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Question préalable de M. Jean-Marc Ayrault.
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à vingt-deux heures.)
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi pour l’égalité des chances (nos 2787, 2825).
M. Gaëtan Gorce. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce, pour un rappel au règlement.
M. Gaëtan Gorce. Ce rappel au règlement se fonde sur l’article 58, alinéa 2 du règlement de notre assemblée.
Je tiens à déplorer que, malgré un débat assez fourni, le Gouvernement n’ait pas jugé utile de répondre aux questions que nous avons soulevées quant à l’inconstitutionnalité possible du texte dont nous débattons. Nous souhaiterions donc connaître l’explication – ou, du moins, la défense – du Gouvernement.
Nous avons, quant à nous, apporté un grand nombre d’arguments – que je ne reprendrai pas – permettant de douter de la conformité de ce projet de loi avec la Constitution et avec les engagements internationaux de la France, comme la convention 158 de l’OIT.
Je regrette donc que le Gouvernement n’ait pu éclairer la représentation nationale sur son interprétation de cette question d’une grande importance et à propos de laquelle il est probable que le Conseil constitutionnel aura à se prononcer à l’issue de nos débats.
M. le président. Monsieur Gorce, acte vous est donné de ce rappel au règlement.
Monsieur Durand, sans doute voulez-vous nous confirmer que vous êtes prêt à exposer la question préalable du groupe socialiste.
M. Yves Durand. Monsieur le président, vous lisez dans mes pensées ! (Sourires.)
Afin toutefois que M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement ou M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes puissent préparer leur réponse à la question posée par M. Gorce, je demande une suspension de séance.
M. le président. La suspension est de droit, puisque vous avez la délégation de votre groupe.
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-deux heures cinq, est reprise à vingt-deux heures dix.)
M. le président. La séance est reprise.
M. le président. J’ai reçu de M. Jean-Marc Ayrault et des membres du groupe socialiste une question préalable, déposée en application de l’article 91, alinéa 4, du règlement.
M. Alain Vidalies. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies, pour un rappel au règlement.
M. Alain Vidalies. Nous avons interrogé le Gouvernement sur certains points qui intéressent les Français et touchent au débat démocratique. Il ne s’agit pas seulement d’arguments politiques : ceux-là seront développés ultérieurement.
Sur la conformité de son texte avec les directives européennes et la convention de l’OIT, le Gouvernement doit apporter une réponse et faire connaître son analyse, sans se contenter de hausser les épaules ou de nous laisser interpréter son silence. Le débat est important, et l’est d’autant plus que les arguments qui auront été exposés seront examinés par le Conseil constitutionnel.
La méthode que vous avez choisie vous a permis, pour ce dispositif particulier du contrat première embauche, ou CPE, d’échapper à l’application des dispositions de la Constitution qui exigent que les textes que vous nous soumettez soient préalablement examinés par le Conseil d’État : vous étendez au CPE un avis précédent, rendu à propos du contrat nouvelles embauches. Ces contorsions d’interprétation de la Constitution sont incompatibles avec le respect des droits de l’opposition et du débat démocratique.
Un dispositif essentiel est examiné non comme un projet de loi, mais comme un amendement de plusieurs pages, parvenu à la commission en cours de débat et examiné dans des conditions singulières, sans même avoir été soumis au Conseil d’État, et la seule réponse que nous obtenons de votre part est votre silence : vous comprendrez que nous puissions l’interpréter comme une marque de dédain. Ce n’est pas acceptable ! Il faut nous répondre.
Pour que ce débat que les Français attendent, qu’ils regardent et qu’ils écoutent se poursuive dans de bonnes conditions, le Gouvernement doit accepter d’échanger des arguments, sans se contenter de renvoyer l’opposition à sa condition minoritaire. Ce serait nier l’essence même de cette maison, où l’on a voulu échanger des arguments plutôt que d’opposer à la minorité la force de la majorité.
Nous restons donc dans l’attente des arguments que le Gouvernement peut développer en réponse aux objections que nous avons formulées en défendant l’exception d’irrecevabilité. Au besoin, nous poserons de nouveau nos questions.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes.
M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Monsieur Vidalies, nous comptions apporter une réponse globale mais, puisque vous abordez le sujet de la convention n° 158 de l’OIT, je vais dès maintenant vous apporter les éclairages du Gouvernement.
M. Alain Vidalies. Voilà !
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Je rappelle que cette question a été au centre des débats devant le Conseil d’État au moment où a été examinée l’ordonnance relative au CNE. Le Conseil d’État a jugé que le contrat nouvelles embauches était conforme à cette convention dès lors qu’il entrait dans le champ des dérogations autorisées à l’article 2 de ladite convention, la période de consolidation de deux ans devant être regardée comme « raisonnable » – le Conseil d’État l’a confirmé le 19 octobre dernier. Il en résulte que le licenciement n’est pas subordonné à l’exigence d’une cause réelle et sérieuse au sens où l’entend la jurisprudence, ni lié à celle d’un motif valable au sens de la convention OIT.
Pour autant, la rupture du CNE – nous avons déjà eu l’occasion d’échanger sur ce sujet – n’est pas de nature discrétionnaire. En effet, elle est soumise au contrôle du juge, qui pourra vérifier, d’une part, l’absence d’abus de droit, et, d’autre part, le fait que le motif de licenciement ne repose pas sur une cause illicite. Je voudrais rappeler notamment les articles L. 122-25, L. 122-32-2, L. 122-32-7, L. 122-45, L. 122-46 et L. 122-49 du code du travail, auxquels il n’est pas dérogé. Cela veut dire concrètement qu’une rupture liée à l’état de santé du salarié, à sa situation de salarié protégé, à l’inaptitude médicale, aux opinions, qu’elles soient politiques ou religieuses, ou encore à son mode de vie ou à tout autre motif discriminatoire, ne peut tenir. Cette règle s’applique au contrat nouvelles embauches et aussi au contrat première embauche. Nous ne sommes donc pas devant un désert du droit par rapport au code du travail.
Je voudrais dire d’ailleurs que cette convention n° 158 de l’OIT a été évoquée pour d’autres pays. Le cas de l’Espagne est assez éclairant car le gouvernement Zapatero n’a pas remis en cause les dispositifs qui avaient été mis en place, ce qui fait qu’aujourd’hui, non pas 10 % mais 45 % des salariés espagnols sont embauchés sous un régime assez proche du contrat nouvelles embauches, mais sans le dispositif de sécurisation dont nous l’avons assorti. Naturellement, après les évaluations que Jean-Louis Borloo a annoncées – je crois savoir après avoir écouté le rapporteur qu’il en sera de même, ce que nous souhaitons, pour le contrat premier embauche –, nous comptons améliorer ce dispositif de sécurisation, parce que plus de souplesse du marché du travail, c’est plus de sécurisation du parcours professionnel. Je dois vous dire que, dans le cadre de la convention que le ministère du travail a signée avec le ministère du travail espagnol, il y a la sécurisation du parcours professionnel, à propos de laquelle les Espagnols nous ont manifesté leur intérêt.
J’ai l’honneur de représenter notre pays auprès de l’OIT. Croyez-moi, ce sont des sujets auxquels nous portons la plus grande attention.
J’aurai l’occasion de répondre plus tard sur d’autres points, car tout à l’heure M. Gorce a fait dans son exposé – qui était naturellement de qualité – une petite approximation concernant le droit communautaire. À cette occasion, je préciserai que le PACS n’est pas de même nature que le contrat de première embauche et que les autres contrats dont nous débattons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Alain Vidalies. Vous en dites trop, ou trop peu ! Ne nous laissez pas sur notre faim, monsieur le ministre !
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. L’appétit crée le bonheur !
M. Alain Vidalies. Ça, c’est quelque chose que nous pouvons partager ! (Sourires.)
M. le président. Monsieur Yves Durand, vous avez la parole pour opposer la question préalable.
M. Yves Durand. Monsieur le président, messieurs les ministres, puisque Mme Vautrin n'est pas encore parmi nous…
M. Jean-Louis Borloo, ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement. Elle a trente-neuf de fièvre !
M. Yves Durand. Je vous demande donc de lui transmettre nos vœux de prompt rétablissement, en attendant de revenir au cours de la discussion des articles sur la réponse qui vient d’être apportée à M. Vidalies.
Messieurs les ministres, malgré le titre de votre projet de loi, il semble bien que votre gouvernement ait découvert l’exigence de l’égalité des chances en novembre dernier – M. Vercamer y faisait d’ailleurs allusion tout à l’heure, au nom de l’UDF, dans son explication de vote –, quand la crise des banlieues a mis en évidence l’aspiration des jeunes à une égalité réelle des chances et à une véritable reconnaissance de ce qu’ils sont vraiment et du rôle qu’ils entendent jouer dans notre vie collective.
Or, depuis maintenant quatre ans, tous les signes que vous avez envoyés aux jeunes, notamment à ceux qui connaissent le plus de difficulté à trouver leur place dans la société, sont des signes de méfiance que beaucoup d’entre eux traduisent comme une volonté de rejet. Je ne reviendrai pas, mais tout le monde les a en tête, sur les mots employés par le ministre de l’intérieur et qui ont été perçus comme l’intention de nettoyer – je ne dirai pas « au Kärcher » – la société des éléments qui s’en sentent déjà exclus par l’échec qu’ils connaissent dans leur vie. Les mots de « voyous », de « racaille », fortement et volontairement médiatisés, ont frappé en pleine figure des jeunes qui n’étaient ni des voyous ni des racailles avant de basculer dans une révolte dont nous avons tous unanimement condamné la violence mais qui exprimait avant tout, le plus souvent, le désespoir. Les rapports des renseignements généraux ont été clairs sur ce point : parmi les jeunes interpellés pendant les violences urbaines, très peu étaient auparavant connus des services de police.
Mais depuis bientôt quatre ans, vous n’avez eu de cesse de pointer du doigt les jeunes. De la mise en cause du rap proférée par certains députés de votre majorité, à la loi interdisant les regroupements de jeunes dans les halls d’immeubles, loi d’ailleurs totalement inapplicable, les jeunes sont montrés trop souvent comme des délinquants en puissance. La seule réponse que vous apportez à l’aggravation croissante, et inquiétante malgré tous vos discours, de la violence dans les établissements scolaires, c’est l’intervention des policiers, c’est la mise en place de caméras de surveillance, alors que toutes les communautés éducatives demandent la présence de psychologues, de jeunes adultes, d’assistantes sociales, de tous ces personnels que vous avez supprimés depuis quatre ans, y compris des surveillants pour épauler les chefs d’établissement et les enseignants dans leur mission d’enseigner. C’est d’ailleurs ce que vous ont demandé, il y a quelques jours encore et cela continue, les personnels de la majorité des établissements de Seine-Saint-Denis. Mais, je le répète, ce sont tous ces personnels encadrant les jeunes en milieu scolaire et autour de l’école, dans les activités péri-scolaires en particulier, que vous systématiquement supprimés depuis quatre ans.
M. Alain Vidalies. Très juste !
M. Yves Durand. Depuis bientôt quatre ans, tout, que ce soit dans vos discours, que ce soit dans vos actes, montre qu'avec vous, la jeunesse ne représente pas un espoir qu'il faut encourager, une chance qu'il faut promouvoir, mais bien au contraire un risque qu'il convient de limiter et dont il faut se préserver. Et pourtant combien de ces jeunes se sont mobilisés en 2002 pour faire barrage à l'extrême droite en appelant à voter pour un candidat dont ils ne partageaient pas toutes les options politiques, loin de là, mais qui représentait, à leurs yeux et à ce moment-là, les valeurs de la République ? Quelle réponse aujourd’hui leur apportez-vous après cette mobilisation ? Cet appel à la fraternité et à la solidarité, vous n'avez pas voulu l'entendre, et aujourd'hui encore votre réponse à l'angoisse des jeunes, c'est l'exclusion de l'école pour ceux qui y connaissent des difficultés et la précarité généralisée pour leur premier emploi. J’y reviendrai.
Alors, comme mon collègue Jean Glavany l'a fort bien démontré lors d’une question au Gouvernement la semaine dernière en présentant un tableau particulièrement parlant, c'est bien votre politique qui a aggravé, depuis bientôt quatre ans, le chômage des jeunes. Je voudrais revenir un moment sur les chiffres du chômage des jeunes et sur ceux du chômage en général, chiffres dont vous vous félicitiez encore cet après-midi, lors des questions au Gouvernement. Je ne peux, comme tous mes collègues maires ou comme tous les présidents de conseils généraux, que remarquer un parallélisme pratiquement mathématique entre la baisse du chômage et l'explosion du chiffre des inscriptions au RMI. Mais revenons au chômage des jeunes et rappelons une fois de plus les chiffres, quitte à nous répéter, pour que les choses soient enfin clairement dites et enfin acceptées. Voilà les chiffres : en 1997, il y avait 577 300 jeunes de moins de 26 ans au chômage ;…
M. Laurent Hénart, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Non !
M. Yves Durand. …ils étaient 386 000 en 2002.
M. Laurent Hénart, rapporteur. Inexact !
M. Yves Durand. Depuis 2002, ce nombre n'a cessé d'augmenter pour atteindre 434 000 en 2004. Voilà la réalité des chiffres. Gaëtan Gorce les a rappelés tout à l’heure, Jean Glavany les avait montrés avec son tableau il y a une semaine ; il faut que vous ayez l’honnêteté, le courage de les accepter. Le chômage des jeunes, depuis quatre ans, a effectivement augmenté, alors qu’il avait diminué entre 1997 et 2002.
M. Alain Vidalies. Voilà la vérité !
M. Jean-Jacques Descamps. C’est bien pour ça qu’il faut faire quelque chose ! Sinon cela sera pire !
M. Yves Durand. En fait, vous utilisez votre propre échec pour travestir vos mauvaises solutions en progrès social.
Avec le CPE et la précarité qu'il institutionnalise – je ne reviens pas sur la démonstration de Gaëtan Gorce –, vous voulez, je le crains, profiter du désarroi, pour ne pas dire du désespoir, que vous avez vous-même provoqué chez les jeunes par votre politique, pour leur faire croire que le pire de tout pourrait devenir un mieux que rien. Non seulement votre réponse ne répond pas à l'appel que les jeunes nous ont lancé en novembre dernier, mais il est fort à craindre que, très vite, ils s'aperçoivent de cette tromperie à leur égard, les confirmant dans leurs réactions de rejet d'une société dont ils se sentent exclus et dont ils se sentiront encore plus exclus quand ils auront vécu la précarité que vous leur préparez. À cet égard, comment ne pas s'inquiéter déjà de certaines réactions ? Comment ne pas s’inquiéter de la multiplication des mouvements communautaristes, voire à base ethnique, qui rejettent l'idée même d'intégration ?
Il est hélas probable que la mauvaise réponse que vous apportez aux causes profondes de la crise des banlieues ne détourne encore davantage de nombreux jeunes de la confiance qu’ils devraient avoir dans la vie publique et l’action collective, fondements d’une véritable cohésion sociale.
Après une telle crise, il aurait d’abord fallu montrer votre volonté d’écouter en organisant une grande rencontre de la jeunesse, réunissant les associations, les acteurs de terrain, les élus locaux : tous ceux qui, trop souvent en ordre dispersé, travaillent pour redonner espoir à ceux qui n’ont que l’échec comme perspective. Mais vous leur en avez ôté les moyens.
Une telle conférence, à l’initiative de la République, aurait permis de dégager, avec tous ces acteurs qui sont au contact quotidien de la réalité, les voies pour offrir aux jeunes les moyens de leur autonomie – car c’est bien là leur désir profond, que ce soit dans leur vie personnelle, professionnelle ou universitaire – soit par des aides financières, soit par une allocation fondée sur des critères sociaux.
Vous auriez pu ainsi jeter les premières bases d’une véritable politique de la jeunesse. Ce qui est frappant dans vos discours et dans ce projet de loi, c’est en effet l’absence d’une telle politique. Pour vous, la jeunesse se réduit à un ensemble de catégories dont il faut se méfier. Mais vous ne proposez aucune politique susceptible de lui redonner espoir, non plus qu’au pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Michel Terrot. C’est vraiment le degré zéro de la démonstration !
M. Alain Vidalies. La droite n’a pas confiance en la jeunesse !
M. Yves Durand. Vous vous contentez d’un projet de loi bâclé – on l’a rappelé tout à l’heure à propos du travail parlementaire – qui, en voulant aborder tous les sujets, ne fait qu’effleurer les problèmes sans réelle volonté de les résoudre.
Là où il aurait fallu de l’écoute, de la concertation et de la réflexion pour rassembler autour d’un projet fort et mobilisateur – comme ce projet d’allocation d’autonomie pour la jeunesse qu’il va falloir mettre en œuvre le plus tôt possible –, vous persévérez dans votre pratique de l’affichage pour masquer des dispositions qui, au contraire de l’autonomie, plongent les jeunes dans la précarité en les livrant à la seule volonté des employeurs et aux seules lois du marché.
M. Rodolphe Thomas. Et revoilà l’idéologie !
M. Yves Durand. Je vous parlerai d’idéologie tout à l’heure, mon cher collègue ! Et je vous démontrerai que, loin du pragmatisme dont vous vous prévalez à longueur de discours, c’est vous qui appliquez la pire des idéologies, celle du combat contre la jeunesse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
En cela, d’ailleurs, votre projet de loi est d’une cohérence parfaite : il est cohérent avec l’ensemble de la politique que vous menez depuis bientôt quatre ans.
À l’autonomie que nous voulons donner aux jeunes par une formation initiale solide, ouverte à tous…
M. Henri Houdouin. Blablabla !
M. Yves Durand. Vous irez, monsieur Houdouin, le dire aux jeunes qui, aujourd’hui, se battent quotidiennement dans les collèges et les lycées pour réussir leur parcours !
Mme Christine Boutin. Vous n’avez pas le monopole de la jeunesse !
M. Yves Durand. Vous irez dire aux parents, aux enseignants, aux associations de lycéens et aux étudiants qui, jour après jour, constatent que vous supprimez des moyens, des postes et surchargez les classes, que c’est du « blablabla » ! Nous verrons quelle sera leur réponse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
À cette autonomie par la formation initiale, ouverte à tous et permettant une sécurité dans le parcours professionnel, vous opposez – j’y reviendrai – la sortie précoce du système scolaire et la précarité de l’emploi. C’est d’ailleurs le seul objectif de ce texte.
On comprend, de ce fait, les raisons de votre volonté de passer en force, tant au Parlement que dans le pays.
Votre mépris pour le travail parlementaire devient hélas une habitude, …
Plusieurs députés socialistes. Eh oui, en effet !
M. Yves Durand. …et on ne compte plus les projets de loi qui auraient mérité de véritables débats parlementaires et sont tronqués par votre manie de l’urgence. Ainsi, je m’en souviens encore, du projet de loi sur l’avenir de l’école que vous vouliez expédier en quelques heures à l’Assemblée et au Sénat, …
Plusieurs députés socialistes. Exact !
M. Patrick Roy. Scandaleux !
M. Alain Vidalies. Et ils vont refaire le coup avec ce projet de loi !
M. Yves Durand. …alors que le Président de la République lui-même en avait fait un des principaux chantiers de son mandat en ouvrant lui-même un grand débat dans le pays – débat qui s’est achevé ici par une discussion bâclée et qui a donné lieu à une loi que vous violez vous-même.
La semaine dernière, en commission des affaires sociales, vous avez été témoin et acteur principal…
M. Henri Emmanuelli. Ça fait beaucoup !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. C’est trop !
M. Henri Emmanuelli. Le mot « comparse » conviendrait mieux !
M. Yves Durand. Trop, dites-vous, monsieur le ministre ? La manière dont nous avons débattu en commission est proprement scandaleuse. Au reste, débattu est un bien grand mot !
M. Henri Emmanuelli. C’est beaucoup dire, en effet !
M. Bernard Roman. Cela traduit un mépris de la représentation nationale !
M. Yves Durand. Peut-être considérez-vous que c’est normal, mais permettez-moi de vous dire que ça ne l’est pas pour un parlementaire.
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Je vous répondrai sur ce point.
M. Yves Durand. Si encore les quelques heures que vous avez accordées aux parlementaires pour examiner et discuter ce projet de loi avaient été réellement occupées à des échanges sérieux, nous aurions pu saisir ces quelques instants de démocratie pour échanger nos critiques et nos propositions. Mais pour ce texte, le Gouvernement a fait preuve en commission d’une particulière désinvolture.
M. Henri Emmanuelli. Très juste !
M. Alain Vidalies. Il fallait le dire !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Désinvolture ? Nous étions quatre ministres présents !
M. Henri Emmanuelli. Ce n’est pas une histoire de quantité, monsieur le ministre !
M. Yves Durand. Je n’insisterai pas davantage sur l’introduction, à la dernière minute, de l’amendement gouvernemental visant à instituer le CPE, ni sur le bouleversement du calendrier parlementaire repoussant à plus tard l’examen du projet de loi sur la recherche, sur lequel vous aviez pourtant aussi déclaré l’urgence – manie de votre part !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Comme pour les 35 heures !
M. Yves Durand. Au mépris que vous montrez pour le Parlement, vous ajoutez le dédain pour le dialogue et les partenaires sociaux, en violation complète avec la loi Fillon, que vous avez vous-même fait voter.
M. Laurent Hénart, rapporteur. Vous y étiez opposés !
M. Yves Durand. Une fois de plus, vos actes et vos méthodes contredisent vos discours et vos propres engagements. Votre précipitation à boucler ce projet de loi est sans doute provoquée par l’opposition qu’il suscite chez l’ensemble des organisations syndicales et représentatives.
Ainsi, tous les syndicats des enseignants, la plupart des fédérations de parents d’élèves, les associations de jeunes se sont prononcés contre le contrat d’apprentissage dès quatorze ans – car telle était bien votre volonté initiale, mais une directive européenne a contrecarré vos plans.
M. Bernard Roman. Il n’y a eu aucun dialogue !
M. Yves Durand. Les organisations d’artisans elles-mêmes – l’UPA, la CAPEP – ont émis des réserves plus que sérieuses. Quant au Conseil supérieur de l’éducation, il a exprimé un avis défavorable à la quasi unanimité, avis dont vous ne tenez pas davantage compte que celui qu’il a émis sur tous vos projets de loi en matière éducative, notamment ceux qui concernent l’avenir de l’école.
M. Bernard Roman. Elle est belle, la démocratie sociale !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. C’est faux : vous oubliez la loi de cohésion sociale !
M. Yves Durand. Soit : c’est la seule. Mais j’ai bien dit : en matière éducative.
Vous ne tenez pas davantage compte des remarques sévères du Conseil national des villes, ni de l’opposition des associations familiales et de la CNAF à votre projet de suspension des allocations familiales en cas de carences parentales.
Quant au CPE, intégré à la sauvette dans ce projet de loi, il est rejeté par l’ensemble des organisations syndicales et de jeunesse.
M. Patrick Roy. Elles ont raison !
M. Yves Durand. Seul le MEDEF l’approuve en souhaitant que vous l’étendiez à tous les salariés, ce que vous envisagez d’ailleurs sérieusement de faire. Le seul soutien du MEDEF vous suffit donc pour imposer un projet largement rejeté.
M. Georges Ginesta. Ce n’est déjà pas mal !
M. Yves Durand. Si ça vous suffit, tant mieux pour vous !
Votre précipitation s’explique aussi par votre crainte que les Français ne s’aperçoivent que, sous couvert de discours sur « l’égalité des chances » – comme le proclame bien improprement le titre de ce projet de loi –, vous organisez en fait une société de l’exclusion et de l’inégalité devant l’avenir.
M. Henri Emmanuelli. Une société de la soumission et de la mise au pas !
M. Yves Durand. En effet, votre projet de loi présente des mesures qui, pour beaucoup, résultent de mesures déjà existantes – nous y reviendrons lors de l’examen des amendements. Ces mesures, inutiles pour la plupart, n’ont d’autre objectif que l’affichage ! C’est dire le peu d’ambition que vous avez pour l’égalité des chances.
M. Alain Néri. Il n’y a pas d’égalité des chances !
M. Yves Durand. En outre, derrière le flou des déclarations de bonnes intentions se cachent des dispositions dangereuses, voire inacceptables au regard des principes de la République.
Si l’extension des zones franches, dont vous faites l’essentiel de votre action en faveur de l’emploi des jeunes, reprend elle aussi une mesure déjà existante, il serait souhaitable que, conformément aux engagements pris – et qui, ce me semble, sont inscrits dans des textes législatifs –, une évaluation des résultats des zones franches soit entreprise.
M. Alain Vidalies. Excellente suggestion !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Cette évaluation a été faite au Sénat !
M. Yves Durand. Mais ici nous sommes à l’Assemblée, monsieur le ministre !
Tout à l’heure, l’un de nos collègues a évoqué la « réussite » et les « avantages » des zones franches. Peut-être est-ce le cas, mais encore faudrait-il le montrer par l’évaluation des conséquences, non seulement à l’intérieur des zones franches, mais aussi à l’extérieur.
Je souhaite, monsieur le ministre, et je vous la demande au nom du groupe socialiste, une évaluation sérieuse des zones franches.
M. Bernard Roman. Eh oui !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Renoncez aux zones franches : ce serait tellement plus simple !
M. Yves Durand. Il ne s’agit nullement d’y renoncer mais d’en faire une véritable évaluation !
M. Bernard Roman. Nous avons le droit de savoir !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Vous vous êtes assez battu, monsieur Durand, pour en avoir une dans le Pas-de-Calais !
M. Yves Durand. Il est pour le moins curieux qu’une politique pour l’emploi des jeunes se réduise à la seule extension de certains dispositifs et, par exemple, à l’augmentation du nombre des complexes cinématographiques !
Votre acharnement à supprimer les emplois-jeunes, qui étaient des contrats de cinq ans, utiles à la collectivité et porteurs de formation, a cassé la dynamique de retour à l’emploi.
Quant à l’égalité devant la culture, vous la réduisez à l’installation de complexes cinématographiques N’est-ce pas un peu réducteur ? Où est la grande ambition des maisons de la culture que portait André Malraux ?
M. Henri Emmanuelli. Ah ! André Malraux !
M. Yves Durand. En vérité, votre projet de loi marque la fin de toute ambition pour la politique de la ville. Le montre bien aussi votre refus de la mixité sociale dans les villes : l’offensive de votre majorité parlementaire, avec votre accord, contre l’article 55 de la loi SRU en a fourni la meilleure preuve. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Malgré les déclarations enflammées du Président de la République après les graves événements du mois de novembre, la logique des ghettos urbains a repris ses droits, et votre projet de loi n’y changera rien. Une fois de plus, les faits contredisent les déclarations.
Le Premier ministre a proclamé 2006 l’année de l’égalité des chances, mais je doute fort que la nouvelle agence que vous sortez de votre chapeau, l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances – dont on ne sait pas d’ailleurs quels seront les missions et le rôle réels, si ce n’est de supprimer des outils qui fonctionnent bien, comme l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme – soit l’instrument de « l’année utile » dont, par ailleurs, vous vous faites les chantres.
Nous aurons à revenir sur le vide de certaines de vos propositions lors de la discussion des articles.
M. Henri Emmanuelli. Oh oui ! Et longuement !
M. Yves Durand. Ainsi vous avez annoncé un service civil volontaire, dont les conditions d’application sont d’ailleurs renvoyées au décret.
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Comme toutes les conditions d’application d’une loi !
M. Yves Durand. Sur ce sujet, comme sur bien d’autres, il semble bien que vous ayez cédé à votre penchant pour la seule communication, alors qu’il aurait été intéressant d’ouvrir une vraie consultation avec l’ensemble des organisations concernées, notamment les mouvements de jeunes, pour explorer la piste d’un service civique pour tous, garçons et filles, au service de la collectivité nationale.
Plusieurs députés du groupe socialiste. Bien sûr !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Les jeunes à l’armée !
M. Alain Joyandet. Garde à vous !
M. Xavier de Roux. Fixe !
M. Yves Durand. Je ne pense pas que ce genre de réflexion prouve que vous connaissiez bien les aspirations des jeunes !
M. Philippe Cochet. Vous ne les connaissez pas non plus !
M. Henri Emmanuelli. Ça n’a pas été un exploit de supprimer le service militaire !
M. Alain Néri. C’est regrettable, en effet !
M. Yves Durand. Vous auriez pu, monsieur le ministre, répondre ainsi à une vraie aspiration de la jeunesse, que l’on semble ignorer sur certains bancs, celle de servir, ensemble, de grandes causes humanitaires.
M. Alain Vidalies. Et c’est regrettable !
Un député du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Vive la guerre !
M. Yves Durand. Décidément, la reprise de la séance après le repas du soir est toujours un peu difficile pour certains de nos collègues !
M. Georges Ginesta. Vous en êtes la démonstration !
M. Yves Durand. Vous auriez pu, disais-je, répondre à cette aspiration de la jeunesse. Hélas ! Là aussi, votre méfiance à leur endroit vous fait rater un rendez-vous, pourtant essentiel, celui de la générosité et du don de soi, que l’immense majorité des jeunes auraient souhaité exprimer dans le cadre d’un tel service civique.
Nous reviendrons aussi sur les dérives que peuvent provoquer vos mesures de lutte contre les incivilités. Pourquoi donc avoir supprimé la police de proximité, qui jouait un rôle essentiel dans la prévention de la délinquance ? (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Patrick Roy. Répondez, monsieur Borloo ! Nous voulons des explications !
M. Yves Durand. Par ailleurs, même si le maire est l’élu qui connaît le mieux la situation de sa commune et reste donc le mieux placé pour récolter les informations nécessaires à une bonne prévention, il ne saurait être question que l’action de sécurité publique soit déléguée aux communes et aux maires. La sécurité est un droit pour tous, à égalité, et doit, par conséquent, rester de la seule compétence de l’État. Il serait trop facile de faire porter la responsabilité de mauvais résultats en matière de délinquance sur les seules épaules des maires, alors qu’elle est de votre compétence.
D’ores et déjà, après mon collègue Gaëtan Gorce, je veux, au nom du groupe socialiste, témoigner de notre opposition ferme et déterminée à trois des dispositions de votre texte, parce qu’elles sont contraires à l’esprit d’égalité et de solidarité inscrit dans notre devise républicaine, parce qu’elles seraient, de fait, à l’origine d’inégalités qui remettraient en cause notre pacte républicain, parce qu’elles menaceraient gravement la cohésion sociale et parce qu’elles bafoueraient des droits fondamentaux. Je vais y revenir.
Gaëtan Gorce a été suffisamment clair…
M. Patrick Roy. Il a été excellent !
M. Yves Durand. …pour que je n’aie pas à m’étendre davantage sur la nature de votre CPE.
Avec ce contrat, en dépit de vos bonnes paroles, nous savons qu’il sera impossible à un jeune de construire son autonomie d’individu adulte.
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Et en stage, en CDD ou au chômage, c’est mieux ?
M. Yves Durand. En dépit de ce que vous et le Premier ministre avez affirmé, comment pourra-t-on louer un appartement quand on sera embauché en CPE ? Comment croire que les banques accorderont des prêts ? Et quand bien même elles le feraient, comment rembourser si un licenciement vous frappe du jour au lendemain, comme le CPE le permet ?
M. Patrick Roy. C’est un pousse-au-crime !
M. Yves Durand. Comment bâtir un projet personnel, même affectif, sans connaître la situation dans laquelle on sera le lendemain, dans quelles conditions l’on vivra ?
M. Jean-Charles Taugourdeau. Et quand on était en emploi-jeune ?
M. Yves Durand. Cessez de comparer les emplois-jeunes et votre CPE !
M. Jean-Pierre Door. Cela vous gêne !
M. Alain Vidalies. Ce n’est pas du tout la même chose !
M. Yves Durand. Les emplois-jeunes étaient des contrats de cinq ans,…
M. Jean-Charles Taugourdeau. Précaires !
M. Yves Durand. …avec une formation. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Laurent Hénart, rapporteur. C’est faux ! Il n’y avait pas de formation !
M. Yves Durand. Et si les emplois-jeunes avaient été un tel enfer,…
M. Xavier de Roux. Pavé de bonnes intentions !
M. Yves Durand. …leur suppression n’aurait pas provoqué tant de révolte chez les jeunes ! D’ailleurs, ils ont réclamé qu’ils soient rétablis !
M. Laurent Hénart, rapporteur. Sans formation, sans lendemain, sans avenir ! Aubry fossoyeuse !
M. Jacques Bobe. Cinq ans de précarité ! Et qui les paient au bout de cinq ans ?
M. Yves Durand. Les chefs d’établissement, eux aussi, l’ont réclamé. Et que demandent, aujourd’hui, les enseignants en butte au manque d’encadrement ?
M. Xavier de Roux. Qu’ils enseignent !
M. Yves Durand. Le retour des aides éducateurs ! Alors, arrêtez ce mauvais procès ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. – Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Bernard Roman. Voilà la vérité !
M. Yves Durand. Comment pourrait-on demander au jeune de se comporter comme un acteur au sein de l’entreprise – vous qui n’avez que ce mot à la bouche ! – …
M. Jacques Bobe. En tout cas, vous, vous n’en parlez pas !
M. Yves Durand. …quand il n’est considéré que comme une force de travail interchangeable et qu’il peut être éjecté à tout moment ?
Puisque Gaëtan Gorce s’est parfaitement exprimé sur le CPE, et que nous y reviendrons dans le débat sur les articles et les amendements, je vais insister, pour ma part, sur votre intention de remettre en cause la scolarité obligatoire jusqu’à seize ans. Car, ne nous y trompons pas, c’est bien de cela qu’il s’agit. Tout votre discours sur le « maintien en statut scolaire » de votre « apprenti junior » jusqu’à seize ans et sur la possibilité qu’il aurait d’arrêter son contrat d’apprentissage – vous l’avez redit encore dans votre intervention à cette tribune – pour reprendre sa scolarité au collège – c’est bien ce que vous avez déclaré ? – tout cela n’est qu’un leurre, pour ne pas dire une grossière entourloupe ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Patrick Roy. La droite est la spécialiste de l’entourloupe !
M. Yves Durand. Comment, en effet, nous faire croire qu’un élève qui éprouve déjà des difficultés à acquérir le socle commun des connaissances qu’il doit avoir assimilé à la fin de sa scolarité, comme le stipule la loi sur l’école, que vous avez fait voter ici en avril dernier, pourrait suivre des stages de découverte des métiers à partir de quatorze ans, assumer les horaires d’un contrat d’apprentissage à partir de quinze ans, et en même temps acquérir ledit socle commun de connaissances ?
M. Rodolphe Thomas. Et l’alternance ?
M. Yves Durand. C’est d’autant plus grave que rien dans votre projet de loi ne donne de précisions sur la durée des stages d’initiation aux métiers dès quatorze ans – il laisse ce soin au décret, une fois de plus. Quant aux apprentis, dès quinze ans, puisqu’ils seront sous contrat d’apprentissage, ils seront soumis au code du travail, donc aux huit heures de travail par jour et éventuellement au travail de nuit, sur lequel nous aurons à vous poser des questions.
M. Bernard Roman. C’est scandaleux !
M. Alain Vidalies. Retour au XIXè siècle !
M. Yves Durand. Il est indigne de faire croire à des jeunes, et à leurs parents, souvent fragilisés respectivement par l’échec scolaire et le chômage, qu’on leur ouvre une perspective alors qu’on leur ferme toutes les portes de la réussite.
Comment faire croire qu’un élève déjà en voie de déscolarisation pourra revenir au collègue, après un an ou deux soit de stage soit de contrat d’apprentissage, et rattraper le retard pris dans son parcours scolaire,…
M. Bernard Roman. C’est une illusion !
M. Yves Durand. …puisqu’il est bien prévu que l’année d’initiation, c’est-à-dire dès quatorze ans, se fera en lycée professionnel ou en centre de formation des apprentis et que, par conséquent, il aura quitté le collège ?
M. Rodolphe Thomas. Et l’alternance ?
M. Yves Durand. Vous dites « alternance » mais cela n’a rien à voir avec l’alternance, mon cher collègue, puisque, précisément, il quittera le collège. Pour qu’il y ait alternance, il faudrait que son parcours se poursuive à l’intérieur de l’établissement scolaire.
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Il n’a rien compris !
M. Yves Durand. En fait, dès quatorze ans, ces apprentis juniors quitteront le collège pour ne plus y revenir.
M. Claude Gaillard. Pas du tout !
M. Alain Néri. Allez chercher de Robien !
M. Yves Durand. Dès quatorze ans, ces apprentis juniors sauront qu’ils ne pourront jamais maîtriser ce socle commun de connaissances que vous avez pourtant inscrit dans la loi il y a moins d’un an !
M. Bernard Roman. Contradiction majeure !
M. Yves Durand. Et je vais faire appel à la mémoire de tous mes collègues qui ont participé, il y a quelques mois, dans cet hémicycle, aux débats sur l’avenir de l’école.
Nous avons eu des débats importants, souvent passionnés, à partir des travaux remarquables de la commission présidée par M. Périssol, et nous avons travaillé, dans un excellent état d’esprit, à définir le socle commun de connaissances. Vous avez prétendu que c’était là le cœur de la réussite scolaire, le cœur de l’avenir de l’école et, par conséquent, le cœur de l’égalité des chances. Ce socle, composé de ce que vous appelez les fondamentaux, devait être acquis par tous les élèves, quelles que soient leurs difficultés et leur origine sociale. Nous avons débattu de la personnalisation des parcours, de l’individualisation des pédagogies et de la manière différenciée dont il fallait faire acquérir à chacun, notamment à ceux qui sont en difficulté, ce socle commun de connaissances. J’entends encore M. Fillon, alors ministre de l’éducation nationale, dire que, sans la maîtrise de ce socle, il n’était pas possible de réussir sa formation initiale et donc son parcours professionnel. Et vous avez voté cette loi, sans l’assortir d’ailleurs des moyens nécessaires.
M. Henri Emmanuelli. Ils votent n’importe quoi !
M. Yves Durand. Or aujourd’hui, en excluant du collège, dès la fin de la classe de cinquième, les élèves les plus en difficulté, vous les empêchez d’acquérir le socle commun que vous-mêmes avez jugé, par votre loi, indispensable à la poursuite de leur parcours. Vous étiez déjà en contradiction avec la loi Fillon sur le dialogue social, vous voilà aujourd’hui en violation avec la loi Fillon sur l’avenir de l’école ! Pauvre Monsieur Fillon !
Ainsi, au détour d’un article de loi et de quelques lignes, sans véritable débat au Parlement, puisque votre déclaration d’urgence nous l’a confisqué, sans aucune concertation avec les syndicats d’enseignants et les associations de parents d’élèves…
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. C’est faux ! Ils ont été consultés !
M. Yves Durand. Quand ils ont donné un avis, il était très négatif…
M. Patrick Roy. Et le ministre de l’éducation nationale n’est même pas là pour défendre cette mesure !
M. Yves Durand. Sans aucune concertation, monsieur le ministre, vous enterrez soixante ans de politique publique d’éducation.
Il ne vous aura fallu que quelques jours pour faire entériner la mort légale d’une grande ambition, celle qu’avait le général de Gaulle (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire)…
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Pas vous ! Pas cela !
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Évitez les références au général !
M. Yves Durand. …quand, dès 1959, son gouvernement prenait un décret portant la scolarité obligatoire à seize ans.
Monsieur le ministre, ayez au moins le courage d’assumer le projet de société que vous voulez imposer aux Français, notamment en matière éducative, un projet qui consiste à écarter de l’école, dès le plus jeune âge, les enfants des milieux défavorisés, alors que ce sont eux qui ont le plus besoin de l’école et de la culture.
M. Bernard Roman. C’est malheureusement ce à quoi ce texte va conduire !
M. Patrick Roy. La majorité nie cette évidence !
M. Yves Durand. Avec votre projet de loi, c’en est fini de la réforme de 1959 allongeant la scolarité obligatoire à seize ans pour tenter d’accroître le niveau de formation du plus grand nombre de jeunes.
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. On aura tout entendu ce soir ! C’est indécent !
M. Yves Durand. Monsieur le président Dubernard, si vous aviez organisé ce débat en commission, comme nous vous l’avions demandé, nous aurions pu exposer nos arguments et nos propositions et en débattre dans la sérénité.
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. C’est vous qui avez quitté la commission ! Aussi, ne venez pas pleurnicher aujourd’hui !
M. Yves Durand. Avec ce texte, c’en est fini de la volonté de rassembler les jeunes collégiens au sein d’un même établissement – puisqu’ils quittent le collège –, …
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Mais non !
M. Yves Durand. …comme l’avait voulu René Haby en 1975 en créant le collège unique, devenu, avec Jack Lang (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), le « collège pour tous ».
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Avec Jack Lang, tout était tellement « formidable » ! Quand allez-vous citer Claude Allègre ?
M. Yves Durand. C’en est fini de l’ambition de porter 80 % d’une génération au baccalauréat…
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Encore heureux !
M. Jean-Pierre Door. C’est un bac chômeur !
M. Yves Durand. …et 100 % à une qualification, grâce notamment au développement des bacs professionnels. C’en est fini de l’objectif d’atteindre 50 % d’une classe d’âge diplômée de l’enseignement supérieur, objectif que rappelle la loi Fillon de 2005 sur l’avenir de l’école, votée il y a à peine quelques mois.
Certes, tous ces objectifs, qui ne résultent pas d’une politique de gauche ou de droite, mais de l’ensemble de la politique publique menée en matière d’éducation depuis soixante ans, n’ont jamais été atteints. Mais le fait même de se les fixer a généré une mobilisation des énergies de l’ensemble du système éducatif et a bénéficié à la majorité des jeunes de notre pays, en particulier aux enfants d’ouvriers, d’agriculteurs et d’employés qui n’avaient eux-mêmes pas eu la chance de pouvoir suivre une longue scolarité. Grâce à cet effort extraordinaire consenti par la nation depuis plus de soixante ans, chaque génération pouvait espérer acquérir un niveau supérieur à celui de ses parents. C’est aujourd’hui, avec votre projet de loi, monsieur le ministre – j’en prends le pari –, la fin de cet espoir.
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. C’est fini depuis longtemps ! Combien de fils d’ouvriers y a-t-il à Polytechnique ?
M. Yves Durand. C’est grâce à cette mobilisation des énergies que le niveau général de formation s’est considérablement amélioré dans notre pays : aujourd’hui, 62 % des adolescents deviennent bacheliers contre 25 % en 1975. Certes, depuis les années 90, cette progression constante a connu un réel coup d’arrêt et trop de jeunes sortent encore du système scolaire sans qualification.
M. Rodolphe Thomas. Eh oui !
M. Yves Durand. Nous en sommes conscients. Mais la seule solution à leur échec est-elle dans leur exclusion du système scolaire,…
M. Patrick Lemasle. Bien sûr que non !
M. Yves Durand. …exclusion que vous instituez dans votre projet de loi par une sortie prématurée du collège ?
Ce sont ceux qui ont besoin de davantage d’école, de « mieux » d’école, même si c’est d’une école « autrement », qu’en quelques jours vous déclarez indésirables et à qui vous dites, alors qu’ils n’ont que quatorze ans, qu’ils ne sont qu’au début de l’adolescence, qu’ils ne sont pas faits pour l’école et qu’ils n’y ont plus leur place ! Quelle conception avez-vous de l’égalité des chances pour inscrire une telle disposition dans un texte qui s’intitule « projet de loi pour l’égalité des chances » ? C’est inacceptable !
M. Bernard Roman. En effet !
M. Yves Durand. Vous apportez une réponse explosive à des jeunes dont la révolte était un appel, certes maladroit, à la reconnaissance et à l’égalité devant le savoir.
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Fadaises !
M. Yves Durand. L’exclusion de milliers de jeunes dès l’âge de quatorze ans, que vous institutionnalisez, est pour nous inacceptable, parce qu’elle est contraire au principe même d’égalité de la République et qu’elle ne sanctionne ni les capacités intellectuelles ni le mérite ni les efforts accomplis par les élèves en difficulté, mais les conditions de vie dont sont victimes ces mêmes jeunes qui ne réussissent pas à l’école.
M. Patrick Lemasle. C’est évident !
M. Yves Durand. Monsieur le ministre, vous le savez aussi bien que nous, toutes les enquêtes sur l’échec scolaire le montrent,…
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Encore des enquêtes !
M. Roland Chassain. Il y a trop d’enquêtes !
M. Louis Guédon. C’est le système scolaire que la gauche a mis en place qui est la cause de cet échec !
M. Bernard Roman. Pas du tout ! La France a le meilleur système éducatif au monde.
M. Yves Durand. …ce sont les conditions économiques et sociales et le milieu culturel dans lesquels vit un adolescent qui sont en grande partie à l’origine de la réussite ou de l’échec scolaire.
Même si certains n’aiment pas les enquêtes, les conclusions de Dominique Goux et d’Eric Maurin, dans une enquête faite pour l’INSEE en 1997 et intitulée « Démocratisation de l’école et persistance des inégalités », sont les suivantes : « L’expansion scolaire contemporaine ne s’accompagne pas forcément d’une réduction des inégalités des chances et cette inégalité est de plus en plus culturelle. » Nous en sommes d’accord, et c’est tout le problème de la réforme de l’école. « Ainsi, le niveau de diplôme des enfants est-il davantage lié aujourd’hui qu’hier à celui du père. » C’est, selon moi, une observation extrêmement importante, car elle démontre que, derrière l’échec scolaire, il y a d’abord l’inégalité sociale et culturelle, et que c’est à l’intérieur de l’école que la lutte contre les inégalités doit être menée.
M. Louis Guédon. Qu’a fait la gauche quand elle était au pouvoir ?
M. Henri Emmanuelli. La droite est aux commandes depuis cinquante ans !
M. Yves Durand. En prenant le prétexte de l’échec scolaire pour affirmer que certains enfants ne sont pas faits pour l’école et qu’il faut donc les exclure, vous renoncez.
Monsieur le ministre, l’un de vos collègues a prononcé une phrase qui m’a profondément choqué. Je vais sans doute vous paraître ringard (« Ça oui! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), …
M. Philippe Cochet. Enfin un moment de lucidité !
M. Yves Durand. …je voudrais rapporter ces propos. Selon cette personne on ne peut pas faire comprendre Voltaire à tous les élèves. Eh bien, pour ma part, au nom de l’école de la République, j’ai la prétention de faire comprendre Voltaire à tous les enfants ! (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Telle est la mission de l’école et des enseignants. Et ceux-ci l’assument à condition qu’on ne leur retire pas leurs moyens d’action budget après budget. (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
En décrétant qu’un adolescent âgé seulement de quatorze ans n’est pas fait pour l’école, vous aggravez l’inégalité sociale par l’inégalité scolaire, et donc, l’inégalité devant la réussite.
Votre projet, enfin, est inacceptable parce que, par une sélection précoce, vous faites de l’apprentissage une filière de relégation, une orientation par l’échec, …
M. Philippe Rouault. Vous n’avez pas lu le texte ! C’est tout le contraire !
M. Jean-Charles Taugourdeau. On ne va tout de même pas recréer les emplois-jeunes !
M. Yves Durand. …ouverte principalement aux élèves qui ne pourraient pas, selon vous, faire autre chose, alors que l’apprentissage, pour être réussi, doit avant tout être choisi.
Pour répondre à cet argument, vous avez trouvé l’astuce du volontariat. Messieurs les ministres, comment cela peut-il être crédible ?
Selon vous, en effet – et j’ai entendu M. Borloo recourir à nouveau à cet argument lors de la présentation du projet de loi –, l’engagement dans la voie de l’apprentissage n’a rien de grave puisqu’il correspond à une volonté de l’élève et de ses parents. S’opposer à cette mesure, ce serait donc aller à l’encontre de la volonté des familles, remettre en cause leur liberté.
Combien de fois cette liberté aura-t-elle été invoquée ? Mais quand les enfants, année après année, subissent l’échec scolaire, quand on leur répète inlassablement qu’ils ne sont pas faits pour l’école (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), comment imaginer que les parents, qui eux-mêmes connaissent des difficultés économiques, pourraient ne pas se laisser tenter par ce miroir aux alouettes qu’est un contrat rémunéré tout de suite ? Comment pourraient-ils ne pas se persuader que, comme eux, leur enfant n’est pas fait pour l’école et doit donc la quitter, fut-ce pour un avenir des plus hypothétiques ?
M. Louis Guédon. Non, pour acquérir un profil de carrière !
M. Yves Durand. À entendre parler d’apprentissage volontaire, on se croirait revenus au milieu du siècle dernier, quand les instituteurs devaient user de toute leur autorité morale pour convaincre les familles de laisser leurs enfants faire des études, plutôt que de travailler – déjà ! – dès l’âge de quatorze ans. En quelques lignes d’un projet de loi, vous balayez le travail remarquable effectué par les « hussards noirs ». Quel mépris pour tous ceux qui ont permis l’extraordinaire élévation du niveau d’éducation de la population observée depuis soixante ans !
J’ajoute que nous ne pouvons accepter que vous exonériez l’éducation nationale d’une partie de ses devoirs. Je lis le texte de la loi sur l’avenir de l’école : « la mission de l’école est la réussite de tous les enfants ». En opérant une sélection dès l’âge de quatorze ans, vous remettez ce principe en cause.
M. Louis Guédon. Vous n’avez rien compris !
M. Yves Durand. Nous verrons qui comprend quoi lors de l’examen des articles. Ce que j’ai compris, mon cher collègue, c’est que votre objectif a toujours été d’exclure de l’école un certain nombre d’élèves dès l’âge de quatorze ans, de les priver du bénéfice de l’égalité des chances ! Il suffit de vous écouter ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Louis Guédon. Nous voulons justement redonner leur chance à ces enfants !
M. Philippe Rouault. Nous voulons leur réussite !
M. Yves Durand. Le statut scolaire donné à l’apprenti junior n’est qu’un leurre : dès quinze ans, il sera sous contrat de travail. Sans la directive européenne, il le serait même à partir de quatorze ans. Certes, une telle disposition existe déjà, mais à titre dérogatoire. Avec votre projet de loi, elle devient la règle.
Il est d’ailleurs significatif que ce soit M. Larcher, le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes, qui défende cet article, plutôt que le ministre de l’éducation nationale, dont nous n’avons pas réussi, malgré nos demandes réitérées, à obtenir l’audition devant la commission des affaires sociales.
M. Patrick Lemasle. Quelle anomalie !
M. Yves Durand. Il est vrai que M. de Robien a beaucoup à faire en ce moment, tout engagé qu’il est dans la lutte contre la méthode globale pour l’apprentissage de la lecture (« Bravo ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), une méthode qui n’est plus utilisée depuis au moins vingt ans ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Philippe Rouault. Alors, il n’y a pas de problème ?
M. Patrick Roy. Le ministre de l’éducation ne connaît pas l’école !
M. Yves Durand. Il serait pourtant souhaitable que nous puissions bénéficier de la présence du ministre de l’éducation nationale au moment de discuter le titre Ier du projet de loi, dont le contenu bouleverse la mission d’éducation dont il a la charge. Je me tourne donc vers M. le président de séance et vers M. le président de la commission des affaires sociales afin qu’ils se fassent le relais de notre doléance.
M. François Lamy. De notre exigence !
M. Christian Paul. Il doit venir ici et maintenant ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Yves Durand. Vos mesures sont d’autant plus inacceptables que votre politique en matière d’éducation a consisté, depuis bientôt quatre ans, à casser tous les dispositifs susceptibles d’aider les jeunes en difficulté à surmonter leurs handicaps et qui faisaient de l’école un véritable outil pour l’égalité des chances.
M. Michel Terrot. Vous ne croyez pas ce que vous dites !
M. Yves Durand. Passons sur votre gestion de l’emploi public dans l’éducation nationale, caractérisée par la suppression de plus de 100 000 postes en quatre ans, l’arrêt du plan pluriannuel de recrutement qui permettait d’anticiper les conséquences des départs en retraite et l’organisation d’une véritable crise d’encadrement pour l’avenir : n’avons-nous pas appris, pendant les vacances de Noël, la suppression par le Gouvernement de près de 30 % des postes mis aux concours du CAPES et de l’agrégation ?
M. Christian Paul. C’est une honte !
M. Alain Vidalies. Scandaleux !
M. Yves Durand. Vous allez ainsi tarir le vivier nécessaire au renouvellement de l’encadrement des élèves, dont le nombre recommence pourtant à augmenter – dans le primaire aujourd’hui, et donc demain dans le secondaire –, et fermer brutalement la porte de l’éducation nationale à de jeunes étudiants qui s’y destinaient pourtant par vocation.
Au-delà de la réduction du nombre de postes, vous n’avez eu de cesse de démolir toutes les formes nouvelles de pédagogie, lesquelles s’adressaient justement aux élèves ayant décroché de ce que vous appelez vous-même, monsieur le ministre, l’enseignement académique traditionnel.
Le programme TRACE, qui s’adressait aux 150 000 jeunes risquant de sortir du système scolaire sans qualification, a été abandonné. Il représentait pourtant, pour des jeunes en situation de rupture sociale, une véritable deuxième chance, car il leur accordait un suivi psychologique et leur permettait de se stabiliser dans un lieu de vie. C’est pourquoi nous proposons l’instauration, dans le domaine de la formation des jeunes, d’un véritable contrat à durée indéterminée.
M. Alain Vidalies. Très bien !
M. Yves Durand. À la place des cadeaux que vous accordez aux entreprises, nous proposons, nous, un pacte au bénéfice des jeunes sans qualification, liant l’État et les entreprises sur le mode du donnant-donnant.
Au sein même de l’éducation nationale – et c’est pourquoi j’insiste pour réclamer la présence de M. de Robien –, toutes les actions pédagogiques qui permettaient aux élèves de révéler leurs qualités, de retrouver confiance en eux-mêmes et ainsi de se réinsérer dans un parcours scolaire de réussite, ont été éliminées.
M. Alain Néri. C’est scandaleux !
M. Yves Durand. Les travaux personnels encadrés ont été supprimés en première – sans concertation, une fois de plus –, les expériences pédagogiques ont été asséchées, le Centre national de documentation pédagogique, qui constituait pour les enseignants un outil précieux en les aidant à adapter leur pédagogie (« Bien sûr ! » sur les bancs du groupe socialiste), a été démantelé à l’occasion de sa délocalisation à Chasseneuil-du-Poitou, chez M. Jean-Pierre Raffarin, …
M. Philippe Cochet. C’est une très bonne décision !
M. Yves Durand. …les classes à projet artistique et culturel ont été étouffées par les restrictions budgétaires.
M. Claude Bartolone. Assassinées !
M. Yves Durand. Pire : l’école maternelle est sacrifiée sur l’autel de vos choix budgétaires. Vous le savez sans doute aussi bien que moi, monsieur le ministre, …
Plusieurs députés du groupe socialiste. Non, il ne sait rien !
M. Yves Durand. …vous qui êtes originaire du Nord : la scolarisation des jeunes enfants est un élément majeur de lutte contre les inégalités.
Plusieurs députés du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains. C’est vrai !
M. Maurice Giro. Cette politique relève de la commune !
M. Yves Durand. Toutes les études le démontrent : les inégalités dans la maîtrise du langage et dans la compréhension des textes apparaissent dès la petite enfance, et c’est également dès le plus jeune âge que naissent les troubles de comportement qui génèrent par la suite des difficultés dans la vie sociale. Pourtant, vous pénalisez la scolarisation des jeunes enfants !
M. Alain Néri. C’est vrai !
M. Yves Durand. Depuis quatre ans, la scolarisation en maternelle, domaine dans lequel notre pays représentait un modèle pour le monde entier, est en régression.
Ainsi, dans l’académie de Lille, un effort constant de scolarisation dès l’âge de deux ans avait permis à plus de 60 % des enfants issus de milieux défavorisés de bénéficier de l’école maternelle. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.) Aujourd’hui, en raison de la politique de restrictions budgétaires, cette part est descendue à moins de 50 %.
M. Alain Néri. Et voilà ! Il n’aura fallu que quatre ans !
M. Yves Durand. Qui en sont les premières victimes, sinon les enfants défavorisés eux-mêmes ? Voilà pourtant un moyen de lutter contre les inégalités dès leur origine !
Quand elles subsistent, les classes maternelles, surchargées, ne permettent pas d’accueillir les jeunes enfants dans les conditions nécessaires à leur épanouissement et se réduisent trop souvent, malgré le dévouement de leurs personnels, à de simples garderies. Il faut donc envisager, dès maintenant, la création d’un véritable service national de la petite enfance, …
M. Philippe Cochet. En voilà une idée qu’elle est bonne (Sourires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Yves Durand. …autour d’une école maternelle renforcée par l’abaissement de l’âge de la scolarité obligatoire – pourquoi pas dès trois ans –, d’une politique de contractualisation avec les collectivités territoriales et d’une nouvelle organisation des crèches, de façon à permettre le passage progressif et harmonieux de la famille vers la crèche, puis de la crèche vers l’école. Une telle orientation constituerait un vrai moyen de lutter contre les inégalités, au point qu’elle rendrait peut-être inutile toute loi destinée à lutter contre l’échec scolaire.
M. Maurice Giro. Nous ne vous avons pas attendus !
M. Yves Durand. Cet espace national de la petite enfance constituerait le premier maillon d’une véritable politique de lutte contre les inégalités à l’école et par l’école. Il avait toute sa place dans votre projet de loi, mais vous ne l’évoquez même pas.
M. Jean-Charles Taugourdeau. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?
M. Yves Durand. L’éducation prioritaire est la dernière – mais non la moindre – des victimes de votre politique : malgré les discours et les promesses, les ZEP sont laissées à l’abandon depuis quatre ans. L’éducation prioritaire était d’ailleurs déjà totalement absente de la loi pour l’avenir de l’école, malgré les nombreux amendements que le groupe socialiste avait déposés pour l’y réintroduire.
Elle est également absente de votre projet de loi, puisqu’en ce domaine, vous vous en tenez pour l’essentiel aux maigres annonces du ministre de l’éducation nationale qui ne consistent qu’en une refonte de la carte des zones d’éducation prioritaire. L’attribution de quelques moyens supplémentaires à un nombre restreint de collèges se fera au détriment de tous les autres qui apporteront, de ce fait, moins d’aides et de soutiens à leurs élèves. Du même coup, certaines zones d’éducation prioritaire perdront les faibles moyens qui leur étaient octroyés. Cependant, une dépêche de l’AFP nous apprend ce soir (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) que le ministre de l’éducation nationale renonçait heureusement…
M. Christian Paul. Dans sa grande mansuétude !
M. Yves Durand. … – grâce à la mobilisation des enseignants et des parents contre cette mesure –…
M. Christian Paul. Qu’ils continuent !
M. Yves Durand. … à retirer le classement en ZEP à certains établissements scolaires. Le nombre de ZEP est donc maintenu. Dont acte ! Et ne convient-il pas de profiter de l’examen de ce projet de loi pour évaluer véritablement les ZEP, ce qui n’a jamais été fait…
M. Marc Francina. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait quand vous étiez au pouvoir ?
M. Yves Durand. …et pour mener une réflexion sur la nature de l’éducation prioritaire ? C’est ce à quoi j’engage M. le ministre de l’emploi et M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Christian Paul. M. de Robien recule, donc il va dans le bon sens !
M. Yves Durand. L’éducation prioritaire est au cœur de la lutte contre les inégalités, bien que le ministre de l’intérieur ait envisagé, voici quelques semaines, contre l’avis du Premier ministre, d’en signer l’acte de décès. L’éducation prioritaire a plus de vingt ans. Il est donc temps de lui redonner le souffle qu’elle avait à l’origine en en redéfinissant les conditions de fonctionnement et de réussite. Il faut, pour cela, avoir la volonté politique de poser clairement les moyens d’une véritable éducation prioritaire, ce que votre projet ignore totalement.
Pour atteindre cet objectif, quatre conditions doivent être réunies. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Premièrement, les zones d’éducation prioritaire ne doivent pas se transformer en ghettos où le niveau d’exigence scolaire serait moins élevé qu’ailleurs. L’ambition ne doit pas être de permettre aux meilleurs élèves de ZEP de fréquenter des lycées prestigieux (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) mais de faire entrer l’excellence dans les ZEP.
M. Guy Teissier. Ah bon !
M. Yves Durand. Pour y parvenir, il est indispensable de donner plus et surtout autrement à ceux qui en ont le plus besoin. Ne pas dépasser quinze élèves par classe en ZEP est une nécessité, mais cela ne suffira pas si on leur applique les mêmes méthodes pédagogiques qu’aux enfants dont le milieu familial est propice à la culture. Les enseignants doivent donc être formés et volontaires, intégrés à des équipes stables pour permettre un suivi personnalisé des élèves.
Deuxièmement, il faut reconnaître qu’il n’existe pas de bonnes et de mauvaises filières. La culture technologique et professionnelle doit être ouverte à tous les élèves et non pas uniquement à ceux qui ne peuvent réussir dans l’enseignement traditionnel – académique, pour reprendre votre terme –, enseignement trop souvent considéré par tout le monde, et d’abord par les parents, comme la seule voie de la réussite. Pourquoi, ne pas demander à des professeurs de lycées professionnels de venir enseigner en collège – plutôt que sortir les élèves des collèges – pour apporter la connaissance de la culture technologique et professionnelle ? La diversification de voies de la réussite doit aller de pair avec l’égalité des chances.
Troisièmement, il faut mobiliser tous les acteurs publics autour de l’éducation. Là où, malgré les efforts consentis, l’institution scolaire n’est plus en mesure d’assurer sa mission à elle seule, un partenariat fort entre les équipes pédagogiques, les travailleurs sociaux, les élus, les psychologues et les professionnels du logement doit être créé et la dynamique des contrats éducatifs locaux, totalement abandonnée, doit être retrouvée.
Plusieurs députés du groupe socialiste. Eh oui !
M. Yves Durand. Il faut mettre «le paquet » dans ces quartiers, mais pas au détriment du reste du territoire.
Cette politique prioritaire restera nécessaire tant que des ghettos urbains subsisteront. Il ne peut donc pas y avoir de politique éducative permettant la réussite pour tous, sans une politique de la ville volontariste, elle aussi abandonnée.
Quatrièmement, enfin, l’éducation, pour être véritablement prioritaire, doit être exceptionnelle dans le temps et dans l’espace. Dans le temps, parce que le premier objectif d'une zone d’éducation prioritaire est d'en sortir – ce qui exige un travail d'auto-évaluation rigoureux par les enseignants eux-mêmes. Dans l'espace, car l'effort d'éducation est vain s'il n'est pas accompagné d'une reconquête de la ville et des territoires.
Les zones d’éducation prioritaire ne peuvent pas constituer la seule réponse à la demande d'égalité des chances…
M. Patrick Lemasle. Bien sûr que non !
M. Yves Durand. …que l'État doit apporter à chaque Français : elles sont l'appui exceptionnel – et j’insiste – que la République doit consentir à des territoires dont elle a, en fait, disparu.
M. Patrick Lemasle. Bien sûr !
M. Yves Durand. Elles ne peuvent donc pas se substituer au traitement inégalitaire des moyens donnés à l'école, laquelle doit tenir compte des inégalités sociales et culturelles sur l'ensemble du territoire national.
M. Patrick Lemasle. Il a raison !
M. Yves Durand. Pour cela, il faut ainsi mettre en place une nouvelle gestion des moyens de l'éducation nationale plus proche des réalités sociales de chaque territoire, à partir d'un dialogue constructif entre les rectorats et les établissements, qui devraient bâtir leurs projets pédagogiques en réseau.
C'est par l'action conjuguée d'une gestion inégalitaire des moyens sur l'ensemble du territoire et d'une politique d'éducation prioritaire là où elle est nécessaire, parce que ciblée sur les seuls territoires qui en ont besoin, que l'école retrouvera sa mission républicaine. (« Bravo ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Il s’agit de donner à chaque enfant les mêmes chances de réussite, quelle que soit son origine sociale, ethnique, culturelle ou territoriale. Alors, la conquête d'une réelle égalité des chances par l'inégalité de traitement des moyens – j’insiste sur ce terme – …
M. Guy Teissier. On a compris !
M. Yves Durand. …aura supprimé la discrimination, même positive. Pour répondre à l'inégalité des situations économiques, sociales et culturelles, la République, pour être égalitaire, doit appliquer des politiques elles-mêmes inégalitaires.
M. Alain Néri. Très bien !
M. Guy Teissier. Bis repetita…
M. Yves Durand. Nous proposons ainsi aux Français, notamment aux plus fragiles d’entre eux, une conception radicalement différente de l'égalité des chances.
Si le ministre de l'éducation nationale accepte de participer à nos débats, nous lui proposerons d’établir, en concertation avec tous les acteurs de l'éducation – enseignants, associations de parents, élus – une vraie charte de l'éducation prioritaire afin de définir les critères d'intervention de l'État et d'assurer un véritable pilotage national de l'éducation prioritaire.
Chaque académie devrait organiser des réseaux éducatifs entre écoles, collèges et lycées, permettant d'appliquer la continuité éducative pour l'ensemble du parcours scolaire du jeune, et ce jusqu'à seize ans, âge maintenu, confirmé pour tous, de la scolarité obligatoire – et non en l’interrompant à quatorze ans ! C'est avec ces réseaux d'établissements et à partir de leur projet pédagogique et de leur environnement économique et social que les moyens pourraient être attribués. Nous proposons, je le répète, un traitement inégalitaire pour l’égalité des chances.
M. Maurice Giro. Inégalitaire pour l’égalité ! Curieux !
M. Yves Durand. Eh oui, cette conception vous est effectivement étrangère ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Enfin, la culture technologique et professionnelle doit faire partie du socle commun de connaissances que chaque jeune doit maîtriser ; elle doit donc être ouverte à tous les élèves et ne pas devenir le faux refuge de ceux qui ne peuvent pas suivre une autre formation. L'orientation vers des voies professionnelles ne doit pas être une orientation par l'échec, comme le prévoit ouvertement votre texte, mais une orientation choisie et donc une voie de réussite pour les jeunes qui veulent s'y engager. C'est pourquoi nous proposons de reprendre le projet de lycées des métiers – que vous avez abandonné –, lycées qui auraient pour vocation de permettre, après la scolarité obligatoire, de s'engager dans une filière professionnelle grâce à des passerelles entre la voie professionnelle courte – BEP, CAP – et la voie plus longue – « bac pro », BTS, voire licence professionnelle.
M. Rodolphe Thomas. Cela existe déjà !
M. Yves Durand. L’enseignement technologique et professionnel prendra ainsi sa véritable place dans le système éducatif, et, parce qu’il sera enfin un pôle d'excellence, il deviendra un outil majeur de promotion sociale et d'épanouissement personnel de nombreux jeunes, ces jeunes que votre projet de loi exclut de toute perspective de réussite et donc d'émancipation. C'est sur cette base que nous proposons de construire une véritable pédagogie de l'alternance, qui n'a rien à voir avec votre conception de l'apprentissage.
Pour toutes ces raisons, le titre Ier de votre projet de loi est inacceptable au regard de la mission que la nation a confiée à son école. Il constitue, de plus, une aberration sur le plan économique.
Les enquêtes internationales qui comparent les systèmes éducatifs des pays développés, et récemment l'enquête PISA, mettent en évidence deux conclusions. Premièrement, l'insertion professionnelle des jeunes est d'autant plus réussie que le niveau de formation initiale est élevé. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Il n'existe pas de formation permanente réelle sans une formation initiale solide. L'échec à l'école ne pourra jamais permettre la réussite dans la vie professionnelle.
M. Jean-Charles Taugourdeau. Ça, on le savait !
M. Yves Durand. Si vous aviez vraiment voulu lutter contre les inégalités, vous auriez en priorité abordé le problème de l'échec scolaire, qui n'est pas plus traité dans ce texte que dans la loi sur l'avenir de l'école. Deuxièmement, le niveau de formation de l'ensemble des jeunes est d'autant meilleur que l'orientation vers des filières spécialisées et professionnelles est tardive. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Ces conclusions ont d'ailleurs été reprises dans le rapport que M. Thélot, présenté au Premier ministre à l’issue du débat sur l'école.
Plusieurs députés du groupe socialiste. Eh oui !
M. Yves Durand. Les dispositions du titre Ier tournent le dos non seulement à l'exigence d'égalité des chances, contrairement à ce que vous affirmez, mais aussi au véritable développement économique du pays, qui aura de plus en plus besoin d’une main-d'œuvre qualifiée. Vous prenez – et vous l’avez encore fait tout à l’heure, monsieur le ministre – l'exemple allemand pour appuyer votre démarche. Toutefois, vous le faites au moment même où les Allemands remettent en cause leur système éducatif, après s’être aperçus qu'il était devenu un des moins bons d'Europe, en raison d’une orientation trop précoce des jeunes dans la voie professionnelle. Or c’est ce que vous voulez faire en instaurant l’apprentissage dès l’âge de quatorze ans !
Monsieur le ministre, vous présentez cette mesure brutale d’exclusion des jeunes de quatorze ans du système éducatif, comme étant dictée par un souci de pragmatisme : en sonnant la fin de la scolarité obligatoire à seize ans, vous ne feriez preuve que de simple bon sens ! Bien au contraire, avec ce projet de loi, vous pratiquez l'idéologie, la vôtre,…
M. Patrick Lemasle. Voilà !
M. Yves Durand. …celle de l'exclusion et du renoncement.
Par ce projet de loi, vous renoncez à démocratiser l’école, le savoir, la culture, c’est-à-dire la société elle-même.
Ce renoncement met en évidence votre conception même de l’école, car c’est bien une morale du « quand on veut, on peut » qui sous-tend votre vision de l’éducation, comme si les conditions de vie des enfants n’avaient aucune influence sur leur échec ou leur réussite scolaire, comme si l’état dans lequel ils se présentent à la porte de l’école le matin n’influait pas sur leur capacité à accéder au savoir ou au goût de l’effort.
Pour vous, quand un élève s’ennuie, comme vous dites, c’est qu’il n’est pas fait pour l’école et n’a plus rien à y faire car, s’il ne veut pas à quatorze ans, il est évident qu’il ne voudra et donc ne pourra jamais. Dans votre idéologie, c’est l’élève lui-même qui est responsable de son échec, comme le chômeur est responsable de la perte de son emploi, le pauvre de sa pauvreté et les parents des troubles que peuvent causer leurs enfants qui ont décroché de l’école.
C’est aussi cette morale, celle du « quand on veut, on peut », qui sous-tend la troisième disposition inacceptable de votre projet de loi : la suspension des allocations familiales en cas de troubles dus à une carence parentale, mais nous y reviendrons lors de la discussion des articles.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, illustre en tout point la conception que vous vous faites de la société, et, en cela, il est cohérent. Il est le reflet du projet que vous voulez pour la France et, notamment, pour la jeunesse.
En externalisant les problèmes, en faisant porter la responsabilité des situations difficiles aux personnes qui en sont les premières victimes, en détruisant toutes les règles de protection, notamment pour les plus faibles, au nom de la flexibilité, vous interdisez à l’État de jouer son rôle principal, celui de toujours chercher à compenser les inégalités.
Ce projet politique, vous l’appliquez touche après touche depuis bientôt quatre ans, au nom du pragmatisme et au nom du réalisme que vous érigez en nouvelle philosophie politique, mais ce réalisme est un réalisme illusoire. C’est en réalité un réalisme du renoncement,…
M. Marc Dolez. Eh oui !
M. Yves Durand. …renoncement à réformer l’école pour qu’elle permette à tous les élèves, surtout à ceux qui y peinent, de réussir avec et comme les autres – à ceux qui échouent, vous ne proposez que l’exclusion –, renoncement à changer la ville pour que chacun puisse y trouver sa place grâce à une véritable mixité sociale que vous avez toujours refusée, renoncement à aider chaque jeune à trouver une voie professionnelle stable lui permettant de construire sa vie dans la sérénité.
En dépit du titre de votre projet de loi, vous renoncez à construire une égalité réelle, entre les individus comme entre les territoires, dont vous avez renoncé à impulser l’aménagement.
Votre renoncement n’est en fait que l’adaptation à une situation urbaine, sociale, économique, culturelle, scolaire engendrée par votre propre politique libérale, qui organise la concurrence systématique entre les individus, accroît les écarts entre les hommes comme entre les territoires, et rejette les exclus.
Par votre projet de loi, vous imposez la déqualification aux jeunes déjà en difficulté et la précarisation pour tous. Quelle autre perspective pour un jeune entrant en sixième, après votre projet de loi, que l’exclusion de l’école s’il connaît l’échec scolaire et un contrat précaire même s’il réussit de brillantes études universitaires ?
Face à un tel renoncement, il est de notre devoir de résister puis de proposer pour que, le moment venu, les Français, et au premier rang les jeunes, retrouvent la confiance dans l’avenir et donc dans l’engagement collectif et le volontarisme, sans lequel l’action politique n’est qu’une succession de capitulations devant les faits.
C’est parce que votre projet de loi ne permet pas de lutter efficacement contre les inégalités, qu’il ne répond pas aux graves questions que pose aujourd’hui plus qu’hier le chômage des jeunes, que je demande à la représentation nationale de voter la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement.
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Mon intervention sera brève. Après avoir entendu les appels de M. Durand à Malraux et à de Gaulle,…
M. Henri Emmanuelli. Et à Voltaire !
M. Christian Paul. Ce n’est pas la faute à Voltaire, c’est la faute à Borloo !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …puis un remarquable hommage à François Fillon, le constat me paraît simple.
L’emploi des jeunes est un problème qui se pose dans tous les pays d’Europe. Dans certains d’entre eux, il est à peu près équivalent à celui des adultes, dans d’autres, il a beaucoup décroché. Nous avons la palme de ceux qui ont décroché, les Allemands ont celle de la réussite. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) En Allemagne, contrairement à ce qu’a dit M. Durand, l’apprentissage concerne 6 % de la masse salariale des entreprises.
M. Henri Emmanuelli. Mais les Allemands revoient le système !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Oui, pour passer à 8 %, pas pour le réduire ! En Allemagne, l’apprentissage direct est possible dès quatorze ans (Protestations sur les bancs du groupe socialiste)…
M. Henri Emmanuelli. Vous ne connaissez même pas vos dossiers !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. …et, que je sache, nos amis allemands, qui ont mis ce système en place dans la cogestion avec les partenaires sociaux, n’ont pas le sentiment d’être revenus au XIXe siècle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Henri Emmanuelli. Le XIXe siècle, c’est vous. Vous faites le sale boulot !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Pour le reste, sur la négociation approfondie qui a été pilotée par Gérard Larcher avec la communauté éducative, les professionnels et les partenaires sociaux, je lui laisse le soin de répondre plus en détail.
M. Patrick Lemasle. Et de Robien ?
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Le programme TRACE, monsieur Durand, a été remplacé par 138 000 CIVIS. La différence, c’est qu’on finance à 300 euros par mois les jeunes qui ont des difficultés dans un programme équivalent. Ça vous avait manifestement échappé.
M. Henri Emmanuelli. Non !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Il vous a également échappé qu’il n’est pas question d’une suppression de l’agence nationale de lutte contre l’illettrisme.
M. Yves Durand. On verra !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Elle est à Lyon et se porte bien, comme l’a confirmé le maire de cette ville.
Quant aux zones franches urbaines, il va bien falloir que vous soyez cohérents. Vous ne pouvez pas, monsieur Durand, me demander des zones franches urbaines dans le Pas-de-Calais, vous ne pouvez pas, monsieur Roy, me demander une zone franche urbaine à Denain, et, à l’Assemblée, m’expliquer que ce n’est pas bien. (Huées sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Alors, choisissez ! Vous en voulez ou vous n’en voulez pas à Denain ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Christian Paul. C’est du chantage !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Non, ce n’est pas du chantage, c’est un principe de cohérence ! Vous avez le droit de ne pas en vouloir, mais dites-le à vos électeurs !
Il vous a également échappé, me semble-t-il, monsieur Durand, que la loi de cohésion sociale a prévu la création d’équipes de réussite éducative. Cent vingt sont mises en place dans le cadre d’un programme qui s’élève à plus de 350 millions d’euros. Vous souhaitez que ce soit contractualisé sur le terrain, et vous avez raison. Vous avez parlé d’un service national civique éducatif. Nous sommes d’accord, et c’est d’ailleurs dans la loi de cohésion sociale.
Plusieurs députés du groupe socialiste. Non !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Ça s’appelle les équipes de réussite éducative. On élargit d’ailleurs la contractualisation aux caisses d’allocations familiales et aux départements.
Enfin, je ne peux pas vous laisser dire que nous avons renoncé à changer la ville. Quand on sait que, pour les investissements urbains, vous mettiez 28 millions d’euros par an et que le programme de rénovation urbaine représente 6 milliards d’euros par an, ça manque un tout petit peu de décence ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. – Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Patrick Lemasle. Les 6 milliards, c’est du pipeau !
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Pour le reste, je laisse à Gérard Larcher le soin de vous expliquer le détail du socle fondamental et de l’apprentissage. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes.
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Vous vous êtes longuement exprimé, monsieur Durand, notamment sur la filière professionnelle et sur la mission de l’école.
La mission, de l’école, tout le monde en convient, c’est d’assurer la réussite de tous les enfants, et c’est bien notre préoccupation.
M. Augustin Bonrepaux. On ne le dirait pas !
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Nous voulons aussi que la filière professionnelle devienne réellement une filière d’excellence, comme nous l’avons souhaité dans la loi du 18 janvier sur la cohésion sociale. Je me souviens de Jean-Louis Borloo et de Laurent Hénart, au banc du Gouvernement, mettant l’accent sur cette filière d’excellence que devait être l’apprentissage, du certificat d’aptitude professionnelle à bac + 5. Nous nous sommes fixé un objectif de 500 000 apprentis, dont au moins 20 % en formation en alternance dans des écoles d’ingénieurs ou des universités.
M. Yves Durand. C’est autre chose !
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. La formation à un métier est la meilleure des garanties pour entrer dans la vie professionnelle et s’adapter tout au long de la vie.
M. Christian Paul. Hors sujet !
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Ce principe est vraiment au cœur de nos préoccupations.
M. Henri Emmanuelli et M. Christian Paul. Ce n’est pas le sujet !
M. Yves Durand. Vous ne répondez pas !
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Laissez-moi poursuivre, monsieur Durand.
Plusieurs députés du groupe socialiste. Non !
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. On vous a écouté une heure et demie.
M. Yves Durand. C’était mon droit !
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Le mien est de vous répondre, c’est même mon devoir !
M. Henri Emmanuelli. Vous l’avez interrompu aussi !
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Monsieur Emmanuelli, taisez-vous un instant, ce sera utile ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. – Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Pour le statut de l’apprenti et les contrats d’objectifs et de moyens que nous signons avec la région, la dimension culturelle et linguistique et l’approfondissement du socle des fondamentaux font bien partie de nos préoccupations et, avec les régions, nous prévoyons des moyens en ce sens.
Quel constat faisons-nous ? En dépit de tous les discours, 150 000 jeunes sortent chaque année du système éducatif sans aucun diplôme (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire), 60 000 jeunes sortent du collège sans aucune qualification, 15 000 jeunes, officiellement, sont en errance scolaire, et, en fait, 45 000. Face à un tel constat, il faut avoir le courage d’affronter la réalité et cesser de se payer de mots et d’en appeler à des théories auxquelles on nous fait croire depuis vingt-cinq ans. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste. – Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Yves Durand. J’ai fait des propositions !
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Dans les quartiers que je connais bien, dans mon département, à Trappes, Sartrouville ou Mantes-la-Jolie, 50 % des jeunes qui sortent du collège se retrouvent au chômage. Voilà le cercle infernal que nous entendons briser ! L’égalité des chances, c’est bien l’objectif de ce texte.
Qu’avons-nous fait ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Plusieurs députés du groupe socialiste. Rien !
M. Alain Néri. Rien depuis quatre ans !
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Nous avons beaucoup dialogué, puisé dans l’expérience. Vous êtes né dans le département de la Mayenne, je crois, monsieur Durand, pas très loin de chez moi. Vous connaissez, par exemple, le travail des maisons familiales rurales, qui aident notamment des jeunes en grande difficulté. J’ai siégé dans le conseil d’administration de l’une d’entre elles. J’ai beaucoup dialogué avec certains de leurs représentants, qui ont suggéré des maisons familiales urbaines.
Notre projet est d’abord pédagogique. En aucun cas, il ne supprime la scolarité obligatoire jusqu’à seize ans. Nous n’abaissons pas l’âge de l’apprentissage de seize à quatorze, mais nous regardons les choses en face.
Nous instaurons un parcours d’initiation aux métiers sur la base du volontariat, avec la nécessité d’apporter un socle fondamental de connaissances. Aux 45 000 jeunes en errance scolaire, en vérité, on n’apporte aucun des socles fondamentaux, on se contente d’attendre qu’ils aient atteint seize ans. Notre ambition, c’est qu’à seize ans, ils aient ce socle fondamental de connaissances. Le passeport, ce n’est pas simplement l’âge, mais l’acquisition de ce socle. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Alain Néri. En dehors de l’école ?
M. Henri Emmanuelli. Ce sont des mots, des mots hypocrites !
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. La découverte des métiers se fera sous le contrôle d’une équipe pédagogique, en lien avec le collège. Nous ne détruisons pas du tout le lien avec celui-ci. D’ailleurs, partant de l’expérience de quelques CLIPA et CPA qui ont bien fonctionné – parce qu’il y en a qui ont bien fonctionné – il n’est pas du tout exclu que, dans certains lieux, ce soit le collège qui soit le lieu de l’accompagnement, de la découverte des métiers et de l’acquisition du socle de connaissances. Tous ces éléments de réflexion font partie du rapport qu’Irène Tharin a remis au Premier ministre.
Après une évaluation, nous mettrons en place des passerelles,…
M. Alain Néri. C’est étroit, une passerelle !
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. …ce qui voudra dire que la filière classique devra s’ouvrir à la filière professionnelle, et c’est là qu’il va falloir faire une véritable révolution culturelle. On n’entrera pas dans l’apprentissage automatiquement à quinze ans. Si l’on n’a pas acquis les fondamentaux nécessaires, on pourra faire deux années de parcours d’initiation aux métiers. On pourra aussi moduler le temps de l’apprentissage, qui pourra être de trois ans car certains jeunes ont besoin de trois ans.
Notre objectif, c’est la réussite des jeunes, ce n’est pas de les faire attendre jusqu’à seize ans pour qu’ensuite, 50 % d’entre eux soient condamnés au chômage. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Le but de l’apprentissage junior, c’est une vraie égalité des chances pour tous et l’excellence de la filière professionnelle ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. Dans les explications de vote, la parole est à M. Alain Joyandet, au nom du groupe de l’UMP.
M. Alain Joyandet. À écouter nos collègues socialistes, je n’ai pas l’impression que nous vivions sur la même planète !
Plusieurs députés du groupe socialiste. Ça c’est vrai !
M. Alain Joyandet. Et vous qui vous targuez d’être plus près du peuple que nous…
M. Augustin Bonrepaux. Nous le sommes !
M. Alain Joyandet. …je me demande qui vous rencontrez réellement.
Les jeunes que nous rencontrons nous disent que la formation qu’ils reçoivent ne débouche pas souvent sur un travail, que lorsqu’ils habitent une cité ou qu’ils sont issus de l’immigration, à cause de leur couleur ou de leur faciès, ils sont écartés d’un certain nombre de possibilités. Ils nous disent encore qu’il leur est difficile de trouver des stages. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
Mme Martine Billard. Ce n’est pas le projet qui réglera ça !
M. Alain Joyandet. Écoutez donc ces jeunes ! Enfin, ils nous disent aussi combien il est difficile de trouver un premier emploi.
M. Augustin Bonrepaux. C’est que vous ne faites rien !
M. Alain Joyandet. Je constate que ce projet de loi tente de répondre à toutes ces préoccupations.
M. Xavier de Roux. Absolument !
M. Alain Joyandet. J’ai été assez choqué, comme de nombreux députés de la majorité, d’entendre cet après-midi le président du groupe socialiste, M. Ayrault, dire qu’il allait mener une « bataille ». Mais contre qui ? Contre quoi ? (« Contre vous ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
La majorité, elle, va mener aussi une bataille, mais pour les jeunes, pour leurs familles, pour notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Nous sommes mobilisés, nous sommes tous autour de nos ministres….
Plusieurs députés du groupe socialiste. Ils en ont besoin !
M. Alain Joyandet. …et nous sommes prêts à commencer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. Pour le groupe socialiste, la parole est à M. Patrick Roy.
M. Patrick Roy. J’ai écouté avec une grande attention Yves Durand, qui a succédé à l’excellent Gaëtan Gorce, mais auparavant, en début de discussion, j’ai été très surpris d’entendre le président Dubernard déclarer qu’il avait découvert en novembre qu’il y avait un problème dans les banlieues ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Depuis trois mois, le Gouvernement découvre qu’il y a des problèmes.
Il est vrai que, depuis quatre ans, le Gouvernement accumule les mauvais coups dont je ne dresserai pas la liste, car elle serait trop longue. Il a commencé avec les emplois jeunes, une formule qui avait obtenu des résultats tout à fait remarquables (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) et qu’il a décidé de supprimer pour des raisons purement idéologiques. Il a utilisé un vocabulaire, dont n’importe quel pédagogue de qualité sait qu’il ne saurait convenir à la jeunesse. Le terme de « racaille » utilisé par le Gouvernement pour désigner la jeunesse de France est, je le dis avec tristesse, proprement scandaleux ! Comment voulez-vous ensuite que les jeunes aient confiance dans le gouvernement de la France ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Dans le même ordre d’idée, j’ai été très choqué que le Gouvernement ait fait procéder, à l’époque, à des fouilles policières à la sortie des collèges.
M. Jean Leonetti. Cela n’a rien à voir avec le texte !
M. Patrick Roy. La réalité, c’est que depuis quatre ans, le chômage des jeunes explose, et vous en êtes les responsables. En fait, vous prétendez éteindre le feu que vous avez vous-mêmes allumé !
Ce texte est aussi l’occasion de montrer, une fois de plus, votre mépris total du Parlement. La déclaration d’urgence à laquelle vous recourez – c’est d’ailleurs une habitude de ce gouvernement – vous permet d’intégrer le CPE dans le débat en dernière minute, sans que nous ayons pu en débattre d’une manière démocratique.
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Qu’avez-vous fait pour les emplois jeunes ?
M. Patrick Roy. Et puis, comme l’a expliqué, longuement et avec talent, Yves Durand, on note une véritable pratique du mensonge de la part de ce Gouvernement.
M. Jean Leonetti. C’est mauvais, très mauvais, et laborieux !
M. Patrick Roy. Un mensonge sur l’école, puisque ce projet de loi remet en cause l’école obligatoire jusqu’à seize ans.
M. le ministre de l’emploi, de la cohésion sociale et du logement. Non !
M. Patrick Roy. Monsieur le ministre, je me souviens du ministre Fillon, à qui je reprochais d’avoir fait disparaître les aides éducateurs, m’assurant qu’ils avaient été remplacés poste pour poste, par d’autres jeunes, alors que tout le monde sait que c’est faux et que votre gouvernement a privé les collèges et les écoles primaires d’encadrement par depuis quatre ans !
Mensonge également sur le fonds social pour les cantines, que vous avez quasiment supprimé. Il a fallu une levée massive de boucliers pour que vous rétablissiez une partie de ses moyens.
Enfin, comment est-il possible de discuter d’un texte sur l’école sans que le ministre de l’éducation nationale soit présent ? (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Il faut dire que ce ministre ne possède pas très bien son sujet : il n’est qu’à voir la polémique qu’il a engagée sur la méthode globale, alors qu’elle a totalement disparu de nos écoles depuis vingt ans ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Xavier de Roux. Mensonge !
M. Patrick Roy. Alors peut-être, en effet, vaut-il mieux qu’il ne soit pas présent ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Comme aurait pu le dire Bernie Bonvoisin, messieurs les ministres, avec cette loi antisociale, le Gouvernement perd son sang-froid. C’est la raison pour laquelle le groupe socialiste votera la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. le président. Pour le groupe des député-e-s communistes et républicains, la parole est à M. Jean-Claude Sandrier.
M. Jean-Claude Sandrier. Messieurs les ministres, comment croire que vous allez régler le problème de l’emploi des jeunes, alors que vous êtes là depuis quatre ans…
Mme Marie-Jo Zimmermann. Et vous ?
M. Jean-Claude Sandrier. …et que vous le découvrez aujourd’hui. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) La découverte est un peu trop tardive pour ne pas être suspecte, et nous ne vous accordons aucun crédit sur cette question quand on voit ce qu’il en est du chômage. Les statistiques, c’est vrai, enregistrent une baisse…
M. Xavier de Roux. Eh oui !
Mme Marie-Jo Zimmermann. Cela vous gêne !
M. Jean-Claude Sandrier. …mais qui ne doit rien à votre politique ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Elle s’explique, d’une part, par le retour aux emplois non marchands que vous aviez supprimés par pure idéologie…
M. Xavier de Roux. Le parti communiste est contre les emplois non marchands ! Nous aurons tout entendu !
M. Jean-Claude Sandrier. …et, d’autre part, par les premiers effets, entièrement mécaniques, du papy boom. La seule chose qui vous est réellement due, c’est la radiation abusive des chômeurs !
Mme Marie-Jo Zimmermann. Ce n’est pas vrai !
M. Jean-Claude Sandrier. Allez demander aux personnels des ANPE les contraintes qu’ils subissent !
M. Xavier de Roux. Mensonge ! Mensonge !
M. Jean Leonetti. C’est scandaleux !
M. Jean-Claude Sandrier. Pourquoi donc choisissez-vous ce moment pour lancer cette attaque contre le droit du travail ? Non pour donner du travail aux jeunes : alors que 600 000 salariés vont partir chaque année en retraite, des emplois il y en aura. Il ne s’agit donc pas de créer des emplois, puisqu’il va s’en libérer. C’est tout simplement pour permettre au MEDEF (« Ah ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) de disposer d’emplois corvéables et jetables, et de soumettre les jeunes sans broncher aux exigences patronales. Le papy boom permettrait justement d’exiger du patronat des embauches stables, correctement rémunérées et assorties d’une vraie formation.
M. Xavier de Roux. Vive la lutte des classes !
M. Jean-Claude Sandrier. Cette tension, qui allait se créer sur le marché du travail, plutôt en faveur des salariés, à l’occasion du papy boom, vous voulez la retourner en faveur du MEDEF, en aggravant la précarité, en cassant le droit du travail, en rendant flexible l’emploi, c’est-à-dire en rendant les salariés malléables et jetables à tout moment. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Je ne reviendrai pas sur le mépris dont le Gouvernement fait preuve à l’égard de l’Assemblée nationale et qui se traduit notamment par le refus de saisir la commission des lois, comme l’avait demandé notre président.
Le groupe des député-e-s communistes et républicains demande la création d’un système de sécurité emploi formation tout au long de la vie professionnelle et rejette ce retour à peine voilé au XIXe siècle que vous nous proposez. Nous voterons pour cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
M. le président. Sur le vote de la question préalable, je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
M. le président. Pour le groupe UDF, la parole est à M. Rodolphe Thomas.
M. Rodolphe Thomas. Si nos collègues de l’opposition, surtout M. Durand, avaient la moindre idée de ce qui se pratique en Allemagne, ils auraient une vision tout autre de ce que doit être l’apprentissage en France.
Former doit être la priorité. L’expérience professionnelle est un gage d’intégration dans la société.
Nous avons tous, dans notre entourage, des jeunes qui cherchent du travail ou une formation qualifiante en entreprise, qui frappent à toutes les portes et se désespèrent.
Toute une génération a le sentiment de s’être fait voler son avenir. Les jeunes ne veulent ni compassion ni incantations : ils veulent simplement trouver une porte de sortie du système scolaire lorsqu’ils se trouvent confrontés à un décrochage scolaire. Il faut donc lutter sur tous les fronts, de l’orientation scolaire à l’intégration professionnelle. Nous savons tous que les réformes sont toujours des sujets explosifs et plus particulièrement lorsqu’elles s’adressent au monde de l’enseignement et, bien sûr, aux adolescents.
Mais ne rien faire, c’est accepter que le chômage des jeunes s’aggrave chaque jour un peu plus.
L’entreprise a vocation à devenir un lieu de formation à part entière : aucune institution ne connaît mieux qu’elle les besoins du marché du travail ; aucune n’est plus à même d’offrir un enseignement pertinent, concret et pratique, directement utile à ceux qui l’acquièrent. Pour toutes ces raisons, la formation en entreprise est un atout unique d’intégration, propre à offrir à chacun la nouvelle chance à laquelle il a droit, quel que soit son âge, sa situation personnelle et ses origines. C’est à quoi nous devons consacrer toutes nos forces et toute notre imagination, avec audace, courage et détermination.
Mon parcours professionnel, qui n’est pas achevé puisque je poursuis une activité artisanale et commerciale, m’a donné une certaine expérience de l’apprentissage, puisqu’il m’a conduit à embaucher régulièrement des apprentis. C’est cette expérience qui me permet de dire qu’en la matière, le projet n’a rien inventé : il est déjà possible aux jeunes de quinze ou seize ans d’effectuer une période de préapprentissage. Mais la création d’un « apprentissage junior » permettra d’intégrer tous ces jeunes dans une filière de formation unique, soit dans le cadre d’un préapprentissage, soit dans le cadre d’un apprentissage, qui débouchera sur un CAP, un BEP, ou un baccalauréat professionnel, comme l’a rappelé notre collègue Durand. Cette filière permettra précisément de mieux intégrer toute cette jeunesse.
Les contrats d’apprentissage ne sont pas des « contrats Kleenex », puisqu’ils ouvrent à une véritable formation en alternance dispensée dans les centres de formation ou les lycées professionnels. Et je sais que les lycées professionnels sont très demandeurs de telles formations en alternance, et qu’ils ont à cœur d’accueillir tous ces élèves dans les meilleures conditions.
Il est heureux qu’il reste en France de petites entreprises artisanales ou commerciales susceptibles de prendre en apprentissage des jeunes qui ont décroché d’une scolarité régulière, et il faut développer cette possibilité. C’est pourquoi il faut soutenir la politique du Gouvernement en matière de rénovation urbaine et de zones franches urbaines dans les quartiers difficiles. Elle doit permettre à tous ces jeunes, garçons et filles, de s’intégrer durablement dans la société.
Il faudra bien un jour arrêter d’opposer les jeunes aux entreprises : les jeunes ont, comme nous, les politiques, besoin des entreprises.
Un député du groupe socialiste. Les jeunes moins que vous, quand même !
M. Rodolphe Thomas. Ce sont les entreprises qui pourront mener une politique volontariste en termes d’intégration des jeunes, en particulier des jeunes de moins de vingt-six ans.
Je ne reviendrai pas sur les effets négatifs des emplois jeunes, notamment dans le monde associatif et dans les collectivités, mais je peux vous garantir qu’il y a eu du déchet. Pendant cinq ans, c’est toute une frange des jeunes de vingt à vingt-cinq ans qui s’est retrouvée dans la situation la plus précaire.
Le CIVIS peut être également une solution très pertinente, car il est susceptible de devenir une véritable passerelle vers le « contrat première embauche ». En vérité, on n’a rien inventé : il s’agit simplement d’utiliser tous les outils qui existent, comme celui-ci.
Je crois pouvoir dire, au nom de toute la jeunesse qui vous écoute, mesdames, messieurs les élus, qu’on devrait être un peu plus respectueux de leur situation et de leur avenir.
C’est pourquoi, en ce qui me concerne, je ne voterai pas la question préalable. (Applaudissements sur quelques bancs du groupe Union pour la démocratie française et sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je vais donc mettre aux voix la question préalable.
Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.
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M. le président. Le scrutin est ouvert.
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M. le président. Le scrutin est clos.
Voici le résultat du scrutin :
L’Assemblée nationale n’a pas adopté.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, première séance publique :
Questions au Gouvernement (1) ;
Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 2787, pour l’égalité des chances :
Rapport, n° 2825, de M. Laurent Hénart, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
À vingt et une heures trente, deuxième séance publique :
Suite de l’ordre du jour de la première séance.
La séance est levée.
(La séance est levée, le mercredi 1er février 2006, à zéro heure vingt.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral
de l’Assemblée nationale,
jean pinchot
(1) Les quatre premières questions porteront sur des thèmes européens.