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ASSEMBLÉE NATIONALE
DÉBATS PARLEMENTAIRES


JOURNAL OFFICIEL DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE DU MERCREDI 14 JANVIER 2004

COMPTE RENDU INTÉGRAL
2e séance du mardi 13 janvier 2004


SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

1.  Questions au Gouvernement «...».

AVENIR DE LA RECHERCHE «...»

M. Jean-Michel Dubernard, Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies.

CRÉDITS DE LA RECHERCHE «...»

M. François Hollande, Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies.

POLLUTION DU PRESTIGE «...»

M. Jean Dionis du Séjour, Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable.

AVENIR DE LA RECHERCHE «...»

M. Frédéric Dutoit, Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies.

LUTTE CONTRE LE PROXÉNÉTISME
ET LA PROSTITUTION À PARIS «...»

MM. Claude Goasguen, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

SÉCURITÉ ROUTIÈRE «...»

MM. Marc Laffineur, Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.

RÉFORME DE L'ASSURANCE MALADIE «...»

MM. Jean-Marie Le Guen, Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.

APPRÉCIATION DE L'EURO
PAR RAPPORT AU DOLLAR «...»

MM. François Guillaume, Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

CONSÉQUENCES
DE L'IRRESPONSABILITÉ PÉNALE «...»

MM. Daniel Spagnou, Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.

TAXE INTÉRIEURE SUR LES PRODUITS PÉTROLIERS «...»

MM. Jean-Pierre Kucheida, Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

FORCES FRANÇAISES AU KOSOVO «...»

Mmes Geneviève Colot, Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense.

LUTTE CONTRE LE TERRORISME «...»

MM. Georges Fenech, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.

Suspension et reprise de la séance «...»
PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC

2.  Nomination d'une députée en mission temporaire «...».
3.  Statut d'autonomie de la Polynésie française. - Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet de loi adoptés par le Sénat après déclaration d'urgence. «...».

Rappel au règlement «...»

MM. René Dosière, le président.

Suspension et reprise de la séance «...»
Ouverture de la discussion «...»

Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer.
M. Jérôme Bignon, rapporteur de la commission des lois.
M. Pascal Clément, président de la commission des lois.

Loi organique
EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ «...»

Exception d'irrecevabilité de M. Jean-Marc Ayrault : M. René Dosière.

PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES

MM. René Dosière, Eric Raoult, Jean-Jack Queyranne, le président de la commission. - Rejet.

Loi ordinaire
EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ «...»

Exception d'irrecevabilité de M. Jean-Marc Ayrault : M. René Dosière, Mme la ministre, MM. Jean-François Mancel, Christian Paul, Jean-Christophe Lagarde. - Rejet.
Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.
4.  Ordre du jour de la prochaine séance «...».

COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

    M. le président. La séance est ouverte.
    (La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

    M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
    Nous commençons par le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

AVENIR DE LA RECHERCHE

    M. le président. La parole est à M. Jean-Michel Dubernard.
    M. Jean-Michel Dubernard. Madame la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, la pétition qui circule dans les milieux de la recherche traduit l'inquiétude...
    M. Michel Delebarre. Légitime !
    M. Jean-Michel Dubernard. ... de milliers de chercheurs appartenant à des institutions publiques. Ils s'interrogent sur leur avenir en France et en Europe.
    M. Jacques Desallangre. Eh oui !
    M. Jean-Michel Dubernard. Cette pétition a l'intérêt d'ouvrir le débat sur les relations entre recherche publique et recherche privée, entre financement public et financement privé. Elle pose aussi la question de la capacité de la France et de l'Europe à répondre aux besoins dans ce domaine. On nous annonce qu'il faudra 600 000 nouveaux chercheurs ou ingénieurs d'ici à 2010. C'est, en réalité, la question de la formation...
    M. Jacques Dessallangre. C'est mal parti !
    M. Jean-Michel Dubernard. ... et de l'attractivité de la recherche qui est ainsi posée, notamment pour les jeunes chercheurs dont un certain nombre se fixent aux Etats-Unis ou en Grande-Bretagne à l'issue de leurs études doctorales ou post-doctorales.
    M. Jacques Desallangre. C'est la faute du Gouvernement !
    M. Jean-Michel Dubernard. Madame la ministre, pouvez-vous nous éclairer sur ce que fait le Gouvernement (« Rien ! » sur les bancs du groupe socialiste) pour former, pour conserver et pour attirer les meilleurs des jeunes chercheurs ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies.
    Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies. Monsieur le député, je vous remercie de me donner l'occasion de présenter quelques actions concrètes. La recherche est une priorité stratégique pour notre pays. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jacques Dessallangre. Encore heureux !
    Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies. Et elle se fait avec les jeunes qui y sont engagés ou qui veulent s'y engager. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    Nous augmentons les moyens, nous maintenons l'emploi scientifique et, surtout, nous permettons aux jeunes d'exprimer leur volonté de s'engager dans la recherche.
    M. Yves Cochet. C'est faux !
    Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies. Depuis deux ans, ces jeunes en cours de formation ont bénéficié d'une revalorisation de 15 % de l'allocation de recherche, alors qu'auparavant leur salaire était de l'ordre du SMIC.
    De même, nous mettons en place des contrats post-doctorants - 400 ont été créés en 2003 et 200 supplémentaires le seront en 2004 - ...
    Mme Martine David. Pourquoi font-ils une pétition, alors ?
    Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies. ... pour que les jeunes qui ont besoin de continuer à se former avant de s'engager ne soient pas amenés à le faire aux Etats-Unis.
    Par ailleurs, nous lançons des mesures d'attractivité spécifiques- d'un montant de 5 millions d'euros en 2004 - pour encourager les jeunes qui sont partis à revenir.
    Voilà un ensemble de mesures destinées aux jeunes avec lesquels nous allons construire notre avenir.
    La mobilisation du Gouvernement est absolument nécessaire car il s'agit de combler notre retard en matière de recherche. L'objectif est ambitieux : y consacrer en 2010 3 % de notre produit intérieur brut.
    M. Yves Cochet. Baratin !
    Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies. Tous les acteurs doivent concourir à la réalisation d'une recherche publique, d'une recherche fondamentale, d'une recherche qui permette d'acquérir des connaissances, d'une recherche qui se mette au service de l'entreprise et de l'économie, d'une recherche créatrice de valeur et d'emplois. Le Gouvernement a fait un effort incontestable pour l'année 2004. Merci de me donner l'occasion de le mettre en évidence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

CRÉDITS DE LA RECHERCHE

    M. le président. La parole est à  M. François Hollande, pour le groupe socialiste. (Huées sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. François Hollande. Monsieur le Premier ministre, ma question s'adresse à vous parce qu'elle concerne un fondamental de l'action publique : la recherche. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Comme l'a dit M. Jean-Michel Dubernard, une pétition de 5 000 signataires circule parmi les plus grands chercheurs de notre pays, les scientifiques de plus grand renom. Ceux-ci expriment plus qu'une inquiétude. Ils alertent, ils menacent - et je crois qu'il faut les entendre - ...
    M. Charles Cova. Ce sont des fonctionnaires !
    M. François Hollande. ... de démissionner si les crédits de la recherche - notamment ceux affectés à leurs laboratoires - ne sont pas rétablis.
    Ces scientifiques de toutes disciplines, de toutes sensibilités politiques reprochent au Gouvernement trois faits incontestables :
    En 2002, vous avez gelé une partie des crédits qui étaient précisément affectés aux laboratoires de la recherche publique. Ces crédits n'ont jamais été versés malgré les promesses qui avaient été faites. (« Eh oui ! sur les bancs du groupe socialiste.)
    En 2003, vous avez réduit les crédits du budget de la recherche et donc privé leurs organismes de moyens indispensables.
    M. Jean Marsaudon. La faute à qui ?
    M. François Hollande. Ils vous reprochent enfin de ne pas avoir ouvert des postes de jeunes chercheurs au tout début de l'année 2004.
    Monsieur le Premier ministre, vous avez vous-même évoqué le rôle irremplaçable de la recherche, condition majeure du progrès économique, espoir de beaucoup de familles pour la guérison de nombreuses maladies, moyen indispensable à la réussite économique et à la compétitivité de nos entreprises.
    Vous avez annoncé une loi à l'horizon 2010. Je vous demande de prendre un engagement immédiat. Pouvez-vous dire dès aujourd'hui à la représentation nationale que vous rétablissez les crédits qui ont été gelés en 2002 et que vous les affecterez, dès la semaine prochaine aux organismes et aux laboratoires de recherche publics ?
    Pouvez-vous vous engager à faire en sorte que soient tout de suite créés les cent postes de jeunes chercheurs qui ont été promis avec les embauches correspondantes dès le mois de janvier ?
    Monsieur le Premier ministre, nous n'en sommes plus aux promesses vagues et aux horizons lointains. Il est question d'actes et de résultats. Je vous attends et j'espère être entendu. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jacques Desallangre. Très bien !
    M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies. Monsieur le député, je vous ferai deux réponses immédiates.
    Les crédits qui avaient été gelés en 2002 ont été débloqués, comme je l'avais annoncé le 4 décembre : ils sont actuellement dans les laboratoires. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Vous pouvez vérifier les chiffres.
    Un député du groupe socialiste. Envoyez-la sur Mars !
    Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies Par ailleurs, chaque chercheur, chaque ingénieur parti en retraite en 2003 a été remplacé par un chercheur, par un ingénieur dans des formes d'emploi scientifique différentes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Et puis, monsieur Hollande, s'il vous plaît : la situation que vous décrivez, ce retard de la recherche française relève de votre propre bilan et de votre gestion inadéquate. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    L'exode des cerveaux ? En 1990, 50 % des doctorants français aux Etats-Unis rentraient ; en 2000, il y en avait moins de 25 %. L'allocation de recherche ? Elle a été revalorisée de 15 % en deux ans ; elle ne l'avait jamais été pendant que vous étiez au Gouvernement.
    Certes, des contrats d'objectifs avaient été signés en avril 2002, juste avant notre arrivée. Mais aux autorisations de programme ne correspondaient pas des crédits de paiement.
    La crise actuelle, vous l'avez préparée. Je dois maintenant la gérer le plus sereinement possible. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Votre bilan : en 1991, 2,41 % du produit intérieur brut étaient consacrés à la recherche. En 2002, 2,2 % seulement.
    Mon bilan : les mesures pour les jeunes, que je viens d'évoquer ; 3,9 % d'augmentation des moyens pour la recherche, malgré un contexte difficile ; des mesures destinées à stimuler l'entreprise ; plus de flexibilité pour l'emploi.
    Vous voulez polémiquer. Je n'en ai pas le temps. Je travaille, avec les chercheurs parce que la recherche est notre priorité et notre avenir. Je m'engage à y travailler. Nous nous engageons à avancer parce qu'il y a du retard. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

POLLUTION DU PRESTIGE

    M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe UDF.
    M. Jean Dionis du Séjour. Madame la ministre de l'écologie et du développement durable, les habitants de l'ensemble du littoral atlantique - à commencer par ceux de l'Aquitaine - sont inquiets.
    En effet, alors qu'on s'en croyait débarrassé, après avoir été particulièrement touché pendant plus de six mois, des galettes de fioul souillent depuis maintenant plus de quatre jours cent kilomètres de côte vendéenne. Celles-ci proviennent bien de la pollution du Prestige ; les premiers prélèvements démontrent que les hydrocarbures sont les mêmes que ceux que transportait le pétrolier qui a sombré le 19 novembre 2002 au large de la Galice.
    Les prévisions météorologiques, pluie et vents violents, sont inquiétantes. L'état de la mer, avec des creux de cinq à six mètres, ne facilite pas la surveillance. C'est donc à nouveau, l'ensemble du littoral atlantique, et notamment le littoral aquitain, qui est menacé par une pollution majeure.
    M. Jacques Desallangre. Tout à fait !
    M. Jean Dionis du Séjour. Or les dispositifs de surveillance et de nettoyage mis en place à cet effet par l'Etat et les collectivités locales ont été considérablement allégés. Cette nouvelle vague de pollution survient au plus mauvais moment pour les professionnels du tourisme : la période des premières réservations pour les vacances d'été.
    Il est urgent que l'Etat se mobilise à nouveau et soit prêt à toutes les éventualités, aux côtés des collectivités locales.
    Madame la ministre, quelles mesures a prises le Gouvernement pour garder propres les plages de l'Aquitaine et celles du littoral atlantique ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre de l'écologie et du développement durable.
    Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de l'écologie et du développement durable. Monsieur Dionis du Séjour, comme nous pouvions le craindre et comme je l'avais annoncé ici même à l'Assemblée, nous nous trouvons devant une pollution d'un type jamais vu : sporadique, de longue durée et particulièrement stressante pour les populations. Nous pouvions nous attendre à ce que les fortes tempêtes des derniers jours soient l'occasion de nouveaux atterrissages sur nos côtes, ce qui s'est produit. C'est la raison pour laquelle les services de l'Etat étaient, bien entendu, entièrement mobilisés.
    Cette pollution est moins grave que celle que nous avons connue. Faisons le point : quelques plages sont touchées en Vendée, un atterrissage assez fort ayant eu lieu aux Sables-d'Olonne et en Charente-Maritime. L'île d'Oléron et l'île de Ré sont particulièrement touchées. Trois plages le sont en Gironde, une plage l'est dans les Landes et, pour l'instant, aucune ne l'est dans les Pyrénées-Atlantiques.
    Nous avons d'abord procédé à des reconnaissances approfondies en mer pour y récupérer des nappes d'hydrocarbure ; nous n'en avons pas repéré. Nous avons envoyé des échantillons de polluant au LASEM de Brest, ainsi qu'au Laboratoire départemental d'analyse de la Vendée. Il semble bien, en effet, qu'il s'agisse des mêmes hydrocarbures que ceux relevés autour du Prestige. Météo France fait des calculs de dérive à rebours, qui seront connus à la fin de la semaine et devraient nous permettre de situer l'origine du polluant.
    Le CEDRE, qui est entièrement mobilisé, a procédé à une reconnaissance côtière pour déterminer la meilleure façon de récupérer ce polluant. Pour l'instant, c'est le ramassage manuel qui est le plus approprié, car les cribleuses ne fonctionnent pas sur le sol mouillé et les rouleaux ramassent trop d'algues à l'heure actuelle. Pour l'instant, les services des collectivités locales sont amplement suffisants pour faire face à cette pollution sporadique et limitée. Mais, bien entendu, si la pollution devenait plus importante, les services de l'Etat, qui assurent une surveillance constante, se mobiliseraient immédiatement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

AVENIR DE LA RECHERCHE

    M. le président. La parole est à M. Frédéric Dutoit, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
    M. Frédéric Dutoit. Comme je n'ai pas été convaincu par vos propos, madame la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies, j'évoquerai à nouveau la question de la recherche. Si tout le monde s'y intéresse aujourd'hui, c'est bien qu'il y va de l'avenir de nos sociétés et du développement des hommes. Or la recherche publique est asphyxiée. Les chercheurs sont désespérés, au point que plusieurs milliers d'entre eux menacent de démissionner ou de s'exiler. Le fait est sans précédent.
    Depuis bientôt deux ans, de nombreuses voix s'élèvent pour condamner votre politique à l'égard de la recherche publique. En cherchant à assurer la promotion de la recherche par les entreprises et son financement privé, vous sacrifiez les établissements publics et la recherche fondamentale.
    M. Charles Cova. C'est faux !
    M. Frédéric Dutoit. Entre 2002 et 2003, des millions d'euros de crédits ont été gelés ou annulés. Même si vous vous engagez aujourd'hui à les utiliser en 2004, le compte n'y sera pas.
    Mais ce n'est pas tout : en précarisant le métier de chercheur, vous éloignez notre jeunesse de la science. La seule réponse du Gouvernement serait de distiller au compte-gouttes ces crédits selon les besoins et de proposer l'adoption d'une nouvelle loi d'orientation avant la fin 2004.
    Comment pouvez-vous ignorer que votre politique entraînera inexorablement à court terme l'effondrement de la recherche appliquée ? Ignorez-vous donc le lien entre l'apparition d'innovations technologiques majeures et le niveau de la recherche fondamentale ?
    Madame la ministre, êtes-vous d'accord pour engager tout de suite la préparation d'assises nationales de la recherche afin de sortir d'une situtation inacceptable pour le rayonnement des scientifiques et industriels de notre nation, comme le demandent aujourd'hui plus de 4 000 chercheurs en France ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies.
    Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies. Monsieur Dutoit, nous avons déjà eu l'occasion d'aborder ces questions. Vous avez compris à quel point je suis mobilisée. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Cette mobilisation a abouti aux actions concrètes que je vous ai présentées pour 2004.
    Notre objectif est de replacer la recherche au niveau mondial, qu'il s'agisse de la recherche fondamentale (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), ou de la recherche industrielle et de ses applications. (Nouvelles exclamations sur les mêmes bancs.) Nous avons de grands projets, qui répondent à des logiques un peu différentes de celles qui ont été mises en place jusqu'à présent.
    M. Bernard Roman. Les chercheurs manquent de moyens ! C'est incroyable !
    Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies. Au-delà des structures, des projets et des contrats, réfléchissons ensemble à ce que doit être notre recherche et à son évolution. Nous devons préparer un projet de loi d'orientation vingt-deux ans après la loi de 1982 de M. Chevènement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) L'évolution du système de recherche le rend indispensable ! Cela ne réglera pas tout, mais on doit le faire !
    J'ai entamé en juillet le dialogue avec la communauté scientifique. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Un projet circule dans les organismes de recherche.
    Ces organismes s'interrogent. J'ai précisé, depuis le premier jour de la pétition, que j'étais prête à recevoir et à discuter. Car ce sont des choses que l'on doit construire ensemble. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) On ne travaille pas contre mais avec la communauté scientifique. (Nouvelles exclamations sur les mêmes bancs.) Ma porte lui est ouverte !
    Les assises dont vous souhaitez la tenue concernent la communauté scientifique et les acteurs de l'entreprise. Vous savez à quel point nous devons investir davantage en recherche et développement. La recherche fondamentale doit servir aussi notre économie, notre croissance et l'emploi. Nous devons créer de la valeur avec notre intelligence. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Pour notre gouvernement, c'est une priorité ! (Vifs applaudissements sur les bancs de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

LUTTE CONTRE LE PROXÉNÉTISME
ET LA PROSTITUTION À PARIS

    M. le président. La parole est à M. Claude Goasgen, pour le groupe UMP.
    M. Claude Goasgen. Je souhaite saluer, au nom des élus parisiens et de tous les Parisiens, les résultats politiques que le Gouvernement, le Premier ministre et le ministre de l'intérieur ont obtenus en matière de lutte contre la délinquance à Paris. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Monsieur le ministre de l'intérieur, je souhaite vous interroger plus particulièrement sur la baisse remarquable du proxénétisme et de la prostitution à Paris. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Durant des années, on s'est interrogé, dans cet hémicycle, sur le caractère inéluctable du racolage actif et passif dans les grandes villes, en se posant même des questions métaphysiques : pour reprendre l'expression de certains, fallait-il donner un statut aux « travailleurs du sexe » ?
    M. Jean-Marie Le Guen. C'était Mme de Panafieu !
    M. Claude Goasguen. Il est temps, monsieur le ministre, d'éclairer les Parisiens sur les résultats réels de notre politique dans ce domaine, car un député socialiste, qui participe très régulièrement aux débats, a eu le toupet de demander à la radio des explications à ce sujet. Comme il ne les demande pas lui-même dans cet hémicycle...
    M. François Hollande. Vous posez la question à sa place !
    M. Claude Goasguen. ... et qu'il a jugé dérisoires les annonces du ministre de l'intérieur, je vous demande de nous donner des explications.
    Les élus du 18e arrondissement, notamment son maire, ont manifesté contre la prostitution. Alors, soyez gentil, monsieur le ministre : l'ancien ministre de l'intérieur a précédemment tout raté, donnez-lui sa chance comme manifestant ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Huées sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. La question de la prostitution est une des plus difficiles, d'abord parce qu'elle ne prête ni à la caricature ni à la gaudriole : il s'agit d'êtres humains, qu'ils soient sur le trottoir ou qu'ils vivent dans les immeubles et n'en peuvent plus, dans le 18e arrondissement ou ailleurs.
    A la suite d'un débat digne et responsable, nous avions décidé tous ensemble qu'il fallait faire quelque chose. Et nous avons agi, à Paris et ailleurs.
    Les chiffres de la préfecture de police de Paris dont je dispose ne devraient pas être contestables, puisque le préfet de police a été choisi par le précédent gouvernement et que nous lui avons renouvelé notre confiance. Son curriculum vitae montre qu'il a été directeur de cabinet d'un ministre socialiste. Alors, ce n'est tout de même pas le groupe socialiste qui contestera la parole d'un haut fonctionnaire de cette qualité que nous avons confirmé avec M. Raffarin ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Sur ce sujet, toutes les précautions sont prises.
    Il y avait au début de l'année 2003 à Paris 1 700 prostituées sur la voie publique. A la fin de l'année, le chiffre est tombé à 1 000, soit 40 % de moins. Comment avons-nous obtenu un tel résultat ?
    M. Christian Bataille. Préparons-nous au triomphe !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Premièrement, pour une raison simple. Il vous intéressera certainement d'apprendre, mesdames, messieurs les députés, que 279 proxénètes ont été arrêtés en 2003. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est 82 % de plus qu'en 2002, et je n'aurai pas la cruauté de comparer avec 2001, parce que l'écart est abyssal. Or, quand les proxénètes sont en prison, les prostituées peuvent quitter le trottoir.
    Deuxièmement, 126 prostituées étrangères ont été raccompagnées chez elles. Je ne vois pas au nom de quoi nous aurions dû les garder réduites à l'état d'esclave sur nos trottoirs. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Christian Bataille. C'est grotesque !
    M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Troisièmement, 100 prostituées ont accepté de dénoncer leur proxénète et nous leur avons fourni un titre de séjour et une protection, comme nous nous y étions engagés.
    Enfin, quatrièmement, il y a eu 1 747 procédures pour racolage, car je ne vois pas, là encore, au nom de quoi certain Parisiens devraient être condamnés à rentrer chez eux entre deux haies de prostituées et de proxénètes, au milieu des clients qu'ils attirent. Ceux qui trouvent cette situation normale n'ont qu'à aller vivre dans ces immeubles... (« Démago ! » sur les bancs du groupe socialiste.)... où plus personne ne veut habiter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

SÉCURITÉ ROUTIÈRE

    M. le président. La parole est à M. Marc Laffineur.
    M. Marc Laffineur. Monsieur le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer, il y a trente ans, la route causait en France 16 000 décès par an et, l'insécurité routière était vécue comme une fatalité. En juillet 2002, le Président de la République, estimant inadmissible que la France soit le mauvais élève de l'Europe en ce domaine, a fait de la lutte contre la violence routière l'une des grandes priorités de son quinquennat.
    Depuis lors, sous l'impulsion du Premier ministre et la vôtre, les pouvoirs publics se sont donné les moyens d'une juste ambition : renforcement des contrôles, surtout lors des périodes difficiles, application stricte des amendes et des peines, fin de la tolérance à l'égard des excès de vitesse. Les médias se sont régulièrement fait l'écho des bons résultats obtenus grâce à l'action ferme et déterminée du Gouvernement.
    Au début de cette année 2004, je souhaite vous remercier, ainsi que le Premier ministre, au nom de l'Assemblée nationale, mais surtout au nom de tous les Français, pour les quatre vies sauvées chaque jour dans notre pays.
    Pouvez-vous nous détailler le bilan de votre action en matière de sécurité routière pour l'année écoulée, et nous dire également quelles sont vos ambitions pour 2004, notamment en ce qui concerne les jeunes, qui meurent encore trop souvent sur nos routes, en particulier le week-end ?
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.
    M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer. Monsieur le député, vous avez eu raison de le souligner, le nombre de victimes sur les routes depuis trente ans n'a cessé de baisser, alors que le trafic était dans le même temps multiplié par trois.
    Néanmoins, les résultats obtenus en 2003 sont historiques à un double titre. D'abord par l'ampleur du phénomène. Jamais, en effet, on n'avait connu une diminution aussi forte en une seule année : 20 % de baisse, c'est autant de vies épargnées, de blessés en moins. Ensuite, c'est la première fois, depuis qu'on a des statistiques sur cette question, que le chiffre de tués est en deçà de 6 000.
    Pour être significative, la comparaison doit aussi se faire par rapport à l'année 2001.
    En 2001, en effet, il n'y avait pas eu de mesure prise alors qu'en 2002, souvenez-vous, à l'appel du Président de la République et à la suite des états généraux de la sécurité routière, le Gouvernement avait arrêté un certain nombre de décisions. On a observé alors une baisse de 1 988 morts en 2003 par rapport à 2001, soit plus de 25 % : c'est un quart de vies humaines supplémentaires sauvées par rapport à 2001. Voilà un vrai succès, qui démontre à la fois la mobilisation des pouvoirs publics - de tous les fonctionnaires qui ont eu à connaître de ce problème, qu'ils travaillent sur la voie publique, à la justice, à l'équipement, à l'éducation nationale, ou autres, et des associations des élus locaux.
    Mais la situation reste insatisfaisante pour certaines catégories d'usagers de la route comme les jeunes, les motocyclistes et les cyclomotoristes. Avec l'aide des forces de l'ordre - gendarmerie et police - et grâce à la mise en place le 1er mars 2004 du permis probatoire et à la signature, avec les professionnels des boîtes de nuit, d'une charte dans le même esprit que celle qui a été signée ce matin avec les professionnels de la route par le Premier ministre, l'année 2004 sera encore meilleure.
    Il n'y a aucune raison pour que la France, après avoir montré une volonté quasiment unanime d'enclencher un cercle vertueux, ne soit pas - même s'il y faut quelques années - le meilleur élève de l'Europe. Nous allons tous y travailler, avec la même volonté et la même persévérance. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

RÉFORME DE L'ASSURANCE MALADIE

    M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Le Guen.
    M. Jean-Marie Le Guen. Avant de poser une question, je voudrais dire à M. le Premier ministre que les chercheurs de notre pays ont l'habitude de lire les chiffres.
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. La question !
    M. Jean-Marie Le Guen. Ils ne se contentent donc pas à de vaines promesses. Ils savent regarder la réalité - c'est un peu leur métier -, ce qui explique peut-être qu'ils soient aujourd'hui plus de cinq mille à avoir signé une pétition. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    Monsieur le Premier ministre, selon plusieurs informations parues dans la presse, vous auriez l'intention d'utiliser, dans le courant de l'été, la procédure des ordonnances pour réformer, sans débat et sans contrôle, notre assurance maladie. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Si telle était votre intention, il s'agirait évidemment d'une mauvaise manière faite au Parlement et à la démocratie. En effet, vous priveriez ainsi tous les députés et l'opposition du droit de discuter et d'amender votre projet. Ce serait aussi une mauvaise façon de réformer notre sécurité sociale. Vos prédécesseurs s'y sont essayés, en 1967 et M. Juppé en 1995, avec les résultats que l'on connaît, résultats qui devraient pourtant vous faire réfléchir avant d'agir de la sorte. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Pour réformer vraiment, il faut permettre aux partenaires sociaux d'être entendus, il faut débattre et discuter en toute transparence devant les Français, pour susciter leur adhésion. Si votre intention est de passer en force, alors que vous n'avez rien fait depuis trois ans... (Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Il ne sait pas compter !
    M. Jean-Marie Le Guen. ... c'est que vous ne devez pas être fier de ce que vous allez proposer. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Démentez-vous l'hypothèse selon laquelle vous voudriez agir par ordonnances, ou bien allez-vous cacher encore aux Français vos véritables intentions tant que les élections du mois de mars n'ont pas eu lieu ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées.
    M. Jean-François Mattei, ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Monsieur Le Guen, je veux d'abord saluer l'assiduité avec laquelle vous participez, avec d'autres parlementaires, aux travaux du Haut conseil pour l'avenir de l'assurance maladie, et je crois que nous devrions faire preuve, dans cette assemblée, de l'état d'esprit qui règne dans cette instance, c'est-à-dire du désir d'avancer dans un souci de vérité et de transparence. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Je ne cherche pas à polémiquer, alors ne posez pas de questions polémiques ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    La sécurité sociale, c'est vrai, a été réformée en 1967 et en 1995 par ordonnances. Or, vous ne les avez pas abrogées entre 1997 et 2002, c'est tout simplement qu'elles vous convenaient ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. François Hollande. Répondez !
    Le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. La stratégie du Gouvernement est très claire. Nous prenons le temps, et tout le temps, du débat.
    M. François Hollande. Non à la question !
    Le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. Nous sommes dans le temps du diagnostic qui arrive à son terme puisque le Haut conseil doit me remettre son rapport le 23 janvier. Lorsque le Gouvernement en aura analysé les différents éléments, viendront les phases du dialogue, de la concertation,...
    M. Bernard Roman. Après les élections !
    M. Julien Dray. On sait que les mauvais coups se font le 15 août !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. ... et de la négociation avec les partenaires sociaux et les professionnels. Enfin, le Gouvernement prendra ses décisions,...
    M. Bernard Roman. Pendant les vacances !
    M. le ministre de la santé, de la famille et des personnes handicapées. ... et présentera une réforme d'ensemble que nous aurons, bien sûr, à discuter. (Applaudissement sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française.)

APPRÉCIATION DE L'EURO
PAR RAPPORT AU DOLLAR

    M. le président. La parole est à M. François Guillaume.
    M. François Guillaume. Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, l'euro n'en finit pas de s'apprécier par rapport au dollar, qui a perdu en deux ans le tiers de sa valeur relative. La dévaluation de la monnaie américaine n'est pas accidentelle. Elle est manifestement provoquée par les Etats-Unis, soucieux de réduire leur déficit commercial abyssal grâce à la relance des exportations et à l'enchérissement des importations qui permet le bouleversement des parités monétaires. Ainsi stimulée, l'économie américaine connaît une croissance spectaculaire. La situation de l'Union européenne est à l'inverse : elle perd des parts de marché, sur tous les continents, pénalisée par la surévaluation de sa monnaie par rapport au dollar, et même par rapport à d'autres devises, tels le yen ou plus encore le yuan.
    M. Jacques Desallangre. Dites cela à M. Trichet !
    M. François Guillaume. Puisque, le coût de l'argent est à l'évidence déterminant pour les investissements, créateurs de richesses et d'emplois, ne croyez-vous pas qu'il est urgent que la Banque centrale européenne sorte de son immobilisme,...
    M. Jacques Desallangre. C'est M. Trichet le patron, pas M. Mer !
    M. François Guillaume. ... d'ailleurs dénoncé par plusieurs de vos collègues européens et par d'éminents économistes, baisser les taux d'intérêt, comme l'a fait avec les résultats plus qu'avantageux que l'on sait la Federal Reserve américaine ? Pour pallier les conséquences sur le commerce international des fluctuations erratiques des monnaies, bien plus pénalisantes pour les échanges que les barrières tarifaires subsistantes, n'estimez-vous pas opportun de rouvrir, à l'OMC, le débat sur le dumping monétaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
    M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur le député, au risque de vous décevoir, je répondrai que ce n'est pas une modification de 1 % du taux d'intérêt par la banque centrale, pour l'aligner sur celui pratiqué par la FED aux Etats-Unis, qui résoudra le problème du déséquilibre commercial de la balance américaine. Malheureusement ! Ce serait trop simple et ne pourrait que soulager à la marge la pression qui s'exerce actuellement du fait de la baisse du dollar.
    Aujourd'hui, ce n'est pas l'euro qui est fort, c'est le dollar qui est faible, parce que les soubassements de l'économie américaine, en termes de commerce et d'endettement, sont relativement plus faibles que ceux de l'Europe.
    Cela dit, je ne peux pas contester que, même si la réévaluation de l'euro a beaucoup d'avantages pour ceux qui importent, et par conséquent pour tous les consommateurs européens, elle a aussi quelques désavantages, surtout si elle devait se poursuivre, pour ceux qui exportent en dehors de la zone euro,...
    M. Jacques Desallangre. M. de La Palice n'aurait pas dit mieux !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... soit en gros un tiers des exportations.
    Dans un tel contexte, à qui s'adresser ? Aujourd'hui, il existe une instance, le G 7, qui regroupe l'Europe, l'Amérique du Nord et le Japon, au sein de laquelle nous allons essayer, la prochaine fois que nous nous rencontrerons, début février en Floride, de découvrir ensemble comment émettre des signaux pour que les marchés se rendent compte que les différentes zones économiques sont menacées d'un déséquilibre trop profond si ces évolutions se poursuivent.
    M. François Hollande. C'est rassurant !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Soit dit en passant, nous devons avoir l'honnêteté de reconnaître que l'organisation mondiale de l'économie - il ne s'agit pas forcément de l'OMC - aura besoin d'être progressivement dotée de quelques outils communs. Nous n'en sommes pas encore là. Il y a trente-trois ans, certains d'entre eux ont été détruits par le président des Etats-Unis. Depuis, nous n'avons pas encore réussi à trouver la pierre philosophale, nous y arriverons un de ces jours. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

conséquences de l'irresponsabilité pénale

    M. le président. La parole est à M. Daniel Spagnou.
    M. Daniel Spagnou. Monsieur le président, en préambule, je souhaite que nous ayons une pensée pour les deux élèves de Saint-Cyr qui sont morts de froid cette nuit au cours d'un exercice au col de Restefond, dans la vallée de l'Ubaye.
    Monsieur le garde des sceaux, ma question porte sur un objectif majeur de la réforme du fonctionnement de l'institution judiciaire, à savoir une meilleure prise en compte des droits des victimes.
    Conformément aux engagements pris par le Président de la République devant les Françaises et les Français, vous avez mis en place, au cours des derniers mois, des groupes de travail sur le dossier particulièrement épineux des victimes de malades mentaux. Je m'en félicite, d'autant que, au-delà des enjeux humains et citoyens qui concernent malheureusement de trop nombreuses familles, j'ai moi-même été victime, il y a quelques mois, d'un geste incompréhensible de la part d'un déséquilibré.
    Devant la détresse et le désarroi des familles, qui se trouvent dans l'impossibilité d'accomplir leur deuil lorsque l'auteur des faits punissables a été reconnu irresponsable - les poursuites pénales s'arrêtent et le non-lieu est prononcé -, nous ne pouvons rester les bras croisés. Nous avons le devoir d'apporter enfin des réponses.
    Une première réponse réside dans la constatation des faits commis ; une autre, non moins importante, dans la réparation, notamment financière, due aux victimes. Il faut enfin garantir un suivi et un contrôle réels de la personne à l'origine du crime ou du délit à sa sortie de l'hôpital, afin de prévenir efficacement les risques de récidive.
    Aussi, monsieur le garde des sceaux, ma question est-elle à la fois directe et simple : quelles sont les réponses que vous entendez apporter aux trop nombreuses victimes et familles actuellement oubliées par notre appareil judiciaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
    M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, je partage votre analyse sur le caractère inacceptable de la situation actuelle, à la fois pour les victimes et pour la société.
    Inacceptable pour les victimes, dans la mesure où, une fois que le non-lieu pour irresponsabilité a été prononcé, on ne leur apporte aucune réponse, ni à elles, ni à leur famille, si bien qu'elles ont le sentiment très profond que la justice n'est pas passée.
    S'agissant de la société, une inconnue demeure : que deviendra l'auteur des faits lorsqu'il aura été soigné - efficacement ou non - en hôpital psychiatrique et qu'il sera libéré ? On ne le sait pas au moment où la justice est saisie. C'est pour répondre à cette question que j'ai demandé à un groupe de travail composé de professionnels, c'est-à-dire de magistrats, d'avocats, de psychiatres qui se sont beaucoup investis sur ce sujet, et de représentants d'associations de victimes, de réfléchir à cette question, qui est une vraie question.
    Je veux d'abord dire très clairement à l'Assemblée nationale que, contrairement à ce que j'ai lu ici ou là, il ne s'agit pas de juger les fous. Toutefois, après que la concertation que j'ai lancée sera achevée, il s'agira d'apporter aux victimes deux types de réponses.
    Premièrement, comme vous l'avez vous-même suggéré, il faut faire en sorte que la constatation de l'irresponsabilité n'entraîne pas une déclaration de non-lieu, mais que la réalité soit reconnue en disant à la victime : « cela s'est passé tel jour, à telle heure, et c'est telle personne qui a commis les faits ». C'est extrêmement important. Deuxièmement, il s'agit, à l'audience, de décider des conséquences civiles, c'est-à-dire éventuellement des indemnisations. Au-delà, pour la suite, il s'agit de donner à la justice les moyens de dire quelles sont les obligations qui s'imposeront à cette personne lorsqu'elle aura quitté l'hôpital psychiatrique.
    Voilà quels sont les deux objectifs de cette réflexion, dont j'aurai, bien sûr, l'occasion de vous saisir lorsque le travail sera achevé. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Taxe intérieure sur les produits pétroliers

    M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Kucheida.
    M. Jean-Pierre Kucheida. Monsieur le président, mes chers collègues, nous avions bien compris que le Gouvernement procéderait par ordonnances pour réformer la sécurité sociale. Nous sommes bien contents qu'on nous l'ait confirmé ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
    L'année 2004 s'ouvre sur des mesures au goût amer : hausse des prix du tabac et du gazole pour tous leurs consommateurs, baisse de la durée des allocations pour les chômeurs, hausse des salaires des fonctionnaires de 0,5% quand l'inflation est à 2,2%.
    Amers, les automobilistes français le sont tout particulièrement car le Gouvernement vient de renchérir de 3 centimes d'euro, 20 centimes de franc, par litre la taxe intérieure sur les produits pétroliers. Cette hausse, présentée comme indispensable au financement du ferroviaire, était-elle nécessaire ? Non car, avec un euro au plus haut - l'euro n'a pas que des inconvénients ! - face au dollar qui est la monnaie d'achat du pétrole et avec un prix du baril de pétrole en baisse en 2003, les tarifs pour les automobilistes devraient bien plutôt connaître une baisse.
    Or, une fois de plus, les automobilistes français sont pris pour les vaches à lait de ce pays. Pourtant, nous avions mis en place une TIPP flottante, répondant à ces variations. Vous avez refusé, monsieur le ministre des finances, d'appliquer le mécanisme en 2002.
    M. Michel Bouvard. Cela ne marchait qu'à la hausse, que lorsque le prix du baril augmentait !
    M. Jean-Pierre Kucheida. Vous avez d'ailleurs été condamné, à la demande de Didier Migaud, par le Conseil d'Etat. C'est pourquoi, ensuite, vous l'avez supprimée, alors qu'elle permettait une régulation de la facture des automobilistes.
    M. Richard Mallié. Quelle est la question ?
    M. Jean-Pierre Kucheida. Et pourquoi ? Pour renflouer les caisses de l'Etat de 800 millions d'euros, soit 5,5 milliards de francs. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Vous avez aussi négligé les préoccupations environnementales en écartant des possibilités telles que le ferroutage ou le tunnel ferroviaire alpin, entre autres. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Monsieur le ministre, quand allez-vous remettre en place la TIPP flottante ? Qui profite honteusement de cette hausse ? Un euro valait 0,88 dollar au 1er janvier 2002, et vaut 1,25 dollar aujourd'hui. Un baril de pétrole valait 31 dollars au 1er janvier 2003 et vaut 28 dollars au 1er janvier 2004. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Monsieur Kucheida, veuillez poser votre question, s'il vous plaît!
    M. Jean-Pierre Kucheida. Cette hausse dégrade une fois de plus le niveau de vie de 60 % de nos compatriotes. Quand prendrez-vous conscience de l'exaspération des Français d'en bas ? Quand arrêterez-vous de les traire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
    M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Monsieur Kucheida, rassurez-vous, je n'ai aucunement l'intention de traire les Français ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    Cela dit, tâchons d'être honnêtes et lucides. Nous avons besoin de recettes fiscales, convenez-en ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Tout le monde en a besoin ! Parmi ces recettes figure la TIPP.
    Deuxièmement, nous avons besoin d'avoir une politique rationnelle. Il y a six ans, le Parlement a décidé, notamment à l'initiative de mon ami Migaud (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), de réduire la différence entre la taxation sur l'essence et celle sur le gazole. M. Migaud a commencé, je continue. (« Bravo ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Nous avons raison ensemble, pour des motifs environnementaux.
    Troisièmement, il faut tout de même rappeler que, malgré la hausse qui vient d'intervenir, et grâce peut-être à la force de l'euro, le prix du gazole payé par tous les Français aujourd'hui...
    M. François Hollande. ... est très élevé !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... est le même qu'il y a un an à la même époque...
    M. Alain Néri. Ce n'est pas vrai !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... et de 10% inférieur à ce qu'il était au mois de mars.
    Par ailleurs, le prix du gazole payé par les Français, les vaches à lait que vous voulez traire,...
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Non, vous !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... est inférieur de 5 % à ce qu'il est en Allemagne, de 6 % à ce qu'il est en Italie et de 20 % à ce qu'il est en Angleterre.
    Je ne sais pas où l'on trait les vaches ; en tout cas, on les trait moins bien ici qu'ailleurs ! (Rires)
    Enfin, en ce qui concerne la destination de ces 800 millions d'euros, nous avons voulu que le transport paye le transport. C'est mon ami Bussereau qui en a décidé...
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Il a des amis partout !
    M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. ... et je lui renvoie l'ascenseur en lui disant que, dorénavant, une forme de transport terrestre va payer pour une autre, le transport ferroviaire. De cette manière, tout le monde sera content et les vaches seront bien gardées ! (Applaudissements et rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

FORCES FRANÇAISES AU KOSOVO

    M. le président. La parole est à Mme Geneviève Colot, pour le groupe UMP.
    Mme Geneviève Colot. Madame la ministre de la défense, je rentre d'une mission au Kosovo auprès de nos forces militaires. Pendant quatre jours, j'ai pu apprécier le travail exceptionnel qu'elles accomplissent : sécurisation des enclaves serbes en territoire albanais, sécurisation des lieux sensibles tels que les églises et les monastères, aide médicale à la population, action humanitaire. Nos troupes sont à l'origine de multiples initiatives pour rapprocher les deux communautés et permettre le retour progressif des populations déplacées. Nous pouvons tous, sur ces bancs, être fiers de ce que réalise là-bas notre armée, une armée de la paix au service de la sécurité et de la liberté de tout un peuple.
    Ils sont actuellement 20 000 soldats de différentes nationalités au sein de la KFOR. En janvier, ils ne seront plus que 18 000 et 14 000 fin mai. Des élections se dérouleront en novembre de cette année et 2005 déterminera le statut définitif du Kosovo.
    Compte tenu de ces deux périodes à haut risque, vu les tensions toujours latentes, pouvez-vous, madame la ministre, indiquer à la représentation nationale quel calendrier le Gouvernement compte adopter pour le désengagement progressif de nos troupes dans ces zones particulièrement sensibles ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre de la défense.
    Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de la défense. Madame la députée, je suis très sensible à votre appréciation du travail réalisé par nos militaires dans les Balkans, et tout particulièrement au Kosovo, et je vous remercie de votre témoignage. Il est bon aussi de manifester à nos militaires, qui vivent dans des conditions difficiles, notre reconnaissance du travail qu'ils font. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    Les Balkans sont une zone proche de nos frontières dont la sécurité et la stabilité nous intéressent tout particulièrement. C'est ce qui a motivé l'engagement de la France depuis le début et le maintien de son engagement actuel.
    Il est vrai que la situation a enregistré beaucoup de progrès, vous l'avez souligné, qui ont permis notamment le retour de la population. Pour autant, cette situation demeure encore fragile et instable dans un certain nombre d'endroits, et particulièrement au Kosovo. C'est la raison pour laquelle le désengagement des alliés se fait progressivement sur l'ensemble des Balkans. L'effectif global passera de 30 500 hommes aujourd'hui à 17 500 en novembre 2004. Cette décroissance des effectifs se fait d'une façon parallèle en Bosnie et au Kosovo.
    A partir du deuxième semestre 2004, c'est à nous qu'il reviendra d'assurer le commandement de cette opération au Kosovo. Nous allons insister auprès de nos partenaires pour qu'ils maintiennent leurs effectifs. Ensuite, nous continuerons, bien entendu, de travailler en très étroite liaison avec le Haut représentant des Nations unies pour que, au fur et à mesure, et à travers les élections et la mise en place des institutions, ce pays retrouve une vie normale. Bien évidemment, notre désengagement progressif se fera alors en fonction de l'évolution de la situation, avec toujours cette même préoccupation d'assurer dans cette partie du monde la paix et la stabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Lutte contre le terrorisme

    M. le président. La parole est à M. Georges Fenech, pour le groupe UMP.
    M. Georges Fenech. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    Les policiers de la direction de la surveillance du territoire ont interpellé plusieurs personnes, la semaine dernière, en région lyonnaise, dans le cadre d'une enquête sur les filières tchétchènes en France. Six personnes ont été arrêtées à Vénissieux et à Auxerre dans ce cadre : un imam de quartier, son épouse et leur fils, le nouvel imam de la grande mosquée de Vénissieux ainsi que deux autres personnes. Je tiens à saluer au passage l'excellent travail de la DST et des juges de la section antiterroriste de Paris.
    Les médias ont notamment relayé l'information selon laquelle le fils aîné de l'imam aurait suivi une formation spéciale en Asie centrale pour mettre au point des substances toxiques.
    Par ailleurs, l'enquête semblerait accréditer l'hypothèse qu'un attentat chimique était en préparation en France.
    Monsieur le ministre, pouvez-vous informer la représentation nationale sur le contexte de ces arrestations et faire le point sur ce type de risque sur notre territoire ainsi que sur les moyens mis en oeuvre pour les anticiper ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
    M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le député, au mois de décembre 2002, les services secrets français ont démantelé un réseau, resté dans le langage courant comme le réseau de Romainville et de La Courneuve. Un dénommé Menad Benchellali a été écroué, et les services ont la conviction que, à l'époque, ce réseau avait pris pour cible particulière l'ambassade de Russie à Paris et maniait des produits chimiques.
    Le 6 janvier, la DST a interpellé huit membres de l'entourage de la famille Benchellali. Six ont été mis en examen. Et, à l'occasion de cette enquête, les services ont découvert que, dans la mosquée, on trafiquait des faux papiers, on recrutait pour le djihad. Ils ont découvert aussi qu'un certain nombre des personnes écrouées avait commis des vols avec violence et des escroqueries.
    Un complément d'enquête a permis, grâce aux aveux de certaines personnes interpellées, de confirmer que Menad Benchellali avait reçu une formation pour la fabrication de produits chimiques et que les risques d'attentat, lors du passage de 2002 à 2003, étaient réels.
    Je crois, comme vous, que nous pouvons féliciter les services pour leur action ainsi que, avec le garde des sceaux, le pôle de magistrats antiterroristes pour la leur, notamment, M. Bruguière.
    Nous ne devons rien accepter en la matière, mais notre devoir à nous, républicains, est de dire aux Français de ne faire aucun amalgame. Ce lieu de prières a été dévoyé par des gens au comportement inacceptable qui ont des comptes à rendre à la police et à la justice. Mais nos compatriotes doivent savoir que tous les lieux de prières ne sont naturellement pas des lieux d'accueil d'activités terroristes et que l'on peut être musulman pratiquant en même temps qu'un parfait républicain.
    Si je confirme que la vigilance est de règle à l'endroit de ceux qui se comportent de cette façon, je tiens à adresser un message d'apaisement à nos compatriotes musulmans qui n'ont aucune raison d'être inquiétés simplement parce que certains ont fauté et auront à le payer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures quinze sous la présidence de M. Jean Le Garrec.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC,
vice-président

    M. le président. La séance est reprise.

2

NOMINATION D'UNE DÉPUTÉE
EN MISSION TEMPORAIRE

    M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre une lettre m'informant de sa décision de charger Mme Béatrice Pavy, députée de la Sarthe, d'une mission temporaire, dans le cadre des dispositions de l'article LO 144 du code électoral, auprès de M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.
    Cette décision a fait l'objet d'un décret publié auJournal officiel du mardi 13 janvier 2004.

3

STATUT D'AUTONOMIE
DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE

Discussion d'un projet de loi organique et d'un projet
de loi adoptés par le Sénat après déclaration d'urgence

    M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française (n°s 1323) et du projet de loi complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française (n°s 1324, 1336), l'un et l'autre adoptés par le Sénat après déclaration d'urgence.
    La Conférence des présidents a décidé que ces textes donneraient lieu à une discussion générale commune.

Rappel au règlement

    M. le président. La parole est à M. René Dosière.
    M. René Dosière. Monsieur le président, mon rappel au règlement est fondé sur le premier alinéa de l'article 58. Je souhaite protester contre les conditions dans lesquelles ces textes importants vont être débattus par la représentation nationale. Ils ont en effet été discutés en première lecture, selon la procédure d'urgence, le 18 décembre au Sénat, et nous avions, nous, jusqu'au 6 janvier pour déposer des amendements. Or, en termes parlementaires, le 6 janvier, c'est en réalité le lendemain du 18 décembre puisque, dans l'intervalle, c'est la période des fêtes de Noël et du jour de l'an.
    Chacun sait que c'est une période de congés propice au travail et que, dans tous les bureaux, à Paris ou à Papeete, tout le monde est en place et en mesure de fournir des renseignements. Tel n'était pas tout à fait le cas au Sénat puisque le texte qu'il a adopté n'a été disponible dans sa version intégrale que le mardi 6 janvier.
    M. Christian Paul. Ce n'est pas sérieux !
    M. René Dosière. J'ai vérifié à plusieurs reprises pendant la période de Noël et c'est effectivement le 6 janvier au matin que ce texte a été mis en distribution dans nos services. C'est ce jour-là que la commission des lois s'est réunie pour désigner son rapporteur, notre ami picard Jérôme Bignon, dont on peut reconnaître la très forte capacité de travail, puisque le lendemain, 7 janvier, il était en mesure de nous présenter son rapport en commission. Seul un Picard est capable de réaliser de tels exploits ! Le rapport de la commission des lois a été disponible ce matin.
    Ces textes concernent l'avenir de la Polynésie, territoire de la République dans le Pacifique, qui joue un grand rôle pour la place de la France dans le monde, et met en jeu le rôle de la France dans cette partie du monde. Il est vrai que je ne suis député que depuis douze ans, mais je ne me souviens pas que des textes aussi importants aient été discutés dans des conditions aussi lamentables.
    Je tenais par conséquent à manifester notre indignation et, afin que je puisse examiner, avec les membres de mon groupe, le rapport publié ce matin et dont nous n'avons pas eu le temps de prendre connaissance dans sonintégralité, je vous demande, monsieur le président, une brève suspension de séance, d'un quart d'heure.
    M. le président. Nous prenons acte, monsieur Dosière, de votre déclaration. Toutefois, vous l'avez vous-même précisé, les délais ont beau être courts, nous connaissons tous la capacité de travail du rapporteur, ses qualités, celles de Mme la ministre et les vôtres, et ce n'est pas un quart d'heure de plus qui réglera le problème. Je vous accorde donc une suspension de séance, pour que votre déclaration soit prise en compte, mais elle n'excédera pas cinq minutes, et nous reprendrons nos travauximmédiatement après.

Suspension et reprise de la séance

    M. le président. La séance est suspendue.
    (La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures vingt-cinq.)
    M. le président. La séance est reprise.
    La parole est à Mme la ministre de l'outre-mer.
    Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire qui vous sont soumis, tels qu'adoptés par le Sénat enpremière lecture, sont la première traduction sur le plan législatif des nouvelles dispositions de l'article 74 de la Constitution consacré aux collectivités d'outre-mer.
    La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 a supprimé la catégorie des « territoires d'outre-mer », que les évolutions statutaires récentes avaient peu à peu vidée de sa substance, et y a substitué celle des « collectivités d'outre-mer », régie par l'article 74, dont certaines peuvent être dotées de l'autonomie.
    Ces collectivités d'outre-mer se caractérisent principalement par la grande souplesse que leur confère le texte constitutionnel quant à leur régime législatif - qui peut osciller de la spécialité législative la plus étendue à la quasi-identité -, quant à l'organisation de leurs institutions et quant à la répartition des compétences entre ces collectivités et l'Etat, aux termes de laquelle ces collectivités peuvent être autorisées à intervenir dans des domaines qui, en métropole, relèvent du législateur. Tel était d'ailleurs déjà le cas depuis 1946 pour les territoires d'outre-mer.
    Les collectivités d'outre-mer de l'article 74 appartiennent par ailleurs aux collectivités territoriales de la République dont elles forment une catégorie : les dispositions générales du titre XII leur sont donc pleinement applicables, et d'abord le principe de libre administration par une assemblée délibérante élue, mais aussi celui de la libre disposition de leurs ressources, ou encore l'interdiction de la tutelle d'une collectivité sur une autre. Le représentant de l'Etat, représentant de chacun des membres du Gouvernement, doit naturellement y exercer ses attributions de garant des intérêts nationaux, du respect des lois et du contrôle administratif, dans des conditions équivalentes à celles qui prévalent en métropole.
    La Polynésie française est un territoire d'outre-mer depuis 1946. Avec les statuts de 1976 et de 1984, elle a considérablement accru sa liberté d'action au sein de la République. La loi organique du 12 avril 1996 a pris acte de cette évolution en lui accordant un statut de très large décentralisation, qualifié d'« autonomie » par la loi organique elle-même. C'est donc très logiquement, et dans la suite de ces précédentes évolutions, que le présent projet de loi organique accorde à la Polynésie française un statut d'autonomie en se fondant sur l'article 74 révisé de la Constitution, qui consacre désormais cette notion.
    Le projet de loi organique ouvre en conséquence à la Polynésie française le bénéfice de l'ensemble des dispositions contenues dans l'article 74 pour les collectivités qui sont qualifiées d'autonomes. La Polynésie française, en demeurant régie par l'article 74, ne change pas de régime : l'adoption du présent statut n'est donc pas subordonnée au consentement préalable des électeurs, laquelle n'est requise par la Constitution que dans le cas de changement du régime de l'article 74 vers celui de l'article 73, ou l'inverse.
    M. René Dosière. On a consulté la population, à Mayotte !
    Mme la ministre de l'outre-mer. Les actes de l'assemblée délibérante de la Polynésie française qui interviennent dans le domaine de la loi seront soumis à un contrôle juridictionnel que la Constitution qualifie de « spécifique » et qui sera exercé directement devant le Conseil d'Etat, sous certaines conditions qui distinguent ce contrôle du contrôle de légalité de droit commun. Le droit au recours juridictionnel effectif, garanti par la Constitution et par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, est préservé, et ces actes demeureront soumis aux principes généraux du droit. En revanche, les autres délibérations de l'assemblée de la Polynésie française, de même que les actes du gouvernement local, continueront de relever du régime contentieux de droit commun, qui est celui des actes administratifs ordinaires.
    La Polynésie française pourra également voir ses compétences protégées contre des empiètements subreptices du législateur, qui interviendraient postérieurement à l'adoption du présent statut. Dans l'état actuel du droit, en effet, une loi promulguée et contraire à la répartition des compétences résultant de la loi organique antérieure ne peut pas être remise en cause. Désormais, le Conseil constitutionnel, saisi par les autorités locales, pourra constater un tel empiètement et « déclasser » les dispositions litigieuses, qui pourront ainsi être modifiées par l'assemblée de la Polynésie française.
    Dans les domaines, très sensibles localement, de l'emploi, de l'établissement pour l'exercice d'une activité professionnelle et de la protection du patrimoine foncier, l'article 74, dixième alinéa, de la Constitution autorise une collectivité d'outre-mer à prendre des mesures justifiées par les nécessités locales en faveur de sa population.
    Les articles 18 et 19 du projet de loi organique mettent en oeuvre ce principe. Il reviendra à la Polynésie française de justifier pour chaque secteur ou type d'activité les critères objectifs et rationnels qui fondent les mesures envisagées.
    En matière foncière, c'est un droit de préemption qui pourra s'exercer à l'égard de certaines transactions entre vifs, ce qui exclut bien évidemment les transactions par héritage.
    Le Gouvernement considère que l'adoption par le Sénat d'un amendement qui ouvre le bénéfice de ces mesures de protection aux personnes nées en Polynésie française reflète la volonté du constituant.
    Dans tous les cas, les « nécessités locales » - formulation issue, je le rappelle, de la Convention européenne des droits de l'homme - devront donc être explicitement précisées sous le contrôle du juge, à qui il appartiendra de se prononcer sur la constitutionnalité des mesures prises, tant au niveau de la réglementation générale que de l'application individuelle, ainsi que sur leur conformité aux engagements internationaux de la France.
    La Polynésie française pourra également participer sous le contrôle de l'Etat à l'exercice de certaines compétences dites « régaliennes », que la Constitution sanctuarise au bénéfice de l'Etat.
    Le projet de loi organique organise les modalités de cette procédure nouvelle de participation. Il en fixe le champ d'application : édiction de normes, y compris dans le domaine législatif, missions de sécurité publique, constatation et recherche des infractions, politique étrangère. Il définit également les modalités selon lesquelles s'exerce le contrôle de l'Etat sur les actes de la Polynésie française dans ces matières.
    Ainsi qu'il a été précisé lors des débats qui ont précédé l'adoption de la loi constitutionnelle, ce contrôle de l'Etat pourra s'exercer pour des motifs de légalité comme pour des motifs de pure opportunité.
    Ainsi, en matière normative, les propositions de la Polynésie française dans le domaine législatif ou réglementaire, qui ne pourront d'ailleurs porter que sur les compétences limitativement énumérées à l'article 31, devront être approuvées par décret. Le Gouvernement a fait adopter par le Sénat un amendement qui instaure une obligation de ratification expresse par le Parlement, dans le délai de dix-huit mois, des décrets approuvant un acte local intervenant dans le domaine de la loi.
    Ainsi la Polynésie française pourra-t-elle plus facilement obtenir l'adoption de règles destinées à permettre la recherche et la constatation des infractions de polices spéciales, sous la réserve, essentielle, que ces règles devront respecter les garanties accordées sur l'ensemble du territoire national en matière de libertés publiques. Les agents de la Polynésie française, qui participeront à de telles missions de recherche et de constatation des infractions, devront être agréés par l'autorité judiciaire et assermentés. Ainsi sera réglée la question, récurrente et frustrante, de l'inapplication des réglementations locales par défaut de transposition locale par les autorités de l'Etat des règles relatives à la recherche et à la constatation des infractions. Cette inaction de l'Etat conduisait inévitablement à des demandes sans cesse croissantes de transferts de compétence.
    Dans le domaine de la sécurité publique, les agents de la Polynésie française pourront intervenir sur le terrain à la seule initiative du haut commissaire de la République, sous l'autorité opérationnelle des autorités de la police nationale ou de la gendarmerie, et dans des conditions strictement encadrées.
    Dans le domaine de la politique étrangère, le projet de loi permet d'associer la Polynésie française aux procédures de conclusion des engagements internationaux de la France, y compris dans le domaine des compétences de la Polynésie française. Les engagements internationaux ainsi conclus seront ensuite soumis aux procédures d'approbation ou de ratification prévues par la Constitution. Les prérogatives du chef de l'Etat et du Gouvernement de la République sont donc préservées, mais la Polynésie française acquiert une légitime liberté de manoeuvre qui lui permettra de participer au rayonnement de la France dans le Pacifique.
    Le projet de loi procède par ailleurs à une extension substantielle des compétences propres de la Polynésie française : ainsi, dans le domaine du droit civil, avec le transfert aux autorités locales des matières autres que celles liées à l'état des personnes, à l'autorité parentale et aux régimes matrimoniaux ; en droit commercial et en droit du travail, qui sont intégralement transférés à la Polynésie française ; ou encore dans le domaine des liaisons aériennes, du statut des navires ou de la sécurité maritime. Il n'est procédé, dans le sens inverse, au retour vers l'Etat, que de la protection judiciaire de la jeunesse, à la demande des autorités locales.
    De façon générale, le projet de la loi organique s'efforce de trancher les difficultés créées à la suite d'interprétations jurisprudentielles peu favorables à l'autonomie territoriale, en précisant ou en réécrivant les dispositions législatives antérieures qui le nécessitent.
    Outre le mécanisme précédemment décrit de protection des compétences de la Polynésie française par le Conseil constitutionnel, le projet de loi organique accroît donc considérablement les compétences locales. Pour autant, l'Etat ne se dessaisit pas de ses compétences les plus éminentes, notamment dans le domaine des droits et libertés.
    Ainsi l'article 14 apporte-t-il d'utiles précisions quant aux attributions du médiateur de la République ou du défenseur des enfants, quant à la sécurité et à l'ordre publics, ou encore dans le domaine de la défense nationale. De même, les compétences de l'Etat en matière communale sont-elles davantage explicitées.
    Le transfert à la Polynésie française du droit commercial ne fera pas obstacle à ce que l'Etat, compétent par ailleurs en matière bancaire, continue de fixer les obligations applicables en matière de lutte contre le blanchiment et la circulation illicite des capitaux.
    Le contrôle de légalité pourra s'exercer dans de meilleures conditions, avec la fixation d'une liste d'actes soumis à l'obligation de transmission au haut-commissaire de la République, liste qui n'existe pas aujourd'hui. Le référé-suspension sera désormais applicable dans le cadre du contrôle de légalité ; il aura un effet supensif de plein droit dans certaines matières telles que l'urbanisme, comme c'est le cas en métropole depuis 1993. Le déféré « défense nationale », qui n'existait pas, est également étendu. Les pouvoirs de contrôle de la chambre territoriale des comptes sont alignés sur ceux qui résultent, pour la métropole, des évolutions législatives les plus récentes, et notamment de la loi du 21 décembre 2001.
    En ce qui concerne la démocratie locale, l'équilibre général des institutions locales n'est pas bouleversé par rapport au statut du 12 avril 1996. Il est, de manière générale, amélioré dans les domaines des droits des élus, des compétences des communes et du contrôle de légalité.
    Ainsi les conditions d'exercice de la vie politique locale sont-elles modernisées, pour rejoindre le droit commun des collectivités territoriales : le droit à l'information des membres de l'assemblée est clairement proclamé, de même qu'est reconnu le droit de créer des groupes politiques, dont les moyens seront précisés dans le règlement intérieur. Sous le contrôle du juge, à la différence du statut actuel, la commission permanente ne pourra plus se voir renvoyer, durant l'intersession, les textes intervenant dans le domaine de la loi. Ceux-ci ne pourront être adoptés que dans le cadre d'une procédure solennelle, à la majorité absolue des membres de l'assemblée.
    Ces derniers devront être informés dans les meilleurs délais des décisions juridictionnelles administratives ou judiciaires intéressant la légalité des actes des institutions de la Polynésie française.
    Le Conseil économique, social et culturel pourra désormais se saisir pour avis de tous les textes, y compris ceux en discussion devant l'assemblée de la Polynésie française, ce qu'il ne pouvait pas faire précédemment. Sa composition et ses règles de fonctionnement seront fixées par l'assemblée de la Polynésie française et non plus par des arrêtés du conseil des ministres. Le Gouvernement est favorable à l'extension de l'obligation de consultation de ce conseil aux actes dénommés « lois du pays ».
    Le nombre d'élus requis pour le dépôt d'une motion de censure est par ailleurs abaissé.
    Les droits des élus de la Polynésie française sont ainsi confortés comme ils ne l'ont jamais été précédemment.
    Le référendum local décisionnel et le droit de pétition des électeurs sont instaurés.
    Il me faut également mentionner les communes de la Polynésie française, auxquelles le projet de statut accorde une place considérable et dont il renforce clairement les compétences et modernise l'organisation. Dès lors que la Polynésie française exerce une compétence de droit commun et l'État une compétence d'attribution, il importait que soit garantie aux communes une « réserve minimale de compétences » qui soit opposable aux autorités territoriales.
    Une fiscalité directe assurant des ressources propres aux communes devra être instaurée par la Polynésie française. De même, les communes pourront désormais se voir déléguer l'exercice de diverses compétences dans les domaines de l'énergie, de l'assainissement ou de l'urbanisme. Le projet de loi organique donne ainsi toute sa portée, en Polynésie française, au principe constitutionnel qui prohibe toute tutelle d'une collectivité sur une autre.
    Le projet de loi ordinaire habilite le Gouvernement à compléter le code général des collectivités territoriales pour y insérer les dispositions relatives aux communes de la Polynésie française : l'actuel code des communes appliqué localement, code incomplet et obsolète, sera donc remplacé par un cadre juridique modernisé qui alignera les communes polynésiennes sur le régime communal de droit commun, avec, notamment, la transformation de la tutelle, qui est toujours en vigueur, en contrôle juridictionnel a posteriori.
    Les agents des communes se verront dotés d'un statut moderne qui garantira aussi bien leurs droits que la neutralité des règles de recrutement. Ce statut fera l'objet d'une ordonnance.
    La Constitution révisée permet de prendre en compte les légitimes aspirations des Polynésiens à se gouverner librement dans le cadre de la République. Elle autorise les plus larges transferts de compétence, étant entendu, toutefois, que les matières dites « régaliennes » sont sanctuarisées au profit de l'Etat et que, si celui-ci peut en déléguer l'usage, c'est toujours sous son étroit contrôle.
    Ainsi, monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le présent projet de loi organique et le projet de loi ordinaire qui le complète procèdent-ils, dans le respect des dispositions de la Constitution révisée par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003, à une profonde modernisation du cadre statutaire de la Polynésie française, dont l'autonomie au sein de la République est tout à la fois consacrée, étendue, protégée et encadrée.
    C'est bien le moins, s'agissant d'une collectivité située à 20 000 kilomètres de la métropole et dont la population, pour être profondément attachée à la République, n'en est pas moins, et c'est légitime, soucieuse de préserver ses traditions, sa culture et sa langue.
    Les projets de loi soumis à votre délibération confortent la Polynésie française comme partie intégrante de la République, nominativement désignée à l'article 72-3 de la Constitution, lequel consacre solennellement cette appartenance, à laquelle seule une révision de la Constitution pourrait mettre fin.
    A la différence de ce que prévoyait le statut qui aurait pu voir le jour si le projet de révision constitutionnelle adoptée en 1999 dans les mêmes termes par les deux assemblées avait été ratifié...
    M. Christian Paul. Il faudrait en parler au Président de la République !
    Mme la ministre de l'outre-mer. ... avait été ratifié, la Polynésie française, même dotée de l'autonomie la plus large, demeure une collectivité territoriale régie par le titre XII de la Constitution : elle ne fait pas l'objet de dispositions particulières.
    Ses compétences s'exercent dans le respect des principes de l'unité de l'Etat, y compris - et surtout - en matière internationale, alors que le projet de 1999 entamait sérieusement l'unité de l'action extérieure de l'Etat.
    Les citoyens français qui résident en Polynésie française pourront sans doute bénéficier de mesures de protection particulières, prévues par l'article 74. Mais, à la différence de la « citoyenneté locale » envisagée par le projet du précédent gouvernement, ces mesures n'ont rien d'automatique et, comme je l'ai déjà souligné, elles devront être justifiées par les nécessités locales.
    On s'éloigne donc radicalement d'un mécanisme d'exclusion au profit d'une logique de protection. La notion de « citoyenneté locale » n'a d'ailleurs pas de sens dans notre tradition républicaine, et si elle existe en Nouvelle-Calédonie il convient de rappeler que c'est seulement à titre transitoire, dans le cadre d'un processus politique particulier, limité à ce territoire et fondé sur la restriction du droit de suffrage.
    Il fallait rompre avec cette tendance à la parcellisation de la citoyenneté française, qui ne pouvait que porter en germe de graves atteintes à l'unité du peuple français.
    De même, la Constitution révisée n'a pas entendu conférer aux collectivités d'outre-mer dotées de l'autonomie un quelconque pouvoir législatif : elle vise seulement, en soumettant leurs actes à un contrôle juridictionnel « spécifique », à leur permettre de s'affranchir de contraintes jurisprudentielles qui restreignaient par trop leur liberté d'action, notamment par la prohibition de la rétroactivité des règlements. Il n'est donc pas porté atteinte, par le présent statut, à l'unité du pouvoir législatif de la nation. Pour autant, les collectivités d'outre-mer disposent d'une très large capacité de réglementation dans le domaine de la loi.
    Voilà donc l'inspiration qui a présidé à l'élaboration des deux projets de loi qui vous sont soumis et sur lesquels votre commission des lois, qui a accompli un travail tout à fait excellent, et que je tiens à saluer, vous propose d'apporter des corrections avec lesquelles, je puis d'ores et déjà vous l'indiquer, monsieur le président de la commission, le Gouvernement est très largement d'accord.
    Ce dernier projet de statut d'autonomie de la Polynésie française permettra à cette collectivité d'outre-mer de se gouverner librement et démocratiquement dans le cadre de la République. Il consacre ainsi, à un degré rarement atteint, une décentralisation particulièrement avancée, justifiée pour un territoire très éloigné de la métropole par la géographie mais passionnément attaché à la République par l'histoire et par le coeur. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Jérôme Bignon, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, vingt années après le premier statut d'autonomie, la Polynésie française va bénéficier, si nous adoptons les deux textes qui nous sont soumis, d'une autonomie renforcée, devenant ainsi, comme vous l'avez dit, madame la ministre, la première collectivité d'outre-mer à profiter des avancées contenues dans la Constitution réformée le 25 mars de l'année dernière.
    L'autonomie, contrairement à ce qui peut être dit, contrairement à ce que certains craignent, constitue, j'en suis profondément convaincu, une garantie forte de l'ancrage de la Polynésie au sein de la République française. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est également un outil puissant au service du développement économique de la Polynésie. Si vous le voulez bien, arrêtons-nous un instant sur ces deux points.
    L'autonomie n'est pas l'antichambre de l'indépendance : c'est au contraire la meilleure garantie du maintien de la Polynésie dans notre République. Comprenons-nous bien, mes chers collègues : nos compatriotes polynésiens vivent dans des conditions très particulières, liées à l'éloignement de la métropole - 20 000 kilomètres, comme l'a rappelé Mme la ministre -, à l'insularité et aux particularismes de cette insularité. Grâce à notre collègue Béatrice Vernaudon, j'ai joint au rapport une carte représentant les archipels de la Polynésie,...
    M. Robert Pandraud. Très bien !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. ... qui fait apparaître, et c'est quelque chose qu'il faut avoir en tête, que, si les îles Marquises étaient à la hauteur d'Oslo, les îles de la Société seraient en France métropolitaine et les îles Australes un peu au nord de Palerme. Cela donne une idée de la complexité des liaisons maritimes et aériennes, notamment en raison de la difficulté de construire des aéroports sur des atolls ou des archipels montagneux. Il faut avoir à l'esprit ces problèmes particuliers liés à l'histoire et à la géographie de la Polynésie pour comprendre le besoin qu'ont nos compatriotes polynésiens d'avoir un statut particulier.
    M. René Dosière. C'est sans doute pour cela qu'il faut installer la justice administrative à Paris !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Il faut aussi tenir compte de l'histoire des Polynésiens, une histoire longue et belle, liée à une présence dans le Pacifique depuis des centaines d'années. Il faut également penser à leur culture, qui est remarquable, cette culture liée aux arts premiers auxquels notre Président de la République est si attaché.
    M. Christian Paul. Il est moins attaché à la démocratie !
    M. le président. Monsieur Paul !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. En d'autres termes, il convient de leur reconnaître cette identité à laquelle ils tiennent passionnément et comprendre que cette identité, cette histoire, cette culture justifient leur revendication d'une autonomie renforcée. Celle-ci doit garantir leur particularisme en même temps qu'elle doit être le meilleur gage d'un arrimage fort à la République française.
    Plus et mieux d'autonomie, c'est une garantie pour les Polynésiens et pour la République, c'est le meilleur moyen de lutter contre les mouvements indépendantistes.
    L'autonomie, ce n'est pas un statut au service du pouvoir personnel d'un homme, quel qu'il soit. Le statut que nous sommes en train d'élaborer vise au contraire à permettre aux Polynésiens d'être à l'aise dans la République à laquelle ils proclament d'ailleurs régulièrement leur attachement. De nombreux amendements, déposés par le groupe socialiste notamment, vont tenter de réduire cette autonomie...
    M. René Dosière. Non ! Nous voulons introduire un peu plus de démocratie !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. ... et ce en contradiction avec une démarche qu'ils ont adoptée à l'égard de la Nouvelle-Calédonie et en contradiction aussi avec une démarche qu'ils avaient tenté d'adopter dans une réforme non aboutie de 1999.
    M. Christian Paul. Hélas !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Nous n'adopterons pas, pour l'essentiel, ces amendements.
    L'autonomie, c'est également un outil puissant au service du développement économique. J'ai eu l'honneur de rapporter le texte statutaire de 1996. J'avais accompagné, à cette époque, le président Mazeaud...
    M. René Dosière. Eh oui !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. ... pour une visite de travail préparatoire à l'adoption de ce statut. Sept ans plus tard, j'ai participé, cet été, à la mission conduite par le président Clément et j'ai pu constater, en retournant sur les mêmes lieux, les énormes changements intervenus en Polynésie. Il est clair que l'autonomie statutaire renforcée, une équipe d'hommes et de femmes déterminés, passionnés par l'avenir de leur pays, ayant fixé avec le Gouvernement, derrière le président Flosse, des objectifs précis à court et moyen terme pour libérer la Polynésie de sa dépendance financière à l'égard de la métropole,...
    M. René Dosière. Il y a encore des progrès à faire !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. ... tout cela contribue à justifier la politique d'autonomie progressivement accordée en 1984, renforcée en 1996, et qui franchit une nouvelle étape aujourd'hui. Ainsi, le tourisme, la pêche, la perliculture, l'agriculture - avec les efforts développés autour de la vanille - renforcent, comme nous l'avons constaté cet été, des vecteurs très porteurs, qui doivent être encouragés.
    A cet égard, j'attire votre attention sur la progression de 30 % du PIB polynésien entre 1996 et 2002. Ce sont des chiffres qu'on aimerait voir en métropole !
    L'étape que nous allons aider nos compatriotes polynésiens à franchir aujourd'hui est donc essentielle pour leur avenir. Il convient, pour apprécier le nouveau dispositif législatif, d'analyser rapidement l'évolution du cadre législatif régissant la Polynésie et d'examiner les limites du cadre statutaire actuel.
    Du protectorat de 1842 à l'autonomie interne, les statuts ont été nombreux. Marquons, si vous le voulez bien, les deux étapes essentielles depuis 1946, date à laquelle la Polynésie est devenue un territoire d'outre-mer. Une première période, jusqu'en 1984, se caractérise par une décentralisation administrative progressive. Entre 1984 et 1996, une deuxième période se caractérise par le renforcement de l'autonomie.
    M. René Dosière. Grâce aux socialistes !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. C'est vrai que le gouvernement socialiste de l'époque y a eu sa part. Après tout, pourquoi nier cette évidence ? Cette évolution a été rendue possible par différents gouvernements. Cela prouve son caractère sérieux et cela manifeste la continuité à laquelle la République est attachée.
    En 1984, on commence à parler sérieusement d'autonomie mais cela ne sera qu'un palier. En 1996, instruit par les douze années d'expérience du premier statut d'autonomie, le gouvernement va proposer une nouvelle étape, un nouveau palier, de nouveaux transferts de compétences, de nouvelles attributions consultatives, une amélioration importante du fonctionnement des institutions. Bref, un pas très important a été franchi. Mais ce n'était sans doute pas encore suffisant : la plus grande autonomie possible avait certes été accordée à l'époque mais, en raison des contraintes constitutionnelles, nous n'avions pas pu aller jusqu'où voulaient aller nos compatriotes polynésiens.
    Les gouvernements qui se sont succédé après l'adoption de ce statut de 1996 avaient bien conscience des limites qu'imposait la Constitution, puisque M. Jospin lui-même a proposé en 1999 une réforme constitutionnelle qui aurait pu permettre d'aboutir à un nouveau statut. Mais, bien qu'adoptée par l'Assemblée nationale et par le Sénat, elle n'est pas allée à son terme. C'est dire, pour répondre d'un mot à l'indignation de mon collègue picard René Dosière, que l'urgence est justifiée : nos compatriotes polynésiens attendent le nouveau statut depuis 1999.
    M. René Dosière. La faute à qui ?
    M. Christian Paul. Qui en est responsable ?
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Cinq ans après, il était temps qu'un nouveau statut soit adopté. En outre, aboutir à cette réforme en 2004 revêt une valeur symbolique assez forte puisque nous célébrons cette année le vingtième anniversaire du statut de 1984, voté à l'époque par les socialistes.
    Il a donc fallu attendre le 28 mars 2003 pour qu'une révision constitutionnelle importante rende possible la remise en chantier d'un nouveau statut. Ainsi, l'article 74 de la Constitution reconnaît désormais la particularité des collectivités d'outre-mer en prévoyant que leur statut doit tenir compte de leurs intérêts propres au sein de la République, la définition de ce statut étant renvoyée à une loi organique. C'est celle que nous allons examiner aujourd'hui et demain pour la Polynésie française.
    Quel est l'objet de ce statut ? C'est de parvenir à une autonomie renforcée. Comment ce nouveau statut, qui nous est proposé par le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin et par la voix de Mme Girardin,...
    M. René Dosière. Par Jacques Chirac, surtout !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. ... satisfait-il à cet objectif ? Trois moyens doivent être distingués.
    Premièrement, il s'agit d'assurer la mise en oeuvre des nouveaux principes constitutionnels issus de la révision. A cet égard, quatre points méritent d'être soulignés.
    D'abord, les lois du pays. La loi organique autorise l'assemblée de la Polynésie française à adopter des lois du pays soumises au contrôle du Conseil d'Etat.
    M. René Dosière. Ce n'est pas constitutionnel !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. L'article 139 du statut énumère les matières législatives dans lesquelles ces lois du pays pourront intervenir. Mme la ministre en a donné de nombreux exemples tout à l'heure. Ces lois du pays resteront des actes administratifs, leur originalité résidant dans la procédure d'adoption et dans la modalité du contrôle juridictionnel.
    M. René Dosière. Donc, ce ne sont pas des lois !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Deuxième point : la participation de la Polynésie à l'exercice de compétences partagées avec l'Etat. C'est ce qui est prévu aux articles 31 et 32 du projet de loi organique. La Polynésie est autorisée à participer à l'exercice de certaines compétences limitativement énumérées. Cette participation s'exerce soit par des lois du pays, soit par des arrêtés du conseil des ministres de la Polynésie française.
    Troisième mesure rendue possible, très importante et très attendue en Polynésie : la discrimination positive en matière d'emplois - c'est essentiel pour nos compatriotes polynésiens, et notamment les jeunes - et dans le domaine du patrimoine foncier. Cela est rendu possible par l'article 74 de la Constitution, qui dispose que « des mesures justifiées par les nécessités locales » peuvent être prises par la collectivité en faveur de sa population.
    Quatrième point, des dispositions instaurant le droit de pétition et le référendum local décisionnel sont inscrites dans ce texte.
    Par ailleurs, de nouvelles compétences sont transférées au profit de la Polynésie. Ces transferts massifs portent sur onze nouvelles compétences, d'importance variable, qui vont du droit civil à la fixation de l'heure légale, en passant par les principes généraux du droit du travail ou les principes régissant le commerce.
    M. René Dosière. Les casinos !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Il est également proposé un renforcement des compétences internationales dont certaines avaient déjà été accordées par le statut de 1996.
    Troisièmement, le fonctionnement des institutions est amélioré.
    M. René Dosière. On peut le dire comme cela !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. D'abord, il est procédé à des changements terminologiques non négligeables. A cet égard, je citerai trois exemples : la Polynésie est dénommée pays d'outre-mer, le président du Gouvernement devient le président de la Polynésie française,...
    M. René Dosière. Il ne l'était pas déjà ?
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. ... les conseillers territoriaux deviennent des représentants à l'assemblée de la Polynésie française.
    Des modifications sont apportées au fonctionnement des institutions. Ainsi, le président, étant donné les pouvoirs spécifiques qui lui sont accordés par la Constitution...
    M. Christian Paul. Ah ! Nous y voilà !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Par le statut, voulais-je dire.
    M. Christian Paul. Ce lapsus est magistral !
    M. le président. Poursuivez, monsieur le rapporteur, et acheminez-vous vers votre conclusion.
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. S'agissant de ce problème, nos collègues sont toujours dans le domaine du fantasme.
    Le président, étant donné les pouvoirs qui lui sont conférés par le statut, devient une institution.
    Un rôle important est confié au Conseil d'Etat, en lieu et place du tribunal administratif, pour le contrôle juridictionnel des lois du pays, mais aussi pour les recours contre la composition du Gouvernement.
    M. René Dosière. C'est la justice de proximité !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Enfin, une nouvelle circonscription électorale est créée. Compte tenu de l'immensité de l'archipel des Tuamotou-Gambier, il est nécessaire de diviser la circonscription en deux.
    Pour assurer une meilleure représentation géographique, le nombre total de sièges à l'assemblée de la Polynésie française est porté de quarante-neuf à cinquante-sept.
    De plus, s'agissant du mode de scrutin, une prime majoritaire est instituée pour garantir la stabilité de la majorité. Le seuil des suffrages nécessaires pour participer à l'attribution des sièges passe, comme en Nouvelle-Calédonie, à 5 % des inscrits au lieu de 5 % des suffrages exprimés.
    Quatrièmement, le rôle des communes est renforcé.
    M. Christian Paul. Simulacre !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Quarante-huit communes existent en Polynésie, dont la plupart ont seulement trente ans d'existence. Il est apparu aux membres de la mission qui s'est rendue cet été en Polynésie que le rôle de ces communes est trop faible, que la dépendance de celles-ci est trop forte, même s'il n'est pas possible de les comparer à nos communes métropolitaines, du fait de leur jeunesse, de leur taille ou de leur particularisme lié à l'insularité.
    Les projets de loi qui nous sont soumis remédient, en partie, à ces insuffisances, même si des progrès resteront à accomplir. La loi renforce les compétences des communes en leur permettant de bénéficier, dans des conditions plus larges et mieux définies, de ressources propres.
    Quant à la fonction publique territoriale, son fonctionnement sera fortement amélioré grâce à une ordonnance dont le Gouvernement annonce la rédaction.
    Enfin, les communes seront soumises au droit commun de la métropole pour le contrôle de leurs actes, c'est-à-dire que le contrôle a priori sera remplacé par un contrôle a posteriori.
    Tel est, rapidement examiné, le nouveau statut qui est proposé pour la Polynésie française. La commission des lois propose à l'Assemblée de l'adopter et, pour cela, de voter pour le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire qui lui sont soumis. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)
    M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.
    M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je suis heureux que la Polynésie française soit la première collectivité d'outre-mer à bénéficier des nouvelles dispositions de l'article 74 de la Constitution, votées ici même il y a moins d'un an, dans le cadre de la révision constitutionnelle dont j'étais à l'époque le rapporteur. Cette révision a permis à ces collectivités de bénéficier des principes de la décentralisation, qui donnent aux élus locaux le pouvoir de prendre eux-mêmes les décisions concernant la collectivité dont ils ont la charge.
    Pour la Polynésie française, la décentralisation, conduite au bout de sa logique, s'appelle l'autonomie. Cette autonomie est justifiée par les particularismes de cette collectivité. Il est en effet difficilement concevable - et le rapporteur l'a fort justement souligné - d'imaginer gérer efficacement depuis Paris un territoire situé à plus de 20 000 kilomètres de la métropole et s'étendant sur une superficie grande comme l'Europe, avec des traditions, des langues et une culture propres.
    M. René Dosière. Sauf en ce qui concerne la justice, qui doit être à Paris !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Je vous invite donc à vous reporter à la carte qui figure à la fin du rapport de notre commission et qui est à cet égard très significative.
    Depuis le premier statut d'autonomie, qui date de 1984, la Polynésie française s'est considérablement développée. Le produit intérieur brut est ainsi passé de 2,8 milliards d'euros en 1991 à 3,8 milliards en l'an 2000. Cette année-là, la Polynésie française a connu une croissance exceptionnelle de 7,3 %, qui s'est malheureusement ralentie l'année suivante en raison de la crise internationale. Entre 1998 et 2000, l'économie polynésienne a créé près de 2 400 emplois supplémentaires. Voilà pour les chiffres.
    Mais nous avons également eu la chance de pouvoir constater sur place l'importance des progrès économiques réalisés. La délégation de la commission des lois qui s'est rendue en Polynésie française du 25 au 30 août dernier a été impressionnée par le nombre et par la qualité de ces réalisations. J'ai moi-même eu du mal à reconnaître la ville de Papeete, vingt ans après ma première visite dans cette ville, à l'occasion de la préparation du premier statut d'autonomie de 1984.
    Nous avons pu visiter le port de pêche de Papeete, notamment le nouveau bâtiment de mareyage, qui devrait permettre, grâce à des installations modernes, répondant aux normes américaines et européennes, d'augmenter les exportations de poissons vers l'Amérique et l'Europe. Avec des réserves halieutiques estimées à 100 000 tonnes, une zone économique exclusive qui s'étend sur 5 millions de kilomètres carrés et une demande mondiale qui reste très forte, la pêche est sans doute un très beau secteur d'avenir pour la Polynésie française.
    M. Didier Quentin. C'est vrai !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Le tourisme a également largement contribué au développement de la collectivité. Ce secteur en pleine croissance propose désormais une offre diversifiée qui va des hôtels de haut de gamme, comme ceux de Bora Bora connus dans le monde entier, aux pensions de famille mises en place à l'initiative et avec l'aide du gouvernement polynésien et destinées plus particulièrement à la clientèle locale.
    On peut citer enfin la culture de la perle et de la vanille, que le gouvernement polynésien cherche également à développer.
    Ces résultats prometteurs s'expliquent notamment par le dynamisme de l'équipe gouvernementale placée sous l'autorité du président Gaston Flosse : elle a impressionné les membres de la délégation par ses compétences et son professionnalisme.
    Le nouveau statut qui nous est proposé, sur lequel je ne m'attarderai pas trop dans la mesure où il a été longuement présenté par Mme la ministre, conforte cette autonomie destinée - je reprends l'intitulé de l'article 1er - à « conduire durablement la Polynésie française vers le développement économique, social et culturel ».
    Ce statut ne doit pas être jugé en fonction des critères juridiques classiques. Comme je l'ai rappelé tout à l'heure, la situation particulière de la Polynésie française justifie parfaitement que le législateur fasse preuve d'imagination dans ce domaine, à partir du moment où les innovations proposées restent inscrites dans le cadre fixé par l'article 74 de la Constitution. C'est le cas pour la plus symbolique d'entre elles, à savoir la possibilité pour l'assemblée de la Polynésie française de voter dans des matières relevant du domaine de la loi des actes dénommés « lois du pays » et qui seront soumis au contrôle du Conseil d'Etat. Bien qu'intervenant dans des matières législatives, ces actes demeureront, conformément à l'esprit de la révision constitutionnelle de mars dernier, des actes administratifs soumis au respect des principes généraux du droit.
    La Polynésie française pourra également, par une loi du pays, intervenir dans certaines matières limitativement énumérées relevant de la compétence de l'Etat, et, dans ce cas, le projet de loi du pays devra, au préalable, avoir été approuvé par décret et être ratifié a posteriori par le Parlement.
    La Polynésie française pourra également adopter en faveur de sa population, dans le domaine de l'emploi et de la propriété foncière, des mesures justifiées par les nécessités locales. Ces mesures, très attendues localement - nous en avons pris conscience -, devraient permettre de favoriser l'accès à l'emploi des jeunes polynésiens qui arrivent chaque année très nombreux sur le marché du travail et de protéger le patrimoine polynésien. Les critères définis sous le contrôle du juge devront néanmoins être assez souples pour éviter ce qu'un professeur de droit de Papeete appelait « l'ethno-discrimination ».
    Les droits des Polynésiens sont renforcés, puisque le projet de loi organique prévoit d'appliquer à la Polynésie française, avec des adaptations, les dispositions constitutionnelles sur le droit de pétition, qui permet de demander l'inscription à l'ordre du jour de l'assemblée de la Polynésie française d'une question relevant de sa compétence, et sur le référendum décisionnel local.
    Les communes, qui, jusque-là, étaient très dépendantes de l'Etat et de la collectivité tant sur le plan juridique que financier, voient leurs compétences renforcées. Elles pourront également bénéficier d'une fiscalité propre et seront soumises au contrôle a posteriori de leurs actes, comme en métropole. Les principes de la décentralisation doivent s'appliquer aussi à l'intérieur de la Polynésie française. Les communes, avec l'appui de la collectivité, devront progressivement trouver la place qui doit être la leur au sein des institutions.
    Vingt ans après le premier statut d'autonomie, la Polynésie française va bénéficier d'un statut sans équivalent sur le territoire de la République. Cette autonomie renforcée, souhaitée par les Polynésiens, loin de conduire à l'indépendance, devrait, au contraire, consolider l'ancrage de la Polynésie française au sein de la nation. Comme nous l'ont indiqué à plusieurs reprises des Polynésiens lors de notre déplacement et comme nous l'ont répété nos collègues polynésiens en commission, l'autonomie renforcée est pour eux un moyen de prendre en main leur destin, tout en restant au sein de la nation française à laquelle ils sont profondément attachés. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Exceptions d'irrecevabilité

    M. le président. Sur le projet de loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française, j'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. René Dosière.
    M. René Dosière. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai eu l'occasion, tout à l'heure, dans un rappel au règlement, de stigmatiser les conditions d'extrême rapidité dans lesquelles le Parlement a examiné ce texte. Je n'y reviendrai donc pas, sinon pour dire, au début de cette intervention, et contrairement au président de la commission des lois, que je suis malheureux, en tant que parlementaire de la République française, de constater qu'un texte aussi important pour la place de la France dans le monde et pour l'avenir de la Polynésie soit discuté dans des conditions aussi lamentables. Je pense que tous nos compatriotes de Polynésie, qui ont dans le Parlement de la République française une grande confiance, seront terriblement déçus. Qu'ils sachent, en tout cas, qu'ils ne seront pas plus déçus que certains d'entre nous, car au moment où Jean-Louis Debré, le président de l'Assemblée nationale, s'efforce de revaloriser le rôle du Parlement, ce n'est pas avec de telles pratiques qu'on y parviendra. Voilà le constat que m'inspire la triste image que nous allons donner.
    M. Eric Raoult. C'est un peu excessif !
    M. René Dosière. Cela dit, je voudrais d'abord souligner, contrairement à ce que disait, là encore, le président de la commission des lois - je suis désolé d'être, dès le départ, aussi souvent en désaccord avec lui, et je crains que ce désaccord s'aggrave au fil de mon entretien -, les socialistes, loin d'être hostiles à l'autonomie, en sont même les premiers partisans. Faut-il rappeler que le premier statut qui ait fait évoluer la situation en Polynésie est celui de la loi cadre de Gaston Defferre. Je n'oublie pas que le directeur de cabinet de Gaston Defferre était alors un certain Pierre Messmer, mais on me permettra de dire qu'en 1956, c'était tout de même le ministre qui dirigeait son ministère, et que, vraisemblablement, le directeur de cabinet appliquait ses instructions ou, tout au moins, se sentait en phase avec son ministre. Le Pierre Messmer de 1956 n'était peut-être pas tout à fait celui qu'il fut ultérieurement, bien qu'il n'ait pas à rougir du travail qu'il a fait ensuite.
    M. Pascal Clément, président de la commission. Très bien !
    M. René Dosière. Donc, c'est Gaston Defferre qui, le premier, mettra en place un statut d'autonomie. Il est également bon de rappeler que c'est le général de Gaulle qui abandonnera ce statut, pour réintroduire, comme au bon vieux temps, un gouverneur !
    La deuxième personne qui va donner un nouveau coup de pouce à l'autonomie de la Polynésie, c'est - comme l'a souligné le rapporteur - Georges Lemoine, en 1984, sous la présidence de François Mitterrand. En effet, lorsque nous avons appliqué les grandes lois de décentralisation en métropole, il nous est immédiatement apparu que l'outre-mer devait également bénéficier de ce que l'on n'appelle pas décentralisation là-bas, mais autonomie. D'ailleurs, les Polynésiens rendent tous hommage à cette première étape, puisque c'est en 1984 que sera créée une assemblée.
    Ainsi, le mouvement a été lancé et il ne s'est plus arrêté. Du reste, les Polynésiens eux-mêmes - je veux dire les habitants de la Polynésie - ont suivi cette évolution, certains d'entre eux l'avaient même précédée. A cet égard, il convient de rendre hommage à Pouvanaa, aux parlementaires qu'ont été Francis Sanford, Daniel Millaud et, bien sûr, à Gaston Flosse, qui, lorsque l'on fera l'histoire de la Polynésie dans quelques années, restera indiscutablement comme l'un de ceux qui, après Pouvanaa, aura, avec le plus de pugnacité, d'efficacité peut-être, permis d'accroître l'autonomie de ce territoire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    Je le dis avec d'autant plus de conviction que je suis par ailleurs, sans que cela soit contradictoire, en total désaccord - vous vous en rendrez compte - avec un certain nombre de pratiques qui sont mises en place sur le territoire. Après tout, on rend aujourd'hui encore hommage à Mazarin ; or je ne suis pas sûr que les Français qui vivaient à son époque lui attribuaient la même importance que celle qu'on lui donne aujourd'hui.
    M. Jean-Christophe Lagarde. M. Flosse ne porte pas de robe rouge.
    M. Eric Raoult. Il ne veut pas être cardinal !
    M. René Dosière. J'ai pris volontairement cet exemple parce que Mazarin est sans doute l'un des exemples les plus fameux dans notre histoire de personnage confondant deniers publics et deniers privés ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Eric Raoult. Nous retirons nos applaudissements !
    M. René Dosière. Si nous sommes absolument en faveur de l'autonomie, est-ce parce que, comme on l'entend souvent, dire oui à l'autonomie, c'est dire non à l'indépendance ? Est-ce parce que ce serait le meilleur rempart contre l'indépendance ? Mais ne pourrait-on pas dire que l'autonomie relève du registre administratif et indépendance du registre politique ? En tout cas, il me semble que, en langue tahitienne, le même mot est employé pour dire administratif ou politique.
    En fait, l'autonomie est nécessaire car il s'agit d'un territoire éloigné de 18 000 kilomètres de la métropole, dont les îles sont elles-mêmes situées très loin les unes des autres, et qui a une culture et une histoire qui n'ont pas jusqu'à présent suscité ce que l'on pourrait appeler un sentiment national.
    Comme l'indique un universitaire polynésien, Sémir Al Wardi, au terme d'une brillante et passionnante thèse de sciences politiques intitulée Tahiti et la France, le partage du pouvoir, que je vous invite à lire comme je l'ai moi-même lue avec beaucoup d'intérêt, dans la langue tahitienne les termes « administratif » et « politique » sont exprimés par le même mot alors que, dans la culture juridique républicaine française, la distinction entre pouvoir administratif et pouvoir politique est fondamentale.
    De plus, comme les Polynésiens ont le sentiment, d'ailleurs tout à fait justifié, d'appartenir à un peuple distinct du peuple français - j'espère qu'est bien fini le temps où l'on apprenait à l'école de Papeete que « nos ancêtres étaient les Gaulois » -, ils perçoivent l'Etat comme un pouvoir extérieur.
    Cette difficulté de faire émerger un sentiment national aboutit à des conséquences qui peuvent être graves dès que l'on avance vers l'autonomie. Combien de fois a-t-on entendu dire en Polynésie, comme d'ailleurs en métropole, que l'autonomie est le seul « antidote de l'indépendance », formule dont le président du gouvernement de Polynésie est l'auteur ?
    Il est vrai qu'en accordant des libertés aux peuples locaux, on fait disparaître les revendications indépendantistes. Il est clair que refuser des libertés à ces peuples, c'est favoriser l'indépendance comme on l'a régulièrement observé dans tous les pays qui se sont décolonisés. La France est donc bien placée pour le savoir. Mais à l'inverse, accorder l'autonomie à un territoire qui refuse l'Etat, c'est aussi risquer l'indépendance par manque de « consistance nationale ». L'équilibre entre ces deux notions est donc particulièrement périlleux.
    Lorsqu'on constate l'élargissement des compétences accordées et, surtout, la façon dont celles-ci sont mises en application, on voit bien que la différence entre autonomie et indépendance n'a quelquefois pas plus d'épaisseur qu'une feuille de papier à cigarette.
    A cet égard, certains comportements sont lourds de symbole. Permettez-moi d'en évoquer quelques-uns, cités par l'auteur universitaire dont je viens de parler.
    M. Al Wardi rappelle que l'on a institué une fête purement polynésienne : la « fête de l'autonomie ». Le statut d'autonomie a été promulgué en Polynésie le 8 septembre 1984. Il aurait été logique de fêter ce jour, ou celui de la date de la loi, le 6 septembre. Or le président Flosse a décidé de commémorer l'autonomie le 29 juin, jour de la cession de la Polynésie à la France par le roi Pomare V, en 1880. S'agit-il alors de proclamer ainsi fortement son attachement à la France ? L'explication est autre : pour un ministre du territoire, « Gaston Flosse a toujours exigé cette date parce que c'est le 29 juin que Pomare V a remis ses Etats à la France et nous voulons fêter ce 29 juin à partir du moment où la France nous a rendu, sinon notre souveraineté, du moins une partie de notre souveraineté. Il s'agit de laver cet épisode, de même que les églises sont construites sur les ruines des temples païens ».
    Il semble aussi, selon certains hommes politiques, que ce choix soit destiné plutôt à détrôner la fête nationale du 14 juillet : « Il ne fallait pas, pour les autonomistes de 1984, que le mois de joie, de fêtes territoriales, ne soit pas seulement accaparé par la France. » Les fêtes nationales ont notamment pour fonction d'asseoir l'évidence du lien politique. Et les fêtes territoriales ont la même fonction sur un territoire plus restreint.
    Le choix du 29 juin pour la fête de l'autonomie aurait donc pour objectif de créer une culture politique polynésienne : pendant tout le mois de juillet se déroulent en Polynésie de grandes fêtes, foires, concours. Les Polynésiens se préparent tout le long de l'année à ce mois de festivité. Or cette fête est un 14 juillet qui dure un mois, une fête où sont mélangés culture ma'ohi et symboles de la République.
    En plaçant la fête de l'autonomie juste avant le mois de juillet, Gaston Flosse monopolise donc ce mois de fête au profit du territoire. Le défilé polynésien se faisant dorénavant le 29 juin, au tout début de la fête, les symboles de la République sont ainsi masqués, d'autant que le protocole républicain n'est pas toujours respecté. C'est peut-être une des explications de tous les incidents de protocole émaillant les différentes fêtes de l'autonomie depuis 1985 qui ont pour seul objectif d'affirmer le pouvoir territorial au détriment du pouvoir national. Cette célébration territoriale débute en outre par une prière avant le lever des couleurs, contrairement au 14 juillet où, comme dans les autres fêtes républicaines, il n'y a pas d'expression religieuse.
    Voilà ce que nous dit Sémir Al Wardi.
    Symptomatique est également, d'après lui, le protocole mis en place en particulier lors du dixième anniversaire de l'autonomie interne.
    Pour cet anniversaire, les autorités territoriales imposent leur ordre protocolaire. Le représentant de l'Etat doit arriver à la tribune entre le président de l'assemblée territoriale et le président du gouvernement, c'est-à-dire que le président du gouvernement du territoire arrive en dernier pour la cérémonie, rang accordé en principe à l'autorité prééminente. Le secrétaire général de Polynésie française, deuxième personnage de l'Etat, n'a même pas de place à la tribune officielle. Puis, après discussions, le Territoire décide de placer ce haut fonctionnaire à la deuxième rangée, au même rang que les épouses des ministres territoriaux. Ensuite, l'hymne polynésien doit être joué après l'hymne national. On comprend qu'avec ce protocole aucun représentant de l'Etat, civil ou militaire, n'ait participé à cet anniversaire.
    Ces querelles de protocole, qui semblent futiles, s'inscrivent en fait dans la volonté du pouvoir local de manier la symbolique politique : c'est que celle-ci, poursuit M. Al Wardi, forge l'idée de communauté, contribue à affirmer la spécificité du pouvoir polynésien et en même temps le légitime.
    Les symboles politiques donnent du sens à l'action du pouvoir local et entraînent ainsi une attitude de respect des Polynésiens. La prééminence du représentant de l'Etat est donc systématiquement constestée par les autorités territoriales, sauf pour la fête nationale.
    Quand on voit le traitement que des autonomistes réservent à la République et à son représentant, on se dit qu'il y a sûrement quelques précautions à prendre dans le maniement de la distinction entre autonomie et indépendance.
    Gardons-nous également de cultiver le mythe selon lequel l'indépendance équivaudrait à la suppression de l'aide de la France, et donc à la misère comme c'est le cas dans les territoires voisins qui sont devenus indépendants.
    M. Eric Raoult. Ce n'est pas faux !
    M. René Dosière. Il est vrai que l'aide de la France est importante : 1,1 ou 1,2 milliard d'euros, toutes dépenses confondues, ce qui représente entre un quart et un tiers du PIB du Territoire et, la Polynésie comptant 245 000 habitants, 4 500 euros par habitant. Je pense que, dans les départements métropolitains, on sera très curieux de vérifier quelles sont les aides de l'Etat qui leur parviennent effectivement.
    Les socialistes n'ont aucun complexe : ils ne craignent pas l'indépendance, madame la ministre, à condition que ce soit la population polynésienne qui décide de la choisir, à l'instar du processus calédonien. Nous avons assez souffert avec l'Algérie. Si les Polynésiens veulent l'indépendance, ils l'auront. Mais si une majorité d'entre eux décidaient d'être indépendants, cela ne voudrait pas dire que, du jour au lendemain, la France n'apporterait plus aucune aide : il faudrait bien continuer de payer les enseignants qui se trouvent sur place. Les rapports financiers devront peut-être être renégociés, mais l'indépendance ne conduirait pas à la disparition de l'aide française. Affirmer le contraire serait un peu schématique.
    La question essentielle est la suivante : la réforme statutaire que l'on nous propose aujourd'hui va-t-elle favoriser et, si oui, en quoi, le développement économique ?
    Le rapport de notre commission des lois, pour autant que j'aie pu le lire car il n'a été publié que ce matin vers dix heures et j'avais autre chose à faire qu'à me consacrer à sa lecture, souligne avec raison le développement économique et la croissance du PIB de la Nouvelle-Calédonie. Je m'étais rendu en Nouvelle-Calédonie en 1988, puis en 1998, mais j'avais malheureusement dû rester à l'hôpital de Nouméa. J'avais pu cependant constater un développement économique important. On se dit alors que les transferts financiers massifs de la France servent quand même à quelque chose. (Sourires.)
    Mais depuis quelques années, le développement économique de la Polynésie est un peu grippé. Le nombre des touristes stagne. Quant à la culture et à la vente des perles, elle est en crise. On nous a assurés que la situation est due à la conjoncture internationale. Il est vraisemblable que la conjoncture internationale joue un certain rôle, mais qui est responsable du développement économique de la Polynésie si ce n'est son gouvernement actuel, qui contrôle tout ? Il conviendrait de s'interroger sur les responsabilités et se poser la question de savoir si le nouveau statut comportera des éléments qui permettront d'améliorer les choses.
    La question mérite un débat car il serait bon de savoir comment a évolué ces dernières années la situation économique réelle de la Polynésie.
    On connaît les difficultés qui sont, dans ce type d'économie, liées à une présence massive de la fonction publique, bénéficiant de salaires faramineux du fait de l'éloignement. On sait bien que la Polynésie est un enfer et, comme il s'agit d'un enfer, il faut inciter les fonctionnaires métropolitains à s'y rendre et, pour cela, multiplier leurs primes,...
    M. Eric Raoult. Caricatural !
    M. René Dosière. ... ce qui pose un certain nombre de problèmes car cela a des incidences sur les salaires du secteur privé. Comment voulez-vous faire fonctionner le secteur privé quand les fonctionnaires sont rémunérés à un tel niveau ?
    Cette situation a également des conséquences importantes sur le foncier et l'immobilier.
    Je me suis penché sur quelques-unes des statistiques élaborées par l'Institut polynésien, qui travaille de façon remarquable et dont les publications sont passionnantes. D'après une enquête sur les dépenses des ménages que vient de publier l'Institut, le revenu moyen en Polynésie est de 1 985 euros par mois. Mais 25 % des ménages, c'est-à-dire un sur quatre, gagnent moins de 1 260 euros par mois, soit 40 % de moins que la moyenne, et que 14 %, c'est-à-dire un sur sept, gagne plus de 5 042 euros par mois, soit deux fois et demie plus.
    Il existe donc en Polynésie de très grandes inégalités. On aimerait savoir si l'action du gouvernement de la Polynésie aboutit à les réduire ou si, au contraire, elle les accroît.
    Prenons les dépenses monétaires annuelles des ménages. On s'aperçoit que la dépense moyenne, sur l'ensemble du Territoire, est de 23 815 euros par an. A Tahiti urbain, elle atteint l'indice 120 ; elle est donc supérieure de 20 %. Par contre, dans les Marquises, elle est de 40 % inférieure et, dans les îles australes, de près de 50 % inférieure. Autrement dit, les ménages à Tahiti dépensent deux fois et demie plus que les ménages des archipels de Tuamotu et Gambier, et deux fois plus que ceux des Marquises.
    Toutes ces inégalités méritent d'être traitées.
    Si l'on veut comprendre la Polynésie d'aujourd'hui, qui se cache derrière les chiffres un peu abstraits que je viens de citer, on doit dépasser le « mythe polynésien ». C'est ainsi que la population française s'intéressera aux vrais problèmes des Polynésiens.
    D'où vient ce « mythe polynésien » ? Dans le monde judéo-chrétien, les hommes ont toujours recherché le paradis perdu - l'Eden de la Bible, en quelque sorte. La découverte au xviiie siècle des îles du Pacifique, par Wallis, Cook et Bougainville, a nourri ce fantasme. Les retombées économiques de ces « exceptionnelles » découvertes étant à l'époque quasi nulles, il fallait trouver une justification a posteriori à ces longues expéditions. A défaut d'une terre promise économique, au moins a-t-on trouvé un paradis sur terre.
    Parallèlement, le monde occidental connaît alors une période artistique d'audace sensuelle, voire sexuelle, représentée notamment par Boucher, Watteau et Fragonard en peinture, et Sade en littérature. Bref, c'est l'époque du libertinage. D'un point de vue politique, les oeuvres de Jean-Jacques Rousseau - le mythe du « bon sauvage » - et de Montesquieu - les formes du gouvernement liées au climat et à la géographie exposées dans l'Esprit des lois - vont en quelque sorte « légitimer » l'image que les découvreurs ont donnée aux îles du Pacifique. Cette image de sensualité trouvera son incarnation dans la vahiné polynésienne et son comportement permissif et libéré.
    Par la suite, cette vision sera amplement reprise par le cinéma, les multiples version des Mutinés du Bounty en étant le symbole quasi universel.
    Du point de vue géographique, l'image est tout aussi idyllique. Dans son journal, Bougainville s'exprime ainsi : « des montagnes boisées entourées d'une plaine côtière de gazon, couverte de beaux arbres fruitiers et coupée de petites rivières qui entretiennent une fraîcheur délicieuse, sans qu'il y ait d'animaux nuisibles ».
    M. Eric Raoult. On se lâche !
    M. René Dosière. Je n'ai fait que citer le journal de Bougainville, mon cher collègue.
    Au fil du temps, Tahiti va se construire sur un amalgame de références bibliques et de paradis grecs : l'Eden biblique, les Champs Elysées - lieu de séjour des enfers hellènes -, l'île de Cythère - patrie d'Aphrodite - et Arcadie, décrite par Virgile comme un lieu où l'on ignore le travail et la propriété, et où les bergers sont des poètes. Que Tahiti soit tout cela ne peut que laisser perplexe. En fait, le paradis tahitien s'est construit à partir d'une double démarche :
    Tahiti a été l'incarnation d'une utopie traversant les idéologies religieuses, philosophiques et politiques ;
    Les découvreurs ont refusé d'appréhender la réalité observée sur place.
    M. Eric Raoult. C'est freudien !
    M. René Dosière. Même si l'administration coloniale qui suivra s'est efforcée, dès 1842, de réduire les mirages de la légende tahitienne, la littérature, que ce soit avec Stevenson ou avec Hall, va contribuer à maintenir vivant le mythe d'un paradis exotique. Paul Gauguin, dont on présente actuellement, très près d'ici, d'ailleurs, une magnifique exposition intitulée « Gauguin et le Pacifique »,...
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Très belle exposition !
    M. René Dosière. ... terminera le tableau en y apportant, avec fascination et grand talent, sa palette de couleurs. Ce ne fut pas la moindre de nos satisfactions, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, d'avoir pu nous rendre sur la tombe de Paul Gauguin à Hiva Oa,...
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Grâce au président Flosse !
    M. René Dosière. ... et d'avoir pu fouler cette terre où il a terminé sa vie.
    N'ayant ni l'envie ni intérêt à s'interroger sur l'état initial de la société maohi, la production artistique s'est focalisée sur la dénonciation d'une européanisation des îles : les missionnaires ont transformé les Tahitiennes en dames de trop grande vertu ; l'administration coloniale a civilisé les « bons sauvages » et les a conduits à la décrépitude. En réalité, cette construction de l'image paradisiaque de Tahiti résulte de la transplantation d'un mythe européen, celui du paradis initial - au prix, d'ailleurs, de la négation de ce qu'était réellement la société maohi -, à des fins touristiques. Mieux vaut parler de la « mise en scène tahitienne » qui a créé un modèle paradisiaque composé de morceaux épars rendant son « image suffisamment floue pour être tantôt libertine ou ascétique, tantôt philosophique ou religieuse, tantôt romantique ou exotique », voire tout cela à la fois ! Finalement, le paradis tahitien est une construction au même titre qu'un parc de loisirs, un paradis du jeu, un paradis fiscal, à charge pour l'industrie touristique de le transformer en un produit commercial. Cela a été parfaitement réalisé en faisant entrer Tahiti dans le moule des quatre S : sun, sea, sand and sex. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Eric Raoult. C'est un peu excessif !
    M. René Dosière. Excusez-moi, je traduis, car le français est la langue de la République : soleil, mer, sable et sexe. C'est sur ces fantasmes que s'est mise en place une politique touristique facilitée par les progrès qui ont été réalisés en matière de transports. On peut toutefois se demander si l'on peut construire tout l'avenir sur cette base.
    Il s'agit non pas de savoir si la réalité se conforme au mythe - on sait que la réponse est négative -, mais de prendre conscience que la grande force du mythe réside dans sa partielle inaccessibilité. Le touriste, en venant à Tahiti, affronte un interdit, celui du retour vers un paradis perdu, mais cette transgression n'est possible qu'à un certain prix. Il suffit de consulter les catalogues des agences de voyage pour le vérifier. En clair, plus le tourisme augmentera, plus la part du mystère indispensable au mythe s'effacera, jusqu'à devenir peut-être un jour une mystification.
    Ayant ainsi planté le décor, je voudrais maintenant revenir plus littéralement au texte et vous dire, puisque je défends une motion d'irrecevabilité, quelles sont les dispositions qui me paraissent contraires à la Constitution.
    Je commencerai par l'appellation « pays d'outre-mer » à l'article 1er et « lois de pays » aux articles 138 et 139, cette dernière appellation étant, par ailleurs, déclinée cinquante-six fois dans le texte adopté par le Sénat.
    Le constituant, à l'occasion de l'examen de la réforme constitutionnelle de 2003, n'a pas repris, à l'article 74 de la Constitution, l'appellation de « pays », mais a maintenu celle de « collectivité » alors même qu'il était précisé que cet article concernait de fait uniquement la Polynésie. L'utilisation de ce terme ne correspond pas au statut de la Polynésie, qui demeure « une collectivité d'outre-mer », contrairement à la Nouvelle-Calédonie qui, elle, constitue une collectivité sui generis évoquée au titre XII de la Constitution.
    Cette notion de « pays d'outre-mer », qui apparaît à l'article 2 du projet de loi organique, est une « notion nouvelle dans notre droit », ainsi que le reconnaît le rapport de la commission des lois du Sénat - page 44. Si l'on ne peut la critiquer de ce seul fait, il est permis de s'interroger sur la valeur juridique de cette notion, dont les caractéristiques ne sont pas définies par le projet de loi portant statut de la collectivité concernée. Faut-il considérer, avec le Conseil d'Etat, qu'il s'agit d'une catégorie nouvelle de collectivités territoriales alors que l'article 74 de la Constitution ne mentionne que les « collectivités d'outre-mer » ? Y aurait-il donc différentes catégories au sein des collectivités d'outre-mer ? Ou, au contraire, faut-il considérer qu'il ne s'agit que d'une dénomination à valeur symbolique ?
    L'on pourrait certes déduire de l'article 72-3, premier alinéa, de la Constitution, selon lequel « La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d'outre-mer », qu'une population implique l'existence d'un pays. Mais alors, il faudrait aussi que cette dénomination soit inscrite dans la Constitution. De deux choses l'une : soit cette notion n'a pas de valeur juridique, et il faut éviter de l'utiliser dans le texte instituant le nouveau statut de la Polynésie française ; soit elle est supposée avoir des effets juridiques, et il faut qu'ils soient clairement précisés dans la loi organique. Une telle disposition me paraît donc contraire à l'objectif constitutionnel d'intelligibilité de la loi consacré par la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans ses décisions 2001-447 du 18 juillet 2001 et 2001-453 du 18 décembre 2001.
    La référence aux « lois du pays » pour qualifier certains actes de l'Assemblée de Polynésie pris dans les domaines énumérés à l'article 139, est totalement inadaptée, car contraire à la réalité. Elle est d'une ambiguïté totale, comme l'a souligné le Conseil d'Etat dans son avis du 9 octobre 2003. Pour bien saisir la signification de ce terme, il nous faut faire, mes chers collègues, un petit détour par la Nouvelle-Calédonie - il est vrai qu'entre Papeete et Nouméa, il n'y a jamais que la distance qui existe entre Paris et Saint-Pierre-et-Miquelon ! En effet, les accords de Nouméa, signés le 3 mai 1998 - date que je pourrai toujours citer de mémoire, car je regardais le Premier ministre depuis mon lit d'hôpital avant de l'accueillir à mon chevet - et validés ultérieurement dans une réforme constitutionnelle, prévoient que, dans les domaines de compétences les plus importants - assiette et recouvrement des impôts, droit du travail, règles relatives à l'emploi, signes distinctifs -, étendus à partir de 2004 à d'autres compétences nouvellement transférées, certaines délibérations du Congrès auront le caractère de lois du pays - là je ne mets pas l'expression entre guillemets, car elle figure dans le texte des accords de Nouméa - et, de ce fait, ne pourront être contestées que devant le Conseil constitutionnel avant leur publication. Cette procédure est l'une des innovations juridiques majeures de l'accord de Nouméa qui rompt avec « l'unicité » de la République française. C'est la première fois, et la seule à ce jour, qu'une assemblée locale de la République se voit attribuer le pouvoir de « faire la loi », à l'instar du Parlement.
    L'appellation « loi du pays » est donc tout à fait spécifique. La précision « du pays » évite toute confusion avec la loi, sans qualificatif, qui, dans la Constitution, n'est utilisée que pour désigner les actes pris par le Parlement. Comme la Nouvelle-Calédonie constitue un pays sui generis, le qualificatif de « pays » est là particulièrement adapté. L'importance considérable de cette innovation dans notre histoire constitutionnelle - on peut même parler, pour ces lois du pays de Nouvelle-Calédonie, d'une véritable révolution constitutionnelle - conduit le législateur à prévoir des modalités particulières garantissant que ces « lois du pays » seront solides juridiquement. Ainsi, les propositions ou projets de loi du pays sont soumis pour avis au Conseil d'Etat, qui joue en quelque sorte le même rôle de conseil que pour les projets de loi soumis au Parlement. Nous avons donc aussi transposé à la Nouvelle-Calédonie - je le sais d'autant plus que j'étais rapporteur de ce texte - certaines règles de la procédure législative : nomination d'un rapporteur, rapport écrit, compte rendu intégral des débats. L'article 107 du statut de la loi organique sur la Nouvelle-Calédonie tire la conclusion suivante : « Les lois du pays ont force de loi. En dehors de ce domaine, les textes ont un caractère réglementaire ». Et si j'ai insisté sur les « lois du pays » concernant la Nouvelle-Calédonie, c'est pour mieux marquer l'abus de langage que constitue la reprise de cette appellation s'agissant de la Polynésie.
    D'ailleurs, la discussion sénatoriale du projet de réforme constitutionnelle est éclairante. Le sénateur Flosse dépose un amendement visant à préciser, s'agissant de ces actes : « ayant le caractère de lois du pays lorsque l'assemblée délibérante intervient ». Le rapporteur du texte au Sénat, qui n'est autre que le président de la commission des lois du Sénat dont l'autorité en matière constitutionnelle est reconnue par tous, s'y oppose, affirmant que « ces actes demeurent des actes de nature réglementaire, ce qui prédispose le Conseil d'Etat à en être le juge naturel. Le sénateur Flosse insiste : « Il convient de les qualifier de lois du pays afin de les distinguer des actes adoptés par l'assemblée délibérante, qui demeurent de nature réglementaire. »
    M. Christian Paul. Nous verrons si le président Clément aura la même rigueur !
    M. René Dosière. Nous verrons, mais j'espère que tout à l'heure, quand j'aurai fini mon intervention, j'aurai quelques éléments de réponse à ces questions,...
    M. Pascal Clément, président de la commission. On vous répondra !
    M. René Dosière. ... qui ne manqueront d'ailleurs pas d'éclairer le Conseil constitutionnel qui, de toute façon, se saisira de ce texte et pourra étudier nos débats.
    M. René Dosière. Mais j'en reviens à la discussion au Sénat ! Le président Garrec enfonce le clou. Il rappelle que l'appellation « lois du pays » est propre et particulière à la Nouvelle-Calédonie et souligne : « Dans le nouvel article 74 fixant le cadre constitutionnel de l'ensemble des collectivités d'outre-mer, dont la Polynésie française, il n'est plus question de "pays d'outre-mer. L'expression "loi du pays n'a donc plus de justification. »
    Et face à cette obstination du président de la commission des lois du Sénat, le sénateur Flosse a retiré son amendement. Autrement dit, la volonté du constituant est claire et sans ambiguïté : la « loi du pays » s'applique à la Nouvelle-Calédonie seule et pas à la Polynésie.
    Le rapporteur de la loi organique au Sénat avait d'ailleurs la même analyse. On lit en effet, écrit à la page 187 de son rapport : « Au cours des débats sur la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003, la solution néo-calédonienne consistant à conférer valeur législative aux actes dénommés lois du pays et à soumettre ces actes au contrôle du Conseil constitutionnel n'a pas été retenue ». Pour autant, à l'article 139 et uniquement à cet article, le projet du Gouvernement évoque les actes dénommés « lois du pays ». On comprend, dans ces conditions, la perplexité et l'embarras du rapporteur du Sénat.
    Analysant la procédure de discussion de ces actes, dont je relève qu'elle s'inspire de celle de la Nouvelle-Calédonie, ce qui ne peut qu'améliorer la manière de travailler de l'assemblée polynésienne et qui est un hommage indirect au rapporteur du texte sur la Nouvelle-Calédonie, dont je remercie le Gouvernement, le rapporteur du Sénat souligne : « originaux par certains aspects ces articles définissant la procédure n'en rappellent pas moins que les lois du pays sont des actes administratifs... Ceci témoigne certes de la spécificité de ces actes... mais c'est aussi une façon d'affirmer que les lois du pays ne sont pas des actes législatifs ».
    Le rapporteur, pour être précis, souligne que « les lois du pays peuvent en certaines matières être subordonnées aux lois ordinaires de la métropole ». Je suis désolé, monsieur Bignon, de ne pouvoir citer aussi longuement votre rapport, mais, compte tenu de sa publication tardive, je n'ai pas pu le lire avec autant d'attention que celui du sénateur Lanier. Celui-ci conclut ainsi son rapport - page 189 - : « Au final, ce contrôle juridictionnel spécifique est le fruit d'une série de compromis reflétant l'ambiguïté de ces actes matériellement législatifs adoptés selon une procédure solennelle et dans un contexte d'autonomie accrue de la Polynésie française, mais dépourvus de valeur législative. »
    Dans ces conditions, on ne peut que regretter que le Sénat ait accepté un amendement du sénateur Flosse qui ajoute encore à la confusion. En effet, alors que le projet de loi précisait clairement, au dernier alinéa de l'article 139, « ces actes ont le caractère d'actes administratifs », cette précision utile a été supprimée par l'amendement évoqué plus haut. J'ajoute que le rapporteur du Sénat a lui-même évoqué, lors des débats, le doute constitutionnel sur cette appellation. A l'article 18 - débats du Sénat, page 10269 - le sénateur Flosse, par amendement, veut supprimer la dénomination « actes prévus à l'article 139 » et la remplacer par « lois du pays ». Ce sera plus cohérent et plus clair, dit-il.
     Le rapporteur Lanier précise alors que cet amendement est important et il déclare : « Or, l'expression "lois du pays court un risque de censure par le juge constitutionnel. En effet, elle n'est pas consacrée par la Constitution ». Sur ce dernier point, je corrige le sénateur Lanier. En effet, cette expression est consacrée par la Constitution, mais par référence exclusive à la Nouvelle-Calédonie et par renvoi aux accords de Nouméa.
     C'est parce qu'il a un doute constitutionnel que le sénateur Lanier proposera la formule qui figure aujourd'hui dans le texte qui nous vient du Sénat - admirez la concision de cette formule ! - : « actes visés à l'article 139 dénommés "lois du pays ». C'est cette expression que l'on retrouve cinquante-six fois dans le texte qui nous est soumis. Ainsi le sénateur Lanier déclare-t-il : « Si censure du Conseil constitutionnel il devait y avoir, elle n'invaliderait que ces quelques mots  - lois du pays - et le reste du texte serait applicable ». On peut difficilement mieux faire la courte échelle au Conseil constitutionnel !
    M. Jacques Floch Eh oui ! Pierre Mazeaud s'en occupera !
    M. René Dosière. Répéter cinquante-six fois l'expression « actes visés à l'article 139 dénommés "lois du pays » alourdit le texte !
    Il est vrai que le sénateur Flosse a commencé sa carrière professionnelle comme instituteur, ce qui est une magnifique profession -, celle de mon père !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Passionnant !
    M. René Dosière. Charles Péguy, un auteur que le président de la commission des lois aime beaucoup, a d'ailleurs fait un très beau portrait de ces instituteurs qu'il a qualifiés « de hussards noirs de la République ! ».
    Ces instituteurs ancien modèle savaient par expérience qu'il faut sans cesse répéter pour que l'élève retienne. Mais ce n'est pas en répétant - fût-ce cinquante-six fois - un mensonge qui devient réalité. N'en déplaise au président du gouvernement de la Polynésie, aucune délibération de l'assemblée locale n'a de valeur législative et ne peut donc s'appeler « loi ». Je regrette pour lui, mais il n'a pas obtenu de ses amis politiques ce que Jacques Lafleur a obtenu, après l'avoir négocié, du gouvernement socialiste de Lionel Jospin.
    Le souci qu'a le président de la Polynésie - le « futur » président de la Polynésie, puisque ce n'est pas encore son appellation - d'effacer de l'article 139 qu'il s'agit, en fait, d'actes administratifs et non pas de lois de pays, son obstination à faire apparaître cinquante-six fois ce qu'il appelle des « lois du pays » n'est qu'une introduction du dépit de n'avoir pu obtenir de ses amis politiques ce que la Nouvelle-Calédonie a obtenu de Lionel Jospin.
    Contrairement à son souhait, la Polynésie n'est pas le meilleur élève en matière d'autonomie. Pour les Etats et les populations du Pacifique, la Nouvelle-Calédonie conserve un statut que l'on peut qualifier d'exemplaire et d'inégalé.
    Les amis politiques du président du gouvernement de la Polynésie disposent pourtant aujourd'hui d'une majorité sans précédent au Parlement, suffisante pour procéder à une révision constitutionnelle sans l'appui d'aucun groupe. La majorité pouvait le faire, elle ne l'a pas voulu. En 1999, les élus de droite qui siégeaient déjà à l'Assemblée et au Sénat, avaient décidé massivement de donner à la Polynésie l'appellation de « pays d'outre-mer », en lui permettant de voter des lois de pays - sans guillemets - à valeur législative.
    Voilà ce qui existait dans la réforme constitutionnelle préparée par le gouvernement de Lionel Jospin, en accord - du moins faut-il le supposer - avec le Président de la République. Autrement dit, hier, quand l'UMP - ou ce qui en tenait lieu - était dans l'opposition, la droite acceptait de conférer la compétence législative à la Polynésie. Mais, aujourd'hui, dès lors qu'elle a la majorité absolue à elle seule, elle la lui refuse.
    J'entends déjà le commentaire du président du gouvernement polynésien : « Ah que les socialistes étaient beaux ! » (Sourires.)
    M. Jacques Floch. Ils le sont toujours !
    M. Antoine Carré. Mais ils sont moins nombreux !
    M. René Dosière. Il convient de préciser, quitte à m'écarter quelque peu du sujet, que si cette réforme constitutionnelle, massivement approuvée - à l'Assemblée, à l'unanimité et au Sénat à 310 voix pour et 3 contre ; c'est ce qu'on appelle une confortable majorité - n'a pu aboutir, c'est parce que le Président de la République, Jacques Chirac, a abrogé le 19 janvier 2000 son décret de convocation du Congrès pris le 3 novembre 1999 pour le 24 janvier 2000.
    .M. Jean-Christophe Lagarde Cela prouve sa grande maîtrise de ces questions !
    M. René Dosière. Une telle annulation de la convocation du Congrès reste d'ailleurs une grande première de notre vie constitutionnelle.
     Soucieux de ne pas trop m'écarter du sujet, je n'épiloguerai pas, remarquant seulement que le décret de convocation du Parlement en congrès est de la compétence exclusive du Président de la République. Je ne doute pas que le président du gouvernement de la Polynésie saura se rappeler la célèbre formule : « Gardez-moi de mes amis... ». (Sourires.)
    J'ajoute que si la Polynésie disposait, comme nous le proposions - et si c'était à refaire, nous le referions - d'une compétence législative dans des domaines précis, nous aurions évité le bricolage juridico-administratif de ce texte qui vise à compenser, précisément, cette non-compétence législative.
    Exemple de « bricolage » : les articles 31 et 32 du projet de loi, qui offrent à la Polynésie française la possibilité d'intervenir dans le domaine législatif après qu'une autorisation a été donnée par l'Etat par la prise d'un simple décret.
     Compte tenu des modalités de cette « participation » définies à l'article 32, on ne peut que sourire à l'évocation de l'« autonomie » de la Polynésie. En effet, celle-ci se résume aux propositions qu'elle peut faire au ministre de l'outre-mer, puisque, en retour, le Premier ministre adressera ses propres propositions sous forme d'un projet de décret que l'assemblée polynésienne ne pourra ni modifier ni amender. Il en va de même des arrêtés susceptibles d'être pris en ces domaines par le conseil des ministres : l'arrêté doit être, en tous points, conforme au projet élaboré à Paris, sans aucune modification.
    Je ne me formalise pas de cette rigueur, puisqu'il s'agit des compétences régaliennes de l'Etat et que le principe de cette participation - sous le contrôle de l'Etat - a été inscrit dans la Constitution. Mais, sur le fond, c'est-à-dire l'intervention d'une collectivité territoriale dans le domaine législatif, je doute de la constitutionnalité de ces dispositions, qui me semble contestables au regard de l'article 3 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen - « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation » - et de l'article 3 de la Constitution : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple (...) ne peut s'en attribuer l'exercice. »
    Du reste, cher ami Zuccarelli, le principe selon lequel l'intervention dans le domaine législatif n'est possible que dans les cas strictement prévus par la Constitution a été rappelé dans une décision du Conseil constitutionnel n° 2001-454 du 17 janvier 2002, relative à la Corse, dont je vous cite un extrait qui se suffit à lui-même :
    « Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la Constitution : "La souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. Aucune section du peuple ne peut s'en attribuer l'exercice ; qu'en vertu du premier alinéa de son article 34 : "La loi est votée par le Parlement ; qu'en dehors des cas prévus par la Constitution il n'appartient qu'au Parlement de prendre des mesures relevant du domaine de la loi ; qu'en particulier, en application de l'article 37, seul le Gouvernement "peut, pour l'exécution de son programme, demander au Parlement l'autorisation de prendre par ordonnance, pendant un délai limité, des mesures qui sont normalement du domaine de la loi ; que le législateur ne saurait déléguer sa compétence dans un cas non prévu par la Constitution ; considérant, en l'espèce, qu'en ouvrant au législateur, fût-ce à titre expérimental dérogatoire et limité dans le temps, la possibilité d'autoriser la collectivité territoriale de Corse à prendre des mesures relevant du domaine de la loi, la loi déférée est intervenue dans un domaine qui ne relève que de la Constitution ; qu'il y a lieu, dès lors, de déclarer contraire à la Constitution le IV du nouvel article L. 4424-2 du code général des collectivités territoriales, dont les dispositions constituent un ensemble indivisible : que, par voie de conséquence, doivent être également déclarés contraires à la Constitution les mots "et du IV figurant à l'article 2 de la loi déférée. »
    M. Emile Zuccarelli. Le Conseil constitutionnel a bien fait !
    M. René Dosière. Ce texte est particulièrement clair : la capacité législative du Parlement ne peut être déléguée au regard de la Constitution qu'au seul Gouvernement, par ordonnances, et jamais à une collectivité territoriale - ce qu'est la Polynésie.
    Or l'article 74, s'il a entendu permettre le transfert de compétences relevant du domaine législatif, n'a pas autorisé l'intervention des institutions de la Polynésie française dans des matières législatives non transférées. Il appartient au législateur organique de prévoir ces transferts de compétences, mais pas d'habiliter de manière générale le pouvoir réglementaire à autoriser la Polynésie française à intervenir dans le domaine de la loi.
    Il est une autre disposition de l'article 139 qui pose une difficulté constitutionnelle : celle qui prévoit, au dernier alinéa, que « les actes pris sur le fondement du présent article peuvent être applicables, lorsque l'intérêt général le justifie, aux contrats en cours ». C'est la porte ouverte à des validations législatives trop libres !
    En permettant à ces actes d'intervenir de manière rétroactive dans le domaine contractuel, on peut imaginer que ces dispositions permettront à la Polynésie française de valider des contrats litigieux, par exemple des marchés publics annulés par le juge administratif. Or la seule condition imposée est celle de l'intérêt général. Cela ne suffit pas !
    La jurisprudence du Conseil constitutionnel est très précise en la matière et limite, de plus, la possibilité pour le législateur de valider des actes administratifs et de porter, de ce fait, atteinte aux droits des justiciables qui ont contesté la régularité de ces actes devant le juge. Il faudrait au moins prévoir le respect de l'autorité de la chose jugée, comme la jurisprudence constitutionnelle l'exige - décisions du Conseil constitutionnel du 22 juillet 1980, du 29 décembre 1986, du 29 décembre 1988.
    M. Christian Paul. Eh oui !
    M. René Dosière. On doit respecter la situation des personnes à l'égard desquelles une décision de justice est devenue définitive - décision du 13 janvier 1994. Ainsi, un jugement qui n'est plus susceptible que d'un pourvoi en cassation ne peut être remis en cause par une loi de validation. Or la loi organique ne prévoit rien de tel, ce qui est susceptible d'entraîner la censure du juge constitutionnel.
    Il est une autre disposition qui appelle la censure du juge constitutionnel. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Christian Paul. Encore !
    M. Jean-Jack Queyranne. C'est une cascade !
    M. René Dosière. Et ce n'est pas fini...
    Cette disposition, qui figure à l'article 69, concerne l'élection du président de la Polynésie.
    Désormais, si le texte de loi est votée en l'état, celui-ci pourra être élu en dehors de l'assemblée...
    M. Christophe Caresche. C'est extraordinaire !
    M. René Dosière. ... dès lors que la candidature en aura été présentée par au moins un quart des membres de l'assemblée.
    M. Jean-Christophe Lagarde. Ça !
    M. René Dosière. Cette innovation ne manque pas de surprendre. La Polynésie demeure une collectivité locale d'outre-mer, énumérée comme telle à l'article 72 de la Constitution.
    Cet article précise que « ces collectivités s'administrent librement par des conseils élus ». Imagine-t-on, une grande ville de France, Paris ou Bordeaux, par exemple, où le conseil municipal aurait la possibilité d'élire son maire en dehors du conseil municipal ?
    M. Jacques Floch. Fabuleux !
    M. Christian Paul. Commencez par Bordeaux ! (Sourires.)
    M. René Dosière. Conçoit-on un conseil régional procéder ainsi ? Sans doute m'opposera-t-on la Corse. Mais cette collectivité territoriale dispose d'un fonctionnement particulier...
    M. Jacques Floch. C'est la loi !
    M. René Dosière. ... qui gagnerait d'ailleurs à être généralisé, dans lequel il y a séparation entre le délibératif, l'assemblée de Corse - et l'exécutif. Cet exécutif collégial s'appelle « conseil exécutif » et est élu sur un scrutin de liste dont tous les membres ne sont pas, obligatoirement, membres de l'assemblée de Corse.
    M. Emile Zuccarelli. Mais si !
    M. René Dosière. Je note, cher collègue...
    Telle est, avec ses adaptations, la situation de la Nouvelle-Calédonie, qui ne figure pas parmi les collectivités territoriales de la République, mais constitue une collectivité sui generis.
    S'agissant de la Polynésie, l'élection du président est à géométrie variable, puisque le premier alinéa de l'article 69 prévoit son élection parmi les membres de l'assemblée et le deuxième alinéa en dehors de l'assemblée...
    En outre, on en profite au passage pour modifier le scrutin permettant l'élection du président de la Polynésie. Jusqu'alors, comme dans toutes les collectivités de la République - et même au-delà, puisque c'est aussi le cas de la Nouvelle-Calédonie -, le scrutin se déroule sur trois tours, au plus. Au deux premiers tours, la majorité absolue est requise pour être élu ; sinon, au troisième tour, la majorité relative suffit. Vous m'excuserez, mes chers collègues, de vous rappeler cette tradition que chacun d'entre nous connaît par coeur... Or, en Polynésie, - nouvelle innovation de ce « bricolage juridico-administratif » - désormais deux tours suffiront. Et, au second tour, ne pourront rester en lice que deux candidats. Tiens, comme à l'élection présidentielle ! Mais pas tout à fait, puisque ce ne sont pas les deux candidats qui ont obtenu le plus de voix qui restent. En l'occurrence, en Polynésie, il peut y avoir des retraits. Un candidat arrivé en numéro 2 peut se retirer au profit du candidat numéro 3.
    M. Eric Raoult. Eh oui !
    M. Christophe Caresche. Génial !
    M. René Dosière. Bien entendu, le texte ne précise pas que ces retraits seraient parfaitement spontanés...
    M. Christophe Caresche. Bien sûr !
    (M. Rudy Salles remplace M. Jean Le Garrec au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES,
vice-président

    M. René Dosière. Qui aurait le mauvais esprit d'imaginer le contraire,...
    M. Christophe Caresche. Personne !
    M. René Dosière. ... sur un territoire où les moeurs politiques sont, de notoriété publique, d'une parfaite intégrité ?
    Cette élection, à la tête de la Polynésie, d'un citoyen non élu ne serait pas non plus sans conséquence sur la légitimité des ministres. On se trouverait ainsi dans la situation où les membres du Gouvernement, c'est-à-dire de l'exécutif, qui peuvent ne pas être choisis dans l'assemblée, seraient désignés par un président lui-même non membre de l'assemblée. Or ce sont eux qui exercent l'administration de la collectivité territoriale. Ainsi, progressivement, l'ensemble de l'exécutif de la collectivité pourrait ne pas être issu du suffrage universel, au moment où le texte de loi renforce considérablement les prérogatives tant du président que du conseil des ministres !
    Quand on lit successivement le texte de la loi de 1984 modifiée en 1990, celui de la loi organique de 1996 et celle de 2004, on est frappé de la « dérive présidentialiste » - je préfère l'emploi de ce terme à celui de « pouvoir personnel »...
    M. Christian Paul. Cela peut se conjuguer !
    M. René Dosière. ... car il est, là encore, de notoriété publique qu'en Polynésie, conformément à la loi, le conseil des ministres fonctionne « collégialement et solidairement »...
    Cette dérive présidentialiste se caractérise de la manière suivante : on voit apparaître une nouvelle institution de la Polynésie, en la personne de son président, qui n'est plus le président du gouvernement, mais le président de la Polynésie.
    M. Christophe Caresche. Un véritable chef d'Etat !
    M. René Dosière. En 1984, la seule institution était le gouvernement du territoire. En 1996, on précise : « du gouvernement de la Polynésie et de son président » pour arriver en 2004 à : « le président et le gouvernement de la Polynésie française ». Cette manière de mettre en avant « le président » est sans doute symbolique, mais on connaît la force des symboles. Au début de mon intervention, j'ai d'ailleurs souligné quelle était leur force en matière de protocole.
    Je vous livre un exemple de cette présidentialisation : au titre IV, qui traite des institutions, un seul article, placé en tête, concerne le gouvernement - difficile de faire autrement. Puis, immédiatement, on trouve cinq articles, dont l'un, le 64, est développé, qui traitent des pouvoirs du président. Il faut attendre l'article 89 pour énumérer les pouvoirs du conseil des ministres. Faut-il vous rappeler, mes chers collègues, que le gouvernement de la Polynésie fonctionne collégialement et solidairement ? Enfin, lorsque l'on regarde les attributions personnelles ou celles qui peuvent être déléguées au président du gouvernement, on constate que la liste s'allonge.
    On voit bien ce que sera la prochaine étape de l'évolution statuaire : faire élire au suffrage universel le président de la Polynésie !
    M. Christophe Caresche. Evidemment !
    M. René Dosière. Il s'agit d'une demande de longue date, puisqu'elle remonte à 1985. D'ailleurs, de nombreux responsables politiques locaux l'ont formulée. J'ai ici une déclaration de M. Flosse, qui date du 26 février 1994 :...
    M. Christophe Caresche. Ecoutez ça !
    M. René Dosière. ... « Notre pays, comme la métropole, a besoin d'un exécutif stable. Au moins faut-il que son président tienne ses pouvoirs directement du peuple et réponde de ses actes directement devant lui. »
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Il a évolué !
    M. René Dosière. Connaissez-vous, madame la ministre, la prochaine revendication de la Polynésie ? Elire le président de la Polynésie au suffrage universel !
    Cette présidentialisation n'est pas une bonne chose pour l'outre-mer - pas plus que pour la métropole. Les observateurs de la société polynésienne insistent sur le rôle prééminent du « chef » dans la culture politique des îles. Depuis l'Antiquité, on connaît les dérives du pouvoir personnel, du populisme à la tyrannie, dès lors qu'il n'est pas limité par des contre-pouvoirs et des procédures démocratiques.
    Cette question institutionnelle n'est pas à l'ordre du jour, mais je me permets de souligner que si elle devait l'être un jour, il faudrait consulter directement le peuple polynésien, ce que vous n'avez pas fait sur ce texte alors que vous en aviez la possibilité.
    M. Christian Paul. Le devoir !
    M. René Dosière. Mais pas l'obligation ! Toutes ces contorsions administratives auraient pu être évitées si l'on avait décidé de séparer clairement l'exécutif du délibératif, distinction qui constitue une avancée de la démocratie. On le voit quotidiennement dans nos collectivités métropolitaines où, de la commune à la région, la vie démocratique est de plus en plus limitée parce que l'exécutif local dispose également du pouvoir d'influencer le délibératif local.
    Vous savez tous, mes chers collègues, que dans le code général des collectivités territoriales, le chapitre consacré au maire vient après celui consacré au conseil municipal. Normal, puisque c'est le conseil municipal qui élit le maire. Mais vous savez bien que la réalité est différente, au moins dans les communes de 3 500 habitants ou plus, dans lesquelles c'est le futur maire qui choisit ses futurs conseillers et les présente aux élections municipales. Les analyses critiques des universitaires ne manquent pas sur ces dérives de la démocratie locale.
    Malgré tout, notre tradition et notre culture politique ont suscité de multiples contre-pouvoirs, qu'il s'agisse du respect des textes, avec le contrôle administratif du préfet et le contrôle de légalité du tribunal administratif, ou de la présence de médias pluralistes et indépendants du pouvoir politique - ce qui n'a pas toujours été le cas, je parle de la métropole - ou encore de l'action d'institutions de contrôle comme la Cour des comptes, et en particulier, s'agissant des collectivités territoriales, des chambres régionales des comptes.
    A ce propos, je tiens à rendre hommage à cette création de la décentralisation pour la qualité de ses travaux, son indépendance et sa pugnacité à lutter pour que l'argent public soit utilisé au mieux.
    M. Jean-Claude Beauchaud. Très bien !
    M. René Dosière. En ce domaine d'ailleurs, la Polynésie innove, puisque la chambre territoriale ne fonctionne que depuis peu, pour des raisons aussi diverses que multiples, et qu'elle n'a pas - j'espère qu'on peut dire encore - une activité débordante, si l'on se reporte au tableau sur l'activité des juridictions financières qui figure dans le rapport de la Cour des comptes. Mais après tout, est-ce si grave, puisqu'il est notoire que l'usage des fonds publics en Polynésie est d'une rigueur peu commune ?
    M. Christophe Caresche. C'est bien connu ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. René Dosière. Dans ce cas, il n'est nul besoin d'une chambre territoriale des comptes.
    Il existe aussi une autre forme de contre-pouvoir, la présence de collectivités de base disposant de pouvoirs propres, les communes. En Nouvelle-Calédonie, ce sont les provinces et les communes. Le congrès de la Nouvelle-Calédonie ne dispose pas d'une compétence générale, il n'est que la réunion des trois provinces.
    Cette situation institutionnelle a sans doute quelques inconvénients, dont me parlent régulièrement Jacques Lafleur et Pierre Frogier, l'actuel président du gouvernement, - mais on connaît les liens d'amitié entre le deux hommes, qui travaillent en commun - mais en matière de démocratie, elle présente de multiples avantages.
    Tel n'est pas le cas en Polynésie, où le pouvoir de l'assemblée territoriale et de son exécutif n'est pas contre-balancé par le pouvoir communal. Bien sûr, même actuellement, les communes ne sont pas tout à fait dépourvues d'influence, ou tout au moins leurs maires. D'ailleurs, à en croire les anthropologues, les maires pourraient être considérés comme les lointains successeurs des chefs de tribu, les ari'i, dont la fonction de redistribution était fondamentale. Force est de constater que les communes disposent de compétences et de ressources très nettement insuffisantes. Or, dans un territoire aussi étendu que la Polynésie, la commune demeure plus qu'ailleurs la collectivité de proximité. Cette situtation n'est pas sans conséquence sur la vie politique locale, comme l'a exposé, dans son rapport de 1996 - ne nous trompons pas -, notre collègue Jérôme Bignon, que j'ai eu beaucoup de plaisir à lire, à huit ans d'intervalle.
    M. Christophe Caresche. Nous allons en apprendre des choses, monsieur le rapporteur !
    M. René Dosière. Dans son rapport de 1996 sur le statut de la Polynésie, Jérôme Bignon évoque « la précarité de la situation des communes qui explique certains particularismes de la vie politique locale où des municipalités élues, en opposition à la majorité territoriale, en viennent à la rejoindre parce que ce ralliement apparaît comme le seul moyen de bénéficier de la répartition des crédits territoriaux ». (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Christian Paul. Quelle révélation ! Quelle fine analyse !
    M. Jean-Christophe Lagarde. C'est vrai ! La description de M. le rapporteur est très juste !
    M. Eric Raoult. C'est hors du contexte !
    M. René Dosière. Quel courage aviez-vous, mon cher collègue, à l'époque !
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. Il y a eu des progrès depuis !
    M. René Dosière. Et si vous n'en parlez plus dans votre rapport de 2004, c'est sans doute parce qu'il est de notoriété publique que ces pratiques ont cessé en Polynésie ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jean-Christophe Lagarde. Ce qui a été dit n'a pas besoin d'être répété !
    M. René Dosière. L'analyse des subventions accordées par le territoire ces cinq dernières années aux communes fait pourtant apparaître des différences assez sensibles en matière de subventions. Ainsi, certaines communes ont reçu environ 100 euros par habitant, quand d'autres percevaient 1 000 à 1 500 euros par habitant.
    M. Christian Paul. Et voilà qui est dit ! Le différentiel est fort !
    M. René Dosière. Est-il besoin de préciser que les premières sont dans l'oppostion et les secondes dans la majorité ?
    M. Eric Raoult. En est-il autrement en Seine-Saint-Denis, monsieur Dosière ?
    Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Qu'avez-vous fait quand vous étiez au pouvoir ?
    M. René Dosière. Après tout, on peut penser que les premières ne savent pas présenter de bons dossiers, ce que les secondes, mieux conseillées, savent s'y prendre. (Rires.)
    Mon cher collègue Raoult, pouvons-nous dire que cette situation ne se retrouve pas dans la distribution de certaines subventions - étatiques, régionales ou départementales - en métropole ?
    M. Jacques Floch. Pas avec un différentiel aussi fort !
    M. René Dosière. Au demeurant, que certains élus, soucieux du bien-être de leurs habitants, finissent par changer de camp, est considéré en Polynésie comme naturel. Comme l'écrit cet universitaire, Semir Al Wardi, page 243 de son ouvrage, « la trahison politique est un concept popaa - c'est-à-dire européen - qui reflète la culture occidentale et fausse complètement l'analyse politique des Européens. Il n'y a pas de trahison puisque l'objectif est, d'une part, d'accroître son potentiel de redistribution et, d'autre part, de garder son autonomie par rapport aux formations politiques. » Après tout, conclut-il avec optimisme, l'élu peut encore changer de majorité, ce qui témoigne d'une forme de liberté ambiante.
    M. Christophe Caresche. C'est pour Sarkozy, ça ! Il faut le lui envoyer !
    M. René Dosière. S'agissant des communes, on constate dans ce texte quelques avancées, mais bien timides. Je regrette, monsieur le rapporteur, que la commission des lois ait repoussé tous les amendements que les socialistes avaient déposés pour renforcer les compétences et les ressources des communes...
    M. Christian Paul. C'est scandaleux !
    M. René Dosière ... ainsi d'ailleurs que tous les amendements de notre collègue Lagarde, qui allaient dans le même sens. En outre, compte tenu des distances entre les îles et les archipels, il faudra bien un jour revenir aux conseils d'archipel, créés en 1990 mais que le gouvernement de Polynésie n'a jamais voulu mettre en place.
    Je relève, d'ailleurs, le paradoxe qu'il y a à réclamer à l'extérieur une autonomie que l'on refuse à l'intérieur du territoire.
    Compte tenu du temps qu'il me reste, je serai peut-être obligé d'interrompre mon intervention et de l'achever lors de ma défense de la seconde exception d'irrecevabilité. (Sourires.)
    M. Jacques Floch. C'est pour leur laisser le temps de réfléchir !
    M. René Dosière. Pour respecter les formes, je terminerai celle-ci en mentionnant une autre disposition qui me paraît appeler la censure du Conseil constitutionnel. Je veux parler de la modification de la loi électorale, introduite par un amendement sénatorial déposé en séance,...
    M. Jean-Christophe Lagarde. Excellent !
    M. René Dosière ... alors qu'il n'avait fait l'objet d'aucun examen en commission des lois, le rapporteur du projet du Sénat souhaitant connaître le point de vue du Gouvernement avant de se prononcer. Il était signé, naturellement, du sénateur Flosse, qui illustrait ainsi le dicton qui veut que l'on n'est jamais aussi bien servi que par soi-même !
    De quoi s'agit-il ? A l'heure actuelle, l'assemblée de la Polynésie comprend quarante-neuf sièges élus dans cinq circonscriptions, au terme d'une augmentation décidée par la loi organique du 15 janvier 2001, qui a fait l'objet, elle, d'examens et de débats approfondis tant à l'Assemblée qu'au Sénat. Dans chaque circonscription, l'élection a lieu au scrutin de liste à la représentation proportionnelle, selon la règle de la plus forte moyenne. Pour participer à la répartition des sièges, une liste doit avoir obtenu 5 % des suffrages exprimés. Telle est la règle qui existe aujourd'hui.
    Le projet de loi du Gouvernement, lui, ne modifiait qu'une seule chose - cela devient presque une habitude -, puisqu'il relevait ce seuil pour participer à la répartition des sièges de 5 % à 10 % des suffrages exprimés ; la leçon pour les élections a porté. Quant au rapporteur du Sénat, il n'avait pas jugé utile de proposer de modification et souhaitait donc que le Sénat s'en tienne au texte du Gouvernement. Mais, en séance, dans l'intimité du débat au Sénat - je parle d'intimité car...
    M. Christian Paul. Il était tard dans la nuit !
    M. René Dosière. Non, il n'était pas très tard, il était environ dix-huit heures.
    M. Christophe Caresche. C'est déjà très tard !
    M. René Dosière. Apparemment, il n'y avait pas foule au Sénat et les présents devaient même se compter sur les doigts d'une main.
    M. Christophe Caresche. Mais M. Flosse, lui, était là !
    M. René Dosière. Deux amendements du sénateur Flosse sont adoptés avec l'avis favorable du Gouvernement, madame la ministre. Il semble que vous n'ayez pas été surprise outre mesure par ces amendements. D'ailleurs, peut-être les avez-vous mis au point ensemble ? Le rapporteur n'était pas très sûr de ce qu'il fallait dire mais l'avis favorable du Gouvernement a entraîné son adhésion. En quoi consistent-ils ?
    Tout d'abord, le nombre de circonscriptions passe de cinq à six, par découplage de la circonscription des Tuamotu-Gambier, et celui des élus de quarante-neuf à cinquante-sept. Parallèlement, le scrutin proportionnel est abandonné au profit d'un scrutin majoritaire à un tour,...
    M. Christophe Caresche. C'est nouveau, ça !
    M. René Dosière. ... la prime majoritaire s'élevant à un tiers des sièges. Quant aux autres sièges, ils sont répartis à la proportionnelle mais à condition d'avoir obtenu 10 % des suffrages exprimés.
    M. Christophe Caresche. C'est le rêve de Juppé !
    M. René Dosière. Si le Sénat avait pu procéder à une analyse, même rapide, des conséquences de ce nouveau dispositif, et je m'étonne qu'il n'ait pu le faire, il aurait tout simplement constaté que celui-ci aboutit à aggraver les inégalités de représentation démographique entre les archipels.
    Ayant disposé de davantage de temps, j'ai pu faire les simulations et chiffrer l'impact.
    Au niveau du territoire, on constate que les écarts à la moyenne, estimés en prenant pour base 100 le nombre moyen d'électeurs pour un élu, restent pratiquement les mêmes qu'aujourd'hui pour les quatre circonscriptions. Mais, dans les deux nouvelles circonscriptions de Tuamotu-Est et de Tuamotu-Ouest, l'écart qui se situait précédemment à l'indice 80 s'accentue très sensiblement puisqu'il passe aux indices 56 et 68. Autrement dit, le nouveau découpage aggrave les écarts entre les circonscriptions, ce qui est tout à fait contraire aux règles fondamentales retenues par le Conseil constitutionnel en la matière.
    On peut aussi examiner le rapport entre le nombre d'élus de chaque circonscription à l'assemblée et le poids démographique de chacune d'entre elles. Là non plus, il n'est absolument pas modifié pour les deux circonscriptions des Iles-du-Vent et des Iles sous-le-Vent - respectivement 65 % et 14 % des élus pour 75 % et 12 % de la population.
    Pour les îles Marquises et Australes, ce rapport s'infléchit légèrement - 5 % des élus aujourd'hui au lieu de 6 % pour une population respective de 3,5 % et 2,6 %, ce qui ne change pas beaucoup la situation. Par contre, le nouveau découpage des Tuamotu aboutit à une sur-représentation. Pour 6,5 % de la population, on avait 8 % des élus - il y en avait quatre. Ce pourcentage passe à 10 %.
    Ainsi, contrairement à ce que le législateur avait fait en 2001 en réduisant « les écarts démographiques de représentation par rapport aux dispositions antérieures » et en assurant mieux « le respect du principe selon lequel une assemblée élue au suffrage universel direct doit l'être sur des bases essentiellement démographiques, principe qui découle de l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et des articles 1 et 3 de la Constitution » - vous avez reconnu le langage du Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2000-438 du 10 janvier 2001 -, le législateur de 2004, c'est-à-dire vous, mes chers collègues, fera exactement le contraire si vous adoptez le mode de scrutin qui a été proposé par amendement au Sénat.
    L'affirmation du rapporteur de Sénat selon laquelle il s'agit de « maintenir un équilibre entre la répartition de la population et la représentation des archipels les moins peuplés » n'est pas démontrée. L'analyse chiffrée aboutit même au résultat inverse, puisque le nombre d'élus de l'archipel qui aura vu sa population diminuer de 8 % entre les deux recensements, sera en hausse.
    M. Eric Raoult. C'est faux !
    M. René Dosière. On comprend les réserves du Conseil d'Etat !
    Quel est donc l'objectif visé, si ce n'est améliorer la représentation ?
    Le sénateur Flosse a développé un argument dont je vous laisse apprécier la profondeur : la Nouvelle-Calédonie, avec une population moins nombreuse, a davantage d'élus ! Certes, la Nouvelle-Calédonie, dont on ne connaît d'ailleurs pas aujourd'hui très finement la population, le recensement ayant été reporté - il faudrait ne pas trop tarder, madame la ministre - comptait, au dernier recensement, 213 000 habitants et cinquante-quatre élus tandis que la Polynésie, dont le recensement est le plus récent, avait 245 000 habitants pour quarante-neuf élus. Désormais, la Polynésie pourra redresser la tête puisque, avec cinquante-sept élus, elle en aura davantage que la Nouvelle-Calédonie. Mais rassurez-vous, mes chers collègues, je n'ai jamais entendu Jacques Lafleur faire un tel rapprochement, ce qui nous évitera, lors du prochain recensement de la population en Nouvelle-Calédonie, d'augmenter le nombre de ses élus.
    Mais si la démographie ne justifie pas le nouveau découpage, comment l'expliquer ? La solution n'est pas dans le recensement, mais dans le résultat des élections territoriales de 2001. Si l'on analyse les résultats électoraux de 2001 et que l'on procède aux recollements nécessaires, puisqu'il n'y avait à l'époque qu'une seule circonscription et qu'il y en aura deux, on constate que le Tahoeraa qui est le parti majoritaire, a obtenu 75 % des suffrages dans la nouvelle circonscription Est et 47 % dans la circonscription Ouest, ce qui lui permettra, avec le nouveau mode de scrutin, d'obtenir cinq élus, soit deux de plus que dans l'ancienne circonscription unique. On peut parler du « tripatouillage » électoral.
    M. Eric Raoult. Oh !
    M. René Dosière. Mais je reconnais que cette argumentation n'a pas été présentée au Sénat.
    Pourquoi - et j'en terminerai là - cette disposition est-elle, selon moi, anticonstitutionnelle ? Tout d'abord, la procédure est tout à fait discutable.
    Cette manière de procéder, dans un domaine sensible, n'a pas permis à l'assemblée de Polynésie d'émettre un avis, pas plus qu'au Conseil d'Etat. Sans remettre en cause le droit d'amendement - ce serait un comble de la part d'un parlementaire -, on peut quand même se poser quelques questions sur les bouleversements qui résultent d'amendements présentés dans ces conditions, et en particulier, sur l'atteinte au pluralisme de la vie politique. C'est le point central qu'il me paraît nécessaire de développer devant le Conseil constitutionnel.
    « Le pluralisme des courants d'idées et d'opinion constitue le fondement de la démocratie », affirme le Conseil constitutionnel dans sa décision du 11 janvier 1990.
    Or les conséquences cumulées de ces deux dispositions - introduction du scrutin avec prime majoritaire et relèvement du seuil de répartition des sièges, la commission des lois de l'Assemblée, réunie ce midi au titre de l'article 88, où l'on discute le plus au fond, n'est-ce pas monsieur le rapporteur, l'ayant fait passer de 5 % des inscrits à 10 % des suffrages exprimés, ce qui ne change pas grand chose -, ces conséquences sont simples et claires : il n'y aura plus, si vous adoptez ce texte et si le Conseil constitutionnel ne le censure pas, que deux partis représentés à l'assemblée de Polynésie, celui du président du gouvernement, le Tahoeraa, et celui des indépendantistes, le Tavini. Eux seuls, en effet, compte tenu des résultats antérieurs, sont assurés d'une représentation grâce aux scores électoraux qu'ils réalisent habituellement : 45 à 60 % pour le Tahoeraa, 18 à 30 % pour le Tavini.
    Seule la circonscription des îles Marquises, qui est chère à notre coeur, est en mesure de faire élire un opposant et un seul, à cause d'un particularisme local, au lieu de deux si l'on avait gardé le mode de scrutin proportionnel.
    Autrement dit, ce mode de scrutin aboutit clairement à une bipolarisation de la vie politique polynésienne, ce qui - je cite à nouveau le Conseil constitutionnel - « entrave l'expression de nouveaux courants d'idées et d'opinions ».
    Or, la géographie de la Polynésie conduit à des expressions politiques très localisées qui vont désormais être privées de toute représentation.
    Il en résultera que de nombreux partis politiques polynésiens ne disposeront plus d'élus à l'Assemblée de Polynésie, au moment même où le nouveau statut aura renforcé sensiblement les pouvoirs de cette assemblée. Il s'agit, mes chers collègues, d'une violation de l'article 4 de la Constitution, selon lequel « les partis et groupements politiques concourent à l'expression du suffrage ».
    Or les caractéristiques de la Polynésie - multiplicité des îles et des archipels - et son histoire expliquent la diversité des partis politiques locaux : il y en avait une quinzaine aux dernières élections territoriales.
    Favoriser le bipartisme en éliminant toute représentation politique aux partis tiers et en empêchant l'émergence de nouveaux courants d'opinion constitue, en outre, une grave faute politique pour l'avenir de la Polynésie. Les empêcher de s'exprimer à l'assemblée, n'est-ce pas ouvrir la voie aux manifestations de rues ?
    Voilà, pour l'instant, mes chers collègues, ce que je tenais à vous dire, dans cette première motion. Lorsque je défendrai la seconde, dans quelques minutes, je continuerai cette analyse de la loi organique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Christian Paul et M. Jean-Jack Queyranne. Excellent !
    M. Emile Zuccarelli. Très bien !
    M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Eric Raoult, pour le groupe UMP.
    M. Eric Raoult. Nous éprouvons tous de l'estime et de la sympathie pour notre collègue René Dosière. C'est un universitaire réputé qui connaît remarquablement bien les finances publiques,...
    M. René Dosière. Pas seulement les finances publiques !
    M. Eric Raoult. ... mais il ne nous en a pas parlé.
    Il connaît bien aussi les lois électorales, et nous en a beaucoup parlé ! Il les a beaucoup défendues sous les gouvernements précédents.
    M. Christophe Caresche. Excellentes lois !
    M. Eric Raoult. Dans la présente intervention, du moins dans sa première partie, il s'est davantage exprimé en anthropologue ou en sociologue qu'en juriste.
    M. René Dosière. Attendez la suite !
    M. Eric Raoult. Il nous est apparu « souvent Gauguin, un peu coquin ». (Sourires.) En l'occurrence, il a donné une vision de carte postale de la Polynésie.
    M. Eric Raoult. Mais, cher collègue, vous n'avez pas parlé de toute la Polynésie,...
    M. Jean-Jack Queyranne. Heureusement !
    M. Eric Raoult. ... des petites boutiques du marché de Papeete, des banlieues de cette ville et de leurs difficultés. Pourtant, vous connaissez bien la Polynésie pour vous y être rendu à de nombreuses reprises. Et, en tant que parlementaire, vous suivez les dossiers de l'outre-mer.
    Vous n'avez cité qu'une fois l'article 74 de la Constitution. Il ne s'agissait pas, en réalité, de défendre une exception d'irrecevabilité mais d'exposer très largement toutes les critiques, parfois gênées, portées sur le gouvernement territorial. Vous avez été obligé d'en appeler aux mânes de Gaston Defferre, en rappelant la particularité de Pierre Messmer. Vous avez répété à de multiples reprises que les socialistes ont beaucoup travaillé pour l'autonomie.
    En fait, cher collègue, ce que nous faisons dans ce texte, c'est de réussir l'autonomie pour ne pas échouer avec l'indépendance.
    M. Christian Paul. Sans la démocratie !
    M. Eric Raoult. Tout repose là-dessus. Peut-on bien comprendre la Polynésie sans savoir que, alors que Laon et Saint-Quentin ne sont distantes que de quelques dizaines de kilomètres, il y a entre certaines îles de la Polynésie française, la même distance qu'entre Nicosie et Oslo.
    Vous avez lu une thèse plus que vous n'avez défendu la vôtre. Nous avons apprécié votre intervention qui était tout de même un peu décalée. C'était du « Dosierus universalis » ! Vous avez parlé des pays d'outre-mer, de la loi de pays, de la présidentialisation, mais bien peu de l'article 74 de la Constitution !
    M. René Dosière. Rassurez-vous, ça va venir !
    M. Eric Raoult. Je ne veux pas être désagréable à l'égard du parti socialiste, mais lorsqu'on se souvient du Meccano institutionnel qu'il nous a proposé pour l'outre-mer pendant des années et, sur la Calédonie, du travail de Christian Nucci et de Jacques Roynette... (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)
    Tant pis si cela vous dérange !
    Monsieur Paul, cela vous fait rougir...
    M. Christian Paul. Pas du tout ! Je suis très fier de ce qui a été fait en Nouvelle-Calédonie !
    M. Eric Raoult. ... mais c'est la vérité ! Ayant trop souvent joué avec l'indépendance parce que vous ne croyiez pas à la réussite de l'autonomie, vous ne pouvez pas défendre aujourd'hui une exception d'irrecevabilité, et d'ailleurs ce n'en était pas une.
    Nous vous apprécions, cher collègue, je le répète, et vous nous avez parfois amusés...
    M. René Dosière. Et fait rêver un peu quand même !
    M. Eric Raoult. ... mais vous ne nous avez pas convaincus. Rien, dans ce texte n'est inconstitutionnel. De toute façon, c'est ici que les choses se décident. Et en Polynésie, ce qui compte, c'est que cela marche. Ce qui compte, c'est l'efficacité. Entre le tiamaraa et le fataera, il y a une différence : la réussite. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La parole est à M. Jean-Jack Queyranne, pour le groupe socialiste.
    M. Jean-Jack Queyranne. Après René Dosière qui a soulevé les points d'inconstitutionnalité, je veux montrer que le Gouvernement organise aujourd'hui une mauvaise session de rattrapage après la décision prise par le Président de la République en 1999 de ne pas convoquer le Congrès pour consacrer, sur le plan constitutionnel, le statut d'autonomie de la Polynésie française.
    Il n'y avait pas de Meccano institutionnel, monsieur Raoult. Je vous renvoie au texte que j'avais présenté alors que j'étais ministre, qui avait été voté à l'unanimité par cette assemblée et qui constituait une avancée pour la Polynésie, laquelle se voyait consacrée comme pays d'outre-mer et faisait l'objet d'un article à part entière dans la Constitution, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui avec l'article 74.
    Il s'agit bien d'une session de rattrapage, dans la mesure où vous essayez d'inscrire dans un texte de loi organique ce qui s'apparente à des contorsions juridiques. On ne peut pas appeler « loi de pays », en droit français, ce qui procède d'un acte réglementaire et qui, par nature, relève du contrôle du Conseil d'Etat.
    Oui, monsieur Raoult, en 1999, nous proposions, par la Constitution, des lois de pays, qui pouvaient être identiques, dans un certain nombre de matières, à celles qui découlaient des accords de Nouméa, et qui avaient introduit de nouvelles dispositions pour la Nouvelle-Calédonie. Aujourd'hui, le texte de la révision constitutionnelle que vous avez fait adopter ne permet pas cette appellation de loi de pays. C'est, d'ailleurs, ce qu'a dit le Conseil d'Etat.
    Vous me rétorquerez que ce n'est pas important et que, seul, le résultat compte. Mais il ne faut pas tromper les Polynésiens. De ce point de vue, je pense que vous commettez une lourde erreur sur le plan juridique, qui méritera que le Conseil constitutionnel s'en saisisse et suive l'excellent raisonnement de notre collègue Dosière.
    En outre, la disposition de l'article 69, qui a été introduite au Sénat sur un amendement de M. Flosse lui-même, président du gouvernement de la Polynésie française, et qui vise à faire élire le président de la Polynésie, éventuellement, hors l'Assemblée, est quelque chose de totalement méconnu dans notre système juridique.
    M. Christophe Caresche. C'est invraisemblable ! Comment le Gouvernement a-t-il pu accepter ça ?
    M. Christian Paul. Que fait le Gouvernement ?
    M. Jean-Jack Queyranne. Pour toutes les collectivités territoriales, le président d'un exécutif, qu'il soit régional ou communal, doit être membre de l'assemblée devant laquelle il rend compte. C'est un principe fondamental de notre droit. C'est dire quelle déviation juridique caractérise le projet de loi organique que vous nous proposez.
    Certes, c'est l'autonomie, monsieur Raoult, mais avec la concentration des pouvoirs, et au profit, essentiellement, d'un exécutif. Le président, qui était président du gouvernement de la Polynésie française, ce qui soulignait la collégialité des décisions, devient le « président de la Polynésie française ». Cela revient à adopter pour la Polynésie un système présidentialiste. Après tout, cela peut se concevoir, mais dans le respect de nos règles de droit, à savoir que le président ne peut être issu que de l'assemblée, qu'il ne peut avoir, dans une collectivité territoriale, que la légitimité du suffrage universel. Vous introduisez là une monstruosité juridique.
    Enfin, la modification du régime des circonscriptions territoriales pour l'élection de l'assemblée territoriale de la Polynésie va à l'encontre des principes mêmes que le Conseil constitutionnel a consacrés, monsieur Raoult, dans une décision récente intervenue en février dernier, concernant le respect du pluralisme dans le cadre des élections régionales. En effet, quand le Gouvernement a fixé un seuil de participation au deuxième tour des élections régionales trop élevé et ne qui garantissait pas le pluralisme, le Conseil constitutionnel l'a sanctionné.
    Ce texte comporte donc beaucoup de points qui doivent être relevés par le Conseil constitutionnel.
    Je veux dire, d'une façon générale, ma déception et mon inquiétude. Nous pouvions engager la Polynésie dans la voie d'une plus grande autonomie, dans le respect des principes du droit français, et en assurant l'équilibre des pouvoirs.
    M. le président. Monsieur Queyranne, veuillez conclure.
    M. Jean-Jack Queyranne. Or, celui-ci ne figure pas dans votre texte, et je termine sur ce point. En effet, d'une part, les communes se voient placées sous une tutelle beaucoup plus grande du territoire, alors qu'elles sont des collectivités territoriales de l'Etat français et, d'autre part, l'assemblée voit, sur beaucoup de points, son pouvoir rogné au profit de l'exécutif.
    Ce sont là, mes chers collègues, autant de raisons de voter l'excellente exception d'irrecevabilité qu'a défendue René Dosière. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
    M. Emile Zuccarelli. Très bien !
    M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
    M. Pascal Clément, président de la commission. Je voudrais rendre hommage à notre collègue René Dosière. Tout d'abord, il a tenu parole, puisqu'il nous avait annoncé qu'il parlerait une heure et demie, et il faut l'en féliciter. (Sourires.)
    Ensuite, vous avez fait observer, monsieur Dosière, que vous n'aviez pas eu tout le temps nécessaire pour préparer le débat en commission et votre intervention. Mais compte tenu de la qualité de vos interventions en commission, je me demande pourquoi vous réclamez plus de temps !
    M. René Dosière. Vous auriez vu ce que cela aurait été si j'avais eu du temps ! (Sourires.)
    M. Pascal Clément, président de la commission. Je n'ose l'imaginer ! Vous avez prouvé que vous connaissiez bien la question, presque aussi bien que celle de la Nouvelle-Calédonie. Cela dit, je vous rappelle que nous disposons du projet du Gouvernement depuis le 22 octobre 2003 et que le texte du Sénat - dont, je crois, vous vous êtes servi - se trouve sur le site Internet de la Haute Assemblée, depuis le 19 décembre.
    Enfin, pour conclure ma démonstration liminaire, je rappelle que vous connaissez ce type de travaux un peu rapides, puisque, en 1999, vous avez été rapporteur d'un texte, cher monsieur Dosière, dont les délais d'examen étaient encore plus serrés que ceux qui nous sont impartis aujourd'hui : le dépôt avait eu lieu le 26 mai, l'examen en commission le 2 juin, et en séance publique le 10 juin. Rôdé comme vous l'êtes, je n'ai donc aucune inquiétude !
    Sur le fond,...
    M. René Dosière. Vous pourriez ne me répondre sur le fond que tout à l'heure !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Je vais déjà en dire quelques miettes !
    Comme l'a dit très justement notre collègue Raoult, vous ne pouvez juger de la constitutionnalité de ce texte qu'en vous fondant sur l'article 74 de la Constitution, que nous avons modifié récemment. Aussi juger le projet, comme vous l'avez fait, à l'aune de la Constitution précédente, c'est-à-dire avant cette modification, est sympathique, mais ça n'a pas de fondement juridique, et je voudrais vous en donner quelques exemples.
    M. Christian Paul. C'est du bluff !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Ainsi j'ai relevé dans les propos de M. Queyranne, comme dans les vôtres, monsieur Dosière, une ou deux objections dont celle selon laquelle la loi de pays n'est pas constitutionnelle.
    M. Jean-Jack Queyranne. L'appellation !
    M. Pascal Clément, président de la commission. En effet ! Il est exact que, s'agissant des lois du pays, pour la Calédonie, où cela est prévu dans la Constitution, vous n'avez pas manqué de l'observer, le juge est le Conseil constitutionnel.
    M. René Dosière. Absolument !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Ce qui veut dire, je n'apprends rien à personne, que les lois du pays ont valeur législative. Mais ce n'est pas parce qu'on emploie le même mot qu'on désigne la même chose.
    M. René Dosière. Ce sont des lois du pays « Canada dry » !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Non ! Justement, le Gouvernement a bien pris soin de prévoir que le juge n'est plus le Conseil constitutionnel, mais le Conseil d'Etat, ce qui veut dire qu'elles n'ont pas valeur législative, mais réglementaire. Donc, en aucun cas, il ne peut y avoir inconstitutionnalité. Ç'aurait pu être le cas si, comme cela nous avait été demandé, le juge constitutionnel avait été désigné pour juger ces lois du pays, ce qui leur eût donné valeur législative. Il aurait fallu le prévoir dans la Constitution. Il y aurait alors eu risque.
    Deuxième objection, je n'ai pas choisi ces deux-là tout à fait au hasard, j'ai écouté avec attention ce que M. Queyranne avait repris en synthétisant les propos de M. Dosière, plus largement développés...
    M. Christophe Caresche. Et ce n'est pas fini !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Et on me fait savoir que ce n'est pas terminé !
    Deuxième objection, je confesse à l'Assemblée que, au départ, j'ai été moi-même un peu surpris : comment élire le président de la Polynésie hors de l'assemblée territoriale ?
    M. Christian Paul. Nous y voilà ! Quelle étrangeté !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Attendez !
    Je me suis interrogé, comme vous tous. D'abord j'ai constaté - point fondamental - qu'en Calédonie le président peut être lui-même élu hors du congrès.
    Alors, n'y voyez pas...
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. ... malice !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Même pas !
    Souvenons-nous...
    M. René Dosière. Rassurez-vous, je me souviens !
    M. Pascal Clément, président de la commission. ... de ce qui s'est passé en Calédonie et de la modification constitutionnelle voulue par le Premier ministre, Michel Rocard, que la plupart d'entre nous avons votée. Si nous avons accepté de déroger à notre Constitution, à l'époque - ô combien ! -, c'est parce que nous avions vécu des événements considérables !
    M. René Dosière. Ouvéa !
    M. Pascal Clément, président de la commission. En effet !
    Faut-il qu'il y ait des événements d'une telle gravité pour qu'on accepte de déroger à la Constitution ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Et quand on a une population qui, par conviction, sympathie, attachement à la France, explique comment elle imagine l'avenir de son territoire, faut-il refuser une disposition en invoquant la Constitution ? Cela serait un appel à la violence. Je sais que telle n'est pas votre intention, mais cela reviendrait à cela.
    M. Christophe Caresche. Ce n'est pas un raisonnement.
    M. Pascal Clément, président de la commission. C'est dire combien je trouve spécieuse votre approche. A partir du moment où l'article 74 parle d'autonomie, que c'est l'adaptation spécialisée de la législation prévue par l'article 74,...
    Comment anticiper sur des décisions du Conseil constitutionnel ? Moi, en tout cas, et ce n'est pas de la modestie, j'en suis bien incapable ! A moins que vous ne soyez prophétiques ou que vous ne vous pensiez vous-même pour le Conseil constitutionnel. Convenez en tout cas qu'il n'y a pas de précédent dans cette affaire depuis le vote constitutionnel de l'article 74.
    Le fond du débat est politique : que veulent les Polynésiens ?
    Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Exactement !
    M. Pierre Goldberg. Il faut le leur demander.
    Plusieurs députés du groupe socialiste. Ils n'ont pas été consultés !
    M. Pascal Clément, président de la commission. C'est précisément ce que l'on a fait ! Il est assez contradictoire de considérer qu'il faut leur demander et de nous reprocher de mettre en oeuvre sur le plan législatif ce qu'ils ont demandé.
    M. Jean-Jack Queyranne. Mais non !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Et si le président Gaston Flosse était là, c'est probablement parce qu'il a le sentiment d'une certaine paternité...
    M. Christian Paul. Qui fait la loi ?
    M. Pascal Clément, président de la commission. Nous voulions que les Polynésiens disent clairement ce qu'ils souhaitent pour le développement de leur territoire. Ils nous disent eux-mêmes quels moyens ils nous demandent de mettre à leur disposition, et ils nous ont dit qu'ils voulaient rester français. Je me demande si, au fond, ce n'est pas cela qui vous mécontente ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Emile Zuccarelli. N'importe quoi !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Alors qu'ils sont à 20 000 kilomètres dans un territoire grand comme l'Europe, on ne va pas leur dire de cet hémicycle comment il faut faire. Il y a en effet des choses qui dérogent totalement au droit commun, mais, comme l'a dit l'un d'entre vous, s'il n'y pas beaucoup de distance, entre Laon et Montlhéry, là il y en a une énorme entre eux et nous. Vous êtes souvent allé en Polynésie, monsieur Dosière ?
    M. René Dosière. Pas trop souvent !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Au lieu de vous mettre à votre place, ce que vous avez fait pendant plus d'une heure, essayez de vous mettre à la place des Polynésiens !
    M. Eric Raoult. Exactement.
    M. Pascal Clément, président de la commission. Ce que j'essaie de faire en ce moment, c'est de me mettre à leur place. Ils nous disent ce qu'ils croient être bon pour leur développement dans le cadre de la République et de la nation françaises. Ce qui me touche, ce n'est pas de savoir si c'est du déjà vu ou du déjà connu sur le plan constitutionnel, c'est de savoir qu'ils veulent rester français.
    A la suite de cette mission, nous sommes allés en Calédonie, je n'y étais jamais allé. Quel immense progrès ! Plus personnne ne nous parlait d'indépendance !
    M. René Dosière. On en parlera dans quinze ans. Il y a trois référendums prévus.
    M. Pascal Clément, président de la commission. On en parlera le moment venu.
    Peut-être qu'ils prendront finalement une telle décision, mais j'ai cru plutôt que tout évoluait vers beaucoup plus d'autonomie...
    M. Jean-Jack Queyranne. Grâce à qui ?
    M. Pascal Clément, président de la commission. Grâce à vous ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Eric Raoult. Modestes, avec ça ! (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Pascal Clément, président de la commission. Lorsque l'on va vers plus d'autonomie, on aboutit au maintien dans la France. Attention donc : si vous ne voulez pas d'autonomie en Polynésie, c'est peut-être qu'au fond de vous-mêmes, vous ne voulez pas de ses conséquences. Nous sommes en face d'un projet de loi voulu par les Polynésiens. Le Conseil constitutionnel dira s'il considère que l'article n'est pas respecté. Moi, je ne vois pas vraiment, mais je ne veux pas préjuger. Tout ce que je sais, c'est que c'est ce qu'il y a de mieux pour les Polynésiens puisqu'ils le souhaitent.
    Enfin, monsieur Dosière, je vous recommande de passer sous le porche de la deuxième vertu. Vous entendrez parler de la petite fille espérance...
    M. René Dosière. ... qui conduit ses deux grandes soeurs, foi et charité, alors que l'on croit que ce sont elles qui la conduisent...
    M. Pascal Clément, président de la commission. La petite fille espérance, c'est la Polynésie. On va lui donner la chance de croître et de se développer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité déposée sur le projet de loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française.
    (L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

Exception d'irrecevabilité

    M. le président. Sur le projet de loi complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française j'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.
    La parole est à M. René Dosière.
    M. René Dosière. Je voudrais d'abord vous dire, monsieur Raoult, que j'ai cité au moins quatre fois l'article 74 de la Constitution...
    M. Eric Raoult. Alors j'en ai oublié trois !
    M. René Dosière. ... et que je me situe donc bien dans ce contexte. Bien entendu, même si le ton de ce débat peut conduire à penser le contraire, je ne me prends pas pour le Conseil constitutionnel. Les observations que je formule peuvent seulement, le cas échéant, l'éclairer. Sur une loi organique, il se saisit lui-même. Il examine chaque article, sauf ceux qu'il a déjà examinés dans des textes précédents. Un recours ne sera donc pas nécessaire. Mais il me semble utile que la représentation nationale puisse attirer son attention sur telle ou telle disposition.
    Monsieur le président de la commission des lois, j'aurai l'occasion demain, lors de la discussion des amendements, de répondre à un certain nombre de vos objections, je ne vais donc pas prolonger ce propos. Je me réjouis que vous ayez une aussi bonne connaissance de Péguy...
    M. Pascal Clément, président de la commission. Moins que vous !
    M. René Dosière. ... et que son nom ait pu être à nouveau prononcé dans cet hémicycle.
    Revenons à l'angle constitutionnel de ce texte. Je vais évoquer les dispositions qui appellent de ma part des réserves - c'est un euphémisme - concernant leur conformité à la Constitution.
    Tout d'abord, la durée de résidence et l'accès à l'emploi local. Les dispositions de l'article 18 introduisent la possibilité de réserver, par une loi du « pays », l'accès du marché local de l'emploi aux personnes justifiant d'une durée de résidence suffisante sur le territoire. Cette possibilité est également ouverte aux conjoints, au sens large, de ces résidents, conjoints qui doivent remplir aussi une condition de durée, non plus de résidence mais de mariage, de concubinage ou de PACS.
    Ces deux durées seront-elles identiques ? Si oui, la disposition pour les conjoints est absurde. Si elles ne sont pas identiques, cela signifie que certaines personnes pourront accéder plus facilement à un emploi, avec une condition de durée moindre, parce qu'elles vivent avec un résident en Polynésie française. Pourquoi limiter cette possibilité aux seuls conjoints ? Pourquoi ne pas la prévoir, par exemple, pour les enfants ou pour les parents ? Il s'agit là d'une forme de discrimination critiquable.
    La notion de population locale, qui est sous-jacente dans l'article 74, dixième alinéa, et qui fonde les discriminations dans l'accès à l'emploi, serait ainsi à géométrie variable, selon que vous soyez ou non conjoint d'un résident. Cette population regrouperait d'une part les célibataires, qui sont résidents depuis x années en Polynésie française, et, d'autre part, les conjoints de résidents depuis x années mais qui, eux-mêmes, sont en Polynésie depuis un moins grand nombre d'années.
    Est-il convenable qu'on laisse à la loi du pays le soin de déterminer cela sans aucune garantie dans la loi organique ? Est-ce bien conforme à l'article 74 de la Constitution ?
    En outre, si le Conseil constitutionnel a validé les dispositions de la loi organique sur la Nouvelle-Calédonie, c'est sous la réserve que la durée de résidence n'excède pas celle fixée pour acquérir la citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, mais nous n'avons ici aucune borne de ce type pour la Polynésie, puisque la notion de citoyenneté polynésienne n'existe pas. Il s'agit là encore d'un argument qui milite en faveur d'une plus grande précision dans la loi organique.
    Je vous renvoie à la décision n° 99-410 du Conseil constitutionnel.
    Deuxième disposition qui me paraît discutable, c'est la priorité accordée aux personnes nées en Polynésie française en matière de protection du patrimoine foncier - article 19.
    Le dixième alinéa de l'article 74 de la Constitution permet à la loi organique de déterminer les conditions dans lesquelles des mesures justifiées par les nécessités locales peuvent être prises par la collectivité en faveur de sa population en matière de protection du patrimoine foncier.
    Le projet de loi organique retenait comme critère de la population locale une durée suffisante de résidence en Polynésie française. Un amendement présenté par M. Gaston Flosse y a ajouté les critères de la nationalité française, de la naissance en Polynésie ou d'un lien de parenté avec une personne née en Polynésie. Un amendement similaire, présenté par le même auteur, avait été rejeté à l'article 18, relatif à la préférence locale en matière d'emploi, au motif que ces critères reviendraient à reconnaître de manière indirecte une sorte de citoyenneté polynésienne que la Constitution ne prévoit pas. Ce sont les propos du rapporteur de la commission des lois du Sénat, séance du 18 décembre 2003, page 10 269.
    De son côté, Mme la ministre a rappelé que les critères retenus devaient être objectifs et rationnels, c'est-à-dire qu'ils doivent avoir un lien direct avec l'objet des mesures. Celles-ci, je le rappelle, doivent être justifiées par les nécessités locales ou édictées en faveur de la population locale aux termes de l'article 74 de la Constitution.
    Or, pas plus qu'en matière d'emploi, une personne née en Polynésie ou y ayant un parent, qui aurait quitté le territoire sans y avoir vécu pendant une certaine durée, ne peut être considérée comme appartenant à la population locale. Le lieu de naissance, mes chers collègues, n'est pas le fait d'une volonté exprimée, mais le hasard du lieu de résidence des parents, tout au moins de la mère. Ainsi, l'enfant d'un fonctionnaire métropolitain de passage, né un mois avant le retour de ses parents en métropole, aurait davantage de droits qu'un résident de Polynésie permanent depuis trente ou quarante ans, mais né par exemple en Nouvelle-Calédonie.
    Les critères introduits par l'amendement ne me paraissent donc pas pertinents au regard du dixième alinéa de l'article 74 de la Constitution. De plus, ils pourraient être contraires aux dispositions du deuxième alinéa de l'article 2, qui affirme le principe d'égalité de tous les citoyens sans distinction d'origine. En effet, si le Conseil constitutionnel admet, selon une jurisprudence constante, que le législateur déroge au principe d'égalité devant la loi pour des raisons d'intérêt général, il exige que la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l'objet poursuivi.
    Troisième disposition discutable, l'organisation du référendum local - article 158.
    Aux termes du deuxième alinéa de l'article 72-1 de la Constitution, le référendum décisionnel local peut-être organisé, dans les conditions prévues par la loi organique, sur les projets de délibération ou d'actes relevant de la compétence d'une collectivité territoriale, « à son initiative ».
    Dans sa décision n° 2003-482 du 30 juillet 2003, le Conseil constitutionnel a jugé que la loi organique du 1er août 2003 sur le référendum local, prise sur le fondement de l'article 72-1 de la Constitution, s'appliquait à toutes les collectivités territoriales régies par le titre XII de la Constitution, donc aux collectivités d'outre-mer régies par l'article 74, qui sont d'ailleurs citées à l'article 72 de la Constitution. Et je vous lis, parce qu'il est assez explicite, le considérant du Conseil constitutionnel à ce sujet :
    « Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d'outre-mer régies par l'article 74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et place d'une ou plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa ; que le troisième alinéa de l'article 72-3 dispose que : « Le statut de la Nouvelle-Calédonie est régi par le titre XIII. »
    « Considérant que la loi organique soumise à l'examen du Conseil constitutionnel, prise sur le fondement de l'article 72-1 de la Constitution, s'applique à toutes les collectivités territoriales régies par le titre XII de la Constitution ; ».
    Dès lors, le projet de loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie ne peut qu'apporter des adaptations aux dispositions de droit commun pour tenir compte des spécificités locales. Force est de constater que la nouvelle rédaction de l'article 158, modifiée au Sénat par toute une série d'amendements du sénateur Flosse, ne respecte pas ce principe. Elle contrevient directement à l'interprétation précitée du Conseil constitutionnel.
    De plus, elle prévoit expressément, tout comme le projet de loi initial, madame la ministre, que l'initiative d'organiser un référendum local en Polynésie française reviendrait exclusivement au conseil des ministres, contrairement à ce que la loi organique du 1er août 2003 a prévu pour l'ensemble des collectivités territoriales. Comme le soulignait le rapporteur de la commission des lois du Sénat, « l'Assemblée de la Polynésie française doit pouvoir prendre l'initiative d'organiser un référendum local dans les matières qui ne relèvent pas des attributions exclusives du conseil des ministres et doit, dans tous les cas, non seulement autoriser le recours au référendum, mais également déterminer les modalités d'organisation du scrutin, car elles engagent ses finances ».
    Compte tenu de la présence massive des sénateurs lors de la discussion de ce texte, il est étonnant de voir que c'est justement sur cet article qu'il a fallu procéder, après une épreuve de vote à main levée douteuse, par « assis et levé », ce qui montre bien qu'ils étaient troublés.
    Quatrième point qui peut intéresser le Conseil constitutionnel, c'est le maintien de l'indemnité des représentants à l'Assemblée de la Polynésie française jusqu'à la première réunion de la nouvelle Assemblée, l'article 127.
    Cette disposition, adoptée à l'initiative de M. Gaston Flosse, est sans précédent dans les conditions d'exercice des mandats locaux. Créant une charge publique, elle est à l'évidence contraire à l'article 40 de la Constitution mais, le Gouvernement ne s'y étant pas opposé, il devient difficile de mettre en cause sa constitutionnalité.
    En effet, le Conseil constitutionnel n'examine la conformité de la procédure législative aux prescriptions de l'article 40 de la Constitution que si la question de la recevabilité financière a été soulevée devant la première assemblée parlementaire qui en a été saisie. Voyez par exemple la décision relative à la loi organique portant sur la réforme de la durée du mandat et de l'âge d'éligibilité des sénateurs ainsi que de la composition du Sénat.
    En revanche, la constitutionnalité de cette disposition est tout à fait contestable au regard du principe d'égalité et de la différence de traitement ainsi opérée sans raison objective par rapport aux autres élus d'assemblées de collectivités territoriales.
    Elle se heurte, enfin, au principe de bonne utilisation des deniers publics tel qu'il ressort des articles 13 et 14 de la déclaration de 1789.
    Cinquième disposition contestable : les compétences nouvelles en matière de réglementation des jeux, loteries, casinos et paris.
    Ce transfert de compétences a été pointé du doigt par le Conseil d'Etat dans son avis. L'article 73 et le quatrième alinéa de l'article 74 de la Constitution ne permettent pas de transfert de compétences de l'Etat vers les collectivités d'outre-mer en matière de droit pénal. Or, dans la mesure où l'ouverture sans autorisation de cercles de jeux est interdite sous peine d'une sanction pénale, la possibilité qui serait ouverte à la Polynésie française d'autoriser ces ouvertures contreviendrait aux dispositions de l'article 73.
    Le texte adopté au Sénat à l'article 24 tient compte partiellement de cette observation. Il est cependant en deçà de ce que le Gouvernement prévoyait. Si on choisit de se montrer très soupçonneux, on peut même penser qu'il ne purge pas totalement le texte de son vice. Les termes : « dans le respect des règles de contrôle et des pénalités définies par l'Etat » peuvent paraître trop vagues alors que le Gouvernement - je viens à votre secours, madame la ministre - faisait référence aux lois et décrets en Conseil d'Etat qui définissent les règles relatives au contrôle par l'Etat de l'installation et du fonctionnement des casinos.
    On peut craindre que la nouvelle rédaction de l'article 24 n'ouvre la voie à des interprétations extensives de la part des autorités locales, qui les conduiraient à rogner sur la compétence normale de l'Etat en matière d'ouverture des cercles de jeux.
    Il faut d'ailleurs lire ces dispositions à la lumière de celles contenues dans l'article 31, qui donnent à l'Etat la possibilité d'habiliter la Polynésie française à l'exercice de certaines compétences, notamment en matière de dispositions pénales relatives aux jeux de hasard. Cet article, tel que modifié par le Sénat, est assez caractéristique d'une volonté d'introduire des dispositions ambivalentes permettant des interprétations à géométrie variable et n'offrant pas toutes les garanties nécessaires.
    D'ailleurs, en matière de jeux, la prudence s'impose car, dans le passé, on a connu quelques problèmes. A cet égard, je voudrais évoquer un article publié dans le journal Le Monde, à propos d'un procès qui s'est déroulé le 13 octobre 1999 et qui a illustré certaines pratiques ayant cours dans le territoire. Ce jour-là comparaissaient devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris les prévenus M. Julien Li Lem, dit le « roi des jeux », et M. Gaston Flosse, accusé de « complicité de tenue illicite d'une maison de jeux de hasard ». M. Flosse était également accusé de corruption passive, mais, condamné en première instance, il a été relaxé par la cour d'appel. Je ne parlerai donc que des incriminations pour lesquelles il a été condamné à une amende.
    Permettez-moi de lire cet article, qui évoque l'ambiance de la Polynésie. Notre collègue Eric Raoult a parlé du logement social, des banlieues.
    M. Eric Raoult. Cela existe aussi !
    M. René Dosière. Je vous parle pour ma part des casinos et des jeux.
    « La Polynésie française, écrit le journaliste du Monde, était réprésentée par le roi des jeux, Julien Li Lem, et par le président du gouvernement du Territoire, Gaston Flosse, mercredi 13 octobre, devant la 17e chambre du tribunal correctionnel de Paris. Six ans après la révélation d'une affaire de financement occulte du parti de M. Flosse par l'argent des jeux clandestins » - il a été relaxé pour cela - « le sénateur a comparu pour "corruption passive » - il a également été relaxé de ce chef - « et "complicité de tenue illicite d'une maison de jeux de hasard. »
    M. Eric Raoult. Déjà dit !
    M. René Dosière. « Surnommé Humbo, le mauvais garçon pour les Tahitiens, d'origine chinoise, M. Li Lem est poursuivi pour "corruption active. Dans sa veste de velours mauve, il a l'élégance du flambeur et la gueule cassée de Takeshi Kitano. D'un geste, agitant un bracelet d'or et de diamants, il pointe son doigt vengeur vers Gaston Flosse, "un requin blanc. N'est-il pas lui-même "un requin jaune, glisse M. Flosse ? "Le requin jaune est mille fois plus honnête que toi. Sur le banc des prévenus, M. Flosse, maire de la commune de Pirae, est aux côtés de Marcel Tuihani, chef du cabinet municipal et secrétaire de son parti [...], et de Nelson Levy, trésorier du parti.
    « Humbo est célèbre : "Il était de notoriété publique que M. Li était le principal organisateur des jeux d'argent en Polynésie française, admet M. Flosse. Mais ces jeux sont interdits par la loi pénale, intervient le président du tribunal. Réponse du sénateur : « C'est une tolérance admise par tout le monde. Le Haut commissaire, le commissaire de police et le colonel de gendarmerie, le président de la cour d'appel venaient tous les ans déjeuner chez M. Li. »
    On le voit, il y a la loi et il y a la pratique.
    « Le 29 octobre 1990, les gendarmes ont perquisitionné dans la baraque de jeux roulette, black-jack à l'enseigne de Humbo, sur un terrain de Pirae appartenant à la municipalité. L'enquête a démontré que la parcelle avait été louée le 16 mai 1990, conformément à une décision du conseil municipal du 20 mars, à une radio locale proche du maire, Radio Maori, présidée par le trésorier du parti, M. Levy. Puis sous-louée, le 18 mai, à un particulier intervenant pour Humbo. Le tenancier a d'abord expliqué qu'il payait des loyers à des proches de M. Flosse. En août 1993, il a détaillé des versements plus nombreux : "Pour me donner les fêtes de juillet, ils m'ont pris un million de francs Pacifique, 60 000 francs français, par semaine. »
    « De 1990 à 1992, ont reconnu MM. Levy et Tuihani, Humbo a été "le plus gros sponsor du parti, versant plus de la moitié des dons. Entre autres, le donateur a évoqué les frais occasionnés par un séjour de M. Flosse, en 1990, à Los Angeles : "J'ai payé une photocopieuse à 17 000 dollars et trois ordinateurs pour 22 000 dollars, plus des brouilleurs téléphoniques, destinés au parti...
    "C'était à sa demande et avec son accord, a dit M. Flosse. Pourquoi ?
    M. Eric Raoult. C'est du fouille-poubelle ! C'est nul ! Vous étiez meilleur tout à l'heure !
    M. René Dosière. « Parce qu'il comptait sur l'influence de M. Flosse pour obtenir "un meilleur emplacement sur le Port autonome de Papeete, selon lui. Parce qu'il voulait "financer le parti », selon l'équipe du sénateur.
    « Je n'ai jamais fait la moindre promesse à M. Li, soutient M. Flosse, en admettant que la comptabilité du parti n'a pas été tenue comme elle aurait dû l'être. Mais, depuis, cela s'est amélioré. »
    Si j'ai fait cette longue citation, c'est pour que chacun sache quelle est la réalité de la vie quotidienne. Il ne suffit pas de voter des dispositions, surtout quand elles sont particulièrement floues et peuvent entraîner des transferts d'attribution et des rivalités entre le gouvernement territorial et l'Etat.
    Ma dixième observation concerne l'article 30, qui, sans encadrement ni limitation - hormis une simple référence à l'intérêt général, dont on sait d'ailleurs que la traduction polynésienne est différente de l'interprétation métropolitaine -, autorise la Polynésie à participer au capital des sociétés commerciales. Chers collègues, vous avez bien entendu : avec ce texte, vous allez bel et bien autoriser la Polynésie française à prendre des participations dans n'importe quelle société commerciale de Polynésie. Je vous l'avoue, en lisant cela, je me suis demandé où j'étais. Même les socialistes ne feraient plus cela ! (Rires.) Outre le fait que cette pratique peut paraître pour le moins curieuse...
    M. Eric Raoult. Et efficace !
    M. René Dosière. ... de la part de responsables politiques qui se prétendent libéraux, il faut avouer qu'il y a peut-être autre chose à faire. Je m'interroge d'ailleurs sur la constitutionnalité de cette disposition qui ne peut que fausser la libre concurrence et donc porter atteinte à la liberté du commerce.
    Voilà donc, mes chers collègues, l'ensemble des dispositions principales - car s'il en existe quelques autres - dont j'ai le sentiment, à l'étude du texte, qu'elles sont susceptibles d'être censurées par le Conseil constitutionnel. Bien entendu, il lui appartiendra de décider souverainement. C'est sa mission. Mais il me semble que, sur ces points, le risque de censure est très grand. Dès lors que nous nous en rendons compte, peut-être pourrions-nous éviter de laisser au Conseil constitutionnel la possibilité de nous désavouer.
    Je terminerai par quelques remarques sur le tribunal administratif. C'est un point préoccupant du texte : lorsque l'on est guidé par le souci des citoyens, on constate que ce texte organise systématiquement l'éloignement de la justice administrative - et le Sénat a encore accentué ces dispositions.
    M. le président de la commission des lois a souligné que la Polynésie constitue un ensemble vaste. Or, en matière de justice, on envoie tout à Paris au Conseil d'Etat ! Est-ce la meilleure façon d'assurer la proximité de la justice ? Le rôle de la justice administrative est d'autant plus important en Polynésie que le partage des compétences n'est pas simple - ce texte ne va pas les simplifier - ...
    M. Pascal Clément, président de la commission. C'est pourquoi le Conseil d'État doit trancher !
    M. René Dosière. ... et que la culture qui règne sur le territoire s'accommode difficilement de l'existence d'un Etat de droit que symbolise le tribunal administratif, composé - faut-il le rappeler ? - de magistrats indépendants, inamovibles, compétents et intègres. A ma connaissance, aucun magistrat n'a fait l'objet d'une procédure judiciaire, ce qui n'est pas tout à fait le cas du personnel politique local. De ce fait, le tribunal administratif pourrait constituer, pour le citoyen polynésien, une véritable garantie.
    C'est aussi une justice de proximité - n'oublions pas les distances qui séparent les îles -, qui est en outre peu coûteuse, puisqu'elle ne nécessite pas le ministère d'un avocat. J'ajoute que la spécialité législative qui s'applique pleinement en Polynésie ne facilite pas le droit, puisqu'il faut prendre en compte la situation où certains textes métropolitains ne sont pas applicables ou ne le sont que partiellement.
    Toutefois, il faut reconnaître que le contrôle du tribunal administratif est plus limité qu'en métropole, puisque des domaines importants, comme les marchés publics territoriaux, sont exclus de sa compétence. Il est aussi rendu plus difficile par le fait que le territoire refuse fréquemment de transmettre aux représentants de l'Etat des documents soumis à contrôle. Il faut une injonction du tribunal administratif pour que ces documents soient transmis. La multiplication de ces injonctions, dues à des refus de transfert, explique d'ailleurs l'augmentation du nombre de saisines du tribunal administratif.
    Au fond, la difficulté du rôle du tribunal administratif en Polynésie était fort bien résumée par notre collègue Jérôme Bignon dans son rapport de 1996. Celui-ci écrivait en effet à cette époque : « Dans un système caractérisé par un réseau d'influences, voire par un certain clientélisme, le juge administratif est conduit, à son corps défendant ou non, à jouer plus ou moins le rôle d'un contre-pouvoir ». Le mot est lâché. Je devrais d'ailleurs dire le gros mot, car, en Polynésie, si, comme ailleurs, l'on aime le pouvoir, on n'apprécie pas le contre-pouvoir. Excédé par cette situation, le président du gouvernement de Polynésie n'a eu de cesse d'y mettre un terme en réclamant de pouvoir accéder, en première instance, directement au Conseil d'État, pour laisser de côté le tribunal administratif. En 1996, sous le statut précédent, les tentatives faites en ce sens ont échoué, parce que, à l'époque, le président de la commission des lois - votre prédécesseur, monsieur Clément -, qui s'appelait Pierre Mazeaud...
    M. Pascal Clément, président de la commission. Je m'incline !
    M. René Dosière. ... et notre rapporteur, qui s'appelait Jérôme Bignon, avec huit ans de moins...
    M. Christian Paul. Il était meilleur avec Mazeaud qu'avec Clément !
    M. René Dosière. ... ont refusé ce transfert en considérant qu'il fallait préserver la justice de proximité. Monsieur le rapporteur, vous expliquiez, lors de la séance du 31 janvier 1996, que, la Polynésie se trouvant à 18 000 kilomètres, le recours au Conseil d'Etat en premier et dernier ressort était contraire à la nécessité « de faciliter l'accès du citoyen à la juridiction ». Aujourd'hui, la Polynésie est toujours à 18 000 kilomètres, mais peut-être n'est-il plus à l'ordre du jour de faciliter l'accès du citoyen à la juridiction.
    M. Pascal Clément, président de la commission. Depuis, il y a eu la réforme de la Constitution, c'est la différence !
    M. René Dosière. Non, monsieur le président. La Constitution a prévu que le Conseil d'Etat soit saisi pour certains actes seulement, et il est de tradition qu'il le soit en matière électorale, mais le projet de loi et les amendements du Sénat ont encore augmenté le nombre de saisines du Conseil d'Etat. Ce sont de celles-ci que je veux parler, et non de celles que la Constitution a autorisées, vous le savez parfaitement.
    Avec le statut de 2004, le président du gouvernement de Polynésie a enfin gagné ; le citoyen, lui, a perdu. La justice sera plus difficile d'accès et, surtout, plus chère, car un recours devant le Conseil d'Etat exigera le plus souvent, en droit et dans les faits, de s'adresser à un avocat spécialisé. Nous aurons d'ailleurs demain, quand viendra le moment de discuter les amendements, un exemple de cette situation, puisque, en commission des lois, a été déposé un amendement qui prévoit justement le ministère d'avocat pour ce type de recours. Pour l'instant, la commission des lois n'a pas tranché, certains craignant que son adoption ne revienne à reconnaître que la justice sera beaucoup plus coûteuse,...
    M. Jean-Christophe Lagarde. Evidemment !
    M. René Dosière. ... mais que son rejet ne soit hypocrite. En réalité, il faut privilégier autant que possible le recours au tribunal administratif.
    M. Jean-Christophe Lagarde. C'est même gratuit !
    M. René Dosière. C'est un véritable recul que cet éloignement de la justice. Je le dis contraire aux droits de la défense qu'évoque la Convention européenne des droits de l'homme.
    Encore une fois, si l'on peut comprendre, puisque c'est constitutionnel, que le Conseil d'Etat intervienne dans le cadre des actes de l'article 139 - les lois « Canada dry » -, si l'on peut comprendre, de même, qu'il intervienne, comme c'est la tradition pour toutes les collectivités, métropolitaines ou d'outre-mer, dans le contentieux électoral, il est particulièrement inutile de le mettre à toutes les sauces.
    D'ailleurs, ce calcul est erroné et se retournera contre ses auteurs, car le tribunal administratif de Polynésie a été, jusqu'à présent, l'acteur fort d'une autonomie équilibrée. Le CNRS lui-même l'a reconnu récemment, à travers une étude de Dominique Wolton, qui écrit : « Le tribunal administratif de Papeete, au travers du contrôle de la légalité, contribue directement à la construction d'une culture politique de l'autonomie. » On ne peut pas vivre et travailler en Polynésie sans s'imprégner de la culture locale : c'est ce que font les magistrats du tribunal administratif. Mais, à Paris, tel ne sera plus le cas : le Conseil d'Etat sera un gardien vigilant, rigoureux, des principes républicains, qui sont, il faut le dire, plutôt jacobins. Ses décisions seront donc sans doute beaucoup plus jacobines et rigoureuses que celles du tribunal administratif. Autrement dit, les risques de conflit seront encore plus forts.
    J'ai soutenu, en commission, plusieurs amendements tendant à saisir le tribunal administratif. Je regrette qu'ils aient tous été rejetés - comme, d'ailleurs, la quasi-totalité de ceux que j'ai déposés, puisque vous n'en avez accepté que six ou six et demi...
    M. Pascal Clément, président de la commission. De qualité !
    M. René Dosière. ... sur cent cinquante.
    M. Pascal Clément, président de la commission. Ce n'est pas fini ! Le ministre a sûrement de petites friandises ! (Sourires.)
    M. René Dosière. Ce ne sont pas les plus importants, et j'aurais préféré que vous acceptiez des amendements plus importants. Mais nous verrons demain ce qu'il en est.
    M. Pascal Clément, président de la commission. Tout peut arriver !
    M. René Dosière. On peut rêver - s'agissant de la Polynésie, il n'est pas interdit de rêver - que ce pays va devenir démocratique.
    M. Pascal Clément, président de la commission. Allons, allons, n'allez pas au-delà de votre pensée !
    M. Eric Raoult. Ça, c'est en trop !
    M. René Dosière. Une fois de plus, les socialistes constatent que Jacques Chirac et son gouvernement font preuve, à l'égard de l'outre-mer, du plus profond mépris.
    M. Eric Raoult. C'est trop !
    M. René Dosière. En effet, rien - en dehors de considérations politiciennes et, après les Antilles, la crainte d'un nouveau désaveu populaire - ne justifie que l'on déroge, dans le cas de la Polynésie, au principe, institué par la gauche, de l'assentiment préalable de la population concernée à toute évolution statutaire d'une collectivité d'outre-mer.
    Rien ne justifie non plus le simulacre de consultation de l'assemblée territoriale qui a été organisé ni la procédure d'urgence choisie par le Gouvernement, sinon la volonté d'imposer à la Polynésie française, en catimini et à marche forcée, un statut de pure convenance dont le seul objectif est, à l'évidence, de conforter le pouvoir de l'actuel président du gouvernement territorial.
    Outre l'institution d'une quasi-tutelle financière sur les communes et l'affaiblissement délibéré de tout contre-pouvoir institutionnel, rien ne l'illustre davantage que l'amendement adopté en dernière minute au Sénat, à l'initiative de Gaston Flosse lui-même, qui, sans justification démographique, a pour objet de modifier en profondeur la carte électorale de la Polynésie afin de diminuer la représentation des minorités.
    Les socialistes considèrent qu'accroître l'autonomie de la Polynésie ne saurait signifier la concentration de l'essentiel des pouvoirs entre les mêmes mains, le tout sur fond d'affaiblissement organisé de l'Etat. Dès lors que la population polynésienne, dûment consultée, l'approuverait, cette évolution implique, au contraire, un rééquilibrage démocratique qui, outre le renforcement de l'institution communale, passera nécessairement par une représentation territoriale équilibrée permettant de prendre en compte la diversité, l'éparpillement et l'étendue du territoire de la Polynésie française. Dans ce cadre, les socialistes s'opposent fermement à ce projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. le président. La parole est à Mme la ministre.
    Mme la ministre de l'outre-mer. Je voudrais, monsieur Dosière, réagir à quelques-unes de vos analyses juridiques. Non pas à toutes, car nous aurons sans doute l'occasion, au cours du débat sur les amendements, de préciser d'autres points, mais il y a des choses que je ne voudrais pas laisser passer.
    Je voudrais commencer par évoquer vos critiques sur la notion de pays d'outre-mer. Vous nous avez dit que cette dénomination ne vous paraissait pas conforme à la Constitution. Le Gouvernement ne partage pas cette opinion. Il considère en effet que le régime de l'article 74 permet de doter chaque collectivité d'outre-mer auquel il s'applique d'une dénomination individualisée. D'ailleurs, cette dénomination n'a pas, par elle-même, d'influence sur le statut de la collectivité en question. Elle ne crée pas davantage une nouvelle catégorie de collectivité territoriale. Je vais vous en donner des exemples.
    Dans le cadre de cet article 74, vous pouvez trouver une collectivité dénommée « collectivité territoriale » - c'est le cas de Saint-Pierre-et-Miquelon -, une collectivité dénommée « collectivité départementale » - c'est le cas de Mayotte -, ou une collectivité dénommée « territoire », pour les îles Wallis-et-Futuna. Rien n'interdit de dénommer « pays » la collectivité d'outre-mer de la Polynésie française.
    D'ailleurs, vous évoquiez le Conseil d'Etat, mais je voudrais vous rappeler que lorsqu'il a examiné le projet de révision constitutionnelle de 1999, il avait alors estimé que la dénomination de « pays d'outre-mer » pouvait figurer dans la loi organique, alors même que la révision ne s'appliquait sur ce point qu'à la seule Polynésie française.
    On voit donc mal pourquoi ce qui était regardé comme possible en 1999 à propos d'un texte visant la seule Polynésie française ne le serait plus aujourd'hui, alors que l'article 74 révisé consacre plus que précédemment la notion de statut sur mesure, les travaux préparatoires de la révision constitutionnelle en font largement foi.
    Vous avez évoqué, dans votre deuxième intervention, - car je réponds ici à vos deux motions -,...
    M. René Dosière. Oui, il y a deux actes, mais une seule pièce !
    Mme la ministre de l'outre-mer. ... la préférence locale en matière foncière, et notamment l'amendement du Sénat qui a ajouté au dispositif de l'article 19 le critère de naissance en Polynésie française pour ceux qui peuvent bénéficier du mécanisme de protection locale du patrimoine foncier. Je voudrais rappeler que c'est la Constitution elle-même qui utilise la notion de « protection du patrimoine foncier ». Si le constituant a utilisé cette terminologie et a donc pris la peine de l'inscrire expressément dans la Constitution, ce n'est pas seulement dans le but de mettre en place un dispositif de type SAFER, comme l'a cru le Conseil d'Etat, mais c'est bien pour tenir compte du caractère particulièrement sensible de la question foncière dans les collectivités d'outre-mer dotées de l'autonomie. Et les travaux préparatoires montrent bien que la Polynésie française était destinée à bénéficier la première de telles dispositions de protection.
    La révision avortée de 1999 instituait d'ailleurs un régime beaucoup plus discriminatoire, puisqu'elle créait une citoyenneté locale, qui avait des effets en matière d'accession à la propriété foncière. Comme cette citoyenneté ne pouvait pas se concevoir sans transmission héréditaire, on voit bien qu'à l'époque on songeait déjà à une préférence fondée sur l'hérédité. La révision de 2003 reprend en partie, mais en partie seulement, cette orientation ; la notion de patrimoine foncier implique nécessairement une transmission de génération en génération. Mais l'instauration d'un régime de protection de ce patrimoine devra répondre aux nécessités locales. Et les actes locaux qui l'institueraient verront donc leur constitutionnalité contrôlée au regard de cette exigence de nécessité locale.
    Sous l'empire du texte de 1999, s'il avait été ratifié, la préférence locale en matière d'emplois pouvait être automatiquement instituée, sans justification particulière. Or les nécessités locales doivent pouvoir maintenant être appréciées archipel par archipel, voire île par île.
    J'ajoute que le dispositif proposé institue un simple mécanisme de préemption, qui entraîne seulement la possibilité pour la Polynésie, si elle le souhaite, d'exercer un tel droit dans les deux mois de la déclaration de transfert de propriété foncière entre vifs. On ne se situe donc pas dans un dispositif d'autorisation préalable.
    Vous avez longuement parlé de cette notion de « président de la Polynésie française »...
    M. René Dosière. Elle figure à tous les articles du texte !
    Mme la ministre de l'outre-mer. ... et de l'utilisation d'une terminologie d'origine constitutionnelle. Vous semblez reprocher au projet de statut l'utilisation du terme de « président de la Polynésie française » au lieu de « président du gouvernement »...
    M. René Dosière. C'est surtout son mode d'élection que je critique, plus que le terme lui-même.
    Mme la ministre de l'outre-mer. J'y viendrai.
    Vous nous reprochez d'introduire dans la loi organique une terminologie qui serait réservée aux organes constitutionnels. Je voudrais tout d'abord rappeler que l'utilisation d'une telle dénomination n'a, par elle-même, aucun effet sur les attributions de l'institution en question. Je note aussi que la loi peut très bien utiliser une terminologie présente dans la Constitution pour qualifier un organe administratif local. Ainsi, sous la IIIe République déjà, les membres des conseils de gouvernement des territoires d'outre-mer furent appelés « ministres », en application de la loi-cadre Defferre de juin 1956. A partir de 1982, l'utilisation d'une telle terminologie s'est banalisée, sans que le Conseil constitutionnel y trouve à redire : il y eut ainsi « l'assemblée » de Corse en 1982 ; un « gouvernement » ou encore un « ministre » en Polynésie française et en Nouvelle-Calédonie en 1984 ; un « congrès » en Nouvelle-Calédonie en 1985 ; un « Sénat » - coutumier, certes - en Nouvelle-Calédonie en 1999. Il n'existe donc pas d'obstacle constitutionnel à l'utilisation, dans un statut de collectivité d'outre-mer, de termes repris de la Constitution, dès lors qu'aucune confusion n'est possible entre les institutions nationales et les institutions locales.
    M. René Dosière. Je n'ai pas défendu cette position, madame la ministre.
    Mme la ministre de l'outre-mer. Vous vous offusquez aussi de ce que le président de la Polynésie française puisse être élu par l'assemblée sans en être membre. Or, comme vous le savez très bien, et comme vous l'a rappelé fort justement le président Clément, en Nouvelle-Calédonie, le gouvernement peut comprendre des membres qui n'appartiennent pas au congrès, ni aux assemblées de province. Et ce gouvernement élit son président en son sein. Il peut donc élire à sa tête une personne qui n'a pas été élue au suffrage direct : je vous renvoie à l'article 3 de la Constitution, qui prévoit que le suffrage peut être direct ou indirect.
    M. Emile Zuccarelli. Le président peut-il être élu à vie ?
    M. René Dosière. Ce point sera l'objet du troisième acte demain. Je vous répondrai, madame la ministre.
    Mme la ministre de l'outre-mer. Sur le terme de « lois du pays », là encore, il s'agit d'abord d'une question de terminologie. Les actes de l'assemblée de la Polynésie française intervenant dans le domaine de la loi et soumis à un contrôle juridictionnel spécifique peuvent recevoir une dénomination qui les distingue des délibérations ordinaires de l'assemblée. Cette dénomination est sans incidence sur le régime juridique, lequel résulte de la Constitution et des dispositions afférentes de la loi organique.
    L'accord de Nouméa, que vous citez...
    M. Jean-Jack Queyranne. Il a été constitutionnalisé.
    Mme la ministre de l'outre-mer. ... qui date du 5 mai 1998, monsieur Dosière, et non pas du 3 mai comme vos souvenirs hospitaliers le laissaient supposer,...
    M. René Dosière. Ça, c'est l'effet de l'après-choc ! (Sourires.)
    Mme la ministre de l'outre-mer. C'est ce que j'ai pensé.
    Cet accord de Nouméa, vous l'avez rappelé, mentionne de façon indirecte les lois du pays. Il dispose en effet que certaines délibérations du congrès auront caractère de « loi du pays », ce qui n'impliquait pas qu'une telle dénomination soit obligatoirement retenue, pas plus qu'elle ne l'interdisait.
    M. René Dosière. Elle a été constitutionnalisée.
    Mme la ministre de l'outre-mer. Ce qui compte, ce n'est pas la dénomination, c'est le régime contentieux d'un acte. Il n'y a donc aucune confusion entre le système calédonien et le système polynésien.
    M. Jean-Jack Queyranne. Il faut des lois régionales, alors !
    Mme la ministre de l'outre-mer. D'ailleurs, je ferai un parallèle avec les arrêtés. Personne n'a jamais prétendu que parce que les ministres, les préfets et les exécutifs locaux prennent des « arrêtés », il en résulterait un risque de confusion. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. René Dosière. Ici, on parle de la loi !
    Mme la ministre de l'outre-mer. Le terme de « lois du pays » renvoie moins à leurs forces juridiques qu'à leur contenu, qui appartient bien au domaine de la loi.
    M. Jean-Jack Queyranne. Alors ça ! C'est extravagant !
    Mme la ministre de l'outre-mer. En ce qui concerne la réforme électorale, je voudrai relever que la géographie de la Polynésie française étant ce qu'elle est, il n'est pas illégitime de prendre en compte, là-bas plus qu'ailleurs, la nécessité de rapprocher les élus des électeurs.
    M. Eric Raoult. Tout à fait !
    Mme la ministre de l'outre-mer. C'est d'ailleurs une justification retenue par la jurisprudence du Conseil constitutionnel pour déroger au strict respect du principe de proportionnalité entre le nombre d'élus des circonscriptions et leur nombre d'habitants. L'amendement voté par le Sénat y concourt.
    M. René Dosière. Il aggrave les choses !
    Mme la ministre de l'outre-mer. Par ailleurs, l'institution d'une prime majoritaire portant sur le tiers des sièges implique nécessairement que chaque circonscription dispose d'une représentation minimale de trois sièges.
    Sur ce point, je voudrais tout de même rafraîchir la mémoire de M. Queyranne et de M. Paul. Franchement, recevoir des leçons de votre part en matière de réforme électorale et de mode scrutin...
    M. Eric Raoult. Exactement !
    Mme la ministre de l'outre-mer. Je voudrais tout de même vous rappeler, monsieur Queyranne et monsieur Paul, que vous êtes à l'origine d'un travail important, que vous aviez commandé aux services du ministère de l'outre-mer, sur des hypothèses de circonscription unique...
    M. Jean-Jack Queyranne. Oui.
    Mme la ministre de l'outre-mer. ... et même, ce qui me paraît encore plus aberrant, de fusion des trois circonscriptions des Australes, des Marquises et des Tuamotu Gambier ?
    M. René Dosière. Cela a été fait ?
    M. Pascal Clément, président de la commission. Pour ce qui est de se rapprocher des électeurs, on fait mieux !
    Mme la ministre de l'outre-mer. Pourquoi avez-vous jugé utile, également, de modifier en 2001 une répartition des sièges entre les archipels qui n'avait auparavant soulevé aucune critique ?
    M. Eric Raoult. Ils sont amnésiques !
    Mme la ministre de l'outre-mer. Alors, franchement, en matière de manipulation du mode de scrutin, je ne crois pas que vous soyez en situation de nous donner des leçons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Jacques Floch. Il y a eu un projet de loi ?
    Mme la ministre de l'outre-mer. Il y a eu des tentatives (Protestations et rires sur les bancs du groupe socialiste), des tentatives fortes, même !
    M. Eric Raoult. Ça les dérange ! Ils sont piqués au vif ! Hypocrites !
    M. Jacques Floch. Pas du tout ! Parce qu'il n'y a pas eu de projet de loi !
    M. Pascal Clément, président de la commission. Mais vous avez osé y penser, monsieur Floch !
    M. Jacques Floch. Oh ! Si on jugeait les gens sur leurs pensées...
    M. Pascal Clément, président de la commission. Mais je ne pense que du bien de vous, monsieur Floch !
    M. Jacques Floch. J'espère bien ! C'est d'ailleurs la seule bonne pensée que vous ayez !
    Mme la ministre de l'outre-mer. J'en viens maintenant à la participation de la Polynésie française aux compétences législatives de l'Etat. Le Gouvernement ayant décidé de proposer au Parlement de sanctuariser dans l'article 74 de la Constitution une liste de compétences dites « régaliennes », il lui est apparu que cette sanctuarisation devait, pour répondre aux aspirations des collectivités d'outre-mer dotées de l'autonomie, faire l'objet d'un assouplissement. Cet assouplissement ne se concevait, s'agissant de matières dont l'Etat ne saurait se désintéresser, que sous contrôle de ce dernier. En matière de libertés publiques, d'ordre public et de procédure pénale, l'Etat détient des compétences transversales qui se superposent à celles détenues par le Territoire et les restreignent parfois excessivement. Le nouveau dispositif permet notamment de garantir que les règles édictées par la collectivité seront effectivement sanctionnées - ce qui n'est pas toujours le cas actuellement - dès lors que l'Etat conserve, et c'est légitime, la compétence dans les matières en cause.
    Le constituant a donc voulu assouplir les limites posées par la Constitution à l'autonomie des collectivités d'outre-mer tout en réservant à l'Etat une possibilité de contrôle, tant en opportunité qu'en légalité. Le garde des sceaux l'expliquait devant le Sénat le 29 octobre 2002 : « Ainsi, puisque l'Etat conservera la compétence en matière de libertés, d'ordre et de sécurité publics et de procédure pénale, la collectivité pourra lui proposer de prendre des mesures dans ces domaines.
    Elle pourra aussi exercer, par délégation de l'Etat, une compétence normative dans ces matières. S'agissant de compétences régaliennes, l'Etat conservera toujours le droit de s'opposer à un acte intervenu dans ce champ de compétences ou de le réformer, pour des motifs de légalité comme de pure opportunité.
    Cette intention du constituant, qui est donc parfaitement claire, n'est d'ailleurs absolument pas contredite par aucune des dispositions du texte constitutionnel. L'article 74 n'exclut aucune matière de la procédure de la participation, et ce quel que soit son rang dans la hiérarchie des normes. Il impose seulement un contrôle de l'Etat.
    Le constituant a clairement voulu autoriser, dans le cadre de la procédure de participation aux compétences de l'Etat, une collectivité autonome à intervenir dans le domaine législatif. L'habilitation est donnée par le législateur organique. L'acte local ne peut entrer en vigueur sans l'approbation du Gouvernement de la République. Et comme vous le savez, le Sénat a adopté un amendement qui instaure, en plus, une procédure de ratification expresse des actes ainsi approuvés dans un délai de dix-huit mois. Ainsi se trouvent pleinement conciliées tout à la fois l'exigence du contrôle de l'Etat et l'efficacité de cette nouvelle procédure.
    L'invocation que vous avez faite, monsieur Dosière, d'une décision du Conseil constitutionnel relative à la Corse et antérieure à la révision constitutionnelle du 28 mars 2003 me paraît donc inopérante.
    M. René Dosière. Nous verrons !
    Mme la ministre de l'outre-mer. Enfin, je rappelle que les anciens territoires d'outre-mer interviennent dans le domaine de la loi...
    M. René Dosière. Ce n'est pas nouveau, ça !
    Mme la ministre de l'outre-mer. ... depuis 1946. La procédure de participation s'apparente donc tout à fait à une forme d'habilitation, telle qu'elle a toujours existé au profit des assemblées territoriales.
    Tels sont les premiers éléments que je voulais vous donner ce soir. Mais nous aurons sans doute l'occasion de revenir plus en détail sur d'autres points que vous avez pu évoquer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. Nous en venons maintenant aux explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité qui a été déposée sur le projet de loi ordinaire.
    Pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire, la parole est à M. Jean-François Mancel.
    M. Jean-François Mancel. Monsieur Dosière, vous n'avez pas été plus convaincant dans votre deuxième épisode que dans le premier.
    M. Jacques Floch. Parce qu'il a parlé des tribunaux ?
    M. Jean-François Mancel. Dans le premier, vous vous êtes beaucoup égaré dans l'accessoire et, dans le second vous vous attardez sur le détail. Il est évident que dans le temps qui nous est imparti maintenant, il vaut mieux passer aux articles - car c'est ce qu'on attend de nous - pour continuer d'en débattre avec vous. Vous avez d'ailleurs fait la démonstration que vous étiez parfaitement bien préparé à ce débat et que le temps ne vous avait donc absolument pas manqué.
    M. René Dosière. Si j'avais eu le temps, je n'en serais pas resté à l'accessoire !
    M. Jean-François Mancel. Cela étant, vous me permettrez de retenir simplement deux choses, à propos de vos deux interventions.
    Je retiens d'abord votre embarras. Car en définitive, et cela a été très pertinemment souligné tout à l'heure par le président de la commission des lois, vous ne savez pas trop bien s'il faut pencher vers l'autonomie ou vers l'indépendance.
    M. René Dosière. Ah !
    M. Jean-Jack Queyranne. N'importe quoi !
    M. Jean-François Mancel. A partir de là, vous errez d'un côté à l'autre et vous cherchez à dissimuler votre ambiguïté.
    La deuxième chose que je retienne, monsieur Dosière, c'est votre fixation, hélas trop souvent perfide, sur le président du territoire, Gaston Flosse. Vous savez, je vous le dis avec cordialité - car nous nous connaissons depuis plus de trente ans -,...
    M. René Dosière. Oh, vous savez, il faut se méfier des amis de trente ans !
    M. Jean-François Mancel. ... on ne se grandit pas, René Dosière, en se faisant l'échotier des caniveaux.
    M. René Dosière. J'ai cité Le Monde ! Ce n'est pas le caniveau !
    M. Jean-François Mancel. Je comprends que vous n'aimiez pas Gaston Flosse : il réussit là où vous ratez systématiquement. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. Éric Raoult. Bravo !
    M. Jean-François Mancel. Il a, démocratiquement, avec sa majorité, fait de la Polynésie un territoire qui réussit...
    M. René Dosière. Avec l'aide financière de la France !
    M. Jean-François Mancel. ... et qui aime la France. C'est donc une raison majeure pour que vous ne l'aimiez pas et pour que vous considériez - c'est, hélas ! assez caractéristique du parti que vous représentez - que tous les coups sont permis, même les pires.
    Compte tenu de ce qui a été fait en Polynésie jusqu'à aujourd'hui, nous devons lui donner les moyens qu'elle attend. La réflexion a eu lieu, les consultations se sont déroulées, Mme la ministre le rappelait tout à l'heure, les attentes des Polynésiennes et des Polynésiens sont grandes, elles sont légitimes.
    M. Jacques Floch. Les consultations ? Quelles consultations ?
    M. René Dosière. Comment peut-on parler de consultations ? Vous savez comment l'assemblée a rendu son avis ?
    M. Jean-François Mancel. Il est donc temps d'agir, c'est-à-dire, pour nous, de légiférer. C'est la raison pour laquelle nous souhaitons, au groupe UMP, passer le plus vite possible à la discussion des articles. C'est pourquoi nous repousserons votre exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)
    M. le président. La prole est à M. Christian Paul, pour le groupe socialiste.
    M. Christian Paul. Eh bien nous, mes chers collègues, nous allons voter l'exception d'irrecevabilité de René Dosière, et d'abord parce qu'il a apporté à ce débat qui manquait singulièrement d'éclat, beaucoup de tenue, beaucoup de rigueur juridique et des éclairages politiques qui seront, je crois, utiles tout au long de cette discussion si vous souhaitez, contre notre avis, lui donner une suite ce soir. Oui, René Dosière a fait le travail que le rapporteur n'a pas fait. Car je crois que le rapporteur était meilleur en 1996, ou disons plutôt, car je ne veux pas mettre en cause la qualité de son travail, qu'il était sans doute plus libre en 1996 qu'il ne l'a été à l'occasion de ce texte. Mes chers collègues, nous ne laisserons pas la majorité traverstir l'histoire, comme l'a fait le président Clément tout à l'heure - mais il en est coutumier - et comme l'a fait M. Mancel à l'instant.
    Oui, mes chers collègues de la majorité, les peuples d'outre-mer savent bien à qui et à quels combats ils doivent leurs libertés locales : ils les doivent aux luttes d'émancipation, aux lois de décentralisation, aux statuts - négociés et non imposés -, pour la Polynésie française en 1984, et, après les accords de Matignon et de Nouméa, pour la Nouvelle-Calédonie.
    M. Jérôme Bignon, rapporteur. C'est pour ça qu'ils votent pour nous !
    M. Christian Paul. Mais puisque nous parlons aujourd'hui du statut de la Polynésie française - et j'y reviendrai tout à l'heure dans la discussion générale, si cette motion n'est pas adoptée -, le choix aurait dû revenir au Polynésiens. Or vous ne les avez pas consultés.
    Je crois que René Dosière a ébranlé un certain nombre de consciences, y compris parmi les membres de l'opposition, pas forcément sur le fond, mais sur la constitutionnalité de quelques dispositions. Il l'a fait aussi bien dans la première exception d'irrecevabilité que dans la seconde, dénonçant l'extravagance juridique que le Gouvernement et la majorité tentent d'imposer au Parlement. Il l'a fait sur la question de la citoyenneté. Il l'a fait sur la question du patrimoine foncier - et, sur ce point, vous ne nous avez pas convaincus, madame la ministre, car ce que René Dosière a contesté, ce n'est pas le principe, mais les modalités et les critères de préférence locale hors du droit que vous tentez d'introduire. Il l'a fait sur le référendum local. Il l'a fait - et c'est un sujet qui aurait dû attirer davantage votre attention - sur la mise en place d'une réglementation locale dans un domaine aussi sensible que les jeux ou les casinos. Oui, la Polynésie française connaît des dérives de comportement qui polluent l'esprit public, et il revient donc au législateur d'intervenir. Nous aurons aussi à évoquer la question de la participation de la Polynésie française dans des sociétés commerciales. On se trouve un peu au-delà de l'exception d'irrecevabilité, mais René Dosière a fait le travail du rapporteur, un travail qui honore le Parlement et éclaire notre débat.
    Mes chers collègues, même si vous allez probablement rejeter cette exception d'irrecevabilité, le combat au nom du droit n'est pas perdu, car le Conseil constitutionnel, n'en doutez pas, appliquera les principes fondamentaux que la majorité s'apprête à négliger ou à oublier. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
    M. Emile Zuccarelli. Très juste !
    M. le président. La parole est à M. Jean-Christophe Lagarde, pour le groupe UDF.
    M. Jean-Christophe Lagarde. Monsieur le président, le groupe UDF ne participera pas au vote sur cette motion de procédure, pas plus qu'il n'a participé au vote sur la précédente.
    René Dosière a défendu avec talent un certain nombre de points de vue, qu'il avait déjà eu l'occasion d'évoquer lors de la visite de la mission parlementaire en Polynésie, mission à laquelle je participais également. Et il est vrai que nous partageons certaines de ses inquiétudes.
    Toutefois, ce qui me fait réagir, ce sont les propos qu'a tenus M. Paul. En effet, pour ce qui est de la loi organique, ce n'est pas au législateur de juger de la constitutionnalité du texte, dans la mesure où le Conseil constitutionnel s'en saisira automatiquement et l'examinera, comme l'a rappelé René Dosière, article par article. Bien entendu, je ne dirai pas du tout la même chose à propos d'une loi simple.
    Débattons du fond politique, sur lequel il y a sans doute beaucoup à dire - et quand je dis « sans doute », c'est un euphémisme -, mais, s'agissant de la Constitution, les accusations portées à l'encontre de membres de cette assemblée ne me paraissent pas de bon aloi.
    Voilà pourquoi le groupe UDF n'estime pas utile de participer au vote.
    M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité déposée sur le projet de loi complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française.
    (L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)
    M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

    M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :
    Discussion, après déclaration d'urgence :
    Du projet de loi organique, adopté par le Sénat (n° 1323), portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;
    Du projet de loi, adopté par le Sénat (n° 1324), complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française ;
    M. Jérôme Bignon, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport n° 1336).
    (Discussion générale commune.)
    La séance est levée.
    (La séance est levée à vingt heures cinq.)

Le Directeur du service du compte rendu intégralde l'Assemblée nationale,
JEAN PINCHOT