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Edition J.O. - débats de la séance

Assemblée nationale

Compte rendu
intégral

Première séance du mercredi 12 octobre 2005

16e séance de la session ordinaire 2005-2006

PRÉSIDENCE DE M. JEAN-LOUIS DEBRÉ

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire étrangère

M. le président. Mes chers collègues, je suis heureux de souhaiter la bienvenue à une délégation de l’Assemblée parlementaire de la communauté économique de la Mer Noire, conduite par sa présidente Mme Jozefina Topalli, Présidente du Kuvendi albanais. (Mmes et MM. les députés, ainsi que Mmes et MM. les membres du Gouvernement, se lèvent et applaudissent.)

questions au gouvernement

M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par une question du groupe des député-e-s communistes et républicains.

lutte contre la pauvreté

M. le président. La parole est à Jacques Brunhes.

M. Jacques Brunhes. Monsieur le Premier ministre, il y a maintenant vingt ans, Coluche fondait les Restos du Cœur et installait son premier point d’accueil dans ma commune de Gennevilliers. Dans l’esprit du comédien, il s’agissait d’une action provisoire, sinon ponctuelle. Hélas, les inégalités n’ont cessé de se creuser, laissant toujours plus de monde sur le bord du chemin, un public nouveau de jeunes, d’étudiants, mais aussi de femmes seules et de retraités déshérités. Les associations caritatives qui s’emploient à réparer les dégâts sont de plus en plus débordées. Certes, le nombre des personnes inscrites aux Restos du Cœur ou dans d’autres associations caritatives n’a cessé d’augmenter en vingt ans, mais, depuis votre arrivée, il s’est accru d’une manière exponentielle. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Au cours du second trimestre 2005, le nombre d’allocataires du RMI a progressé et 80 % d’entre eux vivent dans des ménages dont le revenu est inférieur au seuil de pauvreté. Monsieur le Premier ministre, la pauvreté constitue aujourd’hui un phénomène de masse.

Dans le même temps, le CAC 40 s’envole de près de 35 %. (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Les salaires des grands patrons explosent. Comment ne pas être révolté par ces écarts indécents ? Comment ne pas être également indignés par ces richesses impudentes ? Ainsi, M. Bernard Arnault, dont la fortune est estimée à plus de 14 milliards d’euros (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) n’a pas hésité à l’étaler avec outrance (Exclamations sur les mêmes bancs) lors d’une récente cérémonie très médiatisée à laquelle, insoutenable légèreté de l’être, ont participé six de vos ministres ! (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues.

M. Jacques Brunhes. Je ne vous demande pas, monsieur le Premier ministre, comment vous comptez corriger ces inégalités, ce n’est pas votre ambition.

M. le président. Monsieur Brunhes, voulez-vous poser votre question ? Votre temps de parole est écoulé. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Jacques Brunhes. Comment allez-vous poursuivre l’aide d’urgence et l’obligation alimentaire, qui sont de la compétence des pouvoirs publics, alors que Bruxelles réduit ses subventions ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité.

Mme Catherine Vautrin, ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Monsieur le député, si un point dans votre question vous concerne tous dans cet hémicycle et est également l’une des priorités de notre gouvernement, c’est incontestablement la lutte contre l’exclusion. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Le Premier ministre le rappelait d’ailleurs lors du récent conseil national de lutte contre l’exclusion qu’il a installé le 16 septembre dernier.

Vous venez de faire allusion à l’aide d’urgence et aux difficultés en la matière. Concernant l’accompagnement de l’aide d’urgence, les montants accordés en 2002 par notre gouvernement s’élevaient à 4 millions d’euros, contre plus de 17 millions d’euros aujourd’hui. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) C’est dire si, très concrètement, il existe effectivement des solutions pour accompagner toutes ces associations qui font un travail absolument remarquable et que je tiens à remercier aujourd’hui au nom du Gouvernement.

Je voudrais également souligner le travail accompli avec mon collègue Dominique Bussereau sur les programmes européens d’aide alimentaire. Le Premier ministre a effectivement souhaité que nous puissions obtenir un complément financier important pour cette campagne d’hiver.

Au-delà des secours d’urgence se pose la véritable question : agir sur les trappes à pauvreté. Pour cela, il y a le logement. En 2000, 39 000 logements ont été construits (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains) alors que 75 000 l’ont été en 2004 ! Comme s’y est engagé le Premier ministre, un texte relatif à l’engagement national pour le logement, porté par Jean-Louis Borloo, vous sera très prochainement présenté.

Enfin, la seule vraie réponse à la pauvreté et à la précarité, c’est l’emploi. Les chiffres des demandeurs d’emploi baissent pour le cinquième mois consécutif. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. Maxime Gremetz. Arrêtez ! Il n’y a que vous qui croyiez à cela !

M. le président. Monsieur Gremetz !

Mme la ministre déléguée à la cohésion sociale et à la parité. Le gouvernement de Dominique de Villepin se mobilise donc sur le sujet.

Voilà des actes concrets ! C’est tous ensemble, par notre mobilisation, que nous ferons changer les choses ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Politique de l’immigration

M. le président. La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard. Monsieur le président, la question que je m’apprête à poser à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire, concerne en réalité l’ensemble du Gouvernement, tant elle est complexe.

Il y a quelques jours, nous avons tous vu à la télévision les Africains partir à l’assaut des enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla. À l’évidence, cela a rappelé à quelques-uns d’entre nous le roman prémonitoire de Jean Raspail, écrit voici une quarantaine d’années, Le Camp des Saints, qui décrivait l’assaut les gens du tiers monde contre la forteresse Europe.

On ne peut pas non plus s’empêcher, monsieur le ministre, de penser que le gouvernement socialiste espagnol a joué aux apprentis sorciers en régularisant des centaines de milliers d’immigrés clandestins, suscitant un formidable espoir pour toutes ces populations qui souhaitent mieux vivre. Il est clair que cette situation est le résultat, nous le savons, de la rupture démographique nord-sud, unique dans l’histoire de l’humanité.

M. Maxime Gremetz. Encore une rupture !

M. Jacques Myard. Bien évidemment, nous devons continuer à favoriser leur développement, pour que ces populations demeurent chez elles.

Il n’en demeure pas moins qu’il convient de conduire une politique ferme en matière d’immigration et de se garder de tout angélisme et de toute utopie. À ce propos, les accords de Schengen, qui créent une zone de total libre-échange à vingt-cinq, ouvrent une faille. Plusieurs contrôles vaudront toujours mieux qu’un seul aux frontières extérieures.

Monsieur le ministre, vous revenez notamment de Libye, où vous avez évoqué et analysé cette situation. Quel jugement portez-vous sur la nécessité de contrôler les flux migratoires ? Quelles mesures proposerez-vous au Parlement pour ne pas subir l’immigration et notamment l’immigration clandestine ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Monsieur le député Jacques Myard, vous avez raison,…

M. Maxime Gremetz. Il aura l’investiture !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. …en régularisant 500 000 personnes, les Espagnols n’ont rien résolu et ont créé un formidable appel d’air. D’ailleurs, nous, les Français, n’avons aucune leçon à donner, puisque sous les gouvernements socialistes, nous nous sommes laissés aller à des régularisations massives (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Nous en mesurons les conséquences pour notre pays ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) La porte, de ce point de vue, est fermée.

Pour faire face à ce problème, nous devons faire, premièrement, preuve de fermeté. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Cette année, nous allons expulser 24 000 sans-papiers, soit très exactement quatre fois plus qu’à l’époque de nos prédécesseurs. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Je ne dis pas que c’est suffisant, mais je considère simplement que l’on ne peut pas demander à un ministre de l’intérieur d’un gouvernement républicain de traiter de la même façon les sans-papiers et les autres !

M. Noël Mamère. Ils ont des papiers !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. La réponse ne peut en effet pas être la même.

Nous devons, en outre, sanctionner systématiquement les employeurs de travailleurs sans papiers.

M. Maxime Gremetz. Là, vous ne faites pas beaucoup d’efforts !

M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Il n’y a, en effet, aucune raison que seuls les immigrés soient les victimes des contrôles. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Les employeurs doivent être également sanctionnés (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) car ils participent de l’appel d’air.

Enfin, nous poursuivrons les opérations systématiques d’évacuation des squats indignes, car un sans papiers est un être humain et doit être traité en tant que tel ! (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Laisser des gens vivre dans des squats indignes est irresponsable !

Deuxièmement, il faut de l’humanité, ce qui signifie que l’on doit améliorer le confort des centres de rétention et traiter les gens dignement. C’est toute la politique de la France.

Troisièmement, il faut de la justice. On n’endiguera pas le flot des clandestins sans engager, comme la France l’a demandé, une ambitieuse politique de développement pour les pays du Sud. C’est la seule solution à long terme. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Fermeté, justice, humanité, voilà le triptyque de la politique d’immigration de la France ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

TVA dans le secteur du bâtiment

M. le président. La parole est à M. Pierre Cohen.

M. Pierre Cohen. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.

Monsieur le ministre, les effets positifs de la baisse de la TVA à 5,5 % dans le secteur du bâtiment sont aujourd’hui reconnus de tous. C’est le gouvernement de Lionel Jospin qui en l’instaurant en 1999 (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – « Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), avait voulu agir sur la demande, favoriser les prestations pour le logement et relancer l’emploi dans ce secteur. Le marché intérieur s’est trouvé stimulé et la situation de l’emploi nettement améliorée avec la création de 53 000 emplois, alors qu’initialement le secteur du bâtiment s’était engagé à hauteur de 30 000 à 35 000 emplois. Deux milliards de travaux supplémentaires ont été enregistrés chaque année et la rénovation des logements a augmenté en moyenne de 7 %.

De plus, la baisse de la TVA n’a pas profité qu’au seul secteur du bâtiment, puisque le commerce, les transports et le négoce, entre autres, ont bénéficié d’effets induits. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Ce dispositif a ainsi contribué à la relance de la consommation, donc de la croissance.

Or, aujourd’hui, la reconduction de ce dispositif pour 2006 n’est toujours pas confirmée et il reste peu de temps pour qu’il soit prolongé.

Au regard de la crise que subit le secteur du logement, déjà très sinistré, et de l’urgence que la situation impose, l’indifférence, ou pire le laisser-faire, que vous manifestez serait de nature à conforter le « mal logement », voire le non-logement que tous les Français dénoncent. Votre gouvernement ne semble pas se mobiliser au sein des instances européennes, alors que 66 000 emplois seraient directement menacés. Vous ne pouvez pas, comme vous en avez l’habitude, vous défausser sur l’Europe. Votre influence sur l’Union européenne est discréditée. Vous confirmez également votre incapacité à résoudre le problème de l’emploi. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Comment allez-vous agir ?

Nous vous demandons, monsieur le ministre, de vous exprimer devant la représentation nationale sur les démarches et les engagements que votre gouvernement entend prendre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’industrie.

M. François Loos, ministre délégué à l’industrie. Monsieur le député, c’est là une mesure « gagnant-gagnant ». Baisser la TVA dans le bâtiment, c’est aider les artisans à avoir plus de travail, ce sont 2 ou 3 milliards d’activité en plus et 50 000 emplois supplémentaires. Vous l’avez dit et nous en sommes convaincus. Le Premier ministre nous a demandé de pérenniser cette mesure (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et de l’inscrire tout de suite dans le budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Le Premier ministre a pris la décision de donner dès aujourd’hui à nos artisans la possibilité de préparer les devis dans cette perspective et de prévoir les achats pour tous les consommateurs sur cette base. Par conséquent, nous continuons.

Effectivement, nous sommes en Europe. Cela signifie que nous devons recevoir formellement le feu vert de l’Union européenne.

M. Maxime Gremetz. Encore !

M. le ministre délégué à l’industrie. Nous l’aurons au mois de novembre, lors de la prochaine réunion de l’ECOFIN.

M. Maxime Gremetz. C’est comme les moratoires !

M. le ministre délégué à l’industrie. Aujourd’hui, nous demandons que tous prennent en compte ce qui est inscrit dans notre budget, suite à la demande du Premier ministre, Dominique de Villepin. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

centre de loisirs du carmausin

M. le président. La parole est à M. Philippe Folliot.

M. Philippe Folliot. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué aux collectivités locales.

« Incroyable mais vrai », « Qui veut gâcher des millions ? », « Le jeu de la non-vérité », ce ne sont pas les titres d’émissions de téléréalité mais la triste situation du Carmausin. Creuser un déficit de 8,2 millions d’euros en deux ans d’exercice, avoir des recettes qui couvrent à peine 20 % des dépenses, accueillir dix fois moins de visiteurs que prévu, le parc européen de la glisse promis par M. Quilès a singulièrement dérapé.

Alors que l’UDF et votre serviteur avaient dès le début tiré le signal d’alarme, le scandale Cap Découverte, comme l’a si justement qualifié un sénateur tarnais, lui aussi socialiste, conjugue mégalomanie, incompétence et gaspillage à grande échelle. Peut-on faire confiance à de tels gestionnaires pour s’occuper demain des affaires du PS ou de la France ? L’heure des comptes a sonné et l’addition est lourde, très lourde. Au moment où nombre de nos concitoyens ont du mal à joindre les deux bouts, l’argent public ne mérite-t-il pas d’être mieux utilisé ?

Le chiffre avancé d’un milliard d’euros en pure perte pour creuser depuis 1981 cette mine de charbon à ciel ouvert qui n’a pratiquement pas été exploitée est-il justifié ? Alors que nous connaissons la situation calamiteuse des finances publiques, l’État n’a-t-il pas mieux à faire que de donner aux communes concernées une prime à la mauvaise gestion de 1,4 million d’euros pour éponger les déficits comme cela vient d’être annoncé ? En résumé, comment arrêter les frais et sortir de cette impasse ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué aux collectivités territoriales.

M. Brice Hortefeux, ministre délégué aux collectivités territoriales. Monsieur le député, vous m’avez interpellé à plusieurs reprises sur ce sujet, comme d’ailleurs votre collègue Bernard Carayon.

Oui, vous avez raison, l’État a décidé d’accorder une aide de 1,4 million d’euros aux communes du Carmausin qui ont créé un centre de loisirs après les fermetures des mines de Carmaux en 1997. L’ensemble des parcs de loisirs connaissent des difficultés mais, dans le cas particulier de Cap Découverte, projet sur lequel je ne veux surtout pas relancer de polémique, il y a sans doute eu des erreurs de gestion ou des choix inappropriés. Ne rien faire, c’était laisser les communes concernées imposer des hausses spectaculaires de près de 60 % à des familles qui, pour l’essentiel, sont particulièrement modestes.

Cet engagement de l’État n’est possible qu’à deux conditions : que les autres collectivités l’accompagnent, ce qui est le cas du conseil général et du conseil régional, et que le centre de loisirs respecte le plan d’apurement décidé par le préfet en liaison avec la chambre régionale des comptes.

Oui, c’est l’honneur de l’État de savoir être responsable et solidaire, mais, et je vous rejoins sur ce point, c’est aussi son devoir de ne pas combler indéfiniment, toujours et partout, les tonneaux des Danaïdes. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

tremblement de terre au cachemire

M. le président. La parole est à M. Philippe Vitel.

M. Philippe Vitel. Ma question s’adresse à M. le ministre des affaires étrangères.

Monsieur le ministre, il y a quatre jours, un violent séisme d’une magnitude de 7,6 sur l’échelle de Richter répandait la mort et la désolation au Pakistan et dans le nord de l’Inde. Aujourd’hui, ce sont déjà plus de 23 000 victimes et 51 000 blessés qui ont été dénombrés. Ce bilan n’est malheureusement pas définitif. On parle de 2 500 000 sans-abri, qui se retrouvent isolés du monde et démunis de tout. Les images d’horreur des décombres des deux écoles de la vallée de Balakot dans lesquelles 850 enfants ont été ensevelis resteront à jamais dans nos mémoires.

La solidarité internationale s’est immédiatement mobilisée. La France, aux côtés des États-Unis, de l’Allemagne, de la Grande-Bretagne, du Japon, mais aussi de la Turquie, des Émirats arabes unis, du Koweït, a été l’un des premiers pays à proposer son aide. Hier, la Banque mondiale a doublé son aide initiale, qui était de 20 millions de dollars. Les Nations unies ont lancé un appel de fonds visant à réunir 272 millions de dollars. L’Union européenne et l’OTAN se sont elles aussi rapidement engagées.

Monsieur le ministre, pouvez-vous faire état des moyens français actuellement sur place et préciser le type d’aide humanitaire d’urgence que nous allons déployer ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Philippe Douste-Blazy, ministre des affaires étrangères. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le député, un séisme d’une magnitude de 7,6 sur l’échelle de Richter a frappé l’Asie du sud, essentiellement le Cachemire pakistanais mais aussi, dans une moindre mesure, le Cachemire indien. Selon un bilan provisoire, il y aurait plus de 25 000 décès et de 50 000 blessés au Pakistan, 1 300 morts et plus de 3 000 blessés en Inde.

La France a immédiatement proposé son aide, avec l’accord des autorités pakistanaises. Le jour même du séisme, samedi, une équipe de la protection civile de vingt-cinq personnes spécialisées dans la prévision des besoins est partie pour le Pakistan. Lundi, en accord avec le ministère de la santé et le ministère de la défense, deux avions sont partis de Paris pour le Pakistan, le premier emmenant quarante-cinq médecins urgentistes du SAMU et du service de santé des armées avec du matériel chirurgical, le second transportant quatre-vingt-dix tonnes de fret d’aide humanitaire provenant des stocks du ministère des affaires étrangères mais aussi de la Croix rouge française et d’autres organisations non gouvernementales.

Depuis mardi matin, au ministère de la santé, une cellule fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre, ce qui est une première dans ce type d’action humanitaire, pour réguler les professionnels de santé sur place.

Au moment où je vous parle, on ne déplore aucune victime française.

La France continuera à agir pour venir en aide au Pakistan, durement touché. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

énergies non renouvelables

M. le président. La parole est à M. Jacques Godfrain, pour le groupe UMP.

M. Jacques Godfrain. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’éducation nationale et de la recherche.

Avec le réveil de pays de plus d’un milliard d’habitants, la demande mondiale en énergie doit s’accroître de près de 60 % dans le prochain quart de siècle, et chacun se demande si les réserves de pétrole seront suffisantes pour faire face à un tel accroissement des besoins. Quand bien même en trouverait-on de nouvelles, les minéraux fossiles ne sont-ils pas pour quelque chose dans la destruction de la couche d’ozone ? La question n’est donc plus de savoir ce que sera l’après-pétrole mais quand cela aura lieu.

Gouverner, c’est prévoir. Une politique de recherche adéquate est donc indispensable. Modérer la consommation ne suffira pas. Aujourd’hui, les activités économiques ne peuvent pas se passer de pétrole mais il faudra que, pour demain, la recherche nous permette de trouver des alternatives. Quelles sont les prévisions en ce domaine, monsieur le ministre ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Il est temps, en effet, d’anticiper, monsieur le député, pour deux raisons : parce que les énergies fossiles sont de plus en plus rares et seront donc chères longtemps, et parce que notre planète souffre de plus en plus des activités humaines qui les utilisent.

Il faut anticiper, et la France anticipe. Près d’un milliard d’euros sont consacrées cette année à la recherche sur les énergies de substitution au pétrole. J’en vois au moins trois.

Ce sont d’abord les bioénergies, objet de recherche principal du centre du pôle de compétitivité agro-ressources Picardie – Champagne-Ardenne,…

M. Maxime Gremetz. Et voilà !

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. …où seront bientôt érigées des sortes de raffineries vertes.

C’est ensuite l’hydrogène (M. Cochet s’exclame), avec les piles à combustible. J’ai pu mesurer, en tant que ministre des transports, combien les constructeurs automobiles français sont mobilisés dans ce domaine. Nous aurons probablement, dans moins d’une dizaine d’années, des véhicules ayant l’hydrogène comme source d’énergie et des piles à combustible.

Enfin, à plus long terme, il y a la ressource du cosmos, l’énergie des étoiles. C’est le projet ITER. C’est de l’énergie abondante, propre, qui n’aura pas d’influence sur le climat.

M. Yves Cochet. On peut rêver !

M. le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Demain, la nouvelle agence nationale de la recherche va désigner les lauréats qui bénéficieront des 60 millions d’euros destinés à cette recherche sur les énergies de substitution et notamment sur le stockage du carbone.

Au-delà de ces pistes et des découvertes qui seront faites à court, moyen et long terme, nous devons faire preuve de pédagogie pour modifier les comportements et les cultures. Demain, par exemple, dans le cadre de la fête de la science, j’emmènerai une quarantaine de collégiens au CEA de Saclay pour leur montrer très concrètement ce que seront les énergies de demain, grâce auxquelles ils pourront se chauffer, se déplacer et développer l’activité économique. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

programme pétrole contre nourriture

M. le président. La parole est à M. Bernard Derosier.

M. Bernard Derosier. Monsieur le Premier ministre, lorsque, il y a un peu plus de dix ans, a été institué le programme « pétrole contre nourriture », la France a soutenu l’ONU dans cette démarche. Avec l’arrivée au pouvoir de l’administration Bush, les initiatives des Nations unies en direction de l’Irak ont été contestées, dévalorisées par les États-Unis. Aujourd’hui, dans notre pays, la presse nous informe de la mise en examen de plusieurs personnes ayant exercé des responsabilités politiques et diplomatiques pour des malversations liées à ce programme.

Les représentants de la nation et, à travers eux, les Françaises et les Français ont besoin d’en savoir plus que ce qu’ils apprennent par les médias. Vous avez été ministre des affaires étrangères, puis ministre de l’intérieur, avant d’être aujourd’hui chef du Gouvernement. Avez-vous eu connaissance à un moment ou à un autre de ces malversations et, si oui, qu’avez-vous fait ? Le secret de l’instruction ne peut être mis en avant car il s’agit d’abord d’un problème politique et d’une mise en cause de hauts fonctionnaires du ministère des affaires étrangères. C’est la presse irakienne qui a révélé ces malversations il y a quelques semaines. Or, dans ce pays, les États-Unis font la loi. Aujourd’hui, toute la presse mondiale en fait état avec, chaque jour, de nouvelles révélations. Monsieur le Premier ministre, nous attendons de vous des explications claires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le député, cette question d’une dérive possible du programme « pétrole contre nourriture » nous trouble tous.

Vous avez évoqué deux hauts diplomates, mais ils ont été mis en cause après leur départ en retraite et, aujourd’hui, rien n’est connu de personne, sauf sans doute du juge d’instruction. Vous comprendrez donc que ni moi-même, garde des sceaux, ni personne ne puisse vous dire ce qui se passe dans le cadre de cette instruction. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Je souhaite que, dans cette affaire, toute la lumière soit faite et que l’aide internationale conserve toute sa crédibilité dans le monde entier. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

chèque-emploi très petites entreprises

M. le président. La parole est à M. Louis Giscard d’Estaing.

M. Louis Giscard d'Estaing. Ma question s’adresse au ministre des PME, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales et concerne le chèque emploi très petites entreprises.

Comme vous le savez, monsieur le ministre, parmi les difficultés que rencontre notre pays par rapport à l’emploi, il y a le poids que représentent les formalités administratives de toute nature. Les artisans, les commerçants et tous les responsables des petites entreprises, pour satisfaire aux multiples obligations auxquelles ils sont soumis, doivent se détourner de leur activité économique, ce qui est toujours préjudiciable, en particulier quand c’est le dirigeant lui-même ou son conjoint qui doit accomplir de telles formalités. Leur complexité constitue indéniablement une surcharge de travail mais aussi un frein à l’embauche.

Dans le cadre du plan d’urgence pour l’emploi, le Gouvernement a voulu répondre tout particulièrement aux besoins de ces très petites entreprises qui constituent un important gisement d’emplois. Parmi les mesures particulièrement intéressantes qui ont été prises, la mise en place du chèque emploi très petites entreprises répond à l’objectif de rendre plus simple et plus abordable le recrutement d’un salarié, en faisant ainsi tomber une des barrières importantes à l’embauche : la complexité administrative.

Le chèque vaut donc déclaration d’embauche, contrat de travail et bulletin de salaire avec calcul des cotisations sociales. Nous nous félicitons qu’il soit disponible depuis le 1er septembre. Pouvez-vous nous indiquer, monsieur le ministre, dans quelles conditions ce dispositif a été mis en place et de quelle manière vous envisagez de favoriser son développement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales.

M. Renaud Dutreil, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l’artisanat et des professions libérales. Monsieur le député, comme vous l’avez indiqué, il y a en France près de 2 millions de très petites entreprises, dont un million sans salariés. On imagine aisément le concours qu’elles pourraient apporter à la lutte contre le chômage.

Jusqu’à présent, ces très petites entreprises se voyaient imposer des contraintes disproportionnées. Le plan d’urgence pour l’emploi les a levées avec le contrat nouvelles embauches, mais aussi avec le chèque emploi TPE. Ce chèque est disponible depuis le 1er septembre sous forme papier, mais également sous forme dématérialisée, avec un site internet très accessible, emploitpe. fr.

Contrairement à ce qui s’était passé jusqu’à présent, l’ensemble des accompagnateurs des très petites entreprises se sont mobilisés. D’abord les experts comptables, les centres de gestion agréés, mais également les banques, avec lesquelles ont été signées des conventions pour que cet outil très simple soit mis à la disposition du plus grand nombre. Une campagne d’information a été lancée aux frais des artisans et des commerçants eux-mêmes. C’est le signe de l’intérêt qu’ils portent à cet outil fait pour eux, fait pour libérer l’envie d’embaucher dans un secteur qui mérite toute notre attention.

Alors qu’elles étaient jusqu’à présent soumises au même droit que les grandes entreprises, les très petites entreprises disposent pour la première fois d’un outil propre à ce secteur dynamique. Vous pouvez compter aujourd’hui sur plusieurs centaines d’immatriculations au chèque emploi TPE. Je vous invite d’ailleurs, monsieur le député, comme l’ensemble de vos collègues, à faire connaître ces nouveaux outils dans vos circonscriptions. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

accident de la RAffinerie total de la mède

M. le président. La parole est à M. Éric Diard.

M. Éric Diard. Ma question s’adresse à Mme la ministre de l’écologie et du développement durable.

Madame la ministre, le dimanche 7 août, à seize heures quarante-six, plus de dix tonnes d’hydrocarbures s’échappent de la raffinerie Total de La Mède et sont projetées dans l’atmosphère. Le mistral les entraîne vers la commune de Sausset-les-Pins et ses environs. En dix minutes, une pluie de gazole s’abat sur les quartiers est de la commune.

Le rapport de la DRIRE est accablant et révèle plusieurs infractions à la réglementation. Entre autres infractions, la raffinerie Total de La Mède n’a pas respecté un arrêté préfectoral, un arrêté ministériel et un décret du code de l’environnement.

M. Maxime Gremetz. Elle ne respecte rien !

M. Éric Diard. Nous sommes d’accord pour dire, tout comme le préfet de la région PACA, que nous sommes passés près d’une catastrophe majeure. En effet, en l’absence de vent, le nuage serait retombé sur la torche de la raffinerie. En 1992, cette raffinerie a déjà connu une explosion qui a provoqué la mort de six personnes.

Les communes de gauche, qui perçoivent la taxe professionnelle de la pétrochimie, sont restées étrangement silencieuses ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.-. Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Et pourtant, défendre la sécurité dans les raffineries, c’est non seulement défendre l’environnement, mais surtout défendre l’emploi.

Le 19 septembre dernier, madame la ministre, vous avez rencontré la population de Sausset-les-Pins, puis vous vous êtes rendue sur le site. Vous avez alors déclaré que vous seriez d’une « intransigeance absolue » en matière de normes de sécurité.

Pouvez-vous nous dire ce qui est prévu pour renforcer les procédures de prévention et de contrôle dans ces installations classées Seveso ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre de l’écologie et du développement durable.

Mme Nelly Olin, ministre de l’écologie et du développement durable. Monsieur le député, à la suite des événements que vous venez d’évoquer et que je qualifie d’extrêmement sérieux, je me suis en effet rendue sur le site au mois de septembre (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) pour faire très précisément le point avec mes services, dont je salue ici le travail exemplaire.

M. Guy Teissier. La ministre n’était pas en vacances !

Mme la ministre de l’écologie et du développement durable. En effet, je n’étais pas en vacances.

J’ai donc rencontré et écouté les élus et riverains, qui m’ont fait part de leur légitime inquiétude, surtout eu égard au manque d’information et de transparence.

Sur ces bases, j’ai donc tenu une réunion sur le site avec le responsable mondial des raffineries Total. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Je l’ai incité à prendre toutes les dispositions nécessaires en matière de sécurité afin que ce genre d’événement ne se reproduise plus. Cela concerne l’ensemble des raffineries et j’ai prescrit un cahier des charges très serré sur lequel j’attends une réponse sous un mois.

Par ailleurs, aujourd’hui, aucune raffinerie n’est exempte des procédures conseillées par les DRIRE et recommandées par les préfets. Et je serai particulièrement intransigeance en matière de sécurité. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

La France peut s’honorer d’être le seul pays au monde à avoir publié en septembre un décret prévoyant l’élaboration de plans de prévention des risques technologiques, les PPRT. Nous proposerons un dispositif novateur qui concernera 622 établissements.

Cette démarche a été unanimement appréciée. (« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Cela n’a pas l’air d’être votre cas ? Mais la critique est facile quand on n’a rien fait ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.- Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)

Inondations dans le Gard

M. le président. La parole est à M. William Dumas.

M. William Dumas. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.

Une nouvelle fois le département du Gard a été frappé par des inondations. Un mois après cette catastrophe, l’État et les collectivités se doivent de définir les moyens qui seront alloués pour assurer au plus vite la nécessaire reconstruction.

En 2002 et 2003, le coût des inondations s’élevait respectivement à 192 et 39 millions d’euros. Grâce aux financements de l’État et des collectivités locales, à hauteur de 80 %, notre département avait ainsi pu faire face.

Aujourd’hui, le bilan des dégâts des intempéries des 6 et 8 septembre 2005 s’élève à plus de 35 millions d’euros. Il touche une grande partie du sud du département et la ville de Nîmes. L’inquiétude, monsieur le ministre, est forte quant aux financements et surtout aux clés de répartition envisagées.

Le guichet unique est en place mais, à ce jour, les collectivités et les sinistrés attendent toujours de connaître la part de l’État et du fonds européens dans le financement de la reconstruction.

Notre département – et plus largement la région Languedoc-Roussillon – subit de manière récurrente de fortes intempéries que nous ne pouvons plus appréhender sous l’angle de l’exception. Changement climatique et réchauffement ont des effets directs sur nos départements. Il est urgent de mettre en œuvre un système d’alerte spécifique adapté aux départements de la façade méditerranéenne. Ce dispositif d’alerte devra prendre en considération le cumul d’eau et l’état des cours d’eau au moment des intempéries, tenir compte de la climatologie régionale, sur le modèle de l’alerte aux cyclones dans les DOM-TOM, par exemple.

De plus, sans une véritable aide de l’État, les collectivités territoriales ne pourront pas, au quotidien et sur le terrain, répondre aux besoins de prévention et de traitement de ces inondations. Monsieur le ministre, les habitants du Gard ne se contentent plus de visites ministérielles de compassion, stériles, effectuées au pas de charge, en présence des médias. Nous voulons de l’action et des mesures concrètes.

Plus d’un mois après ces inondations, et malgré de bonnes paroles, nous attendons encore la parution au Journal officiel de l’arrêté de catastrophe naturelle. Aucune souplesse fiscale n’a été proposée aux entreprises sinistrées et aux particuliers.

Plus que jamais, monsieur le ministre, les sinistrés gardois attendent avec impatience la position et les propositions du Gouvernement pour que la reconstruction puisse s’engager avec de vraies chances de réussite. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire.

M. Nicolas Sarkozy, ministre d’État, ministre de l’intérieur et de l’aménagement du territoire. Monsieur le député, je vous trouve particulièrement injuste. De graves inondations ont eu lieu entre le 5 et le 9 septembre. Je suis venu le 9. J’ajoute que personne ne s’est plaint de la façon dont l’État a géré les conséquences des graves inondations de 2002 et de 2003. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Il faut donc en conclure que nous n’avons pas dû pas si mal les gérer ! Des conséquences ont été tirées, et cette fois-ci, fort heureusement il n’y a eu aucune victime. D’abord parce que des investissements ont commencé à être réalisés, ensuite parce que le travail avec Météo France s’est considérablement amélioré, et enfin parce que tous les élus ont créé des conditions d’alerte qui permettent de prévenir en amont la population. Je rends d’ailleurs hommage au conseil général du Gard, qui a parfaitement bien travaillé avec l’État.

Il est vrai que cette région est particulièrement sinistrée, mais il serait injuste de dire que rien n’a été fait. Je mets ces propos sur le compte de la colère ou de la peur rétrospective. En tout cas, je ne les mets pas sur le compte de l’équité.

J’avais promis qu’avant la fin du mois suivant, l’état de catastrophe naturel serait décrété. La commission vient de se réunir : 209 communes seront déclarées en état de catastrophe naturelle, dont quatre-vingt-trois dans votre département. L’arrêté sera publié dans deux ou trois jours.

La procédure prévoit ensuite qu’une mission interministérielle sur les calamités intervienne pour aider les collectivités qui ne pourraient pas faire face à la réparation de toutes les infrastructures emportées par les inondations. Le niveau de la subvention varie alors entre 20 et 70 %, selon la gravité des dégâts. Je ne vois pas comment le ministre de l’intérieur pourrait déterminer la gravité des dégâts avant que la mission se soit rendue sur place. C’est ce qu’elle fera dans quelques jours. Le mieux que vous puissiez faire, monsieur le député, c’est donc d’être solidaire de l’État, d’être responsable et raisonnable. En tout cas, nous, nous ferons notre travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

Emploi des seniors

M. le président. La parole est à M. Gérard Dubrac.

M. Gérard Dubrac. Ma question s’adresse à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes.

Monsieur le ministre, le Gouvernement a engagé une lutte sans merci contre le chômage. Il est entièrement mobilisé pour favoriser l’activité de nos concitoyens. À cet effet, le Gouvernement a mis en œuvre un plan de développement au service de la personne ; il a également créé des maisons de l’emploi et redynamisé l’apprentissage. Dans la même optique, pour ne citer que ces exemples, le Gouvernement a lancé le contrat nouvelles embauches ou encore la convention de reclassement personnalisée.

M. Maxime Gremetz. C’est une catastrophe !

M. Gérard Dubrac. Parmi toutes les pistes explorées par le Gouvernement, l’importante question de l’emploi des seniors se pose plus en plus, dans le secteur privé comme dans le secteur public. Ce sujet devra donc être traité aussi bien au cours des négociations sociales que par les politiques publiques. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Les seniors sont des forces vives et des énergies utiles à la société. Or beaucoup d’entre eux, en pleine force de l’âge, se retrouvent soudainement sans activité, avec le sentiment pénible de ne plus être utiles à la société.

Le plan de cohésion sociale que nous avons adopté il y a quelques mois comportait un volet spécifique sur l’emploi des seniors et prévoyait le lancement de négociations avec les partenaires sociaux Aussi, monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire où en est le Gouvernement sur ce dossier et comment il entend favoriser l’activité de nos aînés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et du groupe Union pour la démocratie française.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes.

M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Monsieur le député, notre pays est avec l’Autriche, l’Italie et le Luxembourg, l’un de ceux où le taux d’activité des seniors est le plus bas. Pourquoi ? Parce que, pendant une trentaine d’années, une sorte de consensus national – entreprises, syndicats, État – a fait que l’âge est apparu comme la variable d’ajustement des plans sociaux. Nous avions tendance à penser que, lorsqu’un senior s’en allait, un jeune prenait sa place.

L’exemple de la Suède ou celui de la Finlande démontrent tout le contraire. Dans ces pays en effet, qui ont su réduire le chômage, les taux d’emploi des seniors sont tout à fait exceptionnels. C’est le cas notamment en Suède, où le taux d’activité des plus de cinquante-cinq ans est de 69 %.

Vous me demandez ce qu’a fait le Gouvernement depuis l’engagement de 2002.

M. Albert Facon. Rien !

M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Un certain nombre de dispositifs législatifs ont été votés, dans le cadre de la loi portant réforme des retraites d’août 2003, de celle de mai 2004 relative à la formation professionnelle tout au long de la vie, et de la loi de cohésion sociale. Ces dispositifs sont autant d’outils à la disposition des partenaires sociaux, à qui il reviendra de leur donner vie. Ceux-ci se retrouvent d’ailleurs ce soir pour une septième séance de négociations sur ce dossier tout à fait essentiel.

Avec Jean-Louis Borloo, Xavier Bertrand et Philippe Bas, nous proposerons, à la suite de l’accord qui résultera, nous l’espérons, de ces négociations, un plan national d’action, bâti autour de trois grandes idées.

La première est celle du maintien dans l’emploi, à travers la promotion de la formation continue et de l’organisation du travail tout au long de la vie, qui tiendra compte aussi des questions de santé au travail.

La deuxième est celle du retour à l’emploi, notamment au travers des contrats aidés du plan de cohésion sociale. La gestion du retour à l’emploi des seniors sera un des éléments majeurs du contrat de progrès que l’État passera avec l’ANPE dans les mois qui viennent.

La troisième est celle de l’aménagement de la fin de carrière, au travers notamment du temps partiel de fin de carrière.

Il s’agit de transformer l’idée que nous nous faisons des seniors : ceux-ci sont une chance pour l’activité de notre pays, surtout au moment où il connaît un retournement démographique. C’est une véritable révolution culturelle que nous devons engager ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Jean Glavany. Larcher maoïste !

politique familiale

M. le président. La parole est à M. Patrick Delnatte.

M. Patrick Delnatte. Monsieur le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, le 22 septembre dernier s’est tenue la conférence nationale de la famille, présidée par M. le Premier ministre, M. le ministre de la santé et des solidarités et M. le ministre de la famille. Elle a permis au Gouvernement de réaffirmer son attachement à la famille, à ses valeurs de solidarité, de fraternité et d’épanouissement.

Dans la poursuite de la politique menée depuis 2002, après un long travail de concertation avec les associations familiales et les partenaires socioprofessionnels, deux objectifs ont été avancés : renforcer le libre choix des familles et les accompagner dans leur usage des nouvelles technologies.

Le premier objectif tend à renforcer le libre choix de la famille, soit de travailler, soit de se consacrer à l’éducation des enfants. Il permet aussi de définir le mode de garde adapté à son mode de vie. Le groupe UMP est très attaché à la conciliation de la vie familiale avec la vie professionnelle. Trois mesures ont été retenues pour soutenir cette politique familiale dynamique : un congé parental à la carte, le renforcement de l’aide à l’accueil de la petite enfance et une carte « famille nombreuse » généraliste.

Le second objectif a pour objet d’accompagner les parents dans leur usage des technologies, et notamment de l’Internet à la maison. Les enfants doivent pouvoir bénéficier d’une protection spécifique, qui passe par la responsabilisation des parents et des acteurs du Net.

Les mesures annoncées font l’objet d’un large consensus, fruit d’un dialogue social riche et de qualité.

Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous faire part de la qualité de mise en œuvre de ces mesures, et du niveau de mobilisation financière dont elles feront l’objet ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille.

M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Monsieur le député, en diminuant, avec Xavier Bertrand, le déficit de la sécurité sociale de 25 % en 2006, nous dégageons les moyens nécessaires pour aller de l’avant sur d’autres politiques, et en particulier sur la politique familiale.

M. Philippe Vuilque. C’est un gag ?

M. Jean Glavany. Je rêve !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Les mesures prises par le Premier ministre au cours de la conférence de la famille pourront ainsi être mises en œuvre dès le début de l’année prochaine. Pour nous, en effet, la famille est essentielle : elle est essentielle pour le développement de l’enfant, bien sûr ; elle est essentielle aussi pour l’apprentissage de la citoyenneté et du civisme ; elle est essentielle encore pour la solidarité, la famille étant le lieu principal de la solidarité, avant même la protection sociale et l’aide de l’État. Elle est essentielle enfin pour le développement et le dynamisme de notre économie.

Avec les nouvelles marges que nous dégageons grâce à cette politique énergique de diminution des déficits de la sécurité sociale,…

Plusieurs députés du groupe socialiste. On rêve !

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. …nous voulons permettre aux familles d’avoir et d’élever le nombre d’enfants qu’elles souhaitent. C’est pourquoi, à la demande du Premier ministre, le projet de loi de financement de la sécurité sociale que nous vous présenterons dans quelques jours comportera les principales mesures d’application de la conférence de la famille.

C’est d’abord la création de 72 000 places de crèches entre 2002 et 2008 et la garantie d’une progression des crédits d’action sociale des caisses d’allocations familiales de 7,5 % par an pendant quatre ans.

C’est, deuxièmement, le financement de la prestation d’accueil du jeune enfant, qui bénéficiera, non pas seulement à 200 000 familles, comme il était prévu initialement, mais à 250 000 familles à l’horizon de l’année 2007.

Troisièmement, la carte « famille nombreuse » généraliste sera mise en place au début de l’année prochaine. Quatrièmement, la protection des mineurs sur l’Internet sera mise en œuvre à partir du début de l’année prochaine.

M. Albert Facon. Cinquièmement, sixièmement, septièmement…

M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Sera enfin mis en place le congé d’un an, accompagné d’une allocation de 750 euros par mois, destiné à permettre aux mères et aux pères qui s’arrêtent de travailler pendant un an de retrouver plus facilement un emploi que ce n’est le cas avec le congé de trois ans, qui éloigne durablement du marché du travail.

Le principe de notre politique familiale est clair et simple : aider le choix majoritaire des Françaises et des Français, qui est d’avoir deux revenus au foyer. C’est aujourd’hui la principale condition de l’essor de la famille, au-delà même du quotient familial et des allocations familiales. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à quinze heures cinquante, est reprise à seize heures vingt, sous la présidence de M. Éric Raoult.)

PRÉSIDENCE DE M. ÉRIC RAOULT,
vice-président

M. le président. La séance est reprise.

Rappel au règlement

M. le président. La parole est à M. Paul Quilès, pour un rappel au règlement.

M. Paul Quilès. Merci, monsieur le président, mais ce sera plutôt pour un fait personnel. Lors des questions au Gouvernement, M. Folliot, qui n’est plus dans l’hémicycle, m’a mis en cause d’une façon qui m’a choqué, comme d’ailleurs un certain nombre de nos collègues, tant pour la méthode que sur le fond.

Pour ce qui est de la méthode, je considère, comme nous devons tous le faire ici, qu’il n’est pas de mise dans notre assemblée de mettre en cause personnellement un collègue en séance sans qu’il puisse répondre, en citant des chiffres faux et en formulant des commentaires fielleux. Les règlements de comptes politiciens locaux n’ont rien à faire ici, à l’Assemblée nationale.

J’ai été choqué aussi sur le fond. Sans revenir sur l’objet de la discussion, il me semble que l’attaque de M. Folliot envers l’État relève d’une curieuse conception de la solidarité. Sans doute M. Folliot enrage-t-il de constater que, grâce aux efforts de l’État, de la région Midi-Pyrénées, du département du Tarn et des communes, les difficultés de démarrage du parc de Cap Découverte sont en voie de règlement. Comme l’a dit très justement le ministre tout à l’heure, tous les grands parcs de loisirs connaissent des difficultés, qu’il s’agisse de Vulcania, de Micropolis ou de la Cité de l’Espace à Toulouse. Le travail accompli de façon responsable par les différents partenaires permettra de répondre à ces difficultés.

Pour conclure, les communes minières du bassin de Carmaux apprécieront le peu de cas que fait de leur sort ce député du Tarn. Au lieu de dénigrer, M. Folliot ferait mieux de promouvoir par des actes cet équipement d’intérêt régional qui a déjà largement contribué à améliorer la situation de l’emploi dans cette région – car tel est bien notre objectif.

M. le président. Merci, monsieur Quilès. Il est pris acte de votre rappel au règlement.

Traitement de la récidive
des infractions pénales

Discussion, en deuxième lecture,
d’une proposition de loi

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales (nos 2093, 2452).

La parole est à M. le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Gérard Léonard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le ministre de la justice, mes chers collègues, je souhaite engager ce débat en évoquant simplement quelques dates.

Avril 2004 : création, à l’initiative de Pascal Clément, alors président de la commission des lois de notre assemblée, de la mission d’information sur le traitement de la récidive des infractions pénales.

Juillet de la même année : dépôt du rapport de la mission, après plus de trois mois de travaux et près de vingt-cinq auditions. Je tiens à rappeler aux oublieux que les conclusions de ce rapport ont été adoptées à la quasi-unanimité de la commission, le groupe socialiste ayant fait état de son « abstention constructive ».

Décembre 2004 : adoption en première lecture par notre assemblée de la proposition de loi directement issue des travaux de la mission et mettant fidèlement en œuvre celles de ses recommandations qui étaient de nature législative.

Février 2005 : vote de la proposition de loi par le Sénat en première lecture.

Enfin, en octobre 2005, après son examen en juillet dernier par notre commission des lois, examen en deuxième lecture par notre assemblée de la proposition de loi qui nous réunit cet après-midi – près de dix-neuf mois après la création de la mission.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Très bien !

M. Gérard Léonard, rapporteur. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, cette brève genèse de la proposition de loi sur la récidive parle d’elle-même. Oui, cette proposition de loi est issue d’une réflexion approfondie, fondée sur un diagnostic solide et incontesté du phénomène de la récidive. Non, elle n’est pas une initiative hâtive et dictée sous le coup de l’émotion, aussi légitime soit-elle.

Car enfin, avec 31 % de récidivistes, qui peut contester que notre appareil répressif soit confronté à de réelles difficultés ? Qui peut nier que ce sont ces difficultés qui expliquent la préoccupation, voire l’exaspération, souvent manifestée par nos concitoyens qui subissent quotidiennement les conséquences de ces dysfonctionnements, s’interrogent sur leurs causes et s’inquiètent du sentiment d’impunité qu’ils nourrissent chez les délinquants ? Cette situation est d’autant plus paradoxale que, depuis deux ans, grâce à l’action déterminée menée par le Gouvernement, et en particulier sous l’impulsion de Nicolas Sarkozy, la délinquance ne cesse de diminuer.

Mme Élisabeth Guigou. Pas pour les violences sur les personnes !

M. Gérard Léonard, rapporteur. Aborder la question de la récidive des infractions pénales, c’est donc manifester la volonté d’engager le second acte de la lutte contre l’insécurité en s’attaquant au noyau dur de la délinquance – aux personnes qui, en dépit de sanctions considérablement renforcées, persistent dans leurs habitudes criminelles.

Se saisir de cette question, c’est aussi faire accéder à la sphère du débat public un phénomène peu connu, si ce n’est des seuls magistrats, policiers ou experts en criminologie. C’est donc faire œuvre de pédagogie démocratique, et notre commission des lois s’honore d’en avoir été à l’origine.

Son diagnostic est à la fois simple et précis.

Simple, parce qu’il tient en une phrase : la récidive est une réalité insuffisamment prise en considération aujourd’hui. Précis, parce que la mission a établi avec rigueur les manifestations de cette insuffisance à tous les stades de la chaîne pénale, du prononcé de la sanction à son exécution en milieu ouvert.

C’est forte de ce constat que notre assemblée avait adopté en première lecture la proposition de loi dont les dix-huit articles s’articulaient autour de deux axes : réprimer plus sévèrement les récidivistes et prévenir plus efficacement la récidive grâce à un meilleur suivi des condamnés les plus dangereux.

Et pourtant, c’est un euphémisme de dire que le Sénat a profondément modifié notre proposition de loi ! En effet, sur les dix-huit articles que comportait ce texte, seuls quatre ont été adoptés sans modification, le Sénat en ayant supprimé onze tout en en insérant six nouveaux. Je ne peux, en tant que rapporteur, que déplorer cette situation qui ne rend pas justice à l’important travail préparatoire mené par la commission des lois de notre assemblée.

Compte tenu de l’ampleur des modifications adoptées par le Sénat, je vous propose, dans un souci de clarté, de présenter d’abord les dispositions adoptées sans modification par la seconde assemblée, puis celles qui ont été supprimées, pour évoquer ensuite les articles ayant fait l’objet de modifications et aborder enfin les nouvelles dispositions introduites par le Sénat.

Les dispositions adoptées sans modification concernent les articles suivants :

L’article 1er, qui élargit les catégories de « délits assimilés ». Désormais, toute infraction de violences volontaires, ou commise avec la circonstance aggravante de violence, constitue une même infraction au sens de la récidive, qu’il s’agisse d’une infraction contre les personnes ou contre les biens.

L’article 3, qui a pour objet de limiter à deux le nombre des condamnations assorties du sursis avec mise à l’épreuve, ou SME, pouvant être prononcées à l’encontre d’un prévenu en situation de récidive, ce nombre étant abaissé à un seul SME lorsqu’il s’agit d’une récidive en matière de violence ou d’agression sexuelle. Il s’agit de rétablir ainsi la crédibilité de la sanction pénale en évitant, comme c’est malheureusement le cas aujourd’hui, que certains multiréitérants cumulent les SME dans d’importantes proportions.

Les articles supprimés par le Sénat sont l’article 5, qui prévoyait de limiter le crédit de réduction de peine accordé aux récidivistes, les articles 7 à 12, organisant la mise en œuvre du placement sous surveillance électronique mobile, ou PSEM, des criminels sexuels les plus dangereux, garantissant leur localisation sur l’ensemble du territoire national. Il convient de rappeler ici que l’article 7 introduisait une nouvelle section dans le code pénal, permettant à la juridiction de jugement de prononcer, « à titre de mesure de sûreté », le placement sous surveillance électronique mobile des personnes condamnées à une peine supérieure ou égale à cinq ans d’emprisonnement pour un crime ou un délit sexuels.

Il revenait à l’article 8 de prévoir la procédure organisant la mise en œuvre de cette mesure. Le dispositif proposé prévoyait que l’évaluation de la dangerosité par 1e juge de l’application des peines devait débuter au moins deux ans avant la levée d’écrou et que le placement sous surveillance électronique était ordonné par le tribunal de l’application des peines à titre de mesure de sûreté.

Le PSEM permettant la localisation précise de la personne, il pouvait également avoir un intérêt dans le cadre du suivi socio-judiciaire. C’est pourquoi, l’article 12 en faisait une des modalités de l’exécution de ce suivi.

C’est parce qu’il a jugé « prématuré, compte tenu des incertitudes techniques et juridiques soulevées par [le PSEM] de fixer, d’ores et déjà, dans notre droit pénal, un cadre juridique spécifique pour ce dispositif » que le Sénat a supprimé ces dispositions.

Toutefois, et cela peut sembler paradoxal, la seconde assemblée a néanmoins organisé le recours au bracelet GPS, mais dans le cadre de la libération conditionnelle assortie du suivi socio-judiciaire, qui fait l’objet de l’article 8 bis A nouveau. Je ne peux, en tant que rapporteur, qu’exprimer ici ma perplexité en constatant qu’une mesure considérée comme prématurée lorsque l’initiative vient de l’Assemblée nationale ne l’est plus si la proposition émane du Sénat.

Ce paradoxe – vous m’autoriserez cette incise – évoque ce mot bien connu de Pascal : « Vérité au-delà des Pyrénées, erreur en deçà ».

M. Christophe Caresche. C’est le Sénat qui est dans l’erreur ?

M. Gérard Léonard, rapporteur. J’ose simplement exprimer ici le vœu que, sur un tel sujet, le jardin du Luxembourg ne se transforme pas en chaîne montagneuse séparant nos deux assemblées.

M. Christophe Caresche. Il va avoir du mal à se faire élire au Sénat !

M. Gérard Léonard, rapporteur. Sur le fond, le dispositif proposé par le Sénat est fort différent de celui que proposait l’Assemblée nationale. En effet, ce dernier tendait à placer sous PSEM les délinquants sexuels les plus dangereux, ceux qui refusent trop souvent de se plier aux mesures de contrôle et d’assistance prévues dans le cadre de la libération conditionnelle.

Prévoir le placement sous surveillance électronique mobile dans le cadre de la libération conditionnelle représente donc une proposition certes intéressante et dont votre rapporteur accepte le principe, mais qui est étrangère à l’objectif poursuivi par notre assemblée.

M. Guy Geoffroy. C’est insuffisant.

M. Gérard Léonard, rapporteur. Autre suppression du Sénat, l'article 16, qui permettait de placer sous surveillance électronique les délinquants sexuels dont la condamnation est définitive au moment de la publication de la proposition de loi, le Sénat excipant d’une inconstitutionnalité discutable.

Quant aux dispositions modifiées par la seconde assemblée, il s'agit des articles suivants : l'article 2, définissant à droit constant la réitération d'infractions, le rapporteur de la commission des lois du Sénat ayant fait part de sa crainte que ces dispositions n'entraînent le droit pénal français « vers un système à l'américaine » ; l'article 4, prévoyant l'incarcération, dès le prononcé de la peine, des personnes en état de récidive légale en matière sexuelle ou pour des faits de violence quel que soit le quantum de la peine prononcée, le Sénat ouvrant en effet au juge la faculté, et non l'obligation, de décerner un mandat de dépôt, tout en lui permettant de le faire pour tous les cas de récidive.

Enfin, s'agissant des articles nouveaux introduits par le Sénat, ils ont pour objet d'organiser le PSEM dans le cadre de la libération conditionnelle assortie du suivi socio-judiciaire, ainsi que votre rapporteur a eu l'occasion de le rappeler – c’est l’article 8 bis A –, d'autoriser le médecin traitant agréé à cette fin à prescrire au condamné, à condition qu’il l'accepte par écrit, un traitement utilisant des médicaments entraînant une diminution de la libido – c’est l’article 13 bis.

Confronté au nombre et à la portée des différences séparant les deux assemblées, votre rapporteur a entendu procéder avec pragmatisme et détermination.

Avec pragmatisme tout d'abord, car plusieurs des dispositions nouvelles introduites par le Sénat ou des modifications apportées par la seconde assemblée constituent des propositions constructives qui doivent être adoptées par notre assemblée. Tel est le cas des dispositions relatives à la libération conditionnelle assortie du suivi socio-judiciaire. Tel est également le cas des dispositions autorisant le médecin à prescrire des médicaments inhibant la libido du condamné.

Mais le pragmatisme n’exclut pas la détermination, car il ne saurait être question d’abandonner notre volonté d’améliorer l’évaluation de la dangerosité des condamnés afin de renforcer leur suivi après leur sortie de détention, notamment grâce au recours au PSEM. C’est pourquoi votre rapporteur plaide pour le rétablissement de la majeure partie des dispositions adoptées par notre assemblée en première lecture, qu’il s’agisse de la limitation du crédit de réduction de peine pour les récidivistes ou encore de l’incarcération dès le prononcé de la peine des récidivistes violents ou sexuels, sauf bien sûr si le juge en décide autrement.

S'agissant des articles relatifs au PSEM, votre rapporteur est convaincu du fait que cette mesure ne sera pleinement efficace comme mesure de sûreté que si la personne concernée bénéficie d'un encadrement et d'un suivi renforcé, ce qu’a parfaitement démontré notre collègue, Georges Fenech dans son excellent rapport sur le sujet.

M. Guy Geoffroy. Tout à fait !

M. Gérard Léonard, rapporteur. C’est pourquoi, et comme l'avait proposé notre assemblée en première lecture mais de façon incomplète, le PSEM trouvera sa pleine efficacité dans le cadre du suivi socio-judiciaire qui, grâce à ses différentes mesures de contrôle et d'assistance, permettra de s'assurer du suivi des condamnés les plus dangereux à leur sortie de détention. À ce propos, compte tenu du caractère restrictif du champ d'application du suivi socio-judiciaire, ce dernier doit être élargi aux auteurs de meurtre, d’assassinat, de séquestration et d’enlèvement, comme l’a décidé la commission des lois à l’initiative de son président.

Par ailleurs, la commission, toujours à l’initiative de son président, a poursuivi sa réflexion en enrichissant le texte de la proposition de loi par de nouvelles dispositions tendant, notamment, à étendre le champ d'application du SME et la durée de la mise à l’épreuve, à supprimer l'obligation de motivation spéciale des jugements prononçant une peine d'emprisonnement ferme en matière correctionnelle, ou encore à offrir la possibilité pour la cour d'assises de porter à vingt-cinq ans la durée de la période de sûreté – c’est un amendement de notre collègue Georges Fenech.

Enfin, votre rapporteur considère qu'exclure tous les condamnés sexuels dont le jugement sera définitif au moment de la publication de la présente loi de toute forme de suivi, notamment du PSEM, n'est pas responsable. En effet, il faut avoir présent à l'esprit que près de 40 % des détenus entrant en détention aujourd'hui sont des délinquants sexuels et que plus de 5 000 condamnés incarcérés sont des violeurs. Or chacun sait que certaines de ces personnes, si elles ne sont pas suivies, sont de véritables bombes à retardement pour la société car elles récidiveront. Face à ce problème, il n'est pas de réponse aisée, mais j'ai néanmoins la ferme conviction qu'il est de notre devoir de tenter d'en élaborer une. La commission des lois l'a fait en considérant que le PSEM, par la contrainte psychologique qu'il exercera sur le condamné, préviendra certains passages à l'acte. À ce titre, le PSEM n’est pas une peine mais une mesure de sûreté destinée à prévenir le renouvellement d’infractions et à faciliter l’identification de leurs auteurs. De ce fait, le PSEM peut être assimilé à une mesure de police à laquelle le principe de non-rétroactivité de la loi pénale n’est pas opposable, comme l’a admis le Conseil constitutionnel à propos du FIJAIS, le fichier des délinquants sexuels. En effet, le Conseil a reconnu la constitutionnalité de ce fichier qui, lui aussi, emporte des obligations nouvelles pour des personnes dont la condamnation est définitive, voire exécutée en totalité au moment de l'entrée en vigueur de la loi, et dont le non-respect est constitutif d'une infraction passible d'une peine d'emprisonnement. Un autre élément de réponse est apporté par la proposition du Gouvernement de créer une « surveillance judiciaire » que le garde des sceaux a évoquée en détail et sur laquelle bien sûr nous reviendrons.

En définitive, peu importe quelle solution sera finalement retenue par le législateur, car ce qui doit guider nos choix, c'est avant tout et par-dessus tout l'efficacité la plus grande au service des victimes passées et le souci absolu d'en éviter de nouvelles. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux, ministre de la justice.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, vous examinez aujourd'hui en deuxième lecture la proposition de loi relative au traitement de la récidive que vous avez adoptée en décembre 2004 et qui a été adoptée en février 2005 par le Sénat.

L'importance de ce texte n'échappe à personne. Il est important dans la mesure où il lutte contre la récidive, spécialement pour les crimes les plus graves, ce qui constitue une mission essentielle de l'institution judiciaire.

Nous en sommes tous ici conscients : il s'agit d'un sujet douloureux et complexe ; notre objectif à tous est de protéger la société contre les criminels. Cette question présente évidemment à mes yeux une particulière importance. Dans mes précédentes fonctions de président de la commission des lois, j'ai été à l'origine, comme l’a rappelé très aimablement votre rapporteur, de la création de la mission d'information sur le traitement de la récidive, et de l'élaboration de cette proposition de loi. J'ai la responsabilité de la suivre aujourd'hui, au nom du Gouvernement, comme garde des sceaux.

M. Gérard Léonard, rapporteur. Très bien !

M. le garde des sceaux. Si vous me le permettez, je voudrais d’abord examiner l'état du texte qui résulte des premières lectures à l'Assemblée et au Sénat. Ensuite, je souhaite rappeler les dispositions ayant fait l'objet d'un accord entre les deux chambres, puis les améliorations qui devront résulter, sur des points divers, de cette deuxième lecture, du fait notamment des amendements de votre commission et de ceux du Gouvernement, dont la plupart ont été adoptés par votre commission en juillet dernier ; enfin, les principales innovations qu'apporte cette proposition de loi en matière de surveillance des condamnés après leur libération, notamment les dispositions concernant le placement sous surveillance électronique mobile, appelé plus couramment « le bracelet électronique mobile ».

Sur de nombreux points, des dispositions de nature à améliorer le traitement de la récidive ont été adoptées, en tout ou partie, en des termes conformes par les deux chambres, et il convient de s'en féliciter.

Je pense tout d'abord à l'extension des délits assimilés au regard de la récidive : traite des êtres humains et proxénétisme, violences et délits avec la circonstance aggravante de violences. Cela signifie notamment qu'une personne condamnée pour vol avec violences, qui commet ensuite des violences volontaires, sera considérée comme récidiviste, ce qui n'est pas le cas actuellement.

Je pense également à la limitation du nombre des sursis avec mise à l'épreuve pouvant être accordés à un récidiviste. Ainsi, un récidiviste ayant déjà bénéficié d'un sursis avec mise à l'épreuve ne pourra à nouveau bénéficier de cette mesure qu'une seule fois. S'il s'agit de faits de violences, il ne pourra pas avoir droit à nouveau au sursis avec mise à l’épreuve.

Je me félicite aussi de la possibilité donnée au tribunal de relever d'office l'état de récidive, à condition que le prévenu puisse, en présence de son avocat, s'expliquer sur cette circonstance aggravante. Actuellement, si le parquet n'a pas visé la récidive dans l'acte de poursuite, il est en pratique impossible d'en tenir compte lors de l'audience.

Il convient enfin de citer les diverses améliorations concernant le suivi socio-judiciaire, qui ont déjà fait l'objet d'un vote conforme. Un accord est ainsi intervenu sur la reconnaissance du rôle des psychologues, sur l'extension du suivi socio-judiciaire à d'autres infractions comme les tortures et actes de barbarie, sur la consécration législative des traitements chimiques inhibant la libido, qui sont actuellement insuffisamment employés faute d'être expressément autorisés par la loi.

Cette deuxième lecture est toutefois l'occasion de renforcer la lutte contre la récidive en améliorant le texte sur de nombreux autres points.

Votre commission des lois, dont il convient de souligner l'excellence du travail, notamment celui de son rapporteur Gérard Léonard,…

M. Guy Geoffroy. Tout à fait !

M. le garde des sceaux. …aidé depuis le mois de juillet par son président, Philippe Houillon, a adopté, sur la proposition de ce dernier et d'autres membres de votre commission, un certain nombre d'amendements qui reçoivent dans leur principe l'accord du Gouvernement. Ces amendements, soit reprennent des dispositions qui figuraient dans le texte initial, soit complètent utilement celui-ci. Je pense notamment aux amendements relatifs aux peines ou à leur prononcé. Ceux-ci prévoient l'obligation de décerner un mandat de dépôt à l'audience pour les récidivistes violents, sauf décision motivée de la juridiction, la diminution du crédit de réduction de peine pour les récidivistes, l'inscription dans le code pénal des objectifs de la peine, notamment celui de prévenir la récidive ou la réitération, ainsi que la consécration du principe selon lequel il est tenu compte des précédentes condamnations pour apprécier la sévérité de la sanction, ou encore la possibilité d'augmenter la durée des emprisonnements assortis d'un sursis avec mise à l'épreuve, ainsi que la durée de l'épreuve, lorsqu'il s'agit d'un récidiviste.

J'ai pour ma part déposé plusieurs amendements, adoptés par votre commission des lois, afin de renforcer l'efficacité et la cohérence de la lutte contre la récidive. Il s'agit des amendements concernant la prise en compte pour la récidive des condamnations étrangères prononcées dans les États de l'Union européenne ; l'obligation d'une expertise tous les six mois des condamnés ayant bénéficié d'une suspension de peine pour raisons médicales en matière criminelle – la loi Kouchner ; l'augmentation du délai d'épreuve de la libération conditionnelle pour les récidivistes condamnés à trente ans de réclusion criminelle ou à la réclusion à perpétuité ; la possibilité pour l'avocat de la partie civile d'intervenir devant le tribunal de l'application des peines, notamment en cas de demande de libération conditionnelle ; l'extension des dispositions relative au fichier des auteurs d'infractions sexuelles aux auteurs de tortures, ou aux auteurs de meurtre ou d’assassinat commis en récidive, cette extension devant renforcer l'efficacité de ce fichier qui fonctionne depuis le mois de juin dernier ; la consécration législative des fichiers d'analyse criminelle utilisés par la police judiciaire pour identifier les criminels en série. Je reviendrai bien sûr de façon détaillée sur ces différents amendements lors de leur examen.

J'en viens maintenant aux dispositions les plus novatrices de la proposition de loi.

Le placement sous surveillance électronique permettra de localiser un condamné à sa sortie de prison. À la différence du bracelet électronique actuel, le bracelet électronique mobile n'interdira pas au condamné de se déplacer. Mais il alertera les autorités si la personne se rend dans un endroit qui lui est interdit et, si un crime est commis quelque part, il permettra de savoir si la personne se trouvait sur les lieux.

C'est donc dans son principe un instrument de lutte contre la récidive, dont l'efficacité a été soulignée par les différents experts que la commission des lois a pu rencontrer.

Vous savez que certaines dispositions adoptées par l'Assemblée nationale en première lecture n'ont pas été retenues par le Sénat. Il n'a accepté le bracelet électronique mobile que comme une modalité de la libération conditionnelle.

Mon prédécesseur, Dominique Perben, avait confié à M. Georges Fenech une mission de réflexion sur cette question délicate. Les conclusions de son rapport, très riche et très complet, et dont je veux ici souligner la grande qualité, ont en partie inspiré votre rapporteur et votre commission.

Il est désormais proposé que le placement sous surveillance électronique mobile constitue une mesure de sûreté prononçable dans le cadre d'un suivi socio-judiciaire. Cette solution me paraît tout à fait pertinente et doit être approuvée, de même que les modalités pratiques d'octroi ou de mise en œuvre du bracelet électronique mobile.

En particulier, la mesure de placement sous surveillance électronique ne pourra être ordonnée que si la personne a été condamnée à au moins cinq ans d'emprisonnement et si sa dangerosité a été constatée par une expertise.

De même, la surveillance électronique ne pourra durer que trois ans en matière délictuelle, et cinq ans en matière criminelle, renouvelable une fois, la durée et le renouvellement de la mesure étant décidés par le juge de l'application des peines, après expertise et avis d'une commission pluridisciplinaire.

Enfin, le placement sous surveillance électronique mobile pourra également être ordonné dans le cadre d'une libération conditionnelle, comme le prévoyait le Sénat.

La proposition la plus importante de votre commission est l'inscription de la surveillance électronique mobile dans le cadre du suivi socio-judiciaire ; il me semble nécessaire de revenir sur cette mesure. 

Celle-ci constitue actuellement un des outils juridiques les plus adaptés pour lutter contre la récidive en matière d'infractions sexuelles ou d'infractions qui supposent que leurs auteurs présentent des troubles de la personnalité susceptibles de faire l'objet d'un traitement médical. C'est d'ailleurs pour cela que je propose d'étendre le suivi socio-judiciaire aux auteurs d'incendies volontaires.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le garde des sceaux. J'en profite pour rendre hommage à mes deux prédécesseurs qui sont à l'origine de cette mesure : Jacques Toubon, qui avait déposé en 1997 un projet de loi instituant l'ancêtre de cette mesure, le suivi médico-social, et Élisabeth Guigou, qui a repris, précisé et mené à bien cette réforme, dans sa loi du 17 juin 1998.

Vous savez toutefois que depuis sa création, le suivi socio-judiciaire se heurte à des difficultés d'application. C'est pourquoi la proposition de loi permet aux médecins coordonnateurs de désigner des psychologues, et non plus seulement des psychiatres, pour suivre les condamnés.

C'est également la raison pour laquelle un groupe de travail pluridisciplinaire a été mis en place depuis dix-huit mois au ministère de la justice. Après avoir procédé à une évaluation de la situation, ce groupe est en train d'achever un guide méthodologique qui sera diffusé au début de l'année 2006 afin de servir de support à la formation, au niveau régional, de l’ensemble des acteurs du dispositif, magistrats, médecins, fonctionnaires de l'administration pénitentiaire et de la protection judiciaire de la jeunesse.

J'ai par ailleurs saisi, le 28 septembre dernier, mon collègue Xavier Bertrand, pour lui demander de renforcer le nombre des médecins coordonnateurs en revalorisant les indemnités qui leur sont dues et en augmentant de quinze à trente le nombre de dossiers qu'ils sont habilités à suivre.

L'amélioration des conditions de mise en œuvre du suivi socio-judiciaire qui résultera ainsi de l'action du Gouvernement renforcera la cohérence des modifications législatives opérées par la présente proposition de loi.

J'en viens maintenant à la nouvelle mesure que je souhaite proposer dans le cadre de ce texte : la surveillance judiciaire.

Je crois qu'il existe un consensus sur l'objectif à atteindre : il est nécessaire de permettre un contrôle, après leur libération, des personnes condamnées pour des crimes particulièrement atroces et qui présentent toujours un fort risque de récidive. Or la libération conditionnelle est par nature inenvisageable en l'espèce, et le suivi socio-judiciaire n'a souvent pas été prononcé, notamment lorsque les faits ont été commis avant 1998, date de promulgation de la loi.

Ce contrôle après la sortie de prison doit, le cas échéant, pouvoir consister en un placement sous surveillance électronique mobile, mais également comporter d'autres obligations, comme celles de suivre un traitement médical ou de ne pas fréquenter certains lieux.

Ce contrôle doit pouvoir s'appliquer à des personnes condamnées avant l'entrée en vigueur de la proposition de loi, dans la mesure où il respecte les exigences constitutionnelles.

Pour atteindre cet objectif, votre commission des lois a proposé en juillet dernier une solution similaire à ce qui avait été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale. Cette solution donne au juge de l'application des peines la possibilité de prononcer une mesure de placement sous surveillance électronique des personnes condamnées pour des faits commis avant la nouvelle loi. Cette proposition n'était valable, constitutionnellement, que parce qu'il s'agissait d'une mesure de sûreté, et non d'une peine, comme l'ont reconnu d'éminents juristes, venant de tous les rangs.

Mais, soucieux de lever tout doute constitutionnel, j'ai voulu présenter un dispositif plus complet qui insère le bracelet électronique dans une mesure globale de surveillance judiciaire.

M. Guy Geoffroy. Très bien !

M. le garde des sceaux. Je propose ainsi de créer une nouvelle modalité d'application d'une peine déjà prononcée, permettant de surveiller un condamné à sa sortie de prison et pour une durée égale aux réductions de peine dont il aura bénéficié.

Le juge de l'application des peines pourra, après expertise médicale et à seule fin de prévenir la récidive, ordonner le placement sous surveillance judiciaire d'une personne condamnée à dix ans ou plus d'emprisonnement qui s'apprête à sortir de prison. Cette mesure de surveillance ne pourra être ordonnée que pour une durée égale aux réductions de peines dont le condamné aura bénéficié. Outre le bracelet électronique, les obligations imposées aux condamnés pourront consister en l'obligation de se soigner ou l'interdiction de fréquenter certains lieux.

En cas de non-respect de ces obligations, le juge pourra ordonner le retrait des réductions de peine, ce qui conduira à l'incarcération de la personne suivie.

Il est alors clairement constitutionnel de prévoir l'application immédiate du placement sous surveillance judiciaire aux condamnations en cours d'exécution, dans la mesure où il ne s'agit pas d'une peine, mais d'une modalité d'application d'une peine, et parce que les obligations imposées au condamné ne présenteront pas un caractère de sanction, mais sont uniquement destinées à prévenir la récidive. Le placement sous surveillance électronique mobile n'excédant pas la durée initiale de la condamnation, il ne pourra donc pas être assimilé à une peine supplémentaire.

Comme vous le voyez, cette deuxième lecture sera l'occasion d'approfondir un débat particulièrement riche, qui met en évidence l'utilité de la complémentarité des initiatives parlementaires et gouvernementales pour régler des questions de société dont l'importance est considérable.

Certes, la loi, aussi perfectionnée qu'elle puisse être, et les acteurs de l'institution judiciaire, aussi motivés et compétents qu'ils soient, ne pourront jamais empêcher toute récidive. Mais il est de notre responsabilité de faire le maximum, dans les limites d'un État de droit soucieux de respecter la dignité de la personne et les libertés individuelles, pour réduire autant que possible ce risque de récidive, spécialement lorsqu'il s'agit de crimes causant des dommages irréparables. Nous devons cela aux justiciables, nous devons cela aux victimes, dont la défense des intérêts doit rester un des soucis constants du législateur et du Gouvernement.

Cela suppose que la justice fasse preuve, à l'égard des récidivistes, de la fermeté nécessaire, et qu'à l'égard des primo-délinquants comme de ceux qui ont déjà récidivé elle mette en place, dès lors qu'un risque de récidive est avéré, les mesures de surveillance et de contrôle appropriées après la libération des personnes, en utilisant pleinement les progrès de la science, tant au plan médical qu'au plan technique.

C'est très précisément ce qu'a fait la loi du 17 juin 1998 avec le suivi socio-judiciaire et l'injonction de soins.

C'est très précisément ce que poursuit la présente proposition de loi, avec notamment le placement sous surveillance électronique mobile et, comme je le propose maintenant, le placement sous surveillance judiciaire.

Je vous demande donc, avec conviction et fermeté, d'adopter ce texte avec les amendements de votre commission des lois et ceux déposés par le Gouvernement. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, jamais la responsabilité du législateur n’est aussi grande que lorsqu’il est appelé à légiférer pour protéger la vie et assurer le respect de l'intégrité de la personne humaine. Il lui faut apporter les réponses attendues et adaptées, sans céder aux passions et aux émotions.

Alors que de récentes affaires ont dramatiquement attiré l'attention sur la récidive des infractions pénales, et plus spécialement des délinquants sexuels, il lui appartenait tout d'abord de prendre la mesure de ce phénomène, insupportable non seulement pour les victimes, évidemment, mais aussi parce qu'il est le signe d'un échec. C'est fort de ce constat qu'il peut, qu'il doit ensuite prendre ses responsabilités et adopter les mesures adéquates.

Pour ne prendre que cet exemple, si le nombre de détenus condamnés pour un crime ou un délit sexuel a doublé en dix ans, la récidive en ce domaine est en moyenne d'environ 2 %. Le risque de voir des violeurs récidiver est donc certain, mais le nombre de récidivistes potentiels n'est pas tel qu'il empêche de trouver les voies et moyens législatifs nécessaires pour tenter de le réduire à néant ou, à tout le moins, de le réduire très substantiellement, l’honnêteté commandant de dire que le risque zéro n'est jamais définitivement acquis.

Si j'ai souhaité intervenir au début de ce débat, ce n'est pas pour redire ce que M. le garde des sceaux et M. le rapporteur ont parfaitement exposé, ou me substituer aux orateurs inscrits dans la discussion générale, mais pour souligner l'apport juridique des travaux de la commission des lois.

Face à un texte profondément modifié par le Sénat, nous avons, au mois de juillet dernier, examiné à nouveau avec attention l'ensemble du dossier. À cette occasion, nous avons, bien évidemment, réétudié la question du placement sous surveillance électronique mobile, le fameux bracelet électronique.

Nous l'avons intégré dans le cadre du suivi socio-judiciaire mis en place depuis 1998 : le recours à cette mesure est possible pour les auteurs de crime ou délit sexuel lorsque la juridiction a prononcé un suivi socio-judiciaire. Le PSEM est alors ordonné dans ce cadre « à titre de mesure de sûreté » et non de peine. Encore faut-il préciser qu'il n'est applicable qu'à l’encontre d'une personne condamnée à une peine d'emprisonnement importante – cinq ans selon la commission, dix selon le Gouvernement –, dont une expertise médicale a constaté le risque de récidive, et lorsque cette mesure apparaît indispensable pour la prévenir.

Pour compléter le dispositif et afin d'en assurer l'efficacité, nous avons prévu, à titre transitoire, la possibilité de placer sous surveillance électronique mobile des criminels et délinquants sexuels dont la condamnation est définitive. Comme le Conseil constitutionnel l'a admis pour le FIJAIS, nous avons estimé que le placement sous surveillance électronique n'était ni une peine ni une sanction, mais une simple mesure de sûreté, destinée à prévenir le renouvellement d'infractions. Dès lors, le principe constitutionnel de non-rétroactivité de la loi pénale ne lui est pas applicable. Un éminent professeur de droit constitutionnel, observateur avisé et peu suspect de complaisance à l'égard de l'actuelle majorité, s'est fait récemment l'écho de cette analyse, et sans doute est-ce à cela que vous faisiez allusion, monsieur le garde des sceaux…

Dans un souci de précision prolongeant les initiatives de la commission tendant à renforcer le contrôle des condamnés les plus dangereux après leur libération, le Gouvernement nous a proposé, cet après-midi, un nouveau dispositif ayant la même finalité et dénommé « surveillance judiciaire », qui encadre encore davantage.

Cette surveillance s'adresse aux personnes condamnées à une peine de plus de dix ans d'emprisonnement pour un crime ou un délit pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru, à savoir les délinquants sexuels ou les criminels violents. Dans ce cadre, le juge de l'application des peines pourrait – si le texte est voté – imposer au condamné, outre le port du bracelet comme le proposait la commission des lois, un suivi médical ou l'interdiction de se rendre dans certains lieux ou de rencontrer la victime, pour ne citer que ces quelques exemples.

Ce dispositif, plus complet que celui de notre commission, serait prononcé par le JAP pour toute la durée correspondant à celle des réductions de peines accordées au condamné ; il sera donc mis en œuvre entre la libération du condamné grâce aux réductions de peine et la fin de la peine initialement prononcée par la juridiction de jugement.

L'idée d'imposer des mesures de contrôle aux condamnés libérés grâce au crédit de réduction de peine n'est pas nouvelle puisque l’article 721-2 du code de procédure pénale, introduit par la loi du 9 mars 2004, autorise déjà le juge de l'application des peines à interdire au condamné libéré de rencontrer la partie civile ou encore à lui imposer d'indemniser la partie civile. Je vous rappelle que, saisi de cette loi, le Conseil constitutionnel n'a émis aucune réserve sur ce point.

L'amendement du Gouvernement sur la « surveillance judiciaire » poursuit donc dans cette logique, dont s'inspire également l'amendement n° 66, déposé par M. Caresche, qui offre au juge de l'application des peines la faculté d'enjoindre au condamné libéré, grâce aux différentes réductions de peine, de suivre un traitement médical ou psychologique.

Ces modifications législatives sont possibles car, si la réduction de peine ordinaire est accordée à chaque condamné incarcéré et calculée sur la durée de sa condamnation, elle n'a pas – comme l’a rappelé le garde des sceaux – le statut d'un droit acquis sans condition et accordé indéfiniment.

En effet, la réduction de peine peut, aujourd'hui, être révoquée dans trois cas, notamment lorsque, après la libération du condamné, celui-ci ne respecte pas, pendant la période équivalant à la durée de la réduction de peine, les obligations qui lui ont été imposées par le juge de l'application des peines. Je fais référence au dispositif introduit par la loi de 2004.

C'est parce que le crédit de réduction de peine ordinaire est un droit sous condition que le législateur peut modifier ou compléter les modalités juridiques de cette conditionnalité, dès lors qu'il le fait pour une durée n'excédant pas celle de la peine initialement prononcée.

J'ajouterai, pour finir, qu'allant au-delà même de ce que prévoit le texte qui vous est soumis, le législateur peut également imposer à des condamnés ayant définitivement exécuté leur peine des mesures de contrôle nouvelles, dès lors que ces dernières – je cite le considérant 91 d’une décision du Conseil constitutionnel du 2 mars 2004 – ne sont « pas une sanction, mais une mesure de police destinée à prévenir le renouvellement d'infractions et à faciliter l'identification de leurs auteurs ». Cela étant, je le répète, le projet de loi ne va pas aussi loin que ce qu’aurait permis cette décision du Conseil constitutionnel concernant le FIJAIS. En effet, quel est le but du FIJAIS si ce n'est de prévenir la commission de nouvelles infractions sexuelles par les personnes condamnées pour de tels faits en connaissant leur lieu de résidence et en les obligeant à venir régulièrement « pointer » au commissariat ?

Or, à cet égard, et comme l’a déclaré hier le procureur général de Paris dans un grand quotidien, le PSEM « c 'est savoir où on est en temps réel. Entre le FIJAIS et le PSEM il y a une différence de degré et non de nature. » Voilà, parfaitement résumée, l’économie générale de notre débat. Et dès lors que nous aurons adopté les amendements du Gouvernement, le dispositif d’ensemble pourrait revêtir, sur un sujet aussi grave, un aspect consensuel. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Exception d’irrecevabilité

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Christophe Caresche.

M. Christophe Caresche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’aborder l’exception d’irrecevabilité proprement dite, je voudrais revenir sur le contexte dans lequel nous débattons, en deuxième lecture, de cette proposition de loi.

Que l’on soit dans la majorité ou dans l’opposition, la récidive est un sujet grave qui doit être traité de façon responsable, avec la volonté d’apporter des réponses, mais sans tromper les Français.

Apporter des réponses, c’est considérer que l’autorité publique ne peut se satisfaire d’un phénomène tel que la récidive et qu’elle doit mobiliser les moyens adaptés à la législation, utiliser de nouveaux dispositifs – je pense notamment à la surveillance électronique mobile – pour lutter le plus efficacement possible contre la récidive et répondre à la demande de sûreté que réclament nos concitoyens ; sur ce point, je pense que nous sommes tous d’accord.

C’est d’ailleurs ce que nous avons fait lorsque nous étions aux responsabilités avec, par exemple, la création du suivi socio-judiciaire et du fichier des auteurs d’infractions sexuelles – dont la pertinence est aujourd’hui reconnue par tous. Nous avons également voté, en 1997, la loi sur la surveillance électronique, avec le premier bracelet.

Ne pas tromper les Français, c’est dire que la récidive zéro n’existe pas, que le risque est toujours présent, qu’aucun juge ou médecin n’a la capacité de le conjurer totalement. C’est dire aussi que la prison n’est pas une solution miracle, même si elle est nécessaire. A moins de maintenir à vie les délinquants en prison – projet dont on se demande s’il n’est pas inscrit dans certains esprits –, ils finissent toujours par sortir. La question est de savoir dans quelles conditions, avec quel accompagnement et quelle possibilité de réinsertion. Nous savons que la récidive se joue en particulier à ce moment charnière où, sortant de prison, le détenu se retrouve bien souvent livré à lui-même, en déshérence.

Le vrai scandale que nous devons dénoncer, ce n’est pas le fait qu’un détenu sorte de prison avant la fin de sa peine, mais qu’il n’ait pas bénéficié d’un suivi durant sa peine en prison ou d’un accompagnement à sa sortie.

Force est de constater que cette approche n’a pas été celle de la majorité et du Gouvernement dans ce processus législatif chaotique. Nous avons eu le sentiment, monsieur le garde des sceaux, d’assister, depuis la création de la mission d’information sur la récidive, à une sorte de fuite en avant législative. Cette mission avait accompli un travail sérieux, et nous l’avions reconnu à l’époque. Vous avez d’ailleurs rappelé, monsieur le rapporteur, notre position : celle d’une abstention constructive. Le diagnostic de la récidive avait été posé sérieusement et objectivement ; si les taux de récidive sont importants pour ce qui concerne la petite délinquance – environ 30 % –, ils restent mesurés pour la criminalité – moins de 5 % –, ce qui signifie que si trop de criminels récidivent, la plupart ne récidivent pas.

De même, la mission avait souligné les carences importantes quant aux moyens des services chargés du suivi des délinquants en prison et après leur sortie. Les services de probation, les personnels chargés de l’application des peines sont véritablement les parents pauvres du système judiciaire français.

À partir de ces constats, on pouvait élaborer une politique sérieuse. Dans les faits, on a assisté à un emballement du processus législatif sous la pression des événements ainsi que – il faut le reconnaître – du ministre de l’intérieur, qui fut d’ailleurs à l’origine de la création de la mission. Car c’est bien la proposition de loi déposée par les députés de l’UMP…

M. Jean-Luc Warsmann. Par des parlementaires !

M. Christophe Caresche. Certes, mais ceux de l’UMP étaient nombreux !

C’est bien, disais-je, la proposition de loi déposée par des députés de l’UMP à la demande du ministre de l’intérieur, sur la problématique des peines plancher, qui est à l’origine de cette mission. D’ailleurs, monsieur le garde des sceaux, et je vous en donne acte, vous vous êtes impliqué personnellement en rejetant cette problématique pour des raisons d’inconstitutionnalité et de nécessaire individualisation des peines. Ce qui prouve qu’il faut toujours respecter la Constitution.

M. le garde des sceaux. C’est bien mon avis.

M. Christophe Caresche. Ce fut d’abord l’introduction, en première lecture, du bracelet électronique mobile dans des conditions de grande impréparation et d’improvisation, qui se solde aujourd’hui par le fait que la mesure phare de votre proposition de loi examinée ici en première lecture, c’est-à-dire le bracelet électronique mobile en tant que mesure de sûreté, ne figure plus dans le texte ni dans les amendements que vous nous proposez. Cette disposition a en effet été rejetée par le Sénat et vous ne proposez pas de mesure de sûreté qui s’ajoute à la peine, comme vous aviez l’intention de le faire en première lecture.

M. Gérard Léonard, rapporteur. Attendez les amendements !

M. Christophe Caresche. Ce fut au mois de juillet dernier, alors qu’un délinquant en libération conditionnelle venait de récidiver, la mise en cause du magistrat par le ministre de l’intérieur et le dépôt d’une série d’amendements visant à durcir les conditions d’obtention de la libération conditionnelle, alors que la mission déplorait l’insuffisance des libérations conditionnelles, qu’elle considérait comme un bon dispositif.

Ce fut également le dépôt d’une série de nouveaux amendements émanant tant du Gouvernement que des parlementaires de l’UMP, au mois de juillet dernier, qui donne l’impression que nous avons affaire aujourd’hui à un nouveau projet. En réalité, ce texte n’a cessé de fluctuer d’une lecture à l’autre, à l’Assemblée nationale et au Sénat ; des dispositions sont apparues, puis ont disparu : je pense au bracelet électronique comme mesure de sûreté après la peine. À chaque étape, de nouveaux amendements ont été déposés sur des sujets qui n’avaient jamais été évoqués par la mission. Bref, on a le sentiment d’un maelström législatif qui est loin d’être terminé.

Loin d’être terminé, car le fait marquant de cet examen en deuxième lecture – sur lequel vous êtes passé rapidement –, c’est le désaveu cinglant que vous a infligé le Sénat en première lecture. Il ne reste aujourd’hui pratiquement plus rien du texte que vous avez adopté en première lecture. Rarement un texte aura connu un tel échec au Sénat, y compris avec une majorité de gauche à l’Assemblée nationale. Sur les dix-huit articles que comprenait le texte, seuls quatre d’entre eux ont été adoptés sans modification, le Sénat en ayant supprimé onze et voté six nouveaux.

M. Jean-Christophe Lagarde. Depuis que Dominique Voynet y siège…

M. Christophe Caresche. Le Sénat a repris l’essentiel des critiques que nous avions formulées ici même en première lecture. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. Guy Geoffroy. Cet éloge du Sénat par les socialistes est vraiment merveilleux !

M. Christophe Caresche. C’est la réalité, monsieur le député. Si vous aviez été présent en première lecture, je ne vous apprendrais rien !

Le Sénat a notamment supprimé le dispositif de surveillance électronique tel que vous l’aviez conçu. Il est également revenu sur nombre de mesures qui visaient à alourdir les sanctions pour les récidivistes, les jugeant excessives et inadaptées.

Cet intéressant travail du Sénat, fruit d’un consensus entre la droite et la gauche, aurait pu constituer une base de discussion susceptible de réunir les deux assemblées. En tous les cas, il nous convenait, et dans l’esprit que j’ai indiqué au début de mon intervention, nous aurions été prêts à adopter le texte issu de la Haute assemblée.

M. Guy Geoffroy. Caresche au Sénat !

M. Christophe Caresche. Mais telle n’était pas votre disposition d’esprit, comme je n’ai pu que le constater avec un peu d’effarement et beaucoup de tristesse, monsieur le rapporteur. Vous avez balayé d’un revers de main les objections sénatoriales et rétabli la quasi-totalité des dispositions rejetées par le Sénat.

M. Guy Geoffroy. Et c’est très bien comme ça !

M. Christophe Caresche. Peut-être, mais cela entraînera d’autres lectures. J’y reviendrai.

De surcroît, un certain nombre d’amendements ont été déposés par la majorité et le Gouvernement, concernant des sujets qui n’ont jamais été évoqués pendant les travaux de la mission d’information ou en première lecture. Est-il utile de préciser qu’ils ne vont pas dans le sens des considérations exprimées par le Sénat ?

Dès lors, on peut se poser la question de savoir quelles sont réellement les intentions du Gouvernement et de la majorité concernant cette proposition de loi. Souhaitent-ils véritablement aboutir à un accord rapide avec le Sénat, afin de disposer d’un texte applicable dans les semaines qui viennent, et donc susceptible, monsieur le garde des sceaux, de répondre à une situation si urgente qu’elle vous a conduit à demander au Parlement d’adopter une loi rétroactive ? Si tel est le cas, demandez à votre majorité de renoncer à certaines dispositions dont vous savez pertinemment qu’elles ne sont pas acceptables par le Sénat. Dans le cas contraire, je vous le dis solennellement : vous ne pourrez plus, lorsque de nouveaux crimes seront commis, vous prévaloir de l’insuffisance de la loi ni invoquer, comme votre collègue de l’intérieur, l’irresponsabilité des juges. Cette majorité, en effet, gouverne depuis quatre ans, et plus d’un an après que la mission consacrée à la récidive a rendu ses conclusions, elle continue à entretenir des désaccords avec le Sénat.

Les crimes qui ont été perpétrés ces derniers mois nous ont, mes chers collègues, autant marqués que vous. De même, j’ai, comme vous, monsieur le ministre, subi un choc en apprenant la probable récidive du violeur dont nous avons rencontré les victimes il y a quelques mois, victimes qui nous avaient d’ailleurs alertés sur sa dangerosité. Cela ne s’est pas passé sous un gouvernement de gauche ; c’est bien le vôtre qui était en place.

Avant d’envisager de nouveaux dispositifs, il faudrait déjà appliquer le droit existant. Savez-vous que, dans certaines juridictions, le suivi socio-judiciaire est inapplicable faute de médecins coordonnateurs ? Savez-vous que les délinquants sexuels, regroupés dans certaines prisons, ne voient jamais un psychiatre ou un médecin ? Savez-vous que la plupart des détenus continuent de sortir de prison sans bénéficier d’aucun accompagnement ni de suivi ? Oui, vous savez tout cela. La mission d’information vous a éclairé sur ce point. En outre, un de nos collègues, M. Warsmann, vous l’a rappelé, avant de réclamer, il y a quelques semaines, un plan d’urgence en faveur de l’application des peines.

M. Hervé Morin. Il avait raison !

M. Christophe Caresche. J’aimerais que vous nous disiez, monsieur le garde des sceaux, où en est ce projet.

Je ne veux pas ici vous accabler. Les facilités que vous vous êtes offertes lorsque nous étions au pouvoir, à l’occasion de certaines affaires, ne font en effet qu’alimenter le sentiment d’impuissance ressenti par les Français.

J’en viens à ce qui motive cette exception d’irrecevabilité.

M. Guy Geoffroy. Il était temps !

M. Christophe Caresche. Celle-ci intervient après les propos que vous avez tenus, monsieur le ministre, sur la rétroactivité de la loi, et qui ont suscité beaucoup de commentaires. Ne souhaitant pas y revenir longuement, je me contenterai de deux remarques.

Premièrement, le respect de la Constitution et des principes fondamentaux du droit est ce qui permet à la justice de s’exercer. Dans une tribune publiée hier par le journal Libération, une éditorialiste écrivait très justement : « Comment peut-on condamner le meurtre ou le viol d’enfant si l’on met en question le texte fondamental qui permet de condamner ces actes, de les juger et de les punir ? »

Deuxièmement, à supposer que des parlementaires ne soulèvent pas l’inconstitutionnalité d’un texte, le juge pourrait s’en charger. Certes, il s’agit d’une opinion discutable, mais des constitutionnalistes reconnus considèrent que, confronté à une loi litigieuse, le juge doit choisir entre l’appliquer sans s’interroger sur sa constitutionnalité ou en apprécier la constitutionnalité et, en cas de réponse négative, en écarter l’application en l’espèce – et seulement en l’espèce, le juge n’ayant évidemment pas le pouvoir de remettre en cause la loi. Ainsi, de la même manière qu’il soulève les exceptions d’inconventionnalité et d’illégalité, le juge pourrait prononcer des exceptions d’inconstitutionnalité.

Il n’est donc pas raisonnable, monsieur le ministre, de laisser accroire que l’absence de saisine, par les parlementaires, du Conseil constitutionnel – au-delà du caractère choquant de cette déclaration – permettrait d’adopter une disposition ayant, par exemple, un caractère rétroactif. Tôt ou tard, en effet, l’application de la loi concernée deviendrait problématique et le législateur ne manquerait pas d’être à nouveau saisi.

C’est dans cet esprit que je veux exprimer une interrogation, un doute sur la pertinence constitutionnelle du dispositif de surveillance judiciaire que vous nous proposez, même si j’ai bien compris que vous aviez renoncé à l’article qui, en première lecture, prévoyait la rétroactivité de l’utilisation du bracelet électronique en tant que mesure de sûreté.

Nous ne récusons pas l’utilisation du bracelet électronique mobile. Si des avancées technologiques permettent, notamment, de favoriser les alternatives à l’emprisonnement, nous y sommes favorables. Nous étions, de même, favorables à la mise en place de la première génération du bracelet électronique, adoptée en 1997.

Mais il est clair que ce dispositif contraignant qui limite la liberté d’aller et venir doit être appliqué dans le respect des libertés individuelles et de manière proportionnée. C’est pourquoi nous n’avions pas accepté la proposition, présentée en première lecture, d’un bracelet électronique mobile imposé comme mesure de sûreté après la peine, pendant une période pouvant aller jusqu’à trente ans. Une telle disposition nous paraissait à la fois excessive et improvisée. C’était sans doute, d’ailleurs, l’avis du ministre de la justice d’alors, M. Perben, puisqu’il avait confié à M. Fenech – le jour même où la discussion commençait – une mission d’étude sur cette question.

De son côté, le Sénat a intégralement revu le dispositif adopté malgré nos réserves et annulé l’ensemble des dispositions faisant de l’usage du bracelet électronique mobile une mesure de sûreté. Il a préféré introduire cet usage, assorti d’un suivi socio-judiciaire, dans le cadre de la liberté conditionnelle. Le rapporteur reprend cette proposition, en y ajoutant la possibilité de recourir au bracelet dans le cadre d’une mesure supplémentaire du suivi socio-judiciaire.

Nous sommes favorables à ces deux propositions. Elles permettraient enfin, après beaucoup d’atermoiements, d’intégrer le bracelet électronique mobile dans un cadre juridictionnel clair, en tant que peine et non en tant que mesure de sûreté. En revanche, monsieur le garde des sceaux, nous sommes plus réservés sur le dispositif que vous avez présenté la semaine dernière pour répondre au problème des condamnés n’ayant pas bénéficié d’un suivi socio-judiciaire et qui refusent la libération conditionnelle, préférant sortir de prison sans contrainte.

Le problème est toutefois réel, et nous avons nous-mêmes tenté de le résoudre en déposant un amendement qui prévoit, lors de la sortie de prison des délinquants sexuels condamnés à une longue peine, et même en cas de réduction de celle-ci, un suivi médical contraignant sous le contrôle du juge d’application des peines. Il nous semble en effet que tout condamné – et particulièrement en matière de délinquance sexuelle – devrait faire l’objet, pendant et après le déroulement de sa peine, d’un suivi médico-psychologique.

M. le garde des sceaux. Très bien !

M. Christophe Caresche. Une telle mesure n’est certes pas la panacée. N’attendons pas tout du médecin ! Mais les études le montrent : un tel suivi, qui traite la dimension pathologique de la délinquance sexuelle, permet de limiter le risque de récidive.

Vous souhaitez, par des dispositions comparables, mais pas tout à fait similaires, rendre plus contraignant le port du bracelet électronique. Vous voulez en quelque sorte permettre que le suivi socio-judiciaire assorti du bracelet électronique mobile se déroule non plus dans le cadre de la libération conditionnelle, mais dans celui des réductions de peine.

Un tel objectif est compréhensible, mais il appelle, vous le savez, une objection : le suivi socio-judiciaire est assimilé à une peine ; il est donc décidé au moment du prononcé de celle-ci, et ne peut pas l’être dans le cadre de la réduction de la peine, faute de constituer une seconde peine qui s’ajoute à la première. C’est probablement pour cette raison que vous n’avez pas repris les termes « suivi socio-judiciaire », préférant appeler votre dispositif « surveillance judiciaire ».

La même objection peut être opposée à l’usage du bracelet électronique mobile. Est-ce une peine ? La question fait débat, comme vous l’avez rappelé, monsieur le garde des sceaux. M. Fenech, pour sa part, semble l’avoir tranché lorsqu’il écrit, à la page 54 de son rapport sur le placement en surveillance électronique mobile : « Force est de constater que le PSEM constitue une mesure fortement restrictive de la liberté d’aller et venir. Il a en outre un impact sur la vie de famille et de ce fait présente le caractère d’une peine, non seulement au regard des principes du droit français mais également au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. » Il fait donc deux préconisations qui vont à l’encontre de vos propositions en ce domaine.

Premièrement, il suggère de limiter à une durée maximale de deux ans le port du bracelet électronique mobile, en raison de ses répercussions psychologiques. Même si vos propositions n’ont plus rien à voir avec celles présentées en première lecture – on parlait alors de plusieurs dizaines d’années –, vous envisagez toujours des durées pouvant excéder deux ans.

Deuxièmement, M. Fenech préconise, contrairement au dispositif envisagé, que le port du bracelet soit soumis au consentement de l’intéressé.

Ces objections nous conduisent à exprimer des réserves sur le texte proposé, même si nous constatons qu’il n’a plus rien de commun avec celui examiné en première lecture, et qu’il répond à certaines préoccupations légitimes. Il vous appartient de nous éclairer sur tous ces points.

En tout état de cause, le déploiement du bracelet électronique mobile nous paraît devoir s’inscrire dans la durée. La première génération de ce bracelet n’a de toute évidence pas connu le développement escompté. Alors que la mesure a été adoptée en 1997, à la faveur des mêmes arguments que ceux qui nous sont aujourd’hui présentés – il suffit de relire les débats de l’époque pour s’en convaincre –, moins de 800 condamnés en font l’objet près de dix ans plus tard. L’administration pénitentiaire semble éprouver beaucoup de difficultés à en généraliser l’usage. Il paraît peu probable que ces difficultés soient surmontées avec le bracelet électronique mobile, plus sophistiqué, et qui réclame plus de moyens en matière de suivi. Il faudra plusieurs années pour développer ce dispositif de manière efficace.

M. Guy Geoffroy. C’est bien pourquoi il faut commencer dès aujourd’hui !

M. Christophe Caresche. Songeons au temps qu’il faudra déjà pour que cette proposition de loi soit adoptée, compte tenu de toutes les vicissitudes qu’elle connaît, et pour que le décret d’application soit publié : plusieurs mois, voire plusieurs années. En outre, cela exigera des moyens financiers nouveaux.

Cela relativise notre discussion car l’introduction du bracelet électronique mobile dans le suivi socio-judiciaire devrait en fait permettre d’en faire bénéficier les condamnés au moment où il sera techniquement opérationnel. Dès lors, la mesure que vous proposez n’aurait plus de signification.

Monsieur le ministre, je crois avoir soulevé de vraies objections. Il vous appartient maintenant d’y répondre. Mais l’important est que les moyens nécessaires soient donnés à l’administration, aux personnels chargés du suivi des condamnés, car la récidive est surtout liée aux conditions dans lesquelles les détenus sont emprisonnés puis sortent de prison. Or, en la matière, nous ne pouvons que regretter l’immobilisme qui caractérise votre action. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Monsieur Caresche, vous avez lancé un débat, et je vous en remercie, car ces questions juridiques sont fort subtiles et méritent d’être expliquées. Soyons francs, ce que nous avons entendu récemment était trop brutal pour être précis, et dès que ce n’est plus précis, ce n’est plus juridique. Je vais donc vous apporter les explications nécessaires.

D’abord, je voudrais vous fournir quelques chiffres sur les aménagements de peine et le suivi socio-judiciaire, lequel, c’est vrai, n’a pas marché comme nous l’aurions souhaité depuis sa création en 1998. Mais ces chiffres sont plutôt un début de commencement d’encouragement. Jugez plutôt.

En 2004, 18 000 mesures d’aménagement de peine ont été prises, contre 15 000 les années précédentes. Nous pensons qu’il y en aura 20 000 en 2005.

S’agissant des bracelets électroniques – je parle des fixes, pas des mobiles –, qui, je le rappelle, se substituent à la prison, on en dénombre actuellement 1 000.

M. Hervé Morin. C’est une mesure de substitution de peine !

M. le garde des sceaux. Justement pas, ou du moins pas toujours ! Vous tombez pile dans la nuance juridique et, permettez-moi de vous le dire, monsieur Morin, vous vous trompez !

Quand le bracelet se substitue à la peine, il est lui-même une peine.

M. Hervé Morin. Oui, c’est ce que j’ai dit !

M. le garde des sceaux. Mais quand le bracelet électronique mobile n’est pas décidé par la juridiction de jugement pour se substituer à la peine, il constitue une modalité d’application de la peine. Ce n’est plus une peine, c’est une mesure de sûreté et, dès lors, le problème de la rétroactivité ne se pose pas. C’est une mesure d’application immédiate, selon une tradition ancienne du code pénal, d’application constante jusqu’à ce que le nouveau code pénal y fasse exception. Je n’entrerai pas dans ce détail qui fait partie de l’histoire récente du droit ; mais j’affirme que le droit commun du droit pénal, c’est cela.

Autrement dit, le bracelet peut constituer soit une peine, soit une modalité de la peine. Si c’est une peine, la rétroactivité de la loi la plus dure n’existe pas : avait-on besoin de me le rappeler ? Mais si c’est une modalité de la peine, c’est le droit commun qui s’applique : le bracelet se substitue à l’emprisonnement et, dans le cas que je propose, à la réduction de peine qui n’est pas, en soi, un droit pour le détenu.

Selon l’amendement que je propose, il n’y aura pas, dans ce cadre, que le bracelet électronique mobile ; il pourra y avoir en même temps l’injonction de soins, par exemple, en somme toutes les mesures du suivi socio-judiciaire qui sont, dans leur finalité, des mesures de sûreté. Toutes ces mesures qui sont décidées pour se substituer à la détention sont des modalités d’application de la peine et ne sont plus des peines.

Je le reconnais : le sujet est assez ardu, d’où un festival de propos en tout genre. Dans cette affaire, j’étais personnellement sûr de la constitutionnalité de la précédente proposition de la commission des lois mais, vu le débat, j’ai voulu lever tous les doutes. Prenons l’exemple d'un condamné à vingt ans de détention qui bénéficie, par hypothèse, de trois ans de réduction de peine : il peut bénéficier de modalités d’application de la peine de plusieurs natures, dont le bracelet, pendant ces trois ans. S’il advenait qu’il ne se conforme pas à ses obligations, il serait réintroduit en prison pour la durée maximale initiale de vingt ans que lui avait infligée la juridiction de jugement. Voilà ce qui est proposé et je vous promets que c’est constitutionnel.

C’est assez subtil et plutôt difficile à expliquer. Nous avons énormément travaillé pour arriver à cette solution. Je reconnais, avec M. Caresche, que les premières propositions de la commission des lois n’étaient pas encore complètement abouties. Je pense que les dernières l’étaient à peu près, mais certains avaient encore des doutes. Pour ma part, je me suis rapproché de M. Hyest, président de la commission des lois du Sénat, qui m’a dit être totalement convaincu, et de M. Michel Mercier, président du groupe UDF au Sénat, lui-même juriste et qui se dit lui aussi totalement convaincu de la constitutionnalité de la mesure contenue dans l’amendement que je propose.

Autrement dit, l’argument que vous avez développé, monsieur Caresche, et que je conçois comme un argument normal de séance aujourd’hui, ne vaut plus pour demain : les sénateurs sont désormais convaincus de la validité de la précision que j’ai apportée à travers cet amendement. Je tenais à le dire, sous réserve, bien sûr, des délibérations de la Haute assemblée. Naturellement, je reste à votre entière disposition pour vous donner toutes les précisions nécessaires, notamment au moment de la discussion de l’amendement.

Voilà pourquoi je demande à l’Assemblée de repousser l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Gérard Léonard, rapporteur. J’ai été frappé par le ton modéré de M. Caresche, qui tranche heureusement avec les condamnations sommaires, sans appel, que nous avons parfois entendues. Je tenais à l’en féliciter.

Il a ainsi reconnu, ce qui est une vérité d’évidence, que la proposition de loi que nous avions déposée avec Pascal Clément, répondait très précisément, dans son esprit, dans son essence, aux conclusions de la mission d’information dont j’ai été le rapporteur et dont il faisait partie.

Je note également que, s’il nous a reproché d’avoir évolué, ce que je prends plutôt pour un compliment, lui-même a considérablement évolué depuis la première lecture. Il est d’ailleurs normal que les modalités d’un texte évoluent entre les lectures de nos assemblées ; les navettes sont faites pour cela.

Il nous avait été reproché à l’époque d’avoir mentionné le bracelet électronique mobile de façon un peu prématurée. Nous avions dit très clairement que notre volonté était de créer les conditions d’un véritable débat. Si nous ne l’avions pas fait, ce thème figurerait encore dans les discours et nous n’aurions pas progressé d’un pouce dans la réflexion.

Selon vous, monsieur Caresche, nous aurions  changé de monture  en raccrochant le bracelet électronique mobile au suivi socio-judiciaire. Je rappelle que l’article 12 de la proposition de loi initiale faisait très clairement du bracelet électronique mobile une modalité du suivi socio-judiciaire. Et que, dès le début, il s’agissait dans notre esprit, conformément aux travaux de la mission, non pas d’appliquer une contrainte sans environnement, mais de l’accompagner, autant que faire se peut, d’un suivi, le bracelet électronique mobile n’étant qu’un outil permettant de s’assurer de l’effectivité des mesures de contrainte prévues.

Vous vous interrogez sur l’évolution du Sénat. Je constate que le Sénat, après avoir annoncé que le placement sous surveillance électronique mobile était un peu prématuré, l’a quand même retenu pour la libération conditionnelle. C’est dire que, lui aussi, peut encore évoluer jusqu’à sa deuxième lecture. Pour ma part, je suis persuadé que nous allons converger. Nous avons d’ailleurs tenu compte des réflexions du Sénat en considérant que le bracelet électronique mobile pouvait être une modalité de la libération conditionnelle. C’est cela aussi, le travail parlementaire, ce dialogue, ces échanges : on prend, on laisse et on essaie d’arriver à une solution commune.

Vous prétendez également que nous aurions changé d’idée en abandonnant l’examen de la situation des personnes déjà condamnées et qui ne sont pas sous le régime du suivi socio-judiciaire. Mais nous arrivons au même objectif avec la même préoccupation, monsieur Caresche ! L’amendement, le bon amendement que vous-même avez déposé montre bien que vous souhaitez que l’on se préoccupe des personnes condamnées avant la loi de 1998 sur le suivi socio-judiciaire. Il faut considérer ces cas, car il y a aujourd’hui des centaines de personnes qui ont un potentiel de récidive, dont il faudra évaluer la dangerosité et qu’il faudra traiter.

Ce qui nous sépare encore aujourd’hui, ce ne sont que les modalités. Vous déclarez ne pas être hostile au bracelet électronique. Le seul problème est que vous ne voulez pas l’appliquer. J’apprécie le long chemin que vous avez déjà fait, je vous en rends hommage, et j’espère que, dans le temps qu’il nous reste à débattre, vous le poursuivrez pour que nous arrivions à un véritable consensus. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Dans les explications de vote sur l’exception d’irrecevabilité, la parole est à M. Georges Fenech, pour le groupe UMP.

M. Georges Fenech. Comme le rapporteur Gérard Léonard, je considère que l’exception d’irrecevabilité, présentée par Christophe Caresche au nom du groupe socialiste, l’a été du bout des lèvres.

Vous aviez du reste bien commencé votre propos, monsieur Caresche, en rappelant avec beaucoup d’honnêteté l’intérêt que vous portez à ce que vous appelez la « mesure phare » du texte, à savoir le bracelet électronique. J’aimerais d’ailleurs qu’au cours des discussions parlementaires, on évite d’employer ces images médiatiques. Bien entendu, vous êtes libres de vos propos, mais moi qui ai rendu le rapport sur le bracelet électronique, je considère que, parmi les divers moyens juridiques et techniques offerts au juge, ce n’est qu’un outil parmi d’autres ! Point final. Il faut arrêter de focaliser sur le bracelet électronique.

Vous avez parlé d’un processus législatif chaotique. Mais c’est votre propos qui devient chaotique, puisque vous vous déclarez pour le bracelet électronique mobile, pour la lutte contre la récidive, mais en même temps contre le dispositif présenté ! Franchement, dans la mesure où la proposition de loi, amendée par le Gouvernement, ne soulève plus les critiques initiales, vous auriez dû vous-même être beaucoup plus honnête intellectuellement en défendant une exception d’irrecevabilité qui, aujourd’hui, n’est plus que de pur principe.

Vous essayez d’opposer les commissions des lois du Sénat et de l’Assemblée nationale. Je ne partage pas votre point de vue. Vous prétendez que le Sénat a supprimé une partie des articles votés en commission des lois. Il faut quand même rappeler à ce sujet que c’est après le premier débat en commission et en séance publique à l’Assemblée que le garde des sceaux m’a missionné pour l’étude approfondie du bracelet électronique. Quand il a été saisi de ce texte, le Sénat a constaté qu’une mission parlementaire était en cours et il a préféré suspendre l’examen de ces articles − et non, contrairement à ce que vous dites, les supprimer −, considérant qu’il n’était pas complètement informé sur le dispositif. Il n’a donc pas rayé les articles d’un trait de plume − il a même conservé ce qui concernait la libération conditionnelle −, il a simplement décidé d’attendre les résultats de ma mission pour pouvoir se prononcer en toute connaissance de cause. Je ne vois là aucun antagonisme entre les deux commissions des lois, mais plutôt de la cohérence et de la logique.

Vous avez commis une erreur − à moins que j’aie mal compris votre propos ou que vous ne vous soyez pas exprimé aussi clairement − en affirmant que le juge était juge de la constitutionnalité des lois.

M. Christophe Caresche. Je n’ai pas tout à fait dit cela !

M. Georges Fenech. Il assure le contrôle de conventionnalité et peut soulever des exceptions d’illégalité, mais ce n’est pas le tribunal qui statue sur la constitutionnalité des lois.

M. Guy Geoffroy. Il l’a bien dit, pourtant !

M. Georges Fenech. Il me semble en effet qu’il l’a dit de cette façon. Mais n’entrons pas dans une polémique stérile.

Vous avez défendu l’exception d’irrecevabilité du bout des lèvres, affirmant que vous aviez un « doute » − ce qui n’est pas une certitude − sur la constitutionnalité. Ce même doute a poussé le Gouvernement à cadrer le dispositif de manière aussi stricte que possible, si bien que, depuis l’abandon de la rétroactivité, il paraît aujourd’hui parfaitement conforme à la Constitution. Il s’agit de se prononcer sur les modalités d’exécution d’une peine complémentaire…

Plusieurs députés du groupe socialiste. Quel aveu !

M. le garde des sceaux. Ce n’est pas une peine !

M. Georges Fenech. Le suivi socio-judiciaire est bien une peine complémentaire !

M. le garde des sceaux. Non !

M. Georges Fenech. Je ne dis pas que le bracelet électronique est une peine complémentaire…

M. Hervé Morin. Vous avez parlé des modalités d’exécution d’une peine !

M. Georges Fenech. …mais que c’est une modalité d’exécution. Le garde des sceaux a expliqué cela beaucoup mieux que moi…

M. Hervé Morin. M. Fenech vient de tout lui démonter en quelques secondes ! (Sourires.)

M. Georges Fenech. …et je préfère m’arrêter là. (Rires.)

Quoi qu’il en soit, il faut retenir l’excellente innovation que représente la surveillance judiciaire, qui paraît parfaitement conforme à la Constitution. Je salue la sagesse des deux commissions des lois et celle du texte qui nous est soumis. Le groupe de l’UMP sera unanime à rejeter l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Guigou, pour le groupe socialiste.

Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, nous souhaitons tous améliorer l’efficacité de la lutte contre la récidive. C’est une question douloureuse, d’abord pour les victimes − nous avons tous en mémoire le terrible assassinat de Nelly Crémel, le martyre de la petite Julie, les violences subies par les victimes de Patrick Trémeau − mais aussi pour la société, car nous n’avons pas réussi à trouver des solutions sûres et à éviter de nouveaux crimes.

C’est aussi un dossier complexe, qui exige une multitude d’interventions, l’emploi de toute une palette d’instruments, l’engagement d’acteurs différents pour réduire autant que possible la récidive, car, vous avez eu l’honnêteté de le dire, on ne peut jamais avoir de certitude absolue dans ce domaine.

Enfin, pour traiter le problème de manière efficace, nous devons nous doter de moyens considérables et avoir une approche de vérité. La question est trop douloureuse pour qu’on se permette de tromper les gens et la société. C’est à cette aune que nous jugeons votre proposition, monsieur le garde des sceaux. Or, même si le texte comporte des améliorations, que Christophe Caresche a soulignées avec l’honnêteté intellectuelle et politique qui le caractérise, il ne répond pas à ces exigences d’efficacité et de vérité.

Nous ne sommes pas opposés au bracelet électronique : c’est nous qui l’avons créé − il était alors fixe. Ce peut être un instrument utile pour localiser les personnes à qui l’on interdit, par exemple, de s’approcher des écoles ou de l’habitation de leurs victimes. Mais, pour que ce dispositif reste constitutionnel, le bracelet doit être utilisé dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire.

M. Guy Geoffroy. C’est le cas !

Mme Élisabeth Guigou. M. Fenech a eu également l’honnêteté intellectuelle de dire que, à ses yeux, il s’agissait d’une peine…

M. René André. Il n’a pas dit ça !

M. Guy Geoffroy. Il a parlé de « modalités d’exécution » !

Mme Élisabeth Guigou. …même s’il a ensuite tenté de nous expliquer que ce n’était pas tout à fait le cas.

Il serait donc absurde de se priver de cet instrument, mais ce n’est certainement pas un remède miracle. On ne voit pas en quoi le bracelet électronique, même mobile, pourrait empêcher une personne qui se promène, par exemple, sur les quais de la Seine, de céder à une pulsion et de commettre un viol.

M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas une raison pour rejeter le bracelet !

Mme Élisabeth Guigou. Ne voyons pas dans le bracelet électronique la solution au problème de la récidive.

M. Guy Geoffroy. Nous n’avons jamais prétendu cela !

Mme Élisabeth Guigou. Conscients de cet écueil, vous proposez d’améliorer, de renforcer, d’élargir le suivi socio-judiciaire. Au nom de notre groupe, Christophe Caresche a fait une proposition visant à systématiser le suivi médical, social et judiciaire, notamment pour les délinquants sexuels. Mais il est important de reconnaître que le suivi médical a d’autant plus de succès qu’il recueille l’adhésion de la personne concernée : le premier organe sexuel, c’est le cerveau ; on ne peut lutter contre des pulsions sexuelles sans implication de la personne dans le traitement qu’elle doit subir. D’autre part, il est indispensable que le suivi commence dès le séjour en prison et se poursuive après la libération.

Si l’on veut être sérieux, il faut des moyens considérables. Outre la question de l’inconstitutionnalité, à laquelle je reviendrai en conclusion, ce qui me choque, c’est que vous présentiez une proposition de loi sur un sujet aussi grave sans fournir le moindre commencement de début d’indication sur les moyens que vous allez y affecter. Si la loi de 1998, que je vous remercie d’avoir citée, n’est pas appliquée, c’est faute de moyens. Nous manquons de psychiatres, de conseillers d’insertion et de probation, de juges d’application des peines. Une loi sans moyens ne fait qu’aggraver le problème, car elle ne donne que l’illusion de combattre le fléau.

M. Guy Geoffroy. Vous êtes experte en la matière !

Mme Élisabeth Guigou. Quant aux moyens alloués au ministère de la justice, permettez-moi de rappeler que le budget de 2002, le dernier que nous ayons eu l’honneur de présenter à l’Assemblée nationale, prévoyait 2 750 créations d’emplois au ministère de la justice, tous services confondus.

M. Francis Delattre. C’est en 2000 qu’il aurait fallu les créer !

Mme Élisabeth Guigou. L’année dernière, pour 2005, nous sommes tombés à 1 170 créations d’emplois, c’est-à-dire trois fois moins, et, pour l’année prochaine, on n’en prévoit que 500.

M. Francis Delattre. Et combien en 2000 ?

M. Guy Geoffroy. Que ne l’avez-vous fait plus tôt !

Mme Élisabeth Guigou. Dans le budget de l’année prochaine, les frais de justice, qui permettent de financer les analyses génétiques, et donc d’alimenter le fichier des empreintes génétiques, seront diminués de moitié. De qui se moque-t-on ?

Monsieur le garde des sceaux, il devrait exister une règle simple, une règle d’éthique, de morale politique, qui interdise de présenter une loi sans prévoir des moyens pour l’appliquer. (« Et l’APA ? » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Elle serait particulièrement utile dans le domaine dont nous parlons.

M. le président. Veuillez conclure, madame Guigou.

Mme Élisabeth Guigou. Pour toutes ces raisons, votre proposition risque de n’être qu’un écran de fumée et de ne pas s’attaquer aux racines du mal. On voit bien que votre conception de l’action judiciaire se limite à la sanction, alors que la mission de la justice − y compris de la pénitentiaire −, c’est aussi la prévention et la réinsertion. Il faudrait que vous vous dotiez d’une palette beaucoup plus large.

M. le président. Je vous remercie, madame Guigou.

Mme Élisabeth Guigou. Malheureusement, vous ne faites que du verbalisme. Si nous avons un reproche à formuler sur le manque de moyens, nous avons un doute profond sur la constitutionnalité du texte. Ces incertitudes ont été augmentées par les explications embrouillées que vous nous avez données tout à l’heure et qui n’ont pas convaincu non plus M. Fenech. C’est pourquoi nous voterons l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. Je souhaite d’autant moins polémiquer avec Mme Guigou qu’elle a été garde des sceaux il n’y a pas très longtemps. Néanmoins, une remarque qu’elle vient de formuler m’a incité à demander un droit de réponse que le président veut bien m’autoriser à exercer. Vous dites, madame, qu’il serait normal, en démocratie, d’interdire de prendre une mesure sans qu’on se donne immédiatement les moyens de l’appliquer. Pourquoi le suivi socio-judiciaire marche-t-il si peu dans notre pays, pour ne pas dire qu’il ne marche pas du tout ? C’est que, après l’avoir fait voter très judicieusement, vous n’avez pas dégagé le moindre sou pour le mettre en œuvre.

Mme Élisabeth Guigou. Mais si !

M. le garde des sceaux. Ayons un peu de respect les uns pour les autres. Nous avons tous la chance, lorsque nous sommes aux responsabilités, de faire passer de bonnes lois. Vous en avez fait voter une, mais comme vous n’avez pas mis un sou pour son application, ça a pris du temps. De même, si je ne fais pas voter aujourd’hui une loi prévoyant le bracelet électronique mobile, croyez-vous que l’argent me tombera du ciel ? C’est parce que je vais le faire voter que je trouverai l’argent. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Vous doutez : c’est votre droit le plus strict. J’en parlerai tout à l’heure à propos de certain amendement, mais comme, sans doute, tout le monde ne sera pas là, permettez-moi d’en dire un mot d’ores et déjà. Les députés de la commission des lois qui examinèrent la proposition de loi en première lecture − je parle sous le contrôle de Gérard Léonard et de plusieurs de vos collègues du groupe socialiste qui peuvent en témoigner − ne prétendaient pas s’y connaître particulièrement, mais ils ont auditionné tout le monde, notamment de nombreux psychiatres. Aucun n’a dit que le violeur n’obéissait qu’à des pulsions irrépressibles. Bizarrement, le violeur est plutôt un homme intelligent.

Mme Élisabeth Guigou, M. Jean-Yves Le Bouillonnec et M. Hervé Morin. Ce n’est pas incompatible !

M. le garde des sceaux. Dès qu’il est dérangé, il s’arrête immédiatement. Quand il porte un bracelet, il sait d’avance que, s’il récidive, il sera repris. Les psychiatres considèrent que c’est une chance très sérieuse d’empêcher la récidive. Je n’ai jamais promis aux Français que nous avions trouvé une solution contre toutes les récidives, mais j’ai dit − et je redis − que nous faisons tout ce qui est en notre pouvoir, notamment grâce au progrès technique, pour empêcher les récidives. Le reste ne nous appartient plus.

Vous pouvez défendre l’exception d’irrecevabilité : je vous avoue que cela m’arrange, car j’aimerais que la question soit officiellement tranchée par le Conseil constitutionnel. Cela créerait une dynamique pour le bracelet électronique mobile qui, je le pense profondément, évitera des récidives. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Mme Élisabeth Guigou. Monsieur le président, je souhaite répondre à M. le garde des sceaux !

M. le président. Madame Guigou, l’article 91 du règlement stipule que, dans les explications de vote, « la parole est accordée, pour cinq minutes, à un orateur de chaque groupe ». Nous ne sommes pas encore entrés dans le débat.

Mme Élisabeth Guigou. Alors je voudrais faire un rappel au règlement !

M. le président. M. Morin et M. Vaxès ne se sont pas encore exprimés. Nous allons les écouter, puis je vous donnerai la parole pour un rappel au règlement.

La parole est à M. Hervé Morin, pour le groupe Union pour la démocratie française.

M. Hervé Morin. Je serai bref, car nous aurons largement le temps d’aborder la totalité des questions relatives à cette proposition de loi lors de la discussion des amendements.

Il s’agit pour l’heure de nous prononcer sur le caractère constitutionnel ou non de la proposition de loi, notamment de la mise en œuvre du bracelet électronique mobile pour celles et ceux qui ont été condamnés pour des faits commis avant 1998.

Au préalable, je voudrais souligner la gravité de la question que nous devons aborder aujourd’hui. Le fait que la société et la République n’aient pas été en mesure de faire fonctionner un système qui évite la récidive est bien entendu totalement insupportable pour les victimes et leurs familles. On conçoit la nécessité de mettre en œuvre tous les moyens nécessaires pour corriger le mieux possible cet état de fait, en gardant à l’esprit et en ayant le courage d’avouer - comme le font presque tous ceux qui veulent bien se pencher sur la question, comme l’ont fait Élisabeth Guigou et Philippe Houillon - que le risque zéro n’existe pas en la matière.

J’en viens à la proposition de loi proprement dite. Pour le groupe UDF, plusieurs points méritent d’être relevés.

Faut-il introduire dans les modalités du suivi socio-judiciaire le bracelet électronique mobile ? À cette question, je réponds oui, sans hésitation. De là à prétendre, comme l’ont fait certains, pas vous, monsieur le ministre, mais d’autres, que le bracelet électronique mobile serait l’alpha et l’oméga de la lutte contre la récidive…

M. le garde des sceaux. Ce n’est pas vrai !

M. Hervé Morin. Je vous ai mis hors de cause, monsieur le ministre.

M. Gérard Léonard, rapporteur. Qui alors ?

Mme Élisabeth Guigou. Vous, monsieur le rapporteur.

M. Hervé Morin. Tout le monde a compris qui je visais.

Ou encore que la castration chimique est l’alpha et l’oméga de la lutte contre la récidive sexuelle…

M. Jean-Yves Le Bouillonnec. Ça, on l’a entendu !

M. Hervé Morin. C’est mentir à nos compatriotes que de dire cela. La vérité est que ces outils doivent s’intégrer dans un dispositif plus large incluant un suivi psychiatrique et psychothérapeutique des délinquants, en prison comme à leur sortie.

Mme Élisabeth Guigou. Voilà !

M. Hervé Morin. Il faut par ailleurs poser comme principe qu’il ne doit pas y avoir de libération sèche mais, au contraire, comme le propose Jean-Luc Warsmann, un maximum de libérations conditionnelles avec un système en biseau. Tout le monde sait que le nombre des récidives est nettement inférieur dès lors qu’on met en place de tels dispositifs.

Ne pas avoir le courage de dire la vérité à nos compatriotes, c’est risquer de s’entendre reprocher de n’avoir rien fait par ceux-là mêmes qui soutiennent qu’il suffit de procéder à des castrations chimiques ou de mettre des bracelets électroniques mobiles pour régler la question de la délinquance sexuelle, quand, dans six mois ou un an, des cas de récidive feront la une des journaux.

Je ne cherche pas à savoir si les responsabilités remontent à avant ou après 2002, je constate simplement que nous n’avons pas, aujourd’hui, les moyens d’assurer un suivi socio-judiciaire convenable en France pour l’ensemble des délinquants, notamment les plus dangereux.

Quelques exemples devraient suffire à vous convaincre, monsieur le ministre.

Vous parlez du bracelet électronique fixe, qui se pose sous écrou. Savez-vous qu’au centre de détention d’Alençon, où 600 détenus sont emprisonnés, le juge d’application des peines n’a pas un seul bracelet à sa disposition ?

Vous vantez l’insertion, la probation et l’action des travailleurs sociaux. Savez-vous que, pour 600 personnes suivies en milieu ouvert aujourd’hui, l’Orne ne compte que deux SPIP, deux travailleurs sociaux ? Quel suivi peut-on effectuer dans ces conditions ? En Angleterre par exemple, le Grand Londres dispose d’autant de travailleurs sociaux que la France tout entière.

On ne peut pas se débarrasser de la question en considérant qu’on aura répondu à l’attente de nos compatriotes simplement avec l’introduction du bracelet électronique mobile. (« Personne n’a jamais dit ça ! » sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

Je l’ai entendu.

M. Georges Fenech. Qui l’a dit ?

M. Gérard Léonard, rapporteur. Personne !

M. Hervé Morin. Je peux vous sortir un certain nombre de déclarations.

M. le président. Monsieur Morin, il faudrait conclure.

M. Hervé Morin. C’est un sujet important, monsieur le président.

M. Marc Laffineur. C’est pourquoi il ne faut pas dire n’importe quoi !

M. Hervé Morin. Le dispositif initialement prévu par la commission des lois a été astucieusement modifié pour devenir une modalité d’application des peines. Mais vous avez raison, monsieur le ministre : il serait bon que le Conseil constitutionnel, comme il l’a fait pour le fichier des auteurs d’infractions sexuelles, puisse clairement trancher cette question, vu les débats suscités ces dernières semaines autour d’un possible détournement de la Constitution.

Enfin, je voudrais aborder la question des moyens. Quand le bracelet électronique mobile, dont nous allons décider la mise en place avec cette proposition de loi, sera-t-il concrètement opérationnel ?

Premièrement, aucune expérimentation n’a encore été lancée en France, et selon l’administration pénitentiaire et l’administration judiciaire, aucun bracelet électronique mobile ne devrait voir le jour avant deux ans et demi ou trois ans, au mieux.

Deuxièmement, l’utilisation de ce bracelet coûte au bas mot 50 à 60 euros par jour et par personne, c'est-à-dire une somme supérieure au prix d’une journée de détention. Combien de personnes cela pourra-t-il concerner ? Vous avez, monsieur le garde des sceaux, avancé une fourchette de 600 à 6 000 personnes. Faites la multiplication, vous arrivez à des sommes colossales, de l’ordre de la centaine de millions d’euros. Quand et où trouvera-t-on cet argent ?

M. le président. Voulez-vous conclure, monsieur Morin ?

M. Hervé Morin. Je finis, monsieur le président.

Troisièmement, si la mise en œuvre du bracelet électronique mobile n’intervient pas, selon vos propres déclarations, avant trois ou quatre ans, cela signifie que la question du stock de détenus d’avant 1998 sera quasiment résolue. En effet, dans trois ans, la plupart auront déjà été libérés. Je crains qu’une nouvelle fois, sous le coup de l’émotion, on n’ait fait croire aux Français qu’on réglait un problème alors qu’il n’en est rien.

Cela étant, nous ne voterons pas l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)

M. Georges Fenech. Ah !

M. Marc Laffineur. Vous auriez mieux fait de la voter, cela aurait été plus clair !

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Michel Vaxès. Après le débat qui vient de se dérouler, j’ai le sentiment d’être le plus déterminé à voter cette exception d’irrecevabilité. Je la voterai en effet avec conviction parce que les arguments avancés par le garde des sceaux, le président de la commission, le rapporteur, et les différents intervenants, notamment M. Fenech, révèlent que le problème de fond demeure, à savoir celui de la rétroactivité du dispositif de surveillance mobile.

Les manœuvres de recul auxquelles vous procédez aujourd’hui dans l’urgence ne remettent pas en cause, monsieur le garde des sceaux, votre intention première. Les quelques remarques désobligeantes de la part du président du Conseil constitutionnel que vous ont values certains de vos propos vous ont contraint à présenter un texte légèrement différent, un peu plus « dans les clous », mais vos motivations et vos intentions n’ont pas changé.

Puisque les orateurs précédents se sont exprimés également sur des sujets qui ne relevaient pas de l’exception d’irrecevabilité, vous me permettrez, monsieur le président, de faire de même et d’évoquer les problèmes que peut poser cette proposition de loi vis-à-vis de la justice des mineurs.

L’article 40 de la convention internationale des droits de l’enfant reconnaît aux enfants le droit de bénéficier d’une justice spécialement conçue pour eux, comme celui de bénéficier d’une procédure adaptée à leur âge facilitant leur insertion. Peut-on considérer que la proposition de loi respecte cet article ? Non.

L’article 37 de la même convention demande aux États de veiller à ce que l’emprisonnement des mineurs demeure une mesure de dernier ressort, d’une durée aussi brève que possible. Peut-on considérer que cette proposition de loi y veille ? Non.

Enfin, le Conseil constitutionnel a lui-même rappelé, dans sa décision du 29 août 2002, qu’il existe des principes à valeur constitutionnelle qui gouvernent le traitement de la délinquance, notamment « l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées ».

M. Xavier de Roux. Il n’y a pas tellement d’enfants violeurs quand même !

M. Michel Vaxès. Peut-on considérer que cette proposition de loi sur le traitement de la récidive, en assimilant majeurs et mineurs, respecte ces principes ? Non.

Pour ces raisons, ajoutées à celles qui ont été évoquées par ailleurs, nous voterons avec conviction l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

M. le président. La parole est à Mme Élisabeth Guigou, pour un rappel au règlement.

Mme Élisabeth Guigou. Merci de me donner maintenant la parole, monsieur le président.

M. le garde des sceaux a voulu établir un parallèle en termes de moyens entre ce qui avait été décidé après la loi de 1998 et ce qui est fait aujourd’hui. Je ne suis pas d’accord avec son analyse. La loi de 1998 établissait une injonction de soins. En 1998, 1999, 2000 et dans les années qui ont suivi, des circulaires ont été adressées aux procureurs généraux pour leur demander de requérir systématiquement l’injonction de soins. Depuis, plus rien !

Par ailleurs, je rappelle que nous avions considérablement renforcé les moyens consacrés aux conseillers d’insertion et de probation. Une réforme avait même été adoptée qui visait à abolir la coupure entre ceux qui exerçaient à l’intérieur de la prison et ceux qui exerçaient à l’extérieur de la prison.

Quant aux crédits de la justice, si nous n’avions pas, c’est vrai, réussi à rattraper le retard considérable de la France par rapport à d’autres pays européens, au moins avions-nous, pendant la législature passée, augmenté chaque année les moyens de la justice, de tous les services de la justice. Depuis 2002, nous constatons, malheureusement, que, chaque année, les moyens en personnels du ministère ne cessent de diminuer.

M. Guy Geoffroy. C’est une contrevérité !

Mme Élisabeth Guigou. En outre, bien que la loi de programmation que vous avez votée arrive à échéance l’année prochaine, ses objectifs ne sont réalisés qu’à moitié.

M. Gérard Léonard, rapporteur. C’est de la politique politicienne !

M. le président. Madame Guigou, je vous ai laissée vous exprimer mais ce n’était pas un rappel au règlement.

Question préalable

M. le président. J'ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. André Vallini, pour une durée ne pouvant excéder trente minutes.

M. André Vallini. Monsieur le président, monsieur le ministre, je soulignerai en préambule que cette proposition de loi repose de façon plus ou moins avouée sur un prétendu laxisme judiciaire totalement imaginaire, comme en témoignent non seulement la forte augmentation du nombre des détenus : 62 000 au 1er juillet 2005, mais aussi l'allongement des peines. Aujourd'hui, un tiers des condamnés à perpétuité libérés ont fait plus de vingt ans de détention effective, alors qu'il y a quinze ans cette situation était exceptionnelle.

De même, en matière d'infractions sexuelles, les peines prononcées dans notre pays sont plus sévères que chez tous nos homologues européens : pour un nombre d'infractions constatées comparable au regard de la population générale, la France est en effet le premier pays pour la proportion de la population carcérale détenue pour ce type d'infractions. Il faut savoir en outre que la France est le pays dans lequel les peines sont les plus longues.

Après ces deux précisions liminaires, je voudrais vous faire observer, chers collègues de la majorité, que votre proposition de loi ne répond ni au souci de la vérité ni à l'impératif d'efficacité.

Votre texte va d'abord à l'encontre de l'individualisation des peines et marque donc une défiance à l'égard des juges. En effet, les possibilités d'individualisation de la peine par les juridictions seront réduites par la limitation de la faculté de prononcer des mesures de mise à l'épreuve : le nombre de ces condamnations sera limité à deux, voire à une pour les récidivistes auteurs de violences volontaires ou d'agression sexuelle.

Ce texte consacre donc, de fait, la suprématie de la solution carcérale, d’autant qu’il aboutira en outre à un allongement des peines. En effet, s’il est adopté, le crédit de réduction de peine pour bonne conduite sera réduit pour les récidivistes et le délai d’épreuve avant une libération conditionnelle passera de quinze ans à dix-huit ans, vingt ans ou vingt-deux ans selon les cas. Quant aux cours d’assises, elles pourraient imposer une période de sûreté de vingt-cinq ans. Or rien n’indique, au contraire, que les condamnés aux plus longues peines bénéficient de libérations conditionnelles dans les délais les plus brefs permis par la loi. Et si la peine est insuffisante à créer une réinsertion, pourquoi une peine plus longue serait-elle plus efficace ? Allonger le délai d’épreuve constitue en tout cas un signal adressé aux juridictions contre le développement de cette mesure, alors qu’elle est une des voies de la prévention de la récidive.

Vous le savez, l’emprisonnement est loin d’être l’outil le plus efficace de prévention de la récidive, c’est même tout le contraire. Et les délinquants qui ont effectué la plus grande part de leur peine, sans aménagement autre que le bénéfice éventuel des grâces présidentielles et des remises de peine automatiques, sont aussi ceux qui récidivent le plus, contrairement aux détenus qui ont bénéficié d’une libération conditionnelle et qui, eux, récidivent deux fois moins. Toutes les recommandations européennes vont d’ailleurs dans le même sens : elles préconisent l’utilisation de la libération conditionnelle, tout simplement parce que cette solution a montré son efficacité partout.

Il en va de même des mesures d’accompagnement en milieu ouvert. Or – chacun le sait ici et cela vient d’être rappelé par Christophe Caresche et Elisabeth Guigou – les services pénitentiaires d’insertion et de probation manquent cruellement de moyens pour les mettre en œuvre.

Ainsi, alors que le rapport Warsmann préconise la création de 3 000 postes de personnels de probation, seulement 330 postes de conseiller d’insertion et de probation ont été créés depuis l’entrée en vigueur de la loi d’orientation et de programmation pour la justice adoptée en 2002 et 200 postes créés en 2005. On est loin du compte !

Fin 2004, chaque juge de l’application des peines suivait théoriquement 1 200 dossiers ; dans les faits, seulement 40 % étaient suivis. Et aujourd’hui, l’immense majorité des mesures de mises à l’épreuve ne reçoivent même pas un début d’exécution.

Moins de 10 % des agents de l’administration pénitentiaire sont employés dans le milieu ouvert et il n’y a actuellement, en France, que 2 500 agents au sein des services pénitentiaires d’insertion et de probation, pour suivre environ 130 000 personnes.

Quant à la loi de 1998, dont tout le monde s’accorde à reconnaître que c’est une bonne loi, elle propose une prise en charge psychiatrique et thérapeutique censée débuter en prison et se poursuivre à la sortie par la mise en place du suivi socio-judiciaire avec injonction de soins, mais elle est totalement sous-appliquée. Aujourd’hui, le nombre des suivis socio-judiciaires prononcés par les tribunaux reste très limité – vous venez vous-même de le rappeler, monsieur le ministre –, notamment pour les délinquants et criminels sexuels. Certains juges d’application demandent même aux tribunaux de ne pas prononcer de suivi socio-judiciaire pour les délinquants et criminels sexuels faute de moyens, de psychiatres et de travailleurs sociaux. Mais, au lieu de vous attaquer à cette pénurie, monsieur le garde des sceaux, vous préférez faire encore un texte de loi et pratiquer une sorte de fuite en avant législative.

Vous proposez notamment le placement sous surveillance électronique mobile. C’est évidemment la mesure la plus médiatisée de votre texte. Mais est-ce vraiment le remède miracle que l’on présente à l’opinion ? Rien n’est moins sûr, Aucune étude d’expérimentation, aucune de faisabilité n’est disponible et les quelques pays qui sont intéressés par le PSEM en sont encore au stade de l’expérimentation : en Grande-Bretagne, les résultats sont attendus pour la fin de cette année et le gouvernement espagnol s’interroge sur la fiabilité du système, notamment en ce qui concerne le déclenchement intempestif d’alarmes.

Pour l’instant, la localisation n’est pas d’une grande précision et le principal intérêt de ce bracelet est qu’il permet de déclencher une alerte s’il y a violation d’une interdiction. C’est donc avant tout un outil complémentaire d’enquête, qui n’empêche pas forcément le passage à l’acte, tout le monde l’a reconnu. Qui pourrait affirmer que le meurtrier de Nelly Crémel n’aurait pas cédé à ses pulsions s’il avait été équipé d’un bracelet ? Des psychiatres pensent même le contraire. Le bracelet, c’est, en fait, la possibilité de déterminer où se trouvait quelqu’un à un moment précis, c’est-à-dire de dégager une probabilité de culpabilité après la récidive, et de faciliter l’enquête pour arrêter le récidiviste, mais ce n’est pas forcément le moyen d’empêcher la récidive, même si, dans le cas des pervers sexuels qui préméditent leurs crimes ou leurs délits, la certitude d’être repris peut être un facteur dissuasif.

En tout cas, si cette mesure est adoptée, il faudra attendre trois ans avant l’arrivée du premier bracelet, qui coûtera au moins 60 euros par personne et par jour. Sachant qu’il pourrait s’adresser à 7 000 personnes actuellement incarcérées, ce dispositif reviendrait donc à 153 millions d’euros par an ! Imaginez combien d’agents chargés du suivi de la réinsertion on pourrait embaucher avec une telle somme !

À propos du traitement médical, votre prédécesseur, M. Perben, avait annoncé, en novembre 2004, une étude de l’INSERM qui devait commencer début 2005 sur 48 patients volontaires, mais elle n’a toujours pas démarré faute de crédits. Surtout, cette proposition feint d’ignorer que la relation entre le patient et le médecin est au cœur de l’efficacité du traitement. C’est à un médecin de décider d’un traitement médical, selon la loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades et le code de déontologie de la médecine, et les professionnels sont unanimes – il faudrait d’ailleurs l’expliquer à M. Sarkozy : les médicaments diminuant la libido ne peuvent fonctionner que sur des patients volontaires.

L’exemple de la Suède est révélateur. Dans ce pays, l’on a vu des personnes ayant subi une castration chirurgicale récidiver en prenant de la testostérone à haute dose. On pense même qu’entre 20 % et 50 % des hommes castrés vont retrouver, même des années après l’opération, une vie sexuelle active.

Le problème de votre proposition de loi, mes chers collègues de la majorité, c’est qu’elle ignore les raisons profondes de la récidive : une population carcérale qui atteint des records historiques et qui empêche toute politique de réinsertion, une individualisation insuffisante des peines et une sous-utilisation des mesures qui ont fait leurs preuves, comme le suivi socio-judiciaire et les mesures en milieu ouvert.

Avec plus de 62 000 détenus, les prisons françaises restent en effet la première machine à fabriquer de la récidive. Nous sommes quelques-uns à nous rendre régulièrement dans les prisons. Il y a quinze jours, j’étais à Fresnes et j’ai de nouveau vérifié à quel point ce constat était vrai.

Il faudrait d’abord bannir l’oisiveté de la prison en y rétablissant l’obligation d’activité car, au-delà de la sanction, la prison doit aider chaque détenu à retrouver des repères : se lever le matin, se former ou travailler pour donner un sens à la peine qu’il purge.

Il faudrait aussi et surtout y assurer un suivi et de vrais soins médicaux. Avec 15 % de détenus souffrant de troubles psychiatriques ou de dépendances toxicomaniaques fortes, un vrai travail est à faire, ce qui suppose aussi qu’un véritable dossier de personnalité avec expertise psychologique ou psychiatrique soit établi dès l’incarcération et transmis ensuite à chaque nouvelle comparution en justice.

En outre, il est inconcevable de continuer à permettre des sorties sèches. Je citerai à ce sujet Mme Anne Bordier, victime du violeur récidiviste Patrick Trémeau, qui commente ainsi votre proposition de loi :

« J’attends l’électrochoc qui permettra à la société tout entière de réaliser combien les prisons et les détenus sont dans un état déplorable, menant tout droit a la récidive. Il faudrait aller bien plus loin. Notamment sur l’évaluation des détenus qui devraient, dès leur entrée en prison, faire l’objet de propositions de soins en fonction de leur état. »

M. Hervé Morin. Exactement !

M. André Vallini. « Puis mettre en place de véritables suivis médicaux et psychologiques pendant leur peine. Dans les pays du Nord ou au Canada, les détenus sont évalués, jaugés, tout au long de leur incarcération. Ils sont contraints à de sérieuses prises en charge thérapeutiques. Avant leur éventuelle sortie, ils sont de nouveau examinés et la libération est préparée sur mesure. Le grand absent du débat actuel est le ministre de la santé. Il y a un déficit de 800 psychiatres en prison. » Voilà ce que constate Mme Bordier. On ne saurait mieux dire !

Je citerai aussi Brahim, vingt-trois ans, braqueur récidiviste : « Pour tuer le temps, j’avais pris l’habitude de regarder les débats parlementaires, le mercredi après-midi, à la télévision. Les politiciens sont immatures. S’ils veulent éviter la récidive, il faut commencer par remettre des éducateurs dans les cités et aider les détenus à réussir leur sortie ». Là encore, on ne saurait mieux dire !

Que ce soit clair, mes chers collègues, il ne s’agit en aucun cas de choisir entre répression et assistance éducative ou thérapeutique. Il s’agit de dire qu’il est inefficace d’opter pour la première sans qu’elle soit enrichie par la seconde. Et le Conseil constitutionnel l’a souvent rappelé : « L’exécution des peines privatives de liberté a été conçue non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion. »

M. Georges Fenech. C’est notre avis !

M. André Vallini. Un mot enfin, monsieur le garde des sceaux, sur le grave « dérapage », qui vous a valu le rappel à l’ordre non seulement du président du Conseil constitutionnel, M. Pierre  Mazeaud, mais aussi de notre président, M. Jean-Louis Debré, que je cite : « On ne peut pas, en République, laisser entendre que l’on va admettre, tolérer, encourager, faciliter une violation de la Constitution. »

M. Jacques Remiller. C’était un peu fort !

M. André Vallini. Certes, le principe de non-rétroactivité des lois pénales peut sembler bien froid et abstrait face à la souffrance des victimes, mais cela ne saurait en aucun cas justifier que des gouvernants, a fortiori le ministre de la justice, gardien de la légalité,  proposent d’écarter la Constitution comme source de normativité. Ou alors que resterait-il, sinon leur seule volonté comme source de toute norme ?

S’appuyant sur les émotions collectives, la peur, la haine ou la vengeance, la « démagogie pénale » est toujours très dangereuse. Elle peut aboutir à la transgression des règles de l’État de droit conçues alors comme des obstacles à l’action d’un pouvoir politique quel qu’il soit. On tremble d’avance devant les dérives auxquelles cela pourrait conduire !

Je termine, mes chers collègues, en vous demandant d’imaginer les réactions que les récentes et horribles affaires criminelles auraient déclenchées à droite de l’hémicycle si elles s’étaient produites entre 1997 et 2002. Sur un sujet aussi difficile, nous préférons, nous, faire preuve de responsabilité pour chercher les voies de l’efficacité.

Pour y parvenir, ayons d’abord la lucidité de reconnaître que la récidive est un sujet très complexe.

Ayons ensuite le courage de dire que le risque zéro n’existe pas, à moins de rétablir la peine de mort,…

M. Hervé Morin. Ou l’incarcération définitive !

M. André Vallini.… ce que personne ne souhaite ici, en tout cas je l’espère.

Ayons alors l’intelligence de penser que notre rôle consiste à combattre la récidive en remédiant d’abord à l’insuffisance des moyens de la justice pénale, dont la carence est la cause essentielle de toutes les récidives, y compris et peut-être surtout la récidive sexuelle.

Selon Jean-Luc Warsmann, « la priorité n’est pas d’inventer de nouvelles peines, mais de se donner les moyens d’appliquer les actes de justice. Cela ne sert à rien de faire des discours sur la récidive si on ne s’attaque pas d’abord à ce problème », celui de l’exécution des peines.

Mais, dans un contexte politique marqué par la pression démagogique très forte que vous subissez, monsieur le garde des sceaux, de la part du ministre de l’intérieur – je vous console : votre prédécesseur subissait la même pression de la part de M. Sarkozy…

M. Gérard Léonard, rapporteur. C’est un faux procès !

M. André Vallini. Dans ce contexte politique, disais-je, marqué par la pression démagogique insupportable que fait peser M. Sarkozy sur tout le Gouvernement,…

M. Gérard Léonard, rapporteur. Encore de la politique politicienne !

M. André Vallini.…vous préférez faire une loi de plus. Comme le notait récemment Michel Hunault, ce débat autour de la récidive s’apparente à « une course à l’affichage d’une plus grande sévérité ». Et c’est Hervé Morin, qui a dénoncé le fait que cette proposition de loi vise à « flatter l’opinion dans le sens du poil ».

Monsieur le ministre – et je m’adresse aussi à vous, monsieur le rapporteur, qui travaillez de bonne foi mais, apparemment, en vous trompant –, vous avez annoncé avant-hier, la création d’une commission d’analyse et de suivi de la récidive qui, dites-vous, aura pour mission d’évaluer l’ampleur de ce « phénomène mal connu ». Selon un communiqué de la chancellerie, cette commission « s’attachera à déterminer les outils fiables pour mesurer la récidive » : c’est donc que vous n’en disposez pas, « à analyser son évolution » : c’est donc que vous n’en avez pas idée, et « à formuler des préconisations pour la combattre » : c’est donc que vous êtes dans le flou et que vous continuez à tâtonner sur ce sujet difficile.

Mais vous avez raison et vous avez bien fait d’installer cette commission, car la récidive mérite moins d’improvisation et plus de sérénité. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande de voter cette question préalable et de rejeter le texte qui nous est soumis. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. le garde des sceaux. J’apporterai brièvement, sans entrer dans une polémique avec M. Vallini, quelques informations qui sont aujourd’hui en notre possession et qui intéressent l’ensemble de l’Assemblée. Elles ne sont pas encore certaines, mais elles posent des bornes pour le calendrier de mise en place du bracelet électronique.

J’ai ici un bracelet électronique, que l’on nous propose pour 18 euros et non pas 60, ce qui prouve que les prix baissent tous les jours. (Sourires.)

M. Hervé Morin. Il y a d’autres frais en jeu que le prix du bracelet !

M. le garde des sceaux. J’ajoute que la mise en œuvre de la loi ne pouvant pas se faire en un jour – le rapporteur a raison de me le rappeler –, il est probable que nous disposerons alors d’un modèle miniaturisé, trois fois plus petit que celui que je vous présente. Sachez seulement que le prix actuel n’est plus celui que M. Fenech, rapporteur de la mission d’information sur le placement sous surveillance électronique mobile, avait légitimement mentionné dans son rapport. De plus, comme pour tout frais engagé par le ministère de la justice, on procédera à un appel d’offres. À ma connaissance, il y a aujourd’hui deux fabricants, l’un israélien, l’autre américain. Sans doute y aura-t-il demain un fabricant français. Et vous verrez que les prix baisseront encore.

Par ailleurs, le potentiel maximal de criminels sexuels libérés après plus de dix ans de détention serait de l’ordre de 700 personnes chaque année. Une commission médicale évaluera la capacité du détenu à récidiver.

À ce propos, je rappelle que le dernier auteur présumé d’une récidive, dont un député socialiste précisait qu’elle n’était pas intervenue sous un gouvernement de gauche, arrivait en fin de peine. Étant donné l’impossibilité d’un suivi socio-judiciaire rétroactif, ce détenu ayant été condamné avant 1998, on ne pouvait rien faire dans son cas au vu de la législation actuelle. Je tenais à le préciser.

Si la commission médicale considère qu’environ 10 % de ces 700 personnes sont potentiellement dangereuses, il faudra soixante-dix bracelets par an. Certes, il faut tenir compte du cumul, mais ce chiffre donne une idée du nombre total du nombre de personnes concernées. Le comparer à celui des conseillers d’insertion et de probation relève à mon sens d’un raisonnement boiteux. En effet, comme l’a fait remarquer récemment un observateur, on ne peut pas mettre un conseiller de probation derrière chaque détenu libéré. Si utile qu’il soit, un conseiller ne peut jouer le même rôle que le bracelet. Les deux sont nécessaires et il n’y a pas lieu de les opposer.

Enfin, monsieur Vallini, vous avez mentionné un dernier point.

M. André Vallini. La violation de la Constitution ?

M. le garde des sceaux. Non, je pense à un amendement que M. Caresche et vous-même avez déposé, et dont le rapporteur a reconnu qu’il était excellent : il s’appuie sur une argumentation qui vaudrait parfaitement pour le bracelet électronique, mais que vous appliquez à l’injonction de soins.

M. Christophe Caresche. Ce n’est pas la même chose !

M. le garde des sceaux. Vous le voyez donc : nous sommes très proches les uns des autres. Vous pouvez multiplier les objections, votre démonstration relève plus de l’argutie que de l’argumentation juridique. Ce qui compte, c’est que nous avancions ensemble pour résoudre un vrai problème de société. C’est la seule chose qui m’importe. La polémique ne me semble plus de saison. Elle a eu lieu. À mes yeux, elle n’a pas apporté grand-chose. Au moins a-t-elle eu le mérite de faire connaître le bracelet électronique. À présent, mettons-le en œuvre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois. Je répondrai d’un mot à M. Vallini, que j’ai écouté avec beaucoup d’attention. Il nous a dit, comme d’ailleurs d’autres orateurs, que le problème était important, grave, difficile, complexe, et qu’il fallait s’en occuper. Là-dessus, nous sommes tous d’accord.

Il nous a dit également que le bracelet était un dispositif dissuasif. Ce sont vos propos, monsieur Vallini. Je les ai notés : « Le bracelet est un dispositif dissuasif. »

M. André Vallini. J’ai dit qu’il pouvait l’être !

M. Hervé Morin. En même temps que d’autres dispositifs !

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois. Par ailleurs, vous avez indiqué qu’il n’était peut-être pas suffisant, ce qui veut dire que, à côté de cette mesure, il faudrait en envisager d’autres ultérieurement…

M. le garde des sceaux. Non ! En même temps !

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois. …ou en même temps,…

M. André Vallini. Mais avec quel budget ?

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois. …en prévoyant des moyens pour cela. Ce raisonnement signifie que vous demandez plus encore au texte. Pourquoi pas, d’ailleurs, puisque ce souhait est partagé par des députés de tous les groupes ? Mais il ne représente en aucun cas une dénégation de l’efficacité du bracelet électronique, dont vous dites vous-même, j’y insiste, qu’il est dissuasif.

M. Christophe Caresche. M. Fenech a indiqué lui aussi que le bracelet n’est pas suffisant !

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois. Je ne comprends donc pas ce qui, sur le fond, vous permet d’aboutir à votre conclusion, qui est en contradiction radicale avec l’argumentation que vous avez développée.

Évoquant notre méthode de travail, vous avez parlé de « pression » et d’« improvisation ».

M. le garde des sceaux. Cela fait deux ans que nous travaillons sur ce sujet !

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois. On ne peut pas vous laisser tenir de tels propos. Voilà deux ans, en effet, qu’au terme d’une mission d’information, la commission travaille sur ce sujet dans le cadre d’un débat pluraliste et après un vote d’abstention dite « constructive » de votre groupe. Là encore, on ne peut conclure comme vous le faites. Il s’agit d’autant moins d’une improvisation que ces travaux ont été menés dès l’origine avec votre participation et sans que vous ayez jamais émis de vote défavorable. Certes, depuis lors, des événements dramatiques ont malheureusement replacé le sujet dans l’actualité et souligné son importance, ainsi que la nécessité de légiférer rapidement et aussi complètement que possible, mais notre travail était engagé depuis longtemps. Il n’est donc pas possible de parler d’ improvisation.

M. Christophe Caresche. Si, sur le bracelet électronique, il s’agit bien d’une improvisation !

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois. Vous avez enfin mis en cause la constitutionnalité de ce texte, reprenant en cela un argument qui avait déjà été avancé. Mais je vous renvoie aux propos de M. Fenech. Vous ne faites qu’exprimer un doute.

M. André Vallini. Je n’ai rien dit à ce sujet dans la question préalable ! C’est M. Caresche qui s’est exprimé sur ce point.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois. En effet. Nous n’avons pas entendu dans votre bouche, monsieur Vallini, d’argument construit juridiquement expliquant pourquoi le texte ne serait pas conforme à la Constitution.

M. André Vallini. Bien entendu ! Tel n’était pas l’objet de mon intervention.

M. Philippe Houillon, président de la commission des lois. Mais, ce matin encore, un représentant de votre groupe a déclaré, comme il l’avait fait déjà à plusieurs reprises, que vous saisiriez le Conseil constitutionnel. Dans une démocratie, il est sain que ceux qui doutent – et donc qui n’avancent pas – saisissent le juge constitutionnel et que celui-ci se prononce. Il le fera et alors, ainsi que le garde des sceaux l’a rappelé, les esprits seront apaisés.

En attendant, je vous propose, mes chers collègues, de rejeter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. Dans les explications de vote sur la question préalable, la parole est à M. Guy Geoffroy, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.

M. Guy Geoffroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous serions tous disposés à adhérer aux propos de M. Vallini, si les conclusions qu’il en tire n’étaient pas celles que nous avons entendues.

M. Gérard Léonard, rapporteur. Très bien !

M. Guy Geoffroy. Après une exception d’irrecevabilité un peu légère et pauvre en motifs d’inconstitutionnalité, nous avons eu droit à une question préalable d’une brièveté et d’une clarté qui témoignent manifestement de l’embarras de nos collègues socialistes. Cet embarras, je le comprends parce que, en fait, nous sommes tous d’accord sur l’objectif à atteindre.

Mais reprenons certains des propos de M. Vallini.

Il nous a reproché de donner la suprématie à la solution carcérale et de pratiquer la « démagogie pénale ». Mais qui parmi nous, et particulièrement sur les bancs de l’UMP, oserait dire que le « tout-carcéral » répond à tous les problèmes de délinquance et de criminalité de notre pays ? C’est l’inverse ! Nous n’allons pas reprendre les débats que nous avons eus à l’occasion de la loi d’orientation ou de celles qui l’ont suivie, mais nos concitoyens savent bien, monsieur Vallini, que ce n’est jamais le « tout-prévention » ou le « tout-répression » qui fonde une politique pénale efficace. Il faut un mariage équilibré, en permanente évolution, entre la prévention, qui permet de se prémunir, et la répression qui, quelquefois, est aussi une forme de prévention.

Vous posez une autre question sans y répondre : l’allongement des peines est-il un outil efficace contre la récidive ?

M. André Vallini. Non ! J’ai affirmé l’inverse !

M. Guy Geoffroy. Vous n’avez pas prouvé qu’il s’agissait d’un outil efficace – d’ailleurs vous n’avez pas cherché à le faire –, mais vous n’avez pas non plus montré le contraire.

M. André Vallini. Les chiffres sont là !

M. Guy Geoffroy. Ayez donc un peu de bon sens ! Une personne en état de délinquance ne réfléchira-t-elle pas à deux fois avant de récidiver, si elle sait que la deuxième condamnation, voire la troisième – ou plus, quand on a affaire à un vrai récidiviste –, risque d’être plus lourde ?

Nous ne prétendons pas que l’allongement des peines pour les récidivistes soit la solution. Mais c’est un élément parmi d’autres, qui permettra peut-être d’améliorer la situation. D’ailleurs, le juge reste libre d’appliquer la peine qu’il souhaite, compte tenu de la personnalité et de l’identité du prévenu.

Vous avez regretté la sous-utilisation du suivi socio-judiciaire. Ce constat accable chacun d’entre nous. Mais pourquoi cet état de fait serait-il acceptable entre la décision de 1998 et 2002, et totalement répréhensible depuis ? Convenons que ce qui a été décidé en 1998 n’a jamais été effectivement mis en œuvre, parce que vous n’avez pas prévu davantage de moyens entre 1998 et 2002.

M. André Vallini. Cela fait trois ans que vous êtes aux affaires ! Vous avez eu trois budgets pour intervenir !

M. Guy Geoffroy. D’ailleurs, ces moyens, nous avons commencé à les prévoir avec la loi d’orientation et nous continuerons à le faire.

Vous vous demandez également, monsieur Vallini, si la surveillance judiciaire est une mesure miracle. Avons-nous rien prétendu de tel ? Nous pensons seulement qu’il faut tout tenter, dans le cadre de cette nouvelle notion, pour que les sorties sèches soient éliminées au maximum, pour que le détenu sortant de prison ne soit plus aigri ni malade de la prison, mais qu’il ait réfléchi pendant sa détention, et pour que sa sortie soit accompagnée.

Le président de la commission des lois l’a rappelé : vous affirmez vous-même que la surveillance judiciaire est peut-être un facteur dissuasif. Refuserions-nous qu’il soit mis en place ? Au contraire, nous considérons qu’on ne saurait renoncer à ce facteur supplémentaire.

M. André Vallini. C’est aussi notre avis !

M. Guy Geoffroy. Enfin, vous mettez en balance, comme à votre habitude, les moyens des SPIP, les services pénitentiaires d’insertion et de probation, que vous jugez insuffisants, ce dont nous convenons, et la surveillance judiciaire. Une nouvelle fois, vous opposez de manière artificielle la prévention et l’accompagnement, d’une part, et, de l’autre, la répression. Mauvais combat, mauvais débat. Dépassons-les ensemble. Nous savons que vous en êtes capable.

Vous vous interrogez sur les raisons profondes de la récidive. Celles-ci, vous le savez bien, sont complexes et nombreuses, mais il en est une que tout le monde connaît : le sentiment d’impunité. Il nous faut le combattre, et c’est ce que souhaitons faire

M. Christophe Caresche. Vous êtes au pouvoir depuis trois ans !

M. Guy Geoffroy. Pour conclure, en cette matière comme en beaucoup d’autres, votre analyse des solutions dépend du camp politique qui veut les mettre en place. Lorsque nous disons qu’il faut créer des juges de proximité, vous dites que ce n’est pas bien, mais lorsque c’est vous qui le proposez, alors c’est bien. Lorsque nous proposons de créer des centres éducatifs fermés, ce n’est pas bien non plus, mais quand c’est vous qui le proposez, c’est bien. Et lorsque nous voulons passer du bracelet électronique fixe au bracelet électronique mobile, ce n’est pas bien mais si vous étiez en mesure de le créer, vous le feriez. Dépassons cette manière de voir les choses.

M. Christophe Caresche. Nous ne disons pas que ce n’est pas bien ! Vous n’avez pas compris !

M. Guy Geoffroy. La question préalable a pour objet de démontrer qu’il n’y a pas lieu de délibérer, mais votre propos nous incite, au contraire, à débattre de ce sujet.

M. Gérard Léonard, rapporteur. Très bien !

M. Guy Geoffroy. Le président Houillon a eu raison de le dire : depuis deux ans, nous ne travaillons pas dans l’improvisation, mais de manière pragmatique, lucide et humble, afin de répondre sans démagogie mais avec détermination au vœu de nos concitoyens, qui nous demandent de traiter la récidive le moins mal possible. Nous voulons en débattre, aborder le fond et faire en sorte que ce texte soit adopté. C’est la raison pour laquelle le groupe UMP ne votera pas la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe communiste et républicain.

M. Michel Vaxès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voterons la question préalable défendue par M. Vallini. Cette explication de vote est pour moi l'occasion d’aborder un point qui nous préoccupe tous : le sort que ce texte réserve aux victimes.

Selon l'auteur de la proposition de loi, aujourd'hui garde des sceaux, la victime serait au centre de ses préoccupations. Nous serions plus enclins à le croire s'il proposait, dans ce texte, un traitement efficace des délinquants permettant d'enrayer la récidive. Or il est simplement question de prolonger les peines d'emprisonnement ferme pour les écarter le plus longtemps possible, sans rien leur proposer durant ce temps d'isolement. Non, monsieur Geoffroy, ce texte n’est pas équilibré : sa ligne directrice est l’allongement des peines. Pas d'éducation, pas de soins, pas de prévention, pas de formation – nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen du budget de la justice.

Pourtant, un jour ou l'autre, le détenu sortira de sa cellule, n'en déplaise à l'actuel garde des sceaux, qui fut en son temps l'un des porte-parole du vote contre l'abolition de la peine de mort.

M. Hervé Morin. C’est exact !

M. Jacques Remiller. Mais c’était il y a vingt-cinq ans !

M. Michel Vaxès. On évolue, j’en conviens. Est-il raisonnable de croire et de faire accroire aux victimes potentielles qu'elles seront protégées par de tels dispositifs ?

Vous prétendez prendre soin des victimes en les protégeant des individus dangereux, mais vous les exposerez, demain, à des individus plus dangereux encore parce qu'ils n'auront pas été pris en charge lors de leur détention. Il faut dire la vérité : ce n'est pas en prolongeant les peines de prison et en ayant recours plus souvent à des peines d'emprisonnement ferme que nous enrayerons la récidive.

La fermeté, la sévérité sont nécessaires, indispensables même, mais elles sont inutiles si elles ne s'accompagnent pas d'un suivi éducatif, social, psychologique et médical de grande qualité. Or ce texte ne prévoit rien en ce sens, et le budget pour 2006 ne prévoit pas les moyens nécessaires à l'accomplissement d'un tel projet.

Cette proposition de loi ne prend donc pas en compte, contrairement à ce que vous prétendez, les intérêts des victimes. Non, la victime est simplement un instrument au service de votre politique.

M. Gérard Léonard, rapporteur. Ce n’est pas sérieux !

M. Michel Vaxès. La victime de tous les jours, celle qui n'est pas utilisée comme étendard de vos réformes, elle est abandonnée par votre politique pénale. J'en veux pour preuve les réformes récentes qui tendent à accélérer les procédures, notamment la procédure du plaider-coupable.

Comme le déclarait récemment le magistrat Denis Salas dans un entretien à un quotidien national, cette politique « aboutit à déplacer le centre de gravité de la justice pénale, abandonnant le travail auprès du délinquant pour privilégier la réparation due à la victime. Si la demande des victimes est légitime, les réponses sont manipulatrices, frappées au sceau du populisme et d'une dérive émotionnelle. »

Du reste, les principaux concernés ne s'y trompent pas. Les victimes et les associations de victimes sont les premières à réclamer la mise en place d'une politique efficace de lutte contre la récidive, c'est-à-dire une politique pénale qui ait pour objectif de suivre les détenus et de leur donner les moyens de se réinsérer à leur sortie de prison. Seule, la prison ne peut rien résoudre. Les victimes sont les premières à le savoir. C'est pourquoi elles réclament aussi que le personnel soit suffisamment nombreux pour assurer le suivi des détenus.

Les politiques qui sont faites de lois d'affichage, de lois slogans, ne résistent jamais longtemps à l'épreuve des faits. Malheureusement, ce sont les futures victimes qui feront les frais de cette politique qui se nourrit de réactions émotionnelles ou compassionnelles et qui n'a pas le courage de s'attaquer aux causes. Pour ces raisons, le groupe communiste et républicain votera la question préalable.

M. le président. La parole est à M. Hervé Morin, pour le groupe UDF.

M. Hervé Morin. Monsieur le ministre, la proposition de loi que nous examinons ce soir en deuxième lecture, élaborée dans la précipitation, a fait l’objet d’une surenchère au sein du Gouvernement, en raison des rivalités qui opposent le ministre de l’intérieur et le Premier ministre. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Nous aurions aimé aborder ce sujet dans la sérénité et dans sa globalité.

M. Gérard Léonard, rapporteur. Lisez les rapports !

M. Hervé Morin. Je les ai lus. Aborder le traitement de la récidive sous le seul angle de l’allongement des peines et de l’introduction du bracelet électronique mobile, ce n’est pas, vous en conviendrez, dire la vérité aux Français.

Qui peut croire que le fait d’augmenter, en cas de récidive, la durée d’incarcération nécessaire pour obtenir une libération conditionnelle permettra d’empêcher de passer à l’acte des récidivistes tels que Bodin ou Fourniret. Pour les grands psychopathes, la peine n’a pas ou peu d’effet dissuasif. Le traitement de la récidive passe donc par une série de mesures, dont le bracelet électronique fait partie, mais qui consistent d’abord et avant tout à obliger le détenu à avoir une activité en prison – à se lever le matin, à suivre une formation, à travailler, à lire et à écrire –, à limiter au maximum les sorties sèches et à recourir le plus possible aux libérations conditionnelles, assorties d’un suivi socio-judiciaire et d’une obligation de soins.

C’est ainsi qu’il aurait fallu aborder la question, et non en envisageant simplement d’aggraver les peines. À moins que l’on ne soit favorable – mais que ceux-là le disent alors clairement devant l’opinion publique – à la mise à l’écart physique de ceux dont on estime qu’ils sont trop dangereux pour la société et qu’ils n’ont aucune chance de suivre, un jour ou l’autre, le chemin de la rédemption. Dans ce cas, il faut aller jusqu’au bout de la logique du cumul des peines et condamner les individus à cent ou cent cinquante ans de prison, comme aux États-Unis, ou rétablir la peine de mort. Si ce système était efficace, nous le saurions depuis longtemps car, aux États-Unis, le taux d’incarcération est sept fois supérieur au nôtre, mais le taux de criminalité cinq fois supérieur.

M. Georges Fenech. Nous ne sommes pas aux États-Unis !

M. Hervé Morin. Ce n’est donc pas en augmentant les peines et en recourant au tout-répressif que l’on réglera le problème.

M. Guy Geoffroy. Il faut un ensemble de mesures !

M. Hervé Morin. Par ailleurs, monsieur le garde des sceaux, je viens d’appeler Michel Mercier, président du groupe UDF au Sénat, qui m’a indiqué qu’il ne vous avait pas eu au téléphone.

M. le garde des sceaux. Je l’ai vu en tête-à-tête. C’est très ennuyeux pour lui ! (Sourires.)

M. Hervé Morin. Bien, je le rappellerai.

Quoi qu’il en soit, puisque l’on introduit le bracelet électronique mobile comme mesure d’application des peines pour celles et ceux qui bénéficient d’une réduction ou d’un crédit de peine, j’invite l’Assemblée à revoir l’ensemble du dispositif, car le délai très bref qui sépare une sortie sèche d’une libération conditionnelle empêche bien souvent que cette dernière soit efficace.

Enfin, le traitement de la récidive ne peut être dissocié de la question des moyens accordés à la justice. Malheureusement, on prend des mesures, sans prévoir les crédits nécessaires à leur application.

M. le président. La parole est à M. Christophe Caresche, pour le groupe socialiste.

M. Christophe Caresche. Si on laisse de côté le bracelet électronique, l’essentiel de votre proposition vise en fait à durcir les peines encourues par les récidivistes.

M. Guy Geoffroy. Ce n’est probablement pas inutile !

M. Christophe Caresche. C’est d’ailleurs également l’objet de la plupart des amendements que nous examinerons, lesquels proposent par exemple d’augmenter la durée de mise à l’épreuve pour la liberté conditionnelle. Bref, comme l’a dit M. Vallini, vous privilégiez une logique carcérale plutôt qu’une logique d’accompagnement des peines, de suivi des détenus et d’alternative à la prison.

Or non seulement le durcissement des peines est inefficace au plan de la lutte contre la récidive, mais cela coûte cher. Et les crédits que vous consacrez à l’administration pénitentiaire, notamment pour la construction de nouvelles places de prison, manqueront pour le suivi socio-judiciaire des détenus. Chacun reconnaît pourtant qu’il s’agit d’une bonne mesure, mais les juges ne la prononcent pas suffisamment parce que, dans certaines juridictions, ils n’ont pratiquement aucun moyen pour la mettre en œuvre.

C’est ce type de choix que vous refusez de faire alors qu’il le faudrait. Et si vous ne voulez pas choisir, c’est parce qu’il y a débat au sein même de votre majorité. D’un côté, certains sont pour les peines plancher, les peines automatiques et le cumul de peines. Nous verrons au cours du débat qu’ils ont déposé des amendements en faveur du cumul de peines – notamment pour ce qui concerne la réitération et la récidive – qui s’inscrivent dans une logique proche du système pénal en vigueur aux États-Unis. Il s’en trouve d’autres, moins nombreux, dans vos rangs – M. Warsmann en fait partie – pour penser que les solutions sont plutôt à rechercher dans le suivi et l’application des peines.

Votre proposition de loi, si elle constitue le résultat de ces deux points de vue contradictoires, est avant tout marquée par une tendance au durcissement des peines. Je pense que notre débat reflétera l’affrontement entre ces deux logiques : la nôtre, selon laquelle il faut donner des moyens à l’accompagnement et au suivi, et la vôtre, selon laquelle il faut plus d’emprisonnement.

M. le président. Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président. La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à dix-neuf heures quinze.)

M. le président. La séance est reprise.

Discussion générale

M. le président. Dans la discussion générale, la parole est à M. Georges Fenech.

M. Georges Fenech. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'immense émotion suscitée ces dernières années dans l’opinion publique par des affaires criminelles impliquant des individus récidivistes récemment sortis de prison, parfois encore placés sous main de justice, a ravivé dans notre pays un débat récurrent sur les mesures à prendre pour empêcher la survenance de tels événements.

C'est dans ce contexte que notre assemblée, saisie en deuxième lecture de l'examen d'une proposition de loi d'initiative parlementaire sur la récidive, doit répondre à une double préoccupation, celle de renforcer les moyens juridiques pour permettre aux tribunaux de mieux prendre en compte l'état de récidive afin de le sanctionner plus fermement et celle de répondre dans le même temps à une attente légitime de nos concitoyens face à un phénomène de plus en plus mal accepté. L'approche du législateur doit s'inspirer de l'adage populaire errare humanum est, perseverare diabolicum.

À l'escalade de la délinquance violente doit répondre l'aggravation de la sanction et du contrôle. Le texte qui nous est directement proposé est issu, monsieur le ministre, d'une mission d'information dont vous étiez vous-même le président et notre collègue Gérard Léonard le rapporteur. Je tiens, au nom de mon groupe politique, à rendre à ce dernier un hommage particulier…

M. Guy Geoffroy. Et mérité !

M. Georges Fenech. …pour la qualité de son travail et sa sérénité inébranlable face aux tentatives de désinformation de toute sorte.

La présente proposition de loi reprend l'essentiel des recommandations de la mission, en particulier la plus novatrice d'entre elles, le placement sous surveillance électronique mobile. J'avais d’ailleurs moi-même été chargé d’une mission sur ce sujet par le Premier ministre le 3 janvier 2005 et j’ai remis mon rapport à votre prédécesseur, Dominique Perben, en avril de la même année.

Nous arrivons ainsi au terme d'un très long processus parlementaire de plus de dix-huit mois qui a beaucoup mobilisé notre commission des lois – nombreuses auditions et examen de multiples amendements. Il s'agit d'un travail en profondeur mené loin de l'émotion et auquel l'opposition a apporté, reconnaissons-le, son abstention constructive.

Car il est des sujets, mes chers collègues, et celui de la récidive en est un, qui doivent nous amener, au-delà de nos sensibilités respectives et légitimes, à répondre à un véritable fléau de société de manière tout à la fois ferme, humaine et équilibrée.

M. Gérard Léonard, rapporteur. Très bien !

M. Georges Fenech. Il s'agit de punir plus fermement les délinquants les plus endurcis sans jamais hypothéquer leurs chances de réinsertion.

Force en effet est de constater qu'avec un taux actuel de 31 % de récidivistes, l'appareil répressif ne remplit plus pleinement ses objectifs de dissuasion et de réinsertion. C'est autour des deux finalités essentielles de la sanction que sont, d'une part, la dissuasion et d'autre part, la réinsertion que nous devons agir sans plus attendre.

La dissuasion d'abord. Je reste convaincu, sans doute de par mon expérience professionnelle antérieure, que la meilleure des préventions reste encore la certitude de la peine. Le candidat à la délinquance d'habitude doit savoir qu'en cas de récidive, il ne bénéficiera pas du même traitement qu'un primo-délinquant. À quoi aboutissent, en effet, les avertissements sans frais et à répétition sinon à une forme d'encouragement à persévérer dans la voie de la délinquance ?

M. Guy Geoffroy. Absolument !

M. Georges Fenech. Ainsi, plusieurs mesures qui nous sont proposées vont dans le bon sens et permettront de lutter plus efficacement contre la récidive d'une manière générale et celle des délinquants sexuels en particulier.

Quelles sont ces mesures ?

C'est tout d'abord l'élargissement des catégories de délits assimilés au sens de la récidive. Je n’y reviendrai pas, monsieur le ministre.

De même, la prise en compte pour la récidive des condamnations étrangères prononcées dans les États de l’Union européenne est, à mon sens, une mesure logique et opportune.

Ainsi, tout en restant attaché au principe de la « récidive spéciale et temporaire » appliquée en matière délictuelle, le juge pourra mieux réprimer des comportements dangereux qui, en définitive, relèvent bien d'une même et unique attitude de transgression violente de la loi et d'atteinte aux personnes.

Deuxième mesure novatrice : la limitation à deux du nombre de sursis avec mise à l'épreuve pouvant bénéficier à un délinquant récidiviste et à un quand il y a eu récidive en matière de violence et d'agression sexuelle. Les rodomontades judiciaires ne peuvent en effet qu'encourager la délinquance d'habitude. Le sursis probatoire doit avoir un sens pour le condamné qui saura qu'en cas de nouvelle récidive, c'est l'emprisonnement ferme qui s'appliquera de plein droit.

Troisième mesure fortement dissuasive : à l'audience de jugement, le mandat de dépôt est appliqué de plein droit lorsque le condamné est en état de récidive légale pour les délits de violence ou d'agression sexuelle, à moins que la juridiction ne prenne une décision spécialement motivée. Cette disposition responsabilisera davantage le juge répressif face à la délinquance répétitive.

Quatrième mesure dissuasive : la limitation du crédit de réduction de peine pour les récidivistes. Il paraît en effet logique qu'un récidiviste endurci ne bénéficie pas de la même bienveillance au stade de l'exécution de la peine qu'un délinquant primaire. Il s'agit là encore d'une simple mesure d'équité et de bon sens.

Cinquième mesure importante : le relèvement du seuil pour l'octroi d'une libération conditionnelle en matière de peines criminelles. Nous y reviendrons au cours du débat.

Ce texte équilibré, monsieur le ministre, intègre parfaitement la deuxième finalité assignée à la peine, celle de la réinsertion. Encore faut-il que le condamné ayant purgé sa peine et une fois libre, mais dont on peut craindre qu'il ne récidive en raison de sa personnalité particulière, de ses troubles de comportement, voire d'une pathologie – on pense bien sûr en priorité aux infractions à caractère sexuel – ne soit pas relâché dans la nature sans un contrôle strict qui relève à la fois de la médecine, de la police et de la justice. Le souci légitime de tendre vers la réinsertion en milieu libre doit s'accompagner de la préoccupation permanente de protection de la société et des victimes potentielles.

Rappelons à cet égard que la loi du 17 juin 1998 a créé la peine complémentaire du suivi socio-judiciaire. C'est incontestablement un bon moyen de contrôle des individus dangereux. Une fois libres, ils peuvent être astreints à un suivi médical, interdits de paraître dans certains lieux ou de rencontrer certaines personnes. Et c'est bien là que le placement sous surveillance électronique trouve toute son utilité.

Je n’imagine pas que l’opposition puisse aujourd’hui critiquer un dispositif dont elle a pris elle-même l’initiative puisqu'il a été consacré en droit positif français sous le ministère de Mme Guigou, avec le soutien de l'opposition de l'époque, par la loi du 19 décembre 1997, laquelle a institué la surveillance électronique statique. Il y aurait dès lors incohérence à rejeter – mais tel n’est pas le cas – un dispositif techniquement plus performant au seul prétexte que c'est notre majorité qui le propose. Car en définitive, le bracelet électronique mobile n'est que le prolongement technologique du bracelet fixe qui a déjà fait ses preuves en France depuis sa mise en œuvre en avril 2000.

Le bracelet électronique représente une atteinte limitée à la liberté individuelle puisqu'il ne fait pas totalement obstacle à la liberté d'aller et venir. Ainsi que le faisait remarquer Nicole Guedj, secrétaire d'État aux droits des victimes, lors de son audition dans le cadre de ma mission d'étude, la surveillance électronique mobile n'empêche pas la poursuite d'une vie normale et constitue donc le contrôle minimum que les citoyens sont en droit d'attendre de l'autorité judiciaire. En ce sens, il ne contrevient pas au principe de nécessité et de proportionnalité des peines qui découle de l'article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Cela étant, personne ici ne prétendra que la surveillance électronique réglera d'un coup de baguette magique la question de la récidive sexuelle. Personne ne croira au risque zéro en ce domaine. Pour autant, pourquoi se priverait-on d'un procédé qui assure un contrôle accru des individus les plus dangereux et sur lesquels il produira, incontestablement, un effet dissuasif ?

L'espoir suscité par ce dispositif technique déjà en vigueur dans d'autres pays tels que les États-unis, la Grande-Bretagne et l'Espagne ne doit pas s'effacer face aux craintes irrationnelles d'une dérive totalitaire qu'il inspire à certains.

Quelques sceptiques s'interrogent encore sur sa réelle efficacité face à des criminels soumis à des pulsions irrésistibles qui les situent à la frontière du psychiatrique et du judiciaire. La critique n'est pas sans fondement, d'où la nécessité d'améliorer l'évaluation de la dangerosité avant de décider d'une telle mesure.

C'est en tout cas l'enseignement que j'ai tiré de mon voyage d'étude aux États-Unis, où le bracelet électronique mobile existe depuis 1998. Ainsi, dans l'État de Floride, pour la période du 1er juillet 2002 au 30 juin 2003, le pourcentage de révocation à la suite de la commission d'une nouvelle infraction était de 0,5 % pour les condamnés sous surveillance électronique alors qu'il s'établissait à 5,2 % pour les autres condamnés sous contrôle judiciaire classique.

M. Gérard Léonard, rapporteur. C’est éloquent !

M. Georges Fenech. II est important, par ailleurs, de souligner que le bracelet électronique peut, parallèlement à ses vertus intrinsèques contre la récidive, devenir un outil complémentaire d'enquête puisqu'il est possible, lorsqu'une infraction a été commise, de localiser de façon précise les personnes porteuses d'un bracelet électronique au moment de la commission de l'infraction. C'est ainsi que les États-unis et la Grande-Bretagne procèdent notamment.

La surveillance électronique mobile est en adéquation avec notre temps dans la mesure où elle est davantage tournée vers une logique de prévention et de protection de la victime que vers une logique de répression. C'est un procédé moderne moralement et politiquement acceptable, qui s'inscrit, je le répète, dans le prolongement du bracelet électronique statique.

Ainsi, grâce à la technique du GPS associé au GSM, pourra être contrôlé à cinq mètres près le respect par le condamné d'un programme délimité par l'autorité judiciaire en fonction des faits commis. Ce programme définit des zones d'inclusion telles que l'assignation à domicile à certains horaires, et des zones d'exclusion tels que des lieux accueillant des enfants – écoles et centres de loisirs, par exemple –, des lieux fréquentés par la victime ou des lieux criminogènes.

S’agissant de la question du coût de ce dispositif, souvent présenté comme prohibitif, il pourrait en réalité se rapprocher du coût journalier de détention, voire lui être inférieur, en fonction du degré d'externalisation choisi.

C’est donc un procédé utile, opportun et conforme à notre tradition.

Comme vous le savez, monsieur le garde des sceaux, j'avais suggéré, dans le cadre du rapport que j’ai remis à la Chancellerie en avril dernier, que le bracelet électronique mobile, à l'instar du bracelet électronique fixe déjà en vigueur dans notre législation, s'inscrive dans le cadre juridique du suivi socio-judiciaire. Je me félicite que cette proposition ait été retenue par la commission des lois.

Dans cette affaire, c'est la voie de la sagesse qui l’a emporté puisque vous nous proposez d'abandonner le principe de la rétroactivité, qui présentait un risque sérieux d'inconstitutionnalité, tout en assortissant le crédit de réduction de peine de la possibilité d'un placement sous surveillance électronique. Pouvant s'analyser comme une mesure de sûreté, ce dispositif doit pouvoir s'appliquer immédiatement dans le nouveau cadre de ce que vous appelez très justement la « surveillance judiciaire ».

Ainsi, mes chers collègues, le texte qui nous est proposé répond au double impératif d'une politique pénale basée sur ses deux piliers que sont la répression et la prévention de la récidive, notamment à l'égard des délinquants les plus dangereux et plus particulièrement des auteurs d'infractions sexuelles. Les Français attendent ce texte, ils nous font confiance. Ne les décevons pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La parole est à M. Philippe Tourtelier.

M. Philippe Tourtelier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parlons de façon responsable de la récidive.

La récidive, et plus largement la criminalité, la justice pénale, la prison, la sanction, les droits des victimes, sont des sujets graves qui préoccupent fortement les Français. Nos compatriotes sont régulièrement et légitimement émus par l'extrême souffrance des victimes de crimes graves, et éprouvent une certaine lassitude face à une criminalité difficile à combattre. Il faudra donc sortir du discours démagogique et électoraliste dans lequel les gouvernements issus de l’actuelle majorité se complaisent trop souvent depuis 2002, sans pour autant traiter ces questions avec légèreté ou, pire, refuser de les traiter. Les Français ne comprendraient pas.

Par conséquent, nous devons préserver les valeurs qui sont les nôtres, et tenir un discours d'efficacité sans bafouer les droits fondamentaux de la personne garantis par la Constitution. Il serait irresponsable en effet d'oublier les leçons de l'histoire alors que la lutte contre la récidive a été en France un sujet permanent de débat depuis deux siècles, voire une obsession. Cette histoire est marquée par une longue suite d'échecs des solutions purement répressives. Notre code pénal aboutit à un système dont le régime a été constamment durci : doublement des peines encourues, fortes restrictions dans l’octroi de la libération conditionnelle, réduction des aménagements de peine,etc. Et, aujourd’hui, vos propositions poursuivent dans cette voie.

Dans la pratique – toutes les études le prouvent et les promoteurs de cette réforme le reconnaissent, y compris notre rapporteur dès la première lecture –, on constate un « substantiel alourdissement des peines prononcées à l’encontre des délinquants d'habitude ». Les peines appliquées par les juges aux récidivistes sont beaucoup plus sévères, sévérité qui contribue d'ailleurs grandement à la surpopulation pénitentiaire actuelle. Il n'y a donc aucune urgence particulière à légiférer aujourd’hui, aucune crise particulière à juguler, aucune aggravation à stopper. C'est un problème non pas conjoncturel, mais structurel.

Il est dès lors possible d'améliorer largement le système en appliquant déjà les lois existantes plutôt qu'en en votant de nouvelles. Nous regrettons donc cette nouvelle réforme législative proposée dans la précipitation et dans un climat malsain, entretenu par la démagogie et les propositions outrancières d'un ministre de l'intérieur distributeur de recettes miracles.

M. André Vallini. Très bien !

Mme Nadine Morano. Heureusement que nous l’avons, ce ministre de l’intérieur !

M. Philippe Tourtelier. Tous les professionnels demandent une pause. Nous aussi. Il est temps de mobiliser l'intelligence et non la peur.

M. Guy Geoffroy. Il faut mobiliser le courage aussi !

M. Philippe Tourtelier. Rappelons quelques vérités élémentaires. Il y a plusieurs types de récidives très différentes les unes des autres et qui appellent des réponses adaptées. Rien de comparable par exemple entre les récidives motivées par des addictions fortes : alcoolisme ou toxicomanie, celles découlant de la participation à des activités de délinquance organisée, celles liées à des perversions sexuelles, celles dépendant de pathologies psychiatriques ou celles imposées par la précarité. Ainsi, un étranger en situation irrégulière récidivera dès sa sortie de prison !

Il faut donc, pour chacun de ces types de récidive, des réponses spécifiques. Et il importe de veiller à ce que les solutions acceptables pour les uns ne soient pas, par un effet de porosité pervers, généralisées aux autres, comme c'est trop souvent le cas.

La récidive est un phénomène globalement en baisse ces dernières années. Le nombre de personnes ayant des antécédents condamnées chaque année, est ainsi passé de 105 625 en 1996 à 100 977 en 2003. Voyons à présent la récidive criminelle, celle dont on parle le plus, et très légitimement puisqu'elle génère l'émotion la plus grande : on est passé sur la même période de 133 condamnations criminelles de personnes ayant des antécédents criminels à 57. Il ne s'agit pas pour autant de se satisfaire de cette situation. Mais cette information que nos concitoyens ne connaissent pas – et on se demande pourquoi – doit permettre de légiférer sans pression.

Enfin, les récidivistes sont déjà très sévèrement punis. Dans 80 % des cas, en effet, la justice les renvoie en prison. Est-ce efficace ? Peut-on être plus sévère encore ? Faut-il regretter les 20 % qui représentent la part de liberté du juge face à des situations très diverses ? Veut-on imposer l'emprisonnement systématique ?

L'emprisonnement reste d’ailleurs la référence centrale des sanctions pénales. Les peines qui s'exécutent en liberté ne portent-elles pas le nom de « peine alternative à l'emprisonnement » ?

Pourtant, il ressort de toutes les études menées depuis des dizaines d'années que les personnes bénéficiant d'une libération conditionnelle récidivent moins que celles qui purgent la totalité de leur peine. Toutes les recommandations européennes vont systématiquement dans le sens de l'utilisation de la libération conditionnelle, tout simplement parce que cette solution a montré partout son efficacité. La liberté aide à reconstruire la responsabilité.

Le système actuel de libération conditionnelle et d’aménagement des peines ne doit pas être restreint, mais renforcé. Lui seul permet de façon certaine de réduire le risque de récidive. Pour mener à bien une telle politique, il convient de faire un effort historique en la matière, en particulier en milieu ouvert.

Personne ne songe, évidemment, à supprimer la prison. Mais celle-ci doit préserver la dignité du détenu pour préparer sa réinsertion dans la société. C’est totalement impossible actuellement. Comme beaucoup d’entre vous, j’ai visité des prisons. Selon l’administration pénitentiaire elle-même, le taux d’occupation est de 130 %, voire de 200 ou 300 % outre-mer. La surpopulation dans les prisons, souvent dans des cellules de moins de 10 m2, entraîne la promiscuité, des zones de non-droit où règnent les caïds, des inégalités liées à la force physique ou à l’argent, les persécutions et les humiliations, le repli sur soi, les restrictions du droit de visite… Autant d’atteintes à la dignité menant à la perte d’humanité. Comment espérer une réinsertion dans ces conditions ? Sans compter les « doubles peines » que représentent la toxicomanie, le viol, la séropositivité, la torture morale et le suicide.

Je ne vous rappellerai pas le bilan noir de ces lieux de « privation de libertés » que vient de dresser M. Gil-Robles, le commissaire européen aux droits de l’homme, dans son rapport portant sur trente-deux pays d’Europe, précisant au passage que le seul ministre de l’intérieur européen qui ne l’a pas reçu est le nôtre !

Quelle prise en charge du détenu peut-on honnêtement envisager ? Cette surpopulation inacceptable est aggravée par la forte proportion de détenus présentant des troubles psychiatriques importants au moment de leur incarcération – entre 14 et 25 % selon le rapport de M. Burgelin – certains devant suivre des traitements lourds. Je vous renvoie à ce rapport pour déplorer les carences et les lacunes de la prise en charge psychiatrique des détenus dans les services médico-psychologiques régionaux.

Dans ces conditions, l’urgence pour le législateur n’est-elle pas de limiter le recours à l’incarcération, facteur de récidive, plutôt que de l’encourager ? C’est d’autant plus réaliste que chaque année, une part importante – un tiers environ – du budget de la justice est absorbée par la construction de nouvelles places. Si au moins il s’ensuivait un renouvellement du parc pénitentiaire, l’ouverture de lieux de peines à échelle humaine, fonctionnels, sains, et efficaces pour la réinsertion… Mais tel n’est pas le cas, et confrontés aux conséquences d’une politique qui privilégie l’enfermement, vous êtes obligés, malgré les créations de places, de conserver des prisons qui devraient être fermées pour des raisons de salubrité, de sécurité et de dignité.

Ici encore, la raison exige que nous fassions une pause.

Vous-mêmes, chers collègues de la majorité, vous êtes individuellement convaincus de cette nécessité. Vous savez que la prison, faute d’un suivi social et judiciaire adéquat, tant pendant la détention qu’au moment de la libération, génère de la récidive.

Ainsi, le suivi socio-judiciaire créé par la loi du 17 juin 1998 n’a malheureusement pas donné les résultats escomptés, faute de moyens.

La loi Perben 2 prévoyait, elle aussi, un certain nombre de nouvelles mesures, telles que la procédure d’aménagement des peines, la généralisation des enquêtes sociales rapides avant comparution immédiate et la saisine directe des services d’insertion et de probation à l’audience. Mais, faute de moyens, ce texte n’est pas applicable et l’incapacité des SPIP à remplir véritablement leurs missions a été soulignée aussi bien par le rapport Warsmann en juin 2005 que par le rapport Burgelin en juillet 2005.

Tant pis pour le suivi et les bénéfices que la société dans son ensemble pouvait en escompter… mais ne soyez pas surpris par la récidive !

Je n’ose envisager l’hypothèse que votre objectif soit en fait de fournir des marchés, c’est-à-dire une population carcérale, aux groupes privés qui se proposent de construire ces prisons. Et pourtant, votre politique est comme le tonneau des Danaïdes ! Faute de mettre en place des mesures susceptibles de ralentir l’incarcération et de prévenir la récidive, la prison génère de plus en plus de délinquants, qu’il faut emprisonner à nouveau et qui augmentent les chiffres de la récidive. Il faudra bien que cesse cet engrenage absurde ! Nos concitoyens sont prêts à le comprendre et à accepter un discours juste, mesuré et clair traduisant un changement de cap.

Les experts le disent : il faut d’abord rehausser le niveau de qualité de la justice pénale pour que le récidiviste potentiel puisse être détecté à temps. Or cette qualité a été sacrifiée au profit de la nécessité d’apporter à la délinquance « une réponse en temps réel ».

Du fait de l’accroissement des procédures rapides, la personnalité des prévenus reste méconnue. Faute d’une individualisation suffisante de la sanction, on condamne aveuglément à des peines fermes des personnes qui mériteraient un autre traitement. D’où le nombre croissant de détenus présentant des pathologies psychiques parfois lourdes ou des dépendances toxicomaniaques fortes. C’est pourquoi il faut redonner son sens à la peine, en expliquant pourquoi elle est ordonnée et quel est son but : c’est ce qu’on appelle la motivation. Or les tribunaux ne motivent pas toujours leurs peines, contrairement à l’obligation que leur fait la loi. Les délinquants comme leurs victimes en sont pour leurs frais.

Prévenir la récidive, c’est aussi investir dans des structures permettant de connaître la véritable personnalité du délinquant, comme l’écrit un magistrat, Serge Portelli. Faut-il une loi pour cela ? Ne suffirait-il pas de fournir les crédits nécessaires à ceux qui mènent les enquêtes de personnalité, de payer décemment les experts psychologues ou psychiatres missionnés par la justice ? Prévenir la récidive, selon ce même magistrat, c’est aussi, en première analyse, apprendre au juge à être curieux et à considérer, dès l’École de la magistrature, que la personne des justiciables est primordiale.

Oui, il faut lutter efficacement contre la récidive, mais en rendant tout son sens à la peine et en accordant à la justice des moyens que le projet de budget ne traduit pas, loin s’en faut, privilégiant, comme cette proposition de loi, les mesures coercitives.

Je comprends que les chiffres cités tout à l’heure par Élisabeth Guigou vous embarrassent : en 2002, 2 700 emplois ont été créés pour ce ministère, contre 500 en 2006. Voilà la réalité, voilà pourquoi nos prisons continueront à fabriquer de la récidive.

Ce texte, qui a connu de multiples avatars au gré d’effets d’annonce parfois teintés de chantage à la responsabilité du législateur, ne va pas dans le bon sens. Mes collègues ont montré que les mesures que vous préconisez ne règlent en rien les problèmes, et qu’à l’inverse elles aggravent la situation. En surfant sur l’émotionnel, en jouant avec les peurs, on feint de se préoccuper des victimes mais on ne fait que du populisme.

Mme Nadine Morano. Les victimes apprécieront !

M. Georges Fenech. C’est lamentable !

M. Guy Geoffroy. Le sujet mérite mieux !

M. Philippe Tourtelier. Nous le savons tous, telle qu’elle fonctionne actuellement, la prison est une école de la récidive. Au lieu de voter une loi illusoire, prenons le mal à la racine. Ne nous laissons pas aller au tout-enfermement et augmentons les moyens consacrés au suivi des détenus, à la préparation de leur réinsertion. Ce sera la meilleure façon de lutter contre la surpopulation des prisons, créatrice de situations dégradantes, et d’éviter que nos prisons ne créent la récidive que vous prétendez combattre. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Michel Hunault.

M. Michel Hunault. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la préparation de ce texte sur le traitement de la récidive s’est déroulée dans un climat passionné. En effet, de récents et tragiques événements ont provoqué l’indignation de l’opinion publique.

Là où il faudrait de la sérénité, nous assistons depuis plusieurs jours à une surenchère et à des déclarations étonnantes. Un jour, un membre du Gouvernement met en cause les magistrats, qui ne font pourtant qu’appliquer la loi. Vous-même, monsieur le garde des sceaux, avez suscité la polémique et déclenché la réaction du président du Conseil constitutionnel. Je crois qu’il est temps de ramener de la sérénité dans cette discussion, sur un sujet particulièrement difficile. D’ailleurs, nous avons, cet après-midi, noté votre prudence.

Je voudrais tout d’abord évoquer à cette tribune le sort des victimes, qui doivent rester au cœur de nos préoccupations.

M. Guy Geoffroy. Très bien ! Nous sommes d’accord !

M. Michel Hunault. La question de la récidive a pris une dimension tragique lors des récentes affaires qui ont marqué l’opinion publique, laquelle, à juste titre, s’étonne de notre incapacité à protéger la société et les victimes et à sanctionner avec sévérité les délinquants.

Nous devons réaffirmer cependant les principes dont notre assemblée est le garant : la séparation des pouvoirs et le respect du droit. Nous devons donc condamner toute mise en cause de magistrat et examiner ce texte dans le respect de notre Constitution.

Mais la démarche que vous nous suggérez est-elle la bonne, monsieur le garde des sceaux ? On peut se poser la question car, une nouvelle fois, nous allons légiférer sans avoir un bilan précis des textes déjà votés et sans aucune assurance quant aux moyens humains et surtout financiers accompagnant les mesures que vous proposez.

Ce texte n’est qu’un affichage de mesures destinées à l’opinion publique : allongement des peines, limitation des sursis avec mise à l’épreuve, comparution immédiate pour les récidivistes, extension de la récidive, bracelet électronique.

Au nom du groupe UDF, je défendrai plusieurs amendements, visant notamment à créer un Observatoire de la récidive et à interdire toutes les sorties sèches de prison.

Nous devons aussi, et c’est l’essentiel, veiller à ce que les peines prononcées soient réellement effectuées. Il n’est pas superflu de s’interroger sur les conditions des remises de peine, qui restent automatiques, et sur celles des libérations conditionnelles, qui doivent être appliquées en tenant compte de la situation de chacun, et en particulier de la dangerosité du détenu.

La question de la réalité des peines effectuées ne doit pas non plus être éludée.

Lors de l’examen de ce texte en première lecture, alors que vous étiez, monsieur le garde des sceaux, président de la commission des lois, j’avais évoqué le problème des remises de peine pour les récidivistes, et notamment celui de leur automaticité. Il est indispensable que les remises de peine et les libérations conditionnelles soient assorties d’un examen et d’un suivi des détenus les plus dangereux.

L’imperfection du suivi socio-judiciaire, faute de moyens et de véritables dispositifs, constitue un écueil pour la réinsertion des délinquants, et plus particulièrement des délinquants sexuels, dont le traitement est plus délicat.

Mais tout est question de moyens, tant financiers qu’humains. Nous en reparlerons au début du mois de novembre, monsieur le garde des sceaux, à l’occasion de l’examen de votre budget, mais nous savons déjà qu’il nous prive de tout espoir de donner aux magistrats et aux différents acteurs de la justice les moyens indispensables pour assurer l’application des récentes dispositions législatives.

Nous avons tous le même objectif : lutter contre la récidive avec fermeté, mais également avec humanité. Il ne s’agit pas de flatter l’opinion, mais d’être efficace et d’éviter de nouveaux cas tragiques de récidive. Vous ne pouvez pas, dans ce débat, faire l’économie de la question légitime des moyens dont dispose l’institution judiciaire : magistrats en nombre insuffisant, juges sans réels moyens, psychologues et psychiatres bien trop peu nombreux, sans compter la situation des prisons françaises, qui est une véritable honte.

L’inflation législative des dernières années a eu des répercussions sur l’ensemble de la chaîne pénale : pénalisation accrue, allongement notable des peines d’emprisonnement et surpopulation carcérale grandissante, point d’orgue des dysfonctionnements de notre système judiciaire.

La situation dans les prisons françaises est aujourd’hui désastreuse. L’orateur qui m’a précédé à la tribune a évoqué la récente visite du commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, M. Gil-Robles. Son constat, nous le connaissons bien. Et dans les rapports parlementaires et les discussions en commission, les propositions ne manquent pas pour favoriser la réhabilitation des détenus. Pourtant, on ne note aucune amélioration. Alors que la prison devrait protéger la société et sanctionner, elle est devenue l’école du crime, et les conditions d’incarcération y sont pour beaucoup.

Sur tous les bancs de cette assemblée, au sein des commissions parlementaires, dans les rapports qui se sont succédé, nous avons tous, je le répète, dénoncé cette situation. Je vous pose donc la question, monsieur le garde des sceaux : quand nous proposera-t-on une grande loi pénitentiaire et donnera-t-on de véritables moyens à la justice ? Cette grande loi pourrait judicieusement s’appuyer sur les travaux du Conseil de l’Europe et ses recommandations relatives à la situation dans les prisons.

En qui concerne les moyens de la justice, une comparaison avec nos voisins européens s’impose.

La loi de 1998 a fait l’objet d’un dialogue entre vous-même et Mme Guigou, l’un de vos prédécesseurs. Cette loi a institué le suivi socio-judiciaire des détenus, mais sans qu’aucun moyen ait été dégagé pour cela. Dans un tel contexte, je voudrais rendre hommage à tous les acteurs et auxiliaires du droit, aux magistrats et à tous les intervenants qui travaillent, à leur manière, pour la réhabilitation des détenus. Il reste que votre unique réponse, une fois de plus, est de légiférer, sans vous donner les moyens de prévenir réellement la récidive.

J’en viens aux dispositions de la proposition de loi, non sans avoir noté au préalable que la mission d’information de l’Assemblée nationale avait proposé de lancer un vaste débat national sur le sujet, en y associant tous les acteurs. Nous n’avons eu ni débat, ni étude d’impact.

S’agissant du bracelet électronique, s’il a le mérite de permettre au délinquant de mener une vie quasi normale, aussi bien familiale que professionnelle, donc de favoriser sa réinsertion, il ne remplace aucunement l’administration d’un traitement médical efficace. Il doit être utilisé dans le cadre d’un suivi socio-judiciaire et ne doit en aucun cas constituer une peine complémentaire. Nous ne pouvons accepter que le bracelet électronique soit installé à l’issue de l’exécution d’une peine déjà prononcée, car cela deviendrait une nouvelle condamnation.

Ces questions sont au cœur de la problématique de la récidive. Au-delà des statistiques, il nous faut engager cette discussion dans la sérénité.

C’est pourquoi je défendrai, au nom de mon groupe, un certain nombre d’amendements. Il s’agira notamment de créer un observatoire de la récidive, placé directement auprès de votre ministère, capable de recueillir et de rendre publiques les données statistiques concernant la récidive des infractions pénales, mais également d'étudier les conditions et les conséquences de la récidive, afin d'orienter les politiques pénales. Le groupe UDF souhaite aussi des aménagements de peine, qui permettent au détenu de bénéficier d'un « sas de sortie » et sont un frein à la récidive. Nous tenons également à ce que les détenus aient obligatoirement une activité en prison, car la réinsertion passe par une resocialisation de l'individu durant le temps de son incarcération.

Tous les experts, juges ou travailleurs sociaux s'accordent à reconnaître que la sortie sèche constitue le premier facteur de la récidive. Le groupe UDF entend donc que soient renforcées les interventions en milieu ouvert, véritable outil de prévention de la récidive. Est-il nécessaire de préciser que les détenus à nouveau condamnés sont ceux qui ont effectué leur peine sans aménagement ?

Les vrais enjeux se situent véritablement dans le renforcement des mesures d'accompagnement éducatif en milieu ouvert, spécialement dans un contexte où la plupart des personnes concernées figurent parmi les moins insérées socialement. Il est toujours difficile, aujourd'hui, de recruter des médecins coordonnateurs surtout pour assurer la prise en charge psychologique des personnes soumises à une injonction de soins. La mise en place du bracelet électronique ne saurait, en aucun cas, se substituer à un réel accompagnement et suivi humain.

Monsieur le garde des sceaux, nous réserverons notre vote jusqu’à la fin de la discussion ; il dépendra de la prise en compte ou non d’un certain nombre de nos propositions.

À notre sens, le problème de la récidive est un sujet extrêmement compliqué qu’il convient d’aborder avec beaucoup de sérénité. Des réponses concrètes doivent lui être apportées non en alourdissant le dispositif législatif, mais en assurant, grâce à un renforcement des moyens financiers et humains, l’application des textes existants.

M. le président. Je vous informe, mes chers collègues, que je lèverai la séance à vingt heures et qu’en accord avec M. Yves Bur, nous reprendrons nos travaux ce soir à vingt-deux heures.

La parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.

M. Michel Vaxès. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, dix mois se sont écoulés depuis l'examen en première lecture de ce texte. Depuis, son auteur est devenu garde des sceaux. Cette proposition a été profondément modifiée par les sénateurs. Enfin, quelques faits divers tragiques sont venus alimenter le débat sur la récidive. Autant d'événements qui éclairent le débat d’aujourd'hui.

Il était improbable que le garde des sceaux n'intervienne pas pour faire valoir le point de vue de l'auteur de cette proposition. En conséquence, sept amendements du Gouvernement ont été adoptés par la commission et les critiques émises par le Sénat ont été, pour l'essentiel, ignorées. Il était illusoire de croire qu'il aurait pu en être autrement alors que, dès le mois d'avril, les présidents des commissions des lois de l'Assemblée nationale et du Sénat étaient convenus d'un compromis. Doit-on y voir le prélude à une nouvelle façon d'élaborer les lois ? Je le crains d’autant plus que les présidents des deux commissions se sont de nouveau rencontrés pour s’entendre sur les modalités de la présentation de ce texte en deuxième lecture.

J’en reste convaincu, l’article 16 soulève un risque indéniable d'inconstitutionnalité. Mais qu'à cela ne tienne, le garde des sceaux demande aux parlementaires de ne pas exercer leur droit de saisine du Conseil constitutionnel, ce qui lui a d'ailleurs valu une sévère admonestation du président du Conseil constitutionnel lui-même ! Qu'importe : les faits divers tragiques doivent être habilement exploités, et même surexploités, pour permettre au Gouvernement de n'envisager le traitement de la récidive que sur le mode répressif. Et qu'importe s'il se condamne ainsi à l'inefficacité ! La méthode du Gouvernement est désormais établie. La société doit faire face à un problème : il y répond par une loi ! Un drame vient de se produire : il propose une nouvelle loi ! Comme si la loi était la réponse à tous les maux !

Qui oserait aujourd'hui prétendre, hormis le Gouvernement, que notre politique pénale est inefficace faute de lois ? Personne, car nous savons tous que, lorsque cette justice est jugée défaillante, c'est en raison du manque criant de réponses appropriées aux véritables besoins de notre justice.

Pour y faire face efficacement, il n'est point besoin de logorrhées législatives ; il suffirait, monsieur le garde des sceaux, de dégager les crédits nécessaires ! Donnez-nous donc des moyens pour recruter du personnel supplémentaire dans les services pénitentiaires d'insertion et de probation, des magistrats afin de résorber le retard dans le jugement des affaires, du personnel chargé de la prévention des délits. Donnez-nous des moyens pour assurer le suivi médical et psychologique des détenus. Bref, des moyens pour garantir une véritable politique de réinsertion. Mais ce sont autant de domaines où le Gouvernement refuse de faire les efforts nécessaires, comme l’atteste le projet de budget du ministère de la justice pour 2006.

Lors de la première lecture, nous avions déjà regretté que la proposition ne comporte que des mesures d'aggravation et de multiplication des peines d'emprisonnement ferme sans mettre en œuvre les mesures de prévention si indispensables. Ainsi, monsieur le garde des sceaux, vous n’avez fait que peu de cas des conclusions de la mission d'information sur le traitement de la récidive des infractions pénales, qui a pourtant constaté le caractère désocialisant et criminogène de la prison.

Le texte adopté par la commission en juillet dernier va même au-delà de celui voté ici, puis au Sénat en première lecture.

Je donnerai un seul exemple des incohérences de cette course effrénée à l'enfermement. L'amendement n° 3 du Gouvernement prévoit un allongement du délai d'épreuve durant lequel le détenu ne peut bénéficier d’un aménagement de la peine tel que la libération conditionnelle. Pourtant, comme le révèle 1'étude récente de deux spécialistes, le taux de retour en prison n’est que de 9 % pour ceux qui ont bénéficié d'une libération conditionnelle, contre 17 % pour ceux qui sont sortis de prison en fin de peine. Il est donc deux fois plus faible. N'est ce pas là une preuve supplémentaire que ce texte n'est qu'une gesticulation de plus aux conséquences néfastes pour notre politique pénale ? J'invite celles et ceux d'entre vous qui ne l'auraient déjà fait à prendre connaissance de cette étude. Elle prouve que la limitation des aménagements de peine favorise la récidive. Ses conclusions sont, en effet, formelles : quel que soit le cas de figure, un condamné ayant purgé sa peine de prison a toujours plus de risques de se retrouver à nouveau devant un tribunal que le bénéficiaire d'une mesure alternative à l'incarcération. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'une des recommandations du Conseil de l'Europe préconise le développement des peines alternatives. C'est, en tout cas, ce qui nous permet d'affirmer que cette proposition de loi ne peut nullement prétendre être un instrument de lutte contre la récidive, puisqu'elle encourage l'emprisonnement ferme au détriment d'un renforcement des mesures d'accompagnement socio-éducatif en milieu ouvert qui, elles, ont fait leur preuve.

Les ministères de la justice et de l'intérieur ont préféré ne pas communiquer sur cette étude et pour cause : elle dément l'opportunité de l'adoption des dispositifs contenus dans cette proposition de loi. Ces deux ministères ont, en revanche, décidé d’exploiter des faits divers tragiques pour communiquer sur le laxisme judiciaire. Pourtant, là encore, la réalité est tout autre. Le nombre de détenus ne cesse d'augmenter et les peines tendent à s'allonger. En matière d'infractions sexuelles, les peines prononcées en France sont plus longues et moins aménagées que dans les autres pays européens, le taux de récidive des criminels est de 2 % et celui des meurtriers de 1 % Mais qu'importent les faits et les statistiques qui peuvent contrarier ou relativiser votre thèse ! On préfère les ignorer !

Au-delà d'une aggravation de la répression de la récidive par un recours accru à l'emprisonnement ferme, ce texte prétend prévenir la récidive par la mise en place d'une surveillance électronique mobile pour les criminels ayant déjà purgé leur peine. Les sénateurs avaient écarté cette possibilité pour ne la retenir que dans le cadre de la libération conditionnelle assortie d'un suivi socio-judiciaire. La commission des lois n'a pas souhaité s'en tenir là et propose que le placement sous surveillance électronique mobile soit possible dans le cadre de tout suivi socio-judiciaire et ne se limite pas à la libération conditionnelle.

Malgré vos habiles manœuvres de recul, je maintiens, monsieur le garde des sceaux, que ce dispositif se heurte à une difficulté purement juridique : la rétroactivité, motif d’inconstitutionnalité que vous avez vous-même mis en avant en sommant les députés de ne pas saisir le Conseil constitutionnel. Je souhaite rappeler ici les termes exacts de ce chantage : « Il y a un risque d'inconstitutionnalité et tous les parlementaires pourront le courir avec moi. Il suffira pour eux de ne pas saisir le Conseil constitutionnel, et ceux qui le saisiront en prendront sans doute la responsabilité politique et humaine. » Au-delà de la méthode, proprement scandaleuse – et ne serait-ce que pour cela, je ne vous crois pas autorisé à donner des leçons d'humanité –, comment un ministre respectueux de la République, et donc de sa Constitution, peut-il demander aux parlementaires de la violer délibérément ? Cette déclaration est en soi un aveu d'inconstitutionnalité, quoi que vous en disiez ce soir.

C'est pourquoi notre groupe, ne disposant pas de l’effectif suffisant pour le faire, s’associera aux parlementaires qui déposeront un recours devant le Conseil constitutionnel. Car, comme l’a rappelé son président, « le respect de la Constitution n'est pas un risque, mais un devoir ».

Il est, par ailleurs, injuste et totalement irresponsable de faire croire aux victimes que le port du bracelet électronique mobile pourra limiter les risques de récidive. Il permettra au mieux de localiser l'auteur d'une infraction, mais nullement d'empêcher sa commission. Les auteurs d'infractions sexuelles agissent, tout le monde le sait, sous l'empire de pulsions qui ne peuvent être jugulées que par des soins. Or leur suivi médico-psychiatrique est nettement insuffisant tant en prison qu’à l'extérieur.

Au lieu de transgresser les principes fondamentaux de notre démocratie, le premier des respects dû à la souffrance des victimes est un devoir de vérité. Voilà pourquoi nous sommes tenus de leur dire que le port d'un bracelet électronique mobile ne pourra nullement empêcher la récidive.

Le temps qui m'est imparti ne me permet pas de détailler plus avant nos remarques, c'est pourquoi nous les compléterons lors de la discussion des articles et des amendements.

Au moment de conclure, permettez-moi cependant de rappeler, au risque de déplaire, qu'en matière de récidive le risque zéro n'existe pas. Il est inutile de faire croire, comme s'y emploie le Gouvernement, que le problème sera définitivement résolu par un allongement des peines de prison et quelques innovations technologiques qui n’ont pas encore fait leurs preuves.

La lutte contre la récidive est une question trop sérieuse pour être traitée de façon politicienne et démagogique.

M. Guy Geoffroy. C’est une règle que vous devriez vous appliquer !

M. Michel Vaxès. Elle impose courage et détermination – et vous en manquez – dans la mise en œuvre d'une véritable politique de réinsertion, qui suppose des moyens humains et matériels pour éduquer, suivre, prévenir et soigner. J’attends que vous nous expliquiez lesquels vous envisagez de financer.

Nous voterons donc résolument contre un texte qui est un frein à la réinsertion des personnes condamnées et nous mène droit à l'échec dans la lutte contre la récidive. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Nadine Morano.

Mme Nadine Morano. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, je tiens tout d’abord à féliciter M. le rapporteur pour son excellent travail.

Dois-je rappeler aux orateurs de l’opposition que nous avons été élus en 2002 parce que nous avions donné la priorité à la lutte contre l’insécurité, principale préoccupation de nos concitoyens ? La progression de la délinquance et de la criminalité était alors exponentielle.

Mme Jacqueline Fraysse et M. Noël Mamère. Cela continue !

Mme Nadine Morano. Dès son arrivée au gouvernement, Nicolas Sarkozy a pris la mesure du problème.

M. Philippe Tourtelier. Il a fait des déclarations !

Mme Nadine Morano. Il a traité la délinquance, s’est rendu sur le terrain, a fait voter la loi sur la sécurité intérieure et a mis le doigt sur le problème de la récidive.

Mme Bordier, victime de Patrick Trémeau, assiste à nos débats depuis les tribunes. Elle pourrait vous dire, monsieur Tourtelier, à quel point la récidive sexuelle est dramatique.

M. Philippe Tourtelier. Ai-je dit le contraire ? C’est lamentable !

Mme Nadine Morano. Le texte qui nous est présenté aujourd’hui a pour origine une proposition de loi déposée par M. Christian Estrosi, cosignée par 185 députés de l’UMP, ce qui prouve la volonté de notre groupe de traiter ce problème. Je tiens à saluer de nouveau le travail accompli ensuite par le rapporteur, Gérard Léonard. Je connais son talent et la parfaite maîtrise qu’il a du dossier de la sécurité, puisque j’ai eu l’honneur de travailler à ses côtés pendant de nombreuses années.

Quelle est l’attente de nos concitoyens ? C’est de pouvoir vivre en sécurité, en permettant à ceux qui ont payé leur dû à la société de retrouver la liberté tout en prévenant la récidive. Vous avez proposé à cette fin plusieurs mesures, monsieur le garde des sceaux, notamment l’évaluation de la dangerosité des détenus par une commission pluridisciplinaire à laquelle le juge d’application des peines pourrait se référer.

Vous aviez également abordé un sujet qui préoccupe les victimes : le suivi de certains délinquants à leur libération, en proposant de les soumettre à une surveillance électronique, et je salue le travail réalisé par Georges Fenech à ce sujet. Le bracelet électronique va permettre un suivi de celui qui vient de retrouver la liberté et il aura aussi un impact psychologique pour éviter la récidive. Mais j’avais également évoqué avec vous la question d’un éventuel suivi médical. Vous nous proposez à cette fin d’associer au port de ce bracelet d’autres obligations, notamment celle du suivi médical. Je m’en réjouis et je pense que cela correspond aux attentes des associations de victimes.

Je voudrais maintenant soulever un problème que connaissent l’ensemble des parlementaires. Quand une loi est adoptée, pour qu’elle puisse être appliquée sur le terrain, il faut que les décrets sortent, et vite.

Mme Jacqueline Fraysse. Il faut aussi des moyens !

Mme Nadine Morano. Je vous demande donc solennellement, monsieur le garde des sceaux, de faire le nécessaire pour que les décrets d’application soient publiés le plus vite possible.

Vous vous êtes engagé à donner les moyens nécessaires à ce suivi, et je m’en réjouis. Votre budget est en augmentation de 4,8 %, ce qui n’est pas rien. Mais pourquoi ne pas nommer un délégué interministériel puisqu’il s’agit d’un suivi à la fois judiciaire, médical et éducatif ? Je considère comme M. Fenech qu’il faudrait une personne capable de coordonner l’ensemble de ces aspects pour renforcer l’efficacité du dispositif.

En adoptant ce texte sur lequel vous avez beaucoup travaillé, de même que M. le rapporteur, sous l’égide de M. le président de la commission des lois, j’ai conscience que nous remplissons notre devoir vis-à-vis des victimes, mais que nous répondons aussi à une attente de nos concitoyens, qui nous demandent d’être des élus responsables, car la récidive est une chose que nous ne pouvons plus accepter et contre laquelle nous devons lutter. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)

M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

Ordre du jour de la prochaine séance

M. le président. Ce soir, à vingt-deux heures, deuxième séance publique :

Discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi, n° 2093, relative au traitement de la récidive des infractions pénales :

Rapport, n° 2452, de M. Gérard Léonard, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République.

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)