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No  244
ASSEMBLÉE  NATIONALE
CONSTITUTION  DU  4  OCTOBRE  1958
DOUZIÈME  LÉGISLATURE

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Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 octobre 2002.

Document mis en distribution le 25 octobre 2002


DÉCLARATION
DU GOUVERNEMENT
sur la question de l’Irak,
par M. Jean-Pierre RAFFARIN,
Premier ministre.

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          [  Politique extérieure. ]

                        Monsieur le président,
                        Mesdames, Messieurs les députés,
        J’ai souhaité avec vous, et en accord avec M. le Président de la République, qu’un débat ait lieu au Parlement sur la situation en Irak et sur la politique menée par la France pour répondre à la gravité de la tension internationale.
        Vos interrogations sont partagées par tous nos compatriotes, en France et à l’étranger, quelles que soient les sensibilités. Je veux vous confirmer ici que la France a une vision claire des enjeux et des responsabilités. Fidèle à son histoire, elle se veut une force de propositions et d’initiatives, auprès notamment de ses partenaires européens, au sein de la communauté internationale et au cœur du Conseil de sécurité.
        La France agit avec le seul souci du respect des règles qui fondent la communauté internationale, des règles d’équité, de prévoyance et de fermeté. Le Président de la République, dans ses multiples contacts avec les dirigeants du monde entier, a rappelé avec force la nécessité du respect de ces règles, et il a placé notre pays au cœur de l’action diplomatique en cours.
        Mesdames, messieurs les députés, je voudrais d’abord rappeler quelques éléments essentiels à la bonne compréhension des enjeux de cette situation.
        Premier rappel : l’Irak représente incontestablement une menace potentielle pour la sécurité de la région. L’Irak n’est certes pas le seul pays où se pose la question de la prolifération des armes de destruction massive, nucléaires, chimiques ou biologiques, mais c’est celui auquel la communauté internationale a imposé, en raison de son comportement passé, notamment depuis la guerre du Golf, les obligations les plus contraignantes.
        Nous ne pouvons oublier que l’Irak n’a pas hésité à employer l’arme chimique contre sa propre population et aussi contre l’Iran, alors que l’emploi de ces armes est prohibé par les conventions internationales. Les investigations menées par les Nations unies, après la libération du Koweït, ont révélé des programmes alors insoupçonnés en matière nucléaire et biologique. Elles ont mis en évidence des actions de dissimulation flagrantes.
        L’absence, pendant près de quatre ans, des inspecteurs des Nations unies, a multiplié les incertitudes sur la réalité des programmes d’armes de destruction de masse en Irak. Notre préoccupation, votre préoccupation est donc légitime.
        L’Irak, par ses atermoiements et ses dérobades, a trop longtemps défié la volonté du Conseil de sécurité. A côté des dangers de la prolifération d’armes de destruction massive, c’est aussi l’autorité du Conseil de sécurité, clef de voûte du système de sécurité internationale, qui est en cause. Cette situation ne peut pas durer.
        Deuxième rappel : l’Irak, par son histoire, sa position géographique, ses ressources, est un pays-clé dans une zone fragile du Moyen-Orient.
        Source de la civilisation depuis Sumer, depuis Babylone, il concentre une histoire complexe, source de tensions contemporaines. Bagdad a été le centre d’un empire puissant, l’empire abbasside, entre les huitième et treizième siècles. Il se veut aujourd’hui le phare du nationalisme arabe. Saladin, né comme Saddam Hussein à Tikrit et qui a su défaire en Galilée les Croisés et libérer Jérusalem, est également une référence pour l’Irak.
        Cet héritage, cette ambition l’ont mené à des aventures inconsidérées, dont il paie aujourd’hui le prix. Sa position stratégique, en contact avec l’Iran, le Proche-Orient, le golfe Persique, le place au confluent de toutes les crises.
        La fin de l’Empire ottoman et la création de l’Irak qui s’en est suivie, par le rassemblement de trois anciennes provinces ottomanes dont le mandat était confié au Royaume-Uni, sont à l’origine de l’Irak moderne avec la diversité de ses populations et de ses attaches religieuses. Cette complexité est à la source de notre inquiétude.
        Au plan économique, l’Irak dispose d’atouts incontestables. Baigné entre le Tigre et l’Euphrate qui encadrent le « Croissant fertile », il a certes des ressources agricoles rares pour la région, et il mérite son nom de « Pays de l’eau ». Mais ce pays, avec une population instruite, fragilisée par les guerres et l’embargo, est aujourd’hui dans une situation de désespoir. Et je ne reviendrai pas sur les ressources en hydrocarbures, qui représentent 10 % des réserves mondiales, les secondes au monde, et ne sont pas naturellement indépendantes de ce dossier.
        Cette position centrale, le caractère composite du pays, ses ressources, peuvent alimenter des forces centrifuges, des appétits et des ambitions dont personne ne peut être sûr de maîtriser les conséquences, notamment sur l’intégrité territoriale du pays et la stabilité de la région.
        C’est un constat : les pays jeunes ont tendance à mésestimer l’histoire des vieux pays.
        Les hypothèses, en cas de changement de régime, restent marquées par l’incertitude et la France n’est pas seule à nourrir les plus grandes interrogations à ce sujet. Les débats aux Nations unies nous ont montré que nos préoccupations sont très largement partagées. Et nous voyons bien aujourd’hui que cette attitude préoccupe l’ensemble de nos partenaires, y compris nos partenaires européens.
        Face à de tels enjeux, la politique de la France repose sur deux axes clairement énoncés : l’unité de la communauté internationale comme garant de légitimité et d’efficacité ; et la détermination par le Conseil de sécurité des mesures à prendre en cas de manquement irakien, sans exclure aucune option.
        Il faut réduire la menace potentielle de l’Irak en faisant jouer la cohésion de la communauté internationale. C’est notre gage d’efficacité. Les résolutions du Conseil de sécurité - principalement la résolution 687 - adoptées après la guerre du Golfe fixent des obligations très claires à l’Irak dans le domaine du désarmement : renonciation aux armes de destruction de masse, destruction de celles en sa possession.
        C’est l’objectif qu’a fixé à notre action le Président de la République. Et c’est sur cet objectif, et lui seul, que peut se faire aujourd’hui l’unité de la communauté internationale. La puissance de la pression est directement liée à la constance de la cohésion au sein de la communauté internationale.
        Après la crise de 1999, la résolution 1284 du Conseil de sécurité a fixé des dispositions complémentaires sur la conduite des inspections et sur la séquence devant mener à l’allégement des sanctions contre l’Irak. C’est sur cette base que la France conduit aujourd’hui les consultations avec ses partenaires du Conseil de sécurité.
        Cette résolution nous paraît être suffisante, mais nous sommes prêts à l’adoption d’une nouvelle résolution, si cela paraît nécessaire pour apporter les précisions et les compléments utiles pour assurer l’efficacité des inspections, voire pour fixer des échéances.
        L’essentiel est que le message soit une extrême clarté : le Conseil de sécurité est uni et déterminé pour obtenir le retour très rapide des inspecteurs et l’élimination des armes de destruction massive.
        En toute hypothèse, la France tiendra le plus grand compte des recommandations du président de la Commission de contrôle de l’ONU et du directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique, qui sont le mieux à même d’apprécier ce qui est nécessaire.
        La logique de la pression a montré son efficacité et la France entend bien la pousser à son terme. Cela permet, comme l’a dit récemment M. Giscard d’Estaing, de définir une voie alternative, de prévenir la guerre, et non de fournir un habillage à la guerre.
        Les débats à l’Assemblée générale des Nations unies en septembre ont montré à l’Irak l’impasse de toute obstination. Ils ont aussi manifesté la volonté générale, y compris de la part des Etats-Unis, avec le discours du 12 septembre du Président Bush, de recourir au Conseil de sécurité pour décider des mesures à prendre. Cela a amené l’Irak à accepter, le 16 septembre, dans une lettre du ministère des affaires étrangères au secrétaire général des Nations unies, le retour inconditionnel des inspecteurs de l’ONU.
        Il faut donc tirer parti de ce mouvement, et « prendre l’Irak au mot » comme le disait Dominique de Villepin. C’est ce qui a été fait. Les entretiens de la semaine dernière, à Vienne, entre les autorités irakiennes, le président de la Commission de contrôle des Nations unies et le directeur général de l’Agence internationale de l’énergie atomique, ont eu des résultats positifs. Ils ont permis de préciser les modalités pratiques de la reprise des inspections et de définir les ajustements nécessaires au système existant sur la base des dispositions de la résolution 1284 de 1999 du Conseil de sécurité.
        Mais c’est sur le terrain que l’on pourra apprécier la réalité des intentions de l’Irak, sur la foi des rapports des inspecteurs.
        Si la Commission de contrôle de l’ONU constatait des manquements, des violations sérieuses, celles-ci devraient être rapportées au Conseil de sécurité, à qui il appartiendrait de les apprécier, d’en tirer les conséquences et de prendre les décisions appropriées.
        Tel est le sens de la démarche en deux temps, définie par le Président de la République, et qui est largement partagée au sein de la communauté internationale. Elle unit la détermination à faire prévaloir l’autorité du Conseil de sécurité face à l’Irak, et aussi l’exigence de conserver la maîtrise de nos choix. En effet, mesdames et messieurs les députés, il ne faut considérer - c’est notre conviction - le recours à la force que comme un dernier recours, lorsque tout a été tenté pour résoudre la situation par la voie diplomatique.
        Il n’existe pas de guerre propre, il n’existe pas de guerre facile. La guerre n’est pas une étape, mais une épreuve. Pensons aux civils, pensons aux conséquences humanitaires sur les vingt-quatre millions d’Irakiens déjà soumis à des souffrances qui heurtent les consciences.
        La guerre ne doit jamais être une opportunité, un choix de circonstance, mais une extrémité qui ne doit être envisagée qu’avec la plus grande gravité. Le seul rappel de l’histoire de l’Europe devrait suffire à convaincre de cette vérité.
        A ceux qui développent la vision simpliste de la guerre du bien contre le mal, je rappellerai cette pensée de René Char : « Le mal vient toujours de plus loin qu’on ne croit et ne meurt pas forcément sur la barricade qu’on lui a choisie. »
        Mesdames et messieurs les députés, la tension ne s’arrête pas au seul cas de l’Irak. On ne peut le dissocier de la situation du Proche-Orient et de l’équilibre du système international dans son ensemble.
        Aucune crise ne peut être considérée de façon isolée. Au Moyen-Orient, nous le savons bien, les peuples, les opinions, font se rejoindre la question de la paix entre Israël et les Palestiniens et celle de l’Irak.
        Une action militaire contre l’Irak, perçue comme illégitime car ne reposant pas sur l’assentiment de la communauté internationale et ne faisant pas progresser la paix au Proche-Orient, renforcerait ce sentiment d’injustice qui prévaut aujourd’hui dans le monde arabe. Elle porterait en germe le danger d’un éloignement entre le monde arabe et musulman et l’Occident. A plusieurs reprises, le Président Chirac a alerté les dirigeants des pays développés sur les risques de leur isolement international.
        Sur cette question aussi, notre diplomatie est mobilisée, avec ses partenaires européens, avec la Russie, avec la Chine, avec l’Amérique, pour sortir de l’impasse.
        Le message adressé par le Conseil de sécurité, lorsqu’il a adopté le mois dernier la résolution 1435 prescrivant la levée du siège de l’autorité palestinienne, est donc pour nous très important.
        Il montre que la communauté internationale a compris la nécessité de mettre un terme à un cycle infernal, qui laisse l’initiative au terrorisme, à ceux qui ne veulent pas de la paix. Celle-ci ne peut se concevoir que dans le respect égal du droit d’Israël à exister dans des frontières sûres et reconnues, ainsi que du droit des Palestiniens à un Etat viable et sûr, leur permettant de réaliser leurs aspirations nationales. Là aussi, les résolutions du Conseil de sécurité doivent être respectées.
        La primauté du droit international, l’idée selon laquelle l’emploi de la force doit rester le dernier recours, sont des principes fondateurs de l’ordre que nous avons cherché à construire après la Seconde Guerre mondiale.
        Le droit n’exclut pas le recours à la force, mais la règle internationale exclut la force unilatérale telle qu’elle a été codifiée à San Francisco, il y a bientôt soixante ans, dans la Charte des Nations unies. C’est le message que la France entend aujourd’hui porter dans notre monde troublé et déséquilibré.
        Ce message dépasse nos clivages politiques et je me souviens des propos lus à cette tribune par l’un de mes prédécesseurs en janvier 1991, à la veille de la guerre du Golfe : « La France assume le rang, le rôle et les devoirs qui sont les siens et se déclare solidaire du camp du droit contre la politique de l’agression et du fait accompli. »
        Cette volonté de respecter et en même temps de bâtir des règles internationales doit s’exprimer au Conseil de sécurité, mais aussi au sein de l’Union européenne, l’horizon de notre solidarité première. Je souhaite qu’à l’occasion de la crise irakienne, l’union conforte une vision commune, fondée sur des principes universels.
        Mesdames et messieurs les députés, la France est déterminée à assumer toutes ses responsabilités. Elle a décidé de se doter des moyens nécessaires pour sa diplomatie comme pour sa défense.
        La représentation nationale sera, je n’en doute pas, attentive à s’assurer de sa pleine information et à jouer son rôle. Mon gouvernement s’emploiera, évidemment, à satisfaire cette attente.
        Je terminerai sur une conviction : l’engrenage de la violence n’est pas une fatalité, il existe toujours une alternative. C’est la force du droit, qui est notre conviction et qui, sur ce dossier, est notre espoir. J’ai confiance dans notre diplomatie. Sous l’impulsion du Président de la République et sous la conduite du ministre des affaires étrangères, elle met toute son intelligence au service de la stratégie qu’au nom du Gouvernement je viens de vous présenter.