vous les avez désinformés !
    Mme Catherine Génisson. Monsieur le Premier ministre, prenez-vous l'engagement solennel de retirer définitivement cet amendement qui est un non-sens politique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Richard Mallié. Elle dit n'importe quoi !
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Madame la députée, malgré le ton un peu polémique de votre question (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), je vous remercie de me l'avoir posée. (« Ah ! » sur les mêmes bancs.)
    En effet, cette affaire est suffisamment importante pour mériter des explications et que nous en parlions à l'Assemblée nationale à l'occasion des questions d'actualité.
    Première observation : il est évident que le droit d'initiative parlementaire et le droit d'amendement doivent être respectés. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Claude Lefort. Merci ! Si on a le droit, c'est bien !
    M. le garde des sceaux. Et il est normal que le Gouvernement prenne en compte les initiatives des parlementaires...
    Mme Martine David. Ah oui ?
    M. le garde des sceaux. ... et la possibilité qu'ils ont d'amender les projets de loi. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mais il est une seconde observation, essentielle, que je veux adresser à vous, madame, à tous vos collègues et à ceux qui nous écoutent : en lui-même, ce texte ne remet absolument pas en cause le droit des femmes à recourir à l'interruption volontaire de grossesse.
    Plusieurs députés du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. Si !
    M. le garde des sceaux. Il faut que les choses soient claires. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Vous le savez très bien. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) D'ailleurs, s'il y avait le moindre doute, il a été levé au moment du débat, puisque j'ai moi-même suggéré un sous-amendement qui le précise explicitement. C'est parce que ce sous-amendement a été voté que j'ai accepté l'amendement principal. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Cela dit, il est vrai que certaines personnes - dont vous êtes l'illustration, madame -, certains groupes, certaines personnalités se sont interrogés après le vote de cet amendement.
    M. François Lamy. On ne s'interroge pas ! On n'est pas d'accord !
    M. le garde des sceaux. Il s'agit, je veux le rappeler - et je vous remercie d'ailleurs de l'avoir souligné, madame -, de prendre en compte la douleur d'une femme dont la grossesse est interrompue malgré sa volonté. C'est une réalité. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) C'est une réalité humaine à laquelle nous sommes, les uns et les autres, je le sais, tout à fait sensibles. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Christian Bataille. Baratin !
    M. le garde des sceaux. Pourrait-on parler de ce sujet sans esprit polémique ? Je crois que cela en vaut la peine ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Il faut prendre la douleur en compte. Il faut le faire dans la compréhension générale. C'est la raison pour laquelle j'ai pris l'initiative de demander à certains de mes collaborateurs de rencontrer toutes celles et tous ceux qui veulent s'exprimer sur cette question, quel que soit leur point de vue. Je sais que le rapporteur du Sénat pour le texte relatif à la criminalité organisée veut le faire aussi. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) A l'issue de ce débat, qui doit se dérouler dans la dignité, il appartiendra au Sénat (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) lorsqu'il examinera le texte qui lui sera transmis par l'Assemblée nationale...
    M. François Hollande. Il fallait le faire avant de déposer l'amendement !
    M. Henri Emmanuelli. Il faut le faire à l'Assemblée !
    M. le garde des sceaux. Mais l'Assemblée a voté, monsieur Emmanuelli, vous devriez le savoir. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Monsieur Emmanuelli, je vous en prie !
    M. Henri Emmanuelli. C'est lui qui m'interpelle !
    M. le garde des sceaux. Il n'y avait que trois députés socialistes en séance ! Vous le savez très bien ! (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Richard Mallié. Où étiez-vous, monsieur Emmanuelli ? Taisez-vous !
    M. le garde des sceaux. C'est donc à la suite de ce travail d'éclaircissement, de réflexion, qu'il appartiendra au Sénat de se prononcer... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Martine David. C'est du baratin !
    M. le garde des sceaux. ... et au ministre que je suis de faire valoir à nouveau son point de vue... (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Christian Bataille. Hypocrite !
    Mme Martine David. Tout cela n'est pas bon !

URGENCES MÉDICALES

    M. le président. La parole est à M. Olivier Jardé, pour le groupe Union pour la démocratie française.
    M. Olivier Jardé. Monsieur le président, monsieur le ministre de la santé, de la famille, et des personnes handicapées, avec les épidémies de grippe, de bronchiolite et de gastroentérite qui sévissent actuellement dans notre pays, on vient de voir qu'il existe un vrai problème des urgences médicales. Nous avons constaté, ce week-end, que les malades se rendent de plus en plus facilement et précocement aux urgences de l'hôpital, ce qui entraîne un trop-plein dans ces services et des difficultés à joindre les médecins libéraux : urgentistes et médecins libéraux sont débordés.
    Il existe plusieurs pistes de réflexion pour faire face à ce problème : développer la complémentarité entre urgentistes et médecins libéraux, organiser la prise en charge de la régulation par les médecins libéraux et créer des maisons médicales de santé. Quoi qu'il en soit, il est urgent d'aider les urgences. Quelles mesures comptez-vous prendre et dans quels délais ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la famille.
    M. Christian Jacob, ministre délégué à la famille. Monsieur le député, je vous prie d'excuser Jean-François Mattei, qui participe en ce moment même au conseil des ministres de la santé à Bruxelles.
    Vous avez raison, l'activité des services d'urgences augmente d'environ 5 % par an. Vous m'interrogez sur nos pistes de réflexion. Ce ne sont pas des pistes de réflexion, mais des pistes d'actions concrètes qui ont été engagées par Jean-François Mattei. Premièrement, les deux décrets permettant d'organiser les permanences tant en termes de périmètre géographique que de tranches horaires ont été publiés.
    Deuxièmement, des maisons médicales ont été mises en place. Il n'y en avait qu'une en 2001. Depuis l'arrivée de Jean-François Mattei, on en compte plus de 100. Ce n'est pas suffisant, il en faudra d'autres, mais le Gouvernement continue dans ce sens.
    Troisièmement, il faut que les patients aient le réflexe d'appeler d'abord leur médecin généraliste et ensuite le centre 15 : ainsi, ils seront orientés dans les meilleures conditions.
    Quatrièmement, je vous rappelle le grand plan en faveur des services d'urgence que Jean-François Mattei a déjà eu l'occasion de vous présenter : plus de 500 millions d'euros, 10 000 créations d'emplois.
    Telles sont les actions qui sont engagées après une période difficile. L'arrivée de Jean-François Mattei aux responsabilités avait été précédée par sept mois de grève des médecins généralistes et les tableaux de permanence n'étaient pas remplis : lorsqu'un patient appelait le centre 15, on ne pouvait pas l'orienter. Maintenant, tout cela a été réglé.
    Je n'insisterai pas sur le dernier point : l'effet désastreux des 35 heures. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Au-delà, les réponses apportées par Jean-François Mattei vont dans le bon sens. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

ALLÉGEMENT DE CHARGES

    M. le président. La parole est à M. Jacques Desallangre, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Jacques Desallangre. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    Monsieur le ministre, lors de la discussion budgétaire, je vous avais demandé de prendre un engagement : celui d'évaluer, au bout de six mois d'exécution, l'efficacité de la mesure supplémentaire d'allégement de charges sociales à hauteur de 18 milliards...
    M. Yves Nicolin. Et l'efficacité des 35 heures ?
    M. Jacques Desallangre. ... et, plus largement, des 45 milliards d'euros de fonds publics alloués chaque année aux entreprises.
    M. Maxime Gremetz. Très bien !
    M. Jacques Desallangre. Vous n'avez pas pris cet engagement. Pourquoi n'acceptez-vous pas d'évaluer la politique d'allégement des cotisations sociales en faveur des employeurs privés, alors que vous êtes si exigeant pour les entreprises publiques ?
    Pourtant, en 2001, on estimait que 30 milliards d'euros de fonds publics n'auraient permis qu'une création de 23 000 emplois directs. Calcul effarant ! Pour un emploi créé, 1,3 million d'euros est versé aux entreprises. Ne faut-il donc pas dresser le bilan coût-avantages ? Ne faut-il pas informer la représentation nationale sur l'efficacité sociale des 18 milliards d'euros de cadeaux supplémentaires faits par les contribuables aux employeurs et à des entreprises qui figuraient parfois parmi les plus prospères.
    M. François Goulard. Il ne sait même pas de quoi il parle !
    M. Jacques Desallangre. Dix-huit milliards d'euros, cela représente directement 1,2 million d'emplois au SMIC, charges comprises.
    M. Lucien Degauchy. Heureusement qu'il y a des employeurs !
    M. Jacques Desallangre. Si elles étaient socialement utiles, les mesures d'allègement des charges sociales devraient permettre de créer au moins deux ou trois fois ces 1,2 million d'emplois, voire plus. Sinon, il vaut mieux embaucher ces personnes en les payant directement avec les 18 milliards.
    Je vous renouvelle donc ma demande, monsieur le ministre, et j'espère que, cette fois, vous daignerez y répondre. Vous engagez-vous à nous dire, ici même, combien d'emplois ont été directement créés grâce à ces 18 milliards d'euros ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. Maxime Gremetz. C'est une question précise !
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le député Desallangre, vous avez tort de critiquer les baisses de charges, qui ne sont pas des cadeaux aux entreprises mais un plus pour l'emploi. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Attendez, avant de rire : ces baisses sont destinées à alléger le coût du travail, pour permettre à la France de se situer à peu près au niveau des autres pays européens avec lesquels elle est en compétition.
    Puisque vous me demandez de m'engager sur l'évaluation des résultats, je voudrais dire que rarement sujet aura fait l'objet d'autant d'études, en particulier lorsque vous étiez vous-mêmes aux affaires. Je ne citerai que le rapport Pisani-Ferry, que vous n'ignorez pas et qui évaluait à plus de 450 000 le nombre d'emplois créés par ce qu'on appelle la « ristourne Juppé » et par les allégements mis en place par Mme Aubry, c'est-à-dire beaucoup plus que toutes les évaluations les plus optimistes en ce qui concerne les 35 heures.
    Les allégements de charges ont permis, depuis 1992, d'enrichir la croissance en emplois. Il ne manque plus aujourd'hui qu'à peine un point de croissance pour que notre économie recommence à créer des emplois.
    D'ailleurs, monsieur le député, si ces baisses sont inutiles, on peut se demander pourquoi vous les avez largement pratiquées au cours des cinq dernières années ! (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Bernard Roman. Ce ne sont pas les mêmes !
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Pourquoi avez-vous proposé près de 8 milliards d'euros d'allégement de charges pour accompagner l'instauration obligatoire des 35 heures ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Bernard Roman. Parce qu'il y avait des contreparties.
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Si vous l'avez fait, c'est parce que vous étiez bien conscient qu'il y avait dans notre pays un problème de coût du travail. En réalité, monsieur le député, votre question laisse bien entrevoir le programme économique que vous proposez : renchérir le coût du travail pour avoir finalement plus de chômage et moins de croissance. Il y a un moment où l'idéologie doit céder le pas à la réalité et à l'observation des faits ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Henri Emmanuelli. Ça vous fait rire, monsieur Fillon ?

TVA À TAUX RÉDUIT POUR LES TRAVAUX
DANS LE BÂTIMENT

    M. le président. La parole est à M. Marc Bernier, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
    M. Marc Bernier. Monsieur le président, mes chers collègues, ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
    Monsieur le Premier ministre, le 25 novembre dernier, lors du Conseil européen de l'Ecofin, les quinze ministres de l'économie et des finances de l'Union européenne ont manifesté, à l'unanimité, le désir de prolonger de deux années l'expérimentation de TVA à taux réduit pour les travaux d'entretien et d'amélioration du logement.
    Il faut rappeler que cette mesure a été bénéfique aussi bien pour les consommateurs que pour le secteur du bâtiment, avec la création induite de 40 000 emplois. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Merci, Jospin !
    M. Marc Bernier. En revanche, pour que cette volonté politique et économique puisse se concrétiser en mesures juridiques, il importe que la Commission européenne transforme cette mesure provisoire en directive communautaire.
    Mais c'est compter sans l'intransigeance de M. Frits Bolkestein, commissaire européenne chargé de ce dossier, qui refuse d'accéder à la demande du Conseil et se contente de proposer un moratoire de six mois, pendant lequel il n'engagera aucune procédure d'infraction à l'encontre des Etats membres qui continueraient à appliquer un taux réduit de TVA sur les travaux d'entretien et d'amélioration du logement.
    Il va sans dire que cette situation ne peut être satisfaisante, dans la mesure où cette période de six mois risque de plonger les 316 000 entreprises artisanales françaises et les consommateurs dans une insécurité juridique et économique difficilement acceptable.
    Par conséquent, monsieur le Premier ministre, pourriez-vous nous faire connaître la position de la France et de votre gouvernement sur ce sujet et sur les conséquences qu'une telle mesure peut avoir sur le secteur du bâtiment ? Pourriez-vous également nous indiquer quelles mesures vous serez amené à prendre pour que les entreprises puissent continuer à appliquer un taux de TVA minoré sans risque de sanctions ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Brouhaha sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Allez-y, applaudissez-le, il en a bien besoin ! Il est en sursis !
    M. Bernard Roman. Il a besoin d'aide !
    M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Monsieur le député, je tiens à vous rassurer, vous et tous les professionnels : nous sommes déterminés à assurer la pérennisation d'un taux de TVA à 5,5 % dans le bâtiment...
    Mme Martine David. Merci, Jospin !
    M. le Premier ministre. ... dont ce secteur bénéficie déjà depuis un certain nombre d'années, parce que cette mesure a été créatrice d'emplois sur l'ensemble du territoire. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Albert Facon. C'est la faute à Jospin !
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Vive Jospin !
    M. le Premier ministre. Mais tout ce que vous faites n'est pas complètement mauvais ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Un député du groupe socialiste. La réciproque n'est pas vraie !
    M. le Premier ministre. Alors, pourquoi vous fâchez-vous ? Quand il y a de l'objectivité, veuillez le reconnaître. C'était une bonne mesure...
    Plusieurs députés du groupe socialiste. C'est trop, arrêtez !
    M. le Premier ministre. Je peux vous dire clairement ici, devant l'Assemblée nationale, que, si nous n'avons pas eu l'accord de la Commission, c'est parce que l'Ecofin s'est accordé sur cette mesure, mais pas sur l'ensemble du dispositif TVA, et que la Commission attend...
    M. Albert Facon. Ce sont les Français qui attendent depuis deux ans que vous teniez vos promesses !
    M. le Premier ministre. ... un accord global. Ainsi, premièrement, nous tenions à la pérennisation du taux réduit de TVA pour le bâtiment, car c'était une question vitale pour l'emploi dans tous les cantons de France (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française) et nous pouvons considérer que cette décision est acquise.
    Deuxièmement, nous nous battons - les négociations sont encore en cours - pour abaisser le taux de la TVA sur la restauration. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Albert Facon. Ça fait deux ans que vous êtes là !
    M. le Premier ministre. Cette mesure est, elle aussi, essentielle à la vitalité de nos territoires, parce qu'elle touche des artisans, des PME, des entreprises de main-d'oeuvre, un secteur qui crée des emplois partout en France, et notamment là où l'emploi a besoin d'être enraciné.
    Le combat que nous menons au niveau européen pour réduire les taux de TVA s'inscrit dans notre combat pour l'emploi. C'est pourquoi vous pouvez compter sur notre détermination. Et j'ai noté avec satisfaction que sur ce sujet, comme sur d'autres, nous avions l'accord du conseil Ecofin, ce qui est très important pour les combats que nous avons à conduire au service des Français pour leur emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

INSÉCURITÉ À LAMBERSART

    M. le président. La parole est à M. Marc-Philippe Daubresse, pour le groupe UMP.
    M. Marc-Philippe Daubresse. Monsieur le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, dimanche soir, dans un quartier populaire de ma commune de Lambersart, la violence stupide a encore frappé. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    Un député du groupe socialiste. C'est bizarre, ça vous frappe toujours avant les élections !
    M. Marc-Philippe Daubresse. Un homme de cinquante-trois ans a été roué de coups par une bande de jeunes, traîné sur plusieurs mètres, et a finalement été tué, en pleine rue. (Exclamations sur quelques bancs du groupe socialiste.)
    Un député du groupe socialiste. C'est la faute à Jospin !
    M. Marc-Philippe Daubresse. On dirait que ça vous amuse ? Moi, ça ne m'amuse pas du tout ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Un député du groupe socialiste. Ce qui nous gêne, c'est l'exploitation cynique que vous en faites !
    M. le président. Ecoutez dans le calme, s'il vous plaît.
    M. Marc-Philippe Daubresse. Il y a un mois et demi, le 11 octobre dernier, une personne handicapée de trente-trois ans, connue pour sa disponibilité, sa serviabilité, avait été agressée dans ce même quartier par une autre bande de jeunes. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Elle aussi a été tuée.
    Une vingtaine de jeunes empoisonnent la vie d'un quartier de logements sociaux de 2 000 habitants. J'ai alerté le procureur de la République et la police nationale depuis le début de l'année sur cette situation alarmante. La police nationale fait son travail avec courage et détermination. Ces individus sont connus des services de police ; ils sont déférés devant la justice mais comme ce sont, pour la plupart, des mineurs, ils sont régulièrement relâchés sans sanctions répressives. La population a l'impression que l'Etat de droit l'abandonne. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Christian Bataille. Que fait la police ?
    M. Marc-Philippe Daubresse. Monsieur le ministre de l'intérieur, vous avez, depuis votre prise de fonction, déployé, avec le garde des sceaux, une énergie considérable (Rires et exclamations sur de nombreux bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) pour dégager des moyens supplémentaires et donner de nouveaux outils législatifs pour permettre à la police et à la justice d'agir plus efficacement.
    Mais deux homicides en deux mois dans la même ville, c'est intolérable. La population a besoin de réponse. J'ai donc trois questions rapides à vous poser.
    Tout d'abord, quels moyens comptez-vous mobiliser dans ce quartier pour rétablir l'Etat de droit ?
    Ensuite, quelles actions comptez-vous mettre en oeuvre pour que les nouvelles dispositions de la loi de mars 2003, en particulier le délit d'entrave dans les halls d'immeubles, puissent être appliquées sur la totalité du territoire ?
    Enfin, puisque vous avez évoqué la possibilité d'aller plus loin dans le traitement des multirécidivistes et que nous sommes dans ce cas de figure, qu'envisagez-vous dans ce domaine pour mettre définitivement ces individus hors d'état de nuire ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le député, il y a un peu plus d'un mois, un jeune homme, handicapé de surcroît, était roué de coups et battu à mort. Les auteurs de ce crime sont aujourd'hui écroués. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Dimanche dernier, un homme courageux, qui avait adressé une remarque à des individus qui jetaient des canettes sur la voie publique, a été roué de coups et battu à mort par ces mêmes individus. A l'heure où je vous parle, sept personnes sont en garde à vue. (Exclamations et rires sur quelques bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. Je vous prie d'écouter en silence le ministre de l'intérieur.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est intolérable !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Vous rendez-vous compte du spectacle que vous donnez ? Nous parlons d'un homme qui a été battu à mort ! De tels drames méritent le respect de tout le monde.
    M. Richard Mallié. Même à gauche !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Sept personnes sont aujourd'hui en garde à vue ; la police a bon espoir qu'il y ait dans le lot les coupables.
    Je ferai donc trois remarques et trois remarques seulement.
    Première remarque, monsieur le député, ce ne sont pas des jeunes. Ce sont des criminels et des voyous qui doivent être traités comme tels ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Dire qu'il s'agit de « jeunes », c'est prendre le risque de susciter un amalgame. Le fait qu'ils soient jeunes ou vieux n'a rien à voir. (Applaudissements sur les mêmes bancs.)
    Deuxième remarque, à la dernière réunion du conseil de sécurité intérieure, le Président de la République comme le Premier ministre ont décidé de demander au garde des sceaux et à moi-même de faire de la question des multirécidivistes une priorité absolue. La loi doit de nouveau faire peur à des gens qui empoisonnent la vie des autres. Quand on continue à commettre des délits, on doit être sanctionné durement et, s'il le faut, rester plus longtemps en prison.
    Troisième remarque, ce que je viens de dire ne remet nullement en cause le travail remarquable, vous avez raison, qu'effectuent les policiers dans votre ville. Depuis le début de l'année, en effet, à Lambersat, la délinquance de voie publique a reculé de 15 % et la délinquance générale de 4 %. Il reste, certes, beaucoup de travail à faire. Notre réponse, mesdames et messieurs les députés, c'est l'action. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. François Hollande. Où est l'action ?

POLITIQUE DE L'EMPLOI

    M. le président. La parole est à M. Jean Le Garrec, pour le groupe socialiste.
    M. Jean Le Garrec. Monsieur le ministre des affaires sociales, pour beaucoup de salariés et pour l'écrasante majorité des Français, le travail demeure le vecteur fondamental pour se construire une identité sociale, pouvoir vivre, et si possible envisager l'avenir. Hélas ! le chômage augmente, particulièrement le chômage de longue durée - plus de 8 % en un an -, et plus encore le chômage de longue durée pour les jeunes.
    Or, depuis dix-huit mois, vous détruisez systématiquement les outils d'une politique de l'emploi, et singulièrement ceux qui visent les plus jeunes.
    M. Lucien Degauchy. Et les 35 heures, elles ont créé des emplois ?
    M. Jean Le Garrec. Dans un langage cursif - c'est la règle des questions d'actualité - mais non polémique, je voudrais rappeler quelques-uns de ces faits.
    En voie d'extinction, le parcours TRACE.
    Mme Chantal Robin-Rodrigo. Eh oui !
    M. Jean Le Garrec. En trois ans, sur les 36 000 jeunes du Nord-Pas-de-Calais concernés par cette mesure, 36 % ont retrouvé un emploi.
    Annulées, les bourses pour l'emploi, dont 1 103 jeunes du Nord-Pas-de-Calais avaient bénéficié.
    Réduit, de 30 %, le nombre des contrats emploi solidarité, avec de surcroît une participation de l'Etat diminuée.
    Méprisés, les bénéficiaires de l'assurance spécifique de solidarité, qui se trouvent renvoyés vers le RMI.
    Supprimé - et cela est scandaleux - le bonus de 40 % accordé aux allocataires de l'ASS âgés de plus de cinquante-cinq ans.
    Mme Chantal Robin-Rodrigo. C'est vraiment scandaleux !
    M. Jean Le Garrec. Corvéables, les futurs salariés au RMA, avec un contrat de travail hybride, sans véritables droits sociaux, un emploi pauvre pour ceux qui sont le plus en difficulté.
    M. Yves Nicolin. Et les emplois-jeunes ?
    M. Jean Le Garrec. Mise au placard, la loi de modernisation sociale, qui garantissait les salariés contre les licenciements abusifs.
    M. Yves Nicolin. Démagogue !
    M. Jean Le Garrec. Monsieur le ministre, certains, dans votre majorité, grognent, mais ils n'osent pas le faire trop fort. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Les grandes associations protestent. Les syndicats dénoncent. Les faits que je viens de rappeler d'une manière non polémique sont précis. Etes-vous capable d'en tenir compte ? (« Non ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Bernard Deflesselles. Vous faites de la démagogie !
    M. Yves Nicolin. Quel baratin !
    M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité.
    M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Monsieur le député, depuis dix-huit mois, le Gouvernement s'emploie à favoriser le retour d'une croissance qui fait défaut à notre pays depuis 2001. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Gilles Cocquempot. Arrêtez !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Non, justement, nous n'arrêterons pas. Au contraire, nous comptons poursuivre cette action !
    Nous avons allégé les charges des entreprises. Nous avons augmenté le SMIC comme vous ne l'aviez jamais fait. Nous avons augmenté la prime pour l'emploi - ce qui, d'ailleurs a entraîné une augmentation des salaires dans notre pays de 2,5 % pour l'année 2003.
    M. Bernard Roman. Ce n'est pas vrai !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. C'est-à-dire nettement au-dessus de la moyenne des augmentations que l'on a connues les années précédentes du fait de la politique que vous avez conduite en matière de temps de travail.
    Mme Martine David. Répondez à la question !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Nous avons mis en place les contrats jeunes, qui sont des contrats à durée indéterminée.
    Mme Martine David. Ça ne marche pas !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Nous venons de signer le 120 000e et nous avons maintenant un objectif de 300 000 contrats jeunes pour l'année 2005. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

    Nous avons favorisé la création d'entreprises.
    Mme Martine David. Et le chômage !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. A tel point qu'au mois d'octobre, nous avons constaté une augmentation des créations de 10 % par rapport à l'année précédente.
    Monsieur le député, les résultats commencent à se faire sentir. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    La croissance a été de 0,4 % au troisième trimestre, c'est-à-dire que nous sommes sur une pente de 1,6 % en moyenne annuelle.
    Mme Chantal Robin-Rodrigo. Avec 10 % de chômeurs !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Nous avons enregistré une stabilité de l'emploi marchand au troisième trimestre qui se confirme avec les chiffres du chômage du mois d'octobre. (« C'est faux ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    Nous avons connu une forte augmentation de la consommation en septembre et en octobre (« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste) qui nous permet de dire que le chômage, comme nous l'avons toujours indiqué, devrait connaître une diminution significative en 2004. (« Devrait ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    Mme Martine David. Donc tout va très bien !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. Mais nous ne nous satisfaisons pas de cette situation. Nous savons que, malgré le retour de la croissance, un certain nombre de populations risquent de demeurer privés d'emploi. (« Ça va mal ! » sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)
    C'est le cas notamment des chômeurs de longue durée.
    Mme Martine David. Eh oui !
    M. le ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité. C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place le revenu minimum d'activité. Il s'agit d'un vrai outil d'insertion. (« C'est faux ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Et cela sera démontré dans les mois qui viennent. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    C'est pour cela aussi que nous allons engager une réforme du service public de l'emploi : les chômeurs de longue durée ont manifestement besoin d'un accompagnement personnalisé qu'ils n'ont pu obtenir jusqu'à maintenant.
    Face à cette politique, que proposez-vous, monsieur Le Garrec ? (« Rien ! sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Vous nous proposez la réduction du temps de travail.
    Vous nous proposez des embauches massives dans le secteur public. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Bref, vous nous proposez des solutions politiques qui ont échoué en France et qui ne sont reprises nulle part, dans aucun pays européen. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

MOYEN-ORIENT

    M. le président. La parole est à M. Jean Bardet, pour le groupe UMP.
    M. Jean Bardet. Ma question s'adresse à M. le ministre des affaires étrangères.
    La situation au Moyen-Orient ne semble pas voir d'évolutions favorables, du moins par les voies diplomatiques officielles, dans un avenir proche. La feuille de route élaborée par l'Europe, la Russie, les Etats-Unis et l'ONU est déjà caduque, avant d'avoir eu ne serait-ce qu'un début de mise en application. Les attentats kamikazes d'un côté, la répression de l'autre, l'élévation du mur de séparation, l'implantation de colonies sauvages ne peuvent qu'entraîner une escalade de la violence, que je condamne. Les perspectives de paix, que de nombreux hommes et femmes appellent majoritairement de leurs voeux dans les deux pays, semblent s'éloigner de jour en jour.
    Toutefois, après deux ans de négociations, une immense espérance est née à Genève : au mois d'octobre dernier, des hommes de bonne volonté, des deux côtés, ont finalisé, en dehors des chemins diplomatiques habituels, un plan de réconciliation.
    Ce plan a l'intérêt de n'éluder aucun problème, en particulier ceux qui fâchent : le statut de Jérusalem, le tracé des futures frontières, les colonies d'implantation, le retour des réfugiés. Il a été présenté, solennellement à Genève, le lundi 1er décembre, devant un aréopage de personnalités politiques et intellectuelles du monde entier, dont l'ancien président des Etats-Unis, Bill Clinton. Pour la France, étaient présents, entre autres, Mme Simone Veil et M. Hubert Védrine.
    Au-delà de cette représentation hautement symbolique, mais officieuse, je voudrais savoir quel rôle la France entend jouer pour que ce nouvel espoir de paix ne soit pas déçu. Car je sais, pour bien les connaître, que les populations concernées attendent beaucoup de notre pays. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie.
    M. Pierre-André Wiltzer, ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Monsieur le député, je réponds au nom de Dominique de Villepin, qui assiste actuellement à une réunion internationale à Naples.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Il est en grève ! (Sourires.)
    M. le ministre délégué à la coopération et à la francophonie. Vous avez raison, monsieur le député, d'appeler notre attention sur la persistante gravité de la situation au Proche-Orient, sur le plan humanitaire, naturellement, mais aussi, comme vous l'avez indiqué, du fait de l'occupation, du fait de la construction du mur mais aussi du fait de la faiblesse de l'Autorité palestinienne et des menaces terroristes.
    Mais des signes positifs apparaissent : une baisse relative de la violence, l'installation du nouveau gouvernement palestinien, ainsi que la réaffirmation par Israël de son attachement à la feuille de route qui a été approuvée par le Conseil de sécurité des Nations unies dans la résolution 1515.
    De plus, vous avez eu raison d'insister, des initiatives en faveur de la paix ont été lancées, notamment hier, par des personnalités indépendantes et respectées - je pense tout particulièrement à M. Yossi Beilin et à M. Yasser Abed Rabbo, auxquels il convient de rendre hommage. La France, qui appuie cette démarche, a été représentée à Genève de façon éminente par Mme Simone Veil, qui était porteuse d'un message du Président de la République. Dans ce message, il est affirmé que la France continuera d'agir sans relâche pour que le processus de la feuille de route soit relancé rapidement, dans le nouveau contexte qui semble se dessiner. Il est également indiqué que nous sommes prêts à apporter notre contribution active aux prochaines étapes que prévoit et que propose l'initiative de Genève.
    En conclusion, je dirai qu'aucune chance de solution ne doit être écartée, qu'aucun espoir ne doit être découragé. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

ÉTHIQUE DES MAGISTRATS

    M. le président. La parole est à M. Laurent Hénart, pour le groupe UMP.
    M. Laurent Hénart. Monsieur le garde des sceaux, au début de l'année 2003, des magistrats avaient été mis en cause dans des affaires de moeurs. Cela avait provoqué un émoi certain dans l'opinion et, au-delà des textes de loi, la confiance des Français dans leur justice mais également la confiance des magistrats dans le respect que leur porte la République étaient écornées.
    Le 23 mai, vous avez mis en place une commission de réflexion sur l'éthique dans la magistrature, dite commission Cabannes. Celle-ci a rendu la semaine dernière son rapport, qui s'articule autour de dix propositions.
    Certaines semblent consensuelles, je pense par exemple au fait de demander que soit réécrit le serment à prêter, au fait de souhaiter une plus grande exigence sur les conditions d'entrée, une plus grande rigueur dans la conduite des enquêtes à l'entrée, ou encore au fait d'établir un recueil des principes de déontologie, d'apporter un conseil et une formation à leur propos. D'autres sujets en revanche prêtent à commentaires et soulèvent des inquiétudes légitimes, comme le mécanisme de veille dans les tribunaux et les cours ou le renforcement des incompatibilités pesant sur les magistrats et leur éventuelle extension aux conjoints.
    Aujourd'hui, monsieur le ministre, il me paraît important de rassurer tant les citoyens que les magistrats. Aux citoyens, il faut leur dire que la justice sera toujours rendue et dans d'excellentes conditions, que cette commission aura donc des suites, quitte à modifier les lois organiques et la Constitution, et que nous ne resterons pas inactifs. Aux magistrats, il faut leur dire que tout cela se fera dans la concertation et que leurs droits individuels seront respectés.
    Une semaine après la présentation du rapport Cabannes, j'aimerais connaître, monsieur le ministre, la suite que vous entendez donner à ces dix propositions et surtout la méthode selon laquelle vous entendez conduire les éventuelles réformes à venir. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, vous avez rappelé les conditions dans lesquelles j'avais demandé à M. Jean Cabannes de réunir un certain nombre de magistrats et de personnalités de la société civile pour réfléchir à l'éthique et aux règles que doivent respecter les magistrats pour susciter la confiance indispensable de nos concitoyens autour de l'idée de justice, et pour faire en sorte que leur statut d'indépendance soit fondé à la fois sur ce respect de l'éthique et sur le service rendu aux justiciables.
    La commission m'a remis son rapport il y a quelques jours. Celui-ci répond à mes attentes, il contient de vraies propositions, dont certaines sont particulièrement concrètes et pragmatiques.
    Ces propositions s'organisent autour de cinq idées, que je voudrais rappeler à mon tour. La revalorisation de la prestation de serment, pour justifier éventuellement la mise en oeuvre du pouvoir disciplinaire. L'amélioration du suivi de la carrière des magistrats, en particulier par la chancellerie, mais également par le Conseil supérieur de la magistrature. Le renforcement de l'autorité, mais aussi de la responsabilité, des chefs de cour, c'est-à-dire des premiers présidents de cour d'appel et des procureurs généraux. L'accompagnement des magistrats doit aussi être développé. A cet égard, je souligne le caractère parfois extrêmement difficile de la fonction de magistrat. Ceux-ci peuvent être confrontés à des situations extrêmement dures sur le plan psychologique et il est nécessaire que nous puissions mettre en place des mécanismes d'accompagnement, y compris sur le plan psychologique, pour les magistrats qui en auraient besoin au cours de leur carrière. Enfin, et cette idée me paraît très importante, la formation aux règles d'éthique.
    Comment mettre en oeuvre ces propositions très concrètes et très positives de la commission Cabannes ?
    D'abord, je souhaite que l'ensemble des magistrats aient une vraie connaissance du rapport et des propositions qu'il comporte. C'est en cours.
    Ensuite, j'examinerai avec l'ensemble des organisations institutionnelles et professionnelles des magistrats les différents points de ce dispositif.
    Enfin, je serai amené, soit par la voie législative, soit par la voie réglementaire, à faire un certain nombre de propositions.
    Je tiens à souligner l'importance de la concertation dans cette affaire car il faut que tout le corps des magistrats s'approprie les conclusions du rapport et manifeste la même volonté de mettre en oeuvre ces règles d'éthique, indispensables à la confiance qui doit exister entre nos concitoyens et la justice. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

ALTADIS

    M. le président. La parole est à M. Bernard Derosier, pour le groupe socialiste.
    M. Bernard Derosier. Non, monsieur le Premier ministre, les résultats ne se font pas sentir, contrairement à ce qu'a déclaré tout à l'heure votre ministre des affaires sociales. Il ne se passe pas de semaine sans que nous apprenions des fermetures d'entreprises, des licenciements.
    Nous ne connaissons pas votre politique économique et sociale, si ce n'est pour en constater, jour après jour, semaine après semaine, ses effets négatifs.
    Dans ce contexte, je tiens à évoquer un problème particulier, qui se pose depuis le 23 juillet 2003.
    A cette date, sept cents salariés ont appris qu'ils perdraient leur emploi, à Morlaix et à Lille. Ils appartiennent au groupe Altadis, l'ancienne SEITA. Je vous ai saisi de ce problème le 22 septembre. Plus de deux mois et demi plus tard, je n'ai toujours pas de nouvelles de votre gouvernement.
    M. Bernard Roman. Il est trop pris !
    Mme Martine Billard. Il est absent !
    M. Bernard Derosier. Or le site de Lille est le deuxième grand site du groupe en Europe et il est le principal employeur industriel de la ville.
    Le groupe a enregistré au cours de l'année écoulée un excédent brut d'exploitation de près de 12 %, et un résultat net de 8 %.
    Demain, le comité central d'entreprise doit se réunir, et confirmer ou infirmer la décision. Cela dépendra de vous.
    Monsieur le Premier ministre, après l'échec de votre gouvernement en matière de santé publique pour ce qui concerne le tabac, après l'échec de votre gouvernement quant à la réponse apportée aux débitants de tabac, aujourd'hui confrontés à une véritable crise économique, si j'ai bien compris ce qu'a dit tout à l'heure votre ministre des affaires sociales, vous attendez des socialistes, et de Jean Le Garrec en particulier, qu'ils fournissent des solutions aux problèmes auxquels vous êtes confronté.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Surtout pas !
    M. Bernard Derosier. Le Gouvernement est-il prêt à tout mettre en oeuvre pour que la direction d'Altadis renonce à son projet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à l'industrie. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie. Vous évoquez, monsieur le député, le plan de restructuration d'Altadis, qui touche en effet un nombre important de salariés en France et en Espagne.
    Permettez-moi d'abord une clarification : ce plan n'a rien à voir avec le récent débat sur la hausse du prix des cigarettes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Il s'inscrit en effet dans la baisse qui touche, dans tous nos pays, le tabac, et notamment le tabac brun.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. La hausse !
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. Sur le fond du dossier, je dirai que la responsabilité première du Gouvernement consiste, dans le même temps que nous préparons nos industries à la reprise, à accompagner les restructurations industrielles, tant sur le plan social que sur le plan territorial. A chaque fois, nous le faisons sans ménager nos efforts. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Quant au plan social, les départs en préretraite permettront de régler le cas de la moitié des suppressions d'emplois.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Et l'autre moitié ?
    Mme la ministre déléguée à l'industrie. L'autre moitié des salariés sera accueillie dans le cadre du plan de reclassement du groupe Altadis.
    Enfin, François Fillon et moi-même seront particulièrement attentifs à ce que tous les salariés puissent être reclassés dans les deux ans à venir. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    S'agissant des incidences territoriales, je puis vous assurer de notre particulière vigilance pour que les mesures de revitalisation que le groupe Altadis a l'obligation d'appliquer soient effectivement mises en oeuvre.
    Enfin et complémentairement à ces mesures, nous apporterons, dans le cadre du prochain comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire, notre soutien à l'agglomération lilloise, notamment pour mettre en place la réhabilitation foncière, permettant l'accueil d'activités nouvelles. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire - Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

CÔTE D'IVOIRE

    M. le président. La parole est à M. Antoine Herth, pour le groupe UMP.
    M. Antoine Herth. Monsieur le président, ma question s'adresse à Mme la ministre de la défense.
    Madame la ministre, la Côte d'Ivoire est confrontée depuis plusieurs mois à des soubresauts violents entre le Nord, aux mains des rebelles, et le Sud, contrôlé par les forces gouvernementales.
    La France a choisi de jouer la carte de la modération tant sur le plan diplomatique que par son engagement sur le terrain. Avec quelque 4 000 soldats, elle est présente pour tenter de s'interposer entre les deux forces en sécurisant une zone dite « de confiance ».
    En dépit de l'implication de la communauté internationale, qui a donné son aval à l'opération « Licorne », la situation, on doit le constater, se détériore. Hier a été franchi un pas de plus dans la violence : des centaines de manifestants, certains armés de couteaux et de machettes, se sont attaqués à la base du bataillon français d'infanterie de marine, à la périphérie d'Abidjan.
    Madame la ministre, que pouvez-vous dire quant à l'évolution de la situation à laquelle sont confrontés nos soldats sur place ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre de la défense.
    Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Monsieur le député, il n'est pas exact de dire que la situation se dégrade constamment en Côte d'Ivoire. Il suffit d'aller en brousse, dans la « zone de confiance », pour constater que les populations qui avaient fui les violences et les combats sont revenues, cultivent et vivent normalement.
    Ce qui est vrai, en revanche, c'est que la situation est fragile.
    Effectivement, des extrémistes, parfois des deux bords, rêvent d'en découdre et de reprendre les combats les uns contre les autres. Ils sont à l'origine des violences qui ont eu lieu ces derniers jours, d'abord dans la partie méridionale de la « zone de confiance », où des gens venant du sud ont voulu aller vers le nord pour reprendre les combats et, depuis hier, à Abidjan où de deux cents à trois cents jeunes assiègent encore en ce moment le bataillon français d'infanterie de marine.
    Qu'est-ce que cela prouve ?
    Cela prouve d'abord l'exigence que se poursuive le processus de paix, ce qui suppose deux choses : d'une part, que le gouvernement mette en oeuvre les accords de Marcoussis ; d'autre part, que les forces nouvelles comprennent qu'il est nécessaire qu'elles reviennent dans le gouvernement.
    Il faut aussi que l'ONU réponde à l'appel de la force de la CDAO et des Ivoiriens eux-mêmes et qu'une opération de casques bleus puisse prendre le relais de la CDAO afin d'aller vers un véritable désarmement et des uns et des autres.
    Pour le court terme, nous espérons que le dialogue quadripartite reprendra entre les armées ivoiriennes, les Forces nouvelles et les forces impartiales que sont la force « Licorne » et la force de la CDAO.
    Enfin, mesdames, messieurs les députés, je voudrais qu'en ce moment même où ils sont confrontés à une action violente, nous saluions le professionalisme, le sang-froid et la modération des militaires français à Abidjan. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

INONDATIONS DANS LE SUD-EST

    M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Ferrand, pour le groupe UMP.
    M. Jean-Michel Ferrand. Monsieur le président, ma question, à laquelle j'associe mes collègues du Sud-Est, notamment Guy Teissier, député de la ville de Marseille gravement touchée, s'adresse à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable.
    Madame la ministre, des pluies torrentielles frappent sévèrement une grande partie du sud-est du pays, provoquant actuellement de graves inondations. Dès dimanche soir, Météo France avait émis un bulletin d'alerte de niveau 3. Ce matin, des dizaines de routes départementales étaient coupées à la circulation, après les importantes chutes de pluie qui se sont abattues sur mon département, le Vaucluse, comme sur cinq autres départements du Sud-Est.
    Une nouvelle fois, cette situation nous montre combien l'entretien des berges et des rivières est important dans la mesure où il peut jouer un rôle capital dans la lutte contre les risques d'inondation lors de fortes pluies et d'orages importants.
    Madame la ministre, pouvez-vous nous faire le point de la situation ?
    Pouvez-vous également nous préciser quelles sont les données que vous a transmises le SCHAPI, le Service central d'hydrométéorologie et d'appui à la prévision des inondations, que vous aviez mis en place après les inondations de l'an dernier ?
    M. Jacques Desallangre. Que d'eau ! Que d'eau !
    M. Jean-Michel Ferrand. Enfin, pouvez-vous nous dire dans quelle mesure l'ensemble des dispositions que vous aviez prises permet de mieux faire face à la situation aujourd'hui et nous préciser les mesures que le Gouvernement entend prendre afin de venir en aide aux communes, aux personnes sinistrées, qu'il s'agisse des ménages, des entreprises, des commerçants ou des agriculteurs qui vont être frappés par ces événements ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable.
    Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable. Monsieur le député, les inondations dramatiques que subit de nouveau le sud-est de la France nous rappelle que ces risques naturels sont les plus meurtriers et les plus graves, y compris pour les biens matériels.
    Il s'agit d'un cumul de précipitations : 250 millimètres d'eau sont tombés en Ardèche, par exemple, soit 250 litres d'eau par mètre carré.
    Le château d'eau des Cévennes fait que les eaux de pluie ruissellent sur de très nombreux départements, dont le vôtre, monsieur le député, le Vaucluse, mais également sur les Bouches-du-Rhône et d'autres départements, comme le Gard, qui sont très gravement touchés.
    Le rôle du Service central d'hydrométéorologie est de prévoir, à la fois sur le plan qualitatif et sur le plan quantitatif, la nature des inondations.
    L'épisode de précipitations devrait se terminer aux alentours de jeudi matin. Mais on ne peut exclure qu'à cet épisode de précipitations...
    M. Jean-Pierre Brard. En succède un autre !
    Mme la ministre de l'écologie et du développement durable. ... vienne se surajouter un épisode orageux, toujours dramatique. En tout cas, ce service central vient en appui des services de Nicolas Sarkozy. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) et du centre opérationnel de gestion interministérielle des crises, qui est pleinement mobilisé sur cette affaire.
    L'appel à projets sur lequel vous m'interrogez et que nous avons lancé au moment de l'été concernera particulièrement ce type de pluies. Il n'est d'ailleurs pas neutre que pratiquement tous les bassins concernés par cet épisode d'inondations ont répondu à notre appel. La régulation du débit en amont sera particulièrement efficace...
    M. Albert Facon. Quand va-t-il s'arrêter de pleuvoir ?
    Mme la ministre de l'écologie et du développement durable. ... sur les bassins de la Durance, de la Cèze, du Vidourle et des Gardons, qui ont eux aussi répondu à notre appel à projets.
    Pour ce qui concerne les indemnisations, nous ferons bien entendu le bilan de cet épisode d'inondations avec les préfets, les élus et les organisations professionnelles. Nous verrons s'il convient de mobiliser des fonds supplémentaires par rapport aux fonds assurantiels, comme nous l'avions fait l'an dernier lors des inondations dramatiques du Sud-Est.
    Je vous signale que, grâce à la loi du 30 juillet 2003, les fonds des assurances peuvent être d'ores et déjà mobilisés non seulement pour indemniser, mais aussi pour réaliser des travaux de prévention des inondations dans les bâtiments ou les entreprises, ou même pour servir à délocaliser les entreprises. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes républicains.)
    J'appelle à un comportement prudentiel extrême. Nous l'avons vu encore avec les deux morts déplorées ces derniers jours, la route est un piège mortel en cas d'inondation. Je lance un appel aux populations et à tous ceux dont la tâche est d'informer : il convient de ne pas prendre son véhicule quand il y a un risque d'inondation. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures vingt-cinq, sous la présidence de M. François Baroin.)

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS BAROIN,
vice-président

    M. le président. La séance est reprise.

2

RAPATRIÉS

Déclaration du Gouvernement
et débat sur cette déclaration

    M. le président. L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement sur les rapatriés et le débat sur cette déclaration.
    La parole est à M. le secrétaire d'Etat aux anciens combattants.
    M. Hamlaoui Mékachéra, secrétaire d'État aux anciens combattants. Monsieur le président, madame la ministre de la défense, mesdames et messieurs les députés, le débat qui nous réunit atteste de l'attention que le Gouvernement, la représentation nationale, et, partant, la nation, portent à la situation des rapatriés.
    Voilà quarante ans, ces hommes, ces femmes, ces enfants, quittaient leur terre natale dans des conditions ô combien dramatiques. Beaucoup d'entre nous ont pour toujours en mémoire des images insoutenables. Beaucoup d'entre nous ne peuvent évoquer leurs derniers moments sur la terre algérienne sans ressentir une émotion profonde, sans penser aux heures heureuses qui se sont achevées - hélas ! - en tragédie, sans revoir les visages disparus dans des conditions parfois indicibles. Beaucoup d'entre nous portent encore au fond du coeur cette épreuve qui a marqué radicalement leur vie, celle de leur famille et celle de leur pays natal.
    Aujourd'hui, le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin souhaite apporter des réponses fortes aux questions qui, plus de quarante ans après la séparation douloureuse de la France et de l'Algérie, demeurent. Après avoir renoué le dialogue avec les rapatriés et pris la mesure de leurs attentes, et avant de mettre en oeuvre des moyens nouveaux, il nous semble, mesdames et messieurs  les députés, légitime et utile d'associer le Parlement au processus. Nous respectons ainsi les engagements du Président de la République. Et je ne vous cacherai pas l'émotion que je ressens en parlant aujourd'hui au nom du Gouvernement sur un sujet majeur, qui nous tient tant à coeur.
    Pour des centaines de milliers de nos compatriotes, le temps n'a pas effacé totalement les conséquences de leur départ précipité d'Algérie et de leur arrivée improvisée en métropole. Au fil des ans, de nouvelles difficultés économiques, sociales ou morales se sont ajoutées à un déracinement atrocement ressenti.
    Aujourd'hui, le moment est venu d'entendre le message des rapatriés, de tous les rapatriés, en abordant une nouvelle étape, qui permettra de leur apporter les réponses qui s'imposent.
    D'emblée, le Gouvernement s'est donné les moyens de prendre la mesure de la situation et d'établir des relations de confiance avec les rapatriés d'origine européenne, comme avec les harkis. La création de la mission interministérielle aux rapatriés, directement placée auprès du Premier ministre, a donné aux rapatriés un interlocuteur direct et servi de catalyseur à l'action des pouvoirs publics. Celle du Haut conseil aux rapatriés a été le deuxième signe très fort de notre volonté d'établir le dialogue et de disposer pour ce faire d'une instance de débat, de réflexion et de proposition. Le Haut conseil a su très vite, il faut le reconnaître, s'imposer comme un partenaire indispensable.
    Est venu ensuite le temps de l'état des lieux. Nous avons voulu qu'il soit mené de façon approfondie et externe à l'administration. Je remercie très sincèrement votre collègue Michel Diefenbacher, député du Lot-et-Garonne, qui a bien voulu accepter, mesdames et messieurs les députés, la délicate mission que lui a confiée le Premier ministre. Grâce à son travail d'une très remarquable qualité, nous disposons aujourd'hui de toutes les données nécessaires pour établir un diagnostic juste et définir des pistes concrètes d'action. Ce n'était plus le cas depuis bien longtemps. Son rapport n'est pas, exhaustif, certes, mais il correspond à l'un des objectif que nous voulions atteindre avant de prendre des décisions.
    Dans le même temps, nous avons pris les premières mesures importantes que l'urgence imposait.
    C'est ainsi que, dès janvier 2003, a été mise en place l'allocation de reconnaissance aux harkis. Je rappelle qu'il s'agissait d'assurer à cette population, souvent en difficulté, un complément de retraite de 343 euros. Non imposable et indexée, cette allocation est accordée à tous les harkis ou à leurs veuves, de plus de soixante ans, sans conditions de ressources, contrairement, je me plais à le signaler, à ce qui existait précédemment. Cette solidarité se renforcera encore puisque le Gouvernement vous propose, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative, de réévaluer son montant de 30 % dès le 1er janvier 2004. De plus, les pensions de veuves de guerre, d'invalides et de grands invalides augmenteront de quinze points d'indice en vertu du projet de loi de finances pour 2004.
    Le contexte économique difficile que nous traversons aujourd'hui n'épargne évidemment pas les familles de harkis. Pour remédier, autant que possible, à ces difficultés nouvelles, la mission interministérielle aux rapatriés a mobilisé l'ensemble des préfets.
    Dans le cadre de la politique en faveur des jeunes, le Premier ministre va demander aux grands employeurs publics, comme les ministères de la défense, de l'intérieur ou de la santé, de porter une attention particulière aux candidatures des jeunes issus de familles harkies. Ces administrations sont également invitées à accompagner les préparations aux examens et aux concours ou les formations aux différents métiers qu'elles proposent. Il s'agit là d'opérations concrètes et de portée immédiate.
    Par ailleurs, le devoir de mémoire devient chaque jour davantage une préoccupation majeure. Comme vous le savez tous, le Président de la République a pris, dans ce domaine, deux décisions hautement symboliques.
    Il a, tout d'abord, institué la journée nationale d'hommage aux harkis et aux membres des formations supplétives et assimilés. Désormais, le 25 septembre, la nation salue la mémoire de ces combattants valeureux et fidèles. Elle se souvient de leurs sacrifices et de leurs terribles souffrances.
    L'institution d'une journée nationale d'hommage aux « morts pour la France » de la guerre d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie est également une décision dont la communauté rapatriée a mesuré l'importance et elle a su nous l'exprimer. Vendredi prochain, à Paris et dans tout le pays, nous nous souviendrons de ceux qui sont, hélas, tombés au champ d'honneur pendant ces sombres années.
    Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, les moyens nouveaux qui sont dégagés et les premières mesures prises prouvent bien notre volonté affirmée de traiter les difficultés rencontrées par les harkis et tous les rapatriés. L'action engagée, que je vais vous exposer dans un instant, et la détermination qui l'accompagne ne doivent pas faire oublier les efforts consentis dans le passé par la nation.
    Le rapport de votre collègue Diefenbacher fait à juste titre la chronologie des décisions qui ont été prises. Il est, en effet, indispensable d'appréhender globalement ce qui a été fait pour mieux réussir ce que nous allons entreprendre ensemble. Passée l'urgence de la réinstallation à laquelle, je le rappelle, la France a consacré en 1963 plus de 4,5 milliards d'euros - soit tout de même 5 % du budget total de l'Etat de l'époque -, il est vrai que les politiques envers les rapatriés ont tardé à se concrétiser, avec les conséquences que l'on connaît aujourd'hui.
    Les premières mesures effectives d'indemnisation ne seront prises qu'en 1970 - c'est-à-dire plus de huit ans après -, avec une contribution nationale à l'indemnisation des Français rapatriés du Maroc, de Tunisie et d'Algérie. Des compléments d'indemnisation furent décidés essentiellement avec les lois de 1978 et 1987.
    Pourtant, les rapatriés éprouvent toujours des difficultés liées à leur retrour en métropole. Parmi eux, une catégorie a été trop longtemps oubliée par l'histoire. Il s'agit, vous l'avez compris, de nos compatriotes anciens membres des formations supplétives et assimilés, les « harkis ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Leur engagement total au service de la France, la tragédie immense qu'ils ont vécue, leur abandon et leur détresse morale ont été longtemps ignorés de la communauté nationale. Les familles ont souffert de l'isolement et des conditions de vie qui leur ont été réservées à leur arrivée sur leur nouvelle terre d'accueil. Leur insertion dans le tissu économique et social n'en a été que plus difficile.
    Les harkis bénéficieront d'une première mesure spécifique d'indemnisation avec la loi de 1987 déposée par le gouvernement de Jacques Chirac, vingt-cinq ans après leur arrivée en métropole ! La loi Romani enfin, du 11 juin 1994, votée à l'unanimité par votre assemblée, mesdames et messieurs les députés, exprimera enfin officiellement la reconnaissance de la République française à leur égard pour les sacrifices qu'ils ont consentis -  avec désintéressement, il me plaît de le dire. C'est d'ailleurs l'article premier de cette loi qui a été gravé sur la plaque apposée, à la demande du Président de la République, lors de la première journée d'hommage aux harkis, le 25 septembre 2001, aux Invalides comme dans vingt-sept sites emblématiques à travers le territoire.
    Je vous assure que cette reconnaissance a rendu de la fierté à nos compatriotes harkis, ainsi qu'à un grand nombre de leurs enfants et petits-enfants : elle a parfois permis de resserrer des liens familiaux distendus entre des pères et des enfants qu'une histoire méconnue risquait de séparer. Ce geste officiel a été prolongé par des mesures spécifiques d'indemnisation et de solidarité prises en faveur de leurs familles. Le plan de cinq ans prévu dans la loi de 1994 s'est traduit par un effort financier de 2,6 milliards de francs. Depuis cette date, plus de 20 000 enfants issus de familles de harkis ont pu trouver ou retrouver le chemin de l'emploi. C'est dans ce sens que l'effort aurait dû être poursuivi, et non pas interrompu.
    L'ensemble de la politique en leur faveur a fortement contribué à resserrer les liens entre la nation et les harkis. Et c'est donc dans ce sens que nous devons continuer d'agir.
    Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le débat qui nous réunit aujourd'hui est une nouvelle étape importante pour les rapatriés. Il n'est pas fréquent que leurs aspirations, leurs souffrances, leur situation soient évoquées aussi solennellement.
    M. Guy Teissier. C'est exact ! Hélas !
    M. le secrétaire d'Etat aux anciens combattants. Ce débat est également important parce qu'à l'issue de la réflexion que nous allons conduire en commun aujourd'hui, le Gouvernement entend prendre les mesures concrètes encore nécessaires pour que nous soyons en paix avec notre conscience.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très bien !
    M. le secrétaire d'Etat aux anciens combattants. Il me semble donc légitime de vous préciser maintenant dans quel esprit et vers quelles directions nous souhaitons orienter notre politique en faveur des rapatriés et principalement des harkis. Avant d'évoquer les aspects matériels de notre action, je souhaite commencer par le vaste champ de la mémoire. En effet, le temps est venu - c'est d'ailleurs une attente unanimement exprimée par les rapatriés de toutes origines - d'aborder de manière apaisée les aspects de la mémoire, de la culture, de l'histoire et de la reconnaissance de l'oeuvre accomplie au-delà des mers par notre pays.
    M. Christian Kert. Très bien !
    M. le secrétaire d'Etat aux anciens combattants. Notre pays peut et doit être fier de ses pionniers, de ses combattants, de ses hommes et de ses femmes. Sur les terres d'Asie ou d'Afrique, ils ont grandement contribué au développement agricole et économique d'immenses territoires. Ils ont grandement contribué à ancrer les valeurs républicaines d'égalité et de démocratie. Cet héritage demeure encore bien vivant dans la plupart de ces territoires. Ce patrimoine, cette histoire, cette culture et ces traditions, que portent les rapatriés, doivent être mieux connus, notamment par les jeunes générations, car l'avenir est entre leurs mains. L'Etat a donc décidé de s'associer étroitement au projet de Mémorial national de l'outre-mer, conçu à l'initiative du maire de Marseille, Jean-Claude Gaudin. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Ce Mémorial national devrait ouvrir en 2006. Il aura vocation à présenter de manière permanente et vivante l'oeuvre de la France dans tous ses territoires aujourd'hui indépendants. Il encouragera la recherche et la conservation de la mémoire sous toutes ses formes, ainsi que les richesses culturelles léguées par nos concitoyens rapatriés.
    Il nous faut aussi avancer sur d'autres chantiers engagés depuis quelques mois. Je pense à l'ouverture des archives de la guerre d'Algérie ainsi qu'au traitement et à la place de cette histoire dans l'enseignement. L'Etat doit faciliter et encourager les recherches des spécialistes de l'histoire, afin qu'ils puissent établir avec l'objectivité et la sérénité nécessaires la vérité sur les événements qui ont marqué cette période controversée. Je sais que beaucoup de rapatriés attendent encore toute la vérité sur certains des faits les plus dramatiques de ces années de sang. Il est temps de rappeler la mémoire de tant de victimes innocentes de cette guerre fratricide. Je pense plus particulièrement à toutes les victimes civiles d'avant et d'après le conflit.
    Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le Gouvernement entend également compléter concrètement l'oeuvre de reconnaissance et de solidarité nationale. Pour nos anciens combattants harkis ou pour leurs veuves, nous pensons qu'un geste supplémentaire de reconnaissance - et non d'assistance - reste encore à faire. Il doit s'appuyer de manière privilégiée sur l'actuelle allocation de reconnaissance que nous avons mise en place et qui leur assure des revenus complémentaires et réguliers, sans lendemains sombres.
    Il faut aussi parfaire les dispositifs des différentes lois d'indemnisation, et en particulier réparer certaines injustices qui subsistent.
    Par ailleurs, il convient de clore avec équité le traitement des dossiers de surendettement des rapatriés.
    M. Jean Leonetti. Très bien !
    M. le secrétaire d'Etat aux anciens combattants. Nous pensons nécessaire d'améliorer certaines dispositions applicables aux régimes de retraite.
    Nous voulons, enfin, régler la situation du petit nombre d'entre eux qui n'ont pas pleinement bénéficié des lois d'amnistie de l'époque.
    Pour que ces dispositions aient la portée nécessaire, je vous annonce que le Gouvernement déposera devant le Parlement un projet de loi dans les tout premiers mois de 2004. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Ce dispositif ne serait pas complet si je n'évoquais pas les jeunes générations issues de familles rapatriées. Elles méritent toute notre attention. Il ne s'agit évidemment pas de les inscrire dans une logique d'assistance - ce serait absurde. Il s'agit, au contraire, d'assurer l'égalité des chances par tous les moyens.
    Ces jeunes, quelles que soient leurs origines, doivent être fiers de l'histoire et de l'oeuvre de leurs parents. Mais nous devons aussi les aider à trouver toute leur place au sein de la communauté nationale en favorisant leur insertion économique et sociale. Comme je l'ai indiqué précédemment, le Gouvernement s'est déjà mobilisé pour leur emploi. Nous nous sommes également assurés qu'ils puissent bénéficier pleinement des dispositifs particuliers destinés à favoriser l'accès à l'éducation, à privilégier l'accès à l'emploi et à agir contre les discriminations.
    Le parrainage, l'aide à la préparation aux concours, l'aide à la création d'entreprise sont aussi des solutions qu'il faut mettre en oeuvre. Toutes ces différentes actions seront poursuivies avec pragmatisme. Pour l'emploi, nous savons bien que c'est en étant au plus près du terrain que nous trouverons la clef de la réussite.
    Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le Gouvernement entend donc agir résolument sur toutes les questions, à la fois matérielles et symboliques, qui concernent nos compatriotes rapatriés. Ces orientations, le Gouvernement les précisera après vous avoir entendus. Je m'efforcerai en effet, dans mes réponses à vos déclarations, de détailler autant que faire se peut certains des points que je n'ai pu évoquer que trop brièvement.
    Je ne saurais conclure sans évoquer les perspectives nées du voyage historique effectué récemment par le Président de la République en Algérie. Ces relations apaisées et constructives que nous voulons établir, le Gouvernement a la conviction qu'elles bénéficieront aux rapatriés de toutes origines. Ils en seront les acteurs à part entière. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. Nous allons entendre à présent les porte-parole de nos quatre groupes.
    La parole est à M. Christian Kert, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.
    M. Christian Kert. A un moment où la France s'interrogeait sur le destin qu'elle allait réserver à l'Algérie, dans cet hémicycle même, une grande voix, fière de ses origines, haute par son intelligence, respectée par sa volonté s'élevait pour donner au débat national une nouvelle dimension. Cette voix, c'était celle du Bachaga Boualam, vice-président de notre assemblée, qui s'écriait : « Etant enfant en Algérie, j'ai été à l'école communale où il y avait des enfants de toutes confessions et Dieu sait si elles étaient nombreuses. De cette cohabitation, il m'est resté un sentiment de fraternité, né du fait que nous parlions tous la même langue : le français. Cette langue faisait notre union et ceux qui l'enseignaient la renforcèrent encore en nous parlant de la France. » Quelle résonance ont ces propos dans la France de 2003 !
    En 1962 et dans les mois qui suivirent, la France assista à un étrange exode : des milliers de ces Français « de là-bas » revenaient au pays. On les disait riches, et pourtant tous ne l'étaient pas. On les disait gais comme des Méditerranéens, et pourtant la mélancolie seule colorait leurs propos. A leurs côtés, l'étrange cohorte des harkis qui ne demandaient peut-être rien d'autre que le droit de vivre !
    Sèchement racontée comme cela, l'histoire paraît avoir des siècles. Elle n'a que quarante ans. Quarante ans, c'est l'espace de temps qui sépare l'enfant de l'homme mûr ; c'est l'espace de temps qui aura transformé les jeunes hommes rapatriés de l'époque, porteurs de rêves, en des sages un peu résignés, un peu amers, un peu las d'avoir tant raconté une histoire dont ils ont bien compris désormais qu'elle n'appartient plus qu'à eux.
    Nous allons, monsieur le secrétaire d'Etat, faire ensemble le voyage à travers tout ce qu'il reste à accomplir non pas pour guérir de ses maux la génération de ceux qui sont « rentrés », non car celle-là ne guérira plus, mais pour vous dire ce que nous croyons juste et bon au regard de l'histoire pour que notre génération ait une chance de clore enfin un dossier aux multiples aspects : mémoire de l'oeuvre française en Afrique du Nord, réparation matérielle et morale auprès des rapatriés dont certains sont encore en situation difficile sur le plan financier parce que les choses de la vie ne se sont pas déroulées comme il l'aurait fallu. Et puis, il nous faut reconnaître nos erreurs - vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat - à l'égard de ce peuple fier et courageux que nous avons longtemps, trop longtemps abandonné dans des camps qui faisaient penser aux enfants métropolitains de l'époque, au nombre desquels j'étais, qu'un harki c'était un drôle de type avec une grande famille qui vivait presque libre dans un lieu qui ressemblait presque à une prison.
    Nous allons, au groupe UMP, monsieur le secrétaire d'Etat, procéder de façon méthodique. Une vingtaine d'entre nous vont s'exprimer. Ils le feront en développant chacun l'un des thèmes qui constituent de justes revendications. Chacun de nous va s'appliquer à vous dire ce qu'il paraît raisonnable qu'ensemble nous obtenions de l'Etat. Ce que nous allons vous dire là, nous l'avons dit au Président de la République auquel personne, je crois, ne peut dénier l'intérêt qu'il a toujours porté à cette question. Mes collègues vont évoquer non seulement l'indemnisation, l'application de l'article 46 de la loi du 15 juillet 1970, la situation des réinstallés, mais aussi le sort des exilés politiques ou encore celui des retraités du public comme du privé et singulièrement celui des médecins.
    En ouvrant solennellement ce débat, le Gouvernement a transformé un climat de résignation en un courant d'espérance. Attention, toutefois, monsieur le secrétaire d'Etat, de ne pas décevoir l'espérance ! Réalistes - et comment ne le seraient-ils pas quarante ans après ? -, les rapatriés attendent des gestes, mais ils savent que tout n'est pas possible et qu'en période économiquement tendue il faudra, quelles que soient les solutions retenues, du temps pour les appliquer. Mais que déjà un calendrier soit arrêté, que des dates soient fixées, qu'une volonté soit affirmée et alors oui, rapatriés et harkis, ensemble, comprendront que la France a décidé, oui une bonne fois pour toutes, de tourner l'ultime page de ce qui aurait pu rester comme une épopée et qui s'est transformée en tragédie, laissant là des injustices que nous voudrions corriger. Le Parlement s'y emploie à sa mesure. Un groupe d'études a toujours travaillé sur ce sujet, sorte d'aiguillon des consciences, tour à tour agité par des hommes de droite et de gauche, tous sincères, parce que tous touchés par les détresses.
    C'est à l'un des nôtres, Michel Diefenbacher, que vous avez confié le soin d'établir un rapport, sorte de constat de l'existant et de forum de propositions. C'est ici, dans cet hémicycle, espérons-le, qu'à partir de ce débat, nous pourrons ensemble établir les fondements d'une nouvelle loi, une loi de synthèse qui fera en sorte que demain chacun sache bien ce à quoi il peut prétendre, ce qu'apportera l'avenir à sa descendance, ce qui restera inscrit dans la mémoire collective.
    Nous apporterons un soin particulier à suivre le dossier de la création d'un Mémorial de la France d'outre-mer à Marseille. Sur près de 4 000 mètres carrés, ce mémorial doit être conçu non pas dans une optique passéiste, mais avec la volonté d'aller de l'avant. Il doit être un lieu de mémoire et d'histoire tourné vers les jeunes générations, sans pour autant oublier les histoires douloureuses des rapatriements. C'est cela le travail de mémoire.
    Reste à accomplir une autre tâche, celle de la réhabilitation de l'histoire, cette quête indispensable de la vérité historique. Ce qu'ils veulent les rapatriés, comme les harkis, c'est que l'on ne travestisse pas leur propre aventure. Il ne s'agit pas d'opposer une vérité à une autre. Il s'agit de rappeler que si l'oeuvre française outre-mer a pu être synonyme de conquêtes, de guerres et de sacrifices, elle correspond également à une grande période d'échanges, de développements techniques, économiques, culturels et médicaux. Ce que réclament les rapatriés, c'est d'être entendus et compris du monde des enseignants et des autorités de l'éducation nationale, afin que l'enseignement dispensé dans nos écoles, nos collèges et nos lycées tienne compte de leur point de vue. Ils souhaitent être associés au débat sur la colonisation et la décolonisation, notamment lors des grandes émissions télévisées. Certains pensent à une « fondation sur l'histoire » qui pourrait d'ailleurs « éclairer » la vie du Mémorial de Marseille ?
    Il faut se souvenir, expliquer, réhabiliter et affronter la vérité dirais-je. Ne craignons plus de le dire quarante ans après : la France a commis des erreurs, a parfois manqué de courage, même s'il est facile aujourd'hui de juger avec le recul que nous accordent le temps et la réflexion. Nous touchons là aux dossiers les plus douleureux de l'aventure française en Afrique du Nord : le sort des disparus. Officiellement on en reconnaîtra 3 000, 3 000 d'entre les nôtres dont les proches s'interrogent toujours sur le sort qui leur fut réservé. Il est temps, désormais, monsieur le secrétaire d'Etat, d'ouvrir ce dossier et d'aider ces familles à faire leur tragique travail de deuil.
    Nous touchons également là aux manifestations de juillet 1962 et au drame de la rue d'Isly. Ghislaine Grès avait dix ans, Renée Ferrandis en avait vingt-deux, Gaspard Sanchis en avait soixante-quatre. Ils font partie de la centaine de Français de tous âges et de toutes conditions tués ce lundi 26 mars 1962, rue d'Isly, par des balles françaises dont personne, pendant douze longues et terribles minutes, ne parvint à arrêter le tir. Ces dossiers-là, nous ne pouvons plus les laisser enfouis. Si l'oeuvre de la France reste porteuse de succès et d'espérances, il nous faut dire que l'on ne pourra tourner la page qu'en acceptant de « regarder la vérité en face ». Vous avez raison, monsieur le secrétaire d'Etat, il faut créer un comité de personnalités, à l'objectivité inattaquable, qui cherche et dise la ou la vérité. Quarante ans après, les rapatriés sont capables de les entendre.
    Et puis, dernière grande injustice de l'histoire : le sort réservé aux harkis. Ce n'est pas un hasard si, au nom de l'UMP, j'ai ouvert le débat par une phrase du Bachaga Saïd Boualam. Près de quarante ans d'ignorance avant que nous réalisions tous collectivement ce que nous leur devons et ce que nous avons laissé faire. Quarante années de quasi-abandon avant qu'enfin la nation fasse un premier geste dans la cour des Invalides. Mes collègues évoqueront les mesures concrètes que nous réclamons pour eux et que vous avez déjà abordées. Elles doivent s'appliquer d'abord à la première génération des harkis qui, lentement, disparaît, à leurs veuves, aux femmes divorcées, mais il nous faut aussi regarder du côté des deux générations suivantes qui montent et qui doivent avoir droit à ce que nous appelons la « discrimination positive » et que votre collègue du Gouvernement, Tokia Saïfi, qualifie de « mise à niveau républicaine ».
    Comme le mot « honneur », le mot « harki » commence par un « h ». C'est une juste similitude. Nous devrons veiller à ne plus confondre le harki avec l'immigré qui ne partage peut-être pas cet amour si particulier pour la France qui fait la marque des rapatriés algériens. Et nous devrons impérativement veiller à ce que plus jamais sur notre sol quiconque vienne dire aux harkis qu'ils étaient des ennemis de leur terre d'origine.
    Monsieur le secrétaire d'Etat, l'outre-mer peut redevenir une aventure culturelle unique. Il faut lui rendre sa dimension humaine. Vous nous avez dit que vous répondiez aux attentes des rapatriés. J'espère que tout à l'heure, dans votre réponse, vous nous préciserez de quoi sera faite la loi que vous nous proposerez et quel en sera l'échéancier. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démcoratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Kléber Mesquida, pour le groupe socialiste.
    M. Kléber Mesquida. Monsieur le secrétaire d'Etat, quarante et un ans après la fin de la guerre d'Algérie, votre gouvernement a souhaité organiser un débat solennel sur la situation des rapatriés. Depuis votre entrée en fonction, c'est-à-dire depuis dix-huit mois, vous avez fait installer un Haut Conseil aux rapatriés, en décembre 2002, et une mission interministérielle aux rapatriés, en mai 2003. Au niveau des moyens financiers, vous avez, dans le budget pour 2004, baissé de 6 millions d'euros les crédits d'intervention des préfectures et de la mission interministérielle.
    On peut dès lors s'interroger sur les suites qui seront réservées à ce débat. (Protestations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Le Gouvernementappuiera-t-il les contributions et les propositions des parlementaires, pour présenter un ultime projet de loi qui répondrait à toutes les attentes des rapatriés et des harkis ?
    M. Richard Mallié. Nous, au moins, on fait quelque chose !
    M. Kléber Mesquida. Quels moyens seront mis en place, et dans quels délais ?
    Je me demande plutôt si, à l'approche des échéances électorales de mars prochain (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire),...
    M. Georges Fenech. Scandaleux !
    M. Jean Leonetti. Sordide !
    M. Kléber Mesquida. ... le Gouvernement ne tente pas de désamorcer les rancoeurs qui commencent à s'accumuler chez les rapatriés, du fait d'analyses erronées et d'oublis relevés dans le rapport établi à votre demande par notre collègue de l'UMP, Michel Diefenbacher, chargé de dresser l'état des lieux sur les politiques conduites à l'égard des rapatriés et de présenter des propositions. Nous jugerons aux actes ; les communautés des rapatriés et des harkis, aussi.
    M. Richard Mallié. Nous avons jugé les vôtres !
    M. Georges Fenech. Vous n'avez rien fait !
    M. Richard Mallié. Sauf réduire les budgets !
    M. Kléber Mesquida. Ouvrir un débat sur les rapatriés, c'est d'abord rappeler ce que fut cette guerre pour mieux comprendre. Il aura fallu la loi du 18 octobre 1999 pour que la représentation nationale reconnaisse enfin la guerre d'Algérie en tant que telle, cette guerre qui, jusqu'alors, n'avait jamais voulu dire son nom. Les années 1954 à 1962 furent huit années de guerre sanglante, un véritable drame qui a laissé chez des millions de Français des cicatrices ineffaçables. Au cours de cette guerre, mais aussi après cet épisode douloureux, chacun de nous a réagi selon ses opinions politiques, ses origines sociales, ses engagements philosophiques, ses attaches matérielles ou affectives.
    Quarante et un ans après, sans y mettre de passion, nous pouvons avoir une vision objective de l'histoire. En quatre décennies, le temps a fait son oeuvre pacificatrice et nous pouvons regarder en face toutes les vérités, les dire ou les raconter sans rien masquer, car la vérité appartient à l'histoire. La vérité, pour mieux comprendre les violences, le désarroi, la tristesse, mais aussi les blessures, les douleurs et les conséquences de cet exode forcé.
    Les historiens s'interrogent pour savoir si la guerre d'Algérie a éclaté le 1er novembre 1954 à une heure quinze du matin, alors que plusieurs attentats faisaient les premiers morts de cette Toussaint rouge, ou si c'était la résurgence du soulèvement de mai 1945, rapidement étouffé par une forte répression. Pour ma part, je sais qu'un petit garçon de neuf ans, devenu aujourd'hui parlementaire, a vu ses grands-parents, Claire et Joseph Yvorra, sauvagement et lâchement attaqués dans une ferme reculée, une nuit de cet automne rouge de 1954.
    Comme lui, au cours de ces huit années, le peuple d'Algérie s'est trouvé écartelé entre la violente réalité de ce que l'on nommait avec pudeur « les événements », et les propos des dirigeants français d'alors. En 1954, le Président du Conseil Mendès France affirmait : « L'Algérie, c'est la France. » En 1958, le général de Gaulle proclamait : « Tous Français, de Dunkerque à Tamanrasset », slogan lancé à la foule du 13 mai 1958 pour la remercier de lui avoir permis de revenir au pouvoir. Le chef de la France libre, l'auteur de l'appel du 18 juin 1940, avait alors redonné confiance à l'armée, aux soldats du contingent et au peuple d'Algérie. Rappelons qu'Européens et Musulmans, au coude à coude, formant des convois en liesse, plébiscitaient de Gaulle. Ces descendants des Phéniciens, des Byzantins, des Arabes, des Berbères, des Turcs, mais aussi de Français « transportés » de 1851, de pieds-noirs, d'immigrés espagnols, italiens, maltais, scandaient le nom du général, mais ne se doutaient pas que, quatre ans plus tard, après avoir fait couler beaucoup de sang, beaucoup trop de sang, l'épilogue se déroulerait dans la douleur, la haine et le déshonneur. Ils ont été les victimes d'une tromperie d'Etat.
    Quarante et un ans après la fin de cette guerre que certains ressentiront comme un abandon, un reniement, alors que d'autres la considèreront comme le produit d'une logique de l'histoire, il est temps que la représentation nationale aborde les vérités historiques et qu'elle reconnaisse les traumatismes, les conséquences, les séquelles et les manquements que cette guerre a entraînés pour une part de nos compatriotes.
    Quarante et un ans après, les Français rapatriés d'Algérie, pieds-noirs ou harkis, sont toujours dans l'attente d'une véritable et totale reconnaissance de responsabilité de l'Etat. Ils attendent que la France reconnaisse les préjudices qu'ils ont subis ou qu'elle leur a laissé subir sans garantir leur protection, et que ces spoliations soient réparées.
    Quarante et un ans après, une disposition législative doit définitivement et solennellement reconnaître les responsabilités de la France dans le tragique et sanglant abandon de cette population française de toutes confessions. Il convient alors de fixer les conditions de réparation morale et matérielle complétant les dispositions concernant l'indemnisation des rapatriés et des harkkis, en corrigeant les inégalités et en comblant les lacunes et les oublis.
    Depuis 1962, tous les gouvernements se sont réfugiés derrière l'Etat algérien et les accords d'Evian. Pourtant, une fraction du territoire de France a bien été abandonnée en violation de l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme, qui dispose : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. »
    Certes, des lois d'indemnisation bien tardives ont permis de couvrir une partie des pertes subies en capital, mais l'Etat n'a pas rempli la totalité de ses obligations. De plus, ces lois d'application différée et étalée dans le temps ont entraîné une privation de jouissance qui n'a jamais été prise en compte, ce qui augmente de fait les préjudices subis.
    Les associations de rapatriés estiment que l'Etat pourrait réparer ces préjudices en appliquant un coefficient correcteur équitable et loyal aux sommes antérieurement liquidées.
    Par ailleurs, il conviendra aussi d'évoquer le cas particulier de ce qu'on appelle les ventes forcées. Certains de nos compatriotes se sont résignés à brader leurs biens dans un climat de terreur ou de menace. Force est de reconnaître que toutes les ventes intervenues après les accords d'Evian se sont réalisées dans des conditions pénalisantes pour le vendeur.
    Il faudra également examiner le cas des ayants droit français de rapatriés étrangers. Ces personnes, pour la plupart venues d'Espagne ou d'Italie, avaient conservé leur nationalité d'origine par ignorance ou négligence. Les différentes lois votées à ce jour ont exclu les étrangers des dispositifs d'indemnisation. De ce fait, les enfants français de ces immigrés se sont vu spolier de leur patrimoine sans aucun recours possible. Là également, une mesure réparatrice de portée politique, au bénéfice de ces réfugiés installés en France lors du rapatriement et de leurs ayants droit français, doit être appliquée.
    Concernant le remboursement des prêts, l'application de l'article 46 de la loi du 15 juillet 1970 a introduit une iniquité entre les rapatriés bénéficiaires d'une indemnité qui a été ponctionnée au profit du remboursement des prêts et ceux qui ont pu bénéficier de l'annulation et de l'effacement de leurs prêts. Lors de débats publics, et notamment en période de campagne électorale, des engagements ont été pris pour l'abrogation de cet article 46 ; il faut qu'ils soient tenus.
    Pour ce qui est de la situation des harkis, l'Etat doit renforcer les aides et les moyens mis en place, notamment pour l'acquisition d'un logement et pour la revalorisation et le versement global de l'indemnisation forfaitaire, mais aussi prendre des mesures d'envergure pour les deuxième et troisième générations. Le Président Jacques Chirac n'a-t-il pas reconnu l'indemnisation des harkis comme une dette d'honneur ?
    Toutes ces questions de réparation des préjudices touchant les rapatriés et les harkis doivent être résolues en considérant ces derniers comme des victimes de la guerre reconnue par la loi du 18 octobre 1999 et en leur transposant la législation sur les dommages causés par les deux guerres mondiales.
    Sur la présence et l'action de la France en Algérie, ayons le courage et la lucidité de dire que les peuples ont le droit de disposer d'eux-mêmes et qu'il était inéluctable que la France mette fin à sa présence tutélaire en Algérie. La France avait aussi et surtout le devoir de préserver et protéger les Français d'Algérie de toutes confessions. La France se serait grandie si, dès 1958, au lieu de propos démagogiques et trompeurs, elle avait formé les futurs dirigeants de l'Algérie, les préparant à une gestion commune et protégée, qu'ils soient d'origine nord-africaine ou européenne. On aurait pu éviter, dans ce pays, les drames et les bains de sang d'hier et peut-être ceux d'aujourd'hui. L'Afrique du Sud nous a montré par la suite que l'on pouvait trouver des solutions de coexistence pacifique et de cogestion.
    Au-delà, nous devons reconnaître les aspects positifs de l'action civilisatrice menée par l'ensemble de nos concitoyens ayant vécu en Algérie, mais aussi rendre hommage au courage et à la ténacité de cette population depuis son installation sur ce territoire. Cette partie du peuple de France a continué à payer de ses sacrifices son attachement à l'Algérie lorsque la France, en abandonnant sa protection, l'a contrainte à fuir ce territoire dans des circonstances tragiques, à quitter définitivement le sol d'Afrique du Nord qui était devenu sa terre natale depuis plusieurs générations.
    Il faut aussi reconnaître l'impréparation à l'accueil en métropole, qui s'est déroulé dans l'indifférence et, dans certains cas, dans l'hostilité.
    Quarante et un ans après, la France doit aussi reconnaître sa responsabilité dans les massacres, les tortures, les enlèvements.
    Les accords d'Evian signés le 18 mars 1962 imposaient un cessez-le-feu. Et pourtant, combien de sang a encore coulé après cette date ! Dès le 26 mars 1962, alors qu'une foule de citoyens manifestait pacifiquement rue d'Isly à Alger, l'armée française ouvrait le feu sans sommation. La fusillade dura douze interminables minutes et fit près de cent morts et deux cents blessés. Parmi les victimes civiles de toutes confessions, quelques noms tirés d'une trop longue liste : Albert Blumhofer, Tayeb Chouider, Charles Ciavaldini, Renée Ferrandis, Abdallah Ladjadji, Jeannine Mesquida, Domingo Puig Server, Elie Zelphati. Ces noms, par leur seule consonance, montrent dans quel creuset de nationalités a été forgé le peuple d'Algérie.
    Faut-il aussi évoquer le génocide harki ? Pire que l'abandon, la France a mené une politique d'entrave au sauvetage des harkis. Parmi les ordres donnés en ce sens, le télégramme du 16 mai 1962 émanant du ministre des armées, Pierre Messmer, va jusqu'à demander des sanctions contre les officiers qui avaient désobéi et qui étaient à l'origine du rapatriement des harkis dont l'installation en métropole avait été interdite. N'oublions pas que 150 000 d'entre eux, désarmés et sans protection, furent arrêtés par l'armée algérienne, au mieux condamnés aux travaux forcés, au pire exécutés. Les historiens estiment à 70 000 - et c'est certainement plus - le nombre des victimes, souvent tuées dans des conditions horribles.
    Quant à ceux qui purent se faire rapatrier, la France les a parqués dans des camps avec fils de fer barbelés et régime disciplinaire. A ces Français par le sang versé, nous devons aussi réparation. Alors que tous les Français savent que le massacre d'Oradour avait fait 642 victimes, combien ont conscience que la France n'a pas apporté sa protection et a donc laissé massacrer des dizaines de milliers de ses ressortissants, toutes confessions confondues ?
    Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je n'ai pu être exhaustif eu égard au temps de parole qui m'était imparti. J'ai seulement évoqué quelques pistes et quelques propositions tendant à l'adoption d'une ultime loi qui reconnaîtrait la responsabilité de la France de ne pas avoir protégé ses ressortissants des massacres, des enlèvements, des disparitions au cours des mois qui ont suivi le cessez-le-feu. Cette reconnaissance doit aussi s'appuyer sur les conclusions d'une commission d'enquête qui mettrait à jour tous les dysfonctionnements et les conséquences induites. Ces dispositions législatives futures doivent enfin comprendre un volet sur l'indemnisation matérielle et morale, et intégrer les dettes de sang et d'honneur.
    Alors, les rapatriés et les harkis sauront que justice leur a été rendue. Alors, la France aura véritablement rempli son devoir de reconnaissance, de mémoire et de réparation envers ses enfants. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Patrick Roy. Quel beau discours !
    M. Jean Leonetti. Il me semblait que vous aviez été au pouvoir pendant cinq ans...
    M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer, pour le groupe Union pour la démocratie française.
    M. Francis Vercamer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le groupe UDF salue l'initiative du Gouvernement qui nous permet de débattre aujourd'hui. Un débat, je dois le préciser d'emblée, particulièrement attendu par nos amis harkis. Ce n'est pas le premier. J'espère sincèrement que ce sera le dernier. Cela signifierait qu'il a débouché sur une solution consensuelle et satisfaisante. Faute de quoi il aura été un nouveau coup d'épée dans l'eau. Le temps n'est plus aux discours, il est aux décisions et aux actes.
    Depuis plus de quatre décennies, aucune loi n'a vraiment résolu le problème douloureux de la communauté harkie. Il est même déconcertant de constater que nombre de nos concitoyens ignorent que ce problème se pose encore, voire qu'il existe. Cette ignorance vient essentiellement du fait que l'histoire non seulement de la guerre d'Algérie mais surtout de la participation des harkis n'a jamais figuré dans les manuels scolaires. C'était même un sujet que les médias évitaient d'approfondir, un sujet tabou, sur lequel une chape de plomb était tombée. Il est vrai qu'il est toujours difficile à traiter, car toujours sensible. C'est bien la preuve que le temps, seul, ne peut effacer les blessures mal cicatrisées de l'histoire.
    Les hommes de cette communauté se sont pourtant battus pour leur patrie, sous son drapeau, sur tous les fronts où la France était engagée : durant la première et la seconde guerre mondiale, la guerre d'Indochine, la guerre d'Algérie. Ils ont, avant tout, été des militaires, et de nombreux héros, quasi anonymes, figurent parmi eux : je pense en particulier à ceux qui se sont sacrifiés sur les pentes du Monte Cassino.
    Les accords d'Evian prévoyaient que les harkis puissent rejoindre la métropole ou rester en toute sécurité sur la terre algérienne. En réalité, ceux qui ont fait le choix de rester, militaires ou civils, ont été abandonnés à leur sort et la plupart d'entre eux furent massacrés, laissant des familles vouées à toutes sortes de vindictes.
    Ceux qui ont quitté l'Algérie, brisés de devoir abandonner leur terre natale, auraient dû trouver sur notre sol l'accueil empreint d'amitié et de reconnaissance qu'ils méritaient. Hélas, en lieu et place, ils ont trouvé au mieux l'indifférence, au pire le racisme. Ils ont été le plus souvent traités comme des parias, parqués dans des bidonvilles tenant lieu de camps, cachés derrière des murs, voire emprisonnés derrière des grillages. Des solutions provisoires qui ont malheureusement duré. Des camps qui, parfois même, avaient vu se dérouler d'autres moments tragiques de notre histoire.
    Peu a été fait pour aider les harkis à vivre dignement, à s'adapter rapidement. Je ne parle pas d'intégration : je parle de Français et de Françaises qui, dans leur esprit, venaient simplement d'une région française d'outre-mer pour s'installer en métropole, dans leur pays.
    Au-delà de conditions de vie terriblement difficiles, ils ont aussi subi des humiliations au quotidien : les couvre-feu, les signatures exigées au bas de documents qu'ils ne pouvaient souvent pas même déchiffrer, une manne publique chichement distribuée, sans égard pour leur dignité. Tout semblait orchestré pour qu'ils se sentent diminués, mais cependant redevables à la France de sa bonté...
    Si je me suis plus particulièrement penché sur les problèmes de la communauté harkie, sans pour autant oublier ceux des rapatriés en général - qui seront traités par mes collègues Yvon Lachaud et Rudy Salles -, c'est que je suis député du Nord et élu d'une agglomération, celle de Roubaix, où cette communauté est importante.
    M. Christian Vanneste. Comme à Tourcoing !
    M. Francis Vercamer. Ces gens du soleil sont venus travailler sous nos ciels que l'on dit souvent gris. Pas par hasard : leur seule chance à l'époque a été le manque de main-d'oeuvre pour les métiers pénibles. Et l'on sait combien les industries minière, textile ou sidérurgique comportaient d'emplois dont plus personne ne voulait. Le marché de l'emploi était à son apogée : on pouvait alors se payer le luxe de prendre ou de refuser un poste. Les harkis ont assumé les tâches les plus ingrates, les plus usantes. Tout comme les ont assumées les personnes étrangères ou issues des différentes immigrations.
    Vivant d'abord en vase clos, ils ont peu à peu fait leur chemin, à force de courage et de volonté. Leurs enfants ont subi, à leur tour, d'autres humiliations. Ils n'ont jamais eu le sentiment d'être reconnus comme des Français à part entière. Aucun plan global n'a été mis en oeuvre pour les aider, notamment au sein de l'école de la République, qui aurait dû mettre les bouchées doubles pour ces déracinés. Ils ont été rejetés de tous côtés, traités comme des étrangers par les uns, comme des traîtres par les autres, et n'ont pu trouver leur juste place dans la société. Ils ne savaient plus qui ils étaient, ils avaient perdu tous leurs repères. Ils ont connu des « galères » successives, et beaucoup d'entre eux en sont encore là. Quand on les fréquente, on comprend leur rancoeur, leur déception, leur ressentiment. Ils aiment plus que tout la France, mais nombre d'entre eux sont aigris, car ils ont perdu la confiance en leur pays. Ils ont vu leurs parents vieillir, voire mourir, sans avoir été au moins reconnus.
    Les gouvernements successifs ne se sont penchés sur leur sort que tardivement et ponctuellement, et jamais vraiment sur le fond. Les lois de juillet 1987 et de juin 1994, adoptées à l'initiative de M. Jacques Chirac et de M. Edouard Balladur, ont constitué une réelle avancée dans le domaine de la réparation financière des dommages subis. Malheureusement, ces mesures n'ont plus été appliquées après 1997 et n'ont donc même pas réglé la question minimale d'une indemnisation digne.
    Plus récemment, M. le Président de la République a fait adopter la date du 25 septembre pour rendre un hommage annuel aux harkis. Celui-ci rappellera officiellement les services rendus à la France et les sacrifices consentis par cette communauté. Il s'agit d'un geste fort : la France reconnaît enfin publiquement qu'elle n'a pas su sauver ses enfants. En pérennisant cet hommage national, l'Etat d'aujourd'hui admet aussi les responsabilités de celui d'hier. Un mémorial devrait prochainement être érigé, rappelant l'histoire de ces grands oubliés - vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'Etat - de la guerre d'Algérie, et symbolisant notre reconnaissance.
    Néanmoins, malgré leur importance, ces gestes ne sont pas suffisants et la plaie reste ouverte ; il est urgent de la cicatriser. Nous devons prendre les mesures complètes, concrètes et définitives que nos amis attendent depuis si longtemps, des mesures qui leur permettront de devenir enfin des citoyens français à part entière.
    A l'instar d'autres parlementaires qui se sont préoccupés de ce problème, j'ai déposé, avec mes collègues du groupe UDF, une proposition de loi en ce sens. Elle n'est, certes, pas parfaite, mais elle a été rédigée avec l'aide d'un certain nombre d'associations et de personnalités de la communauté harkie. Je vais en développer les grandes lignes que l'on peut regrouper en quatre axes essentiels et indissociables : le devoir de mémoire que nous devons honorer enfin, la réparation des dommages subis, un dispositif de soutien pour la deuxième génération et, enfin, des mesures juridiques de protection et des mesures diplomatiques.
    Prioritairement nous devons nous attacher au devoir de mémoire en faisant connaître à nos compatriotes l'histoire de la communauté harkie. Cela ne se fera pas en un jour. Il faudra commencer cet apprentissage dès l'école primaire ou le collège. En effet, les jeunes doivent connaître leur histoire et celle de leurs camarades car il s'agit d'une donnée essentielle pour la réussite de la mixité. En effet c'est souvent l'ignorance qui provoque l'intolérance et cela est d'autant plus vrai dans des régions ou des agglomérations dont la population est riche d'une multiplicité d'origines.
    Cet apprentissage, qui passerait par les programmes scolaires, découlerait d'un enseignement serein, mais clair et précis, sur l'Algérie française, sur les événements ayant conduit au conflit, sur la guerre d'Algérie. Ces chapitres incluraient, bien entendu, la part notoire prises par les soldats harkis au sein de l'armée française. Toutefois la communication devrait aller bien au-delà et passer par des expositions itinérantes, des documentaires, des interviews, des débats, des reportages, car tout peut concourir à informer nos concitoyens. Il y faudra en tout cas une véritable volonté politique.
    En ce qui concerne la réparation, il ne faut pas oublier que les harkis ont tout quitté, tout abandonné sur leur terre, alors française, d'Algérie. Ils sont arrivés presque les mains nues et n'ont reçu que très peu d'aides. Il est donc évident que l'indemnisation de la première génération des harkis, moghaznis ou personnels des diverses formations supplétives, est la priorité.
    La plupart sont très âgés ; beaucoup ont même disparu. Il est de notre devoir d'accorder leur dû aux intéressés et à leurs familles. Une allocation forfaitaire, versée très rapidement et en une seule fois, compensera les pertes financières qu'ils ont subies. Par ailleurs, beaucoup d'entre eux ont acquis, à force de courage et de détermination, une résidence principale pour laquelle ils devraient pouvoir accéder aux aides à l'amélioration.
    En ce qui concerne la deuxième génération, faisons un distinguo entre ceux qui ont été rapatriés avec leurs parents, et ont donc subi pratiquement les mêmes souffrances, et les autres. Ils ont en effet connu la fuite précipitée, la peur, l'angoisse, les bateaux bondés, l'arrivée dans les camps avec les mêmes déplorables conditions de vie que leurs parents. Ils constituent une génération sacrifiée, n'ayons pas peur des mots. Eux aussi devraient donc avoir droit à une indemnisation digne, mais on peut imaginer qu'elle ferait l'objet de versements étalés dans le temps.
    Dans cette deuxième génération figurent aussi ceux qui, généralement nés en France, ont plus de vingt-cinq ans. Ils ont connu une autre sorte de galère, faite de rejets, d'échecs scolaires, de chômage, d'impossibilité de trouver un logement, autant de problèmes qui les ont conduits, parfois, à des dérives. Il faut leur donner une deuxième chance en prenant des mesures qui leur permettraient de reprendre pied dans la vie. On peut penser, notamment, au bénéfice des aides à l'accession à la propriété, mais aussi à la compensation financière des années de chômage ou de précarité dans laquelle nous les avons laissés.
    Le troisième axe est celui de l'insertion des jeunes de cette deuxième génération, principal enjeu pour l'avenir. Si nous ne sommes pas capables de rattraper le temps perdu et de donner un véritable coup d'accélérateur en ce domaine, nous ne ferons que mettre des emplâtres sur des jambes de bois. Des mesures concrètes, réalistes, proches du terrain doivent donc être mises en oeuvre.
    Il conviendrait tout d'abord - j'allais dire simplement - de commencer par réunir autour d'une même table tous les acteurs locaux de l'insertion, seul moyen permettant ensuite d'établir, pour chacun des jeunes au chômage, un plan individuel d'insertion.
    Dans le même temps, il faudrait inciter, par des exonérations de cotisations, les employeurs du secteur privé à embaucher ces jeunes en contrat à durée indéterminée. Pour encourager ceux ayant un emploi, il serait bon de leur proposer un parcours de qualification, voire la possibilité d'une réorientation professionnelle, soit en formation continue, soit en alternance.
    Nous devrions également favoriser leur intégration dans le service public. Ainsi les collectivités territoriales pourraient accueillir dans leurs services des jeunes qui souhaitent préparer les concours de la fonction publique dans le cadre d'une formation en alternance. Il est évident, en effet, que passer quelques mois dans une collectivité les aiderait concrètement à aborder leurs examens avec confiance. Cela leur donnerait aussi l'occasion de prouver, au sein de la collectivité, leurs compétences.
    Le dernier axe, mais non le moindre, reste la citoyenneté. Pour se sentir citoyen français à part entière, les harkis, moghaznis ou personnels des diverses formations supplétives ayant servi en Algérie, tout comme leurs enfants, doivent bénéficier de la libre circulation quelle que soit leur destination. On ne peut plus refuser, aujourd'hui, à un homme ou à une femme de retourner sur sa terre natale, la terre de ses ancêtres, la terre de son enfance. Pour vivre leur citoyenneté française, les jeunes des deuxième et troisième générations doivent, eux aussi, pouvoir découvrir leurs racines. C'est seulement ainsi qu'ils se reconstruiront, qu'ils se redonneront des repères.
    Enfin, dans le domaine de la justice - et cette mesure est primordiale - les personnes pratiquant le négationnisme ou le révisionnisme du drame harki doivent être sanctionnées par les peines prévues par la loi, comme cela est déjà prévu pour d'autres drames, vécus par d'autres communautés.
    Voici, en quelques mots, l'essentiel de ce qu'attend de nous la communauté harkie. Les propositions que je viens d'énoncer ne sont pas exhaustives. Elles seront enrichies, j'en suis certain, par les apports de l'ensemble de mes collègues de l'UMP comme de l'UDF. Cependant, le groupe UDF tient à réaffirmer combien il est urgent d'agir. Nous n'avons plus le droit de décevoir une communauté qui a patienté plus de quarante ans et dont je comprends l'exaspération, notamment celle des jeunes. Nous sommes aujourd'hui au tournant du chemin ; ne ratons pas l'occasion qui nous est donnée de nous grandir.
    La proposition de loi que j'ai déposée va en ce sens et tend à réparer, enfin et définitivement, les dommages de l'histoire. Elle correspond, dans ses grandes lignes, aux promesses qui ont été faites lors de la campagne de l'élection présidentielle. Le groupe UDF compte donc sur le Gouvernement pour mettre en oeuvre leur application. Vous annoncez un projet de loi pour les premiers mois de 2004 et je vous en remercie. Ainsi, j'espère que, une fois pour toutes, les harkis se sentiront des Français à part entière. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. François Liberti, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. François Liberti. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'indépendance de l'Algérie fut proclamée le 3 juillet 1962, après huit ans de guerre et 132 années de colonisation.
    Entre avril et juillet 1962, plus d'un million d'hommes, de femmes et d'enfants, de ceux que l'on a appelés les pieds noirs quittaient leur terre natale, abandonnant, pour la plupart d'entre eux, tout ce qui faisait leur vie, leur univers, leurs biens et patrimoines. Ils vivaient, pour la plupart, depuis quatre ou cinq générations sur cette terre et disent encore qu'ils étaient heureux là-bas, à quelques mètres de la mer pour beaucoup d'entre eux, qu'ils s'entendaient parfaitement avec leurs voisins algériens, que les jeunes grandissaient ensemble et qu'ils travaillaient dans les mêmes entreprises.
    Cette population a accompli, sur des terres ingrates et marécageuses, un travail considérable, ne ressemblant en rien au portrait qu'on en a fait. Rappelons, pour mémoire, que, sur un million de Français d'origine européenne, il y avait 22 000 agriculteurs, dont 13 000 possédaient moins de dix-sept hectares et seulement 450 plus de 1 000 hectares d'exploitations agricoles, propriétés, le plus souvent, de sociétés de capitaux métropolitains ou suisses. Pour le restant, cette population était essentiellement composée d'ouvriers, de pêcheurs, de cadres, de fonctionnaires, de commerçants, de membres des professions libérales et de retraités.
    Voilà comment des centaines de milliers de femmes, d'hommes et d'enfants sont devenus, pour la France, des dossiers classés dans la rubrique rapatriés. Ils luttent, depuis plus de quarante et une années, pour obtenir réparation des séquelles de la guerre d'Algérie. Certes, cette réparation ne résoudrait pas intégralement le contentieux moral et matériel né d'une indemnisation insuffisante et tardive des biens perdus pour la majorité des rapatriés. Toutefois elle aurait le mérite de les mettre à égalité dans l'ensemble des mesures partielles prises en leur faveur.
    Les victimes de la guerre d'Algérie sont d'abord les Algériens eux-mêmes, qu'ils s'appellent Larbi Ben M'hidi, dirigeant FLN pendu par les commandos d'Aussaresses ou Maurice Audin, mort sous la torture, qu'il s'agisse des soldats du contingent qui sont tombés au combat, des victimes civiles de tous bords, qui ont subi les massacres avec, parmi elles, celles de souche européenne et les harkis. Ces derniers ont vécu un véritable drame subissant, outre les pertes humaines et les blessures dans leur chair, l'exode en France, les repas de la soupe populaire, les vêtements de récupération des associations caritatives, les centres d'accueil peu accueillants, les lits de camp dans des garages transformés en dortoirs, l'humiliation, le mépris. A partir de là l'injustice a fait partie de leur quotidien.
    Ils attendent toujours de la France, non une repentance, mais une condamnation de la politique qui a plongé un peuple entier dans le malheur. La France a envers les Français d'Afrique du Nord, toutes confessions confondues, un devoir de mémoire. Cette communauté, qui représente aujourd'hui plus de deux millions de personnes, souffre d'avoir été maltraitée par les gouvernements successifs et les médias durant des décennies. Elle a droit à la reconnaissance de l'Etat pour les malheurs qu'elle a subis durant les huit années de guerre, sans qu'elle porte la moindre responsabilité.
    L'aspiration légitime du peuple algérien à l'indépendance a été traitée d'une manière différente qu'en Tunisie ou au Maroc, car, en Algérie, les intérêts politiques et économiques, les profits attendus des ressources du sous-sol, les intérêts stratégiques et militaires ont dominé les actes politiques et ont relégué au second plan la dimension humaine, dans la plus totale ignorance de l'évolution du monde, des sociétés et du fait colonial.
    Toutes les victimes de la guerre d'Algérie ont besoin non pas de campagnes de haines recuites, mais de vérités et de la reconnaissance de droits qui soient effectivement appliqués. La complexité de l'histoire de la colonisation, du développement de l'Algérie comme nation, l'évolution des hommes et des femmes qui ont fait ce pays, les décisions politiques prises par les gouvernements successifs de la France à l'égard de ce pays et de son peuple dans toutes ses composantes, nous conduisent à proposer qu'un collectif indépendant d'historiens travaille en toute objectivité sur cette histoire et prenne en considération toutes ses données, tous ses drames.
    M. Maxime Gremetz. Très bien !
    M. François Liberti. En ce qui concerne les vérités, la première d'entre elles consiste à reconnaître et à affirmer que la guerre n'aurait pas dû avoir lieu,...
    Mme Hélène Mignon. Bien sûr !
    M. François Liberti. ... que ceux qui l'ont condamnée dès le départ avaient raison...
    Mme Hélène Mignon. Tout à fait !
    M. François Liberti. ... et que, pour le moins, on devrait leur en donner acte aujourd'hui, ne serait-ce que pour que cela ne recommence plus, dans quelque circonstance que ce soit.
    Ces victimes ont également besoin de vérités historiques. Il faut donc ouvrir les archives relatives à la période du conflit ainsi qu'aux années qui l'ont précédé et suivi. Cela devient impératif. Tout n'était pas blanc ou noir. Des clivages existaient partout, tant parmi les citoyens d'origine européenne qu'au sein de la société algérienne. Dans une famille, on pouvait trouver des gens de bonne volonté, des ultraracistes et des extrémistes.
    En cette année 2003, une nouvelle étape a commencé avec la célébration de l'année de l'Algérie en France. Le souvenir et la mémoire, sans conteste douloureuse, amère et respectable pour celles et ceux qui payèrent le prix d'une histoire pétrie de trop de sang, d'oppression, d'exploitation, de mépris et de haine, sont plus que jamais d'actualité. La sélection provoquée pour raison d'Etat a conduit la France à ne pas assumer ses responsabilités vis-à-vis des Français d'Algérie qui, dans ces circonstances tragiques, sont entrés en France dans le plus grand désordre et ont été accueillis, le plus souvent, dans l'indifférence quasi générale, l'agacement, voire, souvent, dans l'hostilité et l'humiliation.
    M. Jean-Pierre Grand. Surtout à Marseille !
    M. Maxime Gremetz. Un peu de dignité !
    M. Jean-Pierre Grand. C'est une vérité historique !
    M. François Liberti. Quarante et une années se sont écoulées. Beaucoup d'entre eux sont décédés, et les autres partiront à un rythme de plus en plus rapide, le poids des ans faisant son effet. Il est donc urgent de légiférer.
    La présentation, par le Gouvernement de la République, d'un projet de loi de réparation est une nécessité qui constituerait à la fois un acte de respect à l'égard de toute une population de rapatriés et de harkis, un rappel de mémoire et une libération des consciences d'hommes encore aujourd'hui marqués par les drames de leur jeunesse et qui ont besoin de faire le deuil de cette guerre.
    C'est avec beaucoup de tergiversations que le dossier des rapatriés d'Afrique du Nord a été instruit depuis 1962. Alors que les gouvernements successifs se sont engagés à finaliser le bilan de l'action de la France en la matière, les lois mises en place par le législateur ont parfois été détournées de leurs objectifs jusqu'à contribuer parfois à créer des situations d'injustice entre les rapatriés. Nombreuses ont été les interventions et les questions écrites des parlementaires communistes et républicains depuis de nombreuses années, portant témoignage d'une action constante et permanente en faveur de la clarté et d'une juste réparation.
    Les différentes délégations que j'ai rencontrées tant durant la précédente législature que depuis 2002, les discussions que j'ai eues avec elles, au nom du groupe communiste et républicain - tout dernièrement encore en compagnie de mon collègue Maxime Gremetz, qui suit aussi ce dossier de près - me laissent à penser que la manière dont les conditions d'indemnisation et de réinstallation ont été traitées jusqu'à présent, a aggravé le mécontentement, malgré quelques avancées.
    Très à l'écoute de ces délégations, je suis même intervenu, comme d'autres députés, pour demander la création d'une commission parlementaire afin d'analyser le bilan de la situation des rapatriés et de rechercher les mesures de nature à mettre un terme à ce contentieux.
    M. Jean-Pierre Grand. Qu'avez-vous fait pendant vingt ans ?
    M. François Liberti. Mon cher collègue, je crois qu'il faut conserver beaucoup de dignité à ce débat...
    M. Jean-Pierre Grand. Alors il ne faut pas dire n'importe quoi !
    M. François Liberti. ... si l'on veut vraiment le conclure dans le sens que souhaitent les rapatriés. (Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Jean-Pierre Grand. Surtout les communistes !
    M. François Liberti. On pourrait s'amuser longtemps à ce petit jeu !
    M. Maxime Gremetz. Rappel à la dignité !
    M. François Liberti. Quarante et un ans après, ce contentieux n'est toujours pas réglé, et tout laisse à penser que, si rien n'est fait, la persistance des blocages existants développera le mécontentement et les ressentiments de la communauté des rapatriés. Il est donc temps que la France assume toutes les responsabilités qu'elle n'a pas pu assumer jusqu'à présent.
    En ce qui concerne l'indemnisation, nul ne peut ignorer que plus d'un million de Français de toutes confessions ont été déracinés, parfois dans un complet dénuement, à quelques exceptions près. La France, garante des accords, n'a rempli que partiellement ses obligations par trois lois de contribution à l'indemnisation. Malheureusement, au bout du compte, qu'on les impute au retard, à l'étalement ou au plafonnement des aides, ces lois n'ont représenté, au mieux, que 40 % de la somme qu'aurait dû atteindre l'indemnisation en capital.
    En effet, ces trois lois d'indemnisation qui ont représenté, en francs courants, 9,8 milliards en 1970, 18,7 milliards en1978 et 27,9 millards en 1987 auront permis la mise en oeuvre d'un total de 56,4 milliards de francs courants, soit 11,22 milliards de francs de 1962.
    On peut d'ailleurs noter au passage que, dans ce dossier comme dans bien d'autres, ce sont les petites gens, ouvriers, salariés, qui ont été les moins bien placées alors que les grosses entreprises, notamment pétrolières et bancaires, et les grands propriétaires fonciers ont été bien servis.
    Ces lois, d'application différée et étalée dans le temps, ont entraîné une privation de jouissance qui n'a jamais été prise en compte, alors qu'elle n'était pas loin de doubler le préjudice.
    Malgré le côté restrictif de ces lois en termes d'indemnisation, le comité de liaison des associations nationales de rapatriés ne demande pas la révision des barèmes d'évaluation officielle, mais propose essentiellement l'application d'un coefficient correcteur équitable et loyal aux sommes antérieurement liquidées. Il propose également une modification du dispositif pluriannuel pour contribuer au règlement plus rapide des situations en attente, notamment celles touchées par une insuffisance notoire de couverture et par les lacunes des lois de réparation qui sont aujourd'hui bien identifiées, qu'il s'agisse des règles de plafonnement, des parts sociales détenues par les petits porteurs, des ventes forcées, ou du cas des enfants français nés d'étrangers non indemnisés. Je crois que la représentation nationale doit entendre ceux qui sont concernés et prendre ensuite les dispositions nécessaires à l'apurement définitif de ces dossiers.
    Concernant ce que l'on a coutume d'appeler la réinstallation, il faut avoir un regard lucide sur la réalité : les dossiers non encore traités affectent trop souvent des personnes dans une situation matérielle et morale préoccupante. Le Parlement avait adopté trois textes visant à la suspension des poursuites au bénéfice des rapatriés et à l'aide au désendettement. En outre, la loi de finances rectificative de 1998 avait envisagé la création d'une commission nationale chargée d'étudier les ultimes dossiers...
    M. Jean-Pierre Grand. « Envisagé » !
    M. François Liberti. ... et des dispositions pour aider au désendettement.
    Là aussi, on s'est heurté à bien des blocages, qui existent encore, si bien que des centaines de dossiers restent en souffrance. C'est le cas dans ma circonscription où de nombreux marins-pêcheurs sétois rapatriés, - mais c'est aussi le cas dans la quasi-totalité des autres ports de la Méditerranée - sont depuis longtemps en attente du passage de leur dossier en commission de désendettement.
    M. Jean-Pierre Grand. Que ne l'avez-vous fait !
    M. François Liberti. Et, de ce point de vue, le rapport commandé par le Gouvernement est révélateur : alors qu'un rapport de l'inspection générale des finances en 2001 notait que 290 dossiers étaient éligibles, dont 28 plans d'apurement approuvés et 17 dont les aides étaient payés par l'Etat, nous avons aujourd'hui 503 dossiers éligibles, dont 83 auraient vu leur plan d'apurement approuvé et 40 dont les aides de l'Etat seraient payées.
    Cet exemple, dont il faut remercier notre collègue, M. Diefenbacher, nous ramène à ce vieil adage selon lequel « lorsqu'on n'avance pas, on recule ! »
    Au-delà, que nous indique-t-il ? Que le renforcement des effectifs est notoirement insuffisant et que, au train où vont les choses - 88 plans d'apurement ont été réalisés depuis 1999, date d'installation de la commission nationale de désendettement des rapatriés installés dans une profession non salariée, soit 22 plans par an en moyenne -, il faudra quarante et un ans supplémentaires pour boucler les 900 plans recensés par le rapporteur !
    M. Maxime Gremetz. Patience, patience !
    M. François Liberti. Cette situation de blocage a bien évidemment fait réagir les associations de rapatriés, qui exigent que l'aide de l'Etat soit décidée avant le démarrage de la négociation entre rapatriés et créanciers. Ainsi, les plans d'apurement pourraient aboutir plus rapidement.
    De ce point de vue, et afin de débloquer la négociation avec les créanciers, le taux de la participation de l'Etat à la prise en charge des dettes du réinstallé doit être suffisamment incitatif. Il doit aussi être adapté aux réalités spécifiques de certains dossiers.
    Le rapport évoque également cette question mais les principales associations concernées, après en avoir discuté, proposent de le compléter, en suggérant que le principe doit être un effacement de 50 % non limité en volume pour le passif général, et de 100 % pour le passif social non rémissible par les caisses. Cette disposition aurait l'avantage d'éviter des effets de seuil, souvent désastreux et provoquant systématiquement des demandes de dépassement.
    M. Maxime Gremetz. Très bien !
    M. François Liberti. Deux exceptions pourraient être faites à ce système :
    Tout d'abord, les dossiers comportant une dette égale ou supérieure à un million d'euros feraient l'objet d'une expertise particulière. La part de l'intervention de l'Etat serait modulée en fonction de cette expertise.
    Deuxièmement, pour les dossiers à dominante sociale, au passif de l'ordre de 230 000 euros maximum, et exonérés de l'impôt sur le revenu, la subvention de l'Etat pourrait excéder le taux forfaitaire de 50 %.
    M. Maxime Gremetz. C'est une proposition intelligente !
    M. François Liberti. J'ajouterai que, compte tenu des délais de traitement des dossiers depuis la mise en place de la CNAIR, les dettes à prendre en compte dans le passif éligible aux mesures de désendettement doivent être celles recensées au 31 décembre 2003, et non au 31 décembre 1998, comme c'est le cas actuellement. Il faut donc bouger le curseur. C'est le prix à payer pour les retards et blocages qui ont souvent contribué à aggraver l'endettement.
    M. Jean-Pierre Grand. Vous ne manquez pas de culot !
    M. François Liberti. Selon les informations qui sont en ma possession, un peu plus d'un millier de « réinstallés dans une profession non salariée » ont fait appel aux commissions départementales, les CODAIR.
    M. Jean-Pierre Grand. Les communistes étaient avec le FLN, et maintenant ils s'occupent d'indemnisation ! C'est un scandale !
    M. François Liberti. Monsieur le président, faites taire notre collègue, qui ne respecte pas ce débat qui se déroule dans la dignité !
    M. le président. S'il vous plaît, poursuivez votre démonstration. Vous avez la parole.
    M. Jean-Pierre Grand. La dignité voudrait que vous ne soyez pas à la tribune ! C'est un scandale, monsieur le président !
    M. le président. Monsieur Grand, calmez-vous ! Et écoutez le porte-parole du groupe des député-e-s communistes et républicains, comme ceux des autres groupes.
    M. Maxime Gremetz. Nous n'avons interrompu personne, nous !
    M. Jean-Pierre Grand. Les communistes ne devraient pas parler à cette tribune, pas aujourd'hui !
    M. Kléber Mesquida. Ça vous gêne d'assumer les conséquences de l'histoire !
    M. Jean-Pierre Grand. On en parlera tout à l'heure !
    M. le président. Pas d'intervention parasite !
    M. Maxime Gremetz. Monsieur le président, dites à notre collègue de respecter la dignité de nos débats !
    M. le président. S'il vous plaît !
    Poursuivez, monsieur Liberti !
    M. François Liberti. A ce jour, quelques centaines de dossiers restent donc à traiter. Ce sont en général les plus complexes : endettement important, contentieux fiscal devant les tribunaux de grande instance, saisie par règlement à tiers détenteurs, contentieux devant les tribunaux des affaires sociales.
    Mais nous ne saurions oublier la question des disparus. Depuis ces tragiques événements, avant et après le cessez-le-feu, leur nombre est estimé à plus de 3 000. Ce chiffre semble être admis, tant par les autorités algériennes que françaises, même si une enquête de la Croix-Rouge internationale, réalisée de mars à septembre 1963, laisse supposer qu'il a été minoré.
    Dans sa proposition n° 5, le rapport de M. Diefenbacher propose une enquête sur le sort des disparus par un comité des sages comprenant des magistrats, un représentant du Haut Commissariat aux réfugiés auprès de l'ONU et une personne qualifiée, désignée par le ministre chargé des rapatriés. Les familles sont exclues de cette instance, ce qui est en contradiction avec leur attente, qualifiée par notre collègue de « si forte et si digne ». Selon moi, ce n'est pas admissible et je partage la préoccupation du comité de liaison des associations nationales de rapatriés qui considère, à juste titre, que le comité des sages proposé par le rapport n'aura ni le poids ni l'efficacité escomptés.
    Mieux vaudrait créer une commission réellement paritaire à laquelle participeraient les familles. Cette participation lui donnerait beaucoup plus de crédibilité et, de ce fait, elle devrait être plus écoutée.
    M. Maxime Gremetz et M. Kléber Mesquida. Très bien !
    M. François Liberti. Le comité de liaison propose aussi d'assouplir l'article 7, cinquième alinéa, de la loi du 3 janvier 1979 relatif aux archives, afin que les familles puissent y avoir directement accès.
    Ce débat est très attendu par la communauté des rapatriés et je suis de ceux qui pensent que c'est une bonne chose, à condition que ses conclusions ne restent pas lettre morte.
    L'histoire des guerres s'arrête malheureusement trop souvent aux événements tragiques et la littérature ne traite pas les conséquences nombreuses sur les familles des victimes.
    Au risque de me répéter, je considère que l'Etat a des responsabilités à l'égard des rapatriés et des harkis. Il est temps que les élus de la nation mettent un terme à ce dossier. Les rapatriés ont trop souffert de ce que l'on pourrait qualifier d'une « exclusion législative et réglementaire », et un nombre trop important d'entre eux ont été des laissés-pour-compte.
    Avec ce débat, nous sommes mis devant le fait accompli : les souffrances d'une partie de nos concitoyens ont été trop longues. Il est de notre responsabilité à tous de les libérer du poids de l'histoire, de conforter leur intégration à la communauté métropolitaine et, ainsi, de renforcer l'unité de la République.
    Il est grand temps, à l'issue de ce débat, de prendre des décisions et de légiférer dans le sens des attentes de la communauté des rapatriés.
    Le groupe des député-e-s communistes et républicains propose, vous l'avez annoncé dans votre intervention, monsieur le secrétaire d'Etat, et nous vous approuvons, que le Gouvernement soumette, en urgence, dès la session de rentrée 2004, une loi de réparation forte dont l'objectif doit être de compléter les dispositions déjà prises en faveur des rapatriés et des harkis, et surtout de corriger les inégalités et les insuffisances largement dénoncées par toutes les associations. La représentation nationale s'honorerait d'accomplir, enfin, cette mission si souvent différée. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
    M. Jean-Pierre Grand. Vous avez tous les culots ! Il n'y a que les communistes pour avoir autant d'estomac !
    M. Kléber Mesquida. Cela vous gêne d'assumer l'héritage du gaullisme !
    M. Jean-Pierre Grand. Je préfère être gaulliste que communiste !
    M. le président. Je vous demande de garder le silence. Ce débat doit conserver sa dignité. Chacun a pu s'exprimer selon ses convictions.
    La parole est à M. le président de la commission de la défense nationale et des forces armées.
    M. Éric Raoult. Voilà un homme de coeur !
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, voici quarante ans se tournait une page importante de l'histoire de notre pays, celle qui avait vu la France oeuvrer, durant plus d'un siècle, à la mise en valeur de terres arides et peu fertiles situées de l'autre côté de la Méditerranée.
    Cette histoire, nous le savons tous, a été faite de passion et d'amour, faite aussi de blessures et de confrontations. Cette histoire a marqué durablement et marque encore toute la nation française.
    Pour tous ceux qui, à un titre ou à un autre, ont vécu ces années tragiques, l'évocation des relations entre la France et les pays d'Afrique du Nord est toujours empreinte d'une grande émotion et d'une vraie nostalgie. De 1952 à 1962, notre pays a été marqué par dix ans de luttes et de combats, dix ans qui troublèrent les consciences, déchirèrent notre peuple et contraignirent des centaines de milliers de nos concitoyens à abandonner une terre où ils étaient nés, où ils avaient les tombes de leurs aïeux et à laquelle ils étaient profondément et charnellement attachés.
    M. Éric Raoult. Très bien !
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale. Nous savons les deuils cruels et les déchirures que les combats ont engendrés. Soldats de métier, appelés du contingent, Français musulmans ont défendu côte à côte les mêmes idéaux, ou plus simplement un idéal simple et connu de tous, celui de la République.
    De cette expérience-là, nul n'est revenu vraiment indemne. La vie de ces jeunes gens s'en est trouvée bouleversée à jamais. Chacun a été marqué par la rudesse des engagements, le spectacle de la souffrance et quelquefois de la mort. L'isolement et le dépaysement sont venus s'y ajouter.
    Nous ne devons pas oublier les sacrifices consentis par ces Français-là, la foi qui les a animés, de même que la valeur de leurs engagements et le courage qu'ils ont déployé sous les armes. Ces événements furent tragiques, avec cette guerre qui, longtemps, ne voulut pas dire son nom,...
    Mme Hélène Mignon. C'est grâce à nous qu'elle a été reconnue comme telle !
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale. ... avec ses destructions, ses souffrances, ses victimes et enfin l'exode de plus d'un million de personnes. Ah ? nous n'étions pas nombreux, sur le port de Marseille, à attendre nos concitoyens venus de l'autre côté de la Méditerranée. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Kléber Mesquida. Eh oui !
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale. Pendant que certains les accueillaient, d'autres considéraient que c'était « sur le fumier de l'Algérie que proliférait le champignon du fascisme ». J'ai encore les phrases inscrites dans ma mémoire. Je n'ai rien oublié.
    Mme Michèle Tabarot. Bravo !
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale. Cet exode, ce déracinement, nous ne saurions les oublier.
    M. Maxime Gremetz. Nous n'avons rien oublié !
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale. Nous non plus.
    De même, nous ne saurions oublier ces millions de Français pieds-noirs qui furent des pionniers, des bâtisseurs, des administrateurs dévoués qui mirent leur ardeur, leur talent et leur coeur à construire des routes et des villages à ouvrir des écoles, des dispensaires, des hôpitaux, à faire produire à la terre ce qu'elle avait de meilleur. Le soldat, l'administrateur, le médecin, le maître d'école, l'ingénieur et l'ouvrier ont transformé un immense territoire aux trois quarts désert en champs fertiles et en cités prospères.
    M. Maxime Gremetz. Ils n'ont pas inventé le pétrole tout de même !
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale. Taisez-vous monsieur Gremetz ! Tout à l'heure, vous nous avez demandé d'écouter votre camarade, ce que nous avons fait. Alors, écoutez-moi à votre tour ! Merci d'avance. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Maxime Gremetz. Il ne faut jamais me dire d'arrêter !
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale. Plus de quarante ans après l'indépendance de l'Algérie, l'attente des rapatriés et des harkis reste vive. Nous le comprenons. Nous le partageons. Cette douleur est tellement humaine.
    Ça vous gêne, monsieur Gremetz, qu'on dise des vérités.
    M. Maxime Gremetz. Il y en a qui ont beaucoup sur la conscience !
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale. Monsieur le président, pouvez-vous le faire taire ?
    M. le président. Monsieur Gremetz, laissez M. Teissier poursuivre.
    M. Maxime Gremetz. Il me dit de me taire mais, ensuite, il m'interpelle !
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale. Ne nous faites pas le coup de la victime, tout de même !
    M. le président. Poursuivez, monsieur Teissier !
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale. Pour tous ces rapatriés, il a fallu tout quitter pour toujours et, avec les enfants, tout recommencer ; avec, bien souvent, des pleurs et des larmes et dans des conditions d'accueil qui n'ont pas honoré la République. Ces « Français de là-bas » ont été deux fois meurtris : chassés de la terre qui les avait vu naître, ils se sont trouvés étrangers dans leur propre pays.
    Parce qu'il attache une importance particulière à la politique menée en faveur de nos compatriotes rapatriés, le Gouvernement souhaite parachever l'effort de solidarité nationale. C'est pourquoi le Premier ministre a confié, dans un premier temps, à notre collègue Michel Diefenbacher un rapport afin d'éclairer les choix qui devront être faits en ce domaine.
    Notre assemblée est aujourd'hui réunie, et c'est la deuxième étape, pour débattre de la politique de la nation envers les rapatriés, à travers les deux piliers complémentaires que constituent l'effort de solidarité nationale et la promotion de l'oeuvre collective de la France d'outre-mer.
    Le rapport Diefenbacher présente une analyse précise des dispositifs de solidarité en vigueur, ainsi que de multiples propositions dont il faut souligner à la fois la grande rigueur et le réalisme. Il est possible d'en résumer toute l'ambition en deux mots : réparer, rassembler. La majorité actuelle peut donc s'enorgueillir de l'oeuvre accomplie. Elle peut être fière de ne jamais avoir oublié les sacrifices consentis par les rapatriés et les harkis.
    Toutefois, de nombreux rapatriés et harkis jugent cet effort de réparation insuffisant et inadapté. Et ils ont raison. Ces mesures n'ont pas répondu à toutes leurs difficultés. Et si certaines ont été mises en oeuvre rapidement en matière d'accueil et de réinstallation, l'indemnisation n'a, quant à elle, été engagée qu'à partir de 1970 ! Ces mesures doivent donc être poursuivies et prolongées, même si nous sommes conscients que la situation budgétaire actuelle ne permet pas de répondre à toutes les attentes.
    Il nous faut aussi rassembler, parce que le débat sur les rapatriés que nous avons aujourd'hui, ainsi que la journée d'hommage du 5 décembre, constituent un rendez-vous avec notre histoire, une histoire mal connue, douloureuse, et souvent déformée. Une histoire qu'il importe de rappeler aux Français, parce qu'elle témoigne de la souffrance d'hommes et de femmes qui, tout simplement, ont aimé leur pays.
    Profondément attachés aux valeurs nationales, conscients d'avoir servi leur pays, les rapatriés ressentent comme une profonde et douloureuse blessure le fait d'avoir été souvent regardés par une partie de l'opinion publique, notamment lors de la guerre d'Algérie, comme les responsables d'une situation dont ils étaient en réalité les premières victimes.
    C'est au nom de l'idée républicaine, à laquelle nous sommes tous attachés, qu'un hommage solennel est rendu aux anciens des forces supplétives, ceux que l'on a pris l'habitude d'appeler les harkis. Le devoir moral de la nation est de rendre hommage et fidélité aux combattants, qui ont lutté et parfois donné leur vie pour la France : harkis, moghaznis, tirailleurs, spahis, membres des forces régulières et des forces supplétives des groupes mobiles de sécurité ou des groupes d'autodéfense.
    Sans doute une France profondément marquée et divisée par le conflit algérien n'était-elle pas préparée à l'accueil des harkis.
    M. Kléber Mesquida. Ça, c'est sûr !
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale. En dépit de l'intervention de l'Etat et des collectivités locales et de l'action généreuse de nombreuses associations, les difficultés de l'accueil initial, marqué par le confinement dans des camps dont je me rappelle encore l'éloignement et la misère, ont conduit à des situations de précarité et parfois d'extrême détresse dont les conséquences sont encore visibles aujourd'hui.
    M. Kléber Mesquida. Qui avait construit ces camps ?
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale. Qu'avez-vous fait après pour que ça change ? Un peu de pudeur !
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Pas de leçons !
    M. Maxime Gremetz. On n'est pas à l'armée, ici !
    M. le président. Allons, mes chers collègues !
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale. Si le regroupement des familles de harkis pouvait s'expliquer dans les premières années par la nécessité de les protéger des attentats dont elles pouvaient être les victimes, cette situation a malheureusement été prolongée alors qu'elle n'aurait dû être que transitoire. C'est une erreur dont découlent aujourd'hui un grand nombre de nos maux. C'est pourquoi il nous appartient, par devoir, de corriger les anomalies et de combler les lacunes qui subsistent. Nous les savons importantes.
    De nombreuses propositions, aussi réalistes que justes, sont présentées dans le rapport Diefenbacher. Pour ma part, je me permettrai d'insister sur quelques-unes d'entre elles.
    S'agissant des réparations matérielles, deux mesures essentielles doivent permettre de parachever l'effort de solidarité nationale : d'abord, restituer aux rapatriés les sommes qui ont été prélevées au titre du remboursement des emprunts par les lois de 1970 et 1978,...
    M. Kléber Mesquida. Enfin !
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale. ... mesure qui bénéficierait à 90 000 personnes et coûterait près de 300 millions d'euros ; ensuite, compléter les aides aux harkis, en leur permettant de choisir entre le doublement de l'allocation de reconnaissance et une augmentation de la rente de 30 % accompagnée d'une indemnité de 20 000 euros.
    S'agissant du travail de mémoire, il importe de faire du mémorial de la France d'outre-mer à Marseille, ma ville, non seulement un haut lieu de souvenir, mais aussi un centre national de recherche, d'échange, de diffusion et de promotion. Il conviendra naturellement d'associer étroitement les témoins à la définition du message historique qui y sera diffusé. Ce mémorial permettra de réhabiliter notre mémoire nationale en exposant des données historiques et objectives sur les actions et réussites de la France et de ses citoyens au-delà des mers. L'engagement résolu de la ville de Marseille, de son maire et de ses élus afin qu'aboutisse ce projet est un message fort adressé à nos compatriotes rapatriés et harkis. Quoi de plus symbolique, finalement, que l'installation de ce mémorial de la France d'outre-mer dans la ville de Marseille, ouverte sur la Méditerranée, carrefour fraternel des peuples et des civilisations ?
    M. Michel Diefenbacher. Très juste !
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale. La France peut en effet être fière de l'oeuvre accomplie par ses enfants dans les territoires d'outre-mer : les réalisations sont innombrables.
    Au-delà, il apparaît important de créer au sein du ministère de l'éducation nationale un groupe de réflexion sur la place réservée à l'oeuvre française outre-mer dans les manuels scolaires. Je sais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous vous y êtes attelé, mais la tâche sera longue et difficile.
    Enfin, la nécessaire préservation des cimetières français en Algérie doit prendre corps et s'intensifier. Telle a été la préoccupation du Président de la République lors de son voyage officiel en Algérie en mars 2003. Afin que les milliers de sépultures de nos compatriotes de toutes confessions bénéficient du respect qui leur est dû, il convient d'accroître les efforts de sauvegarde entrepris. Ces cimetières représentent en effet pour les rapatriés une partie de leur mémoire personnelle et familiale et témoignent aussi de l'histoire commune de nos deux pays. Certaines collectivités locales, à l'approche des échéances électorales futures, font des annonces tonitruantes. Qu'en est-il exactement, et que compte faire le Gouvernement en la matière ?
    M. Kléber Mesquida. Nous verrons bien !
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale. Si vous me permettez une remarque plus personnelle mais qui, je crois, nous engage tous, je regrette que les conclusions du rapport tendent à écarter de la prochaine loi d'indemnisation les supplétifs de souche européenne, c'est-à-dire les supplétifs non musulmans d'Algérie.
    M. Kléber Mesquida. C'est une discrimination.
    M. Guy Teissier, président de la commission de la défense nationale. Ces supplétifs, quelle qu'ait été leur origine ou leur religion, ont défendu la même cause, porté le même uniforme et connu le même destin. Bon nombre d'entre eux sont morts pour la France.
    Mesdames, messieurs, en dépit des affres du déracinement, en dépit, souvent, d'un sentiment d'injustice face à l'incompréhension des autres, les rapatriés de toutes origines ont su trouver peu à peu leur place dans la communauté nationale grâce à leur dignité, à leur travail, à leurs talents et à leur courage. Que de brillantes réussites parmi eux, dans tous les domaines !
    Cette longue histoire commune qui unit la France avec les rives de la Méditerranée et d'autres continents a été bâtie par des femmes et des hommes profondément attachés à leur terre natale mais aussi à leur patrie et à leurs couleurs.
    Dire cela, c'est rappeler les devoirs particuliers que la France a envers tous ses concitoyens rapatriés qui ont connu la douleur de l'exil et les difficultés de l'installation en métropole.
    Dire cela, c'est marquer que la République refuse l'oubli et ne peut s'accomoder d'aucune forme d'abandon à l'égard d'un seul citoyen, et je pense à cet instant plus particulièrement à mes amis harkis.
    Dire cela, c'est affirmer enfin que l'Etat assume son histoire et ses responsabilités.
    C'est pourquoi je tiens à répéter l'indéfectible soutien de la majorité afin que le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin apporte les réponses que les rapatriés et harkis espèrent. Nous attendons avec impatience, ici à l'Assemblée nationale, l'examen du projet de loi que vous nous avez annoncé, afin que soit poursuivie la politique de solidarité nationale en faveur des rapatriés.
    Albert Camus disait : « Pour ceux qui connaissent les déchirements du oui et du non, du midi et des minuits, de la révolte et de l'amour, pour ceux qui aiment les bûchers devant la mer, il y a là-bas une flamme qui les attend ».
    Cette flamme vacillante et pourtant si vivace, c'est celle de la mémoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La séance est suspendue pendant quelques instants.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures vingt.)
    M. le président. La séance est reprise.
    La parole est à M. Michel Diefenbacher.
    M. Michel Diefenbacher. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ils étaient des pionniers. Partis les mains nues, arrivés dans un monde souvent hostile, confrontés à une nature rebelle, ceux que l'on appelait les colons avaient au fond des yeux le rêve d'une vie nouvelle et d'un empire sans frontières. Leur arme était le courage, leur force était la persévérance, leur passion était la volonté de servir et de construire.
    Ils étaient des bâtisseurs : c'est de leurs mains qu'ils ont aménagé les terres, construit des villes, édifié des dispensaires, des hôpitaux et des écoles, tracé des routes et des voies de chemin de fer, donnant aux populations une protection sanitaire qu'elles n'avaient jamais connue et aux territoires une prospérité qu'ils n'ont jamais retrouvée.
    Ils étaient des patriotes et souvent des soldats : toutes origines confondues, ils ont donné à l'armée ces unités d'élite que sont les zouaves, les fantassins, les tirailleurs d'Afrique et tant d'autres encore qui ont servi et honoré le drapeau sur tous les champs de bataille de l'Europe et du monde. N'oublions pas que tous ces combattants ont participé à la libération de la France, qu'ils ont contribué à lui rendre sa liberté et son honneur dans la lutte sans merci menée avec les Alliés contre l'envahisseur nazi.
    Les Français d'outre-mer ont édifié des sociétés infiniment plus complexes et plus riches que celles que l'on décrit parfois. Il n'y avait pas, d'un côté, les Français et, de l'autre, les autochtones, les premiers monopolisant l'avoir, le savoir et le pouvoir, les seconds étant maintenus dans la misère, l'ignorance et la dépendance. En Afrique du Nord, Andalous et Siciliens, Napolitains et Maltais formaient avec les Arabes et les Berbères, avec les réfugiés d'Alsace-Moselle et les descendants des insurgés de la Commune de Paris, une société originale et diverse, où l'on voyait émerger une intelligentsia brillante et critique, attachante et contestataire, bref une intelligentsia profondément méditerranéenne et profondément française.
    Bien sûr, cette oeuvre en plein devenir était loin d'être parfaite. Bien sûr, beaucoup d'erreurs ont été faites. Si les richesses augmentaient, si le savoir se diffusait, si les endémies reculaient, l'intégration sociale piétinait. La diffusion du savoir et l'amélioration du niveau de vie ne pouvaient que rendre chaque jour cette situation plus inacceptable. Il y avait, là-bas comme ici, à cette époque comme aujourd'hui, les forces du progrès et celles du conservatisme, et ces forces transgressaient largement les clivages ethniques et politiques.
    Malgré toutes les difficultés et les réticences que l'on sait, une dynamique sociale était engagée. A l'évidence, il était trop tard pour empêcher le rêve de l'émancipation de se former et le grand vent de l'histoire de se lever. Ce vent a emporté les hommes et, avec eux, leurs familles, leurs oeuvres et leurs espérances. Et, comme son souffle n'était sans doute pas assez fort pour effacer leurs traces, d'autres hommes s'y sont à leur tour employés. Là-bas, on a profané les tombes et saccagé les monuments aux morts. Ici, de beaux esprits ont voulu nous convaincre et faire croire à nos enfants que ce rêve de grandeur était une oeuvre de honte. Au nom des idéologies marxiste et tiers-mondiste, ces beaux esprits ont voulu salir ce qui devait être respecté.
    Pendant ce temps, dans le silence et la résignation, les pionniers, les bâtisseurs, les patriotes sont devenus, les uns après les autres, des rapatriés. Ils se sont efforcés d'oublier leur passé, de cacher parfois leurs origines, essayant de se fondre dans cette France qu'ils découvraient bien différente de celle dont ils avaient rêvé. Aussi longtemps que ces affronts n'auront pas été lavés, aucun effort de solidarité de la nation, quelle que soit son importance, ne sera jugé satisfaisant.
    C'est cette conviction qui m'a guidé tout au long de l'étude que m'a confiée le Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, et dont je lui ai remis les conclusions en septembre dernier. Je ne détaillerai pas les trente et une propositions auxquelles je suis arrivé. Je me limiterai aux trois grandes priorités que j'ai définies, et qui sont : reconnaître, réparer et intégrer.
    Reconnaître, c'est d'abord prendre la mesure de l'importance de l'oeuvre qui a été accomplie, et dire solennellement la fierté que suscite l'action de ces agriculteurs, de ces entrepreneurs, de ces artisans, de ces enseignants, de ces médecins, de ces prêtres, au service d'une économie plus prospère et d'une société plus juste. Bien sûr, comme toutes les oeuvres humaines, cette action a eu ses insuffisances, ses déviations et ses manquements. Bien sûr, nous ne la conduirions plus aujourd'hui comme à l'époque. Mais gardons-nous de tout jugement simpliste et manichéen sur la colonisation, sachons replacer cette aventure dans son contexte historique et faisons preuve d'un peu de modestie en nous demandant, nous aussi, comment seront jugées demain les actions que nous conduisons aujourd'hui avec les meilleures intentions.
    Reconnaître, c'est aussi mesurer les souffrances générées par la guerre, par l'indépendance et par le retour, souffrances des 60 000 à 80 000 harkis - peut-être plus - qui ont été torturés et massacrés avec la plus abominable des barbaries, souffrances de tous les autres rapatriés venus d'Indochine, d'Algérie, du Maroc, de Tunisie et d'ailleurs, qui ont perdu leurs racines et, aujourd'hui encore, ont parfois tant de mal à trouver leur place dans la société française, souffrances de nos soldats morts pour la France et de leurs familles, souffrances des rapatriés d'origine européenne - je pense notamment au million de rapatriés d'Algérie pour qui le cessez-le-feu du 19 mars 1962, loin d'être une étape décisive vers la paix et la réconciliation, a été le début d'un long et douloureux calvaire -,...
    M. Jean-Pierre Grand. Bravo !
    M. Michel Diefenbacher. ... souffrances de tous ceux qui ont dû quitter leur pays et, plus encore, de ceux qui ont été frappés par les événements les plus tragiques : la fusillade de la rue d'Isly, les massacres d'Oran, les enlèvements, les disparitions.
    Reconnaître, c'est enfin s'efforcer de faire la lumière sur ces événements, qui furent les plus tragiques. Dénonçant un crime d'Etat, certains évoquent aujourd'hui la responsabilité de la nation, de l'Etat, voire des gouvernants eux-mêmes. Lorsque ce sont ceux qui ont le plus souffert qui s'expriment ainsi, on peut comprendre que, au-delà des mots, leur attitude traduise plus profondément la quête d'un deuil qui serait enfin assumé. Mais lorsque ce sont ceux qui ont tout fait pour attiser la haine contre les Européens et fragiliser l'armée française, avouons que c'est profondément choquant.
    Convaincu, pour ma part, que tous les grands moments de l'histoire génèrent immanquablement cette étrange fatalité dont les enchaînements finissent toujours par échapper, ne serait-ce qu'un instant, à la volonté des plus puissants, je suggérerai que, avec le Haut Conseil des rapatriés, on confie à des sages le soin de rechercher dans les archives et dans les témoignages, ce qui pourrait enfin aider les familles à surmonter leur douleur.
    Réparer, c'est d'abord faire un geste supplémentaire en direction des harkis et de leurs veuves. Il faut tout mettre en oeuvre pour qu'ils trouvent pleinement leur place dans la société française. La loi de 1987 adoptée à l'initiative du gouvernement Chirac, la loi Romani de 1994, la décision de Jean-Pierre Raffarin de perpétuer la journée nationale d'hommage du 25 septembre vont assurément dans ce sens. Il importe de faire aujourd'hui un ultime geste pour que chaque famille harkie soit propriétaire de son toit et dispose de la garantie de vivre dans la dignité que nous devons assurer à ceux qui ont si bien, si courageusement et si douloureusement servi la France.
    M. Kléber Mesquida. Très bien !
    M. Michel Diefenbacher. Réparer, c'est aussi en finir avec l'endettement des rapatriés. C'est régler définitivement les derniers dossiers de retraite, notamment ceux des salariés, des médecins, des cadres et des anciens exilés.
    M. Philippe Douste-Blazy. Très bien !
    M. Michel Diefenbacher. C'est faire disparaître les iniquités générées par les prélèvements opérés sur les indemnisations en application de l'article 46 de la loi de 1970.
    M. Jean-Pierre Grand. Bravo !
    M. Michel Diefenbacher. Les mesures proposées dans mon rapport sont, je crois, suffisamment précises pour qu'il ne soit pas utile de les détailler ici. Pour essentiel, elles sont attendues par nos compatriotes rapatriés. Nous n'avons pas le droit de les décevoir.
    Réparer, c'est enfin permettre aux témoins d'apporter leur concours, aux côtés des historiens, au projet de mémorial de l'oeuvre de la France d'outre-mer, lancé par la ville de Marseille et porté aujourd'hui conjointement avec l'Etat.
    Intégrer, c'est donner toutes leurs chances aux enfants des rapatriés, particulièrement aux enfants de harkis qui sont, aujourd'hui encore, frappés par un taux de chômage anormalement élevé. Là comme ailleurs, je ne crois pas aux vertus de l'assistance. Je crois, en revanche, à celles de la formation, de l'incitation et de l'accompagnement. Alors que la reprise économique se profile, que des pénuries d'emploi se confirment dans de nombreux secteurs, que la volonté d'insertion de ces jeunes harkis n'a jamais été aussi forte, que les exemples d'intégration réussie se multiplient, nous devons être capables de mettre un terme aux odieuses discriminations à l'embauche, de mobiliser tous nos moyens pour donner sa chance à chacun et d'accompagner nos jeunes vers le travail et la dignité.
    Monsieur le secrétaire d'Etat, vous l'avez annoncé tout à l'heure, le moment est venu pour le Gouvernement de déposer un nouveau projet de loi : il parachèvera les dispositifs précédents, procédera de la volonté, non pas de « tourner la page » ou de « clore le dossier », mais, au contraire, d'assumer pleinement devant les générations futures un héritage dont nous avons tout lieu d'être fiers, et consacrera clairement le lien profond, indissoluble et sacré, qui doit exister entre la solidarité de la nation, la fidélité à l'histoire et le respect des hommes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Philippe Douste-Blazy.
    M. Philippe Douste-Blazy. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord remercier M. Diefenbacher pour son excellent travail et d'avoir parlé comme il l'a fait des rapatriés et des harkis.
    La plaie que constitue la guerre d'Algérie est restée trop longtemps ouverte dans l'histoire de notre pays. Tel est d'ailleurs, monsieur le député, le sens de votre rapport. Aujourd'hui, après tant d'années passées à occulter ce conflit, nous devons faire valoir un droit à l'indemnisation et à la juste réparation. Nous n'avons que trop attendu. Si vous prenez la bonne direction, monsieur le rapporteur, en préconisant la restitution aux rapatriés des sommes prélevées au titre de l'article 46 de la loi de 1970, nous devons maintenant définir précisément un calendrier pour l'application de cette mesure.
    Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a été dit, mais voudrais aborder sans attendre trois sujets concrets.
    Le premier est le problème des mises aux enchères des toits familiaux qui sont faites sur demande de l'administration fiscale et qu'il faut suspendre, dans la mesure où l'Etat doit toujours de l'argent à nos concitoyens rapatriés, comme le dispose l'article 46 de la loi du 15 juillet 1970.
    Le deuxième concerne la demande des médecins rapatriés qui souhaitent racheter leurs annuités à la valeur du point au moment où ils ont pris leur retraite, compte tenu de leur situation particulière.
    Enfin, le conflit a placé une centaine de familles dans une situation de précarité dont elles n'ont jamais pu se tirer. Il nous faut prendre des mesures spécifiques en leur faveur.
    Quant à nos concitoyens harkis, trop longtemps témoins d'un passé que l'on a préféré occulter, nous devons leur accorder une attention spéciale, ainsi qu'à leurs enfants, qui, à leur arrivée sur le sol national, ont souffert de préjudices particuliers.
    Ainsi, il me semble essentiel de faire bénéficier les harkis du doublement de l'allocation de reconnaissance et d'une mesure mixte, associant majoration de la rente et attribution d'un nouveau capital, comme le propose le rapport. L'effet que cette mesure nécessaire aurait sur les finances publiques pourrait être atténué par un étalement sur plusieurs années. A titre d'exemple, on pourrait octroyer ce traitement aux personnes âgées de plus de soixante-dix ans la première année, à celles de plus de soixante-cinq ans la deuxième année et aux autres à partir de la troisième année.
    Ces mesures doivent aussi concerner les ayants droit de ceux qui ont mis leur courage au service de la France. Leurs enfants doivent ainsi pouvoir bénéficier de mesures d'accompagnement particulières en matière d'éducation et de formation, afin de réparer l'injustice qui leur a été faite, puisque ces enfants ne sont pas tous allés à l'école de la République. De manière générale, nous devons accepter le principe d'un traitement particulier qui pourrait être fait à cette génération, malheureusement sacrifiée.
    Le devoir de mémoire représente un deuxième enjeu. Au-delà de ces aspects matériels, il faut aussi que nous nous assurions que le nécessaire devoir de mémoire, trop longtemps occulté, sera désormais respecté. Cela passe bien entendu par une meilleure connaissance de cette période et donc par une réflexion sur la manière dont elle doit être enseignée à nos enfants, qui en ignorent tout. Pour mieux comprendre notre passé, pour mieux gérer le présent et préparer l'avenir, nous devons aborder avec lucidité la reconnaissance des drames de ce conflit et des responsabilités qui sont en cause. C'est un pas vers la dignité, la vérité et l'apaisement.
    A ce titre, j'ai déjà eu l'occasion de le dire, ne pas évoquer l'oeuvre positive de nos concitoyens en Algérie serait une erreur historique, de même qu'on commettrait une faute grave en ne rendant pas hommage, en n'exprimant pas notre gratitude aux soldats et aux harkis qui ont payé un lourd tribut dans ce conflit. C'est pourquoi je souscris à l'idée de créer, au sein du ministère de l'éducation nationale, un groupe de réflexion sur la place qui doit être réservée à l'oeuvre française d'outre-mer dans les manuels scolaires. Afin d'assurer la plus grande objectivité, je propose d'y associer un ou plusieurs représentants des associations de rapatriés d'Algérie, de Tunisie et du Maroc.
    Il est aujourd'hui temps de mettre un terme à cette période d'errance qui a trop longtemps caractérisé le sort réservé aux rapatriés. Parce qu'il est de notre devoir de montrer que la France se préoccupe du sort de tous ses citoyens et de tous ceux qui ont payé de leur vie pour la défendre, il est temps de porter cette question devant la représentation nationale et, surtout, de lui apporter une réponse juste et définitive. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Jean Leonetti.
    M. Jean Leonetti. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous le savons, plus de quarante ans après la fin de la guerre d'Algérie, les plaies infligées par ce conflit ne sont pas complètement cicatrisées chez tous ceux qui ont vécu ce drame. Certains ont été blessés dans leur chair, d'autres ont perdu un parent ou un ami, la plupart ont dû quitter leur terre natale et leurs morts. Tous conservent dans leur mémoire l'horreur d'une guerre qui a tardé à dire son nom. Aucun n'a oublié.
    L'histoire de la présence française en Algérie se déroule entre deux conflits : la conquête, de 1840 à 1847, et la guerre d'indépendance, qui s'est terminée par les accords d'Evian, en 1962. Pendant cette période, faut-il rappeler que la République française a apporté sur la terre d'Algérie son savoir-faire scientifique, technique et administratif, sa culture et sa langue. Beaucoup d'hommes et de femmes, venus de toute l'Europe et de toutes confessions, souvent de condition modeste, ont fondé des familles dans ce qui était un département français. C'est en grande partie grâce à leur courage et à leur goût d'entreprendre que ce pays s'est développé. C'est, en grande partie, grâce à eux que, malgré les souffrances, les malentendus, les drames et les luttes fratricides, les deux pays, l'Algérie et la France, conservent des liens culturels étroits.
    Aujourd'hui, il nous faut affirmer clairement l'oeuvre positive de nos concitoyens en Algérie, et exprimer notre gratitude à nos soldats et aux harkis. Ne pas le faire serait, comme l'a dit Philippe Douste-Blazy, une erreur historique et, plus, une faute morale. Ce n'est pas insulter l'avenir que d'effectuer un travail de mémoire lucide et équilibré sur un passé douloureux et encore proche, souvent encore, malheureusement, évoqué de manière passionnelle.
    Comme l'histoire de France était enseignée par nos instituteurs - tel mon père, qui a enseigné à Bouzarea que les ancêtres des enfants d'Algérie étaient des Gaulois - peut-être faudrait-il que l'histoire d'Algérie, la vraie, soit racontée, étudiée par nos enfants, en évitant les silences et les caricatures. Personne ne doit oublier la rue d'Isly, les massacres d'Oran et le sort des harkis après le 19 mars 1962.
    C'est l'honneur des grands pays que de reconnaître leurs erreurs, voire leurs fautes, et de les réparer. Le Président de la République déclarait, quarante ans après la fin de la guerre d'Algérie, après ces déchirements terribles au terme desquels les pays d'Afrique du Nord se sont séparés de la France, que « notre République doit assumer pleinement son devoir de mémoire ».
    A travers cette mémoire, monsieur le ministre, il nous faut assumer totalement la vérité historique. Le temps de la reconnaissance doit comporter, bien sûr, des réparations matérielles. A ce titre, il convient de privilégier le problème de surendettement, qui fait partie, à juste titre, des priorités du Haut conseil, lequel souhaite que les procédures soient améliorées pour permettre la mise en oeuvre des plans d'apurement.
    La restitution des sommes prélevées au titre du remboursement des emprunts est également primordiale. L'article 46 a vu son application créer, parmi la communauté des rapatriés, inégalités et injustices, en fonction de l'indemnisation, de la profession et de la date de la demande d'indemnisation. Cette injustice a été dénoncée par notre majorité pendant la campagne électorale et, à titre personnel, par le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin. Il est nécessaire que nous soyons fidèles à cette parole, en confirmant ici nos engagements et en les rendant effectifs.
    Monsieur le secrétaire d'Etat, vous le savez, plus qu'une autre cette population que sont les rapatriés et les harkis se méfie des promesses, qu'elle sait, hélas ! trop souvent non suivies d'effet.
    M. Kléber Mesquida. Eh oui !
    M. Jean Leonetti. Il revient à notre majorité l'honneur de lui rendre l'espoir et la confiance dans les politiques. Ne la décevons pas.
    Par ailleurs, qu'il me soit permis, en tant que médecin, d'insister sur la requête légitime des médecins conventionnés rapatriés d'Algérie, qui ne réclament, au titre de leur retraite, que la stricte application de leurs droits qui aujourd'hui, leur est refusée.
    Enfin, rappelons que nous avons envers la communauté harkie une dette d'honneur imprescriptible. Il faut que nous donnions à ceux qui ont choisi de combattre pour la France une vieillesse sûre et digne, qui soit à la hauteur de la fidélité qu'ils ont manifestée envers notre pays.
    Parallèlement nous devons offrir à leurs enfants les voies privilégiées de l'insertion et de l'intégration.
    La reconnaissance doit être aussi morale. J'ai présenté en ce sens, vous le savez, monsieur le secrétaire d'Etat, une proposition de loi qui vise à reconnaître l'oeuvre positive de nos concitoyens vivant en Algérie pendant la période de la présence française. Ce texte a été cosigné par 116 députés de la majorité qui ont montré ainsi leur attachement à cette idée.
    Le temps de la mémoire et de la reconnaissance est venu. Il est juste que la représentation nationale reconnaisse solennellement l'oeuvre de ces hommes et de ces femmes si profondément attachés à leur terre, à leur drapeau et à leur famille, qui, par leur travail et leurs efforts, et quelquefois au prix de leur vie, ont représenté de manière fière et digne pendant plus d'un siècle la France de l'autre côté de la Méditerranée. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à Mme Michèle Tabarot.
    Mme Michèle Tabarot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il y a maintenant plus de quarante ans, des compatriotes vivant dans des départements français devaient quitter leur terre natale, à la suite des accords d'Evian, et surtout des menaces qui étaient proférées à leur encontre : c'était la valise ou le cercueil. Certains n'eurent même pas ce choix, et ne revinrent jamais vivants.
    Pour la majorité d'entre eux, ils s'installèrent, dans des conditions difficiles, en « métropole », comme il l'appelait ; une métropole que leurs parents avaient contribué, avec l'armée d'Afrique, à délivrer du joug des nazis. Une métropole dont ils étaient fiers, et pour laquelle ils avaient combattu. Mais une métropole qui, malheureusement, ne les comprenait pas.
    C'est pourtant avec le même courage de pionnier que leurs aînés qu'ils arrivèrent, par leur travail, à s'intégrer dans la communauté nationale, certains connaissant même de belles réussites.
    Mais alors pourquoi aujourd'hui un tel débat au sein de l'Assemblée nationale ? Pourquoi, plus de quarante ans après, les plaies ne sont-elles toujours pas refermées, et encore moins cicatrisées ? Pourquoi le simple mot « Algérie » déchaîne-t-il encore les passions, comme si les années n'avaient rien effacé ?
    Ce n'est pas en quelques heures de débat que nous pourrons trouver la réponse à toutes ces questions. Je suis consciente qu'il est difficile, lorsqu'on évoque ce sujet, de mettre une distance entre son histoire personnelle et l'histoire en général. Pourtant j'ai la conviction que ce débat peut ouvrir des pistes de réflexion utiles pour permettre enfin l'apaisement nécessaire, avant que les témoins les plus directs de cette période ne disparaissent.
    Je n'aborderai pas aujourd'hui les questions de l'indemnisation matérielle, d'autres collègues l'ont fait ou le feront ; mais je tiens à saluer l'engagement louable de notre Gouvernement qui, malgré les difficultés économiques actuelles, souhaite définitivement solder certaines situations, notamment vis-à-vis d'une communauté harkie trop longtemps oubliée.
    Je consacrerai mon propos à dénoncer la mémoire sélective qui préside aux récits de la guerre d'Algérie.
    M. Kléber Mesquida. Très bien !
    Mme Michèle Tabarot. J'évoquerai aussi le besoin d'une réhabilitation de l'histoire, de toute l'histoire de la présence française en Algérie, loin de la caricature qui oppose une colonisation brutale à un peuple soumis. C'est un premier pas nécessaire. Ne pas avoir le courage de le franchir hypothéquerait tout le chemin qui nous reste à parcourir.
    Oui, l'apport des Français en Algérie honore l'oeuvre de nos compatriotes, et cela dans tous les domaines. Sur le plan médical par exemple, les traitements dispensés par nos médecins militaires ont permis d'éradiquer des épidémies dévastatrices. Dans le domaine de l'agriculture, la fertilisation des terres incultes et marécageuses est à l'origine d'une réussite économique exceptionnelle.
    Saluons le lourd tribut que les Français ont payé à cette entreprise. Ces progrès dont l'Algérie a été et reste la principale bénéficiaire se sont accomplis dans une cohabitation harmonieuse des communautés en présence.
    Loin de la métropole, les pieds-noirs ont nourri plus qu'ailleurs un sentiment d'appartenance à la France, à ses valeurs, à ses idéaux. Il n'est pas juste d'imaginer que ces hommes et ces femmes si fidèles à ces principes auraient pu se conduire en Algérie d'une façon contraire à ce qu'ils représentaient. « Les gens de ma famille n'ont jamais opprimé personne » disait Albert Camus, prix Nobel, né en Algérie. Aussi, caricaturer le pied-noir en colon sanguinaire et faire de cela une vérité historique reste une offense profonde pour tous ceux qui ont vécu exactement le contraire.
    Une seconde injustice persiste dans le récit de cette guerre trop longtemps appelée opération de maintien de l'ordre. Non, la guerre d'Algérie ne se résume pas au soi-disant usage systématique de la torture par notre armée. Non, la guerre en Algérie ne s'est pas arrêtée le 19 mars 1962 comme on l'a trop longtemps officialisé.
    M. Roland Chassain. C'est vrai !
    Mme Michèle Tabarot. Comment occulter qu'après cette date des milliers de harkis ont été lâchement assassinés ? Comment occulter que, le 26 mars à Alger, des militaires français ont tiré sur d'innocents civils français ? Comment occulter que, le 5 juillet 1962, à Oran, après l'indépendance, des centaines d'Européens et de musulmans ont été les victimes des barbaries du FNL devant une armée française obligée d'assister à ce macabre spectacle sans pouvoir intervenir ?
    L'histoire, spécialement l'histoire des guerres et des hommes engagés dans ces guerres, ne doit jamais s'écrire d'une seule main. Les Français d'Algérie ne pourront trouver l'apaisement que dans cette écriture rigoureuse et honnête de cette histoire. Merci donc au Gouvernement d'avoir organisé ce débat et d'avoir déjà agi en instaurant une journée nationale d'hommage autre que le funeste 19 mars.
    M. Jean-Pierre Grand. Très bien.
    Mme Michèle Tabarot. Merci de continuer dans cette voie car, si le devoir de mémoire fait partie de nos devoirs, il nous faut rappeler ces vérités pour que l'histoire de la présence française en Algérie devienne, demain, le fier héritage de tous les Français. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Bacquet.
    M. Jean-Paul Bacquet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, parmi les intervenants qui se sont succédé depuis le début de ce débat très rares sont ceux qui ont été acteurs dans le conflit algérien d'il y a quarante ans.
    M. Jean-Pierre Grand. J'avais neuf ans !
    M. Jean-Paul Bacquet. A part vous, monsieur le secrétaire d'Etat, bien sûr. Mais les autres étaient enfants, ils n'étaient pas directement impliqués, si ce n'est par leurs familles.
    M. Patrick Herr. Il y en a !
    M. Jean-Marc Roubaud. A quoi sert l'éducation nationale ?
    M. Jean-Pierre Grand Ça sent la provocation !
    M. Jean-Paul Bacquet. Ce qui me frappe également, même si je sais que cela peut encore changer, c'est la sérénité, la modestie, l'humilité avec lesquelles les intervenant se sont exprimés jusqu'à maintenant.
    M. Georges Fenech. Tout à fait.
    A cet égard, je voudrais rendre hommage au président, qui laisse chacun s'exprimer, qui tempère pour que justement, quarante ans après, ce débat rende leur dignité aux harkis. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je vous remercie, mes chers collègues. Le débat qui s'est tenu à Clermont-Ferrand était, lui aussi, empreint d'une grande dignité.
    M. Georges Fenech. Merci.
    M. Jean-Paul Bacquet. Pour ma part, je suis auvergnat.
    M. Christian Vanneste. Personne n'est parfait ! (Sourires.)
    M. Jean-Paul Bacquet. Je n'ai pas d'origine algérienne, pas de famille en Algérie, pas d'histoire avec l'Algérie. Et pourtant j'ai conscience que le plus grand risque serait l'ignorance, la méconnaissance et l'oubli. C'est la raison pour laquelle j'interviens ce soir à cette tribune ! J'interviens d'abord et avant tout pour parler de l'histoire. Le devoir de mémoire qui a été évoqué à plusieurs reprises est bien l'élément essentiel du débat. Le reste ne sera que la conséquence d'une histoire comprise et acceptée.
    Je le disais, monsieur Fenech, à Clermont-Ferrand il y a quelques jours, l'indemnisation est un dû. Mais autant l'indemnisation aurait pu être comprise dans les années qui suivaient 1962, autant aujourd'hui, chez les deuxième ou troisième générations d'enfants français de métropole qui ont une ignorance totale de l'histoire algérienne, l'indemnisation ne serait pas comprise s'il n'y avait pas, au préalable, une volonté de leur expliquer l'histoire, de la leur faire comprendre et apprendre.
    Au prytanée militaire de La Flèche, où j'étais élève pendant la guerre d'Algérie, l'encadrement était essentiellement assuré par des officiers d'active que l'on mettait en quelque sorte au repos et qui, parfois, le soir, nous racontaient un peu leur histoire. On ne parlait pas, à l'époque, de « psychotraumatismes » et on les traitait encore moins. Mais je me souviens que, dans leur langage, ils exprimaient toute leur détresse d'avoir été les témoins impuissants de scènes qui avaient marqué définitivement leur mémoire, assistant, l'arme au pied, parce qu'on le leur demandait, à des massacres, ayant une drôle d'idée des ordres qu'on leur donnait.
    Auvergnat, j'ai appris comme d'autres Auvergnats que le camp de Bourg-Lastic, dans le Puy-de-Dôme, avait été un camp d'hébergement de harkis - temporaire, certes, mais dans lequel les conditions sanitaires étaient déplorables, sous la neige. Combien sont les Clermontois, les habitants du Puy-de-Dôme qui aujourd'hui savent qu'il y a eu un camp à Bourg-Lastic ? Ceux qui le savent, ils le doivent au travail de mémoire que fait l'association Agir pour les harkis.
    J'ai appris il y a moins de trois ans, dans un article de la presse locale, que des enfants de harkis étaient morts au camp de Bourg-Lastic, qu'ils y avaient été enterrés et que leurs sépultures avaient été entretenues grâce à l'initiative prise par des militaires français.
    Avec une telle chape de plomb, la mémoire n'existe plus.
    J'ai soigné, en tant que médecin rural, des harkis qui vivaient, avec leurs enfants, dans une commune voisine de la mienne d'environ 600 habitants. Ces familles m'ont toujours associé à leurs cérémonies familiales. Ce qui m'a le plus marqué dans nos relations, c'est le mutisme, l'impossibilité de communiquer.
    Je me souviens qu'un jour j'ai aperçu, caché sur le dessus d'une armoire, dans une chambre, un cadre contenant une photo représentant un officier qui remettait une médaille au harki chef de famille. Saisissant le cadre, je me suis exclamé : « Ce n'est pas sur l'armoire qu'il faut mettre cette photo, personne ne la voit, c'est sur le buffet de la cuisine ». Cet épisode m'a touché.
    De la même façon, j'ai été particulièrement marqué par la demande de vérité exprimée par l'association Agir pour les harkis. C'est la raison pour laquelle j'ai rédigé une proposition de loi, qui porte essentiellement sur le devoir de mémoire, et qui affirme la nécessité d'une meilleure compréhension de l'histoire.
    C'est vrai, il a fallu attendre 1999 pour que notre assemblée, unanime, reconnaisse l'état de guerre en Algérie, alors que nous avions toujours parlé d'opérations de maintien de l'ordre, de pacification. Avant, l'unanimité n'était pas possible. Peut-être fallait-il attendre quarante ans, pour qu'aujourd'hui nous soyons unanimes à vouloir apporter aux harkis la reconnaissance de la nation et, si possible, ce qu'ils méritent.
    M. Christian Kert. Très bien !
    M. Jean-Paul Bacquet. En 2001, le Président de la République a décidé qu'un hommage national devait être rendu aux harkis. Ces derniers se sont réjouis de cette initiative attendue depuis trente-neuf ans. Cet hommage national, rendu à toute une communauté que les épreuves n'ont pas épargnées en mémoire aux centaines de milliers de morts, de veuves et d'orphelins réfugiés en France, doit être inscrit non seulement dans le temps, mais également dans les faits.
    Dans le temps, car un regard sur l'histoire des harkis nous rappelle les souffrances vécues par les Algériens, souffrances vécues pour la défense d'une seule cause : la France.
    N'oublions jamais qu'au cours de la Première guerre mondiale, les Algériens ont été de toutes les grandes batailles de l'armée française et que rien ne distinguait leur courage de celui des soldats du continent. Les Algériens ont laissé 26 000 des leurs sur les champs de bataille de l'Orient et de l'Occident : de la nécropole nationale de Notre-Dame de Lorette aux champs de bataille de l'Hartmannswillerkopf, en passant par l'ossuaire de Douaumont, le sacrifice consenti par les troupes d'Afrique du Nord et plus particulièrement par les Algérien est encore perceptible de nos jours.
    N'oublions jamais également que, pendant toute la durée du second conflit mondial, plus de 134 000 soldats algériens ont servi dans l'armée d'Afrique, soit près de la moitié de ses effectifs. Ils ont forcé l'admiration par leur courage et leur détermination au service de la France.
    Les tirailleurs et spahis algériens ont participé activement, avec le deuxième corps d'armée commandé par le général de Lattre, à l'opération militaire qui libérera en moins de dix jours la Provence de la XIXe armée allemande. Toulon, libérée le 27 août 1944 et Marseille, libérée le 28 août 1944 se souviennent encore - malheureusement ils se souviennent rarement que les Algériens étaient en tête - du courage de ces tirailleurs et spahis algériens grâce auxquels la marche fulgurante vers le nord débutait.
    D'abord unis comme un seul homme derrière le drapeau français, la guerre d'Algérie va marquer, comme nous le savons, le déchirement des musulmans algériens. Dès le début de la rébellion, les représentants des autorités françaises recherchèrent l'adhésion des musulmans à la lutte contre la subversion. Se fiant à l'époque aux promesses des dirigeants de l'Etat, dont celles notamment que fait le général de Gaulle en 1960, ces représentants sont convaincus que l'Algérie est et restera française.
    M. Kléber Mesquida. Eh oui !
    M. Jean-Paul Bacquet. Cette conviction sera transmise aux musulmans algériens pendant que sont enrôlés ceux que l'on nomme alors les harkis.
    Le changement de politique de la France à partir de 1961 va marquer le point de départ du drame des harkis : les accords d'Evian attribuent l'Algérie au FLN, laissant les musulmans français sans protection véritable.
    Le 19 mars 1962, jour de la signature du cessez-le-feu entre l'armée française et l'armée de libération nationale, on compte en Algérie 263 000 autochtones engagés du côté français ou récemment démobilisés, dont 60 000 militaires, 153 000 supplétifs et 50 000 notables francophiles.
    Sur 8 millions de musulmans algériens, l'Algérie compte plus de 1 million de personnes menacées, familles comprises, qui avaient pris le parti de la France.
    Au printemps 1962, alors que le territoire est laissé au FLN par l'armée française, repliée dans les garnisons d'Algérie, le nouveau pouvoir feint la clémence envers les pro-Français et, à Paris, le Gouvernement limite à une portion minime leur repli en France, en application d'un plan général de rapatriement, ordonnant même le renvoi en Algérie des supplétifs débarqués en France en dehors du plan de rapatriement, et ce grâce au courage d'un certain nombre d'officiers français.
    La note officielle du 12 mai 1963 que le colonel Buis fait parvenir à l'inspecteur général des affaires algériennes est d'ailleurs significative de la froideur implacable avec laquelle les autorités françaises ont traité la question des harkis : « Le ministre d'Etat chargé des affaires algériennes a appelé l'attention du haut-commissaire sur certaines initiatives prises en Algérie pour organiser l'émigration et l'installation en métropole de familles musulmanes désireuses de quitter le territoire algérien. C'est ainsi que le 9 mai, sept familles d'ex-moghaznis ont quitté Oran pour s'installer dans la région de Dijon. Or, dans la conjoncture actuelle, on ne peut laisser à une autorité quelconque l'initiative des mesures de ce genre qui ne peuvent relever que de décisions prises à l'échelon du Gouvernement. Le transfert en métropole de Français musulmans effectivement menacés dans leur vie et leurs biens s'effectuera sous la forme d'une opération préparée et planifiée. J'ai en conséquence l'honneur de vous demander de bien vouloir prescrire à tous les cadres placés sous vos ordres de s'abstenir de toute initiative isolée destinée à provoquer l'installation de Français musulmans en métropole. »
    Les conséquences, nous les connaissons malheureusement, et elles ont été parfaitement détaillées par les uns et les autres. En 1962, le général Faivre a évoqué une fourchette de 50 000 à 70 000 harkis tués par le FLN, souvent après d'ignobles tortures et parfois par familles entières, fréquemment en présence de l'armée française, qui avait reçu l'ordre de rester passive, comme à Oran le 5 juillet 1962 et sans que l'opinion publique internationale s'en émeuve.
    Une note officielle du service historique des armées, rédigée en 1974, estimait à 150 000 le nombre de harkis tués. La querelle des chiffres importe finalement peu car peut-on échelonner l'horreur ? Ce qui compte, ce sont les faits en eux-mêmes, ceux que nous aurions dû et que nous aurions pu éviter.
    Le sort réservé aux quelques musulmans, les 91 000 pro-Français, qui purent s'établir en France de 1962 à 1968, n'a d'enviable, par rapport à ceux restés en Algérie, que leur survie. Arrachés à leur terre, à leurs familles, à leur culture, la France les relègue dans des camps, des maisons forestières, des cités insalubres faute de structures d'accueil suffisantes. Pire : l'indifférence affichée alors par notre pays est allée jusqu'à leur mort ! J'ai ainsi appris tout à l'heure ce qui s'était passé à Bourg-Lastic.
    Pour ceux qui ont eu la chance de sortir des camps et d'entamer une vie normale, la réinsertion fut particulièrement difficile et ils connurent pendant des années, et ils connaissent encore de nos jours, un taux de chômage élevé et des conditions de vie souvent précaires.
    Jusqu'à présent, la reconnaissance de la France s'est traduite par quelques mesures financières. Encore peut-on ici s'étonner que le Gouvernement ait décidé cette année la fermeture du plan « harkis » sous couvert d'une allocation de reconnaissance, mais ce n'est pas le point essentiel. La reconnaissance financière est nécessaire, certes, mais elle ne suffit pas ! Les harkis, les enfants et les petits-enfants de harkis attendent désormais de nous de bien plus que de l'argent : ils attendent la vérité !
    Il est temps, et je ne suis certainement pas le seul de cet avis, que nos concitoyens sachent ce qui s'est réellement passé, que notre pays s'engage à assumer sa responsabilité dans les préjudices subis par les harkis. Nous avons mis quatre-vingts ans à réhabiliter les fusillés de 1917 et trente-neuf ans à reconnaître l'état de guerre en Algérie. Pourquoi attendre encore pour entamer le devoir de mémoire sur les harkis ?
    Le colonel de Blignières, dans sa préface à Disparus en Algérie, écrit : « Parmi les faits rayés des manuels, des mémoires et des débats, le désarmement des harkis et l'abandon à leur sort des disparus pèse d'un poids exceptionnel sur la conscience de la France et sur l'honneur de son armée. »
    Pour regagner son honneur face aux harkis, la France doit regarder sa propre conscience. Je disais précédemment que l'hommage national devait s'inscrire dans le temps et dans les faits. Et les faits, ce seront certainement des mesures concrètes dont devront bénéficier les harkis pour que la République reconnnaisse sa dette envers eux. Je souhaite que nous votions ces mesures à l'unanimité, mais elles doivent avoir un préalable : un véritable débat sur ce que les harkis ont subi et sur la part de responsabilité de la France. Le travail de mémoire a bien débuté le 25 septembre 2001, mais nous ne devons ni nous cacher derrière cette date, ni compenser la vérité historique par des deniers.
    « Harki » vient, je crois, de l'arabe harka, c'est-à-dire « mouvement ». Il est temps que notre pays ne reste plus figé dans ses complexes historiques et qu'il adopte le mouvement de l'histoire. Les harkis ont versé leur sang pour la République, ils l'ont aimée et ils l'aiment encore. Cessons, après près de quarante ans de silence, de leur donner le sentiment d'être des enfants abandonnés.
    Mes chers collègues, l'histoire, oui l'histoire, d'abord et avant tout, pour comprendre, pour refuser la polémique, pour refuser l'oubli, pour refuser la charité, pour la solidarité afin que les harkis reçoivent leur dû ! Oui, l'histoire, qui entraîne l'indemnisation et conduit à l'honneur, afin que leurs enfants aient la fierté...
    M. Jean Leonetti. Cela fait un quart d'heure que vous parlez !
    M. Jean-Paul Bacquet. Les harkis ont attendu quarante ans, monsieur Leonetti ! Le président m'accordera sans doute quelques minutes supplémentaires, et je l'en remercie.
    M. le président. Il y a un peu de marge de manoeuvre, mais il vous fraudra conclure tout de même.
    M. Jean-Paul Bacquet. Les enfats de harkis doivent ressentir de la fierté pour la France et pour leurs propres enfants de savoir que leurs parents ont servi et ont choisi la France, la République et la démocratie. Oui, les harkis ont choisi la nationalité française. Ils l'ont choisie : ils n'en ont pas hérité.
    J'aurais voulu m'arrêter là...
    M. le président. Ce serait bien.
    M. Jean-Paul Bacquet. ... mais j'aimerais quand même ajouter, si vous me le permettez, monsieur le président, qu'il faut mettre fin à l'hypocrisie.
    J'assistais dernièrement au congrès national d'Agir à Clermont-Ferrand, avec notre collègue Fenech. Nous avons été interpellés l'un et l'autre - et je suis persuadé qu'il y fera lui aussi référence. Au moment où nous débattons sur les harkis, sur la vérité, il y a des choses que l'on ne peut pas accepter, telles que l'émission Mots croisés, animée par Arlette Chabot sur France 2, consacrée à l'Algérie et les harkis et diffusée le 3 novembre 2003. Lors de cette émission, Mme Zohra Drif, vice-présidente du Sénat algérien et responsable du FLN, a assimilé dans ses propos les harkis à des collaborateurs et les messalistes à des traîtres.
    M. Kléber Mesquida. C'est scandaleux !
    M. Jean-Paul Bacquet. Alors que se termine en France l'année de l'Algérie, qui s'est voulue une année de réconciliation, et que la date du 25 septembre a été officialisée comme date de reconnaissance pour les harkis, il n'est acceptable que, sur le territoire français, dans une émission de télévision française, un ministre algérien se permette de porter un jugement aussi inacceptable que dégradant vis-à-vis de Français d'Algérie qui avaient choisi de défendre la France et la république.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Scandaleux !
    M. Georges Fenech. Il fallait le dire !
    M. Jean-Paul Bacquet. Ces attaques contre la communauté harkie sont des atteintes à leur dignité, mais aussi à la dignité de la France et à celle de tous les Français. Les mêmes propos tenus lors de sa visite par le Président Bouteflika avaient suscité la réprobation et l'indignation du plus grand nombre de Français. C'est pourquoi on ne peut accepter qu'ils soient réitérés.
    M. Kléber Mesquida. Qu'a fait notre Président ?
    M. Jean-Paul Bacquet. Je terminerai, monsieur le président, en disant qu'au-delà du débat, il y a des choses que l'on ne peut accepter, parce que ce serait accepter l'hypocrisie, qui n'a malheureusement, depuis quarante ans, que trop duré s'agissant de l'Algérie. (Applaudissements sur tous les bancs.)
    M. le président. Je précise, pour que les choses soient claires, qu'il n'y a que deux orateurs socialistes inscrits dans la discussion. Cela explique que M. Bacquet ait bénéficié d'un temps de parole un peu allongé.
    La parole est à M. Alain Merly.
    M. Alain Merly. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, un vieil ami, philosophe à ses heures, avait coutume de dire : « Tout ce qui traîne finit par se salir. » Sans doute voulait-il nous exhorter à régler rapidement les problèmes qui se présentent à nous quelle qu'en soit la difficulté.
    Le dossier des rapatriés d'Afrique du Nord et des harkis finit par ternir l'image de la France et caricaturer injustement la cause de ceux que ce conflit dramatique a coupés de leurs racines.
    L'histoire de la France, comme celle de tous les pays du monde, porte son lot d'événements tragiques. Chacun d'entre eux laisse une cicatrice dans la mémoire collective de notre nation, que les ans ont bien du mal à effacer. La période où l'histoire du Maghreb se confond avec celle de la France n'échappe pas à cette règle et nombreux sont ceux qui, à la fois acteurs et victimes, ont encore aujourd'hui présentes à l'esprit les images qui ont marqué leur vie et, souvent, scellé leur destin.
    Le temps, heureusement, fait aussi son oeuvre et nous aide à guérir les plaies. La volonté sera plus forte que l'humeur et l'espoir du jour qui se lève, plus riche que le crépuscule de celui qui finit.
    Il est temps, quarante ans après l'indépendance des principaux territoires et alors que l'attente des rapatriés est toujours vive, qu'un terme soit mis aux efforts de reconnaissance morale et matérielle de la nation. Dans cet esprit, le rapport de Michel Diefenbacher nous trace les lignes qui vont permettre de parachever l'effort de solidarité nationale envers les rapatriés mais aussi, et c'est important, de promouvoir l'oeuvre collective de la France en outre-mer.
    Le Président de la République Jacques Chirac avait clairement réaffirmé sa volonté en ce sens dès 1995, et surtout depuis sa réélection de 2002 en mettant en place plusieurs mesures phares : création d'une allocation de reconnaissance pour les harkis et leurs veuves en remplacement de la rente viagère mise en place sous le précédent gouvernement ; amélioration du dispositif d'aide au désendettement des rapatriés réinstallés pour la préservation du logement familial ; prolongation des délais permettant l'amélioration de la retraite complémentaire des rapatriés ; pérennisation de la journée nationale d'hommage aux harkis le 25 septembre ; inauguration du mémorial national d'Afrique du Nord à Paris, le 5 décembre 2002, en présence de l'ensemble des associations de rapatriés, des parlementaires et du Premier ministre.
    La France n'a donc pas oublié l'engagement des milliers de musulmans en Afrique du Nord qui ont participé avec courage aux deux grand conflits mondiaux du xxe siècle, pas plus qu'elle n'a oublié leur fidélité à ses couleurs pour maintenir leur sécurité dans une Algérie française déstabilisée par de nombreux attentats meurtriers.
    La nation n'ignore pas son devoir moral envers ceux qui se sont mobilisés pour accompagner et défendre l'action conduite outre-mer pendant plus d'un siècle par la France et les Français. Plus que tout autre conflit en Afrique du Nord, la guerre d'Algérie ne peut nous laisser indifférents. Pas un de ceux qui ont vécu ces heures tragiques n'ignore la réalité du drame humain qui a suivi la fin officielle des combats.
    Trompés par les engagements officiels du nouveau pouvoir en place, les harkis et leurs familles ont été pourchassés et exécutés par leurs bourreaux avec une cruauté à peine imaginable. Assassinés par les séides du FLN, ceux qui avaient choisi de rester sur leur sol natal ont été les premières victimes d'actes de barbarie qui feront plusieurs dizaines de milliers de morts. Ceux qui purent gagner la France en laissant sur place leurs biens furent dans leur grande majorité accueillis, hébergés et parqués dans des camps de regroupement de triste mémoire comme celui de Bias, près de Villeneuve-sur-Lot, dans le Lot-et-Garonne, dans ma circonscription. Oubliés de l'histoire, ce n'est que dans les années 70 que l'opinion publique commence à prendre la mesure de la tragédie qu'ils avaient vécue. Il faudra attendre la loi du 16 juillet 1987 sous l'égide de Jacques Chirac, la loi Romani du 11 juin 1994 sous l'égide d'Edouard Balladur, pour constater de réelles avancées dans le domaine de la réparation financière et des dommages subis par la communauté harkie.
    Les actions à mener n'étaient pas terminées, loin de là. Mais malheureusement, le gouvernement précédent a totalement laissé le dossier en sommeil en dépit d'une conjoncture économique et financière extrêmement favorable et qui aurait autorisé plus de facilité dans ce règlement.
    M. François Loncle. Mensonge !
    M. Alain Merly. Nous avons aujourd'hui la volonté politique d'aller de nouveau de l'avant grâce à des mesures concrètes et réalistes, et cela tant dans le domaine des réparations matérielles que dans celui de la mémoire et de l'histoire.
    La poursuite de l'effort de reconnaissance doit aller vers l'ensemble de la communauté des rapatriés. Les pieds-noirs, souvent accueillis au mieux dans l'indifférence à leur retour en métropole durant l'été 1962, ont eu et ont encore leur lot de vicissitudes, tant matérielles que morales, et ont été souvent trop assimilés à des colons et à des exploiteurs. C'est oublier trop facilement l'apport incontestable de leur engagement pendant plus d'un siècle sur le développement de ces territoires d'outre-mer.
    Il est également nécessaire de clore le dossier des civils disparus, la plupart assassinés par le FLN entre le 19 mars 1962 et l'indépendance de l'Algérie. L'ouverture des archives nominatives avant le délai réglementaire de soixante ans devra être rapidement autorisée pour pouvoir faire enfin toute la lumière sur des événements tragiques et pour que l'insoutenable attente des familles, depuis tant d'années, puisse prendre fin.
    Il me paraît également important d'être attentif au respect des engagements bilatéraux signés entre la France et le Gouvernement algérien sur le sujet sensible de la réhabilitation et du devenir des 600 cimetières et des 400 000 tombes qui s'y trouvent. Nous avons le devoir de regarder l'avenir avec sérénité et détermination sur ce sujet sensible.
    « A combien évaluez-vous le sang, les larmes, les souffrances et l'exil ? », m'a demandé un vieil harki de Lot-et-Garonne. Il ne peut y avoir de bonne réponse à cette question. Mais l'analyse préalable aux trente et une propositions formulées dans le rapport de Michel Diefenbacher prend là tout son sens. Aucune réparation matérielle ne sera jugée pleinement suffisante si elle ne témoigne pas d'une volonté forte de valoriser l'action conduite outre-mer pendant plus d'un siècle par la France, d'en souligner les aspects positifs sur la santé publique, le développement économique et les équipements collectifs, et d'en constater avec autant d'objectivité des lacunes et les manquements, notamment lors des épisodes les plus tragiques de l'accession à l'indépendance de nos anciennes possessions.
    Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le xixe siècle déjà vieillissant rêvait d'une France plus grande. Le xxe siècle a effacé ce dessein. Il faut maintenant écrire les premières pages du xxie siècle. Je suis convaincu que nous avons là le début d'une autre histoire à laquelle participeront les fils de harkis en tenant la plume. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Roubaud.
    M. Jean-Marc Roubaud. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de remercier Michel Diefenbacher pour la qualité de son rapport, qui a le mérite de poser les bases de notre débat.
    La France a toujours eu du mal à regarder son histoire en face. C'est regrettable, mais l'expérience nous montre qu'il en a toujours été ainsi. La décolonisation et la perte des territoires du Maghreb n'ont malheureusement pas échappé à cette particularité française. Je souhaiterais que ce débat nécessaire soit l'occasion de changer devant la représentation nationale, l'image en complet décalage avec la réalité des harkis et des rapatriés.
    Aussi, je tiens à dire haut et fort en ce lieu que ces Français de l'autre rive de la Méditerranée ont toujours montré un attachement profond aux valeurs nationales, et qu'ils ont aussi largement apporté à la France leur concours à son rayonnement.
    Je tiens à saluer également la décision du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin et l'action de M. Mékachéra en faveur d'une date officielle pour qu'un hommage soit rendu à tous ceux qui sont morts pour la France en Afrique du Nord. Le 5 décembre doit être considéré comme un premier pas pour reconnaître aussi ceux qui ont disparu après les accords d'Evian et le cessez-le-feu du 19 mars. Plus qu'une réparation financière, nous nous devons de manifester envers eux une volonté forte de légitimer et de valoriser le travail accompli durant plus d'un siècle par tous ces pionniers d'une France ambitieuse.
    Je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, que le futur mémorial de Marseille soit l'occasion de donner à toute cette période allant de 1830 à 1962 une lumière plus juste, sans complaisance, et de montrer aux Français et à tous les peuples que l'on peut être fier des rapatriés et des harkis.
    M. Georges Fenech. Bravo !
    M. Jean-Marc Roubaud. Quatre décennies après ces épreuves, il est temps de parler vrai.
    Les faits incontournables de notre passé et de la France en Algérie doivent, après tant d'années, être recensés et validés dans toute leur vérité historique - c'est la seule attitude permettant leur classement dans l'histoire. C'est cela aussi qui nous permettra de revoir les manuels scolaires en dehors de toute idéologie. Ce comportement digne et courageux est le seul susceptible de mettre un terme aux calomnies.
    La paix civique dans notre pays, dans nos écoles et dans la cité gagnerait à connaître l'importance de l'oeuvre de la France dans nos anciennes colonies. Le Parlement doit s'y employer. Je tiens à saluer l'initiative du Président de la République d'inviter celui-ci à engager un vrai débat sur la question des rapatriés et des harkis. C'est ce que nous faisons ce soir et j'en suis très heureux.
    Mais notre débat n'a de sens que s'il s'agit d'un vrai débat, sans tabou, soucieux à la fois de retracer au plus juste un moment de notre histoire et d'en tirer toutes les conséquences qui en découlent !
    Nous devons nous attacher à reconnaître l'oeuvre positive de la France mais aussi, mes chers collègues, les massacres de Français les 26 mars et 5 juillet 1962 et, enfin, à admettre les responsabilités.
    Par ailleurs, cela fait désormais quarante ans - on l'a souligné de nombreuses fois ce soir - que l'on traîne le problème des indemnisations, que l'on va de promesses en attentes. Aujourd'hui, forts d'une majorité parlementaire large et volontariste, ayons le courage de vider ce dossier. N'ayons pas peur de chiffrer le coût d'une juste indemnisation. De deux choses l'une, soit nous avons les moyens financiers de procéder à une juste indemnisation, auquel cas agissons, soit le coût n'es pas supportable pour les finances de la nation, et disons-le. C'est une question d'honnêteté.
    Nous devons renouer le dialogue avec les rapatriés et les harkis. Un projet de loi simple et consensuel devra être soumis très vite au Parlement. Telle est votre intention, monsieur le secrétaire d'Etat, et c'est une bonne chose.
    Il nous incombe enfin d'accorder réparation pour le traitement indigne réservé aux familles harkies à leur arrivée sur le sol français, je pense aux camps, tel celui de Saint-Maurice à Saint-Laurent-des-Arbres. Monsieur le secrétaire d'Etat, il en va de l'honneur du Parlement, du Gouvernement et de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour le mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Christian Vanneste.
    M. Christian Vanneste. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le 11 novembre 1918, la France gagne la guerre la plus coûteuse en vies humaines de toute son histoire. De nombreux soldats musulmans originaires d'Afrique du Nord ont participé à cette victoire. Le 8 mai 1945, la France associée, grâce au général de Gaulle, à la capitulation du nazisme, retrouve l'honneur après avoir connu l'humiliation de la défaite et de l'Occupation. Au coeur de ce redressement de nos armes se trouvaient les troupes musulmanes d'Afrique du Nord particulièrement en Italie et au sein de la Ire armée.
    Le 19 mars 1962, le cessez-le-feu en Algérie entre en vigueur. Dans les mois qui suivent, entre 80 000 et 150 000 musulmans qui ont servi la France sont assassinés souvent dans des conditions horribles. D'autres sont emprisonnés et torturés. Notre pays les a abandonnés, au mépris de la parole donnée, sans reconnaissance pour leur fidélité, alors même que l'armée française avait largement les moyens de les sauver. C'est d'ailleurs ce qu'ont fait certains officiers, obéissant à leur conscience, et non à des ordres.
    M. François Loncle. Qui gouvernait ? Ça leur arracherait la bouche de le dire !
    M. Christian Vanneste. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : sur 150 000 supplétifs à proprement parler et 260 000 musulmans algériens clairement associés à la France, 20 000 chefs de famille seulement gagnent la France.
    La dette contractée par notre pays est irréparable, parce que c'est avant tout une dette morale. Il y a d'un côté les morts, les prisonniers torturés, les réfugiés parqués dans des camps, toute une population avec des familles, jetée brutalement dans un contexte auquel rien ne l'avait préparée. Il y a les générations suivantes, victimes de leur déracinement, de leur exclusion, victimes pour tout dire de leur origine et cependant contraintes de rompre les liens avec elle. Et de l'autre côté, c'est-à-dire du nôtre, il y a la honte ou l'indifférence, parfois la compassion ou la solidarité. Entre les deux, un fossé que rien ne pourra tout à fait combler, alors que, comme c'est souvent le cas dans l'histoire, la conscience du problème et de la faute grandit avec le temps qui passe.
    C'est pourtant avec la volonté de réduire ce fossé que nous sommes réunis ici. Depuis 1962, des efforts, certes trop tardifs et insuffisants, ont été réalisés. Mais comme le rappelait, l'année dernière, le Président de la République, c'est toujours sous l'impulsion de ceux qui composent la majorité actuelle que ces demandes ont été engagées, en 1987 comme en 1994.
    M. Gérard Bapt. Et en 1982 ?
    M. Christian Vanneste. Le Président de la République le rappelait au mois d'avril 2002 : la première loi de 1987, puis la grande loi de 1994, avaient représenté des avancées importantes, malheureusement remises en cause par les alternances et les gouvernements de gauche, qui les ont appliquées très imparfaitement.
    M. François Loncle. Et en 1982 ? Quel sectarisme !
    M. Christian Vanneste. Le symbole de cette attitude, c'est la suppression de la délégation aux rapatriés.
    Voilà pourquoi nous devons à nouveau remettre l'ouvrage sur le métier, et ce dans une double perspective : reconnaître et réparer.
    M. Kléber Mesquida. Quelle provocation !
    M. Christian Vanneste. Sur le chapitre de la reconnaisance, je voudrais souligner l'importance de la trente et unième et dernière proposition de l'excellent rapport de notre collègue Michel Diefenbacher.
    M. Kléber Mesquida. Un rapport incomplet !
    M. Christian Vanneste. J'espère que sera courte l'étude et rapide la décision, qui conduiront à la création d'une fondation reconnue d'utilité publique, dédiée à la mémoire des harkis et à l'intégration de leurs enfants.
    Il faudra également, selon la cinquième proposition du même rapport, constituer au sein de l'éducation nationale un groupe de réflexion sur l'évocation de l'oeuvre française outre-mer dans les manuels scolaires. Je souhaiterais qu'il comprenne un représentant des harkis, ce qui n'est pas précisé aujourd'hui.
    Il faut reconnaître, mais aussi réparer. Il est important d'appliquer dans ce domaine, que certains appellent la discrimination positive, c'est-à-dire tout simplement l'équité. Il n'est pas injuste de donner plus à ceux qui ont été victimes d'une plus grande injustice. C'est la raison pour laquelle la loi Romani avait privilégié les mesures spécifiques pour l'accession au logement, la formation et l'emploi de la seconde génération, enfin, pour les conjoints survivants. Bien qu'apportant mon soutien aux propositions de loi de nos collègues Jean-Pierre Soisson et Francis Vercamer, je voudrais toutefois insister sur la priorité qui, à mes yeux, doit être donnée à la formation et à l'accès à l'emploi des deuxième et troisième générations. En toute logique, j'approuve la proposition d'attribuer une allocation d'encouragement aux études supérieures, mais je souhaiterais également que soit mise en oeuvre l'une des propositions du président Chirac, à savoir l'instauration d'un plan de recrutement dans les administrations et les services publics dans des conditions comparables à celles qui s'appliquent aux habitants d'outre-mer vivant en métropole.
    Le 9 septembre 1962, celui qui fut vice-président de l'Assemblée nationale, le Bachaga Boualam, achevait son livre Mon pays, la France. Sachons faire en sorte que tous ces frères d'armes et leurs descendants puissent être fiers de dire aussi : « notre pays, la France !» (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union sur un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. Yvan Lachaud.
    M. Yvan Lachaud. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez pris l'initiative de faire une déclaration sur le douloureux sujet des rapatriés et des harkis. Nous ne pouvons que saluer cette démarche et vous en féliciter. Elle répond, en effet, aux préoccupations actuelles des rapatriés, ainsi qu'à celles de la communauté harkie de notre pays, soit au total, environ 1,5 million de personnes.
    Ces Français ont connu un bien triste sort dans les années qui ont suivi la décolonisation et ils jouent aujourd'hui un rôle important au sein de notre société. Cependant, ils éprouvent le plus souvent un sentiment d'inachevé. Indéniablement, le Gouvernement a formulé des propositions pour accomplir notre devoir de mémoire vis-à-vis des rapatriés et des harkis. On peut citer, par exemple, le processus de concertation approfondie que vous avez engagé avec le monde combattant pour choisir le 5 décembre comme jour de célébration de l'hommage officiel de la République aux combattants morts pour la France en Afrique du Nord. Plus largement, le budget alloué au secrétariat d'Etat des anciens combattants a permis de mettre en oeuvre plusieurs décisions importantes, telles que l'harmonisation des conditions d'attribution de la carte d'ancien combattant AFN, l'augmentation de quinze points des pensions des veuves et l'augmentation de 1,58 % des dotations à chaque ayant cause. Ces mesures confortent, si besoin était, les grands axes de la nouvelle politique engagée en faveur des anciens combattants.
    Néanmoins, comme le souligne le rapport de notre collègue, M. Michel Diefenbacher, le long processus d'indemnisation doit à présent être achevé. Sur cette question, nos concitoyens concernés éprouvent parfois de grandes difficultés à connaître l'état d'avancement de leurs dossiers.
    En effet, si les correspondants des antennes de l'ONAC effectuent un travail patient et minutieux, nos administrés rapatriés sont encore confrontés au manque de lisibilité des « personnes-ressources » capables de les renseigner sur leurs indemnisations.
    Certes, les anciens combattants d'Afrique du Nord et les harkis s'adressent naturellement à l'ONAC, mais pour les rapatriés d'Algérie, de Tunisie ou du Maroc, qui ne relèvent pas des missions de l'ONAC, l'interlocuteur est beaucoup plus difficile à identifier. Nombre de ceux que nous recevons dans nos permanences ou que nous rencontrons au cours de nos déplacements nous font part de ce problème. C'est le cas dans ma circonscription, à Nîmes, et dans le département du Gard en général. Ils souhaitent que nous nous fassions l'écho de la longueur des délais d'instruction et de leur découragement. S'il est tout à fait compréhensible que la recherche d'informations justifie parfois la longueur de l'instruction, il ne faut pas oublier qu'elle a pour corollaire le morcellement des patrimoines directement lié au nombre très élevé de successions intervenues depuis le début des processus d'indemnisation.
    A ce sujet, je rappellerai quelques chiffres : au titre du seul article 46 des lois du 15 juillet 1970 et du 2 janvier 1978, 21 000 dossiers, soit 13 % du nombre total des dossiers d'indemnisation, restent encore en souffrance. Le nombre de bénéficiaires s'élève aujourd'hui à 90 000 et le montant pour chacun d'entre eux est de 3 455 euros.
    Concernant le cas plus spécifique des harkis, je tiens à mentionner la communauté harkie de Saint-Laurent-des-Arbres dans le Gard, qui m'a éclairé sur plusieurs éléments du problème. Il nous faut réaffirmer qu'il est de notre devoir de les considérer comme des citoyens à part entière car nombre d'entre eux se sentent encore aujourd'hui exclus de la société française. Cette exclusion est le plus souvent imputée aux différents gouvernements, de gauche comme de droite, qui se sont succédé sans jamais véritablement régler la question de leur indemnisation, qui revêtirait pourtant le caractère de « réparation » et qui leur est due.
    Lors de la préparation de la loi Romani de 1994, avait été évoqué le projet de fournir un toit à chaque famille de harki, avec une aide de l'Etat de l'ordre de 75 000 euros.
    Aujourd'hui, notre majorité se doit d'achever le processus d'indemnisation qui comprend plusieurs volets : une aide aux première et deuxième générations, une allocation d'études, une aide à l'accession à la propriété. La proposition de mon ami Francis Vercamer, député UDF du Nord, va dans ce sens, et il serait heureux de pouvoir la prendre en compte. Il me paraît tout à fait essentiel que des mesures d'accompagnement en matière d'éducation et de formation soient prises au bénéfice de la deuxième génération, pendant plusieurs années encore. Enfin, les discriminations à l'emploi doivent être fermement combattues. Il faut en effet souligner, si besoin est, que le taux de chômage de cette communauté est très anormalement élevé.
    Au-delà de ces considérations générales sur la question harkie, il reste des points spécifiques auxquels nous nous devons de trouver des réponses rapides et concrètes, en particulier le cas des veuves de harkis qui n'étaient pas françaises à la date du 10 janvier 1973. Les associations de rapatriés tiennent aussi à souligner que le dispositif de la CONAIR - Commission nationale d'aide aux rapatriés - n'a pas donné entière satisfaction. La CONAIR relevait de trois circulaires d'application qui ont mis en place des procédures lourdes et quelquefois inadéquates, d'où de nombreux contentieux juridiques à propos des dossiers de réinstallation.
    Ces associations estiment que la notion de solidarité envers les rapatriés doit s'entendre dans une acception plus large de façon à rendre plus claires les conditions d'éligibilité des dossiers. Elles proposent donc, dans un souci de simplification et de rationalisation budgétaire, des mesures telles que celles qui figuraient dans la loi de finances rectificative pour 1986 et celle de 1987 en son article 12, et les circulaires d'application correspondantes.
    Il pourrait s'agir d'une remise automatique plafonnée à 106 000 euros, qui serait décidée par les départements, comme ce fut le cas auparavant. Au-delà de ce plafond, le dossier ferait l'objet d'une étude approfondie par la commission nationale qui siégerait à cet effet.
    Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, je tiens à dire au nom du groupe UDF qu'il est important que les parlementaires des villes et départements à forte population de rapatriés que nous sommes puissent être informés plus régulièrement des différentes dispositions arrêtées dans vos services.
    Nous avons aujourd'hui le devoir de mettre enfin un terme à une situation qui n'a que trop duré ! Ayons le courage, mes chers collègues, que n'ont pas toujours eu nos prédécesseurs ! Nous le devons aux rapatriés et aux harkis, monsieur le secrétaire d'Etat. Le groupe UDF vous le demande, et vous soutiendra dans ce sens. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Maxime Gremetz.
    M. Maxime Gremetz. On parle beaucoup d'un rapport de Michel Diefenbacher, que j'ai essayé, sans succès, d'obtenir.
    M. le président. Appuyez votre intervention sur un rappel au règlement, ne serait-ce que pour la forme...
    M. Maxime Gremetz. Ce n'est pas une question de forme.
    Ce rapport ressemble à un météore. Tout le monde en parle et personne ne le voit. C'est l'Arlésienne, comme on dit chez moi.
    M. Georges Fenech. Le voici !
    M. Maxime Gremetz. Ce rapport nous sera-t-il distribué ? Je veux être documenté au mieux. Monsieur Diefenbacher, vous devriez vous réjouir de voir que votre travail va être étudié avec beaucoup de sérieux.
    M. le président. Vous allez recevoir ce rapport, monsieur Gremetz. Il n'est pas en vente libre mais sa distribution est gratuite. (Sourires.)
    La parole est à M. Gérard Bapt.
    M. Gérard Bapt. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, quarante et un ans après l'indépendance de l'Algérie et quarante-sept ans après celle de la Tunisie et du Maroc, nous convenons tous que la dette morale et financière de la France envers ses rapatriés n'est toujours pas acquittée. Mais la polémique continue sur les modalités de son règlement. Cette polémique s'est largement engagée ici, malgré les efforts de l'orateur qui m'a précédé à la tribune pour élever le débat à son niveau et à sa dimension réels.
    Sans revenir sur ce qu'ont très bien exprimé avant moi mes amis M. Mesquida et M. Bacquet à propos de la dette et du problème général qui se pose, je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, puisque vous préparez un projet de loi, être un peu plus technique et rappeler certains points. Nous devons, en effet, saisir l'occasion qui nous est offerte, et nous garder de retomber dans les mêmes ornières.
    Le 17 avril 2002, dans une lettre aux associations de rapatriés, le candidat en campagne Jacques Chirac se flattait de ce que, en ce qui concernait la situation des rapatriés réinstallés dans une profession non salariée et aujourd'hui gravement surendettés, le dispositif initial mis en place dans un cadre local dès 1994, et à sa demande, par Roger Romani, avait fait ses preuves. Tel n'était pas le cas, puisqu'il faut aujourd'hui revenir dessus. En effet, le bilan est loin, malheureusement, d'être positif et certaines des mesures qui virent alors le jour desservirent au contraire les intérêts des principaux bénéficiaires. C'est ainsi que la circulaire de M. Romani introduisait pour la première fois dans notre droit l'obligation d'une « contribution systématiquement demandée à l'intéressé adaptée à sa capacité de remboursement et à la valeur de ses actifs ». Je comprends que les associations de rapatriés - et nous les avons toutes reçues récemment - protestent contre une mesure qui fut vécue comme une seconde spoliation.
    Encore plus frappant, en 1996, le texte de suspension des poursuites, qui permettait aux rapatriés de respirer dans l'attente de l'examen de leur dossier, a été abrogé par le même Roger Romani. Cela a eu pour conséquence immédiate et inévitable la vente aux enchères de nombreux biens et exploitations de rapatriés.
    Nous avons été très peu nombreux sur ces bancs, souvent la nuit, en seconde ou dernière lecture de lois de finances ou de collectifs, à lutter dans l'ombre contre certaines technostructures malheureusement sourdes à la douleur de nos compatriotes rapatriés. C'est ainsi, grâce à mon initiative, reprise par le Gouvernement de Lionel Jospin, que les textes de suspension de poursuites pour les rapatriés ont été rétablis dès 1997 par les articles 100 et 101 de la loi de finances rectificative pour 1997. C'est encore sous la précédente législature - il est donc faux de dire qu'elle n'a rien fait - que la rente viagère pour les veuves et anciens membres des troupes supplétives a été mise en place par la loi de finances rectificative de décembre 1999.
    M. Kléber Mesquida. Il fallait le rappeler ! Il fallait le rappeler !
    M. Gérard Bapt. Après quarante-deux années d'attente, on peut en effet dire qu'il n'y a jamais eu de volonté politique réelle et durable de régler définitivement les dossiers des rapatriés, que les gouvernements aient été de droite ou de gauche, bien que les rapatriés aient souvent été écoutés sur ces bancs. Sans doute est-ce dû au remords, le plus souvent tu, face à la manière dont nos compatriotes rapatriés, comme nos compatriotes français musulmans rapatriés, ont été traités par la France.
    Je voudrais rappeler que c'est grâce au Président François Mitterrand que le problème de l'amnistie des faits et gestes a été abordé dès 1982. Cette loi constituait, sur le plan moral, une avancée considérable pour les fonctionnaires et les militaires, y compris en ce qui concerne les décorations et la reconstitution de la retraite. Le débat avait été difficile, à droite comme à gauche. Mais rien n'a été envisagé à l'époque pour les rapatriés issus du secteur privé, c'est-à-dire en particulier les employés et professions libérales, les artisans, les commerçants, et cette absence de prise en compte doit désormais être corrigée.
    Je ne peux que me féliciter que le mémorial soit enfin concrétisé et je note avec satisfaction que le site de Marseille est retenu, mais les retards constatés ont des causes multiples, anciennes et contradictoires.
    Le contentieux rapatrié a été l'objet de très nombreux textes - lois, décrets, arrêtés, circulaires - : au total près de 160. Nos partenaires européens, italiens et espagnols, ont depuis longtemps réglé cette question en produisant un nombre de textes beaucoup moins important et dans des conditions bien meilleures. Les Italiens ont indemnisé leurs rapatriés à hauteur de 100 % des biens spoliés, alors que nos textes n'ont permis à ce jour qu'une indemnisation moyenne de l'ordre de 22 %. Une quatrième et définitive loi d'indemnisation s'impose donc, avec droit complémentaire à indemnisation et prise en compte des ventes à vil prix. Dans ce même domaine, il est nécessaire de restituer aux rapatriés les sommes prélevées au titre de l'article 46 de la loi du 15 juillet 1970 et de l'article 3 de la loi du 2 janvier 1978. J'ai noté des prises de position convergentes, lors de la dernière campagne présidentielle, des candidats Jacques Chirac et Lionel Jospin. J'espère que nous pourrons, au cours de cette législature, en finir avec cette injustice de l'article 46.
    S'agissant des harkis, le dispositif de la rente viagère pour les veuves a été amélioré récemment. Cette disposition a été votée à l'unanimité ici. Je souhaite que cette allocation soit à nouveau revalorisée, mais pourquoi demander, comme cela se fait en Haute-Garonne, autant de papiers, notamment des déclarations d'imposition, aux anciens harkis concernés puisqu'il s'agit là d'une allocation de reconnaissance qui n'est plus sous condition de ressources ? Quoi qu'il en soit, la communauté harkie attend toujours le règlement de l'indemnisation forfaitaire promise par le Président de la République lors de la campagne présidentielle de 1995 et par le même Jacques Chirac, à l'époque Premier ministre, en 1987, date à laquelle il avait prévu 30 milliards de francs au titre de l'indemnisation des biens, somme partiellement débloquée. Toutefois, 3 milliards, soit 10 % de cette somme, n'ont pas été utilisés à l'heure actuelle. Les harkis souhaitent que leur soit versé le complément de ce qui avait été engagé en 1987, mais qui n'avait pas fait l'objet d'un règlement total.
    J'en terminerai en abordant les difficultés liées à la réinstallation, et en particulier à la CONAIR - la commission nationale de désendettement des rapatriés. La circulaire du 28 mars 1994 avait introduit la notion de surendettement. Cette notion est ressentie par les rapatriés comme une deuxième spoliation, car elle signifie en fait que l'aide n'est octroyée que si l'actif ne peut combler le passif, ce qui n'avait jamais été envisagé dans aucun texte antérieur. Voilà pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, il faut non seulement améliorer le fonctionnement de la CONAIR, lui donner des moyens supplémentaires, mais aussi changer le dispositif : trente dossiers seulement se trouvent aujourd'hui en situation d'apurement !
    De plus, cet endettement est souvent le corollaire de la réinstallation. Une décision rapide permettrait d'obtenir que les créanciers consentent un abattement total des pénalités et sensible du capital. Comme l'avait précisé Pierre Bérégovoy en 1992 déjà, dans un courrier adressé aux préfets et aux trésoriers-payeurs généraux, il convient d'utiliser les dispositions de droit commun sur les entreprises en difficulté. Ces dispositions doivent permettre aux créanciers de renoncer à l'ensemble des pénalités et des frais et d'engager une discussion concernant les intérêts.
    Toujours dans le même esprit, Pierre Bérégovoy incitait les préfets et les trésoriers-payeurs généraux à utiliser le système du crédit d'impôt pour les sommes restant dues aux créanciers. Ce mécanisme permettrait à l'Etat de n'avoir aucune inscription budgétaire à traiter et, au contraire, de percevoir pour les années à venir des rentrées fiscales calculées sur les sommes que les créanciers, en particulier les établissements bancaires, ne passeraient plus en pertes et profits.
    Pour toutes ces raisons, je proposerai demain, lors de la discussion du projet de la loi de finances rectificative - j'espère que certains collègues de la majorité reprendront cette idée, car elle retiendra sans doute alors davantage l'attention du ministre du budget -, que soit prise en compte la suggestion des associations de rapatriés concernant la remise automatique des dettes jusqu'à un plafond de 106 000 euros. Cette remise automatique faciliterait le désengorgement des commissions aujourd'hui submergées par les dossiers. Au-delà d'une somme supérieure à 106 000 euros, il paraît logique et nécessaire qu'une commission de type CONAIR améliorée statue au niveau national en introduisant un abattement systématique de 50 % pour l'ensemble des dossiers éligibles, ce qui permettrait de parvenir beaucoup plus aisément à l'apurement par tour de table de l'ensemble des créanciers.
    M. Kléber Mesquida. Excellente proposition !
    M. Gérard Bapt. Il serait juste, aussi, d'étendre aux pupilles de la nation le bénéfice de l'effacement total des dettes professionnelles, prévu par l'article 44 de la loi de finances de 1986.
    Je voudrais terminer, monsieur le secrétaire d'Etat, en évoquant le douloureux problème des disparus, hélas toujours actuel pour les familles ! Leur nombre a été évalué à 3 000. Ce serait un grand geste de reconnaissance et de solidarité que d'attribuer à ces familles, qui sont dans un deuil dont elles ne peuvent sortir, le même niveau d'indemnisation que celui qui a été attribué aux victimes de la Shoah par le gouvernement Jospin et que le gouvernement actuel va étendre, à juste titre, à l'ensemble des familles victimes de la déportation, que la cause en ait été éthnique ou politique, notamment aux familles de résistants. Monsieur le secrétaire d'Etat, il faut entendre les associations de rapatriés et accepter qu'une commission paritaire soit mise en place pour faire le point sur cette question, établir la vérité historique et prendre en considération le sort des familles touchées par ces disparitions à jamais douloureuses.
    La question des rapatriés ne relève pas d'un clivage droite-gauche. La résoudre exige beaucoup de volonté et de ténacité. Monsieur le secrétaire d'état, j'espère que le texte que vous préparez sera discuté et amélioré par le Parlement, hors de tout esprit partisan, pour clore dans la dignité ce douloureux dossier. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La suite du débat est renvoyé à la prochaine séance.

3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :
    Suite du débat sur les rapatriés ;
    Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, n° 1152, relatif à l'accueil et à la protection de l'enfance :
    Mme Henriette Martinez, rapporteure au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport n° 1249.)
    La séance est levée.
    (La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT