Accueil > Archives de la XIIe législature > Les comptes rendus > Les comptes rendus intégraux (session ordinaire 2005-2006) |
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures.)
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Michel Vaxès, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
M. Michel Vaxès. Monsieur le Premier ministre, face à l’OPA de Mittal Steel sur Arcelor et les menaces qui pèsent sur l’emploi, sur les salaires et sur nos capacités industrielles, le Gouvernement ne peut se contenter d’être « choqué », « surpris » ou « préoccupé ». Votre majorité ne peut pas non plus se contenter de dire, comme notre collègue Hervé Mariton et d’autres en d’autres temps, que les gouvernements n’ont ni les moyens ni la mission de bloquer ces processus.
C’est là une façon peu glorieuse et peu courageuse d’emboîter le pas à Mme Kroes, commissaire européen en charge de la concurrence, qui, fidèle à l’esprit Bolkestein, se déclare sans sourciller hostile aux champions nationaux, pas franchement pour les champions européens, mais très favorable aux champions mondiaux. Voilà de quoi combler d’aise M. Lakshmi Mittal.
C’est aussi une autre façon de mettre en œuvre cette logique libérale qui, avec le CPE, précarise l’emploi et démantèle le code du travail (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) pour satisfaire d’insolents appétits financiers au détriment de la vie de dizaines de milliers de travailleurs et de l’économie productive. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) C’est aussi pourquoi les sidérurgistes seront sans doute nombreux dans les manifestations de la semaine prochaine. (Mêmes mouvements.)
Considérant que l’industrie sidérurgique emploie plus de 29 000 personnes en France et représente un fournisseur essentiel pour les branches stratégiques de notre économie, le groupe des élus communistes et républicains a proposé à notre assemblée, dès le mois de juillet de l’année dernière, d’examiner les conditions de la sauvegarde et du développement de la filière de production de l’acier.
Monsieur le Premier ministre, allez-vous enfin entendre aujourd’hui ce que votre majorité a refusé d’entendre hier et saisir en urgence l’Assemblée nationale de cette question, comme le recommande du reste le Parlement européen dans une résolution du 24 février 2005 invitant la Commission et les États à prendre les initiatives tendant à conjurer le démantèlement de la sidérurgie européenne et ses conséquences en termes de perte d’emplois qualifiés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le député, reprenons les choses avec ordre et évitons les amalgames. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Votre question évoque à la fois deux sujets très importants : Arcelor et le contrat première embauche, le CPE.
Le groupe Arcelor, tout d’abord, a été informé que le groupe Mittal Steel avait décidé de lancer contre lui une offre publique d’achat hostile, laquelle a été refusée à l’unanimité par son conseil d’administration.
Le groupe européen Arcelor est une grande et belle entreprise qui a su construire un véritable projet, un projet leader. Les offres publiques d’achat existent dans tous les États du monde. Dans le cas particulier, il se trouve que, comme me l’a confirmé M. Guy Dollé, il n’y a eu aucun contact préalable entre les deux entreprises et aucun projet industriel n’a été mis sur la table.
C’est la raison pour laquelle, à la demande du Premier ministre, j’ai reçu le président de la société Mittal Steel (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et je lui ai indiqué on ne peut plus clairement que, comme tous les pays européens concernés, nous avions notre mot à dire dans cette affaire.
M. Jacques Desallangre. Ce sont les actionnaires qui ont leur mot à dire !
M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Les actionnaires ne sont pas les seuls à avoir leur mot à dire : les parties prenantes, les stakeholders – pardonnez-moi cet anglicisme – doivent également être respectés.
C’est ça, la modernité. C’est ainsi que cela se passe au xxie siècle, et nous ferons sans ambiguïté notre devoir de partie prenante.
M. Jacques Desallangre. Les actionnaires s’en moquent !
M. André Gerin. Le capital est dispersé !
M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. À cet effet, le Président de la République recevra demain, en présence du Premier ministre, M. Jean-Claude Juncker.
Ayant été en contact avec les quatre ministres des finances concernés par cette affaire, je puis vous assurer que nous partageons un même sentiment. Croyez-moi : cette discussion va durer longtemps. Nous ferons entendre haut et fort la position des gouvernements et chacun prendra ses responsabilités. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Alain Joyandet. Monsieur le Premier ministre, depuis plus de huit mois, il est incontestable que le chômage baisse dans notre pays. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. – Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
On compte, selon les derniers chiffres, 130 000 demandeurs d’emploi en moins et 225 000 créations d’entreprises, et 280 000 contrats nouvelles embauches ont été signés en moins de six mois. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Lucien Degauchy. Cela embête les socialistes !
M. Alain Joyandet. Il faut cependant aller plus loin et plus vite pour l’emploi des jeunes. Ils nous le demandent, eux et leurs familles. Ils ont du mal à trouver des stages professionnels et, qu’ils soient ou non diplômés, à trouver leur premier contrat de travail, car on leur demande souvent une expérience qu’ils n’ont pas.
Il faut débloquer cette situation. Actuellement, les jeunes « surfent » pendant plusieurs années de CDD en CDD, de période d’intérim en retour au chômage. Ils sont parfois obligés de changer complètement d’orientation, malgré un brillant diplôme qui ne débouche sur rien. Une chose est sûre : si l’on ne fait rien, rien ne changera.
Après le succès du contrat « nouvelles embauches » – le CNE – vous avez décidé de vous attaquer au chômage des jeunes, ce fléau qui mine notre société. En cohérence avec les réflexions et les travaux de l’Union pour un mouvement populaire, vous proposez le contrat « première embauche », qui rejoint sur de très nombreux points les propositions de l’Union en faveur d’une politique économique et sociale moderne telle qu’elle est menée dans les pays où le taux de chômage est structurellement de 5 %, voire inférieur.
Monsieur le Premier ministre, en quoi ce nouveau dispositif va-t-il changer la donne ? En quoi peut-il être ce contrat de confiance que nous voulons restaurer entre notre jeunesse et les entreprises ?
Enfin, monsieur le Premier ministre, que répondez-vous à ceux qui, à gauche, nous accusent d’installer durablement la précarité (« Oui ! Oui ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste) et qui, depuis quelques jours, sortent subitement de leur chapeau autant de pseudo-recettes magiques qu’il y a de chapelles rue de Solferino ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Dominique de Villepin, Premier ministre. Monsieur Joyandet, (« Allô ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste)…
M. Jacques Desallangre. Merci pour votre question !
M. le Premier ministre. …l’emploi est aujourd’hui l’enjeu majeur pour les Françaises et les Français, tout particulièrement l’emploi des jeunes. Je souhaite, face à ce problème, que nous avancions en refusant l’idéologie et avec le seul souci de l’intérêt général. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. – « Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Il est vrai que, à la suite de ma demande de la semaine dernière, les propositions se sont multipliées de la part de l’opposition au cours du week-end, et je m’en réjouis. Néanmoins…
M. Guy Geoffroy. Ce n’est pas très brillant !
M. le Premier ministre. …elles restent très en deçà des attentes et des besoins des Français. (« Ah oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
François Hollande propose une forme de contrat en alternance. C’est bien, mais cela existe déjà. (Rires et applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Guy Geoffroy. Eh oui !
M. Bernard Roman. Écoutez le professeur de Villepin !
M. le Premier ministre. Laurent Fabius propose, pour sa part, un CDD réservé aux jeunes. C’est moins bien (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), et je ne crois pas que ce soit la bonne idée pour lutter contre la précarité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Je souhaite qu’ensemble, cet après-midi, nous regardions en face la réalité à laquelle sont confrontés les jeunes de notre pays.
Dans notre pays, je le rappelle, 23 % des jeunes sont chômeurs – le taux est de 40 % pour les jeunes non qualifiés –…
M. Bernard Roman. Qui est-ce qui gouverne ?
M. Jean Glavany. Qu’avez-vous fait depuis quatre ans ! (Plusieurs députés du groupe socialiste brandissent des feuilles portant l’inscription : « Ci-gît le CDI »)
M. le Premier ministre. …et il leur faut entre huit et onze ans pour s’intégrer dans le monde du travail. C’était vrai il y a quinze ans et cela l’est encore aujourd’hui. C’est la réalité de la France depuis vingt-cinq ans.
Je ne crois pas qu’il nous soit très difficile de tomber d’accord sur les solutions.
Ce que le Gouvernement propose…
M. François Hollande. C’est la précarité !
M. le Premier ministre. Allons, un petit effort : ce que le Gouvernement propose est à la fois plus protecteur, plus moderne et plus ambitieux pour nos compatriotes. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Le contrat première embauche est un vrai contrat à durée indéterminée (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), avec une pleine rémunération, et qui permet de répondre à l’inquiétude des jeunes. (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
M. François Hollande. Bien au contraire !
M. le Premier ministre. En matière de crédit, la fédération bancaire française a pris des engagements. En matière de logement – car il s’agit là de la première préoccupation des jeunes –, le contrat « première embauche » ouvrira droit au système Locapass : la caution sera prise en charge, garantie et étalée pour permettre aux jeunes de la payer. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Nous allons plus loin en prévoyant d’autres garanties, qui relèvent du contrat à durée indéterminée et qui n’ont jamais été ni prévues ni imaginées pour les jeunes : droit à la formation individuelle et indemnisation du chômage. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. François Hollande. Pour quelques semaines, voire quelques jours !
M. le Premier ministre. Ces garanties indispensables ne sont pas prévues dans les systèmes que vous avez envisagés.
M. François Loncle. Vous dépassez votre temps de parole !
M. le Premier ministre. Nous voulons aller plus loin et mettre en place un véritable parcours d’accès à l’emploi. Ainsi un service public de l’orientation permettra aux jeunes de suivre leur voie en en connaissant les débouchés. La formation en alternance doit permettre aux jeunes d’avoir un métier – c’est l’un des grands problèmes de notre pays – et les stages, qui font l’objet de trop nombreux abus, seront désormais rémunérés au-delà de trois mois et intégrés au cursus professionnel et universitaire des jeunes. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. François Hollande. Pour combien de temps ?
M. le Premier ministre. Nous voulons prévoir également un accompagnement personnalisé des jeunes, dans le cadre du service public de l’emploi : chaque jeune sera suivi, chaque mois, par la même personne et recevra une réponse personnalisée. Cela n’a jamais été fait.
Vous avez cité les chiffres du chômage : c’est, là encore, une invitation à l’humilité (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste) pour chacun d’entre nous !
François Hollande, je vous avais donné rendez-vous pour la fin du mois : en décembre dernier, nous avons enregistré près de 20 000 chômeurs en moins. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. François Hollande. Pour combien d’emplois créés ?
M. le Premier ministre. Ce rendez-vous mensuel, je le redis ici solennellement, nous le prenons avec tous les Français, jusqu’à la fin de la mission qui m’a été confiée, pour répondre à leur inquiétude non pas avec les vieilles lunes et les vieilles recettes d’hier (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), mais avec les solutions modernes d’aujourd’hui. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. Monsieur Loncle, puisque vous m’avez montré la montre, je rappelle que, sous aucune législature, on n’a considéré que le temps de parole du Premier ministre pouvait être compté. Cela vaut aujourd’hui comme hier et je respecterai cette règle. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Henri Emmanuelli, pour le groupe socialiste. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Henri Emmanuelli. Monsieur le Premier ministre, vous dirigez un gouvernement curieux, un gouvernement bizarre, assez étrange (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) qui, faisant fi de l’adage, se prévaut de ses propres turpitudes.
M. Jean Marsaudon. Démago !
M. Henri Emmanuelli. En effet, vous imputez au pays tout entier la responsabilité de vos propres échecs.
M. Jean Marsaudon. N’importe quoi !
M. Henri Emmanuelli. Vous fourvoyez la monture, et c’est la monture que vous critiquez.
Vous nous dites que vous obtenez des résultats mais, en réalité, pour vous le seul ennemi, le seul adversaire, c’est le code du travail, le progrès social, le modèle social français. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. François Brottes. Absolument !
M. Henri Emmanuelli. Dans ce pays où les profits pavoisent, quatre-cinquièmes des embauches se sont faites l’année dernière à titre précaire.
M. Richard Cazenave. Et avant ?
M. Henri Emmanuelli. Aujourd’hui, 1,4 million de personnes perçoivent le RMI, 4 millions de personnes sont sous le seuil de pauvreté, 30 % des SDF sont des salariés précaires. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Dans ce pays, les statistiques sourient mais le peuple grimace ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Dans ce pays, le chômage baisse mais les chiffres du RMI montent ! (Mêmes mouvements.)
Dans ce pays, la liste des licenciements s’allonge : cliquez sur « licenciement » dans les dépêches de l’AFP, et vous la verrez. Voilà votre bilan.
Le plus important pour vous, c’est votre adversaire : le code du travail. Vous l’avez attaqué cet été par ordonnances, en vous en prenant à la législation avec le contrat « nouvelles embauches » ; vous vous en prenez aujourd’hui à la jeunesse, avec le contrat « première embauche ». Vous vous attaquez à la jeunesse parce que vous savez qu’elle est l’avenir et que vous voulez la mettre au pas ! (Protestations et huées sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
C’est elle et lui, notre pays, que vous voulez mettre au pas ! Pourtant il y a d’autres solutions pour mettre la jeunesse au travail que de la priver de ses droits, monsieur le Premier ministre. Et les retours aux solutions du xixe siècle sont de vieilles lunes. (« La question ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Vous devriez vous souvenir que la caractéristique de la jeunesse, c’est d’avoir du temps devant et de l’espoir au-dedans. Vous voulez assombrir son espoir : elle écourtera votre temps. C’est pourquoi je vous demande solennellement de renoncer à l’urgence et d’ouvrir le dialogue social.
M. Yves Nicolin. La question !
M. Henri Emmanuelli. Monsieur le Premier ministre, quand on est sûr de sa cause, on ne craint pas l’épreuve ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. – Plusieurs députés socialistes brandissent des feuilles sur lesquelles est écrit : « Ci-gît le CDI ! »)
M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Monsieur Emmanuelli, pardonnez-moi de vous dire que vous devriez consulter les notes de la DARES de ce matin.
M. Jean-Pierre Brard. Qu’est-ce que la DARES ? Parlez-nous en français ! (Rires sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. C’est le service qui collecte l’ensemble des statistiques de l’emploi.
M. Albert Facon. Soyons indulgents ! Il n’a pas ses collaborateurs avec lui !
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Ces notes indiquent que, au cours de l’année 2005, le nombre d’emplois collectés par l’ANPE a augmenté de 14,5 %, essentiellement dans le cadre de contrats à durée indéterminée ou de contrats longs, et que, au mois de décembre, le nombre de licenciements économiques a baissé de 21 %. Voilà pour la précarité !
M. Jean Glavany. Et le RMI ?
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Pardonnez-moi aussi de vous indiquer que, alors que vous nous annonciez la mort du code du travail,…
M. Augustin Bonrepaux. Vous l’assassinez !
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. …aujourd’hui 30 000 salariés, ceux des petites et moyennes entreprises, qui étaient auparavant abandonnés, sont maintenant accompagnés dans la convention de reclassement personnalisé.
M. Jacques Desallangre. Et les licenciements préventifs ?
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Enfin, monsieur Emmanuelli, désormais, les stagiaires sont reconnus et indemnisés à partir du troisième mois, les périodes de CDD et les périodes d’alternance sont intégrées dans le parcours d’accompagnement personnalisé vers l’emploi. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
La vraie précarité, ce sont les 74 % d’éducateurs spécialisés sortis de l’éducation nationale…
M. Jean Glavany. Et le nombre de RMistes ? Il a augmenté !
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. …et qui se sont retrouvés au chômage dont 50 % pour plus de six mois.
La précarité, c’est vous ! L’accompagnement vers l’emploi des jeunes, c’est nous ! (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Rodolphe Thomas, pour le groupe Union pour la démocratie française.
M. Rodolphe Thomas. Ma question s’adresse au ministre de l’économie. Elle devrait d’ailleurs rassembler l’ensemble de l’auditoire.
La Pologne bloque aujourd’hui un accord qui était sur le point d’être signé par les vingt-cinq membres de l’Union européenne sur l’application du taux de TVA réduit à 5,5% dans le secteur du bâtiment en France. Nous avons besoin de cet accord. Les artisans et les commerçants du bâtiment l’attendent parce que ce taux réduit de TVA a permis de créer plus de 50 000 emplois (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française) et que le retour au taux normal supprimerait plus de 60 000 emplois dans notre pays. L’économie française attend cet accord parce que la TVA au taux réduit constitue la meilleure arme contre le travail au noir.
De plus, monsieur le ministre, nous vous avons posé, la semaine dernière, une question à laquelle vous n’avez pas répondu. Elle portait sur la règle de l’unanimité qui est requise en matière fiscale. On voit bien en effet que la situation actuelle ne peut plus continuer : dès lors qu’une mesure fiscale n’a pas un impact direct sur la concurrence au sein de l’Union, chaque pays devrait pouvoir librement en décider, au nom du principe de subsidiarité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
L’UDF vous pose donc deux questions.
Comptez-vous obtenir l’accord du gouvernement polonais sur le taux de TVA réduit dans le secteur du bâtiment ? Dans quel délai et dans quelle mesure ?
Quelles sont les initiatives que la France compte prendre pour réécrire les règles de décision communautaire en matière fiscale, en particulier en matière de TVA ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Monsieur le député, tout d’abord, nous savons tous clairement aujourd’hui pourquoi nous en sommes là. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Il faut avoir le courage de le reconnaître.
L’Europe d’aujourd’hui, monsieur Fabius, c’est l’Europe du plan B. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste.) Oui, l’Europe dans laquelle nous sommes, c’est celle du plan B. (« Eh oui ! » puis huées sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) C’est une Europe qui a refusé la constitution.
Monsieur Fabius, vous avez été ministre de l’économie et des finances comme moi.
M. Christian Bataille. Vous êtes nul !
M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Vous savez donc, comme M. Strauss-Kahn, qu’on ne peut pas aujourd’hui diriger l’Europe à vingt-cinq comme on l’a fait dans l’Europe à quinze. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) C’est la raison pour laquelle M. Strauss-Kahn a appelé à voter « oui » au référendum. Il savait mieux que quiconque que l’Europe d’aujourd’hui est une Europe dans laquelle il faut une constitution. (Vives exclamations sur les bancs du groupe socialiste. – Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Je pense aujourd’hui à toutes les Françaises et à tous les Français qui ont de bonne foi cru qu’en votant « non » on aurait une Europe plus solidaire, plus proche de leurs préoccupations. Eh bien non !
Cela dit, mesdames, messieurs les députés, le Gouvernement n’est pas inerte ; il se bat pour faire accepter le maintien de cette réduction de taux de TVA. Le Premier ministre s’est entretenu très longuement avec le président de la Commission et avec le président en exercice de l’Union. Aujourd’hui vingt-quatre pays sont convaincus, mais des difficultés demeurent avec la Pologne. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Je reçois ce soir M. Grasser, le ministre des finances de l’Autriche, avec lequel nous sommes déterminés à faire en sorte que, je le dis très clairement et sans aucune ambiguïté, tant que nous continuerons à négocier, le taux de TVA à 5,5 % s’appliquera pour le bâtiment. (Bruits continus sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Bernard Accoyer. Monsieur le président, ne pouvez-vous pas les faire taire ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Il n’y a que la parole du Gouvernement qui vaille. Je répète donc que tant que nous négocierons – et nous négocions –, le taux de TVA à 5,5 % s’appliquera. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Huées sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Méhaignerie, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Pierre Méhaignerie. Ma question prolonge celle de M. Thomas et elle est posée au ministre de l’économie et des finances.
M. Alain Néri. Il n’y a pas de ministre !
M. Pierre Méhaignerie. Monsieur le ministre, vous savez que la position du gouvernement polonais inquiète non seulement les familles qui font faire des travaux, mais aussi les salariés et les entreprises du bâtiment. Plus encore, elle inquiète les Français quant au fonctionnement de l’Europe à vingt-cinq. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. Jacques Desallangre. À votre avis, pourquoi avons-nous voté « non », monsieur Méhaignerie ?
M. Pierre Méhaignerie. Je voudrais vous poser trois questions, monsieur le ministre. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Premièrement, confirmez-vous que les travaux actuellement engagés par les familles seront bien taxés au taux de 5,5 % , et, je l’espère, pour toute l’année 2006 ?
Deuxièmement, quelles initiatives, avec d’autres gouvernements, le gouvernement français est-il décidé à prendre…
M. Jean-Pierre Brard. Boire de la vodka avec les Polonais !
M. Pierre Méhaignerie. …pour aller vers une convergence des taux de fiscalité en Europe, et pas seulement celui de la TVA ?
Enfin, monsieur le ministre, même si cela fait mal à beaucoup, je crois qu’il serait bon que vous apportiez un démenti à tous ceux qui ont fait croire aux Français qu’il y avait un plan B alors que, malheureusement, ils les ont trompés ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Oui, monsieur Méhaignerie, je vous le confirme, comme l’a fait le Premier ministre qui a reçu ce matin les représentants de l’ensemble des associations et des professions concernées par le bâtiment auxquels il l’a indiqué de la façon la plus claire : tant que nous négocions, le taux de TVA à 5,5 % s’appliquera pour tous les travaux qui ont déjà fait l’objet d’un devis, pour peu, bien entendu, que celui-ci ait été accepté par les deux parties.
Je répète donc très nettement que, tant que le Gouvernement ne dira pas le contraire, le taux de TVA sera toujours à 5,5% pour les travaux de rénovation dans le bâtiment. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Ensuite, vous avez raison de souligner, monsieur Méhaignerie, qu’il faut continuer à travailler pour que l’Europe progresse, même si cela se fait effectivement dans un contexte beaucoup plus difficile que celui que nous aurions pu construire. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Les Français le savent.
Nous parviendrons un accord sur cette question de TVA parce que c’est l’engagement qu’ont pris tous les pays concernés. Nous les avons vus les uns et les autres, en permanence. Nous obtiendrons cet accord.
Je répète que M. Grasser vient me voir ce soir à dix-sept heures (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), et nous continuons à travailler ensemble, comme l’a indiqué le Premier ministre.
Par ailleurs, il est vrai qu’il faut poursuivre l’harmonisation fiscale. C’est la volonté du Gouvernement français. Nous défendons la subsidiarité pour les services à forte intensité de main-d’œuvre et qui ne créent pas de distorsions dans le grand marché.
M. Jacques Desallangre. Ce n’était pas dans le traité !
M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Je pense en particulier à la restauration. Nous nous battons également pour que l’on aille progressivement vers une harmonisation fiscale globale, y compris en ce qui concerne l’impôt sur les sociétés. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jacques Desallangre. Vous vous battez avec un sabre en bois !
M. le président. La parole est à M. Bernard Mazouaud, pour le groupe UMP.
M. Bernard Mazouaud. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement.
M. Maxime Gremetz. C’est le Harry Potter du Valenciennois !
M. Bernard Mazouaud. Monsieur le ministre, le Gouvernement et notre majorité sommes tous mobilisés en faveur de l’emploi et de l’activité de nos concitoyens. Le plan de cohésion sociale, le plan de développement des services à la personne, la création des maisons de l’emploi, la redynamisation de l’apprentissage ou l’institution des nouveaux contrats, concourent à cet objectif. Ainsi, selon les derniers chiffres, publiés hier soir par votre ministère, le nombre des demandeurs d’emploi aurait diminué une nouvelle fois, de 0,8 % en décembre.
M. Jean Glavany. Et le nombre de RMistes augmente !
M. Bernard Mazouaud. Le taux de chômage s’établirait ainsi à 9,5 % de la population active.
Nous nous félicitons de cette nouvelle baisse du chômage, qui dure maintenant depuis plus d’un semestre. Ces résultats démontrent que la politique active que vous menez en faveur de l’emploi a des effets structurels sur le chômage et que toutes les mesures prises par le Gouvernement concourent à sa décrue. (« Allô ! Allô ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous confirmer ces chiffres et dresser un bilan de la baisse du chômage en 2005 ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. – M. Jean-Louis Idiart imite un joueur de violon.)
M. le président. Ça suffit ! Vous savez jouer du violon, je le sais !
La parole est à M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement.
M. Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. La situation est claire : le chômage recule en France depuis neuf mois, à raison d’environ 20 000 demandeurs d’emploi en moins chaque mois. (« Et le RMI ? » sur les bancs du groupe socialiste.)
Cette baisse touche toutes les catégories, le chômage de longue durée et celui des jeunes. Elle touche aussi, ce mois-ci, toutes les régions de notre bonne République.
M. Maxime Gremetz. C’est faux ! Menteur ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – M. Gremetz brandit un graphique.)
M. le président. Asseyez-vous, monsieur Gremetz !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. La baisse du chômage résulte d’un certain nombre d’actions visant à supprimer les freins à l’embauche : le contrat « nouvelles embauches », d’abord, sans lequel un tiers des toute petites entreprises n’auraient pas recruté, l’apprentissage ou le contrat d’emploi des jeunes. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Ma conviction est que cette baisse se poursuivra en 2006, même si cela déplaît sur quelques bancs de cette assemblée ! (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Je tiens à formuler deux remarques.
D’abord, contrairement à une idée reçue, la baisse du chômage n’est pas liée aux radiations administratives : il y en a eu moins en 2005 qu’en 2004.
Ensuite, elle n’est pas davantage liée à la démographie : en 2005, on comptait 56 000 actifs de plus qu’en 2004. La courbe démographique s’inversera dans un an seulement.
M. Maxime Gremetz (continuant de brandir un graphique). Qui peut vous croire ?
M. Charles Cova. Il lui faut la camisole de force !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Ces chiffres traduisent donc bien un développement de l’activité.
Par exemple il y a eu 244 000 créations d’entreprises cette année ; cela fait quinze ans qu’on n’avait pas vu ça, n’est-ce pas, M. Dutreil ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
On a compté aussi, en 2005, 413 000 mises en chantier pour le logement dans le bâtiment et 520 000 permis de construire : cela fait trente ans qu’on n’avait pas vu ça ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. – M. Maxime Gremetz continue de brandir un graphique.)
M. le président. Monsieur Gremetz, il y a des limites à ne pas dépasser ! Asseyez-vous ! (Huées sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Christian Paul, pour le groupe socialiste.
M. Christian Paul. Les Français qui vous ont entendu tout à l’heure savent bien, monsieur le Premier ministre, que, depuis quatre ans, vous et votre majorité détenez tous les pouvoirs. Comment donc est-il possible que vous découvriez en 2006, dans l’urgence et sous la pression de vos ambitions présidentielles (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), le chômage des jeunes que vous avez aggravé en 2002 par la suppression des emplois jeunes ?
M. Philippe Briand. Ringard !
M. Christian Paul. Pourquoi improviser, avec le contrat « première embauche » et l’apprentissage à quatorze ans, une très mauvaise réponse au chômage des jeunes ?
Le courage, monsieur le Premier ministre, est d’agir de façon juste.
M. Philippe Briand. Vous n’en n’avez aucun !
M. Christian Paul. Vous n’aurez pas raison tout seul, contre la jeunesse, contre les syndicats, contre les régions et même contre une partie du patronat des petites et moyennes entreprises !
Les socialistes, même si cela vous dérange, font des propositions précises (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) en faveur de vrais contrats de travail garantissant emploi et formation aux jeunes sans qualification.
M. Philippe Briand. Trois séries de propositions ! Vous n’êtes même pas capables de vous mettre d’accord !
M. Christian Paul. Ce soir, dans cet hémicycle, vous allez commettre deux erreurs gravissimes.
M. Jean Marsaudon. Et les 35 heures ?
M. Christian Paul. La première en décidant la fin du contrat à durée indéterminée pour toute la génération CPE. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Mme Marie-Hélène des Esgaulx. C’est faux !
M. Christian Paul. La seconde en permettant l’apprentissage à partir de quatorze ans. Apprendre un métier grâce à l’apprentissage est noble. Mais exclure de l’école, de façon massive, des enfants qui ne posséderont pas les savoirs de base, c’est une capitulation pour notre République ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) C’est la sélection par l’échec, la fin de la scolarité obligatoire jusqu’à seize ans, le travail de nuit dès quatorze ans pour les apprentis, comme un décret récent le confirme. (Mêmes mouvements.)
M. le président. Veuillez poser votre question.
M. Christian Paul. Cela ne sert ni l’apprentissage, que vous dévalorisez, ni la lutte contre l’échec scolaire, devant laquelle vous démissionnez : rien pour l’égalité ; tout pour la précarité ! (« La question ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le Premier ministre, vous fermez le futur aux jeunes Français. Au nom de leur avenir, et avec beaucoup de gravité, nous vous demandons d’entendre leur désespoir et de retirer ce projet de loi bien plus inspiré par le xixe siècle que par le xxie ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. – Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement.
M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Pour relancer l’apprentissage, il y a quelques mois, les professionnels et les partenaires sociaux ont inventé un slogan : « L’apprentissage a changé, c’est le moment d’y penser ! » Je ne pensais pas que ce slogan serait pour vous ! (Rires et applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Quel mépris, en réalité, pour l’alternance ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.- Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Celle-ci, monsieur Paul, est la voie d’avenir pour notre pays. Pendant trop longtemps, au nom d’une logique académique et strictement intellectuelle, des étudiants ont été orientés vers des cursus très long, alors que, pour les jeunes, l’accès à l’emploi se fait par l’apprentissage, par la découverte des métiers – c’est ce qui sera proposé aux volontaires de plus de quatorze ans (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) – et par les contrats jeunes en entreprise.
Quant aux emplois jeunes que vous évoquez, savez-vous qu’ils existent, sous une forme moderne qui inclut une formation ? Ce sont les 130 000 contrats d’accompagnement vers l’emploi des jeunes voulus par le Premier ministre. Vous n’avez pas l’air de le savoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Claude Gaillard, pour le groupe UMP.
M. Claude Gaillard. Monsieur le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, je veux revenir sur l’OPA sur Arcelor.
D’un côté, Arcelor, un groupe industriel sain et restructuré ; nous savons quel en a été le coût pour les salariés, les contribuables et les territoires. Ce groupe a une stratégie industrielle et il est « opéable ». De l’autre, Mittal Steel, qui est davantage une agglomération de sociétés récemment acquises, non opéable et qui, surtout, devra procéder à des restructurations.
M. Maxime Gremetz. Ah !
M. Claude Gaillard. Il se trouve qu’en Lorraine, nous connaissons les deux groupes, Arcelor ayant cédé à Mittal Steel sa filiale Unimétal. Était-ce introduire le loup dans la bergerie ? Je l’ignore.
Pour l’instant, tout va bien, mais qu’en sera-t-il demain ? La société Mittal Steel devra en effet assurer sa réorganisation et mettre aux normes ses entreprises. Que se passera-t-il, alors ?
M. Jacques Desallangre. Ce sera comme pour l’OPA d’Alcan sur Pechiney !
M. Claude Gaillard. On voit bien que cette proposition de fusion – qui est davantage une OPE qu’une OPA – est meilleure pour Mittal Steel que pour Arcelor.
Tout en rendant hommage à votre travail, à celui du Premier ministre et du Président de la République, je vous saurais gré de nous indiquer la manière dont vous comptez vous impliquer, notamment dans le problème de la communication.
M. Jacques Desallangre. La communication, il n’y a que ça !
M. Claude Gaillard. Ce problème sera en effet essentiel dans les échanges entre les deux groupes, étant entendu que nous devons avoir un droit de regard.
M. Jean-Pierre Brard. Retournez donc à la Comédie-Française !
M. Claude Gaillard. Seconde question, plus générale : beaucoup d’entreprises française étant opéables, quelle est votre stratégie pour que les mauvaises nouvelles soient les moins nombreuses possibles ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
M. Thierry Breton, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Vous avez raison, monsieur le député : il n’est rien de plus normal que les rapprochements entre les entreprises.
M. Jean-Pierre Brard. Et alors ?
M. le ministre de l’économie, des finances et de l’industrie. Toutefois il faut respecter certaines règles.
Sitôt cette OPA annoncée, le Premier ministre m’a demandé de recevoir sans délai – ce que j’ai fait dès samedi – le directeur général d’Arcelor, M. Dollé. Ce dernier m’a indiqué qu’il n’avait absolument pas été approché par le groupe Mittal Steel. J’ai vu beaucoup d’opérations de ce genre dans ma vie (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) mais c’est la première fois que j’en vois une qui semble si mal préparée. Il faut le savoir.
Le mariage fait partie de la vie mais pour qu’une opération comme celle-là réussisse, elle doit reposer sur un projet industriel. Or M. Mittal, que j’ai rencontré dès lundi matin à la demande du Premier ministre, ne m’en a montré aucun. Le projet doit aussi démontrer que les cultures sont compatibles : j’ignore si c’est le cas. Enfin, les modes de direction d’une entreprise européenne comme Arcelor peuvent-ils se marier à ceux d’une société nouvelle, régie par le droit néerlandais ? Je ne peux répondre à ces questions.
Au nom du gouvernement français, j’ai exprimé ces préoccupations au président du groupe Mittal Steel. Avec les ministres de l’économie et des finances concernés, avec lesquels je me suis entretenu, je continuerai à le faire. Demain, le Président de la République et le Premier ministre rencontreront M. Juncker, le Premier ministre du Luxembourg, pour évoquer cette question.
Le dialogue fait partie de la vie des affaires mais celle-ci a aussi sa grammaire. Nous ignorons si elle a été respectée. À bon entendeur, salut ! Que chacun en tire les conséquences. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean-Pierre Brard. C’était le ministre de la parlotte !
M. le président. Monsieur Brard, on ne vous a rien demandé !
M. le président. La parole est à M. Jacques-Alain Bénisti, pour le groupe UMP.
M. Jacques-Alain Bénisti. Monsieur le ministre de la fonction publique, jeudi dernier, après des heures de négociations difficiles, vous avez signé un accord décisif avec les syndicats de la fonction publique. (« Très bien ! » sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Murmures sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Les agents de l’État ou de la fonction publique hospitalière ne sont pas les seuls concernés : ceux de la fonction publique territoriale vont aussi bénéficier de ces avancées majeures.
M. Bernard Roman. Lesquelles ?
M. Jacques-Alain Bénisti. Cela montre que, lorsque chacun accepte de s’asseoir autour d’une table, on peut toujours répondre aux préoccupations sociales ou salariales.
M. Jacques Desallangre. Avec les budgets des collectivités territoriales !
M. Jacques-Alain Bénisti. Je tiens donc à rendre hommage à votre sens du dialogue (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains) face au doléances légitimes de quelque 6 millions de nos compatriotes.
Nous sommes entrés dans une nouvelle ère du dialogue social. C’est bien ce qui a permis l’accord de jeudi dernier, le premier en son genre depuis huit ans. Il s’agit, d’après les spécialistes de la fonction publique dont je fais partie, d’une avancée considérable, qui augure bien du grand projet de loi sur la modernisation de la fonction publique qu’avec Brice Hortefeux vous nous présenterez dans quelques semaines. Le droit individuel à la formation continue en sera le socle et les freins à l’évolution des carrières y seront levés.
Si les fonctionnaires sont aujourd’hui rassurés quant aux principales mesures statutaires et sociales, qui vont sensiblement améliorer leur condition, (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste)…
M. Albert Facon. C’est de la provocation !
M. Jacques-Alain Bénisti.… il n’en va pas de même de l’évolution de leur pouvoir d’achat. Êtes-vous en mesure, monsieur le ministre, de les rassurer sur ce point ?
M. le président. La parole est à M. le ministre de la fonction publique.
M. Christian Jacob, ministre de la fonction publique. Comme vous l’avez souligné, un pas très important a en effet été franchi : depuis huit ans, il n’y avait pas eu d’accord signé dans la fonction publique.
À la demande du Premier ministre, nous avons voulu partir des aspirations concrètes des fonctionnaires et sortir des dogmes à cause desquels tous les gouvernements – de gauche comme de droite – avaient échoué depuis huit ans. Par ces mesures concrètes, nous nous sommes efforcés de répondre à trois problèmes.
Le premier est le déroulement des carrières. Les fonctionnaires se demandaient en effet comment retrouver des perspectives en la matière.
À cet égard, voici quelques-unes des réponses très précises que nous apportons.
Pour les fonctionnaires de catégorie C, l’indice terminal est revalorisé, ce qui se traduira par une augmentation de 100 euros par mois. Il fallait aussi donner à ces mêmes fonctionnaires de catégorie C la possibilité de passer en catégorie B : nous doublons le nombre des agents qui seront ainsi promus.
M. Philippe Briand. Très bien !
M. le ministre de la fonction publique. Quant aux fonctionnaires de catégorie B qui sont aujourd’hui en haut de grille, donc sans évolution possible, nous leur accordons un régime indemnitaire annuel de 400 euros par mois.
M. Philippe Briand. Très bien !
M. le ministre de la fonction publique. Pour ceux qui sont dans la catégorie A, ce sera 700 euros.
M. Philippe Briand. Très bien !
M. le ministre de la fonction publique. Au-delà de la revalorisation des carrières, nous avons travaillé à améliorer les conditions de vie personnelles et familiales de chacun des fonctionnaires, en les faisant bénéficier du CESU, le chèque emploi service universel, ce qui revient à réduire de 40 à 60 % les frais de garde d’enfants.
M. Philippe Briand. Très bien !
M. le ministre de la fonction publique. Pour les plus jeunes, nous généralisons à l’ensemble du pays une indemnité d’installation qui était jusqu’à présent réservée à deux régions : Provence-Alpes-Côte d’Azur et Île-de-France.
Sur le plan salarial, enfin, entre le 1er février 2006 et le 1er février 2007, un point d’augmentation d’indice sera accordé à tous les fonctionnaires. Voilà qui répond aux préoccupations sur le pouvoir d’achat. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Maxime Gremetz. Quels syndicats ont signé l’accord ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Le Guen, pour le groupe socialiste.
M. Jean-Marie Le Guen. Monsieur le Premier ministre, vous aurez beau dire, les Français savent que la TVA à 5,5 % pour le bâtiment, c’est nous qui l’avons obtenue et c’est vous qui n’êtes pas capable de la conserver ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.- Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Les Français savent que les 350 000 emplois-jeunes, c’est nous qui les avons créés et c’est vous qui les avez supprimés ! (Mêmes mouvements.)
Ils savent que, sous le gouvernement de Lionel Jospin, ont été créés deux millions d’emplois, quand vous-même n’en avez créé qu’à peine 40 000 !
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Honteux ! Ridicule !
M. Jean-Marie Le Guen. Nous vous observons depuis quelques jours, monsieur le Premier ministre, et nous voyons bien que votre souci n’est pas de convaincre : vous voulez passer en force. Ce qui marque votre action, c’est la brutalité ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
S’agissant des jeunes et de leur avenir, à aucun moment, vous ne vous êtes adressé à eux. Vous n’avez consulté ni les associations ni les partenaires sociaux et vous passez en force au Parlement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Pourquoi usez-vous de brutalité ? Pour masquer votre propre échec ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Mais les Français connaissent parfaitement, eux qui ne regardent pas seulement les statistiques et les manipulations comptables, la réalité de l’emploi dans notre pays.
M. Jean Marsaudon. C’est honteux !
M. Francis Delattre. Et les 35 heures ?
M. Jean-Marie Le Guen. Ils voient bien que si le nombre de chômeurs diminue, c’est parce que celui des RMistes augmente ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.- Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Monsieur le Premier ministre, votre atout majeur est de spéculer sur vos échecs. Vous comptez sur la précarité, qui caractérise trop largement l’emploi des jeunes, et sur le désespoir qu’elle fait naître chez eux pour assurer le succès du CPE. Mais nous, socialistes, et de nombreux Français avec nous, nous ne vous laisserons pas faire et nous serons présents, les jours prochains, dans le débat sur le CPE : comptez sur notre opposition ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Yves Nicolin. La question !
Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Bla bla bla !
M. Jean-Marie Le Guen. Vous voulez non pas donner un emploi à ceux qui sont dans les situations les plus précaires, mais précariser ceux qui, aujourd’hui, – plus de 50 % des jeunes – ont un emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Après le CNE, l’été dernier, avec le CPE, vous voulez rendre caduc notre code du travail. Il faudra que vous le reconnaissiez devant les Français. Vous voulez que le risque ne repose que sur le salarié, jamais sur l’entreprise.
M. Jean Marsaudon. Démago !
M. le président. Monsieur Le Guen, posez votre question !
M. Jean-Marie Le Guen. Alors, monsieur le Premier Ministre, si vous désirez avoir une vision plus précise de ce qu’est la précarité, pensez que si vous soumettiez votre gouvernement et votre majorité au contrat que vous proposez pour les jeunes, il y a longtemps que vous ne seriez plus aux commandes ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.– Huées sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean-Claude Lemoine. C’est lamentable !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement.
M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Monsieur Le Guen, vous touchez là un point fondamental. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Dans une société en mutation, la vraie question n’est pas d’avoir, une fois pour toutes, une formation, d’avoir un job, un CDD ou un stage ; elle est d’avoir un métier. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Ce gouvernement a fait le choix qu’il n’y ait plus d’emplois aidés qui ne s’accompagnent d’une formation, d’où les contrats d’apprentissage, les contrats de professionnalisation, ou encore les recrutements sur les talents, les fameux recrutements par « habiletés » dans les ANPE, et non pas sur des CV discriminants et anonymes.
M. Christian Bataille. Ce ne sont que des mots !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Le Gouvernement a aussi fait le choix d’une meilleure orientation, grâce à un service public de l’orientation. Il a voulu que ce soit toujours le même membre du personnel de l’ANPE qui joue le rôle de référent, car il s’agit de gestion des ressources humaines.
Qu’est-ce que le CPE ?
M. Henri Emmanuelli. C’est la précarité !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. C’est proposer au jeune et à l’entreprise d’avoir du temps pour se connaître avant d’investir dans un emploi définitif. Voilà en quoi consiste notre proposition. Cela n’a rien à voir avec le CDD, qui n’est qu’une parenthèse dans la vie de l’entreprise comme dans celle du jeune.
Vous ne pouvez pas dire que le CPE n’est pas le vrai CDI de demain pour les jeunes (Vives protestations et huées sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains), ni que le CDD et les stages sont préférables, ni qu’un contrat aidé sans formation, c’était la panacée.
Le monde entier bouge, les entreprises sont en mutation mais vous, vous ne bougez pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Valérie Pecresse, pour le groupe UMP.
Mme Valérie Pecresse. Monsieur le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille, au cœur de la réussite de chaque enfant, il y a d’abord sa famille. Quand on interroge les adultes qui ont réussi dans la vie, alors qu’ils cumulaient au départ tous les handicaps, les mêmes mots reviennent sans cesse : « Il y avait mon père, il y avait ma mère, mes grands-parents qui veillaient ».
Il y a urgence, aujourd’hui, à conforter l’autorité des familles et leur rôle auprès de leurs enfants. En effet, l’absentéisme scolaire a atteint un niveau inacceptable. Les violences à l’école contre les élèves et les enseignants sont devenues intolérables. Les actes de vandalisme sont le fait d’enfants de plus en plus jeunes, bien souvent laissés à eux-mêmes.
Alors, que faire ?
Je fais partie de ces députés qui se méfient des sanctions automatiques à l’encontre des familles. Je connais trop le désarroi et la fragilité de certaines d’entre elles, particulièrement les mères seules, confrontées à des adolescents en crise. C’est pourquoi nous avons toujours refusé la suppression automatique des allocations familiales pour les parents défaillants, sanction aveugle qui ne tient pas compte de la réalité de chaque situation.
Cela dit, ne nous voilons pas la face : certains des parents qui sont tout à fait à même d’exercer leurs responsabilités se dérobent.
M. Jean Leonetti. C’est vrai !
Mme Valérie Pecresse. Dans l’intérêt de leurs enfants, nous devons les remobiliser.
Vous proposez, monsieur le ministre, dans le projet de loi sur l’égalité des chances, un contrat de responsabilité parentale. Comment fonctionnera-t-il ? Avez-vous su trouver un juste équilibre entre l’accompagnement des parents en difficulté et la sanction des parents démissionnaires ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille.
M. Philippe Bas, ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Madame Pecresse, vous avez parfaitement posé le problème. La meilleure chance que l’on puisse recevoir dans la vie, c’est effectivement d’avoir des parents qui s’occupent de vous. Il est exact qu’aujourd’hui, un certain nombre de parents, pas forcément de mauvaise volonté, rencontrent des difficultés croissantes et peuvent même, pour une raison ou pour une autre, être défaillants.
Face à ces difficultés des parents, comment réagir ?
Il y a, bien sûr, la voie de la répression. Elle est prévue par nos textes puisque nous pouvons saisir la justice pour qu’elle prononce des amendes – 750 euros – ou qu’elle mette les allocations familiales sous tutelle.
Il y a aussi la voie de l’inaction et j’entends que c’est celle que l’on privilégie sur certains bancs ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. Albert Facon. C’est le père Fouettard !
M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Entre l’inaction et la répression, il y a la voie du contrat de responsabilité parentale, de l’accompagnement des parents en difficultés, du suivi de la famille.
M. François Hollande. C’est l’abbé Bas !
M. le ministre délégué à la sécurité sociale, aux personnes âgées, aux personnes handicapées et à la famille. Le contrat de responsabilité parentale, dont vous allez discuter dans les prochains jours, comporte, bien sûr, des droits pour les parents – le droit d’être aidé, d’être accompagné, de recevoir une formation à l’exercice de leur autorité parentale – mais il comporte aussi des devoirs, car cela est nécessaire. Voilà pourquoi nous avons choisi cette voie de soutien au parent.
C’est seulement dans le cas où les parents se déroberaient à ce soutien que la suspension des allocations familiales a été prévue : c’est le dernier avertissement avant que la justice soit saisie. (Applaudissements sur divers bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Briand, pour le groupe UMP.
M. Philippe Briand. Ma question s’adresse à M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes.
Alors que le Gouvernement, entièrement mobilisé pour l’emploi, recueille les fruits de ses efforts avec un chômage en baisse continue depuis huit mois, je souhaite vous interroger, monsieur le ministre, sur le problème du travail illégal qui pèse lourdement sur notre économie. En effet, par le manque à gagner qu’il génère, il porte atteinte aux travailleurs, directement dans leurs conditions de travail et de rémunération, mais aussi indirectement par les conséquences qu’il emporte sur notre système de protection sociale. En outre, il crée une distorsion de concurrence insupportable pour l’artisanat et le commerce. On évalue son coût dans notre pays à environ 55 milliards d’euros.
Il y a près d’un an, vous aviez présenté un plan national d’action pour les années 2004-2005. Récemment, vous avez déclaré vouloir renforcer la lutte contre le travail illégal sous toutes ses formes.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous dire quelles sont aujourd’hui vos orientations en la matière, et quels moyens vous vous engagez à leur consacrer, afin d’en finir avec cette terrible situation ? (Applaudissements sur quelques bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes.
M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Vous l’avez rappelé, monsieur Briand, le travail illégal représente 55 milliards d’euros, soit à peu près 4 % de notre PIB.
On a beaucoup parlé de précarité au cours de cette séance, mais la pire des précarités n’est-elle pas celle du salarié que l’on utilise, que l’on exploite sous forme de travail illégal ? N’est-ce pas la pire des précarités que de voir son travail non reconnu ?
Avec les partenaires sociaux – qui, je le rappelle, en 2004, n’avaient pas été réunis depuis huit ans ! – nous avons tenté d’élaborer une stratégie contre le travail illégal, et nous avons engagé l’action dans des secteurs prioritaires. Ainsi, 60 000 entreprises ont été contrôlées en 2005, contre 30 000 en 2002, 3 600 procès-verbaux ont été dressés, 7 000 hommes et femmes ont été rétablis dans leurs droits et le nombre de contrôles des entreprises étrangères a été multiplié par cinq. Comment mieux dire que le droit du travail est respecté par ce gouvernement alors qu’il ne l’était pas auparavant ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Philippe Briand. Très bien !
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. L’avenir appartient à de nouveaux modes d’organisation économique, à un monde ouvert, à la lutte contre les fraudes transnationales. Nous avons engagé, avec l’Allemagne, notamment, dans le dispositif de Weimar, avec la Pologne aussi, avec les pays du groupe de Visegrad, une action contre le travail illégal.
Un autre sujet majeur est à l’ordre du jour : la responsabilité entre donneurs d’ordre, grandes entreprises, et sous-traitants.
Nous poursuivrons la lutte contre le travail illégal, car il y va du droit des salariés et du respect de la concurrence. (Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. Nous avons terminé les questions au Gouvernement.
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures vingt.)
M. le président. La séance est reprise.
M. le président. L’ordre du jour appelle les explications de vote et le vote, par scrutin public, sur l’ensemble du projet de loi, adopté par le Sénat, portant engagement national pour le logement (nos 2709 rectifié, 2771).
Auparavant, la parole est à M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement.
M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, suite à nos débats, l’objectif de ce projet de loi apparaît clairement.
Nous avons déjà réussi à doubler le nombre de logements sociaux entre 2000 et 2005 en passant de 42 000 à 80 000 logements sociaux financés et à porter de 300 000 à 400 000 la construction pour l’ensemble des logements. L’objectif du projet de loi est de tripler le nombre de logements sociaux et de doubler la construction générale de logements.
Ce texte prévoit ainsi une quinzaine de mesures, portant notamment sur le partage de la plus-value, la sécurisation de l’urbanisme, l’exonération de TFPB compensée par l’État, l’accession sociale à la propriété grâce à une mesure sur la TVA permettant aux villes – pour lesquelles cela représente une lourde charge – de céder plus facilement des terrains.
Il y a eu un vague débat sur l’article 55 (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste) …
M. Pierre Ducout. Vous voulez supprimer la loi SRU !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Nous voulons seulement que les personnes souhaitant obtenir un logement social puissent y accéder par la location ou par la propriété. Ce texte préconise quinze points de déblocage. Je n’y reviens pas, car nous en avons longuement débattu, mais, je le répète, notre objectif est de tripler le nombre de logements sociaux et de doubler celui des logements dans les trois années à venir. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Michel Piron, pour le groupe UMP.
M. Michel Piron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, loin d’être un simple catalogue de mesures techniques, le texte sur lequel nous sommes appelés à nous prononcer relève bien d’un choix politique.
Si la loi « Engagement national pour le logement » vise d’abord à permettre à chacun, à chaque famille, de trouver ou de construire un logement, c’est dans le cadre voulu, confirmé, programmé de la mixité et de la cohésion sociale. Tel est en effet le principe selon lequel s’organisent les mesures dont nous avons débattu ces deux dernières semaines.
Face au défi de la pénurie, la loi de Robien et celle de janvier 2005 ont permis, l’an dernier, 410 000 mises en chantier, la délivrance de 512 000 permis de construire, la réalisation de plus de 80 000 logements sociaux – soit deux fois plus qu’en 2000 – auxquels s’ajoute l’immense chantier des 177 quartiers en zone de rénovation urbaine.
M. Pierre Ducout. Et l’inflation du foncier !
M. Michel Piron. Jamais, en vingt-cinq ans, un tel effort n’avait été consenti. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Très juste !
M. Michel Piron. Désormais, les nouvelles mesures tendent à libérer et à mobiliser le foncier, notamment en simplifiant les conditions de vente des terrains de l’État, en adaptant les règles d’urbanisme pour faciliter certaines densifications, en encourageant les maires bâtisseurs à travers des compensations fiscales. Ces mêmes mesures permettent de poursuivre et de diversifier l’effort en direction du parc social, avec les organismes publics d’HLM dont le statut est unifié, avec les SEM, avec l’ANAH pour doubler l’offre nouvelle de loyers maîtrisés tout en luttant contre l’insalubrité et la vacance, et grâce à de fortes incitations fiscales en faveur de l’accession sociale à la propriété, laquelle correspond à l’attente de la majorité de nos concitoyens.
Toutes ces mesures confirment le rôle des collectivités et des différents acteurs territoriaux. Cela est vrai pour l’urgence, avec la construction de 5 000 logements par la Sonacotra et celle de 5 000 places de résidence hôtelière dans les deux ans. Cela est encore vrai dans la durée, avec la programmation 2005-2010.
Alors que l’on commence à percevoir les résultats des premières décisions de cette mandature, il faudra encore du temps pour connaître les conséquences des décisions prises aujourd’hui. Raison de plus pour nous engager résolument et faire, avec le Gouvernement, de ce texte une priorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour le groupe socialiste.
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le ministre, vous avez soigneusement sculpté depuis quatre ans votre image de ministre sans œillères et sans parti pris, mais aujourd’hui, le rideau se déchire et la vérité de votre action apparaît. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
En quelques heures, vous allez associer votre nom à deux forfaits qui resteront parmi les symboles les plus tristes de la législature : la blessure mortelle infligée au CDI, avec l’instauration du contrat « première embauche », et le coup de dague porté à la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, avec l’adoption de l’amendement Ollier. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Guy Geoffroy. C’est un excellent amendement !
M. Jean-Marc Ayrault. Trois mois après les violences urbaines, ces deux actes législatifs sont les pires messages que l’on pouvait adresser aux Français. Vous voulez du travail ? Résignez-vous à la précarité ! Vous n’avez pas les moyens de vous loger ? Devenez propriétaire ! Cela ne relève pas du bon sens, mais du contresens : là où il faut sécuriser, vous fragilisez ; là où il faut mixer, vous séparez ; là où il faut rassurer, vous mentez.
Quand l’abbé Pierre s’est rendu à l’Assemblée, vous et vos amis avez fait assaut de respect envers les obligations de la loi SRU.
M. Jean-Marc Nudant. Arrêtez de le faire parler !
M. Jean-Marc Ayrault. Mais, quand il s’est retiré et que l’attention des médias s’est relâchée, vous vous êtes empressés de vider ce texte de sa substance. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Avec l’amendement Ollier, vous avez fait preuve d’hypocrisie en utilisant l’accession sociale à la propriété pour contourner l’obligation de constructions locatives sociales.
Mme Sylvia Bassot. Caricature !
Mme Martine David. C’est la vérité !
M. Jean-Marc Ayrault. Par ce subterfuge, vous exonérez les maires de votre majorité qui, depuis cinq ans, violent publiquement la loi ; vous légalisez les mille manières de ne pas l’appliquer, cautionnant ainsi une nouvelle ségrégation entre les communes riches et les communes pauvres.
L’accession sociale à la propriété aurait pu, aurait dû être un ajout, non un retranchement de l’obligation de diversité résidentielle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Tel était le sens de nos amendements, que vous avez rejetés, tout comme nos propositions d’augmenter les pénalités contre les maires hors-la-loi ou d’instituer 40 % de logements locatifs sociaux et intermédiaires dans tout programme d’aménagement public. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Vous érigez un mur d’égoïsme entre les Français.
De votre engagement national pour le logement, il ne restera que ce fâcheux symbole. Tout le reste – le « Borloo populaire », la maison à 100 000 euros, la vente d’appartements HLM – n’est qu’aménagements techniques, et sans grand avenir, des inégalités actuelles du marché. Ils ne changeront rien à l’envolée des prix et des loyers, à la pénurie d’offre locative sociale, aux difficultés de se loger pour les catégories populaires et les classes moyennes.
Ainsi que je l’ai souligné à l’ouverture de nos débats : comment ne pas regretter cette occasion manquée ?
En raison de sa gravité, le mal-logement appelle un effort massif et continu de la communauté nationale, par-delà nos clivages politiques. Jean-Yves Le Bouillonnec, François Brottes et les autres députés socialistes se sont inscrits dans cette démarche et ont proposé des clés novatrices susceptibles de concilier le dynamisme du marché et l’équité dans l’accès au logement : revalorisation de 10 % des aides à la personne ; suppression – demandée par le Médiateur de la République – du seuil de paiement de 24 euros ; plafonnement du coût du loyer dans le revenu des ménages ; programme de construction sociale ; contrat de sécurité bailleur/locataire ; clause de non-spéculation. Toutes ces clés, trop audacieuses, trop différentes de votre logique, ont été délibérément ignorées.
M. Jacques Myard. Qu’avez-vous fait ?
M. Jean-Marc Ayrault. Comme sur tous les sujets sensibles tels que l’impôt sur la fortune ou le contrat de travail, le seul souci de votre majorité est de se défaire des obligations de justice et de solidarité, qu’elle perçoit comme des contraintes, des carcans.
M. Jean-Marc Nudant. Caricature !
M. Jean-Marc Ayrault. C’est pourquoi l’opposition des députés socialistes à ce projet n’est que le prélude de la bataille qui va s’ouvrir dans quelques minutes sur le contrat « première embauche ». Ce qui se joue là, en effet, c’est l’essence du pacte social : le droit au logement, le droit du travail, tout ce qui construit la dignité humaine. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. Avant de donner la parole aux deux derniers orateurs inscrits dans les explications de vote, je fais d’ores et déjà annoncer dans le Palais le scrutin sur l’ensemble du projet de loi.
La parole est à M. Jean-Pierre Abelin, pour le groupe Union pour la démocratie française.
M. Jean-Pierre Abelin. En introduction je veux revenir sur la TVA à 5,5 %.
M. Breton vient de nous affirmer que le Gouvernement continuait à négocier. Il est, en effet, absolument vital – notamment pour le logement social – de sécuriser ce dispositif.
Monsieur le ministre, l’UDF est favorable aux principales avancées du texte, celles qui ont pour but d’entretenir la mobilisation des acteurs du logement, en particulier des maires constructeurs : compensation, s’agissant des logements locatifs sociaux, des pertes de recettes liées aux exonérations de taxe foncière décidées par la loi de cohésion sociale ; partage de la plus-value sur les terrains devenus constructibles ; droit nouveau de fixer dans le PLU, pour certaines zones, des taux minimaux de logements sociaux.
De même, nous sommes favorables à la libération du foncier d’État dans le but de stopper la spéculation. Cependant nous serons vigilants sur le bilan global de ces opérations. Il est en effet très important qu’au moins une partie de leur produit soit réellement affectée au logement social, et qu’elles ne soient pas seulement pour l’État un moyen d’obtenir des rentrées financières supplémentaires.
M. François Rochebloine. Absolument !
M. Jean-Pierre Abelin. Nous avons apprécié, monsieur le ministre, votre attitude constructive sur un certain nombre d’amendements du groupe UDF, notamment ceux portant sur le certificat préalable destiné à lutter contre la mise en location de logements insalubres et dangereux, sur les foyers-logements ou sur les zones franches.
En ce qui concerne les sociétés anonymes de crédit immobilier, vous avez par ailleurs accepté de rectifier votre amendement à la demande de notre collègue Charles de Courson. Toutefois, il serait bon de préciser le montant des prélèvements sur fonds propres et de nous garantir l’affectation de ces sommes au logement social.
En ce qui concerne la loi SRU, la position de l’UDF est très claire : nous nous opposons à tout ce qui en compromettrait la lisibilité. Cette loi a en effet le mérite de signifier que le logement locatif social est l’affaire de tous – notamment de toutes les communes – et que nul ne peut s’y soustraire.
M. François Rochebloine. Eh oui !
M. Jean-Pierre Abelin. D’accord avec l’abbé Pierre, nous avons voté contre l’amendement de la commission des finances qui retenait l’intercommunalité, et non plus la commune, comme territoire de référence. Nous souhaitons en effet une application juste et ferme de l’article 55 de la loi SRU. Ainsi, les communes ostensiblement récalcitrantes ne doivent pas se contenter de payer des pénalités : pour qu’elles rattrapent leur retard, il faut les astreindre à intégrer au moins 25 % de logements sociaux dans toutes leurs opérations immobilières. S’il y a des terrains disponibles pour construire des logements pour les personnes aisées, il doit y en avoir aussi pour les logements sociaux !
M. François Rochebloine. Très bien !
M. Jean-Pierre Abelin. Enfin, nous souhaitons, d’ici à l’adoption définitive du projet de loi, un geste du Gouvernement sur nos amendements relatifs aux APL, votés à l’unanimité en commission, mais qui n’ont pas pu être discutés en séance publique : ils concernent le mois de carence, le seuil de versement de l’aide et l’indexation sur le nouvel indice de référence des loyers. En période d’augmentation rapide des charges de chauffage, de telles mesures sont attendues et seraient bienvenues.
Monsieur le ministre, parce qu’il contribue à renforcer la mobilisation contre la crise du logement, l’UDF votera votre projet de loi (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), même si nous avons la conviction, d’ailleurs renforcée par l’affaire de la TVA sur la rénovation de logements et par la crise des banlieues, qu’il faudra aller encore plus loin.
M. le président. La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
Mme Muguette Jacquaint. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à l’heure où notre assemblée se prépare à examiner le projet de loi relatif à l’égalité des chances, comment ne pas souligner, une fois encore, à quel point le droit au logement constitue l’une des pierres angulaires du respect des droits fondamentaux de la personne ?
Dans notre pays, 3 millions d’hommes et de femmes se trouvent concrètement privés de l’exercice de ce droit. Leurs ressources ne leur permettent pas d’accéder à un logement décent et l’inflation immobilière, comme la précarisation de l’emploi, les prive chaque jour davantage de l’espoir d’un avenir meilleur.
Les événements de ces derniers mois, qu’il s’agisse des dramatiques incendies survenus l’été dernier ou des violences perpétrées dans les banlieues à l’automne, placent l’ensemble des responsables politiques devant leurs responsabilités. Or – et il en est du logement comme de tant d’autres sujets –, à quoi avons-nous assisté ces derniers mois, sinon à la multiplication d’effets d’annonce, destinés, sans doute, à parfaire la communication gouvernementale, mais certainement pas à promouvoir la recherche de solutions concrètes et viables.
Ainsi, depuis l’adoption du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, l’an dernier, le Gouvernement n’a eu de cesse d’annoncer l’examen – toujours reporté – d’une loi qui devait d’abord s’intituler « Habitat pour tous », avant de nous proposer le texte que nous venons d’examiner, un texte sans ambition, dont le ministre lui-même devait se résoudre à dire qu’il n’avait « rien de génial ». Quel aveu de l’incapacité du Gouvernement à se convaincre et à convaincre sa majorité d’agir !
Cependant il y a plus grave : le texte a été alourdi, pendant la navette parlementaire, de mesures portant atteinte aux principes posés par la loi de solidarité et de renouvellement urbain, en particulier aux dispositions obligeant à réaliser, dans chaque commune, au moins 20 % de logements locatifs sociaux.
L’amendement adopté à l’initiative du président de la commission des affaires économiques, M. Ollier, est, à cet égard, d’une extrême gravité. En proposant d’intégrer les programmes d’accession sociale à la propriété dans le calcul du quota de 20 %, il détourne la loi de son objectif initial.
Nous sommes tous favorables, sur ces bancs, au développement de l’accession sociale à la propriété : sur ce point, notre position est sans ambiguïté. Néanmoins, dans le contexte de pénurie de logement social que nous connaissons, il est impératif de préserver ce quota de 20 % afin de répondre à la demande. Dans un autre contexte, notamment si l’offre était supérieure à la demande, nous aurions sans doute approuvé un tel amendement mais, en l’occurrence, nous sommes bien obligés de constater que vous cherchez seulement à exonérer de toute responsabilité les maires qui ne réalisent pas de logement locatif social.
Preuve en est que le Gouvernement et la majorité se sont opposés, par principe, à toute mesure visant à aggraver les sanctions à l’égard des maires fautifs, y compris ceux qui déclarent ouvertement, au mépris de l’intérêt général, ne pas vouloir accueillir de logements HLM sur le territoire de leurs communes.
Compte tenu de ces considérations et de la volonté obstinée du Gouvernement de privilégier, au détriment de l’intérêt général, les intérêts de quelques maires, dont beaucoup sont accessoirement députés ou dirigeants politiques, vous comprendrez que nous votions résolument contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je vais donc mettre aux voix l’ensemble du projet de loi.
Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.
…………………………………………………………
M. le président. Le scrutin est ouvert.
…………………………………………………………
M. le président. Le scrutin est clos.
Voici le résultat du scrutin :
L’Assemblée nationale a adopté. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures quarante, est reprise à seize heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi pour l’égalité des chances (nos 2787, 2825).
La parole est à M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement.
M. Jean-Louis Borloo, ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, le 27 octobre dernier marquait le début d’une période de violence qui allait interpeller notre pays en profondeur. Nous nous sommes tous alors interrogés sur notre action, sur notre responsabilité et sur notre capacité à vivre ensemble dans ce pays, quelles que soient nos origines.
Face à ces questions, la plupart d’entre nous sommes convenus qu’il n’y avait qu’un seul moyen et une seule voie pour affronter puis dépasser la crise et que cette voie s’appelait la République : une république qui fait que la loi est respectée sans faiblesse et que l’ordre public relève des services de police et de gendarmerie, mais une république ouverte et tolérante, généreuse et accueillante et qui sait reconnaître ses échecs et ses erreurs. Alors oui, cette crise qui s’est déroulée il y a trois mois, nous devons continuer d’en tirer les leçons, même si, peut-être, certains ont envie d’en oublier les images.
Malgré les efforts déployés par tous les gouvernements, de droite comme de gauche, la situation dans certains quartiers n’a cessé de se dégrader, même si elle s’est considérablement améliorée dans d’autres. Certains ont mis en avant l’échec de la politique de la ville, les jeunes les plus violents comptant précisément parmi ceux qui sont nés avec cette politique, et qui en ont donc bénéficié depuis leur enfance. Je ne crois pas à cette analyse. Cette crise est celle-là même qui m’amenait à vous proposer à l’automne 2004 une loi ambitieuse dite de « programmation pour la cohésion sociale ».
Je me permets de citer ce que je disais alors à cette même tribune dans un silence parfois incrédule et peu mobilisateur : « Réaffirmons nos convictions ; la France ne doit pas être une juxtaposition d’individus égoïstes et rivaux, mais la réunion d’hommes et de femmes animés par une même fierté d’appartenir à la République. L’avenir de notre pays, son dynamisme économique durable dépendent de notre capacité à fédérer tous ses talents. Inexorablement, depuis quinze ans, le fossé continue de se creuser entre ceux dont les enfants ont un avenir et ceux dont la descendance en est privée. D’innombrables talents sont ainsi gaspillés, recevant la rage en lieu et place du diplôme ».
Dès le printemps de 2003, je vous ai proposé un plan pour sortir de la ségrégation territoriale et transformer en profondeur nos quartiers en vue de les rendre tous beaux et faciles à vivre et d’en faire des quartiers d’avenir : tel était l’enjeu de la loi d’orientation et de programmation pour la ville et la rénovation urbaine.
Créée par cette loi, l’Agence nationale de rénovation urbaine fonctionne aujourd’hui, mais il faudra cinq à sept ans d’effort en continu. Aujourd’hui, plus de 17 milliards d’euros de travaux ont été programmés et conventionnés au profit de plus de 275 quartiers abritant plus de 1 800 000 habitants. Avant la fin du mois, une nouvelle convention avec les partenaires sociaux augmentera ce programme de 5,2 milliards d’euros, ce qui le portera au total à 30 milliards. Déjà, partout, des grues se dressent. Oui tout cela est long, mais c’est le prix à payer pour une action en profondeur.
Comme le démontre le texte qui vient d’être adopté, le Gouvernement a travaillé sur le logement, l’emploi et l’égalité des chances. Si ces actions pour une plus grande mixité sociale, vers un droit au logement pour tous, vers un habitat plus digne, une formation puis un emploi plus facile, atteignent peu à peu les résultats que nous attendons tous, cela demeure encore insuffisant et, surtout, insuffisamment lisible et visible pour des jeunes qui veulent croire en leur avenir et qui pensent que nous ne leur en offrons pas ou pas à tous, et que la République n’est pas pour eux.
Qui sont ces jeunes ? Très divers, ils sont pour la plupart issus de l’immigration, mais ils sont des Français à part entière. Souvent, ils se sentent discriminés par la couleur de leur peau ou par leur quartier d’origine. Souvent leurs parents n’ont connu que le chômage. Ce sont des personnes de grande qualité, car ils connaissent le prix de l’effort pour réussir. Ils appartiennent au peuple de France, ils sont une partie de notre jeunesse. Ils sont notre diversité et notre richesse même si, avouons-le, nous nous sommes parfois interrogés face aux attitudes et aux paroles de certains.
M. Henri Emmanuelli. Vous parlez de Sarkozy ?
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Quelques-uns d’entre eux vivent même dans un monde violent.
Surtout, ne vous trompez pas, mesdames et messieurs les députés, ils sont une partie vivante de notre pays. Ils sont des hommes et des femmes comme vous et moi qui appellent la République à l’aide. Certes, on peut penser que certains le font mal et de manière provocante, mais ils nous interpellent et nous devons répondre, une fois l’ordre public rétabli. Nous devons poursuivre et amplifier sans relâche nos efforts, apporter des solutions nouvelles et immédiates, car la crise que nous avons vécue est une véritable injonction à accélérer et à rattraper le temps perdu pour cette génération.
Le Premier ministre, Dominique de Villepin, a réaffirmé récemment son soutien au tissu associatif qui accomplit un travail remarquable.
M. Christian Paul. Cela n’a rassuré personne !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Le Gouvernement a aussi souhaité que les emplois de proximité restent une composante forte de l’équilibre de ces quartiers.
M. Jean-Pierre Blazy. C’est pour cela que vous les avez supprimés ?
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Toutefois cela ne suffit pas et il n’est pas envisageable que, dans les tout prochains mois, bien des jeunes qui espéraient simplement repartir du bon pied à l’école ou en apprentissage se retrouvent sans affectation scolaire, sans employeur acceptant de signer un contrat avec eux.
Pour cela, il convient d’agir vite (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), quitte à brusquer les habitudes…
M. Jean-Pierre Blazy. Au bout de quatre ans !
M. Jean-Marc Nudant. Et vous avant ?
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …et à bousculer le calendrier parlementaire pour que des actions concrètes prennent effet dans les prochaines semaines.
M. François Hollande. Vous êtes au pouvoir depuis quatre ans !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. L’urgence n’est pas un terme galvaudé lorsqu’il s’agit de répondre aux cris de détresse de ceux qui ne voient pas d’issue à leur mal de vivre. (Murmures sur les bancs du groupe socialiste.) Je crois que le débat parlementaire, par sa richesse, reconnaîtra qu’il nous fallait agir maintenant. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Jean Leonetti. Cela vous ennuie chers collègues parce que cela marche !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Le Gouvernement de Dominique de Villepin vous propose d’examiner, selon la procédure d’urgence, ce projet de loi sur l’égalité des chances. Les mesures concrètes de ce texte portent à la fois sur l’emploi, sur le développement économique, sur l’amélioration des outils de la politique de la ville. Elles traitent également du contrat de responsabilité parentale et du développement d’un service civil volontaire. Il s’agit, comme cela avait été souligné et entrepris dans la loi de programmation pour la cohésion sociale, de prendre en compte tous les aspects qui permettent d’apporter des réponses à une situation particulièrement complexe.
Oui, il y a des légitimités partagées qu’il faut respecter ; oui, il y a un temps de l’action différent du temps médiatique. Non, ne trompons pas la jeunesse par des mots sans avenir d’un débat trop convenu ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Par ailleurs, le Gouvernement vous a soumis, notamment par la voix de Gérard Larcher, un certain nombre d’amendements qui poursuivent le même objectif : faciliter l’insertion professionnelle et sociale, notamment celle des jeunes qui sont le plus touchés par la précarité de l’emploi. En effet la vérité, pour ces jeunes, se trouve aujourd’hui à l’évidence dans l’emploi. Avec un logement décent et une formation, c’est l’emploi qui est la voie de l’intégration républicaine.
M. Henri Emmanuelli. Lapalissade !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Les jeunes de ces quartiers expriment fortement ce besoin absolu, loin de nos querelles sémantiques de politiciens trop avertis.
Le Gouvernement s’efforce par tous les moyens de livrer cette bataille pour l’emploi et les premiers résultats sont encourageants. Alors continuons, tout simplement.
Le titre Ier du projet s’attache à favoriser l’éducation, l’insertion dans l’emploi et le développement économique.
Il s’agit en premier lieu de faciliter l’entrée en apprentissage des jeunes de moins de seize ans qui sont sur le point de sortir du système scolaire sans qualification. Nous voulons que l’échec scolaire, lorsqu’il n’a pu être évité, ne soit pas une sanction irrémédiable et que les talents de chacun, lorsqu’ils ne sont pas purement académiques, puissent aussi trouver à s’exprimer.
La création d’un dispositif d’apprentissage junior doit, dans ces conditions, permettre de retrouver confiance en soi et offrir une possibilité de s’insérer dans le monde professionnel. L’apprentissage junior pour les moins de seize ans n’a de sens que s’il offre un environnement sécurisé et qu’il facilite à terme la réussite d’un projet professionnel. Il doit aussi offrir un accompagnement par une équipe pédagogique et laisser ouverte la possibilité pour ceux qui le souhaitent de revenir au collège à tout moment.
M. Jean-Pierre Blazy. Illusion !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Reposant sur le volontariat du jeune et de sa famille, cet apprentissage junior qui, la première année, est une découverte des métiers, doit être compris comme une opportunité et non pas comme une voie de garage.
M. Henri Emmanuelli. Hypocrisie !
M. Jean Leonetti. C’est un expert qui parle !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Gérard Larcher a eu des échanges riches et nourris avec les professionnels de l’éducation et de la jeunesse,…
M. Christian Paul. Ils sont contre !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …mais aussi avec les partenaires sociaux. Je crois qu’il en résulte un texte équilibré et positif.
M. Christian Paul. Mystificateur !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Ce nouveau dispositif, très ciblé sur les jeunes qui désirent sortir d’un système scolaire trop académique, est complété par une série de mesures relatives à l’apprentissage et à l’entrée dans la vie active…
M. Yves Durand. Où est le ministre de l’éducation nationale ?
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …en faveur de ceux qui quittent le système prématurément et, le plus souvent, sans qualification.
D’abord, les entreprises de plus de 250 salariés devront accroître progressivement la proportion de jeunes qu’elles emploient en contrats d’apprentissage ou de professionnalisation.
M. Jean-Pierre Blazy. Elles ne veulent pas !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Ils devront représenter 1 % de leurs effectifs d’ici au 1er janvier 2007, 2 % d’ici au 1er janvier 2008…
M. Henri Emmanuelli. Vous ne serez plus là !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …et 3 % d’ici au 1er janvier 2009. En cas de non respect de cet objectif, le montant de la taxe d’apprentissage serait majoré de 20 % et porté ainsi à 0,6 % de la masse salariale.
La loi de cohésion sociale, l’effort des organisations professionnelles, l’engagement massif des régions ont permis à la voie de l’apprentissage de progresser d’ores et déjà de 7 % à 8 % en 2005. Nous proposons d’aller encore au-delà.
Ensuite, il est prévu de rendre obligatoire une rémunération des stages de plus de trois mois. Il faut que cessent certains faux stages qui ne servent qu’à obtenir des salariés sans salaire.
M. Henri Emmanuelli. Vous avez mis quatre ans pour vous en apercevoir !
M. Jean Leonetti. Et vous vous avez mis dix ans pour ne pas le faire ! Vous n’y avez même pas pensé : vous n’avez rien dans la tête !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Cette disposition doit résonner comme un avertissement.
Enfin, le soutien de l’État aux jeunes dans l’entreprise est étendu aux jeunes des zones urbaines sensibles, comme l’a souhaité le Premier ministre le 8 novembre dernier. En outre, à l’initiative de Gérard Larcher, ministre délégué au travail, à l’emploi et à l’insertion professionnelle des jeunes, une opération spécifique « d’outplacement » pour les jeunes diplômés de l’enseignement supérieur de nos quartiers sera lancée dès le mois de mars. L’objectif est l’emploi pour ces jeunes qui ont accompli l’effort de la formation et dont l’absence d’emploi décourage également les autres.
Par ailleurs, ce projet étend le dispositif des zones franches urbaines à quinze nouveaux sites. Il complète utilement les mesures déjà arrêtées pour les quatre-vingt-cinq zones franches existantes, en incitant notamment les grandes entreprises à investir dans de plus petites unités situées dans ces zones urbaines sensibles. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste. – « Très bien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Henri Emmanuelli. On peut toujours rêver !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Nous avons souhaité ces zones franches urbaines, mais nous souhaitons aussi qu’elles ne constituent pas un facteur d’enfermement de plus pour les jeunes de ces quartiers. Il faut faciliter ailleurs aussi le développement de l’emploi. Le Gouvernement, avec la loi sur la cohésion sociale et les mesures du plan d’urgence pour l’emploi, y travaille sans relâche. Ainsi le chômage a encore baissé ce mois-ci…
M. Henri Emmanuelli. Et le nombre de RMistes augmente !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …et il continuera à baisser en 2006. Il faut continuer et amplifier l’action.
C’est pourquoi un amendement au titre Ier de ce projet de loi proposera la création du contrat « première embauche ». (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Christian Paul. Honte à vous !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Faut-il rappeler quelle est la réalité ?
M. Jean-Pierre Blazy. Pour quelles raisons ?
M. Yves Durand. À cause de qui ?
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Dans notre pays, 22,7 % des jeunes de moins de vingt-six ans sont au chômage ; 70 % de ceux qui ont un travail ont un CDD ou un stage, et 50 % de ces CDD durent moins d’un mois.
M. Jean-Pierre Blazy. Quel bilan accablant !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Ce que le Gouvernement propose avec l’instauration de ce nouveau contrat, c’est exactement l’inverse de la précarité actuelle : …
Plusieurs députés du groupe socialiste. Vous l’aggravez !
M. Henri Emmanuelli. C’est le XIXe siècle !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …un véritable contrat à durée indéterminée,…
M. Henri Emmanuelli. Vous mentez !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …avec une période de consolidation de deux ans pendant laquelle le stage, le CDD, l’apprentissage, le contrat de professionnalisation prennent tout leur sens vers le CDI.
Un CDD, c’est un espace de vie limité, il n’y a pas d’investissement de l’entreprise vers des ressources humaines durables ou d’investissement du jeune dans cette entreprise. Nous voulons aller vers un investissement partagé du jeune en première embauche et de l’entreprise. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Blazy. Baratin !
M. Henri Emmanuelli. C’est du sale boulot !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Ne venez pas me raconter que le chômage, les CDD, l’intérim ou les stages sont des emplois durables et préparent au CDI. Les chiffres, malheureusement, démontrent le contraire. Il faut attendre entre huit et dix ans en France pour avoir un CDI. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Christian Paul. C’est faux !
M. Henri Emmanuelli. Vous êtes un menteur !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Comme il faut un équilibre dans cette marche vers le CDI, le Gouvernement vous propose un contrat certes plus souple (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste) – car la marche entre le CDD et le CDI était trop haute – mais avec des contreparties : formation dès le premier mois, droit à une assurance chômage, …
M. François Hollande. C’est bien le moins ! C’est de droit !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …ce qui n’existait pas dans les procédures antérieures, et bien entendu, préavis. Les règles du droit du travail sont intégralement respectées. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Henri Emmanuelli. C’est faux !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Bien plus, ce qui est une première dans l’histoire de notre pays, on accole à ce CDI un droit à la garantie locative.
M. François Hollande. Et au licenciement immédiat !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Si vous connaissiez mieux les jeunes (Protestations sur les bancs du groupe socialiste),…
M. François Hollande. On les connaît !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …au lieu d’essayer de leur raconter une autre vie que la leur, vous sauriez qu’une de leurs grandes demandes, c’est de pouvoir accéder à un logement.
M. François Hollande. Comment vont-ils faire ?
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. On peut retourner le problème dans tous les sens ; on peut essayer de faire croire aux jeunes que le CDD ou le stage, c’est mieux que le contrat « première embauche », mais vous savez au fond de vous que ce n’est pas le cas (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Jean Leonetti. Bien sûr qu’ils savent !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Je trouve assez triste de vous voir essayer d’expliquer par des slogans autre chose que la réalité qui est malheureusement vécue par ces jeunes.
M. Henri Emmanuelli. Le menteur c’est vous !
M. François Hollande. Pourquoi n’en avez-vous pas parlé aux partenaires sociaux ?
M. Henri Emmanuelli. Parce qu’il n’ose pas ! Parce qu’il fait un sale boulot !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Le titre II de ce projet de loi vise directement l’égalité des chances et la lutte contre les discriminations.
Le Gouvernement souhaite d’abord améliorer l’efficacité des outils de la politique de la ville et de l’intégration grâce à la création d’une agence de la cohésion sociale et de l’égalité des chances. Six préfets à l’égalité des chances ont déjà été nommés. À l’agence d’apporter, à côté de l’agence de rénovation urbaine, des moyens spécifiques forts en matière d’emploi, d’accompagnement et de formation aux personnes de ces quartiers.
L’agence de rénovation urbaine fait le travail d’urbanité,…
M. Henri Emmanuelli. Urbanité, cela ne veut rien dire !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …de transformation de ces quartiers en quartiers d’avenir. Il nous manque un outil de cohésion sociale à côté et en accompagnement ; c’est ce qui vous sera présenté plus tard par Catherine Vautrin.
Ce même titre II, cher à Azouz Begag, renforce également les pouvoirs de la haute autorité de lutte contre les discriminations créée par la loi de décembre 2004. Je laisserai à Azouz Begag le soin de vous le présenter plus en détail.
Le titre III, qui sera défendu par Philippe Bas, crée un contrat de responsabilité parentale.
Mme Annick Lepetit. Inapplicable !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. La question de l’apprentissage des règles est au cœur de la cohésion sociale. Or certaines situations sociales ou familiales limitent la capacité des parents à remplir correctement cette mission. Les conséquences pour les enfants sont catastrophiques, notamment lorsqu’elles se traduisent par l’absentéisme scolaire. L’école et les institutions sociales ne peuvent trouver toutes les solutions sans les parents. La création d’un contrat de responsabilité parentale répond à cet objectif dès lors que l’autorité parentale, de son fait ou pas, est défaillante. Le contrat de responsabilité parentale doit d’abord et avant tout contribuer à aider les parents à remplir une mission essentielle mais difficile.
M. Jean Leonetti. Bien sûr !
M. Yves Durand. En supprimant les allocations ?
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Le titre IV renforce les pouvoirs des maires face aux incivilités…
M. Jean-Pierre Blazy. Cela n’a rien à faire dans ce texte !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …et leur donne des moyens supplémentaires.
Enfin, le titre V crée le service civil volontaire. Il s’agit d’offrir à des jeunes qui le souhaitent l’occasion d’un brassage social, l’expérience de la conduite d’un projet collectif et l’apprentissage de règles de vie commune. Le service civil volontaire, qui répond à une demande du Président de la République (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), garantira que, lors d’une mission d’intérêt général remplie par un jeune, celle-ci sera accompagnée d’un véritable dispositif d’accompagnement vers l’emploi, d’une formation civique initiale et d’une pratique contractuelle claire avec un organisme.
Par ce projet, mesdames, messieurs les députés, le Gouvernement entend amplifier notre volonté collective de réaliser la mixité sociale, de favoriser l’apprentissage républicain et de combattre le communautarisme. Je suis convaincu pour ma part que nous n’épuiserons pas nos ambitions, mais il ne faut pas confondre l’idéal et le possible lorsque l’on traite de tels sujets.
Le projet que nous vous proposons, Gérard Larcher, Catherine Vautrin, Azouz Begag, Philippe Bas et moi-même…
M. Henri Emmanuelli. C’est trop ! Quel gâchis !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …au nom du gouvernement de Dominique de Villepin, répond à une exigence d’action et à un impératif de célérité.
Il répond aussi à la conviction de l’humilité dans nos certitudes (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste)…
M. Jean-Marc Nudant. Cela ne leur arrive pas !
M. Christian Paul. C’est du Villepin dans le texte !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …et fait suite aux diverses lois que j’ai eu l’occasion de vous présenter et que vous avez acceptées après les avoir amendées : la loi sur la rénovation urbaine, la loi de cohésion sociale, la loi créant la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité des chances et la loi portant engagement national sur le logement. Après la loi sur le retour à l’emploi qui vient d’être votée, voici aujourd’hui celle de l’égalité des chances.
Mme Annick Lepetit. Où est-elle, l’égalité des chances ?
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Aucun de ces textes n’est de nature à changer radicalement la donne à lui seul, mais tous, peu à peu, changent les conditions de vie de nos concitoyens et font bouger les lignes de notre société.
M. Jean-Pierre Blazy. On l’a vu à l’automne dernier !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Tous ces textes concourent à l’affirmation de notre République et visent à redonner l’espérance à ceux qui sont exclus de notre tissu social. Ce qui est en cause, c’est bien la cohésion nationale. Elle vaut bien, je le pense, que nous acceptions de nous écouter sans préjugés et sans anathèmes. C’est l’objet de ce débat sur un texte qui veut faire partager notre République à tous. C’est bien la politique voulue et annoncée par le Premier ministre. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, je souhaite parler de l’organisation de nos travaux.
De nombreux ministres pour un si mauvais texte ! Je comprends qu’il faille se mobiliser avant que le débat puisse avoir lieu, dans quelques heures, j’espère, mais je tiens tout de même à rappeler que nous travaillons dans des conditions exécrables. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
La conférence des présidents a été informée la semaine dernière du fait que le Gouvernement avait changé l’ordre du jour. Nous devions examiner ce projet à partir du 21 février et il est examiné dès aujourd’hui. Ce changement, je le rappelle, a été annoncé la veille pour le lendemain. La commission des affaires sociales a donc dû vous auditionner, monsieur Borloo, dans des conditions inacceptables, mardi dernier.
M. Bernard Roman. À la sauvette !
M. Jean-Marc Ayrault. Lorsque les députés socialistes ont voulu vous interroger, vous avez quitté la séance de la commission parce que vous deviez défendre le projet sur le logement…
M. Christian Paul. Tout aussi exécrable !
M. Jean-Marc Ayrault. …qui vient de faire l’objet d’un vote de l’Assemblée nationale.
M. François Hollande. Que de précipitation ! Que de confusion !
M. Jean-Marc Ayrault. S’il ne s’agissait que d’un texte technique, comme vous avez parfois tendance à le déclarer, nous ne dirions rien ; mais il s’agit d’un texte hautement politique qui mérite bien mieux !
Monsieur le président, je vais donc demander une suspension de séance pour réunir mon groupe….
M. Jean Leonetti. Ah, les méthodes socialistes de retardement !
M. Jean-Marc Ayrault. …mais aussi pour permettre à M. le ministre, avant de commencer l’examen de ce texte, de nous apporter une réponse sur un point précis.
M. Borloo vient en effet de citer, sur le chômage des jeunes et, surtout, sur la nature des contrats de travail signés par ceux qui ont accédé à l’emploi, des chiffres différents de ceux donnés par M. Larcher lors des questions au Gouvernement. Cela tient au fait que leurs sources ne sont pas les mêmes : M. Borloo se réfère aux travaux de l’OCDE, dont nous n’avons pas eu connaissance, sinon par des bribes dans la presse, tandis que M. Larcher fait référence aux chiffres de la DARES.
J’ignore qui a tort et qui a raison – j’ignore même si quelqu’un a tort – mais ce n’est pas du tout la même chose. Selon la DARES, une majorité de jeunes serait embauchée en CDI de sorte que votre contrat « première embauche » va alors généraliser la précarité, y compris pour ceux – les deux tiers – qui sont embauchés en CDI.
M. François Hollande. Bien sûr !
M. Jean-Marc Ayrault. Le rapport de la DARES indique même que, très vite, un jeune sur deux serait embauché en CDI. Vous instaurez donc une précarité généralisée, pour tous les jeunes, qu’ils soient ou non qualifiés.
Les chiffres de M. Borloo sont en totale contradiction avec ceux de M. Larcher au point qu’il y a même une polémique entre ces différents organismes d’évaluation.
Je demande une suspension de séance. Il faut que l’Assemblée soit éclairée et nous attendrons, pour reprendre nos travaux, de disposer de ces deux expertises.
M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet.
M. Alain Bocquet. Je proteste également contre les conditions de travail dans lesquelles nous abordons l’examen de ce texte.
Les enjeux en sont importants : au nom du CPE – contrat pour éjecter – vous allez miner notre législation du travail, déjà bien touchée depuis quelques mois. De surcroît, ce texte, qui nous est proposé en urgence, n’a fait l’objet d’aucune concertation approfondie avec les représentants du monde syndical ou des associations de jeunesse, qui toutes se mobilisent pour organiser la protestation face à ce projet inacceptable pour le monde du travail et de la création.
Monsieur le président, je souhaite également que vous nous accordiez une suspension de séance.
M. le président. Monsieur Bocquet, si cela ne tenait qu’à moi, il n’y aurait pas de suspension de séance, mais elle est de droit.
Je vous accorde donc dix minutes de suspension de séance pour réunir vos groupess.
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures vingt, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
Monsieur Ayrault, M. le ministre m’a fait parvenir les précisions suivantes : les études auxquelles vous avez fait allusion sont disponibles. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) L’enquête du CEREC sur les jeunes qui ont quitté le système éducatif en 2001 a été publiée au deuxième trimestre 2005.
M. Bernard Roman. 2001 ? C’était une autre époque !
M. le président. Quant à l’étude que la DARES a consacrée à la structure de l’emploi dans le secteur privé en 2004, je vous en ferai tenir copie dans quelques instants, dès que je l’aurai reçue.
M. le ministre me fait savoir en outre que le groupe socialiste a pu prendre connaissance de l’enquête du CEREC intitulée « Génération 2001 ».
M. Christian Paul. Grâce au journal Le Monde ! C’est lui qu’il faut remercier.
M. le président. Je pense, monsieur Ayrault, que ces précisions sont suffisantes. Je vous laisse cependant la parole, du moins pour quelques instants, car il est inutile de consacrer trop de temps à ce point.
M. Jean-Marc Ayrault. Je veux d’abord vous remercier, monsieur le président, de ces précisions, du moins en ce qui concerne l’étude de la DARES, dont vous nous annoncez qu’elle doit nous parvenir dans quelques instants, pendant, je suppose, que les différents ministres s’exprimeront à la tribune.
Je vous rappelle simplement que j’ai également demandé de pouvoir prendre connaissance de l’étude de l’OCDE sur laquelle se fonde M. Borloo : il ne s’agit manifestement pas de celle à laquelle s’est référé M. Larcher puisqu’il n’arrive pas aux mêmes conclusions. Comment voulez-vous qu’une telle divergence ne laisse pas un doute dans les esprits ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean Leonetti. Il n’y a que dans le vôtre qu’il y a un doute ! Ce n’est pas parce que vous comprenez lentement qu’il faut que nous débattions lentement !
M. Jean-Marc Ayrault. Non que nous ne soyons, pour notre part, déjà parfaitement conscients des risques que le « contrat première embauche » fait peser sur le contrat de travail, mais ce qui compte c’est que les Français soient éclairés, c’est-à-dire la représentation nationale que nous sommes ici. Nous ne pourrons pas travailler dans des conditions satisfaisantes sur le plan démocratique si nous manquent les sources mêmes du raisonnement de M. Borloo, qui n’est pas celui de M. Larcher.
À ce propos, monsieur Larcher, je vous remercie d’avoir dit la vérité durant les questions au Gouvernement. J’aimerais, pour ma part, qu’on sorte de ce malentendu, qui est né du défaut d’information des députés.
M. Jean Leonetti. Il n’y a pas de malentendu ; il n’y a qu’un malentendant !
M. le président. Monsieur Leonetti !
M. Jean-Marc Ayrault. Je ne peux donc pas me contenter de votre réponse, monsieur le président : je souhaite que vous-même, ou le Gouvernement, m’éclairiez également sur cette étude de l’OCDE, avant que nous poursuivions ce débat.
M. le président. Monsieur Ayrault…
M. Jean-Marc Ayrault. Ma demande est sérieuse ! Chacun a pu constater qu’on nous donnait deux analyses différentes ! Si ce n’est pas se moquer du Parlement… (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean Leonetti. Parce que chez vous il n’y en a qu’une ? Demandez à Laurent Fabius quelle est son analyse !
M. Jean-Marc Ayrault. À défaut d’une réponse sur ce point, monsieur le président, je demanderais une nouvelle suspension de séance.
M. Richard Cazenave. Nous avons 23 % de chômeurs chez les jeunes, contre 11 % en Allemagne. Cela ne vous suffit pas, comme réponse ?
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes.
M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Monsieur le président Ayrault, je ne nie pas le grand intérêt de cette bataille d’études et je ne doute pas qu’elle enrichira nos débats ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Augustin Bonrepaux. Répondez à la question !
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Naturellement, nous vous ferons parvenir l’étude de l’OCDE en question, qui doit être également mise à la disposition de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
M. Augustin Bonrepaux. Vous ne répondez pas à la question ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.
M. Jean-Marc Ayrault. Je ne peux pas accepter qu’on se moque ainsi de l’Assemblée nationale ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Yves Nicolin. Arrêtez le grand guignol !
M. Richard Cazenave. Cinéma !
M. Jean-Marc Ayrault. M. le président de la commission m’a dit, pendant la suspension de séance, qu’il ne connaissait pas ces études. Comment voulez-vous qu’on travaille dans de telles conditions ?
Ainsi que nos collègues Henri Emmanuelli, Christian Paul et Jean-Marie Le Guen l’ont déjà souligné vous voulez passer en force, et c’est ce que nous n’acceptons pas. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Richard Cazenave. Cessez ce cinéma !
M. Jean Leonetti. Vous n’avez rien à proposer !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Je ne peux pas, monsieur le président, laisser M. Ayrault déformer des propos qui ont été tenus en dehors de l’hémicycle.
Je vous ai dit, monsieur Ayrault, qu’il y avait effectivement des chiffres différents, mais je crains que vous ne confondiez le stock et le flux. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Henri Emmanuelli. Mais non ! Nous sommes parfaitement au courant !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. On peut, si vous le voulez, entrer dans des débats statistiques : cela risque d’être extrêmement passionnant ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. En tout état de cause, je fais chercher l’étude en question et je vous la communiquerai dès qu’elle aura été mise à ma disposition.
Nous en revenons au débat.
La parole est à M. le ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances.
M. Azouz Begag, ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances. Monsieur le président, monsieur le rapporteur Hénart, mesdames, messieurs les députés, l’égalité des chances est au cœur du pacte républicain : c’est son cœur même. En juin dernier, le Premier ministre, Dominique de Villepin, m'a donné pour mission de la promouvoir dans les esprits, dans les faits et dans la vie quotidienne de tous les Français sans exclusive.
En 1789, l'Assemblée nationale proclamait : « Les hommes naissent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. »
M. Henri Emmanuelli. Ça, on le savait !
M. le ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances. En 1946, le préambule de la Constitution adoptée par le peuple français disposait : « Nul ne peut être lésé dans son travail, en raison de ses origines, de ses opinions et de ses croyances ».
M. Henri Emmanuelli. C’est une idée de gauche !
M. Richard Cazenave. Quelle gauche ?
M. le ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances. En 1958 était gravé dans le marbre de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens, sans distinction d'origine, de race ou de religion. »
M. Henri Emmanuelli. C’est la gauche qui a fait ça ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Richard Cazenave. Vous plaisantez ! Voulez-vous une leçon d’histoire ?
M. le ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances. Alors que l’égalité des chances est le socle des valeurs de notre république, parce qu’elle signifie la justice et la liberté donnée à chacun de s’accomplir – dans cet hémicycle on le sait mieux que partout ailleurs –, la crise des banlieues a été pour nous un électrochoc.
De l’autre côté du « périf », les valeurs républicaines n’ont plus prise sur certains groupes de la population, pour qui elles ne sont plus porteuses ; elles paraissent tellement inaccessibles que certains jeunes ont développé des comportements d’autocensure : ils n’y croient plus.
M. Christian Paul. Vous vous y connaissez en matière d’autocensure !
M. le ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances. Le projet de loi pour l'égalité des chances est une réponse du Gouvernement à ce désarroi, qui est une crise d'identité, une crise des valeurs, et une grave crise de confiance. Il vise à renforcer notre pacte républicain, en apportant sa contribution à l’action sociale menée par mes collègues Jean-Louis Borloo, Catherine Vautrin, Gérard Larcher et Philippe Bas.
Les mesures prises par le Premier ministre depuis le 8 novembre dernier en faveur des quartiers sensibles ont apporté de l'espoir à tous ces oubliés de l'égalité des chances.
M. Augustin Bonrepaux. Vous ne croyez pas vous-même à ce que vous dites !
M. le ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances. Le projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter ce soir, avec mes collègues du pôle social, ouvre des possibilités nouvelles, audacieuses et cohérentes, dans trois domaines indissociables.
Le premier est celui de l'accès à l'emploi. Le « contrat première embauche » répond à ce qui, pour les jeunes, est devenu une urgence absolue : rompre la spirale de la précarité et de l'échec. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. Augustin Bonrepaux. Vous l’aggravez au contraire !
M. Henri Emmanuelli. Vous ne cessez de les dépouiller de leurs droits !
M. le ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances. Il donnera leur plein effet aux autres dispositions, telles que les nouvelles zones franches urbaines, qui relanceront l’activité dans les quartiers paupérisés.
M. Henri Emmanuelli. Vous savez ce qu’ils en pensent, dans les banlieues ?
M. le ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances. Le deuxième domaine est celui du développement de la formation. Avec la découverte des métiers, ces jeunes trouveront un intérêt à apprendre. Avec l'apprentissage junior, ils verront s'ouvrir une voie nouvelle d'accomplissement et d’enrichissement. Avec le service civil volontaire, ils recevront une véritable formation civique et professionnelle.
Le troisième domaine est celui de la lutte contre les discriminations. Vous le savez, ce combat est le mien depuis trente ans.
M. Henri Emmanuelli. C’est une idée de gauche ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean Leonetti. C’est une action de droite !
M. le ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances. Il s’agit d’une lutte sans merci contre le poison des discriminations, ce venin infusé dans le corps social. Parce que ces discriminations ont la peau dure, nous devons nous doter de moyens énergiques pour les contrer plus rapidement, plus efficacement.
C’est pourquoi notre projet de loi accroît les capacités d'intervention de deux autorités administratives indépendantes : celles dont est dotée la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité, la HALDE, en matière de recours et de sanction de ces discriminations, plus précisément au sens du code pénal et du code du travail, en cohérence avec l'autorité judiciaire ; celles du Conseil supérieur de l'audiovisuel, le CSA, auquel les éditeurs des services de radio et de télévision devront indiquer leurs efforts en vue de mieux refléter la diversité de la société française, objectif rappelé fermement par le Président de la République. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
M. François Lamy. On est sauvé !
M. le ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances. Grâce à ces actions, la diversité sera le fruit naturel d'une dynamique qui, rompant avec les préjugés et les stéréotypes, conduira à valoriser les talents de tous milieux et de toutes origines.
M. Richard Cazenave. Ça nous changera du passé !
M. le ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances. Les compétences, toutes les compétences, rien que les compétences.
M. Yves Durand. Vous n’y croyez pas vous-même !
M. le ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances. L’esprit de cette loi pour l’égalité des chances, aura des effets vertueux sur le regard que porte notre société sur elle-même.
M. Henri Emmanuelli. Allons ! Vous n’y croyez pas !
M. le ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances. Oui, l’année 2006 sera utile pour tous les Français !
Alors, je vous le demande, mesdames et messieurs les députés : profitons de ce projet de loi pour envoyer un vrai message républicain à tous les oubliés de l’égalité des chances. Les attentes sont immenses. Il y a, dans notre pays, un ardent désir de retrouver enfin la confiance, sans laquelle il ne peut y avoir ni croissance économique ni croissance sociale. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire et sur divers bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
M. Laurent Hénart, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l’année 2005 a été douloureuse pour notre République.
M. François Hollande. Pour les ministres, surtout !
M. Laurent Hénart, rapporteur. Les quartiers des zones urbaines sensibles ont été marqués par des événements violents qui ont montré qu’ils constituaient un précipité des maux de notre société et que le décrochage y était réel et fort. Le chômage des jeunes y est endémique. Il atteint 22 % selon des chiffres qui ne sont pas contestés.
M. Henri Emmanuelli. Non : 23 % !
M. Laurent Hénart, rapporteur. Monsieur Emmanuelli, il atteignait 22 % en décembre 2005 !
M. Henri Emmanuelli. Ne trichez pas !
M. Laurent Hénart, rapporteur. Mais, dans ces quartiers, il dépasse 40 %.
La réussite aux diplômes de l’éducation nationale marque le pas, malgré l’effort pour aider les zones d’éducation prioritaires et celui des personnels de l’éducation nationale. Guérir les maux dont souffrent ces quartiers, c’est donc s’attaquer à des maux qui sapent l’ensemble de notre société.
Au-delà de cette urgence, il y a, dans ces quartiers, un décrochage économique, puisque l’habitat n’est pas maillé d’unités d’activité économique et sociale. En outre, dans ces quartiers aux constructions monolithiques, on constate un décrochage éducatif qu’il faut attaquer : on y a moins de chance qu’ailleurs d’obtenir des diplômes.
C’est l’objectif de ce projet de loi que de rétablir l’égalité des chances et d’accélérer toute une série de mesures déjà prises par le Gouvernement et votées par le Parlement au profit de ces quartiers.
Il emprunte deux voies.
La première vise à offrir plus de chances de réussite éducative et professionnelle à leurs habitants, notamment aux jeunes.
M. Henri Emmanuelli. C’est surréaliste !
M. Laurent Hénart, rapporteur. La seconde vise à expliquer que la réussite éducative n’est pas le seul fait de l’éducation nationale, mais de l’ensemble des acteurs de notre société, qu’il faut mobiliser.
M. Richard Cazenave. Très bien ! Pourquoi s’en priverait-on ?
M. Laurent Hénart, rapporteur. Pour augmenter les chances de réussite éducative et professionnelle, il faut commencer par faire un pari qui, en France, est audacieux : celui de l’alternance.
Notre système scolaire est en effet marqué par le choix de la voie académique et de la formation théorique, alors que le projet de loi propose plusieurs outils concrets pour développer l’alternance au profit des jeunes. Faut-il rappeler que, par l’apprentissage, on passe des examens et on obtient des diplômes avec le même taux de succès que dans la voie académique et dans l’éducation nationale ? Faut-il rappeler aussi que l’insertion professionnelle des jeunes après ces diplômes en alternance est plus forte ?
Avec ce projet de loi, messieurs les ministres, vous vous attaquez notamment à un mal particulier du système de formation en alternance français : la rupture des contrats d’apprentissage et des contrats d’alternance, puisque, contrairement à ce qui se passe en Allemagne, où seulement 7 à 8 % des contrats sont interrompus dans les premiers mois, tel est le cas, en France, de 20 à 25 % des contrats, ce qui représente un échec, non seulement pour le jeune qui fait le choix de l’alternance avec ses parents, mais aussi pour l’employeur qui l’accueille.
L’apprentissage junior a pour but de mettre en place, en amont de l’apprentissage, sous contrôle de l’éducation nationale et à partir de l’âge de quatorze ans,…
M. Henri Emmanuelli. Pourquoi pas dès la maternelle ?
M. Laurent Hénart, rapporteur. …un système de découverte des métiers afin que, avant de faire le choix de son orientation professionnelle, le jeune puisse concrètement découvrir plusieurs métiers chez des employeurs différents, en conservant le statut d’élève et en restant encadré par une équipe pédagogique qui répond en tout point aux impératifs de l’école de la République.
M. Richard Cazenave. Excellent !
M. Laurent Hénart, rapporteur. La commission vous proposera une série d’amendements, notamment pour développer le tutorat pendant ce parcours et veiller à ce que le schéma pédagogique proposé par l’équipe éducative soit respecté, notamment en vue d’un retour dans le système éducatif général.
Vous proposez aussi de favoriser l’apprentissage à la professionnalisation par une incitation aux grandes entreprises – défaillantes, dans notre pays, en ce qui concerne l’accueil d’apprentis – et par une majoration de la taxe d’apprentissage pour celles qui n’atteignent pas certains quotas. Vous proposez aussi de faciliter la conclusion de contrats de professionnalisation.
Enfin, le secteur de l’alternance est moralisé, avec, pour la première fois, un encadrement législatif des stages. Sur ce point aussi, la commission vous proposera un amendement de précision, afin qu’un minimum fixé par décret puisse être appliqué à tous les cas.
M. Christian Paul. Ce n’est pas un projet de loi ; c’est un conte de fées !
M. Laurent Hénart, rapporteur. Ce système de développement de l’alternance est, pour la première fois, je le rappelle, un système non d’exclusion, mais de proposition ; autant dire qu’il ouvre des chances supplémentaires.
À tout moment, le retour au système éducatif est possible.
M. Yves Durand. C’est totalement faux !
M. Richard Cazenave. Bien sûr que si ! Il n’y a que vous qui ne le comprenez pas !
M. Laurent Hénart, rapporteur. De nombreuses études disponibles, que nous avions déjà étudiées pour préparer le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale, montrent que l’on peut très bien commencer un CAP en alternance, puis reprendre la voie générale et s’y épanouir sûrement mieux qu’en ayant buté sur certains obstacles de la voie académique.
Votre volonté d’augmenter les chances d’insertion et de réussite s’applique aussi à l’entrée dans l’emploi. Pour cela, un amendement remarqué propose au Parlement d’étudier le contrat « première embauche ». À ce sujet, je rappellerai simplement quelques chiffres, en citant mes sources.
M. Christian Paul. On préférerait un peu moins de chiffres et un peu plus d’imagination !
M. Laurent Hénart, rapporteur. Dans les enquêtes que la commission a eu le loisir d’étudier, deux chiffres sont marquants.
Le premier concerne le taux de sortie des emplois. Aujourd’hui, selon une étude de la DARES, que, je n’en doute pas, vous parcourrez tous, mes chers collègues, 90 % des jeunes sortent de l’emploi au bout de six mois et la moitié d’entre eux au bout d’un mois.
M. Henri Emmanuelli. Croyez-vous que, grâce au CPE, ils vont y rester ?
M. Laurent Hénart, rapporteur. Cela confirme le second chiffre, que révèle une étude du CEREQ : aujourd’hui, une classe d’âge met dix ans pour parvenir à la même proportion de CDI que la norme adulte, qui est de 90 %.
M. Richard Cazenave. Eh oui ! C’est incroyable !
M. Henri Emmanuelli. Ces chiffres sont faux ! C’est une cible particulière qu’examine la DARES !
M. Laurent Hénart, rapporteur. Dix ans séparent donc l’âge moyen de sortie du système éducatif, c’est-à-dire vingt-trois ans, de celui auquel une classe d’âge se trouve à 90 % en CDI, c’est-à-dire trente-trois ans.
Pour favoriser l’accès à l’emploi, il faut donc faire en sorte que l’on ait plus de chances non seulement d’être embauché, mais aussi de rester dans l’emploi et de s’y maintenir.
M. Richard Cazenave. Très bien !
M. Henri Emmanuelli. Vous croyez que ce sera plus facile avec moins de garanties ?
M. Laurent Hénart, rapporteur. Statistiquement, la consolidation d’un emploi réclame aujourd’hui dix ans. Le contrat « première embauche » propose, lui, de la réduire à deux ans.
Vous faites, messieurs les ministres, un choix qui rompt avec les politiques passées en faveur de l’emploi des jeunes. Celles-ci recouraient aux stages, aux CDD, aux emplois à terme de courte durée ou subventionnés, alors que vous proposez de favoriser l’accès de tous les jeunes au contrat à durée indéterminée. En effet le contrat première embauche est un CDI. Il n’a pas de terme, mais il comprend une période d’essai. Il n’admet pas de licenciement sans préavis ni indemnité calculée à l’ancienneté.
M. Henri Emmanuelli. Mensonges !
M. Laurent Hénart, rapporteur. Simplement, le licenciement est légal pendant deux ans, ce qui signifie que l’ordre public social est respecté ; je tiens à le rappeler.
M. François Lamy. Encore heureux !
M. Henri Emmanuelli. Il ne s’agit pas de l’ordre public social, mais de votre ordre à vous !
M. Laurent Hénart, rapporteur. On ne peut pas licencier une femme parce qu’elle est enceinte, une personne parce qu’elle est handicapée ou de couleur. On ne peut pas non plus licencier un délégué syndical ou quelqu’un qui exerce des mandats sociaux.
Je rappelle que, pendant la période de consolidation, le contrat « première embauche » propose des sécurités individuelles à chaque jeune embauché. Il offre d’abord un droit à la formation actif dès le premier mois, tandis que celui des salariés de droit commun n’est mobilisable qu’au bout d’un an. Il propose en outre des supports, des soutiens concrets dans la vie quotidienne, notamment le système loca-pass, qui permet de garantir le loyer,…
M. Henri Emmanuelli. Il existait déjà !
M. Laurent Hénart, rapporteur. …ainsi que l’engagement en matière de crédit obtenu par le Gouvernement auprès des banques françaises.
L’assurance chômage des jeunes est renforcée par rapport au droit commun. Complète dès le quatrième mois, elle permet d’accéder à des formules dynamiques de formation professionnelle comme la convention de reclassement personnalisé. La commission vous présentera seulement une proposition tendant à ce que cette formule originale fasse l’objet de la même expérimentation et dans les mêmes termes que le contrat « nouvelles embauches ». Un sous-amendement en ce sens viendra compléter l’amendement gouvernemental.
En ce qui concerne la consolidation des emplois, j’insiste sur la réussite du contrat jeunes en entreprise.
M. Henri Emmanuelli. Nous n’avons pas eu d’évaluation à ce sujet !
M. Laurent Hénart, rapporteur. Celui-ci permet à l’employeur d’un jeune de seize à vingt-cinq ans de bénéficier pendant trois ans d’exonérations de charges supplémentaires par rapport au droit commun, instaurées par la loi Fillon.
La commission vous proposera de simplifier ce dispositif de manière à ce qu’il s’applique à tous les jeunes de seize à vingt-cinq ans et d’y intégrer l’engagement du Premier ministre de faire bénéficier de l’exonération complémentaire les jeunes au chômage depuis plus de six mois. Le contrat jeunes en entreprise, dont bénéficient déjà plus de 250 000 jeunes en contrat à durée indéterminée, est un complément utile au contrat « première embauche ».
M. Henri Emmanuelli. Le contrat jeune en entreprise n’a pas été un succès !
M. Laurent Hénart, rapporteur. Il représente une sorte de récompense à l’employeur vertueux qui joue le jeu de la consolidation du jeune dans son contrat à durée indéterminé. C’est la raison pour laquelle la commission vous proposera d’en étendre le champ.
Enfin, pour que l’activité économique et les emplois s’implantent dans les zones urbaines sensibles, le projet de loi propose d’ajouter quinze zones franches urbaines supplémentaires et d’augmenter les aides allouées à ces territoires. Une série d’amendements visent à simplifier leur régime pour que, dans toutes les zones franches urbaines, de quelque génération qu’elles soient, les droits sociaux et fiscaux des employeurs soient les mêmes et que l’employeur associatif bénéficie des mêmes droits que l’entreprise.
L’ensemble de ces mesures a donc pour but de favoriser l’accès des jeunes à la réussite éducative et professionnelle. Son point le plus novateur est de faire le lien entre la formation en alternance et la capacité à s’installer durablement dans l’emploi. C’est du moins cette voie que la commission a souhaité renforcer par ses amendements et ses sous-amendements.
Le deuxième champ emprunté par le projet de loi vise à rappeler que, dans ces quartiers, l’effort éducatif ne peut être le seul fait de l’école. Il doit être supporté par l’ensemble des acteurs. La loi de la République doit protéger ceux qui sont aujourd’hui victimes de discriminations.
Deux axes essentiels recouvrent les quatre autres titres du projet de loi : combattre les discriminations et soutenir les familles en difficulté.
La lutte contre les discriminations est le fil rouge de beaucoup de mesures.
La première est le service national civil qui, pour la première fois, met en place un système d’agrément unique, sous le contrôle de la nouvelle agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances que vous proposez de créer, et permet de développer le tutorat dans les associations qui accueillent les jeunes pour en faire des citoyens. Le CSA veillera à ce que la diversité de notre société soit affichée dans les programmes. À cet effet, la commission proposera un amendement visant à ce que le service public de l’audiovisuel et de la radiophonie soit soumis à la même obligation que les opérateurs privés.
Enfin, mesure plus novatrice, la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité disposera d’un pouvoir de sanction simple et réactif. Celui-ci lui permettra d’amplifier la répression des discriminations directes et des faits discriminatoires. Il permettra aussi à beaucoup de gens qui ne peuvent attendre la solution de la procédure pénale et la suspension des autres procédures qu’elle implique, notamment celles intentées aux prud’hommes et relatives aux droits sociaux, d’obtenir réparation quand ils font l’objet de discrimination. Une série d’amendements proposera de renforcer les droits et libertés au cours de cette procédure et d’y intégrer les principes généraux du droit, notamment en matière de prescription et de respect de la sphère pénale.
Le deuxième champ de la mobilisation éducative de notre société au profit des jeunes des quartiers en difficulté concerne le contrat de responsabilité parentale. Ainsi que cela a déjà été souligné, trop souvent, la politique offerte aujourd’hui en matière de soutien aux familles n’offre qu’une alternative. Soit elles sont orientées vers des réseaux d’écoute et d’appui, qu’elles doivent solliciter d’elles-mêmes, car il faut accepter ses difficultés et vouloir être aidé pour bénéficier de leur soutien ; soit on leur applique des sanctions : injonction du juge plaçant les prestations sous tutelle ou prononcé de sanction pénales qui les font souvent plonger encore davantage, alors qu’elles auraient besoin d’être accompagnées dans leurs difficultés.
Le contrat de responsabilité parentale proposé par le projet de loi permet au président du conseil général de construire dans la durée un parcours éducatif à l’appui des familles. La commission vous proposera simplement d’encadrer la procédure de suspension. Pour qu’elle soit conforme à son esprit, la loi devra en limiter la durée et préciser l’autorité qui la déclenchera. Nous préférons que ce soit l’État plutôt que le président du conseil général, afin de respecter la prérogative de légalité des prestations sociales établies depuis 1946.
M. Henri Emmanuelli. Le seul problème est que les présidents de conseil général ne sont pas d’accord !
M. Manuel Valls. Envoyez le shérif !
M. Laurent Hénart, rapporteur. En conclusion, mes chers collègues, ce projet de loi propose d’accélérer la mise en œuvre du plan de cohésion sociale…
M. Alain Néri. Il propose surtout d’accélérer la précarité !
M. Laurent Hénart, rapporteur. …et des mesures de réussite éducative dont notre pays a évidemment besoin. Il propose surtout, en ciblant l’effort sur les quartiers en difficulté et leurs habitants, de faire en sorte que tout le travail entrepris sur l’urbain par le biais de la rénovation soit accompagné d’un travail sur l’humain. Enfin, il rappelle que la responsabilité éducative est une responsabilité collective de tous les acteurs et que la réussite de cette responsabilité et sa concrétisation sont les conditions de la solidité du socle républicain. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
(M. Maurice Leroy remplace M. Jean-Louis Debré au fauteuil de la présidence.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis novembre dernier, la question de l’égalité des chances se pose avec une urgence et une acuité nouvelles, nous en convenons tous.
M. Patrick Roy. La majorité l’a découverte il y a deux mois !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Ce projet de loi a été présenté en conseil des ministres deux mois après les émeutes dans les quartiers. Il aborde des thèmes divers qui ont été détaillés par notre rapporteur. Celui-ci a précisé que notre commission a adopté plusieurs amendements dont trois, très importants, émanent du Gouvernement. L’un d’eux introduit dans ce texte le CPE, le contrat « première embauche ».
M. Patrick Roy. Le contrat première exclusion !
M. Pierre Cardo. L’exclusion commence bien avant !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Le mérite du CPE, comme de la plupart des mesures proposées dans ce texte, c’est son pragmatisme, son réalisme. Il s’inspire d’ailleurs de principes qui ont fait leurs preuves chez nos voisins.
M. Henri Emmanuelli. N’importe quoi ! Quels voisins ?
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. En commission, le CPE a donné lieu à une passe d’armes entre opposition et majorité, une de ces guerres inutiles dont notre maison a le secret. Certains l’accusaient « d’aggraver la précarité des jeunes ». (« Oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Mais, pour eux, le problème est moins de savoir ce qui est vrai que ce qui est bon à dire ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
Le terrain est propice à toutes les démagogies face à une jeunesse ballottée entre la crise de l'école et celle du marché du travail. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Alain Néri. En la matière, vous en connaissez un rayon !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Pourtant, les jeunes ne s'y trompent pas puisque, selon un sondage commandé par L’Humanité, ils plébiscitent cette formule. Et on les comprend, car le taux d’emploi en CDD comme le délai qui précède leur entrée définitive sur le marché du travail sont inacceptables. Le but du CPE est d'essayer de les sortir de cette ornière. Ils l'ont bien compris et ils jugent ce dispositif à l’aune de la réalité et non de l'idéologie.
La France fait un sort des plus inéquitables à ces jeunes.
M. Bernard Roman. C’est vrai : depuis quatre ans !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. On ne peut accuser la seule mondialisation. Les raisons sont multiples, mais j'en vois une en particulier.
M. Alain Néri. Le Gouvernement !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Lorsque la génération globalement la plus protégée peut imposer à la plus productive sa volonté de travailler moins en gagnant davantage tout en vivant plus longtemps, c'est la partie la plus faible, la plus jeune, qui se trouve soit exploitée, soit rejetée sur les côtés, vers le bas, soit exclue de tout travail normal.
M. Henri Emmanuelli. Vous avez un sacré culot !
M. Alain Néri. Il ne fallait pas voter le bouclier fiscal, monsieur Dubernard !
M. le président. Du calme !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. S’agissant des nouveaux pouvoirs de la HALDE, nous devons, là encore, faire preuve de pragmatisme. En théorie, les enfants des immigrés font partie intégrante du peuple français et ils ont une légitimité égale à celle des autres Français à trouver un travail ou un logement. En pratique, force est de constater qu'une partie de la société française bute encore sur cette réalité.
M. Jean-Marie Le Guen. Rappelez-le à votre majorité !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Comment en sommes-nous arrivés là ? Qui est responsable ? (« Vous ! » sur les bancs du groupe socialiste – « Les socialistes ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) A l'ensemble des Français ? Aux racistes ? A la classe publique, à laquelle nous appartenons ?
M. Jean-Marie Le Guen. A l’UMP : l’Union pour une minorité de privilégiés !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. La classe publique porte à l'évidence une lourde responsabilité, et nous avons eu l'occasion d'en discuter, ici même, le 10 février 2004, lors d’un débat qui avait une autre envergure que celui d’aujourd’hui.
M. François Brottes. Pour l’instant, c’est vous que nous écoutons !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Immigration, intégration, ces sujets sont depuis trop longtemps un enjeu de pouvoir. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.) L'exploitation politique, depuis vingt ans, du racisme et de l'antiracisme a conduit chacun à mobiliser ses troupes, les uns brandissant des programmes anti-étrangers, les autres flagornant ce que l'on appelait alors la « deuxième génération ».
M. Henri Emmanuelli. Qui a parlé de « Kärcher » et de « racaille » ?
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. L'abandon de notre modèle d'intégration, fondé sur le pari d'un effacement progressif des spécificités ethniques, notre désamour de nous-mêmes,…
M. Christian Paul. C’est d’un haut niveau !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. …ainsi que notre engouement pour la promotion à tout va des particularismes ont abîmé la machine qui, selon l'expression de Bruno Étienne, avait fait de la France – pour le pire, mais aussi pour le meilleur – une formidable « mangeuse de minorités ».
À cet égard, je souhaite insister sur le maintien, contre vents et marées, de l'interdit statistique sur la question des origines ethniques. Alors que ce sujet est déclaré prioritaire, les pouvoirs publics ne disposent d'aucune information sur les immigrés et leurs familles, pas davantage sur leur degré d'intégration. (« Et la DARES ? » sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Christian Paul. Il vous reste dix-huit mois pour comprendre !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Notre pays est rétif à l’élaboration de données statistiques sur les origines : cela ne se fait pas ! Dans la douce France, étudier les origines, citer des chiffres, ce serait donner du grain à moudre aux racistes, la bête au ventre toujours fécond.
Pourtant ce tabou s'est retourné contre ceux-là mêmes qu'il entendait protéger.
M. Henri Emmanuelli. C’est ça, fichez-les !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Faute de chiffres, la question des jeunes Français issus de l'immigration a été abandonnée aux démagogues et aux médias, sans aucun cadrage.
M. Bernard Roman. Faites venir Sarkozy !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Hier, on ne parlait à leur propos que de la drogue et de la délinquance. Puis l'air du temps a voulu que l’on regarde ces jeunes Français à travers le prisme de la religion, quand ce n'est pas celui de l'intégrisme. Et les voilà de nouveau associés à la délinquance et aux quartiers qui flambent. C'est peu de dire que nous ne les avons pas aidés à se faire une place dans la société française.
J’en viens à la HALDE et à la lutte pour la diversité.
La lutte contre les discriminations, inscrite dans la loi française sous l'impulsion de l'Europe, restera très en retrait par rapport à celle menée chez nos voisins de l'Union européenne tant que nous refuserons tout monitoring statistique.
M. Henri Emmanuelli. Nous nous opposerons à tout fichage des jeunes ! Nous ne vous laisserons pas ficher les jeunes !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Calmez-vous, monsieur Emmanuelli. L’enquête de 1992 intitulée Mobilité géographique et insertion sociale a valu beaucoup d'ennuis à son auteur, qui avait osé s'intéresser à l’origine des jeunes Français âgés de vingt à vingt-neuf ans pour évaluer leur taux de chômage. On sait pourtant que c'est grâce à cette étude statistique que nos yeux se sont dessillés sur l'ampleur des obstacles rencontrés par certains de nos concitoyens. Si l’on fait encore souvent référence à ces chiffres, qui ont presque quatorze ans, c'est parce que nous n'en avons pas eu beaucoup d'autres.
Sur tous les bancs, nous connaissons mal la complexité des phénomènes de discrimination. Nous disposons de taux de chômage pour les nationaux et les non nationaux, de taux de chômage en fonction des zones géographiques, mais nous n’avons rien sur les Français susceptibles d'être discriminés à raison de leur origine.
La compassion et le lyrisme de nos discours…
M. Henri Emmanuelli. Vous ne connaissez pas la compassion !
M. Alain Néri. Le discours, c’est vous !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. …ne peuvent masquer le fait que nous ne savons pas vraiment de quoi nous parlons. Il faut bien connaître la réalité pour la transformer.
M. Bernard Accoyer. Très bien !
M. Henri Emmanuelli. Il est dangereux !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Il faut établir un constat, définir des objectifs et mettre en œuvre une politique pour les atteindre et les évaluer. La prévention à froid, la pédagogie et une concertation éclairée sont indispensables dans le domaine de l'emploi et, pour ce faire, nous avons besoin d'analyses fines de la situation.
Par ailleurs, il faut donner des pouvoirs de sanction à la HALDE…
M. Henri Emmanuelli. Ah, voilà le bâton, l’outil préféré de la droite !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. …et se doter d’outils statistiques pour la prévention, faute de quoi nous renouerons avec des péchés mignons bien français – dont se rend coupable une partie de cet hémicycle –, ceux que Pierre-André Taguieff qualifie de « diffamation vertueuse et de délation bien-pensante ». Celles-ci ont-elles été du moindre secours pour les enfants de l’immigration au cours de ces vingt dernières années ?
M. Alain Néri. Vous êtes au pouvoir depuis quatre ans, monsieur Dubernard !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Nous aurions beaucoup à apprendre de la longue expérience des États-Unis en matière d’usage pragmatique des statistiques. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Henri Emmanuelli. Voilà le modèle !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Connaissez-vous l’Equal employment opportunity commission, la commission pour l'égalité des chances dans l'emploi, créée il y a quarante ans ? Commencez par vous y intéresser et vous verrez quels sont ses résultats !
M. Henri Emmanuelli. On voit comment elle fonctionne à Atlanta !
M. André Gerin. Et à La Nouvelle-Orléans !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Les Anglais ont également des années d'avance sur nous dans ce domaine.
Sachons nous inspirer de ce qui se fait ailleurs en tenant compte de notre spécificité nationale et adaptons les mesures qui méritent de l’être. Une fois encore, sous l'impulsion de l'Europe – cela mérite d’être souligné –, la loi Informatique et libertés a été modifiée par la loi du 6 août 2004 pour être mise en conformité avec la directive 46/1995. Bien des obstacles aux recueils des données sur les origines viennent ainsi d'être levés. C'est désormais affaire de volonté politique.
M. Bernard Accoyer. Très bien !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Si nous maintenons nos tabous, la HALDE aura la tâche très difficile. Si nous faisons preuve de volontarisme, elle deviendra, comme toutes les instances de lutte pour la diversité, un élément essentiel d'apaisement et de cohésion nationale.
Pour finir (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe socialiste)…
M. Yves Durand. Encore !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. …j’évoquerai le contrat de responsabilité parentale.
M. Jean-Marc Ayrault. Continuez, monsieur Dubernard, c’est très intéressant !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Je suis heureux que le président du groupe socialiste salue mon intervention, au milieu des quolibets de ses collègues. Il est tout de même malheureux qu’un débat d’une telle importance se déroule dans une ambiance digne, comme le disait une députée tout à l’heure, d’une mascarade.
À l'origine du contrat de responsabilité parentale, il y a la volonté de mettre l’accent sur la prévention dès le plus jeune âge. Les déstructurations familiales atteignent tous les milieux, mais elles affectent beaucoup plus gravement les familles d’origine immigrée,…
M. Jean-Marc Ayrault. Vous n’allez tout de même pas les stigmatiser sans cesse !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. …dans la mesure où elles entraînent très souvent la perte du père. Elles ont des effets d'autant plus dramatiques qu'elles touchent des populations souvent habituées, avec le primat masculin, au contrôle familial et social.
La question des relations entre générations est devenue un trou noir dans nos sociétés. Nous ne savons plus comment la transmission des valeurs s'opère.
M. Bernard Accoyer. Très juste !
M. Alain Néri. Le problème est socio-économique !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Toutes les passerelles doivent être réinventées pour reprendre le dialogue avec les jeunes : inventer l'adulte là où il n'existe plus,…
M. Alain Néri. L’amour !
M. Henri Emmanuelli. Le respect !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. …réinventer la famille, retrouver les rites d'insertion dans le désert de nos villes et de nos banlieues. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Alain Néri. Vous êtes-vous interrogé sur les causes ?
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Monsieur le président, ce n’est plus possible de continuer ainsi.
M. Jean-Marie Le Guen. Qu’est-ce que cela signifie ? Pourquoi vous adressez-vous au président ?
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. L'idée directrice du titre III du projet de loi est d'associer et de responsabiliser les parents, d’abord par la recherche d'un contact et d'un dialogue approfondis, voire d'un suivi adapté aux difficultés spécifiques de chaque famille. L'idée est également de ne retenir la sanction que comme ultime recours.
Beaucoup d'élus de terrain se sont fait depuis longtemps une religion sur ces questions. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Ils ne partagent pas forcément cette opinion, mais ils ont la même volonté d'aider les jeunes à s'en sortir. J'espère que nous saurons avoir, sur ce sujet, des échanges constructifs qui sortent des affrontements politiciens ; mais j’en doute quelque peu.
Quelle que soit l'issue de nos débats, je sais que le Gouvernement partagera notre avis, selon lequel les règles de droit comme les pratiques se devront d'être rigoureusement évaluées. Dans ce domaine, personne ne prétend détenir la solution miracle, sauf vous peut-être. Notre société est confrontée à un gigantesque problème d'absence de père. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Il faut bien reconnaître qu'aucune prothèse administrative ou associative ne pourra le remplacer.
Je vous remercie pour vos quolibets ridicules et interruptions multiples. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Monsieur le président, je souhaiterais que vous fassiez en sorte que les députés puissent s’exprimer normalement.
M. Jean-Marie Le Guen. Il appelle le père !
M. Gilbert Le Bris. Nous ne sommes pas des étudiants !
M. Manuel Valls. Il va nous bâillonner !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Calmez-vous ! Si vous voulez des médicaments, vous pouvez aller à l’infirmerie. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Alain Bocquet. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Alain Bocquet, pour un rappel au règlement.
M. Alain Bocquet. J’ai exprimé tout à l’heure notre profond mécontentement face aux conditions dans lesquelles se déroulent le débat et les travaux parlementaires sur un sujet aussi important. Compte tenu de la gravité des événements qui ont guidé le dépôt de ce texte, on ne peut pas admettre le mépris avec lequel le Gouvernement traite la représentation nationale et les partenaires sociaux puisque, comme je l’ai déjà souligné, la concertation n’a pas eu lieu.
Par ailleurs, le texte est partiel, car substantiellement modifié par les amendements du Gouvernement, notamment celui relatif au CPE, qui compte cinq pages et qui est un véritable projet de loi en soi.
J’ajoute que le projet de loi aurait dû faire l’objet d’une saisine de la commission des lois, car plusieurs de ses dispositions, notamment en matière de police, relèvent de ses compétences. Mais, là encore, votre coup d’accélérateur empêche toute initiative de ce type. Pourtant, il aurait été intéressant que la commission des lois éclaire la représentation nationale sur les mesures élargissant les pouvoirs de la haute autorité de lutte contre les discriminations puisque, je le rappelle, le projet de loi relatif à sa création a été examiné par cette même commission le 22 septembre et le 5 octobre 2004.
Il y a là un grave dysfonctionnement, pour ne pas dire plus, de la procédure législative. On ne voit pas en quoi la commission des lois ne serait pas non plus concernée par les modifications apportées aujourd’hui et que M. Hénart a évoquées dans sa présentation. Je pense notamment à l’élargissement des prérogatives des polices municipales ou à l’implication des élus locaux dans le cadre des sanctions contre les incivilités.
Cette attitude n’est pas acceptable. Encore une fois, les droits du Parlement sont bafoués.
M. Jean Leonetti. Pas du tout !
M. Alain Bocquet. Je souhaite donc que, après le président de la commission des affaires sociales et le rapporteur, le président de la commission des lois vienne s’exprimer à son tour sur les titres II et III du projet de loi.
M. Bernard Accoyer. Vous savez parfaitement qu’il préside en ce moment même une séance d’auditions de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau !
M. Alain Bocquet. Pour lui permettre de nous rejoindre, je demande une suspension de séance. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur le président, je m’associe à la demande de suspension de séance que vient de formuler Alain Bocquet, car nous attendons toujours les études de l’OCDE et de la DARES qui nous ont été promises tout à l’heure par Jean-Louis Debré et sans lesquelles notre débat ne saurait progresser : en l’état actuel, il existe en effet des contradictions dans les explications des différents ministres.
Par ailleurs, je veux bien admettre, monsieur Dubernard, que vous ayez été gêné par quelques interruptions…
M. Jean Leonetti. Intempestives et ridicules !
M. Bernard Accoyer. Tout à fait !
M. Jean-Marc Ayrault. …mais force est de constater que, nonobstant votre qualité de président de la commission saisie au fond, vous nous avez gratifiés d’un exercice de nature philosophique…
M. Christian Blanc. Psychanalytique !
M. Jean-Marc Ayrault. …ou philosophico-politique, comme on voudra, qui n’avait pas grand-chose à voir avec le texte. L’état de votre réflexion personnelle avait parfois de quoi nous choquer, même si, venant de vous, il faut s’attendre à tout.
Néanmoins le plus surprenant est que vous n’appliquiez pas vous-même ce que vous prônez. À vous entendre, il convient de procéder systématiquement à l’évaluation des décisions prises. Or chacun sait que le Parlement a été totalement dessaisi de ses pouvoirs par le Gouvernement qui a décidé de légiférer par voie d’ordonnances au sujet du contrat « nouvelles embauches ».
Le Premier ministre, à la tribune de notre assemblée, avait affirmé qu’il n’y aurait pas d’extension du CNE sans évaluation, ni sans négociation avec les partenaires sociaux, évidemment. J’imagine que lorsqu’il va s’exprimer ce soir sur l’une des chaînes de télévision du service public, on ne manquera pas de lui demander pourquoi il ne tient pas ses engagements.
Mme Martine David. Il en faut plus que cela pour gêner M. Dubernard !
M. Jean-Marc Ayrault. Quant à vous, monsieur Dubernard, au lieu de jouer votre rôle de président de la commission, vous vous contentez de nous donner une leçon de morale. Comment, dans ces conditions, pourrions-nous vous faire confiance ? Il ne faut pas vous étonner d’être interrompu, quand vous vous livrez à une telle mascarade ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur de nombreux bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Je veux simplement rappeler à M. Ayrault que, fin décembre, le contrat « nouvelles embauches » avait permis d’engager 285 000 personnes. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. – Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Henri Emmanuelli. C’est faux !
M. Patrick Roy. Provocation !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Les chiffres sont là, et que vous soyez choqués ou vexés n’a aucune importance ! Tout ce qui compte, c’est que les 280 000 personnes concernées aient connu une amélioration de leur sort. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
En ce qui concerne les jeunes, j’estime qu’ils se trouvent dans une situation inacceptable depuis plus de vingt ans, et je vais vous en donner la raison en vous citant une phrase dont je suis très fier. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Mme Martine David. Le problème, c’est que nous ne sommes pas fiers des mêmes choses !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. « Lorsque la génération globalement la plus protégée peut imposer à la partie la plus productive sa volonté de travailler moins en gagnant davantage tout en vivant plus longtemps, c’est obligatoirement la partie la plus faible, la plus jeune, qui se trouve soit exploitée, soit rejetée sur les côtés ou vers le bas, soit encore exclue de tout travail normal ».
Méditez bien cette phrase, vous pourriez y trouver l’explication de la situation que nous connaissons depuis vingt-cinq ans. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Patrick Roy. Provocation !
M. Yves Durand. Cela n’a rien à voir avec le débat !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault.
M. Jean-Marc Ayrault. Pour éclairer l’Assemblée nationale, j’aimerais que M. Dubernard nous révèle ses sources. Qui est donc l’auteur de cette extraordinaire citation ?
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Moi-même ! (Rires et exclamations.)
M. Jean-Marc Ayrault. Monsieur Dubernard, vous venez de nous indiquer quelle est, en tant que président de la commission, votre conception de l’évaluation : pour vous, l’évaluation consiste simplement à ce que le Gouvernement donne ses chiffres. Il est toutefois possible d’en tirer quelque enseignement. Ainsi, lorsque M. Borloo dit que, sans le CNE, un tiers des embauches n’aurait pas eu lieu, j’entends un aveu : celui que les deux autres tiers – au moins, car rien n’est prouvé pour le premier tiers – auraient pu avoir lieu en tout état de cause, non pas dans le cadre d’un CNE, mais d’un CDI.
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Non, ce n’est pas ça !
M. Jean-Marc Ayrault. On en revient au débat de fond, auquel vous ne pourrez échapper. Vous voulez imposer la précarité, c’est-à-dire la possibilité pour les employeurs de licencier quand ils veulent, ce que nous ne pouvons accepter. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
La parole est à M. Alain Bocquet.
M. Alain Bocquet. Monsieur le président, j’avais demandé une suspension de séance pour permettre au président de la commission des lois de venir exposer son point de vue sur les titres II et III du texte. Quelle suite a-t-on donnée à cette demande pressante ?
M. le président. J’en ai pris acte, monsieur le président Bocquet.
M. Alain Néri. Cela ne suffit pas !
M. le président. Comme vous le savez, les commissions ont la faculté – et non l’obligation – de s’autosaisir d’un texte. En l’occurrence, le président de la commission des lois participe actuellement aux travaux de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau. Nous ne pouvons donc que poursuivre le cours normal de notre débat. (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une exception d’irrecevabilité déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.
La parole est à M. Gaëtan Gorce.
M. Gaëtan Gorce. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, il est bien des manières de gouverner. On peut choisir l’arrogance, l’affirmation hautaine de ses prétentions, le dédain pour ceux qui auraient le front de s’opposer.
M. Jean Leonetti. Fabius ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Gaëtan Gorce. Nul doute que cette voie puisse vous tenter.
M. Jean Leonetti. Cela nous rappelle quelque chose !
M. Gaëtan Gorce. Comment juger autrement votre attitude à l’égard des partenaires sociaux comme du Parlement ? Comment juger autrement l’attitude d’un Premier ministre qui nous convie tout à l’heure, dans cet hémicycle, à ce débat et qui, au moment où l’explication s’engage, le déserte pour préférer s’expliquer à la télévision au lieu de rester avec la représentation nationale ? (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Descamps. Quelle arrogance !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Ne lui reprochez pas d’aller expliquer sa politique aux Français !
M. le président. Mes chers collègues, laissez parler l’orateur !
M. Jean-Jacques Descamps. M. Gorce nous provoque, monsieur le président !
M. le président. En tout état de cause, monsieur Descamps, si vous tombez à pieds joints dans chaque provocation, l’intervention de M. Gorce durera plus d’une heure et demie.
Il a seul la parole.
M. Gaëtan Gorce. Mes chers collègues, si vous considérez comme une provocation ce qui n’est qu’un constat, à savoir l’absence du Premier ministre dans cet hémicycle, alors la provocation risque de durer. Mais elle sera le fait du chef du Gouvernement.
On peut aussi choisir l’humilité feinte, la fausse modestie, qui n’a pour but que de se dédouaner de ses fautes, d’échapper au bilan de ses propres actions, de se présenter sous un jour nouveau pour conduire la même politique.
M. Patrick Roy. Quatre ans de pouvoir !
M. Jean-Jacques Descamps et M. Éric Raoult. Et vous, vingt ans !
M. Arnaud Montebourg. Vous avez dormi pendant quatre ans et voilà que vous déclarez l’urgence !
M. Gaëtan Gorce. En effet, quatre ans ne se sont-ils pas écoulés depuis votre accession aux responsabilités ? Nul doute que vous ne vous laissiez parfois aller à cette tendance, vous prévalant aujourd’hui, comme l’a rappelé Henri Emmanuelli, de vos propres turpitudes – la montée du chômage et les inégalités –, pour mieux faire accepter ce qui ne saurait l’être.
Toutefois la pire des manières de gouverner, la pire de toutes, c’est celle qui cherche à tromper l’opinion sur la nature de la politique que l’on conduit pour l’entraîner sur de fausses pistes, chercher à l’égarer sur ses intentions, à la leurrer sur ses objectifs véritables. Il s’agit non pas de changer la donne, comme l’a prétendu le Premier ministre, évoquant le CPE, mais au contraire de brouiller les cartes, de présenter des reculs comme des avancées, de faire passer des régressions pour des progrès, préparant ainsi de douloureux réveils pour le trompeur, sans doute, et ce sera justice, dès l’an prochain – nous y travaillons –, mais aussi pour le trompé, découvrant trop tard qu’on l’a dupé par des solutions erronées et que le problème qu’il redoutait reste entier, aggravé même par le prétendu remède.
Il y aurait pourtant du panache à relever le défi et à assumer vos choix, mais vous préférez avancer masqués, faisant d’une sorte d’humanisme social un paravent, une protection, en contradiction évidente avec vos intentions et vos actes. Vous portez un masque social, comme d’autres portent un masque vénitien.
M. Christian Paul. Eh oui, c’est le carnaval !
M. Gaëtan Gorce. Lors d’un précédent débat, j’avais comparé votre bilan au portrait de Dorian Gray, si engageant au premier coup d’œil mais faisant apparaître à l’examen la somme des turpitudes, des injustices et des iniquités commises. Nul doute que vous n’en écriviez aujourd’hui un nouveau chapitre.
Dans la grande bataille qui est au cœur de la mondialisation, entre ceux qui veulent réduire les protections des salariés et ceux qui veulent les ajuster et les renforcer, vous avez choisi votre camp. Vous avez choisi de vous en prendre au travail : au coût du travail, à la durée du travail, à la protection du travail, à la représentation du travail, notamment celle des salariés de moins de vingt-six ans qui ne comptent plus dans le calcul des seuils déterminant la représentation du personnel. C’est là que se situe la ligne de clivage qui nous sépare intrinsèquement et justifie l’opposition de fond qui nous mobilise aujourd’hui.
Vous prétendez que la gauche cherche à tromper l’opinion…
M. Francis Delattre. Comme d’habitude !
M. Gaëtan Gorce.… et veut faire prendre, en ce qui concerne le CPE, les vessies pour des lanternes. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Mais c’est votre gouvernement qui est rompu à cet exercice ! Et c’est vous, avec ce projet de loi, qui cherchez au contraire à tromper les Français. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
D’abord en nous présentant dans l’urgence un projet de loi censé favoriser l’égalité des chances, comme si quelques articles épars pouvaient y suffire. Comment pouvez-vous faire croire – et croire vous-mêmes – que la réponse à la crise des banlieues, qui a révélé un malaise si profond, se trouverait dans le texte que vous nous présentez ? Qu’au mal qui ronge notre société – le chômage – qui éprouve sa confiance en l’avenir – le chômage des jeunes – qui mine son identité – la montée des discriminations – vous voulez nous faire croire que la réponse se trouverait dans ces quelques pauvres articles ajoutés dans l’urgence et préconisant l’apprentissage à quatorze ans et le licenciement à cinq euros, c’est-à-dire le coût de la lettre recommandée qu’il suffira à l’employeur d’adresser au jeune ou au salarié pour le renvoyer sans condition ?
M. Patrick Roy. C’est scandaleux !
M. Francis Delattre. Incroyable ! Il n’a jamais « bossé » !
M. Jean-Jacques Descamps. C’est un apparatchik de la politique !
M. Gaëtan Gorce. Pensez-vous que c’est de cette manière que vous ferez reculer la précarité et que vous renforcerez la cohésion sociale de ce pays ? Vous auriez trouvé là, contre les partenaires sociaux, la pierre philosophale ! Vous auriez eu, après quatre ans d’absence et six mois d’hésitation, une sorte de révélation, fondée sur le rappel de vos fautes : l’abandon de la politique de la ville, la réduction des crédits d’insertion. Faut-il vous rappeler l’asphyxie budgétaire des médiateurs et des associations ?
M. Christian Paul. C’est vrai !
M. Patrick Roy. Le ministre le nie, mais c’est vrai !
M. Gaëtan Gorce. Le reproche le plus grave – malheureusement, il y en aura d’autres – que l’on puisse vous adresser, c’est que vous preniez un prétexte aussi grave – la crise des banlieues et le chômage des jeunes – pour tenter de justifier une opération aussi discutable, aussi contestable et, par certains côtés, aussi condamnable. Jean-Jacques Rousseau disait qu’il valait mieux être homme à paradoxe qu’à préjugé. Or vous cumulez l’un et l’autre !
Si nous devions vous suivre, la réponse – paradoxale – qu’il serait juste d’apporter à la précarisation des conditions de vie serait une précarisation accentuée des conditions de travail et la meilleure façon – paradoxale – de favoriser l’entrée des jeunes les plus fragiles dans l’entreprise serait justement d’en faciliter l’exclusion.
Tout votre raisonnement repose sur le préjugé que c’est la législation du travail qui fait obstacle à l’embauche, épousant ainsi la cause de l’aile la plus libérale de votre majorité.
M. Gilbert Le Bris. Quel aveu !
M. Arnaud Montebourg. La plus dogmatique !
M. Gaëtan Gorce. On comprend mieux que certains aient hésité à vous suivre.
M. Jean-Pierre Blazy. On a vu les résultats !
M. Arnaud Montebourg. Ce sont des idéologues aveugles !
M. Gaëtan Gorce. Je vous le dis, messieurs les ministres, comme je le ressens : il est indigne de prendre l’argument de la crise des banlieues pour esquiver le débat qu’attendent les Français et qu’exige légitimement le Parlement. Il est indigne de se réfugier derrière l’inquiétude des jeunes et de leurs familles pour tenter de faire passer en force une réforme menaçante pour les salariés et pour notre code du travail. Il est indigne de prendre le prétexte de l’égalité des chances pour justifier l’une des plus graves discriminations à l’embauche que la jeunesse n’eût jamais à redouter : le contrat « première embauche ».
M. Jean Leonetti. Il n’y croit même pas lui-même !
M. Francis Delattre. Le code du travail est un ovni pour vous !
M. Gaëtan Gorce. Comment d’ailleurs ne pas mesurer le peu de cas que vous faites de l’égalité des chances au risque que vous lui faites prendre en y mêlant sans ménagement et sans préparation pour quiconque le contrat « première embauche » ?
Vous trompez aussi les Français en contournant les syndicats et en précipitant le débat parlementaire. Il faut que vous soyez bien peu sûrs de vous pour avoir pris ainsi la responsabilité d’ignorer les partenaires sociaux, au mépris de vos propres engagements. Ce n’est pas la première fois, ce ne sera sans doute pas la dernière. Dois-je rappeler l’exposé des motifs de la loi Fillon dont vous n’avez fait qu’un chiffon de papier ?
Il faut que vous soyez bien peu sûrs de vous pour avoir pris le risque d’enjamber le Conseil d’État, comme la Constitution aurait pu vous y inviter si vous aviez déposé normalement un projet de loi, et pour avoir choisi de bousculer à ce point le calendrier parlementaire. Dois-je rappeler devant cette assemblée les conditions dans lesquelles ce texte a été déposé puis discuté ?
Dois-je rappeler que la commission des affaires sociales a appris au petit matin qu’elle aurait à débattre dans l’après-midi d’un texte qui ne lui avait pas encore été transmis, puisque les amendements ne nous ont été communiqués que le lendemain ? Nous étions censés, le mardi après-midi, déposer des amendements sur un texte qui n’était pas encore à notre disposition !
M. René Couanau. À l’heure du laitier !
M. Gaëtan Gorce. Presque à l’heure du laitier, vous avez raison de le relever, monsieur Couanau !
M. Jean-Pierre Blazy. Quel mépris pour le Parlement !
M. Francis Delattre. Il faut savoir être un peu réactif !
M. Gaëtan Gorce. L’effet de surprise fut si complet que le président de la commission des affaires sociales, comme le rapporteur, ignorait tout de ce changement quelques heures avant qu’il ne se produise.
M. Arnaud Montebourg. C’est incroyable !
M. Gaëtan Gorce. Dois-je rappeler que cette commission s’est réunie pour discuter d’un projet de loi sans en connaître la teneur. Avouez que le procédé n’est pas seulement cavalier, mais qu’il traduit à l’égard de notre assemblée ce que, par courtoisie, je me contenterai d’appeler une forme de désinvolture, laquelle est d’ailleurs devenue ces dernières années la règle.
Je n’aurai pas la perfidie de comparer ces pratiques à celles que le président de notre assemblée condamnait dans ses vœux, dont le comportement du Gouvernement a fait des vœux pieux en moins de temps qu’il ne fallut au président pour les prononcer. Lui-même avait en effet condamné cette façon de contourner l’Assemblée, d’ignorer la commission, de procéder par amendements. À peine l’aviez-vous entendu que vous le contredisiez en agissant exactement de la manière contraire à celle qu’il souhaitait.
Si j’ajoute que ce texte, examiné dans la précipitation, a fait l’objet d’une déclaration d’urgence, je finis de dresser un décor où le cynisme le dispute parfois à l’amateurisme à l’égard de la représentation nationale. À moins qu’une grande peur ne vous ait saisis et que vous ayez voulu, par ces procédures expéditives, devancer la mobilisation des syndicats, privant par le vote du Parlement leur courroux de son objet.
La démocratie, monsieur le ministre, n’a rien à gagner à de telles parodies. Et qu’il puisse se trouver des responsables de notre institution pour s’y prêter est consternant.
Cependant si votre attitude à l’égard du Parlement est contestable – disons qu’elle relève désormais d’une sorte d’habitude, d’un tic gouvernemental mal maîtrisé – que penser de votre conduite à l’égard des syndicats ?
M. Gilbert Le Bris. C’est une attitude primaire !
M. Gaëtan Gorce. Quelle conception vous faites-vous de la concertation sociale pour choisir délibérément d’écarter les syndicats sur un sujet aussi grave que celui de l’emploi et du contrat de travail ? Avez-vous fait vôtre, en la paraphrasant, la maxime de Clemenceau : « Le social serait-il une chose trop sérieuse pour être laissée aux partenaires sociaux » ? Ou bien ne redoutez-vous pas plutôt leur jugement sur une mesure construite et rédigée par vos services ?
Enfin, vous trompez les Français en cherchant à masquer le véritable enjeu de ce débat. Au fond, que cherchez-vous à faire avec le contrat « première embauche » ? Cherchez-vous sincèrement à apporter une réponse efficace à la situation de trop nombreux jeunes face à l’emploi ?
M. Alain Néri. Non !
M. Gaëtan Gorce. Ou bien poursuivez-vous la mise en branle de l’implacable mécanique qui conduira du contrat « nouvelles embauches », adopté cet automne, au contrat « première embauche » que vous nous présentez dans ce texte, puis au contrat unique, dans tous les cas dépourvus de la moindre protection à travers une période d’essai applicable à tous les salariés, dans toutes les entreprises, et portée à vingt-quatre mois pendant lesquels le salarié n’aura plus aucun droit, où il pourra être renvoyé à tout moment, sans aucun motif et sans aucun recours ?
M. Jean-Pierre Blazy. Vous, messieurs les ministres, c’est en 2007 que vous allez être renvoyés !
M. Gaëtan Gorce. Cette affirmation d’un pouvoir discrétionnaire de l’employeur constitue un recul sans précédent.
M. Arnaud Montebourg. Elle est anticonstitutionnelle !
M. Gaëtan Gorce. Mais il ne s’agit pas d’un accident. Le CPE n’est pas un dérapage de votre politique, une embardée sur une route socialement mieux tracée. Il en est au contraire l’illustration, la manifestation emblématique. Votre politique sociale conduit au contrat « première embauche » puis au contrat unique comme le fleuve mène à la mer.
Contrairement à ce que vous prétendez, la politique du Gouvernement n’est pas dictée par le pragmatisme, ou par le simple bon sens. Elle est au contraire l’expression, l’illustration d’une stratégie qui était perceptible dès la déclaration de politique générale du Premier ministre et qui repose sur un pari dont le code du travail et les salariés sont les otages : aller aussi loin qu’il est possible dans la dérégulation du marché du travail sans pour autant provoquer une réaction trop vive et une mobilisation trop forte des syndicats et de l’opinion. C’est une stratégie risquée, qui exige du doigté et qui ne se comprend qu’à la lumière de la compétition impitoyable qui s’est engagée au sein de la majorité dans la perspective de 2007.
M. Jean-Pierre Blazy. Voilà la vérité !
M. Francis Delattre. Il n’y a pas de compétition au sein du parti socialiste, c’est bien connu !
M. Gaëtan Gorce. La pratique très libérale que vous avez du social vise à vous gagner la faveur d’une opinion de droite en passe d’être séduite par les solutions plus radicales du principal concurrent du Premier ministre, pourtant membre du Gouvernement. Quant au discours plus social avec lequel le Premier ministre commente cette pratique, il vise quant à lui à préserver ses chances à l’égard du reste de l’opinion, massivement acquise à la modération et à la prudence.
M. Francis Delattre. Vous, vous préférez le conservatisme !
M. Gaëtan Gorce. Je suis ravi, mes chers collègues, de constater que vous approuvez la description que je fais de votre majorité et que la compétition qui s’est engagée suscite de votre part les commentaires appropriés. Je serais ravi de savoir lesquels se situent dans un camp plutôt que dans un autre, mais j’imagine que la situation va bientôt s’éclaircir. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – « Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Francis Delattre. Un peu d’humilité ne ferait pas de mal !
M. Gaëtan Gorce. Le président Dubernard disait tout à l’heure qu’il était regrettable d’interrompre les orateurs. Je suppose que cet argument vaut pour l’opposition comme pour la majorité et que vous aurez à cœur de l’appliquer !
M. Jean Leonetti. Tiens, M. Fabius vous quitte !
M. Francis Delattre. Vous n’avez pas réussi à convaincre M. Fabius ! Il en a assez entendu !
M. Gaëtan Gorce. La mise à mort du CDI, que vous avez manifestement décidée avec le CNE et programmée avec le CPE, doit prendre ainsi pour des raisons similaires la forme d’un simple accompagnement de sa fin de vie : un meurtre avec préméditation, habilement maquillé en simple accident de la route législatif, en quelque sorte.
Pragmatisme et bon sens : deux clés pour verrouiller l’accès à votre véritable démarche, plus politique, et à votre véritable orientation, plus idéologique puisqu’elle s’inspire d’une conception de la société qui voit dans les droits sociaux un obstacle plutôt qu’une garantie.
Aussi ai-je à cœur de démontrer pendant ce débat que, loin d’être inspiré par le pragmatisme, le texte que vous nous présentez s’inscrit bien dans un projet cohérent et déterminé de dérégulation progressive de notre marché du travail.
M. André Gerin. Tout à fait !
M. Gaëtan Gorce. Comment appelez autrement, malgré vos protestations, une politique qui réduit consciencieusement, concrètement, le droit des salariés, la place de la négociation collective et la portée de la norme sociale ? Et c’est bien dans ce cadre et sous cet éclairage qu’il faut examiner le CNE, comme le CPE, que l’on pourrait résumer en quelques mots : moins de droits pour moins d’emplois, c’est-à-dire un recul pour les droits mais sans le moindre progrès pour l’emploi. Voilà le slogan que nous pourrions attacher à la réforme que vous nous proposez.
Il ne fait aucun doute, en effet, que, si les résultats du CNE et les perspectives du CPE ont bien pour conséquence inéluctable de retirer aux salariés embauchés les protections que leur garantit aujourd’hui le code du travail, on peut en revanche exprimer les plus grandes réserves sur l’efficacité pour l’emploi de ces mesures. Non seulement parce que le passé ne plaide pas pour vous, non plus que votre bilan ; non seulement parce que, de l’avis même de tous les économistes, les effets d’aubaine et de substitution seront massifs ; mais surtout en raison de l’erreur de diagnostic, du vice de conception que révèle votre dispositif. Vous semblez être persuadés que c’est le niveau de protection de l’emploi qui freine l’embauche alors qu’il est en réalité la condition de la cohésion sociale et, par conséquent, de l’efficacité économique.
M. Bernard Roman. Très bien !
M. Gaëtan Gorce. Le contrat « première embauche » ne peut être examiné indépendamment de la politique que vous avez conduite et qui vise à favoriser une dérégulation de plus en plus poussée du marché du travail. Je vais vous le démontrer.
C’est en effet un autre modèle social qui se dessine progressivement à travers les différentes législations que vous avez fait approuver par cette assemblée depuis quatre ans et, plus encore, depuis l’installation du gouvernement de M. de Villepin, selon une méthode aussi éprouvée que contestable.
Vous avez ainsi décidé, sous la pression de la compétition qui vous est imposée au sein de la majorité, de prendre le code du travail en otage. Encore faut-il, pour en prendre l’exacte mesure, dissiper l’épais brouillard dont vous vous êtes ingéniés à recouvrir votre politique.
D’abord, conscients des réactions que ces changements risquaient de susciter dans l’opinion qui est majoritairement acquise à notre pacte social, vous vous êtes efforcés d'en camoufler la portée en recourant à une de ces facilités que vous autorise la difficulté des temps : l'urgence ! Désormais, tout est urgence. Il n'est pas un discours, pas une expression, pas un projet de loi présenté par ce gouvernement qui ne soit caractérisé par l’urgence ou qui n'y fasse désormais référence. L'urgence est devenue, en quelque sorte, le « tube » des années Villepin. Cette danse de Saint-Gui gouvernementale n'est pas dépourvue d'arrière-pensées. Ce sont même celles-ci qui lui donnent tout son tempo.
La méthode de l'urgence que vous utilisez depuis des années présente en effet de nombreux avantages.
Elle donne tout d'abord l'illusion de l'action par la répétition des mêmes décisions ; il suffit, pour ce faire, de prendre l'exemple des nouveaux contrats de travail, spéciaux, aidés ou dérogatoires, qui sont constamment créés ou recréés, et de leur appliquer la méthode dite de la multiplication des pains ; je ne vois pas d’autre référence possible.
Aux contrats initiative emploi, emploi solidarité, local d'orientation, vendanges, de retour à l'emploi, d'accès à l'emploi, d'emploi consolidé, de reconversion, de professionnalisation ou d'insertion au revenu minimum d'activité, vous avez ajouté, rien qu'au cours de l'année 2005, des contrats d'accompagnement dans l'emploi, d'avenir, d'insertion sociale, de mission à l'exportation et de volontariat de solidarité internationale. Le dernier né est le contrat « nouvelles embauches » du 2 août 2005 et, maintenant, nous est soumis le contrat « première embauche » destiné aux jeunes. Il s'agit simplement, par cette inflation verbale et législative, de donner le sentiment et l'illusion de l'action.
Vous y parvenez de la même manière en modifiant fréquemment les mêmes contrats que vous venez de créer. Le contrat d'avenir de janvier dernier vient, par exemple, d'être modifié quelques semaines à peine après son adoption par l'Assemblée nationale, par la loi du 26 juillet 2005 relative aux services à la personne, et par deux décrets du 2 août 2005.
Très peu coûteux pour l'employeur, il présentait l'avantage pour le salarié d'être relativement stable puisque conclu pour une durée de deux ans. C’était sans doute encore trop long, car cette durée pourra désormais être divisée par quatre. Le contrat d'avenir garantissait au salarié un avenir de deux ans, il ne garantira plus aujourd’hui qu'un avenir de six mois. Au rythme où vont les choses, peut-être cette durée serait-elle encore considérée comme trop longue et, au fur et à mesure que vous avez choisi d'allonger les périodes au cours desquelles le licenciement pourrait intervenir sans condition, vous réduisez celles, au contraire, pendant lesquelles les salariés sont assurés de leur emploi. Cela s'appelle brûler la chandelle par les deux bouts. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Et c'est dans ce même mauvais esprit que nous avons vu se succéder en trois ans trois plans d'urgence pour l'emploi, sans qu'on ait jugé utile de procéder à l'évaluation des précédents.
A quoi bon préciser que le bénéfice attendu se trouve dans l'action la plus médiatisée possible, plus que dans le résultat qu'elle produit ?
Vous renouvelez ainsi l'image de ces chœurs d'opéra scandant « Marchons, marchons » dans un harmonieux surplace. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Christian Paul. Très belle image !
M. Gaëtan Gorce. Je savais que l’image de l’opéra pourrait satisfaire certains d’entre vous, mais cette méthode ne se limite pas à permettre des illustrations tirées de l’opéra ou de la musique. Elle présente un deuxième avantage : elle vous permet de masquer le contenu réel de vos réformes. Et c’est sans doute là ce que vous attendez d’elles avec le plus d’attention.
Ainsi, avec la cadence infernale de la production de textes, de nombreuses micro-réformes destinées à satisfaire tel ou tel intérêt particulier peuvent passer totalement inaperçues. Je ne sais pas combien de mes collègues ont en souvenir la loi du 15 décembre 2004 qui a pu permettre de faire échapper à la qualification de salaire, donc aux cotisations sociales qui y sont attachées, une part de la rémunération des sportifs professionnels les mieux payés. On peut imaginer que, s'ils avaient pu en mesurer les conséquences, les contribuables auraient peu apprécié d'être priés de compenser via le budget de l'État la perte que cette exonération fait subir aux caisses de la sécurité sociale.
C'est encore au détour d'un amendement difficile à percevoir dans un premier temps qu'a été prise la décision de décompter de la durée du temps de travail effectif la durée de transport, contrairement à ce que la jurisprudence avait toujours considéré jusqu'alors.
De la même manière, c'est également par un amendement déposé et voté en catimini que le forfait jour a été étendu aux salariés non cadres l'an dernier et que, enfin, très récemment, à l'occasion d'une commission mixte paritaire, les conditions du recours à l'intérim ont été modifiées sans que jamais nous n’ayons été amenés à en débattre ici même, dans cet hémicycle.
M. Michel Vergnier. Uniquement au Sénat, c’est scandaleux !
M. Gaëtan Gorce. C'est aussi de cette manière, par le biais de ce saucissonnage, que la destruction de la réforme des 35 heures a pu être réalisée. Un retour abrupt aux 39 heures hebdomadaires n’aurait pas été accepté par l’opinion, peut-être même pas par le Président de la République qui a dit ce qu’il pensait des inepties dont certains pouvaient s’estimer porteur. Il a donc été jugé préférable de procéder par petites étapes successives.
Le nombre des heures supplémentaires a d'abord été augmenté, puis leur coût réduit. Certains temps, anciennement qualifiés de temps de travail, ont été requalifiés en temps libre, un jour férié a été supprimé, les possibilités d'adopter un calcul en forfait jour ont été accrues. Aucune de ces réformes ne remettait à elle seule en cause les 35 heures, mais, mises bout à bout, elles vont bien au-delà de la remise en question de la durée légale du travail ; elles vont même au-delà du point de départ puisque, aujourd’hui dans ce pays, il est possible de travailler sans difficulté au moins quarante heures sans d’ailleurs avoir la rémunération correspondante, puisque vous avez réduit la rémunération des heures supplémentaires, en particulier dans les petites entreprises. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Je vois que les 35 heures vous font toujours réagir ! Je n’ai pas parlé de Martine Aubry car je voulais épargner vos nerfs !
M. Francis Delattre. Cela a été une bêtise !
M. Patrick Roy. Privilège pour les uns, régression pour les autres !
M. Gaëtan Gorce. Cette méthode de l’urgence, cette méthode des petits pas a aussi un autre avantage, peut-être le dernier, celui que vous allez chercher à utiliser aujourd’hui : elle permet de réduire les possibles résistances. Les opposants au projet doivent mobiliser contre le dernier des petits pas en discussion. Pour peu que l'on soit déjà habitué aux petits pas précédemment effectués et que l'on fasse abstraction de celui qui suivra, ce petit pas semble finalement relativement anodin. Découper une réforme en petits morceaux, c'est obliger les opposants à un difficile travail d'explication et de reconstruction. Cela peut même permettre de décourager les opposants, voire les contraindre à la mauvaise conscience, accusés qu’ils sont de s'opposer à l'intérêt des chômeurs, des jeunes ou des petites entreprises. Et c'est bien cette méthode qui est à l'œuvre s'agissant des CNE et des CPE.
M. Patrick Roy. Et la misère monte !
M. le président. Et si vous, vous pouviez baisser le ton, ce serait bien !
M. Francis Delattre. Et les nouveaux pauvres, ça ne vous rafraîchit pas la mémoire ?
M. Gaëtan Gorce. Cette méthode, que vous avez utilisée pendant plusieurs mois, atteint cependant aujourd'hui sa limite. Avec l'accumulation, l'illusion n'est en effet plus possible. Avec le recul, on peut en revanche reconstituer la redoutable cohérence de la politique de dérégulation sociale que vous avez choisi de conduire et qui s'attaque aux fondements mêmes de notre contrat social, le contrat « première embauche » constituant une étape supplémentaire et spectaculaire dans cette escalade.
Il n'y a dans mon propos nulle caricature. Il traduit simplement l'examen attentif de l'ensemble des dispositions que vous avez fait adopter depuis quatre ans et plus encore depuis mai 2005.
M. René Couanau. Mais non ! Personne ne vous fait ce procès. (Sourires.)
M. Gaëtan Gorce. Cependant comme je sais qu’il y a parmi vous des esprits rétifs aux explications que l’opposition pourrait donner, je me vois contraint de développer mon argumentation et de vous apporter la démonstration que les lois que vous avez modifiées ont toutes conduit soit au recul de la négociation collective, soit à réduire la portée de la norme sociale, soit à réduire les protections apportées aux salariés face aux licenciements. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Le premier temps de l'offensive – car c’est bien ainsi qu’il faut l’appeler, même si elle a été discrète – a porté sur la norme sociale, qu'elle soit issue de la loi ou de la convention.
Depuis 2002, avec l’ensemble des lois que vous avez votées, vous vous êtes efforcés d'affaiblir la portée de la norme sociale, d'en resserrer et d'en limiter le champ d'application. Notre contrat social, j’ai déjà eu l’occasion de l’évoquer à cette tribune, est fondé sur l'idée que, dans la relation salarié-employeur, le déséquilibre ne peut être compensé que par l'intervention d’un droit qui assure des garanties aux salariés dans une situation de subordination liée au contrat de travail. Ce droit est issu soit de la loi, soit de la négociation collective, et l’on peut souhaiter qu’il le soit plus de la négociation et un peu moins de la loi. Or vous n’avez eu de cesse, au cours de cette législature, de faire reculer la place réservée au droit social et à la négociation collective. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Le premier exemple en a été donné par la loi de 2003 relative à la négociation collective sur les restructurations ayant des incidences sur l'emploi, laquelle a consisté pour le législateur à se défausser sur la négociation collective et les partenaires sociaux de ses responsabilités en la matière, non pas pour engager une négociation interprofessionnelle qui aurait substitué à la règle fixée par la loi une autre règle générale définie par les partenaires sociaux, mais pour renvoyer la définition des critères, des modalités, des conditions du licenciement à l’accord d’entreprise, faire en sorte qu’il n’y ait plus un droit du licenciement, mais un droit de licenciement propre à chaque établissement et à chaque entreprise !
M. Patrick Roy. Premier coup de massue, première régression !
M. Gaëtan Gorce. Dans le même temps, le législateur renonçait à ses prérogatives qui étaient pourtant des principes d’ordre public social de tout temps, comme la définition du contrôle exercé par l’administration sur le licenciement ou les modalités de consultation du comité d’entreprise.
Manifestement, compte tenu de l’indifférence dans lequel ce rappel se situe, vous avez voté l’esprit tranquille ces dispositions qui bouleversent pourtant notre paysage social. Et j’ai encore d’autres exemples.
Puis ce mouvement s'est accentué avec la loi de 2003 sur le dialogue social et la formation professionnelle.
M. Patrick Roy. Deuxième coup de massue, deuxième régression !
M. Gaëtan Gorce. Merci, mon cher collègue, de scander ce qui apparaît bien comme un lent calendrier de régressions qui doivent être dénoncées comme telles !
M. René Couanau. On se croirait sur les grands boulevards !
M. Gaëtan Gorce. Qu’avez-vous fait dans ce texte sur le dialogue social et la formation professionnelle ?
Outre que vous avez rappelé des principes sur la concertation que vous n’avez jamais respectés, vous avez consacré la notion d’accord dérogatoire. Vous avez inventé une sorte de 49-3 social. Plutôt que de considérer que l’accord qui faisait droit était l’accord signé par les syndicats majoritaires, vous avez considéré qu’un accord entrait en application si la majorité des syndicats ne s’y opposait pas. Oui, c’est bien un 49-3 social qui montre d’ailleurs dans quelle considération vous tenez le dialogue et la négociation puisque c’est une démarche négative que vous valorisez et non pas une démarche constructive de négociation et de construction du droit.
Mme Martine David. Très bien ! Judicieux !
M. Yves Durand. Ça, c’est de la démonstration !
M. Arnaud Lepercq. N’importe quoi !
M. Gaëtan Gorce. Toutefois en généralisant l’accord dérogatoire, vous avez porté un autre coup assez rude à notre édifice de protection sociale puisque vous avez introduit un élément qui remettait en cause un principe fondamental, le principe de faveur : cette idée selon laquelle on ne peut pas déroger à un accord d’entreprise ou à un accord de branche qui introduirait des dispositions plus favorables que celles qui auraient été négociées à un niveau inférieur. En clair, à travers la loi que vous avez votée, vous permettez désormais de modifier au niveau de l’entreprise, sauf si l’accord de branche s’en était prémuni, des dispositions plus favorables normalement généralisables à l’ensemble des salariés.
De ce point de vue, si l’on y regarde de près, c’est bien le dumping social que vous avez encouragé, puisque, sur des questions aussi importantes que la rémunération des heures supplémentaires, le montant des indemnités de licenciement et bien d’autres, nous aurons un droit local, distinct dans chaque entreprise, indépendamment de la cohérence de la branche professionnelle. Ce revirement, vous n’avez pu l’opérer que parce que les organisations professionnelles, les syndicats ne disposaient pas de moyens suffisants de mobilisation compte tenu de la situation économique et sociale dans ce pays.
C’est le chômage, c’est la crainte du chômage qui pèse aujourd’hui sur la mobilisation sociale et qui empêche les salariés d’exprimer ce qu’ils nous disent, à nous, sur le terrain, dans nos circonscriptions : le rejet qui est le leur de votre politique sociale et les conséquences qu’ils mesurent au quotidien à travers la montée du chômage, quoi que vous en disiez, à savoir la réduction de leurs droits.
M. Patrick Roy. Troisième coup de massue, troisième régression !
M. Gaëtan Gorce. Merci, cher collègue !
Nous avons échappé de peu – mais pour combien de temps ? – à une autre évolution de même nature consistant, car il faut insister sur ce point, à décentraliser notre droit du travail, avec d’ailleurs les mêmes conséquences que ce que l’on observe pour la décentralisation, c’est-à-dire le transfert des charges et des coûts.
Vous avez d’abord transféré la compétence de la loi à la négociation – plutôt à la négociation de branche –, encouragé ensuite la négociation d’entreprise au détriment de la négociation de branche et, dans la négociation d’entreprise, tenté d’ouvrir un champ qui cassait la notion même d’ordre public social.
Par exemple, sur la question de la durée du travail, il y avait dans le rapport de M. Novelli et de M. Ollier sur la réduction du temps de travail – excellent rapport au regard de la cohérence idéologique qui l’animait – un élément qui a d’ailleurs fait réagir le gouvernement de l’époque et qui consistait à dire que la durée du travail devrait être fixée au niveau de chaque entreprise, que c’est par l’accord d’entreprise que la durée légale du travail devait être fixée. Autrement dit, il n’y aurait plus de durée nationale légale du travail ; chacun pourrait travailler un temps différent selon l’entreprise où il se trouve, temps négocié ou imposé dans des conditions que l’on imagine.
M. Arnaud Lepercq. Allons, allons !
M. Gaëtan Gorce. Il est vrai que cette proposition était un peu provocatrice, mais elle avait le mérite de la franchise. Et vous, vous avez choisi, comme je l’ai rappelé précédemment, de remettre en cause la durée légale du travail d’une manière beaucoup plus appropriée, à petit pas, à petits coups, en faisant en sorte que les 35 heures ne soient plus la réalité de l’entreprise pour la majorité des salariés.
M. Francis Delattre. Comme partout en Europe !
M. Gaëtan Gorce. Voilà pour le premier temps de l’offensive : les reculs que vous avez introduits par rapport à notre édifice social.
Le second temps de l'offensive a consisté à favoriser de manière tout à fait inédite une réindividualisation des relations de travail à l'instar de ce qui peut exister dans le droit anglo-saxon.
Après avoir délocalisé la source du droit de la loi à l’accord de branche, de l’accord de branche à l’accord d’entreprise, vous avez estimé que cela n’allait pas encore assez loin et c’est dans le contrat de travail que vous souhaitez aujourd’hui voir figurer des normes et des garanties qui relevaient normalement d’une protection d’un plus haut niveau. Ce faisant, vous remettez en cause l’idée même sur laquelle repose notre droit du travail, celle d’une protection assurée par des garanties collectives.
Depuis 2002, vous n’avez eu de cesse de rompre cet équilibre. De plus en plus nombreuses sont les situations de travail qui peuvent ainsi être réglées indépendamment du recours au cadre collectif, par un simple arrangement entre l’employeur et le salarié. On peut bien qualifier cela, en référence aux normes anglaises, d’opting out : vous prétendez le combattre à Bruxelles dans les discussions sur la directive temps de travail,…
M. Christian Paul. Personne n’y croit !
M. Gaëtan Gorce. …mais vous le mettez en œuvre, ici, à Paris, dès que vous en avez l’occasion. Chacun doit avoir conscience de ce processus qui, au mieux, prend acte de la faiblesse de la représentation syndicale dans les PMI-PME, mais au pire − et c’est au pire qu’il faut se préparer − organise un nouveau système de relations sociales et porte en germe une précarisation accrue du salariat.
À ce stade, je ne prendrai que deux exemples, parfaitement vérifiables.
Le premier concerne la durée du travail qui peut désormais varier sans difficulté d’une entreprise à l’autre, au point qu’il est presque possible d’affirmer qu’il n’existe plus de durée légale de référence.
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Mais si !
M. Patrick Roy. Quatrième coup de massue, quatrième régression !
M. Gaëtan Gorce. Monsieur le ministre, je vois que vous ne partagez pas ce point de vue, ce qui prouve que vous avez encore conscience des risques que de telles dispositions comporteraient pour les salariés si elles étaient appliquées. Ce sont pourtant celles que vous avez fait voter. Aujourd’hui, la référence légale est de 35 heures, auxquelles il est possible d’ajouter 220 heures supplémentaires. Au-delà même des conventions qui ont fixé ces heures complémentaires, le salarié peut parfaitement accepter de travailler au-delà du contingent conventionnel s’il a trouvé un accord avec son employeur.
M. Arnaud Lepercq. Ça lui permet de gagner davantage ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Gaëtan Gorce. On peut donc arriver à des durées de travail sans limitations.
M. Bernard Roman. Eh oui !
M. Francis Delattre. Et alors ?
M. Gaëtan Gorce. Le second exemple est celui de l’amendement que vous avez fait voter en urgence et en catimini : il consiste à étendre le forfait jours aux salariés non cadres. Ainsi, les salariés vont être de plus en plus nombreux à être concernés par un forfait jours − fixé en principe à 217 jours, mais que l’on peut désormais dépasser − et à ne plus être protégés par les maxima hebdomadaires et journaliers.
On pouvait comprendre que ce dispositif s’applique pour les cadres supérieurs et pour ceux qui ont une responsabilité particulière, compensée par une rémunération équivalente, mais il s’adresse désormais à des salariés beaucoup plus modestes. On a du mal à déterminer, en lisant le texte que vous avez fait voter, la durée du travail qui s’impose à eux.
M. Francis Delattre. S’ils sont payés plus, où est le problème ? Tout est encadré !
M. Gaëtan Gorce. Pour seule récompense, on leur offre la possibilité de travailler plus de 48 heures par semaine.
Peut-être, monsieur le ministre, contesterez-vous cela, mais vous aurez sans doute quelques difficultés à nous démontrer le contraire du point de vue juridique.
M. Patrick Roy. Cinquième coup de massue, cinquième régression !
M. Gaëtan Gorce. Je pourrais donner d’autres exemples, mais je crains de lasser mon auditoire. (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe socialiste. − Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Arnaud Lepercq. Il y a longtemps que c’est fait !
M. Gaëtan Gorce. Je vous remercie de vos encouragements, qui pourraient me convaincre d’évoquer d’autres points, telle la décision que vous avez prise de permettre au salarié de faire argent de sa santé en transformant en rémunération le repos compensateur qui lui était dû au-delà de la quarante-troisième heure lorsqu’il était amené à faire des heures supplémentaires. Ce faisant, vous mettez en cause un principe essentiel de notre droit : les repos compensateurs sont prévus pour préserver la santé du salarié et il ne doit pas pouvoir les monnayer, mais il est aujourd’hui incité à tirer les conséquences de la faiblesse de son pouvoir d’achat, qu’il doit à votre politique.
M. Michel Vergnier. Ils n’avaient peut-être pas vu cela !
M. Gaëtan Gorce. De tels procédés, de telles dispositions dessinent un paysage bien différent de celui que vous avez coutume de nous présenter. Loin de défendre notre modèle social, vous êtes en train de le bouleverser contre l’avis des partenaires sociaux et sans que l’opinion publique ait pu véritablement en prendre encore conscience. Le choix que vous faites va inéluctablement dans le sens d’une dérégulation, d’un affaiblissement de l’encadrement collectif, d’un contournement des partenaires sociaux. Renvoyant la négociation collective de la branche à l’entreprise, vous favorisez l’émiettement du droit social ; en encourageant les accords directs passés entre le salarié et l’employeur, vous remettez en cause l’idée même d’une norme collective et d’un droit conventionnel.
Dans ces conditions, on comprend mieux l’inquiétude exprimée par les syndicats de salariés face à votre projet de réécriture du code du travail. M. Larcher la présente comme devant être à droit constant, mais, parallèlement, il ne manque pas une occasion de dire qu’il y aurait là une formidable occasion d’adapter notre droit aux conditions économiques nouvelles, ce qui, en langage libéral, annonce une nouvelle vague de régressions.
M. Patrick Roy. Sixième coup de massue !
(M. Jean-Luc Warsmann remplace M. Maurice Leroy au fauteuil de la présidence.)
M. Gaëtan Gorce. C’est dans ce contexte, particulièrement éclairant sur les objectifs de votre gouvernement, qu’il nous faut examiner le contrat « première embauche », car il est bien l’élément essentiel du texte qui nous est présenté.
Mon collègue Yves Durand aura tout à l’heure l’occasion d’aborder les autres aspects de ce texte…
M. Laurent Hénart, rapporteur. Très bien !
M. Gaëtan Gorce. …mais vous avez décidé de focaliser la discussion sur cette disposition, puisqu’elle a été introduite, sinon en grande pompe, en tout cas de manière spectaculaire dans un texte qui n’était a priori pas destiné à la recevoir. C’est au regard de ces ruptures, de ces changements, de ces modifications, de ces régressions − le mot s’impose −, qu’il faut aujourd’hui juger du contrat « première embauche », qui n’est au fond que le décalque, pour les jeunes de moins de vingt-six ans, du contrat « nouvelles embauches » que vous avez présenté il y a quelques mois et que l’on pourrait résumer en quelques mots : un recul des droits sans progrès pour l’emploi.
M. Francis Delattre. Quel archaïsme !
M. Gaëtan Gorce. Qui, en effet, pourrait contester qu’il y a bien un recul des droits ?
M. Arnaud Lepercq. C’est l’avenir qui le dira !
M. Gaëtan Gorce. Pas même vous.
À ce stade, il ne semble d’ailleurs pas nécessaire de distinguer le contrat « première embauche » du contrat « nouvelles embauches » : ils présentent les mêmes caractéristiques et sont inspirés par la même logique. Ils constituent le second volet très illustratif de la politique sociale que je me suis efforcé de décrire.
Si vous voulez, d’un côté, réduire le cadre et le champ des accords, affaiblir les négociations collectives, contourner les partenaires sociaux, vous cherchez, de l’autre, à réduire les protections offertes aux salariés en matière de licenciement. Vous l’avez déjà fait pour le licenciement économique, en abrogeant la loi de modernisation sociale, sans rien lui substituer qui soit véritablement satisfaisant du point de vue de la protection des travailleurs. Vous parachevez à présent votre œuvre en matière de protection des salariés face au licenciement individuel : vous avez créé d’abord le contrat « nouvelles embauches » pour les salariés des entreprises de moins de vingt salariés ; puis le contrat « première embauche » réservé, dans toutes les entreprises, aux jeunes de moins de vingt-six ans ; et bientôt le contrat unique qui s’appliquera à tous les salariés de tous âges dans toutes les entreprises, aux mêmes conditions, c’est-à-dire sans plus de protections pendant une période de deux ans.
À travers ce texte, vous encouragez la précarisation du contrat de travail, d’autant plus que ces dispositions contreviennent aux principes fondamentaux de notre droit du travail.
M. Patrick Roy. Ce n’est plus de l’embauche, c’est de la débauche ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean Leonetti. On se croirait à la buvette ! D’ailleurs, certains doivent en sortir !
M. Gaëtan Gorce. Comment nier, en effet, que, dans leur principe, les contrat « nouvelles embauches » et « première embauche » n’ont pas pour objet de sécuriser la situation du salarié, mais celle de l’employeur.
M. Francis Delattre. Difficile d’avoir des employés sans employeurs !
M. Gaëtan Gorce. Vous allez répétant que la difficulté de licencier un salarié est un frein à l’embauche et c’est à ces protections que vous vous attaquez. L’objectif affiché de ces contrats n’est autre que de réduire la complexité prétendue des modalités de licenciement, présentée d’ailleurs, sans aucun élément d’appréciation, comme une entrave au travail et à l’embauche.
Quarante-neuf articles de notre code du travail relatifs à la résiliation des contrats de travail à durée indéterminée sont ainsi suspendus pour un temps, puisqu’il y est explicitement dérogé, avant qu’ils ne soient, dans la perspective du contrat unique, purement et simplement abrogés. Ces dérogations auront en réalité pour effet moins de favoriser l’emploi que d’accentuer encore la précarisation des salariés, sans d’ailleurs apporter aux employeurs les garanties juridiques espérées.
La précarisation du contrat de travail est à la base même du contrat « nouvelles embauches » comme du contrat « première embauche », qui ne peuvent être assimilés à des CDI qu’au prix d’une méprise ou d’une provocation. Ce qui caractérise le contrat à durée indéterminée, c’est, par définition, la durée indéterminée de l’emploi et les protections qu’il assure : on ne peut le rompre sans motifs et il faut respecter une procédure contradictoire, l’entretien préalable, la notification.
Toutes ces garanties sont précisément celles que le contrat « nouvelles embauches » ou le contrat « première embauche » ont pour objet d’écarter. Ils présentent donc, intrinsèquement, les caractéristiques d’un contrat précaire, et c’est bien pour réduire ces garanties que vous les avez mis en place. On peut d’ailleurs considérer que c’est par un abus de langage juridique que vous les classez parmi les contrats à durée indéterminée. C’est au contraire une vraie dynamique de précarisation que vous mettez en place.
M. Michel Vergnier. Bien sûr !
M. Gaëtan Gorce. Pour les salariés embauchés dans les entreprises de moins de vingt salariés, comme pour les jeunes de moins de vingt-six ans, le recrutement en CPE ou en CNE va devenir la règle.
M. Michel Vergnier. Bien sûr !
M. Gaëtan Gorce. Peut-être les entreprises choisiront-elles de substituer des contrats « nouvelles embauches » ou « première embauche » à des CDD ou à des missions d’intérim.
M. Jean-Jacques Descamps. Pourquoi voulez-vous que les entreprises licencient ?
M. Gaëtan Gorce. Mais pourquoi ne saisiraient-elles pas cette occasion d’effectuer tous les recrutements avec ces contrats ?
M. Maurice Giro. Vous ne savez pas ce que c’est que l’entreprise ! Ce sont les mauvais éléments qu’on licencie !
M. Jean-Jacques Descamps. Vous n’avez jamais travaillé en entreprise !
M. Gaëtan Gorce. Elles y sont directement encouragées, puisque ces contrats n’opérent aucune distinction parmi les salariés, entre ceux qui sont en difficulté d’embauche ou d’insertion et les autres. Ainsi, le jeune recruté à sa sortie d’une école d’ingénieurs pourra se voir proposé un CPE, comme le jeune en difficulté scolaire embauché à l’issue d’une période chaotique dans un quartier difficile. Telle est la réalité de ce contrat. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean-Jacques Descamps. Ça ne se passe pas comme ça dans une entreprise !
M. Gaëtan Gorce. L’argument de M. Descamps résonne en permanence dans cet hémicycle : il y aurait, d’un côté, ceux qui connaissent l’entreprise et, de l’autre, ceux qui en parlent sans la connaître. Je me permettrai, mon cher collègue, de vous faire la même remarque chaque fois que vous aurez à aborder un sujet qui ne relève pas des compétences professionnelles que vous aurez démontrées avant d’être élu dans cette assemblée.
Une remarque comme celle que vous venez de faire nie le principe même de la représentation nationale. Nous ne sommes pas là pour défendre les intérêts particuliers auxquels nous aurions été familiarisés avant notre élection, mais pour exprimer une conviction et défendre l’intérêt général. Je vous invite donc à éviter ce genre de remarques qui paraissent tout à fait déplacées. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Par ailleurs je crois pouvoir dire qu’on connaît aussi bien l’entreprise quand on est fils de salarié que lorsqu’on est patron, fils de patron ou petit-fils de patron, comme M. Dassault. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. − Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Patrick Roy. La majorité ne connaît pas les salariés !
M. Gaëtan Gorce. Oui, c’est une dynamique de précarisation que vous mettez en place, car il est évident que les CNE ou les CPE seront préférés aux CDI de droit commun. De même que la mauvaise monnaie chasse la bonne, les mauvais contrats chasseront les bons, les CPE et les CNE chasseront les contrats à durée indéterminée avant même que le CPE ne devienne le contrat de droit commun. (Applaudissements sur divers bancs du groupe socialiste.)
Initialement limitée aux titulaire de CDD ou de missions d’intérim, la précarité sera dès lors élargie à la totalité des salariés : non seulement à ceux qui sont fragiles ou peu qualifiés, mais aussi aux jeunes diplômés ou aux salariés hyperqualifiés à la recherche d’un emploi ; tous seront soumis au lot commun.
M. Jean-Jacques Descamps. C’est dramatique !
M. Francis Delattre. C’est la nomenklatura qui parle !
M. Maurice Giro. Avec une mentalité pareille, vous allez faire fuir tous les entrepreneurs du pays !
M. Gaëtan Gorce. Mes chers collègues, je puis comprendre que les opinions différentes de la vôtre vous irritent, mais j’aimerais que vous puissiez me démontrer qu’une entreprise ne pourra pas recruter un élève sortant d’une école d’ingénieur avec un CPE. Y a-t-il, dans votre texte, quoi que ce soit qui l’en empêche ? (« Rien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
De la même manière, je voudrais que vous me démontriez qu’une entreprise de moins de vingt salariés pourra ne pas embaucher, si elle le souhaite, un salarié surdiplômé sous forme d’un CNE. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Maurice Giro. Vous êtes à côté de la plaque !
M. Patrick Roy. Répondez !
M. Gaëtan Gorce. C’est la précarité et sa généralisation que vous nous proposez à travers ce texte. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – « Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Si vous réagissez, c’est que nous parlons là du point le plus épineux, car, lorsque les Français, les jeunes et les salariés prendront conscience de ce que vous êtes en train de mettre en place, ils vous sanctionneront…
M. Francis Delattre. C’est vous qu’ils ont déjà sanctionnés !
M. Gaëtan Gorce. …sinon dans les prochains jours, du moins dans les mois prochains, parce qu’ils auront conscience que vous aurez choisi de sacrifier leur protection sociale pour des intérêts qui ne sont pas les leurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. − Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean-Jacques Descamps. Restez calme !
M. Francis Delattre. Soyez plus modeste.
M. Gaëtan Gorce. Je ne veux pas alimenter votre courroux. Naturellement, je préférerais que notre débat soit calme et serein. Je m’efforce de le rester pour ce qui me concerne. J’imagine que vous avez du mal à admettre les arguments qui placent la réalité devant vos yeux.
M. Francis Delattre. Les électeurs vous ont sanctionnés : vous n’étiez même pas présents au second tour !
Mme Catherine Génisson. Si vous êtes là, c’est grâce à nous, parce que nous avons été citoyens !
M. Alain Néri. Que la majorité ne se plaigne pas si la défense de la motion dure plus longtemps que prévu !
M. le président. Mes chers collègues, seul M. Gorce a la parole !
M. Gaëtan Gorce. Il en faudrait beaucoup plus pour m’interrompre et me troubler. Mes arguments sont suffisamment étayés pour que je doute le moins du monde de leur justesse.
Je ne retiendrai que deux exemples.
En premier lieu, le délai de carence entre la conclusion de deux CNE ou CPE d'un même salarié étant de trois mois, qu’est-ce qui empêchera l'entreprise de procéder par à coups et de recruter un même salarié sur une succession de contrats de ce type avec un intervalle d’un trimestre entre chacun d’eux ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Francis Delattre. Pour qu’il y ait des salariés, il faut des entreprises !
M. Gaëtan Gorce. C’est une bien triste chanson que vous nous chantez là ! Vous aurez l’occasion de vous exprimer, mais si déjà la majorité, pas plus que le Premier ministre, n’a pas envie d’écouter l’opposition alors que nous n’aurons pas d’incidence sur le vote final, c’est le fonctionnement même de cette institution qu’il faut remettre en cause. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Mme Martine David. Il a raison !
M. Gaëtan Gorce. Votre intolérance témoigne d’ailleurs du manque d’arguments dont vous disposez.
M. Bernard Roman. La vérité les blesse !
M. Jean-Jacques Descamps. Répondez aux nôtres !
M. Gaëtan Gorce. Répondez donc concrètement à celui-ci : qu’est-ce qui empêchera, je le répète, une entreprise d’enchaîner des CNE ou des CPE sur le même emploi avec des salariés différents ? En effet telle sera la réalité avec le texte que vous nous présentez.
M. Jean-Jacques Descamps. Pourquoi licencierait-on le premier s’il est bon ?
M. Gaëtan Gorce. Plus grave, le CNE – car une légère correction a été apportée sur ce point dans le CPE – s’il pourra profiter des avantages du CDI, n’apportera aucune de ses garanties.
M. Michel Vergnier. Eh oui !
M. Gaëtan Gorce. Dans notre droit en effet, lorsque l’on conclut un contrat de travail à durée déterminée ou d’intérim,...
M. Arnaud Lepercq. Un contrat-jeunes ?
M. Gaëtan Gorce. ...celui-ci, s’il est prolongé au-delà de son terme, devient automatiquement un contrat à durée indéterminée. Le CPE profitera du même avantage, même s’il ne constitue pas un contrat à durée indéterminée avec ses garanties, mais ce sera aussi un contrat précaire.
M. Alain Néri. Surtout un contrat précaire !
M. Gaëtan Gorce. La succession de tels contrats,...
M. Jean-Jacques Descamps. Vous prenez les chefs d’entreprise pour des fous ?
M. Gaëtan Gorce. ...et d’un CDI sans garanties, puisque le licenciement sera alors possible pendant deux ans, privera le salarié de son droit à un délai de carence et à une indemnité de précarité.
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Allons !
M. Gaëtan Gorce. Je serais ravi que vous me démontriez le contraire, monsieur le ministre.
M. Alain Néri. Démonstration dont nous n’avons pu bénéficier en commission !
M. Gaëtan Gorce. Ce sera l’occasion d’avoir enfin une explication. Cependant je reconnais à votre décharge, monsieur le ministre, que votre texte a été rédigé dans la précipitation, ainsi que je l’ai déjà dénoncé. Je ne prendrai en tout cas pas d’autre exemple, car j’ai bien compris qu’ils avaient le don de vous irriter.
M. Arnaud Lepercq. Mais non !
M. Gaëtan Gorce. Mon propos n’est pas d’arriver à ce résultat, mais simplement d’engager dans cet hémicycle le débat serein,...
M. Arnaud Lepercq. Il l’est !
M. Jean-Jacques Descamps. Commencez par être serein vous-même !
M. Gaëtan Gorce. ...que réclamait le Premier ministre avant, malheureusement, de nous quitter.
M. Patrick Roy. C’est le remords qui l’habite !
M. Gaëtan Gorce. On le voit, la porte est largement ouverte à la déconstruction de notre code du travail. Si l’on s’en tient, en effet, à l’interprétation que je donne du CNE, vous remettez en cause la logique qui fonde le rapport entre le CDD et le CDI.
M. Jean-Jacques Descamps. C’est le chômage que l’on remet en cause !
M. Gaëtan Gorce. Or remettre en cause cette logique, c’est considérer que nous avons avec le CPE et le CNE non pas un CDI normal mais un contrat précaire. Je souhaite d’ailleurs que nous puissions modifier par amendement les dispositions relatives au CNE pour éviter une succession de contrats dans les conditions scandaleuses que j’ai décrites.
Par ailleurs, si le contrat est bâti pour réduire les garanties et la sécurité du salarié, la tromperie s'étend aussi, par une sorte d'ironie du droit, aux employeurs.
Vous leur expliquez en effet qu’avec un CPE, un CNE et, demain, un contrat unique, ils n’auront pas de difficulté à licencier.
M. Arnaud Lepercq. Procès d’intention !
M. Gaëtan Gorce. Tel est pourtant l’argument, un peu cynique, employé pour le CNE et qui sera utilisé pour le CPE. La réalité risque d’être un peu différente.
Certes, les quarante-neuf articles du code du travail relatifs à la résiliation du CDI ne pourront pas s’appliquer. Néanmoins qu’est-ce qui empêchera le juge judiciaire de requalifier ces contrats et de retenir un abus de droit ? Les employeurs se verront ainsi engagés dans les contentieux que l’on pouvait connaître avant la loi de 1973 encadrant le licenciement – époque à laquelle j’étais malheureusement un peu jeune –...
M. Laurent Hénart, rapporteur. Mais déjà loquace !
M. Gaëtan Gorce. ...mais qui rappellera quelques souvenirs à d’autres.
C’est donc toute la jurisprudence qui existait voilà trente ans que l’on va revisiter au motif d’un contrat supposé modernisé et qui, en fait, précarise les relations du travail. Au-delà de toute nostalgie jurisprudentielle, le comportement des employeurs posera même d’autres problèmes, notamment en matière de respect des traités internationaux tels que les conventions de l’OIT, qui s’appliquent dans notre droit et qui pourront susciter des contestations devant les juges.
Autrement dit, la promesse que vous faites aux employeurs, est une fausse promesse, une tromperie, un abus de langage supplémentaire.
M. Jean-Jacques Descamps. Laissez les donc en juger !
M. Gaëtan Gorce. Ils n’auront pas les garanties que vous prétendez leur donner tandis que le salarié ne bénéficiera plus de celles que le code du travail lui assurait.
Telle est la réalité du contrat que vous nous présentez : un contrat de précarisation des salariés, qui ne présente pas toutes les garanties promises aux employeurs ; juste retour des choses après tout !
Vecteur de précarité, le contrat « première embauche », comme le contrat « nouvelles embauches », porte également une atteinte grave aux principes fondamentaux de notre droit du travail.
Cette exception d’irrecevabilité qui est l’occasion de balayer, si j’ose dire – les électeurs le feront au sens propre dans un an – l’ensemble de votre politique, a aussi pour objet d’examiner la constitutionnalité des dispositions que vous nous proposez.
M. Arnaud Lepercq. Ah !
M. Gaëtan Gorce. L’amendement n° 3, qui représente l’esprit même de votre politique, détermine le régime du contrat « première embauche » sur le même modèle que celui fixé pour le contrat « nouvelles embauches ». Certes, le Conseil constitutionnel puis le Conseil d'État ont provisoirement lavé de tout reproche le contrat « nouvelles embauches » des reproches juridiques qui lui étaient adressés : le Conseil constitutionnel, parce qu’il a limité son contrôle à la portée de l’habilitation ; le Conseil d’État, parce qu’il a exercé un contrôle écourté. On peut cependant penser que le Conseil constitutionnel n’acceptera pas forcément le parallélisme des formes pour le contrat « première embauche » : ce dernier méconnaît en effet à la fois – pardonnez du peu – notre Constitution et les engagements internationaux de la France.
Il méconnaît, d’abord, l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen s’agissant du principe de liberté, qui consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, les bornes de l’exercice des droits étant fixées par la loi.
Sur le fondement de ce texte, le Conseil constitutionnel a donné une valeur constitutionnelle au principe de réparation des dommages. Poursuivant l'évolution de sa jurisprudence, il a, dans sa décision du 9 novembre 1999 relative au pacs, et à laquelle je vous invite à vous reporter, affirmé : « [...] si le contrat est la loi commune des parties, la liberté qui découle de l'article 4 de la déclaration des Droits de l'homme et du citoyen de 1789 justifie qu'un contrat de droit privé à durée indéterminée puisse être rompu unilatéralement par l'un ou par l'autre des contractants, l'information du cocontractant, ainsi que la réparation du préjudice éventuel résultant des conditions de la rupture, devant être toutefois garanties ; qu'à cet égard, il appartient au législateur, en raison de la nécessité d'assurer pour certains contrats la protection de l'une des parties, de préciser les causes permettant une telle résiliation, ainsi que les modalités de celle-ci, notamment le respect d’un préavis. »
Ainsi, l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen impose au législateur de définir préalablement les hypothèses de rupture d'un contrat et lui interdit d'exclure le droit à réparation de la victime d'une rupture fautive d'un contrat de travail. Or l'amendement qui nous est soumis viole précisément ces deux principes fondamentaux. La rupture d'un contrat « première embauche » peut en effet intervenir pour n'importe quel motif : incompatibilité d'humeur,...
M. Jean-Charles Taugourdeau.L’incompatibilité est une cause de licenciement !
M. Gaëtan Gorce. ...perte de confiance, mésentente, pourront désormais justifier une rupture de contrat de travail alors même que la jurisprudence interdit tout licenciement pour des motifs notamment subjectifs.
Nous voici donc revenus trente ans en arrière, avant la loi du 13 juillet 1973, à l'époque où la rupture du contrat de travail n'était pas un droit causé, un droit motivé. Cette rupture sous le signe de l'arbitraire concernera au premier chef les jeunes. Génération précarisée, génération sacrifiée : ainsi pourrait être résumée la logique de votre projet.
Il y a bien là deux motifs d'inconstitutionnalité.
M. Arnaud Lepercq. Le premier et le second !
M. Gaëtan Gorce. J’espère, mon cher collègue, que vous serez toujours aussi clair dans vos démonstrations !
Alors que le Conseil constitutionnel – c’est le premier motif – exige de l'auteur de la rupture d'un contrat qu'il procède à l'information de son cocontractant, le CPE comme le CNE ne prévoient qu'une simple notification, laquelle paraît bien insuffisante. Mais c'est surtout dans son souci de protéger la partie la plus faible que le Conseil constitutionnel a toujours précisé que le législateur devait préciser préalablement la cause de la rupture – second motif d’inconstitutionnalité. En l’espèce, il ne fait aucun doute qu'un jeune nouvellement embauché constitue la partie la plus faible, l’élément le plus fragile du contrat de travail, celui qui est le plus exposé. Pourtant, les causes de son licenciement né lui seront jamais connues.
Plus grave encore peut-être, l'amendement ne prévoit aucune procédure contradictoire avant la décision de rupture prononcée par l'employeur. Une telle carence laisse planer un nouveau doute sur la constitutionnalité de ce texte.
M. Arnaud Lepercq. Troisième motif !
M. Gaëtan Gorce. En effet, le Conseil constitutionnel a consacré le droit de la défense au rang des principes à valeur constitutionnelle. L'application de ce principe a même été étendue aux procédures non juridictionnelles. Or le projet exclut l'application de l'article L. 122.14 du code du travail qui institue le principe de l'entretien préalable à tout licenciement individuel. Certes, s'agissant du contrat « nouvelles embauches », le Conseil d'État a résolu cette difficulté en imposant l'obligation de respecter une procédure contradictoire en cas de licenciement disciplinaire.
Puisqu’il existe, pourquoi limiter ce principe à la procédure disciplinaire, et pourquoi ne pas l'inscrire dans le texte, faisant ainsi en sorte que l’employeur soit clairement informé que, contrairement à ce qui lui est dit, il ne pourra licencier sans motif et sans conditions ? Surtout, pourquoi ce principe de la procédure contradictoire ne serait-il pas étendu au licenciement fondé sur des motifs inhérents à la personne, d'autant qu'il est consacré de manière générale par la convention n° 158 de l'OIT ?
En dépit de tous les efforts déployés par le Gouvernement pour tenter de justifier la légalité internationale de ce projet, la question du respect des dispositions de nos engagements internationaux, notamment de la charte sociale européenne comme de la convention n° 158 de l'OIT, demeure d'actualité.
Si le Conseil d'État, dans sa décision du 19 octobre 2005, a validé les dispositions de l'ordonnance relative au contrat « nouvelles embauches », on peut néanmoins s'interroger sur la solution retenue et sur la possibilité de sa transposition au contrat « première embauche » telle que pourra l'apprécier le Conseil Constitutionnel.
L'article 24 de la charte sociale européenne, approuvée par la loi du 10 mars 1999, prévoit que « en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s'engagent à reconnaître : le droit des travailleurs à ne pas être licenciés sans motif valable lié à leur aptitude ou conduite, ou fondé sur des nécessités de fonctionnement de l'entreprise. » Le projet est donc également en contradiction totale avec cette disposition. Si elle n'est pas reconnue d'applicabilité directe, c’est-à-dire si un salarié ne peut pas s’en prévaloir devant un juge, elle s'impose néanmoins au gouvernement français puisqu’elle s’applique aux États signataires qui ont ratifié la charte.
Plus problématique encore – et je vois bien que le doute commence à vous étreindre (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) – est la question de la conformité à la convention n° 158 de l'OIT. L'Organisation internationale du travail a en effet multiplié les conventions qui tendent à protéger les salariés. Celle-là concerne la cessation de la relation de travail à l'initiative de l'employeur.
Dans sa décision du 19 octobre 2005, le Conseil d'État a reconnu que cette disposition était d’application directe, ce qui signifie que des contentieux pourraient être déclenchés en contestation de la rupture des contrats de travail par les salariés eux-mêmes. Or cette convention dispose que : « un travailleur ne devra pas être licencié sans qu'il existe un motif valable de licenciement » – nous y revenons sans cesse – « lié à l'aptitude ou à la conduite du travailleur ou fondé sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise. » À première vue – restons aimables ! – le texte qui nous est proposé n'est pas conforme non plus à cette règle internationale.
La proximité de ce contrat avec le contrat « nouvelles embauches », validé par le Conseil d'État, ne manque pas de susciter des interrogations. La haute juridiction administrative a en effet considéré que l'ordonnance du 2 août 2005 n'a pas exclu que le licenciement puisse être contesté devant un juge puisqu’elle a retenu la notion d’abus de droit, revenant à la législation de 1973. Je le précise pour ceux qui suivent ! (Sourires.) Une telle analyse pose question au regard de la rédaction de la convention de l'OIT qui indique qu'il doit exister un motif de licenciement. Cette existence ne devrait-elle pas être appréciée au moment de la rupture plutôt qu’à celui de la contestation devant le juge ?
sCertes, le Gouvernement a fait état d’une dérogation à cette disposition. En effet, la même convention précise : « un membre pourra exclure du champ d’application de l’ensemble ou de certaines des dispositions de la convention, les travailleurs effectuant une période d’essai ou n’ayant pas la période d’ancienneté requise. » Nous sommes en plein dans le sujet. On peut penser, compte tenu de la rédaction de l’amendement, que le Gouvernement ne manquera pas d’invoquer une telle dérogation. Mais ce raisonnement est-il acceptable ?
Si les auteurs du projet s’étaient, semble t-il, au départ orientés vers un contrat avec une période d’essai de deux ans – du moins étaient-ce les termes employés ici même par le Premier ministre –, ils ont brusquement abandonné cette notion de période d’essai pour la remplacer par la notion de période dite de consolidation de l’emploi. Le changement se comprend aisément : il s’agit d’échapper à la condamnation que ne manquerait pas de provoquer la comparaison de cette période d’essai, et du peu de garanties qu’elle présente, avec la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail.
En effet, l’article 2 subordonne la dérogation au caractère raisonnable de la période d’essai. Or, si la convention n° 158 ne donne pas de définition précise de cette durée raisonnable, la jurisprudence de la Cour de cassation, elle, l’a fait. Elle a jugé déraisonnable une période d’essai de trois mois pour un coursier, une période d’essai de six mois pour un chargé de mission, une période d’essai de trois mois pour un cadre d’une société financière, une période d’essai d’un an pour un cadre supérieur. La période de deux ans que vous nous proposez, …
Mme Martine David. Elle est pour qui ? Pour un agent d’entretien ?
M. Gaëtan Gorce. …assimilable à la période d’ancienneté requise prévue par la convention n° 158, n’est certainement pas de nature à être considérée comme raisonnable. Cela est d’autant plus vrai pour le CPE que cette période de consolidation de l’emploi était, s’agissant du CNE, liée aux contingences économiques qui pèsent sur les petites entreprises.
Vous avez justifié le CNE par la difficulté des petites entreprises à recruter. Vous justifiez aujourd’hui le CPE par la difficulté des jeunes à être embauchés. On peut donc considérer que la période d’essai qui leur est donnée devrait assurer normalement leur protection et non pas celle de l’employeur. Dans ces conditions, la période de deux ans que vous proposez ne peut pas être considérée comme une période d’essai qu’on pourrait qualifier de raisonnable au regard de la législation internationale. Par conséquent, elle ne peut pas échapper au contrôle du juge.
Mme Martine David. Très intéressant !
M. Alain Vidalies. Lumineux !
M. Gaëtan Gorce. À ce titre, cette disposition mérite d’être censurée. Ce serait d’ailleurs d’autant plus utile que, comme je l’ai déjà indiqué, si vous échappez à ce contrôle, c’est l’employeur que vous aurez leurré avec le mirage du licenciement facile. Celui-ci risquera en effet de se retrouver embarrassé par des contentieux devant les cours juridictionnelles européennes portant sur la nature du licenciement opéré, sur l’absence de motif et sur l’absence de délai raisonnable.
Reste un dernier argument : la violation du principe de non-discrimination.
M. Alain Vidalies. Eh oui !
M. Gaëtan Gorce. L’ensemble de votre proposition est d’ailleurs fondée, d’une certaine manière, sur le principe de discrimination puisqu’il s’agit de mettre en place des dispositions différentes selon les catégories de population. Toutefois ce n’est pas à ce titre que je veux prolonger le raisonnement.
La Cour de justice des Communautés européennes a considéré, à de nombreuses reprises, que devaient être également appréciées en tant que discriminations les discriminations indirectes, c’est-à-dire les mesures ayant pour effet de provoquer une discrimination lors de leur application. Notamment dans le contrôle que le Conseil constitutionnel pourrait être amené à effectuer sur ce sujet, si ce n’est pas le juge qui le fait s’agissant de l’employeur, il serait possible que le juge soit conduit à demander à l’employeur si la mesure discriminatoire qui a été mise en place n’a pas pour conséquence d’entraîner une discrimination supplémentaire, autrement dit si ce ne sont pas les jeunes, les populations les plus fragiles qui sont licenciées le plus fréquemment avant l’échéance de deux ans.
En effet telle est bien la question qui nous est posée : votre contrat permettra-t-il l’insertion ? La plupart des jeunes en difficulté, des femmes, des personnes appartenant à différentes origines ethniques, seront-ils embauchés, au terme des deux ans, ou bien seront-ils en majorité licenciés avant l’échéance des deux ans ? Si c’est le cas, la démonstration aura été faite que votre texte conduit à une discrimination indirecte.
M. Arnaud Lepercq. Il ne faut pas être défaitiste comme ça. Positivez !
M. Gaëtan Gorce. De la même manière, si la démonstration ne peut pas être apportée par le Gouvernement français que ces discriminations auront permis de créer des emplois pérennes, au-delà des deux ans, on pourra considérer que les discriminations qu’il a mises en place sont contraires au principe de non-discrimination garanti par la Constitution et par nos engagements internationaux. Je vous remercie, messieurs les ministres, d’opiner du chef.
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Je vous écoute.
M. Gaëtan Gorce. Je ne voudrais pas mal interpréter votre attitude, mais vous aurez l’occasion de vous exprimer tout à l’heure.
On le voit, même le raisonnement juridique nous ramène à la question de fond qui est de savoir si la mise en place du contrat « première embauche », comme celle du contrat « nouvelles embauches », est de nature à favoriser effectivement l’embauche des jeunes et l’emploi. Peut-être réussiriez-vous à nous faire accepter l’ensemble des dysfonctionnements, des erreurs, des inégalités, des précarités que provoquera ce texte, si nous pouvions, enfin, être convaincus qu’il permettra de créer de l’emploi et de résoudre la question du chômage des jeunes.
C’est un beau sujet, un beau procès à plaider, mais remarquons que, au moment où s’engage ce débat, vous êtes mis dans une situation difficile car, sur cette question de l’emploi et du chômage, vous avez un déficit de crédibilité.
Oh ! certes, me direz-vous, nous pouvons aujourd’hui faire état d’une amélioration sensible de la situation de l’emploi depuis quelques mois, mais, au fond, pouvez-vous vraiment vous en réclamer ? En êtes-vous bien les responsables ? On a le sentiment que vous êtes restés passifs face à la montée du chômage, comme vous êtes passifs, d’une certaine manière, face à sa décrue.
M. Francis Delattre. C’est grâce à vous, c’est sûr !
M. Gaëtan Gorce. Comment expliquer les chiffres auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés ? J’ai été amené à me poser la question comme la plupart des Français car, pas plus dans nos communes que dans nos circonscriptions, nous ne voyons venir des gens qui nous expliquent que, grâce à votre gouvernement, ils ont retrouvé du travail.
M. Patrick Roy. Ça n’arrive jamais !
M. Gaëtan Gorce. Et pourtant, les chiffres du chômage diminuent. Il faut donc mettre ces chiffres en relation avec les chiffres de créations nettes d’emplois.
M. Patrick Roy. Eh oui !
M. Gaëtan Gorce. De ce point de vue, le résultat est nettement moins brillant puisque, au total, les créations d’emplois dans le secteur marchand ont été d’à peine 10 000 durant l’année 2005, le reste des embauches ayant été essentiellement constitué par les contrats aidés.
M. Francis Delattre. C’est mieux que moins 200 000 !
M. Gaëtan Gorce. Cela veut dire que vous avez utilisé des recettes assez classiques, qui consistent à jouer d’abord sur l’évolution de la population active, laquelle a diminué en 2005 ; ensuite, sur les contrats aidés, après, sur les radiations administratives, enfin, sur l’exclusion vers le RMI.
M. Jean-Jacques Descamps. Vive vingt ans de socialisme !
M. Gaëtan Gorce. Après le chômage, il y avait l’exclusion. Vous, vous avez inventé l’exclusion du chômage vers plus d’exclusion encore, le RMI.
M. Patrick Roy. Le nombre de RMistes n’a jamais été aussi élevé !
M. Gaëtan Gorce. Toutes ces ficelles mises bout à bout donnent les résultats que vous nous présentez. Toutefois puisqu’il ne se crée pas dans notre économie d’emplois de manière significative et durable, on ne peut pas conclure que la situation de l’emploi est en train de réellement s’améliorer.
La seule chose que vous faites en réalité, c’est de tirer les conséquences des erreurs que vous avez commises.
M. Jean-Jacques Descamps. On tire les conséquences des erreurs socialistes !
M. Gaëtan Gorce. Vous avez ainsi relancé, il y a quelques mois, les contrats aidés que vous n’aviez cessé de vouloir réduire et de condamner, dans vos discours comme dans vos budgets, pendant quatre ans.
M. René Dosière. Très bien !
M. Patrick Roy. Le RMI monte et les profits gonflent ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. Poursuivez, monsieur Gorce.
M. Gaëtan Gorce. Si la réalité de la situation s’explique par les emplois aidés, si les explications que j’ai données ne donnent pas finalement plus de grains à votre moulin, puisqu’on a le sentiment que vous n’êtes pas engagés dans une dynamique en matière de créations d’emplois, reste à savoir si le CNE et le CPE sont de nature à créer des emplois.
M. Jean-Jacques Descamps. Oui !
M. Gaëtan Gorce. Je veux bien pousser le raisonnement jusqu’à examiner dans le détail la question qui nous est posée.
Observons que cette mesure intervient comme une ultime solution, une ultime tentative après ce qu’il faut bien appeler l’échec de votre politique de l’emploi des jeunes. Vous portez en effet, cela a été rappelé par Henri Emmanuelli tout à l’heure, une lourde responsabilité dans la situation dans laquelle se trouvent les jeunes au regard du chômage. Le taux de chômage avait baissé spectaculairement de 1997 à 2002. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – « Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Descamps. Pas pour les jeunes !
M. Francis Delattre. Fantasme !
M. Gaëtan Gorce. Il a recommencé à augmenter en 2002.
À chaque fois que je tiens des propos qui fâchent parce qu’ils sont vrais, vous cherchez à m’interrompre.
M. Francis Delattre. Il ne faut pas dire de bêtises !
M. Gaëtan Gorce. Vous allez m’obliger à en ajouter chaque fois un peu plus.
M. le président. Veuillez continuer, monsieur Gorce. Si vous interpellez vos collègues, ils vont vous répondre.
M. Gaëtan Gorce. Il est évidemment désagréable d’observer que l’on a échoué là où ses adversaires ont réussi.
M. Francis Delattre. C’est vous qui n’êtes pas crédibles !
M. Gaëtan Gorce. Entre 1997 et 2002, plus de 1 million d’emplois ont été proposés aux jeunes : 900 000 dans le secteur marchand, dont 600 000 bénéficiant de contrats en alternance, et 200 000 dans le secteur non-marchand au travers des emplois jeunes.
M. Gabriel Biancheri. Ce n’a pas été grâce à vous : il y avait la croissance !
M. Arnaud Lepercq. Il s’agissait d’emplois précaires, sans formation !
M. Gaëtan Gorce. Aujourd’hui, ce sont à peine 250 000 contrats en alternance qui ont été signés et 120 000 contrats de professionnalisation, qui peinent à démarrer au regard des engagements que vous aviez pris.
Si je compare également les 50 000 contrats jeunes en entreprise aux 150 000 emplois jeunes, si je fais la comparaison avec les contrats aidés que vous avez supprimés, puis lentement réinstallés, c’est un déficit annuel de près de 100 000 emplois aidés en direction des jeunes qui vous est imputable. Mesurera-t-on un jour le poids de ce déficit sur la crise que nous avons connue dans les banlieues ? Ces chiffres ne sont-ils pas la conséquence de la suppression des emplois jeunes, notamment dans les écoles, de la suppression des éducateurs, de la suppression des policiers auxiliaires ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean-Jacques Descamps. Vive les déficits !
M. Francis Delattre. Oui, tous ces emplois jeunes que vous aviez oublié de financer !
M. Gaëtan Gorce. On ne peut pas établir une corrélation automatique, mais le fait que vous fassiez la corrélation inverse montre bien à quel degré de mauvaise fois vous êtes contraints. Oui, 100 000 emplois de moins pour les jeunes, alors que ce sont 300 000 chômeurs de moins que nous devrions avoir aujourd’hui si vous aviez poursuivi la politique que nous avions initiée en direction des jeunes.
M. Francis Delattre. Avec des emplois non financés !
M. Gaëtan Gorce. Voilà la vérité que vous avez du mal à admettre.
Cela étant je ne veux pas prolonger avec vous une polémique qui, forcément, se retournera contre vous parce que les chiffres sont là.
M. Arnaud Lepercq. Les chiffres sont trompeurs !
M. Gaëtan Gorce. Je veux essayer de regarder plus directement et plus concrètement la situation des jeunes par rapport à l’emploi aujourd’hui et les mesures que vous proposez.
M. Francis Delattre. Ils n’étaient plus financés, vos emplois jeunes !
M. Patrick Roy. La droite les a supprimés !
M. Gaëtan Gorce. Le contrat « première embauche » que vous nous proposez présente au moins deux grands défauts.
D’abord, il cible les jeunes d’une manière spécifique alors que ce niveau de généralité peut et doit être discuté. Certes, il existe une spécificité du chômage des jeunes puisque si on élimine tous ceux qui sont en milieu scolaire, le taux de chômage des jeunes représente près de deux fois celui du reste de la population.
M. Pierre Micaux. Il y a des années que vous le répétez : Nous avons compris !
M. Francis Delattre. Des victimes du socialisme !
M. Gaëtan Gorce. Cependant il faut aller plus loin, car l’évolution du chômage des jeunes répond en réalité à un double facteur.
D’une part, il « surréagit » à la conjoncture. Lorsqu’on ne crée pas d’emplois et que le chômage s’aggrave, les jeunes sont les premières victimes parce que, souvent embauchés sur des contrats précaires, ils sont licenciés. À l’inverse, lorsque la conjoncture reprend et que le chômage baisse, que l’emploi est positif, les jeunes sont les premiers à en profiter, parce qu’ils sont les premiers et les plus nombreux à se présenter sur le marché du travail. La première réponse à apporter passe donc par le soutien à la croissance et à la création d’emploi. C’est à partir de cela que l’on peut trouver une solution au chômage des jeunes, mais vous en êtes incapables.
M. Francis Delattre. Si vous étiez si capables, vous auriez gagné l’élection présidentielle !
M. Gaëtan Gorce. Ne vous inquiétez pas, mon cher collègue, nous nous retrouverons en 2007 et l’on fera le bilan devant les électeurs de ce que vous avez fait et de ce que nous proposons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Michel Vergnier. Êtes-vous certains de les avoir gagnées, les élections ?
M. Gaëtan Gorce. Le second facteur est lié à l’évolution à long terme du marché du travail.
On peut penser que les formes d’emploi des jeunes sont une anticipation des pratiques d’embauche des entreprises. Si les jeunes sont plus nombreux aujourd’hui dans des contrats précaires, c’est que, depuis vingt ans, les entreprises ont recruté de plus en plus pour leurs premières embauches à l’aide de contrats précaires et que les jeunes se présentant pour une première embauche ont été les premiers à en bénéficier, si j’ose dire. Cela montre d’ailleurs la limite de votre contrat « première embauche » car il n’aura pas pour effet de limiter la précarité qui est déjà la réalité des jeunes : il ne fera que l’accompagner ; il n’apportera pas de solutions concrètes.
On est en fait en droit de se demander si les jeunes sont concernés par un problème qui leur serait totalement spécifique ou s’ils ne sont pas, au contraire, les premières victimes des pratiques d’embauche précaire. Dans cette hypothèse, cela voudrait dire que la seconde action qu’il faudrait engager devrait porter non seulement sur la croissance, mais également sur le comportement de recrutement des entreprises, en combattant notamment le recours aux contrats précaires, grâce, par exemple, à la modulation des cotisations sociales en fonction des comportements d’embauche des entreprises, comme l’a proposé mon collègue Alain Vidalies à de nombreuses reprises.
M. Jean-Jacques Descamps. C’est le Soviet suprême !
M. Gaëtan Gorce. Ainsi, nous pourrions agir efficacement sur la situation de l’emploi des jeunes.
Par ailleurs si votre mesure cible trop et ne prend pas en compte cette réalité du marché du travail, elle repose sur une seconde erreur d’appréciation, celle qui consiste à globaliser la jeunesse en recherche d’emploi, à lui appliquer une mesure générale alors que les situations sont différentes, en particulier selon le niveau de qualification.
Faut-il rappeler à cet égard que 660 000 jeunes quittent chaque année l’école avec, au mieux, un brevet, et que 90 000 en sortent sans aucun diplôme.
M. Arnaud Lepercq. La faute à qui ?
M. Gaëtan Gorce. Quel argument indigent ! Si vous ne portez pas votre part de responsabilité, alors nous non plus et si vous en portez une, peut-être pourrions-nous la partager. En tout cas c’est vous qui êtes aux responsabilités depuis quatre ans et la situation n’a cessé d’empirer, ce qui fait que nous pouvons porter un jugement sur ce que vous faites autrement plus sévère que celui que vous avez tendance vous-même à proférer. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Le contrat « première embauche » n’apporte pas de solution à ces jeunes directement.
M. Francis Delattre. Que proposez-vous ?
M. Maurice Giro. Rien, comme d’habitude !
M. Gaëtan Gorce. Il aura pour effet, au contraire, d’étendre la précarité.
M. Francis Delattre. C’est du Fabius ! du Hollande ! du Ségolène !
M. Gaëtan Gorce. En effet, comme je l’indiquais, le contrat « première embauche » s’appliquera à l’ensemble des jeunes, aux jeunes surdiplômés comme aux jeunes sous-diplômés.
M. Jean-Michel Fourgous. Quand allons-nous passer aux 32 heures ?
M. Gaëtan Gorce. Oh ! monsieur Fourgous, si le MEDEF vous a libéré de vos obligations, il n’est pas nécessaire de vous manifester dès maintenant. (Applaudissements sur divers bancs du groupe socialiste.)
M. Patrick Roy. Quelle force, ce Gorce !
M. Céleste Lett. Cela vole vraiment bas !
M. Gaëtan Gorce. L’effet de substitution et l’effet d’aubaine joueront à plein. À partir du moment où vous prévoyez une exonération des charges sociales pour un jeune ayant six mois de chômage, les entreprises seront forcément tentées de reporter le recrutement du jeune à l’issue de cette période plutôt que de l’embaucher dès son entrée sur le marché du travail. Par ce biais, vous aggraverez la précarité.
Oui, c’est bien une autre politique qu’il faudrait. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Gabriel Biancheri. Laquelle ?
M. Gaëtan Gorce. Avant tout, il faudrait une autre majorité pour la conduire. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Cette autre majorité, nous allons la constituer l’an prochain.
M. Jean-Michel Fourgous. Il faudrait doubler l’ISF !
M. Gaëtan Gorce. Cette autre politique devrait consister à encourager, comme nous l’avons fait lorsque nous étions aux responsabilités, l’élévation continue du niveau de formation initiale.
M. Francis Delattre. C’est du Fabius ! du Hollande ! du Ségolène !
M. Gaëtan Gorce. Vous avez fait de l’école votre adversaire (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) ; nous en ferons notre alliée dans la création d’emplois. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
D’abord, nous soutiendrons l’enseignement professionnel. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Oui, nous, nous croyons à l’effet bénéfique de l’école. Nous ne croyons pas à l’apprentissage à quatorze ans. Nous pensons que chaque jeune a le droit de pouvoir poursuivre sa scolarité dans des conditions adaptées avant de tourner sur le marché du travail. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Michel Vergnier. Ils ne connaissent pas l’école !
M. Gaëtan Gorce. Ensuite, nous développerons les formules qui rapprochent les études et la formation. Il faudrait, par exemple, relancer résolument l’ensemble des formations en alternance qui subissent, depuis que vous êtes au pouvoir, un curieux déficit de près de 100 000 contrats, comme je l’ai déjà souligné. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Il conviendrait aussi de réduire les inégalités d'accès à la formation, grâce à l'ouverture, pour chaque jeune, d'un compte individuel de formation alimenté à un niveau d'autant plus élevé qu'il aura quitté l'école plus tôt.
Enfin, il faudrait mettre en place un véritable encadrement de ces démarches d’insertion, tant au niveau du bassin d'emploi que d’un point de vue juridique, à travers un contrat pour lequel on peut trouver des dénominations diverses mais qui permettrait de rassembler tous les éléments de nature à garantir l’insertion des jeunes les plus en difficulté : une rémunération, une protection sociale, la capacité d’acquérir des droits, une formation et un accompagnement.
M. Gilbert Meyer. Il faut du travail !
M. Gaëtan Gorce. Il est également indispensable de réserver les allégements de cotisations à l’embauche des jeunes les plus en difficulté.
Voilà la politique qu’il faudra conduire si l’on veut être efficace en matière d’insertion professionnelle des jeunes.
M. Jean-Michel Fourgous. C’est de l’incompétence ! Ni expérience, ni compétence : que du bla-bla !
M. Gaëtan Gorce. Or tel n’est pas votre objectif. Votre objectif est, d’une manière cynique, de prendre le prétexte de la crise des banlieues pour précariser le contrat de travail et le contrat à durée indéterminée. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
C’est la raison pour laquelle le débat sur le fond ne vous intéresse pas. Vous ne cherchez que la polémique et le conflit, là où nous essayons d’apporter des propositions et d’avancer par la concertation. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean-Michel Fourgous. Vous vendez de la haine !
M. Gaëtan Gorce. Au total, si l’on peut douter de l’efficacité de ces mesures pour l’emploi, c'est qu'elles reposent sur une analyse biaisée, selon laquelle la flexibilité serait la mère des futurs emplois et qu'il conviendrait, par conséquent, de s'attaquer aux protections sociales, dénoncées comme autant d'obstacles au dynamisme économique.
Vous vous reposez, à ce sujet, sur un grand nombre d’idées fausses, sur des affirmations jamais vérifiées et qui méritent d’être contestées ici. Vous prétendez que la France se porterait mieux avec plus de contrats précaires.
M. Jean-Jacques Descamps. Plus de souplesse, c’est différent !
M. Gaëtan Gorce. Cette affirmation est erronée, parce que partielle. Il est possible que, si les entreprises pouvaient conclure des contrats de travail qui ne donnent aucune garantie au salarié, elle pourraient produire un peu plus. Tout comme il est vrai que les entreprises qui construisent des immeubles pourraient se dispenser de mesures de sécurité vis-à-vis de leurs salariés ; il y aurait sans doute alors plus de constructions. Est-ce une raison néanmoins pour remettre en cause le code de la construction ? Je n’en suis pas sûr !
M. Jean-Charles Taugourdeau. Vos propos sont scandaleux, insultants !
M. Jacques-Alain Bénisti. Il ne sait pas ce qu’est une entreprise !
M. Gaëtan Gorce. Votre raisonnement repose aussi sur l'idée fausse – et plus grave – que c'est au salarié d’assumer les risques liés à la compétition économique. On touche là à la question de fond : l’ensemble des mesures que vous préconisez vise à renforcer les garanties de l’employeur au détriment de celles du salarié, qui devrait désormais supporter les conséquence de la concurrence mondiale. C’est une inversion complète des principes de notre droit du travail et de notre protection sociale.
M. Jean-Michel Fourgous. Nationalisez tout ! Il n’y aura plus de problème !
M. Gaëtan Gorce. Je le souligne avec d’autant plus de force qu’il n’a jamais été démontré que la protection de l’emploi est l’ennemi de l’emploi. Même l’OCDE, longtemps le défenseur le plus acharné de cette conception, indique, dans ses perspectives pour l’emploi de 2004, qu’il n’existe aucun lien avéré et démontrable entre un niveau de protection de l’emploi donné et le niveau de chômage ou le niveau de création d’emplois.
M. Jean-Michel Fourgous. Il n’y a qu’à interdire les licenciements !
M. Gaëtan Gorce. Or vous ne cessez de nous expliquer – et c’est le pari que vous avez pris – que ce sont au contraire ces protections qu’il faut affaiblir. Ainsi tout votre texte est en contradiction avec les conclusions de l’OCDE.
Ce qui pose problème dans ce débat, c’est que vous voulez faire croire à nos concitoyens qu’il n’existe pas d’autre alternative que celle entre le changement – avec les régressions qu’il implique au travers de votre politique – et la résistance que vous qualifieriez d’immobilisme.
M. Jean-Michel Fourgous. Ce sont votre obscurantisme économique et votre incompétence qui posent problème !
M. Gaëtan Gorce. Nous ne pouvons accepter cette caricature. Sans doute devons-nous tirer les conséquences de l’évolution de notre société, des conditions dans lesquelles travaillent nos entreprises et dans lesquelles s’exerce la concurrence.
M. Jean-Michel Fourgous. Il n’y a qu’à interdire la concurrence ! Restaurez le communisme !
M. Gaëtan Gorce. Toutefois cette prise en compte ne saurait être un prétexte pour réduire les droits. Elle doit au contraire servir à les moderniser et à les ajuster.
Vous avez choisi la régression. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Nous ne choisirons pas l’immobilisme, mais les vraies réformes…
M. Guy Geoffroy. Lesquelles ?
M. Gaëtan Gorce. …celles qui auront le soutien des Français, celles qui seront négociées avec les partenaires sociaux et permettront d’ouvrir des perspectives.
La seule perspective que vous donnez à nos concitoyens aujourd’hui, c’est un avenir qui ne pourra être synonyme que de régression sociale. En leur laissant penser ainsi que leur mobilisation au travail et dans la société n’aura pour effet que de réduire et leur pouvoir d’achat et leurs droits, vous ne mesurez pas les conséquences de votre politique.
M. Jean-Michel Fourgous. Doublons donc la taille du code du travail ! Il n’y aura plus de problèmes !
M. Gaëtan Gorce. La responsabilité de la gauche et d’un mouvement socialiste…
M. Jean-Jacques Descamps. Archaïque !
M. Gaëtan Gorce. …mobilisé sera au contraire d’expliquer que, si le changement est nécessaire, il peut intervenir dans la cohésion sociale, en garantissant l’alliance entre le progrès économique et le progrès social. Vous opposez, vous, l’un à l’autre sans avoir ni la croissance, ni le progrès économique, ni la solidarité. Vous avez, au contraire, une société en crise et en régression.
Je vous invite donc, mes chers collègues, à voter avec le maximum d’énergie, l’exception d’irrecevabilité que je viens de vous présenter. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. Henri Emmanuelli. C’est quand même autre chose que Jean-Michel Dubernard !
M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Denis Jacquat, pour le groupe de l’Union pour un mouvement populaire.
M. Denis Jacquat. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, j’ai écouté attentivement M. Gorce qui, comme d’habitude, a fait une intervention très fluide mais constamment polémique et, par conséquent, extrêmement décevante.
La préoccupation de l’UMP est l’emploi des jeunes.
M. Guy Geoffroy. Absolument !
M. Denis Jacquat. Résoudre le chômage des jeunes est pour nous une priorité nationale. Vous connaissez parfaitement la vérité en matière de chômage des jeunes, monsieur Gorce.
Mme Martine David. C’est vous qui ne la connaissez pas !
M. Denis Jacquat. Vous êtes un homme instruit et intelligent, mais vous devenez toujours amnésique en séance publique. En effet, même en période de forte croissance, le taux de chômage des jeunes n’est jamais descendu en France en dessous de 16 %, et ce taux s’est dégradé non pas en 2002, comme vous voudriez nous le faire croire de façon démagogique, mais à partir d’avril 2001 : alors qu’il était de 16 % à cette date il atteignait 17,2 % un an plus tard, en dépit des emplois-jeunes. Pire, cette dégradation affectait en priorité les jeunes sans qualification. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Bernard Roman. Et maintenant ?
M. Denis Jacquat. Pour gagner cette bataille de l’emploi des jeunes, il faut, en profondeur, des actions concrètes et cohérentes. Souvenons-nous de la phrase de ce Premier ministre étranger, déclarant ici même : « Ce qui compte, c’est ce qui marche. »
Faciliter l’insertion sociale et professionnelle des jeunes par l’emploi doit être notre devise, car l’emploi est la clef principale de l’insertion. Il n’y a pas de solution miracle, mais, avec de la volonté, du courage, de l’imagination et de l’obstination, nous pouvons obtenir des résultats ; les ministres les ont évoqués.
Pourquoi alors critiquer le dispositif d’apprentissage junior qui est une excellente proposition et a fait ses preuves dans notre pays ? En Alsace-Moselle, nous avons expérimenté le préapprentissage s’adressant à tous les jeunes à partir de quatorze ans qui possédaient un socle de connaissances. Dans nos trois départements, tous les élus, de gauche comme de droite, peuvent témoigner que cela a été efficace.
« On peut toujours rêver ! » s’est exclamé tout à l’heure un député de gauche, quand le ministre a évoqué les ZFU. Leur bilan est cependant positif : des emplois ont été créés pour les personnes habitant ces zones, conformément à notre but qui reste de maintenir et de créer des emplois.
M. Jean Leonetti. Très bien !
M. Denis Jacquat. Pourquoi tant de hargne contre le CPE ? C’est un CDI dont la période de consolidation de deux ans offre des garanties annexes supérieures à n’importe quel CDD. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.). Ce que nous voulons, c’est rompre la spirale de la précarité !
M. Patrick Roy. Mensonges !
M. Christian Paul. Vous êtes au pouvoir depuis quatre ans !
M. Alain Néri. Il n’y a que vous qui y croyez !
M. Denis Jacquat. Le texte met en place un contrat de responsabilité parentale. Pourquoi le refuser ? Beaucoup de familles habitant dans les quartiers sensibles et des enseignants y travaillant nous le demandent.
Monsieur Gorce, nous n’avons pas de leçon à recevoir de votre part en matière de dialogue social. Je n’aurai pas la cruauté de vous rappeler les propos peu enthousiastes des partenaires sociaux sur la manière dont votre majorité avait modifié le code du travail avec la loi de modernisation sociale, cela sans aucune consultation des syndicats.
L’exception d’irrecevabilité déposée contre ce projet de loi n’est en fait que le prétexte à une tribune de politique politicienne. Elle procède de la volonté de ralentir l’étude du texte, dont vous craignez qu’il ne soit bénéfique pour les jeunes. C’est la raison pour laquelle nous ne voterons pas cette motion. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer, pour le groupe Union pour la démocratie française.
M. Francis Vercamer. « Égalité des chances » est un titre qui pourrait faire rêver et rassembler l’ensemble des parlementaires autour d’une même ambition.
M. Christian Paul. C’est mal parti !
M. Francis Vercamer. Il s’agit de l’un des piliers de notre devise républicaine, avec la fraternité, laquelle est à l’œuvre dans la lutte contre les discriminations.
Malheureusement, lorsque j’écoute le Gouvernement et le président de la commission qui nous disent que ce texte a été suscité par les violences urbaines, j’ai le sentiment que la France a ouvert les yeux et découvert la crise des banlieues, comme si elle avait surgi dans nos quartiers au mois de novembre dernier.
M. Patrick Roy. Ils n’y vont jamais !
M. Francis Vercamer. Selon ceux qui vivent dans ces quartiers, cette crise était pourtant inévitable.
Demandons-nous dès lors si le texte est à la hauteur de l’enjeu. (« Non ! Non ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
C’est un texte un peu hétéroclite, si l’on en juge par ses cinq titres. Certaines des mesures qu’il propose sont bonnes, d’autres sont détestables.
Avant toute chose cependant, c’est la méthode que je critiquerai. L’urgence déclarée, l’avancée de quinze jours dans le calendrier de l’examen du texte, l’insertion dans celui-ci du contrat « première embauche » par voie d’amendement sont autant de procédés détestables qui démontrent un mépris du Parlement que nous ne pouvons que dénoncer. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)
Il est encore plus inadmissible que le texte présenté n’ait pas fait l’objet de discussions avec les partenaires sociaux alors que le Gouvernement, il y a quelques années, indiquait par la voix de son ministre des affaires sociales que tout texte traitant de l’emploi devait être discuté avec eux.
Pour en revenir enfin aux mesures annoncées, certaines sont bonnes et nous aurons l’occasion d’en traiter dans le cours du débat. D’autres sont en revanche discriminantes ; elles créent pour l’entreprise de l’insécurité juridique et pour le salarié de la précarité ; je veux parler, naturellement du contrat « première embauche », auquel le groupe UDF est opposé. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Il est toujours possible de discuter du degré de précarité, de considérer la période d’essai comme une avancée par rapport à d’autres formes de contrats. C’est peut-être vrai, mais il me semble, quoi qu’il en soit, qu’une entreprise aura plutôt tendance à offrir à un jeune ce CPE au lieu d’un CDI, ce qui correspond à une discrimination par rapport au salarié « normal ». On peut donc se demander ce que vient faire, dans un texte sur l’égalité des chances, un CPE qui amoindrit les droits du salarié.
Mme Martine David. Bonne question !
M. Francis Vercamer. En ce qui concerne l’insécurité juridique, monsieur Gorce a rappelé que la convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail indique qu’une période d’essai doit être raisonnable. Or deux ans de période d’essai constituent-ils un délai raisonnable ? Faut-il, dans ces conditions, accroître, en ajoutant les CPE aux 250 000 CNE déjà créés, l’insécurité juridique qui pèse sur les entreprises ? Ce n’est pas mon avis. Nous ne pouvons donc nous satisfaire de ce contrat.
Pour autant nous ne voterons pas la motion. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) En effet, il y a quelques années les socialistes avaient agi de même avec les emplois-jeunes qui étaient aussi des contrats précaires. Ne faisant pas plus confiance à la gauche qu’à la droite, le groupe UDF s’abstiendra donc.
M. Francis Delattre. Allez, encore un effort !
M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies, pour le groupe socialiste.
M. Alain Vidalies. Il est intéressant de voir comment ont évolué les analyses auxquelles la majorité et le Gouvernement se sont livrés depuis quatre ans.
Dans un premier temps, on a critiqué, dans cette assemblée, l’interventionnisme, la gauche, remettant ainsi en cause la politique qui avait été menée en matière d’emploi. On a supprimé les emplois-jeunes,…
M. Francis Delattre. Vous ne les aviez pas financés !
M. Alain Vidalies. …le programme TRACE, et nous avons entendu ici de brillantes démonstrations économiques sur la politique de l’offre qui devait tout régler.
M. Bernard Roman. Eh oui !
M. Alain Vidalies. Cependant, la catastrophe s’annonçant en raison des injustices fiscales et de votre politique économique, la situation évolue et on reparle du traitement social du chômage. Quelle subite conversion ! La seule chose qui ne change pas, c’est l’enthousiasme du groupe UMP qui applaudit tout, même quand c’est contradictoire. Mais enfin, n’est-ce pas la fonction du groupe majoritaire dans cet hémicycle ?
On parle donc de nouveau de programmes aidés, puis, au mois d’août 2005, on voit tout à coup arriver une nouvelle théorie selon laquelle le code du travail serait un frein à l’embauche pour les petites entreprises. À ce moment là, messieurs les ministres, nous avons eu droit à des morceaux choisis par lesquels vous nous expliquiez que nous avions une vision trop globale du code du travail, qu’il fallait une dérogation uniquement pour les petites entreprises, parce qu’il y avait une philosophie, une éthique particulière. Or, quelques semaines plus tard, tout cela est faux. Tout a changé. Maintenant, la démonstration vaut non plus pour les petites entreprises, mais pour les jeunes. Allez comprendre la cohérence ! La seule chose qui soit permanente, c’est la force de vos convictions.
M. Bernard Roman. Très bien !
M. Alain Vidalies. Nous en arrivons donc à ce fameux CPE. On peut être libéral, excessif – il n’y a pas de honte à cela –, mais il faut assumer. Or, en l’occurrence, vous nous dites que ce contrat, que l’on pourra résilier chaque jour pendant deux ans, est un contrat à durée indéterminée. Vous y allez un peu fort ! Le concept juridique correspondant à ce que vous nous proposez, est plutôt celui du contrat journalier. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
Pour retrouver un texte comparable au CPE dans notre droit du travail, ce n’est pas à 1973 qu’il faut remonter ; ce n’est même pas à 1928, mais à 1890 !
Mme Martine David. Quelle modernité !
M. Alain Vidalies. Cela est révélateur de ce que sont vos convictions en la matière. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Avec son talent habituel, Gaëtan Gorce a démontré le bien-fondé de cette motion. En effet, en raison de leur caractère extrêmement régressif, les dispositions que vous nous proposez violent les conventions de l’OIT qui ne sont pourtant pas ce qu’il y a de mieux sur le plan du droit du travail. Pour protéger les salariés français, il faut donc voter cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Goldberg, pour le groupe des député-e-s communistes et républicains.
M. Pierre Goldberg. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, au cours de la séance des questions au Gouvernement le groupe des député-e-s communistes et républicains a dit sa plus grande opposition au contrat « première embauche ». Nous considérons en effet qu’il s’agit d’une attaque de grande envergure sans précédent contre le droit au travail. Nous considérons que la finalité de cette démarche au service du grand patronat et du MEDEF est de favoriser la précarisation à l’extrême de l’emploi. Nous n’hésitons pas à dire que, avec le CPE, c’est la France tout entière qui recule.
Quel que soit l’angle sous lequel on l’examine, ce projet est irrecevable et nous espérons que les Français, les jeunes, le diront la semaine prochaine avec le groupe communiste, avec la gauche. Voilà pourquoi nous voterons cette exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
M. le président. Je mets aux voix l’exception d’irrecevabilité.
(L’exception d’irrecevabilité n’est pas adoptée.)
M. le président. Ce soir, à vingt-deux heures, troisième séance publique :
Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 2787, pour l’égalité des chances :
Rapport, n° 2825, de M. Laurent Hénart, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures vingt.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral
de l’Assemblée nationale,
jean pinchot