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Deuxième séance du mardi 22 mars 2005 182e séance de la session ordinaire 2004-2005 PRÉSIDENCE DE JEAN-LOUIS DEBRÉ M. le président. La séance est ouverte. (La séance est ouverte à quinze heures.)
M. le président. L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement. Nous commençons par une question du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. M. le président. La parole est à M. François Cornut-Gentille. M. François Cornut-Gentille. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. L'actualité européenne de la semaine a été marquée par la réforme du pacte de stabilité. Un certain nombre de personnalités se réjouissent des avancées qu'elle représente, mais elle a pu donner lieu, ici ou là, à des interprétations diverses, certains estimant qu'on n'est pas allé assez loin dans cette direction, d'autres, au contraire, qu'on est allé trop loin. Comme ces questions restent souvent obscures pour les non initiés, j'aimerais, monsieur le ministre, que vous nous exposiez très clairement et très concrètement ce que la France attendait de cette réforme et ce qu'elle a obtenu. J'aimerais aussi que vous nous éclairiez sur une de vos déclarations. Vous indiquiez en effet qu'avec cette réforme, le pacte de stabilité devenait moins technocratique et plus politique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. Effectivement, il y a deux semaines, j'exposais, ici même, à la représentation nationale, les discussions qui avaient eu lieu à Bruxelles, au sein de l'Eurogroupe, puis de l'Ecofin. Je vous faisais part, alors, de mon optimisme relatif. Aujourd'hui, j'ai le plaisir de vous annoncer qu'après de longues heures de discussion ce week-end, l'Eurogroupe, puis l'Eurogroupe élargi ont décidé de ratifier, à l'unanimité, les modifications du pacte de stabilité et de croissance. Elles seront présentées, dès cet après-midi, au Conseil européen, qui se réunit ce soir et demain et les ratifiera, je le souhaite, car elles sont importantes pour l'Europe et pour la France. Qu'attendions-nous de cette réforme du pacte qui, je le rappelle, n'avait pas bougé depuis plus de huit ans ? Nous en souhaitions, d'abord, une lecture plus politique et plus économique, bref moins mécanique et moins technocratique. Qu'il soit bien entendu que le chiffre de référence de 3 % du PIB n'est nullement remis en cause : pour tous mes collègues ministres des finances, il est hors de question de revenir sur ce point. En revanche, certaines dépenses résultant de la volonté, exprimée par le Président de la République, d'aller vers une Europe plus politique, tournée vers l'avenir et vers les autres, pourront désormais être prises en considération de façon exceptionnelle dans le cadre des facteurs dits « pertinents ». Il s'agit, pour ce qui concerne une Europe tournée vers l'avenir, des dépenses de recherche et développement et, pour une Europe tournée vers les autres, des dépenses dite « de solidarité extérieure », c'est-à-dire, entre autres, l'aide aux pays en voie de développement ou la mobilisation de certains États membres sur des théâtres d'opérations extérieures, sous mandat de l'ONU. Enfin, le pacte est maintenant beaucoup plus souple en ce qui concerne les spécificités cycliques : à un État dont l'économie connaîtrait une croissance forte, on demandera d'être plus rigoureux sur le remboursement de sa dette ; mais pour les États dont la croissance serait beaucoup plus faible, la lecture du pacte serait assouplie. Une lecture plus politique du pacte, donc, monsieur le député, largement inspirée par la position de la France, conformément aux engagements du Président de la République, et à ses orientations qui ont été reprises par l'ensemble des États membres. Ce qui montre qu'en se mettant autour de la table de négociation, on peut faire avancer les choses en Europe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française.) M. Maxime Gremetz. Le 29 mai aidant, sans doute ! M. le président. La parole est à Mme Danièle Hoffman-Rispal, pour le groupe socialiste. Mme Danièle Hoffman-Rispal. Cette année 2005 voit naître une nouveauté : la fameuse journée de solidarité qui est, en fait, une journée de travail gratuite, imposée à tous les salariés, en général le lundi de Pentecôte. Rappelons que, dans le même temps, vous procédez à la suppression de fait des 35 heures. Nous refusons sans ambiguïté cette notion de travail gratuit qui conduit à faire reposer tous les efforts - comme à votre habitude ! - sur les seuls salariés. En outre, le prélèvement lié à ce travail d'une journée devait exclusivement financer un plan pour l'autonomie des personnes âgées et des personnes handicapées. Or on constate que les dépenses supplémentaires prévues en 2005 pour les maisons de retraite et les services à domicile ne s'élèvent qu'à 200 millions d'euros sur les 700 millions budgétés. Que devient l'argent non utilisé ? Va-t-il servir à combler le déficit de la sécurité sociale et non, comme prévu, à aider nos aînés ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Mais faut-il vraiment s'en étonner quand le ministre de la santé, M. Douste-Blazy, déclare que ce jour férié supprimé ne suffira pas à payer la dépendance, vu l'étendue des dégâts ? Les salariés devront-ils bientôt travailler le jour de Noël, le jour de l'An ou le 14 juillet ? (Exclamations et claquements de pupitres sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Cette approche de l'enjeu que représente la prise en compte du vieillissement traduit votre manque de volonté politique. L'allongement de la durée de la vie est une chance. Elle commande aux responsables politiques de trouver les réponses adaptées, sans attendre. C'est ce que nous avions entrepris avec la création de l'allocation personnalisée d'autonomie (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire),... M. le président. Je vous en prie ! Mme Danièle Hoffman-Rispal. ...dont vous vous êtes empressés de réduire la portée. Vous ne mettez même pas en œuvre le plan en faveur de l'autonomie que vous aviez annoncé et qui paraissait déjà bien insuffisant. Ma question (« Enfin ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) sera donc simple : allez-vous continuer à faire des économies sur le dos des personnes âgées ou bien allez-vous vraiment utiliser votre nouvel impôt pour répondre au défi du vieillissement de la population ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. Mme Marie-Anne Montchamp, secrétaire d'État aux personnes handicapées. Madame la députée, je vais redire ce que le Premier ministre a déjà dit aux Français, ainsi que le ministre des finances, le ministre délégué au budget et mes collègues du pôle santé. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Nos compatriotes doivent savoir que le don d'un jour de solidarité permettra de rattraper le formidable retard que, depuis des mois, le gouvernement de Jean-Pierre Raffarin cherche à combler : retard dans le financement de l'APA (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire) et retard dans la mise en œuvre de solutions pour les personnes handicapées à qui, trop souvent encore, on n'en fournit pas. Les Français peuvent être assurés que ce don d'une journée de solidarité financera l'objectif pour lequel elle a été décidée, et ce grâce à la création de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie, qui assurera non seulement la gestion de ce don mais également le fléchage, précis et transparent, de cet effort de solidarité nationale. En effet, le produit du jour férié - 1,2 milliard d'euros pour les personnes âgées et 800 millions d'euros pour les personnes handicapées - sera utilisé intégralement, à l'euro près,... Plusieurs députés du groupe socialiste. Au mètre carré près ! Mme la secrétaire d'État aux personnes handicapées. ...selon les plans prévus. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Par conséquent, 800 millions serviront à médicaliser les établissements, recruter les personnels de santé qui font, aujourd'hui, cruellement défaut et, concernant le handicap, pour la préfiguration de la prestation de compensation. Toujours dans le domaine du handicap, nous avons fait le choix, dès 2005, de flécher 180 millions d'euros à destination de celles des personnes handicapées qui le sont le plus lourdement et qui attendent des forfaits supplémentaires d'auxiliaires de vie, simplement pour faire face à leurs besoins quotidiens. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Grâce à la Caisse et grâce à cette organisation, nous sommes en mesure de répartir ces sommes de façon précise. Les Français, qui sont généreux et l'ont montré en maintes occasions, auront ainsi la preuve que leur effort se traduit bien en actes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) LUTTE CONTRE LE RACISME ET L'ANTISÉMITISME M. le président. La parole est à M. Michel Hunault, pour le groupe Union pour la démocratie française. M. Michel Hunault. Monsieur le Premier ministre, hier, la Commission nationale consultative des droits de l'homme vous a remis son rapport annuel. Les chiffres sont effrayants : jamais les actes racistes et antisémites n'ont été aussi importants. Ils portent atteinte à notre idéal républicain, fondé sur le respect, la tolérance et la différence. Face à ce défi qui nous est lancé, il convient de réagir avec force et détermination. Il y a moins de quinze jours, notre assemblée, à l'unanimité, à l'occasion de la ratification de la convention sur la cybercriminalité, a ajouté à notre droit les moyens d'incriminer les actes et les atteintes racistes et antisémites. Ma question est simple : comment le Gouvernement compte-t-il réagir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) M. le président. La parole est à M. le Premier ministre. M. Jean-Pierre Raffarin, Premier ministre. Je veux d'abord saluer la création, par la loi du 13 juillet 1990, de la Commission consultative des droits de l'homme. Grâce à cette initiative, une commission indépendante peut mesurer régulièrement, et de manière objective, l'état de notre société pour ce qui est du racisme et de l'antisémitisme. Nous avons voulu - c'est un choix de mon gouvernement - regarder l'adversaire en face et mesurer le racisme et l'antisémitisme grâce à des statistiques réalistes, dans l'ensemble des espaces de notre société. C'est ainsi que, dans l'éducation nationale, a été mis en place un dispositif qui permet de détecter les actes antisémites parmi les actes racistes et d'identifier toutes les injures, de manière à ce que les autorités académiques aient les moyens d'agir et que tout acte de ce type soit donc condamné. Évidemment, cette volonté a impliqué que l'on identifie tous les actes de racisme et que l'on en constate, effectivement, l'augmentation. Cela n'entame en rien notre détermination. Quant à l'action qui s'en est suivie, elle est le fait du Gouvernement, bien sûr, mais aussi du Parlement. La loi du 13 juillet 1990, je l'ai dit, a créé la Commission consultative des droits de l'homme. Un député du groupe socialiste. C'était nous ! M. le Premier ministre. C'est vrai, mais la seconde, la loi du 3 février 2003, ou loi Lellouche, permet de condamner les injures. C'est très important. Mesdames, messieurs les députés de l'opposition, je respecte votre loi, respectez la nôtre ! Elles sont toutes deux les lois de la République. Grâce à elles, tous ceux qui profèrent une injure raciste ou antisémite peuvent être condamnés. La loi du 9 mars 2004, dite « Perben 2 », permet, elle, d'interdire des émissions de télévision qui sont porteuses de haine, ou même qui la mettent en scène. Grâce à cette loi, nous avons pu aussi interdire des chaînes racistes, dont la diffusion est désormais interdite aussi dans d'autres pays, grâce à l'initiative française. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) Enfin, notre action commune s'est exprimée dans la loi du 30 décembre 2004, et la création, en moins d'un an, de la Haute autorité contre les discriminations et pour l'égalité. Nous nous sommes ainsi dotés des outils législatifs et juridiques nécessaires pour condamner les injures et les émissions télévisées racistes et antisémites. Ce que nous avons en commun, la République, notre République se sent agressée par le racisme et l'antisémitisme. Voilà pourquoi je peux vous assurer que, avec le comité interministériel et l'ensemble de ces dispositifs, nous pouvons regarder le racisme en face pour mieux le combattre. Trop longtemps, ces phénomènes ont été niés comme, d'ailleurs, celui de l'insécurité. Mais ce n'est pas en niant les problèmes qu'on leur fait face ! Revenant des cérémonies au mémorial de Yad Vashem, où j'ai pu voir ce que représentait, pour le monde entier, la terrible honte de la Shoah, j'affirme que la France doit se faire une fierté d'être à la tête de tous les pays qui combattent le racisme et l'antisémitisme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains. M. Michel Vaxès. Monsieur le Premier ministre, les vingt-cinq chefs d'État et de Gouvernement de l'Union européenne vont adopter demain la deuxième partie des objectifs de l'agenda de Lisbonne. En parfaite cohérence avec le projet de traité constitutionnel, le Conseil européen de Bruxelles devrait entériner une feuille de route qui consacre l'Europe comme une zone de compétitivité absolue, où le bien-être des individus est subordonné aux intérêts financiers. M. Jean Leonetti. N'importe quoi ! M. Michel Vaxès. Selon les informations dont nous disposons, le menu des cinq prochaines années sera on ne peut plus amer pour les peuples européens : directive Bolkestein sur la libéralisation des services, libéralisation des secteurs de l'énergie, des transports, y compris ferroviaires, et des services portuaires, réduction des aides d'État, encouragements à l'allongement de la vie active, à des salaires favorables à l'emploi - donc en baisse selon votre logique -, à la flexibilité du marché du travail. Redoutable programme ! Derrière cet agenda dit social se cache en fait la mise en place d'une casse sociale sans précédent. Fort heureusement,... M. Francis Delattre. Il n'y a plus de communistes ! M. Michel Vaxès. ...les premiers concernés ne sont pas dupes. J'en veux pour preuve la mobilisation de ce week-end à Bruxelles et la montée du « non » au projet de traité constitutionnel. Il n'y a pas de mystère : mieux le projet de Constitution est connu, plus son rejet s'impose. Lorsqu'ils sont informés, les Françaises et les Français ne se laissent pas berner, comme vous tentez de le faire en renvoyant au lendemain du référendum les négociations sur l'augmentation des salaires. Soutenez-vous l'adoption par la France de la deuxième partie de l'agenda de Lisbonne, dont les orientations sont glorifiées par le prochain patron des patrons européens, le baron Seillière ? Dans l'affirmative, on comprendra mieux pourquoi vous tenez tant à renvoyer les négociations salariales après le résultat du référendum. C'est inacceptable ! (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) M. le président. La parole est à M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Monsieur le député Michel Vaxès,... M. Jacques Desallangre. Nous sommes tous solidaires ! M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. ...vous évoquez l'évolution de la stratégie de Lisbonne et la directive Bolkestein. Permettez-moi de vous rappeler que M. Bolkestein n'est plus commissaire européen... M. Jacques Desallangre. Et alors ? M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. ...et que, au Parlement européen, la rapporteure Mme Gebhardt a indiqué ce qu'il fallait en penser. Vous savez aussi bien que moi que cette directive sur les services, profondément remaniée à la demande de la France, de la Grèce, du Portugal, de l'Espagne, de l'Italie, de nos grands partenaires, ne verra pas le jour sous cette forme. (« Ce n'est pas vrai ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) M. Jacques Desallangre. Elle a été adoptée ! M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. La principale évolution de la stratégie de Lisbonne porte, vous le savez, sur l'agenda social et le pacte européen pour la jeunesse, demandé par MM. Chirac, Zapatero et Schröder. Dès lors, une question me tarabuste, monsieur le député. Savez-vous de quoi rêvent les ultralibéraux outre-Atlantique et de par le monde ? D'un marché économique sans Europe sociale et sans Europe politique. Je suis surpris que vous, les communistes,... M. Jacques Desallangre. Il n'y a pas que les communistes ! M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. ...tombiez dans le piège qui consiste à en rester à l'Europe économique et à refuser un traité constitutionnel qui affirme le modèle social européen et le fait syndical. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française. - Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) M. André Gerin. Démagogie ! M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Anciaux. M. Jean-Paul Anciaux. Monsieur le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale, en janvier dernier, nous avons adopté la loi de cohésion sociale qui, dans les domaines de l'emploi, du logement et de l'égalité des chances, prévoit des mesures pour répondre concrètement aux difficultés quotidiennes de nos concitoyens. Cette loi de programmation - faut-il le rappeler ? - représente un engagement financier d'environ 15 milliards d'euros sur cinq ans pour changer la donne sociale et préparer l'avenir. L'une de ses mesures phares concerne le contrat d'avenir, nouveau dispositif destiné à faciliter l'insertion sociale et professionnelle des personnes bénéficiant du revenu minimum d'insertion, de l'allocation de solidarité spécifique ou de l'allocation de parent isolé. Réservé aux employeurs du secteur non marchand - collectivités territoriales et associations -, ce nouveau contrat de travail est assorti d'une obligation de formation et d'accompagnement au profit du titulaire, ce qui constitue une réelle avancée. Pour rendre effective la mise en œuvre de ce contrat d'avenir, vous aviez pris l'engagement de prendre rapidement les décrets d'application nécessaires. Qu'en est-il à ce jour ? M. Maxime Gremetz. Ils sont déjà pris ! Vous n'êtes pas au courant ? M. Jean-Paul Anciaux. Pouvez-vous nous indiquer le calendrier précis de lancement des premiers contrats et nous rappeler les grands principes et les objectifs qu'ils visent ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. La parole est à M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Monsieur le député, permettez-moi d'abord de vous remercier pour le remarquable travail de pilotage que vous accomplissez en vue d'installer partout en France les maisons de l'emploi, qui vont regrouper tous les partenaires au profit des demandeurs d'emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) S'agissant des contrats d'avenir, deux mois après le vote de la loi, soit vendredi dernier, les décrets d'application ont été publiés au Journal officiel. Les premiers contrats seront donc disponibles sous une dizaine de jours. Vous le savez, monsieur le député, bien plus qu'un nouveau contrat de travail et de formation offert aux allocataires du RMI et de l'ASS, le contrat d'avenir est une révolution. Il n'était pas acceptable de se contenter de verser une simple allocation en laissant nos compatriotes dans l'isolement. M. Michel Delebarre. C'est faux ! M. le ministre de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale. Il s'agit de les accueillir, de les aider, de leur proposer un travail en équipe et une formation. C'est donc une véritable révolution dans l'approche de cette difficulté de la vie des bénéficiaires du RMI, de l'ASS et de l'allocation de parent isolé. Je compte sur chacun dans cette assemblée pour y participer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) SÉCURISATION DES PAPIERS D'IDENTITÉ M. le président. La parole est à M. Thierry Mariani. M. Thierry Mariani. Monsieur le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales, ma question porte sur la lutte que nous devons mener contre le délit de fraude à l'identité, qui est un véritable fléau. Selon Christophe Naudin, spécialiste reconnu en la matière, la fraude documentaire coûte de plus en plus cher aux États, notamment en matière de prestations sociales. Par ailleurs, les faux papiers permettent aux criminels en général et aux terroristes en particulier de développer leurs activités. En France, le mal a empiré, notamment depuis la délivrance gratuite des cartes nationales d'identité, qui semble avoir été une fausse bonne idée. M. Patrick Braouezec. On l'avait dit ! M. Thierry Mariani. En 1997, 39 000 cartes nationales d'identité étaient déclarées perdues ou volées. Sept ans après, ce nombre est passé à 500 000, quasiment treize fois plus. M. Jean Glavany. Mais que fait la police ? M. Thierry Mariani. Certains États ont réagi. Ainsi, les États-Unis, afin de mieux garantir leur sécurité, ont décidé de supprimer la dispense de visa de court séjour pour tous les entrants non titulaires d'un passeport biométrique. Monsieur le ministre, vous avez évoqué à plusieurs reprises, y compris dans cette enceinte, le projet INES d'identité nationale électronique sécurisée, qui doit répondre aux nécessités de notre sécurité nationale en introduisant des éléments de biométrie. Pouvez-vous nous faire part des intentions du Gouvernement à ce sujet et nous indiquer en particulier le calendrier arrêté pour la lutte contre la fraude à l'identité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. La parole est à M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. M. Dominique de Villepin, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le député, la sécurisation des titres d'identité constitue un enjeu majeur dans la lutte contre le terrorisme et l'immigration irrégulière. En la matière, la possibilité d'introduire des identifiants biométriques dans les titres de séjour, mais aussi dans les visas, constituera un élément déterminant. En outre, et vous l'avez indiqué, l'usage de faux papiers représente un coût pour la nation de plusieurs milliards d'euros. Pour mener la lutte, nous pouvions faire appel à Zorro, mais il ne pouvait pas répondre seul à la situation. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) M. Jean Glavany. Zorro, c'est Sarko ? M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. C'est pourquoi nous avons fait appel à INES, le système d'identité nationale électronique sécurisée. C'est la seule réponse à plusieurs exigences : simplification administrative, transparence et - vous y serez tous sensibles sur ces bancs - respect des libertés individuelles grâce à plusieurs bases de données. Quant au calendrier, il sera rapide et ambitieux : un projet de loi conforme aux prescriptions du Conseil d'État et de la CNIL vous sera soumis avant la fin de cette année et les premiers titres d'identité seront délivrés avant la fin de l'année 2006, conformément à nos engagements européens et en concertation avec nos amis américains. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Plusieurs députés du groupe socialiste. Vive Zorro ! M. le président. La parole est à M. Jean-Paul Bacquet. M. Jean-Paul Bacquet. Il y a un peu plus d'un mois, l'ancien Premier ministre libanais, M. Rafic Hariri, était lâchement assassiné. Une enquête internationale est en cours. Nous souhaitons qu'elle aboutisse au plus vite pour déterminer les coupables et les commanditaires de cet odieux attentat. Aujourd'hui, selon certaines informations, il semblerait que ceux-ci puissent être identifiés. À Beyrouth, cet événement dramatique a suscité un mouvement populaire massif, avec des manifestations pacifiques d'une ampleur jamais vue, regroupant jusqu'à un quart de la population libanaise. Ces manifestations rassemblent alternativement l'opposition libanaise au gouvernement pro-syrien, qui exige la pleine souveraineté du Liban, et la mouvance chiite du Hezbollah, qui dénonce les ingérences occidentales. La France a toujours soutenu les accords de Taëf, qui préconisaient l'évacuation des forces militaires étrangères. Aujourd'hui, on constate, sous la pression internationale, le redéploiement des troupes au Liban. Notre pays a coparrainé et rédigé, avec les États-Unis, la résolution 1559, adoptée le 2 septembre 2004 au Conseil de sécurité de l'ONU, qui exige le retrait des militaires syriens et le désarmement des milices. Au moment où l'on peut nourrir les plus grandes espérances pour le Liban, mais aussi les plus grandes inquiétudes, surtout après l'attentat meurtrier de la semaine dernière, quelles initiatives la France compte-t-elle prendre en son nom propre en faveur de la démocratie et de la souveraineté du Liban, avec lequel nous avons un si long passé historique et une relation d'amitié si profonde ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. M. Xavier Darcos, ministre délégué à la coopération, au développement et à la francophonie. Je vous prie de bien vouloir excuser, monsieur le député, l'absence de Michel Barnier qui, comme vous le savez, est retenu à Alger par le sommet de la Ligue arabe. La France est extrêmement attentive aux événements qui se déroulent au Liban. S'ils sont tragiques par certains aspects, ils sont aussi porteurs d'espoir. S'agissant du lâche attentat qui a tué Rafic Hariri et quinze personnes de son entourage, nous devrions prendre bientôt connaissance du rapport de l'équipe d'enquête internationale désignée par le Secrétaire général des Nations unies à la demande du Conseil de sécurité. Par les manifestations populaires auxquelles vous avez fait allusion, les Libanais, dans toute leur diversité, expriment dignement et pacifiquement leur aspiration à la démocratie et à la souveraineté de leur pays. Tel est également l'objectif de la communauté internationale, qui s'en tient aux termes de la résolution n° 1559 du Conseil de sécurité pour demander le retrait rapide de toutes les forces étrangères du Liban, avant la tenue des élections législatives. Le Conseil de sécurité restera informé par l'envoyé spécial de Kofi Annan, qui propose que la résolution soit appliquée le plus vite possible. Les élections doivent en effet avoir lieu à la date prévue ; elles doivent être libres et équitables, et être organisées en présence d'observateurs internationaux, dans un territoire libéré de toute occupation. Nous n'avons pas d'autre objectif qu'un Liban libre et souverain. C'est ce qu'a réaffirmé le Président de la République Jacques Chirac, vendredi dernier, dans un communiqué conjoint avec MM. Poutine, Schröder et Zapatero. C'est ce qu'a répété Michel Barnier ce matin même à Alger, au moment de l'ouverture du sommet de la Ligue arabe. Soyez-en sûr, monsieur le député, rien de ce qui est libanais ne nous est étranger. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Thomas. M. Jean-Claude Thomas. Monsieur le ministre des solidarités, de la santé et de la famille, le pouvoir d'achat de nos concitoyens est l'une des priorités du Gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Celui-ci est résolu à satisfaire cette préoccupation principale de nos concitoyens : il agit en faveur de la maîtrise des prix, a décidé une augmentation sans précédent du SMIC, participe aux négociations en cours sur les salaires dans la fonction publique et cherche, avec le plan de cohésion sociale, à remplir les conditions d'une amélioration de l'emploi. La question du pouvoir d'achat concerne toutes les Françaises et tous les Français, au premier rang desquels celles et ceux qui ont travaillé toute leur vie. Le Gouvernement et la majorité ont donc pris, à juste titre, l'initiative d'une réforme du système par répartition afin de sauver notre régime de retraite solidaire (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) et de garantir à tous nos concitoyens une juste rémunération après des années de travail. Hier, les partenaires sociaux sont parvenus, après de longues et difficiles négociations, à un accord de revalorisation des retraites complémentaires du secteur privé. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous donner des précisions sur les modalités de cet accord et nous dire s'il s'inscrit dans la volonté du Gouvernement de soutenir le pouvoir d'achat des Françaises et des Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. La parole est à M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille. M. Philippe Douste-Blazy, ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Les pensions de retraite qui dépendent du régime de base ont été revalorisées de 2 % en 2005. Il restait toutefois à revaloriser celles qui dépendent des organismes complémentaires. Des négociations ont eu lieu la semaine dernière sur ce point, et l'ensemble des partenaires sociaux se sont mis d'accord pour prendre en considération l'augmentation de l'inflation constatée en 2004, en revalorisant de 2 % les pensions de retraite concernant les organismes complémentaires. C'est une très bonne nouvelle pour les retraités de France. M. Dominique Dord. Bravo ! M. le ministre des solidarités, de la santé et de la famille. Le Gouvernement se félicite de cette décision, qui maintient l'équilibre financier des régimes complémentaires tout en contribuant à augmenter le pouvoir d'achat des retraités. Ainsi, deux ans après la discussion législative sur la réforme des retraites, nous pouvons affirmer que ce gouvernement a non seulement sauvé notre système de retraites, mais aussi maintenu le pouvoir d'achat des retraités. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Léonard, pour le groupe UMP. M. Jean-Louis Léonard. Ma question s'adresse à M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Monsieur le ministre, vous avez présenté hier les résultats des services douaniers pour 2004. Ces résultats sont excellents et montrent la très forte implication du Gouvernement, à laquelle, sur notre littoral atlantique, si ouvert à tous les trafics, nous sommes très sensibles. Mais ils traduisent également l'immense mobilisation des 20 000 agents de la douane. S'ils ont eu connaissance de plusieurs prises records très médiatisées, la plupart des Français ignorent le travail quotidien de ces brigades de recherche des services douaniers. À un moment où certains présentent l'élargissement de l'Europe comme un risque majeur et la porte ouverte à tous les trafics, pourriez-vous nous dire quelles mesures vous avez prises ou comptez engager pour assurer au quotidien, avec l'ensemble des services douaniers, la sécurité des Français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, porte-parole du Gouvernement. Vous avez raison de le souligner, monsieur le député : nos douaniers ont accompli en 2004 un travail absolument remarquable, notamment dans deux domaines qui concernent les Français au premier chef : la lutte contre la drogue et la lutte contre les contrefaçons. En ce qui concerne les drogues, nous avons enregistré un record absolu pour la saisie de cannabis : 75 tonnes, soit une augmentation de 15 % par rapport à l'année précédente. Les douanes réalisent en France les trois quarts des saisies de cannabis. Quant à la contrefaçon, elle est bien évidemment une menace pour l'emploi, mais aussi pour la sécurité. Dans ce domaine, qui concerne le trafic de médicaments, de jouets, d'objets de luxe et de bien d'autres choses encore, nous avons également établi, avec 3,5 millions d'articles saisis, un nouveau record. En 2005, nous allons augmenter les doses : l'objectif, en matière de saisies, est de dépasser les 80 tonnes de cannabis et les 4 millions d'articles de contrefaçon. Dans ce but, nous allons lancer un important programme d'investissements : plus de 70 millions de matériel supplémentaire sur les prochaines années, et la modernisation de nos services. Ces bons résultats sont dus à la qualité de nos équipes, car les douaniers effectuent, sur tout le territoire, un travail remarquable, mais aussi à l'apport de l'Europe. On ne dira jamais assez, en effet, le travail extraordinaire qui est accompli dans la lutte contre la drogue et la contrefaçon grâce à la coopération européenne en matière de renseignements. Sur tout l'espace européen, les services douaniers font un travail remarquable. C'est d'ailleurs une manière de rappeler à ceux qui doutent, ou qui ont peur, à quel point le rendez-vous européen est essentiel. Nous aurons de plus en plus besoin de l'Union pour rassurer les Français sur leur sécurité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) M. Jacques Desallangre. Vous avez supprimé 350 emplois ! DÉLOCALISATION DE COLGATE-PALMOLIVE M. le président. La parole est à M. Arnaud Montebourg. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. Arnaud Montebourg. Ma question s'adresse à M. Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie. La firme internationale Colgate-Palmolive, qui emploie 1 400 personnes en France et a réalisé 2 milliards de dollars de profits en 2003, a récemment délocalisé depuis la France son siège social et ses centres de profit vers le canton de Genève, en Suisse, un État qui, comme chacun le sait, est ni plus ni moins un paradis fiscal. Pour attirer en Suisse les profits de Colgate-Palmolive, le canton de Genève a engagé une politique brutale de dumping fiscal, en cassant littéralement le montant de son impôt sur les bénéfices : il l'a limité à un taux de 6 % pendant dix ans, quand celui de la France et des grands pays européens est d'environ 30 %. Colgate-Palmolive inflige ainsi à nos caisses publiques un préjudice d'environ 40 millions d'euros par an, soit 3 euros par foyer fiscal, et fait payer au contribuable français une nouvelle augmentation de ses profits. Cela lui permet d'améliorer les dividendes versés à ses actionnaires et de financer des plans sociaux qui s'apprêtent à détruire 4 500 emplois en Europe. Dans ces conditions, il serait utile, monsieur le ministre, que vous indiquiez à la représentation nationale ce que vous allez faire (« Rien ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) pour lutter contre cette forme renouvelée et contemporaine de racket. Avez-vous envoyé les protestations du Gouvernement français au Gouvernement helvétique ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Avez-vous déclenché ne serait-ce qu'une enquête fiscale contre Colgate-Palmolive ? Et si vous n'avez rien fait ou ne voulez rien faire, que restera-t-il au citoyen,... Plusieurs députés du groupe des député-e-s communistes et républicains. Rien ! M. Arnaud Montebourg. ...sinon le boycott massif des produits Colgate, qui coûtent, je le rappelle, trois euros à chaque foyer fiscal français, au seul profit des actionnaires du groupe ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) M. le président. La parole est à M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le député, j'enregistre une nouvelle d'importance : vous venez, si je comprends bien, de rejoindre le camp de ceux qui veulent voir les impôts baisser en France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.-- Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Nous sommes déterminés à lutter par tous moyens utiles contre les évasions fiscales frauduleuses. Nous avons déjà agi dans ce sens l'année dernière, ... M. Patrick Braouezec. Le résultat est là ! M. Jean-Pierre Blazy. Zéro ! M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. ...et nous prendrons en ce domaine toutes les mesures souhaitables. Mais, au-delà du cas que vous citez, la vraie question, monsieur Montebourg, est de rendre notre pays plus attractif sur le plan fiscal tout en préservant notre modèle social. Lorsque, par exemple, nous avons à cœur d'aligner notre fiscalité sur la moyenne européenne, nous enrayons les délocalisations. C'est ce que nous avons fait l'année dernière avec l'impôt sur les sociétés. C'était aussi notre objectif lorsque nous avons décidé, à l'instar de l'Allemagne, de la Grande-Bretagne ou de l'Italie, l'exonération des plus-values de cession sur les sociétés cotées, une mesure sur laquelle les sénateurs socialistes se sont d'ailleurs abstenus. C'est dire si les mentalités évoluent en ce domaine ! M. Patrick Braouezec. Mais vous, vous continuez à licencier ! M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. Sur tous ces sujets, la seule chose que je vous demande est de rester cohérents. On ne peut pas, d'un côté, regretter les délocalisations, ... M. Arnaud Montebourg. Vers la Suisse ! M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. ...et, de l'autre, critiquer un gouvernement qui prend les mesures fiscales qui s'imposent pour rendre nos entreprises compétitives. M. André Gerin. Non ! M. le ministre délégué au budget et à la réforme budgétaire. C'est à cela que nous travaillons, et je me réjouis de pouvoir bénéficier de votre appui dans ce domaine, monsieur Montebourg. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. La parole est à M. Louis Giscard d'Estaing. M. Louis Giscard d'Estaing. Madame la ministre déléguée à l'intérieur, le conseil régional d'Auvergne a fait voter, le 1er mars, l'augmentation de 30 % de tous les impôts régionaux directs. (Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. Du calme, mes chers collègues ! M. Louis Giscard d'Estaing. Comment expliquer une telle augmentation ? Je suggère une première piste : l'augmentation des frais de fonctionnement, qui passent de 14,7 millions à 18 millions d'euros. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Dans ces frais doivent être inclus le nombre de vice-présidents, passés de six à treize (Mêmes mouvements), et celui des membres de la commission permanente, passés de treize à quarante-sept. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) On assiste également à une forte augmentation des indemnités des élus, à une hausse des frais de réception et des dépenses de communication (Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), ainsi qu'à une augmentation du nombre général des postes, les effectifs passant de 200 à 230. Deuxième piste : l'augmentation des impôts pourrait s'expliquer par des investissements nouveaux ou par une politique de désendettement. Mais tout ce que l'on trouve en matière d'investissements, c'est une somme de 3,2 millions d'euros correspondant à l'achat du terrain destiné à construire un nouvel hôtel de région ! (Huées sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Enfin, comment justifier une augmentation de 30 % de la taxe professionnelle (Mêmes mouvements), alors que la région Alsace, de son côté, ne l'augmente que de 2,45 % ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Comment, dans ces conditions, prétendre favoriser la création d'emplois ? Madame la ministre, comment jugez-vous une telle hausse, notamment au regard de la disposition prise par le Gouvernement ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Quelle explication pouvez-vous lui donner ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à l'intérieur. Mme Marie-Josée Roig, ministre déléguée à l'intérieur. La forte augmentation des impôts en région Auvergne - plus de 22 millions d'euros - (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) s'explique effectivement par une augmentation de 20 % des frais de structures (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) mais aussi par des promesses de campagne qu'il faut bien tenir. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Il conviendra également de payer l'hôtel de région. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. - Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Ces augmentations sont injustifiées (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) parce que, dans le même temps, en effet, la région a inscrit dans son budget plus de 9 millions d'euros pour les compensations régulières, et qui seront réévaluées. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) La commission d'évaluation des charges mise en place le 10 février dernier se réunira à cet effet à partir du mois d'avril. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Ces augmentations sont également inconsidérées, car ce sont de mauvais signes donnés aux entreprises. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Ce n'est que grâce à une synergie entre l'État et la région que l'attractivité de nos territoires sera vraiment défendue. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Ces augmentations ne sont, de surcroît, nullement justifiées puisque, précisément cette année, le Gouvernement a augmenté ses concours aux collectivités (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste),... M. le président. Un peu de calme, mes chers collègues ! Mme la ministre déléguée à l'intérieur. ...de 3,3 % au plan national (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et de 4,4 % pour l'Auvergne. (Exclamations sur les mêmes bancs), ce qui représente 107 euros de dotation totale par habitant pour l'Auvergne contre 82 euros pour l'ensemble de la France. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) De plus, tous les mécanismes de compensation et d'évaluation sont aujourd'hui en place. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) J'ai déjà évoqué la CCEC, mais je pense aussi aux commissions locales tripartites regroupant l'État, les collectivités et les représentants des personnels qui nous éclaireront sur la nature de ces transferts. Enfin, les garanties sont aujourd'hui constitutionnelles. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Tout est cadré, clair et transparent. Qu'est-ce que l'État peut faire de plus ? J'attends que chacun prenne ses responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et sur plusieurs bancs du groupe Union pour la démocratie française. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) M. le président. La parole est à M. Marc Le Fur. M. Marc Le Fur. Ma question s'adresse à M. Laurent Hénart, secrétaire d'État à l'insertion professionnelle des jeunes. En cette période de l'année, beaucoup d'étudiants et de lycéens recherchent un job d'été qui leur permettra de découvrir très concrètement le monde du travail et, pour nombre d'entre eux, de trouver une véritable orientation professionnelle, ainsi que d'améliorer les revenus de la famille. Dans bien des cas - je pense en particulier aux familles du monde rural -, un enfant étudiant coûte cher en termes de transport et de logement. Pour faciliter l'accès à ces jobs d'été, nous avons pris des mesures fiscales. Naguère, le peu d'argent que gagnait un étudiant ou un lycéen s'ajoutait aux revenus de la famille qui, et c'est paradoxal, payait plus d'impôts. Parfois, même, certaines familles non imposables le devenaient. Notre majorité a su mettre un terme à cette absurdité puisque, dès 2005, l'équivalent de deux mois de jobs d'été sera exonéré au titre des impôts payés en 2006. Nous devons également prendre des mesures juridiques et administratives pour faciliter l'obtention de tels jobs. À force de vouloir protéger les jeunes dans le monde de l'entreprise - je pense en particulier aux seize-dix-huit ans -, nous les en excluons. C'est paradoxal, mais c'est ainsi. Comment favoriser cette expérience souvent très attendue des jeunes et de leurs familles, voire revendiquée par ces jeunes ? Ouvrons la porte du monde du travail. C'est une expérience unique et intéressante. Quelles dispositions, monsieur le secrétaire d'État, entendez-vous prendre pour que la première expérience du monde du travail pour nos jeunes ne soit pas celle de la technocratie et de la complication, mais celle de la simplicité ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.) M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État à l'insertion professionnelle des jeunes. M. Laurent Hénart, secrétaire d'État à l'insertion professionnelle des jeunes. Monsieur Le Fur, au moment où le plan de cohésion sociale entend développer dans notre pays l'apprentissage et, par la dynamisation des missions locales et des PAIO, l'accès à l'emploi des jeunes chômeurs, préparer l'ensemble des seize-dix-huit ans et, au-delà, des majeurs au marché du travail et aux réalités de l'emploi est une priorité gouvernementale. M. Jean-François Lamour inaugure actuellement le forum « Jobs d'été » d'Ile-de-France. Le Gouvernement prend donc des initiatives pour sensibiliser les jeunes au monde du travail. Ces forums, organisés en partenariat entre le ministère du travail et celui de la jeunesse dans toutes les régions, mettront à disposition pour cet été 40 000 offres, dont 6 000 dans d'autres pays européens. Le pacte européen pour la jeunesse implique des initiatives concrètes quant à la circulation des jeunes. La proposition de François Fillon de développer la troisième de découverte professionnelle - avec trois à six heures par semaine de découverte des métiers autour de projets concrets dans les agglomérations où sont installés les collèges - va dans le même sens. Enfin, vous l'avez dit, il faut simplifier. Deux outils sont aujourd'hui disponibles. Le premier, que nous vous devons, puisqu'il est issu de votre amendement, monsieur Le Fur (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), consiste à exonérer d'impôts les revenus d'emplois de vacances des jeunes jusqu'à vingt et un ans, et ce dans la limite de deux SMIC. Cela évite - et vous l'avez très bien décrit - aux familles de devenir imposables, de sauter une tranche ou de perdre des allocations. Le second, le titre emploi entreprise, est assurément un outil adapté à l'embauche simplifiée des jeunes mineurs sans, pour autant, rouvrir le difficile chantier de la modernisation du droit des mineurs au travail. Je pense ici au contrat simplifié, un document unique, qui vaut contrat de travail, quittance de cotisations, déclaration d'embauche, bulletin de paie, et simplifie grandement les formalités de tout employeur, dans la limite de 700 heures. Au-delà de ces mesures, le Gouvernement reste, bien sûr, à la disposition du Parlement pour aller plus avant en ce domaine. Le défi à relever est grand - le taux d'activité des seize-vingt-cinq ans est de 55 % chez nos voisins européens contre seulement 25 % en France - et il y a encore du chemin à parcourir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement. Suspension et reprise de la séance M. le président. La séance est suspendue. (La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures quinze.) M. le président. La séance est reprise.
ORGANISATION DU TEMPS DE TRAVAIL Explications de vote et vote, par scrutin public, M. le président. L'ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l'ensemble de la proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise, en deuxième lecture. M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Maxime Gremetz, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains. M. Maxime Gremetz. Contre vents et marées, en dépit de la mobilisation populaire de ces dernières semaines, des enquêtes d'opinion qui montrent l'attachement des Français aux 35 heures, vous avez maintenu cette proposition de loi. C'est un texte purement idéologique, monsieur le ministre délégué aux relations du travail, un contresens historique, et une erreur économique. C'est une entreprise revancharde qui sonne comme un coup de poignard pour le monde du travail. Ce texte va dégrader les conditions de travail des salariés, jusqu'à mettre en jeu leur santé, maintenir la pression sur les salaires et abaisser encore le coût du travail, pendant que, dans le même temps, des millions de personnes restent au chômage, sont précaires. Cette proposition de loi mêle mensonge, duperie et supercherie. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Mensonge par le slogan « travailler plus pour gagner plus », avec des heures supplémentaires payées au lance-pierres, à 0,76 centime de l'heure, ce qui ne paie même pas la franchise d'un euro par consultation imposée par la réforme de l'assurance maladie, et des astreintes revues à la baisse. Supercherie avec la réforme du compte épargne-temps, car vous pervertissez son objet en donnant la possibilité à l'employeur d'en déterminer unilatéralement l'utilisation, en créant, avec sa monétisation, du salaire différé et virtuel en cas de choix spéculatifs incertains, et en le transformant véritablement en fonds de pension. Enfin, duperie avec la notion de temps choisi qui remet en cause la durée légale du temps de travail, individualise les rapports sociaux au sein de l'entreprise et fait croire que le salarié choisit l'organisation de son travail. C'est bien mal connaître la réalité de la vie des salariés, qui vivent au quotidien le chantage à l'emploi. Il s'agit ni plus ni moins, en réalité, d'anticiper une directive européenne faisant voler en éclat les curseurs nationaux de limitation de la durée du travail. C'est ainsi qu'en France les salariés pourront travailler jusqu'à 48 heures de façon quasiment continue. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Par jour ! M. Maxime Gremetz. Ce n'est pas le retour aux 40 heures, c'est le retour aux 48 heures, cinquante ans en arrière ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. André Gerin. C'est vrai ! M. Francis Delattre. Avec un petit goulag en plus ! M. Maxime Gremetz. Je vois que vous commencez à vous réveiller ! C'est bon signe ! On cherche là encore où est l'Europe sociale que vous nous prônez ! Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Dans la Constitution ! M. Maxime Gremetz. Après la directive Bolkestein, les déclarations de la commissaire Danuta Hubner, qui appelle à plus de délocalisations, voilà la directive opt out, qui allonge la durée du travail : encore un exemple de ce que nous réserve l'Europe telle que les partisans du oui la soutiennent. Dans ce contexte, il faut encourager les Françaises et les Français qui souhaitent une construction européenne plus sociale, garantissant l'emploi et les salaires, la protection sociale et les droits des salariés, à voter non au référendum le 29 mai prochain, et, croyez-moi, il n'y a pas beaucoup d'efforts à faire. M. Jean-Marc Lefranc. Voter non, c'est voter contre l'Europe ! M. Maxime Gremetz. Rassurez-vous, une victoire du non ne signifierait en rien la fin du monde (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire),... Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Mais celle de l'Europe ! M. Maxime Gremetz. ...ni le chaos, comme certains veulent le faire croire. Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est un autre débat ! M. Maxime Gremetz. Au contraire, ce serait une chance pour renégocier un autre projet de traité. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Alors que vous promettez un leurre aux salariés au travers de ces slogans, les entreprises, elles, ne connaissent pas la crise, avec une augmentation des profits de plus de 55 % en un an. Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Heureusement ! M. Maxime Gremetz. Vous comprenez pourquoi, quand le Medef dit qu'il vote oui à la Constitution européenne, les salariés disent qu'ils votent non. Plusieurs députés du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. Pas tous ! M. Maxime Gremetz. Vous avez rejeté toutes nos propositions qui portaient une véritable vision progressiste de l'aménagement du temps de travail, tirant les leçons des insuffisances comme des erreurs du passé, notamment celles revenant sur deux notions fondamentales : la définition du temps de travail effectif et du déplacement professionnel, mais aussi l'interdiction du travail de nuit des femmes dans l'industrie. Là, c'est un recul de cent ans, au nom de l'Europe, au nom de l'égalité professionnelle telle qu'elle est conçue en Europe. Vous avez refusé le retour au principe de l'accord majoritaire au sens où la validité de tout accord de réduction du temps de travail doit être subordonnée à la signature par une ou plusieurs organisations syndicales représentant la majorité des salariés. C'est pourtant incontournable si nous voulons que la négociation sociale retrouve sa légitimité et son caractère démocratique. Enfin, il ne peut y avoir réduction du temps de travail sans incitations à la création d'emplois. La surenchère en matière d'exonération de cotisations sociales patronales ne fait pas le beau temps, et la Cour des comptes est là pour vous le rappeler, qui s'inquiète de leur faible impact. C'est pourquoi, dans un processus de réduction du temps de travail, nous proposons de lier toujours le bénéfice de ces aides à l'effort en matière de réduction du temps de travail et de création d'emplois stables et correctement rémunérés pour faire reculer la précarité. Pour veiller à cette bonne articulation, il convient, comme nous le proposons, d'accorder aux salariés des droits nouveaux d'intervention. Mais tout cela, vous ne voulez pas l'entendre. Vous préférez, avec votre majorité UMP-UDF, satisfaire les attentes du Medef (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française), du baron Seillière. M. André Gerin. C'est vrai ! M. Patrick Braouezec. Chaque fois qu'on dit la vérité, ça vous énerve ! M. Maxime Gremetz. Voyez où cela mène : un chômage à 10 %, une augmentation de 9 % du nombre de RMIstes, après une augmentation de 10 %, la multiplication des travailleurs pauvres et un pouvoir d'achat en baisse de 0,3 %. Pour ces raisons, et parce que d'autres choix sont possibles, nous voterons contre cette proposition de loi et contribuerons au développement du mouvement social, des jeunes, qui s'expriment dans la rue, et de ceux qui affirment leur volonté de voter non à votre projet de Constitution européenne, dont ils mesurent l'aspect dévastateur, pour le peuple français comme pour tous les peuples européens. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) M. le président. La parole est à M. Hervé Novelli, pour le groupe UMP. M. Hervé Novelli. Nous voici donc au terme législatif de cette proposition de loi que j'ai eu l'honneur de cosigner avec MM. Dubernard, Morange et Ollier, et qui a reçu le soutien du Gouvernement. Je n'ai pas l'intention de revenir sur l'ensemble des débats, car tout a été dit ou presque tant au cours de la première lecture que la semaine dernière encore, dans cet hémicycle. Qu'il me soit pourtant permis de rappeler que cette proposition de loi était fondée sur quatre idées claires. Première idée, la liberté de choisir son temps de travail, le temps choisi. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Plusieurs députés du groupe des M. Hervé Novelli. Cela, évidemment, sous couvert de négociation, car la deuxième idée, c'est la confiance dans les partenaires sociaux, tant au niveau des entreprises que de la branche, pour négocier les assouplissements nécessaires. Troisième idée, le pouvoir d'achat (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), qui a reculé en 2003 pour les salariés du privé. Pour moi, comme pour bon nombre de mes collègues, c'est la marque de la loi Aubry II. Les électeurs, du reste, ne s'y sont pas trompés, qui ont envoyé ici à sa place M. Sébastien Huygue ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. Patrick Braouezec. Résumé un peu court ! M. Hervé Novelli. Cette loi a permis, dans des milliers d'entreprises, la conclusion, pour une durée de trois ans, d'accords qui ont entraîné une stagnation salariale dont il est difficile de sortir aujourd'hui. Enfin, quatrième idée, la prise en compte jusqu'au 1er janvier 2009 de la spécificité qui s'attache aux entreprises de moins de vingt salariés. Les ajouts du Sénat n'ont pas fondamentalement altéré cette philosophie, même si, ici ou là, on pouvait préférer la rédaction de l'Assemblée ; mais le vote conforme, je l'espère, permettra d'aller vite, c'est le souhait de tous. M. Maxime Gremetz. Rassurez-vous, la loi est aussi mauvaise d'un côté que de l'autre ! M. Hervé Novelli. Clore ce chapitre législatif, c'est en effet donner la possibilité d'en ouvrir un autre dans le champ de la négociation,... M. Jacques Desallangre. Le législateur qui ne croit pas en la loi ! C'est merveilleux ! M. Hervé Novelli. ...car nous croyons, nous, dans la possibilité que s'instaurent au plus près de la réalité économique des accords destinés à permettre à ceux qui le souhaitent, et seulement à ceux-là, de travailler plus et ainsi de gagner plus. N'en doutons pas, il faudra bien un jour, et pourquoi pas en 2007,... M. Gilbert Biessy. Ça va être dur pour vous, en 2007 ! M. Hervé Novelli. ...aborder le problème plus général de la place trop faible laissée en France à la négociation collective ou individuelle par rapport à l'appareil législatif. Un nouveau contrat social devra être recherché pour laisser à la loi les principes généraux en matière sociale et renvoyer aux négociations les adaptations nécessaires branche par branche ou entreprise par entreprise. Il faudra bien aussi, par simple souci d'équité, introduire la même souplesse dans la fonction publique, dans les fonctions publiques, pour permettre aux fonctionnaires qui le souhaitent d'accroître leur pouvoir d'achat en travaillant plus. M. André Gerin et M. Maxime Gremetz. Démago ! M. Hervé Novelli. Mesdames, messieurs, nous souhaitons que cette proposition de loi soit le signal d'une démarche moderne destinée à faire de notre démocratie sociale une démocratie apaisée et responsable. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) C'est la raison pour laquelle le groupe UMP la votera, et il en est fier. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. Avant de donner la parole aux orateurs suivants, je vais d'ores et déjà faire annoncer le scrutin dans l'enceinte de l'Assemblée nationale. La parole est à M. Alain Vidalies, pour le groupe socialiste. M. Alain Vidalies. L'examen en deuxième lecture de la proposition de loi portant réforme de l'organisation du temps de travail dans l'entreprise est intervenu dans un contexte marqué par les incohérences et les échecs de la politique du Gouvernement. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) L'INSEE a ainsi révélé qu'en 2003 le pouvoir d'achat des salariés du privé avait diminué de 0,3 %. Il faut remonter à 1996, date à laquelle vous étiez déjà aux affaires, pour trouver un résultat aussi négatif - et à l'époque, ce ne pouvait pas être la faute de la loi Aubry ! Le nombre de chômeurs ne cesse d'augmenter : 200 000 de plus depuis 2002. Encore cette statistique minore-t-elle les effets de votre action car, en modifiant les règles de l'allocation spécifique de solidarité, vous avez accéléré le renvoi vers le RMI de dizaines de milliers de demandeurs d'emploi. Le nombre des allocataires du RMI a augmenté de 9 % pour la seule année 2004, soit 81 000 personnes. Parallèlement, les résultats affichés par les grands groupes battent tous les records avec des augmentations de 40 %, 100 %, jusqu'à 800 %, et ce dans tous les secteurs : banque, industrie, commerce. Votre politique de réduction des impôts pour les catégories les plus aisées et de démantèlement du droit du travail a abouti à fragiliser la situation des salariés et à permettre une captation de la richesse produite au détriment du travail et au profit des actionnaires. Au moment où notre pays compte 3 millions de demandeurs d'emplois et de plus en plus de salariés à temps partiel subi, le Gouvernement et l'UMP ne trouvent rien de mieux à faire que d'augmenter le volume des heures supplémentaires en le portant à 220 heures, alors que la moyenne utilisée par les entreprises n'est que de cinquante-neuf heures ! Un député du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. C'est une moyenne ! M. Alain Vidalies. Vous avez déjà augmenté le nombre de salariés dont le temps de travail peut être comptabilisé en forfait jour, réduit le droit au repos compensateur, supprimé un jour férié et augmenté le temps de travail effectif en modifiant sa définition. Vous poursuivez méthodiquement le démantèlement du code du travail en facilitant les licenciements et en remettant en cause la hiérarchie des normes qui protégeait les salariés d'une même branche professionnelle. Votre conception du dialogue social est à géométrie variable. Ainsi, vous avez inscrit cette proposition de loi à l'ordre du jour prioritaire de l'Assemblée sans aucune négociation préalable avec les organisations syndicales. Il est dès lors paradoxal que l'explication de vote du groupe UMP présente l'accord comme un préalable nécessaire, alors que justement, sur cette loi, il n'y a eu aucune négociation. Au surplus, le choix de la proposition de loi pour éviter le contrôle du Conseil d'État en dit long sur votre attachement au dialogue social. II est extraordinaire de proposer, en 2005, une loi qui autorise l'employeur à alimenter le compte épargne-temps à sa seule initiative. Autrement dit, en cas de variation de l'activité, il pourra décider d'affecter des heures effectuées par le salarié au compte épargne-temps au lieu de les rémunérer immédiatement. Il n'est dès lors pas étonnant que le slogan « travailler plus pour gagner plus » ait été repris mot pour mot d'une proposition de la Fédération patronale de l'Union des industries minières. Cette proposition de loi introduit pour la première fois dans notre droit du travail la possibilité de déroger, par un accord direct entre le salarié et l'employeur, à l'application d'une disposition de la loi sur les congés payés. Mais comme le pire n'est jamais sûr, l'UMP et son président viennent de proposer, en guise de politique pour l'emploi, des exonérations de cotisations sociales sur les heures supplémentaires. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Le message de l'UMP et du Gouvernement est clair : si demain la croissance est au rendez-vous, les entreprises seront incitées à recourir aux heures supplémentaires plutôt qu'à embaucher. Les demandeurs d'emploi et leurs familles apprécieront ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Ce texte n'est que la manifestation de la fuite en avant d'une majorité en perdition (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire), dont le raidissement sur des principes idéologiques d'un autre siècle pénalise l'emploi et les salaires. Voilà pourquoi le groupe socialiste votera avec détermination contre cette proposition de loi, économiquement absurde et socialement injuste. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) M. le président. Pour le groupe UDF, la parole est à M. Hervé Morin. M. Hervé Morin. Nous avons assisté à un débat de postures : posture de la gauche, qui voit dans ce texte une remise en cause des acquis sociaux majeurs, posture de la droite, qui le présente comme une réforme de la lourde erreur - économique, budgétaire, sociale - que furent les 35 heures pour le pays. Nous aurions aimé, monsieur le ministre, comme nous vous l'avons indiqué à de nombreuses reprises, que le Gouvernement prenne ses responsabilités et tienne ses engagements de 2002. Mais la réalité est que, hormis les dispositifs techniques, ce texte n'apportera aucune amélioration significative car les dérogations au dispositif législatif sont soumises à des conditions extrêmement strictes. L'essentiel des membres de notre groupe approuvera ces dispositifs techniques, mais nous n'attendons pas de ce texte l'évolution majeure que nous espérions en 2002. Je rappelle la position du groupe UDF, telle que nous l'avons défendue à de nombreuses reprises depuis deux ans : maintien de la durée légale à 35 heures ; possibilité de mieux rémunérer le salarié, avec une bonification de 25 % pour récompenser le travail entre 35 à 39 heures, en dehors du contingent des heures supplémentaires, et réduction à due proportion des cotisations sociales pour que cela ne coûte pas plus cher à l'entreprise. Nous aurions ainsi pu améliorer le pouvoir d'achat de nos compatriotes qui voulaient travailler plus. Pour cela, il ne fallait qu'une chose : prendre ses responsabilités au Parlement ; c'est ce que nous aurions voulu. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.) M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l'enceinte de l'Assemblée nationale. Je vais mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi. Je vous prie de bien vouloir regagner vos places. .................................................................. M. le président. Le scrutin est ouvert. .................................................................. M. le président. Le scrutin est clos. Voici le résultat du scrutin : L'Assemblée nationale a adopté. Suspension et reprise de la séance M. le président. La séance est suspendue. (La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à seize heures cinquante, sous la présidence de M. Jean Le Garrec.) PRÉSIDENCE DE M. JEAN LE GARREC, vice-président M. le président. La séance est reprise.
CRÉATION DU REGISTRE Discussion d'une proposition de loi M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, relative à la création du registre international français (nos 1287, 2039). La parole est à M. Jean-Yves Besselat, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. M. Jean-Yves Besselat, rapporteur de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, le texte de la proposition de loi relative à la création du registre international français - le RIF - que nous allons examiner a été beaucoup amendé par rapport à celui qui nous revient du Sénat. Au terme d'un travail de quinze mois, au cours duquel nous avons entendu les différentes parties, il me semble que nous présentons à l'Assemblée nationale un texte équilibré. Il est urgent de se pencher sur le sort de la marine marchande. Quelques chiffres suffisent à montrer que, si le pavillon Kerguelen, mis en place en 1987, a stabilisé pour un temps la situation, l'effondrement de la marine marchande est désormais une réalité : pour 762 navires battant pavillon français en 1970, on en compte aujourd'hui 210, dont 110 sous pavillon français et 94 sous pavillon Kerguelen ; les marins, qui étaient 43 550 en 1970, sont aujourd'hui 9 300, dont 1 800 sous pavillon Kerguelen. Ces chiffres, mes chers collègues, doivent nous inciter à une certaine réactivité. Sur certains bancs de cet hémicycle, on s'est contenté de les contempler pendant des années et l'on fait aujourd'hui des discours ; quant à nous, nous passons aux actes. M. Gilbert Le Bris. Au massacre ! M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. La France, quatrième exportateur mondial, ne maîtrise plus son transport. Alors que 90 % des pondéreux sont transportés par voie maritime et que ce trafic croît de 8 % à 9 % par an, les navires qui transportent nos marchandises ne sont, pour l'essentiel, pas français. Avant d'exposer nos propositions, je rappellerai brièvement que le pavillon Kerguelen n'est plus compétitif. D'abord, le registre TAAF est classé par la commission de Bruxelles comme le moins efficace et le plus rigide en matière d'emploi. Sur le plan juridique, l'incertitude est totale : le décret de 1987, qui imposait 35 % de marins français à bord des navires sous pavillon Kerguelen, a été annulé par le Conseil d'État, car il était contraire aux dispositions européennes. L'article unique de la loi de 1996, qui légalise le registre Kerguelen, dispose que le commandant et son substitut sont français et renvoie, pour le reste, à un décret, qui n'a jamais été pris. En matière de protection sociale, puisque le pavillon Kerguelen renvoie à un code du travail de l'outre-mer qui n'existe pas, les armateurs et les marins ont convenu d'appliquer le code du travail métropolitain. Pour les marins étrangers, la situation est pire : c'est le vide juridique. Bien que la loi l'interdise, les armateurs recourent aux sociétés de manning, qui embauchent des marins étrangers qu'elles mettent à leur disposition. Ils peuvent alors tout ignorer des conditions de salaire et des conditions sociales de ces marins. En réalité, les armateurs et les marins font convenablement leur travail, car les normes de l'International Transport Workers' Federation - l'ITF - sont généralement appliquées. Reconnaissons toutefois qu'en matière juridique, ce dispositif fait apparaître un vide total. Le pavillon que nous vous proposons aujourd'hui est une réponse à cette descente vertigineuse du pavillon français. M. Maxime Bono. Une mauvaise réponse ! M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. Il se peut qu'elle soit mauvaise, mais nous n'en avons pas eu auparavant ! Nous proposons, par un amendement à l'article 4 de la proposition de loi, d'imposer aux armateurs un pourcentage minimum de 35 % de marins communautaires - ils sont en général Français - pour les navires aidés, qui bénéficient du GIE fiscal ou de quirats, et de 25 % pour les navires non aidés, sur la base de la fiche d'effectifs. Par rapport au coût d'exploitation total d'un navire, les coûts de personnel sont de 65 % pour le pavillon TAAF, contre 50 % pour le pavillon belge, sans parler des pavillons des Bahamas ou des Îles Caïman. Ainsi, permettre aux armateurs de passer de 35 % à 25 % leur permet de pavillonner au titre du RIF et je reviendrai tout à l'heure plus en détail sur ce point. Sur un navire battant pavillon RIF, pour seize marins inscrits sur la fiche d'effectifs, quatre au moins seront des ressortissants communautaires, dont deux Français si le navire ne bénéficie pas d'une aide, et six s'il est aidé. En pratique, il s'agira essentiellement de marins français. C'est donc une contrevérité de dire qu'il n'y aura sur ces navires qu'un ou deux marins français. Le RIF est le point d'équilibre entre toutes les discussions que nous avons eues. Si nous adoptons ce registre international français, ce sont, à en croire les nombreux interlocuteurs que j'ai rencontrés, 70 navires qui pourraient adopter le pavillon RIF en trois ans. Sur la base d'une moyenne de cinq emplois par navire, et sachant par ailleurs qu'il faut compter quatre marins à terre pour un marin embarqué, le surcroît d'emplois créés serait de l'ordre de 1 400 en trois ans, ce qui reviendrait presque à doubler le nombre de marins travaillant sur des navires français, qui est actuellement de 1 800 pour le registre Kerguelen. À l'inverse, si l'on n'adopte pas ce double dispositif des 25 % et 35 %, bon nombre de navires ne navigueront pas sous pavillon français ou dépavillonneront et le bilan sera, dans trois ans, une perte de 60 navires sous pavillon français, soit 1 400 marins en moins. Le texte prévoit en outre la défiscalisation du revenu des marins. M. Daniel Paul. Un cadeau supplémentaire ! M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. Ce n'est pas un cadeau : c'est une façon de susciter de nouvelles vocations de marins. C'est un métier difficile. Il faut n'avoir jamais été sur un bateau pour l'ignorer ! Quant à la protection sociale, qui est un point très important auquel je suis aussi attaché que vous, celle que garantit le RIF est la meilleure en Europe : les officiers français résidant en France seront obligatoirement embauchés par l'armateur, et non par les sociétés de manning ; les marins français seront obligatoirement soumis au code du travail maritime et aux conventions collectives en vigueur. En outre, il va de soi que ces marins bénéficieront du régime ENIM. Pour les marins étrangers, la loi RIF crée un statut et une protection sociale qui n'existaient pas sous pavillon TAAF. Ce texte légalise les sociétés de manning, qui devront désormais être agréées et garantir une protection sociale conforme aux normes internationales de l'OIT et de l'ITF en termes de salaires et de protection sociale. L'article 20 dispose qu'« en cas de défaillance de l'entreprise de travail maritime, l'armateur est substitué à celle-ci pour le rapatriement et le paiement des sommes qui sont ou restent dues aux organismes d'assurance sociale et au navigant ». L'armateur doit payer les frais d'hospitalisation pour ses marins et, « pendant la mise à disposition du navigant, l'armateur est responsable des conditions de travail et de vie à bord ». Il n'existe aucune mesure semblable sous aucun pavillon bis européen. Les navires battant pavillon RIF seront immatriculés dans un port français, avec un guichet unique, et placés sous l'autorité de l'administration sur les plans juridique, fiscal et social et, naturellement, en matière de sécurité. Dans ces conditions, qualifier le pavillon RIF de pavillon de complaisance est une contrevérité. Un tel texte n'est pas le mien. Peut-être en circule-t-il un à droite ou à gauche, mais sûrement pas à droite ! En conclusion, ce texte, qui doit permettre de redynamiser la marine de commerce française, est créateur d'emplois. Je suis étonné d'avoir entendu quelques voix que je connais bien... M. Daniel Paul. Si ça ne marche pas, vous démissionnez ? M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. La critique est facile ! Lorsque vous avez exercé le pouvoir, je n'ai pas vu l'ombre d'une proposition ! Mais aujourd'hui, vous critiquez les nôtres avec des discours enflammés. Nous proposons un texte créateur d'emplois : c'est inscrit dans le marbre. Deuxième conclusion : à l'heure des délocalisations, ce texte, qui vise à repavillonner ou à inciter les armateurs étrangers à pavillonner sous pavillon français... M. Gilbert Le Bris. Sans marins français à bord ! M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. ...est un instrument de relocalisation. On peut toujours tenir des discours pour faire peur à l'électorat de notre pays. Pour ce qui nous concerne, nous préférons passer aux actes et voir la réalité en face. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Enfin, l'article 34 du texte fixe un rendez-vous politique en 2007, en prévoyant que soit fait le point avec l'ensemble des instruments dont dispose le Gouvernement : un rapport d'évaluation de l'application de la loi sera présenté au Parlement dès 2007. Cette clause politique est fondamentale. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) M. Daniel Paul. C'est du flan ! M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. Ricaner ne suffit pas, mes chers collègues : il vaut mieux agir avec lucidité et sérénité. M. le président. Calmez-vous, mes chers collègues. M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. Je vous remercie, monsieur le président, de rendre la mer plus calme. M. le président. Faites-moi confiance en la matière ! M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. Absolument. J'ai moi aussi l'habitude de tenir la barre. Cette clause a une autre signification. Nous avons connu par le passé le cas d'élèves officiers qui ne trouvaient pas d'embarquement au sortir de l'école. Je pense que la mobilisation dont nous faisons preuve depuis quinze mois en faveur de la marine marchande se traduira concrètement par des embauches. Mais cet enjeu ne se mesure pas qu'en chiffres, et je peux annoncer, puisque c'est aujourd'hui le printemps, une bonne nouvelle, en réponse à la demande forte exprimée par certains de nos collègues, Aimé Kergueris, Hélène Tanguy et d'autres. Je m'autorise de votre confidence, monsieur le secrétaire d'État, tout en vous laissant la primeur de l'annonce précise. Vous avez en effet accepté une avancée en matière d'exonération de charges patronales ENIM. M. François Liberti. Une de plus ! M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. Je salue l'effort consenti par le Gouvernement, et qu'il aura, je pense, à cœur de confirmer dans un instant. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. Vous avez, monsieur le rapporteur, coupé l'herbe sous le pied au secrétaire d'État ! M. François Liberti. Il n'y a pas d'herbe sous le pied des marins. M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. M. René Couanau, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la proposition de loi du Sénat créant un registre international français suscite manifestement beaucoup de doutes et d'interrogations, et la question suivante n'est pas la moindre : la création d'un pavillon bis est-elle vraiment un passage obligé afin de mettre en œuvre une politique ambitieuse pour la marine marchande française ? On nous répond que la plupart des pays maritimes européens ont choisi cette voie. On ne s'interdira pas cependant de penser que c'est à défaut d'avoir défini et conduit ensemble une véritable politique maritime européenne. Plusieurs députés du groupe socialiste. Exactement ! M. René Couanau, rapporteur pour avis. Certes, pour ce qui concerne la France, le pavillon Kerguelen, déjà adopté lui-même pour ainsi dire par défaut, vous vous en souvenez, a atteint les limites de son ambiguïté. L'objet de la proposition sénatoriale est donc de le remplacer, avec l'ambition affichée, comme vient de le rappeler M. le rapporteur, d'améliorer la compétitivité de la flotte française, de préserver et de développer l'emploi maritime, tout en introduisant des dispositions d'ordre social pour les marins nationaux et pour ceux recrutés par des entreprises de travail maritime. Sur ce dernier point social, le texte du Sénat comportait certes un certain nombre d'avancées, mais de nombreuses imprécisions subsistaient. Le travail des deux commissions a, me semble-t-il, bien amélioré le texte sur ce point. Quant à la compétitivité de la flotte française, le RIF, dans la version qu'en propose le Sénat, y contribue bien peu, et en recourant essentiellement à la réduction du nombre des emplois français. Plusieurs députés du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. Tout à fait ! M. René Couanau, rapporteur pour avis. C'est sur ce point d'ailleurs que le texte sénatorial est le moins acceptable, puisqu'il limite à deux le nombre de marins français embarqués : le commandant et son adjoint. Je résumerai ainsi nos propositions principales. Nous proposons d'abord une clarification du statut social des marins embarqués sous pavillon bis : elle est nécessaire puisqu'on trouvera sous ce pavillon des marins relevant de statuts différents : du code du travail maritime français pour les Français ou d'un autre régime social pour les marins européens non français, ou encore de contrats particuliers avec les entreprises de travail maritime. C'est pourquoi nous avons souhaité qu'il soit au moins nettement précisé dans la loi française que le code du travail maritime français et les conventions collectives en vigueur dans notre pays s'appliquent aux navigants français. M. Gilbert Le Bris. Très bien ! M. René Couanau, rapporteur pour avis. Quant aux entreprises de travail maritime, elles ne seront pas autorisées en France : c'est bien le moins. Un amendement du rapporteur règle cette question. Notre deuxième proposition voit plus loin que le pavillon bis. Vous avez, monsieur le rapporteur, cité quelques auteurs de propositions : je précise à mon tour que cette proposition a été adoptée par la commission des affaires sociales et la commission des affaires économiques. Elle vise à améliorer la compétitivité de toute notre flotte autrement que par la réduction du nombre d'emplois français. Je ne crois pas, en effet, que la politique maritime volontariste et globale dont ce pays a besoin puisse se limiter à la création du RIF. Plusieurs députés du groupe socialiste. Très bien ! M. René Couanau, rapporteur pour avis. C'est pourquoi l'examen de ce texte sur le RIF doit être l'occasion d'adopter une disposition plus globale attendue par l'ensemble des armements du pavillon français ; mais il semble que vous y soyez prêt, monsieur le secrétaire d'État. Il s'agit de l'exonération totale des charges sociales patronales pour tous les navires de notre flotte, puisque leur montant constitue l'un des obstacles principaux pour notre compétitivité. Certes le remboursement de ces charges a été instauré en 2002. Mais il est effectué de façon tardive et sporadique ; il entraîne chaque année des négociations difficiles avec les ministères concernés. Aucune société d'armement ne peut être correctement gérée dans ces conditions de précarité. L'amendement que nous proposons, et qui a été adopté par les deux commissions, permettra au Gouvernement de disposer des conditions les plus propices pour établir enfin et définitivement ce dégrèvement de charges. Quant au développement de l'emploi français, on ne peut pas dire que la proposition du Sénat y contribue en limitant à deux officiers les effectifs de nationalité française. Ceci n'est pas acceptable. Une marine marchande battant pavillon français et bénéficiant de plus d'un statut fiscal particulier se doit d'employer des marins français, ne serait-ce qu'en raison de leur formation et de leur compétence reconnue dans tous les domaines de la navigation, et notamment celui de la sécurité. C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'État, nous proposons fermement que soit imposée aux armements sous RIF l'obligation d'employer des navigants français ou ressortissants de l'Union Européenne - puisque nous y sommes tenus - à hauteur minimale de 35 % des effectifs réellement embarqués. M. Gilbert Le Bris. Très bien ! M. René Couanau, rapporteur pour avis. Il s'agit du pourcentage en vigueur pour les navires du pavillon Kerguelen. Combinée avec l'allégement des charges patronales proposé par ailleurs, cette obligation répondrait à l'ambition affichée par la proposition de loi de préserver et de développer l'emploi. Chacun ici, comme sur nos côtes, comme chez tous ceux qui se préoccupent de l'avenir maritime de notre pays, jugera normal que, la nation consacrant des efforts fiscaux substantiels au soutien de sa marine marchande, celle-ci en contrepartie assure à la filière de l'emploi maritime français le développement que le monde maritime attend. C'est le simple bon sens. Il est certes impératif d'instaurer un pavillon bis attractif ; mais le pavillon maritime français à la poupe d'un navire, cela doit se mériter. M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. M. François Goulard, secrétaire d'État aux transports et à la mer. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les députés, cette proposition de loi, qui émane du Sénat, est pour nous l'occasion de parler aujourd'hui, dans cet hémicycle, de l'économie maritime et de sa place dans un pays comme le nôtre. Avant d'aborder les points précis qui ont fait l'objet de l'intervention de M. Jean-Yves Besselat et de M. René Couanau, je voudrais dire que l'importance de l'économie maritime n'est pas toujours suffisamment reconnue dans notre pays. Elle est pourtant considérable. Selon des estimations très sérieuses, elle représente en effet 400 000 emplois. Dans ce domaine, notre pays dispose d'atouts incontestables, bien que pas toujours suffisamment connus et parfois insuffisamment exploités. Nous sommes nombreux à partager la conviction qu'ils doivent lui permettre de fonder une part de son développement et de son avenir sur les activités maritimes. Naturellement, les activités maritimes, moins encore que d'autres, ne peuvent ignorer le contexte de mondialisation qui est la marque de notre époque. Elles doivent s'adapter aux évolutions, en s'appuyant sur nos points forts et en s'inspirant des meilleurs exemples. C'est ainsi que nous pourrons, dans ce domaine comme dans d'autres, réussir et progresser. Ainsi, s'il est illusoire de penser que la France peut produire des vraquiers dans des conditions satisfaisantes de compétitivité, nous construisons à Saint-Nazaire, comme vous le savez, les plus beaux paquebots du monde et les méthaniers les plus modernes. Sur le marché très récent de la plaisance, nous enregistrons de remarquables succès, puisque notre pays est le premier constructeur mondial de voiliers. Dans le domaine des services à l'industrie pétrolière off shore comme dans celui de la recherche océanographique, nous nous situons au premier rang mondial. Mais certains de nos atouts sont, nous le savons, insuffisamment exploités. Il en va ainsi de nos ports, domaine où, faute d'avoir conduit à temps les évolutions nécessaires, nous avons aujourd'hui décroché par rapport aux meilleurs. Cependant, j'affirme ici que nous avons la ferme intention de redresser bientôt la situation. Il en va ainsi également de la marine marchande, sujet qui nous occupe ce soir. L'impressionnant recul de notre flotte de commerce dans le classement mondial des flottes fait contraste avec le redressement notable, et chiffrable, des flottes de commerce de plusieurs de nos voisins européens. Une vaste entreprise de relance de la flotte de commerce française suppose le respect de trois conditions. La première est l'examen objectif des moyens qui ont permis à certains pays de développer leur flotte de commerce. Nous ne devons pas en effet agir comme si nous étions seuls au monde dans un domaine particulièrement concurrentiel. Je citerai, pour illustrer mes propos, deux chiffres extraordinairement frappants. En dix ans notre flotte a diminué de 5 % en tonnage, passant de 6, 4 millions de tonnes de port en lourd, en 1994, à 6,1 millions. Dans le même temps, l'ensemble de l'Union européenne - avant son élargissement bien sûr, puisque l'année de référence est 1994 - a vu sa flotte de commerce progresser de 20 %, passant de 102 à 122 millions de tonnes. Cela signifie que, pendant que la flotte de commerce française continuait de décliner, nos voisins ont réussi, eux, à développer sensiblement leur marine marchande, grâce à des politiques adaptées. La seconde condition du succès est la mise en place d'une politique globale de soutien à la flotte marchande, qui traite toutes les questions de fiscalité, de charges sociales, d'aides à l'investissement. Cette politique doit au surplus s'inscrire dans la durée, sans laquelle elle ne saurait avoir de véritable impact sur l'économie. La troisième condition est le respect de la culture sociale de notre pays, en particulier la culture sociale maritime française, sans lequel aucune politique ne sera acceptée : or cette acceptation est absolument nécessaire à son succès. Notre politique de soutien à la flotte de commerce s'est attachée depuis plusieurs années à créer pour nos entreprises d'armement les conditions du succès. Nous avons travaillé sur les sujets fiscaux : dégrèvements de taxe professionnelle, substitution efficace de la taxe au tonnage à l'impôt sur les sociétés, dispositif de GIE fiscal qui est un puissant levier d'aide à l'investissement reposant, vous le savez, sur deux étages : l'un classique, celui de la création d'un déficit fiscal par le jeu des amortissements ; l'autre plus original, celui de l'exonération de plus-values. Dispositif efficace, disais-je, mais malheureusement non notifié, à une autre époque, à la Commission européenne, et qui, du coup, fait aujourd'hui l'objet d'une enquête. Avant la fin de cette année - les contacts avec la Commission sont en cours - nous devrions présenter un dispositif de substitution à l'actuel GIE fiscal qui soit totalement euro-compatible et qui garantisse à notre flotte un dispositif de soutien aussi puissant que celui que nous avons jusqu'à présent mis en œuvre. Nous avons également, depuis 2001, mais cette politique a été accentuée, entrepris de rembourser les charges sociales patronales pour les marins. À ce titre, un crédit de 44 millions d'euros a été inscrit en loi de finances pour 2005. Comme l'ont dit Jean-Yves Besselat et René Couanau, nous avons travaillé depuis plusieurs mois, en contact avec les milieux professionnels, pour trouver un dispositif plus durable, plus lisible, plus stable qu'un remboursement de charges sociales, lequel, en effet, est soumis aux aléas des discussions budgétaires annuelles. C'est la raison pour laquelle j'ai le plaisir de vous annoncer ce soir que nous sommes d'accord avec l'introduction dans cette proposition de loi sur le registre international français d'une mesure d'exonération des charges ENIM pour l'ensemble des navires français qui y sont affiliés, non seulement pour ceux qui relèvent du RIF, mais aussi pour tous les autres, de telle sorte que cette mesure concernera l'ensemble de notre flotte de commerce. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Je crois que c'est une avancée. M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Oui, une très belle avancée ! M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Elle garantit dans le temps les conditions de l'exploitation des navires français et des armateurs français. Pourquoi cette exonération porte-t-elle uniquement sur les charges patronales ENIM ? Tout simplement parce qu'elles ont un caractère spécifique. Les charges non ENIM ne peuvent pas, pour des raisons évidentes, faire l'objet de la même mesure d'exonération permanente car celle-ci entraînerait des demandes reconventionnelles parfaitement justifiées d'autres secteurs économiques qui, il faut le rappeler, sont soumis eux aussi à la concurrence internationale. Enfin, tous les pays européens qui ont réussi à développer à nouveau leur marine marchande ont instauré, suivant des modalités variables, ce qu'il est convenu d'appeler un pavillon bis. Et ces pays l'ont fait avec succès. Nous avons, en ce qui nous concerne, un pavillon baptisé Kerguelen, qui présente, et les deux rapporteurs sont d'accord pour le dire, de nombreuses insuffisances, ne serait-ce que dans ses fondements juridiques. C'est dans ce contexte que le sénateur Henri de Richemont a déposé une proposition de loi instaurant un registre international français, qui a été adoptée en décembre 2003 par le Sénat. Ce texte, vous le savez, a suscité un vaste débat dans notre pays. Débat légitime, avec, comme il se doit, des positions différentes entre les armateurs et les syndicats de marins, mais qui a provoqué également une certaine incompréhension, en particulier son fameux article 4 qui impose la nationalité française pour le capitaine et son substitut, laissant entendre qu'il n'y aurait en tout et pour tout, et à jamais, que deux marins français à bord de ces navires battant pavillon RIF. C'est un malentendu car telle n'était pas l'intention du Sénat. Mais il est clair qu'il convenait de dissiper les incompréhensions, de rapprocher les points de vue. Et c'est ce que le Gouvernement, en liaison étroite avec votre commission des affaires économiques, a demandé à une personnalité reconnue du monde maritime, M. Scemama. Celui-ci a exercé une mission de médiation entre les différentes parties concernées, pour rapprocher les points de vue, éclairer les enjeux et expliquer le texte. Nous avons, au cours de ces travaux qui ont duré plusieurs mois, considérablement rapproché les positions et dissipé un certain nombre de malentendus, mais pas encore totalement. Le travail pour y parvenir reste à accomplir. Vos commissions ont adopté plusieurs amendements. Je tiens à dire, messieurs les rapporteurs, que le Gouvernement est favorable à l'esprit qui vous a animé l'un et l'autre. Je pense que l'amendement de Jean-Yves Besselat qui propose que la proportion de marins originaires de l'Union européenne - personne ne peut contester que nous sommes en Europe - soit portée à 35 % à bord d'un navire qui a bénéficié du dispositif d'aide fiscale pour son acquisition, et réduite à 25 % pour les autres, est sage et de nature à concilier des points de vue encore différents, tant il est vrai que quasiment tous les navires qui entrent dans la flotte française font aujourd'hui l'objet d'aides à l'investissement. M. Gilbert Le Bris. Et les effectifs ? M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Les autres pays européens qui ont créé des pavillons bis ont réussi, leur flotte de commerce s'est accrue au cours des dernières années, et tous ces pays ont des contraintes en termes de navigants européens beaucoup plus faibles que celles qui figurent dans l'amendement de Jean-Yves Besselat. Je remarque que celui de René Couanau en est assez proche dans son esprit, dans sa lettre et dans ses effets. J'insiste sur le fait que nous avons besoin, pour l'application de ce quota et pour la vérification de son respect, d'une référence qui soit parfaitement fiable ; faute de quoi le contrôle n'aurait aucun sens. Nous devons prendre conscience de la situation dont nous partons : je souligne qu'aujourd'hui aucun navire naviguant au long cours n'a choisi le pavillon métropolitain. Nous sommes donc dans une démarche de reconquête. Il s'agit de faire revenir des navires sous pavillon français, de développer la flotte française. Et grâce à ces ratios d'équipages européens, nous aurons - les rapporteurs l'ont dit et je suis d'accord avec les estimations de Jean-Yves Besselat - une augmentation de l'emploi maritime français, personne ne peut sérieusement le contester. Je rappelle les chiffres : moins 5 % pour la flotte française en dix ans, plus 20 % pour les pays qui se sont dotés de pavillons bis. Pour terminer, mesdames, messieurs les députés, je voudrais insister sur trois points essentiels. Le premier point, c'est qu'en arborant un pavillon français, un navire est soumis à l'ensemble des règles de sécurité maritime françaises. Cela signifie que ce pavillon est le garant de la sécurité des navires qui l'arborent. Et dans le contexte que vous connaissez, celui de la recherche d'une sécurité maritime maximale dans les eaux européennes, ce point est évidemment fondamental. Le deuxième point, c'est que l'inspection du travail maritime sera compétente à bord des navires ayant le pavillon RIF. Enfin, et ceci appelle des développements que je n'ai pas souvent trouvés dans les articles consacrés au RIF, alors que c'est pourtant un progrès déterminant qui nous place à part des autres pays européens, et je l'ai évoqué en parlant de culture sociale maritime française, le texte propose une avancée sociale inédite concernant les marins non européens, dont on ne se soucie pas assez. En lisant cette proposition de loi, vous avez constaté qu'elle comporte des garanties en matière de droits syndicaux, de droit à congé, d'horaires de travail, de protection sociale - qu'il s'agisse de la prévoyance ou de la retraite. C'est inédit. Aucun pavillons bis européen ne comporte de dispositions analogues. Cela signifie que nous avançons dans un domaine qui est un sujet de préoccupation pour tous ceux qui considèrent que la protection sociale vaut naturellement pour les salariés français, les salariés européens, mais également pour les salariés du monde entier. Avec l'adoption du RIF, avec l'exonération des charges sociales, avec l'ensemble des mesures d'aide adoptées au cours des dernières années, avec la reconfiguration prochaine du GIE fiscal visant à le consolider, nous aurons les moyens d'une relance effective de la flotte de commerce française. Mesdames, messieurs les députés, il y a, face à ce grand sujet d'importance nationale, deux attitudes possibles : l'une consiste à refuser les réalités du monde maritime contemporain, à s'enfermer dans le corporatisme le plus étroit, dans le passéisme, et cela aboutirait à assister au lent déclin, puis à la disparition pure et simple de la flotte de commerce française ; l'autre consiste à conduire une politique volontaire, pragmatique, voisine de celle des autres pays européens, mais en respectant les traditions sociales françaises. C'est cette politique maritime que nous avons l'honneur de vous proposer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement. La parole est à M. Jean Gaubert. M. Jean Gaubert. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la France devrait encore être un grand pays maritime si on en juge par sa situation, puisque la mer constitue les deux tiers de nos frontières. La façade atlantique, qui voit passer la majorité des bateaux circulant pour le Nord de l'Europe, est ouverte de Dunkerque à Saint-Jean-de-Luz. Nous y avons de grands ports, que ce soit Dunkerque, Le Havre, Nantes, Saint-Nazaire ou Bordeaux. Quant à la façade méditerranéenne, il y a Marseille. Et nous avons, même si les choses ont beaucoup changé, des ports militaires qui, pour certains d'entre eux, sont en voie de reconversion et de restructuration : Cherbourg, Toulon et beaucoup d'autres. La mer, pour la France, ce sont aussi des lieux mythiques. Je n'en citerai que deux : La Rochelle, Rochefort. Nous avons donc une histoire avec la mer, une histoire avec les grands découvreurs. En tant que breton, je citerai d'abord Jacques Cartier. Mais nous avons aussi une histoire beaucoup plus récente avec de nouveaux grands aventuriers, Colas, Tabarly, sans oublier Peyron, Riou et tous les autres, qui honorent notre pays et perpétuent une tradition. Mais de marine marchande, nous n'en avons plus. C'est un constat qui a déjà été fait à cette tribune, mais qu'il faut bien refaire tous ensemble avant d'en analyser les causes et de se demander si le texte qui nous est proposé est de nature à y changer quelque chose. De 800 bateaux en 1960, dont 570 cargos et 160 pétroliers, nous sommes passés à 200 seulement aujourd'hui, dont quatre-vingt-dix cargos et cinquante-cinq pétroliers. Alors que, comme vous l'avez dit, monsieur le secrétaire d'État, le commerce international s'est développé et que, dans d'autres secteurs, les capacités ont augmenté, chez nous, la situation n'a fait qu'empirer. Certes, l'augmentation du tonnage − incontestable pour tous les bateaux, pétroliers, vraquiers ou porte-conteneurs − pourrait justifier que l'on possède moins de bâtiments, mais la réalité est bien différente : on a simplement constaté un transfert de l'activité vers d'autres pays, parfois des micro-pays, moins regardants, non seulement en matière sociale, mais aussi du point de vue de la sécurité. Pour certains armateurs, en effet, la sécurité des hommes compte bien peu, et celle des cargaisons n'est pas toujours assurée. Depuis des années, notre façade maritime a connu plusieurs catastrophes, qui n'étaient pas toujours pétrolières, car il ne faut pas oublier la perte de conteneurs ou de produits dangereux. La qualité et l'entretien des bateaux sont également en cause. Lorsqu'on fréquente nos ports, on est souvent frappé de voir des tas de rouille battant pavillon de complaisance qui accostent et qu'on laisse repartir. Pour certains pays, les « bateaux poubelles » sont la règle : ils circulent sur la façade maritime européenne − c'est-à-dire, en premier lieu, française -, car les Américains refusent de les laisser croiser au large de leurs côtes. La France − et singulièrement la Bretagne − a payé le prix fort : faut-il rappeler le Bohlen, le Tanio, l'Amoco Cadiz, le Torrey Canyon, l'Erika, le Prestige, l'Ievoli Sun ? La liste, espérons-le, ne s'allongera pas davantage. Ces catastrophes ont d'abord eu, pour nos régions, des conséquences économiques considérables. Elles ont été suivies de procès longs, coûteux, qui n'ont parfois connu leur épilogue que grâce à la ténacité des élus qui s'y sont attelés. Elles avaient en tout cas des points communs : le manque d'entretien des navires, l'inexpérience des équipages, le refus d'une assistance jugée trop chère. Certes, la présence dans nos océans de bateaux peu sûrs ne date pas d'hier. On a parfois romancé l'histoire des corsaires, mais les temps étaient différents et les navires de l'époque ne transportaient pas de produits dangereux. Quoi qu'il en soit, la France a perdu sa place et le registre TAAF n'a pas changé grand-chose à cette situation, le non-droit tenant lieu de règles. On nous présente aujourd'hui le RIF comme une version améliorée du TAAF. C'est vrai, si l'on se contente de la référence aux conventions de l'Organisation internationale du travail. Mais nous sommes bien loin de notre droit social. La présente proposition de loi a été élaborée au Sénat à la fin de 2003, en concertation avec les armateurs, si ce n'est sous leur dictée. Elle aurait dû être soumise à notre assemblée le 20 janvier 2004, mais l'examen en fut retardé plusieurs fois, d'abord parce que les salariés de la façade maritime faisaient savoir qu'ils ne percevaient pas tous les bienfaits dont vous parez ce texte, monsieur le secrétaire d'État et monsieur le rapporteur ;... M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. On s'écarte du sujet ! M. Jean Gaubert. ...ensuite parce que les élections régionales approchaient et qu'il ne fallait pas exaspérer les mécontentements qui s'exprimaient alors ; enfin parce qu'il avait provoqué l'émoi des élus de la façade maritime. Je ne suis d'ailleurs pas sûr que les propositions qui sont faites aujourd'hui soient en mesure de les apaiser. Dans le courant de ce mois de janvier, certains présidents de conseil régional, pourtant signataires du texte, se rendirent brusquement compte qu'il était urgent d'attendre. On a donc attendu jusqu'au 27 avril 2004, date à laquelle était à nouveau programmé l'examen du texte. C'est alors que, fort sagement, monsieur le secrétaire d'État, vous avez proposé que l'on poursuive la réflexion et qu'on essaie de trouver un « point d'équilibre » − ce sont vos mots. Vous avez évoqué tout à l'heure la mission de M. Scemama, directeur de l'Établissement national des invalides de la marine. Plusieurs réunions se sont déroulées au printemps avec les responsables syndicaux et les armateurs : le relevé de conclusions comportait des avancées. Vous aviez même fait la promesse d'un texte d'origine gouvernemental. M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Jamais ! M. Jean Gaubert. Ce nouveau texte aurait sans doute eu pour intérêt de refondre ce qui avait été proposé et d'apporter un peu plus de cohérence. Mais, pour des raisons qui m'échappent − l'urgence ou des pressions ? −, nous retrouvons la proposition de loi dans l'état où elle est sortie du Sénat. M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. C'est la procédure parlementaire ! M. Jean Gaubert. Certes, mais dans la mesure où des négociations avaient eu lieu, nous aurions très bien pu être saisis d'un nouveau texte. M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. Les négociations ont duré quinze mois ! M. Jean Gaubert. Je sais que les armateurs sont pressés, mais est-il vraiment urgent de faire une mauvaise loi ? Ne ferait-on pas mieux de travailler pour aboutir à un meilleur résultat, plus intéressant pour tous, notamment pour l'économie du pays ? M. Gilbert Le Bris. Parfaitement ! M. Jean Gaubert. Qui peut croire, en effet, que ce texte révolutionnera notre marine marchande ? Il fut ensuite décidé que notre assemblée examinerait ce texte le 27 janvier 2005 mais, au dernier moment, la séance fut reportée. On nous expliqua que c'était pour des raisons tenant à l'ordre du jour : ces raisons n'étaient-elles pas connues, quelques jours plus tôt, quand on l'avait fixé ? M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Non, on ne savait pas que les autres débats dureraient plus longtemps que prévu ! M. Jean Gaubert. Si, monsieur le secrétaire d'État, elles étaient connues, et, pour ma part, je me suis débrouillé pour être présent. Mais des discussions internes étaient en cours, faute sans doute d'avoir trouvé le « point d'équilibre » − je ne crois d'ailleurs pas que vous y soyez parvenu à l'heure actuelle. M. Aimé Kergueris. C'est du détail ! Ce texte vaut mieux que ça ! M. Jean Gaubert. Rappelons-nous : c'était un jeudi, et l'on acceptait sans doute difficilement que la grève du personnel se prolonge jusqu'à la semaine suivante, puisqu'on savait que le débat ne pourrait pas se conclure avant le week-end. M. Aimé Kergueris. Supputations ! Supputations ! M. Jean Gaubert. Mon cher collègue, j'ai le droit de m'interroger sur les conditions dans lesquelles se déroule notre débat. M. Gilbert Le Bris. Vous vous interrogez à juste titre ! M. Jean Gaubert. On a donc dû penser qu'il était plus sage d'attendre que les esprits se calment. Mais ils ne se sont pas calmés et, aujourd'hui, tous les ports de France sont en grève pour protester contre les dispositions que vous voulez faire adopter. Pourquoi ce texte nous arrive-t-il enfin ? Certainement pas pour redresser la situation de notre économie maritime. J'approuve ce qu'a dit tout à l'heure le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, M. Couanau : ces dispositions ne sont certainement pas les meilleures que nous aurions pu prendre. C'est que la pression des responsables des Armateurs de France ne s'est pas relâchée. Pourtant, nous avons rencontré des armateurs qui se posaient eux aussi beaucoup de questions sur ce texte, dans lequel ils décelaient plus d'inconvénients que d'avantages. Nous en avons l'habitude depuis trois ans : une fois de plus, ce texte répond d'abord à des préoccupations idéologiques. Pour vous, le problème de la France, ce sont les salaires. Tout irait mieux si nous n'avions pas de salariés à rémunérer et s'il n'y avait pas ces fichues charges sociales − dont vous oubliez qu'elles ne sont pas seulement des charges mais aussi, pour le ministre de la santé, des recettes qui permettent de financer des dépenses de santé, au profit des gens qui ont travaillé, qui travaillent ou qui travailleront demain. Toujours, c'est la même rengaine : cela revient trop cher. Il est toujours trop cher de payer pour ceux qui travaillent, car c'est autant d'enlevé à l'actionnaire, qui aimerait récupérer la totalité du produit du travail de ceux qu'il a embauchés. Ces vieilles lunes sont très coûteuses pour notre économie, car, si l'on ne rémunère pas les salariés, on manquera de consommateurs. Mais l'on ne cesse d'entendre cela, et pas seulement à propos de la marine marchande. Il y a un mois, pour expliquer le déficit du commerce extérieur français, on avançait deux arguments : on l'attribuait, d'une part, à l'euro et, d'autre part, à des salaires trop élevés, en oubliant que nos voisins allemands, qui ont d'autres difficultés, vivent aussi avec l'euro, qu'ils ont des salaires aussi élevés que les nôtres, et que leur commerce extérieur est excédentaire. Il serait temps de renouer avec la réalité de notre pays, au lieu de s'en prendre systématiquement au même bouc émissaire. En réalité, sur les cargos et les porte-conteneurs, les salaires représentent entre 4 et 10 % du coût total de l'affrètement. M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. Vous n'y êtes pas du tout ! Ces chiffres sont faux ! M. Jean Gaubert. Monsieur Besselat, la proportion n'est plus importante que dans le cas d'un bateau pourri, car l'amortissement du navire est alors moins onéreux. Le taux est évidemment plus élevé - autour de 40 % - pour le transport de passagers, qui, théoriquement, n'était pas concerné par le texte, mais qui va l'être par les exonérations que vous avez proposées. Si l'on gagne quelques points sur ces 4 %, aura-t-on vraiment changé les choses ? Nous aurons simplement un peu plus de chômeurs dans le monde maritime et nous aurons créé un pavillon d'extinction. Car c'est bien de cela qu'il s'agit, dès lors que l'on diminue mécaniquement le nombre de marins français ou sous statut français. Certes, nous avons appris il y a quelques minutes qu'on allait passer de 25 % de la fiche d'effectif − c'est-à-dire deux ou trois Français sur un pétrolier, où la fiche d'effectif peut être de dix ou douze − à 35 % pour ceux qui bénéficient du GIE fiscal. Encore ce quota ne concerne-t-il que la fiche d'effectif, et jamais l'effectif total du bateau. Il y a là une vérité qu'il faut accepter d'entendre : si, demain, le nombre des marins français diminue dans de telles proportions, si l'on ne forme plus, sur nos bateaux, les seconds et troisièmes qui seront un jour appelés à en prendre le commandement, il n'y aura plus du tout de marins français dans les générations suivantes. C'est en cela que l'on peut bel et bien parler d'un pavillon d'extinction. Dans ces conditions, il est vain, voire trompeur, de discuter d'articles et d'amendements concernant la formation des marins ou l'avenir des écoles maritimes. Ce pavillon va inciter les armateurs à d'autres types d'embauche et, fatalement, les gens qui fréquentent aujourd'hui nos écoles maritimes auront bien peu de chances de trouver un avenir professionnel sur nos bâtiments. Et, dans quelques années, les armateurs viendront nous expliquer que 35 ou 25 %, c'est encore trop, et qu'ils ne peuvent même plus se conformer à ce quota, car ils ne trouvent plus de candidats français. Il ne restera plus alors qu'à parfaire l'œuvre entreprise par le texte dont nous discutons et à supprimer toute exigence en matière de recrutement national. On en pressent les conséquences en matière de sécurité : des marins peu ou pas formés, rencontrant des difficultés de compréhension et soumis à deux ou trois statuts différents. Tout cela aboutira sans doute à des ruptures dans la chaîne de commandement comme on en a déjà connu, et à l'aggravation des risques. J'évoquais tout à l'heure les pollutions. Mais d'autres accidents en mer auraient pu être évités. Je ne citerai qu'un exemple parmi beaucoup d'autres, l'accident causé par le Bow Eagle, ce bateau norvégien qui a éperonné le Cistude, navire des Sables-d'Olonne, dans la nuit du 25 au 26 avril 2002. Comment l'armateur a-t-il essayé de s'en tirer ? Tout simplement en expliquant que le marin philippin qui était de quart n'avait compris ni les ordres ni les signaux. Je voudrais être sûr que nous ne connaîtrons pas davantage de Bow Eagle dans les années qui viennent du fait du texte qui nous est proposé ! Votre prédécesseur, monsieur le secrétaire d'État, affirmait, comme vous, son souci de la sécurité. Je vous crois sincère, mais comment pouvez-vous alors défendre ce texte qui conduira, lui, à l'insécurité ? M. Bussereau, puisque c'est de lui qu'il s'agit, déclarait le 12 janvier 2004 : « Des conditions de travail meilleures, qu'il s'agisse des temps de repos, de récupération ou des conditions d'hygiène et de sécurité, sont des éléments essentiels de la sécurité à bord. Trop d'accidents ont été causés par des manquements graves de certains armateurs aux règles de prudence et de bon sens minimales sur leurs navires, dont les marins et l'environnement ont été les premières victimes lors d'accidents de mer. Or le facteur humain est le fondement de la sécurité maritime que la France contribue à promouvoir au plan international. » Qui ne souscrirait à cette belle déclaration ? Pourtant, le texte qui nous est proposé aujourd'hui ne permet pas d'aller dans ce sens. Vous-même, monsieur le secrétaire d'État, déclariez, le 2 décembre dernier : « La France milite également au niveau européen, comme elle l'a fait notamment à Malaga, sous l'impulsion du chef de l'État, pour faire adopter la réglementation sur les doubles coques pour les pétroliers. Elle le fait aujourd'hui encore pour que l'Union européenne se dote d'une directive imposant dans tous les pays de l'Union des sanctions pénales pour les pollutions volontaires ou involontaires causées par les navires. » M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Nous avons réussi ! M. Jean Gaubert. « C'est dire si nous sommes en phase dans ce domaine avec la Commission européenne. Nous voulons demeurer les mieux-disants européens en matière de sécurité maritime. » Vous dites avoir réussi. Mais, à partir du moment où l'on acceptera sur les navires des marins aux statuts différents et qui ne se comprennent pas, faute de parler la même langue, quelle sera la cohérence entre ce texte et ces déclarations ? M. Gilbert Le Bris. C'est incohérent ! M. Jean Gaubert. Il ne faudra pas, sur les plages, pleurer ni taper du pied dans les boulettes de pétrole le jour où vous récolterez ce que vous avez semé ! Mais mal payer les salariés était sans doute insuffisant. Il ne fallait pas non plus devoir en assumer la responsabilité. C'est ainsi que sont apparues les fameuses sociétés de manning, ouvertes d'abord à tous les navigants puis, comme cela ne pouvait être acceptable pour les Français et les Européens, à la seule main-d'œuvre non communautaire. Voilà des sociétés qui feront donc embaucher sur les navires du personnel qui ne sera même pas de second rang mais de troisième rang, qui n'aura ni le même patron, ni la même langue, ni le même statut. C'est le retour aux négriers, même s'il s'agit de négriers des temps modernes ! Vous-même, monsieur le rapporteur, avez été conscient, au moins partiellement, du problème que l'intervention de ces sociétés pouvait poser puisque vous avez proposé de supprimer pour les Français toute possibilité d'embauche par ce moyen. Mais vous devriez aller jusqu'au bout et proposer la suppression du recours à ces négriers sur les bateaux qui battront pavillon français ! Nous nous honorerions tous à le faire. M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. Faites des propositions ! M. Jean Gaubert. Nous allons nous y employer, rassurez-vous. M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. Voilà quinze mois que cela aurait dû être fait ! M. Jean Gaubert. Monsieur le rapporteur, si vous aviez lu les amendements au lieu de proposer simplement de les repousser, comme ce fut le cas lors de la réunion de la commission tenue en application de l'article 88, vous sauriez que ces propositions, nous les avons déjà faites ! M. François Liberti. Bien sûr ! M. Jean Gaubert. Mais nous allons y revenir et nous prendrons alors le temps de les expliquer. M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. Elles paraissaient bien faibles ! M. Jean Gaubert. En tout cas, on ne peut pas dire, comme vous le faites, que ce qui n'est pas bon pour nous l'est bien assez pour les autres. Nous aurons le temps, je le répète, de disséquer un à un les articles de ce texte. Je m'arrêterai simplement sur l'un d'entre eux, qui est encore plus scandaleux que les autres. Je veux parler de l'article 18 selon lequel la rupture du contrat d'engagement peut intervenir « par décision de l'armateur ou du navigant en cas de débarquement du navigant pour maladie ou blessure ». M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. Cet article a été supprimé. M. Jean Gaubert. Il figure pourtant dans le tableau comparatif annexé à votre rapport. Je viens de le vérifier. Auriez-vous mal fait votre travail ? En tout état de cause, monsieur le rapporteur, il est parfaitement scandaleux d'imaginer que le patron puisse, par une simple décision de sa part, ... M. Jean-Marie Aubron. C'est en effet scandaleux ! M. Jean Gaubert. ...décider de rompre un contrat d'engagement sous prétexte qu'un salarié est malade ou blessé alors que sa maladie ou sa blessure peuvent être liées à son travail. Ne serait-ce que pour les raisons que je viens d'exposer, ce texte, chacun l'aura compris, est clairement inconstitutionnel. Mais il l'est également pour d'autres raisons. Relisons, d'abord, l'article Ier de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. » Reprenons, ensuite, le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi. Nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions ou de ses croyances. » Or ne s'agit-il pas, avec ce texte, de proclamer que les Français et les Européens ont, sur un bateau, des droits que les autres n'ont pas, justement parce qu'ils ne sont ni Français ni Européens ? Si moi-même ou mes collègues avons pu, à un moment ou à un autre, défendre à cette tribune des exceptions d'irrecevabilité un peu tirées par les cheveux, démonstration éclatante est ici faite de l'inconstitutionnalité du texte que vous proposez ! Et si vous ne le reconnaissiez pas aujourd'hui, une autre instance devrait le confirmer à brève échéance. Mais allons un peu plus loin et examinons le traité établissant une Constitution pour l'Europe (« Ah ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) pour lequel nous avons voté ici même, voilà seulement quelques semaines, un projet de loi modifiant notre propre Constitution. Ce traité, qui, certes, présente des aspects négatifs, en comporte également d'autres qui méritent d'être examinés. M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. De quel camp êtes-vous ? M. Jean Gaubert. Vous le saurez, monsieur le rapporteur, en lisant la presse locale de ma région ! (Sourires.) L'article II-15 du traité, intitulé « Liberté professionnelle et droit de travailler » dispose : « 1. Toute personne a le droit de travailler et d'exercer une profession librement choisie ou acceptée. » M. Daniel Paul. On ne parle plus de droit au travail, mais simplement de droit de travailler ! M. Jean Gaubert. Vous avez raison, monsieur Paul. M. François Liberti. On reconnaît quand même aux gens le droit de respirer ! M. Jean Gaubert. Je poursuis : « 2. Tout citoyen ou toute citoyenne de l'Union a la liberté de chercher un emploi, de travailler, de s'établir ou de fournir des services dans tout État membre. » « 3. Les ressortissants des pays tiers qui sont autorisés à travailler sur le territoire des États membres ont droit à des conditions de travail équivalentes à celles dont bénéficient les citoyens ou citoyennes de l'Union. » Sans même parler des conditions de rémunération, dont ce texte ne fait pas état, je ne suis même pas sûr que cette proposition de loi puisse permettre de telles conditions de travail. En réalité, ce qui nous est proposé aujourd'hui en matière de droit social, c'est l'application de la directive Bolkestein ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Celle-ci a même été anticipée puisqu'il s'agit en fait de promouvoir le droit du pays d'origine du salarié. M. Gilbert Le Bris et M. François Liberti. Exactement ! M. Jean-Marc Lefranc. Pure fiction ! M. Jean Gaubert. Pourtant, c'est ce principe même que vous avez combattu voilà quelques semaines dans cet hémicycle, avec d'ailleurs une certaine mollesse pour certains. M. Gilles Cocquempot. C'est vrai ! M. Jean Gaubert. Comment allez-vous, à Bruxelles et dans les médias, expliquer cette contradiction ? Alors que vous connaissez l'enjeu et que la situation commence à être difficile à deux mois du scrutin, n'auriez-vous pas dû accepter un recul de plus et attendre que le référendum soit passé ? M. Jean-Marc Lefranc. Quel amalgame ! M. Jean Gaubert. Il ne s'agit pas d'amalgame, mon cher collègue, mais d'une simple lecture littérale des textes qui nous sont proposés. Le GIE fiscal pose un autre problème. On pouvait jusqu'ici le défendre en le considérant comme un avantage compensant les charges supportées par les amateurs français, en particulier ceux qui assurent le transport de passagers et qui sont donc beaucoup plus concernés, comme je l'ai expliqué, par le niveau des charges salariales que ceux dont les navires transportent des marchandises. Mais si l'on supprime toutes les « contraintes » supportées par les armateurs, comment pourra-t-on continuer d'expliquer que le GIE fiscal est une compensation nécessaire ? Faudra-t-il alors y renoncer, y compris pour le transport de passagers, même s'il est en l'occurrence justifié ? C'est apporter de l'eau au moulin de la Commission de Bruxelles qui n'en avait certainement pas besoin. Cette explication sera d'autant moins facile à apporter que les armateurs voudraient encore que la durée des contreparties du GIE fiscal soit ramenée de sept à cinq ans. Quant au rapport qualité-prix, quel sera le coût du dispositif, si bien sûr ce dernier fonctionne, encore que nous doutions que cela puisse durer très longtemps ? Quelle incidence aura-t-il sur ceux qui continuent de jouer le jeu en embauchant le maximum de marins et de personnels français sur leurs bateaux ? Quelle incidence, en particulier, sur les exonérations patronales que le Gouvernement précédent avait mises en place à leur intention ? M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Non. M. Jean Gaubert. Vous les avez modifiées en passant à la taxe au tonnage. M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. Cela n'a rien à voir ! M. Jean Gaubert. En effet, ce ne sont pas les mêmes qui en bénéficient ! Il faut cibler notre politique, s'agissant par exemple des coûts salariaux, il ne faut pas en faire profiter aussi ceux qui n'ont pas de besoins en la matière ! D'ailleurs, les choses ne s'arrêteront sans doute pas là, car on sait bien que lorsqu'on a obtenu satisfaction sur un point, on ne s'en contente pas. Je ne serais donc pas surpris que, dans les mois ou les années à venir, les armateurs demandent, en échange de l'immatriculation de leurs bateaux en France, à être exonérés de taxes portuaires ou de charges afférentes au débarquement et à l'accostage. M. François Liberti. Pourquoi s'arrêteraient-ils ? M. Jean Gaubert. Que restera-t-il en définitive à nos ports? Les députés de gauche ne sont pas les seuls à douter que ce texte permette l'embauche de quelques marins français supplémentaires. Mais il est sûr qu'il va aggraver les coûts à la charge de l'État, à la charge des régimes sociaux et peut-être aussi à la charge des collectivités locales. Quel bénéfice pouvons-nous espérer tirer du futur pavillon que vous nous proposez ? Les navires inscrits sur ce registre seront aussi français que les derniers vêtements made in France sur lesquels on a simplement collé une étiquette à leur arrivée de Chine ! M. François Liberti. Exactement ! M. Jean Gaubert. On aura simplement la fierté d'arborer un macaron, rien de plus ! M. François Liberti. Eh oui ! M. Jean Gaubert. Notre pays n'en tirera aucun avantage, mais il en supportera tous les inconvénients. Car vous introduisez un coin dans notre droit social. Sous prétexte que le secteur de la marine marchande connaît des difficultés particulières, vous allez permettre certaines entorses, et chaque bateau, désormais considéré comme territoire français, pourra se prévaloir de ces difficultés pour demander à bénéficier du nouveau régime. J'ai dit qu'on n'en tirerait aucun avantage, je devrais plutôt dire qu'on n'en tirera presque aucun avantage. Notre pays traverse une période de déconstruction du droit du travail. Depuis trois ans, en effet, tous les textes votés ici sont des textes de démantèlement, de démolition, de déconstruction du droit du travail. Celui-ci est dans la droite ligne des précédents mais, après tout, c'est cohérent avec la remise en cause des trente-cinq heures que nous venons d'évoquer dans cet hémicycle. Il faut baisser le coût salarial, mais peut-on imaginer une société dans laquelle les travailleurs ne percevraient plus ou presque plus de salaires ? Seraient-ils encore des consommateurs ? Ce problème ne se pose pas d'ailleurs seulement dans le domaine du droit maritime, il est plus général. Si le patronat, dont il faut bien parler, n'a pas conscience qu'il est indispensable, pour que la production soit consommée, que les consommateurs touchent des salaires, nous continuerons notre descente, dans ce secteur comme dans beaucoup d'autres. Ce texte est antisocial parce que, sous prétexte de protéger, si peu, deux Français et quelques Européens par bateau, il consacre la possibilité d'embaucher des personnes qui seront sous-payées et qui ne disposeront pas du minimum de droits auquel elles devraient pouvoir prétendre sur le territoire français. Ce texte est antiéconomique parce que, en réalité, il n'apportera aucun bienfait économique supplémentaire à notre façade maritime. Seul le macaron collé sur la coque, seul le drapeau flottant à la poupe dira que le bateau est français, le reste n'aura aucune importance. M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. Ce n'est pas rien, le drapeau ! M. Jean Gaubert. Ce texte est surtout anticonstitutionnel. Si la démonstration à laquelle je me suis livré ne vous a pas convaincus, je crois qu'elle pourrait en convaincre d'autres, après l'éventuelle adoption définitive de ce texte. Ce texte est dangereux et la gauche n'est pas seule à le proclamer ; il est combattu par la majorité des députés de la façade maritime. Certes, certains s'expriment moins que d'autres car la réserve est de rigueur dans la majorité, même si d'aucuns ont courageusement exprimé leur position. Mais toute la gauche, de Dunkerque à Marseille, a manifesté son opposition, pas seulement les députés ou maires de nos communes littorales. Tous ceux qui fréquentent les marins régulièrement, qui accueillent sur leur territoire des écoles maritimes, s'interrogent et sont inquiets. Non, monsieur le rapporteur, quinze mois n'ont pas suffi pour faire de ce mauvais texte un texte acceptable par les uns et par les autres. Mes chers collègues, je vous engage tous à le rejeter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État. M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Monsieur Gaubert, vous aviez bien commencé. M. Daniel Paul. Il a surtout bien continué ! M. Gilles Cocquempot. Et bien fini aussi ! M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. J'ai cru, en vous écoutant, que vous alliez, après réflexion, plaider pour le RIF. Vous avez en effet énoncé les données principales de la baisse du nombre de bateaux français, qui nous inquiète tous à juste raison. Vous avez évoqué les questions de sécurité maritime, et, en tant qu'élu breton, je comprends que vous y soyez sensible. Or, justement, le RIF offrira aux navires qui choisiront ce registre des garanties incontestables, je croyais l'avoir démontré. J'observe en outre, monsieur Gaubert, que les bateaux poubelles sont en train de quitter les eaux européennes, parce que l'Europe, la première, et la France aujourd'hui, qui respecte strictement ses obligations, y ont mis bon ordre. M. Guy Geoffroy. Absolument ! M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Mais ensuite, vous vous êtes lancé dans une démonstration éloquente qui manifestait - c'est un peu une habitude dans votre camp - une ignorance des réalités économiques et juridiques. M. Gilles Cocquempot. Oh ! M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Monsieur Gaubert, si nous pouvions avoir des navires 100 % français, employant des officiers et des marins français, appliquant totalement le droit social français, nous abandonnerions immédiatement le projet de RIF. Tout le monde est d'accord, dans cet hémicycle, pour souhaiter une protection sociale maximale et les salaires les plus élevés possible pour l'ensemble des marins embarquant sur les navires français. Mais le choix qui, année après année, s'est imposé à nous n'est pas celui-là : les chiffres que vous avez rappelés le montrent. Pour contrer les pavillons de complaisance, qui n'offrent ni protection sociale ni sécurité maritime, nous devons créer un nouveau pavillon, avec des règles de sécurité et un statut minimal pour les marins non européens. C'est l'objet du RIF. Dans un monde idéal, il faudrait que tout soit bien. Nous en sommes d'accord. Mais il se trouve que, dans la réalité, tout n'est pas parfait. Ce que nous proposons, c'est une amélioration de ce qui existe. Sur le plan juridique, je vous rends hommage d'avoir cité la Constitution - certains orateurs ne prennent même pas la précaution de mentionner en quoi le texte auquel ils opposent l'exception d'irrecevabilité pourrait enfreindre la loi constitutionnelle - mais vous ignorez les réalités juridiques. En effet, la Constitution française - je pensais que chacun ici le savait - protège les citoyens français, et nous nous en réjouissons. Le futur traité constitutionnel européen protégera, nous le souhaitons vivement, les citoyens européens. M. Daniel Paul. Vous vous faites des illusions ! M. Jean Gaubert. Uniquement ceux qui travailleront régulièrement ! M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Mais aujourd'hui, les marins qui ne sont pas ressortissants de l'Union européenne n'ont aucune protection, ni juridique, ni sociale. Nous proposons, grâce à ce texte, c'est une innovation fondamentale, de leur en donner une. M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. Absolument ! M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Vous ignorez les réalités économiques : les chiffres totalement délirants que vous avez avancés en ce qui concerne les coûts d'exploitation des navires, notamment les coûts salariaux des équipages, le prouvent, et vous ignorez les réalités juridiques, qui font qu'aujourd'hui, en une demi-journée, un armateur peut changer de pavillon pour un autre, dégagé de toutes contraintes, de sécurité, sociales ou salariales. C'est contre cela que nous nous élevons parce que nous pensons qu'il y a un avenir pour une marine marchande française qui offre le maximum de protection possible pour les marins, qu'ils soient français, européens ou non européens. Et ce n'est pas en relevant dans la loi le pourcentage de marins français qui doivent être employés sur les bateaux, selon une approche malthusienne qui vous est chère, que vous allez créer des emplois. Nous pensons qu'il faut plutôt développer la flotte des cargos, augmenter le nombre de bateaux battant pavillon français et les inciter à employer un nombre plus élevé de marins européens. Chez le premier armateur français, un accord collectif impose déjà aujourd'hui, et cette règle perdurera après l'adoption du RIF, un taux de marins français de 50 %. J'ajoute que, dans certains pays européens qui se sont dotés d'un pavillon bis, la proportion de marins d'origine nationale ou européenne est bien supérieure aux minima exigés, au demeurant extrêmement faibles. Les réalités économiques sont souvent différentes des réalités juridiques. Ce n'est pas parce que vous écrivez quelque chose dans une loi que cela se réalise, vous avez trop souvent tendance à oublier ce principe dans votre camp. Vous nous avez donné l'illustration de ce que doit être pour vous une politique maritime, celle qui a été trop longtemps suivie et qui a abouti à la situation que nous entendons corriger. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. François Liberti, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains. M. François Liberti. J'aurai l'occasion dans la discussion générale, et mon collègue Daniel Paul dans la motion de renvoi en commission, d'expliciter l'analyse et l'opinion des parlementaires communistes et républicains sur ce texte. Mais j'avoue que je suis sidéré par les propos que vient de tenir M. le secrétaire d'État. Il a présenté une fantastique critique de l'ultralibéralisme qui sévit à l'échelon mondial dans le domaine du transport maritime. Le drame, c'est qu'il n'en tire pas toutes les conclusions. Ce texte représenterait, à ses yeux, une « chance historique », une « avancée sociale », il permetttrait une « reconquête du transport maritime ». J'avais l'impression d'entendre les arguments de ses prédécesseurs des années soixante-dix, quand ils essayaient de justifier auprès des marins la création du pavillon des Kerguelen. Les avantages donnés aux armateurs devaient stopper l'hémorragie. M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Elle a été freinée ! M. François Liberti. Ils devaient sauver l'emploi des marins français, permettre à la marine marchande française de reconquérir son rang... Le bilan, quel est-il ? Sur plus de 600 navires en 1970, au moment où le pavillon des Kerguelen a été mis en place, il n'en reste que 200 aujourd'hui ; des milliers de marins français sont au chômage ; les accidents maritimes se sont multipliés dans des proportions sans précédent, sous l'effet de la déréglementation sociale qui accompagne l'insécurité grandissante du transport maritime. Le bilan est désastreux. La fuite en avant dans la déréglementation avec le pavillon des Kerguelen non seulement n'a pas préservé la flotte française, mais elle a accentué le mouvement. Aujourd'hui, oubliées les Kerguelen, vive le RIF ! C'est le deuxième étage de la fusée. On applique les mêmes principes, en plus élaborés ; on étend les mêmes méthodes à l'ensemble de la flotte, dans le but d'assurer un taux de rentabilité record pour les armateurs, au détriment du droit social, ramené à un niveau minimum ; on assiste à une véritable fuite en avant. Monsieur le secrétaire d'État, les organisations syndicales unanimes des marins, des officiers, les enseignants, les élèves, les retraités, les populations et bon nombre d'élus du littoral, bref le monde maritime dans son entier a exprimé son opposition à ce texte. Pour l'ensemble de ces raisons, les députés communistes et républicains voteront l'exception d'irrecevabilité. M. le président. La parole est à M. Léonce Deprez, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire. M. Léonce Deprez. Il n'existe que deux attitudes possibles face au monde actuel : le condamner ou chercher à le rendre meilleur. Si l'on choisit la seconde, il faut procéder par étapes. C'est ce que nous allons faire aujourd'hui pour la mer. François Goulard me paraît être l'homme de la situation en raison de sa connaissance tant des questions maritimes que des questions économiques et juridiques. J'ai pu apprécier chez lui, comme chez le président Le Garrec d'ailleurs, une remarquable ouverture au monde dans lequel nous vivons. Nous luttons tous pour rendre ce monde meilleur, même si nous n'empruntons pas toujours les mêmes chemins. Et il faut savoir que, dans le cas présent, la ligne droite n'est pas celle qui permettra d'atteindre le but recherché. Il faut regarder ce texte comme l'expression d'une volonté de reconquête - le mot est du secrétaire d'État, mais c'est celui qui convient. Je me suis battu pendant des années pour reconquérir le bassin minier du Pas-de-Calais. Cette bataille de plus de trente ans, nous l'achevons à peine : nous sommes en train de remporter une victoire sur une époque dépassée en donnant une vie nouvelle au Nord -Pas-de-Calais. Il nous faut de même nous battre pour une vie nouvelle sur les mers , pour une organisation du monde maritime. Le groupe UMP ne votera pas cette exception d'irrecevabilité. Rappelons-nous d'où nous venons ! En 1962, il y avait 798 navires français. Ce chiffre est ensuite passé à 514 en 1975, pour ne plus être que de 211 en juillet 2004. Nous avons perdu cette bataille-là, et il nous faut regagner pas à pas le terrain perdu. Il nous faut franchir des étapes pour atteindre notre but, à savoir l'instauration de droits sociaux aussi semblables que possible dans les pays d'Europe, puis dans le monde entier. Nous sommes évidemment loin du compte. Nous partageons votre révolte lorsque nous voyons à la télévision ces équipages qui vivent dans la misère sur des bateaux où se produisent souvent des drames, mais notre politique est une politique sociétale libérale. La liberté est bien entendu le chemin à prendre, car il faut libérer les forces vives dans le monde, y compris en France, et le but à atteindre, c'est l'équilibre du monde et le respect des droits des citoyens et des travailleurs. Pour cela, il nous faut un gouvernement politique de l'Europe et une gouvernance mondiale. Nous avons commencé avec l'ONU, puis avec l'OMC (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains), nous continuerons avec une organisation mondiale de l'environnement, et tout cela devra se retrouver dans une gouvernance mondiale cohérente. Mais, cela prendra des dizaines et des dizaines d'années. Cette proposition de loi marque un progrès économique et social. Elle rendra à la France le goût de dresser son pavillon sur les mers et redonnera aux gouvernants une ambition maritime qu'ils avaient perdue depuis trente ans. Nous considérons ce texte comme une marche en avant vers un progrès qui demandera encore beaucoup d'étapes, beaucoup d'efforts, et une coordination que nous devons d'abord réaliser au niveau de l'Europe. Nous soutenons donc la Constitution européenne, qui nous permettra d'avoir un gouvernement politique européen, et nous soutiendrons, demain, un gouvernement mondial si l'Europe est assez forte pour l'imposer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. La parole est à M. Gilbert Le Bris, pour le groupe socialiste. M. Gilbert Le Bris. Le groupe socialiste votera évidemment l'exception d'irrecevabilité que vient de défendre brillamment Jean Gaubert. Loin d'ignorer les réalités économiques et juridiques, ou d'évoquer un monde idéal, il n'a fait que défendre un monde différent de celui dont vous rêvez, un monde qui ne soit pas celui du moins-disant social vers lequel nous entraîne ce texte. M. Gaubert a eu raison d'insister sur des points qui me paraissent essentiels. Nous avons affaire là purement et simplement à la déclinaison maritime de la directive Bolkestein. M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire. Ce n'est pas sérieux ! M. Gilbert Le Bris. C'est même plus grave, puisque c'est à l'échelle du monde que l'on va vers le moins-disant social. J'ai le sentiment que l'on cherche à protéger l'illusion nationale d'un pavillon, mais que serait un pavillon français sans Français ? Sans même parler de la fracture sociale qui se révèlera à bord de navires... M. Aimé Kergueris. Elle existe déjà ! M. Gilbert Le Bris. ...où il y aura peu de Français, peu d'Européens et beaucoup de personnes corvéables à merci venant du tiers monde, ce texte aura de graves incidences sur la sécurité maritime et la protection de l'environnement. En effet, à partir du moment où les équipages seront hétéroclites, ce qui ne manquera pas d'être le cas, comment sera assurée la communication à bord des navires ? Comment règlera-t-on ces problèmes de communication dans une phase d'urgence, ce qui est toujours le cas aux abords des côtes ? Personne ne peut nous le dire, bien entendu. Voilà qui nous promet de nouveaux Erika et d'autres Amoco Cadiz. Ce n'est pas l'avenir que nous souhaitons pour la France. Sur le plan juridique, certains points nous paraissent essentiels. L'adoption de cette proposition va ouvrir une brèche dans le code du travail, brèche où s'engouffreront malheureusement le rail, la route et les airs. On ne peut ignorer ce risque. Comment la France pourra-t-elle, en déréglementant son propre droit du travail, prétendre améliorer les conventions internationales à l'OMI ou à l'OIT ? Comment pourrons-nous nous présenter comme vertueux alors même que les règles de droit que nous aurons instaurées donneront matière à nous faire autant critiquer dans ce domaine ? Ne nous payons pas de mots : c'est bien vers un pavillon de complaisance que nous allons. Or les pavillons de complaisance, que l'on appelle parfois de libre immatriculation, violent l'article 91 de la convention de 1982 sur le droit de la mer, qui exige un lien substantiel entre l'État du pavillon et le navire. Ce texte est destiné à être étendu en quelques années à la totalité de la flotte. Le RIF vise donc à généraliser un système de sous-traitance, c'est-à-dire un alignement par le bas, alors même que c'est le « plus » en matière sociale qui devrait être la ligne directrice de la politique de l'Union européenne. A-t-on oublié que l'article 117 du traité de Rome du 29 mars 1957 prévoit que les États membres conviennent de la nécessité d'améliorer les conditions de vie et de travail de la main-d'œuvre, en vue de leur égalisation ? On en est loin ! Ce texte au rabais, mal encadré, discuté à la va-vite, n'a qu'un seul objectif : permettre à la France de faire comme les autres, c'est-à-dire de transporter au coût le plus bas au mépris des conditions sociales. (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) Le RIF n'est qu'un renoncement indigne de notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité. (L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.) Suspension et reprise de la séance M. le président. La séance est suspendue. (La séance, suspendue à dix-huit heures vingt-cinq, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.) M. le président. La séance est reprise. M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement. La parole est à Mme Marylise Lebranchu. Mme Marylise Lebranchu. Monsieur le secrétaire d'État aux transports et à la mer, en décembre 2003, le Sénat votait en première lecture - Jean Gaubert l'a rappelé - une proposition de loi présentée par Henri de Richemont, Josselin de Rohan, Jacques Oudin, Patrice Gélard, Lucien Lanier et Yannick Texier visant à créer un registre bis de pavillon français, appelé le registre international français. Personnellement, je regrette que l'on parle toujours du RIF, au risque que la population ait du mal à nous comprendre. Ainsi en va-t-il des sigles. J'ai un autre regret : j'avais espéré qu'après des retraits successifs, car ce texte a déjà été inscrit à deux reprises à l'ordre du jour de l'Assemblée, il ne reviendrait pas devant nous, ou du moins pas en l'état. Je me suis malheureusement trompée. Dès sa première inscription, nous nous sommes élevés, aux côtés des organisations syndicales de marins - Jean Gaubert ou Jean-Yves Le Drian l'ont rappelé hier matin -, contre la volonté de la majorité parlementaire, dont j'espère encore qu'elle changera d'avis au cours du débat, de créer un vrai-faux pavillon de complaisance français. Le gouvernement de M. Raffarin avait alors décidé de retirer ce texte, présenté - vous en conviendrez - sans grande concertation, de l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Manifestement, il ne voulait pas prendre la responsabilité d'un texte menaçant clairement l'existence des marins français à l'approche d'échéances électorales. À la suite de ce retrait, vous avez eu la bonne idée de confier une médiation à M. Scemama, et des négociations ont enfin pu avoir lieu entre les armateurs et les organisations syndicales. À l'époque, des garanties utiles nous avaient été données par le Gouvernement. Elles comprenaient, outre le droit d'accès aux conclusions de la mission de médiation, la présentation par le Gouvernement d'un projet de loi, se substituant à la proposition de loi pour prendre en compte les conclusions de cette mission. M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Il n'en a jamais été question ! Mme Marylise Lebranchu. Sans doute nous sommes-nous trompés. J'accepte d'endosser cette erreur. Et revoilà ce texte, présenté à l'identique, sans changement aucun sur la forme ni le fond, même si je vous ai entendu annoncer tout à l'heure, d'un peu trop loin à mon goût, quelques propositions en matière fiscale. J'y reviendrai. La proposition est à peine inscrite à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale que nous sommes déjà en séance en train de l'examiner. Certes, les débats en commission sont clos. Nous l'avons vérifié : en vertu de l'article 88 du règlement, nous ne pouvons plus déposer d'amendements. Ce retour rapide n'en est pas moins dommageable au regard de l'esprit de concertation dont le Gouvernement parle tant. En tout cas, il n'a pas empêché la mobilisation des marins qui, du nord au sud de la France, ont bien compris l'enjeu du texte et se sont mis en grève, non sans que surviennent des incidents que nous déplorons autant que vous. Si nous tenons tous, au sein de l'Assemblée nationale, à ce que chacun puisse s'exprimer, nous déplorons toujours les débordements et les violences. Malheureusement, ainsi va notre République. Je relève au passage que ce retour du texte fait fi de la majorité de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, ce qui m'a choqué. Je crois en effet qu'on ne peut discuter d'entreprises, quelle qu'en soit la nature, au sein de la commission des affaires économiques sans prendre en compte l'avis de la commission des affaires sociales. Ce texte porte avant tout sur le droit du travail, puisqu'il envisage une dérogation à ce droit. La commission des affaires sociales aurait dû par conséquent être saisie au fond. Je le dis comme je le pense, parce que j'aime que la position de chacun soit claire : j'ai trouvé cette manière dommageable pour la démocratie. En outre, cette façon de procéder a mis en difficulté les députés de l'opposition, qui ont approuvé la position de la commission des affaires sociales et désapprouvé sur bien des points celle de la commission des affaires économiques. Cette ambiguïté n'est-elle pas une raison supplémentaire de penser que les enjeux de ce texte sont beaucoup plus importants qu'on ne veut le dire ? Le Gouvernement voulait-il éviter les grèves ? Dans ce cas, le pari est manqué, je l'ai dit. Parmi ces marins en grève, je voudrais citer un cas exemplaire, dénué de toute forme de violence, puisqu'il s'agit de marins qui n'ont pas été délogés par la force. C'est celui d'un grand bateau, l'Édouard LD, à Brest, dont le cas vous est probablement connu, monsieur le secrétaire d'État, puisque vous avez à votre disposition toutes les coupures de presse. Ce bateau, à bord duquel naviguent vingt-quatre marins français, est rentable. S'ils sont en grève, ce n'est pas seulement par solidarité, mais parce qu'ils savent que certains d'entre eux risquent de perdre rapidement leur emploi. En effet, on ne voit pas pourquoi, si on lui en donne la possibilité, l'armateur ne choisirait pas une solution différente de celle qu'il a toujours privilégiée. Dès lors, la grève se justifie. Même si un armateur français peut gagner sa vie avec des marins français, on ne peut pas lui en demander trop en matière de philanthropie. Le temps qui nous a été laissé pour examiner cette proposition de loi était d'autant plus insuffisant que la majorité n'est pas unanime. Légiférer dans un domaine aussi complexe nécessitait que ce texte soit examiné sans empressement, avec le souci de prendre en compte la problématique d'une véritable politique de la mer. Du reste, certains affréteurs ou armateurs - que vous connaissez bien - proposaient, eux aussi, une approche globale du texte, qui aurait permis d'en faire autre chose que l'instrument d'une dérogation au droit du travail. Monsieur le secrétaire d'État, vous nous aviez promis un projet de loi qui reprendrait certaines des conclusions de la médiation entre armateurs et syndicats. Certes, cette promesse n'était pas solennelle, mais lorsque l'on confie une telle mission à quelqu'un, on ne peut pas ne pas tenir compte de ses conclusions de manière officielle, ne serait-ce qu'en déposant des amendements à la proposition de loi. Depuis le début des années 70, nous déplorons tous le déclin de la marine marchande française, passée de 514 navires en 1975 à 207 en 2004. Cette évolution est essentiellement due, nous le savons tous, à l'essor de pavillons de complaisance sous des régimes fiscaux favorables et dégagés de toute contrainte en ce qui concerne la nationalité des équipages. Certes, l'occasion nous est aujourd'hui donnée de discuter de ce sujet si important pour le maintien de la puissance maritime internationale de la France et au regard des enjeux économiques et sociaux qui en découlent, mais le texte ne traite qu'une partie du problème et, comme l'ont dit Jean Gaubert et d'autres, il présente un risque majeur de dérive sociale. Tout à l'heure, lors des explications de vote, l'un de nos collègues a évoqué la directive Bolkestein... M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. Amalgame ! M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Cela n'a strictement rien à voir ! Mme Marylise Lebranchu. Mais si ! Je vous rappelle que, pour le droit du travail, la majorité des conventions de la marine et, de manière générale, celles des transports relèvent du secteur des services. Or je croyais avoir compris que nous nous combattions tous ensemble le dumping social. Pourtant, avec ce texte, vous l'acceptez. M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. C'est incroyable ! Mme Marylise Lebranchu. Laissez-moi au moins la liberté de le penser, monsieur le secrétaire d'État. L'article 4 tel qu'il a été adopté par le Sénat ne fait obligation aux armateurs que d'engager un capitaine et un second de nationalité française. Vous fixez ainsi une norme minimale, qui comporte bien un risque de dérive sociale. En outre, vous justifiez cette mesure par le fait qu'elle permettra d'améliorer la rentabilité. Au lieu d'inventer des instruments de régulation, vous choisissez de répondre à la globalisation des économies - qui, nous en convenons tous, est irréversible - en tirant la rémunération des salariés vers le bas. De telles orientations sont inacceptables. J'ajoute que cet article porte atteinte au principe communautaire de non-discrimination entre les travailleurs ressortissants de l'Union européenne puisque, sur un navire français, certains marins relèveront du droit français alors que d'autres resteront soumis au droit de leur pays d'origine. Or, si nous nous opposons à la directive Bolkestein, c'est précisément parce qu'elle offre la possibilité à des entreprises de services de se voir appliquer le droit de leur pays d'origine pendant dix-huit mois. Vous nous dites qu'en l'espèce, il s'agit de répondre à la mondialisation du transport maritime, mais c'est la même chose ! (« Absolument ! » sur les bancs du groupe socialiste.) M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. Cela vous arrange ! Mme Marylise Lebranchu. Non, monsieur le rapporteur, cela me dérange d'autant plus qu'en faisant le choix de tirer la législation vers le bas, vous mettez le doigt dans un engrenage dangereux pour le droit du travail français, alors que, de surcroît, personne ne nous a demandé de prendre une telle mesure. Aucune directive européenne ne nous y oblige. Quant aux armateurs, certains y sont favorables, mais d'autres ont exprimé leur désaccord sur cette option. Comment ne pas protester lorsqu'il est proposé que l'équipage, calculé sur la fiche d'effectif du navire, comporte une proportion minimale de 25 % de navigants communautaires et de 35 %, dans le cadre d'un accord de branche, pour les navires sous GIE fiscal ? En instaurant une telle différence, vous autorisez un navire qui reçoit de l'argent public pour être plus performant dans le contexte mondial à ne pas embaucher la même proportion de marins communautaires. M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Vous avez compris à l'envers ! Mme Marylise Lebranchu. Pas du tout ! Vous ouvrez là une brèche particulièrement dangereuse. Si nous devons faire des concessions au cours de ce débat, nous pourrons nous inspirer du résultat de la négociation entre les syndicats et les armateurs, afin d'établir une proportion de navigants communautaires convenable. Quoi qu'il en soit, ne nous dites pas qu'il s'agit d'une solution économiquement acceptable alors qu'il existe deux poids, deux mesures. En outre, monsieur le secrétaire d'État, vous avez annoncé que vous souhaitiez, avec votre collègue du budget, procéder, comme viennent de le faire les Finlandais, à une harmonisation par le haut des cotisations des employeurs de marins français en accordant de nouvelles exonérations. M. Aimé Kergueris. Êtes-vous contre ? Mme Marylise Lebranchu. Non, mais il vous sera difficile d'expliquer pourquoi certains employeurs bénéficieront sans contreparties de dispositions avantageuses, financées par l'ensemble de la population, et pourquoi elles ne sont pas réservées à ceux qui ont toujours eu le souci d'embaucher des marins français et communautaires bien formés. Il me semble que chaque exonération est un droit qui doit être assorti d'un devoir. M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. C'est vrai. Mme Marylise Lebranchu. Ce que nous demandons aux citoyens français, nous devons aussi l'exiger des acteurs économiques. On ne peut pas avoir le beurre et l'argent du beurre, et la situation sera difficile à gérer pour la majorité actuelle comme pour les majorités futures. J'espère donc que, d'ici à la fin de nos débats, nous pourrons trouver une solution. En ce qui concerne le registre TAAF, dit Kerguelen, il est vrai que ce texte ne comportait aucune disposition de nature à protéger les marins étrangers, mais comment prétendre garantir une nouvelle protection lorsque l'on se contente de demander aux armateurs de vérifier la solvabilité des sociétés dites de manning... M. Daniel Paul. Des marchands d'hommes ! M. François Liberti. Des esclavagistes ! Mme Marylise Lebranchu. ...dont le principe n'a jamais été accepté en droit français et qui pratiquent un esclavage moderne dénoncé par une communication des ministres de la justice européens en 2001 - et de s'assurer que les personnes malades seront rapatriées si la société est défaillante ? Nous avons tous en mémoire, surtout les Bretons, la situation de ces marins abandonnés à Brest. Ils n'étaient pas payés et, pour certains d'entre eux, ne mangeaient pas à leur faim parce que la société de manning qui les avaient loués ne venait pas les chercher. Permettre à des personnes placées dans une telle situation d'être rapatriés, ce n'est pas leur assurer une protection sociale : c'est la moindre des choses. Plutôt qu'un formidable progrès, c'est une timide tentative d'humanisation. Je vous rappelle également que certains des marins recrutés par manning ne sont pas payés les premiers mois, pour que la société soit sûre qu'ils restent à bord pendant toute la durée de leur contrat. Que change le texte à cet égard ? En quoi l'application des règles de l'OIT distinguera-t-elle les employeurs français des employeurs malaisiens ou philippins ? Nous savons tous que ces règles constituent un socle minimal qui garantit le simple respect de l'individu, qui sépare juste l'humanité de l'inhumanité. Je ne suis pas fière de cette mesure mais, d'ici à demain, il est encore temps de l'améliorer et de la compléter. Vous insistez sur le pourcentage minimum de 25 % de marins communautaires. Mais la référence que proposent les armateurs pour l'application de ce taux est la fiche d'effectif qui, chacun le sait, ne correspond pas à l'effectif réellement embarqué : l'effectif théorique n'est jamais l'effectif constaté. Or, si nous devons adopter une règle, celle-ci doit s'appliquer sur l'effectif réellement embarqué. C'est la moindre des choses. À défaut, monsieur le secrétaire d'État, qu'est-ce qui empêchera les armateurs de contourner la règle ? Où sont les inspecteurs qui vont en contrôler l'application ? M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Ils sont déjà en place, et ils font leur travail ! Mme Marylise Lebranchu. Je salue ici l'action de notre collègue de la majorité, René Couanau, qui a présenté un amendement allant dans le sens d'une plus grande sécurité maritime et d'une meilleure garantie d'emploi pour les marins français, en prenant en compte ce que nous connaissons tous de la réalité maritime. Il y a des moments où il ne faut pas se cacher derrière son petit doigt : la loi doit correspondre à la réalité, et ce n'est malheureusement pas le cas du texte qui nous est proposé. Le quota de 35 % de marins communautaires embarqués, déjà appliqué de manière coutumière par les navires enregistrés sous le registre TAAF, sera-t-il réellement respecté s'il ne dépend que d'un accord de branche ? On ne peut qu'être pessimiste quant à l'application de cet accord qui sera négocié dans un rapport de forces loin d'être en faveur des marins, la plupart d'entre eux - en particulier les non communautaires - étant peu expérimentés dans le domaine juridique. Monsieur le ministre, vous aviez fait la promesse que ces quotas seraient inscrits dans le texte présenté à nouveau à l'Assemblée nationale mais vous n'avez pas pu tenir cette promesse, ce qui est bien compréhensible. M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Connaissez-vous la procédure parlementaire, madame ? Mme Marylise Lebranchu. Je la connais, monsieur le secrétaire d'État, mais je connais aussi les règles de la négociation. M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. On ne le dirait pas ! Mme Marylise Lebranchu. En tout cas, ce n'est pas moi qui ai donné mission à M. Scemama d'organiser une négociation réunissant les armateurs et les syndicats ! Quand on provoque une réunion, il faut tenir compte des conclusions qui s'en dégagent. L'amendement qui devait garantir un quota de 35 % de marins communautaires effectivement embarqués n'a pas été retenu par la commission des affaires économiques. Seuls les navires bénéficiant de mesures financières incitatives, le GIE fiscal, auront obligation de maintenir ce nombre minimum de marins communautaires sur leurs navires. Et qu'en est-il des autres, monsieur le ministre ? Vous avez une conception très restrictive en la matière. Vous nous avez constamment exhortés, en commission, à être « réalistes », mais il semble que, pour vous, le réalisme consiste à faire primer l'intérêt économique immédiat sur le droit. Or je suis convaincue que le rôle des politiques est justement de faire en sorte que l'intérêt économique immédiat ne prime pas systématiquement sur le droit, notamment sur le droit du travail. C'est ce que nos concitoyens attendent de nous, et il ne servirait à rien de nous engager dans la vie publique si nous n'avions d'autre ambition que de laisser le marché dicter sa loi. La vocation des politiques, de gauche comme de droite, est de faire de la régulation. Les parlementaires de la majorité actuelle eux-mêmes ont mis en œuvre - trop rarement, à notre goût - cette conception de l'action politique. Le principe de l'intérêt économique immédiat appliqué au dossier des délocalisations, si souvent évoqué en ce moment, nous conduirait à prendre acte du choix de nombreuses grandes entreprises de délocaliser pour réaliser des gains à court terme, et à nous désintéresser ipso facto du dossier. Il faut au contraire que les citoyens croient en nous, c'est-à-dire qu'ils nous sachent capables d'agir sur les contraintes économiques. On laisse entendre que, par philanthropie, les armateurs non concernés par le GIE fiscal feront quand même appel à du personnel navigant communautaire. Je tiens à souligner que nombre d'entrepreneurs maritimes saluent la position raisonnable des syndicats sur les quotas de navigants communautaires. En effet, imposer 35 % de navigants communautaires n'est pas extravagant ; cette proportion constitue, en tout état de cause, le minimum que l'on puisse obtenir dans le cadre d'un compromis. Vous devez connaître le risque majeur pour l'emploi des marins français, a fortiori depuis que cet amendement a été rejeté par la commission. Vous savez que si ce texte est adopté en l'état, 80 % des 970 marins travaillant actuellement sur les navires du registre TAAF, risquent de perdre leur emploi dans l'année... M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. C'est faux ! Mme Marylise Lebranchu. C'est malheureusement la vérité, sans parler des 1 200 marins actuellement au chômage ! Je ne dis pas que cela va forcément se produire, mais il s'agit d'un risque bien réel si cette loi est appliquée. En effet, les armateurs vont être soumis à une tentation très forte. L'autre risque majeur de ce texte est la discrimination pratiquée à l'égard des marins extracommunautaires. Ces navigants seront soumis au droit de leur pays d'origine ou au droit du pays d'établissement de la société de travail maritime par l'intermédiaire de laquelle ils sont entrés en relation avec l'armateur. Or la loi du pavillon crée un lien juridique entre le navire enregistré sous ce pavillon et l'État du pavillon. Le droit applicable à bord est donc, me semble-t-il, celui de l'État du pavillon auquel est rattaché le navire. Voir le drapeau français flotter sur des bateaux qui n'auront plus à leur bord que quelques rares marins français ou communautaires bénéficiant de la protection du droit français, ce sera un spectacle choquant pour nombre d'entre nous. On peut imaginer les conséquences de cette situation sur la rémunération des navigants ou leur protection sociale. Par ailleurs, c'est la porte ouverte à des applications de ce régime juridique dans beaucoup d'autres secteurs. Vous dites vous réjouir de créer un registre plus protecteur pour les navigants extracommunautaires que celui des TAAF. Certes, l'intention est louable, mais elle va se traduire par le fait que l'on n'aura plus une loi unique - celle du pavillon - mais deux droits différents. M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. N'est-ce pas déjà le cas ? Mme Marylise Lebranchu. Il n'y a pas lieu d'être fier du registre Kerguelen, qui n'a permis que des avancées insuffisantes, mais nous aurions pu aller plus loin que vous ne le faites. Ainsi, il aurait été possible de travailler, au moyen d'exonérations fiscales et sociales, à une réelle amélioration de la protection sociale des marins. Or vous n'avez procédé qu'à des améliorations tout juste vitales. C'est très insuffisant, et vous devrez en assumer les conséquences. Je ne vois pas comment vous pouvez soutenir que l'emploi de navigants français sera maintenu alors même que tout est fait - en plus des avantages fiscaux et des aides à la construction navale - pour inciter les armateurs à embaucher au moindre coût. À cet égard, l'absence de marins français sur les navires battant pavillon de complaisance est tout à fait significative. En procédant de cette manière, on condamne les débouchés qui pourraient s'offrir aux marins français. En sortant des écoles de formation, sur quels bateaux vont-ils trouver à s'engager pour effectuer leurs stages de second, puis de premier ? Quand les armateurs de navires de passagers s'insurgent contre ce texte, c'est d'abord parce qu'ils craignent de ne pouvoir recruter suffisamment de marins français hautement qualifiés pour leurs navires. C'est un vrai danger, tant pour nos écoles de formation maritime que pour l'avenir de nombre de transporteurs. En outre, cette situation pose un problème sur le plan de la sécurité en mer. Nous avons tous en mémoire les témoignages consécutifs aux dernières catastrophes maritimes en date, notamment celles de l'Erika et du Prestige, et nous avons tous conscience des dangers inhérents au transport maritime de produits chimiques. Dès 1978, les députés membres de la commission d'enquête créée à la suite du naufrage de l'Amoco Cadiz avaient relevé les risques liés au fait que « pour mieux amortir leur investissement, les armateurs s'efforcent d'obtenir un taux de rotation extrêmement élevé ». Ils avaient ensuite souligné que « le souci de réduire à l'excès les rémunérations conduit à recruter des équipages non seulement hétéroclites, ce qui pose des problèmes linguistiques aux conséquences graves en cas d'événement de mer, mais sans aucune formation et des officiers peu ou non qualifiés. » Jacques Loiseau, président de l'Association française des capitaines de navire au moment du naufrage de l'Erika... M. Franck Gilard. Un excellent officier ! Mme Marylise Lebranchu. ...résumait ainsi la situation : « Un équipage qui n'a aucun lien avec l'armateur ou le navire n'a aucun intérêt particulier à assurer un excellent entretien du navire : rien ne peut être fait de sérieux et de durable. Nous avons en effet affaire à des marins qui sont un peu comme des « mercenaires », ce qui n'a rien de péjoratif dans mon esprit : ils sont employés à la tâche et ne peuvent pas faire plus que ce qu'on leur demande. » Je laisse à M. Loiseau la responsabilité de cette déclaration effectuée sous serment lors de son audition par la commission. C'est une déclaration lourde de sens lorsqu'on parle de sécurité maritime et de protection des populations du littoral. J'invite donc les parlementaires de la majorité qui pourraient être tentés, après avoir entendu le rapporteur, de voter ce texte, à agir en faveur de la sécurité maritime pour éviter un Erika 2. Il faudrait pour cela engager une politique volontariste au sein de l'Union européenne avec - pourquoi pas ? - la création d'un pavillon européen... M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Très bien ! Mme Marylise Lebranchu. ...capable de faire face à la concurrence internationale et plus particulièrement à celle des États complaisants. Mais que se passera-t-il lorsque, arrivant à la négociation, nous expliquerons à nos collègues européens, avec notre orgueil habituel - c'est un peu notre défaut -, que nous souhaitons l'instauration d'un pavillon européen permettant de respecter la sécurité maritime et ne recrutant que des personnels de haut niveau et parlant tous la même langue ? On nous demandera de balayer devant notre porte ! M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. On fait mieux que tous les autres ! Mme Marylise Lebranchu. Je n'avais pas tort de parler d'orgueil... En réalité, votre texte rejoint les plus mauvais de l'Union européenne. M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Ce que vous dites est profondément malhonnête ! Mme Marylise Lebranchu. Je considère, quant à moi, que nous devrions faire beaucoup mieux que les autres. M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. C'est ce que nous faisons ! Mme Marylise Lebranchu. Si on libéralise encore plus le secteur, ce que vous faites, il ne faudra pas s'ériger en procureur lors d'une éventuelle prochaine catastrophe dont les potentialités s'aggravent - et c'est révoltant - avec les présentes dispositions. La proposition de loi fait la part trop belle aux entreprises de manning, aux entreprises de travail maritime. Et c'est le cœur du problème. Avec de telles mesures, nous sommes en plein dedans, pour reprendre une expression populaire. J'ai lu que les négociations seraient venues à bout de la légalisation des sociétés de manning sur le sol français. Encore heureux ! C'était la moindre des choses alors que nous avons tous rejeté ces sociétés-là. Si cette mesure, issue de la médiation, est adoptée, les marins français ne pourront donc plus être embauchés par ces sociétés. Mais pourquoi ne retire-t-on pas du texte les dispositions qui consacrent leur reconnaissance ? En évoquant dans un article les conditions de la relation entre l'armateur et la société de loueur de main-d'œuvre, c'est-à-dire le loueur de marins, le texte reconnaît en effet officiellement ces sociétés, même si deux lignes plus bas ou deux lignes plus haut, il est stipulé que ces sociétés ne sont pas légalisées en France. Je ne comprends pas cette démarche. Si on ne reconnaît pas ces sociétés, il faut aller jusqu'au bout de cette logique et donc ne pas proposer une telle rédaction du texte. Vous allez sûrement me répondre qu'il s'agit juste de légaliser la pratique actuelle. Mais je considère précisément qu'il n'est pas juste de légaliser des pratiques injustes pour les marins français ou étrangers. Ce minimum vital qu'on donne à ces marins parce qu'on a trop honte après ce qu'on a pu lire ou voir les concernant, est en fait très humiliant. Nul ne l'ignore, dans les négociations, les armateurs faisant appel à la concurrence privée peuvent procéder par enchères dégressives sur la main-d'œuvre. Et c'est avec la société qui leur demandera le prix le plus bas pour leur fournir dix marins, par exemple, qu'ils passeront contrat. M. Alain Gouriou. C'est comme à la criée ! Mme Marylise Lebranchu. Tout à fait ! Et quand on accepte que soient traités ainsi des hommes et des femmes à bord des navires, c'est bien qu'on est en panne en matière d'éthique, de protection sociale et de progrès à l'échelle du monde. Je souhaiterais donc qu'on revienne sur cette reconnaissance induite des sociétés de manning, d'autant qu'on passe sous silence la participation des marins de ces entreprises maritimes au comité d'entreprise ou au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. La liberté syndicale existe, certes. Mais les navigants syndiqués ne peuvent désigner de délégués syndicaux. Cette liberté s'exerce donc en dehors de l'entreprise, comme avant 1968, et sans élus, comme avant 1945, tout en admettant cependant le jeu de la négociation collective. Je n'invente rien. C'est ce qui apparaît à la suite de la médiation. Et si je cite les syndicats, c'est que je les respecte. Je n'ai aucune honte à reprendre ici des écrits syndicaux. Rappelons enfin que ces marins ne peuvent pas participer à la gestion de l'entreprise par l'intermédiaire de leurs représentants. Monsieur le secrétaire d'État, je n'ai pas le droit de penser à votre place - je me suis d'ailleurs toujours interdit de penser à la place des autres -, et je n'ai pas envie d'être à votre place, aujourd'hui, ... M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Cela tombe bien, je ne vous la propose pas ! (Sourires.) Mme Marylise Lebranchu. ...mais il me semble que vos hésitations dans l'inscription à l'ordre du jour de cette proposition de loi sont révélatrices. Elles montrent que texte est loin, très loin, de ce que souhaitaient les syndicats à l'issue de négociations qui permettaient d'œuvrer à une meilleure reconnaissance de la marine marchande française, alors que la moindre des choses eût été de reprendre leurs propositions. On nous a beaucoup reproché une supposée absence de concertation, de dialogue social avec les syndicats pour les 35 heures. M. Aimé Kergueris. Oui. M. Antoine Carré. Et c'était justifié. Mme Marylise Lebranchu. Mes chers collègues, à la fin de votre mandat, vous aurez, vous aussi, le sentiment de ne pas avoir tout fait. Sinon, pourquoi se représenter ? Ces reproches, en tout cas, nous ont été fort justement adressés : nous n'avons pas fait assez. Mais vous, en l'occurrence, vous faites le pire : vous faites miroiter une négociation, vous la laissez se dérouler, mais vous ne tenez aucun compte de ses conclusions. Il ne suffit pas d'organiser une négociation pour considérer qu'il y a du dialogue social. En fait, en France, le dialogue social, c'est de la discussion dont on ne tient pas compte. Et ça aussi, c'est humiliant. Or, lorsqu'elle manie l'humiliation, la République commet une faute. Si le poids de la France au sein de l'OMI est aujourd'hui réduit, notre pays est encore reconnu pour la formation de ses navigants. État, région et professionnels, nous avions tous fait ensemble un effort en faveur de la filière de formation aux métiers de la mer. La mort programmée de cette filière sera préjudiciable à ce titre, mais elle nous pénalisera également lorsqu'il faudra discuter au niveau international. Le registre TAAF n'était pas suffisant. Nous avons aujourd'hui besoin d'une grande loi sur la marine marchande. Ce secteur présente dans notre pays des qualités indéniables. Nous avons pourtant le sentiment de le brader un peu. Une baisse du coût de la main-d'œuvre ne résoudra pas la crise. Il faut redéfinir les missions de la marine marchande française et développer des activités attrayantes telles que le cabotage international. Les collectivités seront prêtes à vous suivre dans cette voie, mais certainement pas dans celle du libéralisme à outrance, qui ne garantit en rien la pérennité de notre flotte, qui se limite à un petit cadeau, octroyé à un petit nombre. Avant de légiférer sur ce sujet, ne faudrait-il pas lancer également une vaste concertation pour que des règles de sécurité maritime pertinentes soient enfin définies au niveau européen ? Vous en êtes convaincus, bien sûr. Ainsi, l'Agence européenne pour la sécurité maritime devrait jouer un rôle plus actif dans cette affaire et il conviendrait de la saisir. Par ailleurs, il importerait de prendre en compte la décision de la Commission européenne de lancer un Livre vert sur une politique intégrée de la mer. Ce serait là une occasion unique de faire valoir la nécessité d'un pavillon européen harmonisant les normes économiques, sociales et de sécurité. Le sujet est complexe. Il mérite donc la réflexion et exclut la précipitation. Il mérite surtout une grande concertation avec l'ensemble des professionnels au niveau européen. La marine marchande est victime de la globalisation comme nombre de secteurs d'activité. L'Union européenne est un atout qu'il faut utiliser pour affronter cette ère de la globalisation. Mais nous nous en privons ici, en jouant seul et mal, en faisant des marins une variable d'ajustement des comptes. Vous jouez petit et injuste. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste est opposé à cette proposition de loi. Je vous demande donc, mes chers collègues, même si je ne me fais guère d'illusion, de voter la question préalable que je viens de défendre devant vous. Nous ne pouvons pas dire oui au gouvernement français lorsqu'il nous propose, à travers l'initiative de quelques sénateurs, un texte qui détourne le code du travail et porte atteinte à la dignité des marins français en voulant se passer de leurs compétences. L'Europe, cette fois, n'est pas responsable de cette proposition : c'est vous seuls. Vous demandez cependant aux Français de vous croire, lorsqu'à Bruxelles vous vous opposez à d'autres textes. Vous avez aujourd'hui l'occasion de démontrer que ce type de directive n'est pas acceptable. Vous pouvez le faire alors que personne ne vous demande d'ouvrir la voie à ces traitements un peu humanisés mais non sociaux, au sens premier du terme, des marins qui viendront d'ailleurs, de ces pays qui connaissent des difficultés économiques si lourdes qu'on accepte de se faire embaucher à n'importe quel prix. C'est ce que nous allons permettre ici. Le pavillon français va protéger ceux qui auront choisi, pour favoriser de petits retours sur investissement, d'ouvrir la voie à ces recrutements qui ne font pas honneur à la France. La Finlande vient de prendre des décisions intéressantes sur les cotisations sociales et les charges fiscales de ses marins. Et la Commission l'a largement approuvée. Nous aurions pu proposer le même type de cheminement. Cela nous aurait évité ce texte qui autorise - et ce point est essentiel pour moi - les sociétés de manning à passer des marchés avec des armateurs battant pavillon français. C'est une mauvaise approche. C'est le mauvais moment. Vous faites ainsi la démonstration que l'engagement pour une protection sociale n'existe plus. C'est pourtant le plus moderne de nos engagements en ce début de XXIe siècle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État. M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Madame la députée, vous venez de prononcer un beau discours. Mme Marylise Lebranchu. Merci ! M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Il était par moments émouvant et susceptible de convaincre quelqu'un ne connaissant strictement rien au sujet. Vos raisonnements sont en effet fondés sur des erreurs, des contrevérités, voire parfois des mensonges. Mme Marylise Lebranchu. Sûrement pas des mensonges ! M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Je vais reprendre un certain nombre de points pour le montrer. Le premier porte sur la procédure. Vous laissez supposer que le Gouvernement n'a pas été à la hauteur de ses responsabilités en ne transmettant pas à l'Assemblée un texte profondément modifié par rapport à celui qui a été voté par le Sénat. Mais, madame la députée, lorsqu'une assemblée a voté une proposition de loi, le texte est inscrit à l'ordre du jour de l'autre assemblée dans l'état où il a été voté : telle est la procédure parlementaire. Vous avez parlé de « manière dommageable pour la démocratie ». C'est précisément le non-respect de la procédure parlementaire qui en aurait été une. La question était de savoir si les amendements devaient être présentés par le Gouvernement ou par les parlementaires. Il se trouve que ce texte est une proposition de loi. On se plaint souvent du peu de place laissée à l'initiative parlementaire. S'agissant d'une proposition de loi, il nous a semblé convenable de retenir le principe d'amendements parlementaires, notamment des rapporteurs. C'est l'option que nous avons choisie, en étroite collaboration avec les commissions concernées. Je passe, madame la députée, sur l'accusation de pavillon de complaisance. Comparer un navire battant pavillon français avec ceux que nous voyons quelquefois naviguer sous pavillon de complaisance n'est pas seulement choquant, c'est une contre-vérité. Vous nous reprochez de n'avoir pas tenu compte de la médiation Scemama. Je vais vous citer quelques éléments figurant dans les amendements des rapporteurs et qui résultent directement de ce patient travail de rapprochement des points de vue. L'application du code du travail maritime aux marins résidant en France est une avancée de la médiation de M. Scemama ; l'exigence, en matière d'obligations des employeurs, concernant la formation embarquée nécessaire au renouvellement des emplois occupés par les Français, thème que vous avez abordé, résulte de la médiation de M. Scemama ; la mise en place d'un suivi de l'application du RIF avec les organisations socio-professionnelles, à l'article 34 de ce texte, résulte des discussions conduites sous l'égide de M. Scemama ; l'avancée fondamentale que constitue la suppression de la disposition de la proposition de loi qui permettait la création d'entreprises de travail maritime, de manning, en France est le fruit de la médiation de M. Scemama ; enfin, l'obligation d'un taux minimal de marins européens résulte directement des discussions conduites par M. Scemama. Voilà le résultat du travail patient accompli depuis plusieurs mois, et personne ne peut dire ici que ce sont des points négligeables ! Madame Lebranchu, à vous entendre, le RIF est une menace car des navires sous pavillon métropolitain pourraient opter demain pour ce nouveau registre et employer moins de marins français. Quelqu'un qui ne connaît pas parfaitement les questions maritimes pourrait en effet considérer qu'en ouvrant un espace de liberté à des gens qui naviguent aujourd'hui sous le pavillon métropolitain, avec toutes ses contraintes, dont celle d'embaucher 100 % de marins sous le régime du droit français, on leur donne la possibilité d'en embaucher seulement 25 ou 35 %. Mais, vous l'ignorez ou vous feignez de l'ignorer, le risque est nul parce qu'aucun navire battant pavillon métropolitain n'est susceptible de naviguer demain sous pavillon RIF. En réalité, il en existe un, et un seul. Mme Marylise Lebranchu. Il en existe douze ! M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Mais il se trouve que l'affréteur, par contrat, a demandé que l'équipage du navire soit à 100 % français, compte tenu de la nature très particulière de sa cargaison. Un seul navire, et un engagement contractuel rendra son transfert impossible ! Quelqu'un qui ne serait pas au fait des réalités maritimes pourrait aussi penser que le registre TAAF, le pavillon Kerguelen, est plus protecteur que le RIF. Mais qui, parmi nous, oserait le soutenir ? M. Alain Gouriou. Personne n'a dit cela ! M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Et personne ne peut le dire. Par conséquent, j'y insiste, le risque est inexistant de voir un navire bénéficiant d'un pavillon plus protecteur opter demain pour le RIF. Premièrement, parce que le seul navire battant pavillon métropolitain qui pourrait le faire en est empêché par le contrat qui le lie à l'affréteur. Deuxièmement, parce que le registre TAAF n'est pas du tout protecteur. Le prétendre est une contrevérité absolue. Depuis un arrêt du Conseil d'État de 1995, le pavillon Kerguelen n'est plus assorti d'aucune obligation d'employer des marins français et européens. Belle protection que celle-là ! J'ai compris, madame Lebranchu, que vous critiquiez ce pavillon, qui ne serait pas à notre honneur. Mais si je ne m'abuse, il a été créé non pas dans les années 1970, comme semble le croire M. Liberti, mais en 1987 ! Mme Marylise Lebranchu. Tout à fait, je l'ai dit ! M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Nous avons depuis cette date connu des majorités de gauche, mais je ne me souviens pas que vous ayez eu la moindre tentation de supprimer le pavillon Kerguelen ! En tout cas, ce n'est entré ni dans les faits, ni dans le droit. Madame Lebranchu, ne faites pas de procès à ceux qui tentent aujourd'hui d'améliorer un pavillon que vous avez accepté puis conservé ! Quant au dumping social, le risque est nul puisque, par définition, compte tenu de ce que je viens de vous indiquer, un marin embarqué sur un navire battant pavillon français RIF aura un statut social plus protecteur que celui qu'il a aujourd'hui. Nous avons senti dans votre propos un flottement à propos du bénéfice du GIE fiscal et du taux de 25 ou 35 % de marins français. J'ai eu un moment, en vous écoutant, le sentiment que vous pensiez que les navires bénéficiant du GIE fiscal auraient la contrainte sociale la plus faible. C'est évidemment le contraire. Ayant un minimum de bon sens, nous pensons que si l'État a versé une aide à l'investissement, aide qui existe dans tous les pays maritimes européens et qui est nécessaire si nous voulons avoir des navires, il est normal qu'il ait une exigence supérieure en termes d'emplois. En ce qui concerne les exonérations sociales, après avoir entendu M. Gaubert et vous-même, j'avoue avoir des doutes : sont-elles, pour vous, un bien ou un mal ? Mme Marylise Lebranchu. Un bien ! M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. J'ai compris que M. Gaubert les trouvait plutôt critiquables. En ce qui vous concerne, ce n'était pas très net au début de votre propos, mais par la suite j'ai compris : les exonérations sont une bonne chose... lorsqu'elles se pratiquent en Finlande ! M. Jean Gaubert. Nous vous l'expliquerons encore une fois s'il le faut ! M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. La position de votre groupe devra donc être précisée au cours de la discussion. En ce qui concerne les entreprises de travail maritime, le fameux manning, des amendements parlementaires, déposés en accord total avec le Gouvernement, visent à supprimer la possibilité de créer en France de telles sociétés. Mais nous avons maintenu une disposition protectrice pour les marins recrutés par les entreprises de manning établies dans d'autres pays, faute de pouvoir légiférer en dehors de nos frontières nationales. Certes, on peut adopter une position morale sur le thème : « Cachez ce sein que je ne saurais voir », mais il se trouve que le sein, comme le manning, existe. S'il nous est possible de protéger les marins employés par ces entreprises de travail maritime, je pense que nous avons intérêt à le faire. J'en viens au problème des marins abandonnés. Savez-vous que la France milite, à l'OIT comme à l'OMI, pour l'adoption de résolutions qui les protègent dans le monde entier, le problème étant par essence international ? Madame Lebranchu, le taux minimum de 35 % de marins sous statut français ne dépend pas d'un accord de branche : il figurera dans la loi, parce que cela nous a semblé nécessaire. Concernant le pavillon européen, nous souhaitons bien entendu, dans ce domaine comme dans d'autres, une harmonisation des législations, de la fiscalité, des conditions d'emploi. Et si demain cette question était inscrite à l'ordre du jour du Conseil ou du Parlement européen, la France aurait la tête haute car c'est elle qui a la législation la plus protectrice d'Europe. Et je vous mets au défi de démontrer le contraire ! Enfin, si l'Agence européenne de sécurité maritime n'a pas été consultée sur la création du RIF, c'est tout simplement parce que cette question n'entre pas dans ses compétences. Mme Marylise Lebranchu. Monsieur le président, je voudrais répondre à M. le secrétaire d'État sur le mot « mensonge ». M. le président. Madame Lebranchu, je vous donnerai la parole après le vote sur la question préalable. Dans les explications de vote, la parole est à M. Daniel Paul, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains. M. Daniel Paul. Monsieur le secrétaire d'État, depuis plusieurs semaines et hier encore, les marins s'expriment. Vous avez établi la liste des avancées obtenues. Si elles avaient été si persuasives, pourquoi toutes ces manifestations ? D'autant que des mouvements de grève comme ceux qui ont eu lieu en janvier et hier sont probablement plus difficiles dans la marine marchande, compte tenu de la particularité de ce secteur. François Liberti l'a dit et nous avons approuvé la motion de procédure présentée par notre collègue Gaubert : cette proposition de loi n'est pas un bon texte car elle se situe dans le sillage de la libéralisation qui accompagne la construction européenne. Il faut - c'est votre litanie - baisser les coûts et bien se positionner dans la concurrence, une concurrence qui serait inéluctable, incontournable, même si elle tire les salariés vers le bas. On trouvera toujours des hommes prêts à travailler pour moins cher, à accepter des règles plus difficiles, tout simplement parce qu'il leur faut nourrir leur famille. Et surtout, on trouvera toujours des armateurs désireux de dépenser toujours moins. Que notre pays et l'Europe qui se construit se positionnent sur un marché comme celui-là est tout simplement honteux ! Tirer sur les prix en permanence, c'est en effet mettre les hommes en concurrence, alors que, dans un secteur sensible comme celui des transports, le travail devrait être rémunéré à son juste coût. J'aurai l'occasion d'y revenir en défendant la motion de renvoi en commission : il faudrait que nous acceptions de payer un peu plus cher l'utilisation des conteneurs, par exemple, pour qu'il ne soit plus nécessaire de faire des économies sur la qualité des matériels, ni surtout de mettre en concurrence les hommes entre eux. La France a bien œuvré en ce qui concerne les normes techniques. Nous sommes d'accord sur ce point, la flotte française est l'une des plus jeunes du continent européen, voire du monde. Mais cela ne suffit pas. Il y a quelques années, la commission d'enquête sur le naufrage de l'Erika, que je présidais, avait mis en évidence deux éléments de responsabilité : le premier était la vétusté du navire, le second l'hétérogénéité linguistique de l'équipage. Parmi les causes du naufrage de l'Erika, il y avait l'incompréhension, en tout cas l'insuffisante maîtrise de la langue censée être parlée à bord. Vous nous rétorquez, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, que cela n'a rien à voir avec la directive Bolkestein. Mais si ! Comme aurait dit Molière, vous faites du Bolkestein sans le savoir, en tout cas sans le dire ! Vous êtes tout simplement imbibé de l'environnement social et économique européen et c'est bien le principe du pays d'origine que vous appliquez ici. Mais c'est une machine infernale à casser les règles sociales ! Vous faites un cadeau supplémentaire aux armateurs : nous aurons également l'occasion d'y revenir. Pour conclure, monsieur le secrétaire d'État, dire que l'amendement qui interdit aux sociétés de manning d'opérer en France est une avancée... passez-moi l'expression, il faut le faire ! Pour ma part, je ne considère pas comme une avancée une chose qui va de soi. Nous sommes dans un pays de droit et la France a toujours refusé les sociétés de manning. Le fait d'avoir supprimé, après l'avoir évoquée, la possibilité de créer de telles sociétés dans notre pays ne constitue pas pour moi une avancée, mais tout simplement le retour à la sagesse. M. le président. La parole à M. Aimé Kergueris, pour le groupe de l'Union pour un mouvement populaire. M. Aimé Kergueris. Mon propos sera bref dans la mesure où M. le secrétaire d'État a répondu point par point aux arguments qui lui étaient opposés. Je tiens cependant à dire à Mme Lebranchu que si elle ne se fait pas d'illusions sur le résultat du vote, elle a tout à fait raison. Elle nous propose tout simplement de ne pas délibérer ; or, s'il y a au moins un point sur lequel nous sommes d'accord sur tous les bancs de cet hémicycle, c'est bien sur la nécessité de faire quelque chose. Nous assistons au déclin de la marine marchande française depuis des années, et nous aurions souhaité que vous agissiez lorsque vous étiez aux affaires. Rappelons-nous simplement l'effet immédiat qu'avait eu le régime des quirats, présenté par le Gouvernement avec l'arbitrage du Président de la République : un effet déjà remarquable, en dix-huit mois,... M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. Absolument ! M. Aimé Kergueris.... mais remis en cause lorsque la gauche est revenue au pouvoir. Notre ami Jean Gaubert et Mme Lebranchu ont tiré à vue sur les armateurs ! Mais si les armateurs n'étaient pas là, il faudrait les inventer ! Veut-on refaire à nouveau de l'économie dirigée ? Ce que nous souhaitons, c'est avoir des armateurs, des entrepreneurs, car ce sont eux qui créent les emplois. On a beau être contre le libéralisme, il existe ! Et ce n'est pas une loi, même débattue au Parlement français, qui y changera grand-chose ! C'est une réalité. Enfin, madame Lebranchu, vous regrettez presque, si j'ai bien compris, que ce texte soit une proposition et non un projet de loi. À mon sens, il faut plutôt se féliciter de l'examen d'un texte émanant des parlementaires. Nous nous sommes si souvent plaints, dans cet hémicycle, du manque de pouvoir du Parlement... C'est vrai, les marins sont en grève aujourd'hui. Nous pouvons comprendre - c'est d'ailleurs une constante dans notre pays - que, face à une volonté d'évoluer, les craintes dépassent les assurances. Nous le constatons à propos de la Constitution européenne. Alors, c'est à nous de prouver que ce texte a pour objectif d'arrêter ou de ralentir le processus de déclin de la marine marchande française. C'est pourquoi le groupe UMP le votera des deux mains. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire.) M. le président. La parole est à M. Alain Gouriou, pour le groupe socialiste. M. Alain Gouriou. Tous les arguments visant à convaincre nos collègues d'adopter les motions présentées par Jean Gaubert et Marylise Lebranchu ont été développés. Nous verrons ce que donnera le vote sur la question préalable, mais j'ai retenu quelques mots de certaines interventions. On a dit, en parlant du groupe socialiste et de nos collègues communistes : « Vous n'êtes pas réalistes ». M. Goulard sait bien que les députés ayant pris la parole depuis le début de cette séance - M. Gaubert, Mme Lebranchu, M. Le Bris, M. Paul, M. Kergueris et moi-même - sont des Bretons,... M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. Moi aussi ! M. Alain Gouriou. Je vous oubliais, pardonnez-moi ! ...c'est-à-dire des élus parfaitement ancrés, si je puis dire, dans la réalité bretonne ! M. Franck Gilard. Beaucoup sont des Bretons de l'extérieur, et il n'y a pas, ici, que des députés bretons ! M. le président. Les Bretons se reconnaîtront ! (Sourires.) Poursuivez, monsieur Gouriou. M. Alain Gouriou. Nous savons mieux que d'autres ce qu'a été l'économie de la marine marchande dans nos circonscriptions et dans nos départements. Et nous parlons par conséquent de ce que nous connaissons. Si les marins, officiers et hommes d'équipage manifestent aujourd'hui dans les ports, c'est parce que ce texte leur inspire des inquiétudes. Même si, comme vous nous le dites, monsieur le ministre, il y a eu rapprochement, médiation, il n'y a pas eu, semble-t-il, un accord enthousiaste de la part des représentants des syndicats. Sur le devenir des marins français à bord des bateaux qui battront pavillon RIF, nous pouvons nous poser des questions. On nous dit qu'il y aura au moins deux officiers français à bord des bateaux, ... M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Mais l'ensemble des navigants français seront beaucoup plus nombreux avec les marins ! M. Alain Gouriou....mais que cela ne signifie pas, en effet, qu'il ne puisse pas y avoir davantage de marins français. Cela étant, seront-ils français ou seront-ils communautaires ? La question, soulevée avec pertinence par M. Couanau, n'est pas tranchée. Monsieur le secrétaire d'État, il y a quelques jours, nous avons visité ensemble, et je vous en remercie, un lycée maritime à Paimpol. Vous avez pu observer le sérieux, la qualité et la motivation de ces jeunes en formation. M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. C'est vrai ! M. Alain Gouriou. Quelle sera, demain, la réalité des débouchés offerts à ces jeunes au terme de leur formation ? Je me permets d'insister sur ce point car, lorsqu'on connaît l'effectif des équipages des bateaux modernes - de plus en plus mécanisés et informatisés, et c'est tant mieux -, on peut s'interroger sur le taux de 35 % de marins français à bord des bateaux. Que représentent ces 35 % sur des équipages qui comptent entre douze et quinze hommes ? M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Plus ! M. Alain Gouriou. Entre douze et quinze hommes sur un porte-conteneurs ou un superpétrolier : guère plus ! M. Jean-Yves Besselat, rapporteur. Oh ! M. Alain Gouriou. Donc, 35 %, cela ne fait jamais que trois ou quatre marins ! Alors, quand vous annoncez la création de centaines d'emplois grâce au pavillon RIF, vous me permettrez de m'interroger sur votre optimisme ! Je voudrais également insister sur les problèmes de sécurité. Vous savez très bien, monsieur le rapporteur, que ces bateaux ont souvent une grande vulnérabilité du fait même de la réduction de leurs équipages. On le voit encore aujourd'hui : sur certaines parties des océans du globe, des bateaux sont attaqués par des pirates et les équipages sont incapables de faire face en raison de leur faible effectif. Lorsque vous nous dites encore, monsieur le secrétaire d'État, que le temps des bateaux poubelles est révolu, je ne demande qu'à vous croire. Néanmoins, je m'interroge : les contrôles sur ces bateaux, à l'entrée ou à la sortie de nos ports, sont-ils réellement effectués et les personnels qualifiés pour exercer ces contrôles ont-ils été recrutés ? Mme Lebranchu l'a dit : la légalisation par le texte initial des sociétés de manning est absolument inadmissible. Vous les avez heureusement écartées du territoire national. En réalité, ce texte de loi facilite singulièrement les choses pour les armateurs et pour les sociétés employant ces marins, mais nous nous interrogeons quant à ses effets positifs sur les créations d'emplois. Il s'agit ni plus ni moins d'un pavillon de complaisance qui se substitue à un autre, en l'améliorant peut-être légèrement, mais en ne tenant compte ni des exigences sociales ni des conditions de travail à bord des bateaux. Surtout, ce texte va dans le sens des directives que nous sommes un certain nombre sur ces bancs à condamner. Voilà pourquoi nous vous demandons de voter avec nous la question préalable défendue par Mme Lebranchu. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) M. le président. Je mets aux voix la question préalable. (La question préalable n'est pas adoptée.) M. le président. La parole est à Mme Marylise Lebranchu. Mme Marylise Lebranchu. Monsieur le secrétaire d'État, j'admets toujours le débat - et je crois l'avoir montré dans ma vie politique, en tout cas je l'espérais jusqu'à ce soir. On peut avoir des convictions, et je pense même qu'on peut s'affronter pour les défendre. Mais, selon moi, quand on commence à utiliser le mot « mensonge », on quitte le débat politique. J'admets ne pas tout connaître - c'est largement vrai - mais j'ai travaillé ce texte autant que faire se peut avec Jean-Yves Le Drian, Jean Gaubert et quelques autres, et j'ai toujours érigé en règle de ne jamais recourir au mensonge. Je vous demande d'en prendre acte. Car si, dans cette enceinte, à l'adresse de quelqu'un ayant une interprétation différente de la vôtre, on parle d'abord de contrevérité pour faire joli, et on finit par utiliser le mot « mensonge », alors c'est la fin du débat. Or, je l'ai dit, je crois au débat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État. M. le secrétaire d'État aux transports et à la mer. Madame la députée, je retire bien volontiers ce mot excessif, et je vous prie d'agréer mes excuses. Je maintiens que je suis en désaccord profond, fondamental avec tous les arguments que vous avez présentés. Mais, naturellement, je souhaite comme vous que nous gardions le ton qui a généralement présidé à nos échanges, imprégnés d'un esprit républicain et démocratique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour un mouvement populaire. - Mme Marylise Lebranchu applaudit également.) M. le président. Merci, monsieur le secrétaire d'État. Voilà une bonne manière d'achever nos travaux. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE M. le président. Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique : Suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par le Sénat, n° 1287, relative à la création du registre international français : Rapport, n° 2039, de M. Jean-Yves Besselat, au nom de la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire, Avis, n° 2035, de M. René Couanau, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. La séance est levée. (La séance est levée à dix-neuf heures cinquante-cinq.) Le Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale, jean pinchot |