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Mme la présidente. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à neuf heures.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Madame la présidente, je demande une suspension de séance pour réunir la commission, afin d’examiner des amendements au titre de l’article 91 du règlement.
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à neuf heures, est reprise à neuf heures trente, sous la présidence de M. Éric Raoult.)
M. le président. La séance est reprise.
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi pour l’égalité des chances (nos 2 787, 2 825).
M. le président. J’ai reçu de M. Alain Bocquet et des membres du groupe des député-e-s communistes et républicains une motion de renvoi en commission, déposée en application de l’article 91, alinéa 7, du règlement.
La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour une durée ne pouvant excéder une heure trente.
M. Jean-Pierre Brard. Je regrette que M. Accoyer ne soit pas là ce matin pour dénombrer les troupes clairsemées de l’UMP.
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Et celles du PS ?
M. Jean-Pierre Brard. Leur absence se comprend, après l’incident d’hier !
M. le président. Monsieur Brard, il semblerait que d’autres groupes ne soient guère représentés ce matin.
M. Jean-Pierre Brard. Mais vous comprenez bien, monsieur le président, que mon objet n’est pas de convaincre ceux qui le sont déjà, mais de convaincre ceux qui sont un peu plus revêches à l’échange et à la discussion.
M. Alain Joyandet. Les députés du groupe de l’UMP étaient là hier soir !
M. le président. C’est comme les absents à la messe, monsieur Brard. (Mouvements divers sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean-Pierre Brard. En effet, monsieur le président. Mais vous savez, du temps de ma jeunesse, quand nous allions au catéchisme, on nous donnait une petite carte qu’au moins on pouvait faire pointer, même quand on était en retard à la messe, pour avoir droit à l’entrée gratuite au paradis.
Monsieur le ministre délégué à l’emploi, la volonté de promouvoir l’égalité des chances, que le Gouvernement affiche soudainement aujourd’hui, intervient trois mois après la crise sociale que notre pays a connue, crise sociale présentée, de manière euphémique et hypocrite, dans le projet de loi comme « une épreuve grave ». Il s’est agi, en fait, d’une crise profonde manifestant une situation d’urgence sociale, due à un haut niveau, et même à un niveau de plus en plus insupportable, d’inégalités sociales, fiscales, économiques et politiques de toutes sortes. Ce projet n’y répond pas, et c’est pourquoi un renvoi en commission s’impose.
Monsieur le ministre, vous avez beaucoup de talent : vous pourriez ouvrir un magasin de farces et attrapes. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Tout à l’heure, avant de venir ici, je suis passé au lycée Jean Jaurès de Montreuil et j’ai bien dû constater que vous aviez un vrai talent pour dynamiser les jeunes : vous avez réussi à les faire sortir tôt le matin, dans la froidure, et vous leur avez si bien expliqué qu’ils se sont dit que c’était trop beau pour être vrai. Et quand ils ont compris à quelle sauce vous vous apprêtiez à les accommoder pour les livrer à un patronat sans scrupule, dirigé par Mme Parisot…
Mme Geneviève Levy. Ils n’ont pas compris !
M. Jean-Pierre Brard. Madame, ne voyez pas les autres à votre image.
M. le président. Chers collègues, M. Brard souhaite que vous l’interrompiez pour excéder la durée de sa motion de renvoi en commission qui est d’une heure trente. Alors ne l’interrompez pas.
M. Jean-Pierre Brard. Et vous savez que les interruptions sont décomptées de mon temps de parole, monsieur le président.
C’est très important de vérifier où en sont ces jeunes. Ils m’ont expliqué que ce matin, comme leurs enseignants, eux aussi faisaient grève. Je leur ai demandé s’ils savaient pourquoi.
M. Maurice Giro. Non !
M. Jean-Pierre Brard. L’un d’entre eux m’a dit qu’ils ne comprenaient pas tout ce que dit le Gouvernement, mais qu’ils ont compris une chose, c’est que les deux premières années, ils pourront être virés sans explication. Vous voyez, monsieur le ministre, que vous avez un vrai talent de pédagogue parce qu’ils sont allés tout de suite à l’essentiel et ont compris ce qu’il fallait comprendre. Et aujourd’hui, ils vont être dans la rue parce qu’ils défendent leur avenir. Et en défendant leur avenir, ils défendent notre pays et les valeurs fondamentales sur lesquelles nos institutions ont été construites depuis la Révolution française.
J’en reviens à mon propos. Le 17 décembre 2003, à l’occasion d’un discours sur la laïcité, le Président de la République avait placé son intervention sous le signe de l’égalité. Il avait même utilisé ce terme à vingt reprises. Mais vous savez bien qu’à trop vouloir prouver, on finit par éveiller la méfiance. Le Président de la République déclarait : « La persistance voire l’aggravation des inégalités, ce fossé qui se creuse entre les quartiers difficiles et le reste du pays, font mentir le principe d’égalité des chances et menacent de déchirer notre pacte républicain. » Il ajoutait : « De l’abolition des privilèges, la nuit du 4 août, à celle de l’esclavage le 27 avril 1848, la République a proclamé avec force sa foi dans l’égalité et elle a bataillé sans relâche pour la justice sociale, avec ces conquêtes historiques que sont l’éducation gratuite et obligatoire, le droit de grève, la liberté syndicale, la sécurité sociale. »
Dès lors, nous aurions pu croire que le Président de la République ne pouvait plus reculer et qu’il commettrait une erreur trop grave pour la démocratie en ne conformant pas ses actes à ses paroles, quitte à être en rupture avec la politique qu’il a fait mettre en œuvre, inexorablement, inflexible, avec entêtement, depuis 2002.
La parole du Chef de l’État engage son action et les politiques publiques de la nation dans leur ensemble. Compte tenu de ses déclarations, sauf à considérer qu’elles étaient sans valeur, le Président de la République et par conséquent votre gouvernement, monsieur le ministre, se devaient d’engager sans tarder la mise en œuvre d’une véritable politique d’égalité.
Mais il faudra attendre 2006 pour que l’égalité des chances soit proclamée « grande cause nationale » par le Premier ministre. Pourtant, n’êtes-vous pas au pouvoir depuis près de quatre ans ? Et, comme aurait dit La Fontaine, qu’avez-vous fait pendant ce temps ?
En réponse aux violences urbaines de novembre, monsieur de Villepin, à l’occasion de l’une de ses déclarations à la presse de ce début d’année, a annoncé un ensemble de mesures destinées à promouvoir l’égalité des chances, signalant ainsi avoir entendu l’une des principales demandes des jeunes et des familles : être traités sur un pied d’égalité, comme le veut la devise de la République, et disposer des moyens de s’en sortir dans la vie. Je reconnais très volontiers que le Premier ministre fait des efforts. Il va même maintenant souvent dans les banlieues ; depuis qu’il a découvert qu’on pouvait franchir le périphérique, il va dans nos quartiers et il dit qu’il écoute. Mais j’ai l’impression – pas seulement parce que le Premier ministre maîtrise la belle langue – que la langue des jeunes et la sienne ne sont pas les mêmes. Cela n’a guère à voir avec le vocabulaire et la sémantique, mais c’est parce qu’ils ne vivent pas dans le même monde. Entre ces deux mondes, celui de la France qui trime, de la France qui voudrait travailler, de la France qui souffre, et le monde des privilégiés, il n’y a pas de passerelle.
Non seulement votre projet arrive tardivement mais, comme le souligne Roland Pfefferkorm, professeur de sociologie à l’Université Marc Bloch à Strasbourg – déclaration que l’on peut trouver en ligne sur le site de l’observatoire des inégalités –, « Dominique de Villepin a une fois de plus mis en valeur la notion d’égalité des chances avant d’annoncer des mesures qui vont accroître les inégalités. Il l’a décliné sous tous les registres. […]. Or, ce qu’un lecteur ou un auditeur distrait ne sait pas toujours, c’est que cette notion d’égalité des chances n’a pas grand-chose à voir avec l’égalité. »
Écoutez bien, monsieur le ministre, c’est un universitaire qui s’exprime : « C’est même tout le contraire. Cela apparaît de manière limpide dans la déclaration qu’avait faite il y a quelques années Gerhard Schröder – devenu l’un de vos maîtres à penser, monsieur le ministre, et entre-temps remercié par les électeurs – : “ Je ne pense plus souhaitable une société sans inégalités... Lorsque les sociaux-démocrates parlent d'égalité, ils devraient penser à l'égalité des chances et pas à l'égalité des résultats. ” L'égalité des chances est une notion typiquement libérale qui est mise sur le devant de la scène pour justifier l'existence, voire l'accroissement des inégalités sociales et en aucun cas pour réduire ces dernières. »
Roland Pfefferkorm a vu juste car, pour mettre les actes en cohérence avec les propos présidentiels, il devenait urgent de mettre fin à la politique de diminution de l'impôt sur le revenu, qui relève le niveau de vie des foyers les plus aisés. Il aurait fallu aussi, pour ne prendre que cet exemple-là, rétablir l'allocation spécifique de solidarité pour les chômeurs en fin de droits sans condition de durée.
En renonçant aux diminutions d'impôt, notre pays aurait trouvé les moyens d'accroître le budget des zones d'éducation prioritaire ou de doubler d'urgence la construction de logements sociaux.
Au lieu de cela, pour 2007, votre gouvernement prévoit 3,5 milliards de baisse de l'impôt sur le revenu : un gain annuel de 10 000 euros pour un contribuable gagnant 20 000 euros mensuels et, pendant ce temps, les crédits du ministère du logement diminuent, quoi qu’en dise Jean-Louis Borloo, le magicien du Gouvernement !
L'urgence est pourtant réelle. Il en va du pacte républicain dans son ensemble. Avec des milliers de voitures brûlées, des équipements collectifs – écoles, crèches, gymnases – détruits, l'instauration invraisemblable de l'état d'urgence, près de 4 700 personnes interpellées et plus de 400 condamnées à de la prison ferme – au 25 novembre – : le bilan des troubles qui ont secoué la France de la fin octobre à la mi-novembre 2005 est lourd pour notre pays, lourd pour notre pacte républicain. Il va bien au-delà des additions qui rendent compte du coût comptable.
Cependant, la pratique condamnable qui consiste à brûler des voitures ne date pas de l'automne 2005 : 21 500 voitures ont été brûlées en 2003 – soit en moyenne 60 par nuit –, le plus souvent en dehors de violences urbaines. Mais le ministre de l'intérieur tente de dissimuler les preuves fâcheuses pour enjoliver son bilan.
Or ce bilan est avant tout celui de votre gouvernement et, en particulier, celui du ministre de l'intérieur, qui multiplie les affirmations outrageantes et provocatrices. Ne s'est-il pas aventuré dans une analyse parfaitement et volontairement mensongère qui manipule et travestit les faits pour accroître le sentiment d'insécurité et jouer avec les peurs de nos concitoyens ?
Par exemple, dans sa très longue interview accordée le 17 novembre dernier à l'hebdomadaire L'Express, M. Sarkozy affirmait : « L'affaire est grave. Nous n'avons pas quelques dizaines ou quelques centaines de délinquants. Il s'agit de milliers [...]. Un certain nombre de territoires sont passés sous le contrôle de bandes parfaitement organisées. Elles règnent en maîtresses absolues. On voit leur organisation à partir de la façon dont elles utilisent les mineurs. Quand on découvre un laboratoire de fabrication de cocktails Molotov à Évry, on y trouve sept mineurs de 13 à 17 ans, utilisés par des caïds [...]. Une épreuve de force s'est donc déroulée sous les yeux de la France : un certain nombre de gens se sont dit : “ si on fait reculer les forces républicaines, on aura définitivement la paix. ” Un calme précaire s'était installé sur la démission de l'ordre public. Ils ont voulu s'enraciner définitivement. Le mal est profond, c'est pour cela que j'ai dit qu'il fallait l'éradiquer en profondeur, j'allais dire passer le kärcher [...]. S'occuper des banlieues ou des musulmans, ce n'est pas faire du communautarisme. Mon action est profondément républicaine car je veux rétablir l'ordre républicain. Elle est le contraire du communautarisme. Après toutes les interpellations que nous avons faites, la France ne sera, d'ailleurs, plus la même [...]. »
Ainsi, monsieur le ministre, en quelques phrases, votre collègue de l'intérieur désignait les coupables : les jeunes, les musulmans, placés sous le contrôle de bandes organisées, de caïds. La machine à stigmatiser est en marche comme pour mieux dissimuler les carences de l'État qui, depuis 2002, se désengage de nos villes et de nos banlieues, supprime les crédits aux associations, supprime la police de proximité, diminue les effectifs de police – cinquante fonctionnaires en moins dans ma ville de Montreuil, quarante-trois en moins dans celle de Noisy-le-Grand. Vous conjuguez et aggravez l'insécurité publique et l'insécurité sociale.
Le 7 décembre, un rapport des renseignements généraux était rendu public et mettait en évidence les mensonges du ministre de l'intérieur lui-même. Je cite ce rapport : « Aucune manipulation n'a été décelée permettant d'accréditer la thèse d'un soulèvement généralisé et organisé. Aucune solidarité n'a été observée dans les cités [...]. Les jeunes s'identifient par leur appartenance à leur quartier d'origine et ne se reconnaissent pas dans ceux d'autres communes ». Toujours selon les renseignements généraux, les islamistes n'ont eu « aucun rôle dans le déclenchement des violences et dans leur expansion ». Au contraire, « ils avaient tout intérêt à un retour rapide au calme pour éviter les amalgames ». Le rapport note enfin que la France a « connu une forme d'insurrection non organisée avec l'émergence dans le temps et l'espace d'une révolte populaire des cités, sans leader et sans proposition de programme. Les jeunes des cités étaient habités par un fort sentiment identitaire ne reposant pas uniquement sur leur origine ethnique ou géographique, mais sur leur condition sociale d'exclus de la société française. Les jeunes des quartiers sensibles se sentent pénalisés par leur pauvreté, la couleur de leur peau et leurs noms. Ceux qui ont saccagé les cités avaient en commun l'absence de perspectives et d'investissement par le travail dans la société française. »
Je vous suggère, monsieur le ministre, de transmettre un exemplaire de ce rapport à votre collègue M. Azouz Begag afin qu’il reçoive un véritable écho de la réalité : il nous épargnera ainsi ses fantasmes comme hier soir à la tribune ! Certes, votre objectif était d’occuper celle-ci afin que ça n’aille pas trop vite, et ainsi de faire avaler votre potion amère pendant les vacances scolaires.
Mais les jeunes ne s’y sont pas trompés, et votre volonté de régler l’affaire en deux temps trois mouvements ne change rien à la réalité ! Vous rendrez des comptes, non seulement lors des échéances électorales mais aussi dans les semaines à venir, au mouvement populaire qui se lève et dont vous vouliez empêcher l’expression.
Je vous invite, monsieur le ministre, à battre le pavé cet après-midi à Paris ou, à défaut de participer aux manifestations – cela ne fait pas partie de vos usages –,…
M. Daniel Paul. Déguisé, peut-être ?
M. Jean-Pierre Brard. …à observer et à écouter : peut-être alors serez-vous touché, sinon par la grâce – ce registre m’est étranger –, mais par la réalité !
M. Yves Durand. Très bien !
M. Jean-Pierre Brard. Comme disait le grand ancêtre, il faut réfléchir concrètement à partir de la réalité concrète. Pour votre part, monsieur le ministre, vous restez toujours en quelque sorte dans le spectacle et essayez de nous faire prendre des vessies pour des lanternes ! Parfois, ceux qui n’ont pas l’habitude de vous côtoyer s’y font prendre. Mais depuis trois ans, nous avons appris à reconnaître vos méthodes et vos trucs de vieil acteur…
M. Gérard Voisin. « Vieil acteur » ! Vous aussi, vous êtes un vieil acteur, monsieur Brard !
M. le président. Laissez M. Brard poursuivre.
M. Jean-Pierre Brard. Mais le théâtre, c’est la fiction ! Vous voulez, monsieur le ministre, nous endormir avec vos potions…
M. Gérard Voisin. Seriez-vous devenu malade ?
M. le président. Chers collègues, ne retombons pas dans les travers d’hier : pas d’invectives entre vous.
Poursuivez, monsieur Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Mais peut-être notre collègue entend-il faire appel à la sécurité sociale, même si, par la faute de ce gouvernement, il lui faudra assumer une plus grande part de la dépense !
M. Gérard Voisin. Ce que vous dites est scandaleux !
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Voisin, l’invective n’a jamais remplacé les arguments.
M. Gérard Voisin. C’est vous qui maniez l’invective !
M. le président. Mes chers collègues, seul M. Brard a la parole, pour une heure et demie. Laissons-le donc cheminer vers sa conclusion sans l’interrompre.
M. Yves Durand. La conclusion ? On n’en est qu’à l’introduction !
M. Jean-Pierre Brard. Je vous remercie, monsieur le président, d’avoir rappelé à l’ordre notre collègue, qui ignore les usages de notre auguste assemblée ainsi que le respect dû entre collègues. Cela prouve que l’on peut progresser à tout âge, y compris dans l’apprentissage des bonnes manières, même si, sur certains bancs, on les pratique moins qu’ailleurs !
J’en reviens à mon propos. Les événements du mois de novembre dans nos banlieues montrent que l’égalité des chances n’existe évidemment pas. Votre projet de loi va encore aggraver les inégalités. Ce qui devrait vous faire réfléchir, c’est que, selon les chiffres du ministère de l'intérieur, 62 % des jeunes arrêtés n'étaient pas connus des services de police et que, pour certains d’entre eux, il travaillaient très convenablement à l’école !
Votre politique d'injustice, d'humiliation, de hausse des inégalités, de condamnation à la gêne et à des fins de mois qu’on ne peut boucler entraîne le ras-le-bol et provoque les jacqueries, comme au mois de novembre dernier.
Enfin, les renseignements généraux constataient que les cités sont devenues des « ghettos urbains à caractère ethnique » où les difficultés s'accumulent, notamment en raison de l' « absence de mixité sociale » et de l' « importante déscolarisation des enfants », mais aussi du taux de chômage record.
Ainsi, comme l'explique Laurent Bonelli, chercheur en science politique à l'université de Paris X-Nanterre et auteur d'un article intitulé Révolte des banlieues. Les raisons d'une colère, « Il faudrait enfin ajouter les effets des politiques urbaines de ces vingt dernières années qui – sans en faire des ghettos – ont concentré dans un certain nombre de quartiers périphériques des familles nombreuses, souvent déracinées et subissant de plein fouet les formes de précarité existentielle [...]. Cette crise des milieux populaires est donc profondément sociale. »
C’est cela, monsieur le ministre, que vous ne voulez pas entendre. Vous, vous y avez vu un effet de la polygamie ; je doute fort, du reste, qu’à Rambouillet, vous côtoyiez souvent ce phénomène. D’autres y ont vu une fracture religieuse. L’expérience a montré que tout cela était parfaitement faux, et c’est fort heureux pour notre pays car, dans la mesure où il s’agit d’une crise sociale, c’est le mouvement social qui aura la responsabilité de la dénouer.
Nous avons eu l'occasion de citer en référence, dans le cadre de notre débat sur le logement, la semaine dernière, le rapport réalisé par l'atelier parisien d'urbanisme et publié en janvier 2005 sur la construction du logement social à Paris et dans les vingt-neuf communes riveraines.
Que nous apprend l'APUR ? Tout d'abord, son rapport « met en lumière la forte concentration de l'offre et de la demande de logements sociaux à Paris et dans les vingt-neuf communes limitrophes, qui constituent le périmètre d'étude. »
Le rapport souligne ensuite la répartition très inégale de logements sociaux à l’intérieur de ce périmètre. Ainsi, « le seuil de 20 % est dépassé dans trois arrondissements parisiens, les 13è, 19è et 20è, et dans vingt-deux communes sur vingt-neuf. En revanche, on compte moins de 2 000 logements SRU dans dix arrondissements du centre et de l'ouest ainsi que dans sept communes riveraines », parmi lesquelles la très célèbre ville de Neuilly-sur-Seine, chère à monsieur Sarkozy, ou encore la ville d'Ormesson, une sorte de périmètre aristocratique qui aurait survécu à nos principes d’égalité, malgré la Révolution et tout ce qui a suivi.
La détermination affichée d'un certain nombre de nos collègues à encourager et soutenir la mixité sociale n'est que façade et duplicité. Je pense en particulier à ces maires, parfois également parlementaires, dont le nom des communes apparaît dans un tableau retraçant l'effort de construction sociale des communes soumises aux obligations de l'article 55A de la fameuse loi SRU, tableau réalisé par les services de la Direction générale de l'urbanisme, de l'habitat et de la construction et communiqué aux parlementaires.
Ce document retrace les logements financés, par catégories de financement, pendant la première période triennale d'application de la loi, de 2002 à 2004. Or, que fait-il apparaître si ce n’est l’inégalité totale que vous voulez perpétuer ? Ce document fait, en effet, apparaître que sur les 742 communes de notre pays qui ne respectent pas la règle des 20 % de logements sociaux, 154 n'ont engagé aucune construction sociale pendant la période examinée. Face à cela, vous ne faites rien. Vous sanctifiez l'action de ces féodaux qui constituent des ghettos de riches en les soutenant de votre inertie délibérée.
À l'inverse des pratiques de maires délinquants qui ne respectent pas la loi, il faut, pour sortir de cette crise, offrir, en tout lieu du territoire national, toute la diversité de l'habitat, afin de combattre partout la sélection par l'argent.
Pour être réalisée, la mixité exige que personne ne soit mis au ban, relégué du fait de sa naissance ou de sa condition. À cet égard, l'objectif de 20 % de logements sociaux dans toutes les communes, objectif affirmé par la loi Solidarité et renouvellement urbains, apparaît tout à la fois réaliste et indispensable. Mais cette exigence élémentaire de solidarité nationale est aujourd'hui ouvertement contestée et mise à mal, malgré les appels courageux de l'abbé Pierre et des militants de nombreuses associations d'insertion et d'aide au logement.
Votre gouvernement et votre majorité, avec l'accord de l'Élysée, ont entamé le processus d'émasculation de la loi SRU. Malgré ses dénégations, le Président de la République est revenu sur ses engagements concernant la loi Solidarité et renouvellement urbains.
Depuis la promulgation, en décembre 2000, de ce texte, qui oblige environ 740 communes à atteindre le quota de 20 % de logements sociaux, le président avait, en effet, affirmé, à plusieurs reprises, qu'il ne serait pas modifié – en tout cas pas sans l'accord du Haut comité pour le logement des personnes défavorisées. Vous avez fait sauter ce verrou, faisant, une fois encore, mentir le Président de la République, avec son consentement, il est vrai.
Votre majorité, avec la connivence du Gouvernement et la complicité de l'Élysée, a adopté, jeudi dernier, un amendement qui modifie en profondeur l'article 55 de la loi SRU, contre l'avis du Haut comité pour le logement dont le secrétaire général, Bernard Lacharme, estime que cette réforme « ne va pas dans le sens de la mixité sociale ». C’est d’ailleurs à peu près ce qu’avait dit l’abbé Pierre. Elle « affaiblit les obligations » des collectivités locales en matière de droit au logement, et méconnaît les besoins des « ménages les plus pauvres ». C'est certainement ainsi que vous voulez promouvoir l'égalité des chances, que vous invoquez d’autant plus que chacun de vos actes renforce, précisément, les inégalités !
Pour Patrick Doutreligne, délégué général de la Fondation abbé Pierre, cette réforme va encourager les maires à privilégier l'accession sociale à la propriété au détriment de la production locative à bon marché, et leur permettre de sélectionner les populations situées « sur le haut du panier ». Un tel processus risque aussi de nuire au rééquilibrage géographique des logements sociaux et donc de nuire à la mixité sociale.
Ce comportement, votre comportement, est intolérable. Il accentue les clivages sociaux qui rongent notre société et qui sont au cœur de notre débat sur l'égalité des chances.
Où est l'égalité des chances lorsque, comme le relate le Monde Diplomatique du mois d'octobre dernier – cela intéressera particulièrement nos collègues des Bouches-du-Rhône – une famille algérienne de six personnes se voit refuser son titre de séjour par la préfecture des Bouches-du-Rhône, puis suspendre les allocations que lui versait jusque-là le conseil général au titre de la protection de l'enfance. Ne bénéficiant plus que de dons caritatifs, elle est expulsée de l'hôtel où elle logeait. La famille cohabite quelques mois avec des proches, mais leurs relations s'enveniment – ils vivent à treize dans un logement de quatre pièces – et elle doit partir. Elle s'installe, alors, dans un petit appartement vétuste du centre-ville marseillais, qu'elle paie 400 euros par mois, grâce au travail au noir que le père effectue dans le bâtiment. Lorsque le propriétaire, inquiété par la justice, lui demande de quitter les lieux, la famille investit illégalement un appartement vide. Elle en est expulsée quelques semaines plus tard, et intègre un autre squat. En 2005, ses membres sont toujours occupants « sans droit ni titre ».
Ce n'est pas un extrait des Misérables, ce n'est pas du Zola, ce sont les effets ou plutôt les méfaits de votre politique et les salamalecs, dont vous faites assaut lorsque l'abbé Pierre nous rend visite, ne suffisent pas à dissimuler votre dégoûtante duplicité.
M. Gérard Voisin. Quoi ?
M. Jean-Pierre Brard. Si vous écoutiez, au lieu de papoter parce que le sujet de l’égalité des chances ne vous intéresse pas, vous n’auriez pas besoin de me faire répéter !
M. Claude Gaillard. N’êtes-vous pas un peu excessif ?
M. le président. Mes chers collègues, n’interrompez pas M. Brard qui parlait des salamalecs lors de la venue de l’abbé Pierre.
Poursuivez, monsieur Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Le patrimoine sémantique de mes collègues devrait leur permettre de comprendre !
Quand l’abbé Pierre vient ici, vous faites semblant de communier avec lui, alors que vous tenez plutôt le rôle de Judas, au regard de ses engagements.
M. le président. Là, vous allez trop loin !
M. Henri Emmanuelli. Mais il a raison !
M. le président. Ne les faites pas réagir ! Revenons-en à l’abbé Pierre et à M. Brard !
M. Jean-Pierre Brard. Et à l’UMP, et au Gouvernement…
M. Daniel Paul. Et aux salamalecs !
M. Jean-Pierre Brard. …et aux salamalecs qui ont accueilli l’abbé Pierre. La semaine dernière, vous étiez tous en train d’accomplir vos génuflexions,…
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Gremetz aussi !
M. Jean-Pierre Brard. …tout en vous demandant intérieurement : « combien de temps va-t-il rester ? » En effet, il est votre mauvaise conscience affichée, comme un miroir dans lequel vous vous verriez sous des oripeaux qui dissimulent ce que vous êtes vraiment,…
Mme Martine David. Très juste !
M. Jean-Pierre Brard. …c’est-à-dire les avocats des privilégiés, les fondés de pouvoir de ceux qui ont siphonné, et veulent le faire davantage encore, les finances publiques pour remplir les coffres-forts !
Mme Martine David. Oui !
M. Jean-Pierre Brard. D’ailleurs, on l’a bien vu dans la loi de finances : 5 euros de plus par mois pour les bénéficiaires de la prime pour l’emploi, mais à ceux que vous préférez, ceux pour qui vous avez les yeux de Chimène, ceux qui vous feraient partir si vous n’exécutiez pas leurs quatre volontés, c’est-à-dire, par exemple, les 14 000 foyers fiscaux les plus riches du pays, cette année, vous allez rendre, en bon et bel argent, en moyenne, 18 000 euros !
Je suis sûr que les personnes présentes dans les tribunes, auxquelles vous dissimulez tout cela, avec beaucoup d’habileté, car vous utilisez les mots à contresens, ne savent pas que, d’un côté, il y a 5 euros de plus par mois pour les plus modestes, mais que, de l’autre, 18 000 euros supplémentaires sont prélevés sur les caisses publiques, alimentées par le RMIste qui va payer sur sa baguette achetée dans la boulangerie du coin 5,5 % de TVA ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Vous trouvez ça moral ?
Je comprends que l’abbé Pierre vous fasse faire des cauchemars !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission et plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Monsieur le président, intervenez !
M. le président. Chers collègues, je vais vous rappeler quelques points du règlement. La liberté d’expression est totale et le président ne peut, ici, qu’appliquer le règlement. Il n’a pas à donner son avis personnel sur le contenu des propos d’un orateur.
M. Claude Gaillard. C’est dommage !
M. le président. Mais c’est ainsi ! Et je fais observer au président de la commission et à un certain nombre de mes collègues que M. Brard cherche à les faire sortir de leurs gonds…
M. Jean-Pierre Brard. Pas du tout !
M. le président. …et qu’il y réussit !
M. Brard va donc revenir, non pas à la baguette de pain mais au projet sur l’égalité des chances, afin de terminer son intervention dans l’heure et demie qui lui est impartie. En tout état de cause, il peut dire ce qu’il veut, s’il ne prend pas à partie ses collègues !
Mme Martine David. Exactement !
M. Jean-Pierre Brard. Même vous, monsieur le président, je ne vous prendrai pas à partie, vous qui semblez pourtant bien avoir une filiation avec Marie-Antoinette ! Vous ne voulez pas que je parle de la baguette de pain. Vous faites partie de ceux qui auraient dit : « Ils n’ont plus de pain, qu’ils mangent donc de la brioche. » C’est que vous ne fréquentez pas les gens les plus modestes. Vous n’avez besoin que de leurs suffrages le jour des élections. Ou mieux, qu’il n’aille pas voter, pour que vous puissiez commettre, tranquillement, vos coups tordus, faire payer aux plus pauvres les privilèges que vous consentez aux plus riches.
Mme Martine David. Vous n’auriez jamais dû l’interrompre !
M. Jean-Pierre Brard. Voulez-vous que je vous « sorte » les grandes fortunes dont vous favorisez l’émergence ?
M. Gérard Voisin. On verra tout à l’heure qui a de la fortune !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Bernard Tapie ?
M. Jean-Pierre Brard. Bien sûr, mon cher collègue : Tranchant, Tapie, etc.
M. le président. Monsieur Brard, respectons tout de même la règle communément acceptée : pas de prise à partie de l’orateur par ses collègues,…
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. C’est le médecin qui s’exprimait : je volais au secours de l’orateur !
M. le président. …mais pas de provocation de la part de l’orateur !
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, je ne fais pas de provocation, je restitue le réel. Pour une fois qu’il entre dans cet hémicycle ! Car vous reconnaîtrez avec moi, que quand M. Larcher – il en conviendra également – s’exprime à la tribune, ce n’est pas le réel qu’il expose ! Cela me fait penser au mythe de la caverne de Platon. On a l’impression de voir le réel, mais ce ne sont que des ombres.
Voilà qui doit vous rappeler des souvenirs du lycée, monsieur le ministre.
M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Nous étions à Jules-Gévelot à Flers !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Vous étiez dans le même lycée, monsieur Brard ?
M. Jean-Pierre Brard. Non, moi j’étais à Jean-Jaurès : c’était prémonitoire !
En tout cas, nous n’avons pas tiré le même profit de cet enseignement philosophique dispensé au Lycée. Vous, vous l’avez compris à l’envers.
Mais j’en reviens à mon propos.
L'égalité des chances pose la question de la place et des moyens que nous entendons accorder au vivre ensemble. Or, vous, ce n’est pas le « vivre ensemble » qui vous importe, c’est le vivre dans les ghettos : d’un côté les riches – j’ai cité Ormesson et Neuilly-sur-Seine –, et de l’autre côté, je pourrais évoquer Montreuil, Sarcelles, Gennevilliers, Le Havre – n’est-ce pas, monsieur Paul ? –, Bagneux – n’est-ce pas, madame David ?
Mme Martine David. Oui, merci, monsieur Brard !
M. Jean-Pierre Brard. Je pourrais en citer beaucoup d’autres. La majorité de notre peuple est constituée, non de privilégiés, mais de gens qui travaillent dur ou qui voudraient le faire, mais qui, privés du droit au travail, n’arrivent pas à joindre les deux bouts à la fin du mois. Telle est la réalité.
Mme Martine David. Vous avez raison !
M. Jean-Pierre Brard. Une étude du Fonds d'action et de soutien pour l'intégration et la lutte contre les discriminations – le FASILD, un organisme d’État que le Gouvernement veut supprimer, et on va comprendre pourquoi –, publiée en août 2004 et portant sur l'insertion dans le logement privé des classes moyennes issues de l'immigration, montre qu'elles rencontrent des difficultés particulières, en dépit de leur haut niveau de diplôme et de revenu. Ces exemples concrets montrent que l’égalité des chances n’existe pas. C'est attester, si besoin était, du fait que la pauvreté n'est pas la seule cause des inégalités.
Il est plus que temps que l'ensemble des habitants de notre pays puissent pleinement participer à la vie civique. La grande majorité des résidents étrangers non communautaires qui vivent en France sont installés sur notre sol depuis de nombreuses années et accomplissent l'ensemble des devoirs qui leur incombent. Mais ils n'ont aucun droit de regard sur les décisions qui touchent à leur vie quotidienne et à leur avenir. Ils travaillent et paient leurs impôts, élèvent leurs enfants, sont présents dans les instances des établissements scolaires ou universitaires, enseignent, siègent au sein des conseils d'administration des caisses de sécurité sociale, sont délégués du personnel et militants associatifs, mais, sans le droit de vote, ils subissent une discrimination que beaucoup vivent douloureusement. La grande majorité de ces hommes et de ces femmes qui appartiennent à notre communauté nationale finiront leur vie sur notre sol, mais n'auront jamais eu le droit de voter ou d'être élu sur leur lieu de vie, dans le pays à la richesse duquel ils ont largement contribué sans que leur éminente dignité ne fût jamais reconnue.
Monsieur le président Dubernard, vous évoquiez Bernard Tapie. Il a été condamné et emprisonné, mais aujourd’hui, on le voit partout et il a recouvré ses droits civiques. En revanche, je pense à un vieux Kabyle, qui habite ma bonne ville de Montreuil depuis 1949, s’est épuisé au travail chez nous et n’a plus de racines nulle part. Cet homme, qui a vécu honnêtement et travaillé durement, n’a aujourd’hui aucun droit. Ne pensez-vous pas qu’il mériterait davantage que ce voleur d’avoir des droits civiques ? Il n’y a pas photo entre les deux. Mais vous ne voulez pas donner à ces citoyens qui ont contribué à la richesse de notre pays un signe fort de l’égalité des chances et qui, monsieur le ministre, ne coûterait rien au plan budgétaire. Ce serait une mesure politique symbolique, que vous refusez de prendre. Aucun d’entre eux ne doit être laissé à l'écart du plein exercice de son droit d'expression, de sa citoyenneté.
L'exercice de la citoyenneté est un facteur essentiel d'intégration à la société française. Au cours de notre histoire, des millions d'étrangers ont construit notre pays. Ils sont nombreux aussi à l'avoir défendu au nom de ses valeurs, la liberté et les droits de l'homme. Et vous osez parler d'égalité des chances quand le droit de participer aux affaires publiques est nié !
L'article 3 de la Constitution indique que « Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes jouissant de leurs droits civils et politiques ». Pour le permettre aux étrangers résidant régulièrement en France depuis plusieurs années, il convient donc de modifier cet article : c'est l'objet de la proposition de loi que j'avais déposée en ce sens en juin 2002 et qui garde toute sa pertinence.
Par ailleurs, nous aurions beaucoup à apprendre des mesures prises par le gouvernement espagnol de José Luis Rodriguez Zapatero, qui a régularisé 500 000 sans-papiers en possession d'un contrat de travail. Monsieur le ministre, je vous ai entendu hier, vous ou l’un de vos collègues, appeler à votre secours M. Zapatero. Mais ne retenez pas de sa politique uniquement les aspects qui vous arrangent ! La légalisation massive lancée par les autorités espagnoles a pour objectif, selon Consuelo Rumi, le secrétaire d'État à l'immigration et l'émigration « d'en finir avec l'immigration illégale, de faire affleurer l'économie souterraine et de mettre un terme aux coûts sociaux que provoque le travail clandestin ».
Selon les premières estimations rendues publiques en ce début d'année, cette régularisation remplit les caisses de la sécurité sociale. Vous qui parlez toujours du trou de la sécurité sociale, voilà une solution pour le combler en partie ! Mais j’ai toujours pensé que votre intention était de montrer que le trou était impossible à boucher, pour conduire les Français à recourir aux assurances privées.
M. Henri Emmanuelli. Axa !
M. Jean-Pierre Brard. Par exemple, mais il y en a d’autres : il suffit d’interroger M. Denis Kessler qui vous en donnera la liste !
En Espagne, les nouveaux contrats de travail des immigrés régularisés auraient ainsi permis de récupérer 750 millions d'euros en 2005 à travers les cotisations des travailleurs et employeurs. L'estimation pour 2006 est la plus frappante puisqu'elle prend en compte une année entière : le gouvernement espagnol prévoit qu'il percevra cette année jusqu'à 1 milliard 350 millions d'euros, soit 1,6 % du total des cotisations.
Le ministère espagnol du travail a été agréablement surpris, car il tablait sur des cotisations assises sur un salaire moyen de 800 euros. Finalement, les paies moyennes se sont élevées à 1 050 euros, alors que les cotisations des travailleurs espagnols correspondent à un salaire moyen de 1 380 euros. Voilà un moyen de lutter contre l’inégalité et surtout de retirer des mains des marchands de travail clandestin leurs victimes ! Mais de cela, vous ne voulez pas entendre parler et nous en sommes malheureusement bien loin, à entendre les déclarations du ministre de l'intérieur. Je le cite : « Si vous votez des lois c'est pour qu'elles soient exécutées. Dire que pour quelqu'un qui a fraudé la loi pendant dix ans » – c’est-à-dire qui est resté sans titre sur le territoire national durant toutes ces années – « la loi ne s'applique pas, c'est profondément antirépublicain ».
Pis encore, selon lui, « rien n'est plus contraire à l'idée de générosité que cette idée selon laquelle il faut accueillir toujours davantage de migrants, même si l'on n'a pas les moyens de cet accueil, quitte à priver les pays les plus démunis d'une partie de leurs forces vives et de leur jeunesse. » L'exemple espagnol démontre une fois de plus que M. Sarkozy est dans l'erreur et fait dans le populisme.
M. Sarkozy veut appliquer la loi. Pour un ministre, rien de plus normal ! Mais il doit alors l’appliquer dans tous les domaines : il devrait, par exemple, veiller à ce que le maire de Neuilly applique la loi SRU ou encore qu’il ne reçoive pas dans son bureau des gens en délicatesse avec la loi, tels les scientologues. Quand M. Sarkozy reçoit Tom Cruise, il sait que celui-ci est une figure emblématique d’une organisation criminelle poussant à la mort certains de ses adeptes. Notre excellent collègue Georges Fenech – que M. Dubernard connaît bien –, quand il était juge d’instruction, a eu le courage, malgré toutes les procédures mises en place par la scientologie, de faire condamner ceux qui avaient conduit un jeune homme à la mort. Et M. Sarkozy, qui veut faire appliquer la loi partout – sur le principe, il a raison – se permet de recevoir l’un des porte-drapeaux de la scientologie ! Comment voulez-vous enseigner le respect de la loi dans nos cités aux petits dealers quand l’exemple vient de si haut, niant ainsi que la loi doit s’appliquer en tous lieux, sur tous sujets et pour tout le monde, quelle que soit la place qu’on occupe dans la société ?
Je reviens sur les inégalités en matière d’accès à l’emploi. En ce domaine, les données de l'Institut national de la statistique et des études économiques indiquent des taux de chômage considérables pour les quinze–vingt-quatre ans : 41,1 % dans le quartier de la Grande-Borne, à Grigny, contre 27,1 % pour la commune ; 54,4 % à la Reynerie et Bellefontaine à Toulouse, contre 28,6 % pour l’ensemble de la ville; 31,7 % à l'Ousse-de-Bois à Pau, contre 17 % pour la ville ; 37,1 % dans le grand ensemble de Clichy-sous-Bois, contre 31,1 % à Montfermeil ; 42,1 % pour Bellevue, contre 28,6 % à Nantes-Saint-Herblain.
À l'échelle du pays, l'enquête sur l’emploi en 2004, réalisée par l'INSEE sur la population active des quinze à moins de soixante ans, fait explicitement apparaître les inégalités. Ainsi, le taux de chômage chez les hommes de quinze à vingt-quatre ans vivant en ZUS s'élève à 36,2 %, et à 40,8 % chez les femmes du même âge. Ne sont-ce pas là des chiffres que l'on trouve dans les pays en voie de développement ? Pour ces mêmes catégories, mais vivant en agglomération sans ZUS, le taux de chômage est bien moindre, bien qu'étant encore trop élevé : 24,1 % pour les femmes et 17 % pour les hommes.
Plus globalement, le taux de chômage dans les quartiers sensibles s'élève à 19,3 % chez les hommes et à 22,4 % chez les femmes, soit plus du double de celui observé en agglomération sans ZUS ou en milieu rural. Par ailleurs, le pourcentage de personnes sans qualification atteint 30 % à 40 % dans ces quartiers, contre 17,7 % en moyenne nationale.
Selon l'INSEE, « cet écart s'explique d'abord par l'effet de la ségrégation urbaine ». Monsieur le ministre, votre projet de loi est donc indissociable de celui dont nous avons débattu la semaine dernière sur le logement. Ces quartiers ont connu le départ massif des couches moyennes, ils concentrent les difficultés sociales et on y trouve des populations ayant plus de difficultés à obtenir un emploi, en raison d’une surreprésentation des catégories populaires, des immigrés, des jeunes et des personnes peu ou non diplômées.
Même si l'on prend en compte ces différents facteurs, l'INSEE estime que « le risque de chômage reste très supérieur dans les ZUS – + 4,5 % pour les hommes et + 5,7 % pour les femmes ».
Autre réalité, si le diplôme protège – et plus il est élevé, plus le taux de chômage s'abaisse –, jusqu'à Bac +2 en tout cas, la différence entre les habitants des zones urbaines sensibles et les autres reste très significative. Pour tous les niveaux de formation allant du BEPC au bac, les taux de chômage sont environ deux fois plus élevés dans ces zones qu'au niveau national.
Face à cette réalité peu reluisante, le Premier ministre joue de la sémantique pour accréditer l’idée d’une évolution positive des courbes du chômage. Mais il omet de préciser qu’un peu plus de 3,4 millions de personnes étaient, fin 2004, selon les chiffres de la Direction de la recherche des études de l’évaluation et des statistiques du ministère des affaires sociales, allocataires d’un des neuf dispositifs de minima sociaux, ce qui représente une progression de 3,4 % par rapport à 2003. Si l’on tient compte des ayants droit – conjoints, enfants –, ce sont plus de 6 millions d’individus qui vivent d’une telle allocation.
Parmi eux, un peu plus d’un million touchent le RMI et 340 000 – les chômeurs en fin de droits – l’allocation spécifique de solidarité, soit deux minima qui ne s’adressent pas à des populations spécifiques. De même, 670 000 personnes âgées reçoivent le minimum vieillesse, l’allocation supplémentaire d’invalidité ou l’allocation de veuvage, tandis que 760 000 handicapés et 176 000 parents isolés – des femmes dans l’immense majorité des cas – bénéficient d’un minimum social.
De décembre 1990 à décembre 2004, le nombre de titulaires du RMI a plus que doublé, passant de 500 000 à 1,2 million, DOM compris. Notons que pour l’observatoire des inégalités, « seule la période 1997-2001 est parvenue à faire légèrement diminuer ce nombre. Depuis 2002, on assiste à une nouvelle montée, qui a atteint + 8 % en 2004, année au cours de laquelle on a enregistré près de 100 000 RMIstes supplémentaires. » Ainsi, le nombre d’allocataires est passé de 998 645 en 2003 à 1 083 880 en 2004. De fait, monsieur le ministre, on observe bien une progression de certains indices depuis que ce gouvernement est en place : les salaires des plus riches et les profits boursiers augmentent, de même que le nombre de RMIstes, tandis que la misère s’étend.
Vous avez affirmé hier, lors des questions au Gouvernement, que le chômage était en baisse. Ce n’étaient que subterfuges et calembredaines.
M. Gaëtan Gorce. C’est la vue du Gouvernement qui baisse !
M. Jean-Pierre Brard. Ou plutôt sa perversité qui augmente !
M. Henri Emmanuelli. C’est très bien, ce que vous dites, monsieur Brard !
M. le président. Monsieur Brard, ne laissez pas vos collègues vous interrompre.
M. Henri Emmanuelli. C’est un dialogue, pas une interruption !
M. le président. Cette notion ne figure pas dans le règlement de l’Assemblée.
M. Henri Emmanuelli. Veuillez baisser le ton ! Nous ne sommes pas en Seine-Saint-Denis, ici !
M. le président. Je ne vous répondrai pas.
M. Henri Emmanuelli. Après les propos que vous avez tenus au sujet d’une certaine mairie, vous n’avez pas votre place ici !
M. Jean-Pierre Brard. En matière d’interruptions, l’initiative est venue de la droite, et il était légitime d’opérer un rééquilibrage.
Pour en revenir à la question du chômage, ce sont des salades que vous avez racontées hier, monsieur le ministre. Mais tout l’intérêt de votre discours était sa retransmission à la télévision. Vous espériez ainsi faire avaler au pays des propos inexacts. Hélas pour vous, l’Office européen des statistiques tempère l’optimisme exprimé par M. Borloo et M. Breton au vu des résultats jugés encourageants publiés mardi. Selon le journal Libération, les économistes européens voient dans la baisse du chômage affichée « l’effet du traitement social et du nettoyage statistique ». Ainsi, il n’y a pas qu’à la Courneuve que l’on « kärchérise » : vous réservez le même traitement aux statistiques. Le seul domaine dans lequel vous êtes efficaces serait donc le nettoyage.
Eurostat ne voit percer aucune lueur « d’une quelconque reprise d’activité économique suffisamment pugnace pour créer des emplois ». Or ces gens de Bruxelles ne sont pas d’horribles gauchistes, ils pensent comme vous ! On peut donc penser, lorsqu’ils vous critiquent, qu’ils ne cherchent qu’à rétablir la vérité.
Dans ce contexte, les annonces faites par Dominique de Villepin sur l’emploi des jeunes se résument une nouvelle fois à l’application de deux principes simples : toujours moins de droits pour les salariés et toujours plus d’avantages, dénués de contreparties, pour les grandes entreprises. Il est ainsi proposé de créer un contrat de première embauche, destiné aux jeunes de moins de vingt-six ans embauchés par les entreprises de plus de vingt salariés, et doté de ce que le Gouvernement appelle « une période de consolidation ». Notre premier ministre fait ainsi preuve d’une grande maîtrise de notre langue et montre qu’il est fin lettré.
M. Jean-Marie Le Guen. Lettré, lettré… Les traits tirés, oui !
M. Jean-Pierre Brard. Cela lui arrive aussi. Mais soyons objectifs, mes chers collègues : si on les compare, M. de Villepin est tout de même plus lettré que M. Raffarin !
M. Jean-Marie Le Guen. On n’en est plus au CP, mais au CPE !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Vous n’intervenez pas, monsieur le président ?
M. Jean-Pierre Brard. Il est toutefois inacceptable que la grande culture du Premier ministre serve à maquiller la vérité. Pour entrer dans ce gouvernement, il faut être apte au subterfuge et à la dissimulation. En tant que maire et député de Montreuil, la ville de Georges Méliès qui en était un grand spécialiste, je me désole que l’art du trucage se soit perdu dans ma ville pour se diffuser ailleurs… notamment à Rambouillet, monsieur le ministre !
M. Jean-Pierre Soisson. Vous êtes un expert en la matière !
M. Jean-Pierre Brard. Si vous voulez, monsieur Soisson, je vous expliquerai le secret des dissimulations de Méliès dans les caves de Bourgogne. (Murmures.) Nous avons en effet quelque chose en commun, M. Soisson et moi : il a été député dans une circonscription où ma bonne ville de Montreuil entretient des centres de vacances, destinés aux enfants qui n’ont pas la possibilité de partir en raison des mauvais coups que votre politique inflige aux familles.
M. le président. Revenons-en à l’égalité des chances, monsieur Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Mais c’est bien de cela qu’il s’agit, monsieur le président. Ai-je besoin d’un traducteur pour faire comprendre des notions aussi simples ?
Comme pour le contrat nouvelle embauche, vous tentez de faire croire, monsieur le ministre, qu’en contrepartie de la flexibilité accrue offerte aux entreprises, de nouvelles garanties seraient accordées aux salariés : en cas de rupture du contrat après quatre mois d’exécution, une allocation forfaitaire s’ajouterait à l’indemnité de rupture, et les stages, CDD ou formations en alternance effectués dans la même entreprise, seraient pris en compte pour le calcul des vingt-quatre mois de présence. Ces précautions, volontairement imprécises, ne sont absolument pas de nature à compenser l’extrême précarité qu’entraînera le nouveau dispositif.
L’incertitude en matière d’avenir, qui pèse surtout sur les moins qualifiés, est l’une des transformations majeures que vous voulez apporter à notre société. En effet, la déstabilisation salariale n’a pas que des effets économiques : elle bouleverse également les repères des jeunes de notre pays, interdit aux individus de faire des projets à long terme, qu’ils soient d’ordre immobilier, matrimonial ou de loisir, et les enferme dans le présent, dans une débrouille quotidienne perméable aux petites ou grandes déviances.
C’est dès le plus jeune âge que l’action publique devrait se concentrer afin de prendre le mal à sa racine. « Les Français veulent que leurs enfants puissent bénéficier, tout au long de leur scolarité, d’un soutien adapté, pour leur permettre de surmonter d’éventuelles difficultés », a fort justement indiqué le Premier ministre. Il faut « sortir de la spirale de l’échec », ne « laisser personne sur le bord du chemin ». Mais tout cela, c’est du discours ! À Montreuil, le collège Lenain de Tilmont est un établissement qui compte plus de 85 % d’enfants issus de catégories défavorisées. Qu’a fait pour eux votre gouvernement ? Quels moyens supplémentaires a-t-il accordés pour aider les enfants en difficulté à s’en sortir ? Que fait-il pour rendre l’espoir, pour redonner une crédibilité à l’idée selon laquelle l’école permet de sortir des difficultés liées à une origine sociale modeste ? La réponse, donnée par les familles et les enseignants, est simple : vous ne faites rien, rien d’efficace, rien de convaincant ! Il est vrai que, lorsque vous avez rempli les coffres des privilégiés, il ne reste plus d’argent pour financer des politiques plus audacieuses.
M. Jean-Pierre Grand. Voilà des arguments nouveaux !
M. Jean-Pierre Brard. Je vous invite à Montreuil, mon cher collègue. Notre président le sait très bien : dans cette ville, même quand on n’est pas d’accord, on discute.
M. le président. Pas toujours, monsieur Brard !
M. Jean-Pierre Brard. Mais si, toujours ! À moins de remonter à la préhistoire !
M. le président. À dix ans !
M. Jean-Pierre Brard. Vingt !
M. le président. Dix.
M. Jean-Pierre Grand. Il est vrai que les communistes n’ont pas la réputation d’accepter la discussion !
M. Jean-Pierre Brard. Mon cher collègue, vous ne tenez pas vos fiches à jour et m’attribuez une appartenance qui n’est plus la mienne depuis longtemps.
Mais l’appartenance est secondaire. Ce qui est essentiel, fondamental, c’est la fidélité à ses convictions. Moi, mes valeurs ne sont pas cotées au CAC 40, mais plutôt chez Rousseau, Montesquieu, Voltaire, Diderot…
M. Henri Emmanuelli. Jaurès !
M. Jean-Pierre Brard. Évidemment ! Songez à Jaurès montant à cette tribune, il y aura cent ans cette année, pour défendre Dreyfus contre l’injustice infâme dont il était victime. Fidèle à mes convictions, je lutte contre les injustices, quels que soient le temps et le lieu, mon cher collègue, vous qui replongez le nez dans vos papiers pour ne pas entendre des arguments qui vous écorchent les oreilles.
Le Premier ministre a donc très peu de concret à offrir. Le premier outil auquel il compte faire appel, l’apprentissage à quatorze ans – poétiquement nommé pour l’occasion « apprentissage junior » –, a pour principale caractéristique de nous projeter cinquante ans en arrière en remettant en cause l’école obligatoire jusqu’à seize ans.
Ce dispositif nous annonce-t-on, sera réservé aux volontaires et aux jeunes le plus en difficulté. Que signifie « volontaires », monsieur le ministre ? Volontaires pour choisir entre une assiette vide et un demi-plat de lentilles ! En réalité, vous laissez croire aux jeunes que l'apprentissage version de Villepin est une voie d'excellence qui protège du chômage. Or, en 2004, le taux de chômage des anciens apprentis était de 23,5 % et même de 25 % pour les quinze–vingt-cinq ans !
Votre gouvernement veut ainsi rétablir l'apprentissage à quatorze ans. « Nous devons permettre aux jeunes qui le souhaitent de s'orienter vers les filières professionnelles », indique le Premier ministre. Fait du hasard ? Ce sont toujours des enfants de familles défavorisées dont les «goûts » sont tournés vers les filières très courtes. Plus le tri est effectué tôt, plus ils ont tendance à choisir des orientations courtes ou moins valorisées, en intériorisant leur échec annoncé dans les filières plus réputées. Ce processus inégalitaire est d'ailleurs souvent validé, quand il n'est pas renforcé, par les décisions d'orientation prises par les conseils de classe, comme l'a montré un rapport du Haut comité à l'orientation, en mars 2004.
Au-delà de ces mesures concernant directement l'école, un changement plus large se dessine en matière de politique éducative et part du principe que la collectivité en a fait assez et que c'est aux individus de se prendre en main. En contrepartie d'aides aux parents en difficulté, ceux-ci seront sanctionnés par la suspension des allocations familiales dans « toutes les situations où l'enfant est en difficulté en raison d'une défaillance ou d'une insuffisance manifeste de l'autorité parentale ».
Il est évidemment connu que nous n’avons pas les mêmes convictions que Mme Boutin. Mais reconnaissons que, si elle les défend parfois d’une façon déraisonnable, elle a tenu, hier à la tribune, des propos fort justes concernant les allocations familiales. Pour que ne soit pas entendue sur ce sujet la voix de l’humanité, M. Bas s’est livré, à cette même tribune, à un numéro tout à fait dérisoire.
M. Henri Emmanuelli. C’était déplorable !
M. Daniel Paul. C’était bas !
M. Jean-Pierre Brard. Comme le dit mon collègue Daniel Paul, c’était vraiment au niveau de M. Bas, c’est-à-dire que cela ne volait pas très haut !
À vous entendre, les élèves qui échouent sont donc ceux qui baissent les bras ou ceux dont les familles démissionnent. Comme les chômeurs, les RMIstes et autres titulaires de minima sociaux, ils sont considérés désormais comme largement responsables de leur propre situation : du libéralisme appliqué aux adultes au libéralisme appliqué aux enfants !
Dans Les grands noms de l'éducation de René de la Borderie, l'inégalité d'éducation est présentée comme étant l'un « des résultats les plus criants et les plus fâcheux, au point de vue social, du hasard de la naissance ».
Pour Jules Ferry, la construction d'un service public d'éducation, laïc et gratuit, avait bien sûr pour mission d'élever le niveau général d'instruction, ce faisant, il avait aussi vocation à réduire les inégalités sociales.
À l’inverse, votre projet, instaure, de fait, une orientation précoce qui exclura de facto les enfants des catégories populaires de l'accès aux lycées.
On ne résoudra pas la question scolaire sans réfléchir aux politiques sociales en faveur des familles les plus pauvres. Cette question est capitale en matière d’égalité des chances. Aujourd'hui, 20 % environ des adolescents grandissent dans des logements surpeuplés, ce qui augmente de plus de 50 % le risque d'échec scolaire.
M. Richard Cazenave. On se demande ce que la gauche a fait lorsqu’elle était au pouvoir !
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Cazenave, vous êtes au gouvernement depuis plus de quatre ans et vous aggravez les inégalités ! C’est la réalité !
M. Richard Cazenave. En construisant 80 000 logements sociaux ?
M. le président. Monsieur Cazenave, n’interrompez pas M. Brard !
M. Jean-Pierre Brard. Quel rapport y a-t-il entre les 80 000 logements sociaux et les centaines de milliers de logements nécessaires dont vous ne voulez pas entendre parler ?
M. Richard Cazenave. Avec la gauche, c’était 40 000 !
M. Jean-Pierre Brard. Vous continuez de justifier ces politiques insuffisantes, malthusiennes parce qu’elles correspondent, chez vous à des choix profonds et idéologiques. Pour vous, s’ils sont pauvres, c’est leur faute : qu’ils se débrouillent donc ! Vous ne vous intéressez qu’à la catégorie des riches, dont M. Francis Mer parlait avec sa pertinence tout à fait étonnante. Il nous expliquait que, s’il y avait des riches, c’est parce qu’ils avaient plus de talent que les autres ! Cela prouve que, dans son cas, l’éducation nationale a été quelque peu déficiente, puisque Francis Mer, qui siégeait à votre place, monsieur le ministre, en d’autres fonctions, semblait avoir oublié le 14 juillet 1789 et la nuit du 4 août !
J’en reviens à mon propos. Si j’ai fait référence à Jules Ferry, c’est que vous remettez en cause les acquis de 1968, du programme du Conseil national de la Résistance, du Front populaire dont nous célébrons le soixante-dixième anniversaire cette année et même les grandes lois de la IIIe République en faveur de l’école quant aux objectifs que les pères fondateurs leur avaient assignés ! Vous vous livrez à une sorte d’opération de démantèlement généralisé. Monsieur Dubernard vous avez un point commun avec M. de Villepin : tous deux êtes des chirurgiens de talent. Mais, vous, à la différence de M. de Villepin, vous réparez, tandis qu’il démolit, ampute, sans anesthésie, à la hache ! Je vois que vous opinez du chef, monsieur Dubernard ; vous êtes donc d’accord avec moi !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Non, je suis stupéfait !
M. Jean-Pierre Brard. Pourquoi, puisque vous soutenez cette politique consciemment, monsieur Dubernard ? J’espère que votre stupéfaction débouchera sur une prise de conscience de la politique de creusement des injustices à laquelle vous participez et que vous serez, enfin, réceptif aux appels de l’abbé Pierre. Vous pourrez alors commencer votre autocritique et œuvrer ainsi aux changements dont notre pays a besoin, en particulier les plus modestes de nos concitoyens ! (Murmures sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
Cessez vos commentaires incessants, mes chers collègues !
M. le président. Vos collègues ont bien compris qu’il ne vous restait plus que dix minutes de temps de parole, monsieur Brard.
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission des affaires culturelles. Sept minutes !
M. le président. Sans doute, mes chers collègues, souhaitez-vous aborder l’examen des articles.
M. Daniel Paul. On empêche M. Brard de parler !
M. le président. Je vous invite tous à laisser M. Brard terminer son propos. Et à partir de maintenant, plus personne ne l’interrompra !
Veuillez poursuivre, monsieur Brard !
M. Jean-Pierre Brard. Je vous remercie, monsieur le président. Heureusement que vous êtes là pour rappeler à vos collègues de l’UMP le respect que l’on doit à l’orateur ! (Rires.)
Ce projet sur l'égalité des chances mérite que l'on s'attarde sur son volet relatif au droit du travail, particulièrement avec l'amendement gouvernemental déposé le 24 janvier et qui tend à créer le contrat première embauche. Combiné au contrat nouvelles embauches, créé par ordonnance à l'été 2005, il est une atteinte majeure au droit du travail et aux garanties dont bénéficiaient encore les salariés en matière de contrat de travail. C'est là le résultat d'une offensive de longue haleine contre le code du travail, orchestrée par le MEDEF, offensive que vous menez sur le mode positif et enjôleur et que Mme Parisot conduit de manière insatiable.
M. Jean-Marie Harribey, maître de conférences à l'Université Bordeaux IV, décrit très bien le patient cheminement de cette entreprise de démolition. Ce brillant universitaire qui enseigne dans la ville de M. Juppé, déclare :
« La partie s'est jouée en trois temps. Il y avait eu dans les années soixante-dix un grand coup de balai sur les vieux secteurs industriels tels que le textile, la sidérurgie et les chantiers navals. Les dégraissages, l'élimination des "canards boiteux'' » – dont parlait élégamment M. Barre – « et les premières délocalisations avaient supprimé les emplois devenus trop coûteux et restauré une rentabilité qui s'était émoussée au fil des ans car même les meilleures choses comme le taylorisme ont leurs limites, sinon leur fin. Ce fut le premier temps de la libéralisation du capitalisme. Il préparait le second dans les années quatre-vingt : briser durablement toute résistance salariale dans les entreprises restructurées. L'équation chômage élevé plus capitaux libres d'aller et venir se résolvait en profits mirobolants et valorisation boursière euphorique. Restait à accomplir le troisième temps. Le plus difficile et le plus long, parce que l'économie capitaliste triomphante se heurtait à une difficulté majeure : comment faire adhérer des populations meurtries par le chômage et malmenées par la précarisation à un système aussi dévastateur, c'est-à-dire sur quelles bases reconstruire une cohésion sociale minimale alors que toutes les régulations anciennes assurées par les États-providence étaient progressivement laminées ?
« Au bout de vingt ans, le patronat franchit le pas. Le projet de "refondation sociale "du MEDEF se fixe pour but de supprimer la loi et de la remplacer par le contrat. Du génie à l'état pur, dans le genre Méphisto. La loi émane de la société et, en retour, s'impose à elle, garantie par l'État. Elle dresse le cadre dans lequel ensuite les individus vont établir des rapports économiques, certes souvent inégalitaires, mais qui ne se réduisent pas à un pur esclavage. Ainsi, la loi a institué un droit du travail, résultat des luttes sociales et reflet à un moment donné d'un rapport de forces et d'un compromis. Nouveau champion de la négociation au plus près de l'entreprise, le MEDEF juge le droit du travail suranné. Place au contrat entre le salarié et son employeur, postulés égaux. » –Comme le renard et la poule ! – « Exit le contrat à durée indéterminée, et vive le "contrat de mission " qui durera le temps de réaliser le projet commandé, ou bien le "contrat à durée maximum" qui n'excédera pas cinq ans. La potion est amère, mais quelques actions souscrites auprès d'un fonds de pension ou un fonds d'épargne salariale essaieront de l'adoucir.
« Le projet de "refondation sociale " du MEDEF rappelle étrangement celui de l'Accord multilatéral sur l'investissement de l'OCDE. Dans les deux cas, il s'agit de ligoter les États, d'empêcher toute velléité de régulation et de délégitimer toute intervention collective sur la vie sociale. Sous couvert de liberté, on libère la capacité de nuisance du puissant et on muselle l'éventuelle résistance du faible. À la place d'une société régie par le droit, coupable de permettre l'émergence de projets collectifs, on prépare le retour à des rapports personnels de suzerain à vassal, c'est-à-dire, selon l'expression du juriste Alain Supiot, la reféodalisation de la société. La "refondation sociale" c'est l'achèvement de la contre-révolution libérale. » Voilà ce que dit M. Harribey.
Depuis des décennies, le droit du travail, en protégeant les salariés, qui sont naturellement en situation de faiblesse face aux employeurs, rétablissait un équilibre indispensable au fonctionnement harmonieux de notre société. Aujourd’hui, monsieur le ministre, avec votre gouvernement, vous êtes décidé à y mettre fin quel qu’en soit le coût social pour la collectivité nationale.
Comme le soulignait déjà Jean-Jacques Rousseau, l’ordre social ne vient pas de la nature, il est fondé sur des conventions. Aujourd’hui, vous brisez des conventions qui résultaient d’un siècle de progrès social et qui avaient été, pour beaucoup, théorisés dans le programme du Conseil national de la Résistance, puis mises en œuvre, pour une part, sous l’impulsion du général de Gaulle (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.), après les avancées du Front populaire, mais il est vrai qu’invoquer le général de Gaulle devant vous est quasiment blasphématoire tellement vous piétinez l’héritage auquel il a contribué à donner ses contours.
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. On ne peut pas laisser passer ça !
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur Dubernard, je viens d’appuyer où ça fait mal, c’est-à-dire sur des questions identitaires.
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Vous diffamez !
M. le président. Mes chers collègues, M. Brard va bientôt conclure.
M. Jean-Pierre Brard. Le général de Gaulle est une fierté pour nous aussi parce qu’il avait le patriotisme chevillé au corps.
M. Daniel Garrigue. Cela suffit ! Vous n’avez pas cessé de le combattre !
M. Jean-Michel Ferrand. Parlez-nous plutôt de Staline, monsieur Brard !
M. le président. Pas de propos blessants, mes chers collègues !
M. Jean-Pierre Brard. Moi, je n’ai jamais été stalinien parce que j’étais trop jeune pour l’être, tandis que vous, vous l’auriez certainement été !
M. Hervé Novelli. Les goulags, vous vous souvenez ?
M. le président. Monsieur Brard, ne vous laissez pas interrompre, ni par Staline ni par l’UMP.
M. Daniel Paul. C’est peut-être la même chose !
M. le président. Concluez votre propos de façon que tout se passe bien.
M. Jean-Pierre Brard. Je vois que, quand je cite Jean-Jacques Rousseau et Charles de Gaulle, cela donne le grand frisson à certains de nos collègues ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) C’est comme la conscience qui apparaîtrait dans l’hémicycle et, pour eux, c’est insupportable, ça leur donne la migraine.
Nous, nous assumons l’héritage national, qu’il vienne de Léon Blum, de Maurice Thorez ou de Charles de Gaulle ! (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Richard Cazenave. Il était à Moscou, Thorez !
M. Jean-Pierre Brard. Les uns et les autres furent des patriotes, ce qui ne fut pas le cas de ceux qui trahirent. Les héritiers de ces derniers quittent d’ailleurs la France pour échapper à l’impôt, à l’impôt juste, qui permet de pratiquer la solidarité.
M. Richard Cazenave. Pendant la guerre, il était à Moscou, Thorez, pas à Londres !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. C’était la fuite des cerveaux ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Brard. Mes chers collègues de la majorité, vous étiez hier avec les Coblençards, vous êtes aujourd’hui avec ceux qui ne vont plus à Coblence mais à Londres, en Suisse ou en Belgique.
M. Richard Cazenave. Vous étiez à Moscou !
M. Jean-Pierre Brard. M. Cazenave travaillait certainement dans une agence de voyages dans une vie antérieure puisqu’il dit qu’on était à Moscou. Je vais vous faire une confidence, monsieur Cazenave : moi, j’y suis allé pour la première fois en 1985, j’ai attendu que Mikhaïl Gorbatchev arrive au pouvoir pour m’y rendre. Vous savez que Mikhaïl Gorbatchev était un adepte de la transparence et de la démocratie…
M. le président. Revenons à l’égalité des chances !
M. Jean-Pierre Brard. Il a milité d’ailleurs pour l’égalité des chances, et M. Cazenave pourrait relire un ouvrage fameux de Gorbatchev, Perestroïka,…
M. Richard Cazenave. Je pourrais vous raconter aussi l’histoire des FFI !
M. Jean-Pierre Brard. …où il pourrait noter des idées qui étaient dans la continuation de celles des hommes que j’ai évoqués précédemment, c’est-à-dire Rousseau, Jaurès, Thorez, Blum, de Gaulle, tous ces personnages qui ont contribué à forger l’identité nationale…
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Georges Marchais !
M. Jean-Pierre Brard. …et auxquels lui et ses amis tournent le dos aujourd’hui. Leurs idoles, à eux, c’est le baron, qui dirige le patronat européen et son clone, Mme Parisot.
M. le président. Il ne vous reste plus que cinq petites minutes, en comptant toutes les interruptions, monsieur Brard. (Exclamations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Brard. Votre montre s’est certainement arrêtée, monsieur le président.
M. le président. Elle indique la même heure que la pendule de l’hémicycle.
Au début de votre intervention, monsieur Brard, j’ai souligné que votre temps de parole ne pouvait pas excéder une heure trente.
M. Jean-Pierre Brard. Oui, mais quand c’est moi qui parle, monsieur le président. Je n’ai pas donné l’autorisation à M. Cazenave, par exemple, de parler en mon nom. Je ne suis pas sûr que nous tiendrions les mêmes propos.
M. Richard Cazenave. Pour dire que Thorez était à Moscou, cela prend trente secondes !
M. Jean-Pierre Brard. Je reprends mon propos.
Dans une interview parue dans La Tribune, qui n’est pas un journal gauchiste, du 16 janvier 2006, Mme Parisot précise les objectifs du MEDEF, et je retourne ainsi le couteau dans la plaie : « Adopter une formule globale "moins de vingt-six ans" ne me paraît pas pertinent. L’état de jeune, c’est un passage, » – on sent déjà la nostalgie de la jeunesse à jamais révolue pour Mme Parisot (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire) – « une maladie dont on guérit. C’est la raison pour laquelle déjà je n’étais pas favorable à la mesure tendant à décompter les moins de vingt-six ans du calcul des effectifs d’une entreprise. De la même façon, étendre ainsi le CNE en le réservant aux jeunes ne va pas assez dans le sens de l’intérêt général. Le CNE est une nouvelle formule de contrat de travail qui marche, qui débloque des créations d’emplois là où il y avait des réserves inexploitées. Appliquer le CNE uniquement à une catégorie selon un critère d’âge risque de dévaloriser ce contrat très prometteur. La bonne formule serait plutôt d’étendre le CNE à toutes les entreprises. »
Sans surprise, M. de Villepin est tout à fait perméable à cet argumentaire, et c’est la troisième étape de l’entreprise de démolition. En écho à Mme Parisot, il déclare dans Le Nouvel Observateur du 26 janvier 2006 : « Dès maintenant, nous lançons la concertation avec les syndicats pour ce qui sera la troisième phase de la bataille pour l’emploi. Nous mettons notamment sur la table la question du contrat de travail : contrat unique, fusionnant CDD et CDI, ou contrats différenciés, à l’exemple de ce que nous faisons pour les petites entreprises et les jeunes, tout est ouvert. »
M. Hervé Novelli. Il a raison !
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Je ne voudrais pas priver notre auguste assemblée d’une dernière citation de Mme Parisot. C’est l’objectif final, et il faut que les masques tombent. Il faut dire la vérité.
Mme Parisot, décidément très inspirée, s’en est prise à deux reprises au rôle du législateur, à nous, mais vous, vous êtes prêts à aller à Canossa. Elle affirme ainsi : « Une société moderne capable d’encourager ses entreprises est aussi une société qui laisse un espace clair à la démocratie sociale, un espace où les partenaires sociaux pourraient débattre sans que le législateur intervienne et les prive de leur pouvoir d’édicter des règles. »
M. Hervé Novelli. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Brard. M. Novelli est cohérent avec lui-même. C’est un ultra-libéral mais, au moins, lui, il s’assume.
Mme Parisot continue : « C’est pourquoi, au moment où un débat s’instaure sur les institutions de notre Ve République, nous demandons qu’un droit à la négociation soit inscrit dans notre Constitution et que l’autorité normative des partenaires soit affirmée. » Le meilleur reste à venir. Toujours à propos du rôle du législateur, elle précise : « Même problème de frontières entre la loi et le contrat. L’article 34 de notre Constitution accorde au législateur le pouvoir de déterminer les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale. Sur cette base pourtant volontairement large, le législateur considère qu’il peut intervenir jusque dans les moindres détails du droit social. Et si nous concluons un accord, rien ne contraindra le législateur… ». Voilà, Mme Parisot veut se substituer au Parlement.
M. le président. Monsieur Brard, l’accord que nous avions conclu, c’est que vous n’alliez pas au-delà d’une heure trente.
M. Jean-Pierre Brard. Je termine, monsieur le président,…
M. le président. Je vous remercie.
M. Jean-Pierre Brard. …mais je ne voudrais, parce que ça enlèverait le sel de la pensée de Mme Parisot, rester en suspension au milieu de la citation.
Mme Parisot disait donc : « Et si nous concluons un accord, rien ne contraindra le législateur à en respecter les termes ni même l’équilibre. Mais alors, quel sens faut-il donner, quel sens reste-t-il à toutes les négociations, à celles bien sûr que nous initions, mais aussi à celles que les pouvoirs publics nous réclament, et qui aboutissent bien plus souvent qu’on ne le dit à un accord gagnants- gagnants ? »
Monsieur le président, vous avez bien compris qu’en finissant par cette citation de Mme Parisot, j’ai voulu restituer ce que sont les objectifs réels du Gouvernement, c’est-à-dire la démolition du code du travail,…
Mme Martine David. Il faut le dire et le répéter !
M. Jean-Pierre Brard. …, ce code qui est le résultat des conquêtes du mouvement social obtenues grâce à des actions d’envergure qui ont soulevé notre pays d’enthousiasme dans nombre de circonstances, des décisions du Conseil national de la Résistance, et, évidemment, de celles du général de Gaulle, que certains de nos collègues renient aujourd’hui.
Vous comprenez donc qu’éclairé de tous ces arguments, y compris du regard historique qui remonte jusqu’à la Révolution après avoir survolé Jules Ferry, le Front populaire, le Conseil national de la Résistance et 1968, …
M. le président. Veuillez conclure.
M. Jean-Pierre Brard. C’est ma dernière phrase, qui ne sera pas proustienne !
...il est indispensable que le Parlement refuse la soumission et l’abaissement et n’accepte pas le passage à l’esbroufe de ce projet de loi. (Exclamations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Nous devons donc prendre notre temps et renvoyer le texte en commission, nous inspirant du mouvement social qui prend de l’ampleur dans le pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
M. Jean-Marc Ayrault. Rappel au règlement !
M. le président. La parole est à M. Jean-Marc Ayrault, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Marc Ayrault. Nous sommes réunis ici pour parler de l’égalité des chances si l’on en croit le projet du Gouvernement. En fait, on parle beaucoup de l’emploi des jeunes et de l’accès à l’emploi, mais tout ça, nous le disons depuis le début, risque d’être vain et de conduire à la mise en place d’une fragilité sociale, alors que la vraie question, c’est celle de la défense de l’emploi, défense qui passe par la croissance et par une politique volontariste, notamment une politique industrielle – et, sur ce point, monsieur le président, je dois faire part de mon indignation.
Je viens de prendre connaissance d’une déclaration faite ce matin par le ministre de l’économie et des finances, M. Breton, à propos du dossier Arcelor. Elle est éloquente et particulièrement inquiétante. Pour lui, c’est la vie normale des affaires que des entreprises discutent et se rapprochent. Jusque-là, ça va. Ensuite, il lance un appel à la raison à tous ceux qui ont exprimé des inquiétudes, et il indique que ce sont les actionnaires qui vont décider, pas les États.
M. Hervé Novelli. Eh oui !
M. Jean-Marc Ayrault. Le seul État à avoir un pouvoir de décision est le Luxembourg, ajoute-t-il, parce qu’il est actionnaire et donc légitime, et il s’est d’ailleurs positionné en disant qu’il est contre.
Le Gouvernement va-t-il rester impuissant ? Avez-vous déjà décidé de renoncer à faire quelque chose ?
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Et la fermeture de l’usine Vilvoorde par Renault, sous Jospin ?
M. Jean-Marc Ayrault. Le politique a-t-il encore un rôle à jouer dans notre pays ?
M. Daniel Paul. Sinon, que le Gouvernement démissionne !
M. Jean-Marc Ayrault. Quand on demande à M. Breton s’il a une solution de remplacement, il répond que ce n’est pas son rôle, que son rôle, c’est de veiller à ce que les procédures se déroulent correctement et que, in fine, cela se fasse dans l’intérêt des actionnaires.
Nous, nous battons pour l’intérêt des salariés, ici, contre le CPE, mais aussi pour une politique industrielle. Nous ne renonçons pas à nous battre pour faire reculer cette tentative de prise de contrôle d’Arcelor, avec tous les risques que cela fait peser sur l’emploi des sites industriels que nous avons évoqués hier.
M. François Loncle. Il faut que M. Breton vienne s’expliquer !
M. Jean-Marc Ayrault. Tout ce que vous êtes en train de faire est vain et va encore fragiliser les salariés, mais c’est toute la politique du Gouvernement, l’impuissance du Gouvernement que nous tenons ici à dénoncer solennellement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles.
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Revenons à la motion de renvoi, qui est l’essentiel de ce qui nous occupe ce matin…
M. Henri Emmanuelli. Parce que les 25 000 salariés d’Arcelor, ce n’est rien pour vous ?
M. Jean-Marie Le Guen. Oui, c’est cela, passons à autre chose !
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Démago !
M. François Loncle. Que M. Breton vienne s’expliquer !
M. Jean-Marie Le Guen. On parle de l’emploi pendant que vous le bradez !
M. le président. Monsieur Le Guen !
M. Jean-Marie Le Guen. Vous, il faudrait vous mettre sous tutelle ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. Monsieur Le Guen, je ne vous répondrai pas !
Monsieur le président de la commission, veuillez poursuivre.
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. J’en reviens à la motion de renvoi en commission. Des mots, des mots, parfois de beaux mots, et je suis très souvent épaté – en positif comme en négatif – par les interventions de M. Brard.
M. Gaëtan Gorce. Gardez le négatif pour vous !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Je salue indiscutablement sa sémantique stylisée, sa verve parfois vivifiante, sa langue riche, embellie par une diction que l’on dirait sortie du conservatoire, voire de la Comédie française !
M. Jean-Pierre Brard. Non, de l’Ecole normale d’instituteurs !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Langue plus proche de celle du Premier ministre, que vous avez cité à plusieurs reprises,…
M. Hervé Novelli. Une collusion !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. …que de celle de certains jeunes.
Mais il y a toujours une certaine aigreur qui transpire malgré tout, malgré vous, de votre discours. Belle intervention d’accord, mais toujours ce zest de Montreuil ! Nous avons échappé à la vie paysanne à Montreuil, Dommage, cela aurait été intéressant !
M. Jean-Pierre Brard. Je n’ai pas eu le temps !
M. Gaëtan Gorce. Êtes-vous bien sûr de parler de l’emploi des jeunes ?
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Je réponds à M. Brard et j’essaye de m’aligner sur son style.
M. Gaëtan Gorce. Vous n’y arriverez pas !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Je trouve chez lui un soupçon, une gouttelette d’éthique. Qu’est-ce que l’éthique, monsieur Brard, sinon la science de la morale ? Il y avait du paternalisme dans votre intervention. Je n’ose pas vous qualifier de « père-la-morale », mais cela s’en approchait parfois.
De votre intervention, je dirai qu’elle était belle, mais souvent hors sujet et, malgré sa dimension philosophique, très souvent à contresens.
Mme Martine David. C’est vous qui êtes à contresens !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Qu’avez-vous proposé sur l’avenir des jeunes ? (« Rien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Rien, en effet !
Qu’avez-vous proposé sur l’égalité des chances ? (« Rien ! » sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.) Rien ! Excepté un imaginaire individuel qui se perd sans jamais rejoindre l’imaginaire collectif… Vous voyez certainement ce que je veux dire. (Protestations sur les bancs du groupe des député-e-s communistes et républicains et du groupe socialiste.)
S’agissant du renvoi en commission, je rappelle que la commission a tenu cinq réunions d’une durée totale de sept heures trente-cinq. Le rapporteur a travaillé beaucoup, vite et bien. Il a pu procéder à une quinzaine d’auditions et a recueilli plusieurs contributions écrites.
Plusieurs députés du groupe de l’Union pour un mouvement populaire. Très bien !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Nous-mêmes, en commission, nous avons auditionné les ministres : M. Borloo, Mme Vautrin, M. Begag, M. Bas et nous avons examiné 400 amendements sur 500, certains étant identiques.
M. Christian Paul. M. Borloo est resté cinq minutes !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Vous n’étiez pas là ! Vous avez d’ailleurs été très peu présent en commission monsieur Paul !
M. Henri Emmanuelli. Vous, je vous ai vu à la buvette plusieurs fois !
M. Christian Paul. J’étais là ! Après cinq minutes, M. Borloo est parti sans répondre ! Rappel au règlement, monsieur le président ! Fait personnel.
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Nous avons adopté soixante-dix-sept amendements : cinquante-trois du rapporteur, treize du Gouvernement, cinq du groupe UMP, quatre du groupe UDF et trois émanant d’une députée des Verts dont je salue la présence assidue en commission.
Nous avons pu examiner les amendements du Gouvernement dès la première réunion de la commission consacrée aux amendements, mercredi dernier, et adopté plusieurs sous-amendements du rapporteur qui les complètent, notamment pour rendre plus opérationnel le dispositif de fixation de l’indemnisation des stages et pour prévoir une évaluation du contrat première embauche.
Mme Martine David. Le président de la commission n’a pas à distribuer les bons et les mauvais points !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. La commission a pu étudier ces nouvelles mesures, elle a fait son travail. Il n’y a donc pas lieu de renvoyer ce texte en commission.
M. le président. Sur le vote de la motion de renvoi en commission, je suis saisi par le groupe socialiste d’une demande de scrutin public.
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
M. Christian Paul. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Christian Paul, pour un rappel au règlement.
M. Christian Paul. Il ne faudrait pas que le président de la commission réécrive l’histoire de cet examen, amené dans l’urgence, il y a quinze jours, dans l’improvisation la plus totale, accompagné d’amendements remettant en cause, « brûlant » des aspects essentiels du code du travail, en particulier le contrat à durée indéterminée.
En effet, la commission a eu l’insigne honneur d’accueillir pendant quelques minutes Jean-Louis Borloo : j’y étais, monsieur le président Dubernard, comme beaucoup de mes collègues, notamment Yves Durand, Gaëtan Gorce et bien d’autres…
Mme Martine David. Oui, il faut arrêter de dire des mensonges !
M. Christian Paul. Nous avons entendu M. Borloo quelques instants. Je crois me souvenir qu’il n’a pas répondu aux questions : il est parti avant. Nous avons le grand honneur de recevoir aujourd’hui M. de Robien pour la première fois depuis le début du débat sur ce texte, qui met en cause l’obligation scolaire jusqu’à seize ans.
Ce débat législatif est l’un des plus indignes de la Ve République !
M. le président. Nous en venons aux explications de vote.
La parole est à M. Alain Joyandet, au nom du groupe UMP.
M. Alain Joyandet. J’ai écouté très attentivement M. Brard et je suis assez d’accord avec M. Dubernard.
J’ai entendu un discours de lutte des classes,…
M. Jean-Pierre Brard. Il faut le dire !
M. Alain Joyandet. …qui m’a paru bien décalé, caricaturant notre action.
M. Jean-Pierre Brard. C’était subliminal, mais vous avez compris !
M. Alain Joyandet. Il a fait référence à de nombreux universitaires. L’un d’entre eux d’ailleurs, avec lequel j’ai récemment organisé un débat sur nos institutions, a fait une proposition intéressante : supprimer le suffrage universel au profit du tirage au sort !
M. Jean-Pierre Brard. Vous avez vos chances !
M. Alain Joyandet. Ce qui montre combien les références universitaires sont diverses, variées et parfois fort intéressantes.
D’ailleurs, d’autres brillants universitaires ont théorisé le collectivisme, auquel vous faites souvent référence monsieur Brard, pour le transmettre ensuite pour gestion aux militaires, avec les conséquences que l’on connaît !
Mme Martine David. Quel rapport ?
M. Alain Joyandet. Je réponds aux citations de M. Brard !
Les références universitaires c’est bien, mais ils me semblent que les jeunes attendent surtout que l’on s’occupe de leur avenir.
M. Daniel Paul. Et vous le faites !
M. Alain Joyandet. C’est ce que nous essayons de faire. Je n’ai pas entendu, dans le propos de M. Brard, la moindre réflexion positive, la moindre proposition concrète…
Mme Martine David. Si !
M. Alain Joyandet. …qui justifierait que ce texte soit renvoyé en commission.
C’est pourquoi le groupe UMP votera contre cette motion inefficace. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. La parole est à M. Alain Vidalies, au nom du groupe socialiste.
M. Alain Vidalies. Nous débattons d’un projet de loi dont l’un des dispositifs les plus importants, qui préoccupe l’ensemble de nos concitoyens, est la mise en œuvre du contrat première embauche. Or – et je ne crois pas qu’il y ait dans l’histoire de cette assemblée une situation analogue – le rapport ne dit à peu près rien de cette question fondamentale. Monsieur le président Dubernard, comment pouvez-vous accepter une telle situation ? Il n’y a rien dans le rapport !
Initialement, le projet de loi portait sur d’autres dispositions. Ce qui est absolument incroyable, c’est que pour éviter le débat, pour éviter le passage devant le Conseil d’État – ce qui n’est pas une mince affaire – pour éviter de saisir les partenaires sociaux, le Gouvernement a déposé un amendement de trois pages. Et vous regardez cela en disant : « C’est parfait, continuons la discussion ! »
Mme Martine David. C’est scandaleux ! C’est indigne !
M. Christian Paul. C’est une forfaiture !
M. Richard Cazenave. Arrêtez ! Vous avez fait pire !
M. Alain Vidalies. C’est indigne, en effet ! Être traités ainsi, que l’on appartienne à la majorité ou à l’opposition, nous ne pouvons accepter : c’est la négation de l’existence même de l’Assemblée nationale !
Comment le rapporteur peut-il dire que nous pouvons faire un travail utile ? Il n’y a rien dans le rapport ! Une page et demie qui rappelle seulement le dispositif, sans présenter de statistiques ou de bilan. Pourtant, il aurait pu y avoir toute une série d’informations si un travail normal avait été fait.
Pourquoi changez-vous de politique ? Jusqu’à présent, vous en aviez une. Le Gouvernement, et vous-mêmes, n’étiez-vous pas naturellement amenés à faire le bilan de la politique que vous aviez mise en place ? Pourquoi ne publiez-vous pas de statistiques sur le contrat jeune en entreprise ? Ce que vous nous dites aujourd’hui, vous nous l’avez déjà dit il y a quatre ans à propos du contrat jeune en entreprise. Alors, reprenons vos déclarations et voyons pourquoi cela n’a pas marché puisque vous êtes obligés de changer radicalement de politique !
Pourquoi découvrez-vous subitement qu’il faut s’attaquer à cette partie du code du travail, alors que vous êtes au pouvoir depuis quatre ans ?
Pourquoi, lorsque les ministres expliquent que 80 000 CNE sont signés et que c’est un succès magnifique, n’expliquez-vous pas aux Français qu’il se signe en France 2 millions de contrats de travail par an, soit entre 165 000 et 170 000 par mois ? Lorsque vous parlez de 80 000 contrats, vous ne parlez de rien ! C’est le nombre de contrats signés sur quinze jours ! Comment peut-on tomber dans ce piège ? Que le Gouvernement ou le rapporteur fasse le travail !
Y a-t-il eu de véritables créations d’emplois grâce à la mise en place du CNE ? Quelle comparaison peut-on établir avec les années précédentes ? Nous ne disposons d’aucune information. Tout cela c’est de l’esbroufe !
Il est inacceptable, indigne de notre assemblée, que vous acceptiez de continuer à discuter dans ces conditions. Vraiment, pour une fois, il n’y avait qu’une chose à faire : dire au Gouvernement que ce n’était pas acceptable et repartir en commission pour reprendre sérieusement le travail ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Paul, au nom du groupe communiste.
M. Daniel Paul. « Égalité des chances », quel titre ambitieux pour un projet de loi ! Ce texte aurait pour ambition de donner à tous les jeunes les mêmes chances de réussir leur scolarité, de sortir du système éducatif avec une qualification professionnelle, puis d’utiliser leurs diplômes et leurs qualifications pour une insertion professionnelle réussie, débouchant sur un parcours professionnel sécurisé. Ce texte aurait pour ambition de faire passer pour tous les mots dans la réalité. Mais l’on se rend vite compte, à la lecture du texte et en vous écoutant, que derrière la paille des mots, il y a le grain des choses.
Il y a eu le CNE, il y a à présent le CPE. L’objectif reste le même, celui que le MEDEF martèle depuis toujours : remettre en cause le droit du travail. Parce que vous savez que cela risque de susciter une levée de boucliers, vous précipitez les choses : vous procédez par ordonnances, vous décidez l’urgence , et il n’y a pas de discussion en commission.
Nous estimons au contraire qu’il faut faire connaître ce texte, comme nous l’avons fait pour le projet de Constitution européenne, ou pour la directive Bolkestein. Diffuser dans la population, parmi tous les jeunes, aux entrées des lycées, dans les facultés, ce que vous préparez, est porteur de responsabilité et de citoyenneté. D’ailleurs, les jeunes ne s’y trompent pas qui ont vite compris que le CPE « c’est pour exploiter ». L’un d’eux commente : « quand tu es à l’essai pour quelques mois, ou pour deux ans avec le CPE, tu fais profil bas pour tenter de garder ton emploi. »
Les salariés ne s’y trompent pas non plus : ils ont compris que votre objectif, celui du MEDEF, est de généraliser ce qui s’avère être effectivement des droits nouveaux, mais au bénéfice des patrons, et non des salariés.
Comme nous sommes loin de l’égalité des chances ! Votre texte suinte par tous ses articles la volonté de remettre en cause le résultat de décennies de luttes populaires : le droit, même quand on est un salarié, de mener une vie plus sûre et plus facile. Tout ce que vous voulez, vous, ce sont des salariés soumis.
C’est le sens du « contrat de responsabilité parentale », qui voudrait faire croire que la sanction financière est la solution universelle : il s’agit de « frapper au portefeuille », même vide. C’est le sens du « contrat d’apprentissage junior », qui rompt avec la volonté, au moins affichée, de favoriser la formation professionnelle. En effet la création de ce nouveau contrat ferait de l’apprentissage la sanction de l’échec, tant scolaire que personnel. C’est le sens de la suppression du Fonds d’action et de soutien pour l’intégration et la lutte contre les discriminations, le FASILD, institution dont l’action en matière de lutte contre les discriminations est pourtant reconnue, au profit d’une agence nationale aux finalités mal définies. Cette suppression s’accompagne d’une baisse continue des moyens budgétaires consacrés à cette action, qui rend de plus en plus difficile le combat quotidien contre les discriminations.
Tout indique que le Gouvernement est décidé à accélérer l’adaptation de notre pays et de notre peuple aux exigences d’une économie libérale. C’est la mise à mal des procédures collectives, des protections sociales, dans une fuite en avant dangereuse pour les droits sociaux et le code du travail. La présidente du MEDEF a toutes les raisons de se réjouir : nous sommes loin de l’idée républicaine d’égalité.
Il y a trois mois, la détresse et la colère explosaient dans nombre de quartiers de nos villes. Insultés, méprisés, oubliés, ceux-là disaient leur révolte, appelant ainsi notre société à ouvrir les yeux sur l’aggravation de ses fractures. Loin d’être à la hauteur des enjeux, votre texte nourrira au contraire cette crise.
Vous avez été contraint, monsieur de Robien, de renvoyer sine die votre projet de compression de la carte des ZEP tant il suscitait d’opposition.
M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. C’est faux !
M. Christian Paul. Faites comme lui, monsieur le ministre délégué : retirez le CPE, au profit d’une réflexion réelle sur la situation économique et sociale de nos quartiers et de nos pays. Renvoyer ce texte en commission nous permettra de dresser un bilan approfondi des besoins de notre société tout entière, et non pas uniquement de ceux du MEDEF.
M. le président. Nous allons maintenant procéder au scrutin qui a été annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Je vais donc mettre aux voix la motion de renvoi en commission.
Je vous prie de bien vouloir regagner vos places.
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M. le président. Le scrutin est ouvert.
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M. le président. Le scrutin est clos.
Voici le résultat du scrutin :
L'Assemblée nationale n'a pas adopté.
M. Jean-Pierre Brard. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Brard, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, messieurs les ministres, le règlement ne m’autorise pas à répondre aux commentaires suscités par la motion de renvoi en commission, sauf si cela peut éclairer le déroulement de nos débats, comme l’article 58 le prévoit.
Ainsi, monsieur Dubernard et monsieur Joyandet, vous avez prétendu que nous ne faisions aucune proposition : votre projet étant de poursuivre une entreprise de démolition – je crois l’avoir démontré – faudrait-il que je choisisse entre la pioche et le bulldozer ? Dans cette entreprise diabolique, vous pouvez compter sur l’appui de députés dépourvus de toute inhibition, tel M. Mariton, ou M. Novelli.
M. Pierre Cardo. Sommes-nous obligés de supporter cela, monsieur le président ?
M. Jean-Pierre Brard. Il est faux de dire que nous ne faisons aucune proposition : le 8 février prochain, les partis de gauche se mettront en ordre de bataille pour définir et développer, en harmonie avec le mouvement social, les moyens de parer à vos mauvais coups.
M. Pierre Cardo. Vous êtes déjà en campagne électorale !
M. Jean-Pierre Brard. Cela n’a évidemment rien à voir avec le show télévisuel de M. Sarkozy, et sa façon de compiler les propositions des autres pour mettre les plus sexy en vitrine. Cela n’a rien à voir non plus avec l’attitude des députés du groupe de l’UMP, qui guettent jusqu’aux mouvements de cils du Premier ministre, quand ce n’est pas les sondages, pour savoir de quel côté ils doivent pencher.
Il est prévu ensuite des états généraux de la gauche pour réfléchir ensemble…
M. le président. Monsieur Brard, un rappel au règlement n’est pas un agenda ! (Rires sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Jean-Pierre Brard. Monsieur le président, si je devais exposer notre agenda, une année, même bissextile, n’y suffirait pas, étant donné l’avancée de leurs travaux de démolition – mais vous n’êtes évidemment pas concerné, puisque, comme chacun le sait, en tant que président vous êtes au-dessus de la mêlée. Ce n’est pas un agenda, monsieur le président, mais un véritable plan quinquennal qui sera nécessaire pour rétablir les droits qui ont été détruits, qu’il s’agisse de la santé, des retraites ou du code du travail.
M. le président. Terminez, monsieur Brard.
M. Jean-Pierre Brard. Je termine, monsieur le président.
C’est à cette tâche que nous nous attellerons les uns et les autres dans les prochains mois, en liaison avec le mouvement social, afin de proposer à nos concitoyens l’alternative à laquelle ils aspirent.
M. le président. La parole est à M. Henri Emmanuelli, pour un rappel au règlement.
M. Henri Emmanuelli. Le président Ayrault a interpellé le Gouvernement sur un sujet d’importance et qui est étroitement lié à nos débats puisqu’il s’agit de l’emploi en France, et que tel est bien l’objet des mesures, telles que l’apprentissage ou le CPE, qu’on nous propose.
Il y a trois problèmes, monsieur le ministre, qui n’avez pas jugé utile de répondre. Il y a d’abord un problème de cohérence : la France ne peut pas afficher un jour des visées stratégiques européennes, voire mondiales – je pense à la façon dont on brandit l’arme nucléaire sans consulter les pays voisins – pour donner quinze jours plus tard le sentiment de s’aligner derrière le duché du Luxembourg comme si c’était notre dernière ligne de front. C’est peu dire qu’une telle incohérence laisse songeur.
On ne peut pas non plus faire à toute occasion, comme notre Premier ministre, des déclarations grandiloquentes de patriotisme économique, alors que s’agissant d’Arcelor son ministre des finances déclare publiquement qu’il n’y a rien à faire contre la loi du marché…
M. Pierre Cardo. Jospin l’a dit avant lui !
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. Rothschild ne vous l’a pas appris, monsieur Emmanuelli ?
M. Henri Emmanuelli. …qu’il s’agit de la vie normale des affaires. Mais il ne s’agit pas de n’importe quelle entreprise : il s’agit de la sidérurgie. Ce secteur, qui était en cessation de paiement dans les années quatre-vingt, a dû être nationalisé pour être renfloué. Ensuite M. Mer – qui n’est plus là pour personne depuis quelques jours : il est aux abris ! – a cru bon de restructurer le secteur en fusionnant Usinor et Sacilor, avant de transférer le siège du groupe au Luxembourg.
Aujourd’hui, ce secteur stratégique, dont on se souvient qu’il a été, avec la CECA, à l’origine de la construction européenne, est à la merci d’une OPA sauvage. Et les armes ne sont pas égales dans cette bataille puisque l’entreprise qui a lancé l’OPA n’est pas opéable, comme vous le savez.
Où sont-ils, vos rêves de grandeur ? Passe encore qu’ils s’abîment dans le ridicule, mais la situation est grave : ce sont 27 000 salariés qui sont menacés dans cette affaire, et c’est ce qui rend les propos de M. Breton inacceptables. Il dit d’ailleurs le contraire de ce que nous a dit M. Loos hier après-midi ici même, dans cet hémicycle.
M. Richard Cazenave. Absolument pas !
M. Henri Emmanuelli. Comment ? M. Breton ne nous dit-il pas ce matin qu’il ne peut pas aller à l’encontre de la loi du marché, alors que M. Loos nous a assurés hier de la ferme opposition du gouvernement français ?
M. Richard Cazenave. Non !
M. Henri Emmanuelli. Monsieur, j’ai le texte sous les yeux, et du reste vous le savez parfaitement.
Prenez garde : les Françaises et les Français accorderont à cette affaire l’importance qu’elle mérite. Ils n’accepteront pas le fait que ce ne sont plus désormais leurs autorités légales et légitimes qui les gouvernent, mais que ce sont des conseils d’administration anonymes et irresponsables qui décident de leur destin.
M. Jean-Michel Dubernard, président de la commission. C’est l’ancien de la banque Rothschild qui parle !
M. Henri Emmanuelli. Là est la faille de votre conception de la société. Nous acceptons l’économie de marché quand elle signifie concurrence, compétitivité, innovation ; mais nous refusons l’aliénation de la citoyenneté aux puissances de l’argent !
S’il vous reste un peu de dignité, vous devez dire non. C’est ainsi que vous ferez exister la république française : qu’elle se manifeste et qu’elle agisse ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. le président. La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures quarante, est reprise à onze heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.
Mme Marylise Lebranchu. Je demande la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. La parole est à Mme Marylise Lebranchu, pour un rappel au règlement.
Mme Marylise Lebranchu. Monsieur le président, il règne un grand froid politique depuis quelques jours dans l’Assemblée, beaucoup d’orateurs l’ont signalé. Mais il y règne aussi un froid réel.
M. Jean-Yves Chamard. C’est vrai !
M. Christian Paul. Voilà qui devrait nous inciter à suspendre nos travaux !
Mme Marylise Lebranchu. Je vous signale donc, avec le sourire, qu’il est dommage que le chauffage soit géré par une société privée. Il faut revenir au service public. Voilà longtemps que je cherchais à montrer à nos collègues de la majorité que celui-ci donne de meilleurs résultats.
M. Christian Paul. Très bien !
Mme Marylise Lebranchu. Quoi qu’il en soit, nous aimerions avoir un peu plus chaud.
M. le président. Madame Lebranchu, la présidence a pris bonne note de votre remarque, qu’elle avait d’ailleurs anticipée. Mais, dans le secteur privé comme dans le service public, il faut toujours compter un certain temps d’inertie avant que la température monte de quelques degrés.
M. Christian Paul. Cela fait quatre ans d’inertie !
M. le président. Certains ont annoncé que le mois de février serait chaud. Faisons en sorte qu’il en soit ainsi au moins dans l’hémicycle.
M. le président. J’appelle les articles du projet de loi dans le texte du Gouvernement.
M. le président. Je suis saisi d’un amendement n° 455, portant article additionnel avant le titre Ier.
La parole est à M. Rodolphe Thomas, pour le soutenir.
M. Rodolphe Thomas. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, je vous remercie de votre présence (« Le ministre est enfin arrivé ! » sur les bancs du groupe socialiste). Avec vous, avec le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes et avec le rapporteur, nous allons pouvoir travailler dans les meilleures conditions possibles.
Apprendre à apprendre, c’est ce que peut apporter le contrat d’apprentissage à l’ensemble des jeunes. L’apprentissage est la filière par excellence lorsque les jeunes sont bien préparés, bien orientés et qu’ils suivent bien le parcours en alternance. Les résultats sont là : près de 90 % de ceux qui sortent avec un diplôme ou une expérience professionnelle échappent à la précarité. Soit ils restent au sein de leur entreprise, soit ils trouvent un autre boulot dans la filière qu’ils ont plus ou moins pratiquée. Le travail et la responsabilité qu’ils ont acquise durant leur parcours leur permettent de mieux s’intégrer dans la société. On ne le répétera jamais assez : la formation et l’expérience en entreprise sont des atouts uniques pour s’intégrer.
L’entreprise a donc vocation à devenir un lieu de formation à part entière. Qui est mieux placée qu’elle pour connaître les besoins du marché du travail ? En outre, l’orientation doit être un axe majeur. Qui mieux que les régions est à même d’évaluer et d’orienter vers les filières des métiers de demain ? Que l’on parle de bassin d’emploi ou de bassin de vie, l’échelle territoriale peut favoriser l’émergence de nouvelles filières d’apprentissage et soutenir les demandes des entreprises. On évitera ainsi les orientations par défaut qui ont cours depuis un certain nombre d’années.
L’apprentissage junior doit être un outil adapté en fonction de la motivation du jeune. C’est un parcours d’initiation au métier qui comporte, comme l’a rappelé le ministre de l’emploi, des enseignements généraux et technologiques, ainsi que des stages en milieu professionnel. Ce projet de loi est proposé et non imposé aux jeunes et aux familles. Il leur permet de choisir leur orientation et leur avenir.
À l’entrée dans le monde du travail, la formation en alternance est, pour un jeune, le moment où il passe d’un état passif à celui d’acteur économique. La vie en collectivité, le travail en équipe et la prise de responsabilités s’apprennent sur le tas, au contact de véritables problèmes concrets.
Ce passage à la culture générale et à l’expérience d’entreprise se fait par immersion en milieu professionnel, ce qui est une très bonne chose. On ne dira jamais assez qu’il faut penser aux jeunes exclus de tout dispositif d’insertion sociale et professionnelle qui, déscolarisés, sont en voie de marginalisation.
L’apprentissage junior répondra à l’attente de l’ensemble des familles de jeunes qui se retrouvent désœuvrés et abandonnés par le système éducatif classique. Je l’ai rappelé hier : nombre de familles, de mères et de pères,…
M. Christian Bataille. De frères et de sœurs… (Sourires.)
M. Rodolphe Thomas. …viennent frapper à la porte des entreprises afin que les jeunes puissent déboucher sur un contrat. Il peut s’agir d’un précontrat d’apprentissage ou, demain, d’un contrat d’apprentissage junior. Des milliers et des milliers de familles souhaitent ce projet pour que les enfants puissent être accompagnés dans une véritable filière professionnelle.
M. Christian Paul. Voilà une véritable déclaration de politique générale !
M. Rodolphe Thomas. J’en viens à l’amendement n° 455…
M. le président. Vous aviez semblé défendre jusqu’ici l’amendement n° 492, mais je crois comprendre que vous voulez en faire une présentation commune avec l’amendement n° 455.
M. Rodolphe Thomas. L’amendement n° 455 vise à rappeler les fondamentaux de l’insertion professionnelle. Il propose d’inscrire, non seulement dans l’exposé des motifs du projet de loi, mais dans la loi elle-même, le principe selon lequel la diversité est l’essence même de la nation qui, une et indivisible, nourrit cette unité par la richesse des apports de l’histoire, et rayonne de la diversité des individus qui la composent. C’est en ce sens que la République reconnaît et garantit à tous l’égalité des chances. De ce fait, il est solennellement rappelé que celle-ci est assurée dans l’accès à toute organisation, publique ou privée, collectivité territoriale ou locale, administration centrale ou déconcentrée, association, entreprise, parti politique ou organisation syndicale.
Nous entendons ainsi rappeler à toute la jeunesse les fondamentaux de l’égalité des chances.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 455.
M. Laurent Hénart, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales. Sur ces deux amendements…
M. le président. Les deux amendements étant assez différents, je propose que l’on reste sur le 455.
M. Laurent Hénart, rapporteur. Tout d’abord, l’amendement n° 455 est satisfait par la Constitution, notamment par le préambule de 1946. Ensuite, les motifs de discrimination énumérés ne recoupent qu’une partie de ceux qui figurent dans l’article L. 122-45 du code du travail. L’amendement risque donc d’amoindrir la portée de cette disposition générale qui protège nos concitoyens en matière d’égalité dans l’emploi. Avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes, pour donner l’avis du Gouvernement.
M. Gérard Larcher, ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Monsieur Thomas, nous partageons l’avis de la commission. Cependant, vous avez rappelé un certain nombre d’éléments essentiels de notre démarche, notamment l’orientation : c’est bien ce à quoi, avec Gilles de Robien, nous souhaitons travailler. L’orientation se fait d’abord dans le cadre de la formation initiale, qui est évidemment importante – le taux de réussite dans les parcours d’entrée vers l’emploi de la filière professionnelle l’atteste –, mais elle doit être possible tout au long de la vie. Au reste, l’égalité des chances ne concerne pas seulement les jeunes. Nous aborderons ce sujet ultérieurement, à propos des contrats de professionnalisation, dont nous avons doublé le nombre au profit des seniors et des personnes en difficulté. Chaque citoyen doit bénéficier de l’égalité des chances.
M. le président. La parole est à M. Yves Durand.
M. Yves Durand. Je me félicite de la présence du ministre de l’éducation nationale, au moment où nous entamons la discussion des articles.
M. Christian Paul. Il avait d’autres soucis depuis quelque temps !
M. Yves Durand. En effet, nous allons aborder l’examen d’une disposition essentielle de ce projet de loi, voulue par le Gouvernement : la fin de la scolarité obligatoire à seize ans. Et il nous a paru inadmissible que M. le ministre de l’éducation nationale n’ait pas cru bon de venir nous l’expliquer. En commission – où j’étais présent, contrairement à ce qu’a dit M. Dubernard –, j’avais moi-même demandé son audition, mais je n’ai pu l’obtenir, ce qui aurait d’ailleurs justifié que nous adoptions la motion de renvoi en commission. Nous avons ensuite réclamé, sans succès, sa présence, mardi, lors de la discussion générale. Mais mieux vaut tard que jamais !
En ce qui concerne l’amendement n° 455, j’avoue ne pas avoir très bien compris le rapport entre son contenu et l’exposé de M. Thomas. En tout cas, celui-ci a centré son intervention sur l’orientation, qui est un élément majeur de l’égalité des chances. À cet égard, l’affirmation selon laquelle l’entreprise serait le lieu privilégié de l’orientation est en totale contradiction avec notre conception de l’égalité des chances. En effet, nous estimons que c’est à l’école qu’il revient de donner à chaque élève les mêmes chances d’apprentissage des connaissances, et par là même d’une véritable orientation, non pas d’une orientation par l’échec ou par défaut, mais d’une orientation choisie. Celle-ci ne peut se faire que là où l’ensemble des jeunes sont rassemblés, c’est-à-dire à l’école. Encore faut-il que celle-ci rassemble – mais nous reviendrons sur ce point lors de l’examen de l’article 1er, qui tend plutôt à exclure.
Ne demandons pas à l’entreprise d’assumer une responsabilité qui ne fait pas partie de ses missions. En outre, l’orientation dans l’entreprise sera nécessairement soumise aux contraintes économiques et au marché et elle dépendra de ses besoins à court terme. Dès lors, le jeune sera orienté vers une formation qui ne lui sera utile que quelques années, sans lui offrir la possibilité de changer ensuite de voie professionnelle. Or, aujourd’hui, le problème n’est pas tant d’apprendre un métier que d’avoir la capacité d’en changer. L’orientation doit donc s’inscrire dans le long terme et se faire avant tout au sein du système scolaire. C’est pourquoi j’ai proposé, mardi soir, la création d’un véritable service public de l’orientation qui prenne en compte non seulement l’évolution technologique à long terme, mais aussi la formation de base qui permettra au jeune d’évoluer au cours de sa vie professionnelle.
Cet amendement me paraît non seulement flou, mais dangereux. Je souhaiterais donc que l’on m’apporte quelques éclaircissements car, en l’état actuel des choses, nous ne le voterons pas.
M. le président. La parole est à M. Francis Vercamer.
M. Francis Vercamer. Cela tombe bien, monsieur Durand : étant l’auteur de l’amendement, je vais pouvoir vous apporter ces éclaircissements, même si je ne doute pas que, en mon absence, Rodolphe Thomas l’ait fort bien défendu.
Bien que l’ensemble de la presse ne parle que du contrat première embauche, le projet de loi dont nous débattons est consacré à l’égalité des chances. Il me paraissait donc important de rappeler la genèse de cette notion, c’est-à-dire la reconnaissance de la diversité au sein de la République. Aussi ai-je déposé cet amendement, qui tend à insérer un titre Ier A : « Principes généraux en faveur de l’égalité des chances », principes qui ne s’appliquent pas seulement à l’entreprise ou à l’école, mais à l’ensemble de notre société.
J’ai entendu le ministre faire référence aux violences urbaines. La crise des banlieues a révélé le manque de respect dont souffrent certains jeunes en raison de handicaps sociaux, tels qu’une qualification insuffisante, mais aussi leur sentiment d’être rejetés par la société à cause de la couleur de leur peau. Cet amendement vise donc à rappeler les fondements mêmes de la République – le respect de la diversité culturelle et sociale –, afin que la HALDE puisse, dans l’exercice de sa mission, s’appuyer sur une disposition législative claire : « Toute organisation reflète la diversité de la nation ».
M. Daniel Paul. Il faut surtout des moyens !
M. Francis Vercamer. Cela signifie que si une entreprise, un syndicat ou tout autre groupement ne reflète pas cette diversité, il y aura présomption de discrimination et ce groupement devra se justifier.
Mardi dernier, M. Dubernard déclarait que nous aurions beaucoup à apprendre de l’usage pragmatique des statistiques par les États-Unis, rappelant qu’il y a quarante ans, avait été créée dans ce pays une commission pour l’égalité des chances dans l’emploi. Il a oublié de préciser que les États-Unis ont adopté une disposition analogue à celle que je vous propose pour obliger notamment les entreprises à respecter la diversité. J’espère donc que M. Dubernard votera cet amendement et que l’Assemblée fera de même. (Applaudissements sur les bancs du groupe Union pour la démocratie française.)
M. le président. La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Le débat commence comme il doit commencer, par les fondements philosophiques sur lesquels doit reposer le projet de loi, et je me réjouis d’entendre le groupe UDF parler de diversité. Les jeunes de toutes les couleurs qui sont présents dans les tribunes du public l’illustrent parfaitement : ils forment un échantillon représentatif de la société française. C’est cela, la République. Or cette diversité n’est pas inscrite dans nos textes fondamentaux. Vous nous présentez un projet de loi pour l’égalité des chances mais, à aucun moment, cette notion n’est définie. Pourtant, son interprétation peut varier au fil du temps. De très bons textes théoriques en exposent les fondements philosophiques, mais leur déclinaison pratique n’est pas sans poser problème.
À droite comme à gauche, beaucoup s’obstinent à dire que la reconnaissance de la diversité ouvrirait la boîte de Pandore et ferait éclater l’unité, voire l’indivisibilité de la République. Pour ma part, je reste persuadé que nous devons prendre exemple sur ce que nos ancêtres ont fait dans cet hémicycle. Aristide Briand a su prendre en compte la société française telle qu’elle était à cette époque, en reconnaissant qu’elle était devenue multiconfessionnelle et en faisant adopter la très belle loi sur la laïcité. Celle-ci a reconnu deux droits fondamentaux, non pas à des groupes religieux, mais à chaque individu : la liberté de conscience absolue – chacun est libre de croire ou de ne pas croire – et, pour les premiers, la liberté de pratiquer son culte. Aujourd’hui, il est parfaitement possible de prendre modèle sur la loi de 1905 pour reconnaître, non pas à des communautés, à des groupes ou à des minorités culturels, mais à chaque individu le droit à son identité culturelle et à l’égalité des chances. L’amendement qui nous est proposé va précisément dans ce sens, car il tend, comme en 1905, à privatiser en quelque sorte un problème public.
L’égalité des chances commence dès le plus jeune âge, à la crèche, à l’école maternelle, et pas seulement à quatorze ou quinze ans, lors de l’apprentissage. Inscrire dans la loi que toute organisation, qu’elle soit politique, syndicale, associative ou culturelle, doit prendre en compte la diversité de la société me paraît un minimum. Au-delà des clivages politiques, il nous faut rappeler ces fondamentaux.
En tout cas, le député ultramarin que je suis, le Français fier de l’être, n’aurait aucun mal à mieux fonder le texte que vous nous présentez. C’est la raison pour laquelle je soutiens ce que le groupe UDF a proposé.
M. le président. Je vais maintenant mettre aux voix l'amendement n° 455.
M. Yves Durand. Et les explications de vote, monsieur le président ?
M. le président. Il n’y a pas d’explications de vote sur les amendements : il suffit que nous entendions un orateur pour et un orateur contre. Je suis déjà allé au-delà de cette obligation en donnant la parole à M. Lurel après votre propre intervention, monsieur Durand.
M. Christian Paul. Allons, monsieur le président, ne soyez pas désagréable !
M. le président. La question n’est pas là, monsieur Paul. Je souhaite simplement appliquer le règlement.
M. Yves Durand. Mais la présentation de l’amendement faite par M. Thomas ne correspondait pas au texte !
M. le président. Le début de l’intervention de notre collègue portait effectivement sur l’amendement n° 492, mais toutes les explications nécessaires sur ce point ont déjà été données.
Mme Marylise Lebranchu. Rien qu’une minute, monsieur le président !
M. Yves Durand. À vouloir gagner une minute, vous allez nous en faire perdre dix, monsieur le président !
M. le président. Si vous souhaitez intervenir, monsieur Durand, je vous invite à le faire dans le cadre d’un rappel au règlement de notre assemblée.
M. Yves Durand. Je demande la parole pour un rappel au règlement fondé sur l’article 58.
M. le président. La parole est à M. Yves Durand, pour un rappel au règlement.
M. Yves Durand. Je ne remets pas en cause votre décision, puisque c’est à vous qu’il revient de présider, monsieur le président.
Toutefois, j’avais une bonne raison de souhaiter reprendre la parole. Chacun a pu constater qu’il existait une légère distorsion entre le texte de l’amendement, tel qu’il vient d’être précisé par M. Vercamer et défendu par M. Lurel, et l’exposé des motifs initialement effectué par M. Thomas, sur lequel je me suis exprimé au nom du groupe socialiste. Mon explication était de ce fait un peu décalée, mais je n’y suis pour rien !
Nous aurons l’occasion de revenir sur le problème de l’orientation. Je retire par conséquent mon explication sur ce point. En ce qui concerne le principe de diversité, même si celui-ci figure dans l'article L. 122-45 du code du travail, il n'est pas inutile de le rappeler dans le présent texte. Je soutiens donc l'amendement n° 455.
M. le président. La parole est à M. Rodolphe Thomas.
M. Rodolphe Thomas. Je suis désolé, monsieur Durand, mais il me semble que vous pourriez au moins écouter ce qui se dit dans l’hémicycle, et que vous n’avez à vous en prendre qu’à vous-même d’avoir manqué d’attention.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 455.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Sur le titre Ier, je suis saisi d'un amendement n° 492.
La parole est à M. François Rochebloine, pour le soutenir.
M. François Rochebloine. Cet amendement rédactionnel vise à préciser que ce texte vise uniquement l’emploi des jeunes, dans l’intitulé même et pas seulement dans les articles du projet de loi. Le titre Ier deviendrait donc : « Mesures en faveur de l’éducation, de l’emploi des jeunes et du développement économique ».
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Hénart, rapporteur. Avis défavorable. Je rappelle que, tout comme les zones franches urbaines, le contrat de professionnalisation concerne les adultes. Les mesures en faveur de l’emploi auxquelles fait référence le titre Ier ne concernent donc pas que les jeunes.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le ministre délégué à l’emploi, au travail et à l’insertion professionnelle des jeunes. Même avis.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 492.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Nous en venons à une série d’amendements portant articles additionnels avant l’article 1er.
Je suis saisi d'un amendement n° 371.
La parole est à M. Christian Paul, pour le soutenir.
M. Christian Paul. Mes chers collègues, nous abordons la discussion sur l’un des points essentiels du texte, à savoir le droit à l’éducation, et j’espère qu’à cette occasion, nous allons enfin entendre le ministre de l’éducation nationale, puisque ce projet de loi, qui a pour origine la crise des banlieues, menace très clairement l’obligation scolaire dans notre pays. Le sens de notre amendement est de rappeler que la scolarité obligatoire jusqu’à seize ans, conquête de la République, doit demeurer le lot de l’ensemble des jeunes Français.
Monsieur le ministre de l’éducation nationale, il existait depuis des années une volonté très largement partagée de revaloriser l'enseignement technique et de faire de l'enseignement par alternance une voie d'excellence, qui commençait à porter ses fruits. Alors que dans les régions dont la gestion nous a été confiée – vingt-quatre sur vingt-six à ce jour – nous nous efforçons de construire l’alternance, le Gouvernement entreprend, à la faveur d'une crise sociale, de faire de l'apprentissage une réponse à l'échec, un remède à la déscolarisation. Cela revient en fait à mettre en œuvre une nouvelle politique, dont vous devez vous expliquer devant l’Assemblée nationale.
Ce que l’école renonce à traiter, c’est-à-dire l’échec scolaire, elle va s’efforcer de le sous-traiter par l’apprentissage dès 14 ans. Lors de la flambée de violence dans les quartiers, qui révélait à la fois la crise sociale et une perte de repères chez les jeunes, ce fut pour beaucoup d’entre nous, sur de nombreux bancs de cette assemblée, une profonde surprise et une réelle indignation que d’entendre le Premier ministre déclarer que la principale réponse à la crise sociale des banlieues, c’était l’apprentissage à 14 ans, donc la remise en cause de l’obligation scolaire.
Il y avait pourtant d’autres stratégies possibles, la première étant de refonder l’éducation prioritaire. Vous avez malheureusement choisi de remettre en cause l’éducation prioritaire – en dépit de votre difficulté à imposer cette idée – en réduisant inexorablement les moyens des zones d’éducation prioritaires.
J’y vois une vraie similitude avec ce qui a été fait depuis 2002 à propos des emplois aidés – emplois jeunes et contrats emploi solidarité. On commence par tout casser, pour faire ensuite semblant de reconstruire. Sans oublier, monsieur le ministre, les ravages de la carte scolaire que vous imposez à notre pays pendant deux années consécutives, la suppression des BEP, des bacs professionnels, des IUT, des BTS, des filières que vous sacrifiez à la hache…
M. Bernard Accoyer. Oh !
M. Christian Paul. …par des réductions de postes massives. Dans ma région, la Bourgogne, plus de 500 postes ont été supprimés en deux ans dans le secondaire, en commençant par les filières techniques et technologiques. Et vous vous apprêtez, à la faveur de cette loi, à procéder à un transfert massif depuis l’enseignement technique et professionnel de l’éducation nationale vers l’apprentissage précoce. Certes, c’est une politique en rupture, mais c’est une politique détestable et dont vous devez rendre compte à la représentation nationale.
Alors que l’alternance commençait à devenir une filière d’excellence, le transfert massif auquel vous procédez va en faire une filière d’exclusion. C’est rendre à la jeunesse française un très mauvais service. Il y avait d’autres stratégies possibles et le groupe socialiste s’efforcera de démontrer, tout au long de ce débat, que vous faites fausse route.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Laurent Hénart, rapporteur. Cet amendement est déjà satisfait. Le droit à la formation tout au long de la vie est, je le rappelle, consacré par l’article L. 900-1 du code du travail – c’est la loi du 4 mai, que vous n’avez pas votée, qui l’a intégré dans notre droit positif. Quant à la scolarité obligatoire, c’est l’article L. 131-1 du code de l’éducation qui la garantit. Il ne nous paraît pas utile de réécrire des lois en vigueur, et encore moins de refaire le débat sur l’avenir de l’école qui a eu lieu dans cet hémicycle. La commission a donc émis un avis défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Gilles de Robien, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche. Nous examinerons plus tard la question de l’apprentissage junior. Cet amendement a pour seul objet de dire que le droit à l'éducation et à la formation tout au long de la vie est garanti à chacun sur l'ensemble du territoire ; il est fort éloigné de votre argumentaire, qui aborde toute la politique de l'éducation nationale.
L'article L. 111-1 du code de l'éducation garantit déjà le droit à l'éducation, mentionné à son quatrième alinéa. De même, l’article L. 111-2 du code de l’éducation indique que « la formation scolaire favorise l’épanouissement de l’enfant, lui permet d’acquérir une culture, le prépare à la vie professionnelle et à l'exercice de ses responsabilités d'homme et de citoyen. » Par conséquent, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Yves Durand.
M. Yves Durand. Je voudrais revenir sur les avis qui viennent d’être exprimés par la commission et le Gouvernement. Sur le titre Ier, il est évident que nous rediscutons de l’avenir de l’école, puisque ce titre porte sur la formation et l’école. Et effectivement, nous allons devoir rappeler tout au long de la discussion que ce texte est en contradiction avec le code de l’éducation, dans la mesure où il remet en cause un principe fondamental – sans le dire expressément, bien sûr, mais le résultat est le même – celui de l’obligation scolaire jusqu’à 16 ans.
Le dispositif de l’apprenti junior, pour reprendre la formule commerciale que vous avez inventée, consacre en fait le retour à la sélection précoce, dès 14 ans, donc la fin de la scolarité obligatoire pour tous. Si, à chaque argument que nous avançons pour vous le démontrer, vous vous réfugiez derrière le code de l’éducation, qui garantit que l’éducation est obligatoire pour tous jusqu’à 16 ans, il n’y a plus de débat possible, puisque votre texte contredit de façon flagrante ce principe fondamental inscrit dans le code de l’éducation. De même si, à chaque fois que nous vous rappelons les principes fondamentaux de la République en matière d’éducation, vous nous arrêtez au motif que nous en avons déjà discuté lors de l’examen de la loi sur l’avenir de l’école – une loi au demeurant tronquée et dont il aura fallu débattre dans l’urgence, comme toujours.
C’est un point de méthode : sommes-nous en mesure d’avoir ce débat au fond ? Pouvons-nous espérer obtenir du Gouvernement des réponses sérieuses à ces questions de fond, qui ont été posées tant en commission que dans cet hémicycle ? Le sujet est trop grave pour qu’on se contente d’entendre un ministre nous expliquer que notre amendement ne fait que reprendre le code de l’éducation. Monsieur le ministre, nous n’accepterons pas des réponses par circulaire.
M. le président. Chers collègues, dans un souci de pluralisme, nous allons assouplir les règles de façon que tous les groupes puissent s’exprimer. Je demande cependant à chacun d’être bref.
La parole est à M. Victorin Lurel.
M. Victorin Lurel. Une lapalissade : je suis député et je m’efforce, avec l’ensemble de mes collègues, de légiférer pour l’ensemble de la nation. Mais lorsque j’entends les réponses qui nous sont faites, je n’oublie pas que je porte une seconde casquette et que je suis aussi président de région, en l’occurrence de la région Guadeloupe.
Rappelons les termes de notre amendement : « Le droit à l’éducation et à la formation tout au long de la vie est garanti à chacun sur l’ensemble du territoire. La scolarité obligatoire constitue le socle de ce droit. » Cela relève effectivement de l’évidence. Et on a beau jeu de nous expliquer que telle ou telle loi a déjà traité de ce sujet. Mais la réalité est tout autre au quotidien. Ainsi, des milliers de jeunes en Guadeloupe, et il doit en être de même dans les quartiers relégués, dans les banlieues et dans les territoires – encore que je n’aime pas ce dernier terme, porteur selon moi d’une connotation colonialiste – se retrouvent démobilisés, déscolarisés, désocialisés. Alors quand on se contente d’affirmer qu’il y a des possibilités tout au long de la vie, je demande qu’on précise lesquelles.
Je constate que, lorsque je cherche à donner une seconde chance à tous ces jeunes, je suis obligé de créer une école de la deuxième chance sur les fonds de la région. Aucune dotation, aucun dispositif dans les lois évoquées précédemment n’accompagne cette initiative. Le présent texte souffre de béances essentielles. Vous n’y définissez pas, en effet, l’égalité des chances et les mesures proposées sont très parcellaires. Vous procédez en revanche à une réorientation de la politique engagée sans évaluation aucune, sans étude d’impact à partir de statistiques précises. Nous avons bien compris que cette réorientation à 180 degrés est adossée à une vision individualiste, libérale, atomistique de la société. Selon vous, cela va suffire à faire repartir la croissance et à donner à chacun une meilleure chance. Il y a là un biais politique qu’il convient d’éclairer. Invoquer telle ou telle loi n’est pas suffisant.
Je prétends, quant à moi, que l’égalité des chances n’est pas assurée de la même manière sur l’ensemble du territoire et notamment pour ceux qui sont issus de l’immigration, des territoires et départements d’outre-mer ou qui ont une couleur différente. Oui, il faut mieux travailler à la prise en compte de la diversité et de la domiciliation de nos concitoyens !
M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.
M. Daniel Paul. Monsieur le ministre, un droit ne vaut que si l’on a les moyens de le faire respecter. En matière d’éducation nationale ou dans tout autre domaine, ce beau mot ne vaut rien sans moyen. La région havraise, que je connais très bien, souffre plus que d’autres de l’échec scolaire, des difficultés d’insertion professionnelle, du chômage – avec un taux supérieur de 3 points à celui de la moyenne – et de la précarité.
Or, sur les sept collèges – sept sur neuf ! – inscrits en ZEP de ma circonscription, il n’en subsistait plus que trois dans le premier projet du rectorat. On n’avait tenu aucun compte des réalités sociales et économiques des quatre autres collèges, l’objectif étant tout simplement de récupérer des moyens.
J’en viens à l’apprentissage. Dans une vie antérieure, monsieur le ministre, j’ai géré un centre d’apprentissage, un CFA municipal. Pour moi, l’apprentissage devait être normalisé, banalisé et devenir une voie normale de la réussite. Avec votre texte, faute de donner les moyens de réussir aux enfants en difficulté, vous allez en faire un chemin vers l’échec.
S’agissant enfin des classes d’intégration scolaire, ces classes qui accueillent des enfants dont les difficultés sont telles qu’ils ne peuvent rester dans des classes dites ordinaires, je suis de ceux qui pensent qu’il n’y a pas, en effet, d’alternative aux CLIS tout simplement par manque d’enseignants formés pour recevoir des enfants en grande difficulté. Là encore, monsieur le ministre, le droit n’est pas accompagné de moyens.
La loi sur le handicap, votée ici récemment, avait pour objectif de favoriser l’intégration d’enfants handicapés dans les écoles ordinaires, à condition cependant que des moyens soient mis en place pour accueillir tous les enfants de la République dans ces écoles. Or ces moyens ne sont pas suffisants.
Alors, monsieur le ministre, vous mettez en avant les droits inscrits dans le code de l’éducation. Mais toute votre politique consiste à refuser les moyens permettant leur concrétisation.
M. le président. La parole est à M. Alain Joyandet.
M. Alain Joyandet. M. Durand nous invite à avoir un débat de fond. Et il a raison. Exprimons-nous une fois pour toutes sur ce sujet. Je ne pense pas que nous ayons des objectifs très éloignés les uns des autres. Personne, dans cet hémicycle, ne souhaite remettre en cause la scolarité jusqu’à seize ans.
Plusieurs députés du groupe socialiste. Si !
M. Alain Joyandet. Mes chers collègues, je vous ai écoutés avec attention. Laissez-moi au moins développer mes arguments pendant quelques instants !
Personne ne souhaite non plus démunir les jeunes qui entreront dans un cursus d’apprentissage des savoirs fondamentaux. Nous sommes simplement partis de certaines coïncidences même si, bien sûr, les choses ne sont pas forcément liées. Force est de constater que de nombreux jeunes sont aujourd’hui en difficulté, ne trouvent pas leur voie et sortent du système scolaire sans diplôme, et que, parallèlement, le nombre d’élèves en préapprentissage a considérablement diminué, notamment par rapport aux années 70 ou 80. Ces deux phénomènes coïncident parfaitement.
L’apprentissage comportant d’incontestables aspects positifs, il s’agit, dans ce texte, de permettre à des jeunes de s’engager dans cette voie, sur la base du volontariat et avec des possibilités de réversibilité.
M. Christian Paul. C’est un mythe !
M. Alain Joyandet. Cher collègue, les études réalisées sur le sujet, notamment par l’INSEE, montrent que, jusqu’au diplôme d’ingénieur, la notion d’apprentissage s’est considérablement développée.
M. Yves Durand. Ce n’est pas le sujet !
M. Alain Joyandet. À tous les niveaux d’enseignement pratiquement, ceux qui ont suivi ce cursus multiplient leurs chances de trouver un emploi,…
M. Christian Paul. Mais pas en commençant un apprentissage à quatorze ans !
M. Alain Joyandet. …car les entreprises les engagent par priorité avec un contrat stable.
Voilà ce que je voulais dire au nom de notre groupe. Encore une fois, il ne s’agit aucunement de démunir ces jeunes des savoirs fondamentaux. Nous soutenons donc pleinement la démarche du Gouvernement. Je ne mentionnerai que pour mémoire l’excellent travail accompli par notre collègue Irène Tharin, dont les recommandations vont également dans ce sens. Tous ceux qui se sont penchés sur ce sujet demandent d’ailleurs au Gouvernement de s’engager dans cette voie.
L’objectif n’est pas différent du vôtre car nous sommes tous sur la même longueur d’onde.
M. Christian Paul. Pas du tout !
M. Alain Joyandet. Nous souhaitons tous élever le niveau d’instruction des jeunes car cela ne peut que les conduire vers une vie meilleure. Simplement, nous voulons offrir la possibilité à ceux qui sont actuellement en grande difficulté, et intéressés par le monde de l’entreprise, de s’engager plus tôt sur la voie de l’apprentissage et seulement sur la base du volontariat. Des passerelles seront mises en place et ils pourront donc revenir en arrière. Grâce aux avantages intéressants accordés pour la première fois à l’apprentissage, ils auront ainsi une chance supplémentaire d’entrer dans la vie active et de s’intéresser à un métier. Vous ne pouvez pas nier que cette mesure permettra de répondre à la situation que nous constatons sur le terrain. Cette réponse n’est pas universelle. C’est un argument de plus pour conforter notre jeunesse, particulièrement celle qui connaît les plus grandes difficultés, et lui permettre d’entrer dans la vie active. Voilà quel est notre objectif ! Nous soutenons donc activement le Gouvernement dans cette politique qui, nous en sommes persuadés, aura des résultats très positifs.
M. le président. Je vais mettre aux voix l’amendement n° 371…
M. Bernard Accoyer. Monsieur le président, je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Bernard Accoyer.
M. Bernard Accoyer. Monsieur le président, avant que vous n’appeliez l’Assemblée à se prononcer, je demande un scrutin public sur l’amendement n° 371, dont nos collègues socialistes nous ont expliqué qu’il était très important, et, compte tenu précisément cette importance, je vous demande, en application de l’article 61, alinéa 2, du règlement, de bien vouloir vérifier le quorum. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
Nous espérons ainsi que les travaux de l’Assemblée vont cesser de piétiner et que nous allons enfin aborder le texte. Voilà en effet quarante-huit heures que nous sommes réunis dans cet hémicycle pour débattre d’un projet de loi qui vise à améliorer la situation de l’emploi des jeunes.
M. Didier Migaud. Ça, c’est vous qui le dites !
M. Bernard Accoyer. Or l’opposition a multiplié les manœuvres grossières d’obstruction. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe des député-e-s communistes et républicains.)
M. Daniel Paul. Quatre ministres sont intervenus !
M. Pierre Cardo. Mais vous en vouliez même un cinquième : le Premier ministre !
M. Bernard Accoyer. Motions de procédure et rappels au règlement non fondés se sont ainsi succédé pour bloquer les travaux.
L’opposition, qui n’a aucune contre-proposition – et cela ne date pas d’aujourd’hui… (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)
Mme Martine David. Arrêtez !
M. Yves Durand. Vous n’étiez pas là !
M. Christian Paul. Vous êtes un intermittent du débat !
M. Bernard Accoyer. …et qui se satisfait de la précarité de l’emploi des jeunes, a pour seul objectif de bloquer nos travaux. Elle a donc déposé trois motions de procédure.
M. Didier Migaud. Et alors ?
Mme Martine David. C’est notre droit !
M. Bernard Accoyer. Chacune de ces motions a été défendue pendant une heure et demie !
Mme Martine David. C’est le temps de parole habituellement accordé !
M. Bernard Accoyer. J’ajoute qu’hier, alors qu’il allait défendre la motion de renvoi en commission, M. Brard n’a pas voulu s’exprimer. L’opposition s’est alors rassemblée…
M. Christian Paul. La commission n’avait pas suffisamment travaillé ! Nous devons faire ici ce qui n’a pas été fait en commission !
M. Didier Migaud. C’était légitime !
M. Bernard Accoyer. …pour exiger la suspension des travaux près d’une heure et demie avant la fin de l’heure prévue pour la levée de séance.
M. Didier Migaud. Quel cinéma !
M. Bernard Accoyer. Encore une illustration de ce qu’est l’obstruction parlementaire.
M. Didier Migaud. Vous êtes expert en la matière !
M. Alain Vidalies. Elle est dense, votre intervention !
M. Christian Paul. Bravo pour le débat de fond !
M. Yves Durand. Oui, venez-en au fond !
M. Bernard Accoyer. C’est bien de cela qu’il s’agit, parce que la durée des motions de procédure, soit trois fois une heure et demie, constitue une dérive pour la pratique de nos travaux.
M. Alain Vidalies. C’est un expert qui parle !
Mme Martine David. Vous parlez en orfèvre !
M. Bernard Accoyer. D’ailleurs, M. Brard s’est plaint ce matin de s’exprimer devant un hémicycle vide, ne pouvant même pas compter sur ses amis pour l’écouter…
M. Henri Emmanuelli. Vous n’étiez pas là de toute la matinée, monsieur Accoyer !
M. le président. Laissez M. Accoyer s’exprimer ! Vous interviendrez après lui !
M. Pierre Cardo. Et évitons les attaques personnelles !
M. Bernard Accoyer. Je constate qu’il ne peut pas toujours assister à nos travaux, car après avoir développé tout à l’heure de nombreux arguments, il a quitté l’hémicycle.
Mme Martine David. Taisez-vous, vous êtes un intermittent dans ce spectacle ! M. Brard fait ce qu’il veut !
M. Bernard Accoyer. J’ai demandé un scrutin public avec vérification du quorum pour trois raisons : d’une part, je tiens à souligner l’obstruction caricaturale conduite par l’opposition.
M. Didier Migaud. Venant de vous, monsieur Accoyer, c’est triste !
M. Bernard Accoyer. D’autre part, la durée d’une heure nécessaire à la vérification du quorum tiendra lieu de pause entre la séance du matin et celle de l’après-midi, ce qui empêchera ce soir nos collègues socialistes de recourir à cette procédure pour retarder de façon délibérée nos travaux. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Didier Migaud. Nous y voilà ! L’aveu ! Manœuvrier !
Mme Marylise Lebranchu. C’est petit !
M. Yves Durand. Quel aveu ! C’est de la petite politique politicienne !
M. le président. Monsieur Durand !
M. Bernard Accoyer. J’assume ma décision !
Enfin, je voudrais inviter l’opposition à analyser son action sur le fond.
M. Didier Migaud. Cessez de manoeuvrer !
M. Bernard Accoyer. Au-delà des propos déplacés qu’elle a tenus hier à l’égard de plusieurs membres du Gouvernement…
Mme Marylise Lebranchu. C’est faux !
M. Bernard Accoyer. …en particulier de l’un d’entre eux, au-delà des interruptions de séance demandées sans raison, l’opposition se caractérise surtout par l’absence de réponse, comme on le vérifie depuis de nombreuses années. Qu’a-t-elle proposé pour les jeunes ? Des emplois publics sans débouchés, sans droit à la formation, sans droit au chômage !
Mme Martine David. Il mélange tout !
M. Bernard Accoyer. Aujourd’hui, ses propositions vont toujours dans la même direction : créer des emplois publics qui ne correspondent absolument pas aux réalités d’aujourd’hui.
M. Christian Paul. Quel salmigondis !
M. Bernard Accoyer. Les jeunes ne supportent plus cette situation qui leur ferme les portes de l’emploi et ce refus de regarder la réalité en face.
M. Christian Paul. On touche le fond !
M. Bernard Accoyer. C’est pourquoi, monsieur le président, j’ai demandé un scrutin public sur l’amendement n° 371 et la vérification du quorum. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. le président. Sur le vote de l’amendement n° 371, je suis saisi par le groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande de scrutin public.
…………………………………………………………
Le scrutin est annoncé dans l’enceinte de l’Assemblée nationale.
Mes chers collègues, avant de procéder à la vérification du quorum, je vais donner la parole à quelques orateurs.
La parole est à M. Henri Emmanuelli.
M. Henri Emmanuelli. Monsieur le président Accoyer, personne dans ce débat n’a eu l’inconvenance de noter vos entrées et vos sorties. Vous apparaissez lorsque c’est nécessaire et vous disparaissez.
M. Pierre Cardo. Il n’est pas le seul !
M. Henri Emmanuelli. Vous n’êtes donc pas habilité à faire le décompte des députés qui sont présents en séance et de ceux qui ne le sont pas. D’ailleurs, ce matin, pendant la défense de la motion de procédure par M. Brard, j’ai constaté que vous n’étiez pas là.
M. Bernard Accoyer. Si !
M. Henri Emmanuelli. Nous, nous avons écouté M. Brard !
M. Pierre Cardo. Non !
M. Henri Emmanuelli. Vous avez fait une petite apparition, mais je veux bien admettre que votre vie de président du groupe UMP soit compliquée et que vous ayez beaucoup de choses à faire. Cela ne doit pas être toujours simple.
Avant d’en venir à vos manœuvres dilatoires, je voudrais vous dire que sur le fond la gauche n’est pas hostile à l’apprentissage et à l’alternance. Ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Elle n’ignore pas que trop de jeunes, malheureusement, sortent du système scolaire sans qualification. Mais ce que vous êtes en train de faire, ce n’est pas de chercher une solution à ce problème qui nous concerne toutes et tous, mais d’institutionnaliser la régression ! (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Alain Vidalies. Voilà !
M. Henri Emmanuelli. Vous revenez sur une avancée sociale et culturelle importante : l’allongement de la scolarité obligatoire à seize ans.
M. Yves Durand. Qui date de 1959 !
M. Henri Emmanuelli. Au cas où vous ne le sauriez pas, nous vivons dans une société où le niveau culturel s’élève sans cesse. Demain, la compétition sera rude, et la bataille se livrera sur le terrain du savoir. Et que l’on soit artisan, travailleur manuel ou travailleur intellectuel – concepteur de symboles, comme disent certains – on n’aura jamais assez de savoirs et de connaissances ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Vous essayez de fabriquer une sous-catégorie de travailleurs et ce n’est pas comme cela, monsieur Accoyer, que l’on va régler le problème. Il est vrai que sur les bancs conservateurs, on a toujours rêvé d’une main-d’œuvre taillable et corvéable à merci et la moins instruite possible, car moins elle est instruite, plus elle est malléable ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Pierre Cardo. Quelle dévalorisation de l’apprentissage !
M. Henri Emmanuelli. Ce que vous êtes en train de faire pour les jeunes et l’artisanat, vous essaierez ensuite de le faire avec le CPE pour l’ensemble de la jeunesse.
Venons-en au fond : oui, il y a un problème, qui nous concerne tous, mais ce n’est pas en condamnant certains jeunes à appartenir, dès quatorze ans, à une sous-catégorie de travailleurs que vous les intégrerez dans la République et que vous réglerez le problème !
M. Pierre Cardo. Quel jugement négatif !
M. Henri Emmanuelli. Nous sommes là pour essayer de tirer tous nos concitoyens vers le haut et non pour faire des enfants des autres des travailleurs de second ordre – car, évidemment, aucun d’entre vous, quand il pense à cette sous-catégorie que vous êtes en train de créer, n’imagine un seul instant que ce sera le sort de ses propres enfants et petits-enfants ! (Protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Pierre Cardo. Avec ce que vous en dites, le CPE aura forcément une image dévalorisée !
M. Henri Emmanuelli. Vous protestez, mais vous avez toujours procédé ainsi !
Un jour, je ferai l’inventaire de celles et de ceux d’entre vous qui auront placé leurs enfants en apprentissage à quatorze ans ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
Monsieur Accoyer, lorsqu’on accuse l’opposition de manœuvres dilatoires et d’obstruction, après avoir été un expert en la matière…
Mme Martine David. Eh oui !
M. Henri Emmanuelli. …on ne commence pas par bloquer les travaux de l’Assemblée nationale pendant une heure ! Chacun appréciera la cohérence de votre position…
Quant au défilé des ministres au cours de la séance d’hier soir, personne n’a tenu à leur égard de propos discourtois, comme vous essayez de le faire croire. L’un d’entre eux a effectivement tenté de réécrire l’Histoire. Mais, parfois, cela se termine mal. Je pense à cet amendement, qui va passer à la trappe grâce à l’habileté du Président de la République, à propos de la colonisation. Hier soir, un ministre est venu nous expliquer que la gauche n’avait pas le monopole de la lutte contre les discriminations !
M. Pierre Cardo. À vous entendre, vous avez le monopole !
M. Henri Emmanuelli. Non, et d’ailleurs aucun d’entre nous n’a de monopole. Mais si nous regardons l’histoire de notre pays, et c’est ce que je me suis permis de dire à ce ministre, nous constatons que ceux qui se sont battus pour les droits de l’homme et de la femme, qui se sont battus pour le progrès social, qui ont manifesté pour se souvenir d’hommes et de femmes jetés dans la Seine, c’était nous…
M. Richard Cazenave. C’est faux !
M. Henri Emmanuelli. …et nous avons reçu des coups de matraque pour cela ! Qui a manifesté après la mort de Malik Oussekine ? C’était nous ! Vous, vous étiez du côté de la matraque. (Vives protestations sur les bancs du groupe de l’Union pour un mouvement populaire.)
M. Bernard Accoyer. Quelle caricature !
M. Pierre Cardo. Vous n’élevez pas le débat !
M. Richard Cazenave. Minable !
M. Henri Emmanuelli. Vous entendre refaire l’histoire à la tribune, cela fait beaucoup ! On ne peut pas, monsieur Accoyer, réécrire l’histoire, même pour convenances personnelles, surtout pas pour convenances personnelles ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)
M. Richard Cazenave. Et l’on ne peut pas dire des choses inexactes !
M. le président. La parole est à M. Daniel Paul.
M. Daniel Paul. Pour ma part, je ne suis pas surpris de la déclaration de M. Accoyer.
M. Didier Migaud. Nous non plus !
M. Daniel Paul. Elle va tout simplement dans le sens de ce texte et reflète l’inquiétude de M. Accoyer, qui est aussi celle du Gouvernement face à ce que l’on sent monter dans le pays : la prise de conscience de la nocivité de ce texte.
Ce que vous craignez, c’est ce qui va se passer mardi prochain, car des manifestations unitaires sont prévues dans tout le pays, réunissant les jeunes et les salariés. Et vous voulez accélérer le débat pour éviter de vous retrouver face à ce mouvement.
Monsieur Accoyer, hier soir, Jean-Pierre Brard avait prévu de soutenir sa motion de procédure. Ce n’est pas de son fait si, à vingt-trois heures, il n’a pu prendre la parole pour une durée d’une heure et demie, comme le prévoit le règlement. La motion et les explications de vote nous auraient permis de terminer vers une heure du matin, comme cela était prévu. Au lieu de cela, quatre ministres sont intervenus successivement.
Un député du groupe UMP. Quand les ministres ne vous répondent pas, vous vous plaignez !
M. Daniel Paul. Je ne dis pas que cela n’est pas prévu par le règlement, mais comment justifier qu’une motion de renvoi en commission d’une heure et demie soit présentée à minuit ?
M. Pierre Cardo. Nous avons bien terminé la loi Borloo à l’aube du samedi !
M. Daniel Paul. La sagesse voulait que nous reportions la motion à neuf heures trente ce matin.
Nous sommes, monsieur Accoyer, devant un texte lourd de conséquences, qui sur bon nombre de points va rompre avec l’histoire sociale, culturelle, économique de notre pays. Vous voulez, avec le contrat de première embauche, mettre fin…
M. Richard Cazenave. Au chômage !
M. Daniel Paul. Non, pas au chômage ! En réalité, vous voulez accentuer la précarité de l’ensemble des salariés !
M. Richard Cazenave. Vous connaissez celle des électeurs ?
M. Daniel Paul. Le patronat, dans notre pays, ne s’est jamais résigné, il n’a jamais accepté les garanties sociales gagnées par les salariés tout au long du XXe siècle, et même avant. Aujourd’hui, vous apprenez – je le reconnais – que la politique peut changer les choses, mais vous donnez raison au patronat, vous donnez raison à une minorité face à la majorité de nos concitoyens.
M. Richard Cazenave. Vous vous inquiétez parce que vous avez perdu !
M. Daniel Paul. Vous voulez baillonner l’Assemblée nationale en présentant devant la commission un texte de trois pages dont il n’a pas été possible de discuter réellement, et vous voulez institutionnaliser la précarité.
Vous dites, monsieur Accoyer, que c’est l’absence de réponse qui nous caractérise. Face à la précarité qui se développe, nous défendrons tout au long de ce débat un principe parmi d’autres : la sécurité de la vie professionnelle. Comme à la Libération, lorsque notre pays a su se doter d’une sécurité sociale, que vous voulez également démolir, l’heure est venue d’aller vers la sécurité professionnelle, la sécurité en matière d’emploi et de formation, afin que les salariés soient protégés tout au long de leur vie.
Nous ne voulons pas de votre entreprise qui consiste à casser le code du travail, au profit de contrats individuels. Nous, nous voulons sécuriser les parcours professionnels.
M. Richard Cazenave. Plutôt sécuriser le chômage !
M. Daniel Paul. Pour Mme Parisot, la présidente du MEDEF, le travail, comme la vie et comme l’amour, devrait être précaire. Nous ne partageons pas cette vision.
M. le président. Je suis donc saisi par le président du groupe de l’Union pour un mouvement populaire d’une demande faite en application de l’article 61 du règlement, tendant à vérifier le quorum avant de procéder au vote sur l’amendement n° 371.
Je constate que le quorum n’est pas atteint.
Conformément à l’alinéa 3 de l’article 61 du règlement, le vote sur l’amendement n° 371 est donc reporté et, compte tenu de l’heure, je vais renvoyer le scrutin et la suite du débat à la séance de cet après-midi.
M. le président. Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique :
Suite de la discussion, après déclaration d’urgence, du projet de loi, n° 2787, pour l’égalité des chances :
Rapport, n° 2825, de M. Laurent Hénart, au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.
À vingt et une heures trente, troisième séance publique :
Suite de l’ordre du jour de la première séance.
La séance est levée.
(La séance est levée à treize heures.)
Le Directeur du service du compte rendu intégral
de l’Assemblée nationale,
jean pinchot