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Deuxième séance du mardi 1 juin 2004

236e séance de la session ordinaire 2003-2004



PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

    1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

PRISE D'OTAGES EN ARABIE SAOUDITE

M. le président. La parole est à M. Philippe Briand.

M. Philippe Briand.Monsieur le ministre des affaires étrangères, durant ce week-end l'Arabie saoudite a été victime d'une attaque terroriste. Une cinquantaine de personnes ont été prises en otage par un groupe islamiste dans la ville d'Al-Khobar. Cette attaque, revendiquée par Al-Qaeda, a été interrompue par l'intervention des forces de sécurité saoudiennes dimanche matin. Le bilan humain est lourd : vingt morts, dont neuf otages tués par leurs ravisseurs.

Les motifs d'inquiétude à la suite de cette nouvelle attaque sont multiples, d'autant que les diplomates présents dans le pays, notamment l'ambassadeur anglais, craignent de nouvelles actions terroristes.

Monsieur le ministre, alors que l'inquiétude et l'incertitude persistent en Arabie saoudite et dans la région du Golfe, pouvez-vous faire part à la représentation nationale de la situation dans cette région ? Par ailleurs, au moment où cette menace terroriste reste globale, pouvez-vous présenter la position de la France dans ce climat de très forte instabilité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères. Monsieur le député, vingt personnes, saoudiennes et étrangères, ont en effet été tuées ce week-end à Al-Khobar, ville pétrolière à l'est de l'Arabie saoudite, dans de nouveaux attentats. Je dis « nouveaux » car ce pays a connu d'autres attentats marqués par la même sauvagerie et la même violence durant les mois passés.

Le Président de la République et moi-même avons immédiatement fait part aux autorités saoudiennes de notre solidarité face à cette situation très préoccupante. Notre réaction est marquée à la fois par la détermination et par la vigilance.

Détermination à combattre les actes de terrorisme, d'où qu'ils viennent et où qu'ils frappent, puisque rien, nulle part, ne peut le justifier, ni hier à Casablanca ou à Madrid, ni aujourd'hui à Al-Khobar. Personne n'est à l'abri. Dans ce cas précis, nous serons naturellement aux côtés du royaume d'Arabie saoudite pour l'aider dans l'action qu'il conduit pour sa propre sécurité.

Détermination, mais aussi vigilance, en particulier pour protéger nos compatriotes : il y en a près de 4 000 en Arabie saoudite, qui se comportent avec beaucoup de sang-froid. Je me suis entretenu longuement au téléphone ce matin avec notre ambassadeur à Ryad qui est liaison permanente avec la communauté française, afin de prendre toutes les mesures nécessaires de protection et de prévention.

Depuis huit semaines, je rencontre beaucoup de Français qui vivent à l'étranger dans des pays où il y a des risques, pour eux-mêmes et pour leurs enfants. Ces Français sont extrêmement sensibles et touchés par les témoignages de solidarité et d'attention tels que ceux que leur donnent, le Sénat ou l'Assemblée nationale par votre question d'aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

PRIX DES CARBURANTS

M. le président. La parole est à M. Didier Migaud, pour le groupe socialiste.

M. Didier Migaud. Monsieur le Premier ministre, le prix du baril de pétrole a atteint le niveau, historiquement élevé, de 41 dollars. Malgré la faiblesse du dollar par rapport à l'euro, les prix des carburants sont revenus au niveau de l'année 2000. Les conséquences sont de plus en plus lourdement ressenties par les consommateurs dont l'amputation du pouvoir d'achat pèse et sur leur moral et sur la consommation.

Dans le même contexte, nous avions institué, en 2000, le mécanisme dit de la TIPP flottante, qui prévoyait une diminution des taxes, afin de préserver le consommateur en cas de forte augmentation des prix.

Une récente réunion du G7 a été quasi exclusivement consacrée au prix du pétrole, ce qui tend à prouver qu'il est unanimement considéré comme excessif. C'est une situation durable puisque cela fait quatre mois que le prix du baril de pétrole se situe au-delà des 30 dollars.

Pourquoi une telle inertie de votre part, monsieur le Premier ministre ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Pourquoi tergiverser aujourd'hui, alors qu'il y a quelques semaines le gouvernement Raffarin II prenait justement quelques engagements sur la remise en place d'un dispositif de la TIPP flottante ?

Pour justifier votre inertie vous dites que la France aurait été condamnée pour ce dispositif.

M. Jean-Marc Roubaud. La question !

M. Didier Migaud. D'abord, c'est faux. S'il y a eu une condamnation, c'est celle du gouvernement Raffarin, par le Conseil d'État qui avait alors supprimé illégalement le dispositif de la TIPP flottante. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Le ministre du budget nous dit que cette mesure serait trop coûteuse. C'est incompréhensible puisque ce sont des recettes que vous n'aviez pas prévues dans votre projet de budget pour l'année 2004, puisque toutes vos hypothèses de recettes se fondaient sur un prix du baril de pétrole à 25 dollars et non pas à 40 !

M. Jean-Marc Roubaud. La question !

M. Didier Migaud. Certes, l'État en tire aujourd'hui les bénéfices...

M. le président. Monsieur Migaud !

M. Didier Migaud. Ma question est donc très simple, monsieur le Premier ministre (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et vous devriez pouvoir y répondre par oui ou par non. (Mêmes mouvements.)

Estimez-vous que le prix du pétrole, et donc celui des carburants, est trop élevé ? Si oui, quand allez-vous en tirer les conséquences en proposant un nouveau dispositif de plafonnement des taxes et par là même tenir les promesses du gouvernement Raffarin ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

A ces questions précises...

M. le président. Merci, monsieur Migaud !

M. Didier Migaud. ...les Français attendent des réponses simples et non pas polémiques et politiciennes. (Claquements de pupitres sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Merci, monsieur Migaud !

M. Didier Migaud. Les Français s'impatientent. Ils ne souhaitent plus que vous bottiez en touche. Ils attendent de vous des réponses concrètes. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Le temps de parole est le même pour tous, que l'on soit d'un côté ou de l'autre de l'hémicycle.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat au budget et à la réforme budgétaire.

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat au budget et à la réforme budgétaire. Monsieur Migaud, vous avez raison, les cours du pétrole augmentent et les prix à la pompe aussi - plus cinq centimes environ depuis un mois pour le sans plomb, plus trois centimes, pour le gazole - même si les situations diffèrent selon les stations, les réseaux et le carburant que l'on choisit.

Mais votre invention de professeur Tournesol qui s'appelait la TIPP flottante (Protestations sur les bancs du groupe socialiste) ne nous semble pas pour autant devoir être retenue !

À l'époque, vous aviez été non pas condamnés, mais absolument désavoués par l'ensemble de nos partenaires européens. (« C'est faux ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Ce que nous souhaitons faire aujourd'hui c'est prendre des initiatives économiques communes. («Lesquelles ? » sur les bancs du groupe socialiste.) Par exemple, ce soir, Nicolas Sarkozy rencontrera l'ensemble des ministres des finances européens (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste) et il sera question du prix du pétrole.

La TIPP flottante n'a pas marché. Elle ne peut en effet marcher que s'il y a cohérence de prix. Or, monsieur Migaud, je vous l'ai déjà dit mais apparemment vous ne souhaitez pas l'entendre : le prix bouge tous les jours. Il était en baisse à New York à la fin de la semaine mais, après les attentats auxquels vient de faire allusion le ministre des affaires étrangères, il est de nouveau en augmentation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Nous ne souhaitons pas prendre cette mesure. Nous ne la prendrons pas.

M. Augustin Bonrepaux. Qu'allez-vous faire ?

M. le secrétaire d'Etat au budget et à la réforme budgétaire. Nous menons, comme le souhaite l'ensemble des députés de la majorité, une politique cohérente en faveur de la consommation. Aujourd'hui, par exemple, la mesure annoncée qui permet aux familles de donner jusqu'à 20 000 euros à un enfant, a été mise en place. Nous développons la consommation, nous développons l'investissement. Nous présenterons aussi, avant la fin du mois de juin, un projet de texte fiscal qui comportera des mesures, que le Premier ministre a arbitrées, en faveur de la consommation et de l'investissement. Mais votre affaire de TIPP flottante, votre invention « tournesolesque », nous n'en voulons pas ! Elle est inutile et les Français ne la souhaitent pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

LUTTE CONTRE L'ANTISÉMITISME

M. le président. La parole est à M. Pierre-Christophe Baguet, pour le groupe UDF.

M. Pierre-Christophe Baguet. Monsieur le Premier ministre, ce dimanche, en fin d'après-midi, le fils du rabbin de Boulogne-Billancourt a été sauvagement agressé par six voyous. C'est un acte antisémite caractérisé, les insultes ciblées ayant précédé les coups. Cette agression survient quelques semaines seulement après celle d'un autre jeune garçon, à la patinoire et après celle d'un professeur à la sortie de l'école Maimonide. Le ministre de l'intérieur, Nicolas Sarkozy, s'était à l'époque rendu dans cet établissement scolaire.

Alors qu'il n'existe aucun conflit de communauté dans la ville, la communauté juive de Boulogne-Billancourt est de plus en plus inquiète et au-delà, tous les juifs de France. Monsieur le Premier ministre, vous avez donné des instructions, mais la communauté visée et l'ensemble de nos concitoyens attendent des réponses et des actes.

La médiatisation de ces agressions intolérables qui se succèdent, semaine après semaine, est une nécessité car elle doit aboutir à une prise de conscience. Mais ce qu'il faut d'urgence c'est procéder à l'arrestation et à la condamnation de ces voyous.

Quels moyens entendez-vous donner à la police et à la justice pour faire respecter la loi qui doit s'appliquer à tous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l'intérieur.

M. Jean-François Copé, ministre délégué à l'intérieur, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, Dominique de Villepin actuellement retenu au Sénat, a adressé dès hier un message à l'intention de la victime de cet acte antisémite ignoble ainsi qu'à sa famille, pour témoigner à la fois de l'indignation et de la colère du Gouvernement mais aussi de sa totale détermination à tout faire pour que les auteurs de cet acte indigne soient retrouvés et sanctionnés, comme la loi le prévoit.

Cela s'inscrit dans la démarche du Gouvernement qui, à l'initiative du Premier ministre, a constitué un comité interministériel très engagé sur tout ce qui touche à la lutte contre l'antisémitisme et le racisme.

Nous avons en effet assisté ces dernières années à une montée insupportable et inacceptable de ces actes et il nous faut donc dans ce domaine être tous pleinement mobilisés.

Ce comité s'intéresse bien sûr aux moyens légaux de les combattre, notamment à la loi Lellouche, mais aussi aux moyens budgétaires, car il faut s'engager dans une sécurisation de tous des lieux de cultes sensibles et mener un vrai grand travail de prévention et de sensibilisation.

Dans ce domaine, où la lâcheté et l'indignité n'ont ni limite, ni frontière, notre devoir est de lutter contre l'ignorance. La commémoration du débarquement du Normandie, par exemple, nous donne l'occasion d'exercer notre devoir de mémoire, notamment vis-à-vis des enfants de toutes sensibilités religieuses, de toutes origines. Tous les enfants de France doivent savoir qu'il y a soixante ans, des hommes et des femmes de bonne volonté se sont levés, toutes confessions réunies, pour lutter contre la barbarie au nom des valeurs de la République et de la démocratie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

CHIMIE FRANÇAISE

M. le président. La parole est à M. André Gerin, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. André Gerin. Ma question s'adresse à M. le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Cela fait vingt ans qu'on porte des coups à la chimie française : dénationalisation de Rhône-Poulenc, fusion de Rhône-Poulenc avec Hoechst, fusion de Totalfina avec Elf Aquitaine. La société Rhodia est menacée de liquidation. Le président de Total décide de disloquer la branche chimie. C'est à prendre ou à laisser.

Pourtant, il y a cinq ans M. Desmarest déclarait à la commission de la production et des échanges de l'Assemblée nationale : « Accepter de séparer les activités chimiques, c'est menacer l'indépendance du groupe. »

Aujourd'hui, il se sépare de la chimie et menace l'indépendance économique. Mensonge, intox ! Pour le président de la Total, la chimie sert de variable d'ajustement et ce malgré des profits records de 7,34 milliards en 2003. Cela s'appelle, selon moi, du « pétainisme industriel » ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Toutes les instances et le comité de groupe européen ont rejeté ce projet d'abandon industriel. Unanimes, les salariés, les ingénieurs et les cadres font des propositions, auxquelles ne répondent que le mépris et la matraque.

Le Gouvernement va-t-il s'opposer à ce projet d'abandon qui, rien qu'en France, menace 12 000 emplois directs et 50 000 emplois indirects ? Va-t-il exiger le retrait du projet du groupe Total,...

M. Maxime Gremetz. Mais non !

M. André Gerin. ...pour élaborer avec les salariés, en écoutant les ingénieurs et les cadres, une stratégie de reconquête de la chimie française ?

Ces deux questions sont essentielles : aujourd'hui, avec la boulimie de privatisations, un certain capitalisme industriel se meurt, ce qui menace l'indépendance nationale et met en cause la croissance. C'est la France des idéaux du Conseil nationale de résistance qui fout le camp ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur divers bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur divers bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l'industrie.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Monsieur le député, je tiens à rappeler, avant tout, que la chimie française est brillante ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Notre pays est le cinquième producteur et le troisième exportateur mondial dans ce secteur, qui représente 240 000 emplois et un chiffre d'affaires de 85 milliards d'euros.

M. Maxime Gremetz. Ça, on le sait !

M. le ministre délégué à l'industrie. Mais notre industrie chimique, souvent assez dispersée, et qui a parfois fait l'objet de regroupements hétéroclites, doit aujourd'hui faire face à la mondialisation. Ainsi, entre 2002 et 2003, les importations en provenance de l'Asie ont augmenté de 39 %. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Aujourd'hui, l'ennemi, c'est l'immobilisme. Il faut se spécialiser sur son métier. L'ère des grands combinats du Gosplan est terminée ! (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) L'industrie doit être spécialisée, pour pouvoir s'adapter avec souplesse au marché. C'est ce que fait Total,...

M. Patrick Braouezec. Entre le projet de Total et le Gosplan, il y a de la marge !

M. le ministre délégué à l'industrie. ...en constituant un groupe chimique qui emploie 20 000 personnes dans le monde, dont 12 000 en France, avec un chiffre d'affaires annuel de 5 milliards d'euros et un endettement pratiquement nul, et qui va se trouver dans une situation de concurrence beaucoup plus favorables que d'autres. Il faut redynamiser notre industrie chimique en la regroupant sur les spécialités de ses différents métiers. C'est ce que nous faisons.

Aujourd'hui se tiennent les deuxièmes rencontres parlementaires sur la chimie. Le Gouvernement a annoncé la constitution d'un groupe stratégique pour organiser ce secteur, qui est en état de faire face aux défis de la mondialisation. Ne soyez donc pas inquiet, monsieur Gerin : nous nous en occupons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Ce sont des mots !

M. André Gerin. On ne consulte pas les ingénieurs et les cadres ! C'est la pensée unique ! (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

HAUSSE DU PRIX DU PÉTROLE

M. le président. La parole est à M. Jacques Domergue, pour le groupe UMP.

M. Jacques Domergue. Ma question s'adresse à M. le ministre délégué à l'industrie.

Dès dimanche, au lendemain de l'attaque contre le complexe pétrolier d'Al-Khobar, les autorités de l'Arabie saoudite se sont efforcées de rassurer les marchés pétroliers et les principaux acteurs de l'extraction du pétrole. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) En effet, cet attentat a nourri les inquiétudes des marchés, et le cours du baril a de nouveau approché les 40 dollars. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Ces inquiétudes sont aussi ressenties en France, tant par nos concitoyens que par les industriels, (« Voilà ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) qui craignent de devoir supporter durablement un prix du pétrole élevé.

L'Organisation des pays exportateurs de pétrole, l'OPEP, qui se réunira la semaine prochaine à Beyrouth, s'attachera sans nul doute à rassurer les marchés.

Monsieur le ministre, quel sera, à terme, l'impact de cet acte terroriste sur la production et les exportations pétrolières ? Quelle est, par ailleurs, votre analyse de cette hausse du prix du pétrole et de sa durée ? Comment, enfin, limiter les conséquences de cette hausse pour nos industries et pour nos concitoyens ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l'industrie.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Monsieur le député, la crise du pétrole a des causes bien connues. (« La TIPP ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) C'est, d'abord, la très forte augmentation de la demande chinoise. C'est aussi celle de la demande américaine, les Etats-Unis, ayant entrepris d'accroître leurs stocks stratégiques. C'est également la spéculation internationale, dont le sommet d'Amsterdam - où le Gouvernement était représenté - a évalué l'impact à 8 à 10 dollars par baril.

Courageusement, l'Arabie saoudite a annoncé qu'elle allait augmenter sa production de deux millions de barils par jour. Peut-être y a-t-il une relation entre cette annonce et l'attentat terroriste commis dans ce pays. Nous avons le devoir d'affirmer notre solidarité avec l'Arabie saoudite, qui a le courage d'affronter ces difficultés et de tenter de dissuader la spéculation internationale, très vive.

L'instabilité de la situation au Proche-Orient ajoute, évidemment, à la spéculation. Nous devons, d'abord, nous féliciter de la politique du Président de la République (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), qui vise à la stabilisation du Proche-Orient. Nous devons aussi nous féliciter des choix faits par la France dans les années 1970 en faveur du nucléaire, qui nous ont permis de réduire d'un tiers, depuis cette époque, notre dépendance énergétique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Enfin, même si les effets sont équilibrés, la solidité de l'euro limite, dans les onze pays de la zone, l'impact du prix du baril, ce qui permet à la France de faire face à la situation actuelle. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous n'en espérons par moins qu'au sommet de l'OPEP, qui se tiendra dans deux jours à Beyrouth, seront annoncées des mesures propres à dissuader la spéculation.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Et vous, que faites-vous ?

M. le ministre délégué à l'industrie. En tout état de cause, si le prix du pétrole restait au niveau qu'il a atteint - niveau artificiel, je le répète, et résultant de la spéculation -, l'impact sur le taux de croissance ne dépasserait pas deux dixièmes de point. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

AVENIR DE L'AGRICULTURE FRANÇAISE

M. le président. La parole est à M. Pierre Méhaignerie, pour le groupe UMP.

M. Pierre Méhaignerie. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

On ne dira jamais assez l'effort prodigieux réalisé, au cours des quarante dernières années, par les agriculteurs français pour développer la productivité et la qualité de l'agriculture.

M. André Gerin. C'est pour cela qu'ils sont morts !

M. Pierre Méhaignerie. Les travaux de recherche en économie agricole indiquent que les deux tiers de ces efforts de productivité ont été redistribués vers les autres secteurs, et notamment vers les consommateurs.

M. Maxime Gremetz. Les grands paysans en ont eu leur part !

M. Pierre Méhaignerie. Aujourd'hui s'impose une nouvelle exigence : s'adapter au marché mondial - mais pas à n'importe quelles conditions !

La semaine dernière, vous avez, monsieur le ministre, apporté une réponse très concrète à la question qui vous était posée quant aux limites du mandat du commissaire européen Pascal Lamy.

Compte tenu des négociations menées ces derniers jours, pouvez-vous, d'abord, nous donner des précisions sur les concessions, apparemment unilatérales, faites en matière de restitution et d'accès au marché européen, et qui ne concernent pas les pays les moins développés ? Par ailleurs, après la mutation qu'a connue l'agriculture dans les années 1950 et celle qu'a nécessitée, dans les années 1960 , l'adaptation au marché européen, peut-on imaginer cette troisième mutation de l'agriculture - en Europe ou dans les pays moins développés - sans aucune protection extérieure ? (Approbations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Monsieur le ministre, face à ces enjeux considérables pour la France et pour les agriculteurs, un débat n'est-il pas nécessaire, tant au Parlement européen qu'au Parlement français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales.

M. Hervé Gaymard, ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales. Il est vrai que, depuis quarante ans, l'agriculture européenne - et particulièrement l'agriculture française - a relevé de nombreux défis liés à l'ouverture sur le monde.

Nous sommes actuellement engagés dans une négociation importante, dans le cadre à la fois de l'Organisation mondiale du commerce et des relations avec le MERCOSUR. Comme l'a déjà dit à plusieurs reprises François Loos, les propositions et les concessions unilatérales de la Commission européenne ne nous conviennent pas.

Dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce, la clause de la nation la plus favorisée favorise toujours les plus favorisés. Il faut donc des dispositifs spécifiques pour les pays les plus pauvres. Si la conclusion de ce cycle de négociations est de favoriser les grands pays agro-exportateurs, le monde entier aura manqué un rendez-vous majeur pour le développement des pays du Sud.

Les concessions doivent donc être équilibrées. Si l'Europe fait des concessions sur les restitutions à l'exportation, les Etats-Unis doivent démanteler leur système de marketing loans et de fausse aide alimentaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Les négociations avec le MERCOSUR, quant à elles, doivent avoir lieu après celles qui se déroulent dans le cadre de l'OMC pour favoriser les pays les plus pauvres. Les propositions de la Commission européenne ne vont pas dans le bon sens. Je me limiterai à reprendre l'exemple de l'éthanol, évoqué ici même, la semaine dernière, par M. Stéphane Demilly : la proposition de la Commission aurait pour effet de ruiner l'industrie européenne des biocarburants avant même qu'elle ait réellement commencé d'exister.

C'est pourquoi le Président de la République a rappelé, à Guadalajara, que cet accord devait être équilibré et que, « dans l'état actuel des choses, la réponse du MERCOSUR n'est pas à la hauteur des propositions qui ont été faites par la Commission européenne ».

Enfin, si nous ouvrons le commerce agricole, les mêmes devoirs doivent s'imposer à tous. L'Europe est l'espace où les normes sanitaires, environnementales et relatives au bien-être animal sont les plus élevées au monde. Allons-nous imposer ces contraintes à nos producteurs et importer des produits qui n'y satisfont pas ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ces questions non-tarifaires doivent être incluses dans le paquet qui fait l'objet des négociations.

Je suis, bien évidemment, disponible pour un débat parlementaire qui aurait lieu avant l'été sur ces sujets importants. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

INDÉPENDANCE DE RADIO FRANCE

M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg, pour le groupe socialiste. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Mes chers collègues, laissez s'exprimer l'orateur.

M. Arnaud Montebourg. Monsieur le Premier ministre, des événements d'une brutalité particulière se déroulent en ce moment même au sein du service public de Radio France, depuis l'arrivée de son nouveau président.

La situation est la suivante : votre ami personnel, M. Dominique Baudis, président du Conseil supérieur de l'audiovisuel, a fait nommer au poste de président de Radio France votre ami politique, M. Jean-Paul Cluzel - qui n'est autre, d'ailleurs, que le parrain de l'un des enfants de M. Juppé. (Vives protestations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ce président, dont vous conviendrez que le profil politique est taillé sur mesure, vient - et c'est là le plus grave - de déclencher une série de démissions forcées et de licenciements très brutaux et toutes sortes de mesures qui s'apparentent à du nettoyage politique et ont, d'ailleurs, été interprétées comme telles par les salariés du service public. (Vives exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Pierre Bouteiller et Jean-Luc Hees, grands dirigeants et créateurs, qui ont réussi brillamment dans leurs fonctions, ont été congédiés sans aucune raison, si ce n'est leur indépendance d'esprit. (Vives exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Le bouleversement est général, et la solidarité dans le service public est totale.

Depuis, nous avons appris que le remplaçant de M. Bouteiller serait précisément le directeur de l'Opéra de Bordeaux, ville dont M. Alain Juppé est le maire. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Après la reprise en main de la justice, voici la reprise en main des radios indépendantes du service public ! (Vives protestations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Un peu de silence, je vous prie !

M. Arnaud Montebourg. Ce retour aux méthodes grossières et liberticides de l'ORTF pompidolien serait-il le seul moyen que vous auriez inventé pour retrouver je ne sais quelle grâce du corps électoral ? (Protestations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Monsieur Montebourg, veuillez poser votre question.

M. Arnaud Montebourg. Expliquez-nous, monsieur le Premier ministre, comment vous allez garantir l'indépendance du service public en demandant à M. Cluzel de revenir sur des décisions gravement injustes ! (Huées et claquements de pupitres sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Mes chers collègues, veuillez vous calmer !

La parole est à M. le ministre de la culture et de la communication.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Monsieur Montebourg, vous voulez ériger l'invective en l'un des beaux-arts. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Mais vous devriez, par respect de la vérité, savoir de temps en temps sacrifier un peu de votre orgueil. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Le ton volontairement polémique et provocateur que vous utilisez travestit la réalité qui est pourtant simple. Je vais donc vous rappeler trois points : les valeurs que nous défendons, la règle de nomination des dirigeants de l'audiovisuel public et le rôle que le ministre de la culture et de la communication entend assumer.

Pour l'ensemble du gouvernement de Jean-Pierre Raffarin et dans tous les domaines de nos compétences, il y a deux valeurs fondamentales : la liberté et le respect du pluralisme. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Et nous n'acceptons aucune suspicion à ce sujet.

M. Bernard Roman. Personne ne vous croit !

M. le ministre de la culture et de la communication. Ensuite, vous devez à la vérité de rappeler à nos concitoyens que la nomination des dirigeants de l'audiovisuel ne relève pas de la compétence du Président de la République, du Premier ministre ou du Gouvernement. Depuis la loi de 1986, c'est le Conseil supérieur de l'audiovisuel qui assume cette responsabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Bernard Roman. Ce sont vos amis !

M. le ministre de la culture et de la communication. Le CSA vient de choisir un nouveau président pour Radio France. Vous auriez dû là encore, par souci de la vérité, rappeler que celui-ci était, depuis 1995, le président Radio France Internationale, qu'il a exercé cette responsabilité sans aucune contestation et qu'il a été élu dès le premier tour par le Conseil supérieur de l'audiovisuel. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Il lui appartient maintenant d'exercer ses responsabilités dans le choix des directeurs de cette immense maison.

Enfin, je ne suis pas le ministre de l'information ! Je suis le ministre de la culture et de la communication !

M. Christian Bataille. Vous n'êtes pas crédible !

M. le ministre de la culture et de la communication. J'entends, avec les crédits que la représentation nationale votera, doter Radio France de tous les moyens nécessaires, avec le seul souci des journalistes et des auditeurs. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

RÉFORME DE L'ASSURANCE MALADIE

M. le président. La parole est à M. Bernard Perrut, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Bernard Perrut. Ma question s'adresse à M. le ministre de la santé et de la protection sociale.

Monsieur le ministre, vous engagez la France dans une importante réforme afin de sauver notre héritage social le plus précieux : le système d'assurance maladie, menacé par d'importantes dérives. La nation tout entière est aujourd'hui concernée.

Nous apprécions votre détermination et celle de votre secrétaire d'État Xavier Bertrand. Nous souhaitons soutenir votre projet, non seulement en ce qui concerne les recettes, mais aussi et surtout les dépenses, l'offre de soins et la gouvernance de l'assurance maladie.

« C'est la réforme de la dernière chance » avez-vous écrit il y a quelques jours. Vous avez d'ores et déjà su créer le consensus autour d'un certain nombre de dispositions parce qu'elles sont justes et équitables. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. François Hollande. Et les manifs ?

M. Bernard Perrut. La responsabilisation de tous les acteurs est essentielle. Nous ne réussirons tous ensemble que grâce à la mobilisation des assurés sociaux...

M. François Hollande. Dans la rue !

M. Bernard Perrut....sur la question des dépenses de santé.

Vous avez appelé les Français à changer leur comportement.

M. François Hollande. Changez le vôtre !

M. Bernard Perrut. Ce matin même, monsieur le ministre, alors que vous étiez accueilli dans une caisse primaire d'assurance maladie, vous avez déclaré que les assurés en arrêt maladie abusif pourraient devoir rembourser leurs indemnités journalières. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Mais encore faut-il que vos services puissent les identifier.

En effet, le renforcement des contrôles pour réduire les éventuels abus est indispensable : seuls 0,5 % des arrêts pour courte durée sont contrôlés chaque année alors que 212 millions de journées ont été indemnisées en 2003, pour un montant de 5,2 milliards d'euros.

M. le président. Monsieur Perrut, je vous prie de poser votre question.

M. Bernard Perrut. Il ne s'agit pas de stigmatiser tel ou tel, car un grand nombre de nos concitoyens sont fort honnêtes et n'abusent pas de l'assurance maladie.

M. Maxime Gremetz. Ce sont les patrons qui abusent de l'assurance maladie !

M. Bernard Perrut. Il ne s'agit pas non plus de remettre en cause le dispositif des indemnités journalières. Mais nous voudrions savoir en quoi consistera le nouveau dispositif de contrôle. Quand sera-t-il opérationnel ? Comment le rendrez-vous plus efficace que le dispositif actuel ? Enfin, quelles économies en attendez-vous ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de la santé et de la protection sociale.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la santé et de la protection sociale. Monsieur Perrut, je tiens d'abord à souligner l'importance que représente pour le Gouvernement le système de l'arrêt maladie. Il permet de ne pas ajouter à l'injustice de la maladie celle de ne pas percevoir d'indemnités pour vivre ou faire vivre sa famille.

C'est un système généreux (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et parfait dans son principe, mais il faut mettre fin aux abus et réprimer les personnes malhonnêtes pour le sauvegarder. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) C'est une de mes priorités. Il y a aujourd'hui 212 millions de journées arrêtées par an alors que seuls 0,5 % d'entre elles font l'objet d'un contrôle. Le président de la Caisse nationale d'assurance maladie, M. Spaeth, a dit que les caisses connaissent bien, dans chaque département, les deux ou trois de médecins qui se sont spécialisés dans les arrêts maladie. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Il faut que nous disposions d'un outil juridique pour mieux les contrôler. C'est pourquoi je proposerai, dans le cadre de la réforme de l'assurance maladie, que nous puissions suspendre les prescriptions de ces médecins pour les arrêts maladie s'ils ne sont pas associés à un médecin-conseil.

En outre, s'agissant des salariés qui seraient en permanence en arrêt maladie sans qu'aucune affection ne soit indiquée dans leur dossier médical, il sera possible après examen de leur cas par une commission composée de médecins libéraux et d'un médecin-conseil, de leur demander de rembourser leurs indemnités journalières. C'est cela aussi la justice sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Enfin, s'agissant des chefs d'entreprise qui mettent parfois des salariés en arrêt longue durée plutôt que de les licencier, il faudra leur faire passer des messages pour les responsabiliser.

M. Maxime Gremetz. Et les exonérations de cotisations patronales, allez-vous en parler ?

M. le ministre de la santé et de la protection sociale. Je tiens à vous réaffirmer que nous sommes très attachés au système de l'arrêt maladie, mais nous ne voulons pas que certains salariés confondent RTT et arrêt maladie, ni certains patrons préretraites et arrêt maladie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Maxime Gremetz. Scandaleux !

SÉCURITÉ ROUTIÈRE

M. le président. La parole est à Jean-Louis Léonard, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire.

M. Jean-Louis Léonard. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement et des transports.

Monsieur le ministre, dans la nuit de samedi à dimanche, six jeunes gens sortent d'une discothèque... Quelques minutes plus tard, cinq d'entre eux vont trouver la mort dans un accident. C'est banal, mais cela fait tout de même cinq morts. C'était dans une ligne droite, sur une route à quatre voies sans problème. Seul le chauffeur en a réchappé. Les premières analyses montrent qu'il n'avait pas pris d'alcool mais qu'il était sous l'effet de stupéfiants. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.)

Il y a quelques semaines, j'ai eu la triste tâche d'annoncer à une mère de famille que sa fille venait de trouver la mort en moto. D'autres exemples pourraient être cités.

Monsieur le ministre, vous avez présidé la semaine dernière une table ronde intitulée « Moto et sécurité routière ». Une vingtaine d'experts vous ont fait de nombreuses propositions. L'usage de stupéfiants et les deux roues constituent les deux principales causes de mortalité chez les jeunes. Sachant que les mesures que vous avez prises avec l'ex-ministre de l'intérieur depuis deux ans ont permis d'économiser plus de 2 000 vies humaines par an, je vous demande, au nom de la représentation nationale, mais surtout au nom des parents que nous sommes, de nous préciser quelles sont les mesures que vous comptez appliquer pour dépister l'utilisation de stupéfiants au volant et, surtout, quelles sont les recommandations que vous retenez de cette table ronde concernant les deux roues. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Monsieur le député, les fins de semaine de l'Ascension et de la Pentecôte ont été très meurtrières, notamment pour les jeunes. Je vous rappelle que ceux-ci sont proportionnellement deux fois plus nombreux à avoir des accidents que les autres classes d'âge. Il faut donc s'attacher à réduire la mortalité juvénile. Mais les résultats que vous avez rappelés sont précaires et fragiles. Si nous relâchons notre effort, on peut craindre de retrouver les mauvais chiffres de 2001 et du premier semestre 2002.

Mon collègue Dominique de Villepin a envoyé une circulaire aux préfets leur enjoignant de procéder à davantage de contrôles sur les routes pour dépister l'alcoolémie et la prise de stupéfiants. Ces contrôles se sont souvent avérés positifs. Il y a donc un énorme effort à fournir. Le ministre de l'intérieur va bien entendu redoubler d'énergie pour instaurer une véritable dissuasion.

S'agissant des deux roues, la mesure essentielle entrera en vigueur le 1er juillet 2004, date à laquelle les nouveaux cyclomoteurs devront être immatriculés.

M. Jacques Godfrain. Très bien !

M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Cette mesure mettra fin au sentiment d'impunité que peut éprouver un conducteur de deux roues sur un engin non immatriculé et, de surcroît, rendu par le port du casque encore plus anonyme. Nous attendons beaucoup de cette mesure.

De plus, grâce à l'adoption de la proposition de loi de M. Richard Dell'Agnola, nous allons pouvoir opérer davantage de contrôles sur la présence de produits stupéfiants chez les conducteurs. J'espère que, la sagesse des conducteurs aidant, nous pourrons encore améliorer nos bons résultats.

Je remercie la représentation nationale d'être le relais auprès des automobilistes et des conducteurs de deux roues pour que cette sagesse vertueuse puisse se concrétiser et perdurer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

AIDE AU LOGEMENT

M. le président. La parole est à Mme Chantal Robin-Rodrigo, pour le groupe socialiste.

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Monsieur le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, il y a quelques semaines, à grands renforts de communication - presse écrite, parlée, télévision -, vous enfonciez des portes ouvertes (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) en annonçant aux locataires de bonne foi des organismes HLM que vous stoppiez immédiatement les procédures d'expulsion. Fausse information, puisque c'était déjà en pratique, heureusement d'ailleurs, depuis de très nombreuses années dans les organismes HLM. Jamais l'OPAC 65, dans lequel je siège avec mon ami Jean Glavany (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), n'a requis la force publique si le locataire défaillant est de bonne foi et s'engage au remboursement échelonné de sa dette.

Mais, selon la formule « il n'y a pas de mal à se faire du bien » (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), vous ne pouviez rester inactif après les campagnes de communication de MM Sarkozy et Douste-Blazy.

M. le président. Continuez madame, ça fait du bien ! (Sourires.)

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Il vous fallait à votre tour, monsieur le ministre, communiquer. Mais tant qu'à faire, autant le faire réellement.

Or vous avez volontairement menti par omission en n'annonçant pas aux Françaises et aux Français, particulièrement à ceux qui ont les revenus les modestes, que vous aviez décidé par un arrêté du 30 avril de modifier le calcul de l'aide au logement. Inutile de dire que ces modifications vont dans le sens d'une diminution substantielle de cette aide. Qui plus est, vous avez décidé de porter le seuil minimum de son versement de quinze à vingt-quatre euros par mois ! C'est scandaleux ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Des centaines de milliers de nos concitoyens sont concernés et subiront de plein fouet cette nouvelle franchise. Où sont la justice sociale et la cohésion sociale si vous demandez toujours plus d'efforts aux plus bas revenus ?

M. Bernard Accoyer. La question !

Mme Chantal Robin-Rodrigo. Lorsque le droit à l'aide au logement sera inférieur ou égal à vingt-quatre euros, il n'y aura en effet plus de versement. Comme, en plus, un euro supplémentaire serait demandé pour le forfait hospitalier, lequel a déjà augmenté de plus de 20 %, et qu'on nous annonce une franchise d'un euro par feuille de soins pour l'assurance maladie, trop c'est trop ! (« La question ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ma question est simple : allez-vous revenir sur cette décision particulièrement injuste et rétablir l'ancien mode de calcul des droits à l'aide personnalisée au logement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État au logement.

M. Marc-Philippe Daubresse, secrétaire d'État au logement. Madame la députée, comment pouvez-vous dire autant de mensonges en si peu de temps ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Il n'y a aucune contradiction entre la réduction des déficits publics - qui s'impose à tous, compte tenu du trou que vous avez creusé dans les années où vous avez été au pouvoir (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) - et la cohésion sociale.

Écoutez-moi, madame la députée ! Lorsqu'il s'est agi de soulager la détresse des chômeurs, d'aider les ménages surendettés et de rétablir l'allocation personnalisée au logement que vous aviez supprimée en 1998 pour les impayés de loyer, Jean-Louis Borloo a fait ce qu'il fallait pour qu'il soit donné priorité à la cohésion sociale.

M. François Lamy. Répondez à la question !

M. le secrétaire d'État au logement. Lorsqu'il s'agit de l'aide personnalisée au logement et des aides à la personne, il y a une réforme juste, c'est celle qui consiste à dire : à ressources et charges de famille équivalentes, aide équivalente.

Pour le reste, nous avons décidé une rallonge de 220 millions d'euros cette année pour 13 milliards d'euros de budget, ce qui concernera six millions de familles, avec effet rétroactif au 1er juillet 2003.

M. François Lamy. Répondez à la question !

M. le secrétaire d'État au logement. Les six millions de familles qui nous écoutent et qui vont toucher, madame Robin-Rodrigo, ce rattrapage de l'aide personnalisée au logement apprécieront votre démagogie à sa juste valeur. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

RÉFÉRENCE À L'HÉRITAGE CHRÉTIEN
DANS LA CONSTITUTION EUROPÉENNE

M. le président. La parole est à Mme Christine Boutin, pour le groupe UMP.

Mme Christine Boutin. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

Monsieur le Premier ministre, l'Italie, la Lithuanie, Malte, la Pologne, le Portugal, la Slovaquie, la République tchèque et la Grèce unissent leurs voix pour que l'héritage chrétien soit explicitement inscrit dans la Constitution européenne. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) La question est donc ouverte.

La référence historique à l'héritage chrétien est incontournable et indissociable de nos valeurs démocratiques et républicaines. Ne pas mentionner explicitement cet héritage représenterait une omission historique et culturelle flagrante. C'est se priver d'un dénominateur commun qui existe de fait et qui a généré aussi le modèle de la laïcité à la française auquel nous sommes tous très attachés. On peut également se référer au père fondateur de notre Communauté européenne, Robert Schuman, qui a dit : « Tous les pays européens ont été pétris par la civilisation chrétienne. C'est là l'âme de l'Europe qu'il faut faire revivre. »

Monsieur le Premier ministre, les inquiétudes de nos concitoyens face à l'élargissement de l'Union européenne sont réelles. Elles se conjuguent avec la nécessité pour les vingt-cinq pays de l'Europe de se fédérer autour de valeurs partagées.

M. Jean Glavany. La laïcité : quelle belle valeur à partager !

Mme Christine Boutin. Il faut absolument que les citoyens puissent s'approprier cette Constitution européenne par la référence à notre héritage culturel et spirituel à la fois national et transnational.

Se priver de la reconnaissance d'un tel ciment culturel peut fragiliser l'aboutissement du projet européen, et particulièrement si la nouvelle Constitution est soumise à référendum.

À la veille des élections européennes, votre réponse aura des conséquences sur la mobilisation des Français autour de l'Europe.

M. Jean Glavany. C'est vrai !

Mme Christine Boutin. Comment envisagez-vous de répondre à nos partenaires de l'Union européenne sur l'inscription de nos racines communes dans la future Constitution européenne ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Michel Barnier, ministre des affaires étrangères. Madame la députée, vous demandez que le projet de Constitution européenne, qui est en cours de discussion entre les chefs d'État et de Gouvernement soit corrigé par l'introduction d'une référence explicite à l'héritage chrétien qu'ont en effet en commun beaucoup de peuples européens, comme le disait si bien Robert Schuman, que vous avez cité.

La semaine dernière, à ce même micro, je répondais à une question de Jean-Louis Bianco,...

M. Bruno Le Roux. Confirmez votre réponse !

M. le ministre des affaires étrangères. ...qui me demandait exactement le contraire.

Mesdames, messieurs les députés, ce clivage entre vous, d'un côté ou de l'autre de cet hémicycle,...

M. Jean-Paul Charié. La question dépasse les clivages politiques !

M. le ministre des affaires étrangères. ...ce clivage, je le connais bien : il est exactement le même que celui qui existe entre les huit gouvernements que vous avez rappelés, madame la députée, et beaucoup des autres, parmi vingt-cinq. Ce sont là un clivage et un débat que j'ai vécus pendant les dix-huit mois où nous avons élaboré le projet de cette Constitution. Et c'est précisément, madame la députée, pour sortir de ce clivage, pour le dépasser par le haut, que nous avons finalement proposé un texte - que j'ai cité la semaine dernière - faisant référence aux « héritages culturels, religieux et humanistes » de l'Europe, dans lequel tous les peuples et tous les citoyens peuvent se retrouver.

M. Jean-Paul Charié. Cela suffit : c'est très bien !

M. le ministre des affaires étrangères. Madame la députée, je ne sais pas, franchement, comment se terminera le 18 juin - c'est une belle date -...

M. Jacques Myard. Ce sera Waterloo !

M. le ministre des affaires étrangères. ...la négociation sur ce point, comme sur quelques autres qui sont encore ouverts. Je ne peux pas préjuger de ce que sera cette conclusion. Mais ce que je peux dire en conscience, c'est que le texte que j'ai cité la semaine dernière et que je viens de rappeler est un texte juste et équilibré, dans lequel tous les citoyens, ici comme à l'extérieur de cet hémicycle, peuvent se retrouver, quelles que soient leurs croyances, leurs philosophies et leurs sensibilités. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire, du groupe Union pour la démocratie française et sur les bancs du groupe socialiste.)

TRACÉ DE L'AUTOROUTE A51

M. le président. La parole est à M. Daniel Spagnou, pour le groupe UMP.

M. Daniel Spagnou. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

En juillet dernier, monsieur le ministre, vous aviez redonné à la fois confiance et espoir à toute une région, à ses élus et ses acteurs socioprofessionnels, qui ont unanimement salué votre décision de relancer le projet autoroutier de l'A51 entre Sisteron et Grenoble, un projet validé en décembre par le comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire, avec en corollaire la réalisation du barreau autoroutier vers Digne-les-Bains, confirmant ainsi la volonté du Gouvernement de garantir une meilleure fluidité des déplacements nord-sud, en doublant le réseau de la vallée du Rhône, mais aussi et surtout votre volonté d'assurer la desserte de nos territoires des Alpes du Sud,...

M. Michel Bouvard. Très bien !

M. Daniel Spagnou. ...de les sortir de leur isolement et de favoriser leur développement.

Pourtant, il y a quelques jours, des voies partisanes émanant de l'institution régionale de Rhône-Alpes, présidée par M. Queyranne, des voix qui n'ont rien à voir avec l'intérêt national, voudraient nous jouer la mauvaise musique qu'avait interprétée en son temps Mme Voynet en enterrant ce projet de manière unilatérale.

Au moment où s'achève l'extraordinaire chantier du viaduc de Millau, qui démontre à lui seul combien une volonté politique ne s'arrête pas à la difficulté de la tâche, nos concitoyens et les élus alpins et provençaux souhaiteraient avoir des nouvelles rassurantes sur ce dossier. Nous vous l'avons tous répété, monsieur le ministre, sans cette artère, il n'est point de salut pour les Alpes du Sud, et ce serait, à moyen terme, leur asphyxie. Avouez que dans le paradis des grands espaces et de l'air pur, ce serait un comble !

Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire où en est l'état d'avancement de ce projet vital pour mon département et ma région ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer.

M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. Monsieur le député, le projet d'extension de l'autoroute A51, qui était bloqué depuis 1997, a fait l'objet de la part du Gouvernement d'études approfondies l'année dernière. J'ai pu aller dans les Hautes-Alpes et j'ai fait faire les deux tracés qui étaient toujours à l'étude et gelés depuis 1997. Cette autoroute est aussi importante pour soulager le cas échéant l'autoroute A7, pour structurer le sillon alpin et, enfin, pour aménager le territoire. C'est à la suite de cette visite que, en toute connaissance de cause, j'ai jugé prioritaire le tracé par l'est, c'est-à-dire par l'est de Gap,...

M. Patrick Ollier. Très bien !

M. le ministre de l'équipement, des transports, de l'aménagement du territoire, du tourisme et de la mer. ...pour desservir une région un peu enclavée, il faut le reconnaître, et qui n'en est pas moins une région économique qui mérite qu'on s'y attache.

Le CIADT du 18 décembre a confirmé ce choix. J'ai donc saisi la Commission nationale du débat public, qui, demain matin, va nous dire s'il doit y avoir débat public ou pas. En fonction de son avis, nous nous préparons le cas échéant au débat public. Et de toute façon, avant les questions de financement, monsieur le député, nous avons bien sûr à étudier tout le dossier préparatoire à la déclaration d'utilité publique. Vous le voyez, nous avons du travail juridique et technique devant nous. Je ne doute pas que lorsque ce travail sera fait, nous trouverons le tour de table pour ce beau projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize heures vingt.)

M. le président. La séance est reprise.

    2

CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT

Explications de vote et vote sur l'ensemble
d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président. L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement.

La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, madame la rapporteure de la commission des lois, monsieur le rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, mesdames, messieurs les députés, avant que n'intervienne le vote solennel sur ce texte, je ferai quelques très brèves observations.

Je rappellerai tout d'abord combien cette Charte est un objectif ambitieux. En effet, la Charte de l'environnement marque une troisième et nouvelle étape du pacte républicain. Elle consacre un engagement solennel proclamé par le peuple français dans la continuité des droits civils et politiques de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 et des principes économiques et sociaux du Préambule de la Constitution de 1946. La Charte est un engagement, comme nous l'avons souligné pendant le débat, en faveur d'une « écologie humaniste », c'est-à-dire qui scelle l'alliance de l'environnement, de la science et du progrès économique, et la proclamation conjointe de droits et de devoirs. Composante du bloc de constitutionnalité, la Charte est pour le législateur une nouvelle référence. Elle consacre la protection de l'environnement au plus haut niveau de notre hiérarchie des normes. Son respect est garanti par le Conseil constitutionnel et par les juridictions des deux ordres, administratif et judiciaire, qui pourront interpréter, à sa lumière et grâce aux précisions qu'elle apporte, les engagements internationaux en matière d'environnement auxquels la France est partie prenante. Enfin, la Charte concerne l'ensemble des sujets de droit personnes morales comme physiques, privées comme publiques.

Les travaux préparatoires commencés plusieurs mois auparavant furent particulièrement enrichissants comme en témoignent les rapports de M. Deflesselles, au nom de la délégation européenne, de Mme Kosciusko-Morizet, au nom de la commission des lois et de M. Saddier, au nom de la commission des affaires économiques. Les débats, d'une grande qualité, se sont déroulés dans un esprit particulièrement constructif. Des amendements de tous les groupes politiques présents dans l'hémicycle ont été adoptés. (Protestations sur quelques bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Néri. C'est faux !

M. le garde des sceaux. Des groupes présents dans l'hémicycle, ai-je précisé.

Le travail parlementaire a permis aussi d'améliorer la rédaction de la Charte et de préciser davantage ses conditions d'application. Il a notamment été clairement souligné la notion d'objectif à valeur constitutionnelle des différentes dispositions, hormis l'article 5. Ainsi, le législateur devra-t-il préciser la Charte. La Charte renforce le rôle du législateur. A l'article 1er, la nouvelle rédaction d' « un environnement respectueux de la santé » est plus adaptée et plus conforme au fait que cet article n'énonce pas un droit subjectif à caractère thérapeutique. Par ailleurs, l'article 3 de la Charte relatif à la prévention a fait l'objet d'une amélioration rédactionnelle qui en accroît également sa cohérence. Il a également été possible, grâce aux amendements, d'énoncer plus précisément la portée du principe de précaution en limitant son application par les autorités publiques dans le strict champ de leurs attributions respectives. La nouvelle rédaction de l'article 5 permet de souligner que l'obligation pesant sur les autorités publiques ne peut être conçue de manière absolue. Les débats sur l'article 4 ont montré que sa rédaction allait au-delà du principe pollueur-payeur en instituant une obligation ambitieuse de réparation, y compris pour le dommage à l'environnement. L'amendement qui complète l'article 34 de la Constitution permet de consacrer une compétence législative spécifique en matière d'environnement et ainsi de renforcer, comme le souhaitait l'Assemblée nationale, la cohérence du dispositif juridique dans ce domaine qui est au cœur des préoccupations des citoyens et des pouvoirs publics.

En conclusion, la Charte de l'environnement donnera un nouvel élan à la protection et à la mise en valeur de l'environnement pour mieux protéger nos concitoyens et permettra à la France de prendre l'initiative en faveur de l'écologie et du développement durable. (Applaudisse-ments sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à Mme la rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le ministre de l'écologie et du développement durable, mes chers collègues, c'est une chance pour notre assemblée et, bien sûr, pour votre rapporteure d'avoir travaillé sur un texte de cette importance, troisième étape de notre pacte républicain. Le projet de Charte avait été préparé en profondeur au sein de la commission présidée par le paléontologue Yves Coppens. La commission des lois, sous l'autorité du président Clément, a souhaité poursuivre dans le même esprit. La liste des personnes auditionnées est aussi particulièrement étoffée et diverse. Je souhaite, par ailleurs, remercier la commission des affaires économiques et son rapporteur Martial Saddier qui, dans son domaine de compétences, a également procédé à un travail d'audition très riche et très complet.

Les amendements adoptés précisent et enrichissent le texte de la Charte. A l'article 1er, les relations entre environnement et santé sont ainsi clarifiées. La Charte est bien une charte de l'environnement. La santé publique, dans sa dimension collective, est l'un des critères d'un environnement de qualité. L'article 5 de la Charte, après avoir été amendé, précise que c'est dans le cadre de leurs domaines d'attributions que les différentes autorités publiques seront appelées, le cas échéant, à adopter des mesures de précaution. L'amendement à l'article 34 de la Constitution, adopté à l'initiative de nos collègues Valérie Pecresse et Francis Delattre, complète la liste des matières relevant de la compétence du législateur. Il place le Parlement au centre du dispositif et permettra d'inaugurer un vaste mouvement juridique de remise en ordre du droit de l'environnement. Nous en serons tous ensemble les acteurs. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

M. Martial Saddier, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. A l'heure où nous nous apprêtons à adopter un texte qui permettra de compléter nos droits fondamentaux, je me réjouis du travail que nous avons mené dans cet hémicycle. Nous sommes ainsi parvenus à un texte équilibré et ambitieux. J'ai déjà eu l'occasion, lors de la discussion générale, de souligner l'esprit de coopération qui a animé la commission des lois et celle des affaires économiques, ainsi que le travail accompli avec les différents ministres : Dominique Perben, Roselyne Bachelot, enfin Serge Lepeltier.

La commission des affaires économiques a su remplir son rôle notamment grâce à son président Patrick Ollier, que je remercie. Plus de quarante personnes ont été auditionnées, appartenant notamment au monde des acteurs économiques, à la communauté scientifique ou au mouvement associatif. Notre objectif était simple : faire en sorte de lever les doutes et de répondre, par le débat parlementaire et les travaux des deux commissions, aux réserves exprimées par certains. La commission des affaires économiques et de l'environnement a été particulièrement attentive, de par son champ de compétences, aux préoccupations qui se sont exprimées sur ce texte. Plusieurs amendements ont été adoptés. Le premier, qui affirme le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, a permis de s'inscrire dans une perspective plus objective de nature à apaiser les craintes qu'avaient certains de voir proclamé, par le biais de l'article 1er de la Charte, un droit subjectif. Un deuxième amendement me semble, lui aussi, d'une importance capitale, puisqu'il prévoit que le principe de précaution devra être mis en œuvre par les autorités publiques dans le cadre de leurs domaines d'attributions. Enfin, un débat de fond riche a été conduit dans les commissions et dans l'hémicycle permettant de définir avec clarté ce qui relève des mesures de prévention, lorsque le risque est connu et identifié, et ce qui dépend du principe de précaution, lorsque le risque est incertain.

Le travail accompli avec ses avancées incontestables et les amendements adoptés - je pense, en particulier, à celui de Mme Pecresse et de M. Delattre - ont permis d'aboutir à un texte dont nous pouvons tous être fiers. C'est pourquoi je vous demande de l'adopter sans réserves. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. Monsieur Saddier, compte tenu de l'importance du texte, je vous ai donné la parole en tant que rapporteur pour avis, mais je souhaite que cela ne fasse pas jurisprudence et qu'on en reste à la règle prévue à l'article 56 du règlement : seul le rapporteur de la commission saisie au fond peut s'exprimer.

La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Pascal Clément, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République. Monsieur le président, à mon tour de dire que ce texte constitue sûrement l'un des événements les plus importants de la législature.

Légiférer sur l'incertain n'est pas aisé et ce texte a été d'un abord difficile, et j'en ai personnellement fait l'expérience, mais le travail que nous avons effectué en commun, dans nos groupes respectifs - au sein du groupe UMP, en tout cas -, nous a permis de parvenir à une solution rassurante et même satisfaisante pour tous ceux qui considèrent, à juste titre, que la protection de la planète est sûrement l'un des problèmes les plus importants de ce début de xxie siècle.

Ce qui faisait peur hier est désormais rassurant : tout le monde considère que, en cas de risque incertain, il convient, par simple prudence, afin d'éviter tout dommage, de prendre des mesures d'évaluation, et que rendre certain ce qui ne l'est pas constitue un magnifique encouragement pour la recherche et l'industrie. Loin d'être obscurantiste, comme on pourrait le croire par erreur en la lisant superficiellement, la Charte de l'environnement est au contraire un texte de progrès.

M. Jean Lassalle. C'est un grand malheur !

M. Pascal Clément, président de la commission des lois. La France a la chance d'avoir décidé de donner valeur constitutionnelle à cette Charte, ce qui lui confère un rayonnement juridique incontestable dans ce domaine. Plutôt que de nous voir imposer une directive ou une jurisprudence européenne, nous la créons, dans le droit fil de ce que nous avons toujours voulu être, nous, Français : un peuple qui rayonne par sa vision de l'avenir.

Dix, quinze ou vingt ans après la fin de chaque législature, un texte important reste dans les mémoires. Je prends le pari que le texte important de la législature en cours sera celui-là. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Lassalle. Hélas !

Explications de vote

M. le président. Avant de passer aux explications de vote sur l'ensemble du projet de loi constitutionnelle, je vais faire annoncer le scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Christophe Caresche, pour le groupe socialiste.

M. Christophe Caresche. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, la Charte de l'environnement n'est pas un texte comme les autres mais une réforme constitutionnelle qui revêt inévitablement une dimension symbolique, puisqu'il s'agit d'assurer l'avenir des générations futures, objectif qui nous rassemble largement. Un journal du soir nous invite encore aujourd'hui au consensus, et je tiens à dire que nous y sommes prêts.

Malgré ses imperfections, qui sont réelles, ce texte est nécessaire. Il l'est au regard de la dégradation de notre environnement, qui préoccupe légitimement nos concitoyens. Il l'est au regard du retard pris par la France en matière de politique d'environnement et en matière juridique, puisque de nombreux pays ont déjà intégré le droit à l'environnement dans leur Constitution.

La position du groupe socialiste est donc claire : nous souhaitions pouvoir voter ce texte. (Exclamations et sourires sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mais, à l'issue du débat, certaines de nos réserves subsistent. Elles tiennent, pour l'essentiel, à la démarche choisie : adosser une Charte à la Constitution. Ce choix singulier - la France est le seul pays à intégrer le droit à l'environnement selon cette méthode - nous paraît ressortir davantage d'une volonté d'affichage que de considérations juridiques.

La Charte de l'environnement semble constituer, en quelque sorte, la cession de rattrapage d'un pouvoir qui, jusqu'à présent, dans sa politique, a souverainement ignoré le droit à l'environnement. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Charles Cova. Et vous ! Vous avez été au pouvoir pendant quinze ans !

M. Christophe Caresche. Avec ce texte, le Président de la République cherche en fait à s'« acheter une conduite » en matière d'environnement, selon l'expression de mon collègue Giacobbi.

Le choix de l'adossement est en effet porteur de nombreuses ambiguïtés, de multiples confusions, nous l'avons constaté tout au long des débats. Il donnera, de surcroît, une très grande latitude d'interprétation au juge. Qui peut croire que celui-ci disposera de la compétence scientifique nécessaire et du temps requis pour comprendre la subtilité de nos intentions ? Un texte constitutionnel court, complété par une loi organique, donnant toute sa place au législateur, eût été préférable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

En définitive, la Charte de l'environnement nous apparaît incomplète et imprécise.

M. André Vallini. Très bien !

M. Christophe Caresche. Elle est d'abord incomplète. Pourquoi le principe pollueur-payeur, l'un des socles du droit de l'environnement, ne figure-t-il pas explicitement dans la Charte ?

M. Jean Glavany. Parce que Chirac ne veut pas !

M. Christophe Caresche. Le Président de la République lui-même s'est souvent référé à ce principe,...

M. Jean Glavany. Oui, mais il change tout le temps d'avis !

M. Christophe Caresche. ...notamment au Croisic, après la marée noire qui avait touché les côtes françaises, ou à Nantes, lors des premières Assises de la Charte de l'environnement. Malgré ses déclarations, le principe n'est pas cité dans la Charte. Est-ce par souci de ne pas effrayer ceux qui auraient à l'appliquer ?... En tout cas, les explications embarrassées qui nous ont été données à ce propos ne nous ont pas convaincus, même si nous avons enregistré l'ouverture d'esprit du président de la commission des lois.

La Charte est aussi imprécise. Nous ne sommes pas défavorables à la constitutionnalisation du principe de précaution, qui doit figurer dans la Charte, comme les autres principes du droit de l'environnement, du reste. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Philippe Briand. Pourquoi ne pas avoir légiféré vous-mêmes, alors ?

M. Christophe Caresche. Mais il convient de procéder à cette intégration en mesurant précisément ses conséquences juridiques. Nous ne saurions nous contenter d'approximation alors que ce principe sera d'application directe. Nous ne saurions laisser le juge seul face aux incertitudes qui subsistent sur ce point dans la Charte. Il faut entendre ce que dit une personnalité comme Philippe Kourilsky, directeur général de l'Institut Pasteur et coauteur d'un rapport sur le principe de précaution.

Nos débats ont été particulièrement révélateurs de l'incapacité du Gouvernement à répondre à ces doutes.

M. Michel Delebarre. Tout à fait !

M. Christophe Caresche. Quel sera le champ d'application de ce principe ? Nous ne le savons pas. Certains estiment que les dommages causés à la santé seraient concernés, d'autres ne le pensent pas.

Quelle sera la frontière entre le principe de prévention et le principe de précaution ?

M. Michel Voisin. Demandez à Mamère !

M. Christophe Caresche. Celle-ci nous a paru très floue et les explications très confuses.

M. Guy Geoffroy. C'est faux !

M. Christophe Caresche. Quel sera le statut de l'expertise indiquant l'existence d'une incertitude scientifique ? Le texte ne le définit absolument pas.

Sur ces questions, nous avons le sentiment d'une grande improvisation. C'est pourquoi nous faisons au Gouvernement une proposition simple, de nature à rassurer beaucoup d'entre nous, au-delà des bancs de la gauche : qu'il revienne devant le législateur avec un texte clair, prévoyant une procédure législative pour encadrer réellement ce principe.

M. Jean Glavany. Il faut tout recommencer !

M. Christophe Caresche. Tous les autres principes figurant dans la Charte sont renvoyés explicitement à la loi. Pourquoi le principe de précaution, peut-être le plus difficile à cerner de tous, aurait-il un statut différent ?

M. Michel Delebarre. Très bien !

M. Christophe Caresche. L'intégration du principe pollueur-payeur et l'encadrement législatif du principe de précaution, tels sont, mes chers collègues, les deux points sur lesquels nous attendons, dans la discussion parlementaire à peine ouverte, des améliorations concrètes pour voter cette Charte. Dans l'attente, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Michel Delebarre. Excellent !

M. le président. La parole est à M. François Sauvadet, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. François Sauvadet. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce débat a été utile et aussi, il faut bien le dire, complexe. M. le garde des sceaux et M. le ministre de l'écologie et du développement durable ont décrit l'ambition du texte : adosser la Charte à la Constitution pour indiquer, au plus haut niveau de la norme, la nécessité de participer à la protection de l'environnement, collectivement et individuellement.

Mais, au-delà, le débat a aussi révélé des inquiétudes et des incompréhensions qui n'ont pas toutes été levées, malgré l'énergie du président Clément, qui vient de rappeler combien il est difficile de légiférer sur l'incertain, notamment avec le fameux article 5, relatif au principe de précaution, dont l'application sera automatique - c'est ce qui pose question. Le risque de judiciarisation a d'ailleurs été évoqué sur tous les bancs : même si le principe de précaution est limité à l'environnement - certains ont regretté qu'il ne soit pas étendu à la santé humaine, dont les liens avec l'environnement, rappelés à l'article 1er, sont évidents -, il est à craindre que, à l'avenir, l'on ne s'en remettre au juge pour définir son contour.

Le problème a été illustré à de nombreuses reprises par un exemple auquel je souhaite vous rendre extrêmement attentifs : dans le domaine des biotechnologies, les OGM, considérés comme porteurs d'un risque aléatoire, seront directement concernés par le principe de précaution. Or qui, parmi nous, peut aujourd'hui prédire quelle incidence aura ce principe sur un pan de la recherche aussi essentiel non seulement pour l'avenir de l'agriculture, mais également pour celui de la protection de nos espaces ? Les avancées biotechnologiques permettent en effet de réduire les intrants utilisés dans les sols, nous en avons déjà parlé.

Par ailleurs, l'UDF estime, messieurs les ministres, que le débat sur le principe de précaution n'aurait pas été de même nature s'il s'était inscrit dans une approche européenne. Être allé au-delà de ce que prévoit en la matière le projet de Traité constitutionnel européen pourrait constituer un handicap, demain, dans un marché unique dont nous réclamons sans cesse - c'est l'enjeu du débat actuel sur l'Europe - l'harmonisation des règles. Je crains que la France ne se crée des difficultés futures en acceptant d'emblée une protection renforcée par rapport aux textes communautaires. L'absence de démarche partagée avec nos partenaires a probablement fortifié le sentiment, dans tous les groupes, que les contours de ce droit nouveau n'étaient pas définis clairement et qu'il comportait des risques, maintes fois mentionnés.

Évidemment, monsieur le président de la commission des lois, l'amendement à l'article 34 de la Constitution qui fait entrer la protection de l'environnement dans le champ de la loi, voté à l'unanimité, accorde une place au législateur, mais l'article 5 de la Charte en limite la portée.

Chacun est donc appelé à voter en conscience. Après avoir entendu des orateurs de tous les groupes, nous éprouvons un sentiment partagé, au sens littéral du terme : nous avons la volonté de participer à l'effort de protection de la terre qui sera léguée à nos enfants mais nous ressentons toujours un malaise face au risque de dérive environnementale. Il ne faudrait pas en arriver, mes chers collègues, au nom de la protection de l'environnement, à créer des sortes de « conservatoires », au détriment de l'activité équilibrée des hommes qui vivent sur les territoires. Chacun sait combien il est difficile de maintenir l'équilibre entre activité humaine, recherche, développement et respect du vivant.

S'il faut éclairer nos compatriotes sur les risques encourus, comme nous y invite la Charte, il faut aussi les éclairer sur ce que l'on encourrait si la recherche du risque zéro devenait la règle. Le risque zéro n'existe pas, affirmons-le haut et fort, mes chers collègues ; la recherche exige que l'on sache oser et prendre des risques.

C'est un chemin difficile que l'on nous demande d'emprunter, messieurs les ministres. Certains membres du groupe UDF - Jean Lassalle, Charles de Courson et d'autres - s'y refuseront, ils l'ont dit très clairement. Mais l'essentiel, pour nous, reste qu'il faut œuvrer à cette prise de conscience : l'environnement, comme la santé, est un bien précieux qu'il appartient à chacun de préserver, ce qui donne des droits et des devoirs. C'est dans cet état d'esprit qu'une majorité d'entre nous votera la Charte. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. Patrick Braouezec, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Patrick Braouezec. Monsieur le président, messieurs les ministres, chers collègues, cette Charte de l'environnement n'est effectivement pas un texte comme les autres : il s'agit d'adjoindre à la Constitution, aux côtés de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et du préambule de la Constitution de 1946, un troisième texte fondamental, qui proclame de nouveaux idéaux de la République.

Les députés communistes et républicains souscrivent sans réserve à cette idée. Le réchauffement climatique, la gravité du problème de l'eau au niveau planétaire ou la prolifération d'organismes transgéniques attestent de l'urgence à prendre en compte, au plus haut niveau, les questions d'environnement.

Nous considérons que s'impose une consécration constitutionnelle, qui manifeste la prise de conscience par notre peuple de l'importance des enjeux écologiques.

Cette Charte de l'environnement, aussi nécessaire soit-elle, nous laisse pourtant un certain nombre de regrets.

Nous attendions de la prise de conscience authentique des problèmes posés aujourd'hui par la dégradation de notre environnement un énoncé de principes d'action et des dispositifs juridiques nouveaux. Certes, la Charte le fait, mais nous aurions voulu qu'elle pose la question de la nature profondément destructrice de notre modèle économique et de ses conséquences sur notre environnement, ainsi que celle de la compatibilité du système capitaliste avec la nécessité de préserver, pour les générations futures, notre environnement.

Ce débat, nous ne l'avons pas eu. La Charte évacue simplement cet obstacle en se référant à la notion de « développement durable ». Elle ne précise d'ailleurs ni la signification de cette notion galvaudée, parce qu'utilisée un peu à toutes les sauces, ni les contours virtuels d'un modèle alternatif de développement.

Et si les considérants de cette Charte omettent toute évocation de l'épuisement progressif des ressources naturelles de la planète, c'est bien parce que vous refusez de dénoncer un système de développement qui organise le pillage des ressources de la planète.

Plus largement, nous sommes bien obligés de faire état de la contradiction, majeure à nos yeux, entre vos choix politiques, désastreux pour les hommes comme pour la nature, et votre profession de foi écologique, que vous nous demandez aujourd'hui d'approuver.

Pour en revenir au contenu même de la Charte, nous regrettons amèrement l'obstination de la majorité sur la question du principe de précaution. Autant les débats ont pu nous rassurer quant au principe de réparation, autant la rédaction floue et déséquilibrée de l'article 5 de la Charte nous déçoit et nous inquiète.

En effet, à aucun moment, elle ne fait référence aux bienfaits, pour l'homme comme pour son environnement, que peut entraîner le développement des sciences. La rédaction de cet article assimile la science à un risque. Nous ne pouvons pas l'accepter. Gardons bien à l'esprit tout ce que le progrès technique nous a apporté et imaginons tout ce qu'il nous apportera encore !

Surtout, nous sommes préoccupés parce que, cet article étant d'application directe, la justice aura toute latitude pour préciser ses modalités d'application. La Charte offrait l'occasion de préciser les modalités d'application du principe de précaution et donc de dissiper l'incertitude juridique actuelle. Force est de constater qu'elle ne donne, sur ce sujet, qu'un coup d'épée dans l'eau !

Équivoque et flou, cet article ne pourra qu'engendrer des contentieux multiples, des décisions de justice contradictoires et de l'insécurité juridique, qui naîtront de l'interprétation d'un texte constitutionnel tout simplement mal écrit.

C'est bien pourquoi il était impératif de renvoyer au législateur les modalités d'application de ce principe de précaution. Seule la représentation nationale a compétence et légitimité pour le faire.

Aussi, nous n'avons pas compris, et nous ne comprenons toujours pas, l'obstination du Gouvernement à rejeter une revendication émise, pourtant, par des représentants de tous les groupes de cette assemblée !

Mes chers collègues de la majorité, nous aurions aimé voter ce texte mais votre entêtement à vouloir déléguer à la seule justice l'application du principe de précaution, n'est pas, selon nous, acceptable.

Par conséquent, les députés communistes et républicains s'abstiendront sur cette Charte de l'environnement, avec un espoir : que vous acceptiez, en seconde lecture, de revenir sur cette rédaction de l'article 5, pour en adopter une plus équilibrée et plus claire. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à Mme Valérie Pecresse.

Mme Valérie Pecresse. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, le groupe UMP est heureux et fier d'être à l'initiative de ce moment historique où le droit de l'environnement va rejoindre les droits de l'homme les plus fondamentaux et être inscrit dans la Constitution.

Pour clarifier la position de notre groupe, je souhaite néanmoins revenir sur deux questions, celle du principe du pollueur-payeur et celle du principe de précaution.

S'agissant du premier, notre position est très claire : nous y sommes totalement favorables. Pour nous, toute personne qui pollue doit réparer intégralement le préjudice qu'il cause. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) C'est d'ailleurs le texte exact de l'article 4 de la Charte de l'environnement que nous allons voter aujourd'hui.

Ainsi le principe du pollueur-payeur est inscrit dans la Charte de l'environnement, contrairement à ce qu'ont prétendu certains orateurs avant moi. Mais l'expression elle-même n'y figure pas, comme l'ont remarqué mes collègues. (« Alors ? » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) En effet, elle est ambiguë et peut donc se révéler dangereuse. La commission Coppens elle-même a dénoncé cette ambiguïté et ce danger : pollueur-payeur peut aussi vouloir dire payeur-pollueur ; autrement dit : « si je paye, j'ai le droit de polluer » ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Selon nous, une telle interprétation serait source d'inégalités intolérables.

Cela dit, s'il apparaissait, à l'issue de la lecture au Sénat, et en deuxième lecture ici, que toute ambiguïté est levée, nous ne serions pas hostiles à l'inscription dans la Constitution de ce principe. Cela ne changerait, je le rappelle, rigoureusement rien ni au contenu ni au sens de la Charte de l'environnement, telle qu'il nous est proposé aujourd'hui de la voter, contrairement à ce qui a été dit à gauche de cet hémicycle.

S'agissant du principe de précaution, un certain nombre de choses doivent être dites. Nous voulons l'inscription dans la Charte d'un principe de sagesse mais qui ne soit pas contraire à l'idée de progrès, de recherche et à l'esprit d'initiative - des élus, des autorités publiques et des personnes privées.

C'est pourquoi la Charte de l'environnement donne une définition extrêmement claire, précise et encadrée du principe de précaution. D'abord, elle distingue très clairement la prévention, qui s'exerce sur les risques connus - article 4 - et la précaution, qui s'exerce sur les risques incertains en l'état des connaissances scientifiques, ce qui recouvre un champ très restreint, permettez-moi de le faire observer.

Sans revenir sur l'ensemble de cette définition, j'insiste sur le fait qu'elle est parfaitement cadrée. Et nous souhaitons lui donner un effet direct, pour qu'elle s'impose dès son adoption, à toutes les juridictions, et ce uniquement dans un souci de sécurité juridique. On a vu, en effet, ces dernières années, se développer de manière anarchique des contentieux fondés sur le principe de précaution, et donnant lieu à des jurisprudences incertaines. Les juges éprouvaient de grandes difficultés à appliquer un principe, issu des normes internationales et du code de l'environnement, qu'ils ne comprenaient pas parce qu'il était flou, complexe et mal encadré. Le principe que nous allons inscrire dans la Charte de l'environnement est tout le contraire et c'est pourquoi il doit s'imposer directement aux juridictions dès son adoption.

Par ailleurs, le groupe UMP a souhaité que la primauté du législateur en matière de politique environnementale soit reconnue dans la Charte. C'est pourquoi nous sommes arrivés à un vote de compromis sur un amendement modifiant l'article 34 de la Constitution. Proposé par notre collègue, Francis Delattre, il permet de mettre dans le champ de la loi l'ensemble de la politique environnementale, ce qui est fondamental puisque 90 % du code de l'environnement est aujourd'hui de nature réglementaire.

Pour toutes ces raisons, nous voterons la Charte de l'environnement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Vote sur l'ensemble

M. le président. Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

Je vais mettre aux voix l'ensemble du projet de loi constitutionnelle relatif à la Charte de l'environnement.

Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été couplés à cet effet.

Le scrutin est ouvert.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

              Nombre de votants 532

              Nombre de suffrages exprimés 338

              Majorité absolue 170

        Pour l'adoption 328

        Contre 10

L'Assemblée nationale a adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Je vais suspendre la séance quelques instants.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures quinze, sous la présidence de M. Rudy Salles.)

PRÉSIDENCE DE M. RUDY SALLES,

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

    3

ÉNERGIE

Explications de vote et vote sur l'ensemble d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi d'orientation sur l'énergie.

La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire.

M. Serge Poignant, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre délégué à l'industrie, mes chers collègues, notre assemblée a achevé jeudi dernier l'examen en première lecture du projet de loi d'orientation sur l'énergie. Je pense pouvoir dire, au terme de cet examen, qu'il a été substantiellement enrichi. De nombreux amendements, plus de 150, venant de tous les bancs, ont ainsi été acceptés sur plus de 1 000 déposés et discutés.

Votre rapporteur a personnellement présenté plus d'une cinquantaine d'amendements d'importance et il m'apparaît que le texte initial du Gouvernement a été enrichi tant qualitativement que quantitativement.

Tout d'abord, les interrogations pesant sur la portée juridique de certaines grandes dispositions contenues en annexe ont été dissipées, conformément au souhait unanime de la commission des affaires économiques, par l'intégration de ladite annexe dans le corps du texte, avec votre accord, monsieur le ministre.

De l'affirmation de l'option nucléaire ouverte à l'horizon 2020 au choix que nous faisons aujourd'hui de l'EPR, à la diversification du bouquet énergétique pour lutter contre l'effet de serre en passant par la maîtrise de l'énergie et l'instauration de certificats d'économie d'énergie, au développement de la recherche et à la sécurité du transport et du stockage de l'électricité, ce projet de loi affirme des priorités et fixe de grands objectifs.


En ce qui concerne les objectifs, le projet de loi a été complété dans le domaine de la promotion des énergies renouvelables dans le secteur des transports, avec la reprise des objectifs européens relatifs aux biocarburants. Des objectifs ambitieux ont également été fixés en matière de soutien aux énergies renouvelables thermiques.

Mais le projet de loi a également été enrichi du point de vue des instruments mis en place.

Tout d'abord, le crédit d'impôt pour l'acquisition d'équipements de production d'électricité ou de chaleur d'origine renouvelable et l'amélioration de l'efficacité énergétique a été considérablement renforcé, puisque son taux a été porté de 15 % à 40 % et son plafond doublé. La maîtrise de l'énergie dans les bâtiments est également mieux garantie, notamment par la création de certificats de performance énergétique.

Une programmation pluriannuelle des investissements de production directe de chaleur a été créée.

L'information annuelle du Parlement a été renforcée par la création d'un « jaune » budgétaire consacrée à la politique énergétique.

La recherche en matière énergétique a été davantage inscrite dans le moyen terme et mieux coordonnée par la création d'une stratégie nationale de la recherche énergétique.

Enfin, ce projet de loi a également été l'occasion d'adopter des dispositions de portée plus technique, s'agissant du gaz, de l'électricité ou de la production de chaleur, tant en matière d'urbanisme que pour la construction de bâtiments.

Restent, monsieur le ministre, quelques questions que la commission et vous-même se sont engagés à régler au cours de la navette.

Je souhaite remercier le Gouvernement, et en particulier le ministre délégué : son esprit d'ouverture a favorisé l'enrichissement du texte, auquel ont aussi contribué les amendements issus de la participation constructive de nos collègues, que je remercie également, à commencer par Patrick Ollier, président de notre commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, lequel a déjà souligné toute l'importance qu'il attachait à cette première loi d'orientation sur l'énergie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Explications de vote

M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Claude Gatignol, au nom du groupe de l'UMP.

M. Claude Gatignol. Mes chers collègues, après un long et riche débat en commission des affaires économiques, sous l'autorité du président Ollier et du rapporteur Serge Poignant, puis dans l'hémicycle, en votre présence participative, monsieur le ministre, le projet de loi d'orientation sur l'énergie, n° 1586, est soumis au vote de l'Assemblée nationale.

Ce texte, très attendu depuis plusieurs années, est particulièrement important pour les décennies prochaines : il précise l'orientation de la politique énergétique de la France, un domaine essentiel pour accompagner la croissance économique que nous souhaitons tous, au moment où l'espace européen devient une réalité et alors que les préoccupations environnementales se font de plus en plus exigeantes.

Ce projet de loi est l'aboutissement de la démarche démocratique exemplaire qui a été au cœur de l'action du Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin au cours de l'année 2003. Les déclarations du Gouvernement sur l'énergie suivies de débats, le 15 avril 2004 devant l'Assemblée nationale puis le 27 avril au Sénat, ont ensuite permis de définir les choix et les contraintes.

Il faut dire clairement aux Français quelles énergies sont disponibles, en quelle quantité, avec quelle qualité, quel est le coût de leur mise à disposition et quelles sont les conséquences de leurs utilisations. Oui, nous avons besoin de toutes les sources représentant, selon la formulation que nous avons retenue et adoptée à l'unanimité, le « bouquet énergétique ». La discussion n'a pas tourné uniquement autour du nucléaire, contrairement aux dires de ses détracteurs, mais la place incontournable de la filière nucléaire française a été confirmée avec réalisme et sagesse, de même que la complémentarité apportée par les énergies dites renouvelables, au premier rang desquelles se situe l'hydroélectricité, sans oublier les énergies fossiles - gaz et pétrole ici, charbon dans d'autres pays et même peut-être chez nous - qui, nous le savons, prennent encore pour longtemps une part irremplaçable.

Nous devons avoir à chaque instant la préoccupation de lutter contre l'effet de serre. Et dans ce domaine, la France est l'exemple à suivre.

Reste à résoudre la dérive inacceptable des charges de service de public de l'électricité, qui dépassent aujourd'hui 1,8 milliard d'euros. Le Gouvernement s'y est engagé.

La discussion a été large, comme en témoignent les nombreux amendements issus des bancs de la majorité comme de l'opposition - le rapporteur l'a souligné à l'instant. À cet égard, je tiens à souligner l'esprit d'ouverture de la commission et du Gouvernement qui a permis d'en retenir un grand nombre.

Ce débat sérieux et approfondi a enrichi et amélioré le texte initial et permettra peut-être la levée de la déclaration d'urgence.

Recomposé dans treize articles et quatre titres, le texte détermine les objectifs et les moyens d'une politique énergétique cohérente, soucieuse des générations futures.

Inscrite dans un contexte géopolitique international, cette politique vise à garantir la sécurité d'approvisionnement, à mieux préserver l'environnement, à assurer la compétitivité et à permettre l'accès de tous à l'énergie.

Dans le titre Ier sont déclinées les actions visant à maîtriser la demande d'énergie, dans l'objectif de réduire d'ici 2015 l'intensité énergétique finale. Le dispositif des certificats d'économie d'énergie y contribuera largement. Volontariste et novateur, il doit en particulier améliorer l'efficacité énergétique des bâtiments, qui représentent 40 % de la consommation et 25 % des émissions de gaz à effet de serre. Sont concernés par cette démarche les fournisseurs d'électricité, de gaz et de fioul domestique. Un décret fixera un objectif national périodique.

Le titre II détaille la diversification du bouquet énergétique. Le consensus a été large sur la nécessité de construire rapidement le premier réacteur européen à eau pressurisée, connu sous le nom d'EPR. Sans être une obligation, l'objectif de 21 % d'électricité consommée issue des énergies renouvelables, selon les termes de la directive européenne de 2001, a été rappelé par le rapporteur. Le gaz, énergie dont le bilan économique et environnemental est intéressant, devrait également jouer un rôle important dans les prochaines années.

L'article 8 prévoit des dispositions d'urbanisme destinées à faciliter l'isolation thermique et l'équipement en énergie renouvelable, en particulier dans le domaine de l'énergie solaire ou issue du bois.

Quant à l'information du consommateur, elle sera sensiblement augmentée et améliorée sur tous ces points.

D'autres dispositions ont été introduites pour faciliter le développement de l'hydroélectricité. Certes, elles le font de manière insuffisante, mais des réflexions sont en cours à l'occasion de l'élaboration du projet de loi sur l'eau, et le ministre s'est engagé à des simplifications de procédure qui se révèlent bien nécessaires.

Les installations éoliennes ont fait l'objet d'un intérêt évident. Suivant en cela la conclusion du rapport Besson, l'Assemblée a confié aux maires la responsabilité du permis de construire et prévu la nécessité d'un avis conforme de la commission des sites, ce qui est tout à fait logique, le président Ollier ayant rappelé l'importance de cette institution en matière d'environnement.

De même, les biocarburants ont bénéficié d'une attention spécifique avec la transposition de la directive européenne de mai 2003 visant à porter leur part à 5,75 % d'ici 2010. Un conseil des énergies renouvelable est créé pour en suivre l'évolution. Des mesures fiscales sont également décidées : crédits d'impôt, TVA réduite à 5,5 %, par exemple.

Il s'agit d'une loi d'orientation sur l'énergie et non d'une loi spécifiquement consacrée aux transports. Elle ne pouvait donc pas aller beaucoup plus loin dans ce domaine. L'industrie automobile doit cependant se sentir concernée par l'effort de recherche sur les motorisations, les carburants et les véhicules. À cet égard, je regrette qu'une véritable filière hydrogène n'ait pu être identifiée ni un pilote clairement déterminé, alors que le CEA, le CNRS, l'IFP, par exemple, et des sociétés telles que Air liquide et Helion travaillent beaucoup sur le sujet.

M. Maxime Gremetz. N'est-il pas censé parler pendant cinq minutes ? Cela commence à faire long !

M. Claude Gatignol. Le titre III concerne l'équilibre des réseaux de transport et de distribution d'électricité. Il s'agit d'assurer, dès sa conception et par un fonctionnement optimisé du réseau, une desserte de qualité permanente. À ce sujet, il faut souligner la qualité des travaux et des prestations réalisés par RTE, le gestionnaire du réseau français de transport d'électricité, dont nous savons que de nombreux pays recherchent le partenariat-conseil.

Créé par voie d'amendement, le titre IV regroupe de nouvelles dispositions telles que l'augmentation de 15 à 50 % du taux de crédit d'impôt pour la réalisation d'équipements d'énergie renouvelable ou d'actions en faveur de l'efficacité énergétique, ou la substitution du « Conseil supérieur de l'énergie » au « Conseil supérieur de l'électricité et du gaz ». (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. Veuillez conclure, monsieur Gatignol.

M. Claude Gatignol. Enfin, pour répondre à de nombreuses interventions allant dans le sens d'une meilleure information du Parlement, un document spécifique consacré à la politique énergétique sera publié, sous la forme d'un « jaune », au moment du débat sur la loi de finances.

Sur le texte complet, novateur et porteur d'une vision à long terme que vous nous proposez, monsieur le ministre, le groupe UMP émettra donc un vote favorable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir respecter vos temps de parole.

M. Maxime Gremetz. Oui, c'était bien long !

M. le président. Je vous en prie, monsieur Gremetz !

M. Maxime Gremetz. Moi, je le respecte toujours ! (Sourires.)

M. le président. Avant de donner la parole aux orateurs suivants, je vais d'ores et déjà faire annoncer le scrutin, de manière à permettre à nos collègues de regagner l'hémicycle.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

M. le président. La parole est à M. François Dosé.

M. François Dosé. Mes chers collègues, je commencerai par un commentaire sur le principe même de ce débat : de Pierre Mendès-France au président de Gaulle, de Pompidou à Mitterrand - sans oublier Messmer -, tous auraient pu, et tous auraient dû l'engager. Ils ne l'ont pas fait, vous nous l'avez proposé : il est juste de le dire. (« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

S'agissant de la méthode, je ferai trois observations. Premièrement, le débat préalable fut tronqué (Murmures sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Si les assises décentralisées relevaient d'une bonne intention, des invitations partielles, voire partiales et partisanes, les ont compromises. Rappelons également qu'en décembre 2003, avant même l'achèvement de ces assises, Mme Nicole Fontaine annonçait déjà sa décision en faveur de l'EPR.

Deuxièmement, le projet de loi, au moment de son dépôt, était invraisemblable : la moitié de ses pages était consacrée aux articles et l'autre moitié à l'annexe. Heureusement, le travail parlementaire a permis de gommer ces excès.

Troisièmement, enfin, la déclaration de l'urgence nous semble absolument incompatible avec le choix d'une loi d'orientation, esquisse d'une action s'étalant sur des décennies, voire des siècles ou des millénaires si l'on pense à la gestion des déchets radioactifs.

En ce qui concerne les objectifs, le projet de loi contient, ici et là, des éléments en soi intéressants, mais il ne comporte aucune hiérarchisation, et fait parfois des impasses. Ainsi, si chacun parle de l'effet de serre, n'oublions pas que c'est le transport, l'habitat, le résidentiel qui sont à l'origine de la production de CO2.

Nous continuons à penser que la décision prise dans l'urgence à propos de l'EPR était inopportune. Que les choses soient claires : la filière électronucléaire est un atout pour la France. L'EPR ne doit pas être diabolisé. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Mais il était prématuré de prendre cette décision avant même d'avoir discuté sur les principes généraux et sur les orientations en matière énergétique. Les immobilisations financières que cette technologie nécessite manqueront au moment de financer les efforts que nous jugeons prioritaires, comme l'efficacité et la sobriété énergétique. Elles hypothéqueront également la diversification énergétique.

S'agissant des moyens, où est donc la réalité ? Faut-il la chercher dans vos déclarations, ou plutôt dans le gel des crédits ou la baisse des autorisations de programme dans le domaine de la recherche, dont le constat contredit vos prétendus défis ?

J'ajoute que les énergies renouvelables sont non seulement marginalisées, mais parfois entravées dans leur développement. Ainsi, un avis conforme de la commission des sites est désormais nécessaire pour installer un champ d'éoliennes. S'il fallait suivre la même procédure à chaque fois que l'on installe un pylône, on aurait quelques problèmes à assurer la distribution d'électricité !


Sur les échéanciers enfin, vous avez confié votre agenda au rythme des marchés financiers. Même dans les engagements internationaux, la détermination politique s'est effacée. L'objectif de 21 % d'énergies renouvelables dans six ans s'éloigne.

En conclusion, devant un tel manque de hiérarchisation dans les objectifs, dans les délais, au terme de la première lecture, nous manifesterons notre déception en refusant ce texte réduit à un recueil d'intentions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Michel Delebarre. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Jean Dionis du Séjour, pour le groupe UDF.

M. Jean Dionis du Séjour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans mon intervention liminaire lors de la discussion générale, j'avais souligné l'heureuse initiative que représente ce projet de loi d'orientation sur l'énergie. C'est bel et bien une première politique. Le groupe UDF tient à saluer la démarche initiée par Mme Fontaine et poursuivie par M. Sarkozy et M. Devedjian.

Il était de la plus haute importance que ce projet de loi ne soit pas un alibi à la décision prise par le Gouvernement de construire un démonstrateur EPR en France. Nous avons pu constater, avec mes collègues de l'UDF qui étaient présents lors des débats, combien il restait difficile d'avoir dans cet hémicycle une approche raisonnable du nucléaire.

La position de l'UDF, n'en déplaise à certains de mes collègues socialistes, a pour elle le privilège de la cohérence. Ayant relu dans le détail le compte rendu des débats des journées de lundi et jeudi derniers, je tiens à réaffirmer l'analyse que nous faisons des avantages et des inconvénients de la filière nucléaire que, comme l'a dit M. Dosé, il ne faut ni surestimer ni diaboliser.

Les avantages sont connus : indépendance énergétique, stabilité des prix, énergie propre au niveau de l'effet de serre, prix compétitifs. Mais ses inconvénients le sont aussi : filière des déchets coûteuse et durablement problématique, cible potentielle pour des agressions terroristes, énergie adaptée aux besoins permanents - la base de nos besoins énergétiques - et pas aux pointes et semi-pointes de nos besoins.

Aucune intimidation intellectuelle ne nous empêchera de faire preuve de bon sens sur ce sujet, et nous avons été particulièrement scandalisés de lire dans le compte rendu des débats de la séance du lundi 24 mai que M. Le Déaut, d'habitude beaucoup mieux inspiré, notamment sur le logiciel libre, avait affirmé que plusieurs députés UDF étaient liés au lobby gazier. Nous lui demandons calmement de retirer cette affirmation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

À l'UDF, nous n'avons jamais perdu notre sang-froid tout au long de ce débat, en accusant qui que ce soit d'être proche d'AREVA ou d'EDF. Nous avons pour notre part le plus grand respect pour la communauté de femmes et d'hommes qui composent EDF, mais nous alertons solennellement l'Assemblée nationale sur le décalage qui existe entre la grande majorité de notre assemblée, qui a des convictions très pronucléaires, qui peuvent se respecter, et l'opinion publique française, plus partagée et plus dubitative sur cette question centrale de notre politique énergétique.

Alors essayons de parler clair et vrai : oui à un démonstrateur EPR pour des raisons de disponibilité technologique dans les dix ans qui viennent ; non au renouvellement intégral du parc actuel de centrales au nom de la diversification du bouquet énergétique français, de la montée en puissance des programmes de maîtrise et d'économie d'énergie et de la réorientation du nucléaire vers la demande en base.

Au nom de quelle pensée unique la France continuerait-elle à produire seule 80 % de son électricité avec du nucléaire alors que les énergies renouvelables ne demandent qu'à prendre leur essor et que le gaz naturel est meilleur pour satisfaire les consommations en pointe et en semi-pointe ?

Nous regrettons que le Gouvernement ait, pour l'instant, rejeté nos propositions de créer une véritable gouvernance énergétique pour éclairer nos choix sur le long terme. Il s'agit de doter notre pays d'outils modernes, comme le gouvernement Juppé avait su le faire dans le domaine de l'assurance maladie en créant les lois de financement de la sécurité sociale et des outils comme l'ONDAM. Avec ce type de gouvernance, le débat sur le nucléaire ne sera plus un débat tabou.

Mais reconnaissons que, grâce au rapporteur et à la commission, l'Assemblée n'a pas réduit la politique énergétique de la France au nucléaire.

Sur la question du soutien aux énergies renouvelables, le Parlement aura fait œuvre utile en fortifiant les crédits d'impôt. Il trace une voie claire et eurocompatible pour le développement des biocarburants d'ici à 2010, comme Stéphane Demilly et les membres du groupe UDF, ainsi que ceux du groupe d'études sur les biocarburants, le souhaitaient ardemment. On peut certes avoir des craintes pour l'avenir des éoliennes mais je pense, monsieur Cochet, que la messe n'est pas encore dite.

M. Yves Cochet. J'en doute, hélas !

M. Jean Dionis du Séjour. On verra ! Je crois que, sur cette question aussi, le président de la commission des affaires économiques, Patrick Ollier, sera un homme de consensus.

S'agissant des économies d'énergie, le groupe UDF se réjouit d'avoir été à l'initiative de la création des certificats de performance énergétique. Ils permettront d'accompagner la prise de conscience des Français et de dire clairement que la performance énergétique d'un bâtiment est bonne pour leur porte-monnaie.

En conclusion, nous attendons avec impatience la deuxième lecture sur laquelle s'est engagé, en dépit de la déclaration d'urgence, le ministre d'État. Celui-ci a pris l'engagement de régler de nombreuses questions en suspens au cours de la navette, et nous tenons particulièrement à ce que l'on ajoute l'objectif de santé humaine aux grands objectifs de l'article 1er du projet de loi d'orientation. Cette question n'est ni anodine ni secondaire après le riche débat qui vient d'avoir lieu sur la Charte de l'environnement et l'absence des questions de santé dans l'application du principe de précaution.

C'est pour cette raison que le groupe UDF vous a proposé d'ajouter un cinquième objectif - faire les choix énergétiques nationaux les plus aptes à protéger la santé des Français - aux quatre objectifs que le projet de loi fixe à notre politique énergétique nationale.

Monsieur le ministre, nous avons été particulièrement sensibles à votre engagement de reprendre notre amendement lors de la deuxième lecture, en le retravaillant, et nous serons particulièrement mobilisés pour faire aboutir cette idée féconde et importante.

Ce cinquième objectif devrait nous pousser à faire preuve de beaucoup plus d'audace dans le secteur des transports, qui représente un tiers de la consommation énergétique finale. Nous sommes ainsi persuadés que, si notre génération a bien une responsabilité en termes de santé et de finances publiques, c'est celle de faire preuve d'audace sur le problème de la voiture en ville. Nous ne pourrons pas éternellement fermer les yeux sur le rapport de l'Agence française de sécurité sanitaire environnementale et sur le nombre de victimes de la pollution de l'air, 6 000 à 9 000 décès par an.

En attendant, mobilisé, la deuxième lecture, le groupe UDF votera ce texte (Exclamations sur divers bancs), qui, même s'il est encore incomplet, va dans le sens d'une programmation de nos choix énergétiques à la hauteur des enjeux environnementaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Daniel Paul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jeudi 27 mai, alors que nous terminions l'examen en première lecture du présent projet de loi, des dizaines de milliers d'électriciens et de gaziers manifestaient dans les rues de la capitale et se rassemblaient, près d'ici, place des Invalides. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Ils disaient leur totale opposition à votre projet d'ouverture du capital d'EDF et de GDF, à votre intention de franchir une nouvelle étape dans la libéralisation du secteur de l'énergie avec la remise en cause du caractère totalement public de ces opérateurs historiques. Ce n'est pas une minorité qui s'exprime, à l'intérieur de ces entreprises, mais toutes les composantes syndicales, avec l'appui de la majorité de la population, dont l'attachement à ces entreprises publiques est constant. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Le groupe des député-e-s communistes et républicains soutient totalement cette lutte. L'énergie n'est pas une marchandise, et nous refusons qu'un tel bien, avec les outils qui le servent, soit livré aux marchés financiers.

Sans doute direz-vous que ce projet de privatisation n'est pas le texte sur lequel nous avons aujourd'hui à nous prononcer, mais nous pensons que les orientations énergétiques seront mises en œuvre par des entreprises et que la nature et le statut de ces entreprises influent sur ces orientations.

L'introduction d'intérêts privés dans le capital de l'opérateur historique suffira pour que les choix d'investissements et les conditions de fonctionnement prennent en compte, prioritairement, la rentabilité des sommes investies par les actionnaires. On l'a vu avec France Télécom, où la logique de rentabilité a joué dès la première ouverture du capital.

Comment aussi admettre la campagne médiatique indécente, menée à grands renforts de pages vantant les mérites du changement de statut de nos entreprises publiques, payées par elles, alors que le Parlement n'en a même pas discuté ? C'est une pression inadmissible sur notre peuple et sur ses représentants, pression qui témoigne sans doute aussi de votre inquiétude et de celle des milieux économiques favorables à la libéralisation, face à la détermination des agents et à l'opposition majoritaire dans le pays.

Pourtant, la discussion de votre texte d'orientation, en mettant l'accent sur les conséquences de l'effet de serre, sur l'épuisement progressif de certaines ressources fossiles et sur la nécessité de poursuivre les efforts en matière d'efficacité énergétique, de diversification et de protection de nos approvisionnements, avait montré combien l'héritage de ceux qui avaient conçu en 1946 nos outils et leurs missions était encore présent.

Comme en 1946 et dans les années 70, nous aurions pu, sur un tel texte, aboutir à des convergences réelles, et je pense même que, sur tous 1es bancs de notre assemblée, nous aurions pu trouver des formes de consensus.

Ainsi, nous approuvons le lancement de l'EPR...

M. Bernard Accoyer. Qu'en pense M. Cochet ?

M. Daniel Paul. ...et l'objectif de recourir davantage aux énergies renouvelables, comme nous apprécions le développement de la petite hydroélectricité et la poursuite des efforts de recherche et de mise en œuvre d'un charbon propre.

M. Bernard Accoyer. Du charbon propre, c'est intéressant !

M. Daniel Paul. Nous soutenons aussi les objectifs de réduction des rejets polluants atmosphériques, et souhaitons d'ailleurs que l'on aille plus loin dans ce domaine.

Mais nous regrettons votre silence sur les moyens permettant de faire face aux déficits énergétiques d'ici à 2015. Vous avez refusé les amendements que nous avons proposés sur ce point. Comment ne pas craindre le recours en urgence à des moyens polluants, incompatibles avec les objectifs que vous affichez par ailleurs ? Nul doute d'ailleurs que l'arrivée d'intérêts privés dans le capital d'EDF et de GDF aggraverait ce risque.

De même, nous condamnons la contradiction entre vos déclarations sur la nécessité de transports plus respectueux de notre environnement et votre politique en matière de fret ferroviaire, comme votre décision de supprimer les subventions de l'État aux collectivités locales qui projettent de développer des réseaux de transport en commun. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Enfin, sans être exhaustif, comment ne pas être circonspect devant la mise en place des certificats d'économies d'énergie, d'inspiration totalement libérale, qui renvoient au mythe du marché autorégulateur ?

Nous sommes donc face à un texte qui, en dépit de vos déclarations d'intention, reste bien en deçà des nécessités d'une politique énergétique adaptée aux défis du xxisiècle.

Vous voulez poursuivre, à la hussarde, dans la voie imposée par les marchés financiers, en totale osmose avec les orientations libérales définies au niveau européen, mais, en même temps, et c'est là votre problème, vous ne pouvez ignorer les salariés et les usagers qui veulent maintenir l'énergie hors de ce carcan.

Retirez votre texte que la Commission européenne n'impose pas, renoncez à ouvrir le capital d'EDF-GDF et à spolier notre peuple. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) On sait que, dans vos propres rangs, les interrogations sont nombreuses et que l'engagement pris pèse sans doute plus que la certitude du bien-fondé de votre proposition. Il y aura le 5 juin une manifestation large et unitaire contre votre projet de casse de l'assurance maladie, et, le 15, une nouvelle réaction large et unitaire contre votre projet frappant EDF et GDF, avec, le 13, la possibilité de sanctionner, une nouvelle fois, votre politique et les orientations européennes actuelles.

Mme Sylvia Bassot. Et le 25 ?

M. Daniel Paul. En disant non à votre texte, nous voulons soutenir ce mouvement qui, de la rue aux urnes, est porteur d'une exigence antilibérale, nous voulons que vous retiriez votre néfaste projet. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et sur quelques bancs du groupe socialiste.)

Vote sur l'ensemble

M. le président. Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

Je vais mettre aux voix l'ensemble du projet de loi d'orientation sur l'énergie.

Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été couplés à cet effet.

Le scrutin est ouvert.

..................................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

              Nombre de votants 519

              Nombre de suffrages exprimés 515

              Majorité absolue 258

        Pour l'adoption 358

        Contre 157

L'Assemblée nationale a adopté.

La parole est à M. le ministre délégué à l'industrie.

M. Patrick Devedjian, ministre délégué à l'industrie. Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, si je prends la parole, c'est pour remercier, et la majorité, et l'opposition.

Laissez-moi vous dire avant tout combien le Gouvernement est satisfait de la participation effective sur tous ces bancs à un débat qui a été très enrichissant. Je veux en remercier d'abord le rapporteur, M. Serge Poignant, pour son excellent travail, lui qui a été jusqu'à proposer une nouvelle rédaction pour une partie du texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) Je veux remercier, en son absence, M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, qui a également beaucoup travaillé à l'élaboration de ce texte, en même temps qu'à l'organisation d'un consensus. J'aurai un petit mot pour M. François-Michel Gonnot, qui a peut-être un peu abusé de ses forces, puisqu'il a malheureusement connu au cours de ces débats un petit incident de santé.

En introduisant ce texte, Nicolas Sarkozy avait indiqué que le Gouvernement examinerait avec intérêt et sans exclusive l'ensemble des amendements qui seraient proposés. Tel a bien été le cas, comme le démontrent le nombre et la provenance des amendements qui ont été finalement adoptés. En effet cinquante-huit amendements de la commission ont été adoptés par votre assemblée. De même, trente-sept amendements du groupe de l'Union pour un mouvement populaire ont été adoptés - je ne prends en compte que les amendements dont le texte était différent, car beaucoup se répétaient. Trente-six amendements du groupe socialiste ont connu le même sort, là aussi en ne tenant compte que des amendements différents. Huit amendements du groupe des député-e-s communistes et républicains ont été retenus, monsieur Paul.

M. Daniel Paul. Ça ne suffit pas !

M. le ministre délégué à l'industrie. Sept amendements du groupe Union pour la démocratie française ont été adoptés.

M. Jean Dionis du Séjour. Peut mieux faire !

M. le ministre délégué à l'industrie. Les non-inscrits qui présentaient des amendements avec M. Cochet ont vu trois de leurs propositions retenues. Au total 153 amendements différents en provenance de tous les bancs ont été adoptés, ce qui porte témoignage du travail accompli.

Il est vrai que le Gouvernement a déclaré l'urgence. Je considère cependant, monsieur Dosé, qu'il y a eu un malentendu quant au mille amendements qui ont été déposés : le grand nombre d'amendements semblables déposés par l'opposition a fait croire - à tort de mon point de vue - à une tentative d'obstruction. Je suis le premier à reconnaître que les débats ont eu beaucoup de tenue, de correction ; je donne volontiers acte au groupe socialiste qu'il n'a absolument pas recherché une quelconque obstruction, comme M. Dosé a reconnu que c'est grâce à ce gouvernement que l'Assemblée a pu, pour la première fois, débattre de ces questions.

En bref cela a été un bon débat, enrichi par le travail des parlementaires, même si - et croyez bien que je le regrette, monsieur Dosé - nous ne sommes pas toujours parvenus à vous convaincre tous. Mais n'est-ce pas la règle dans un débat contradictoire ? Cependant, monsieur Dosé, j'ai observé que beaucoup sur les bancs socialistes approuvaient des points que vous déploriez : la question de l'EPR par exemple ne fait pas l'unanimité dans votre parti. Il n'y a pas toujours unanimité à droite non plus sur les textes que nous proposons, et c'est tout l'intérêt de ce débat d'orientation.

M. Jean Lassalle. Très bien !

M. le ministre délégué à l'industrie. Je voudrais remercier ceux d'entre vous qui ont activement participé aux débats, et d'abord Claude gatignol et François-Michel Gonnot pour l'UMP, dont j'ai déjà dit qu'il avait peut-être abusé de ses forces. S'agissant de l'UDF, M. Dionis du Séjour et M. Demilly ont été très actifs dans ce débat, et très pugnaces dans la défense de leurs convictions. Je ne crois pas pour ma part, monsieur Dionis du Séjour, qu'un lobby gazier s'exprime par la voix des orateurs de l'UDF. Parce que je connais quelque peu cette région, je crois en revanche à la « sensibilité gazière » des Aquitains ! Mais cela est dû à des considérations historiques et géographiques, et à rien d'autre naturellement. Je pense notamment au site de Lacq, qui représente un formidable gisement d'énergie et une richesse nationale, à laquelle tous les élus aquitains sont fortement, et très légitimement, attachés.

Parmi les orateurs de l'opposition, je veux remercier M. Daniel Paul pour son travail, sa présence et sa conviction, même s'il n'a pas toujours facilité la tâche du Gouvernement, mais également Mme Jambu, qui a été très présente aussi ; pour le parti socialiste, MM. Brottes, Dosé, Le Déaut et M. Tourtelier, même si je n'ai pas toujours été d'accord avec eux ; et je n'oublie pas naturellement M. Bataille, qui, comme M. Birraux pour l'UMP, a apporté beaucoup à ce débat.

Je retiens de tout cela que les amendements adoptés ont substantiellement enrichi le texte initial. Ainsi, en ce qui concerne la maîtrise de l'énergie, le dispositif des certificats d'économie d'énergie a été précisé. Dans le domaine du logement, des objectifs de réglementation thermique plus ambitieux ont été fixés, et l'établissement d'un certificat de performance énergétique est devenu obligatoire. Dans le domaine des transports, la politique en faveur de l'utilisation de véhicules propres a été confortée, et le développement des limitateurs de vitesse encouragée. En matière d'énergies renouvelables, le crédit d'impôt en cas d'acquisition d'équipement de production d'énergie solaire a été accru, les procédures administratives concernant l'utilisation d'énergie hydraulique ont été simplifiées, et un objectif ambitieux a été fixé en ce qui concerne l'usage des biocarburants.

Dans le domaine de la recherche, il a été décidé que le Gouvernement avait l'obligation de rendre publique une stratégie pluriannuelle de recherche énergétique, et de façon générale de veiller à l'accroissement de l'effort public et privé de recherche en matière d'énergies renouvelables et de maîtrise de l'énergie, ainsi qu'en matière d'hydrogène.

D'utiles précisions ont été apportées aussi en ce qui concerne l'énergie nucléaire ou la géothermie, la planification de la politique énergétique. Les missions du Conseil supérieur de l'électricité et du gaz ont été étendues. A été décidée également la publication annuelle d'un « jaune » budgétaire sur la politique de l'énergie, disposition à laquelle M. Poignant était particulièrement attaché - c'était l'objet de l'amendement n° 67, si je me souviens bien.

L'exemplarité en matière de maîtrise de l'énergie est encouragée par l'extension à l'État du système des certificats d'économies d'énergie et par l'obligation, pour les départements et les régions, de joindre une étude d'impact énergétique aux délibérations ayant une incidence en ce domaine. Enfin, en ce qui concerne l'électricité, un mécanisme de dernier recours en cas de défaillance d'un fournisseur est instauré.

Toutes ces mesures sont autant d'enrichissements apportés au texte initial par l'ensemble des parlementaires ici présents, dans un relatif consensus et à l'issue d'un vrai dialogue. On mesure combien ces nombreux enrichissements sont utiles.

Je veux rappeler, monsieur Dionis du Séjour, les engagements qui ont été pris par le Gouvernement, et je n'en omettrai aucun, sauf erreur de ma part, et en toute bonne foi. Ils sont, me semble-t-il, au nombre de quatre : intégrer les problématiques relatives à la santé aux objectifs de la politique énergétique ; simplifier et améliorer la législation sur l'énergie hydraulique sans attendre le vote de la loi sur l'eau, afin de pouvoir compléter le potentiel énergétique de notre pays, tout en prenant mieux en compte l'environnement ; réviser profondément le mécanisme des charges de service public - c'est une nécessité si on veut que la cogénération et le développement des énergies renouvelables soient financés par l'ensemble des consommateurs, et non par les seuls consommateurs d'électricité ; travailler enfin à une modification du code de l'urbanisme qui permettrait aux collectivités locales de favoriser le développement des énergies renouvelables. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

Le Gouvernement s'engage, après ce vote de première lecture, à associer étroitement les parlementaires à ses travaux d'ici à la seconde lecture par l'Assemblée. Certes il sera difficile de mener à bien tous ces travaux avant l'examen du texte par le Sénat la semaine prochaine, mais nous essaierons, et nous pourrons au moins avancer sur certains points.

Je voudrais en conclusion me féliciter des progrès qui ont été accomplis collectivement depuis un an et demi en matière de concertation et de définition d'une politique énergétique ambitieuse. Jusqu'à maintenant la France ne disposait pas d'une politique énergétique approuvée démocratiquement par le Parlement. Je pense que c'était une lacune, surtout à l'heure où l'ensemble des pays développés doivent relever le défi majeur de l'énergie - l'actualité pétrolière est là pour le démontrer s'il en était besoin - et celui de la lutte contre un effet de serre de plus en plus menaçant. Voilà pourquoi je me réjouis que nous ayons simplement commencé à y travailler ensemble, sur tous ces bancs, dans le respect, certes, de nos convictions, mais surtout dans celui de l'intérêt général. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-sept heures cinquante-cinq, est reprise à dix-huit heures cinq.)

M. le président. La séance est reprise.

    4

DROITS DES PERSONNES HANDICAPÉES

Discussion d'un projet de loi adopté par le Sénat

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (nos 1465, 1599).

La parole est à Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées.

Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les députés, la loi fondatrice du 30 juin 1975 en faveur des personnes handicapées a permis de reconnaître les besoins spécifiques liés au handicap et de favoriser l'intégration sociale des personnes handicapées. Elle a posé une obligation nationale de solidarité envers les personnes handicapées. Elle a créé un socle de droits particuliers pour les enfants handicapés en organisant pour eux une éducation spéciale et une allocation spéciale d'éducation. Elle a institué un corpus de droits pour les adultes handicapés en organisant pour eux l'emploi protégé, une garantie de ressources et un ensemble de prestations particulières dont l'allocation pour adulte handicapé et l'allocation compensatrice pour tierce personne.

Qui ne mesure aujourd'hui l'impact de l'obligation nationale posée par le législateur de 1975 sur la mobilisation de la société tout entière pour la cause des personnes handicapées ? L'effort social de la nation pour l'ensemble des personnes handicapées, quel que soit le régime dont elles relèvent, représente 1,7 % du PIB, soit 6,1 % des prestations de protection sociale ou encore quelque 26 milliards d'euros. Près de 14 milliards d'euros ont été consacrés aux personnes handicapées relevant de la loi de 1975. Pour cette catégorie de personnes handicapées, la dépense s'est accrue de 21,1 % en euros constants depuis 1995, soit une hausse près de deux fois supérieure à celle de la dépense pour l'ensemble des personnes handicapées, strictement proportionnelle à l'augmentation du PIB, assurant ainsi une juste participation des personnes handicapées à l'augmentation de la richesse nationale. Rapportée au nombre de bénéficiaires, cette hausse, en euros constants, est de 11,5 %.

Cet effort considérable de la nation, consenti par les contribuables et pour partie par les assurés sociaux, permet, aujourd'hui, de garantir un minimum de ressources à quelque 760 000 allocataires de l'AAH et à 120 000 bénéficiaires de l'AES, de financer le besoin en tierce personne de 90 000 personnes handicapées et le besoin d'aménagement du logement de 160 000 personnes, de créer quelque 150 000 places d'hébergement, de soins ou de travail dans des établissements divers, notamment des maisons d'accueil spécialisé et des centres d'aide par le travail, et enfin de développer des services d'accompagnement, notamment d'auxiliaires de vie.

Trente ans plus tard, la loi fondatrice de 1975 doit cependant être réformée pour tenir compte des évolutions intervenues dans les sciences et les techniques, des aspirations des personnes concernées, mais aussi des évolutions de la conscience collective.

Les évolutions de la science et des techniques ont indubitablement ouvert aux personnes handicapées de nouvelles perspectives de vie et de nouveaux espaces de liberté.

Je pense à la personne atteinte de poliomyélite, grabataire, jadis maintenue à l'hôpital, voire enfermée dans un poumon d'acier pour insuffisance respiratoire. Aujourd'hui, cette personne est maintenue à domicile. Le progrès technique permet de relativiser la notion de handicap. Le maintien à domicile devient une alternative crédible à l'orientation en établissement. Pour autant, nous ne nous engagerons pas dans la voie de la désinstitutionnalisation.

M. Jean Lassalle. Très bien !

Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. Je pense aussi au nombre toujours plus grand de personnes infirmes motrices cérébrales qui atteignent et dépassent l'âge de cinquante ans et, plus généralement, à la révolution de la longévité qui nous pose les questions nouvelles du devenir des enfants handicapés lorsque leurs parents ne seront plus là,...

M. Jean Lassalle. Voilà !

Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. ...de l'accompagnement des personnes handicapées vieillissantes, de la cohérence de nos systèmes de prise en charge de la dépendance des personnes âgées et de la compensation du handicap.

A mesure que les progrès de la science et de la technique nourrissent le grand espoir de réduire à leur minimum les contraintes liées aux incapacités congénitales ou acquises, se fait jour la revendication de mieux prendre en compte l'environnement dans la formation du handicap.

La notion de handicap ne saurait plus être réduite à la seule déficience ou aux incapacités qui en résultent. A côté du modèle médical traditionnel qui voit dans le handicap le résultat d'une imperfection physique ou mentale de l'individu, est apparu un modèle social qui voit dans le handicap le résultat de la confrontation entre les capacités d'un être humain et les exigences de son environnement. D'un côté, la lésion ou la déficience rend les personnes handicapées ; de l'autre, la société crée les situations de handicap. Le Gouvernement a souhaité tenir compte de cette évolution en proposant pour la première fois dans une loi une définition du handicap.

Mais ne confondons pas le savant et le politique. Le pouvoir politique n'a pas à arbitrer entre les modèles ou les théories que lui propose la communauté scientifique. Il doit les entendre pour fonder la définition opérationnelle qu'attendent les personnes handicapées.

Ce qu'attendent les personnes handicapées, c'est qu'on leur dise en quoi et dans quelle mesure la prise en compte de l'environnement déterminera le montant de leur prestation de compensation. C'est pourquoi j'ai souhaité une définition opérationnelle qui garantira à la personne que la compensation qui lui sera reconnue tiendra compte de ses incapacités, mais aussi de ses aptitudes, de l'environnement dans lequel elle se trouve, bref de son projet de vie.

Mme Christine Boutin. Très bien !

Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. L'amendement que je vous proposerai a un double objectif : reconnaître l'évolution de la notion de handicap en plaçant cette définition dès l'article 1er de la loi, avant le titre Ier, et donner une définition du handicap qui prenne mieux en compte l'environnement que ne le fait le texte voté par le Sénat.

Nécessaire, la réforme de la loi de 1975 est aussi rendue possible par l'évolution des mentalités.

Les progrès de la conscience collective ont conduit à porter une plus grande attention à tous ceux qui, handicapés ou non, paraissent exclus du mode de vie ordinaire de la société.

Au premier rang de ces exigences nouvelles, je citerai la non-discrimination. Je crois que notre société ne supporte plus aujourd'hui les discriminations quelles qu'elles soient. Nous le devons sans doute un peu à nous-mêmes, qui avons su éduquer nos enfants dans le respect d'autrui, certainement, aussi, à leurs maîtres dans les écoles, mais surtout à notre jeunesse elle-même, accueillante et généreuse. Je n'ignore pas ce que peut encore avoir de cruel le regard qui est parfois porté sur les personnes handicapées. Mais j'ai le sentiment que le handicap nous devient progressivement familier.

M. Jean Lassalle. Très bien !

Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. Je pense aussi à la manière dont les parents d'enfants handicapés mentaux ont su, au prix d'un choix courageux, faire connaître à la société la réalité douloureuse du handicap de leurs enfants. Ils l'ont assumé et ont engagé avec les pouvoirs publics une action concertée, puis ont revendiqué la pleine participation de leurs enfants à la vie de la communauté sous le mot d'ordre « Vivre ensemble ». Aujourd'hui, c'est le monde du handicap psychique, celui des personnes très lourdement handicapées, celui du polyhandicap, celui de l'autisme, qui se sont engagés dans la même voie,...

M. Jean-François Chossy, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Très bien !

Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. ...avec l'espoir que les pouvoirs publics sauront créer le droit du  vivre ensemble auquel ils aspirent.

Enfin, je ne peux m'empêcher de penser que la loi du 30 juin 1975 a été votée au moment où la France connaissait sa première grande crise économique de l'après-guerre. Aujourd'hui, la mondialisation des échanges de toute nature nous expose au risque du repli sur soi-même, mais en appelle aussi à plus de solidarité, à moins d'égoïsme. Mesdames et messieurs les députés, les moments de fragilité collective sont aussi ceux d'une plus grande fraternité.

Ainsi, les progrès de la conscience collective, les aspirations propres des personnes handicapées, les uns et les autres soutenus et amplifiés par les perspectives nouvelles de vie qu'autorisent les progrès des sciences et des techniques nous conduisent aujourd'hui à un réexamen des équilibres instaurés dans la loi de 1975 et nous indiquent les voies de nouveaux équilibres pour fonder aussi durablement que possible le nouveau droit de ce vivre ensemble que j'évoquais il y a un instant.

M. Jean Lassalle. Bien !

Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. Je dis « aussi durablement que possible » avec la conviction que nos législations doivent désormais être suffisamment souples pour être évolutives.

Dans un monde en perpétuelle mutation, plus rien ne peut se construire pour trente ans, encore moins pour cinquante. La loi fondatrice de juin 1975 a elle-même été substantiellement modifiée sur plusieurs points par des lois importantes, au nombre desquelles la loi du 10 juillet 1987 sur l'intégration professionnelle, la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002 et la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades.

Aussi me paraît-il nécessaire que nous nous accordions sur de nouveaux principes fondateurs, même si nous pouvons avoir des divergences sur les modalités de leur mise en œuvre. Ne nous fixons pas pour objectif de fonder un nouvel équilibre pour trente ans ou plus, mais ayons l'ambition d'apporter immédiatement un progrès notable à la condition des personnes handicapées et de réaliser un équilibre que nous ajusterons au fil du temps, en fonction des réalités concrètes.

Le droit du vivre ensemble, c'est à la fois le droit de la personne à la compensation fonctionnelle de son handicap et le devoir de la cité de devenir accessible, accueillante, ouverte à tous, quelles que soient par ailleurs les différences.

Le handicap n'est jamais qu'un aspect de la diversité dans laquelle doit s'enraciner la démocratie. Dans ma conception de la démocratie, la société se doit de reconnaître la diversité des êtres humains qui la composent et de s'en nourrir. Les incapacités fonctionnelles d'une personne handicapée comptent à mes yeux parmi les multiples variations naturelles au sein d'une population.

Aussi, je souhaite que nous ne nous trompions pas de débat. Chacun doit en avoir conscience, la question n'est pas de déterminer si le droit à compensation est premier ou second par rapport à l'accessibilité, mais de savoir quelle place notre démocratie accorde à la diversité.

C'est dans cet esprit que je vous proposerai d'introduire dans le projet de loi un titre Ier nouveau, considérant que la santé des personnes handicapées est parfois devenue un aspect secondaire, sinon délaissé, de nos préoccupations. Il n'est pas admissible que la fréquence du suivi gynécologique des femmes handicapées en établissement soit nettement inférieure à la moyenne nationale. Ce déficit les expose, au-delà du handicap, à des cancers que l'on saurait pourtant prévenir si l'on prenait soin de les dépister. D'autres enquêtes ont montré que le recours des personnes handicapées aux lunettes et aux soins ophtalmologiques était trois fois inférieur à la moyenne nationale. Ce ne sont là que deux exemples parmi d'autres des lacunes en matière d'accès aux soins : ils appellent certes des études complémentaires, mais nous incitent surtout à agir dès à présent.

Nous avions donc le devoir d'insister, dans ce projet de loi, sur la nécessaire formation des professionnels de santé, sur la prise en charge des personnes handicapées ainsi que sur l'attention particulière qui doit leur être accordée dans la mise en œuvre des grands programmes de santé publique. Des lacunes existent également dans la prévention, le dépistage et l'annonce du handicap. Et la recherche elle-même n'est pas exempte d'insuffisances, alors que c'est sur elle que reposent les espoirs de guérison, ou en tout cas d'amélioration des situations.

Le titre II concerne la compensation et les ressources. Vous le savez, l'organisation du droit à compensation, dont le principe était déjà inscrit dans la loi de janvier 2002, est l'un des apports essentiels de ce projet de loi. Il éveille de grands espoirs dans l'ensemble du monde du handicap, car il apporte à tous la garantie d'une solution adaptée en établissement ou à domicile, et au plus grand nombre les conditions d'une véritable égalité des chances, de la plus grande autonomie possible, de leur pleine participation à la vie sociale, du plein exercice de leur citoyenneté.

Quelle est la situation, aujourd'hui ? Les personnes handicapées par une maladie mentale ou psychique manquent le plus souvent de l'accompagnement qui leur est nécessaire. Trop nombreuses sont les personnes très lourdement handicapées et polyhandicapées qui ne disposent pas des moyens nécessaires pour vivre dignement à domicile ou dans une institution spécialisée.

M. Jean Lassalle. C'est vrai !

Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. La prise en charge d'un enfant handicapé fait peser de trop lourdes contraintes sur les parents et, de surcroît, l'insuffisance des places en établissement pour adultes bloque encore trop souvent l'accès des enfants les plus lourdement handicapés à certaines structures d'accueil. De multiples obstacles freinent l'insertion ou le maintien des personnes adultes handicapées en milieu de travail ordinaire ou protégé. Trop souvent encore, une personne handicapée ne peut trouver une structure d'accueil qui ne l'éloigne pas de sa famille ou des services qui permettraient son maintien à domicile.

Aussi criant est le déficit de réponse adaptée à domicile. Ni l'allocation compensatrice de tierce personne, à la charge des départements, ni les services d'auxiliaires de vie, financés par l'État, ni le remboursement par l'assurance maladie des aides techniques inscrites à la liste des produits et prestations remboursables par l'assurance maladie ne sont aujourd'hui à la hauteur du droit que revendiquent légitimement les personnes handicapées.

M. Patrice Martin-Lalande. Très juste !

Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. Il était devenu nécessaire de donner un contenu au droit à compensation. Ce droit est organisé de manière à solvabiliser la demande et à organiser l'offre de services. Il est surtout organisé de manière à prendre en compte les besoins de compensation d'une personne handicapée en fonction de son environnement et de son projet de vie, et à personnaliser autant que faire se peut la prestation de compensation en offrant une solution adaptée, en établissement ou à domicile.

D'un côté, la prestation personnalisée de compensation a pour objet la compensation intégrale du handicap fonctionnel. L'intégralité des besoins sera prise en compte : aides humaines, aides techniques, aménagement du logement, autres aides de toute nature.

M. René Couanau. Très bien !

Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. Chaque besoin particulier sera lui-même pris en compte dans son intégralité. La personne qui a besoin d'un nombre déterminé d'heures d'auxiliaires de vie se verra reconnaître ce besoin.

Mme Christine Boutin. Très bien !

Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. C'est en ce sens que la prestation sera attribuée en nature. C'est une inversion totale de la logique actuelle, selon laquelle une personne handicapée se voit attribuer une ACTP à un taux prédéterminé qui, le plus souvent, ne permet pas de faire face au besoin réel de tierce personne. En outre, la personne n'aura plus à justifier d'un taux d'incapacité permanente de 80 % pour accéder à la prestation de compensation.

M. Georges Colombier. Très bien !

Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. Enfin, la prestation de compensation sera versée, au terme d'une période transitoire, quel que soit l'âge. Je reviendrai sur ce point dans un instant.

Cette compensation fonctionnelle intégrale sera prise en charge financièrement en fonction du projet de vie de la personne handicapée. Un mécanisme particulier permettra d'éviter que le reste à charge éventuel n'excède ses capacités contributives.

D'un autre côté, il fallait avoir le souci de planifier le développement de l'offre de services et de places en établissements. Des programmes d'action joints à la loi en assurent la réalisation. Au cours de cette législature, le nombre de places en CAT aura été augmenté de 15 %, celui des SESSAD de 25 %, celui des MAS de 51 % et celui des SSIAD et des SAMSAH aura été doublé. Et je ne compte pas les services que nous aurons à créer sous forme de clubs ou de groupes d'entraide pour les personnes handicapées psychiques.

J'ajoute que ce bilan n'est pas exempt de préoccupations qualitatives. Nos programmes d'action prévoient aussi de doter chaque région d'un centre de ressources sur l'autisme destiné au diagnostic précoce et à l'accompagnement des premières démarches des parents confrontés à cette maladie.

Dans ces conditions, l'évolution sur dix ans − c'est-à-dire sur les deux dernières législatures − aura consacré une accélération sans précédent. Si je compare la période 1998-2002 et la période 2003-2007, j'observe que le nombre de places créées pour les enfants handicapés aura été doublé ; pour les adultes, il passe de 5 500 à 18 000, soit un triplement ; pour les CAT, de 8 500 à 14 000, soit une augmentation des trois quarts.

Cet effort continu d'augmentation de l'offre de services et de places en établissements, inscrit dans un plan pluriannuel de création de places pour les personnes handicapées, prendra aussi mieux en compte les adaptations nécessaires en développant les dispositifs d'accueil de jour et d'accueil temporaire, le soutien aux familles, l'aide aux aidants, et en tirant les leçons des expérimentations en cours relatives à la mise en réseau des établissements et des services. La reconnaissance du « droit au retour » contribuera aussi aux transitions souples entre domicile et hébergement. Les services d'auxiliaires de vie pour les personnes très lourdement handicapées seront développés.

La question des ressources est abordée dans le titre II. Il n'est pas possible de satisfaire la demande des associations et de porter l'AAH au niveau du SMIC, ni même de l'indexer sur le SMIC. Il est de tradition constante qu'il y ait un écart entre le minimum de revenus tirés de l'activité et le minimum de ressources tirées de la solidarité nationale. En revanche, il m'est apparu nécessaire de prévoir un mécanisme d'intéressement qui autorise un meilleur cumul de l'AAH avec un revenu d'activité.

M. Pascal Terrasse. C'est déjà le cas depuis trois ans !

Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. En outre, les textes réglementaires augmenteront le niveau du « reste à vivre » en établissement médico-social ou en établissement pénitentiaire.

Le titre III porte sur l'accessibilité. Rendre la cité effectivement accessible à tous est un impératif démocratique. Notre société a jusqu'ici été trop égoïste, ne s'est pas suffisamment souciée des normes qu'elle produisait et qui génèrent trop souvent des situations de handicap parce qu'elles ne conviennent pas à des personnes frappées de telle ou telle incapacité.

M. Jean Lassalle. C'est bien vrai !

Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. Le projet de loi contient, à cet égard, de nombreuses dispositions nouvelles de portée décisive. Le facteur commun à l'ensemble de ces dispositions, c'est la priorité qui est reconnue à la vie en milieu ordinaire, la vie parmi nous et avec nous, à l'école, dans le quartier, dans l'entreprise, dans la ville.

Dans le domaine de l'éducation, cette priorité se traduit de manière symbolique par l'abandon de la notion d'« éducation spéciale ». Loin de rendre le médico-social inutile, elle en fait un « plus », qui n'est pas imposé aux parents, mais dépend de leur libre choix. La double inscription en cas de fréquentation d'un IME a pour ambition d'aller au-delà du symbole, pour atteindre un objectif concret : développer les échanges entre les deux milieux scolaires pour favoriser les contacts entre enfants et faire un seul et même milieu éducatif.

Dans le domaine de l'emploi, les principales dispositions de la loi sont inspirées par le souci de reconnaître les efforts des entreprises − lorsqu'elles en font − et d'inciter davantage celles qui n'en font pas à consentir ceux qui sont nécessaires. Ce projet de loi part du principe que l'attention portée au handicap est un investissement pour les entreprises qui leur permettra d'aborder le défi du vieillissement ou de la pénibilité avec une longueur d'avance.

Aucune entreprise − et pour aucun emploi − ne peut se dispenser d'une réflexion sur l'intégration professionnelle des personnes handicapées. C'est de ce postulat que découle le principe de la suppression de ce qu'il est convenu d'appeler la « liste des emplois exclus », expression contestable, car il s'agit en réalité de la liste des emplois qui ne sont pas pris en compte pour le calcul du taux d'emploi des travailleurs handicapés et, par voie de conséquence, pour le calcul de la contribution que les entreprises doivent verser à l'AGEFIPH. Le projet de loi ne modifie pas cette liste, mais intègre les emplois qui y figurent dans l'effectif qui doit être pris en compte pour le calcul du taux d'emploi des travailleurs handicapés. Toutefois, afin de ne pas faire peser une pénalité relative plus forte sur les secteurs qui emploient une main-d'œuvre qui exige des aptitudes particulières, notamment les transports et le bâtiment, je déposerai un amendement qui permettra de moduler leur contribution à l'AGEFIPH en fonction des critères qui m'auront été proposés par le groupe de travail que j'ai installé.

Quant aux dispositions relatives à l'accessibilité physique et fonctionnelle des bâtiments, des transports et de la voirie, elles ont été arrêtées dans la perspective de construire une chaîne cohérente de déplacement. Car que serait l'accessibilité de l'autobus ou de la mairie si la cité n'était pas accessible de l'arrêt du bus à la mairie ?

Pensons aussi au handicap cognitif qui crée des difficultés à faire des choix, des difficultés de repérage dans l'espace et le temps. Dans ce cas, l'accessibilité prend une dimension particulière, intellectuelle. La loi ne l'oublie pas, pas plus qu'elle n'oublie les besoins particuliers des sourds, des malentendants, des aveugles et des malvoyants.

Le projet de loi réaffirme ainsi l'obligation d'accessibilité à tout type de handicap du cadre bâti et de l'ensemble des systèmes de transport, que ce soient les installations terminales, les quais, l'interface quai-véhicule ou les véhicules.

Il pose, en outre, une obligation de formation adéquate des professionnels, des élus et des personnes concernées par l'accessibilité, notamment dans le cadre de la formation initiale et des formations permanentes, ainsi qu'une obligation d'information facilement disponible sur les mesures arrêtées pour permettre à tous l'utilisation autonome de la voirie, des transports et du cadre bâti.

Pour la première fois, des délais sont assignés pour rendre effective l'accessibilité de la cité, en même temps que sont créés de nouveaux contrôles et de nouvelles sanctions.

Aucune dérogation n'est prévue sur les principes parce que l'objectif d'accessibilité s'impose à tous. En revanche, le projet de loi maintient des dérogations pour les voies et moyens d'y parvenir. Nous devons en effet, mesdames et messieurs les députés, atteindre cet objectif par tout moyen.

Enfin, le projet de loi crée une structure locale de concertation et de coopération chargée de la définition et de la mise en œuvre des mesures d'accessibilité. J'attache une importance particulière à ces commissions municipales d'accessibilité ainsi qu'à l'obligation faite par la loi de rapporter devant le conseil municipal, car la meilleure des incitations et la plus sévère sans doute des sanctions sont bien celles du suffrage universel.

M. Pascal Terrasse. Et l'accessibilité ici, à l'Assemblée nationale ?

Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. Le titre IV porte sur les institutions.

L'ambition est ici de réformer en profondeur nos institutions, dans un souci de simplification et de clarification administratives, de transparence et d'efficacité, en même temps que de participation des intéressés, de leurs familles et de leurs associations aux décisions qui les concernent. Il s'agit de sortir de la logique du dossier et de l'ayant droit.

À cet égard, le projet de loi prévoit un guichet unique, la maison départementale des personnes handicapées, qui regroupera l'ensemble des fonctions d'information, de conseil, d'orientation, mais aussi les instances indépendantes de l'évaluation du handicap, les décideurs, les commissions de recours, sortes d'instances de médiation interne au système.

Ne nous trompons pas sur le sens des mots. Cette maison départementale sera moins une institution qu'un dispositif de coordination de différentes fonctions et instances. Elle ne sera pas un lieu unique mais une coordination de lieux délocalisés au plus près des personnes concernées.

Nous connaîtrons très prochainement les propositions formulées par MM. Briet et Jamet au terme de la mission qui leur a été confiée par le Premier ministre. Dès la publication de leur rapport, j'installerai un groupe de travail chargé d'élaborer quelques scénarios acceptables de décentralisation des compétences dans le domaine du handicap.

M. Jean-François Chossy, rapporteur, et M. François Vannson. Très bien !

Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. Le CNCPH sera partie prenante de cette concertation comme il l'a d'ailleurs été dans toute la préparation de ce texte.

M. Pascal Terrasse. C'est surtout l'ADF qu'il faudrait consulter : ce sont les départements qui payent !

Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. Dans l'attente de ces scénarios et du choix du Gouvernement, il me paraît prématuré et imprudent de donner le statut de groupement d'intérêt public aux maisons départementales du handicap. C'est pourquoi je vous proposerai un amendement qui les confie à l'État dans l'attente des décisions que nous aurons à prendre au vu des scénarios proposés par le groupe de travail.

Quel que soit celui qui sera retenu en matière de décentralisation, je serai très attachée à la fonction régulatrice de l'État, garant de l'égalité de traitement sur l'ensemble du territoire. Je souhaite, à cet égard, que la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie soit constituée en agence et se voie attribuer cette fonction de régulation. Je renouvelle, en outre, mon souhait de voir les personnes handicapées associées à la gestion de cette agence. Ainsi, le risque dépendance-autonomie, détaché de la condition de salarié, universel, sera géré dans un cadre territorial qui autorise la personnalisation des prestations.

Mesdames et messieurs les députés, le projet de loi qui vous est soumis fixe les objectifs à atteindre et contient les instruments de son effectivité, qu'il s'agisse des délais, des contrôles, des sanctions ou des obligations de formation. Il contient aussi les instruments de son propre dépassement.

Je souhaite appeler votre attention sur deux questions fondamentales.

La première est celle des frontières d'âge. Elle n'a pu être totalement résolue dans le présent projet de loi.

Je ne conçois pas que les besoins de compensation des handicaps puissent être évalués de manière différente selon l'âge, ni qu'en fonction de celui-ci les prestations puissent varier pour un même handicap. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Chacun comprendra qu'une loi sur les droits des personnes handicapées n'ait pas eu pour objet premier de réformer des prestations nouvellement créées.

Lorsque nous avons engagé la réflexion sur ce projet, à l'été 2002, il aurait été inconvenant au regard des personnes concernées comme du législateur de réformer l'allocation d'éducation spéciale qui venait d'être réformée quelques mois plus tôt. Cette réforme de l'AES a marqué, c'est vrai, un progrès car elle anticipait, d'une certaine manière, la création du droit à compensation. Ce dernier étant désormais organisé par le texte qui vous est soumis, il nous faut maintenant prévoir au moins les ajustements nécessaires pour que l'enfant bénéficie de ce droit plus favorable, voire une réforme en profondeur qui repositionnera l'AES dans la branche famille.

il en va de même de l'allocation personnalisée d'autonomie. Autant il était inopportun d'envisager sa réforme à l'occasion de ce projet de loi, autant celui-ci appelle l'harmonisation progressive des régimes dépendance des personnes âgées et la compensation des handicaps. Je ne nie certes pas les différences entre une personne âgée et une personne handicapée. Au contraire, ces différences sont majeures. Là où les uns sont en perte d'autonomie, les autres sont en recherche d'autonomie. Pour les uns, nous parlons de l'accompagnement de la fin d'une vie déjà vécue. Pour les autres, il s'agit de faire vivre, de donner corps au projet d'une vie à vivre.

M. Pascal Terrasse. Votre appréciation n'est pas partagée par tout le monde !

Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. Mais, au moins pour une part, celle qui concerne la perte d'autonomie, on peut être confronté à des situations de dépendance identiques en raison du vieillissement, de l'accident ou des hasards de la naissance.

M. Pascal Terrasse. Là, nous sommes d'accord !

Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. Les personnes handicapées vieillissent, et c'est heureux. Il nous faut désormais y être attentifs dans la conception même de nos politiques, dans l'organisation de nos établissements et de nos services et dans la détermination du système de prestations et des méthodes d'évaluation du handicap et de la dépendance.

La question, mesdames, messieurs les députés, est difficile. J'en veux pour preuve le débat qui s'est engagé dans le groupe de travail que j'ai institué sur ce thème et où deux positions se sont opposées de façon apparemment totale. « Faites attention », nous disent les uns, « à ne pas faire vieillir les établissements avec la population qui les compose ». Et les autres de rétorquer : « C'est à l'établissement de s'adapter, non à la personne ». On le voit, le sujet mérite encore réflexion.

La seconde question fondamentale est celle des métiers du handicap. On ne saurait laisser se développer un secteur aussi important sans prévoir l'organisation des métiers, les filières de formation professionnelle, les statuts.

La prestation de compensation va solvabiliser une demande importante de services. La création de places en établissement conduira à recruter en nombre suffisant du personnel compétent. La politique du handicap constitue à ce titre un moteur économique puissant et un volet à part entière de la mobilisation pour l'emploi déclarée par le Président de la République et mise en œuvre par le Gouvernement.

Nous avons la responsabilité de prévoir et d'organiser ces métiers, de réfléchir au recrutement des personnels, à leur formation, à leur statut et à leur évolution, et, le cas échéant, à la validation des acquis de l'expérience.

Le titre V, consacré aux compétences professionnelles, ne fait qu'effleurer ces enjeux. C'est la raison pour laquelle il m'a paru souhaitable, sur ce point, de faire de la loi un point de départ plutôt qu'un point d'arrivée.

M. Jean Lassalle. Très bien !

Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. Je proposerai à votre assemblée de supprimer le titre V et de ne conserver des dispositions relatives aux métiers de l'appareillage que celles strictement nécessaires à la reconnaissance de ceux-ci et à leur réglementation. Un article nouveau inscrira dans la loi cette démarche que j'engage pour aboutir à un véritable plan des métiers, un plan ambitieux, quantitatif autant que qualitatif. Là encore, un groupe de travail aura la tâche d'aboutir à des propositions dans les mois qui viennent.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, tout projet de loi entend améliorer la vie quotidienne de nos concitoyens. Lorsqu'il s'agit des personnes handicapées, nous ressentons très souvent le caractère inhumain de notre société. Celui-ci appelle de notre part un surcroît d'engagement et de responsabilité. C'est à nous qu'il appartient de manifester que la dignité d'un individu ne se mesure pas à l'aune de sa capacité physique ou intellectuelle.

Je ne voudrais pas terminer sans vous assurer que j'entends poursuivre la concertation à laquelle ce projet a donné lieu jusqu'à présent. Tout au long de mon propos, j'ai fait référence à tel ou tel groupe de travail. J'ai, en effet, formé douze groupes de travail dont six ont déjà été installés, avec l'objectif, pour les uns, de relire la loi dans telle ou telle de ses dispositions encore contestable, pour les autres, de réfléchir dès maintenant aux textes d'application et à leur effectivité.

Je veux remercier particulièrement le CNCPH et les associations qui, une nouvelle fois, ont fait preuve d'une implication sans faille tout au long de l'élaboration de ce texte, sans oublier les organisations professionnelles.

Je veux, bien entendu, remercier également les sénateurs qui ont apporté à ce projet de loi des améliorations notables, au nombre desquelles les dispositions du titre IV bis relatives à la citoyenneté et à la participation à la vie sociale.

Je sais - j'ai pu le mesurer à la qualité des travaux de votre commission et à l'implication de son président et de son rapporteur, M. Jean-François Chossy, qui ont considérablement œuvré pour améliorer en profondeur ce texte - que vous avez, mesdames et messieurs les députés, l'ambition d'apporter votre contribution à ce projet de loi.

Mme Christine Boutin. Absolument !

Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. Puissent nos débats le permettre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean-François Chossy, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, autant le dire d'entrée : ce projet de loi est bien celui de la concertation et de la réflexion. C'est un texte ambitieux, qui constitue un nouvel âge pour le handicap.

Pendant plusieurs mois, sous son autorité et celle des membres de son cabinet, à travers de très nombreuses rencontres, en s'appuyant sur les observations des associations et des professionnels, en écoutant les personnes directement concernées ou en étayant son raisonnement des travaux du CNCPH, la secrétaire d'État d'alors, Mme Marie-Thérèse Boisseau, avait ouvert ce grand chantier porteur de toutes les espérances.

M. Pascal Terrasse. Elle a été remerciée depuis !

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Je veux devant vous, madame la secrétaire d'État, lui dire toute ma gratitude pour le travail accompli, sans jamais démériter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Gérard Bapt. Pourquoi a-t-elle été renvoyée ? Elle n'avait pas démérité !

M. René Couanau. Occupez-vous donc de vos affaires et non des nôtres !

M. Jean-François Chossy, rapporteur. À votre tour, madame la secrétaire d'État, vous devez, en profitant peut-être d'un nouvel élan, convaincre et répondre aux attentes.

Mais cette loi, ce n'est pas la vôtre, ni la nôtre : c'est celle des personnes handicapées, dont certaines nous écoutent et nous regardent depuis une salle accessible, peut-être la seule de cette grande maison.

Ces vérités, ce ne sont pas les vôtres, ni les nôtres : ce sont celles des personnes handicapées qui savent, plus que quiconque, ce qui est bon et ce qui est mieux pour elles.

Le Gouvernement et le législateur doivent répondre sans faillir aux exigences légitimes de chaque personne handicapée d'égalité des droits et des chances, de participation active dans la vie sociale et d'implication dans la citoyenneté.

Je suis, pour ma part, résolu à me placer du côté des personnes handicapées. On ne peut leur laisser entrevoir, comme horizon prochain, une autre rénovation en 2033, dans vingt-neuf ans !

Vivre comme les autres, parmi les autres : tel est certainement leur vœu le plus cher. Bien sûr, cette démarche appelle un changement de comportement de chacun pour comprendre, d'abord, et pour admettre, ensuite, la différence de l'autre.

Dans le domaine du handicap, comme dans bien d'autres, la tolérance et la solidarité doivent s'imposer à tous.

Mme Christine Boutin. Très bien !

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Le temps est venu d'un changement radical des mentalités, d'un nouvel âge pour le handicap.

Ce qui doit préoccuper le législateur tout au long de ce débat, ce n'est pas tant de savoir si la personne concernée se trouve en situation de handicap ou si elle est handicapée, c'est plus précisément la situation des personnes handicapées.

Mme Christine Boutin. Très bien !

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Or, cette situation est, aujourd'hui, très loin d'être satisfaisante, et l'on peut encore dénoncer le manque cruel de places en établissement, l'absence de formation pour les intervenants ou encore les difficultés nombreuses d'accessibilité au cadre de vie.

Nous pouvons également nous interroger sur l'implication dans le travail de la personne handicapée et sur la capacité des entreprises privées et des fonctions publiques à s'investir dans l'intégration professionnelle.

Nous connaissons encore de trop nombreux cas de jeunes enfants handicapés pour lesquels la scolarisation en milieu ordinaire n'a pas été possible.

Nous savons que les ressources des personnes handicapées sont déficientes et que l'expression des personnes handicapées et de leurs représentants est encore trop souvent marginalisée.

Chacun d'entre nous a eu connaissance, et a pris la mesure, de ce fameux parcours du combattant que rencontre tout au long de sa pénible existence la personne fragilisée par le handicap.

Nous savons tous la douleur et le désespoir des familles confrontées, toujours brutalement, à la découverte et au diagnostic du handicap.

Devant ce constat alarmant et affligeant pour notre société, il faut réagir.

Le Gouvernement l'a souhaité, vous l'avez dit, madame la secrétaire d'État, en réponse à une préoccupation et à une volonté très forte exprimée par le Président de la République.

A nous maintenant de donner du corps à ce projet, de passer de la réflexion à l'action.

Tout d'abord, la commission s'est attachée, comme vous l'avez fait vous-même, madame la secrétaire d'État, à préciser le contenu de l'article 1er.

S'il est en effet nécessaire de définir, et c'est une innovation, le handicap, il faut faire en sorte que chaque type de handicap soit bien reconnu et identifié. Or le texte initial ne tenait compte ni du polyhandicap, ni de l'autisme.

M. Ghislain Bray. Tout à fait.

M. Jean-François Chossy, rapporteur. La rédaction proposée aujourd'hui s'attache à réparer cet oubli. S'il faut effectivement donner une dimension substantielle au handicap, tenir compte d'une notion environnementale, vous l'avez dit tout à l'heure, il est utile de préciser que plus que « durablement », comme il était écrit dans le texte, la personne concernée peut être « définitivement » limitée ou restreinte dans ses activités. Cette formulation permet de cerner au mieux le champ des handicaps très lourds. Ce résultat en commission a été obtenu grâce à l'acharnement des associations de parents, à la recherche constante d'une vraie reconnaissance de chacun des handicaps - ces associations se reconnaîtront.

M. Ghislain Bray. C'est vrai !

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Dans une discussion argumentée, la commission a, par la suite, tenu à définir les droits fondamentaux de la personne handicapée afin de lui garantir le plein exercice de sa citoyenneté.

Les sénateurs, dont je salue l'excellent travail autour de Nicolas About et de Paul Blanc, se sont appliqués, dans leur grande sagesse, à compléter l'inventaire proposé par le texte initial, qui stipulait que la personne handicapée avait droit notamment - « notamment » est l'adverbe le plus utilisé par le législateur - à la prévention, au dépistage, aux soins, à l'éducation, à la formation et à l'orientation professionnelle, à l'emploi, à la garantie d'un minimum de ressources, au logement - on a fait l'inventaire et on précise quand même que les personnes handicapées ont droit à un logement, comme si nous aurions pu vouloir les faire coucher sous les ponts -, à la faculté de se déplacer, à une protection juridique, aux activités physiques et sportives, aux loisirs, au tourisme, à la culture, à l'information et aux technologies de l'information. C'est un peu comme si, madame la secrétaire d'État, je vous donnais la feuille de route en vous disant, voilà ce que vous pouvez faire ; ce qui n'est pas écrit, vous ne pouvez pas le faire.

M. René Couanau. Très juste !

M. Jean-François Chossy, rapporteur. La commission des affaires sociales de l'Assemblée nationale a, quant à elle, tenu à éviter de dresser une liste exhaustive.

M. Ghislain Bray. Très bien !

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Bien que se voulant la plus complète possible, la liste que j'ai citée oubliait cependant de faire référence à d'autres actes importants dans la vie quotidienne.

À ce titre, nous pouvions déplorer que le texte ne fasse pas référence à la vie spirituelle ou religieuse, que, dans cette liste à « la Prévert », la personne handicapée n'ait pas le choix d'une vie affective et sexuelle, que les vacances lui soient interdites puisque seuls lui étaient autorisés les loisirs et le tourisme.

Mme Christine Boutin. Très juste !

M. Jean-François Chossy, rapporteur. De fait, la commission a trouvé une autre écriture, plus serrée, qui sera présentée par voie d'amendements.

Mais, à ce stade de la discussion, il a semblé très important à la commission, et cela figurera dans le même amendement que je vous présenterai en tant que rapporteur, d'insister sur le fait que l'État doit être le garant de l'égalité de traitement des personnes handicapées sur l'ensemble du territoire.

La recherche a également fait l'objet de longues discussions en commission. Vous-même l'avez évoquée. Elle revêt en effet une grande importance. Il faut que la loi garantisse les moyens nécessaires à la mise en œuvre des politiques de recherche. Dans ce but, la commission a adopté, à l'unanimité, un amendement qui vise à créer un institut national de formation de recherche et d'innovation sur le handicap et l'inclusion sociale.

Mais la grande innovation de ce projet de loi, c'est qu'il est préalablement financé. Ainsi, nous pouvons aborder avec plus de sérénité la mise en place de la prestation de compensation.

Cette prestation, c'est le cœur même de la loi. C'est un acte de solidarité très fort mais également une décision politique majeure.

Mme Christine Boutin. C'est vrai !

M. Jean-François Chossy, rapporteur. La prestation de compensation doit être servie individuellement, versée en nature ou en espèces, sans tenir compte ni de l'âge de la personne concernée, vous l'avez souligné, ni, et c'est une demande pressante de l'ensemble de la commission, des ressources liées aux revenus du travail de la personne handicapée ni de celles de son conjoint ou de son concubin. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

C'est le projet de vie individuel qui doit définir la prestation de compensation.

Cette prestation est universelle.

Un délai de mise en place est bien évidemment nécessaire. Vous ferez en sorte, madame la secrétaire d'État, qu'il soit le plus court possible. Il faudra, en effet, revoir l'ensemble des prestations AES et probablement envisager la fusion des régimes de prestation de compensation avec l'APA.

C'est un chantier difficile, mais c'est à ce prix que nous répondrons aux attentes des personnes handicapées qui veulent, à travers cette disposition de la loi, faire valoir le juste droit à compensation pour une vie autonome digne.

Madame la secrétaire d'État, certains des amendements de la commission n'ont pu résister au tir de barrage de la technostructure qui agite devant les députés le carton rouge de l'article 40 de la Constitution. (« Eh oui ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. René Couanau. C'est scandaleux !

Mme Christine Boutin. On n'en veut pas !

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Aussi, je vous remercie avec chaleur d'avoir bien voulu, et surtout d'avoir pu, reprendre au nom du Gouvernement mais sous votre initiative certains amendements de la commission, qui ajoutent incontestablement de la consistance et de la solidarité à ce projet.

M. René Couanau. C'est la ministre anti-article 40 !

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Une demande insistante concerne la revalorisation de l'allocation adulte handicapé.

Certains partenaires souhaitent que cette allocation soit équivalente au SMIC, d'autres pensent qu'aujourd'hui l'AAH est un revenu d'existence qui peut atteindre 86 % du SMIC si l'on considère toutes les exonérations auxquelles elle donne droit. D'autres encore, j'en fais partie, ajoutent qu'il faudrait revoir les règles d'attribution aux personnes qui ne peuvent pas travailler.

Enfin, il faut éviter que cette allocation ne produise des effets dissuasifs pour ceux qui veulent se tourner vers l'emploi et qui, de fait, seraient moins motivés puisque la rémunération de leur travail n'apporterait pas de revenus supplémentaires par rapport à l'AAH.

Je sais par ailleurs qu'à votre initiative, et vous l'avez précisé tout à l'heure, un groupe de travail réfléchit aux ressources des personnes lourdement handicapées. Ses conclusions, vous vous en doutez, madame la secrétaire d'État, sont attendues avec impatience.

Grâce à la prestation de compensation, l'AAH pourra être entièrement utilisée comme un revenu d'existence. Les conditions de cumul avec un revenu d'activité seront plus favorables pour les personnes qui peuvent travailler.

La commission a souhaité que le montant de l'AAH varie en fonction de l'évolution du SMIC, mais je crois savoir que cet article a subi le couperet de l'article 40.

J'en arrive maintenant à un sujet qui constitue un des piliers essentiels de ce projet et qui a été très largement débattu au sein de la commission. Il s'agit de la scolarité, de l'enseignement professionnel, qui avait été oublié dans le titre, et de l'enseignement supérieur.

Pour affirmer encore plus la position du Sénat, la commission a considéré que l'inscription devait être administrativement obligatoire - même si certains des commissaires se sont acharnés à nous démontrer le contraire - dans l'école la plus proche du domicile, à charge pour l'éducation nationale d'organiser, si nécessaire, le réseau permettant l'accompagnement de l'enfant tout au long de son parcours scolaire.

La scolarisation devient la règle sans priver la famille de son libre choix de recourir aux institutions médico-sociales et aux établissements spécialisés qui contribuent à compléter la formation, en tant que de besoin, par des actions pédagogiques, psychologiques, éducatives, communicationnelles, sociales, médicales et paramédicales, coordonnées dans le cadre d'un projet individualisé et réalisées avec des professionnels compétents.

La commission a approuvé un amendement du rapporteur qui substitue à l'expression « intégration en milieu scolaire ordinaire » l'expression « scolarisation complète ou partielle ». Cette disposition s'avère symboliquement forte, car si l'action d'intégrer détermine le fait de faire rentrer dans un groupe une personne qui en est étrangère, la scolarisation implique une mesure de droit commun, accessible à tous, sans discrimination. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Ghislain Bray. C'est plus juste.

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Madame la secrétaire d'État, la scolarisation telle qu'elle est envisagée par la commission repose sur quatre mots clefs : la précocité - plus tôt on est scolarisé, mieux c'est -, la proximité - plus l'école est proche, moins on est soumis à ce parcours du combattant -, la continuité - il ne faut jamais lâcher la main notamment à un enfant autiste tout au long de son existence et de son parcours scolaire -...

Mme Christine Boutin. Absolument !

M. Jean-François Chossy, rapporteur. ...et les réseaux. Voilà les quatre mots clés de la scolarisation.

Par ailleurs, et suivant en cela la demande volontariste du rapporteur, la commission a reconnu le rôle important et capital des aidants et des accompagnants familiaux qui participent à la compensation par une aide compétente, efficace, dévouée et motivée, mais également présente et constante.

La commission a salué l'implication des associations représentatives aux côtés de l'enfant, de l'adolescent ou de l'adulte handicapé tout au long de son projet individuel.

Les personnes handicapées, leur famille, pourront en toutes circonstances se faire conseiller, épauler, guider par l'association de leur choix. Il fallait inscrire leur concours dans le texte, la commission des affaires culturelles l'a fait.

Parmi les droits fondamentaux, il en est un de grande importance, c'est celui de l'implication de la personne handicapée dans le monde du travail.

Mme Christine Boutin. C'est capital.

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Outre le fait que le handicap constitue en soi un vecteur économique important avec une activité professionnelle intense autour de la personne handicapée, il convient de noter que ce texte donne la priorité, dans toute la mesure du possible, au travail en milieu ordinaire pour la personne handicapée.

À ce titre, le législateur a voulu inscrire la transposition en droit national de l'article 5 de la directive communautaire du 27 novembre 2000, qui pose le principe de l'égalité de traitement, donc de non-discrimination, dans le monde du travail au bénéfice de diverses catégories de personnes, dont les personnes handicapées.

Mme Christine Boutin. Très bien !

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Depuis 1924, la loi impose aux entreprises le recrutement des mutilés de guerre, mais c'est seulement en juillet 1987 que s'est généralisée l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés.

Mme Christine Boutin. C'est incroyable !

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Cependant, l'insertion professionnelle, malgré les efforts entrepris, se heurte encore à de nombreux écueils. Les dispositions législatives sont malaisées dans leur application et l'obligation d'emploi de 6 % n'a jamais été atteinte dans le secteur privé, et encore moins dans le secteur public, pour lequel on peut déplorer l'absence notoire de volontariat.

Les structures de formation sont obligées de développer des trésors d'ingéniosité pour rester performantes. Et le milieu protégé ne favorise pas la progression personnelle.

Dans le cadre de l'accompagnement vers l'emploi et du suivi dans l'emploi, les personnes handicapées pourront bénéficier d'un accueil, d'une information et d'une formation efficaces.

À ce titre, la commission a défini les missions des réseaux « Cap emploi » car il est indispensable de clarifier les responsabilités des différents acteurs de l'insertion et d'assurer une véritable synergie des efforts de chacun.

Un amendement de la commission vise à consolider le statut juridique des services spécialisés d'insertion professionnelle. C'est donc une reconnaissance officielle de leur existence.

Pour mieux inciter les entreprises à embaucher des travailleurs handicapés, notamment les quelque 37 % des entreprises qui n'emploient aucun travailleur handicapé, la commission a suivi le rapporteur en votant un amendement qui porte la contribution AGEFIPH à 1 500 fois le salaire horaire minimum.

Mais, au-delà de cette mesure très contraignante, la commission souhaite rendre obligatoire la modulation de la contribution en fonction de l'effort direct consenti par les entreprises en direction des personnes lourdement handicapées.

Par ailleurs, les entreprises seront tenues d'engager des négociations avec les partenaires sociaux pour l'embauche de travailleurs handicapés et devront prévoir des mesures appropriées ou des aménagements raisonnables des postes et du milieu de travail.

Des passerelles entre le milieu ordinaire et le milieu adapté sont envisagées par la commission, afin de permettre au travailleur handicapé qui quitte le milieu adapté d'y revenir sans difficulté si l'adaptation en milieu ordinaire de travail devenait problématique.

Dans un souci d'égalité de traitement, le projet de loi porte en lui des dispositions permettant d'augmenter le recrutement des personnes handicapées dans la fonction publique. Si la commission a salué la création d'un fonds, contraignant, pour l'insertion des personnes handicapées comme une avancée significative, elle a tenu à ce que ce fonds contribue également à la formation et à l'information des collègues de travail face à la problématique du handicap.

La commission a également souhaité que les associations représentatives des personnes handicapées puissent participer à la gestion de ce fonds et a précisé que l'on doit tenir compte, pour la contribution à ce nouveau fonds, des éventuels contrats de sous-traitance passés avec les CAT et les entreprises adaptées.

Le projet de loi propose la transformation des ateliers protégés en entreprises adaptées afin de rapprocher le plus possible le travailleur handicapé de l'entreprise ordinaire.

La situation des personnes handicapées au regard de leur insertion est clarifiée en distinguant deux secteurs : le milieu ordinaire, qui comprend les entreprises adaptées et les entreprises ordinaires, et le milieu protégé, qui comprend les centres d'aide par le travail.

La mission médico-sociale des CAT est confirmée et les travailleurs en CAT peuvent espérer évoluer dans un accompagnement favorisant leur épanouissement personnel et social.

La commission a insisté sur l'ensemble de ces articles, parce que le travail est une démarche essentielle dans la socialisation de l'individu.

M. Ghislain Bray. Très juste !

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Dans son article 49, la loi du 30 juin 1975 proclamait déjà le droit à l'accessibilité en ces termes :

« Les dispositions architecturales et aménagements des locaux d'habitation et des installations ouvertes au public, notamment les locaux scolaires, universitaires et de formation, doivent être tels qu'ils soient accessibles aux personnes handicapées. Les modalités de mise en œuvre progressive de ce principe sont définies par voie réglementaire ».

Trente ans après, j'ai l'impression que trop peu a été fait, et le législateur, en insistant aujourd'hui encore sur cette nécessité absolue, reconnaît les difficultés de mise en place d'une telle obligation, qui ne devrait pourtant supporter aucun retard, aucune concession, aucune dérogation.

L'accessibilité de tout pour tous, affirmée dans l'exposé des motifs, doit être rendue effective pour toute personne, quelle que soit la nature de son handicap. Mais l'obligation d'accessibilité ne s'applique pas uniquement à l'école, aux lieux de travail, aux espaces de vie privés ou publics, aux transports, aux lieux de loisirs, de sport et de culture,

L'obligation d'accessibilité, c'est également la possibilité de recevoir et de pouvoir comprendre facilement l'information visuelle, audio-visuelle, sonore ou télévisuelle. C'est pouvoir prétendre à tous les dispositifs communs qui assurent l'indépendance et la liberté du citoyen. C'est pouvoir suivre l'intégralité des programmes télé. C'est pouvoir utiliser les nouvelles technologies de la communication et c'est aussi profiter d'une signalétique adaptée.

L'accessibilité consiste également à vivre sans encombre dans le confort de sa maison ou de son appartement collectif ou privé, même s'il faut, pour cela, comme le souhaite la commission, prévoir une obligation de formation aux questions d'accessibilité pour les professionnels du bâtiment et de l'architecture.

Pour ce qui est de la vie en établissement, il est temps d'admettre un nouvel âge pour le handicap. En effet, les personnes handicapées qui sont appelées à vivre de façon prolongée en établissement ne peuvent se contenter d'une architecture pratique. Il faut, à l'avenir, créer de véritables lieux de vie qui prennent en compte la qualité esthétique comme un facteur de considération et d'attention envers la personne.

Les lieux d'accueil doivent être construits en pensant plus à l'usage individuel que peut en faire la personne handicapée qu'à la fonctionnalité rigide et à la norme. Il faut inscrire les futurs projets dans le cadre du développement durable et utiliser autant que faire ce peut les matériaux naturels de l'environnement - bois, terre, pierre.

Dans le domaine de l'accessibilité, comme dans bien d'autres, tout ce qui est réfléchi, puis réalisé pour les plus fragiles d'entre nous, profite aussi à l'ensemble de la collectivité.

Mme Christine Boutin. Eh oui !

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Enfin, une disposition très attendue dans le cadre de la simplification et de l'aide aux personnes handicapées, c'est la création, dans cette loi, de la maison départementale des personnes handicapées.

Pour que ce lieu remplisse ses fonctions et sa mission, il faut bien en définir le contour. C'est ce que la commission s'est efforcée de faire en souhaitant que ces maisons départementales soient vraiment le lieu d'accueil, d'information et de conseil des personnes handicapées et de leurs familles, et quelles puissent développer également des antennes locales capables de mettre à la disposition de tous, dans la proximité, une information de base.

C'est le siège de la nouvelle commission des droits et de l'autonomie. C'est également un centre d'animation de la politique du handicap et un lieu de concertation.

C'est le guichet unique tant attendu, capable d'éviter aux personnes concernées d'entreprendre un parcours du combattant long, désespérant, éreintant, démoralisant lorsque l'on est confronté au diagnostic, toujours traumatisant, du handicap.

M. le président. Veuillez conclure, monsieur le rapporteur.

M. Jean-François Chossy, rapporteur. C'est dans cette instance départementale que devra se situer le poste de pilotage qui permettra d'apporter une meilleure lisibilité des interrogations des personnes handicapées et surtout de la cohérence dans les réponses.

C'est aussi le siège du médiateur, dont la création répond à un souhait du CNCPH et de l'ensemble des personnes concernées. Il s'agit, en effet, de mettre en place des « lieux de médiation » dont les actions doivent s'inscrire dans la proximité pour une meilleure efficacité.

Au terme de ses débats, la commission a adopté un amendement du rapporteur, qui rejoint le vôtre, madame la secrétaire d'Etat, et stipule que les textes réglementaires concernant la présente loi sont publiés dans les six mois suivant la communication de celle-ci après avoir été soumis à l'avis des deux commissions parlementaires et du CNCPH. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. Georges Colombier. Ça, c'est très bien !

M. Pascal Terrasse. Si cet amendement est adopté, nous voterons le projet !

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Lorsque l'on sait que certains des décrets concernant la loi de 1975 ne sont pas encore pris, on mesure toute l'importance de cette disposition .

La commission a adopté un amendement qui précise que toutes les dispositions seront prises pour créer, selon une programmation pluriannuelle, le places en établissement nécessaires pour accueillir des personnes handicapées de plus de vingt ans. C'est une réponse à l'amendement Creton qui a le mérite d'exister. D'autres propositions et d'autres dispositions concernant notamment les cartes attribuées aux personnes handicapées, ou l'accessibilité aux opérations de vote ou le suivi statistique ont été envisagées par la commission. Elles l'ont été dans un esprit d'ouverture et souvent de consensus.

M. Daniel Paul et M. Pascal Terrasse. C'est vrai !

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Elles l'ont été pour que ce texte fort puisse évoluer encore, pour que les comportements vis-à-vis du handicap changent, pour que les espoirs et les attentes des personnes handicapées et de leurs familles ne soient pas déçus.

Chacun des actes de ce débat en commission a été empreint de modestie et d'humilité, parce que les députés qui ont travaillé sur ce texte savent, comme nous tous ici, que tout ce qui doit être fait doit l'être pour apporter un soulagement à la détresse, au désespoir, à la douleur et à la fragilité des personnes handicapées. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce texte est le second volet d'un ensemble législatif consacré au renforcement du principe de solidarité, un principe qui prend une dimension encore plus forte quand il s'adresse aux personnes handicapées.

Comme l'a dit Emmanuel Levinas, « Chaque humain sans exception est un membre indispensable ainsi qu'une chance pour l'humanité », et comme l'explique Julia Kristeva, ce qui conditionne le lien démocratique, dans notre société si technicienne, si follement engagée dans la course à la performance, si attachée aux plus forts, ce n'est certes pas l'excellence d'autrui, mais bien la connaissance et la reconnaissance de sa fragilité.

Quelles conséquences concrètes avons-nous tirées de cette égalité ontologique des êtres humains ? Le résultat n'est pas brillant. On compte vraisemblablement, dans notre pays, 3,5 millions de personnes handicapées et polyhandicapées. Si la loi fondatrice de 1975 a constitué une avancée tout à l'honneur du gouvernement de l'époque, depuis lors les progrès ont été faits... à pas de fourmi. Le retard français sur les pays d'Amérique et d'Europe du Nord ne se rattrape décidément pas

Des problèmes de scolarisation d'un enfant au difficile déplacement en fauteuil roulant dans la plupart des villes françaises, en passant par le monde du travail quasiment inabordable, notre société impose à ses concitoyens un parcours semé d'embûches humiliantes. Malgré les difficultés de la vie quotidienne, tous essaient de s'adapter et de conserver leur optimisme, mais beaucoup souffrent d'isolement ou d'enfermement dans le ghetto du handicap. La séparation et la relégation prévalent aujourd'hui encore.

En érigeant ce dossier au rang de grande cause nationale, en consacrant l'un de ses trois grands chantiers aux personnes handicapées, le Président de la République nous a adressé un défi, celui de la pleine reconnaissance par la société des droits, des besoins et de la richesse des personnes handicapées, indispensable à leur participation à la vie sociale.

Ce projet de loi nous propose un arsenal de mesures, et l'adoption récente du projet de loi sur la solidarité et l'autonomie, texte qui constitue un premier volet, leur assure un financement. C'est suffisamment rare pour être souligné.

Fruit d'une longue concertation, le texte gouvernemental, initié par Mme Marie-Thérèse Boisseau et défendu aujourd'hui par vous, madame la secrétaire d'Etat, a été remanié lors de sa première lecture au Sénat. De nombreux progrès ont été apportés par notre commission. Plus de 800 amendements ont été examinés. Les propositions du milieu associatif, des familles, nourries d'expérience et de générosité, y ont contribué de manière déterminante.

Je souhaite saluer le travail colossal accompli par Jean-François Chossy. Songez qu'il a procédé à l'audition de plus de 150 associations, que ce soit dans le cadre de la préparation de son rapport ou dans celui de son groupe d'études ! Il ressort de tout ce travail un texte qui, je l'espère, répondra à l'ambition qui pouvait être attendue d'une grande loi telle que le Président de la République l'a annoncée. Il affirme plusieurs priorités :

La création d'un véritable droit à compensation du handicap, c'est-à-dire la prise en charge de façon personnalisée des surcoûts de toutes natures liés au handicap ;

Une meilleure implication, une meilleure participation à la vie de la cité pour nos concitoyens handicapés ;

La simplification administrative avec la création des maisons départementales du handicap.

Ces priorités recouvrent toute une série de sujets. En commission, nous avons débattu des principes généraux, de la compensation, de l'amélioration des ressources des personnes handicapées. Nous avons abordé la question essentielle de la scolarisation, avec l'affirmation du principe de l'école pour tous et la garantie d'une place sur les bancs de l'école ordinaire la plus proche pour les enfants handicapés. Nous avons parlé de l'insertion professionnelle, avec la transposition du principe européen de non-discrimination dans l'emploi, de la dynamisation du dispositif d'obligation d'emploi dans les entreprises, de la mise en œuvre de moyens pour l'insertion dans la fonction publique et, enfin, du rapprochement du milieu protégé et du milieu ordinaire.

Il a bien sûr été question non seulement de l'accessibilité de l'habitat et des transports collectifs avec l'affirmation d'un principe général d'accessibilité et la limitation des possibilités d'y déroger, mais aussi de l'organisation de l'accueil, de l'amélioration de l'orientation d'une manière générale, du suivi des personnes relevant de « l'amendement Creton ». Je n'oublie ni la participation des personnes handicapées à la citoyenneté et à la vie politique ni l'encadrement des professions au service des personnes handicapées.

Chacune de ces questions a été décortiquée avec une rare minutie et enrichie par les commissaires de la majorité et de l'opposition, dans un esprit de respect mutuel tant le défi de la participation des personnes handicapées dépasse les clivages politiques.

De ce vaste chantier, je retiens quelques points majeurs.

Premier point : fallait-il définir le handicap dans ce projet de loi ? Sans doute. La loi du 30 juin 1975, dans son article 1er, conférait solennellement à la prévention, aux soins et à l'intégration sociale sous toutes ses formes de la personne handicapée le caractère d'une « obligation nationale », mais il est vrai qu'elle restait muette quant à la définition même qu'elle retenait du handicap. On connaît les conséquences de ce silence en termes d'égalité de traitement. Il convenait d'y remédier. L'article 1er pose pour la première fois cette définition. Notre crainte était qu'elle ne parvienne pas à couvrir toute la diversité du handicap. Nous avons veillé, par exemple, à ce que soit bien reconnue sa dimension cognitive ou encore qu'il soit fait expressément allusion au polyhandicap.

Deuxième point : nous souhaitons donner à la nouvelle prestation de compensation un caractère aussi universel que possible. L'affaire Perruche, au-delà de sa dimension médico-juridique et éthique, a eu le mérite d'ouvrir le débat sur les lacunes de la prise en charge du handicap en France. La prestation de compensation prendra en charge les dépenses qu'une personne doit engager du fait de son handicap et qu'une personne valide n'a pas à faire. Nous souhaiterions qu'elle soit servie à tous et à chacun, quel que soit son âge, parce que nous voulons garantir à nos concitoyens une liberté de choix dans les modes de compensation et, surtout, parce que nous souhaitons en finir avec les traitements discriminatoires liés à la coexistence de l'allocation d'éducation spéciale, de l'allocation aux adultes handicapés et de l'allocation personnalisée à l'autonomie. Nous souhaitons faire sauter les barrières d'âges et inciter le Gouvernement à opérer à terme la fusion des prestations existantes. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Etre universel, cela signifie également répondre aux besoins de toutes les familles frappées par le handicap, sans considération de conditions de ressources. Nous avons pu constater un consensus autour de cette question parmi les députés. Nous ne sous-estimons pas les aspects financiers de notre demande, mais c'est une position de principe forte que nous défendrons.

Troisième point : nous sommes en 2004 et, comme l'a dit Jean-François Chossy, certains décrets d'application. de la loi de 1975 n'ont toujours pas été publiés ! Vingt-neuf ans plus tard ! Nous serons vigilants. M. le rapporteur s'est engagé à faire le point en commission six mois après la promulgation de la loi.

Quatrième point : tout l'enjeu de ce texte est de sortir de la logique institutionnelle qui a prévalu dans les années 70 et qui a eu tendance à « cacher » le handicap en plaçant les personnes en milieu dit « protégé ». Nous souhaitons casser cette logique et apporter aux personnes handicapées des réponses « individualisées » pour leur permettre de maîtriser leur choix de vie, leur « projet de vie » diriez-vous, madame la secrétaire d'Etat. Il s'agit, partant d'une situation asymétrique entre personnes valides et handicapées, de réintroduire le plus possible de symétrie, selon un processus dont ils resteront les sujets. Car il s'agit non pas seulement de régler des questions pratiques et financières, mais avant tout de faire en sorte que les handicapés participent enfin à la vie d'une société qui, jusqu'à présent, a été pensée et fabriquée sans eux.

C'est une affaire d'éthique. Non une éthique qui se réduirait à la moralité du devoir, mais une éthique visant à reconnaître l'égale dignité de toutes les personnes qui habitent notre pays.

Au moment où s'ouvre ce débat, permettez-moi d'avoir une pensée pour Véronique, trisomique, qui écrit de si beaux poèmes, et Elisabeth, infirme moteur cérébrale, que vous avez rencontrée à Lyon, madame la secrétaire d'État, et qui s'aide d'un ordinateur pour transcrire les siens.

Je pense à Aude, polyhandicapée, bibliothécaire quasi bénévole dans un service hospitalo-universitaire de Lyon, qui n'a jamais pu obtenir son intégration à la fonction publique hospitalière.

Je pense à Nathalie, malvoyante, qui m'a rendu plus intelligent le jour où elle m'a fait marcher les yeux bandés sur un trottoir encombré d'obstacles, et enfin à mon cher Serge, paraplégique, dont la persévérance et l'entêtement ont été si positifs pour l'indemnisation des victimes d'accidents médicaux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Exception d'irrecevabilité

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à Mme Hélène Mignon.

Mme Hélène Mignon. Après plusieurs changements de calendrier - dont la responsabilité ne vous incombe pas personnellement, madame la secrétaire d'État - nous voici enfin invités à examiner le projet de loi intitulé « Égalité des droits et des chances, participation et citoyenneté des personnes handicapées ». Or, paradoxalement, au moment où la discussion commence, je me dis qu'il aurait peut-être mieux valu attendre davantage pour nous permettre de mieux cerner les attendus propres à ce texte.

Le chantier de la réforme de la loi d'orientation de 1975 dite «en faveur des personnes handicapées » avait été ouvert par le gouvernement de Lionel Jospin. La réflexion avait permis de dégager des pistes à privilégier lors de la rédaction d'une nouvelle loi. Mais avec ce texte, qui est loin de faire l'objet d'un consensus - vous le savez, puisque vous avez rencontré les mêmes associations que nous -, nous sommes bien éloignés de ces pistes, ce qui prouve que le handicap aussi entre dans le champ du politique.

Pour revenir à mon premier propos, permettez-moi de m'étonner du calendrier hasardeux auquel nous sommes soumis et de l'incohérence avec laquelle s'enchaînent des débats relatifs à la décentralisation, à la réforme de l'assurance maladie, à la mise en place de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, sans attendre, vous l'avez reconnu tout à l'heure, madame la secrétaire d'État, les conclusions de la mission Briet-Jamet. En revanche, il semble que l'on ait fort peu tenu compte de celles du Conseil économique et social, pourtant fort intéressantes.

Le président du Conseil national consultatif aux personnes handicapées ne s'y trompe pas quand il écrit au Premier ministre que « le calendrier actuel des travaux de l'Assemblée nationale est inadapté et ne permet pas de disposer de l'indispensable perception globale du dispositif dans lequel s'insère la politique du handicap. »

Le texte présenté ce soir est tronqué, comme lors de la première lecture au Sénat, du chapitre relatif au financement du projet de prestation de compensation. Les éléments concernant le dispositif national qui régira la politique du handicap n'y figurent pas non plus. Ces incohérences proviennent sans doute de l'embarras du Gouvernement qui doit donner corps à l'un des chantiers prioritaires du Président de la République sans avoir les moyens d'y donner du sens.

M. Patrice Martin-Lalande. C'est faux !

Mme Hélène Mignon. À preuve, vos difficultés à intégrer l'évolution des concepts et les attentes du milieu associatif. Je ne dis pas que le Gouvernement doive légiférer sous la seule pression de la société civile, mais le décalage entre les avis rendus par le Conseil national consultatif des personnes handicapées et votre texte est saisissant.

Madame la secrétaire d'État, il est possible que votre nomination au Gouvernement permette d'engager une réelle concertation avec les acteurs associatifs et que vous ne vous contentiez pas de simples consultations sans retour, comme ce fut le cas par le passé. J'admets que votre tâche n'est pas aisée : vous devez défendre un projet de loi qui n'est pas le vôtre et votre arrivée au Gouvernement intervient après que le Sénat a achevé la première lecture.

Vous avez déclaré que vous étiez prête à faire évoluer ce texte. Vous venez d'ailleurs d'annoncer des amendements du Gouvernement que nous serons amenés à évaluer et à discuter. Ils nous permettront de juger de la manière dont vous répondez aux attentes des associations. Toutefois, en entendant M. le rapporteur, je me suis demandé si nous avions rencontré les mêmes.

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Nous en avons rencontré beaucoup plus que vous !

Mme Hélène Mignon. Je n'en suis pas sûre. Quoi qu'il en soit, nous n'allons pas nous lancer ici dans une bataille de chiffres.

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Je vous rappelle que c'est vous qui avez commencé !

Mme Hélène Mignon. Nous avons, les uns et les autres, procédé à beaucoup d'auditions, même si nous ne les avons pas faites ensemble.

Nous examinons aujourd'hui un projet de loi que nous espérions plus ambitieux, plus audacieux, plus courageux, plus politique et plus à même de répondre aux attentes des associations qui représentent les personnes en situation de handicap. Ces associations fortes de leur expérience et du vécu de leurs membres, nous devons les écouter, notamment quand elles nous indiquent les apports et les limites de la loi d'orientation de 1975.

M. Serge Poignant. Vous avez tout de même eu cinq ans pour agir !

Mme Hélène Mignon. Vous leur avez rendu un juste hommage lors du congrès de l'UNAPEI à Lyon, mais, dans leur grande majorité, ces associations, que j'ai rencontrées encore ce matin, attendent des mesures concrètes qui soient inscrites dans la loi et non renvoyées aux décrets.

M. Serge Poignant. Pourquoi n'avez-vous rien fait quand vous étiez aux affaires ?

Mme Hélène Mignon. Le Gouvernement a formé des groupes de travail réunissant les associations et les administrations concernées pour envisager la rédaction des textes d'application de ce projet de loi. C'est une bonne initiative, probablement à mettre à votre compte, madame la secrétaire d'État, mais il est dommage que la réflexion n'ait pu commencer qu'une semaine avant le débat de ce soir.

Autant l'exposé des motifs était prometteur, autant la lecture attentive des articles nous inquiète sur la volonté réelle du Gouvernement. C'est en effet une caractéristique de ce texte que de faire appel beaucoup trop souvent aux décrets d'application, ce qui diminue le rôle du Parlement.

La loi du 2 janvier 2002 avait pris en compte les profondes évolutions intervenues depuis le vote de la loi de 1975, en particulier le vote des lois de décentralisation et l'évolution des modes d'accompagnement ou de prise en charge des personnes. Apportant un certain nombre d'améliorations au dispositif en place, elle a mis l'usager, notamment les personnes âgées et les personnes handicapées, au cœur du dispositif en place, en affirmant ainsi leur accès à la citoyenneté.

Le texte que vous nous présentez aujourd'hui ne s'articule pas avec les dispositions de la loi de 1975 qui offre pourtant un cadre d'action, des outils et des solutions sur lesquels il serait très utile de s'appuyer. Il présente malheureusement les mêmes lacunes que cette loi d'orientation dite « en faveur des personnes handicapées ».

Le bilan de la loi de 1975 est en effet mitigé. Tout le monde n'en est pas satisfait, les personnes concernées en premier lieu. Si elle a apporté des avancées incontestables par rapport à la situation antérieure, par exemple en matière de prise en charge, elle présente l'inconvénient majeur de faire des personnes handicapées une catégorie à part dans la société, sans tenir compte du facteur environnemental, pourtant fondamental ici.

En 1975, le législateur et les pouvoirs publics ne sont pas parvenus à mesurer à quel point les aptitudes des personnes étaient largement tributaires de leur environnement architectural, culturel et social. À la différence de celle d'autres pays, la politique française à l'égard des personnes handicapées a été longtemps marquée par la création de dispositifs spécifiques, finalement peu favorables à l'intégration, et par un sentiment de compassion qui trouvait dans la charité une façon de se dédouaner.

La loi de 1975 parlait, à l'article 1er, d'intégration «chaque fois que les aptitudes des personnes handicapées le permettent ». Mais elle renvoyait aux articles 49, 52 et 54, donc en fin de loi, les mesures à prendre pour accessibiliser le cadre ordinaire de vie et compenser les situations de handicap. Le handicap, qui était assimilé à tort à une déficience, y était appréhendé comme consubstantiel à la personne, alors qu'il n'est qu'un rapport entre des incapacités nées d'une déficience et un environnement donné.

Cette volonté délibérée de traiter des déficiences de quelque nature qu'elles soient dans une loi unique, alors que leur panel est large, complexe et multiforme, a conduit à traiter les personnes qui en sont affectées comme une minorité aux composantes quasi semblables, donc à créer une sorte de statut distinctif et à éloigner davantage de l'univers commun ces personnes aux situations si particulières.

La personne était considérée comme inadaptée. Elle devait donc à tout prix se réadapter à une normalité. Systématiquement liée au social et à la santé, la politique à l'égard du handicap sera trop longtemps déconnectée de l'appréhension de l'environnement sociétal.

Prévu pour répondre aux besoins de prise en charge de près de 300 000 personnes lourdement déficientes, ce système se révèle incapable, de par sa conception même, de rendre la société accessible à plus de trois millions de personnes. D'autant que, dans le même temps, les réglementations généralistes ont bien du mal à tenir compte des particularités et ignorent trop souvent les innovations technologiques.

Cela nous oblige à renverser la problématique à mettre en œuvre envers les personnes déficientes. Il faut les considérer aujourd'hui comme des personnes en situation de handicap - situation générée prioritairement par l'inadaptation du cadre de vie et secondairement par les déficiences elles-mêmes -, à l'exception bien sûr des personnes dont les déficiences sont d'une telle gravité, que, pour elles, la priorité reste la qualité de la prise en charge.

Qu'est-ce qu'une personne handicapée, sinon une personne à part entière, placée dans une situation de handicap occasionnée par les barrières environnementales - architecturales, culturelles, économiques, sociales, voire législatives ou réglementaires - que la personne, en raison de sa ou de ses particularités, ne peut franchir au même titre que les autres citoyens ?

Non, madame la secrétaire d'État, il ne s'agit pas « d'arguties sémantiques », comme vous l'avez déclaré récemment. Il ne s'agit pas de rejeter l'expression « personnes handicapées » et d'en chercher une plus « politiquement correcte ». Vous ne devez pas vous retrancher derrière un pseudo-débat sur le vocabulaire pour vous abstenir de faire un choix - car il s'agit bien de choisir le sens à donner à l'action publique en matière de handicap.

Mme Martine David. Très bien !

Mme Hélène Mignon. Le qualificatif « handicapée » accolé au terme « personne », quand il n'est pas employé seul comme substantif, a remplacé depuis trente ans toutes les appellations usitées alors pour désigner de manière précise les personnes atteintes de différentes déficiences, sans qu'on mesure pour autant l'impact des facteurs environnementaux.

Outre l'avantage d'être moins stigmatisante, la notion de « situations de handicap » présente l'intérêt d'insister sur le facteur environnemental et donc sur la responsabilité des pouvoirs publics, qui doit être de supprimer ces situations de handicap en adaptant la société, c'est-à-dire en la rendant accessible à tous, handicapés ou non. Quand les situations de handicap ne peuvent pas être supprimées, il faut les réduire et, dans le même temps, chaque fois que de besoin, les compenser.

À partir de là, les priorités de l'action publique peuvent être clairement définies. Or, avec ce projet de loi, le Gouvernement refuse de sortir de la vision personnaliste du handicap qui prévalait en 1975 et en rejette toute prise en compte sociétale, même si je vous accorde, madame la secrétaire d'État, que vous venez de faire quelques propositions en la matière.

La société doit s'interroger sur la place qu'elle fait - ou qu'elle ne fait pas - à ceux des siens qui portent des déficiences marquées, parfois très lourdes. Elle doit aussi s'interroger sur les processus de production de handicaps qu'elle sécrète, tant en termes d'atteintes à la santé qu'en termes d'obstacles sociaux qu'elle érige, ou de difficultés naturelles qu'elle ne combat point.

Or, la définition du handicap que le texte propose tire un trait sur cette nécessaire réflexion et évacue immédiatement la prise en compte du facteur sociétal et environnemental. Définir le handicap comme « le fait pour une personne de se trouver durablement limitée dans ses activités ou restreinte dans sa participation à la vie en société, en raison de l'altération d'une ou plusieurs fonctions physique, sensorielle, mentale ou psychique », c'est rester dans le même état d'esprit que le législateur de 1975. Vous nous présentez une loi pour les personnes quand il aurait fallu une loi contre les situations de handicap.

Nous pouvons d'ailleurs nous demander s'il faut ou non une loi particulière.

Si l'on entend par là une loi qui poserait comme fondamentale et prioritaire l'accessibilité de la voirie, de l'urbanisme, du cadre bâti, des transports, de l'information, donc de l'ensemble de la société et des éléments de la vie de chacun - scolarité, formation professionnelle, emploi, loisirs, culture, vie familiale, personnelle et citoyenne - à toutes les personnes, quelles que soient leurs déficiences, une loi qui programmerait la mise en œuvre raisonnable de l'accessibilité de l'existant pour tous et garantirait l'accessibilité à tous des constructions à venir, une loi qui réformerait le système allocatif pour construire et accompagner le projet d'intégration personnalisé, sans barrières d'âge, une loi qui développerait complémentairement les mesures de compensation en termes d'aides humaines, d'aides techniques, d'aides financières et d'accompagnement, une loi qui déterminerait comme fondamentale l'intégration scolaire, professionnelle et sociale, une loi qui organiserait, planifierait et garantirait une prise en charge cohérente et sécurisée - institutionnelle et non institutionnelle - de proximité, sans barrières d'âge, une loi particulière articulée avec un programme de mesures concrètes, le tout en relation avec une politique de santé, et pas seulement de soins, donc de prévention large et cohérente, là, nous serions d'accord.

Mais si l'on entend par « loi particulière » un simple toilettage de la loi de 1975 qui ne prend en compte ni l'évolution des concepts et la classification internationale des handicaps de 1980 - laquelle distingue la déficience, c'est-à-dire l'origine, de l'incapacité qui en découle et du désavantage dans un environnement donné - ni, a fortiori, la classification internationale de 2000, qui remplace la précédente en insistant davantage sur le facteur environnemental, nous ne sommes plus d'accord. Malheureusement, c'est le choix que fait le Gouvernement, au détriment des aspirations des personnes concernées et des engagements internationaux qu'a pris la France lorsqu'elle a adopté la nouvelle classification.

Ce choix se retrouve dans l'architecture du texte. Ainsi, au-delà de l'introduction d'un nouveau titre consacré à la recherche et à la prévention, au-delà de votre projet de supprimer le titre relatif aux compétences professionnelles pour le renvoyer à un plan « métiers du handicap », faire apparaître la question des ressources et de la compensation en premier titre, avant celle de l'accessibilité et de l'évaluation, est très révélateur de votre état d'esprit. N'aurait-il pas été plus pertinent et plus cohérent de traiter de l'accessibilité au début de la loi, avant d'aborder l'évaluation, puis la compensation ?

Quel que soit le handicap, les souffrances à endurer et les difficultés à surmonter pour s'intégrer dans la vie sociale sont lourdes, pesantes et nécessitent effort, énergie et soutien de la personne en situation de handicap comme de son entourage.

Oui, l'accessibilité doit être affichée comme la priorité des priorités, car c'est elle, et non les seules capacités des personnes, qui conditionne l'intégration en milieu ordinaire. Il convient de s'assurer que cette accessibilité - qui doit s'entendre au sens large - est garantie quel que soit le type de handicap, qu'elle tient compte des spécificités de chaque handicap. C'est le principe de l'accès de tous à tout, principe qui aurait dû figurer dans le titre de votre projet de loi. Or, cette priorité est quelque peu éludée dans ce projet, qui la traite de façon incomplète et renvoie, pour la plupart des dispositions qui y sont consacrées, aux décrets d'application.

En amont de tous les titres manque une définition de l'accessibilité, si possible par type de déficience. En effet, ce terme renvoie souvent aux situations de handicap moteur, alors qu'il concerne tout autant les personnes déficientes auditives ou visuelles, mentales ou psychiques. À titre d'exemple, pour le handicap auditif, l'accessibilité se définit par la traduction écrite ou visuelle systématique de toute information, orale ou sonore, et, le cas échéant, par l'amélioration des conditions d'écoute. Cette définition fait d'ailleurs l'objet d'un amendement du rapporteur qui devrait permettre de mieux cadrer la rédaction des décrets d'application. Mais nous aurions pu élaborer une définition de l'accessibilité pour chaque type de handicap, car le problème se pose dans les mêmes termes pour les personnes déficientes visuelles, qui ont besoin d'une telle définition pour que soit garanti leur accès à l'information.

Aussi des amendements vous seront-ils proposés afin d'introduire dans la loi l'obligation, pour les chaînes de télévision, de rendre accessible la totalité de leurs programmes. En effet, en France, seuls 15 % des programmes sont sous-titrés à l'intention des téléspectateurs sourds ou malentendants - lesquels paient pourtant leur redevance audiovisuelle -, alors que dans d'autres pays, ce public peut accéder à la quasi totalité des programmes télévisés. Cela prouve qu'il est possible de généraliser ce dispositif et que nous devons nous donner les moyens de permettre un tel accès à l'information et à la citoyenneté, qui figure d'ailleurs dans le titre du projet de loi. J'ajoute que les malvoyants m'ont fait part de carences de l'information qui les pénalisent, en particulier dans le domaine de la formation professionnelle, alors que des techniques sont actuellement au point.

Il aurait fallu inscrire, dès l'article 1er de la loi, le principe de conception universelle, stratégie qui vise précisément à concevoir et à composer les différents produits et l'environnement pour qu'ils soient, autant que possible et de la manière la plus indépendante et naturelle possible, accessibles, compréhensibles et utilisables par tous, sans qu'il soit besoin de recourir à des solutions nécessitant une adaptation ou une conception spéciale. C'était l'une des principales lacunes de la loi d'orientation de 1975 et le groupe socialiste regrette que, en 2004, le législateur reproduise la même erreur d'analyse. L'accessibilité devient pourtant un enjeu pour la plupart de nos concitoyens. Ce n'est pas un hasard si, dans le cadre du Parlement des enfants, plusieurs propositions de loi visent à la garantir.

La conception personnaliste du handicap a poussé le Gouvernement à choisir de financer la future caisse par la suppression d'un jour de congé. Il est consternant de voir que, en 2004, vous ne trouviez pas d'autre solution que de vous tourner vers la charité forcée, stigmatisante et non universelle, pour répondre aux besoins des personnes en situation de handicap.

M. Jean-François Chossy, rapporteur. C'est de la solidarité, pas de la charité !

Mme Hélène Mignon. Il ne s'agit pas de solidarité nationale,...

M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Si !

Mme Hélène Mignon. ...mais bien d'une bonne œuvre obligatoire. Du reste, de nombreuses associations ressentent douloureusement cette dépendance. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Comment voulez-vous contribuer à changer le regard de la société sur les personnes handicapées si vos décisions reflètent une vision charitable du handicap ? (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - « Très juste ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Par ailleurs, le financement de votre politique en faveur des personnes handicapées repose sur un dispositif dont l'application entraîne une atteinte au principe d'égalité, puisque, avec la Caisse de solidarité pour l'autonomie, le financement reposera sur les salaires et les revenus du patrimoine des particuliers. Les recettes de la Caisse, incertaines et sûrement insuffisantes pour répondre aux besoins, ne seront donc pas fondées sur la participation de tous les revenus. Du reste, à quoi serviront exactement les sommes ainsi collectées ? Comment seront-elles attribuées ? Selon quels critères ?

Puisque l'on parle de solidarité nationale, madame la secrétaire d'État, comment inscrire clairement les missions de la future caisse dans le champ de la protection sociale ? Comment expliquer que l'on maintienne les conditions de ressources pour l'attribution de la prestation de compensation ? La possibilité de cumuler l'AAH et les revenus du travail existe déjà, et il serait sage de l'améliorer. Alors, pourquoi ne pas aller au bout de cette démarche en supprimant les conditions de ressources ?

Avant d'être écartée par le Gouvernement, cette question doit faire l'objet d'un débat dans cette enceinte, tout comme celle des ressources des personnes handicapées. Pourquoi refuser d'aligner l'AAH sur le SMIC, quand il s'agit de personnes qui ne peuvent absolument pas travailler du seul fait de leur handicap ?

M. Pascal Terrasse. Très juste !

M. René Couanau. Pourquoi ne l'avez-vous pas fait ?

Mme Hélène Mignon. Si nous avions fait tout cela, vous ne seriez pas dans la majorité aujourd'hui !

Si le financement de la compensation de prestation est assuré par votre projet de Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, qu'en est-il des autres aspects de la loi ? Comment les mises en accessibilité seront-elles financées ? Avec quels moyens se réalisera la scolarisation des enfants en milieu ordinaire en prenant en compte les besoins spécifiques de chacun ? Quels sont les plans d'action et les programmes pluriannuels prévus ? D'autres questions restent en suspens. Ainsi, comment assurer l'égalité des chances pour les enfants handicapés venant de milieux défavorisés dont, souvent, les parents n'ont pas la possibilité de choisir véritablement un projet de vie pour eux et leurs enfants ?

Les maisons départementales des personnes handicapées masquent mal une fausse fusion des CDES et des COTOREP et créent l'illusion que la solution au parcours du combattant des personnes en situation de handicap et de leurs familles est enfin trouvée. Trop d'imprécisions et d'inconnues sur la gestion de ces maisons départementales empêchent de porter une appréciation complète sur le projet du Gouvernement. Je le disais au début de mon intervention, la question de l'organisation institutionnelle et de la répartition des compétences aurait dû être réglée avant que nous n'examinions ce projet de loi.

En 1975, il s'agissait déjà de remplacer les commissions départementales d'éducation spécialisée et les commissions départementales d'orientation des infirmes par les commissions départementales d'éducation spéciale et les commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel, les COTOREP. Ce dispositif a été récemment complété par la mise en place de sites pour la vie autonome. Or, nous savons bien aujourd'hui que jamais les efforts réalisés n'ont été à la hauteur des besoins. D'ailleurs, un plan triennal du gouvernement de Lionel Jospin, qui couvrait la période 2001-2003, avait prévu deux millions et demi d'euros pour le renforcement des COTOREP et, en 2002, dix départements pilotes avaient été sélectionnés pour une fusion des sections des COTOREP, fusion qui était accompagnée d'un budget. Or, ces crédits ont été supprimés dans le budget 2003 et n'ont pas été réinscrits dans celui de 2004.

Aujourd'hui, le Gouvernement nous propose de créer une maison départementale des personnes handicapées par département. Pourra-t-il en exister plusieurs par département et quels moyens leur seront attribués pour remplir leurs missions ? Comment laisser croire aux personnes en situation de handicap que leur parcours du combattant va cesser, alors que l'on n'a jamais donné de moyens aux commissions actuelles - même s'il faut saluer la volonté d'instaurer un guichet unique ?

Ce projet de loi est un rendez-vous manqué. Quitte à refaire une loi, nous aurions pu faire en sorte qu'elle réponde le mieux possible aux besoins des personnes en situation de handicap et de leurs familles.

Le Préambule de la Constitution de 1958 rappelle l'attachement du peuple français au Préambule de la Constitution de 1946, qui indique que « chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi », que « la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement », que « tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l'incapacité de travailler a le droit d'obtenir de la collectivité des moyens convenables d'existence » et que « la nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture ». J'ajoute qu'il ne doit pas y avoir de différence de traitement d'un département ou d'une région à l'autre : l'État doit rester le garant de l'égalité des citoyens.

Le projet de loi présenté ce soir a pour objet l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées. Or, fondé sur une mauvaise analyse du handicap, il ne peut assurer un égal accès aux droits. Force est de constater que, aujourd'hui encore, les personnes en situation de handicap ne sont toujours pas considérées comme des citoyens à part entière.

Ce texte n'étant pas conforme à la Constitution, je vous invite, mes chers collègues, à adopter l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.

Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. Madame Mignon, vous avez bien fait de retracer l'historique de notre pensée sur le handicap, en rappelant notamment que, à travers le temps, nous sommes passés de la charité compassionnelle à l'intégration, à la prise en compte de la personne handicapée dans son environnement. Vous avez bien fait de souligner le poids de l'environnement sur le handicap. Néanmoins, je ne vous suivrai pas dans votre raisonnement sur l'attente. Nous avons assez attendu, madame Mignon,...

M. Jean-François Chossy, rapporteur. Très juste !

Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. ...et singulièrement les personnes handicapées, qui ont droit à la réforme de la loi de 1975. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Par ailleurs, nous ne devons avoir aucun scrupule à adopter une terminologie simple et pratique pour désigner le handicap, comme le fait Vincent Assante dans son rapport au Conseil économique et social.

M. Pascal Terrasse. Excellent rapport !

Mme la secrétaire d'Etat aux personnes handicapées. En effet.

Si l'on suit votre raisonnement, une loi contre les situations de handicap conduirait à exclure tout simplement la compensation.

Je crois qu'il faut en revenir à notre sujet, le texte du projet de loi.

Quand vous nous reprochez, madame Mignon, de ne pas respecter le calendrier qu'imposerait selon vous la distinction entre l'objectif et les moyens, il me semble que l'on aurait pu faire la même observation au sujet de la loi de 2002.

Je vous rappelle que, tout récemment, il a été décidé par cette assemblée, puis par le Sénat, de demander aux Français de faire don d'une journée de congé, afin de financer l'autonomie des personnes dépendantes.

Plusieurs députés du groupe socialiste. Pas à tous les Français !

Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. Nous avons donc bien organisé le calendrier, en préférant trouver les financements avant d'ouvrir les droits.

Mme Martine David. Quels financements ?

Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. Permettez-moi de vous dire que nous sommes maintenant au pied du mur. Il nous faut passer à l'action, en débattant utilement de l'ensemble des points fondamentaux que ce texte prévoit, tel le droit à la compensation, ou la possibilité qui va être offerte à tous les enfants d'être inscrits dans l'école la plus proche de leur domicile. Nous y reviendrons au cours des débats.

Vous comprendrez donc, madame Mignon, que je ne peux qu'inviter l'Assemblée à voter contre l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Mme Hélène Mignon. Le contraire m'eût étonné !

M. le président. Nous en venons aux explications de vote.

La parole est à M. Bernard Perrut, pour le groupe UMP.

M. Bernard Perrut. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, j'avoue avoir été quelque peu surpris par les propos de notre collègue Mme Mignon.

En effet, je pense à toutes les personnes handicapées qui vont suivre nos débats, que ce soit en direct, dans une salle proche de l'hémicycle, ou en lisant la presse,...

Plusieurs députés du groupe socialiste. Oui, et alors ?

M. Bernard Perrut. ...et qui vont constater que, sur un texte aussi important, nous sommes divisés, et que vous avez tenu, madame Mignon, des propos qui pourraient laisser croire que ce texte est contraire à la Constitution et à son esprit, ce qui ne me paraît pas acceptable.

M. Ghislain Bray. C'est choquant !

M. Bernard Perrut. Il s'agit au contraire d'un texte fondateur. Il s'inscrit dans l'esprit de la loi de 1975 et nous permet de donner un nouveau souffle à ce texte inspiré par le Premier ministre de l'époque, Jacques Chirac. C'est aujourd'hui le même homme, devenu Président de la République, qui veut donner un nouvel essor à cette loi.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Très juste !

M. Bernard Perrut. Vous avez parlé d'un rendez-vous manqué, madame Mignon. Or, le présent texte développe trois axes importants. Quand il vise à garantir aux personnes handicapées le libre choix de leur projet de vie, est-ce un rendez-vous manqué ? Certainement pas ! Quand il tend à améliorer la participation des personnes handicapées à la vie sociale, est-ce un rendez-vous manqué ? Certainement pas ! Enfin, comment pouvez-vous prétendre que placer les personnes handicapées au cœur des dispositifs qui les concernent soit un rendez-vous manqué ?

Vous avez reproché au texte d'être insuffisant sur certains points, de mal définir le handicap, et de ne pas répondre aux attentes qu'il suscite. Vous avez également remis en cause l'esprit même de solidarité, en disant que les personnes handicapées ne pouvaient accepter la notion de solidarité ou de charité.

Mme Hélène Mignon. Je n'ai jamais dit cela !

Mme Martine David. Elles ont raison, de refuser la charité !

M. Bernard Perrut. Je rappelle que la fraternité a été déclarée grande cause nationale en 2004, et qu'il y a quelques semaines, lorsque nous avons décidé de la mise en place de la Caisse de solidarité, nous avons exprimé ici même le besoin de créer ce temps de partage, ce temps qui permettra de contribuer aux efforts en direction des personnes les plus fragiles.

Je ne peux m'empêcher de penser, en entendant vos propos, aux attentes des enfants handicapés et de leurs familles. Aujourd'hui, 35 000 à 45 000 enfants ne sont pas en mesure d'être scolarisés. Comment pourrions-nous différer plus longtemps la mise en place de cette loi ?

Mme Hélène Mignon. Vous n'avez rien compris à ce que j'ai dit !

M. Bernard Perrut. Vous parlez d'une loi qui n'est pas assez ambitieuse, pas assez audacieuse, comme si vous n'aviez pas saisi toute l'étendue de son contenu et la richesse des réponses qu'elle apporte aux besoins qui sont exprimés.

L'argument qui consiste à dire que les associations n'ont pas été assez entendues n'est pas recevable, lorsqu'on sait qu'au contraire, la liste des bénéficiaires a été élargie, et que la commission des affaires sociales a adopté un amendement de notre rapporteur, destiné à faire en sorte que l'âge ne soit pas un élément de discrimination pour bénéficier de la prestation de compensation.

Plusieurs interventions, dont celle de notre collègue René Couanau, ont visé à ce que ce droit à compensation soit un droit reconnu pour tous, sans conditions, et qu'il vienne concrétiser cet effort de la nation en direction de celles et de ceux qui le souhaitent.

D'autres points importants du projet de loi s'inscrivent indubitablement dans l'esprit de la Constitution, tel l'accès à l'emploi, ou l'accessibilité à la ville. L'obligation d'emploi n'est pas contraire à la Constitution, puisqu'elle obligera tant les employeurs privés que les employeurs publics à se mobiliser pour l'accueil des personnes handicapées. De même, l'accessibilité représente une vraie nécessité dans nos cités, dans nos quartiers, ainsi que l'ouverture des maisons départementales des personnes handicapées, maisons qui vont constituer ce lieu d'accueil, ce lieu de simplification des démarches, sous forme de guichet unique.

Nombre d'éléments démontrent que ce texte n'est pas contraire à la Constitution et que, bien au contraire, il en rejoint l'esprit et donne plus de force à la devise républicaine de liberté, d'égalité et de fraternité.

C'est la raison pour laquelle le groupe UMP repoussera cette motion avec une grande conviction. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Je vous informe que, sur l'exception d'irrecevabilité, je suis saisi par le groupe socialiste d'une demande de scrutin public.

Le scrutin est annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale.

La parole est à M. Daniel Paul, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Daniel Paul. Nous partageons la plupart des arguments développés par Mme Mignon dans sa motion de procédure, notamment l'idée que ce texte, qui vient vingt-neuf ans après un texte fondateur, manque de souffle et d'ambition.

Parmi les annonces que vous avez faites tout à l'heure, madame la secrétaire d'État, figurait la création de groupes de travail, ce qui peut paraître intéressant de prime abord, mais peut aussi avoir pour seul effet de retarder la prise de décision.

Nos collègues sénateurs ont estimé que le nombre de décrets d'application rendus nécessaires par ce texte serait d'une cinquantaine ou une soixantaine. Compte tenu de toutes les incertitudes qui s'attachent à ce genre de décisions, je pense que nous dépasserons largement ce chiffre.

Allons-nous être en retard sur la définition du handicap, alors même que nous adoptons un nouveau texte ? Cela peut paraître relever de la sémantique, comme vous l'avez dit vous-même, mais il y a plus. Car cette définition du handicap conditionne, de facto, l'attitude qui sera adoptée à l'égard du handicap, et surtout à l'égard des personnes en situation de handicap.

« Tout pour tous, tout à tous ». Certes, cela semble généreux, mais que restera-t-il de ce texte lorsqu'il sera passé par l'épreuve des décrets d'application ? Il est permis de se poser la question quand on sait que certains décrets de la loi de 1975 ne sont toujours pas parus, vingt-neuf ans plus tard.

Vous avez annoncé tout à l'heure, madame la secrétaire d'État, des chiffres surprenants concernant les effectifs dans les centres d'aide par le travail et le nombre de places qui y seraient créées. Dans mon département de la Seine-Maritime, il manque actuellement 500 à 600 places. Je parle en connaissance de cause, car je suis adhérent d'une association qui gère, entre autres établissements, un centre d'aide par le travail, qui vient de se voir doter très généreusement de cinq places supplémentaires. Je ne peux donc pas m'empêcher de penser que, dans ce domaine, nous sommes loin du compte.

M. Jean Auclair. Et vous, combien de place avez-vous créées en cinq ans ?

M. Daniel Paul. Je comprends que l'évocation de certaines réalités puisse vous déplaire, mes chers collègues, mais il est bon d'entendre une parole libre de temps en temps, et pas seulement la langue de bois.

Notre groupe est attaché à la mise en place d'un cinquième risque. De fait, avec le mode de financement que vous préconisez, vous parvenez à exonérer quasiment les entreprises de l'effort nécessaire. Je note par ailleurs que vous allez créer ce qui est en principe une caisse, la CNSA. Mais, madame la secrétaire d'État, vous avez parlé tout à l'heure d'« agence ». On n'en est pas encore à parler de succursale, mais cela ne saurait tarder : la succursale d'une assurance dont vous souhaitez qu'elle prenne de plus en plus de place dans le mode de prise en charge.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Démago !

M. Dominique Dord. Les propos de M. Daniel Paul sont inadmissibles !

M. Daniel Paul. Le mot « agence » a bel et bien été prononcé, et chaque mot a un sens.

Enfin, l'insuffisance des moyens dont vous disposerez pour mettre en application cette loi explique sans doute les difficultés que vous rencontrez pour améliorer les choses.

Pour terminer, j'évoquerai un exemple, celui de l'école. Comment allez-vous concilier l'accueil le plus large possible dans les écoles des enfants en situation de handicap avec les mesures qui sont prises chaque année dans le cadre de la carte scolaire et les réductions de postes dans les établissements primaires ou secondaires, y compris dans les établissements spécifiquement destinés aux enfants handicapés ?

Ce texte révélant un énorme décalage entre les moyens dont vous disposez et les ambitions affichées, mais aussi les besoins de la population concernée, nous approuverons la motion de procédure de Mme Mignon. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. Pascal Terrasse.

M. Pascal Terrasse. Madame la secrétaire d'État, avant de répondre à vos allégations concernant les attentes qui seraient ou non les nôtres, j'ai envie de dire que vous-même donnez le sentiment de ne pas savoir où vous allez. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.)

Vous ne savez pas où vous allez, et pour plusieurs raisons.

M. Dominique Dord. Ce n'est pas très sérieux !

M. Pascal Terrasse. Vous avez annoncé à l'instant la création de plusieurs groupes de travail. Mais en principe, les groupes de travail se créent préalablement au vote d'une loi, et non après son adoption.

Par ailleurs, à la lecture de votre projet de loi, je constate que cinquante-quatre décrets - sans tenir compte des modifications qui seront apportées au projet de loi - devraient être nécessaires à l'issue du vote de la loi.

J'ajoute que le rapport Briet-Jamet devrait être remis au Gouvernement dans moins de dix jours, c'est-à-dire après le vote qui aura lieu dans cet hémicycle. Or, on sait à quel point ce rapport promet d'être instructif, notamment sur les modalités de financement de la CNSA. De leur côté, les conseils généraux, notamment l'ADF, assemblée des départements de France, qui s'est exprimée par la voix de son président, souhaiteraient vivement être consultés, ce qui se comprend quand on sait que les conseils généraux sont aux côtés de l'assurance maladie les principaux financeurs du secteur et du champ du handicap. À ce jour, l'ADF attend encore que vos services prennent attache avec les conseils généraux.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Comment avez-vous procédé avec l'APA ?

M. Pascal Terrasse. Comment laissez croire, madame la secrétaire d'État, que cette loi va permettre de réaliser la pleine intégration et d'atteindre l'objectif du « tout pour tous », alors que les modalités de financement retenues n'auront qu'un effet, montrer du doigt une certaine catégorie sociale ?

M. Dominique Dord. Cela n'a rien à voir avec l'irrecevabilité !

M. Pascal Terrasse. C'est ce que vous reprochent aujourd'hui la quasi-totalité des associations.

Depuis 1975, de nombreuses réformes ont eu lieu. Je n'énumérerai pas ici les décrets et les lois qui se sont succédé. Toutefois, un des éléments fondamentaux de ces textes a toujours été la reconnaissance de la notion de handicap, dont la définition doit en outre s'inscrire dans la norme européenne puisqu'il faut transposer en droit français une partie de la réglementation européenne.

Or, aujourd'hui, la notion de handicap telle que vous la définissez est contraire à ce principe européen et fait même l'unanimité contre elle. Quant à la position du Conseil économique et social, elle est exactement inverse à celle que vous prétendez.

Tout cela traduit un manque d'ambition s'agissant du principe de compensation tel que vous le préconisez. Ce dernier, il faut bien le dire, est peu cohérent et très lacunaire. Voyons les choses de plus près, mes chers collègues : on nous annonce 900 millions d'euros au profit des personnes handicapées, mais, dans la mesure où celles-ci sont environ 6 millions, cela va nous donner 40 centimes d'euros par handicapé. Soyons donc sérieux : il ne s'agit pas là d'un grand projet au profit des personnes handicapées. Comme l'a très bien l'une de nos collègues du groupe UMP - et non socialiste : ce texte n'est qu'un toilettage a minima de la loi de 1975. Cette réflexion figure d'ailleurs dans le compte rendu des réunions de la commission des affaires sociales.

Nous aurions notamment souhaité plus d'ambition en faveur de l'éducation nationale.

M. Dominique Dord. Bornez-vous donc à justifier cette exception d'irrecevabilité !

M. Pascal Terrasse. Les décrets et les circulaires sont d'ores et déjà nombreux dans ce secteur. Or, alors que vous réaffirmez aujourd'hui le principe de pleine intégration en milieu scolaire, l'éducation nationale va perdre un grand nombre d'adultes travaillant en établissements scolaires. Et, quand on prépare la rentrée dans une commission départementale de l'éducation nationale, on voit bien que les postes E et G, comme tout ce qui relève de la pleine intégration, ne font pas partie des priorités de ce gouvernement.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Qu'a fait le gouvernement de M. Jospin pendant cinq ans ?

M. Pascal Terrasse. S'agissant des maisons départementales du handicap, si l'on s'en tient à vos propos, madame la secrétaire d'État, l'État devrait - je parle au conditionnel - prendre à sa charge la totalité de leur financement. Voilà un discours différent de celui qui a été tenu au Sénat. J'espère que vous aurez l'occasion de le confirmer au cours du débat. Il ne faudrait pas que les conseils généraux soient une fois de plus sollicités et amenés à financer à la fois les CDES et les COTOREP.

M. le président. Il faut conclure, monsieur Terrasse.

M. Pascal Terrasse. Enfin, comment parler de doit à compensation quand les moyens financiers nécessaires à la pleine intégration ne sont pas mobilisés ?

M. Jean Auclair. Démago !

M. Pascal Terrasse. C'est sur ce point, en particulier, que nous verrons, madame la secrétaire d'État, si vous êtes prête à lever une série de gages qui constituent la contrepartie financière de nos amendements. Vous montrerez ainsi que le Gouvernement a la volonté de faire une grande loi sur le handicap. Dans le cas contraire, ce sera un rendez-vous manqué. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. J'ai cru comprendre, monsieur Terrasse, bien que vous ne l'ayez pas dit, que le groupe socialiste voterait cette exception d'irrecevabilité.

M. Pascal Terrasse. Bien sûr, monsieur le président.

M. le président. Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.

Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

Je rappelle que le vote est personnel et que chacun ne doit exprimer son vote que pour lui-même et, le cas échéant, pour son délégant, les boîtiers ayant été couplés à cet effet.

Le scrutin est ouvert.

............................................................

M. le président. Le scrutin est clos.

Voici le résultat du scrutin :

              Nombre de votants 138

              Nombre de suffrages exprimés 138

              Majorité absolue 70

        Pour l'adoption 40

        Contre 98

L'Assemblée nationale n'a pas adopté.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

    5

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique :

Suite de la discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, n° 1465, pour l'égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées :

Rapport, n° 1599, de M. Jean-François Chossy, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

        Le Directeur du service du compte rendu intégral
        de l'Assemblée nationale,

        jean pinchot