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Troisième séance du mardi 25 mai 2004 230e séance de la session ordinaire 2003-2004
vice-président M. le président. La séance est ouverte. (La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)
Suite de la discussion d'un projet de loi constitutionnelle M. le président. L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à la charte de l'environnement (nos 992, 1595). Cet après-midi, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale. M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. André Chassaigne. M. André Chassaigne. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre de l'écologie et du développement durable, mes chers collègues, nous vivons de plus en plus au rythme des atteintes à l'environnement et de leurs conséquences directes sur l'évolution, parfois inquiétante, de nos cadres de vie. Citons la canicule de l'été dernier et les inondations chroniques dans la vallée du Rhône. Quant à la fin du moratoire européen sur les maïs transgéniques, elle a suscité une émotion légitime, de même que les abeilles tuées en masse par le Régent ou le Gaucho. Le sujet est difficile. Nous sommes, en effet, bien souvent dépassés par les enjeux scientifiques, techniques, économiques et sociaux posés par chacun de ces drames liés, d'une manière ou d'une autre, à notre environnement. Et nous sommes trop souvent incapables encore d'apporter les solutions adéquates à ces problèmes. Il faut bien l'admettre, notre société sous-estime gravement l'ampleur de ces problèmes d'environnement. Obnubilée par les seuls problèmes quotidiens, notre civilisation est incapable d'avoir une vision stratégique de long terme et de s'interroger sur la compatibilité du développement social et culturel avec les nécessités de la protection de l'environnement. La Constitution, notamment son préambule, dont les dimensions politique et symbolique ne sont plus à démontrer, occultent complètement les problématiques écologiques. Cette carence a souvent été dénoncée. Dès 1975, le groupe communiste de l'Assemblée nationale - il n'était d'ailleurs pas le seul à l'époque - déposait une proposition de loi constitutionnelle qui introduisait dans la Constitution les questions environnementales, notamment « la protection de la nature et sa mise en valeur rationnelle ». Mais parce que le préambule d'une Constitution doit regrouper les valeurs qui donnent sens à une société, cette carence devenait insupportable. Le débat sur cette Charte de l'environnement est donc - le mot ne me semble pas trop fort - une chance. Ne perdons pas cette occasion de proclamer, symboliquement, l'attachement du peuple français à son environnement et de manifester ses inquiétudes quant à l'avenir de notre planète ! Mais une simple proclamation de principes ne suffira pas à régler le problème. M. Guy Geoffroy. Non, mais c'est un début ! M. André Chassaigne. Aussi cette Charte doit-elle principalement devenir le cadre d'une politique nationale ambitieuse en matière de protection de l'environnement. Nous avons donc la lourde responsabilité de définir avec précision les principes d'action sur lesquels notre nation devra faire reposer sa politique en matière d'environnement. Cette Charte se doit, d'abord, d'être d'inspiration humaniste, et ce pour plusieurs raisons. En premier lieu, ce texte doit s'adosser à la Constitution, au même titre que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et le Préambule de la Constitution de 1946 : il doit donc être en conformité, par cohérence idéologique, avec l'esprit des textes qui le précèdent. En second lieu, par réaction contre la prolifération de pollutions ou la fragilisation toujours plus nombreuse d'écosystèmes, certains courants écologistes n'ont pas hésité à remettre en cause cet anthropocentrisme. Au nom de prétendues valeurs portées par la nature, au nom même, parfois, de droits octroyés aux arbres ou aux animaux, ces courants écologistes considèrent la science et la technique comme intrinsèquement destructrices. Et l'homme n'est vu, lui, que comme un prédateur irresponsable. Derrière ces bons sentiments manifestes, se cache pourtant une idéologie que je qualifierai pour ma part de foncièrement réactionnaire et antidémocratique. Si l'on en croit les rapports de M. Deflesselles ou de Mme Kosciusko-Morizet, cette idéologie n'aurait aucune emprise sur ce texte. Nous ne pouvons que nous en féliciter. Mais chacun sait qu'elle inspire déjà, sous des formes diverses, le droit communautaire de l'environnement. La directive Natura 2000 reflète, par exemple, une vision sanctuarisée du monde rural, où l'homme passe au second plan, et qui peut paralyser voire empêcher, au nom de la protection de l'environnement, le développement des territoires à préserver. Cette divergence d'inspiration entre le droit communautaire et notre future Charte de l'environnement ne sera pas, d'ailleurs, sans poser de problèmes. Néanmoins je suis persuadé que le parti pris de l'homme est fondamentalement juste. Car seule l'humanité peut être au cœur de tout projet politique démocratique. Et c'est pour préserver son avenir que nous ne saurions ravager notre environnement. Certes, les préoccupations écologiques sont absentes de la pensée humaniste originelle. M. Jean-Pierre Brard. Ce n'est pas sûr : pensons à Rousseau ! M. Francis Delattre. Notre collègue Brard, lui, n'est pas un OGM mais un hybride ! (Sourires.) M. André Chassaigne. Mais cela ne signifie pas qu'elle suppose que l'homme doive sacrifier la nature à ses caprices. L'esprit de responsabilité développé par cet humanisme a trop souvent été dévoyé au profit d'un individualisme outrancier et d'une morale à géométrie variable, alors qu'il invite, bien au contraire, les hommes et les femmes à n'agir qu'en fonction de principes moraux universels. C'est ce même esprit de responsabilité qui doit constituer le fondement de toute recherche scientifique et de tout progrès technique. Nous avons tous appris, grâce à Montaigne, que « science sans conscience n'est que ruine de l'âme ». M. Jean-Pierre Brard. Notre collègue est un lettré...auvergnat ! M. André Chassaigne. Que le progrès technique ait pu être dévoyé est une chose ; qu'il soit à l'origine des dommages opérés sur l'environnement en est une autre. Condorcet disait très justement, dans son Fragment sur l'Atlantide, qu' « il y aura toujours une énorme distance entre celui qui ne veut acquérir que les connaissances utiles à lui-même, nécessaires pour les fonctions dont il peut être chargé, et celui pour qui la recherche de la vérité est le but, l'occupation de sa vie entière ». M. Jean-Pierre Brard. Excellent ! M. André Chassaigne. Et il distinguait, à juste raison, les racines de ce dévoiement de l'esprit scientifique « dans un système social combiné pour la vanité » et dans les « vices de l'instruction commune ». En effet, ce n'est pas la science en elle-même qui affecte l'environnement mais bien plutôt un système social basé sur la culture de la concurrence, du profit et de l'individualisme. Mais si ce projet de Charte est bien empreint de cet humanisme, auquel nous nous référons si souvent, et d'ailleurs sur les bancs les plus divers de cette assemblée, c'est bien là aussi qu'apparaissent toutes les contradictions portées par ce texte : jusqu'à quel point un progrès technique respectueux de l'environnement est-il compatible avec un « système social combiné pour la vanité », c'est-à-dire une organisation sociale bâtie sur la seule satisfaction des appétits individuels ? Cette Charte, et voilà bien son principal défaut, occulte, pour l'essentiel, les sources des ravages faits aujourd'hui à l'environnement. On a cité tout à l'heure l'Antigone de Sophocle. Comment ne pas évoquer les « aveugles espérances » que le progrès des techniques avait suscitées chez l'homme. Ces aveugles espérances sont celles que le Prométhée enchaîné d'Eschyle a pu « faire habiter dans le cœur des hommes », créant ainsi l'illusion que la science, à force de libérer les hommes, allait en faire les « maîtres et possesseurs de la nature ». M. Jean-Pierre Brard. Quelle culture ! Nos collègues de droite en sont tout cois ! M. André Chassaigne. Nous supportons encore les séquelles de ces vertiges prométhéens, fort heureusement aujourd'hui révolus. Permettez au communiste que je suis de rappeler l'assèchement de la mer d'Aral ou les problèmes nés de la construction du barrage d'Assouan. M. Jean-Pierre Brard. Ce n'étaient certes pas des écologistes ! M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. On pourrait citer aussi l'assèchement du lac Tchad ! M. André Chassaigne. Et il y a, aujourd'hui, un autre système économique, désormais dominant, qui organise le pillage des ressources naturelles de la planète, qui détruit un grand nombre d'écosystèmes, et qui est incapable d'intégrer les enjeux de la protection de notre environnement parce qu'il réduit toute analyse économique à une comparaison de prix et de coûts. Comment concevoir une Charte de l'environnement sans même prendre en compte son incompatibilité avec l'organisation actuelle de notre système économique et cet individualisme démesuré sur lequel il repose ? Par conséquent, toutes les critiques que nous formulerons sur cette Charte auront trait, peu ou prou, à votre refus d'y intégrer toute réflexion sur la nature de notre système économique, et donc à votre incapacité à dépasser cette contradiction fondamentale qui consiste à vouloir protéger l'environnement sans s'interroger, au moins, sur la viabilité du système économique qui est à l'origine, précisément, de la destruction progressive de cet environnement ? Faire appel à la notion de développement durable, aussi creuse que galvaudée, à l'article 6 de cette Charte, ne nous aidera nullement à dépasser cette contradiction. Voilà pourquoi nous ne pouvons que regretter qu'il ne soit fait aucune référence, dans cette Charte, à l'épuisement progressif des ressources naturelles, pas plus qu'à la question de l'eau. Pourtant nous connaissons tous l'importance qu'a prise l'eau dans notre monde moderne. Si elle est en excédent dans un certain nombre de pays, elle manque cruellement dans d'autres, notamment à deux pas de chez nous, dans le monde méditerranéen. Son contrôle devient aujourd'hui un enjeu de pouvoir. Aussi il serait vital de poser dans cette Charte la question de l'eau, de sa protection et de sa maîtrise rationnelle. Voilà pourquoi nous sommes obligés de dénoncer ces politiques publiques qui mettent à mal, encore un peu plus, notre environnement et qui abandonnent toute ambition sur ce sujet à des intérêts de court terme. Le choix de laisser tomber le secteur fret de la SNCF sonne davantage comme un vigoureux hommage au « tout routier » que comme une conversion à l'écologie politique. Celui de privatiser EDF, et donc de l'encourager à courir les salles des marchés financiers et à racheter tous ses concurrents européens, ne lui laissera que bien peu de fonds pour financer la recherche sur les énergies renouvelables ! M. Francis Delattre. C'est tout de même bien M. Gayssot qui a signé la directive ! M. André Chassaigne. Nous ne rejetons pas l'acte symbolique qui consiste à introduire dans notre Constitution la nécessité de protéger notre environnement. Mais nous regrettons que, faute de réflexion générale sur la nature du développement, cette loi constitutionnelle relève surtout du seul fait du prince. Notre crainte est donc qu'elle n'ait pas vocation à inspirer nos politiques publiques, tout du moins pas davantage que les textes - je pense notamment au Préambule de 1946 - auxquels elle va se joindre. Et son appellation de « Charte », qui rappelle davantage la Restauration de 1815 que les valeurs républicaines de la Révolution française, n'est pas faite d'ailleurs pour nous rassurer. M. Jean-Pierre Brard. Question sémantique importante ! (Sourires.) M. André Chassaigne. Au-delà de ces aspects politiques fondamentaux, le contenu même de cette Charte, et notamment la façon dont certains principes y sont énoncés, mérite discussion. Ainsi, elle proclame, en son article 4, le principe du pollueur-payeur, fort peu évoqué d'ailleurs depuis le début de cette discussion : celui qui cause un dommage à l'environnement est censé le réparer. En dépit de sa simplicité enfantine, ce principe pose d'importants problèmes.
M. François Grosdidier. C'est écrit nulle part ! M. André Chassaigne. Il exclut donc toute critique du système économique et social dont les dynamiques propres poussent les personnes, parfois indépendamment de leur volonté, à polluer. La consécration constitutionnelle de ce principe pollueur payeur est donc assez symptomatique des insuffisances de cette Charte. Comme si elle avait été construite spécifiquement pour ne surtout pas interroger la viabilité de notre système économique, pourtant si destructeur d'environnement ! En retenant une conception large de ce principe, faisant appel au principe, plus large, de réparation, vous essayez bien de dépasser ces contradictions, mais sans que l'on puisse distinguer les modalités d'application pratique de ce droit à réparation. Comment effectivement concevoir une réparation des « dommages écologiquement purs » sans contester un système qui, dans sa structure même, implique de fortes dégradations de l'environnement ? C'est pourquoi l'on peut raisonnablement penser que l'article 4 se limitera, en pratique, au seul principe pollueur- payeur. Ainsi, en vertu de cet article, il reviendrait au paysan de réparer personnellement les dommages que son activité professionnelle cause à l'environnement. Mais est-il vraiment le seul responsable des fortes concentrations de nitrates constatées dans nos rivières ? M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Cela relève de la prévention ! M. André Chassaigne. L'industriel qui lui a vendu ses engrais n'a pas pollué directement cette rivière. Les commissaires de Bruxelles non plus. C'est pourtant bien la politique agricole commune qui, à force d'encourager la baisse des prix agricoles, est parvenue à mettre sous tutelle l'agriculture pour mieux la dominer et l'enferrer dans une logique productiviste qui sert bien plus les intérêts des grands groupes financiers que les agriculteurs et les territoires dans lesquels ils vivent. On voit bien que ce n'est pas donc pas le paysan, au bout de cette chaîne, qui est seul responsable des pollutions des rivières. C'est pourtant bien lui le premier menacé par l'inscription du principe pollueur-payeur dans notre droit. M. Jean-Pierre Brard. Il faut arrêter cela ! M. André Chassaigne. Ce principe, cet exemple le montre bien, est aussi la caution écologique que se donne un système économique contesté au vu des ravages qu'il crée sur l'environnement, mais incapable de se remettre vraiment en question. Ensuite, ce principe, tel qu'il est formulé, ouvre la porte à la création de droits à polluer. En effet, à partir du moment où la loi dispose qu'en réparant les dommages que l'on occasionne sur l'environnement, on s'exonère de sa responsabilité sociale en la matière, elle attribue de facto un prix à toute pollution. M. François Grosdidier. C'est écrit nulle part ! M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C'est une interprétation originale, monsieur Chassaigne ! M. André Chassaigne. C'est bien la logique du libéralisme d'échanger tout ce qui a un prix. Aussi, si nous voulons vraiment, en adoptant cette Charte de l'environnement, marquer notre volonté franche de protéger l'environnement, nous devrons donc être très vigilants quant à la formulation de ce principe et aux modalités d'application juridique. En aucun cas, nous ne pourrons accepter un système qui donne aux riches le droit de polluer l'environnement dans lequel l'humanité, dans son ensemble, est censée vivre. L'inscription dans cette Charte du principe de précaution, ce n'est pas un scoop, a soulevé un grand nombre d'interrogations, de doutes et de contestations, au sein même de la communauté scientifique comme des partis politiques. Mais, ne disposant pas du temps nécessaire pour développer nos positions sur ce sujet, je reviendrai sur ce principe de précaution, mes chers collègues, lors de l'examen de la motion de renvoi en commission, que je défendrai à la fin de la discussion générale, pour préciser la position de mon groupe parlementaire sur un sujet aussi sensible. J'ai déposé, au nom du groupe des député-e-s communistes et républicains, un certain nombre d'amendements visant à répondre, ou tout du moins à essayer de répondre, à toutes les interrogations que j'ai pu soulever dans cette intervention. J'espère bien qu'il leur sera fait bon accueil. Donc, si nous nous réjouissons de l'inscription dans la Constitution des problèmes liés à l'environnement, je conclurai en vous demandant : « Encore un effort, camarades ! » (Sourires.) M. le président. La parole est à Mme Valérie Pécresse ! M. Guy Geoffroy. Camarade Valérie ! (Sourires.) Mme Valérie Pecresse. « À toi qui n'es pas encore né ». Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est par cette dédicace que je souhaiterais, au nom du groupe UMP, que nous entamions la discussion de la Charte qui va élever la préservation de l'environnement au rang des principes fondamentaux de notre République. Cet événement historique, je veux le dédier aux générations futures. Je le dédie à ces enfants qui verront le jour demain sur une planète intacte. Une planète dont les grands équilibres auront été préservés par des hommes et des femmes de bonne volonté, à la fois visionnaires et responsables. M. Jean-Pierre Brard. Vous ne pensez pas à Bush ? Mme Valérie Pecresse. En adoptant cette charte, vous serez au nombre de ces femmes et de ces hommes, vous aussi, monsieur Brard. M. Pierre-Louis Fagniez. Encore un effort, camarade ! (Sourires.) Mme Valérie Pecresse. La préservation de l'environnement s'impose, en effet, à nous comme une exigence. D'abord parce que nous sommes des élus qui recherchons la satisfaction de l'intérêt général, l'amélioration de la qualité de vie de nos administrés et le développement durable de nos territoires. Parce que nous sommes aussi, pour la plupart, des parents, des grands-parents, soucieux de préparer l'avenir. La planète, c'est notre patrimoine commun : nous la recevons en héritage et nous la léguerons à nos enfants ! Parce que nous sommes des êtres humains, tout simplement, soucieux de préserver la vie sous toutes ses formes. Parce que nous sommes des Français, enfin, et que, dans le legs de notre histoire, il y a l'ambition de construire un monde meilleur. A une époque où l'homme exerce une influence croissante sur ses conditions de vie et joue parfois les apprentis sorciers, mettant en péril les équilibres naturels, la France fait entendre partout dans le monde, par la voix de son Président de la République, un message humaniste. Il s'exprime dans des domaines aussi différents que les émissions de gaz à effet de serre ou le clonage reproductif. Et nous en sommes fiers. Eh oui, n'en déplaise à certains dans cet hémicycle, l'écologie n'est ni de gauche, ni de droite, elle est universelle. M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, et M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Très bien ! M. Jean-Pierre Brard. Oh ! M. François Grosdidier. Elle serait plutôt de droite que de gauche ! Mme Valérie Pecresse. Pour toutes ces raisons, les députés de l'UMP ont adhéré avec conviction, en 2002, à l'engagement du Président de la République d'élaborer une Charte de l'environnement adossée à la Constitution. M. Jean-Pierre Brard. Une hirondelle ne fait pas le printemps ! Mme Valérie Pecresse. Cette Charte, qui place aujourd'hui la préservation de l'environnement aux côtés des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et des droits particulièrement nécessaires à notre temps de 1946, contient deux types de dispositions. Elle énonce d'abord un certain nombre d'objectifs à valeur constitutionnelle, constitués à part égale de droits et de devoirs. Si chacun a le droit, en vertu de la Charte, de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé, si toute personne peut avoir accès aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement, ces nouveaux droits fondamentaux s'accompagnent de devoirs auxquels nos concitoyens ne peuvent se soustraire. Ainsi, toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement. Elle doit prévenir ou, à défaut, limiter les atteintes qu'elle est susceptible de lui porter. Elle doit enfin contribuer à la réparation des dommages qu'elle lui cause. Ce sont bien des dispositions contraignantes - vous pourrez le dire à Mme Royal. Les autorités publiques, quant à elles, doivent promouvoir le développement durable et concilier la protection de l'environnement avec le développement économique et le progrès social. Le développement durable devient ainsi un prisme à travers lequel toute décision publique doit être examinée. Vous le voyez, au fil du texte, nouveaux droits et nouvelles responsabilités se répondent et s'équilibrent. A ce stade, certains, dont nos collègues Verts, reprochent à la Charte de ne pas poser explicitement le principe du « pollueur-payeur ». C'est un faux procès. En effet, la notion de « pollueur-payeur » est ambiguë et dangereuse. L'inscrire dans notre Constitution pourrait consacrer le droit à polluer. M. Jean-Pierre Brard. C'est déjà le cas ! Mme Valérie Pecresse. Puisque je paye, je peux polluer ! Ce serait l'inverse de l'objectif recherché. C'est déjà une pratique courante dans certains pays en développement où les multinationales achètent le droit de polluer. Ainsi le riche fait-il supporter au pauvre - vous l'avez dit - la pollution dont il ne veut pas chez lui. Pour éviter cette situation, qui ne nous paraît ni souhaitable, ni équitable, la Charte ne mentionne pas le principe du « pollueur-payeur ». (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Mais elle consacre explicitement le devoir de prévention des atteintes à l'environnement, ainsi que l'exigence de réparation du dommage environnemental à son article 4. M. Jean-Pierre Brard. M. Guillaume est dubitatif ! Mme Valérie Pecresse. Mais le politique l'emporte sur l'administration, c'est ce que je vais essayer de vous démontrer. M. Jean-Pierre Brard. Dites cela à M. Guillaume ! Mme Valérie Pecresse. Cet article constitue un progrès important. Il permettra en effet d'engager la responsabilité de celui qui cause un dommage à l'environnement, même en l'absence de victimes directes d'un préjudice matériel. Cette disposition sera bien utile pour le démazoutage des goélands en cas de marée noire par exemple ! Je suis donc au regret de dire, à nos collègues Verts qui dénoncent une charte incomplète sur la question de la responsabilité des pollueurs,... M. Guy Geoffroy. Où sont-ils ? M. François Grosdidier. Ils sont au vert ! (Sourires.) Mme Valérie Pecresse. ...que leurs critiques - je regrette qu'ils soient absents - sont dépourvues de fondement. Bien sûr, je comprends que certains, à gauche de cet hémicycle soient malheureux de ne pas être à l'initiative du texte historique que nous examinons ce soir. M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Très juste ! Mme Valérie Pecresse. Mais qu'ils laissent de côté leur amertume. Qu'ils ne coupent pas les cheveux en quatre ! Qu'ils ne s'opposent pas uniquement pour s'opposer ! Voter contre ce texte, ce serait refuser une avancée inédite dans notre droit de l'environnement. M. Christophe Caresche. Occupez-vous d'abord de faire voter vos propres amis ! Mme Valérie Pecresse. Ne soyez pas mauvais joueur, monsieur Caresche ! Ne pourrait-on pas, autour de ce texte essentiel, attendu et espéré, cesser pour un temps la politique politicienne ? M. Jean-Pierre Brard. Prêchez déjà à droite ! Vous avez du « boulot » ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. Soyez assez aimables, mes chers collègues, pour laisser Mme Pecresse poursuivre sa démonstration ! Chacun s'exprimera. Mme Valérie Pecresse. Je crains d'avoir touché juste, monsieur le président. Au-delà de ces objectifs à valeur constitutionnelle, la Charte contient également un principe constitutionnel d'application directe, qui s'imposera à toutes les autorités publiques : le principe de précaution. M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien ! Mme Valérie Pecresse. Ce principe a suscité bien des controverses, dont certaines, vous le savez, au sein même du groupe UMP. M. Christophe Caresche. Ce n'est pas terminé ! Mme Valérie Pecresse. Introduire le principe de précaution dans la Constitution faisait peur. Nous redoutions de bouleverser les grands équilibres de la société française, au moins dans deux domaines. M. Jean-Pierre Blazy. L'équilibre du MEDEF ! Mme Valérie Pecresse. Ne risquions-nous pas de rompre l'équilibre entre le progrès et la précaution, l'audace et la prudence ? Les entreprises, les centres de recherche, ceux qui innovent et ceux qui créent, ont besoin de conditions favorables à la prise de risque. M. Christophe Caresche. M. Ollier l'a déjà dit ! Mme Valérie Pecresse. Nous sommes du même avis, c'est rassurant ! N'allions-nous pas les conduire à se délocaliser ? Nous ne voulons pas d'une France précautionneuse, mais d'une France qui va de l'avant ! Ne risquions-nous pas aussi de rompre l'équilibre actuel entre les pouvoirs exécutif et judiciaire ? En clair de donner aux juges des pouvoirs exorbitants sur les décideurs publics, ceux qui agissent pour l'intérêt général ? N'allions-nous pas paralyser l'action des élus locaux et des autorités publiques, les conduisant à ouvrir en permanence un immense parapluie pour se protéger des éventuelles retombées de leurs décisions ? Nous ne voulons pas d'une France paralysée, mais d'une France qui bouge ! M. Jean-Pierre Blazy. Très bien ! Mme Valérie Pecresse. Eh bien ! mes chers collègues, à la lumière de mes dix ans d'activité comme juge administratif, des multiples anecdotes de terrain que vous m'avez racontées et des nombreuses auditions auxquelles ont procédé nos commissions, je crois pouvoir affirmer que c'est tout le contraire ! M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très juste ! Mme Valérie Pecresse. La France frileuse, la France contentieuse, c'est malheureusement celle dans laquelle nous vivons aujourd'hui. M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Eh oui ! Mme Valérie Pecresse. C'est le mutisme des responsables politiques, leur incapacité à exprimer clairement ce qu'ils souhaitent pour le pays qui nous a conduits à cette situation. M. Jean-Pierre Brard. C'est assez vrai ! M. Guy Geoffroy. Absolument ! Mme Valérie Pecresse. Regardons la réalité en face. Le principe de précaution est déjà consacré par le droit international et plus particulièrement le droit européen. Ainsi, l'article 174 du traité sur l'Union européenne dispose que « la politique de la communauté dans le domaine de l'environnement est fondée sur le principe de précaution ». En France, l'article L. 110-1 du code de l'environnement, issu de la loi Barnier, consacre le principe de précaution. Pourtant, ce principe demeure flou, complexe et mal encadré. Or les contentieux fondés sur ce principe sont aujourd'hui très nombreux et leur issue incertaine. En l'absence d'énoncé clair du principe de précaution, les juges ont développé, sans encadrement, leur jurisprudence. La Cour de justice des Communautés européennes a déjà eu recours à ce principe pour juger l'affaire de la vache folle. Elle en a même fait un principe général du droit communautaire. Avec la montée de la préoccupation environnementale que connaît notre pays, rien n'empêchera demain le Conseil d'État, s'il l'estime nécessaire, d'ériger le principe de précaution en principe général du droit, ni le Conseil constitutionnel de lui conférer la valeur d'un principe fondamental reconnu par les lois de la République. M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. C'est exact ! Mme Valérie Pecresse. Et le politique dans tout cela ? M. Guy Geoffroy. Il sera absent ! Mme Valérie Pecresse. Nous, parlementaires, pouvoir législatif, mais aussi autorité constituante, sommes en partie responsables de cette situation. Notre silence a conduit le pays à un développement anarchique des recours juridictionnels, fondés sur un principe de précaution largement incantatoire, que les juges ont beaucoup de mal à interpréter. Les autorités publiques, les entreprises et les centres de recherche sont désormais attaqués en justice par des associations, qui ne poursuivent pas toutes des fins nobles et désintéressées, et qui ont le pouvoir de bloquer pendant des mois, voire des années, tous les changements susceptibles d'affecter leur cadre de vie. Or la France n'est pas une grande réserve naturelle. Elle doit continuer de se développer, de créer, d'innover, de se chauffer, de s'éclairer, de se déplacer, de communiquer, tout cela dans le respect de son environnement !
M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Très bien ! Mme Valérie Pecresse. Face à l'administration. Face aux juges. Face à la société civile. M. Christophe Caresche. Vous rigolez ! Mme Valérie Pecresse. Elle doit dire clairement, précisément, ce que doit être à ses yeux le principe de précaution : un principe de bon sens compatible avec l'idée de progrès. Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Vous avez raison ! Mme Valérie Pecresse. C'est pour cela que nous devons voter ce texte. Avec l'article 5 de la Charte, l'application du principe de précaution sera précisée et encadrée afin de ne pas voir se développer des usages abusifs. M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Très bien ! Mme Valérie Pecresse. Pour commencer, la précaution n'est pas la prévention. M. Jean-Pierre Blazy. Que de précautions oratoires ! Mme Valérie Pecresse. Les actions de prévention, prévues à l'article 3 de la Charte, sont nécessaires en cas de risque connu de dommage à l'environnement. Le risque nucléaire comme les risques naturels - inondations, tremblements de terres, entre autres - sont bien connus. Ils relèvent exclusivement de la prévention. La précaution quant à elle ne concerne que les risques incertains en l'état des connaissances scientifiques. M. Jean-Pierre Blazy. C'est un conte pour enfants ! M. François-Michel Gonnot. Restez courtois ! Mme Valérie Pecresse. Ensuite, le principe de précaution ne s'appliquera que pour autant que la réalisation du dommage sera susceptible d'avoir un effet « grave et irréversible » sur l'environnement. Il ne s'appliquera donc pas tous azimuts. M. Jean-Pierre Brard. C'est la foi... ou de la mauvaise foi ! Mme Valérie Pecresse. Par ailleurs, la santé n'est pas incluse dans le périmètre du principe de précaution. M. Jean-Pierre Brard. C'est tout de même un problème ! Mme Valérie Pecresse. Que l'on se rassure donc : il n'empêchera pas de trouver de nouveaux vaccins et ne freinera pas les expériences thérapeutiques. M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Très bien ! Mme Valérie Pecresse. L'article 5 prévoit en outre que les autorités publiques devront évaluer précisément les risques encourus. C'est essentiel. Cela éclairera leur décision. Et cela empêchera aussi, en cas de procédure pénale ultérieure, de « réécrire l'histoire » en surévaluant - c'est un risque - les connaissances scientifiques de l'époque. Ce sera pour les décideurs une protection efficace qui devrait leur permettre de prendre plus sereinement certaines initiatives innovantes. Enfin, pour faire face au risque, l'autorité publique devra prendre des mesures « provisoires et proportionnées », autrement dit les mesures strictement nécessaires au vu des circonstances. Vous le voyez, ces dispositions sont à la fois claires, précises et pondérées. Elles protégeront efficacement l'environnement des expérimentations hasardeuses tout en empêchant un obscurantisme pseudo-écologique de pétrifier notre pays. Grâce à la Charte, précaution et progrès ne seront plus contradictoires ! Une dernière question se pose enfin sur ce principe de précaution : faut-il lui conférer un effet direct ou renvoyer à des lois le soin d'en préciser la définition et l'usage ? L'effet direct du principe de précaution a une conséquence : celui-ci sera susceptible d'être invoqué directement devant les juridictions administratives et les juridictions judiciaires non pénales. En revanche, l'article 5 ne pourra jamais être invoqué devant le juge pénal, car un texte constitutionnel n'est pas un texte d'incrimination pénale. Or le code pénal, comme vous le savez, est d'interprétation stricte. Il ne peut faire référence à la Constitution pour préciser sa propre portée. M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Absolument ! M. Christophe Caresche. Là-dessus, vous avez raison. Mme Valérie Pecresse. Merci ! Le principe de précaution ne pourra donc pas être invoqué à l'appui d'une plainte fondée sur l'article 121-3 du code pénal, issu de la « loi Fauchon » concernant la responsabilité des élus,... M. Nicolas Perruchot. Excellente loi ! Mme Valérie Pecresse. ...ou de l'article 223-1 du même code sur la mise en danger d'autrui. Il ne modifiera en rien l'application qui sera faite par le juge pénal de ces textes. M. Jean-Pierre Brard. Autrement dit, cela ne sert à rien ! Mme Valérie Pecresse. Le droit pénal mis à part, faut-il conférer au principe de précaution un effet direct ? La réponse est oui. Car nous affaiblirions considérablement notre texte, et nous irions donc contre notre volonté de redonner toute son influence au politique, si nous décidions de renvoyer à la loi l'application du principe de précaution. M. André Chassaigne. La messe est dite ! M. Christophe Caresche. Et c'est une parlementaire qui dénigre le Parlement ! Mme Valérie Pecresse. En effet, dans ce cas de figure, rien ne serait changé dans l'ordre actuel des choses : le code de l'environnement continuerait à s'appliquer, avec l'imprécision qui caractérise ses dispositions pour ce qui touche au principe de précaution. Imprécision qui donne lieu aux dérives contentieuses et aux incertitudes jurisprudentielles que l'on vient justement de dénoncer. Les juges n'auraient rien à changer à leur jurisprudence, les textes qu'ils ont à appliquer - lois, règlements - restant eux-mêmes inchangés. En définitive, nous aurions voté cette Charte pour rien ! Qui plus est, les traités internationaux et les directives européennes prévalant sur les lois nationales, ces normes pourraient un jour venir nous imposer une définition du principe de précaution contraire à ce que nous souhaitons. Voici donc la conclusion qui s'est imposée au sein du groupe UMP, à l'issue d'un débat, je veux le souligner, exemplaire - j'en remercie les présidents des deux commissions et les rapporteurs... M. Jean-Pierre Brard. Exemplaire... Vous voulez dire chaotique et agité ! M. François Grosdidier. Démocratique, tout simplement ! M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Vous ne pouvez pas savoir, monsieur Brard : c'est quelque chose que vous ne connaissez pas ! Mme Valérie Pecresse. Vous ne connaissez pas la démocratie, monsieur Brard, mais on va vous l'expliquer un jour ! M. Christophe Caresche. La démocratie a enfin gagné l'UMP ! M. François Grosdidier. Ce mot n'existe pas dans le vocabulaire de M. Brard ! M. Jean-Pierre Brard. Ils ont racheté en solde le centralisme démocratique ! (Sourires.) M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Vous l'avez bradé ! M. François Grosdidier. On le leur laisse ! M. le président. Chacun a fait un peu de bruit... Poursuivons maintenant. Mme Valérie Pecresse. En conclusion, nous voulons donner une définition claire et précise du principe de précaution, principe de sagesse, nécessaire à notre temps mais qui n'est pas pour nous antonyme de progrès, de recherche, d'initiative et de développement. Cette définition, nous l'inscrirons dans la loi suprême de notre pays et nous donnerons mission au Gouvernement français de la faire reconnaître, à l'échelle européenne et internationale, comme la définition universelle de la précaution. M. François Sauvadet. Très bien ! Mme Valérie Pecresse. Elle aura un effet direct et s'imposera aux autorités publiques et aux juges. Mais pour achever de redonner toute sa place à la représentation nationale dans la définition des normes environnementales, le groupe UMP soutiendra un amendement présenté par notre collègue Francis Delattre et cosigné par un grand nombre de députés, dont moi-même. M. Guy Geoffroy. Bravo ! Mme Valérie Pecresse. Cet amendement, en complétant l'article 34 de la Constitution, placera le droit de l'environnement dans le champ de compétence du législateur. M. Christophe Caresche. Il était temps ! Mme Valérie Pecresse. Il était temps, effectivement. Pour l'instant, il ne s'y trouvait que « par raccroc » dès lors que ses dispositions relevaient de l'un ou l'autre des alinéas de l'article 34 - situation aberrante. C'est pourquoi nous souhaitons désormais réaffirmer la primauté de la loi sur le règlement dans cette matière si sensible, afin de permettre au législateur d'intervenir à tout moment dans la définition de la politique environnementale du pays. M. Jean-Pierre Blazy. Il le fait déjà, et depuis longtemps ! Mme Valérie Pecresse. Cet amendement parachève la Charte qui vous est aujourd'hui proposée et que le groupe UMP sera fier de voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) M. Jean-Pierre Brard. M. Guillaume est toujours interrogatif... Il s'en va d'ailleurs consulter les oracles ! M. le président. La parole est à M. Philippe Tourtelier. M. Philippe Tourtelier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, « introduire dans la Constitution le droit de l'homme à un environnement sain et équilibré », cette démarche fondatrice, qui prend en compte les prises de conscience de la fin du xxe siècle sur la nécessité d'un développement durable, devrait susciter l'unanimité. Et pourtant, bon nombre de réticences ou, à l'inverse, de déceptions s'expriment ça et là. Il nous faut donc d'abord réaffirmer l'opportunité de cette initiative, examiner ensuite les questions qu'elle suscite, voir enfin pourquoi le texte qui nous est proposé ne répond pas aux intentions initiales. Il déçoit les attentes des uns sans répondre aux interrogations des autres. Rappelons d'abord l'apparente opportunité de cette initiative annoncée par le Président de la République et impulsée dans le cadre d'une réflexion plus globale sur le développement durable. Cette dernière expression, préalablement consacrée à Rio en 1992, a donné lieu depuis à de nombreuses interprétations parfois divergentes ; notre discussion d'aujourd'hui nous donne l'occasion de préciser cette notion pour éviter de la laisser se galvauder, et s'assurer qu'elle sera source de comportements nouveaux. Avant Rio, on avait tendance à considérer, suivant le modèle occidental de l'humanisme, devenu traditionnel, que le développement était toujours un progrès pour l'homme. Celui-ci était défini comme un être de culture par opposition à une nature appelée à être exploitée sans retenue. La mondialisation, l'avènement du « village global » cher à Mac Luhan, nous ont obligés à nous interroger sur la réalité d'un développement ou d'un progrès qui ne serait plus partagé dans l'espace, en répondant aux aspirations économiques et sociales de l'ensemble des pays en voie de développement, ni dans le temps, en maintenant pour nos successeurs les ressources capables de leur permettre de réaliser eux aussi leurs aspirations économiques et sociales. Ainsi était formulé le concept de « développement durable », avec ses trois piliers indissociables. Malheureusement, ce caractère indissociable et équilibré n'apparaît pas dans la rédaction proposée pour l'article 6 de la Charte qui tend à opposer « la protection et la mise en valeur de l'environnement » et « le développement économique et social ». Cela n'a du reste pas échappé à la commission des affaires culturelles, puisque son amendement n° 52 essaie de remédier à cette situation. Mais il maintient cette opposition en réservant le terme générique « développement » à l'économique, suggérant ainsi que, dans l'expression « développement durable », c'est l'économie qui prime. Si l'ordre des termes importe peu, l'équilibre entre eux est essentiel. C'est la raison pour laquelle l'amendement que nous avions déposé à ce sujet n'était pas, contrairement à ce qu'en dit le compte rendu, de simplification rédactionnelle. Nous le défendrons à nouveau, car il rétablirait cet équilibre primordial entre les trois domaines. L'affirmation sans ambiguïté de la recherche de ce point d'équilibre est essentielle si nous voulons lever certaines appréhensions ou, à l'inverse, ne pas décevoir. Le développement durable est tout à la fois un objectif et un moyen dans un monde trop souvent dominé par la recherche du profit pour lui-même et à court terme. On sait déjà que le développement économique, s'il ne favorise pas le développement social, ne peut que creuser entre les individus ou les pays des inégalités qui sont autant de sources de violences. Seul un développement économique solidaire est durable. Encore cette solidarité doit-elle s'exercer aussi vis-à-vis des générations futures. Notre débat en cours sur l'énergie, indispensable au développement, nous rappelle que nos ressources ne sont pas inépuisables, et la question de l'effet de serre que le développement économique et social actuel doit tenir compte des générations futures. Il ne s'agit pas de parler de « décroissance », fût-elle solidaire : ce dont il est question, c'est d'un autre type de croissance qui nécessitera de poursuivre la réflexion, déjà initiée, sur d'autres indicateurs de développement durable que le PIB, pour éviter de considérer, par exemple, que le naufrage de l'Erika serait facteur de développement ! Affirmer la nécessité du caractère « durable » de ce développement, c'est bien sûr rajouter des contraintes, mais aussi réaffirmer la nécessité de la recherche et de l'innovation afin précisément de les dépasser. Penser que la Charte de l'environnement va stériliser la recherche est un contresens paradoxal : c'est justement pour l'éviter que nous avions proposé que l'article 9 de la Charte consacré à la recherche prenne place après l'article 5 qui traite du principe de précaution, précisant ainsi naturellement le lien entre, d'un côté, « la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques encourus » - citée à l'article 5 - et la « recherche » - article 9 - et, de l'autre, « l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin d'éviter la réalisation de dommage » - article 5 - et l'innovation mentionnée à l'article 9. Le rapprochement de ces deux articles devrait contribuer à lever les réserves exprimées sur l'avenir de la recherche. Si certains qui pensent que la Charte va trop loin doivent ainsi être rassurés, d'autres estiment à l'inverse qu'elle reste dans l'affichage symbolique, sans grande portée effective. Ainsi, pour tous ceux qui ne sont pas juristes - cas de la majorité d'entre nous et à coup sûr de bon nombre de nos concitoyens -, le débat sur le caractère d'application directe ou non des principes mériterait d'être éclairci dans ses conséquences pratiques. La rédaction de la Charte qui nous est proposée n'explicite pas les principes actés dans d'autres textes - principe de prévention, principe pollueur-payeur, principe de participation - et se contente de renvoyer systématiquement aux « conditions définies par la loi », privant d'une bonne part de leur force, ne serait-ce que sur le plan symbolique, des notions qui ont pourtant le mérite d'être lisibles pour nos concitoyens et par le fait pédagogiques. En devenant juridiquement des objectifs pour le législateur, ces principes rendus implicites perdent de leur force conceptuelle, affaiblissant d'autant le message politique de la Charte. C'est pourquoi nous maintiendrons nos amendements visant à les réaffirmer dans les articles de la Charte. Quant au principe de précaution de l'article 5, il est le seul d'application directe, comme le précise le rapport : « cet article sera directement invocable par tout justiciable devant les juridictions judiciaires civiles et administratives »... M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Non ! Seulement devant les juridictions administratives ! M. Philippe Tourtelier. C'est pourtant ce qui est textuellement écrit dans le rapport. Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. On peut faire tout dire à des extraits ! Citez l'ensemble du paragraphe ! M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'est une erreur de plume. M. Philippe Tourtelier. Mettez-vous d'accord... Par ailleurs, et je continue à reprendre les termes du rapport, sa mise en oeuvre n'exige pas - mais n'interdit pas - l'intervention du législateur. Pourquoi cette ambiguïté ? Il serait bon de préciser la justification du traitement particulier du principe de précaution, donnée dans un des rapports : il s'agit, peut-on lire, de « répondre à des situations d'urgence ». Est-ce la seule justification ? Peut-être conviendrait-il également d'expliciter comment l'amendement modifiant l'article 34 de la Constitution, en rajoutant « la préservation de l'environnement » dans les compétences du législateur, permet, à croire un de vos rapports, de « préciser la portée juridique du principe de précaution prévu à l'article 5 de la Charte ». Doit-on en déduire que le principe de précaution n'aurait pratiquement aucune portée, dans la mesure où vous passez votre temps à énumérer les cas où il ne pourra être appliqué ? M. Jean-Pierre Blazy. C'est vrai ! M. Philippe Tourtelier. Toujours à propos de ces interactions entre certains articles, il est affirmé dans les deux rapports que la santé humaine est exclue du principe de précaution, au motif que l'on ne peut rapprocher l'article 1er de l'article 5. Pourquoi ? Le raisonnement est exactement inverse pour les autres domaines : ainsi Martial Saddier écrit que le « droit de participation » de l'article 7 « doit être mis en regard de l'article 1er de la Charte ... ou de son article 2 ». Et de préciser plus loin : « l'article 7 constitue un moyen de faire valoir le droit énoncé à l'article 1er et une étape préalable indispensable pour s'acquitter du devoir prévu à l'article 2 ». De même, on l'a vu, il est admis que l'article 9 sur la recherche renvoie à la fin de l'article 5 sur le principe de précaution. Enfin Nathalie Kosciusko-Morizet met en relation cet article 5 avec l'article 6, ajoutant : « L'article 5 figurant dans un texte de niveau constitutionnel, son propos doit rester concis et porter sur des concepts d'ordre général. Mais en second lieu, il appartient à un document d'ensemble dont les éléments sont cohérents et s'éclairent mutuellement ». Mme Kosciusko-Morizet précise à juste titre qu'une « atteinte directe et exclusive à la santé humaine n'entre pas dans le champ d'application de l'article 5 ». Toutefois, si les élements s'éclairent mutuellement, on ne voit pas ce qui empêcherait une lecture combinée des articles 1er et 5 permettant d'appliquer le principe de précaution à ce qui affecte tout à la fois l'environnement et la santé.
Si l'objectif d'introduire dans la Constitution le droit de l'homme à vivre dans un environnement sain et équilibré est louable, la méthode utilisée ne nous permet pas de connaître la portée normative de cette Charte adossée à la Constitution. Nous aurions préféré une autre démarche, plus rigoureuse : inscrire le droit de l'environnement dans l'article 1er de la Constitution et recourir à des lois organiques pour le préciser et l'organiser. La méthode que vous avez retenue comporte deux risques : en rester à un simple affichage sans réelle portée, ce qui explique la déception des uns, ou dériver vers le gouvernement des juges, ce qui explique les réticences des autres. Nous n'avons pas de garanties de transparence et d'un suivi démocratique. Comment, en particulier, se fera l'évaluation du risque d'une part et de son évolution d'autre part pour l'application du principe de précaution ? Enfin, la politique que vous menez depuis deux ans ôte toute crédibilité à votre démarche : les crédits de la recherche ont diminué, alors qu'elle est indispensable pour encadrer le principe de précaution. De même, la position du Gouvernement sur les OGM est ambiguë. On pourrait multiplier les exemples. S'agissant de l'énergie, je vous ai entendu, monsieur le ministre, dire qu'il fallait « internaliser » les coûts pour l'environnement dans celui de l'énergie produite. À cet égard, j'ai regretté votre absence lors du débat sur la politique énergétique, car les amendements que j'ai défendus hier dans cette enceinte allaient tout à fait en ce sens. J'ai en effet, moi aussi, proposé d' « internaliser » les coûts. Mais mes amendements ont été refusés. J'avais pourtant fait remarquer que leur adoption aurait permis de faire avancer la réflexion sur l'application du principe polleur-payeur. Je souhaite donc pouvoir, en deuxième lecture - le texte relatif à la politique énergétique faisant l'objet d'une deuxième lecture, contrairement au projet de loi d'orientation sur l'énergie -, défendre ces amendements et j'espère obtenir votre soutien. M. le président. Il vous faut conclure. M. Philippe Tourtelier. Tout cela montre que les actions du Gouvernement sont en contradiction avec les objectifs qui sont proposés dans la Charte de l'environnement. Après un débat très « verrouillé » au sein de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire - son président allant jusqu'à rappeler à un membre de la majorité qu'il devait s'en tenir à la position prise par son groupe ; par ailleurs, aucun de nos amendements n'a été accepté -, il serait souhaitable que notre débat en séance nous permette de lever les ambiguïtés sur votre méthode. Aucune des deux lectures de votre texte n'est acceptable. S'en remettre au juge serait une démission du politique, et se contenter d'un simple affichage politique, sans portée réelle, décevrait tous ceux qui, comme nous, sont favorables à l'inscription dans la Constitution du droit à un environnement de qualité, à condition qu'il s'agisse d'une réelle avancée démocratique en vue de l'épanouissement des générations actuelles et futures. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) M. le président. La parole est à M. Jean Lassalle. M. Jean Lassalle. Monsieur le président, messieurs les ministres, messieurs les présidents, madame et monsieur les rapporteurs, mes chers collègues, le ciel était bien bleu sur Paris tout à l'heure et, en cheminant jusqu'ici, je me demandais ce que j'allais bien pouvoir dire en cinq minutes sur un sujet qui m'émeut autant et qui me préoccupe depuis si longtemps, comme il préoccupe aussi, je le crois, l'ensemble de la société. Cinq minutes, en effet, ce n'est pas long. M. Francis Delattre. Il ne faut pas perdre de temps, alors ! (Sourires.) M. Jean Lassalle. C'est la raison pour laquelle, tout en gardant un œil fixé sur la pendule, monsieur le président, je vais enfoncer quelques portes ouvertes... Je me réjouis que la France, en proposant cette Charte qu'elle veut adosser à la Constitution, reprenne l'initiative dans une Europe où elle ne se sent pas tout à fait à son aise et un monde dans lequel elle se sent de plus en plus marginalisée, hors-jeu, elle, qui, pourtant, a joué un rôle si éminent de par le caractère universel de ses principes. Bref, cette initiative est une bonne idée et j'y souscris. Mais on aurait pu imaginer qu'elle s'empare d'un autre sujet, de la famine dans le monde, par exemple. Elle aurait pu prendre une grande initiative dans ce domaine quand on sait qu'un tiers au moins de la population mondiale ne mange pas à sa faim et que les choses ne s'arrangeront pas dans les années qui viennent. On aurait aussi pu se demander si nos enfants, dont nous avons tant parlé cet après-midi, étaient tous condamnés à s'entasser dans les horribles banlieues de Bombay, de Rio de Janeiro, de Berlin, de Paris, de Marseille ou d'autres grandes villes. Ne faudrait-il pas chercher une autre voie pour que nos enfants n'aient pas à se concentrer dans ces espaces de non-vie, qui sont devenus des espaces de non-droit ? Ne pouvait-on encore prendre une initiative pour que la Chine ne répète pas les erreurs que nous avons commises ? Ce sont 1,3 milliard d'individus qui sont concernés ! Finalement, nous avons choisi l'écologie et l'environnement. A ces termes inappropriés, à mon sens, pour un sujet aussi important, je préfère l'expression « notre patrimoine ». Le patrimoine, c'est ce qui nous vient de nos pères. Nous devons gérer ce bien commun au mieux et le léguer à nos enfants, avec une plus-value qu'ils sont en droit d'attendre. Toutes les générations doivent contribuer à la bonne marche de l'humanité. Depuis trente ans, à mesure que les grandes idéologies s'effondraient et que certaines religions commençaient à faire exploser des grenades dans la rue, tuant leurs propres fidèles, on s'est dit qu'il fallait trouver une grande cause, qui suscite du rêve durable. Même si les rêves ne se réalisent pas toujours ! En tout cas, l'écologie s'est progressivement imposée comme pouvant incarner cette grande cause ! On a eu droit à un immense battage médiatique, aux déclarations et aux réflexions des plus éminents savants. Toutes les académies se sont penchées doctement sur le sujet. Cela a fini par nous convaincre que tant que nous n'aurions pas résolu les problèmes écologiques, nous ne pourrions plus vivre et serions en voie de dégénération et de disparition. Pour ma part, j'aurais pu croire à la sincérité de cette démarche si j'avais vu qu'on se mettait au travail d'arrache-pied. J'aurais pu y croire, si j'avais constaté que les gouvernements qui se sont succédé depuis trente ans avaient tout fait pour favoriser le ferroutage ou pour diminuer la circulation urbaine et donc la production de gaz carbonique - ce qui aurait permis à la couche d'ozone de mieux se porter. J'aurais pu y adhérer si nous avions vraiment géré notre patrimoine comme on gère les autres pans de notre vie. Mais rien de cela n'a été fait. Au contraire, j'ai vu se succéder de plus en plus de lois et de directives qui ont fini par s'entremêler : une chatte n'y retrouverait pas ses petits ! J'ai vu des DIREN remplacer des DDA, des DDE. Les choses vont-elles mieux pour autant ? Je suis malheureusement obligé de dire que c'est loin d'être le cas, du moins chez nous, au pays des Basques et des Béarnais. Je suis ravi d'apprendre qu'ailleurs, cela va beaucoup mieux ! Je le dis très simplement : je ne peux voter ce texte parce que c'est un leurre. (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques. Quel dommage ! M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Vous nous faites du chagrin ! M. Jean Lassalle. Nous nous donnons bonne conscience à bon compte. Pourtant, nous avons un énorme travail à faire dans ce domaine. Au-delà du droit, explorons le domaine du vivant, réveillons la conscience des hommes, qui peut beaucoup. Préparons un avenir durable et aussi équitable. Car si c'est pour voir les riches devenir toujours plus riches et les pauvres toujours plus pauvres, je ne saurais m'y reconnaître. Même avec mon statut de député, je me situerai tout de même dans le mauvais camp ! Je pense que les efforts qui ont été déployés pour élaborer ce texte ne seront pas inutiles. En tout état de cause, la réflexion menée est d'excellente qualité monsieur le président, je le reconnais et j'ai beaucoup appris. Mais malgré toute ma bonne volonté,... M. Didier Quentin. Encore un petit effort ! M. Jean Lassalle. ... je ne peux pas voter ce texte, surtout si on l'adosse ainsi à la Constitution. Mais admettons que ce soit un début, chers collègues. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.) M. François Sauvadet. J'applaudis par solidarité ! M. Pascal Clément, président de la commission des lois. C'était méritoire ! M. Bernard Deflesselles. On vous laisse à vos appréciations, monsieur Sauvadet. M. Pierre-Louis Fagniez. M. Sauvadet distribue des accessits ! M. le président. La parole est à Mme Nathalie Gautier. Mme Nathalie Gautier. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, nous prenons acte du projet du Président de la République d'inscrire dans la Constitution la Charte de l'environnement. Mais au regard de la réalité de vos actions, nous ne pouvons que dénoncer la contradiction flagrante entre cette déclaration d'intention et la politique que le Gouvernement mène depuis deux ans en matière d'écologie et de développement durable. M. Serge Lepeltier, ministre de l'écologie et du développement durable. Et vous, qu'avez-vous fait en cinq ans ? M. Guy Geoffroy. C'est le même discours pour chaque député socialiste. M. Francis Delattre. Ils manquent d'originalité ! Mme Nathalie Gautier. J'en veux pour preuve la réduction du budget de l'ADEME, la disparition de l'Institut français de l'environnement, la réduction des crédits alloués à la recherche, le retard dans l'adoption d'une réelle politique de l'eau. M. Bernard Deflesselles. Votre loi sur l'eau, on l'attend toujours ! Ce n'est pas un bon exemple ! Mme Nathalie Gautier. Autres preuves de vos contradictions : vous avez supprimé le financement des transports en commun en site propre (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), alors qu'il s'agit d'une action prioritaire pour lutter contre les émissions de gaz à effet de serre. Le rapport d'audit sur les grands projets d'infrastructures de transport a largement privilégié les projets routiers et autoroutiers au détriment des projets d'infrastructures fluviales ou ferroviaires. Vous avez confirmé cette orientation dans les choix budgétaires pour 2004 en diminuant le financement de Voies navigables de France et en réduisant de 25 millions d'euros la contribution aux charges d'infrastructures ferroviaires versées à RFF. De même, la loi de finances a supprimé la ligne budgétaire consacrée au financement des réseaux cyclables en agglomération et aux réalisations favorisant l'intermodalité vélo-transports publics. Comment oublier que vous avez prélevé 210 millions sur les moyens propres des agences de l'eau, alors qu'elles sont des acteurs essentiels dans la protection de l'environnement par le biais de la préservation de la ressource en eau ? Comment passer sous silence la suppression des contrats territoriaux d'exploitation, alors qu'ils favorisaient une agriculture soucieuse de développement durable ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. René André. Vous êtes complètement à côté de la plaque ! Mme Nathalie Gautier. Quant au projet d'orientation sur l'énergie débattu dans cet hémicycle, il témoigne de votre absence de volonté en matière de promotion des énergies renouvelables et il entérine la priorité donnée au lancement de l'EPR au détriment de la recherche sur les énergies renouvelables. Telles sont les limites de votre politique environnementale que nous n'avons cessé de dénoncer. Nous déplorons une politique d'affichage... M. René André. Vous êtes des connaisseurs en la matière ! M. Francis Delattre. Des experts ! Mme Nathalie Gautier. ... qui contredit aussi bien vos actes que les principes que vous proclamez dans la Charte. Mais le Président de la République n'en est pas à une contradiction près,... M. Jean-Pierre Blazy. C'est vrai ! Mme Nathalie Gautier. ...lui qui a inauguré son mandat présidentiel en relançant les essais nucléaires dans le Pacifique ! M. René André. Il a eu raison ! M. Guy Geoffroy. Il a bien fait ! Il a assumé la responsabilité de la France. Mme Nathalie Gautier. N'ayons pas la mémoire courte, même si le Président semble aujourd'hui pressé, pour une fois du moins, de concrétiser une de ses promesses électorales. C'est aujourd'hui une évidence pour chacun : face à la dégradation de notre environnement, il est urgent d'agir. Le constat est en effet accablant pour notre planète. Aux grandes catastrophes, comme l'explosion d'un réacteur chimique à Seveso, l'éclatement d'un réservoir dans une usine de pesticides à Bhopal, l'explosion nucléaire de Tchernobyl ou les marées noires s'ajoutent la multiplication des alertes à la pollution de l'air dans nos villes, la réduction de la couche d'ozone, le réchauffement du climat, la pollution des eaux souterraines par les pesticides, la perte de la biodiversité, les menaces sur la qualité de l'alimentation. La liste n'est malheureusement pas exhaustive ! La situation est particulièrement alarmante dans les pays émergents où l'absence notoire de contraintes environnementales conduit à la déforestation massive, l'érosion des sols, la raréfaction des ressources en eau, la prolifération des déchets, la désertification, l'érosion et les inondations dramatiques.
Nous devons nous féliciter du travail considérable réalisé depuis des années par les associations, les scientifiques, les chercheurs, les organisations internationales et les responsables politiques en faveur de l'environnement. Ce débat s'inscrit dans le mouvement international initié depuis plusieurs années. La déclaration adoptée par la conférence mondiale sur l'environnement à Stockholm date de 1972, et l'Union européenne est à l'origine de nombreuses directives que nous avons appliquées au niveau national. Face à la prise de conscience par la population de la fragilité de la terre, nous devons adopter des mesures durables, fortes et ambitieuses. La volonté du Président de la République de conférer une valeur constitutionnelle à la Charte de l'environnement implique l'absence totale d'ambiguïté quant à l'ambition de protéger notre écosystème. Or cette Charte est décevante. Elle l'est, d'abord, quant à la participation. On pouvait espérer que vous appliqueriez les dispositions prévues par la récente convention d'Aarhus en matière de transparence et de participation des citoyens. Mais ni l'avis du Conseil d'État ni le projet de loi constitutionnel avant son adoption en conseil des ministres n'ont été accessibles au public et n'ont été l'occasion de sa participation. Aussi peut-on s'interroger sur la conformité de ces restrictions avec la convention d'Aarhus applicable depuis 2002. Il aurait pourtant suffi, messieurs les ministres, de publier le projet du Gouvernement au moment où il était adressé au Conseil d'État, en fixant un délai pour offrir au public la possibilité de formuler des observations. Une telle absence de volonté pour permettre l'accès à l'information et favoriser la participation ne peut que nous inquiéter pour l'avenir. Votre projet est, de surcroît, moins ambitieux pour l'environnement que les propositions de la commission Coppens. Comment admettre que l'application du principe de précaution soit conditionnée par l'existence d'un risque grave et irréversible pour l'environnement ? À nos yeux, le principe de précaution doit s'inscrire dans une logique d'évaluation et de révision en fonction de l'avancée des connaissances scientifiques. Des efforts considérables doivent être consentis pour l'amélioration des connaissances scientifiques et l'évaluation des risques. Dans l'article 4 de la charte relatif au principe du pollueur-payeur, comment comprendre votre recul par rapport aux dispositions introduites en 1995 par la loi Barnier ? Demain, si la Charte est adoptée en l'état, la personne coupable d'un dommage à l'environnement pourra se contenter de contribuer à la réparation. Elle ne sera plus considérée comme responsable du dommage. Votre projet est encore en retrait par rapport aux travaux de la commission Coppens, qui visaient à faire la synthèse des différents intérêts et des différentes aspirations qui parcourent la société française en matière d'environnement. S'agissant par exemple de la conservation de la faune et de la flore sauvages et des écosystèmes, la rédaction de la commission Coppens était plus précise et plus explicite que celle retenue par le conseil des ministres. Comment être rassurés par l'inscription du principe d'éducation à l'environnement alors que les associations travaillant pour la défense de l'environnement et la sensibilisation de la population et des institutions ont subi des gels successifs de crédits ? M. Jean-Pierre Blazy. Eh oui ! Mme Nathalie Gautier. Dans la seule région Rhône-Alpes, votre politique menace plus de 30 % des emplois associatifs. M. Bernard Deflesselles. Ben voyons ! Mme Nathalie Gautier. Comment être rassurés pour l'avenir, quand les députés européens français de l'UMP votent contre l'instauration des seuils protecteurs définis à Kyoto pour l'émission des gaz à effet de serre... M. Jean-Pierre Blazy. Il y a là une contradiction majeure ! Mme Nathalie Gautier. ...et quand on voit le peu de cas que vous faites du principe de précaution dans le dossier des OGM ? Enfin, votre projet manque cruellement de mesures d'évaluation, de réparation et de sanctions. M. Bernard Deflesselles. Il faut donc voter contre ! Mme Nathalie Gautier. Des sanctions financières et commerciales pour les pollueurs doivent être adoptées et appliquées fermement. Les responsables doivent être sanctionnés proportionnellement au dommage causé. Outre un décalage constant entre les mots et les actes, votre majorité libérale se heurte à une contradiction majeure qui explique son inertie et sa volonté affichée de déshabiller le texte de son contenu essentiel, c'est-à-dire d'élever le principe de précaution au niveau constitutionnel. Il est temps de mettre fin à la mondialisation libérale où le libre jeu des marchés compte davantage que les tentatives de régulation et à la course folle au productivisme où la recherche à tout prix des rendements les plus élevés prévaut sur la qualité de vie. M. René André. Des mots ! des mots ! Mme Nathalie Gautier. Monsieur le ministre, nous vous proposerons plusieurs amendements qui reprennent les principes auxquels nous sommes attachés et sans lesquels cette Charte risque de rester un texte symbolique, dépourvu des moyens nécessaires pour la concrétiser. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) M. le président. La parole est à M. Francis Delattre. M. François Sauvadet. Un député qui a déposé un très bon amendement ! M. Francis Delattre. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, au sein du groupe UMP, nous nous sommes répartis les tâches. Je m'attacherai plus particulièrement à la question de la décision politique et son contrôle par les citoyens. Cette décision doit intégrer l'analyse des risques et mesurer le degré d'irréversibilité qui ôterait aux générations futures la liberté de choix dont nous avons nous-mêmes disposé et dont nous disposons encore. De nombreux orateurs l'ont dit, l'importance des enjeux - réchauffement de la planète, amincissement de la couche d'ozone, pollution des océans - place aujourd'hui l'humanité face à des choix environnementaux stratégiques que ne doit pas occulter un débat purement institutionnel. En matière d'environnement et de développement durable, car les deux sont liés, la dispersion des responsabilités et des outils juridiques rend nos compatriotes sceptiques quant à la capacité de la démocratie représentative, c'est-à-dire nous-mêmes, à traiter de ces questions, donc de leur avenir. Les connaissances scientifiques sur l'état des milieux, des ressources naturelles et sur la santé sont aujourd'hui largement diffusées auprès de nos citoyens par les médias, qui insistent particulièrement sur le risque, toujours qualifié d'inacceptable. Or, dans des matières en grande évolution, toute décision politique comporte une évaluation des risques. Et nous savons que les dégradations écologiques et les pollutions sont de plus en plus mesurables. Même si des incertitudes demeurent, c'est au législateur de remettre la responsabilité au coeur des actes individuels et collectifs. M. François Sauvadet. Très bien ! M. Francis Delattre. Bien que nous puissions être fiers de ce que nous faisons dans cet hémicycle, nous pourrions réfléchir à une meilleure « gouvernance » de ces questions en associant les citoyens à nos débats dans les commissions et les groupes de travail et en nous fondant sur des évaluations et des expérimentations. N'est-ce pas au Parlement, mes chers collègues, de rechercher un équilibre entre besoins économiques, sociaux et environnementaux, et d'arbitrer dans la transparence entre ces enjeux plutôt que s'en remettre à des avis d'agences multiples et variées, illustrant ainsi notre incapacité à faire des choix ? Cette nouvelle approche pourrait contribuer au renouvellement de l'action politique et éloigner le Parlement des caricatures qui le décrivent trop souvent comme un théâtre d'ombres. Tel est notre objectif et nous défendrons un amendement pour inscrire formellement dans le domaine de la loi toute question relative à la préservation de l'environnement. Si nous ne veillons pas à affirmer au Parlement notre vision des enjeux environnementaux, celle-ci sera dénaturée par les professionnels de la désinformation. Le véritable tyran commence toujours par se rendre maître de l'opinion. Nous avons assisté cet après-midi à quelques exercices en sens, notamment en ce qui concerne les OGM. Sur ces questions sensibles, nous avons affaire à un maître à deux têtes : celle du politiquement correct, si habilement et si constamment relayée sur les plateaux de télévision animés par les Ardisson, Fogiel et Ruquier, et celle des anciens prophètes, les marxistes-léninistes reconvertis en Verts, donc plus vendables, dont tous les discours s'achèvent par la dénonciation des multinationales et leurs maléfices supposés, multinationales dont un certain nombre contribuent par ailleurs au sponsoring de leurs nombreuses et lointaines équipées, laissant en jachère chèvres et brebis. (Sourires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. François-Michel Gonnot. C'est du grand Delattre ! M. Francis Delattre. S'agissant des OGM, je conforterai la brillante démonstration de mon collègue M. Sauvadet, cet après-midi. Sur ce sujet sensible qui va envahir les plateaux de télévision et les programmes de radio dans les prochaines semaines, je préfère la lucidité de la ministre verte allemande : « Les OGM ? Mais nous y sommes ! ». Traitons donc le problème sérieusement. Aujourd'hui, 70 millions d'hectares de soja et de maïs transgéniques sont cultivés dans le monde, soit deux fois les surfaces ensemencées en France, dont 30 000 hectares le sont d'ailleurs d'ores et déjà en Espagne. Depuis dix ans, aux Etats-Unis, des OGM végétaux nourrissent du bétail sans que l'on n'ait relevé d'effets néfastes sur l'homme. La commission Coppens elle-même affirme qu'il ne faut par traiter les OGM comme globalement maléfiques, mais les envisager au cas par cas. C'est au Parlement que nous pouvons avoir une discussion responsable. En réalité, les OGM présentent au moins deux intérêts majeurs qu'il convient de souligner après tous les arguments hostiles que nous avons entendus. Je précise que je n'appartiens, ni de près ni de loin, à aucun groupe de pression et que je suis connu dans cet hémicycle pour être indépendant. M. Gérard Léonard. Comme nous tous ! M. Jean-Pierre Blazy. N'exagérons pas ! M. Francis Delattre. En premier lieu, ils permettent la production de protéines aux coûts les plus bas pour nourrir plus de six milliards d'habitants, et dans une vingtaine d'années, plus de dix milliards. Les grands pays comme la Chine et l'Inde l'ont compris, d'autant que les OGM sont parfois la seule alternative aux insecticides et aux pesticides, ce que personne ne dit ici. M. François Sauvadet. Très juste ! M. Francis Delattre. Le maïs transgénique, qui fait aujourd'hui la une de l'actualité, contient un gène qui tue les insectes qui s'attaquent à la plante, notamment la pyrale, responsable de la nécrose des tiges. Or comme nous ne disposons pas de ce maïs, il faut pulvériser massivement d'insecticide les champs trois à quatre fois par récolte.
Permettez-moi de parler du glyphosate, cette molécule contenue dans le Roundup, qui existe depuis cinquante ans environ et qui représente un enjeu pour les grandes sociétés agrochimiques. Son coût est de 50 francs environ à l'hectare et trois ou quatre traitements différents sont nécessaires pour détruire les différentes flores, comme les graminées et les pissenlits. Vaut-il mieux faire trois ou quatre traitements ou discuter enfin sérieusement de cette véritable alternative à l'agriculture raisonnée ? Monsieur le ministre de l'écologie et du développement durable, je suis allé visiter récemment, près de chez vous, Arvalis, l'institut du végétal. Savez-vous qu'à partir du maïs on peut aujourd'hui remplacer tous les plastiques d'emballage sans exception ? Il existe en effet une technologie qui utilise le maïs et qui est biodégradable en trois ou quatre mois, alors que nous rencontrons actuellement les plus grandes difficultés pour éliminer tous ces plastiques d'emballage. Ne doit-on pas étudier cette possibilité ? M. Christophe Caresche. L'UMP est très génétiquement modifiée ! M. Francis Delattre. Ne plaisantons pas sur ces sujets, parce que les vrais choix ne sont pas faits. M. Christophe Caresche. Je suis d'accord avec vous ! M. Francis Delattre. Les biotechnologies ne sont pas l'apanage de Monsanto mais de nombreuses entreprises françaises, de l'INRA, de chercheurs français qui, du fait de nos atermoiements, voient leurs travaux et leurs brevets totalement dévalués. Pourtant, des études sérieuses sur ces questions permettraient de réaliser des économies écologiques incontestables. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. François Sauvadet. Très bien ! M. Francis Delattre. Enfin, l'amendement qui ajoute, à l'article 34 de notre Constitution, la compétence du législateur pour la préservation de l'environnement vise aussi à prévenir, messieurs les ministres, la sécurité juridique inhérente à la rédaction de l'article 5, le seul à effet juridiquement direct applicable sur le principe de précaution, notion, qu'on le veuille ou non, par essence indéfinie, puisqu'elle se réfère à l'état incertain de nos connaissances ou des traités internationaux évolutifs. Dès lors qu'il suffira de l'invoquer devant n'importe quel tribunal civil pour contester une décision publique, mettre en cause une recherche, un décideur, un créateur, un élu local dans ses activités quotidiennes, il n'est pas superfétatoire de prévoir une éventuelle loi organique pour empêcher l'apparition de droits subjectifs, de jurisprudences contradictoires et de procès interminables où le choix des experts sera déterminant. M. le président. Monsieur Delattre, il vous faut vraiment conclure ! M. Francis Delattre. Il ne s'agit pas d'une vanité d'auteur, et je réponds là à une des interrogations de M. Caresche, qui préférerait une loi organique, laquelle a bien des avantages. Si nous n'inscrivons pas à l'article 34 que la préservation de l'environnement est une matière relevant de la loi, nous ne pouvons pas mentionner le renvoi qui dispose que, pour l'application de cette compétence, on peut utiliser une loi organique. M. Guy Geoffroy. Eh oui ! M. Francis Delattre. Nous savons très bien que, pour « façonner », comme cela a été dit tout à l'heure, le principe de précaution dans la pratique quotidienne, des évolutions seront nécessaires et qu'à un moment ou à un autre la loi - et ce sera une loi organique - devra encadrer le processus. Toute technologie nouvelle, qu'il s'agisse hier de la pénicilline ou de l'électricité, ou aujourd'hui de la maîtrise de la fusion nucléaire ou des OGM, apporte toujours avec elle de nouveaux risques, généralement mal appréhendés. Cependant, elle réduit souvent l'exposition des hommes à des dangers anciens et connus, et l'expérience montre que les risques qui viennent de l'innovation, bien que réels, sont souvent beaucoup moins graves que ceux d'une société qui stagne. La recherche et l'innovation ne sauraient être censurées a priori, alors qu'elles contribuent à l'amélioration des connaissances et apportent, bien souvent, leur concours à la préservation de l'environnement et au développement durable. Ces débats doivent se dérouler au Parlement plutôt que dans les prétoires, d'autant que ce concept nouveau, de portée encore mal définie, marquera aussi un tournant dans l'appréciation des libertés publiques. Ainsi, l'administration pourra, par l'exercice d'une censure a priori, interdire des activités économiques dans le domaine de la santé, car, quoi qu'on en dise, environnement et santé sont intimement liés. En vérité, cette révision constitutionnelle, en érigeant le principe de précaution en dogme supérieur, exigera que le législateur définisse rapidement les critères rationnels et quantifiables de son application. Je vous donne donc rendez-vous, messieurs les ministres, à une prochaine loi organique pour organiser sereinement les choses. M. Christophe Caresche. Vous me donnez donc raison ! M. Francis Delattre. Les parlementaires français seraient-ils incapables de veiller au respect des enjeux environnementaux, à l'équilibre entre ceux-ci et les nécessités de la recherche et l'innovation, en fait à la pérennité de la décision publique ? Onze États membres de l'Union européenne se sont déjà dotés d'un droit de l'environnement, montrant d'ailleurs que d'autres voies auraient pu être choisies en insérant directement des principes environnementaux dans leur Constitution et en renvoyant au législateur les modalités de leur mise en œuvre. C'est un peu la philosophie de l'amendement auquel j'ai fait allusion tout à l'heure. Au-delà de l'appréciation de nos conseils juridiques, parfois un peu complexes et pas toujours faciles à appréhender dans une première approche, cette démarche constitutionnelle consacre comme patrimoine commun à tous les hommes les ressources naturelles et la préservation de l'environnement. Ces enjeux, mes chers collègues, subliment les autres et ils doivent être soutenus sans réserve. M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Très bien ! M. Francis Delattre. Cette reconnaissance fonde une responsabilité particulière des constituants que nous sommes ce soir - et peut-être demain - envers les générations futures. Le Parlement de ce pays ne peut en être que le meilleur garant, j'oserai même dire, monsieur le président, mes chers collègues, la meilleure garantie durable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) M. le président. La parole est à M. Daniel Garrigue. M. Daniel Garrigue. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est l'une des fiertés de la Vè République que d'avoir, depuis ses débuts, fait de l'environnement l'une de ses principales préoccupations. Après la mise en place des agences de l'eau, au début des années 60, la création du premier ministère de l'environnement sous le Président Georges Pompidou, de nombreux textes ont été votés au fil des ans en ce domaine, jusqu'à cette charte de l'environnement, qui devrait marquer une nouvelle étape particulièrement importante pour affirmer le droit de l'environnement dans notre pays. À vrai dire, le texte de cette charte est composé d'un ensemble de principes qui ont souvent plus une valeur d'objectifs qu'une valeur normative. Pour l'essentiel, chacun ici est prêt à souscrire à cette charte. Reste que le principe de précaution énoncé à l'article 5 pose problème. De quoi s'agit-il ? D'évaluer, quand on entre dans l'inconnu, dans des domaines où n'existent pas encore de certitudes scientifiques fortes, toutes les incertitudes, tous les risques potentiels, toutes les hypothèses, y compris les plus improbables, pour essayer de les éclaircir avant de prendre une décision ou d'y renoncer. Tout serait très simple s'il n'y avait pas, en réalité, deux manières de concevoir le principe de précaution. La première façon consiste à le concevoir comme un principe d'action, c'est-à-dire comme une démarche qui, sur le plan scientifique, revient à réduire l'incertitude par l'expérimentation et, s'il le faut, par la recherche. Sur le plan juridique, il s'agit de faire en sorte que ceux qui sont amenés à prendre les décisions le fassent avec le minimum de sécurité juridique nécessaire. Cette conception existe déjà dans tout un ensemble de procédures de notre droit qui sont bien organisées. Je citerai l'autorisation de mise sur le marché des médicaments, les études d'impact en matière d'environnement et les tests que l'on fait subir aux prototypes devant le service des mines. Je demande, avec un certain nombre de mes collègues, que l'on conçoive le principe de précaution comme un principe d'action et comme une démarche organisée par la loi, domaine par domaine, de telle sorte que ceux qui ont à décider sachent quelles exigences, quelles préconisations ils doivent respecter, quelles expérimentations ils doivent mener, quels délais ils doivent respecter, avant de prendre une décision dont ils porteront, bien sûr, la responsabilité, mais dans des conditions telles qu'ils auront le minimum de sécurité juridique requis. L'autre conception, c'est celle qui nous est proposée dans le projet de charte constitutionnelle. Il s'agit en quelque sorte de sacraliser le principe de précaution, d'en faire un principe d'application directe, pas seulement par le juge constitutionnel, mais aussi par tout juge administratif et éventuellement tout juge judiciaire, si bien que le juge, une fois saisi, sera amené à s'interroger sur la décision de telle ou telle autorité pour savoir si elle a bien respecté et mis en œuvre toutes les mesures de précaution nécessaires, alors même que cette autorité n'a pas un cadre précis pour appliquer le principe de précaution. Sans remettre en cause la bonne volonté du juge, nous craignons que les décisions ne soient extrêmement différentes d'un juge à l'autre, en raison de la lecture qu'ils feront des dispositions de l'article 5. Et il faudra sans doute de nombreuses années avant que la jurisprudence ne s'unifie. D'ailleurs, il n'y aura pas forcément unification car, si certaines décisions se rapprocheront, d'autres, et c'est fréquent en matière de jurisprudence, marqueront des évolutions dans une autre direction. Nous serons alors rentrés dans un système d'insécurité juridique, de judiciarisation complète. Nous mettrons ainsi les décideurs dans l'impossibilité de trouver la sécurité nécessaire et nous encouragerons la fuite devant les responsabilités.
Ce texte serait destiné à corriger certains effets de la loi Barnier, en particulier de l'article L. 110-1 du code de l'environnement qui a donné lieu à une jurisprudence abondante et souvent confuse. Permettez-moi de rendre hommage à Michel Barnier car je trouve son texte de loi plutôt plus précis et plus bordé que celui de l'article 5. Or, si on ne maîtrise déjà pas la jurisprudence résultant de l'application de la loi Barnier, je ne vois pas comment on maîtrisera celle issue de l'application de l'article 5. Il faudrait, à en croire certains, se garder de l'Europe dans cette affaire. Le traité de Maastricht mentionne le principe de précaution mais, avec leur jurisprudence, la Cour de justice et le tribunal de première instance des Communautés européennes ont bâti une doctrine dont certaines règles d'interprétation sont positives. Elles soulignent en particulier que c'est à l'autorité responsable qu'il appartient de définir le niveau de risque acceptable, de sorte que le contrôle qui s'exerce sur les décisions est un contrôle minimum et que le cadre dans lequel s'inscrit le principe de précaution dans la jurisprudence communautaire est relativement clair. Alors, plutôt que de se séparer de l'Europe, on ferait bien de s'en rapprocher davantage. M. François Sauvadet. Très bien ! L'harmonisation européenne est une nécessité. M. Daniel Garrigue. Messieurs les ministres, mesdames et messieurs les députés, nous avons à choisir entre deux conceptions du principe de précaution. La première, positive, consiste à en faire un principe d'action, conduisant à une démarche maîtrisée ; la seconde, empreinte sans doute d'une grande sincérité de la part de ses partisans, risque malheureusement de le transformer en principe d'inaction. M. Jean Lassalle. Bravo ! M. Daniel Garrigue. C'est la raison pour laquelle je souhaite que le débat reste ouvert et que nous adoptions demain un texte qui permette à la fois la protection de notre environnement, le progrès scientifique et le développement de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) M. le président. La parole est à M. Guy Geoffroy. M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la qualité mais aussi la diversité des propos qui sont tenus à la tribune montrent que le débat qui nous réunit à l'occasion de la discussion de ce projet de loi constitutionnelle est certainement un moment très fort. C'est un moment historique pour la vie parlementaire et pour notre démocratie tout entière. Collecte sélective des déchets, recherche de la haute qualité environnementale dans la construction des bâtiments publics ou dans la mise en place de zones d'activités, travaux et réalisations en vue de l'adoption de nouveaux process - méthanisation, par exemple - pour traiter nos déchets, tentatives de plus en plus réussies pour faire entrer l'ensemble de nos politiques dans un cercle vertueux afin de répondre aux besoins tout en traçant les pistes de l'avenir : les exemples sont nombreux, et même de plus en plus nombreux, de politiques publiques locales soutenues, parfois même très encouragées, par les instances régionales, départementales ou nationales, qui illustrent la prise de conscience de la nécessité d'intégrer dans tout le champ de l'action publique, en toile de fond de nos efforts individuels et collectifs, la dimension écologique de la vie humaine. Il y a bien des raisons qui expliquent que, dans sa grande sagesse, le peuple français, et avec lui probablement tous les peuples de la planète, se montre vigoureusement intéressé, motivé, déterminé à faire avancer ces sujets et à faire en sorte que la recherche, qui reste à l'ordre du jour - elle est la vie même, condition du progrès et du développement - n'oublie pas au passage, et encore moins ne détruise l'homme. Où en sommes-nous ? Sans entrer dans les détails, il faut rappeler certaines des limites au-delà desquelles nous ne devons pas aller. La planète, au siècle dernier, a vu sa température monter d'un degré. Si rien n'est fait, son réchauffement va s'accélérer au point de devenir problématique, et même probablement dramatique. Les scientifiques admettent aujourd'hui, et cela doit nous inviter à réfléchir, que deux ou trois degrés de plus suffiraient à provoquer des mutations si considérables que les grands équilibres de la vie seraient profondément bouleversés. Or, si nous ne faisons rien, ce n'est pas dans un siècle, ni a fortiori dans deux, que le constat de la dégradation définitive de la planète sera fait, ce sera bien avant. C'est peut-être nous qui le ferons, à tout le moins nos enfants. La réalité, c'est également une biodiversité en péril. Dans les vingt, trente ou quarante prochaines années, 20 % à 30 % des espèces animales risquent de disparaître. Et aucune espèce, pas même la nôtre, n'est à l'abri compte tenu de l'interdépendance des espèces. À tout cela, une explication que tout le monde connaît : l'activité humaine, qui est à l'origine de 90 % des émissions de gaz carbonique. On pourrait croire que le drame est déjà écrit,... M. Christophe Caresche. Il se prend pour Nicolas Hulot ! M. Guy Geoffroy. ...ce qui pousserait à l'inaction, voire au repli sur soi. Or il n'est pas dans la nature humaine d'adopter une telle attitude, au contraire. L'humanité est synonyme de développement, de progrès, de marche en avant. Elle recherche de nouvelles marges de manœuvre, repousse les limites, en ayant désormais l'obligation de maintenir les équilibres. Pour l'heure, il nous faut surtout définir un avenir qui ne nous appartient pas, mais qui sera le quotidien de nos enfants et de nos petits-enfants. Nous devons par nos décisions d'aujourd'hui leur donner la capacité d'exister. M. Christophe Caresche. Et si on parlait de la Charte ? M. Guy Geoffroy. C'est dans ce contexte que s'inscrit le projet de loi constitutionnelle qui vise, selon l'objectif très ambitieux et très élevé du Président de la République, à inscrire pour toujours dans la Constitution l'ensemble de ces principes et qui comprend deux articles dont le second décline les dix articles de la Charte. Que pouvons-nous dire de plus que ce qui a été dit brillamment par les ministres, nos rapporteurs et par l'ensemble de mes collègues ? Peu de choses, si ce n'est que cette proposition de charte est vraisemblablement une chance pour le présent et une exigence pour l'avenir : une chance pour le présent dans la mesure où elle met en bon ordre plusieurs principes qui sont déjà en vigueur mais qui sont épars dans notre législation ; une exigence pour l'avenir aussi parce qu'en inscrivant ces principes dans un ensemble organisé, à la portée des utilisateurs, cette charte permet de se projeter dans l'avenir avec la certitude raisonnable que l'ensemble des objectifs pourra être atteint. Certes, le fameux article 5 a fait et fera sans doute encore couler beaucoup d'encre. Mais, comme beaucoup de mes collègues, je reconnais que la grande richesse et la qualité de nos débats depuis plusieurs semaines, et même plusieurs mois, ont permis d'énormes progrès. Il y a ceux qui étaient tout à fait contre au début, et qui le sont plus ou moins restés ; il y a ceux qui étaient perplexes et inquiets au début et qui ne le sont plus ; et il y a ceux qui, d'emblée, étaient favorables à l'impulsion qu'allait donner ce texte et qui ont trouvé, avec le débat, de nouvelles raisons d'être pilotes dans la réflexion et déterminés dans la mise en œuvre. Nous pouvons dire aujourd'hui, après les échanges qui se sont engagés et les travaux des commissions, que cet article aurait pu faire problème mais qu'il n'en sera rien. Au contraire, il réalisera l'ambition qui est la sienne, à savoir, le président Clément l'a rappelé tout à l'heure, mieux définir, mieux cerner et rendre plus lisible, donc applicable, le principe de précaution. Sans répéter ce qui a été dit, je voudrais rappeler sans trop simplifier quelques éléments incontournables. Le principe de précaution existe aujourd'hui, mais il est appliqué par les juges, sans que le peuple, par l'intermédiaire de ses représentants, ait la main. Les juges ne sons pas méprisables, loin de là, mais, dans le cadre actuel du traité de l'Union européenne et du code de l'environnement, ce sont eux qui font la loi en cette matière. Or, avec l'article 5, d'application immédiate, et sous réserve des modifications proposées pour l'encadrer - et qui seront, je l'espère, acceptées -, nous ferons un progrès considérable en confiant au peuple le soin de faire la loi, à travers le vote du législateur. Si nous faisions l'erreur de renvoyer l'article 5, comme trois autres articles, à la loi ordinaire, nous le priverions d'emblée, le président Clément l'a souligné, de toute sa puissance, de toute sa force. Alors, tous ceux qui disent que ce projet de charte relève davantage de l'incantation que du souci d'efficacité se verraient donner un argument de plus. Tel n'est pas notre objectif. Les modifications qui vont être apportées, en particulier celle, très positive, qui résulte du travail initié par plusieurs d'entre nous, Francis Delattre et Valérie Pecresse en tête, vont nous permettre non seulement de répondre aux interrogations, voire d'apaiser les inquiétudes que nous pouvions avoir, mais encore de rendre l'ensemble encore plus cohérent. En effet, le texte donnera pour la première fois au législateur que nous sommes, en l'inscrivant dans la Constitution, la capacité de décider de ce qui doit être fait dans le domaine de l'écologie et du développement durable. Ce projet, messieurs les ministres, marque une avancée considérable de notre droit ; c'est aussi un acte de courage politique que l'on nous propose. Notre assemblée, et le Parlement tout entier, seraient bien sages de l'adopter parce que la charte de l'environnement est à la fois une chance pour aujourd'hui et un grand espoir pour demain. À ceux de nos collègues qui ne vont pas voter ce texte, aux rares qui voteront contre et à ceux qui s'abstiendront,... M. Christophe Caresche. Ne vous inquiétez pas pour nous ! M. Guy Geoffroy. ...je dirai qu'ils passent à côté du train de l'histoire. Pire, ce faisant, ils le regardent passer après avoir hésité à monter dedans. Ils commettent une très grosse erreur non seulement pour eux-mêmes, ce qui n'est pas bien grave, mais ils la commettent surtout envers notre pays, envers leurs propres enfants et envers les enfants de demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. La parole est à M. Bernard Deflesselles.
M. Jean-Pierre Blazy et M. Christophe Caresche. La maison brûle, en effet ! M. Bernard Deflesselles. Ce vibrant plaidoyer du chef de l'État, que nous avons fait nôtre, monsieur le président de la commission des lois,... M. Christophe Caresche. Après beaucoup d'hésitation ! M. Bernard Deflesselles. ...reflète l'émergence d'une prise de conscience universelle du risque environnemental. Il y a seulement un quart de siècle, les équilibres naturels semblaient immuables. Mais la succession de grandes catastrophes écologiques - Seveso, Tchernobyl, Bhopal, les naufrages de l'Erika et du Prestige, l'explosion de l'usine AZF - ainsi que les débats scientifiques sur les changements climatiques et la réduction de la couche d'ozone ont peu à peu démontré que la menace n'était pas locale mais globale et qu'elle n'était plus individuelle mais collective. Réchauffement climatique, pollution des océans, déforestation massive, disparition des espèces : ces phénomènes fragilisent notre écosystème et, par-delà, mettent en péril les grands équilibres planétaires. C'est pourquoi la protection de l'environnement est une préoccupation majeure de notre société. L'observation de l'état de l'opinion fait clairement apparaître que les Français sont conscients de la gravité de la situation et qu'ils souhaitent, je dirai même plus, qu'ils veulent que notre pays fasse un plus grand cas de la défense de l'environnement. Nos concitoyens sont moins frileux que nous en la matière : près des trois quarts d'entre eux estiment qu'il conviendra de changer nos modes de vie pour mieux protéger l'environnement. Cette prise de conscience écologique des Français, le Président de la République l'a entendue et s'en est fait le relais en proposant qu'une charte de l'environnement soit adossée à la Constitution. Il paraît difficile à certains de faire le pas de la constitutionnalisation de la défense de l'environnement. À l'approche de l'examen du projet de loi devant le Parlement, des réticences vis-à-vis de la charte, voire de réelles oppositions, se sont déclarées. Il est temps à présent d'apaiser les esprits. Pourquoi était-il nécessaire de faire entrer la protection de l'environnement au cœur de notre Constitution ? La réponse est simple, mes chers collègues : afin de donner aux droits et aux devoirs qu'elle contient un caractère universel. Les Français se voient ainsi reconnaître le droit d'accéder aux informations relatives à l'environnement et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur celui-ci, mais ils ont aussi désormais le devoir de prendre part à sa préservation. La nécessité d'éduquer et de former nos concitoyens aux questions environnementales est également affirmée. En plaçant ces principes au plus haut niveau de notre hiérarchie des normes, c'est notre capacité à être les garants d'une meilleure protection environnementale qui s'en trouve renforcée. La Charte et le principe de précaution sont-ils un frein pour le progrès scientifique et un danger pour la liberté d'entreprendre ? Les récents débats ne doivent pas faire oublier que ce texte est le fruit d'un long travail de réflexion de la commission Coppens. Les juristes, les scientifiques, les entrepreneurs et les représentants d'associations environnementales, membres de cette commission, ont réussi à concilier des intérêts divergents et à rédiger un texte à la fois original et équilibré. Quant au principe de précaution, les rédacteurs de la Charte ont pris grand soin - cela a été rappelé - de l'encadrer pour éviter qu'il ne soit invoqué à tort et à travers et ne paralyse les initiatives économiques et scientifiques. La rédaction retenue fait de la précaution un véritable principe d'action, et non d'abstention. Il convient ici de saluer à la fois l'implication des rapporteurs et le long et patient travail de la commission des lois qui, sous l'égide de son président, aura pris une part prépondérante à l'équilibre du texte. Le principe de précaution ne représente, en aucun cas, un frein pour la recherche scientifique ou pour les entrepreneurs. Il cherche à lever les incertitudes dans le cas où un dommage risquerait d'affecter gravement et de façon irréversible l'environnement. Les chercheurs auront donc un rôle fondamental à jouer pour faire progresser les techniques d'évaluation des risques encourus. Enfin, l'amendement adopté par la commission des lois fait entrer pleinement les questions environnementales dans le domaine de la loi et rappelle au législateur qu'il peut intervenir pour apporter sa pierre à l'édifice posé par la Charte, en précisant la portée juridique des principes qu'elle consacre. La charte que nous examinons aujourd'hui n'est ni une petite loi, ni la proclamation de vœux pieux sans conséquences pour l'avenir. C'est un texte porteur d'une vision humaniste de l'écologie, qui sera une référence en matière de protection de l'environnement pour les décennies à venir. Cette loi montrera aux générations futures que nous avons regardé la réalité en face et pris nos responsabilités en choisissant de ne pas les laisser assumer seules les conséquences de nos actes. Elle représente enfin une avancée pour ce que j'appellerai « notre diplomatie environnementale ». Fin 2003, la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, en me confiant un rapport dont l'objet était d'apprécier la Charte à l'aune du droit européen,... M. François-Michel Gonnot. Un excellent rapport ! M. Bernard Deflesselles. ...se préoccupait de constater que la France était l'un des rares États de l'Union européenne à ne pas faire référence à la protection de l'environnement dans sa Constitution. Ce texte permettra à la France d'aller plus loin que ses voisins européens. Plus complète que les traités communautaires et que la convention européenne des droits de l'homme, la Charte donnera à la France toute légitimité pour influer sur la législation communautaire. Elle fera de notre pays un leader en matière de protection de l'environnement, répondant en cela aux aspirations croissantes et légitimes de nos concitoyens, aspirations auxquelles, mes chers collègues, nous ne pouvons et nous ne devons pas rester insensibles. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Blazy. M. Jean-Pierre Blazy. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, l'examen de ce projet de loi constitutionnelle intervient alors que les préoccupations environnementales sont de plus en plus présentes chez nos concitoyens. Depuis les années 70, les trop nombreux drames écologiques survenus à travers le monde et sur notre propre territoire ont favorisé une prise de conscience quant à la nécessité de définir un véritable droit de l'environnement. Depuis trente ans, le législateur, de droite comme de gauche, est intervenu à de nombreuses reprises et l'adoption en septembre 2000 du code de l'environnement a enfin permis une présentation ordonnée des dispositions législatives et réglementaires applicables en la matière. Aujourd'hui, la tâche paraît tout autre. Le projet de charte constitutionnelle nous est présenté comme une avancée et un progrès considérables. Assurément, l'affirmation d'un droit de l'homme à un environnement sain et équilibré par le biais d'une réforme constitutionnelle est, de loin, préférable à une reconnaissance jurisprudentielle par le juge, qu'il soit constitutionnel, administratif ou judiciaire. C'est une bonne façon de faire aboutir une évolution de notre droit de l'environnement, qui correspond à une véritable demande sociale. L'attachement à la Constitution ne doit pas en effet se traduire par une attitude stérile de gardien du temple et il serait dommage de s'empêcher d'y inscrire de nouveaux droits. Il est, au contraire, important que, dans un État de droit, règne une harmonie entre la loi et la réalité sociale, et la Constitution se doit de refléter le mieux possible les valeurs et les aspirations des citoyens. Ce faisant, nous nous rapprochons de la situation dans laquelle se trouvent de nombreux pays européens. En effet, depuis les années 70, plusieurs Etats ont affirmé une telle reconnaissance constitutionnelle au droit à l'environnement. Une très large majorité d'États de l'Union européenne l'a ainsi consacré. D'une manière générale, si ceux qui partagent l'objectif de reconnaissance constitutionnelle de ce droit sont nombreux, le fond et la forme de cette reconnaissance font largement débat à droite surtout, mais peut-être à gauche également. Sur la forme, le Gouvernement a fait le choix d'une charte adossée à la Constitution. Si cet adossement est validé lors de la présente législature - je reviendrai sur ce point -, cela constituera une première en droit constitutionnel français. En effet, la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ainsi que le préambule de 1946 ne sont pas adossés à la Constitution de 1958 mais font partie intégrante du bloc de constitutionnalité, depuis les décisions du Conseil constitutionnel de 1971 et de 1973. Formellement, l'adossement ne signifie nullement l'intégration dans le bloc de constitutionnalité : il reviendra donc au juge constitutionnel d'en faire ou non une partie intégrante de celui-ci. Contrairement à ce qu'a affirmé le Président de la République depuis son discours d'Orléans en 2001, il aurait été - je pense - beaucoup plus efficace juridiquement, mais peut-être aussi beaucoup plus risqué politiquement, d'énoncer le droit à l'environnement dès le préambule de la Constitution, en tant que nouveau droit de l'homme, afin qu'il puisse bénéficier, sans contestation, d'une reconnaissance constitutionnelle totale et non simplement par ricochet, à travers la Charte. De la même manière, les différents principes contenus dans la Charte devraient être énoncés dans le préambule. M. Christophe Caresche. Très bien ! M. Jean-Pierre Blazy. La portée de la Charte dépendra donc très fortement de la doctrine que construira le juge constitutionnel. Comme l'ont souligné les constitutionnalistes auditionnés par la commission des lois, le Conseil constitutionnel devra définir la portée normative de chaque alinéa à la place du constituant, en devant parfois concilier certains principes environnementaux avec des libertés constitutionnellement reconnues, notamment la liberté d'entreprendre. L'ensemble des dispositions de la Charte risque donc de ne pas se retrouver sur un pied d'égalité juridique, en fonction du caractère plus ou moins contraignant de leur contenu. M. Christophe Caresche. Excellent ! M. Jean-Pierre Blazy. De plus, certains juristes redoutent un risque sérieux de délégations en chaîne du contrôle de constitutionnalité, passant du pouvoir constituant au Conseil constitutionnel et de celui-ci aux experts. Ce n'est pas au juge constitutionnel, en effet, qu'il appartient de décider de ce qui est écologiquement bon ou mauvais, car il n'en a ni la compétence ni la vocation. Dès lors se pose la question du recours aux experts et du statut de l'expertise. La marge de manœuvre laissée par le pouvoir constituant au juge constitutionnel, en raison du choix qui a été fait d'adosser la Charte au préambule de la Constitution, est importante et représente, de ce fait, un facteur d'insécurité et d'instabilité juridiques, qui risque de cantonner ce texte à une simple proclamation. Je ne peux que le regretter. Sur le fond, quelles sont les avancées que contient votre texte, messieurs les ministres, par rapport au droit de l'environnement existant ? L'article 4 précise que « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi ». La volonté affichée est de pouvoir indemniser plus largement les victimes des pollutions, et non plus seulement les activités économiques touchées, en responsabilisant les pollueurs. Mais ce n'est là qu'une volonté affichée car, en réalité, ce texte est à plus d'un titre régressif, me semble-t-il, par rapport au principe du pollueur-payeur déjà existant. En effet, les mots « contribuer à » ont été inscrits dans la Charte pour diminuer les obligations des pollueurs et faire supporter en partie à d'autres la réparation des dommages causés. Ou le pollueur, au sens large, est responsable pour le tout, ou il ne l'est pas ; mais il ne peut être responsable pour une partie, car cela implique que quelqu'un qui n'est pas le pollueur est responsable pour l'autre partie. La raison du mot « contribuer » est que les pollueurs ne veulent pas supporter une responsabilité plus grande que celle qu'ils peuvent assumer eux-mêmes. L'objectif caché du mot « contribuer » paraît donc bien de faire payer la puissance publique ou les victimes directement ou à travers l'assurance qu'elles seraient invitées à souscrire. Ce n'est plus le principe du pollueurpayeur ! La mutualisation des risques non indemnisés - par exemple par des fonds publics, par un fonds des pollueurs potentiels ou par les assurances obligatoires des victimes - est une démarche très différente que celle qui engage la responsabilité pleine et entière du pollueur. Il convient de conserver la clarté du lien entre réparation et auteur du dommage, lien que le texte de la Charte ne respecte pas suffisamment. L'article 5, qui est le cœur de la Charte, est sans doute celui qui a suscité les débats les plus acharnés. Il vise à inciter, en application du principe de précaution, les pouvoirs publics à prendre des mesures et à conduire des recherches en cas d'incertitude scientifique sur les conséquences de risques pour l'environnement. Quoi de plus naturel que de prendre le temps de s'interroger sur les conséquences de certaines avancées scientifiques et d'être vigilant quant aux implications de certaines recherches ? Au passage, il est bon de rappeler qu'un tel principe existe depuis longtemps, notamment dans les droits européen et français, sans avoir jusqu'à présent déclenché les effets apocalyptiques annoncés par certains.
M. Alain Marty. Enfin le MEDEF ! On l'attendait ! M. Jean-Pierre Blazy. Eh oui ! le MEDEF est bien présent en arrière-plan ! M. François Grosdidier. Cela tourne à l'obsession ! M. Jean-Pierre Blazy. S'il n'est pas question de se livrer à une telle suppression, vous arrivez tout de même, messieurs les ministres, à une formulation qui est en retrait par rapport aux formulations habituelles du droit international. Comme tous les principes généraux, ce principe s'imposait aux autorités publiques comme aux personnes privées en vertu de l'obligation générale de protéger l'environnement figurant à l'article 3 de la charte et à l'article L. 110-2 du code de l'environnement, qui vise expressément, j'y insiste, les personnes publiques et privées. Avec la charte, seules les autorités publiques sont désormais responsables, et non les entreprises ou les particuliers. Je relève là un recul par rapport au code de l'environnement. Par ailleurs, votre définition du principe de précaution ne couvre pas les atteintes à la santé. L'appel de Paris lancé vendredi 7 mai par quatre-vingts scientifiques, juristes, et philosophes - dont Yves Coppens, Nicolas Hulot ou encore Corinne Lepage, pour citer quelques-uns de vos amis - a pourtant rappelé l'importance d'un vrai principe de précaution incluant la santé. En effet, les risques sanitaires liés à la pollution ne peuvent être minimisés. Il aurait été bon d'inclure les atteintes à la santé dans la définition du principe de précaution, ce qui aurait permis de prendre en compte les incidences de la rédaction de l'article 1er de la charte, qui prévoit le droit de chacun à vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé. On ne peut donc que s'inquiéter de l'amendement de nos collègues Saddier, Ollier et Gonnot visant à amoindrir la portée de cet article 1er qui lie à juste titre environnement et santé. Nous aurons l'occasion d'en reparler lors de l'examen des amendements. Au bout du compte, on comprend bien que certains députés UMP, plus ou moins instrumentalisés par le MEDEF, (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire),... Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. Fantasmes ! Lisez ce que dit Le Monde ! M. Jean-Pierre Blazy. ...craignent que le principe de précaution ne constitue non seulement un frein à l'innovation et à la recherche, mais surtout un obstacle à la sacro-sainte liberté d'entreprendre, et agitent l'épouvantail de la multiplication des recours devant les tribunaux. Roselyne Bachelot les avait pourtant rassurés lors de son audition en commission. M. Christophe Caresche. Elle n'est plus là, et on la regrettera ! M. Jean-Pierre Blazy. Je la cite quand même, monsieur Caresche : « Cette inquiétude n'est pas fondée car il est juridiquement très difficile de prouver qu'une autorité publique n'a pas pris des précautions proportionnées pour éviter un dommage dans une situation d'incertitude scientifique. En pratique, le principe de précaution est donc davantage un "argument de tribune" qu'un "argument de tribunal". » Je ne sais, monsieur Lepeltier, ce que vous inspire ce jeu de mots de votre prédécesseur, mais quel magnifique aveu de l'impuissance juridique de ce texte ! Et peut-être, du même coup, des véritables motivations du Gouvernement, de la majorité et du Président de la République, pour qui ce projet de loi constitutionnelle n'est qu'un simple texte d'affichage. Enfin, on peut s'interroger sur la signification réelle de l'amendement de nos collègues Francis Delattre et Valérie Pecresse visant à introduire dans l'article 34 de la Constitution la reconnaissance de la capacité du Parlement à légiférer sur l'environnement. À première vue, c'est une excellente chose. Remarquons toutefois que le législateur, depuis de nombreuses années, n'a cessé de légiférer sur l'environnement. Dès lors, cet amendement ne traduit-il pas la volonté de légiférer sur le principe de précaution afin de réduire la portée de ce futur principe constitutionnel ? Mme Valérie Pecresse et M. Francis Delattre. Mais c'est le même amendement que celui de M. Caresche ! M. Jean-Pierre Blazy. On a bien compris qu'une concession était ainsi faite à une partie de la majorité pour la rendre plus docile aux volontés du Président de la République. M. Francis Delattre. Arguties ! M. Jean-Pierre Blazy. Car les vifs débats et tensions qui ont parcouru les rangs de l'UMP ne sont pas sans conséquences sur le texte de compromis que nous examinons aujourd'hui après trois reports du débat parlementaire. Et ce n'est pas là le moindre paradoxe : pour une fois que le Président de la République entendait tenir une de ses promesses électorales, la fronde est venue de son propre camp ! La majorité fait preuve d'un blocage idéologique certain. M. Francis Delattre. Ce n'est pas sérieux ! M. Jean-Pierre Blazy. Sa conception libérale de l'économie lui fait aborder les questions environnementales sous l'angle réducteur de la compétition économique. D'ailleurs, le bilan de la politique gouvernementale depuis deux ans dans le domaine de l'environnement et de la recherche n'est pas à la hauteur de l'ambition affichée par la charte. J'aimerais bien être démenti, monsieur le ministre de l'écologie. Le Gouvernement pourrait-il dès maintenant éclairer la représentation nationale, pour l'avenir au moins, sur les projets de loi qu'il faudra élaborer et discuter pour faire vivre réellement la charte après son adoption ? Je pense notamment à la question essentielle de l'internalisation du coût environnemental. Au total, si la méthode participative choisie au départ pouvait être la bonne, le projet de charte qui nous est soumis, adossé au préambule de la Constitution, ne peut retenir notre approbation en l'état, car nous ne voulons pas laisser au Conseil onstitutionnel le soin d'évaluer la valeur constitutionnelle des différents articles de la charte. M. Francis Delattre. Pourquoi ? Il en a l'habitude ! M. Jean-Pierre Blazy. En dépit de la qualité du travail de notre rapporteure, qu'il convient de saluer, l'imprécision de certains principes énoncés, à laquelle viennent s'ajouter les tentatives d'une partie de la majorité de réduire la portée de ce texte, risque de faire de la charte de l'environnement, projet initialement ambitieux, voire généreux, une coquille vide. Nous ne pouvons en l'état l'accepter, mais nous espérons encore que les débats à venir permettront de l'améliorer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La séance est suspendue. (La séance, suspendue à vingt-trois heures trente-cinq, est reprise à vingt-trois heures cinquante.) M. le président. La séance est reprise. La parole est à M. François Grosdidier. M. François Grosdidier. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, le projet de loi que nous examinons ce soir n'est pas un texte comme les autres : d'abord parce que c'est un projet de loi constitutionnel qui pose de nouveaux principes fondamentaux de notre République ; ensuite parce qu'il vise à modifier radicalement nos comportements, tant individuels que collectifs. En adoptant ce texte, nous allons consacrer une nouvelle génération de droits protecteurs de notre bien commun le plus indispensable : notre environnement. Quand je dis qu'il s'agit du « plus indispensable », je ne mésestime pas les droits politiques, civils, économiques et sociaux. Mais, avant nos conditions de vie, passent les conditions mêmes de la vie. Or les conditions de la vie humaine sont menacées à long terme du fait du réchauffement climatique. Elles sont déjà fortement altérées pour une large part de l'humanité, qui boit de l'eau polluée tous les jours et qui peut d'autant moins se nourrir que l'effet de serre et la déforestation provoquent sécheresse et pénurie. Réchauffement climatique, pollution des sols, de l'eau et de l'air, épuisement des ressources naturelles, disparition exponentielle des espèces animales et végétales - un tiers d'ici à cinquante ans - ce sombre tableau ne résulte pas du délire apocalyptique d'une secte catastrophiste ; c'est l'analyse froide et rationnelle des plus éminents scientifiques de la planète. Ecoutons l'astrophysicien Hubert Reeves ou le botaniste Jean-Marie Pelt. Ecoutons les 2 500 chercheurs, parmi les meilleurs dans chaque discipline, réunis au sein du groupe intergouvernemental d'experts mis en place par l'ONU pour observer et analyser le phénomène du réchauffement climatique. Cette catastrophe annoncée dans l'indifférence générale a fait dire au Président de la République Jacques Chirac au sommet de Johannesburg : « La maison brûle et nous regardons ailleurs ». Quand l'emploi manque, que les comptes sociaux se déséquilibrent, que nos quartiers souffrent, que les catégories socioprofessionnelles revendiquent en cœur, quand le calendrier électoral rythme la vie publique, quand nos concitoyens vivent dans l'instantanéité, quand leur vision est souvent, hélas ! aussi courte que leur mémoire, il n'est pas évident de faire partager la notion de bien public et les réflexions sur le long terme. Pourtant, les menaces se précisent et les termes se rapprochent. Aujourd'hui - et c'est une problématique de notre débat actuel - urgence et durée s'entrechoquent ! Comment les concilier ? Comment agir rapidement ? Comment faire preuve de réactivité tout en préservant notre environnement, qui sera aussi celui de nos descendants ? La conception française de la République est atemporelle : font partie intégrante de la République ceux qui nous ont précédés, les vivants que nous sommes, mais aussi et surtout les générations futures. Nous nous devons de leur léguer un environnement sain et intègre. Cette préoccupation, qui doit nous obséder, compte tenu de la gravité de la situation, nous impose d'agir dans l'urgence tout en nous inscrivant dans la durée. Elle nous impose aussi de traiter les autres urgences, non écologiques mais économiques, sociales ou sécuritaires, sans nous soustraire aux contraintes environnementales. C'est dire à quel point la constitutionnalisation des principes écologiques est fondée. Nous devons répondre à une exigence d'action, de réparation des préjudices écologiques, de prévention des risques avérés et certains, de précaution quant aux risques aléatoires et incertains. Sans le principe de précaution, la charte aurait perdu l'essentiel de son intérêt. Et pourtant, ce principe de préoccupation ... je veux dire de précaution ... inspire une crainte compréhensible : celle qu'en cette époque de jurisprudence extensive et souvent imprévisible, les administrateurs ne se montrent craintifs et zélés, les décideurs paralysés, les entrepreneurs ne soient dissuadés et les innovateurs sanctionnés. Il faut d'abord préciser que le principe de précaution est un principe d'action et non d'abstention. Il faut ensuite rappeler qu'aucun principe constitutionnel n'a de valeur absolue ni de portée illimitée. Les libertés publiques et les droits sociaux sont souvent, par essence, contradictoires. Il appartient au législateur, sous le contrôle du juge constitutionnel, de les aménager et d'assurer leur compatibilité. Mais pourquoi considérer a priori que le principe de précaution effacerait tous les autres ? Pourquoi la Constitution ne protégerait-elle pas autant notre société des atteintes graves et irréversibles à l'environnement que des injustices politiques, civiles ou sociales ? Pourquoi le risque d'une jurisprudence excessive devrait condamner le principe même, alors qu'il suffit de le préciser ? Autre crainte des opposants au principe de précaution : celle des chefs d'entreprises. Ils regrettent qu'une fois de plus, on puisse imaginer de nouvelles contraintes pour les entreprises françaises, alors qu'elles ne s'imposeront pas à leurs concurrentes européennes ou extra européennes. Honnêtement, nos entreprises seront moins gênées par les principes constitutionnels que par la complexité, voire l'incompréhensibilité des règlements et les lenteurs, voire les inutiles blocages des administrations. Les réponses ne sont donc pas dans le refus du principe constitutionnel de précaution. Elles sont dans l'Europe et dans la réforme de l'Etat. Enfin, il y a ceux qui contestent philosophiquement le principe de précaution, considérant que depuis l'homo sapiens, l'humanité n'a progressé qu'au prix d'un constante prise de risque. Si notre ancêtre avait craint de sortir de sa caverne pour affronter l'inconnu, nous vivrions toujours dans des cavernes. (Sourires .) Cela dit, les premiers aventuriers qui se sont risqués dans des espaces inconnus ne l'ont pas fait avec la totalité de leur tribu, femmes et enfants. Ils auront pris le risque en éclaireurs sans exposer de prime abord tous les leurs. Le principe de précaution n'interdit pas de poursuivre l'aventure humaine. Il impose juste de ne pas exposer inconsidérément la totalité de l'humanité et du vivant. C'est un principe de responsabilité, que nous nous faisons un honneur, à droite, de réhabiliter dans tous les domaines. Et n'en déplaise à certains de mes prédécesseurs à cette tribune, nous pouvons hautement revendiquer les valeurs de l'écologie, en nous appuyant sur la notion de responsabilité identifiée, assumée et, le cas échéant, récompensée et sanctionnée. Nous pouvons aussi revendiquer une autre valeur de droite, conservatrice au sens noble : la conscience aigüe de devoir préserver l'héritage dont nous avons bénéficié, pour le transmettre, intègre, aux générations futures. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Pour conclure, cet acte majeur est bien le moins que nous devions faire : inscrire dans la norme juridique supérieure la protection de la condition même de notre existence et du patrimoine commun de l'humanité au-delà des générations. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. La parole est à M. François-Michel Gonnot.
M. Bernard Accoyer. Très bien ! M. François-Michel Gonnot. Il a voulu que la France n'en reste pas aux mots, qu'elle passe aux actes, en donnant à cette Charte de l'environnement une valeur constitutionnelle, pour prouver que la France peut encore étonner, ouvrir une voie, montrer l'exemple. Je voudrais ici saluer les efforts et la persévérance dont ont fait preuve le garde des sceaux et les deux ministres de l'environnement pour donner à ce texte toute son ampleur. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je sais combien chaque phrase a été évaluée, chaque mot ciselé. Je sais aussi combien nos rapporteurs ont, pendant les longs mois qu'ont duré les auditions, écouté, expliqué, tenté de faire comprendre, de convaincre, de rassurer. Je suis intimement convaincu que les craintes, les peurs, les doutes, manifestés notamment dans les milieux de l'industrie, de la recherche, de la santé, jusque chez les élus locaux, ne sont pas fondés. Néanmoins, ils existent et continuent à s'exprimer ici ou là. Personnellement, je le regrette, car ils émanent d'hommes et de femmes qui travaillent plus que d'autres, qui contribuent à la richesse, à l'emploi, à l'avenir de la France, à l'innovation et qui se dévouent au service des autres. Il y a, ici ou là, des hommes et des femmes qui n'ont peut-être pas compris toute la portée du texte et qui continuent, notamment s'agissant de l'article 5, à exprimer des doutes. François Grosdidier, qui m'a précédé à la tribune, a parlé de « principe de préoccupation ». Il s'agissait sans doute d'un lapsus, mais pour ces personnes, en effet, la Charte de l'environnement est une préoccupation. Malgré tous les efforts que vous avez déployés, messieurs les ministres, madame, monsieur les rapporteurs, et que vous entendez poursuivre, il faudra, à travers nos débats, leur parler, dépasser la simple discussion d'un texte, fût-il constitutionnel, pour continuer à expliquer, à rassurer. Nous devrons essayer de montrer à chacun de ceux qui, dans leur usine, dans leur laboratoire ou dans leur mairie, peuvent encore en douter, que ce texte a une valeur universelle et exemplaire. À cet égard, je regrette que les ministres de l'industrie, de la recherche, de la santé, de l'agriculture n'aient pas encore aujourd'hui - demain peut-être ? - retroussé leurs manches pour les rassurer. Je voudrais que nos débats, même s'ils ne passionnent pas la France ce soir, même si nous ne sommes pas suffisamment nombreux pour les faire connaître à l'extérieur, ne consistent pas seulement à amender un texte pas comme les autres. Nos rapporteurs ont essayé d'apporter les ajustements susceptibles de donner à certains de nos collègues les assurances qu'ils souhaitaient. Je voudrais que nos paroles puissent porter au-delà de cet hémicycle. C'est le souci qui doit nous animer, ce soir à l'Assemblée, demain au Sénat, et tout au long de la procédure qui donnera au texte sa valeur constitutionnelle. Voilà le vœu que je forme pour que le débat de ce soir soit plus qu'une simple discussion parlementaire sur un texte comme les autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. La parole est à Mme Marcelle Ramonet. Mme Marcelle Ramonet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il est des instants de la vie parlementaire où l'édification de la norme juridique ou du socle constitutionnel retentit au-delà des frontières nationales, tant elle est porteuse d'un message universel. Le Président de la République a souhaité conférer à la protection de l'environnement un intérêt supérieur s'imposant aux lois ordinaires. L'inscription des principes de sauvegarde de notre environnement au même niveau que les droits de l'homme et du citoyen de 1789 ou que les droits économiques et sociaux du préambule de la Constitution de 1946 est un acte si fort qu'il a conduit les différentes communautés, juridique, scientifique, économique, comme la représentation nationale, à s'interroger sur les contours de ce droit, notamment sur son aspect le plus exigeant : le principe de précaution. La problématique du développement durable comme nouvel enjeu planétaire, depuis la conférence de Rio en 1992, et surtout depuis le Sommet de la Terre de Johannesburg en 2002, s'est imposée à tous. La France en a fait une constante dans l'ensemble de ses politiques publiques, affirmant l'environnement comme un bien commun et une valeur intemporelle à protéger. Si 80 % de notre législation relative à l'environnement est aujourd'hui d'origine communautaire, la Charte s'imposera en Europe comme l'élément de référence dans la définition d'un nouvel équilibre entre les activités humaines et le droit des individus dans la préservation de leur environnement. C'est pourquoi sa rédaction doit poser le principe de précaution de façon pragmatique, dosant la réponse au risque, l'évaluation du danger, l'appréciation de l'acceptable. La notion de principe de précaution n'est pas nouvelle. Elle est apparue pour la première fois en Allemagne, à la fin des années soixante et a été consacrée par nombre de textes internationaux, comme la déclaration de Rio en juin 1992, ratifiée par la France le 20 juin 1994. Ce principe a été introduit dans le droit communautaire en février 1992, par le traité de Maastricht, qui fonde la politique environnementale européenne sur les principes de précaution et d'action préventive, de correction à la source des atteintes à l'environnement et de pollueur-payeur. Le principe de précaution est effectif en droit français depuis la loi Barnier de 1995. La question de la prévention et de la précaution a été posée : la première suffisait-elle ? Je ne le pense pas. Ces deux notions diffèrent par les circonstances tant d'application que d'approche. La prévention s'attache aux risques identifiés, s'appuyant sur l'expertise scientifique fiable. Tel n'est pas le cas pour la précaution. La gestion du risque suppose l'adoption de mesures provisoires et proportionnées relevant des autorités publiques dans le seul champ de leurs compétences. Dès lors, le principe de précaution ne pourra être invoqué à l'encontre des collectivités locales, pour des décisions qui relèvent de l'Etat. C'est une précision importante susceptible d'apaiser les inquiétudes des élus locaux. Le principe de précaution, à ne pas confondre avec la recherche du risque zéro, est un principe d'action. À cet égard, je ne crois pas qu'il nuise à la recherche scientifique. Les mesures provisoires et proportionnées visent à établir un juste équilibre entre prévention du danger et réparation des dommages en s'appuyant sur l'exigence et la rigueur des connaissances scientifiques. Les inquiétudes suscitées par ce texte sont, à mon sens, liées à des malentendus sur la portée du principe de précaution, que la réforme constitutionnelle viendra justement lever. Par ailleurs, je crois essentiel de corriger une autre méprise. Nous avons entendu certaines voix regretter que la Charte, parce qu'elle ne mentionne pas le principe légal de « pollueur-payeur », porte atteinte à celui-ci. M. Jean-Pierre Blazy. C'est une évidence ! Mme Marcelle Ramonet. Or l'article 4 n'abroge nullement ce principe, qui continuera à inspirer l'action des autorités publiques. Au contraire, la Charte instaure une responsabilité écologique qui va au-delà des seules atteintes aux biens et aux personnes physiques ou morales, en incluant les dommages infligés au milieu naturel. Le principe pollueur-payeur implique la restauration de l'environnement ; la responsabilité écologique couvre aussi les domaines où la contribution à la réparation est la seule réponse concrète. La démonstration prend son sens dans le domaine climatique, où il ne peut y avoir de restauration ou de réparation intégrale des dommages, mais plutôt une contribution à la réparation. Ce texte est fondamental pour notre société. Il est indispensable pour les générations futures envers lesquelles nous avons une responsabilité particulière. Chacun, en conscience, doit se poser la seule question qui vaille : « Qu'ai-je fait, en tant qu'individu, en tant que parlementaire, pour améliorer et préserver notre héritage planétaire commun ? ». (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. La parole est à M. François Dosé. M. François Dosé. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, qui, demain, après l'adoption de cette Charte de l'environnement, conjuguera avec une efficacité nouvelle, le progrès et la prudence, la performance et les solidarités intergénérationnelles, le risque et les précautions ? Qui, demain, sera hors-la-loi ? Qui, demain, n'osera plus ni l'innovation, ni la recherche, ni l'expérimentation ? Ce sont ces trois interrogations génériques et leurs déclinaisons sectorielles qui mêlent, me semble-t-il, nos espoirs et nos appréhensions. La reconnaissance d'un environnement de qualité comme droit constitutionnel, d'une part, l'inscription d'un principe de précaution dans notre Constitution, d'autre part, ne sont pas mécaniquement des avancées sociales ou politiques, mais elles nous invitent à assumer, avec détermination et sagesse, avec humilité et audace, une vision globale de la vie politique, et même, c'est mon intime conviction, de la vie tout simplement. Aussi, cette Charte, proclamation généreuse, trouvera sa crédibilité populaire, au niveau tant national qu'international, non pas dans l'incantation déclarative, mais dans des initiatives signifiant clairement notre volonté de l'esquisser dès aujourd'hui, de la mettre en œuvre rapidement. La diminution drastique du budget de la recherche -les crédits de l'ADEME, par exemple -, l'abandon du soutien aux transports collectifs en site propre, le fait de confier au marché la promotion des énergies renouvelables, d'esquiver la définition d'une politique de l'eau, nous obligent à vous demander, monsieur le ministre, de commencer par prouver votre attachement à la défense de l'environnement en y consacrant des crédits adaptés.
Pouvons-nous conjuguer performance et solidarité entre les générations, risque et précaution, progrès et prudence ? Ces questions sont souvent exprimées par des responsables politiques, économiques et sociaux, soucieux de ne pas resserrer les contraintes aux dépens de l'initiative et, in fine, de la réussite supposée. Mais, au fil des ans, nous constatons une autre approche. Respectons-la aussi ! Toutes générations confondues, une autre attente s'est fait jour qui recherche la solidarité générationnelle avant la performance, la précaution avant les risques, la prudence avant le progrès. Or, l'ordre des mots n'est pas un instrument de manipulation. Nous ne nions pas que cette tentation existe chez certains, mais là n'est pas l'essentiel. Non, l'inversion des mots témoigne bien d'une inversion des priorités... parfois même des valeurs ! Bien entendu, l'opinion publique, fût-elle largement majoritaire, n'a pas forcément raison - l'histoire en a tant de fois apporté la preuve ! - mais les décideurs, mêmes les plus avertis, n'ont pas nécessairement raison contre elle. Devons-nous préciser la notion de précaution afin que nos concitoyens lisent clairement « l'autorisé et le défendu » sans ouvrir davantage les espaces de judiciarisation ? Oui ! Car, contrairement à ce que prétendent certains, ce n'est pas la mise en œuvre de ce principe qui ouvre la voie à la judiciarisation de notre société mais l'absence de cadre défini pour sa mise en œuvre. Evidemment, cela nécessite une vision raisonnable et un texte précis dans ses définitions, rigoureux dans son encadrement et proportionné dans les réponses apportées aux risques potentiels. Cette Charte doit être un référent commun et citoyen. Nous devons, en cette circonstance, affirmer la primauté du bien commun sur les intérêts de court terme. C'est une formidable occasion de réhabiliter l'action politique. Ce pari, ce défi peuvent-ils être des atouts au profit des chercheurs, des scientifiques et des acteurs de l'économie ? Assurément oui ! Je n'ose croire qu'ici, dans cet hémicycle, aujourd'hui, nous puissions considérer les droits de l'homme ou les droits économiques et sociaux comme une entrave au développement. Certes, en fonction de nos sensibilités et de nos responsabilités, nous en confortons ou en limitons l'application mais ils sont devenus des éléments incontournables de notre vie en société. Mieux encore, valorisés avec compétence, ils sont devenus des instruments de réussite. Pourtant, leur reconnaissance ne fut pas aisée. La fin de l'esclavage comme le droit aux congés payés furent en leur temps fustigés comme une entrave au développement. Article 5 ou non, le droit à un environnement de qualité et le principe de précaution, nonobstant quelques difficultés d'appréciation et de mise en œuvre, doivent être non pas admis comme une tolérance mais assumés comme une chance : celle de la réconciliation des chercheurs, des scientifiques et des entreprises avec l'opinion. Il ne s'agit pas d'interdire mais de partager. Préférons la difficulté du doute à la facilité de la certitude. M. le président. Veuillez conclure, je vous prie. M. François Dosé. L'exigence de précaution n'est pas un acte de méfiance mais une invitation à la vigilance. Est-il déraisonnable d'en appeler à cette prudence lorsque certains envisagent d'enfouir, de manière irréversible, nos déchets radioactifs de haute intensité pendant des millénaires dans un centre souterrain ? Monsieur le ministre, monsieur et madame les rapporteurs, monsieur le président de la commission, ne conduisez pas ce débat d'excuses en renoncements, d'esquives en précautions oratoires. Depuis le début de notre débat, certains s'évertuent à expliquer ce que la Charte et la précaution ne seront pas. In fine ... M. le président. In fine... M. François Dosé. ... vous discréditeriez celui qui a eu l'initiative de ce texte, ce qui est votre problème, mais aussi, hélas ! une fois encore, le politique et les politiques, et cela, c'est notre problème. Assumons les objectifs, précisons les modalités de mise en œuvre, ... M. le président. Ne pouvez-vous terminer votre intervention d'une phrase quand le président le demande ? Vous avez déjà dépassé votre temps de parole de trois minutes ! M. Daniel Garrigue. A un propos sans cohérence, comment donner une conclusion ? M. François Dosé. ...apportons les nuances nécessaires, mais ne lâchez rien sur l'essentiel. Si tel est le cas, mes chers collègues, ce rendez-vous sera aussi le nôtre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) M. le président. Les groupes ont fixé des temps de parole. J'ai jusqu'à présent été très souple pour tous les orateurs. J'aimerais qu'après un premier rappel de la présidence, les orateurs aient l'amabilité et la correction d'aller directement à leur conclusion plutôt que de lire intégralement un texte qui n'entre pas dans le temps imparti. Les dépassements de temps des uns et des autres ne nous permettront pas d'entendre, comme il était prévu, la réponse du ministre aux orateurs puis l'intervention du président de la commission des lois et la motion de renvoi en commission défendue par M. Chassaigne, alors que ce dernier nous avait informés qu'il comptait faire des efforts pour rester dans un horaire acceptable. Cela étant dit, nous poursuivons la discussion générale. La parole est à M. Alain Marty. M. Alain Marty. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, le débat sur la Charte de l'environnement est l'occasion d'une réflexion sur les liens entre l'homme et la nature. S'il a pu être passionné, cela me semble normal car un tel sujet ne saurait se contenter d'un consensus mou. Le constat est partagé et préoccupant : réchauffement climatique dû à l'émission de gaz à effet de serre, perte de la biodiversité, exploitation excessive des ressources naturelles. Ce constat engage les générations à venir. Il faut donc une réponse politique forte. Je partage entièrement les avis exprimés à plusieurs reprises par le Président de la République et rappelé par plusieurs orateurs : notre maison brûle et nous regardons ailleurs ! Dans ce texte, le débat porte pour l'essentiel sur l'article 5, c'est-à-dire sur le principe de précaution d'application directe. Je vous livre à ce sujet quatre réflexions. Premièrement, il ne faudrait pas que nous soyons en retard sur les aspirations des Français. En quelques années, nos concitoyens ont pris conscience des enjeux environnementaux. Ils ont été aidés en cela par quelques catastrophes écologiques, comme les marées noires ou Tchernobyl, par une montée du « mal vivre » perceptible à l'augmentation des cancers et de certaines maladies, par la diminution de la fécondité, qui est aussi une évolution alarmante. Et la crise de l'ESB est venue à son tour assombrir le tableau. Pour toutes ces raisons, les Français portent plus d'intérêt aux liens existant entre l'homme et son environnement. Sans entrer dans un débat juridique, comme celui qui a lieu dans cet hémicycle, ils souhaitent que le principe de précaution s'applique, comme il s'applique déjà dans le domaine de la santé et de la sécurité alimentaire. Deuxièmement, le principe de précaution donne toute sa place à la responsabilité politique. Je rappelle que seules sont concernées les autorités publiques et cela fait peser sur elles un nouveau poids. Tous les créateurs de risques sont bien sûr concernés par ce principe. Mais il faut que cela se déroule dans un cadre public qui reconnaît toute sa place aux choix politiques qui sont à l'origine des initiatives et des arbitrages. Je ne crois pas que le principe de précaution soit un obstacle aux innovations technologiques et au progrès scientifique. Il ne concerne que les risques suspectés et exige des autorités publiques qu'elles procèdent aux recherches, aux expertises, aux consultations et aux régulations nécessaires. A mes yeux, la responsabilité politique est réaffirmée car c'est du politique que relève l'élaboration d'un cadre normatif. Il n'appartient ni aux experts ni aux magistrats de dicter ces mesures. Troisièmement, il faut réconcilier les Français avec la science. Dès lors que le risque sur l'environnement peut être expertisé, le principe de précaution, en permettant en toute transparence de choisir un risque consenti et de bien marquer les limites de l'inacceptable, peut y contribuer. II existe aujourd'hui une peur de la science et on assiste à une désaffection des étudiants pour les disciplines scientifiques. Cela peut être grave pour notre avenir. Lever les peurs va donc dans le bon sens et le principe de précaution y contribue. Quatrièmement, enfin, la France est porteuse d'un message singulier. En effet, avec ses départements d'Outre-Mer, et notamment la Guyane, elle a la chance d'héberger sur son territoire près de 80 % de la biodiversité mondiale, ce qui lui confère une responsabilité particulière. Membre de la commission des affaires économiques, j'ai essayé de me faire mon propre jugement sans entrer dans une analyse juridique. Je voterai sans aucune réserve la Charte de l'Environnement, car j'estime ce texte équilibré et nécessaire. La Charte contribuera à un meilleur équilibre entre l'homme et la nature, lequel équilibre repose sur deux paramètres : non seulement il faut agir sur notre milieu naturel et réduire les atteintes qui défigurent la planète, mais il faut aussi agir sur l'homme et faire évoluer ses comportements, notamment en matière de consommation, de déplacement et d'utilisation de l'énergie. Il est urgent d'agir en pensant aux générations futures. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. La parole est à M. Didier Quentin. M. Didier Quentin. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les débats que nous avons ces jours-ci feront date dans l'histoire de notre droit et de la prise de conscience collective du respect dû à l'environnement. M. Bernard Accoyer. Très bien ! M. Didier Quentin. Il s'agit en fait de concilier les exigences de l'économie, de l'évolution sociale, de la technologie, de la science avec celles de l'écologie, c'est-à-dire le respect du monde dans lequel nos enfants et descendants sont appelés à vivre. Ce projet de Charte de l'environnement suscite deux grandes séries de réserves auxquelles il nous faut être attentifs mais qui me paraissent assez contradictoires et parfaitement réfutables. Certains trouvent que ce texte, en retenant un principe de précaution a minima n'est pas assez ambitieux. Ils regrettent également que le principe « pollueur-payeur » ait été remplacé par une contribution à réparation, qu'ils jugent insuffisante. Pour d'autres, à l'inverse, la Charte va trop loin. Ils craignent qu'elle n'entraîne une multiplication des plaintes contre les élus et une paralysie de la recherche et de l'innovation. Certains sont allés jusqu'à oser dire qu'avec la Charte, Pasteur n'aurait pu mettre au point ses vaccins et qu'il aurait même été immédiatement traduit devant les tribunaux ! M. Martial Saddier, rapporteur pour avis. Il fallait en effet oser ! M. Didier Quentin. Aux sceptiques, il est aisé de répondre que l'article 1er constitue en soi une avancée très importante : il y est, en effet, affirmé que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé » et ce droit est institué comme un objectif fondamental de la Nation à égalité avec les autres droits fondamentaux. Certes, on peut prétendre qu'il s'agit d'une avancée purement symbolique mais l'affirmation d'un principe nouveau de valeur constitutionnelle ne saurait être tenue pour négligeable. L'affirmation des droits de l'homme revêt, après tout, aussi un caractère purement symbolique et nul ne peut dire qu'il s'est avéré inefficace ! Je suis convaincu que la Charte s'inscrira dans la lignée des grands textes fondateurs qui ponctuent notre histoire. Elle devrait même trouver sa place dans les salles de classe. Ne sous-estimons pas en effet son impact sur les jeunes générations, très sensibles au devenir de leur environnement. Nous sommes à quelques jours du Parlement des enfants, chaque année, de nombreuses propositions de loi préparées par des élèves de CM2 portent sur ces questions. Aux alarmistes qui dénoncent les dangers d'une «judiciarisation tous azimuts», je ferai observer que les contentieux sont déjà là. L'amendement de nos collègues Delattre et Pecresse redonnera la main au législateur et encadrera les juges. Alors, ne jouons pas à nous faire peur ! M. Bernard Accoyer. Très bien ! M. Didier Quentin. A ceux, enfin, qui estiment que ce texte freinera la recherche et l'innovation et qu'il a de ce point de vue des relents d'obscurantisme, il convient de signaler l'article 9 qui précise que « la recherche et l'innovation doivent apporter leur concours à la préservation de l'environnement et à sa mise en valeur ».
Le principe de précaution ne nuit donc pas à la recherche scientifique, à moins qu'on ne le confonde avec la revendication d'un risque zéro. En recommandant l'adoption de mesures « provisoires et proportionnées » visant à prévenir le danger sans attendre d'avoir levé toute « incertitude scientifique », le principe de précaution renvoie à l'évaluation du danger, ce qui implique un effort constant d'amélioration des connaissances scientifiques, et à l'investissement en recherche-développement pour élargir la palette des options technologiques et institutionnelles disponibles pour la prévention, l'adaptation et la réparation des risques. Un effort de recherche accru est ainsi nécessaire pour maîtriser, sinon réduire les incertitudes. On est donc loin d'un principe antiscience. Il est vrai, en revanche, qu'il y a dans le principe de précaution une interrogation utile au monde scientifique pour qu'il redéploie en partie ses efforts en direction de l'étude prospective des implications ultimes de la technologie. Cela exigera un renforcement des dispositifs interdisciplinaires entre sciences de l'univers, sciences du vivant, sciences de l'ingénieur et sciences humaines. A cet égard, il importe de souligner que la recherche en environnement n'échappe pas à la règle qui vaut pour toutes les disciplines scientifiques : elle ne peut progresser qu'à partir d'une recherche fondamentale de haut niveau. Le soutien public est donc primordial et toutes les disciplines sont concernées par la recherche en environnement. Une priorité devrait être donnée au développement des observatoires de l'environnement pour assurer une meilleure surveillance quantitative et qualitative des océans, des surfaces continentales, de l'atmosphère, des populations animales et végétales. Un important effort doit aussi être réalisé pour les industries de dépollution. La recherche sur les sources d'énergie alternatives ou complémentaires doit être renforcée, comme celle sur les technologies de traitement des déchets. Il importera également de soutenir davantage la recherche sur la faune et la flore, notamment dans nos départements et territoires d'outre-mer qui sont d'une diversité biologique exceptionnelle. Agir pour l'environnement suppose par conséquent un effort de recherche mieux réparti. Tout en renforçant la place déjà éminente de la France dans l'approche physico-chimique de l'environnement, un profond changement devrait s'opérer en sciences de la vie. Cet important changement ne peut se traduire dans la seule action du ministère de l'écologie et du développement durable. Les ministères de la recherche, des affaires étrangères et de l'outre-mer sont également concernés au premier chef. On le voit bien, cette charte n'est ni un texte d'affichage platonique, ni un texte régressif et obscurantiste, mais au contraire, un texte équilibré, incarnant une « logique de veille » s'inscrivant dans « notre volonté de nouer avec la nature un lien nouveau, un lien de respect et d'harmonie », comme l'avait dit le Président Jacques Chirac dans son discours de Johannesburg. M. le président. Il vous faut conclure, mon cher collègue. M. Didier Quentin. Une nouvelle fois, la France, fidèle à sa tradition, doit se montrer exemplaire, en étant l'une des premières à affirmer dans un texte constitutionnel le respect de l'écologie, une écologie humaniste et son universalisme. Alors, mes chers collègues, ne perdons pas de temps, tant il est vrai qu'en matière d'environnement, « exigence » rime avec « urgence ». Allons de l'avant en votant avec conviction cette Charte de l'environnement ! (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. La parole est à M. Jacques Myard. M. Jacques Myard. Monsieur le président, messieurs les ministres, la Charte de l'environnement qui nous est soumise pose et créera plus de problèmes qu'elle n'en résoudra. M. Jean Lassalle. C'est certain ! M. Jacques Myard. Qu'il me soit permis de vous faire part de quelques doutes réels sur cette initiative qui est certainement généreuse, porteuse d'avenir pour certains, mais aussi empreinte d'un certain romantisme qui sera sans doute générateur de quelques désillusions. Mes craintes sont doubles. Elles concernent d'abord la Constitution, monsieur le garde des sceaux, qui va être modifiée pour la douzième fois en douze ans, puis, les effets d'un texte qui va vous échapper à partir du moment où il sera inscrit dans la Constitution. M. Jean Lassalle. Tout à fait ! M. Jacques Myard. La Constitution est-elle devenue de la pâte à modeler, malléable à volonté au gré des circonstances, des modes et de la « bougeotte » de notre époque ? Certes, je ne vous en fais pas le procès, messieurs les ministres, mais est-il acceptable qu'en douze ans, nous ayons modifié douze fois le texte de notre loi fondamentale ? M. Jean-Pierre Blazy. Il faudrait même la changer ! M. Francis Delattre. C'est à cause de l'Europe ! M. Jacques Myard. Non, car s'il n'y avait que l'Europe, nous ne l'aurions pas modifiée douze fois ! Ce n'est pas raisonnable, au nom même de la valeur d'une Constitution qui doit revêtir un aspect sacré et auquel on ne doit toucher, comme le disait Portalis, que d'une main tremblante afin de ne pas porter atteinte à sa valeur suprême de référence et à sa valeur normative supérieure. Cela ne signifie pas qu'on ne puisse pas l'amender, mais alors pour y faire entrer des normes juridiques, peut-être nouvelles, mais bien réelles. Je parle de concepts juridiques. Or, c'est bien de ce point de vue que votre texte pose problème. L'environnement, monsieur le ministre de l'écologie, nous sommes tous pour, comme nous sommes tous pour la paix, mais permettez-moi de vous dire que ce n'est pas une explication du monde, loin s'en faut ! En réalité, vous voulez élever au rang constitutionnel des concepts qui relèvent de l'action politique, de l'objectif politique, comme cela a été dit notamment dans les traités européens. Mais ce sont des objectifs politiques... M. Jean Lassalle. Très bien ! M. Jacques Myard. ...qui, sous l'appellation de droits-créances, ont l'apparence de la norme juridique, un peu comme le jus de fruit peut avoir l'apparence du vin rouge, produit écologique s'il en est ! M. Jean Lassalle. Bravo ! M. Jacques Myard. Des textes politiques qui ont des effets réels, il en existe beaucoup. Ils sont même parfois plus contraignants que des textes juridiques, lesquels peuvent donner lieu à des contentieux. Le meilleur exemple en est l'Acte d'Helsinki, qui n'était pas un accord international, et qui a pourtant eu des effets politiques importants. L'expérience montre donc qu'il existe des textes politiques ayant une influence majeure sans qu'il soit nécessaire de leur donner une valeur juridique contraignante. C'est d'ailleurs une faute que de croire qu'un objectif politique parfaitement louable peut devenir une norme juridique constitutionnelle précise du simple fait qu'on l'inscrira dans la loi fondamentale. Ce concept risque de garder sa dynamique propre, c'est-à-dire politique, d'autant que la majeure partie de la Charte que vous nous proposez ne sera pas encadrée par la loi. Le fameux article 5 sur le principe de précaution, dont le garde des sceaux a précisé qu'il est d'application directe, en est l'illustration la plus patente. Et je tiens à dire à ceux qui trouvent bon d'ajouter à l'article 34 la notion d'environnement, que ce n'est en rien un garde-fou, car la Charte aura une valeur constitutionnelle autonome dont l'interprétation sera celle du juge et non celle du législateur. M. Jean Lassalle. Absolument ! M. Jacques Myard. J'observe au passage que ce fameux article 5 donne l'impression que les Français, comme le disait Sanguinetti, deviennent un peuple qui veut que plus rien de grave ne lui arrive et souhaite être bordé de partout ! Cet article 5 ressemble fort à une ligne Maginot de l'écologie : le risque zéro. M. Jean Lassalle. Très bien ! M. Jacques Myard. Voilà pourquoi, selon moi, la Charte aurait dû avoir une autre économie : il eût d'abord fallu introduire dans le préambule constitutionnel le concept de développement durable ; puis, nous aurions eu un texte de nature politique fixant des objectifs, et enfin, des normes législatives précises et bien définies. Ainsi, nous nous serions départis du doux impressionnisme du texte qui nous est soumis. Messieurs les ministres, au moment où l'action publique devient de plus en plus difficile, compliquée, contestée, entravée même par les saintes normes et les saintes procédures en tous genres, je crains fort aujourd'hui que vous n'ouvriez la boîte à surprises, la boîte de Pandore. Entre le principe de précaution - bien humain depuis le début du genre humain - et le principe de paralysie, il y a une dérive qui constitue le risque majeur d'un texte qui va vous échapper, car il n'est en rien une norme juridique ordinaire, mais un objectif politique, que j'approuve, mais qui ne relève pas de la Constitution et donnera lieu à toutes les polémiques, à toutes les interprétations, en fonction des modes et de l'humeur des juges. Vous instituez, que vous le vouliez ou non, le gouvernement des juges... M. Jean Lassalle. Quelle lucidité ! M. Jacques Myard. ...instrumentalisé par les lobbies en tout genre. C'est une autre forme de la fin de la démocratie ! M. Jean Lassalle. Très bien ! M. Jean-Pierre Blazy. Il a été impitoyable ! M. le président. La parole est à M. Christian Decocq. M. Christian Decocq. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour ma part, je soutiens cette charte et son principe de précaution sans aucune hésitation. M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Très bien ! M. Jean-Pierre Blazy. Voilà l'alternance ! M. Christian Decocq. C'est sans doute de mon expérience, je devrais dire « de mon aventure » de plus de trente ans consacrée à l'environnement, expérience professionnelle, associative, mais aussi et surtout politique, que je tire cette détermination. Et je voudrais, mes chers collègues, vous dire quels sentiments contrastés je conserve de cette expérience politique. Très sincèrement, pour moi, la Charte de l'environnement est un aboutissement de l'action continue de la majorité à laquelle j'appartiens, pour la prise en compte de l'environnement. S'agissant des principales décisions relatives à la protection de l'environnement, toutes les grandes lois, rappelées tout à l'heure par Guy Geoffroy, à commencer par celle, en 1964, relative au régime et à la répartition des eaux, ont été décidées à l'initiative de ma famille politique gaulliste, libérale et centriste. Je ferai une petite digression sur la loi de 1964 qui a fondé le principe pollueur-payeur. Certes, par les temps qui courent, ce principe semble pris à partie. Ne soyons pas trop ingrats avec celui-ci, car il nous a servi à équiper toutes nos collectivités locales du parc de stations d'épuration que nous connaissons aujourd'hui. Puis, en 1971, c'est la mise en place du premier ministère chargé de l'environnement qui sera dirigé par Robert Poujade, un gaulliste. M. Jean-Pierre Blazy. Il y en avait encore à l'époque ! M. Christian Decocq. En 1975, c'est la loi Jarrot, relative à l'élimination des déchets ; en 1995, la loi relative au renforcement de la protection de l'environnement, la loi Barnier ; enfin, en 2003, la loi relative à la prévention des risques technologiques et naturels et à la réparation des dommages, la loi Bachelot Pourtant, malgré ce bilan politique fort qui témoigne d'une vision réelle et d'une vraie conviction pour la défense de l'environnement, pendant toutes ces années, au cours de mes mandats, j'ai vu beaucoup de mes collègues, de mes amis politiques troublés et, pourquoi ne pas le dire, souvent hésitants lors des débats sur l'écologie. Pourquoi ? Parce que tous les discours intégristes ont entretenu la confusion entre croissance et pollution, comme si le prix à payer pour préserver l'environnement était la croissance zéro. Aujourd'hui encore, certains économistes, sociologues et universitaires plaident toujours - c'est leur droit - en faveur d'une philosophie de la décroissance. Le terme de « développement » serait antinomique avec celui de « durable ». Pour les tenants de cette décroissance, il faudrait revenir sur l'idée selon laquelle le développement est nécessairement un bienfait. Il ne pourrait y avoir de croissance infinie sur une planète aux ressources limitées. L'argument pourrait troubler et nous savons, depuis cette citation de Paul Valéry, que « le temps du monde fini a commencé... » En réalité, les problèmes que nous constatons aujourd'hui ne sont pas liés à la finalité de notre modèle économique qui vise à créer une croissance durable, mais à sa capacité encore trop partielle, c'est vrai, à intégrer l'environnement, ses limites et sa dynamique propre. Il y a dès lors deux conditions pour mettre en œuvre une politique volontariste de l'environnement : d'abord, une notion philosophique, sur laquelle nous nous accordons tous, selon laquelle il faut s'appuyer sur le concept humaniste de l'environnement, et non sur une approche écologiste radicale, la fameuse « deep ecology » des années soixante-dix, qui faisait de la nature un sujet de droit ; ensuite et surtout, la mise en place et le développement des outils d'analyse économique permettant de révéler la valeur du capital « environnement » et de mettre en jeu la théorie des coûts évités. C'est précisément ce que permettra l'application de l'article 5.
M. Jean-Pierre Blazy. C'est vrai ! M. Christian Decocq. ...un capital technique. On a coutume de dire que dans nos modèles économiques, les prix révèlent la valeur d'une ressource naturelle quand celle-ci a disparu. Ainsi, on ne connaît la valeur de l'eau qu'à partir du moment où il faut non plus la prélever, mais la fabriquer, ce qui coûte dix fois plus cher. Or de plus en plus d'économistes développent des techniques d'évaluation permettant justement de donner un prix, une valeur à ces ressources ou aux services rendus par l'environnement. Je vous renvoie aux travaux menés en France par Bonnieux, Point ou Zuindeau. Mais mieux encore, ces travaux sont de plus en plus pris en compte dans le débat et la prise de décision publique. J'en ai apporté la démonstration en commission des lois, en présentant l'exemple de la région Nord - Pas-de-Calais, où le rapport coût/avantage des opérations d'assainissement a convaincu les maîtres d'ouvrage d'engager la reconquête des eaux de baignade sur le littoral : 150 millions d'euros ont été investis en dix ans par les collectivités, tandis que la perte potentielle de chiffre d'affaire touristique - les économistes parlent de « coût évité » - est estimée entre 200 et 400 millions d'euros pour une seule année ! Il convient donc de maintenir le cap s'agissant de l'approche économique des coûts évités, mais également d'être en mesure d'associer de plus en plus le public aux processus d'évaluation, tant pour l'appréciation du risque que pour la connaissance des enjeux. Dans ces conditions, l'application du principe de précaution, prévue à l'article 5 et qui a donné lieu à de nombreux débats juridiques, ne conduit pas, à l'évidence, à l'abstention, mais bien à l'action. Il se traduit en effet par une obligation de recherche, permettant de mieux connaître le risque - sachant qu'il n'existe pas de risque zéro mais seulement des valeurs guides pour l'action publique - ; une obligation d'évaluation pour l'adoption de mesures provisoires et proportionnées - en ayant recours à l'analyse économique coût/avantages - ; et enfin à une obligation de transparence. J'en terminerai avec le point de vue juridique sur le principe de précaution, qui deviendra un principe constitutionnel d'application directe. Certes, la sémantique ne joue peut-être pas en faveur de ce principe : la précaution renvoie, dans le langage courant, à la prudence, mais aussi à l'inaction, l'immobilisme ou le repli. Nombre de nos collègues ont ainsi exprimé la crainte de voir ce principe instrumentalisé et mis en avant tel un épouvantail, conduisant à l'engorgement des tribunaux, l'immobilisation de tout projet, de toute activité, de tout progrès technologique. Mais c'est déjà le cas, comme Valérie Pecresse l'a rappelé tout à l'heure, en application de l'article 110-1 du code de l'environnement : le principe de précaution est aujourd'hui une référence largement utilisée, mais il est interprété de multiples manières, notamment dans une approche normative. Il est, de plus, souvent confondu avec la prévention et posé pour justifier l'abstention. Au contraire, les règles prévues par le projet de loi constitutionnelle permettent d'empêcher l'expansion perpétuelle du principe de précaution et de cadrer son application. En effet, sans définition ni cadre d'action, le recours à ce principe continuerait à se développer de manière incontrôlée, dans la mesure où il correspond à une demande sociale inspirée par l'aversion croissante à l'égard du risque et par le mythe du risque zéro. Mes chers collègues, démontrons, une fois de plus, notre capacité à innover. Assumons notre responsabilité dans les choix qui feront l'avenir. L'écrivain H. G. Wells soulignait dans son Esquisse de l'histoire universelle que « l'histoire humaine devient de plus en plus une course de vitesse entre l'éducation et la catastrophe ». Nous avons assurément l'obligation d'être vainqueurs de cette course. Que cette majorité soit fière d'elle-même et ose assumer le meilleur de ses racines : la capacité à voir plus loin, et avant les autres. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. La parole est à M. René André. M. René André. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, c'est à Avranches, au cœur de la baie du Mont-Saint-Michel, le 18 mars 2002, que le chef de l'État a rappelé aux Français à quel point l'environnement fait désormais partie des grandes exigences de notre temps. C'est là qu'il a souligné la complexité des liens qui unissent l'homme et la nature, évoquant notre dépendance, mais aussi notre responsabilité collective face à la dégradation rapide de notre environnement, et insisté sur la nécessité de mieux préserver, dans une logique de solidarité avec le futur, des ressources naturelles qui constituent notre patrimoine commun. C'est enfin dans cette même baie que M. le Président de la République a, très concrètement, proposé aux Français « d'inscrire le droit à l'environnement dans une charte adossée à la Constitution, aux côtés des droits de l'homme et des droits économiques et sociaux », afin que la protection de l'environnement devienne « un intérêt supérieur qui s'imposera aux lois ordinaires. » Il s'agit, n'en doutons pas, d'une initiative audacieuse et ambitieuse. Au-delà de l'investissement personnel d'un homme, nous sommes tous conscients, sur l'ensemble de ces bancs, que nous nous apprêtons à légiférer dans un domaine qui fait l'objet d'une attente incontestable de la part de l'ensemble de nos concitoyens. Nous savons également que nous ne devons pas tarder. Les menaces sur l'environnement sont devenues globales. Elles nous imposent d'agir pour préserver les équilibres nécessaires à la poursuite de notre développement économique et social. En effet, il ne s'agit pas seulement de léguer à nos enfants un patrimoine naturel préservé, mais de leur offrir un environnement qui leur permette aussi d'y trouver les conditions nécessaires à leur développement ainsi qu'à leur croissance économique. C'est tout l'enjeu du développement durable, et c'est cette prise de conscience, cette ambition que reflète le projet de loi constitutionnelle qui nous est soumis aujourd'hui. À cet égard, soyons tous bien convaincus qu'il s'agit d'un texte novateur, d'un texte fondateur et d'un texte équilibré. La Charte de l'environnement constitue en effet un tournant dans notre histoire constitutionnelle, puisque nous nous apprêtons à consacrer au plus haut niveau de la hiérarchie de nos normes un droit de l'homme à l'environnement qui complétera nos droits fondamentaux aux côtés des droits civils et politiques ainsi que des droits économiques et sociaux. Ces nouveaux droits, ces nouvelles exigences inscrits désormais dans notre bloc de constitutionnalité s'imposeront à toutes les juridictions et aux autorités publiques, qui devront ainsi garantir l'impératif écologique. Je ne m'étendrai pas sur le dispositif du projet de loi constitutionnelle, ni sur les différents considérants et articles de la charte, qui ont d'ailleurs été très largement abordés et présentés par nos collègues. Je voudrais simplement, à ce stade, souligner à quel point ce texte constitue une innovation. Innovation car il consacre, encore une fois, la valeur constitutionnelle du droit à l'environnement, et fait ainsi monter celui-ci au niveau des grands principes qui inspirent la législation. Innovation car il place les principes fondamentaux d'une écologie humaniste, dans le respect de notre tradition universaliste, au cœur de notre pacte républicain. Ce nouveau droit à l'environnement sera complété par des devoirs visant à le garantir, selon une philosophie plaçant l'homme au centre de la nature, tout en reconnaissant ses responsabilités à l'égard des générations futures. Au-delà d'une nouvelle norme juridique, le texte est donc ainsi un acte politique d'une grande portée symbolique, qui consacre une nouvelle valeur sociale. Innovation, enfin, car si de nombreux Etats ont déjà inscrit la protection de l'environnement dans leur loi fondamentale, notre pays est le seul à se doter d'un texte spécifique qui non seulement consacre un nouveau droit fondamental, le droit pour chacun de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé, mais accompagne la reconnaissance de ce droit de considérants explicatifs et justificatifs et de différentes dispositions à portée normative. Il nous permet ainsi de faire prévaloir notre vision de l'environnement plutôt que de subir, le cas échéant, une approche communautaire qui ne serait pas conforme à la nôtre. Comme tout texte novateur et fondateur, le projet de loi constitutionnelle n'a pas manqué - et ce n'est pas terminé - de susciter un certain nombre d'interrogations, voire d'inquiétudes. Nous les avons entendues ici ce soir : au centre de ces craintes se trouve l'article 5 de la charte, qui vise à constitutionnaliser le principe de précaution. Je me limiterai à rappeler que le champ d'application du principe de précaution est strictement circonscrit par la rédaction même de l'article 5. Les rapporteurs nous l'ont rappelé : l'article 5 ne concerne que l'environnement, et non pas la santé. Il ne concerne que les autorités publiques. Le dommage à l'environnement doit être grave et irréversible. Deux actions de bon sens doivent donc être mises en œuvre : évaluer les risques et prendre des mesures provisoires et proportionnées. Dès lors, plus qu'un frein à l'innovation et à la recherche, l'article 5 doit être compris comme un principe d'action qui invite précisément à poursuivre les recherches pour qu'en cas d'incertitude scientifique, on détermine la consistance du risque. Les critiques émises reposent donc bien souvent sur une confusion entre ce qui relève de la prévention - laquelle inspire déjà largement la réglementation - et ce qui relève de la précaution qui, concrètement, si l'on s'en tient à une lecture stricte et littérale, ne trouvera à s'appliquer que dans un nombre très limité de cas. Enfin, l'amendement présenté par la commission des lois, en particulier nos collègues Francis Delattre et Valérie Pecresse, visant à compléter l'article 34 de la Constitution pour ajouter explicitement au domaine de la loi la préservation de l'environnement, devrait permettre de lever les dernières inquiétudes quant à la trop grande liberté du juge sur les conditions d'application du principe de précaution. Cet amendement permettra en effet de préciser par la loi, le cas échéant, l'application de ce principe général, pour aider la jurisprudence dans son interprétation. En conclusion, il me semble, mes chers collègues, que nous sommes non seulement face à un texte équilibré, qui concilie l'impératif écologique avec les deux autres piliers du développement durable, le développement économique et le progrès social, ... M. Pascal Clément, président de la commission des lois. Très bien ! M. René André. ...mais aussi face à un projet pour l'avenir, un véritable projet de société, que je vous invite à voter sans aucune réserve. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Giran. M. Jean-Pierre Giran. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la contradiction entre les exigences du développement et celles de la protection de la nature constitue une préoccupation récurrente dans l'histoire de nos sociétés. Rappelons qu'au début du XIXe siècle, Malthus s'inquiétait déjà, pour les générations futures, des effets catastrophiques que pouvait engendrer selon lui une croissance de la population plus rapide que ne l'était celle des subsistances. Et pour préserver l'avenir, il n'envisageait qu'une seule solution : l'abstinence, sous toutes ses formes. Au milieu du XXe siècle, c'est le Club de Rome qui stigmatisait la frénésie de croissance, soulignant les risques d'épuisement des ressources naturelles qui pouvaient en résulter. Les tenants de la croissance zéro trouvaient là matière à arguments, même si, comme le notait déjà Alfred Sauvy, ce n'est pas en arrêtant le moteur que l'on peut le plus utilement choisir sa voie. En ce début de XXIe siècle, les risques sont devenus tels que le Président de la République a justement souhaité que le droit de l'homme à une nature préservée comme sa responsabilité de l'entretenir deviennent des principes constitutionnels. L'étape est capitale. Il ne s'agit plus, désormais, d'un simple problème économique ou matériel qu'il conviendrait de gérer avec efficacité, mais de l'inscription d'une écologie humaniste au cœur du pacte républicain. La dimension culturelle, philosophique, même, de la préservation de l'environnement est ainsi reconnue au plan constitutionnel, c'est-à-dire de façon impérieuse et durable. On ne peut que se féliciter de cette vision à long terme, dépourvue d'égoïsme, qui contraste singulièrement avec les habitudes corporatistes et les exigences conjoncturelles qui dictent trop souvent les décisions publiques et privées. Pourtant, dans la mesure où cette charte de l'environnement constituera demain, pour le législateur, une nouvelle référence et, pour les juridictions, quoi que l'on en dise, une base d'interprétation, il paraît indispensable d'en préciser encore le texte et peut-être la signification attachée à certains mots. Je ne prendrai que deux exemples.
Première interprétation, le devoir évoqué est conçu uniquement comme un devoir éthique. Dans ce cas, le devoir de préservation de l'environnement me paraît s'imposer dans tous les cas, dans la mesure où il est déterminant pour la manifestation de la liberté d'action d'autrui. En revanche, le devoir de contribuer à l'amélioration de l'environnement me paraît plus discutable. Je ne vois pas en effet à quel titre on pourrait ne pas laisser à une personne le choix du domaine auquel elle va consacrer sa vie, son énergie, et dans lequel elle va décider de faire le bien. Cela peut être l'amélioration de la condition des sans-abri, la lutte contre la faim dans le monde, l'intégration dans les cités et, bien sûr, l'amélioration de l'environnement, mais c'est à chacun d'en décider. Il y a une seconde interprétation, c'est que le devoir évoqué dans l'article 2 emporte des conséquences juridiques. La porte me paraît alors largement ouverte à de nombreuses procédures abusives, assises sur des fondements nécessairement subjectifs, car qui sera juge de l'amélioration de l'environnement ? À titre d'exemple, quand on s'extasie devant les magnifiques paysages de la Camargue ou des salins d'Hyères, comment oublier qu'il y a eu là, à un moment donné, intrusion de l'activité économique dans une nature vierge pour exploiter le sel ou cultiver le riz ? Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Absolument ! M. Jean-Pierre Giran. Au total, il m'aurait paru souhaitable que soit substituée à la formule « a le devoir » la formule « se doit », dont le caractère plus personnel et moins coercitif paraissait mieux adapté mais, monsieur le ministre de la justice, en précisant dans votre intervention que ce devoir n'était pas opposable à l'abstention d'une personne, vous avez largement répondu à notre inquiétude. Le second exemple, c'est bien entendu l'article 5 et le principe de précaution. Je crois que ce principe relève d'une nécessité de bon sens. Pourtant, il est utile de souligner de façon peut-être plus explicite qu'un autre principe essentiel doit être simultanément affirmé, je veux parler du principe du risque ou du principe d'innovation. La précaution est souhaitable si elle ne se confond pas avec la peur d'agir, ne conduit pas à l'immobilisme et n'alimente pas l'esprit de routine. N'oublions pas que toute la théorie de l'évolution économique est fondée sur l'aptitude à la prise de risques, qui, seule, féconde la véritable innovation, dont dépend le progrès économique et social. Il faut donc, je crois, confirmer que ce principe de précaution est essentiellement un principe de responsabilité, qu'en aucune façon il ne doit se traduire par un frein pour la recherche mais, bien au contraire, par une recherche plus approfondie où l'expérimentation et la transparence s'imposeront toujours davantage. En définitive, si le principe de précaution permet de réduire l'incertitude, il servira tout autant l'environnement que le progrès économique et social. S'il devait en revanche réduire la propension à la créativité, il desservirait sans aucun doute le développement, mais aussi, sans doute, l'environnement. En conclusion, l'adoption de la charte de l'environnement est essentielle pour montrer aux nouvelles générations et au monde que la France est toujours porteuse des grandes causes universelles, mais nous ne pourrons en être fiers que si, derrière la lettre et les mots, nous parvenons ensemble, dans nos commentaires, à bien en préserver l'esprit. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES M. le président. Aujourd'hui, à quinze heures, première séance publique : Questions au Gouvernement ; Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, n° 992, relatif à la Charte de l'environnement : Rapport, n° 1595, de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, Avis, n° 1593, de M. Martial Saddier, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. À vingt et une heures trente, deuxième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la première séance. La séance est levée. (La séance est levée, le mercredi 26 mai 2004, à une heure cinq.) Le Directeur du service du compte rendu intégral jean pinchot |