tendant à la création d'une commission d'enquête
sur les conséquences de l'absorption de Pechiney par Alcan
et sur les conditions nécessaires à la sauvegarde
et au développement de la filière aluminium
en France et en Europe,
(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l'environnement et du territoire,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
PRÉSENTÉE
par MM. Alain BOCQUET, François ASENSI, Gilbert BIESSY, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Jacques BRUNHES, Mme Marie-George BUFFET, MM. André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Frédéric DUTOIT, Mme Jacqueline FRAYSSE, MM. André GERIN, Pierre GOLDBERG, Maxime GREMETZ, Georges HAGE,
Mmes Muguette JACQUAINT, Janine JAMBU, MM. Jean-Claude LEFORT, François LIBERTI, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS (1)
Députés.
(1) constitutant le groupe des député-e-s communistes et républicains.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
L'aluminium est un métal essentiel à l'approvisionnement de l'industrie contemporaine. Il est devenu un matériau de référence dans l'automobile, l'aéronautique, l'emballage, le câblage ou encore l'électronique grand public. Entre 2001 et 2004, la demande mondiale a cru de 24 à 31 millions de tonnes. Les experts prévoient une croissance durable de 4 % par an. La maîtrise de la fabrication et de la livraison de l'aluminium, dans un contexte d'inflation du prix des matières premières, est un enjeu stratégique pour nombre d'entreprises françaises et européennes, particulièrement les PME-PMI indépendantes dont le pouvoir de négociation est limité. Or, notre pays est confronté à un déficit de production, l'obligeant à importer chaque année environ 300 000 tonnes d'aluminium. Sur l'ensemble de l'Europe, le manque est estimé à 2,2 millions de tonnes.
Loin de répondre à ces besoins et aux impératifs de développement et de modernisation des installations existantes, le rachat hostile du groupe Pechiney par son concurrent canadien Alcan en 2003 a conduit à des restructurations destructrices de capacités et à la suppression de plusieurs milliers d'emplois dans l'hexagone, en Suisse et dans plusieurs États voisins. Le numéro deux mondial de l'aluminium, après avoir fait main basse sur les technologies et les brevets de Pechiney, procède à un désengagement de l'Europe de l'Ouest.
Le mouvement s'accélère. Son ancienne branche spécialisée dans les produits laminés, Novelis, a entamé la vente de l'usine d'Annecy (Haute-Savoie) à un fonds financier américain. L'unité de Chambéry (Savoie), dédiée à la fabrication de panneaux rollbond pour les appareils de réfrigération, est sur le point d'être cédée à une société italienne. Mesure plus radicale encore, le complexe historique de Lannemezan, dont les systèmes électrolyse produisent 50 000 tonnes d'aluminium par an sous forme de barres, plaques ou tés, est condamné à l'arrêt en 2008. Avec la sous-traitance, ce sont plus de 400 emplois qui sont menacés sur le plateau pyrénéen.
Études à l'appui, les syndicats ont démontré l'incohérence de ce projet de fermeture qui coûtera 50 millions d'euros alors que la remise aux normes écologiques et techniques ne réclame que 40 millions d'euros d'investissements, amortissables sur huit ans sans sacrifier la rentabilité de l'infrastructure. Pour justifier son plan, la direction d'Alcan présente des perspectives volontairement pessimistes, entérinant par avance une hausse des tarifs de l'électricité ou minorant le niveau des cours de l'aluminium sur le marché international. Une renégociation avec l'État et EDF pourrait pourtant permettre une amélioration du contrat de fourniture d'énergie au site de Lannemezan et ainsi un allègement des charges d'exploitation. L'Italie et l'Espagne ont déjà pris de telles mesures préférentielles pour défendre leurs industries lourdes.
Mais les dirigeants canadiens ne semblent guère motivés par la recherche d'améliorations industrielles durables, leurs choix étant d'abord arrêtés à court terme, en fonction d'indicateurs mesurant la création de valeur destinée aux actionnaires. Chez Alcan, l'EVA (Valeur économique ajoutée) a remplacé le résultat d'exploitation pour apprécier la qualité des entreprises. Les 50 millions d'euros de bénéfices dégagés par Alcan Lannemezan entre 2000 et 2004 ne sont plus jugés suffisants. Le but du management n'est plus seulement d'assurer la viabilité de l'activité mais de chercher en permanence la « sur-performance » du capital engagé.
Dans cette optique, le président d'Alcan, Dick Evans, annonce d'ores et déjà que « dans les dix prochaines années au moins, il n'y aura pas d'installation de nouvelles usines d'aluminium en Europe ». Au moment où la multinationale nord-américaine enregistre, au premier trimestre 2006, le meilleur résultat financier de son histoire (bénéfice net doublé à 453 millions de dollars pour un chiffre d'affaires en hausse de 7,2 % à 5,5 milliards de dollars), M. Evans envisage des délocalisations vers l'Europe orientale et l'Asie et n'écarte pas l'éventualité de nouvelles cessions ou de nouveaux licenciements « aux États-Unis, en Allemagne ou en France ».
Le futur des établissements de Dunkerque (Nord), Saint-Jean-de-Maurienne (Savoie), Compiègne (Oise) et Issoire (Puy-de-Dôme) est donc incertain. Le complexe de Saint-Jean-de-Maurienne n'est-il pas lui aussi sur la sellette quand les élus de la communauté de communes Cœur de Maurienne et la direction d'Alcan s'associent pour conduire une étude sur les conséquences de la fin du contrat d'énergie avec EDF en 2012 et la façon d'« envisager l'avenir » ? Les projets d'expansion, tant par la recherche-développement et la formation que par l'accroissement des capacités et l'amélioration de la situation de l'emploi, des salaires et des conditions de travail, sont inexistants ou insuffisants. Dans le même temps, Alcan persiste dans sa volonté de fermer le site de Lannemezan, refusant de reporter l'arrêt d'activité au-delà de 2008 quand les représentants du personnel réclament un délai supplémentaire pour explorer toutes les solutions alternatives à la disparition brutale des activités métallurgiques. Des propositions de reconversion ou de redéploiement industriel à partir d'une fonderie ou d'un couplage de l'installation à une centrale de génération d'électricité ont été formulées noir sur blanc.
Le débat sur l'avenir de ces entreprises et de leurs salariés ne doit plus être confiné au cercle restreint des conseils de surveillance. Dans un entretien à la presse, paru le 14 février 2006, le ministre de l'Économie et de Finances a laissé échapper l'aveu suivant : « Lors du rachat hostile de Pechiney, j'ai été étonné de n'entendre personne d'autre que les banques conseils et les analystes. Cela m'a choqué. Les pouvoirs publics s'étaient laissés confisquer la parole par les seuls financiers ». Le gouvernement laissera-t-il cette fois encore les intérêts boursiers décider seuls, en dehors de tout contrôle et de toute délibération démocratiques ? Concrètement, quelles initiatives compte-il prendre, à l'échelle nationale et européenne, pour assurer l'essor et le renouveau de la filière aluminium ?
Le groupe communiste et républicain demande à l'Assemblée nationale de se saisir de ces questions et d'adopter la présente proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête parlementaire sur les conséquences de l'absorption de Pechiney par Alcan et sur les conditions nécessaires à la sauvegarde et au développement de la filière aluminium en France et en Europe.
PROPOSITION DE RÉSOLUTION
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