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N° 1982

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 8 décembre 2004.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d'une commission d'enquête
sur les risques
en matière de sécurité et de transparence
engendrés
par l'ouverture du capital et la privatisation
de la
filière nucléaire française,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. François BROTTES, Christian BATAILLE, Jean-Marc AYRAULT, François DOSE, Pierre DUCOUT, Jean GAUBERT, Philippe TOURTELIER, Mmes Geneviève PERRIN-GAILLARD, Claude DARCIAUX, Nathalie GAUTIER, MM. Jean LAUNAY, Pierre COHEN, William DUMAS, David HABIB, Armand JUNG, Jean-Marie AUBRON, Marcel DEHOUX

Députés.

et les membres du groupe socialiste (1) et apparentés (2)

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Un journal du soir titrait il y a quelques semaines (12 novembre 2004) : « Areva veut banaliser le nucléaire en s'introduisant en bourse ».

Peu de temps après (19 novembre 2004), le Journal officiel publiait les décrets d'application de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières, transformant Electricité de France en société anonyme de droit commun. De toute évidence, de grandes manœuvres ont commencé au sein de ce qu'il est convenu d'appeler la filière nucléaire française.

Comment qualifier ces opérations autrement que comme privatisation ? Et comment derrière la privatisation ne pas constater cette forme de déclassement, fatale avec la disparition de la part de régalien existant dans le statut d'établissement public, garant des missions d'intérêt général inhérent au secteur vital de l'énergie.

Assurément, c'est à la privatisation de la filière nucléaire que l'on assiste, mais aussi, de l'avis général et comme conséquence directe, à la banalisation du nucléaire. Ces évolutions vont-elles dans la bonne direction ? Certainement non. Qu'on la nomme « appel de fonds propres » ou tout autrement, la privatisation fait peser sur la filière nucléaire au moins trois risques.

Le premier de ces risques est la dilution des prérogatives de décision. Dilution est un mot faible car, pour ne prendre que l'exemple d'Areva, le placement en bourse de son capital risque de transférer dans d'autres mains le contrôle de cette entreprise qui intervient à la fois à l'amont et à l'aval de la filière. Par ailleurs, l'intérêt des actionnaires est souvent à court terme alors que la filière nucléaire nécessite des investissements à long terme. On peut ainsi craindre que des fonctions essentielles au fonctionnement de la filière, comme la recherche et la maintenance soient sacrifiées au bénéfice de la réalisation de profits immédiats par les actionnaires. Le cas des pays de l'Est montre bien à quelles extrémités peuvent conduire les insuffisances en matière de maintenance. Plus généralement, on peut craindre une déshérence de l'amont et l'aval de la filière qui, en s'en désintéressant, ne favorise pas une solution durable du difficile problème des déchets.

Mais ce premier risque se double d'un deuxième. Il existe en effet en matière nucléaire un domaine profondément antinomique de tout contrôle privé : celui de la sécurité. Un pays, les Etats-Unis, a tenté l'expérience du nucléaire sous statut privé : le résultat en a été fourni en 1979 à Three Mile Island... Non seulement la sécurité nucléaire s'accommode mal du statut privé, mais encore elle exige les caractéristiques du public. Ces caractéristiques sont d'une part une totale transparence, qui permet aux autorités de sûretés de jouer leur rôle, et par ailleurs cette part de régalien déjà évoquée qui permet de protéger l'activité des tranches nucléaires des aléas du quotidien. Cet aspect est l'occasion de dire quelques mots de la « banalisation ». L'une des intentions affichées de la privatisation d'Areva est de rendre le nucléaire familier aux Français. Mais a-t-on bien réfléchi à ce qu'impliquerait une banalisation de la filière nucléaire ? Banaliser la filière nucléaire est le plus sûr moyen de s'en prendre aux comportements de sûreté, si indispensables on l'a dit s'agissant d'un parc tel que celui que nous avons érigé en France.

Le troisième de ces risques est la spéculation : dès lors que des titres auront été émis par des entités appartenant à la filière nucléaire française, ils se trouveront exposés à toutes les spéculations et toutes les fluctuations de cours. Or, si la filière nucléaire a un besoin, c'est celui de canaux de financement stables et durables, abrités des circuits et sources spéculatives, et dans le cadre d'un projet industriel clairement défini : l'appel à fonds propres est à l'opposé diamétral de cette pratique. La décision du CEA de se retirer de manière partielle mais massive du capital d'Areva est à ce titre une parfaite illustration d'une inquiétude qui se confirme.

Telles sont les trois raisons immédiates de proscrire toute forme d'« appel à fonds propres », élégante désignation de la privatisation, pour ce qui concerne la filière nucléaire.

En l'état actuel, la filière nucléaire joue un rôle prépondérant pour le respect des engagements pris à Kyoto.

Sa contribution essentielle à cet objectif justifie à elle seule la sanctuarisation du contrôle public à 100 % de toute la filière nucléaire.

Des efforts de transparence et d'information sur ce sujet hautement sensible pour nos concitoyens doivent impérativement être faits, notamment au travers d'un contrôle parlementaire réel sur les risques relatifs aux modalités d'exploitation de la filière et sa sûreté. A ce stade, le constat est simple : la privatisation de la filière nucléaire est source d'un foisonnement de risques, d'ampleurs diverses, mais dont chacun mérite l'investigation d'une commission d'enquête.

C'est pour toutes ces raisons, Mesdames, Messieurs, qu'il vous est demandé d'adopter la présente proposition de résolution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Il est créé, en application de l'article 140 du règlement, une commission d'enquête de trente membres sur les risques en matière de sécurité et de transparence engendrés par l'ouverture du capital et la privatisation de la filière nucléaire française.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-118897-2
ISSN : 1240 - 8468

En vente au Kiosque de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 1982 - Proposition de résolution créant une commission d'enquête sur les risques en matière de sécurité engendrés par l'ouverture du capital de la filiale nucléaire française (M. François Brottes)

1 () Ce groupe est composé de : Mmes Patricia Adam, Sylvie Andrieux, MM. Jean-Marie Aubron, Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Jean-Claude Bateux, Jean-Claude Beauchaud, Eric Besson, Jean-Louis Bianco, Jean-Pierre Blazy, Serge Blisko, Patrick Bloche, Jean-Claude Bois, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Augustin Bonrepaux, Jean-Michel Boucheron, Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. François Brottes, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carrillon-Couvreur, MM. Laurent Cathala, Jean-Paul Chanteguet, Michel Charzat, Alain Claeys, Mme Marie-Françoise Clergeau, MM. Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Mme Claude Darciaux, M. Michel Dasseux, Mme Martine David, MM. Marcel Dehoux, Michel Delebarre, Jean Delobel, Bernard Derosier, Michel Destot, Marc Dolez, François Dosé, René Dosière, Julien Dray, Tony Dreyfus, Pierre Ducout, Jean-Pierre Dufau, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Mme Odette Duriez, MM. Henri Emmanuelli, Claude Evin, Laurent Fabius, Albert Facon, Jacques Floch, Pierre Forgues, Michel Françaix, Jean Gaubert, Mmes Nathalie Gautier, Catherine Génisson, MM. Jean Glavany, Gaëtan Gorce, Alain Gouriou, Mmes Elisabeth Guigou, Paulette Guinchard-Kunstler, M. David Habib, Mme Danièle Hoffman-Rispal, MM. François Hollande, Jean-Louis Idiart, Mme Françoise Imbert, MM. Serge Janquin, Armand Jung, Jean-Pierre Kucheida, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Marylise Lebranchu, MM. Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Jean-Yves Le Drian, Michel Lefait, Jean Le Garrec, Jean-Marie Le Guen, Patrick Lemasle, Guy Lengagne, Mme Annick Lepetit, MM. Bruno Le Roux, Jean-Claude Leroy, Michel Liebgott, Mme Martine Lignières-Cassou, MM. François Loncle, Victorin Lurel, Bernard Madrelle, Louis-Joseph Manscour, Philippe Martin (Gers), Christophe Masse, Didier Mathus, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Mme Hélène Mignon, MM. Arnaud Montebourg, Henri Nayrou, Alain Néri, Mme Marie-Renée Oget, MM. Michel Pajon, Christian Paul, Christophe Payet, Germinal Peiro, Jean-Claude Perez, Mmes Marie-Françoise Pérol-Dumont, Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Jean-Jack Queyranne, Paul Quilès, Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Patrick Roy, Mme Ségolène Royal, M. Michel Sainte-Marie, Mme Odile Saugues, MM.  Henri Sicre, Dominique Strauss-Kahn, Pascal Terrasse, Philippe Tourtelier, Daniel Vaillant, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vergnier, Alain Vidalies, Jean-Claude Viollet, Philippe Vuilque.

2 () MM. Jean-Pierre Defontaine, Paul Giacobbi, Joël Giraud, François Huwart, Simon Renucci, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Roger-Gérard Schwartzenberg, Mme Christiane Taubira.


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