N° 2789 ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DOUZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 16 janvier 2006. PROPOSITION DE RÉSOLUTION
tendant à créer une commission d'enquête (Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, PRÉSENTÉE par Mme Huguette BELLO, MM. Christophe PAYET Députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS Mesdames, Messieurs, Dix mois après l'apparition du virus du chikungunya à la Réunion, les autorités sanitaires admettent devoir faire face à une épidémie importante. Selon les derniers chiffres de la DRASS (janvier 2006), plus de 10 000 personnes sont atteintes par ce virus tandis que, selon les professionnels de la santé, ce chiffre s'élèverait à plusieurs dizaines de milliers. Contrairement aux attentes et aux prévisions, l'hiver austral n'a pas suffi pour enrayer la propagation du virus. Des foyers de transmission active s'étendent désormais à toutes les régions de l'île et plus de 250 nouveaux cas apparaissent chaque semaine. Une analyse de la cellule inter-régionale d'épidémiologie (Cire) de la zone Réunion-Mayotte montre que si toutes les classes d'âge sont touchées, les plus de trente ans représentent 75 % des malades, surtout chez les femmes (60 %). Les spécialistes considèrent que le virus se propage à présent sur un mode endémo-épidémique. Le chikungunya, dont la première épidémie a pu être constatée en 1952 en Tanzanie, est un mot swahili qui signifie « qui brise les os ». De fait, le virus du chikungunya, qui se transmet par un moustique du genre Aedes, provoque de fortes fièvres et des douleurs articulaires et musculaires intenses qui peuvent persister plusieurs semaines, voire plusieurs mois, douleurs qui peuvent être particulièrement invalidantes. Si aucun décès directement imputable au virus n'a été recensé, on a, par contre, déjà identifié à la Réunion de graves complications neurologiques, notamment des encéphalites aiguës. Par ailleurs, la transmission du virus de la mère au fœtus est confirmée. Il n'existe aucun vaccin pour protéger les populations contre ce virus, ni aucun traitement médicamenteux spécifique de la maladie. La prise en charge thérapeutique consiste surtout dans la prescription d'anti-inflammatoires, d'aspirine et de paracétamol. Un nombre important de malades se retrouve dans l'incapacité de travailler et doit recourir à des congés-maladie dont la durée est comprise entre dix jours et trois mois. Les hospitalisations sont de plus en plus nombreuses. La convalescence, souvent longue, est marquée par une grande fatigue et des difficultés de concentration intellectuelle. Outre les mesures individuelles de prévention contre les piqûres des moustiques, le moyen principal pour lutter contre cette maladie virale est non seulement la destruction des moustiques, responsables de la propagation du virus mais surtout l'intensification de la lutte anti-vectorielle en sorte de rendre le plus grand nombre de sites hostiles aux moustiques vecteurs du virus. Plusieurs communes de l'île ont engagé de vastes campagnes en ce sens. De leur côté, les services de l'État ont élaboré un plan de destruction des gîtes larvaires potentiels. Parmi les autres moyens mobilisés pour faire face à cette maladie, il faut signaler la mise en place par la Drass d'un système de surveillance spécifique, la formation d'un millier d'agents communaux aux opérations de démoustication, une campagne de sensibilisation auprès du public (1), et encore l'installation d'un numéro vert. La recrudescence du nombre de personnes atteintes montre que les différents moyens dégagés pour faire face à ce fléau sont insuffisants et que la stratégie suivie n'est pas forcément la mieux adaptée, en tout cas qu'elle n'est pas en phase avec l'évolution de l'épidémie. La réduction importante du service de prophylaxie, composé seulement désormais d'une quarantaine de personnes, ne permet évidemment pas à la Direction régionale des affaires sanitaires et sociales de la Réunion d'intervenir aussi massivement que le requiert la situation. Le recours à l'armée s'est révélé nécessaire. Il est à craindre que les pluies abondantes et les fortes chaleurs de l'été austral (janvier à avril), en favorisant la prolifération des moustiques, n'accroissent la vitesse de contamination et ne décuplent par là même la progression de l'épidémie. Telles qu'elles ont été énoncées par les responsables du Centre national de référence des Arbovirus de Lyon, les conditions pour que se développe une épidémie se trouvent d'ores et déjà réunies, à savoir : la présence du virus, la présence, en grand nombre, d'un moustique vecteur, une population non immunisée contre l'agent infectieux et une population dense. Il est en effet apparu que les épidémies importantes de chikungunya se produisent le plus souvent en zone urbaine. Pour certains observateurs, 80 % des Réunionnais risquent d'être atteints par cette infection. Quoi qu'il en soit, l'évolution en cours laisse craindre que cette pathologie ne s'installe durablement à la Réunion. Pour l'heure, l'Établissement français du sang vient de suspendre tout prélèvement sanguin dans l'île. La vitesse de transmission du virus et le nombre de plus en plus important de personnes atteintes ont attiré l'attention d'un certain nombre d'organismes officiels. En novembre, le Conseil supérieur d'hygiène publique de France s'est penché sur la question. En décembre, le gouvernement a diligenté une mission d'expertise technique coordonnée par l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et regroupant l'Institut de veille sanitaire (IVS), l'Agence française de sécurité sanitaire de l'environnement et du travail (AFSSET) et l'Institut de recherche pour le développement (IRD). L'objectif de cette mission était de procéder, d'une part, à une « évaluation approfondie de la situation » et d'autre part à l'identification d'« éventuelles mesures complémentaires. » Elle s'est essentiellement appuyée sur les services de l'État (Préfecture, Drass). Plus récemment, en janvier 2006, une mission composée du Directeur général de la santé, du Directeur général de l'Institut de veille sanitaire et du Directeur des affaires politiques, administratives et financières du Ministère de l'Outre-mer, s'est rendue à la Réunion. Cette mission doit rencontrer la population, les professionnels de la santé et les élus. Au-delà de ces initiatives récentes, il apparaît nécessaire que la représentation nationale se penche elle-même sur cette question de santé publique qu'est devenue l'épidémie de chikungunya à la Réunion. Si des mesures d'urgence s'imposent, il est en effet indispensable de définir les dispositifs et les moyens à mettre en œuvre pour agir sur le long terme. Il conviendra pour cela de faire d'abord toute la lumière sur les causes de la propagation massive et rapide, à la Réunion, du virus du chikungunya. La comparaison avec Mayotte, où le nombre de personnes atteintes semble avoir été rapidement contenu, peut être riche d'informations utiles et mérite qu'on s'y attarde. Il faudra aussi estimer de façon plus précise le nombre de malades : entre les chiffres de la Drass et ceux qu'avancent les professionnels de la santé, l'écart est trop important pour ne pas faire naître dans une population de plus en plus touchée par cette maladie le sentiment que la vérité lui est cachée. D'un défaut de transparence pourraient surgir des conséquences inattendues. Les conditions de prise en charge des personnes touchées par l'infection, notamment des plus fragiles d'entre elles (personnes âgées ou malades, femmes enceintes) devront faire l'objet d'un examen précis. En effet, dans certains cas, une hospitalisation d'urgence s'impose. Il est également nécessaire de réfléchir à la meilleure coordination possible entre les différents niveaux d'intervention (État, collectivités locales) d'autant que l'année 2006 est celle de l'entrée en vigueur de la loi de décentralisation qui transfère notamment au Conseil général la responsabilité de la lutte anti-moustiques. De façon plus générale, c'est en associant l'ensemble des acteurs concernés par la lutte contre le chikungunya (professionnels de la santé, élus, chercheurs, pouvoirs publics, populations...) que devront être déterminées, en les anticipant et en les programmant dans le temps, les mesures nécessaires pour la prévention des épidémies et pour la sensibilisation du public, ainsi que les actions d'éradication à mener en cas de crise. À cet égard, une attention particulière devra être portée aux procédés utilisés dans la lutte contre les moustiques, de façon à prévenir tout risque pour la santé humaine et pour l'environnement (2). L'expérience et les connaissances acquises à partir de l'épidémie à la Réunion pourraient, dans le cadre de la coopération entre les États de l'océan Indien, servir aux pays également concernés par cette maladie virale. Le moustique vecteur est surtout présent en Afrique de l'est, en Asie du sud-est et dans le sous-continent indien. Repéré pour la première fois dans le sud-ouest de l'océan Indien au début de l'année 2005, le virus du chikungunya risque d'apparaître dans des zones jusque-là épargnées. La rapidité des communications et les changements climatiques pourraient élargir les aires de répartition des moustiques vecteurs du virus et, probablement, d'une maladie gravement invalidante et dont les conséquences risquent d'être lourdes pour la vie sociale. Pour l'ensemble de ces raisons, nous vous prions de bien vouloir adopter la présente proposition de résolution. PROPOSITION DE RÉSOLUTION Article unique Il est créé, en application des articles 140 et suivants du Règlement de l'Assemblée nationale, une commission d'enquête de trente membres sur l'épidémie à virus chikungunya à la Réunion, sur les problèmes sanitaires liés à cette maladie et sur les moyens à mettre en œuvre pour l'éradiquer. Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE Prix de vente : 0,75 € En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale ----------- N° 2789 - Proposition de résolution tendant à créer une commission d'enquête sur l'épidémie à virus chikungunya à la Réunion, sur les problèmes sanitaires liés à cette maladie et sur les moyens à mettre en œuvre pour l'éradiquer (Mme Huguette Bello) 1 () La Drass a mené, par exemple, à la Toussaint 2005, une opération baptisée « fleurs de sable » dans les cimetières de la Réunion qui appelait la population à remplacer l'eau des vases à fleurs des tombes par du sable mouillé. Une information plus générale sur la lutte contre les moustiques a également été fournie à cette occasion. 2 () On se souvient que l'utilisation massive, dans les années 1950-1960 et sous l'égide de l'OMS, du DDT comme insecticide pour éradiquer le paludisme a fait des ravages dans l'environnement. © Assemblée nationale |