______ ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DOUZIÈME LÉGISLATURE Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 2 mai 2003. RAPPORT FAIT AU NOM DE LA COMMISSION D'ENQUÊTE SUR LES CONDITIONS Président M. Christian ESTROSI, Rapporteur M. Daniel SPAGNOU, Députés. -- TOME I RAPPORT (1) La composition de cette commission figure au verso de la présente page. Animaux. La commission d'enquête sur les conditions de la présence du loup en France et l'exercice du pastoralisme dans les zones de montagne est composée de : M. Christian Estrosi, Président ; M. François Brottes et Mme Henriette Martinez, Vice-Présidents ; M. André Chassaigne et M. Jean Lassalle, Secrétaires ; M. Daniel Spagnou, Rapporteur ; MM. Gabriel Biancheri, Jean-Louis Bianco, Augustin Bonrepaux, Michel Bouvard, Jean-Paul Chanteguet, Roland Chassain, Lucien Degauchy, Philippe Folliot, Joël Giraud, Jean-Claude Guibal, Antoine Herth, Christian Kert, Jean Launay, Michel Lefait, Lionnel Luca, Hervé Mariton, Pierre Morel-a-l'Huissier, Mme Geneviève Perrin-Gaillard, MM. Jacques Remiller, Vincent Rolland, Martial Saddier, Mme Michèle Tabarot, M. Léon Vachet. _____ Pages AVANT PROPOS 11 INTRODUCTION 13 PREMIÈRE PARTIE : LE RETOUR DU LOUP EN FRANCE : DES CIRCONSTANCES MAL ÉLUCIDÉES ET UN MANQUE TOTAL DE TRANSPARENCE 19 I.─ UN RETOUR NATUREL DU LOUP EST POSSIBLE MAIS DE LOURDES INCERTITUDES SUBSISTENT 19 A.- LE LOUP EN FRANCE : HISTOIRE ET COMPORTEMENT 19 1.- La disparition du loup en France 19 2.- Le rôle du loup dans l'écosystème 20 a) Un prédateur socialement organisé et opportuniste 20 1. Ethologie du loup 20 2. Régime alimentaire du loup 21 3. Organisation sociale du loup 22 b) Un prédateur en principe peu dangereux pour l'homme 23 1. Attaques liées à la contamination par le virus de la rage 23 2. Attaques défensives 24 3. Comportement de prédation 24 4. Attaques liées à un comportement d'accoutumance 24 B.- DES RÉINTRODUCTIONS ARTIFICIELLES NE SONT PAS À EXCLURE 25 1.- Le problème des loups en captivité ou détenus par des particuliers 26 2.- L'existence d'opérations de réintroduction clandestine de loups dans les années 80 27 3.- La réintroduction officielle du lynx 30 C.- L'HYPOTHÈSE D'UN RETOUR NATUREL EST POSSIBLE MAIS NON DÉMONTRÉE 32 1.- Le mode d'expansion du loup 32 2.- Des circonstances biologiques favorables au retour du loup 33 3.- L'expansion du loup en Italie et l'incertaine colonisation des Apennins occidentales 34 4.- Les analyses génétiques 37 a) Les loups présents en France sont d'origine italienne 37 b) L'identification des individus 39 II.- UNE OPACITÉ DÉLIBÉRÉE EST À L'ORIGINE DES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES AUJOURD'HUI 41 A.- LA POLITIQUE DU PARC DU MERCANTOUR ET DE LA DIRECTION DE LA PROTECTION DE LA NATURE : UN DÉNI DE DÉMOCRATIE 41 1.- La version officielle : la surprise 41 2.- La réalité : le loup était attendu 42 3.- Les conséquences désastreuses de cette politique 44 4.- La nécessaire réforme des parcs nationaux 45 B.- LE RÔLE CAPITAL ET AMBIGU DES ASSOCIATIONS DE PROTECTION DE LA NATURE 45 1.- Un réseau international 46 2.- Un vrai pouvoir d'influence : l'insuffisante étanchéité entre l'administration et les associations de protection de la nature 46 3.- Une minorité agissante 48 4.- Une utilisation abusive du contentieux 49 C.- UN AUTRE EXEMPLE DE MAUVAISE GESTION DES PRÉDATEURS : LA RÉINTRODUCTION DES OURS DANS LES PYRÉNÉES CENTRALES 50 1.- Le non respect du protocole de réintroduction prévu par la convention de Berne 51 2.- Une cohabitation très difficile 52 D.- UNE RÉUSSITE ET UN EXEMPLE À SUIVRE : LA GESTION DES OURS DU BÉARN PAR L'INSTITUTION PATRIMONIALE DU HAUT-BÉARN 54 1.- Une situation extrêmement conflictuelle au début des années 90 54 2.- Un mode de gestion original et performant 56 3.- La situation de l'ours dans les Pyrénées aujourd'hui 58 III.- LA SITUATION ACTUELLE DU LOUP ET SON STATUT JURIDIQUE 60 A.- LE LOUP COLONISE PROGRESSIVEMENT L'ENSEMBLE DE L'ARC ALPIN 60 1.- La situation du loup en Europe 60 2.- L'état actuel de la population de loups en France 63 a) La méthodologie 63 b) Les secteurs de présence permanente 66 c) Secteurs de présence temporaire 68 3.- Quelle extension future ? 69 a) Un impératif : anticiper 69 b) Le loup, jusqu'où ? 70 B.- LE LOUP EST UNE ESPÈCE PROTÉGÉE PAR DES NORMES JURIDIQUES INTERNATIONALES, EUROPÉENNES ET NATIONALES 71 1.- La protection internationale du loup : la convention de Berne 72 2.- La directive « Habitats » et la protection du loup 74 3.- La protection du loup en droit interne 75 DEUXIÈME PARTIE : LE PASTORALISME DE MONTAGNE : UNE ACTIVITÉ INDISPENSABLE POUR L'ÉQUILIBRE DES TERRITOIRES MAIS FRAGILE ET MENACÉE. 79 I.─ LE PASTORALISME EST UNE ACTIVITÉ INDISPENSABLE AU DÉVELOPPEMENT DE LA MONTAGNE ET À LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT 79 A.- UNE ACTIVITÉ QUI PARTICIPE À LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT 80 1.─ Pastoralisme et biodiversité en montagne 80 2.─ Pastoralisme et entretien des territoires 81 B.- UNE ACTIVITÉ QUI RÉSISTE À LA RÉGRESSION DE L'AGRICULTURE EN MONTAGNE 82 1.- De l'espace mais proportionnellement peu de surfaces agricoles en montagne 82 2.- De l'espace mais peu de foncier disponible 83 3.- Une omniprésence de l'herbe et un réel savoir-faire qui expliquent la résistance du pastoralisme 84 II.─ L'EXERCICE DU PASTORALISME RECOUVRE DES FORMES TRÈS DIVERSIFIÉES QUI ONT ÉVOLUÉ DANS LE TEMPS 84 A.- UNE ACTIVITÉ ÉVOLUTIVE 84 B.- LES DIFFÉRENTS SYSTÈMES D'ELEVAGE DE MONTAGNE EN FRANCE 86 1.- De grandes diversités sur le massif alpin 86 2.- Des diversités encore plus grandes dans le massif pyrénéen 89 C.- UNE APPROCHE COMPARATIVE 89 1.- Des situations globalement contrastées 90 2.- L'exemple du Parc national italien du Gran Sasso et Monti della Laga 91 3.- Le cas de la Suisse, peut-être plus proche de celui de la France 92 III.- LA FILIÈRE OVINE SE HEURTE À DE GRAVES DIFFICULTÉS EN FRANCE 92 A.- UNE PRODUCTION EN DÉCLIN ET PEU COMPÉTITIVE 93 1.─ Une baisse continue de la production nationale 93 2.─ De nombreuses causes d'abandon du domaine pastoral 95 3.─ Une activité fortement subventionnée bien que mal prise en compte par la PAC 95 B.- DES CONTRAINTES FORTES ET DES RISQUES ÉLEVÉS INHÉRENTS À L'ACTIVITÉ 98 1.─ Les maladies, les contraintes sanitaires et les accidents 98 2.─ La prédation des chiens 100 C.- DES REVENUS TROP FAIBLES POUR LES ÉLEVEURS ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL SOUVENT INDIGNES POUR LES BERGERS 103 1.─ Des revenus insuffisants pour les éleveurs 103 2.─ Le métier de berger à valoriser 106 IV.- LE RETOUR DU LOUP A AGGRAVÉ LA CRISE ET IMPOSE UNE ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE RURALE EN MONTAGNE 107 A.- LE CHOC DU RETOUR DU LOUP A ÉTÉ PLUS VIOLENT QUE POUR LES AUTRES PRÉDATEURS 109 1.─ La situation face aux lynx 109 2.─ La situation face aux ours 110 3.─ La situation face aux loups 111 B.- CETTE CRISE EXIGE UNE POLITIQUE OFFENSIVE POUR LE DÉVELOPPEMENT RURAL EN MONTAGNE 112 1.─ Renforcer et concentrer tous les soutiens financiers 112 2.─ Faire évoluer le pastoralisme ovin vers des conduites d'élevage améliorées et plus productives 113 3.─ Encourager la pluri-activité en montagne 114 a) Développer le tourisme 114 b) Faire vivre le patrimoine naturel 115 4.- Exploiter le capital nature 115 a) Renouer le dialogue 116 b) Valoriser l'agneau des Alpes par rapport aux produits d'importation 119 5.- Améliorer la formation au métier de berger ainsi que les conditions de travail dans les alpages 119 a) Beaucoup d'efforts restent à faire dans le domaine de la formation 119 b) Grâce au soutien des parcs, les conditions de travail peuvent être améliorées en estive. 120 6.- Développer l'expertise en matière de pastoralisme et créer une discipline universitaire 121 TROISIÈME PARTIE : LES DISPOSITIFS DE PRÉVENTION ET DE RÉPARATION DES ATTAQUES DE GRANDS PRÉDATEURS, BIEN QU'IMPORTANTS, N'ONT PAS SUFFI À RÉGLER LES IMMENSES DIFFCULTÉS AUXQUELLES SONT CONFRONTÉS LES ÉLEVEURS I.- DES DÉPENSES DÉJÀ IMPORTANTES QUI VONT S'AMPLIFIER ET QU'IL REVIENT À LA SOLIDARITÉ NATIONALE DE PRENDRE INTÉGRALEMENT EN CHARGE A.- L'ÉLEVEUR EST LA PRINCIPALE VICTIME DE LA RÉAPPARITION DU LOUP 1.- Des conséquences économiques qui remettent en cause la viabilité des exploitations 2.- Des études de cas qui confirment cette analyse 3.- Des conséquences psychologiques redoutables B.- LES MOYENS MIS EN œUVRE : LE COÛT DU LOUP 1.- Le premier programme LIFE 2.- Le deuxième programme LIFE 3.- La situation en 2003 C.- PÉRENNISER LE SYSTÈME II.- DES MESURES DE PROTECTION TRÈS INÉGALEMENT EFFICACES SUR LE TERRITOIRE A.- LES MESURES DE PROTECTION PRÉCONISÉES 1.- La présence humaine : les aides-bergers 2.- Les chiens de protection 3.- Les parcs de contention B.- DES MESURES TRÈS INÉGALEMENT ET JAMAIS TOTALEMENT EFFICACES 1.- Des départements diversement touchés a) Dommages constatés dans les secteurs identifiés de présence permanente b) Dommages constatés hors des secteurs identifiés de présence permanente 2.- Les mesures de protection ne sont efficaces que sous certaines conditions C.- UN SYSTÈME D'INDEMNISATION QUI NE DONNNE PAS SATISFACTION 1.- Le système actuel 2.- Les difficultés d'application 3.- Les pistes de réforme a) Le système assurantiel b) Une prime forfaitaire QUATRIÈME PARTIE : SEULE UNE POLITIQUE DE RẾGULATION ET DE MAÎTRISE DE L'ÉVOLUTION DE L'ESPÈCE LOUP EN FRANCE ET DANS LES PAYS VOISINS PERMETTRA DE CONCILIER LES OBLIGATIONS LIÉES À LA PROTECTION DE LA FAUNE SAUVAGE ET LA SAUVEGARDE DU PASTORALISME I.- UNE APPLICATION PLUS ADAPTÉE DES DÉROGATIONS À LA PROTECTION DES GRANDS CARNIVORES EN EUROPE ET EN FRANCE A.- DEUX CONDITIONS À LA DÉROGATION SONT PRÉVUES PAR LES TEXTES 1.- L'absence de solution alternative 2.- Un état de conservation favorable B.- L'APPLICATION DES DÉROGATIONS PAR LA FRANCE 1.- La régulation des lynx et des ours a) Un protocole d'élimination de lynx b) Un protocole d'intervention sur l'ours 2.- L'échec des modalités de régulation des loups a) Le plan loup b) Des protocoles inapplicables c) L'inefficacité des battues C.- POUR UNE GESTION TRANSFRONTALIÈRE DES GRANDS CARNIVORES 1.- Les recommandations du Conseil de l'Europe 2- L'aire de répartition des loups dans les Alpes se situe de part et d'autre de la frontière franco-italienne. 3.- La nécessité d'élaborer un plan de gestion commun entre la France et l'Italie 4.- La mobilisation des fonds communautaires a) L'utilisation du fonds de développement rural b) L'utilisation des fonds structurels II.- LE LOUP N'A PAS SA PLACE DANS LES SECTEURS D'ÉLEVAGE OU AUCUNE PROTECTION EFFICACE N'EST POSSIBLE A.- DÉFINIR DES SEUILS D'INCOMPATIBILITÉ 1.- La problématique du zonage 2.- Diligenter des diagnostics pastoraux très fins pour déterminer les territoires d'exclusion des loups B.─ LES MÉTHODES DE RÉGULATION DOIVENT ÊTRE ENCADRÉES, EFFICACES ET RÉACTIVES 1.- Fixer des conditions claires pour un exercice réel du droit de régulation des loups 2.- Redonner aux communes le pouvoir d'éliminer les prédateurs qui présentent un danger sur leur territoire, hors zone de protection totale. a) La modification de l'article L. 2122-21- 9° du code général des collectivités territoriales n'était pas justifiée. b) Les maires doivent pouvoir exercer leur pouvoir de police dans le cadre de l'autorisation de dérogation ministérielle c) Ce pouvoir peut prendre la forme d'un droit de riposte susceptible d'être délégué aux bergers exerçant sur la commune d) Des conditions exceptionnelles pour les éleveurs dans les zones de protection totale. 3.- Créer des brigades de louveterie pour surveiller les zones où le loup est exclu 4.- Interdire et sanctionner toute autre forme de destruction des prédateurs III.- DÉFINIR UN PLAN DE GESTION MAÎTRISÉE POUR L'AVENIR A.- FAUT-IL LAISSER SE POURSUIVRE L'EXPANSION TERRITORIALE DES LOUPS ET COMMENT L'ENCADRER ? B.- RENÉGOCIER AU NIVEAU EUROPÉEN LES CONDITIONS D'EXPANSION DES PRÉDATEURS D'UN ÉTAT À L'AUTRE C.- RENÉGOCIER LES CONDITIONS DE LA MISE EN PLACE DU DISPOSITIF NATURA 2000 CONCLUSION PROPOSITIONS EXPLICATIONS DE VOTE ANNEXES Annexe n° 1 : Table des sigles Annexe n° 2 : Chronologie de l'arrivée des loups en France Annexe n° 3 : Courrier du secrétariat général du Conseil de l'Europe Annexe n° 5 : Courrier de la direction du parc du Mercantour du 14 avril 1992 Annexe n° 6 : Courrier de la direction de la protection de la nature du 27 avril 1991 Annexe n° 7 : Rapport de la gendarmerie imperiale de giandola (breil-sur-roya) datant de 1862 relatif à une attaque de louve La réapparition du loup dans le Vallon de Mollières au cœur du Parc du Mercantour en 1992, et son expansion à d'autres territoires depuis, a ouvert une période de crise et de conflit dans tout le massif alpin entre partisans et adversaires de ce grand prédateur. Il convient, sans plus tarder, de mettre fin à cette regrettable situation. La commission d'enquête sur les conditions de la présence du loup en France et l'exercice du pastoralisme dans les zones de montagne, a effectué un travail conséquent d'écoute, d'analyse et de réflexion, mais aussi de proposition pour, qu'enfin, l'ensemble des problèmes posés par la présence du loup soit examiné, sans passion, mais avec pragmatisme et réalisme. En ma qualité de Président, je souhaite en préambule à ce rapport, affirmer mon plus profond attachement au maintien des équilibres économiques et sociaux, patiemment établis dans les zones de montagne, au fil des ans, par des populations qui, malgré les nombreuses difficultés auxquelles elles ont été confrontées, ont su aménager, gérer et entretenir les espaces hérités de leurs parents. C'est cette vision, qui privilégie l'homme dans son environnement, que je souhaite ériger en garde-fou permanent contre toute approche conceptuelle relative à la présence du loup. Certains, habités par des considérations idéologiques, ont transformé le retour du loup en un débat de société opposant monde rural et monde urbain. Je me refuse à accepter une telle alternative manichéenne. Le débat oppose plus sûrement les personnes qui connaissent les difficultés de la vie en montagne et celles qui les ignorent. Tous ceux qui, mesurent la tâche accomplie, au quotidien, par les hommes et les femmes qui, avec foi et amour de leur terre, ont choisi l'élevage comme métier, mais aussi comme passion, savent combien cette profession recèle de contraintes, exige d'abnégation et nécessite de courage. Vouloir imposer des difficultés supplémentaires aux éleveurs de montagne qui, par leurs efforts, demeurent souvent les seuls acteurs d'un monde rural fragilisé, constituerait une faute lourde. La présence de l'homme en montagne ne doit pas reculer devant un quelconque prédateur. Cette conviction profonde ne saurait être négociable. Forte de ce postulat, la commission d'enquête, a dégagé des propositions qui devraient enfin permettre, si le gouvernement accepte de les appliquer, de sortir de l'impasse actuelle. Il ne s'agit pas de remettre en cause les engagements internationaux de la France en matière de protection des espèces sauvages. Il suffit, simplement, de constater l'incompatibilité entre la présence du loup et l'activité humaine dans certains territoires et d'en tirer les conséquences en terme de régulation du prédateur. Le loup ne peut trouver sa place dans certaines parties du territoire national, même si, pour autant, il ne peut être exclu du territoire national dans son ensemble. Pour parvenir à cet équilibre, des efforts devront être entrepris par tous les acteurs de ce dossier, Etat, éleveurs, écologistes, chasseurs.... Les multiples auditions auxquelles nous avons procédé invitent à l'optimisme quant au succès de la démarche entreprise. Si nous parvenons à cet objectif, alors la commission aura fait œuvre utile pour assurer un véritable développement durable dans les zones de montagne de notre pays. Le Président, Christian ESTROSI En décidant, le 5 novembre 2002, de créer une commission d'enquête sur les conditions de la présence du loup en France et l'exercice du pastoralisme dans les zones de montagne, l'Assemblée nationale a montré qu'elle était consciente de la gravité d'un problème qui perturbe le monde rural depuis dix ans. Au-delà des sourires et des critiques qui ont pu accompagner cette initiative, alors que d'autres questions pouvaient paraître plus cruciales, la décision unanime de l'Assemblée témoigne de l'intérêt de la représentation nationale pour un problème qui transcende les courants politiques et affecte douloureusement une activité essentielle à l'économie de nos montagnes. Beaucoup ont voulu voir dans la constitution d'une commission d'enquête sur le retour du loup, un problème de terroir mêlant folklore et traditions. En réalité, à travers les témoignages recueillis, notre commission a vérifié combien ce dossier est représentatif des tensions qui continuent à opposer « villes et campagnes » dans notre pays et combien il se situe au coeur des choix relatifs aux modes de fonctionnement de l'Etat et de l'Europe. Comme l'a rappelé le Président de la commission des Affaires économiques, de l'environnement et du territoire, Patrick Ollier, rapporteur de la proposition de résolution qui a créé la commission, « Il n'y a pas de petit problème quand nombre de nos concitoyens sont atteints dans leur vie, dans leur espérance, dans leur travail au quotidien, dans la simple volonté de rester, habiter, vivre au pays dans ces zones de montagnes ». C'est un même souci de défense du pastoralisme qui avait conduit plusieurs parlementaires en décembre 1998 à demander la création d'une commission d'enquête. On avait préféré, à l'époque, la constitution d'une mission d'information dont les travaux, conduits par son président et son rapporteur, MM. Robert Honde et Daniel Chevallier, ont conclu à l'incompatibilité de principe entre la présence du loup et un pastoralisme durable. Faute de moyens d'investigation suffisants, la mission n'avait pas pu examiner la question controversée des circonstances du retour du loup, de sorte qu'il demeurait nécessaire de renouveler la demande de création d'une commission d'enquête pour tenter de faire la lumière sur un dossier qui continue à polluer les conditions d'exercice du pastoralisme de montagne. Conformément au souhait de certains parlementaires, et pour tenir compte, au-delà de la présence du loup, de l'ensemble des problèmes auxquels se heurte cette activité, le champ d'investigation de la commission a été opportunément étendu à l'exercice du pastoralisme dans les zones de montagne et, dès sa réunion constitutive, celle-ci a décidé de s'intéresser aux problèmes posés par les autres prédateurs, ours et lynx. Bien qu'une actualité récente eût confirmé, s'il en était besoin, la nécessité de créer cette commission - on rappellera que le 20 juillet 2002, 404 moutons avaient péri dans les Alpes-Maritimes à la suite d'un décrochement provoqué par un loup - il ne s'agit pas à proprement parler d'un sujet d'actualité immédiate, comme le sont beaucoup des thèmes de nos commissions d'enquête. Pour autant, il s'agit bien d'un sujet brûlant et récurrent qui, depuis dix ans mobilise un nombre impressionnant de protagonistes non seulement dans les départements concernés mais également à Paris. On rappellera que c'est dix ans, jour pour jour, avant la création de cette commission, le 5 novembre 1992, dans le vallon de Mollières, en zone centrale du Mercantour, que deux loups étaient vus pour la première fois, en France, après l'éradication du prédateur dans les années trente. Depuis, les loups n'ont cessé de s'étendre à d'autres territoires et les prédations constituent un problème constant pour les éleveurs. C'est pourquoi, dans un souci d'objectivité, la commission a souhaité entendre l'ensemble des parties prenantes, qu'il s'agisse des organismes professionnels, des hommes de terrain, éleveurs et bergers, des scientifiques, des associations de protection de la nature ou des responsables administratifs et politiques locaux et nationaux ainsi que des autorités étrangères. Constituée le 20 novembre 2002, la commission a commencé ses auditions le 11 décembre 2002 et les a achevées le 2 avril 2003 après avoir entendu 285 personnes, à l'occasion de 65 auditions, 14 tables rondes et des déplacements effectués dans 7 des départements concernés (Alpes de Haute-Provence, Hautes-Alpes, Drôme, Alpes-Maritimes, Isère, Ariège et Pyrénées-Atlantiques) ainsi qu'en Italie. Elle a également entendu tous les ministres de l'environnement qui se sont succédé depuis 1992. Conformément à sa mission, elle s'est attachée à établir un état des lieux du pastoralisme de montagne dont l'exercice se heurte à des difficultés aggravées par les prédations et elle s'est livrée à l'exercice difficile, eu égard au contexte psycho-sociologique, de proposer des solutions susceptibles d'assurer la survie de cette activité, tout en tenant compte des engagements internationaux de notre pays. A l'issue de ses investigations, qu'elle a tenu à mener sous le régime du secret pour assurer la sérénité de son travail, la commission a pu vérifier l'extrême complexité d'un dossier aux implications non seulement économiques mais également humaines, le caractère passionnel du débat et la forte implication de toutes les personnes entendues. Ses membres garderont notamment le souvenir des témoignages douloureux et poignants de certains professionnels, particulièrement marqués par des expériences traumatisantes. Au-delà de ces traumatismes et des pertes économiques subies, les éleveurs souffrent d'une véritable remise en cause de leur utilité sociale. Le pastoralisme de montagne est, en effet, l'une des activités agricoles les plus écologiques puisqu'il contribue à l'entretien des montagnes, à leur beauté mais aussi à leur sécurité. C'est pourquoi, les éleveurs se sont sentis bafoués dans le sentiment, justifié, qui était le leur de contribuer pleinement à l'entretien de l'environnement. Au fond, et la commission l'a constaté au fil de ses auditions, ce sont deux conceptions de la nature qui s'opposent. Les naturalistes et les militants posent la question en termes d'écosystème et de biotopes. Ils se considèrent comme les seuls protecteurs et aménageurs d'un espace rural qu'ils connaissent souvent mal et qu'ils entendent gérer au nom d'une vision parfois idéologique, en y assurant la restauration et le maintien d'une diversité biologique qui doit faire sa place au prédateur, indispensable, selon eux, au maintien des équilibres. Face à eux, le monde rural et ses représentants, parlent d'exploitations, d'outil de travail, de parcelles, de lots et se sentent niés dans leur existence d'habitants et de gestionnaires de l'espace par le retour d'un prédateur dans des lieux qu'ils habitent et où ils travaillent depuis des générations et qu'ils contribuent à entretenir, à protéger et à embellir. Les écologistes défendent souvent une vision mythifiée de la nature, pure, originelle et surtout non artificielle. De tels espaces peuvent effectivement exister dans des pays disposant d'une surface très importante et l'on pense alors aux grands parcs nationaux des Etats-Unis. Mais la France ne dispose pas d'une telle superficie et l'ensemble du territoire national est maintenant « artificiellement » organisé. Ce terme ne revêt aucune connotation péjorative dans l'esprit de votre rapporteur car là où cette gestion « artificielle », liée à l'activité humaine, fait défaut, on voit des vallées se refermer, victimes de l'embroussaillement et d'une reforestation non maîtrisée. Cette vision mythologique et fantasmée de la nature s'est particulièrement portée sur le loup. Pour disqualifier les arguments des éleveurs, de nombreux défenseurs du loup leur reprochent une attitude irrationnelle, liée à une peur profonde du loup, héritée de siècles de conflit avec le prédateur. Ainsi, le fait d'être opposé au loup serait nécessairement un signe d'irrationalité ! La peur du loup existe bien mais votre rapporteur a eu le sentiment, au cours des auditions, que l'opposition au loup résultait davantage d'une souffrance réelle que d'une peur fantasmée. Et l'on pourrait d'ailleurs aisément renverser l'argument ! Le loup que défendent avec tant de passion les écologistes n'est-il pas tout aussi fantasmé que le « grand méchant loup » des temps anciens ? Ainsi, le retour du loup fut-il annoncé avec enthousiasme dans le magazine « Terre sauvage » dont l'éditorial conseilla à ses lecteurs « de protéger comme un trésor ces pionniers de la reconquête animale. Voyons y des fragments d'âme celtique qui hurlent leur liberté dans la montagne » ! Le loup semble en effet devenu, au fil des ans, le symbole d'une liberté sauvage et pure, emblème parfait d'un combat pour une nature originelle et non encore souillée. Cette popularité du loup peut être facilement vérifiée sur l'Internet. Une recherche effectuée à partir du terme français recueille 4.900 réponses (1.131.000 en anglais) contre 1.590 pour la baleine (497.000 en anglais) (1). On le voit, l'irrationalité du regard sur le loup est très largement partagée et, si l'on veut avoir une approche constructive de ce dossier, il convient d'écarter tous les mythes, en particulier celui d'une nature originelle et pure vers laquelle il conviendrait de revenir. Il n'y a de nature qu'organisée, par et pour l'homme, et celui-ci doit rester au centre des priorités. Cela ne signifie pas que les grands prédateurs n'ont pas leur place sur notre territoire. La France est en effet tenue par ses engagements internationaux relatifs à la protection de la biodiversité. Mais cette biodiversité ne saurait être utilement défendue que si les populations locales se l'approprient. Il faut parvenir à gérer la tension inévitable entre une vision mondiale des enjeux de la protection de l'environnement et la conception plus immédiate et plus locale que peuvent en avoir les populations rurales. L'exemple de la protection des ours dans le Haut-Béarn est à ce titre très instructif et a beaucoup intéressé les membres de la commission. Dans un même esprit, la présence des grands prédateurs ne saurait être acceptée que dans la mesure où elle est compatible avec celle de l'homme. Les travaux de la commission ont permis de constater que cela n'est pas toujours possible et, dans un tel cas, la commission estime que la priorité doit être donnée à l'homme, sans hésitation. Or, on a le sentiment, notamment chez les éleveurs que le loup n'est pas « négociable » et que la priorité politique consiste à favoriser son développement tout en essayant de limiter les dégâts qui en résultent. Tant que le loup n'a pas atteint une population estimée viable sur le territoire français (sans qu'il soit possible de donner des chiffres précis sur le nombre nécessaire), il est hors de question d'y toucher, quelles que soient les conséquences pour l'élevage : tel semble avoir été le discours de l'Etat français depuis la réapparition du prédateur. Votre rapporteur tient à replacer le loup dans le champ du négociable et, quand il y a incompatibilité avec l'homme, donner la priorité à ce dernier. Telle est la philosophie du rapport. Elle s'inscrit parfaitement dans le souhait exprimé par le Président de la République d'une écologie humaniste. * Le présent rapport reprend la logique de la démarche en quatre temps de la commission : La commission a d'abord entrepris un patient travail de réexamen des évènements de 1992, sources de tous les blocages constatés aujourd'hui. Il a fallu, pour mieux cerner l'hypothèse de lâchers de loups, revenir sur des faits antérieurs, puisque les années 80 avaient été riches en déclarations enflammées sur l'intérêt de réintroduire le loup en France et même de tenter des lâchers de loups. Une démarche de même nature a prévalu pour aborder les arguments, notamment scientifiques, utilisés à l'appui de l'autre thèse, celle du retour naturel. Petit à petit, la réflexion des commissaires a évolué vers l'idée qu'il n'y avait peut-être pas de contradiction absolue entre les deux thèses. En revanche, l'examen des pièces et la confrontation des auditions, effectuées sous serment, ont indiscutablement mis en relief toute l'opacité qui a prévalu dans la gestion de ce dossier depuis l'origine, opacité que l'on peut presque qualifier de « déni de démocratie ». Pourtant, votre rapporteur estime inutile de demander que la France se retire des conventions internationales organisant la protection du loup : les marges de manœuvre que confèrent, tant la directive Habitats que la convention de Berne, lui semblent, en effet, suffisantes pour proposer une politique plus active de gestion de la population de loups. La deuxième partie, conformément à l'objet de la commission, est consacrée au pastoralisme de montagne dont les difficultés dépassent très largement le seul problème de la présence de grands prédateurs. Elle propose un certain nombre de mesures visant à favoriser son développement, condition essentielle pour que nos montagnes ne deviennent pas des déserts abandonnés de toute activité humaine. La problématique du coût du loup est traitée dans un troisième temps. La commission fait le point, à partir des éléments dont elle a disposé, sur les dépenses engagées en raison de la réapparition du prédateur et préconise, malgré le coût induit, la pérennisation du système de financement à l'issue du programme LIFE, prévue pour la fin de l'année 2003. Cette partie est également l'occasion de procéder à une évaluation, aussi fine que possible, des mesures de protection préconisées pour limiter la prédation. Le constat est clair : ces mesures, correctement appliquées, peuvent être efficaces, mais pas partout. Sur certains territoires, du fait du climat, de la topographie, elles sont inefficaces et ne parviennent pas à réduire la prédation. A partir de ce constat, la commission a réfléchi aux modalités, tant juridiques que pratiques, d'un contrôle des loups, là ou ils posent problème. Exclure l'éradication ne saurait signifier passivité et impuissance pour ceux qui subissent des attaques répétées et de plus en plus insupportables. Constatant que des marges d'interprétation et d'assouplissement des textes internationaux existent sur la question de la régulation des grands prédateurs, votre rapporteur propose une procédure d'intervention nouvelle, respectueuse des objectifs de la directive Habitats mais débarrassée de toute la lourdeur, de toute la complexité et de l'inefficacité des protocoles jusqu'à présent mis en place. La commission a constaté que le sentiment, partagé par les éleveurs et les élus locaux, selon lequel les gouvernements ont jusqu'à présent organisé la paralysie de l'action publique, est justifié. PREMIÈRE PARTIE : LE RETOUR DU LOUP EN FRANCE : DES CIRCONSTANCES MAL ÉLUCIDÉES ET UN MANQUE TOTAL DE TRANSPARENCE I.─ UN RETOUR NATUREL DU LOUP EST POSSIBLE MAIS DE LOURDES INCERTITUDES SUBSISTENT A.- LE LOUP EN FRANCE : HISTOIRE ET COMPORTEMENT 1.- La disparition du loup en France (2) Jusque là très présent en France, comme dans le reste du monde, le loup a disparu de notre territoire peu avant la seconde guerre mondiale, hormis quelques rares et ponctuelles réapparitions. Cette disparition s'explique par la progressive humanisation du territoire, via l'élevage, la déforestation... Elle s'explique surtout par la politique délibérée d'éradication vis-à-vis d'un prédateur considéré comme ennemi de l'homme, tant en termes d'occupation du territoire que de prédation sur les troupeaux. Les populations de loups avaient certainement subi des fluctuations multiples depuis des millénaires, en fonction de facteurs très divers : abondance ou migration du gibier, puis du bétail domestique, guerres et armées qui les entraînaient à leur suite, apparition et perfectionnement des armes à feu, organisation de la chasse ... Mais c'est au début du XXème siècle que l'on voit la courbe s'infléchir inéluctablement vers le bas, les prélèvements dépassant régulièrement les possibilités de reconstitution naturelle des populations. La cadence de la diminution est encore faible à cette époque et, sans certains prélèvements importants effectués à des époques clés, la survie du loup aurait été assurée jusqu'au-delà de l'an 2000, repoussant l'échéance d'un petit siècle. Mais une destruction, méthodiquement organisée, a empêché l'espèce de se maintenir : ainsi, entre 1810 et 1820, le nombre de captures augmente considérablement, plus qu'il n'aurait fallu pour compenser les lacunes de la période post-révolutionnaire. Un coup fatal sera porté entre 1872 et 1890, avec l'usage du poison : le nombre de loups tués arrivera à quintupler par rapport aux périodes précédentes. L'ultime atteinte sera portée peu après 1914, la guerre ayant laissé quelque répit aux loups, et les effectifs déjà réduits à 150 ou 200 vont être ramenés au seuil d'extinction ; seuls subsisteront quelques individus aux mœurs discrètes, pratiquement invisibles. Au début du XIXème siècle, il pouvait y avoir 5 000 loups en France ; en 1850, ce chiffre avait clairement diminué de moitié avec des fluctuations diverses. La population était réduite à moins de 1 000 vers 1890 pour tomber à 500 en 1900 et s'amenuiser en ne laissant survivre en 1930 qu'une ou deux dizaines d'individus. 2.- Le rôle du loup dans l'écosystème a) Un prédateur socialement organisé et opportuniste Le loup est le deuxième plus grand prédateur en Europe, après l'ours brun. L'espèce ayant une zone de répartition très importante et vivant dans des habitats très différents, ses variations morphologiques (taille, couleur et poids) sont très importantes. Plusieurs sous-espèces de Canis lupus ont été décrites. Des différences dans la morphologie externe et les caractéristiques crâniennes ont conduit à l'identification dans la zone eurasienne de 8 sous-espèces. Plus récemment, néanmoins, de nouvelles méthodes taxonomiques tendent à réduire ce chiffre à 6. Un loup mâle adulte pèse entre 20 et 80 kg ; les femelles sont plus petites (15-55 kg). Les animaux les plus grands se trouvent dans les latitudes les plus septentrionales; le poids moyen du loup méditerranéen est de 25-35 kg, rarement plus de 45 kg. La taille du corps de l'animal adulte est de 110-148 cm ; la queue représente habituellement le tiers de la longueur du corps (30-35 cm). La hauteur au niveau des épaules est de 50-70 cm. Les oreilles sont longues de 10-11 cm et triangulaires. Les loups marchent sur leurs orteils et leurs traces sont similaires à celles d'un grand chien. La couleur de la fourrure est extrêmement variable : elle va du blanc pur en arctique, au brun, roux, gris, gris pale ou argenté. Le loup est le mammifère terrestre ayant eu la plus grande zone de présence dans l'histoire récente. Il a occupé la totalité de l'hémisphère nord au dessus du 20ème parallèle, dont le continent nord américain, l'Eurasie et le Japon. Le loup a un régime alimentaire très diversifié. C'est un véritable généraliste qui se nourrit de façon opportuniste de ce qui est le plus disponible dans son habitat. Le régime alimentaire peut inclure des proies importantes comme des petits vertébrés, invertébrés, végétaux et carcasses. Un loup a besoin en moyenne de 3 à 5 kg de viande par jour, même s'il peut jeûner pendant plusieurs jours quand aucune nourriture n'est disponible. Comme l'explique M. Luigi Boitani : « Nous avons étudié le loup dans plusieurs parties des Apennins italiens. L'écologie alimentaire du loup change selon les disponibilités alimentaires. Par exemple, en 1975, dans les Abruzzes, les loups mangeaient surtout les déchets des villages. Dans le parc national du Pollino en Calabre, ces dernières années, le loup se nourrissait essentiellement de sangliers. En Toscane, dans les zones de collines entre Sienne et Grosseto, il mange des sangliers et des brebis - donc aussi des animaux domestiques. » L'impact du loup sur la population de proies est le suivant : parmi les espèces sauvages, le loup chasse généralement les animaux jeunes ou les animaux vieux ou malades, participant ainsi à la sélection des individus aptes à survivre. Dans le parc du Mercantour, l'étude de l'impact du loup sur les proies, notamment les proies sauvages, a été effectuée par le comptage des ongulés sauvages pour apprécier comment ces populations évoluaient, mais également par le biais de données relatives aux taux de reproduction ; il s'agissait de déterminer les classes d'âge les plus touchées, notamment ce qu'il en était des jeunes animaux, et également d'étudier la vigilance des proies. Comme l'explique M. Benoît Lequette, chef du service scientifique du parc national du Mercantour : « Nous nous sommes ainsi rendu compte en étudiant l'impact du loup sur les mouflons que ce dernier était particulièrement sensible à la prédation du loup, contrairement aux autres ongulés de montagne. En fait, le mouflon est originaire de Corse et a été introduit dans les Alpes. On pense qu'il est issu d'un marronnage, c'est-à-dire qu'il est le fruit du retour à l'état sauvage d'un mouton domestiqué il y a très longtemps, une sorte d'ancêtre du mouton qui serait revenu à l'état sauvage. Il s'avère qu'en milieu alpin, cet animal a du mal à vivre. Il est très sensible au froid et, quand il neige, nous constatons des mortalités catastrophiques. Nous avons constaté qu'en présence de loup, ces animaux étaient capturés fréquemment. Le terme « vigilance » est une manière de décrire le comportement de défense anti-prédateurs. Nous avons remarqué que les mouflons peuvent rester vingt minutes la tête dans l'herbe à brouter sans regarder autour d'eux. Il est donc bien plus facile à un loup de s'en approcher et de les capturer que cela ne l'est dans le cas du chamois qui, lui, relève la tête régulièrement pour surveiller les alentours. Pour le chamois, le dernier comptage a eu lieu sur deux ans, aux automnes 2001 et 2002. Actuellement, nous sommes toujours en phase de progression des populations de chamois dans le Mercantour. En 1981, quelque temps après la création du parc, on décomptait presque 1 700 chamois ; en 2002, ils étaient 9 000. La population a donc continué de progresser, même si localement, sur certains territoires, le nombre de chamois est stabilisé, voire en baisse. Cela se produit sur deux ou trois communes de la Vésubie et de la moyenne Tinée. Mais, a priori, entre 1997-1998 et 2001-2002, date du dernier comptage, la population des chamois a progressé selon un accroissement annuel moyen de 5,3 %. Néanmoins, je marquerai une différence entre le mouflon et les autres ongulés sauvages que sont le chamois, le bouquetin, le cerf, le chevreuil et le sanglier. En effet, le nombre de mouflons a fortement baissé, notamment celui de certaines populations du Mercantour. Dans de petites populations de Moyenne Tinée, nous avons constaté certaines années une absence quasi totale de survie des jeunes. La population qui a le plus négativement évolué depuis la présence du loup est une population située sur le vallon de Mollièrse, lieu où le loup a été observé pour la première fois en 1992. Il y a eu là un impact certain puisqu'en 1993, ils étaient 169 mouflons et, qu'en 2002, ils n'étaient plus que 55. Il est vrai que, d'un point de vue biologique, le mouflon est une espèce introduite et n'est pas très bien adaptée aux prédateurs. » 3. Organisation sociale du loup Au niveau de l'organisation sociale, les loups vivent au sein de meutes qui coopèrent pour la chasse, la reproduction et la défense du territoire. Une meute est fondamentalement une structure familiale qui se crée quand un couple s'établit sur un territoire et se reproduit. Des liens sociaux forts unissent les membres de la meute ce qui permet d'assurer la stabilité et le dynamisme de la meute. Une hiérarchie linéaire entre les membres de la meute est construite et maintenue grâce à des comportements agressifs organisés. Les individus dominants prennent la plupart des initiatives et bénéficient de la plupart des privilèges en termes de reproduction et d'alimentation. La hiérarchie change constamment en fonction de la force relative des membres de la meute. Les jeunes animaux restent dans la meute jusqu'à l'âge de deux ans, âge auquel ils sont confrontés à une alternative : soit se disperser à la recherche d'un nouveau partenaire et d'un nouveau territoire ; soit rester dans la meute et essayer d'atteindre un plus haut niveau dans la hiérarchie. La densité des proies, des loups et l'existence de territoires vierges à coloniser jouent un rôle déterminant dans la stratégie reproductive qui sera adoptée. Une meute comprend en moyenne 7 loups (2-15), le nombre dépendant de sa productivité, du succès d'une éventuelle dispersion et de la densité des proies disponibles. En Europe, la taille de la meute est surtout liée au contrôle exercé par l'homme et les meutes importantes sont très rares. Un loup est actif sexuellement à partir de deux ans. La gestation dure 60-62 jours et la taille des portées varie entre 1 et 11. Généralement, il y a une seule une portée par meute chaque année, seul le couple dominant se reproduisant. b) Un prédateur en principe peu dangereux pour l'homme Qu'en est-il du danger du loup pour l'homme ? On connaît les peurs collectives et ancestrales liées aux loups et les nombreuses histoires et contes circulant dans les récits traditionnels. Cette perception, on peut dire viscérale, du loup, prend ses racines dans les prédations réelles dont l'homme fut victime au cours des siècles et explique en partie le caractère passionnel du problème. On trouvera en annexe du présent rapport un procès-verbal de la gendarmerie impériale de Giandola (Breil sur Roya) datant de 1862 relatif à une attaque de loup enragé sur l'homme. Il a semblé important à la commission d'éclaircir le problème du risque actuel pour l'homme afin d'apprécier objectivement sa réalité.L'examen des données montre l'existence réelle, mais rare, d'attaques sur l'homme. Quatre cas de figure sont observés (3). 1. Attaques liées à la contamination par le virus de la rage C'est de loin le cas le plus fréquent. Le loup n'est pas une espèce au sein de laquelle le virus de la rage peut se maintenir et ainsi contribuer à la pérennité d'une épidémie. En Europe de l'ouest, le vecteur sauvage principal de la rage est le renard. Cependant, un loup enragé peut développer une forme dite « furieuse » qui, associée à ses capacités physiques, le rend particulièrement dangereux. Les cas d'attaque du loup enragé sont en nette diminution en Europe de l'ouest et en Amérique du nord du fait de la régression importante de la rage. Elles sont peu fréquentes et aucun cas mortel n'a été recensé. Elles concernent essentiellement des bergers qui ont du défendre leurs troupeaux avec des moyens rudimentaires (bâton, pierre...). La littérature regorge a contrario de cas où des loups ont été capturés, voire déterrés de la tanière, sans avoir attaqué le piégeur. En principe, le loup ne considère pas l'homme comme une proie potentielle et, de fait, ces attaques sont assez rares de nos jours. Parmi les données historiques, certaines sont d'ailleurs soumises à controverse, comme par exemple la « bête du Gévaudan » en France. Cependant, dans certains cas exceptionnels, la prédation sur l'homme est possible et plusieurs cas ont effectivement été recensés au XXème siècle. Il s'agit de circonstances dans lesquelles les conditions écologiques sont radicalement modifiées : absence de proies sauvages, utilisation importante des proies domestiques, enfants laissés seuls pour la garde des troupeaux. Dans ces conditions, certains individus peuvent développer un comportement d'attaque, essentiellement orienté sur des cibles faciles, comme les enfants. Ces situations étaient rencontrées en Europe avant le XXème siècle, elles se rencontrent toujours en Asie, en particulier en Inde où des cas sont toujours rapportés. En Europe de l'ouest, seuls trois épisodes d'attaques ont été rapportés au cours du XXème siècle (1959, 1974, 1975). Ils sont tous survenus en Espagne dans la région de la Galice, région agricole où les loups se nourrissent essentiellement de proies domestiques ou à partir des décharges. En tout, huit personnes, dont sept enfants, ont été attaquées, et quatre enfants sont morts. 4. Attaques liées à un comportement d'accoutumance Ces attaques sont rares. Elles ont souvent lieu dans des zones protégées où certains individus peuvent perdre la peur de l'homme. Des cas récents (années 90) ont toutefois été rapportés dans des parcs nord-américains. Aucun cas mortel n'a été recensé. En définitive, des attaques sur l'homme existent, même si leur fréquence est faible et, de plus, essentiellement liée à une contamination rabique. Si l'on compare la fréquence des attaques de loup sur l'homme avec celles engendrées par d'autres carnivores (dingo, grizzli, tigre, couguar...), le loup apparaît comme une espèce relativement peu dangereuses au regard d'une part de ses capacités physiques et d'autre part de l'évolution de son aire de répartition et de ses effectifs. Mais, au cours des 50 dernières années, 9 morts ont quand même été recensées en Europe (dont 5, à l'est, liées à des loups enragés) pour une population lupine estimée entre 10.000 et 20.000 individus ; 8 morts recensées en Russie (4 liées à la rage) pour 40 000 loups. Deux recommandations peuvent être faites pour diminuer encore cette fréquence : - continuer et/ou améliorer les programmes de lutte contre la rage ; - maintenir le comportement craintif des loups, en éliminant tout individu qui deviendrait « familier ». B.- DES RÉINTRODUCTIONS ARTIFICIELLES NE SONT PAS À EXCLURE Disparu depuis plus d'un demi-siècle, c'est officiellement le 5 novembre 1992 que le loup fait sa réapparition sur le territoire français. C'est en effet à cette date que furent pour la première fois observés deux loups, à l'occasion d'un dénombrement des ongulés - chamois et mouflons - dans le parc national du Mercantour. Problème controversé s'il en est, la question du retour naturel ou de la réintroduction du loup en France a suscité l'attention toute particulière de la commission. Celle-ci a entendu la plupart des scientifiques les plus renommés sur la question. Elle a également entendu les arguments des défenseurs de la thèse de la réintroduction, principalement la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes qui, en réponse au document du ministère de l'environnement de 1996 « Premiers éléments d'enquête sur le retour du loup dans les Alpes françaises » qui tentait de démontrer un retour naturel, avait fourni un travail détaillé et très documenté soulignant les imprécisions, les incertitudes de la version officielle et concluait à la probable réintroduction du loup. La conviction de votre rapporteur, et, semble-t-il d'une majorité de la commission, est que la vérité se situe probablement entre les deux : au vu des connaissances scientifiques actuellement disponibles, un retour naturel du loup d'Italie (et non des Abruzzes, point sur lequel nous reviendrons) est tout à fait possible et les analyses génétiques effectuées depuis 1996 confirment cette possibilité, sans bien sur la prouver. De même, il est probable que des lâchers clandestins de loups ont eu lieu mais, encore une fois, sans qu'il soit possible de le prouver. En tout état de cause, ces lâchers n'ont sans doute pas fait l'objet d'un complot impliquant le parc national du Mercantour et la direction de la nature et des paysages (DNP) du ministère de l'environnement. Ces lâchers ont probablement été le fait de particuliers passionnés de la nature et particulièrement irresponsables. Si complot il y avait eu, cela signifierait que plus de la moitié des personnes entendues sur ce sujet auraient délibérément tenu des propos mensongers à la commission, alors qu'ils étaient sous serment. Il ne s'agit pas pour autant d'exonérer de toute responsabilité les responsables du parc de l'époque ni les fonctionnaires du ministère de l'environnement : on verra un peu plus loin que, s'il nous semble difficile de leur reprocher une entreprise organisée de réintroduction du loup, leur gestion de la réapparition du loup sur le territoire a été pour le moins désastreuse, pleine de dissimulations et source de beaucoup des difficultés auxquelles nous sommes aujourd'hui confrontés. 1.- Le problème des loups en captivité ou détenus par des particuliers Signe de la fascination que peut exercer le loup sur certains, cet animal est parfois gardé en captivité par des particuliers comme animal de compagnie. Malheureusement, la détention de ces animaux, outre qu'elle est contraire à la convention de Berne, fait naître de lourdes suspicions quant à de possibles lâchers dans la nature. A la suite du rapport de la mission interministérielle sur la cohabitation entre l'élevage et le loup (rapport Braque, rendu public en mars 1999), un effort réglementaire a été fait pour mieux contrôler la population de loups captifs : l'objectif de l'arrêté ministériel du 19 mai 2000 relatif à l'autorisation de détention de loups est de contrôler la détention des loups en captivité afin de diminuer les risques de lâchers, accidentels ou non, dans la nature. Désormais, seuls les établissements d'élevage ou de présentation au public, dûment autorisés, peuvent détenir ces animaux. Les personnes autres que ces établissements détenant des animaux à la date de parution de l'arrêté disposent d'un délai de six mois pour solliciter une autorisation de détention. Tous les loups captifs doivent être clairement identifiés par marquage, afin de connaître leur provenance et leurs propriétaires. L'autorisation de détention des loups est délivrée par arrêté préfectoral. Le marquage des loups est imposé, par tatouage ou par puce électronique, complété par l'inscription sur un fichier national. Cette autorisation est délivrée pour cinq ans. A terme, les particuliers détenant des loups ne seront pas autorisés à faire reproduire les animaux en leur possession ou à les remplacer, à moins de demander l'autorisation d'ouverture d'un établissement à cette fin, et d'obtenir un certificat de capacité. Selon Michel Perret, vétérinaire chargé de mission en matière de faune sauvage captive au ministère de l'écologie et du développement durable, que la commission a auditionné, on dénombre aujourd'hui exactement 524 loups en captivité, dans 62 sites de détention différents. Un établissement particulier, le parc à loups du Gévaudan, en détient 127. Le deuxième par ordre décroissant d'importance est le parc de la Haute-Touche qui dépend du Muséum d'histoire naturelle, qui en détient 30. Sur les 62 sites, on compte 46 parcs zoologiques, 5 dresseurs animaliers pour présentation de loups au public dans le cadre de spectacles, et 11 éleveurs détenteurs à titre particulier. Le fichier national est actuellement en cours de mise en oeuvre. Les 524 loups sous contrôle administratif ne figurent pas tous dans le fichier national. Celui-ci n'a en effet été mis en place qu'à compter du printemps 2002 (en raison d'un agrément tardif du matériel nécessaire), de sorte que les loups enregistrés dans le fichier national sont en effectif beaucoup moins nombreux. Sur les 62 établissements répertoriés, 21 seulement ont fait la demande. 77 loups sont enregistrés officiellement et 36 sont en attente. Constatant le décalage entre le nombre de loups enregistrés et les 524 loups recensés, une circulaire a rappelé aux préfets, en octobre dernier, l'obligation d'appliquer les règles de recensement. Les premiers fruits de ce rappel apparaissent puisque, pour le seul mois de janvier 2003, il a été enregistré davantage de loups que durant toute l'année 2002. On peut donc espérer finir par obtenir un enregistrement exhaustif. Il est impératif que tous les loups en captivité soient clairement répertoriés et contrôlés par l'administration. 2.- L'existence d'opérations de réintroduction clandestine de loups dans les années 80 De nombreux textes écrits à la fin des années 80 et au début des années 90 évoquent des lâchers clandestins de loups. En premier lieu, une enquête réalisée en 1990 par la direction de la nature et des paysages (DNP) recense 42 opérations « d'introductions, réintroductions et renforcement de populations » en France entre 1950 et 1989, concernant diverses espèces, dont des lâchers clandestins de loups : « Nous n'avons relevé que trois cas de réintroductions d'espèces disparues du territoire national ou supposées telles : la réintroduction du lynx, bien qu'il n'ait pas tout à fait disparu du Jura, les tentatives de lâchers de loup qui se sont d'ailleurs soldées par des échecs, et l'opération actuellement en cours sur le phoque moine. » (4) Il est pour le moins surprenant que le ministère de l'environnement ait officiellement recensé des lâchers clandestins de loups (et d'autres espèces), opérations par définition illégales, sans s'inquiéter outre mesure des auteurs et des conditions de ces pratiques illégales. Peut-être faut il y voir un signe de l'anormale proximité entre la toute jeune administration de l'environnement et les milieux associatifs écologistes dont elle est en partie issue. Lorsqu'un loup est tué à Aspres-les-Corps (Hautes-Alpes) en novembre 1992, Gilbert Simon, alors directeur de la DNP, explique qu'il provient probablement d'un lâcher clandestin, lors d'un entretien avec une journaliste de Libération : « Ce sont les fédéraux de l'Office national de la chasse qui sont chargés de remonter les traces de l'animal insolite. Première hypothèse, il serait venu des Abruzzes, où l'Italie mène actuellement une politique de sauvegarde comparable à celle de la France pour l'ours des Pyrénées. (...) Le plus probable serait donc un loup parti d'un cirque ou de l'élevage d'un particulier. « Un fugueur peut-être, explique Gilbert Simon, directeur de la direction de la protection de la nature et des paysages, mais il existe aujourd'hui une catégorie de nostalgiques qui font de la provocation et lâchent clandestinement des animaux sauvages » (5). Certains passionnés du loup paraissent d'ailleurs, eux aussi, avoir connaissance de ces lâchers clandestins : « La pression de l'homme sur son milieu est devenue si pesante que quelques révoltés, désireux de recoller les morceaux d'un monde perdu, n'hésitent pas à prendre le maquis : ça et là en Europe, des loups captifs auraient déjà été discrètement relâchés, dans quelques sites tenus secrets... Ces tentatives marginales suffiront-elles à rendre à Canis Lupis la place qui était la sienne ? » (6) « Voici donc (le projet de réintroduction de loups) envisagé en Suède. Il est évident que si un projet similaire était présenté à notre ministère de l'environnement, il commencerait par être surpris et à tout le moins on imagine qu'il ne danserait pas de joie. Il envisagerait d'abord les côtés négatifs. Il s'inquiéterait des réactions de la population et, s'il était par hasard l'élu du secteur où la réintroduction serait envisagée, il craindrait tellement pour sa réélection qu'il ne se hasarderait pas à donner le feu vert au projet. En d'autres termes, ceux qui rêvent de la réintroduction du loup en France risquent fort de ne pas être entendus ; il n'est pas impossible qu'ils ne soient même pas compris. Alors, faudra-t-il réintroduire les loups subrepticement ? En réalité quelques tentatives ont déjà eu lieu en France, à ma connaissance du moins, elles n'ont pas connu le succès ». (7) Comme l'explique Laurent Garde (8), ingénieur au CERPAM (Centre d'études et de réalisation pastorales Alpes Méditerranée) « l'ensemble de ces citations ne prouve pas que le couple de loups vu dans le Mercantour en novembre 1992 provienne d'un lâcher. Par contre, elles établissent avec certitude le fait que des loups ont été lâchés clandestinement en France. (...) Elles témoignent également de la passion de lâchers de prédateurs qui animait les milieux écologistes dans les années 1980, et qui a conduit avec certitude à lâcher des ours et des lynx ». Le succès de ces lâchers est très incertain : la commission a entendu des déclarations contradictoires à ce sujet ; certains estiment qu'un loup élevé en captivité a beaucoup de mal à s'acclimater à la vie sauvage et disparaît rapidement. D'autres pensent au contraire que le loup captif relâché peut très bien survivre dans la nature. Il est toutefois scandaleux que le ministère de l'environnement ait délibérément passé sous silence l'existence de ces lâchers, refusant même d'en discuter dans sa publication de 1996. Cela participe manifestement de la politique d'opacité pratiquée par le ministère. 3.- La réintroduction officielle du lynx Le cas des réintroductions de lynx est une bonne illustration de la passion qui animait certains courants écologistes dans les années 70 et 80. De 1971 à 1976, environ 25 lynx ont été introduits, certains légalement, d'autres illégalement, par des associations de protection de la nature et de nombreux lâchers ont été effectués à proximité des frontières françaises. Il en est résulté une colonisation naturelle du massif jurassien (Ain, Jura, mais aussi Doubs et Haute-Saône) et du massif alpin par l'espèce, très bien accueillie par les associations de protection de la nature et les administrations françaises, bien qu'elles n'aient nullement été consultées ou tenues au courant de ces opérations menées depuis la Suisse et que les populations locales n'aient bien sur jamais été consultées, ni même averties ! Un programme de réintroduction du lynx est pourtant mis en œuvre en France à partir de 1983, à la suite d'un colloque tenu à Strasbourg en 1978, au cours duquel sont évoqués les multiples avantages théoriques liés à la réintroduction du lynx. Après des hésitations, le site des Vosges est préféré par l'administration au site préalpin du Vercors (le Mercantour ou les Cévennes avaient également été envisagés) pour de multiples raisons, parmi lesquelles un contexte humain jugé plus favorable : sensibilité « verte » de la région, élevage ovin en déclin, chasseurs jugés plus disciplinés et participation des dirigeants cygénétiques. Cette participation n'est cependant que partielle : si la Fédération des chasseurs du Bas-Rhin soutient le projet, celle du Haut-Rhin, département choisi pour la majorité des lâchers, s'opposera à l'opération par un vote quasi unanime. Ainsi, de 1983 à 1993, 21 animaux sont réintroduits. Le premier lâcher est d'ailleurs fait dans des conditions quasi-clandestines puisqu'il est effectué à l'initiative de Christian Kempf, responsable de l'opération au nom de l'IREAP, un organisme privé, quelques jours avant une réunion de concertation avec les chasseurs organisée par le préfet à la suite de leur vote de défiance. Un certain nombre d'entre eux disparaissent, soit par mort naturelle, soit à cause du braconnage, soit parce que, pour deux d'entre eux, ils ont été repris, les autorités s'étant aperçu que ces animaux étaient « imprégnés » (c'est-à-dire préalablement mis en contact avec l'homme) et qu'ils ne pouvaient donc plus vivre dans la nature. Les autres sont à l'origine de la population vosgienne actuelle. Par la suite, des réintroductions sauvages ont très clairement eu lieu en France : fin 1988, une photo de caracal (lynx exotique dont la présence prouve une intervention humaine) est présentée par des éleveurs ; une femelle piégée le 29 juillet 1990 à Sonthonnax-la-Montagne a l'oreille perforée, ce qui correspond à la pose d'une bague ; un garde observe en novembre 1990 un lynx adulte équipé d'un collier rouge brique, modèle non utilisé par les Suisses pour leur opération de suivi. Quel est le bilan de cette réintroduction ? Biologiquement, le lynx n'a pas tenu, loin de là, les promesses annoncées lors du colloque de 1978. Comme le résume Jean-Michel Vandel, responsable du réseau Lynx à l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), « On dit que le lynx est un indice de biodiversité. Ce n'est pas vrai : le lynx peut vivre dans des milieux très simplifiés ». Et de conclure : « La seule motivation pouvant justifier la réintroduction est d'ordre éthique. Le lynx n'est pas un indicateur de biodiversité et son impact sur les populations de proies est très mal connu. Dans les années 70, les partisans de la réintroduction disaient que le lynx pouvait avoir un effet sanitaire sur les populations de proies. A ma connaissance, aucun élément ne permet de le montrer à l'heure actuelle. » Pourquoi alors envisager un plan de restauration du lynx dans l'arc alpin ? En effet, lors de son audition par la commission, M.Vandel a expliqué qu'à la demande du ministère de l'environnement, « un plan de restauration du lynx était en cours d'élaboration. Il propose des mesures de conservation adaptées à la problématique du lynx, qui peut être différente d'un massif à l'autre. Dans le massif alpin, ce plan propose de développer la présence de l'espèce sur l'ensemble des compartiments de l'habitat favorable et de favoriser les connexions entre ces compartiments. Dans le massif jurassien, ce plan préconise le maintien de la présence de l'espèce et la réduction des dommages sur le cheptel domestique. (...) Dans le massif vosgien, le plan prévoit le maintien de la présence de l'espèce dans les Vosges du sud et dans les Vosges moyennes et la réintroduction de l'espèce dans les Vosges du nord ou dans le massif du Palatinat, qui est le prolongement forestier de ce massif en Allemagne. Le plan prévoit ensuite des mesures visant à améliorer l'acceptation par le monde de la chasse ». Votre rapporteur exprime, à l'instar des membres de la commission présents lors de l'audition, sa surprise et son indignation face à ce projet de restauration, alors même que la situation ne cesse de se dégrader pour les éleveurs ovins et les bergers, déjà confrontés aux attaques du loup. Encore une fois, les cultivateurs et les éleveurs des zones de montagne pourront légitimement se demander pourquoi ils ne sont jamais consultés. Votre rapporteur a donc interrogé madame la ministre de l'écologie et du développement durable, laquelle lui a répondu très clairement : « Je comprends l'inquiétude que l'éventualité d'un plan de restauration du lynx peut susciter parmi les éleveurs qui vivent de façon précaire dans nos alpages et qui cohabitent parfois difficilement avec le loup. Ma réponse est donc sans équivoque : il n'y a pas de projet de restauration du lynx dans les Alpes, et tant que je serai là, il n'y en aura pas. » (9) Votre rapporteur se félicite de cette réponse franche et sans équivoque mais s'interroge néanmoins sur le fait que la DNP ait pu ne serait-ce qu'envisager un tel plan de restauration au vu des difficultés dues à la présence d'un autre prédateur, le loup. C'est, au mieux de la naïveté, au pire, de la provocation ! * Face à cet impressionnant faisceau d'indices, on voit bien que le ministère de l'environnement, s'agissant des lâchers de prédateurs, a fait preuve d'une légèreté coupable et d'un manque d'objectivité, qualité que l'on est tout de même en droit d'attendre d'une administration. S'agissant du loup, le ministère a complètement occulté ces faits, niant totalement les interrogations apparues chez une large partie de la population victime de la réapparition du loup. Il s'est arc-bouté sur la thèse d'un retour naturel du loup qui, même si elle n'est pas impossible, n'a nullement le caractère d'évidence absolue et indiscutable. C.- L'HYPOTHÈSE D'UN RETOUR NATUREL EST POSSIBLE MAIS NON DÉMONTRÉE 1.- Le mode d'expansion du loup Les loups sont des animaux territoriaux et chaque animal défend son propre territoire contre les membres des meutes avoisinantes. La taille du territoire varie beaucoup, selon la densité de loups et de proies, les caractéristiques géographiques, la présence humaine, les infrastructures. Tandis que le territoire en Amérique du nord varie entre 80 km2 et 2.500 km2, il mesure généralement entre 100 km2 et 500 km2 en Europe. Les territoires sont signalés par des traces d urine ou des excréments laissés à des endroits stratégiques, à l'intérieur du territoire et à ses frontières. Les frontières territoriales sont rarement transgressées et quand cela arrive, cela conduit à de violentes agressions. Un petit nombre d'individus vit sans territoire fixe : ces animaux sont en phase de dispersion, à la recherche d'un nouveau territoire dans lequel s'installer ou bien ils ont été rejetés par la meute (quand un dominant perd son statut, par exemple). Dans la population animale des vertébrés, il existe deux modèles essentiels d'expansion selon lesquels une espèce étend son territoire. Le premier, celui du chamois ou du lynx, est un modèle en « tache d'huile », c'est-à-dire qu'il s'effectue selon un mouvement progressif et lent. Les animaux ne sont pas capables de passer tout d'un coup dans une nouvelle zone. En revanche, le deuxième modèle d'expansion, qui est typique du loup, est le modèle en « tache de guépard », c'est-à-dire celui d'une population qui s'étend progressivement en colonisant de nouvelles régions, même très lointaines les unes des autres. Selon M.Luigi Boitani, auditionné par la commission, « C'est l'une des données les plus significatives de l'étude menée ces dernières années en Suède et Scandinavie portant sur l'expansion de la population des loups en Scandinavie. Débutée sur trois individus, elle concerne maintenant plus de cent animaux. Dans cette population, la distance moyenne entre un territoire et un autre est de 140 kilomètres, tout en vivant sur un milieu homogène. Le loup colonise donc une nouvelle région par « patch » - nous utilisons ce terme anglais. De nouvelles taches se constituent au fur et à mesure. C'est ainsi qu'en ce qui concerne la répartition du loup sur les Apennins, nous trouvons des zones vides, qui ne témoignent pas de la présence du loup, alors que toutes les conditions de vie y sont réunies ». 2.- Des circonstances biologiques favorables au retour du loup La disparition du loup à la fin du XIXème et début XXème est probablement liée à trois facteurs principaux : - une disponibilité alimentaire en ongulés sauvages extrêmement faible ; - une couverture forestière servant de zone refuge très réduite, ces deux premiers facteurs étant liés à une présence humaine forte sur tout le territoire ; - une volonté organisée de faire disparaître le loup (primes à la destruction), elle-même facilitée par l'utilisation massive du poison. Or, chacun de ces facteurs a été inversé depuis plusieurs décennies. Il y a aujourd'hui : - une expansion géographique et une progression démographique forte des proies sauvages du loup ; - une reforestation très rapide du territoire, ces deux premiers changements étant notamment liés à la baisse de la présence humaine sur le milieu naturel dans certaines zones rurales montagnardes ; - la protection du loup, ainsi que l'interdiction de l'utilisation du poison. Ainsi, M. Jean-Dominique Lebreton du laboratoire de dynamique des populations de Montpellier s'est-il demandé devant la commission si « la recolonisation par le loup n'est pas une simple conséquence d'une politique implicite de réhabilitation de la biodiversité dans les Alpes. Dès lors que l'on a créé des parcs nationaux, des réserves, que l'on a mis en place des plans de chasse et que l'on a réintroduit des populations, on a créé un paysage avec plus de biodiversité qui a, lui-même, appelé plus de biodiversité, et le mouvement s'est fait d'un pays, l'Italie, où cette biodiversité avait subsisté à cause de conditions économiques différentes dans les montagnes du centre de l'Italie. » 3.- L'expansion du loup en Italie et l'incertaine colonisation des Apennins occidentales En Italie, la population de loups s'accroît et étend son territoire depuis plus de 30 ans maintenant. Au début des années 70, après des siècles de tentative d'extermination, il n'en substituait plus qu'une centaine, répartis en plusieurs petits noyaux de population situés à l'est de Rome. Depuis 1976, le loup a recolonisé progressivement la chaîne des Appenins sur laquelle il était présent autrefois. Sa présence dans la région de Gênes est certifiée dès 1983. Ainsi la plupart des indices de présence signalés par le ministère dans son document de 1996(10) sont-ils situés à l'est et au nord de Gênes. Dès lors, si l'on a longuement parlé de la recolonisation des Alpes-Maritimes par les loups du parc des Abruzzes, l'assertion selon laquelle des loups seraient partis du parc des Abruzzes pour arriver jusqu'aux Alpes reste très improbable, pas impossible, mais très improbable ; il y a plus vraisemblablement eu une progressive recolonisation de tous les Apennins. Il est donc envisageable que les loups qui sont arrivés (et qui continuent d'arriver) dans les Alpes-Maritimes soient des animaux partis des régions recolonisées des Apennins du Nord, c'est-à-dire de Toscane ou de Ligurie, et non des Abruzzes. Tout le débat est donc de savoir si des signes de présence ont été retrouvés à l'ouest de Gênes dans les provinces de Ligurie et d'Imperia. Il faut rappeler que la partie septentrionale, et notamment l'arrière-pays des provinces de Savona et Imperia, constitue un espace favorable à l'expansion géographique du loup. En effet, ces deux provinces sont montagneuses et caractérisées par un couvert forestier continu (150 000 hectares dans la seule province de Savona) composé de hêtraies, chênaies, pinèdes et quelques châtaigneraies. Elles sont très giboyeuses en abritant d'importantes populations d'ongulés sauvages, notamment de sangliers. Le ministère de l'environnement conclut que cette zone possède des caractéristiques d'habitat parmi les plus favorables au loup. On peut dès lors se demander pourquoi une meute ne s'est pas installée dans cette zone. Comme l'explique le professeur Silvio Spano de l'institut de zoologie de l'université de Gênes dans une lettre du 21 octobre 1996 adressée à la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes : « en se basant sur les données scientifiques, il est très difficile d'expliquer le « trou » entre Gênes et le Mercantour, c'est-à-dire l'absence de loups dans une longue bande de territoire située entre l'arrière-pays de Gênes et le Mercantour, suffisamment adaptée aux loups et riche de gros gibier pour sa nourriture. Les notices de présence ne sont pas suffisantes pour avoir la certitude du passage du loup dans cette zone ». La chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes fait enfin justement remarquer qu'aucun dégât sur le bétail n'a été signalé avant 1992. Ce dont convient M.Luigi Boitani tout en proposant une interprétation différente : « D'après les chiffres officiels de l'association des éleveurs de la province de Savone, le nombre d'animaux domestiques présents dans les provinces de Ligurie, voisines de la France est de cinq à six cents vaches, qui ne vivent pas sur les alpages mais sont gardées dans les étables. Il n'y a ni brebis ni chèvre. Dans ces conditions, il est très difficile de repérer la présence du loup car nous ne savons où il se trouve que parce qu'il cause des ravages sur les animaux domestiques. C'est différent quand le loup se nourrit d'animaux sauvages. L'étude de terrain que nous avons effectuée dans la zone des Apennins nous a permis de constater que le loup s'approchait très près des villages sans que personne ne s'en rende compte, pas même les chiens parfois. On est conscient de sa présence uniquement s'il cause des dégâts au bétail or, je viens de vous donner le nombre d'animaux domestiques de la région voisine de la France, vous voyez que ce nombre est très réduit. » Autre élément d'incertitude : la présence d'infrastructures autoroutières importantes semble pour beaucoup être un obstacle évident au passage du loup par ce territoire. On notera toutefois que l'exemple de l'Espagne a été cité où la question a donné lieu à un véritable débat. Celui-ci a conduit le gouvernement espagnol à financer une étude sur l'influence qu'aurait la construction de nouvelles autoroutes sur la population des loups. Les organisations de protection et de sauvegarde du loup étaient, par avance, certaines que l'autoroute interromprait toute communication et menacerait la survie du loup. Un territoire de loups se trouvait à cheval sur l'autoroute. Le résultat de cette recherche a démontré que ceux-ci traversaient, de jour comme de nuit, cet obstacle, sans aucune difficulté. L'autoroute, les fleuves, les chemins de fer seraient donc des barrières quasi inexistantes pour les loups. Le débat est donc complexe : il est possible que le loup soit passé par les Appenins occidentales, sans qu'il ait été repéré et sans qu'il ait colonisé cette région pourtant favorable à l'installation d'une meute. Il est vrai que le loup est capable de parcourir facilement plus de 100 kilomètres en quelques jours avant de s'établir, même s'il traverse sur son chemin des zones potentiellement favorables, quitte à revenir combler les espaces interstitiels par la suite comme cela semble s'être produit. Signalons également que c'est ainsi que s'est opérée, à partir du Mercantour, la recolonisation de l'arc alpin français, mais sur de moindres distances. Aussi curieux que cela paraisse, on ne peut donc pas exclure cette hypothèse. On est bien dans le domaine de l'incertitude et des hypothèses, loin de l'évidence qui était présentée par le ministère de l'environnement dans le document de 1996, avant même que les analyses génétiques ne viennent conforter l'hypothèse du retour naturel. On rappellera que le ministère de l'environnement n'a jamais eu à sa disposition de documents officiels des autorités italiennes attestant la présence du loup dans les Apennins. Il s'est contenté d'écrits de scientifiques, certes très compétents, mais qui n'ont pas l'autorité d'un document officiel. Lors de son déplacement en Italie, la commission a pu enfin obtenir un document du ministère de l'environnement italien (Ministero dell'Ambiente e della Tutele del Territorio) confirmant la présence de loups dans les Apennins septentrionaux dans la région de Gênes. Ce n'est qu'en 1996 que le ministère de l'environnement a demandé au Laboratoire d'écologie alpine à Grenoble d'effectuer des analyses génétiques sur le loup réapparu en France. Ce laboratoire spécialisé en génétique des populations, est connu internationalement pour le développement de méthodes non invasives en génétique, c'est-à-dire l'utilisation de poils et de matières fécales comme source d'ADN. Malgré ces compétences, la commission a constaté lors de ses auditions et de ses déplacements un scepticisme récurrent quant à la neutralité du laboratoire Taberlet en charge de ces analyses. Afin de dissiper ces soupçons et que la confiance soit rétablie, il serait bienvenu, comme cela a été plusieurs fois suggéré, que des tests en aveugle soient pratiqués régulièrement et que les résultats soient comparés à ceux de laboratoires étrangers. Ainsi les doutes seraient- ils dissipés. Un rappel technique est nécessaire pour mieux comprendre la suite. On trouve dans les cellules animales, donc dans celles du loup, par exemple, deux types d'ADN : de l'ADN dans le noyau de la cellule que l'on appelle l'ADN nucléaire. Transmis par les deux parents, il permet de reconnaître l'individu et d'identifier son sexe. Il ne faut pas le confondre avec l'ADN mitochondrial, qui est un tout petit fragment d'ADN très particulier, car il est présent à de très nombreuses copies par cellule, ce qui le rend plus facile à étudier. Quand on ne parvient pas à étudier de l'ADN nucléaire, souvent, on arrive à étudier l'ADN mitochondrial. Celui-ci permet d'identifier l'espèce et la lignée. Ce sont donc deux caractéristiques bien différentes. Trois questions principales ont été posées au laboratoire Taberlet : la première concernait l'origine des loups du Mercantour ; la seconde était de savoir s'il était possible d'identifier l'espèce et la lignée à partir d'indices collectés sur le terrain ; la troisième était de savoir s'il était possible d'identifier les individus et leur sexe à partir d'indices collectés sur le terrain. Des réponses ont été apportées aux deux premières, et également à la troisième question mais avec plus de difficultés. a) Les loups présents en France sont d'origine italienne Le professeur Taberlet s'est ainsi exprimé devant la commission : « Je commencerai par l'identification de l'espèce et de la lignée. C'est le travail que nous avons réalisé au niveau historique. Nous avons utilisé des poils et des matières fécales comme source d'ADN. Nous avons séquencé ce que l'on appelle la « région de contrôle » de cet ADN mitochondrial - soit une région de trois ou quatre cents paires de base environ, qui est relativement variable - et, information très intéressante, nous avons trouvé à cette époque, en même temps qu'Ettore Randi en Italie, que la lignée italienne de loups possède une séquence mitochondriale qui est tout à fait unique au niveau mondial. C'est extrêmement intéressant car cela veut dire que, par la suite, on a pu caractériser cette lignée italienne. » Que peut-on conclure sur l'identification de l'espèce et de la lignée à partir de l'ADN mitochondrial ? Premièrement, il est parfaitement possible de discerner le chien du loup en France, quand il s'agit de la lignée italienne, à partir d'indices collectés sur le terrain. Deuxièmement, la lignée italienne est identifiable de manière certaine. Reste toujours le problème des hybrides potentiels : Il faut signaler que l'ADN mitochondrial pose un problème car comme il n'est transmis que par les femelles, si l'on a un croisement entre une louve et un chien, l'hybride sera identifié comme étant un loup, dès lors que sa mère est un loup. C'est une des limites de la méthode. Ainsi, l'analyse génétique des loups présents sur le territoire français confirme leur origine italienne, du moins, plus précisément, de ceux dont on a retrouvé des poils ou des excréments. Pour autant, elle ne nous dit pas comment ces loups sont arrivés jusqu'en France. Cela suppose simplement que s'il y a eu lâché de loup, ceux-ci auront dû être pris en Italie puis transportés en France. En effet, tous les loups captifs en France sont soit de souche polonaise, soit nord-américaine, soit, plus récemment, mongole.Une telle opération est-elle possible ? Selon M. Luigi Boitani, « il n'existe que trois centres dans lesquels le loup est élevé en captivité : le parc national de la Maiella, le parc national de la Sila en Calabre et le parc du Mont Amiata en Toscane. Ensuite, il y a un loup, un seul individu, gardé par l'université de Pérouse. Ces loups sont sous le contrôle d'un organisme public, le Corpo forestale delle stato, un corps de gardes forestiers. A part celui-ci, il n'existe aucun autre endroit en Italie où le loup italien soit captif. Tous les autres loups qui vivent dans les jardins zoologiques ou dans d'autres parcs en Italie sont des loups non italiens, provenant de Yougoslavie, de Russie ou d'autres pays. Or aucun des centres que j'ai cités n'a jamais laissé libre un loup. » Reste l'hypothèse d'une capture de plusieurs loups sauvages et de leur transport, puis de leur lâcher en France. Cette hypothèse n'est pas à exclure, même si l'on sait qu'il est très difficile de capturer un loup sauvage et qu'un loup « imprégné » par l'homme, est beaucoup moins adapté à la vie sauvage. b) L'identification des individus Qu'en est-il de la troisième question posée par le ministère de l'environnement, sur l'identification des individus. Quelle est la technique utilisée ? De la même façon que précédemment, des poils et des matières fécales sont utilisés comme sources d'ADN. Ce sont les mêmes techniques que celles qu'emploie la police scientifique à la différence près que, sur le loup, elles sont plus difficiles à développer car les connaissances génétiques sont beaucoup moins importantes. Le sexe est identifié en amplifiant une petite région du chromosome Y, qui n'est présent que chez les mâles. Ces analyses sont difficiles en raison des faibles quantités disponibles d'ADN. Mais le laboratoire a beaucoup travaillé cette question et a trouvé une solution technique. On appelle cela l'approche « multitubes », c'est-à-dire que l'on répète plusieurs fois les mêmes expérimentations pour être certain du résultat. Quelle est la fiabilité de cette méthode, les risques d'erreur ? Selon le professeur Taberlet, « si on tire deux individus au hasard dans les populations, la probabilité de confondre deux individus est de 3 sur 100.000. Attention, cependant, dans les populations naturelles, il ne s'agit jamais d'individus tirés au hasard, nous avons des individus apparentés. Dans une meute, il y a des frères et sœurs et il ne s'agit donc plus d'individus tirés au hasard, nous devons prendre en compte la probabilité entre frère et sœur. Le risque d'erreur est alors d'environ 1 %. Dans la pratique, en fonction des données, nous pensons avoir une probabilité de 1 sur 1.000. Le système génétique que nous avons développé est donc, en fait, tout à fait convenable pour répondre aux questions posées. » Où en est-on des analyses ? Parmi les échantillons collectés et transmis par le réseau Loup, la quasi-totalité des individus, hors Mercantour, a été analysée et ceux des individus du Mercantour sont en cours d'analyse. Les résultats de ces analyses sont les suivants : première surprise, la plupart des individus n'ont été détectés qu'une seule fois. Il n'y a pas beaucoup de chevauchement d'une année sur l'autre. Si on fait le total de la répartition par année : on a détecté quatre individus en 1998 ; treize en 1999 ; dix-huit en 2000 ; dix-neuf en 2001 et cinq seulement en 2002, mais les analyses ne sont pas complètes. Ce chiffre ne restera donc pas à cinq, mais il n'est pas dit que l'on arrive à dix-neuf. Les individus communs d'une année sur l'autre sont au nombre de trois entre 1999 et 2000 - deux mâles et une femelle - un individu entre 2000 et 2001, un individu entre 2001 et 2002 ; puis, une femelle qui est restée quatre ans au même endroit et une autre probablement trois ans. Au total, 50 génotypes ont été identifiés hors Mercantour. Cela signifie qu'il y a eu au moins cinquante individus hors Mercantour depuis 1998, mais cela ne veut pas dire qu'il y en a cinquante maintenant. Ces chiffres confirment le sentiment que la commission s'est forgé au cours de ses déplacements, que la présence de loups est bien plus importante qu'annoncée officiellement. Par ailleurs, il y a pratiquement autant de femelles que de mâles, d'où de fortes possibilités de reproduction et d'expansion futures. Entre outre, cette analyse génétique des individus nous éclaire sur l'hypothèse d'une réintroduction. En effet, le polymorphisme génétique est assez élevé ce qui indique que la colonisation s'est certainement faite par un nombre d'individus relativement élevé. M. Taberlet estime qu'il « ne peut aller trop loin dans les analyses car nous ne possédons pas de données génétiques sur la population source en Italie. Si c'était le cas, nous pourrions faire une estimation du nombre de colonisateurs. En tout état de cause, on peut dire qu'il y a au moins eu quatre individus à l'origine. Je pense même que ce nombre est très largement sous-estimé. (...) Il serait intéressant d'analyser le polymorphisme génétique de la population italienne avec les mêmes marqueurs génétiques afin de pouvoir estimer le nombre de colonisateurs, c'est-à-dire voir combien il faudrait que l'on tire d'individus au hasard dans cette population italienne pour obtenir le polymorphisme que l'on trouve actuellement en France. Cela pourrait être assez intéressant à réaliser. » Dernier éclairage apporté par la génétique, même s'il n'est pour l'instant que potentiel : en Suisse, M. Luca Fumagalli a récemment conduit des expérimentations qui lui ont permis d'identifier l'espèce et la lignée à partir de matériel prélevé au niveau de la morsure sur une proie. En récoltant la salive à l'endroit où les crocs se sont plantés, on peut être certain qu'il s'agit d'un loup et obtenir des indications, au coup par coup, sur les attaques. Il s'agit là d'une information très intéressante, surtout dans la perspective d'une accélération du processus d'indemnisation. Quels sont les enseignements que l'on peut tirer de ces analyses ? D'abord que les loups présents en France sont bien d'origine italienne, sans que cela nous dise quoi que ce soit sur la manière dont ils sont arrivés. Ensuite, que le modèle de dispersion établi est tout à fait compatible avec le mode connu de colonisation de nouveaux territoires par le loup. Enfin, qu'étant donné le polymorphisme génétique des individus analysés, la recolonisation s'est faite à partir d'au moins quatre individus, et probablement plus. II.- UNE OPACITÉ DÉLIBÉRÉE EST À L'ORIGINE DES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES AUJOURD'HUI A.- LA POLITIQUE DU PARC DU MERCANTOUR ET DE LA DIRECTION DE LA PROTECTION DE LA NATURE : UN DÉNI DE DÉMOCRATIE 1.- La version officielle : la surprise Deux loups sont donc aperçus pour la première fois dans la zone centrale du parc du Mercantour au début du mois de novembre 1992. La réapparition du loup sur notre territoire n'est rendue publique que six mois plus tard par voie de presse via un article paru dans la revue « Terre Sauvage » en avril 1993. Ce laps de temps a officiellement été utilisé pour s'assurer qu'il s'agissait bien de loups et non de chiens divagants. Il s'agissait de mettre à profit la période hivernale pour recueillir le maximum d'indices et d'informations, à une époque où l'on ne disposait pas encore de l'outil génétique. Ainsi, un grand nombre d'agents s'est trouvé mobilisé pour tenter, sur le territoire le plus vaste possible, de localiser les secteurs occupés par les loups. Dès le début du mois de décembre, un protocole de suivi systématique fut donc mis en œuvre en collaboration avec des partenaires du groupe loup italien venus reconnaître les secteurs a priori visités et dont les caractéristiques (altitude, couvert, ressource alimentaire) leur sont apparus favorables à l'installation des canidés. Les déclarations des responsables locaux et nationaux de l'époque recueillies par la commission sont contradictoires : il s'agit parfois de savoir si ce sont bien des loups, parfois seulement (comme si la réponse à la première question était évidente), s'il s'agit de loups en phase de colonisation ou simplement en phase de prospection. De même, chacun se renvoie la responsabilité de la publication de l'article paru dans « Terres sauvages », et semble regretter son caractère prématuré. Or, selon le témoignage de Mme Carbonne, ethnozoologue qui a travaillé pour le parc du Mercantour, cet article a été préparé, organisé, par la DNP et le parc national du Mercantour, en parfaite concertation, du moins au début. On voit qu'on était davantage dans la mise en place d'une stratégie de communication que dans un processus scientifique de rassemblement des preuves destiné à vérifier l'identité des canidés repérés à l'automne 1992. 2.- La réalité : le loup était attendu Malgré les déclarations de M. Gilbert Simon, alors directeur de la DNP, la commission a pu établir que l'arrivée du loup dans le parc du Mercantour n'a été une surprise ni pour le parc national, ni pour la direction de la nature et des paysages. L'un comme l'autre étaient tout à fait conscients de l'arrivée imminente du prédateur : comme l'explique M. Patrick le Meignen, alors directeur-adjoint du parc dans un document du 16 juillet 1993 faisant le bilan du suivi scientifique des deux canidés aperçus quelques mois auparavant, « cette découverte ne fut en fait qu'une relative surprise ». En effet au mois de septembre 1991, à l'occasion d'un colloque sur les ongulés qui se déroulait à Toulouse, des représentants de l'établissement avaient rencontré M. Alberto Meriggi de l'Université de Pavia. Ce chercheur qui travaille sur la prédation du loup dans la région de Gênes leur avait alors indiqué que l'expansion géographique des loups dans la partie nord-est des Appenins laissait supposer une possible arrivée de l'espèce à court terme dans les Alpes Ligures, et même dans les Alpes maritimes françaises. De plus, l'attention du parc avait été attirée par la diminution, depuis plusieurs années, avant même 1992, de la fameuse population de mouflons de Mollières, qui était estimée à la fin des années quatre-vingt entre 300 et 350 individus. Cette population, particulièrement suivie par les équipes du parc, avait chuté assez rapidement en deux ans, pour des raisons inexpliquées, tant du point de vue sanitaire que du point de vue des conditions climatiques. Si le mouflon résiste assez mal à la neige, ces années-là étaient caractérisées par un déficit d'enneigement, de sorte que la réduction de cette population de mouflons ne s'expliquait pas clairement. De son côté, la direction de la nature et des paysages, par un courrier daté du 27 août 1991, indiquait que « d'après les éléments en (sa) possession, les populations de loup italiennes se développaient suffisamment pour pénétrer dans ces prochaines années en France ». Elle demandait au parc de rentrer en contact avec ses homologues italiens afin de dresser « la situation actuelle précise de cette espèce et ses possibilités de colonisation du territoire ». Le parc national prit donc contact avec M. Merrigi cité plus haut et en informa la direction de la nature et des paysages. M. Denis Grandjean, alors directeur du parc, conclut sa lettre (datée du 7 novembre 1991) ainsi : « Il me paraîtrait tout à fait opportun d'offrir un statut à l'espèce avant que sa présence soit effective sur le territoire français ». Dans un courrier du 2 janvier 1992, le professeur Boscalgli du groupe-Loup Italie, indique : « Effectivement, depuis quelques années, le loup est occasionnellement présent dans la province de Cunéo, mais selon toute probabilité cette présence ne peut être considérée comme stable comme cela l'est plus à l'est, le long de la frontière de nos régions Piémont et Ligurie. Cela ne veut pas dire que quelques spécimens isolés, jeunes, en déplacement à la recherche de zone-refuge (selon une tendance naturelle à la recolonisation vérifiée dans des différentes zones d'Italie) ne puissent arriver jusqu'au parc du Mercantour ». Fort de ses informations, le directeur du parc national prévient sa tutelle, la direction de la nature et des paysages, par un courrier du 14 avril 1992 de l'arrivée imminente du loup sur le territoire français et indique : « Il paraît nécessaire d'être préparé à l'éventualité de l'arrivée du loup et au cortège de difficultés notamment sociologiques qui l'accompagneront ». Et de poursuivre : « En l'état actuel des choses, il nous semble que c'est au niveau du pastoralisme que se situe le plus gros problème ». Un éclair de lucidité qui n'a malheureusement pas eu les conséquences espérées. Suite à ce constat, M. Granjean fixe un programme d'action pour faire face à l'arrivée du loup et établit une évaluation des besoins financiers (diagnostic pastoraux, missions à l'étranger, indemnisations, lâchers d'ongulés sauvages...) pour un montant total d'un million de francs (150 000 euros). On voit donc très clairement que, tant la direction de la nature et des paysages que le parc étaient parfaitement au courant non seulement du retour imminent du prédateur sur le territoire national mais aussi de ses conséquences néfastes sur le pastoralisme ovin. Pourquoi cette attente entre la réapparition en novembre 1992 et l'annonce « officielle » en avril 1993 ? Comme l'explique M. Pierre Pfeffer, alors président du comité scientifique du parc, qui n'apprit la présence du loup que le 13 avril 1993, « le ministère de l'environnement n'a pas voulu ébruiter cette nouvelle, car le loup n'était pas encore inscrit sur la liste des espèces protégées ». En effet, comme cela sera détaillé plus loin, le loup ne figurait pas encore sur la liste des espèces protégées fixée par un arrêté de 1981, et ce malgré les demandes de M. Denis Grandjean. Ainsi, ni la direction de la nature et des paysages, ni le parc n'ont prévenu les élus ou les associations agricoles alors qu'il eut été indispensable que les éleveurs se préparent à cette contrainte qui devait tant modifier leurs pratiques pastorales. On peut très clairement parler de « chape de plomb » sur ce dossier, tant de la part de la DNP que du parc. Encore plus scandaleux est le fait que la ministre de l'époque, Mme Ségolène Royal, n'ait pas même été mise au courant de cet évènement majeur, selon les propos qu'elle a elle-même tenus devant la commission ! Où sont la démocratie et le bon fonctionnement de l'Etat quand une décision d'une telle importance, qui a profondément bouleversé la vie de plusieurs départements français, est le fait d'une petite technostructure qui ne rend de comptes à personne ? 3.- Les conséquences désastreuses de cette politique Ainsi, les responsables administratifs de l'environnement ont choisi le secret face au retour annoncé du prédateur. Ce refus d'associer les élus et les éleveurs à un évènement qui allait les affecter profondément explique en grande partie les difficultés rencontrées sur ce dossier par la suite. D'abord, la soudaineté de la nouvelle, qui a empêché les éleveurs de disposer de tous les éléments annonçant le retour du loup, a nourri les suspicions et les doutes sur le caractère naturel de cette réapparition. Du jour au lendemain, on leur a dit : « Le loup est là, il faut vous adapter » ! Il n'est pas étonnant que la majorité des éleveurs ait cru à un complot écologiste les mettant devant le fait accompli. Ce refus de transparence a installé une méfiance durable et profonde, toujours présente aujourd'hui. M. Denis Grandjean, directeur du parc à l'époque, regrette aujourd'hui cette politique : « Je pense que l'on aurait sans doute pu le gérer beaucoup mieux avec la classe politique des Alpes-Maritimes et des Alpes-de-Haute-Provence au sein de laquelle j'avais beaucoup d'amis. Mais c'est un peu l'idée d'un parc sacré et porté par des équipes qui, dans le Mercantour, en tout cas, étaient peu inervés dans le tissu local. Je pense que c'est une erreur. » Ensuite, le caractère tardif de cette annonce ainsi que l'absence de préparation des éleveurs et d'équipement en moyens de protection a fait que les premiers dégâts dus à la prédation du loup furent très importants, créant un traumatisme profond et durable chez les éleveurs et renforçant encore leur radicale opposition à cet animal. Cette même erreur se répètera dans tous les départements : on attend les premières prédations pour s'équiper des mesures de protection, lesquelles mettent, bien sur, un certain temps à être efficaces. Ainsi, dans le parc national de la Vanoise en Savoie, les élus membres du conseil d'administration seront-ils prévenus au dernier moment de la présence du loup. Enfin, cette politique du secret s'apparente à un déni de démocratie : on a refusé d'associer les populations à la gestion d'un évènement qui allait profondément modifier leurs pratiques, pire on les en a exclues.Il est évident qu'à l'opposé, il aurait fallu, pour que les enjeux liés à la protection du patrimoine naturel soient compris et acceptés par la population, surtout s'agissant d'un phénomène comme le retour du loup, que celle-ci fut actrice de cette gestion et non spectatrice. 4.- La nécessaire réforme des parcs nationaux A cet égard, le traitement différent de ce dossier par les parcs régionaux et les parcs nationaux est tout à fait révélateur : alors que les parcs régionaux du Queyras et du Vercors ont réussi à impliquer tant les élus que les autres acteurs locaux à la gestion des problèmes posés par le loup, le parc national du Mercantour a préféré garder le secret le plus longtemps possible et a retardé la diffusion de l'information auprès des élus et de la profession agricole. Certes, les parcs nationaux ont des contraintes et des missions que n'ont pas les parcs régionaux et un alignement des premiers sur les seconds serait impossible. Néanmoins, votre rapporteur souhaite que l'on aille le plus loin possible dans la décentralisation de la gestion des parcs, sans, bien sur, qu'il soit porté atteinte aux missions originales des parcs nationaux. Le rôle des conseils d'administration, où sont présents les élus locaux, doit, en particulier, être réévalué. Votre rapporteur espère que les conclusions de la mission confiée à notre collègue Jean-Pierre Giran iront dans ce sens. Elles susciteront alors de notre part un soutien sans réserve. B.- LE RÔLE CAPITAL ET AMBIGU DES ASSOCIATIONS DE PROTECTION DE LA NATURE La gestion de la réapparition du loup par le parc national du Mercantour et par la direction de la nature et des paysages est donc clairement en cause. Ces institutions semblent avoir été beaucoup influencées par les positions des associations de protection de l'environnement qui, comme nous l'avons vu, faisaient, déjà à cette époque, du loup un symbole de leur combat. Au cours de ses investigations, la commission a été frappée par le nombre d'associations de défense du loup, signe de la popularité du prédateur au sein de la population, ou plutôt de la popularité de l'image qu'en donnent les médias, image travestie et bien éloignée de la réalité de l'animal. Ces associations sont sans doute plus nombreuses que le loup ne l'est lui-même sur notre territoire ! Votre rapporteur a donc souhaité se pencher sur le fonctionnement de ces associations. De par la globalité des enjeux qui motivent les associations de protection de la nature, il est logique que la plupart d'entre elles appartiennent à des réseaux internationaux. Dans la plupart des domaines écologiques, on constate l'existence de réseaux d'experts et de spécialistes qui se rencontrent régulièrement. C'est également vrai pour la connaissance des prédateurs, tels que le loup, le lynx ou l'ours. Ainsi, les lâchers officiels et clandestins de lynx réalisés dans les années 70 en Suisse ont marqué le début des tentatives de restauration de cette espèce en Europe. D'autres campagnes de réintroduction, d'ampleur inégale, ont suivi peu après en Slovénie, en Autriche, en Bohème et Bavière ou en Italie. Dans le même temps s'organisait au niveau européen un collège informel de spécialistes et de naturalistes convaincus de la nécessité de réintroduire le lynx. Réunies dans une structure nommée « Groupe Lynx », ces personnes ont développé une intense activité de communication et d'échanges autour du thème de la réintroduction du lynx en Europe. L'activité du groupe Lynx a sans doute largement contribué à ce que la France initie, à partir de 1980, le dernier des programmes de réintroduction de cet animal. L'équivalent existe pour le loup. Un réseau loup a été organisé en Europe et à travers le monde regroupant les spécialistes de l'animal et les associations qui se sont donné comme objectif la protection de ce prédateur. Ces associations, on l'a dit, sont particulièrement nombreuses tant le loup est une cause très populaire au sein des milieux écologistes. On notera d'ailleurs qu'il y a souvent une certaine confusion entre le statut de militants et celui de scientifique. Il ne s'agit bien sur pas de remettre en cause la rigueur scientifique de ces chercheurs mais on ne peut nier que certains sont totalement fascinés par leur objet d'étude et qu'il leur est sans doute parfois difficile de séparer jugement scientifique et jugement militant. 2.- Un vrai pouvoir d'influence : l'insuffisante étanchéité entre l'administration et les associations de protection de la nature Il n'est bien sur nullement question de remettre en cause l'existence de ces associations qui sont, pour la plupart, composées de militants sincères croyant profondément en leur cause. Même si l'on ne partage pas leurs idées, il est de leur droit le plus fondamental de s'associer pour les défendre idées. Mais il est également du devoir de toute administration de rester neutre dans son action et de s'en tenir aux directives du pouvoir politique. Or, on constate malheureusement que l'étanchéité entre le monde associatif et les responsables administratifs est très insuffisante expliquant, en partie, le peu de confiance qu'ont beaucoup d'acteurs de ce dossier dans l'administration du ministère de l'environnement. Au niveau central, Yves Cochet, ministre de l'écologie de juillet 2001 à mai 2002, reconnaît lui-même : « Il fut un temps, mais j'ai essayé d'y mettre bon ordre, où l'on avait tendance à dire « Le ministère de l'environnement, c'est le ministère des associations d'environnement... » Il y avait même une sorte de cogestion, un peu comme il y a eu une cogestion entre le ministère de l'agriculture et un certain syndicat agricole ». Cette « cogestion » est-elle bien terminée ? Pas totalement si l'on en croit Mme Sophie Béranger, directrice de la direction de l'agriculture et de la forêt (DDAF) des Alpes-Maritimes : « Lorsque nous avons mis en place le protocole(...), nous avons prévenu le ministère de l'agriculture et la direction de la nature et des paysages. Dans l'heure qui a suivi, l'ensemble des associations de défense de la nature étaient prévenues. Or, à l'époque, seuls étaient au courant le préfet, M. Gonella, la DNP, la direction de l'agriculture et moi-même. Je ne soupçonne pas la direction de l'agriculture d'avoir des relations avec ces associations. Je considère que les fonctionnaires de l'administration française ont une obligation de réserve et ne peuvent communiquer certaines informations.» On retrouve cette porosité au niveau local. Mme Béranger explique en effet qu'« avec l'actuel directeur du parc de Mercantour, (elle) a des relations de confiance. Toutefois, certains de ses agents ont des liens très forts avec certaines associations, dont France nature environnement. D'ailleurs, le directeur Louis Olivier avait été informé par ses agents, qui eux-mêmes avaient été informés par France Nature Environnement, de la mise en place du protocole. » Et Louis Olivier, directeur actuel du parc national du Mercantour de confirmer : « J'ai la conviction, sans en avoir la preuve, que des agents du parc sont encore engagés dans des associations. Lorsque je suis arrivé, je leur ai demandé de choisir entre continuer à être des agents assermentés de l'Etat ou à assumer des responsabilités dans le monde associatif. J'ai donné comme consigne de mettre en place une barrière étanche dans l'information. J'ai rappelé aux agents leur obligation de réserve, particulièrement au moment où la commission d'enquête parlementaire travaille. (...) Si j'ai la preuve qu'un agent du parc national est impliqué dans la transmission de faits mensongers aux journalistes de « Terre Sauvage », je ne manquerai pas de prendre mes responsabilités. » Votre rapporteur se félicite de cette détermination et espère qu'elle est partagée par toutes les structures administratives du ministère de l' écologie et du développement durable. Outre cette anormale promiscuité avec l'administration, les mouvements écologistes utilisent parfois des méthodes très discutables du point de vue de la démocratie. Comme toute minorité, la mouvance écologique estime être en avance par rapport à la majorité de la population, au point que certains dénient aux autres citoyens le statut de protecteur de la nature : introduisant le célèbre colloque de Saint Jean du Gard consacré aux « réintroductions et renforcements de populations animales en France », M. François Letourneux, alors directeur de la Direction de la protection de la nature, explique que les vrais protecteurs de la nature ne sont pas « les 99,5 % des français qui aiment la nature, mais les quelques 10 ou 15 % des français qui y comprennent quelque chose (11) », c'est-à-dire, bien sur, les écologistes. Une telle affirmation méconnaît gravement la connaissance de la nature dont est riche le monde rural : seul le savoir scientifique et naturaliste compterait ! Une telle conception, pseudo-élitiste, de l'écologie laisse la porte ouverte à beaucoup d'abus. Ainsi, certain préféreront refuser des solutions raisonnables à tel problème écologique et pratiquer la politique du pire plutôt que de transiger et prendre en compte le point de vue des opposants. Dans le dossier de l'ours des Pyrénées, au début des années 90, le rôle de certaines associations a, semble-t il, davantage consisté à jeter de l'huile sur le feu qu'à essayer de trouver des solutions. A tel point que certains ont pu douter de leur réelle motivation à l'égard de la sauvegarde de l'ours (12)... De même, lors de la seule tentative d'application du protocole de prélèvement d'un loup décidée par le préfet des Alpes-Maritimes, les associations, très rapidement informées comme on l'a vu, se sont rendues sur place pour faire fuir l'animal et empêcher l'application du dispositif. 4.- Une utilisation abusive du contentieux Une des armes préférées des associations écologistes est l'arme juridique grâce à laquelle elles peuvent remettre en cause devant le juge administratif tel ou tel arrêté ou décision préfectorale ne leur plaisant pas. M. Bernard FOUCAULT, ancien responsable auprès des DDAF des Alpes de Haute-Provence et des Alpes-Maritimes a très clairement présenté ce type d'agissement à la commission : « Ces sphères d'influence utilisent volontiers le contentieux administratif en déposant des recours qui sont construits par des juristes de très haut niveau, dont on ne voit jamais le visage. Derrière, se greffent le ROC, l'ASPAS, etc. et tout se passe en procédure écrite. On aboutit ainsi à des décisions du juge administratif totalement déconnectées de la réalité. On se demande comment c'est possible de se retrouver si loin des faits. Il y a un écart qui s'est creusé de par ce type de fonctionnement entre le factuel que constate un maire, un préfet, un acteur de l'exécutif d'Etat ou des collectivités locales, et la décision du juge. (...) Un autre contentieux célèbre que vous avez eu à connaître est celui de la chasse aux oiseaux d'eau. Ce sont des rapports qui sont faits une fois pour toute et que les associations envoient de manière tournante à toutes les juridictions administratives. Ils vont attaquer une fois le Var, le Finistère ; l'année suivante, ils vont changer de département. Il y a tout un aspect tactique derrière, mais c'est le même rapport. Ensuite, ils vont faire monter derrière un certain nombre d'autres associations d'intérêt local». L'ancien président de la FNE, M. Lionel BRARD, s'est même permis de mettre en garde la commission avec des propos très durs mais également très clairs plaçant le débat au niveau de l'OMC et de la PAC : « Si on veut que demain les boîtes vertes de l'OMC, qui seront les seuls justificatifs des aides agricoles, soient accordées aux filières françaises, il ne faut pas que celles-ci s'engagent dans un processus d'éradication car elles nous trouveront sur leur chemin au niveau international. Notre mouvement a pendant 20 ans fait son travail sur les périodes de chasse et nous avons gagné. Si dans le dossier du loup, on nous mettait dans une situation où nous n'aurions pas d'autre choix que de combattre, nous le ferions et nous obtiendrons le même succès qu'avec les périodes de chasse. Si les détracteurs du loup se positionnent délibérément sur le secteur économique, notre discours ne sera pas uniquement juridique, il sera aussi économique là où on sera prêt à nous entendre sur le problème du subventionnement des exploitations agricoles. Nous serions disposés à passer des alliances avec des partenaires du groupe de Cairns sur les filières ovines. ». Et M. Brard d'expliquer ensuite qu'il est bien sur très opposé au modèle de société proposé par l'OMC mais, qu'après tout, la fin justifie les moyens. On voit à quelles alliances contre-nature une conception extrémiste de ses convictions peut mener. Nous laisserons chacun juge de ces propos mais la commission a été, dans son ensemble, choquée par ces paroles. Elles prouvent bien la technique de certains : faute de pouvoir convaincre de la justesse de leur cause, certains écologistes préfèrent passer au-dessus et imposer aux populations locales des diktats qui n'ont quasiment aucune chance d'être acceptés. C'est au contraire par une appropriation locale de ce patrimoine naturel que la nature a le plus de chances d'être préservée. C'est ce qui est tenté avec un succès certain dans les Pyrénées-Atlantiques, via l'Institution Patrimoniale du Haut-Béarn. C'est précisément ce qui n'a pas été fait lors de la réintroduction des ours dans les Pyrénées centrales. C.- UN AUTRE EXEMPLE DE MAUVAISE GESTION DES PRÉDATEURS : LA RÉINTRODUCTION DES OURS DANS LES PYRÉNÉES CENTRALES Conformément à son objet, la commission d'enquête s'est intéressée à la situation de l'ours dans les Pyrénées et s'est déplacée dans l'Ariège et dans les Pyrénées-Atlantiques afin d'entendre les principaux acteurs de ce dossier. Même si la problématique « Ours » est différente de celle du loup ou du lynx, du fait de l'éthologie particulière de cet animal et des spécificités locales, la commission a retrouvé nombre de discours, d'argumentations, de difficultés, qu'elle avait déjà rencontrés lors de ses déplacements dans les Alpes. L'ours brun des Pyrénées est le dernier grand prédateur autochtone existant sur le territoire français. Autrefois présent sur l'ensemble du massif pyrénéen, il a petit à petit disparu des Pyrénées centrales et orientales (Hautes-Pyrénées, Haute-Garonne, Ariège, Aude et Pyrénées Orientales). La seule population survivante est située dans les Pyrénées-Atlantiques, et plus précisément dans le Béarn. A la suite de l'intense lobbying de certaines associations écologistes et de l'accord de quatre communes de Haute-Garonne, des ours slovènes sont réintroduits en 1996 et 1997, sans que la procédure prévue par la convention de Berne pour les réintroductions ne soit respectée. Ces ours se sont implantés sur des territoires où les éleveurs n'étaient absolument pas préparés à la présence d'un prédateur tel que l'ours, de sorte que celui-ci a provoqué d'importants dégâts à un secteur déjà économiquement et socialement très fragilisé. Ainsi, faut-il bien distinguer aujourd'hui entre la population de souche présente dans le Béarn qui comprend officiellement entre 5 et 7 individus et la population issue de la réintroduction d'ours slovènes. La première est gérée localement par une institution originale qui a été mise en place au début des années 90 et dont le fonctionnement est très instructif de ce que peut être un mode de gestion efficace du patrimoine naturel. Il s'agit de l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn (IPHB). 1.- Le non respect du protocole de réintroduction prévu par la convention de Berne Dans le cadre de la charte signée en 1993 entre le ministère de l'environnement et l'Association de développement économique et touristique (ADET) regroupant quatre communes de la vallée de la Garonne (Melles, Fos, Boutx, Arlos), le lâcher de 3 ours slovènes adultes (2 femelles et un mâle) est effectué à partir de 1996. Comme cela était prévisible, ces ours et leur descendance ont rapidement délaissé le territoire des quatre communes concernées pour divaguer en Espagne et dans l'ensemble des Pyrénées centrales (Hautes-Pyrénées, Ariège, sud de l'Aude et partie ouest des Pyrénées Orientales), vaste zone d'élevage extensif de troupeaux ovins-viande et bovins-lait. Cette réintroduction s'est faite au mépris des termes mêmes de la convention de Berne qui prévoit en son article 11-2A « l'obligation de consulter les populations concernées en procédant à une étude d'impact en cas d'introduction de nouvelles espèces animales ». Or, en dehors de l'ADET et l'association Artus, à l'origine du projet, les consultations ont été très réduites et n'ont, en tout cas concerné que la Haute-Garonne, alors même qu'il était très probable que les ours relâchés ne se cantonneraient pas aux territoires des communes ayant accepté la présence du prédateur. Mme Anne Chêne, qui était en poste à l'Office national des forêts en Haute-Garonne au moment des réintroductions, estime que « l'exécution de la mise en œuvre de l'introduction de l'ours a peut-être été un peu rapide dans sa partie préparatoire, notamment celle de concertation avec les différents départements. Je ne suis pas sûre qu'il y ait eu suffisamment de possibilités de s'exprimer des différents côtés ni forcément connaissance de tous les problèmes qui allaient se poser pour les éleveurs en fonction du type d'élevage pratiqué. Il y a eu une concertation, mais assez restreinte en Haute-Garonne et la précipitation - encore une fois, je ne porte aucune critique - s'est faite en raison de cette opportunité venue d'un accord qui n'était pas facile à obtenir On peut constater que c'est cette opportunité qui a enclenché la réintroduction et qu'un travail préparatoire plus avancé de concertation et de discussion montrant que des difficultés pourraient apparaître mais que des moyens financiers seraient mis en face et permettant de réfléchir à la filière dans son ensemble - car c'est un soutien à la filière, au monde pastoral qui est important - aurait pu être plus prudent et plus sage. » Aujourd'hui toute opération importante touchant à l'environnement et à l'urbanisme est précédée d'une étude d'impact. L'absence d'étude d'impact entraîne l'irrégularité de la procédure. Il parait aberrant et tout à fait irrégulier que, pour une opération aussi lourde de conséquences sur l'environnement, aucune étude d'impact sérieuse n'ait été effectuée. Il semble que le ministère de l'environnement se soit quelque peu précipité sur l'occasion que lui ouvrait l'offre de l'ADET et d'Artus, sans qu'une réflexion ne soit menée sur les conséquences prévisibles d'un tel lâcher, en particulier vis-à-vis des conditions d'exercice du pastoralisme. Ainsi, à la question de savoir si elle relâcherait aujourd'hui des ours en Pyrénées centrales, Mme Lepage, ministre de l'environnement en 1996 répond très clairement à la commission : « Non, je pense que je ne le referais pas, sauf à encourager ceux qui, localement, auraient envie de le faire. Je pense que cela doit être géré au niveau de la région et du département et non pas imposé par l'Etat. » Cette mesure imposée par l'Etat a profondément bouleversé les pratiques pastorales des éleveurs qui ont été les premières victimes du retour de ce prédateur. Un front du refus s'est constitué face à ce déni de démocratie qui avait permis à quatre communes d'imposer à l'ensemble du massif pyrénéen la présence non désirée, et pas même discutée, d'ours réintroduits. Votre Rapporteur tient d'ailleurs à rendre hommage au travail effectué par le « groupe prédateurs » au sein du Conseil national de la Montagne, travail qui a beaucoup contribué aux lignes qui vont suivre. 2.- Une cohabitation très difficile Mme Marie-Lyse Broueilh, présidente de l'ADDIP (Association pour la développement durable de l'identité pyrénéenne) explique très bien la façon dont les acteurs locaux ont ressenti cette réintroduction : « Il est important de voir comment, dans cette problématique de l'ours slovène, notre existence a été niée. Nous sommes des acteurs de ces vallées depuis des générations, nous y travaillons, nous y vivons. Nous nous impliquons dans cet espace montagnard à différents titres. Nous avons donc des choses à raconter, à dire et à faire et nous avons, bien évidemment, une vision du développement de nos vallées. Cette première constatation - voir à quel point notre parole était bafouée, était mise à l'écart - nous a inspiré une grande révolte. » Comme pour les autres prédateurs, les principales victimes de la présence du prédateur sont toujours les éleveurs. L'exemple des prédations de l'été 1999 dans la Haute-Ariège est particulièrement éloquent : sur les seules quatre communes d'Ascou, Orlu, Orgeix et Mérens-les-Vals, les dégâts ont concernés 201 brebis et agneaux, 2 poulains et plusieurs ruches. Au-delà de ces chiffres, il faut ajouter la peine des hommes et des femmes qui effectuent un travail extrêmement pénible et qui ont vu leurs conditions de travail encore aggravées par la présence des ours. Les bergers, au détriment de leur sécurité et de leur santé, ont dû souvent coucher près de leurs troupeaux, loin du refuge, souvent sans succès, car ils n'ont pas évité la prédation. Il faut comprendre leur désarroi, leur découragement, leur révolte, quand ils retrouvent leurs brebis dévorées, parfois mutilées et agonisantes. Comme l'explique M. Philippe Quainon, directeur de la DDAF d'Ariège, « Par rapport aux pratiques d'élevage, on ne peut pas se cacher le fait que l'ours est un élément nouveau et perturbateur qui amène la nécessité d'évolutions de pratiques, qui ne sont pas acceptées de façon spontanée, voire réalisables dans leur mise en œuvre en fonction des personnes concernées. Au-delà des positions personnelles sur la présence de l'ours, il y a aussi en terme d'élevage, des considérations topographiques et, au bout du compte, des conditions économiques qui font qu'à dispositif égal, les interventions peuvent avoir une chance d'efficacité ou pas. » L'Etat a, certes, mis en place un dispositif d'accompagnement afin de limiter les prédations (aides-bergers, chiens patous...) ainsi qu'un système d'indemnisation dont M. Quainon expose clairement les limites : « Quant à l'indemnisation, il est vrai que réapparaît régulièrement la question de la prise en compte les effets des dégâts non constatés occasionnés par les ours, c'est-à-dire les animaux disparus et consommés dont on ne retrouve pas les carcasses, mais aussi les effets indirects de la présence de l'ours, c'est-à-dire excitation et agitation des animaux entraînant la perte physique d'animaux effrayés par l'ours par accident, constat de mortalité ou pas. » On constate donc que des difficultés importantes sont liées à la réapparition des ours sur des territoires qui n'y étaient pas du tout préparés. Or, la charte signée en 1993 entre l'ADET et l'Etat reconnaît en son article 4 le droit à chaque commune adhérente de demander le retrait des animaux lâchés, par simple délibération du conseil municipal. Article 4 : « Dans le cas où l'expérience de réintroduction des ours, visés par la présente charte mettrait en péril des biens, des personnes ou aurait des répercussions sur le bon équilibre des autres espèces sauvages, les communes pourront y mettre un terme immédiatement en demandant à l'Etat de procéder à la capture, et cela par simple décision exprimée par délibération des conseils municipaux. » Votre rapporteur estime indispensable qu'un droit identique soit expressément reconnu à toutes les communes sur le territoire desquelles l'ours est effectivement présent, au-delà de celles sur le territoire desquelles a été faite la réintroduction. Cela leur donnera la possibilité de réagir face à un ours dont le comportement de prédation serait anormal et excessif. Le bilan de cette réintroduction est donc globalement très négatif. Certes, biologiquement, les ours slovènes se sont plutôt bien acclimatés à leur nouvel environnement, puisque des reproductions ont eu lieu. Mais, politiquement et sociologiquement, l'échec est patent : les populations locales concernées par la présence de l'ours y sont farouchement opposées. La méthode a été désastreuse : on a imposé, en prenant pour prétexte l'accord de quatre communes, la présence de prédateurs à des territoires et à des populations qui n'y étaient pas du tout préparés, créant ainsi un très compréhensible sentiment d'injustice et de rejet. En outre, cette réintroduction a compliqué la gestion de la population d'ours autochtones, telle qu'elle avait été organisée dans le Béarn. D.- UNE RÉUSSITE ET UN EXEMPLE À SUIVRE : LA GESTION DES OURS DU BÉARN PAR L'INSTITUTION PATRIMONIALE DU HAUT-BÉARN Le Béarn est la seule partie de la chaîne des Pyrénées où subsiste une petite population d'ours autochtones. Ces ours ont été, au début des années 1990, à l'origine d'une très grave crise dont le règlement a abouti à la mise en place d'un outil original de gestion du patrimoine naturel par les populations locales. 1.- Une situation extrêmement conflictuelle au début des années 90 Après la mise en place du parc national des Pyrénées en 1967 et du « plan Ours » en 1984 et face à la baisse continue de la population d'ours bruns des Pyrénées, le ministre de l'écologie, M. Brice Lalonde, prend en 1990 un arrêté délimitant des réserves à ours, alors même que les acteurs locaux s'apprêtaient à proposer un plan de sauvegarde de l'ours. Ces « réserves Lalonde » vont déclencher une véritable guerre civile dans le Haut-Béarn. Encore une fois, et ce alors même que les populations locales prenaient conscience de la nécessité de sauvegarder et de préserver cette richesse patrimoniale que constitue l'ours, on imposait, de Paris, des contraintes aux populations et aux territoires, selon des critères pseudo-scientifiques. Or, il faut avoir à l'esprit le chemin parcouru par ces populations locales pour accepter l'importance de ce prédateur qu'elles avaient combattu une partie de leur vie. M. René Rose, doyen des élus de ces vallées, maire de Borce et président de la communauté de communes de la Vallée d'Aspe, souligne à quel point «... il est important de faire confiance aux hommes de nos vallées, de ces hameaux, même si certains se montrent récalcitrants. Il leur est extrêmement difficile de changer de mentalité aussi vite alors que l'ours était déjà l'ennemi quand ils étaient encore au berceau ! Et on voudrait qu'ils le protégent ! Imaginez la démarche que ce chasseur ou ce berger doit faire. » La réponse a été à la hauteur du mépris affiché de la part des autorités parisiennes. Comme l'explique M. Michel Maumus, conseiller général de Lasseube et président de la commission environnement du conseil général des Pyrénées Atlantiques, ces réserves « ont provoqué une guerre armée avec des gardes à vues, des emprisonnements, des menaces physiques sur les personnes ; autrement dit un climat délétère ». Pour sortir de cette crise, le nouveau ministre de l'environnement, Michel Barnier , décide d'abroger les réserves Lalonde, contre l'avis de son administration, et prend le parti de faire confiance aux Béarnais en leur confiant la tâche de rédiger une charte de développement durable des vallées béarnaises et de protection de l'ours. Cette charte est très officiellement signée par le ministre le 31 janvier 1994, lançant ainsi une tentative originale et innovante de gestion du patrimoine naturel. Encore aujourd'hui, Michel Barnier, à présent commissaire européen est particulièrement heureux de la sortie de crise qu'il a trouvée avec les populations locales : « Je reste fier, personnellement, du temps que j'ai passé, de mon engagement personnel dans le dossier du Haut-Béarn et de la création de l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn qui me paraît une démarche exemplaire du point de vue de la gestion de plusieurs problèmes ayant abouti à une confrontation générale et à une absence totale de crédibilité de l'Etat. Nous avons de nouveau fait confiance aux gens de ce pays. Dès lors, ils ont accepté d'écouter à nouveau l'Etat qui avait à l'époque des obligations au titre de la convention de Berne et peut-être aussi une politique à mener en faveur de ces grandes espèces en voie de disparition comme l'ours. Nous avons, me semble-t-il, par la confiance mutuelle et par la confiance faite par l'Etat aux acteurs locaux créé une situation nouvelle. Je reste persuadé qu'il s'agit d'une bonne démarche, si l'on veut bien créer ce climat de confiance. » 2.- Un mode de gestion original et performant Alors que l'Etat décidait seul de ce qui pouvait se faire, ou pas, sur ce territoire dans le domaine pastoral, forestier, etc., la charte de développement durable des vallées béarnaise et de protection de l'ours confie désormais le pouvoir de décision à un syndicat mixte. Celui-ci est composé des vingt communes qui ont accepté de signer cette charte, du conseil général et du conseil régional d'Aquitaine. Mais le syndicat mixte ne peut décider qu'à condition d'avoir recueilli l'avis formel d'une grande assemblée appelée « le conseil de gestion patrimoniale ». Il ne s'agit pas d'une assemblée de consultation, mais bien d'une assemblée de concertation, de réflexion et de proposition. Elle est constituée de trois collèges : celui des élus où les 28 membres du syndicat mixte en ont désigné 11 pour les représenter et celui des personnalités qualifiées où l'on retrouve les administrations et établissements publics de l'Etat, autour du sous-préfet d'Oloron Sainte-Marie, les représentants du parc national, du conseil général, du conseil régional, des scientifiques ainsi que le centre ovin. Le plus important est le collège des valléens. Comme l'explique Didier Hervé, directeur de l'IPHB : « nous y donnons la parole à ceux qui ne l'avaient pas ou plus, c'est-à-dire des bergers, des chasseurs, des associations de protection de la nature, des exploitants forestiers, des représentants des chambres consulaires. C'est ainsi qu'a initialement été constituée la charte. » Depuis la mise en place de ce système, en 1994, l'arrivée volontaire de nouveaux acteurs a été enregistrée : d'abord quatre communes, puis l'office du tourisme de la Vallée d'Aspe qui a estimé devoir participer à cette gestion transversale relevant de son rôle d'explication du territoire aux touristes, l'association départementale des accompagnateurs en montage et, plus récemment, les sociétés de pêche, les transhumants gros bétail et le lycée agricole. Il s'agit donc d'un ensemble de très large concertation. L'organisation peut sembler un peu compliquée, mais on notera que 167 délibérations ont été prises depuis huit ans, pas une seule n'ayant été attaquée devant le tribunal administratif, alors que cela était quasiment la règle auparavant pour tout dossier touchant à l'environnement. Ainsi, les conditions de travail des bergers ont gagné en qualité : ouverture de nouvelles pistes, rénovation de cabanes, mise aux normes européennes des estives... Preuve du dynamisme de l'activité pastorale, 25 % des bergers ont moins de 35 ans et 10 % sont des bergères. Enfin, l'exploitation s'est améliorée, tout en tenant compte des spécificités de l'environnement, et 10.000 hectares de réserves de chasse volontaire ont été mis en place. Par ailleurs, plusieurs actions ont été menées en faveur de l'ours : plantation d'arbres fruitiers, complément de nourriture naturelle fournie avant l'hiver, réglementation de l'accès aux estives, mise en place de systèmes de protection des troupeaux pour limiter, si ce n'est éviter, les conflits avec les bergers. Le résultat est positif : la baisse de la population oursine a été enrayée et trois naissances ont été enregistrées ces dernières années (1995-1998-2000). L'IPHB a même proposé au ministère de l'environnement, en 1997, un plan de renforcement de la population d'ours par deux femelles. Ce plan n'a malheureusement pas abouti essentiellement du fait, du moins est-ce la conviction de votre rapporteur, de la mauvaise volonté du ministère. Celui-ci a en effet refusé qu'il soit procédé à la capture préventive d'un ours (qui aurait été ensuite relâché), afin de prouver aux éleveurs que l'Etat serait capable, techniquement, de capturer un animal dont le comportement de prédation serait considéré comme anormal. Il a contesté l'ensemble du programme d'accompagnement de l'opération qui avait été construit par les acteurs du territoire réunis dans l'IPHB. Il a ensuite subordonné son acceptation du plan à la mise en place du réseau Natura 2000, alors qu'il savait pertinemment qu'une telle condition ne serait jamais acceptée dans les Pyrénées-Atlantiques, département très opposé à Natura 2000. Ici encore, une position « jusqu'au boutiste » a prévalu, cela au détriment de l'ours lui-même. Dans le même temps, l'Etat cautionnait des lâchers d'ours dans les conditions que l'on a déjà décrites ! C'est peu dire que la confiance qui s'était créée lors de la signature de la charte fut totalement brisée, en particulier chez les éleveurs qui avaient le sentiment d'avoir fait un pas important en acceptant le projet de renforcement. Par la suite, cette déception s'est encore accentuée, lorsque l'IPHB a vu ses outils de gestion grignotés par l'Etat et ses crédits diminués. A tel point que certains ont pu se demander si la réussite de cette expérimentation, hors normes en terme de gestion du territoire, ne constituait pas un exemple à étouffer pour éviter le risque de voir d'autres massifs tenter de gérer leurs problèmes de grande faune de la même façon. Cette crise de confiance a conduit à l'impossibilité de construire le second contrat de programme pluriannuel de la charte, les services et établissements publics de l'Etat bloquant l'élaboration des nouveaux contrats. Aujourd'hui, grâce à une attitude plus ouverte du ministère de l'écologie, la situation semble s'apaiser et la visite de madame la ministre en début d'année y a beaucoup contribué. Votre rapporteur souhaite ardemment que cette réconciliation se poursuive, afin qu'un nouveau contrat puisse être rapidement signé. Une précision pour conclure : il ne s'agit pas de dire que le modèle de l'IPHB est parfait et qu'il faut l'exporter partout où de tels problèmes apparaissent. Lors de son déplacement sur place, la commission a pu constater le caractère encore très passionnel du dossier et les oppositions très profondes et vives qui subsistent entre les différents acteurs du territoire. Mais au moins existe-t-il un lieu où ces oppositions, ces divergences et ces contestations peuvent s'exprimer, un lieu qui dispose de véritables pouvoirs et où l'obligation de parvenir in fine à une décision responsabilise très clairement les acteurs. Ainsi, c'est bien plus la méthode et l'inspiration théorique qui doivent être retenues dans l'exemple du Haut-Béarn. Comme l'explique Henri Ollagnon, professeur à l'Institut national agronomique de Paris-Grignon (INA-PG), et l'un des inspirateurs de la charte de 1994 : « il ne peut pas y avoir de présence durable d'ours dans les Pyrénées, si la qualité de sa population et de son habitat n'est pas prise en charge par l'ensemble de la société, laquelle prise en charge traverse les propriétés publiques et privées ce qui fait surgir une exigence qui est essentielle : la qualité doit devenir un patrimoine commun local d'intérêt général. » 3.- La situation de l'ours dans les Pyrénées aujourd'hui A la suite des naissances constatées sur le versant espagnol (2 naissances en 2000 et de nouveau 2 en 2002), la population oursine se compose officiellement aujourd'hui de 14 à 15 individus. On peut considérer que la population d'ours sur le massif est répartie en trois noyaux. Le noyau occidental est composé des derniers ours autochtones (selon les sources officielles 4-5 individus, dont une seule femelle identifiée), auxquels s'ajoute, depuis le printemps 2001, un ours issu de la réintroduction. Les noyaux central et oriental sont composés uniquement d'ours issus de la réintroduction (9 individus, dont 2 femelles adultes connues, deux sub-adultes et deux oursons). Restent certaines incertitudes : les analyses génétiques relatives aux dernières naissances n'ont pas été effectuées et il n'est pas possible de connaître le sexe de ces oursons. C'est là une donnée essentielle, particulièrement dans le Béarn, où l'éventualité d'une femelle supplémentaire permettrait d'ouvrir des perspectives de reproduction, aujourd'hui quelque peu assombries par l'âge attribué à la seule femelle officiellement présente. La mise en place d'un laboratoire spécialisé de génétique devrait permettre de pallier cette lacune. Pour peu que le principe de transparence absolue de l'information soit parfaitement respecté ce qui n'a malheureusement pas été le cas ces dernières années. A terme, se posera certainement la question d'un éventuel renforcement de nouvelles femelles, ne serait-ce que pour des raisons de variabilité génétique. Le contre-exemple de la réintroduction ratée des Pyrénées centrales a au moins le mérite de nous indiquer a contrario ce qu'il faut faire : consultation et approbation de toutes les populations locales concernées, préparation et soutien aux éleveurs avant la réintroduction, suivi précis des animaux réintroduits. Ces conditions ne sont clairement pas réunies aujourd'hui. Il appartient aux acteurs locaux, soutenus par l'Etat, en tant que de besoin, d'y remédier si tel est le désir des populations. III.- LA SITUATION ACTUELLE DU LOUP ET SON STATUT JURIDIQUE A.- LE LOUP COLONISE PROGRESSIVEMENT L'ENSEMBLE DE L'ARC ALPIN 1.- La situation du loup en Europe A l'origine présents sur l'ensemble du territoire européen, les loups ont progressivement été exterminés de la plupart les pays d'Europe centrale et d'Europe du nord. Une population conséquente de loups vit encore en Finlande, au Portugal, en Espagne, en Italie et en Grèce mais les populations les plus importantes se retrouvent en Europe orientale. Il y aurait aujourd'hui entre 10 000 et 20 000 loups en Europe. L'amplitude des estimations montre d'ailleurs à quel point il est difficile de vérifier la présence effective de ce prédateur. Aujourd'hui, par le biais d'une recolonisation naturelle, de petites populations de loups sont réapparues en Allemagne, en Norvège, en Suède et en Suisse. Ce sont les populations d'Espagne et d'Italie qui connaissent actuellement la plus forte progression (13). En Autriche, les loups ont été exterminés à la fin du XIXème siècle mais des individus semblent être revenus sur le territoire autrichien, en provenance de Slovaquie et de Slovénie. D'après les scientifiques, une recolonisation naturelle de l'espace semble possible. En Grèce, les loups sont présents au centre et au nord de la partie continentale du pays, dans les zones montagneuses et semi-montagneuses. Le loup a disparu de la Grèce du sud dans les années 30 et a perdu près de 30 % de son emprise territoriale sur les 20 dernières années. La population totale est aujourd'hui estimée à environ 700 individus, la majeure partie étant concentrée au nord du pays. Au Portugal, le loup est présent dans presque toute la région, au nord de la rivière Dureo, ainsi que dans certaines zones montagneuses au sud de la rivière. La population se situerait entre 300 et 400 individus. En Italie, la population de loups est estimée entre 600 et 1 000 individus. Elle était de moins d'une centaine au début des années 1970 en grande partie à cause du braconnage. Une stricte politique de protection de l'espèce a alors été mise en place, notamment pour des raisons symboliques et historiques, et, aujourd'hui, le loup est présent, avec des degrés variables de densité, dans les régions (dans le sens nord-sud) du Piémont, de la Ligurie, de la Lombardie, de l'Emilie Romagne, de la Toscane, des Ombres, des Marches, des Abruzzes, du Latium, de la Campanie et jusqu'en Calabre. La plus grande partie de la population de loups se trouve dans l'Italie centrale, dans la région des Abruzzes. C'est en Espagne que l'on trouve la population de loups la plus importante de l'Union européenne. Aujourd'hui, celle-ci est estimée entre 2 500 et 3 000 individus, la plupart se trouvant au nord-ouest du pays. La population, au sud de la rivière Duevo est menacée tandis que la population au nord semble plutôt saine et en bon état de conservation. Vers la fin des années 70, les loups sont passés à un effectif minimum de 300 à 500 individus, à la suite des destructions directes de ces prédateurs et d'une chasse excessive de leurs proies naturelles, les ongulés sauvages. Une loi sur la chasse de 1970 a donné le statut de gibier au loup alors qu'il était considéré comme nuisible auparavant. Une recolonisation a pu ainsi s'opérer. Dix ans après la première estimation, un recensement réalisé à la fin des années 1980 évaluait l'effectif des loups espagnols à 1 500-2 000 individus ; la croissance s'est poursuivie après cette date, notamment dans le quart nord-ouest de la péninsule ibérique. Mais, depuis le milieu des années 90, les tensions qui accompagnent l'augmentation des dégâts au cheptel conduisent à une réduction du nombre de loups dans certaines régions (Asturies, Cantabrie, Castille-Léon, Galice...). On le voit, le loup n'est nullement une espèce en voie de disparition en Europe, et encore moins dans le reste du monde. 2.- L'état actuel de la population de loups en France En France, le loup serait aujourd'hui présent dans huit départements de l'arc alpin, de façon certaine. Rappelons encore qu'il est très difficile de donner un chiffrage précis du nombre de loups actuellement présents sur le territoire français. L'impossibilité d'arriver à un chiffrage exhaustif a été soulignée par nombre des interlocuteurs de la commission. D'abord parce que certaines meutes sont transfrontalières et se partagent entre la France, l'Italie et la Suisse. Ensuite, parce que le loup est un animal très discret qu'il est difficile de repérer et donc de comptabiliser. Secteurs de présence temporaire Concerne les zones sur lesquelles la présence du loup est nouvelle ou discontinue; la présence de l'espèce y est déterminée par analyse génétique. Secteurs de présence permanente Ce sont les secteurs temporaires qui se sont avérés être occupés durant deux hivers consécutifs par des loups, et qui attestent par analyse génétique d'une présence continue de l'espèce. C'est l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) qui est en charge du suivi du loup, ou du moins de l'animation d'un réseau de correspondants à grande échelle qui permet de suivre le loup dans toutes les Alpes. Comme l'explique M. Christophe Duchamp, biologiste à l'ONCFS chargé de coordonner le réseau Loup, « la méthodologie retenue pour le relevé des effectifs de loups est le suivi des pistes dans la neige. C'est la méthode de référence utilisée partout dans le monde, y compris aux Etats-Unis. Le principe consiste à relever la taille des groupes de loups qui se déplacent ensemble. Cela se pratique en hiver parce que c'est la période où la cohésion sociale de la meute est la plus forte. Le printemps et l'automne sont les périodes de dispersion, des jeunes partent, donc, vous n'avez jamais le groupe dans son ensemble, et entre les deux, c'est la période de reproduction. La période hivernale est donc la plus appropriée. Et l'on retient la plus grande taille de groupe observée, soit à partir de traces, soit à partir d'observations visuelles fiables - c'est-à-dire observées et confirmées. » Le réseau Loup comprend 450 personnes formées à cette tâche. Ce sont pour près de 80 % d'entre eux des agents de l'Etat assermentés : agents de l'ONCFS, de l'ONF, des parcs naturels, des agents des DDAF, gendarmes... Les 20 % restant regroupent des bénévoles, souvent membres d'associations écologistes de défense du loup, ce qui n'est pas sans soulever quelques problèmes. Certes, la plupart des relevés d'indices de présence du loup sont effectués par des agents assermentés mais le fait que des particuliers participent à ce réseau peut faire craindre une confusion entre les positions de ces personnes, très impliquées, du fait de leurs convictions, et la nécessaire impartialité de l'Etat. Or cette confusion entre militants écologistes et administration d'Etat est à l'origine, pour une grande part, des difficultés rencontrées sur ce dossier et, à tout le moins, comme a pu le constater la commission, de la méfiance très ancrée de certains contre une administration qui leur apparaît comme de parti pris. Il serait donc souhaitable de clarifier cette situation en réservant aux agents de l'Etat assermentés le soin de récolter les indices de présence. Comme chaque année, les données recueillies entre octobre 2001 et mars 2002 par les agents du réseau Loup ont été analysées. A partir de ces analyses ont pu être déterminés les secteurs de présence permanente, les secteurs de présence temporaire, les estimations du nombre minimum de loups par zone de présence permanente. b) Les secteurs de présence permanente Mercantour (Alpes-Maritimes) Les 4 zones de présence permanente déjà connues (Vésubie/Roya, Vésubie/Tinée, Moyenne-Tinée et Haute-Tinée) ont à nouveau été confirmées durant l'hiver 2001-2002. Ces 4 secteurs regrouperaient une douzaine de loups. Aucun cas de mortalité n'a pu être recensé durant cette période. Sur le versant italien, la présence du loup est toujours attestée sur la Valle Pesio. Ces loups effectuent des incursions régulières sur les communes de Tende et de la Brigue. Par ailleurs, une nouvelle zone de présence permanente a été mise en évidence en Italie dans la province d'Imperia. Les loups présents dans ce secteur pourraient être responsables des dommages enregistrés dans la partie française de la vallée de la Bendola. Enfin la présence permanente du loup est toujours identifiée sur le versant italien dans différents vallons adjacents à la Valle Stura, sans qu'il soit possible de savoir avec certitude si ces individus sont différents de ceux présents sur le versant français (meute de la Moyenne-Tinée). En effet, tout au long de ce secteur très montagneux, plusieurs traces traversant la frontière ont été relevées. Seules des analyses génétiques comparatives entre les données françaises et italiennes permettront de savoir s'il s'agit de meutes distinctes. Monges (Alpes de Haute-Provence) La continuité de présence du loup a été confirmée par les derniers résultats d'analyses génétiques. Au cours de l'hiver 2001-2002, les deux seuls relevés de traces réalisés ne font état que d'un individu. Queyras (Hautes-Alpes) La présence permanente du loup y est toujours mise en évidence, en particulier par les analyses génétiques. Les dernières données de l'hiver 2001/2002 recensent deux observations visuelles fiables et le suivi de deux traces dénombrant respectivement 7 et 8 animaux dans cette meute. Des excursions de loups dans le Val Pellice laissent penser à un débordement de ces individus sur le versant italien. Béal-Traversier (Hautes-Alpes) Les loups présents sur ce massif ont été distingués de ceux présents sur le Queyras en 2000, car des indices ont été retrouvés simultanément dans les deux secteurs. De plus, l'ensemble de ces deux zones couvre 450 km2 ce qui peut correspondre à la surface de deux territoires moyens de loups en Europe (200-250 km2). Les analyses génétiques individuelles devraient permettre de confirmer ou d'infirmer cette appréciation de terrain. Ce dernier hiver, la taille du groupe relevée était, au minimum, de 2 animaux. Clarée (Hautes-Alpes) A la suite de la découverte de quelques indices, dont un excrément identifié «loup» par analyse génétique, ce secteur, qui était en zone temporaire l'hiver dernier, est passé au cours de l'hiver 2001/2002 en zone permanente selon la définition retenue (indices de présence relevés durant deux hivers consécutifs, identifiés «loup» après analyse génétique). Un seul relevé de traces a été réalisé sur ce secteur, ce qui ne permet pas d'apprécier de manière fiable la taille du groupe. L'origine géographique des animaux n'est pas non plus certaine, ce secteur pouvant être en relation avec celui du Val Bardonechia, sur le versant Italien. L'Italie recense par ailleurs deux secteurs de présence dans deux autres vallons : Val Chizone/Suza et Val Troncea. Vercors (Drôme) La zone de présence concerne toujours essentiellement la réserve naturelle des Hauts-Plateaux où de nouvelles analyses génétiques ont confirmé la continuité de la présence de l'espèce. Les relevés de traces de l'hiver 2001/2002 font tous état de 2 animaux, sans qu'aucune reproduction n'ait pu être mise en évidence, ni au travers des observations visuelles, ni par les écoutes de hurlements réalisées par les agents du parc naturel régional du Vercors. Belledonne (Isère/Drôme) La présence du loup est toujours attestée dans ce secteur. Les traces relevées, associées à des écoutes de hurlements, permettent de confirmer la présence d'au moins 2 individus à la fin de l'hiver 2001/2002. Un relevé de traces effectué début avril faisait état de 3 individus mais il n'a pas pu être confirmé. c) Secteurs de présence temporaire Canjuers (Var) Depuis 1997, aucun élément n'a pu attester de la présence du loup sur ce site où le «Réseau loup» n'a été mis en place qu'en 2001. Quelques indices, et surtout 2 excréments identifiés «loup» collectés cet hiver, ont permis de montrer de nouveau la présence de l'espèce dans ce secteur, toujours temporaire (discontinuité de la présence). Ubaye (Alpes de Haute-Provence) Les analyses génétiques réalisées sur des excréments collectés au printemps 2002 dans le massif du Bachelard confirment une présence, au moins temporaire, de l'espèce dans cet espace interstitiel encore vacant, entre la Haute-Tinée (Alpes-Maritimes) et le Queyras (Hautes-Alpes). Les quelques dommages observés sont par contre toujours situés plus à l'est sur les alpages limitrophes de la Haute-Tinée. Cheiron (Alpes-Maritimes) En 2001, aucun indice ne venait étayer une suspicion de présence de l'espèce dans ce secteur. Cependant, une observation visuelle, réalisée en avril 2002 par un particulier dans le jardin de sa villa située en périphérie de la commune de Vence, attestée par une collecte de poils identifiés «loup» par analyses génétiques, a mis en évidence la présence au moins temporaire de l'espèce dans ce nouveau secteur habité. Des loups ont récemment été vus dans ce même secteur, au col de Vence, situé à un peu plus de 1000 mètres d'altitude et seulement à 10 kilomètres de Vence et 6 kilomètres du village de Coursegoule. Autres secteurs Parmi les 3 nouveaux foyers de dommages observés en 2001, seul Canjuers a été confirmé comme nouveau secteur de présence temporaire. Sur les deux autres secteurs (Taillefer en Isère et Hauts Forts en Haute-Savoie), aucun indice probant n'est venu confirmer les éventuelles suspicions de présence de l'espèce. Les résultats négatifs des analyses génétiques conduites dans d'autres secteurs des Alpes où la présence du loup n'a jamais été attestée (Jabron, Dévoluy, Cheiron, Diois, Aravis, Tarentaise) n'apporte pas d'éléments nouveaux. Une trentaine de loups ont donc été officiellement détectés sur le territoire alpin au cours de l'hiver 2001-2002. Toutefois, il s'agit là d'un chiffre minimum. Par ailleurs, au vu des nombreuses rencontres effectuées par la commission lors de ses déplacements et des analyses génétiques étudiées précédemment, il est très probable que les loups soient beaucoup plus nombreux, sans qu'il soit possible, compte tenu des moyens actuels, de détecter avec précision leur localisation en raison de leur extrême discrétion. S'il est une conclusion claire et précise à laquelle est arrivée la commission, à la lumière des nombreuses auditions qu'elle a tenues, notamment sur le terrain, c'est l'absolue nécessité d'une concertation avec l'ensemble des acteurs potentiels du dossier, pas seulement une fois que la présence du loup est avérée, mais surtout avant son arrivée pour préparer, dans le dialogue, les adaptations éventuelles et les mesures à mettre en place. C'est précisément ce que n'a pas fait le parc national du Mercantour au début des années 90 et qui explique bon nombre des difficultés actuelles. Faute d'informations suffisantes et de mesures d'anticipation adaptées, les éleveurs ont été systématiquement pris au dépourvu et ont subi de très lourds dommages lors de l'arrivée du loup sur leurs estives. Le premier contact avec l'animal sauvage s'est fait dans la douleur, expliquant l'attitude d'absolu refus des éleveurs face à cet animal. Aussi est-il indispensable d'anticiper les déplacements du prédateur afin de préparer, quand cela est possible, les adaptations nécessaires aux pratiques pastorales. L'Etat ne peut se contenter d'attendre que les premières attaques aient eu lieu, pour aller trouver l'éleveur ou le berger et lui expliquer qu'il doit très vite appliquer les mesures de protection. Votre Rapporteur propose une plus grande implication des comités de massif dans la réception et la diffusion de l'information. Le comité de massif a, en effet, l'avantage d'être une structure permanente regroupant élus, professionnels (dont des agriculteurs), associations (dont des représentants des milieux de protection de la nature). Il constitue donc une structure adaptée pour disposer d'une vision globale du dossier et assurer l'indispensable effort de transparence. Le préfet coordinateur de massif serait tenu d'effectuer deux communications annuelles devant le comité sur la gestion des grands prédateurs et les conséquences de leur présence. La première communication aurait lieu au mois d'avril avant l'estive : elle permettrait de faire le point sur les espèces, leur population, les moyens de protection prévus pour les troupeaux et les crédits budgétaires disponibles pour y faire face. La deuxième communication interviendrait à l'automne, à l'issue de l'estive, afin de faire un bilan des dégâts constatés, de l'efficacité des mesures de protection et des indemnisations versées ainsi que des délais de versement. Signe du manque de recul sur ce dossier et des problèmes brûlants à régler à court terme, il n'est fait état nulle part d'une réflexion au sein du ministère de l'environnement sur l'extension future probable du loup sur le territoire national. Comme le rappelle M. Laurent Garde, chercheur au CERPAM, « On fait comme si le loup était un animal de haute montagne restant dans les alpages. On en fait une grosse marmotte qui, de temps en temps, mangerait une brebis. ». La réalité est totalement différente : le loup peut vivre dans quasiment n'importe quel environnement et s'adapte très bien aux différentes conditions qu'il est susceptible de rencontrer lors de la colonisation d'un territoire. A travers le monde, on trouve des loups aussi bien en montagne qu'en plaine, dans le désert que sur des territoires gelés toute l'année, dans les espaces boisés que dans les zones urbaines. Il est donc tout à fait certain que le loup ne va pas rester dans les montagnes de l'arc alpin mais qu'il va, au contraire, en descendre et recoloniser petit à petit les plaines et les forêts. Il ne s'agit pas ici de « crier au loup », ni de créer un sentiment de panique mais bien de faire preuve de lucidité. On a déjà constaté que les loups descendaient de plus en plus en zone de moyenne montagne et il n'y a aucune raison qu'ils en restent là. Quel est le territoire potentiel de présence du loup ? Il est difficile à déterminer tant cet animal est opportuniste dans ses territoires de prédilection. Tout juste pouvons nous nous tourner vers le passé comme nous y invite M. Laurent Garde : « M. de Beaufort a établi des cartes sur la présence du loup. En 1800, on peut voir que les zones de plus grande abondance du loup correspondaient à une diagonale de faible densité humaine, de forêts abondantes et de climat humide allant du centre-ouest aux Ardennes et à la Lorraine. Un siècle après, en 1900 donc, les zones de forte présence du loup sont celles où il a le mieux résisté aux tentatives d'éradication. En 2000, on s'aperçoit que les zones d'élevage ovin se concentrent dans les zones historiques de plus grande concentration du loup et dans les zones de montagne où les prédateurs sont revenus, les Alpes et les Pyrénées ». La présence du loup sur d'autres parties du territoire national ne créera pas nécessairement les mêmes difficultés que celles rencontrées dans les Alpes. Tout dépend du type d'élevage pratiqué, des pratiques pastorales, du relief, de la topologie. Par provocation, on pourrait même dire que le loup est revenu précisément là où il est susceptible de créer le plus de problèmes. Dans le Massif central, par exemple, où il n'y a pas d'élevage extensif, le loup ne créerait pas le même type de difficultés ; il permettrait même de réguler la population de sangliers qui est source de nombreux dommages et dépenses. Il n'appartenait pas à la commission de se pencher, territoire par territoire, sur l'impact hypothétique de la présence du loup. Par contre, il lui revient d'affirmer qu'il est indispensable que les autorités de l'Etat, mais aussi les collectivités locales, anticipent cette présence, faute de quoi, il sera encore plus difficile de regagner l'indispensable confiance des éleveurs. Ainsi, lors de son déplacement en Pyrénées-Atlantiques, la commission s'est-elle étonnée du peu de préparation des différentes autorités, tant locales que nationales, face à la très probable arrivée du loup dans les Pyrénées françaises. Comme il l'a été dit plus haut, le loup est désormais très proche de la frontière française et, sauf à ce que les autorités régionales espagnoles continuent de pratiquer une politique déterminée d'élimination du prédateur dès les premiers dégâts, il ne saurait tarder à pénétrer sur le territoire français. B.- LE LOUP EST UNE ESPÈCE PROTÉGÉE PAR DES NORMES JURIDIQUES INTERNATIONALES, EUROPÉENNES ET NATIONALES La France a souscrit de nombreux engagements internationaux et européens qui l'ont amenée à modifier sa législation nationale afin d'assurer une protection importante de la faune sauvage. On rappellera que le droit de l'environnement est un droit d'origine très largement conventionnelle, de par la dimension mondiale des problèmes qu'il entend traiter. Par ailleurs, tout comme le reste de notre droit, le droit de l'environnement est également sous très forte influence européenne. Il ne s'agit pas ici de faire des instances européennes les boucs émissaires des difficultés rencontrées dans les montagnes de notre pays : si l'on peut regretter le caractère excessif de certaines normes européennes, et surtout le manque de concertation qui a prévalu dans leur élaboration -on reviendra sur ce point - il n'en reste pas moins que ces normes ne sont que l'expression de la volonté des Etats-membres et que toutes les directives dont il sera plus loin question ont été approuvées par le gouvernement français et doivent être respectées. Il s'agit même d'une obligation constitutionnelle, l'article 55 de notre Constitution disposant que « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l'autre partie ». Au moment où le Président de la République a placé son nouveau mandat sous le signe du développement durable, il est tout à fait essentiel de prendre conscience du caractère contraint de l'exercice auquel s'est livré la commission dans l'examen de ce dossier. 1.- La protection internationale du loup : la convention de Berne Au niveau international, le loup est intégré dans différentes conventions de conservation des espèces. La CITES (Convention on International Trade in Endangered Species of the Wild Fauna and Flora, c'est-à-dire la convention sur le commerce international des espèces menacées de la faune sauvage et de la flore) du 3 mars 1973 intègre le loup dans son annexe II (Espèces potentiellement menacées) à l'exception du Bhutan, du Pakistan de l'Inde et du Népal où il est cité à l'annexe I « Espèces en voie d'extinction »). Plus importante ici est la convention de Berne relative à la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe du 19 septembre 1979, dont l'approbation a été autorisée par la loi n° 89-1004 du 31 décembre 1989 et dont la mise en œuvre, en France, résulte du décret n° 90-756 du 22 août 1990. Dans son article 6, elle stipule que « Chaque partie contractante prend les mesures législatives et réglementaires appropriées et nécessaires pour assurer la conservation particulière des espèces de faune sauvage énumérées dans l'annexe II (laquelle mentionne expressément l'espèce « lupus canis »). Seront notamment interdits, pour ces espèces : a) toute forme de capture intentionnelle, de détention et de mise à mort intentionnelle ; b) la détérioration ou la destruction intentionnelles des sites de reproduction ou des aires de repos; c) la perturbation intentionnelle de la faune sauvage, notamment durant la période de reproduction, de dépendance et d'hibernation, pour autant que la perturbation ait un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente Convention ; d) la destruction ou le ramassage intentionnels des oeufs dans la nature ou leur détention, mêmes vides; e) la détention et le commerce interne de ces animaux, vivants ou morts, y compris des animaux naturalisés, et de toute partie ou de tout produit, facilement identifiables, obtenus à partir de l'animal, lorsque cette mesure contribue à l'efficacité des dispositions du présent article. » A propos de cet article 6, le Conseil d'Etat a jugé « que si ces stipulations font obligation aux Etats-parties à la convention d'adapter leur législation et leur réglementation à l'objectif qu'elles définissent, elles ne produisent pas pour autant d'effets directs dans l'ordre juridique interne » de sorte que des particuliers ne pourraient utilement se prévaloir de la méconnaissance des stipulations de cette convention devant les juridictions nationales. Cette jurisprudence du Conseil d'Etat est constante. Le statut protecteur accordé au loup par la convention n'est pas absolu puisqu'elle prévoit, en son article 9, des dérogations au régime de protection générale des espèces visées par ses annexes : « A condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas à la survie de la population concernée, chaque Partie contractante peut déroger aux dispositions des articles 4, 5, 6, 7 et à l'interdiction de l'utilisation des moyens visés à l'article 8 : - dans l'intérêt de la protection de la flore et de la faune ; - pour prévenir des dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et aux autres formes de propriété.» Cette marge de souplesse doit pouvoir être exploitée dans le cadre d'une politique globale de gestion du loup, comme cela sera expliqué dans la quatrième partie du présent rapport. Enfin, il convient de rappeler que certains Etats ont, au moment de la ratification du texte, exprimé un certain nombre de réserves : ainsi parmi tous les pays signataires de la convention, la Bulgarie, la République tchèque, la Finlande, la Lituanie, la Pologne, la Slovénie, l'Espagne, et la Turquie ont émis des réserves quant à la protection du loup. La France n'a pas jugé utile de le faire, étant donné l'absence de loups sur son territoire, lors de son approbation en 1990. 2.- La directive «Habitats » et la protection du loup La Communauté européenne a très tôt, bien avant la France, été partie à la convention de Berne (Décision n° 82/72/CEE du Conseil du 3 décembre 1981 concernant la conclusion de la convention de Berne). Elle est aussi garante de son respect : l'Etat membre qui ne la respecterait pas pourrait faire l'objet d'une procédure en manquement engagée par la Commission européenne. La Directive 92/43/CEE concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages, dite directive « Habitats », contribue à la réalisation des objectifs de la convention de Berne, dont elle reprend quasiment mots pour mots certaines de ses dispositions. L'objectif de cette directive est d'assurer le maintien de la diversité biologique ainsi que le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d'intérêt communautaire. Comme l'a expliqué devant la commission M. Nicholas Hanley, chef de l'unité Nature et Biodiversité de la direction générale de l'environnement de la Commission européenne, « La directive Habitats est, dans une grande mesure, la mise en œuvre de la convention de Berne dans le droit communautaire. Il y a donc une forte relation entre les deux. » L'article 12 de la directive impose aux Etats-membres de prendre les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales d'intérêt communautaire, dont le loup qui figure aux annexes II (« espèces animales et végétales d'intérêt communautaire dont la conservation nécessite la désignation de zones spéciales de conservation) et IV (espèces animales et végétales d'intérêt communautaire qui nécessitent une protection stricte) de la directive. Comme pour la convention de Berne, certains Etat-membres ont émis des réserves quant au champ d'application de la directive : ainsi les populations de loups qui ne sont pas concernées par l'article 12 sont celles se trouvant au nord du Duero en Espagne, au nord du 39ème parallèle en Grèce ainsi que les populations de loups en Finlande et en Suède. Ces populations sont néanmoins protégées au titre de l'annexe V qui en interdit l'extermination totale. La France n'a émis aucune réserve de ce type, le loup n'étant pas encore présent sur le territoire, du moins officiellement comme on l'a vu précédemment. De même, sur le modèle de la convention, l'article 16 de la directive « Habitats » prévoit des dérogations à l'obligation de protection du loup dans certaines circonstances bien définies. Les Etats-membres souhaitant exercer des dérogations, qui permettent, par exemple, de limiter la population de loups ou d'en tuer, doivent démontrer que les conditions d'application prévues par l'article sont bien remplies et doivent remettre tous les deux ans un rapport à la Commission sur les dérogations qu'ils ont autorisées. Il convient de noter que, compte tenu du délai d'entrée en vigueur de deux ans de la directive, au moment de sa réapparition officielle dans le parc du Mercantour, le loup n'était pas encore protégé au titre de la directive « habitats ». En revanche, la convention de Berne était, quant à elle, de pleine application depuis août 1990. 3.- La protection du loup en droit interne La protection de l'espèce en droit interne est réalisée par un ensemble de textes, lois, décrets et arrêtés s'articulant de la manière suivante : - L'article L.411-1 du code de l'environnement fixe le cadre de la protection en énumérant des interdictions identiques à celles de la convention de Berne, tandis que l'article L.411-2 fixe les modalités de mise en œuvre et renvoie en particulier à un décret en Conseil d'Etat pour l'établissement d'une liste limitative des espèces non domestiques protégées. - Les articles R.211-1 à R.211-5 du code rural fixent les conditions d'application des articles précités du code de l'environnement. La liste des espèces animales non domestiques est établie par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et, soit du ministre chargé de l'agriculture, soit lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes, après avis du Conseil national de la protection de la nature. - Enfin, l'arrêté du 17 avril 1981 modifié par l'arrêté du 10 octobre 1996 fixe la liste des mammifères protégés sur l'ensemble du territoire : «Sont interdits, sur tout le territoire métropolitain et en tout temps (...), la destruction, la mutilation, la capture ou l'enlèvement, la naturalisation des mammifères d'espèces non domestiques suivantes ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur mise en vente, leur vente ou leur achat : (...) carnivores : canidés : loups (canis lupus) ». Ce texte prévoit également, en son alinéa 2, la possibilité, pour les ministres chargés de la protection de la nature et de l'agriculture, d'autoriser la capture ou la destruction de spécimens de loup, d'ours ou de lynx sous réserves de certaines conditions et « ...pour prévenir des dommages importants aux cultures ou au bétail, ou dans l'intérêt de la sécurité publique, ou pour assurer la conservation de l'espèce elle-même ». Le loup est donc aujourd'hui strictement protégé en droit interne, conformément aux engagements internationaux de la France. Qu'en était-il lors de sa réapparition en novembre 1992 ? Il ne figurait bien sur pas sur la liste de l'arrêté du 17 avril 1981 et il faudra attendre le 22 juillet 1993 pour qu'un arrêté remédiant à cette lacune entre en vigueur. Ainsi jusqu'à cette date, le loup n'était pas protégé en droit interne et, compte tenu de l'absence d'effets directs pour les particuliers de la convention de Berne et de la non entrée en vigueur de la directive Habitats, l'Etat n'aurait eu aucun recours juridique contre l'élimination d'un loup par un particulier. Ceci explique très certainement le secret gardé autour de la réapparition du loup jusqu'à la publication de l'arrêté. Par contre l'Etat aurait pu voir sa responsabilité engagée par une telle élimination devant le secrétariat permanent, pour non respect des engagements pris en signant la convention de Berne. Trois ans après son entrée en vigueur, à la demande de la chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes, cet arrêté du 22 juillet 1993 sera annulé par le Conseil d'Etat pour des raisons de procédure (incompétence du seul ministre chargé de l'environnement pour autoriser des dérogations), le 31 juillet 1996. Ainsi entre le 31 juillet et le 10 octobre 1996, date du nouvel arrêté, le loup n'a bénéficié d'aucune protection en droit interne même si, rappelons-le, à cette date, la directive était devenue d'application directe. Le nouvel arrêté a été confirmé par le Conseil d'Etat (Conseil d'Etat, 30 décembre 1998 chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes) qui a estimé que, compte tenu de l'entrée en vigueur de la directive « Habitats », les ministres de l'agriculture et de l'environnement étaient tenus de modifier la liste des espèces protégées pour y inclure le loup. Cette obligation existait-elle déjà en 1993, alors que la directive n'était pas encore entrée en vigueur ? Probablement car, si la convention de Berne ne créé pas de droits ou d'obligations vis-à-vis des particuliers, elle lie l'Etat signataire et l'engage à modifier sa législation et sa réglementation afin de la respecter. L'environnement juridique est donc extrêmement contraint au point que nombreux sont ceux qui, hostiles aux excès de la protection, demandent le retrait de la France de la convention de Berne. Tout en comprenant et en partageant le désarroi des éleveurs et des bergers auxquels s'impose un risque de prédation inacceptable, votre rapporteur s'est convaincu des difficultés que poserait une modification de l'économie générale du droit en vigueur : une telle démarche serait d'abord tout à fait incohérente avec les engagements pris au plus haut niveau de l'Etat et mettrait à mal le crédit de la France dans les instances internationales, alors qu'elle a déjà tant de mal à faire entendre sa voix face à une puissance américaine qui se montre peu sensible depuis quelques temps au considérations environnementales. Par ailleurs, un hypothétique retrait de la convention de Berne ne nous exonèrerait nullement de nos obligations européennes liées à la directive « Habitats ». Votre rapporteur a, pourtant, tout à fait conscience des difficultés liées à l'application de cette directive et en particulier à la mise en place du réseau Natura 2000. Cette question sera abordée plus avant dans le rapport. L'attitude juridiquement et politiquement la plus acceptable est de rester dans ce cadre mais d'essayer de voir comment exploiter les zones de souplesse et de flexibilité qu'offre le dispositif. La conviction de votre rapporteur est que malgré les contraintes juridiques existantes et l'étroitesse des marges de manœuvre disponibles, il est possible de trouver une solution viable et satisfaisante dans le cadre juridique européen existant, en adaptant la réglementation nationale. DEUXIÈME PARTIE : LE PASTORALISME DE MONTAGNE : UNE ACTIVITÉ INDISPENSABLE POUR L'ÉQUILIBRE DES TERRITOIRES MAIS FRAGILE ET MENACÉE. Conformément à sa mission, la commission d'enquête s'est interrogée sur la place du pastoralisme dans l'économie agricole d'aujourd'hui, sur le rôle des acteurs pastoraux et sur leur place dans une démarche de maintien de la biodiversité. Face aux enjeux de la gestion de l'espace, comment doivent évoluer l'économie montagnarde et la société rurale ? La commission a estimé que la présence des grands prédateurs, facteur aggravant des difficultés du pastoralisme de montagne, devait être l'occasion d'engager une réflexion sur la nature du pastoralisme du XXIème siècle, en vue sans doute, de son évolution, mais surtout de sa pleine reconnaissance. I.─ LE PASTORALISME EST UNE ACTIVITÉ INDISPENSABLE AU DÉVELOPPEMENT DE LA MONTAGNE ET À LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT L'espace montagnard est un territoire parmi les plus difficiles à rentabiliser et les plus fragiles. De surcroît, les territoires montagnards sont confrontés aux problèmes sociétaux du monde rural et agricole : déclin démographique et dilution de l'identité rurale. La commission a souhaité aborder lucidement cette situation complexe et douloureuse. Sans prétendre détenir les solutions à tous les problèmes, et tout en comprenant la profonde détresse des éleveurs et des bergers, elle a refusé d'enfermer le monde de l'élevage montagnard dans la seule expression d'une souffrance qui anéantirait toute possibilité de réaction collective. Il n'a pas été question pour elle, non plus, de dissimuler les urgences liées à la crise de l'élevage ovin, quelque peu masquées par le problème des loups ou des grands prédateurs. Les leviers de l'action sont de plusieurs ordres et on les retrouvera tout au long de ce rapport. Il s'agit, tout d'abord d'affirmer la solidarité nationale face à un réel enjeu de société, celui du développement économique de la montagne. Il s'agit ensuite de faire vivre, concrètement, la notion de développement durable qui doit associer le soutien de l'activité productive, le progrès social et la protection de l'environnement. L'élevage ovin et bovin favorise la diversité des écosystèmes montagnards et le maintien des paysages traditionnels. Les Alpes du sud accueillent 577 000 moutons et les Alpes du nord 282 000. En revanche les bovins sont plus nombreux dans les Alpes du nord avec 72 000 bêtes (76 % des effectifs alpins). A.- UNE ACTIVITÉ QUI PARTICIPE À LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT Comme de nombreux interlocuteurs de la commission, M. Denis Grosjean, vice-président de la Fédération nationale ovine (FNO), lors de la table ronde du 17 décembre 2002, a souligné la multifonctionnalité des moutons, au-delà de la production de biens alimentaires, pour l'entretien des paysages, le maintien de prairies ouvertes et l'écologie, au sens large. 1.─ Pastoralisme et biodiversité en montagne Les nombreux témoins entendus par la commission ont tous affirmé que les troupeaux sont indispensables à la maîtrise de la végétation et à l'équilibre de la flore. Certaines plantes et certains insectes disparaîtraient si l'activité pastorale devait cesser et rares sont les pelouses qui resteraient à l'état naturel sans les animaux. La conduite pastorale exige une technicité et une bonne connaissance du milieu pour choisir la bonne période selon les lieux et moduler la durée et l'intensité de la pâture afin d'exploiter dans les meilleures conditions et sur une longue période la ressource végétale. La présence de plusieurs sites Natura 2000 sur l'ensemble des territoires pastoraux de montagne, confirme d'ailleurs - s'il en était besoins - les effets positifs de ce mode d'élevage en matière de maintien de la biodiversité floristique et faunistique. Par ailleurs les exploitations pastorales d'ovins utilisent souvent des races locales à faible effectif plutôt bien adaptées au milieu montagnard. Outre que cela correspond à l'attente des consommateurs à la recherche de produits en phase avec leur milieu, cette démarche contribue à préserver la diversité génétique des races domestiques. La création des parcs nationaux a engendré, en une décennie, une recolonisation importante d'espèces telles que chamois, chevreuils, bouquetins, sangliers et mouflons. Cette colonisation a débordé la zone centrale des parcs pour atteindre les zones périphériques. Aujourd'hui, à l'exception du mouflon, mal adapté aux conditions climatiques de la montagne, toutes ces espèces ont reconstitué des effectifs supérieurs à ceux du début du XXème siècle, et même parfois excessifs pour ce qui est des sangliers. Afin d'équilibrer la pression de pâturage par les troupeaux, entre les quartiers de début d'estive et les quartiers d'août, plusieurs parcs tel le parc national des Ecrins, ont élaboré un calendrier de pâturage et apportent une aide au gardiennage des troupeaux. L'amélioration de la gestion de l'alpage, en tenant compte de la maturité de la végétation, améliore la protection des grands ongulés sauvages et contribue à la protection du patrimoine naturel. L'adaptation de la gestion pastorale à des milieux fragiles particuliers est au cœur de la politique agri-environnementale. Selon M. Pierre Migot, directeur-adjoint des études et des recherches appliquées de l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS), la dynamique des populations de chevreuils et de chamois, mise en relation avec les attributions de plans de chasse, a, au cours des quinze dernières années, enregistré une progression sur les trois principaux massifs. L'appréciation de M. Dominique Lebreton directeur de recherche au CNRS, spécialiste de la dynamique des populations, va dans le même sens. Après avoir constaté que « la population de chamois qui était en très mauvais état dans les années 60 connaît encore un accroissement conséquent : + 70 % entre 1989 et 1995 », il se demande « si la recolonisation par le loup n'est pas la simple conséquence d'une politique implicite de réhabilitation de la biodiversité dans les Alpes. Dès lors que l'on a créé des parcs nationaux, des réserves, que l'on a mis en place des plans de chasse et que l'on a réintroduit des populations, on a créé un paysage avec plus de biodiversité qui a, lui-même, appelé plus de biodiversité, et le mouvement s'est fait d'un pays, l'Italie, où cette biodiversité avait subsisté à cause de conditions économiques différentes dans les montagnes du centre de l'Italie». 2.─ Pastoralisme et entretien des territoires A l'échelle du pays, le pastoralisme représente 1,7 million d'hectares de pâturages d'altitude et un cheptel de 430 000 bovins, 1 560.000 ovins, 54 000 caprins et 20 000 équins, avec une concentration dans les massifs montagneux des Alpes, des Pyrénées et du Massif central. Le pâturage par les moutons fait reculer les friches et contribue à réduire les avalanches en hiver et les incendies en été. A de nombreuses reprises, la commission s'est vu rappeler la mission environnementale de l'élevage ovin en montagne, trop souvent mal prise en compte dans l'évaluation de cette activité. En permettant la mise en valeur des zones difficiles, le mouton joue un rôle essentiel dans l'aménagement du territoire et l'entretien des paysages, ce qui correspond à un besoin et à une attente de la société. Il est donc légitime que ce service soit rémunéré dans le cadre de contrats avec l'Etat, ou les autorités locales, dans le but de dynamiser le tissu socio-économique de la montagne et de créer des emplois. Les producteurs de viande d'agneau sont devenus de véritables producteurs d'espace dans le cadre des contrats territoriaux d'exploitation (CTE) qui ont succédé aux contrats agri-environnementaux. Ces contrats d'une durée de cinq ans, signés entre les éleveurs et la direction départementale de l'agriculture et de la forêt (DDAF), réglementent la gestion de certains alpages dans le parc régional du Queyras, la vallée de l'Ubaye, les parcs nationaux du Mercantour et des Ecrins. Contre rémunération, les éleveurs s'engagent à faire des investissements pour améliorer la qualité de la production et privilégier les méthodes d'élevage favorables à l'environnement, à la protection de la faune et de la flore et à la défense des forêts contre le feu. Malheureusement, en région PACA, ces contrats n'existent que dans 13 % des zones pastorales. Les CTE ont trouvé, semble-t-il, davantage d'écho chez les éleveurs bovins. Le pastoralisme de montagne est également propice au tourisme et donc, indirectement, au dynamisme économique. Pour les deux massifs alpin et pyrénéen, deux tiers des unités pastorales sont traversés par un sentier balisé, 10 % accueillent un refuge ou un gîte touristique et 15 % sont utilisés comme domaine skiable. Les troupeaux en alpage constituent une incontestable valorisation des paysages de montagne auxquels les touristes sont très sensibles. Toutefois, la commission a entendu de nombreux témoignages évoquant les troubles causés par des touristes, peu préparés aux réalités de la montagne et parfois, trop nombreux. Ainsi, une meilleure harmonie dans l'utilisation de cet espace doit être trouvée, notamment par l'éducation des touristes au respect de la tranquillité des troupeaux. L'activité pastorale a donc un rôle social essentiel puisqu'elle contribue à la lutte contre la désertification des milieux ruraux montagnards. B.- UNE ACTIVITÉ QUI RÉSISTE À LA RÉGRESSION DE L'AGRICULTURE EN MONTAGNE 1.- De l'espace mais proportionnellement peu de surfaces agricoles en montagne Malgré leurs vastes espaces, les massifs ne regroupent, avec près de 4 millions d'hectares de surface agricole utile (SAU), que 13 % de la surface agricole nationale. La composition du territoire de montagne se caractérise en effet par l'importance des surfaces impropres à toute activité productive (près de 20 %). La surface agricole utile représente moins de 30 % de ce territoire contre plus de 50 % en moyenne nationale. Les différences entre massifs sont notables : le territoire du Massif central est composé, pour près de la moitié, de surface agricole, alors que celle-ci ne représente guère plus de 10 % dans les Alpes du Sud. Outre son faible poids dans le territoire de montagne, l'espace agricole se caractérise par l'importance des surfaces toujours en herbe, qui concerne près des trois quarts de cet espace contre seulement 36 % en moyenne nationale. Les conditions climatiques et la pente sont à l'origine de cette omniprésence de l'herbe. Ainsi, les conditions climatiques et topographiques ont fait de la montagne l'espace privilégié de l'élevage, qui est aujourd'hui la première activité agricole en montagne. 75 % des exploitations montagnardes sont spécialisées dans l'élevage contre moins de 40 % en moyenne nationale. Les zones de montagne rassemblent 40 % des brebis, 20 % des vaches allaitantes et 16 % des vaches laitières de notre pays. 2.- De l'espace mais peu de foncier disponible D'autres handicaps s'imposent à l'agriculture de montagne. L'impression visuelle de vastes étendues herbagères est trompeuse car les agriculteurs ont à faire face à une rareté foncière et à un coût d'acquisition de la terre que le sénateur Jean Paul Amoudry, rapporteur de la mission commune d'information du Sénat sur l'avenir de la montagne (14) a qualifié d'« aberrant » et de « beauceron ». Cette rareté foncière s'explique, par un fort morcellement du foncier et par l'exiguïté fréquente des parcelles, en raison des difficultés de remembrement. L'augmentation du prix des terres résulte aussi de la concurrence avec d'autres activités économiques dans les régions à fort potentiel touristique. Le grand nombre de parcelles entraîne, pour les producteurs, de multiples déplacements, des pertes de temps et au total une limitation de la productivité du travail agricole. Il n'est pas surprenant, dans ces conditions, que le nombre d'exploitations situées en zone de montagne ne cesse de diminuer : 143 500 en 1988, 105 000 en 1995 comptant 36 hectares en moyenne. 3.- Une omniprésence de l'herbe et un réel savoir-faire qui expliquent la résistance du pastoralisme L'élevage constitue une activité de dernier recours dans les terroirs les moins propices aux grandes cultures fortement mécanisées. Il répond principalement, désormais, à l'exigence du maintien de l'agriculture sur tout le territoire et au refus de son cantonnement à quelques bassins de production intensive. En effet, l'accès aux ressources fourragères ne peut généralement se faire que par des « ventes d'herbe » c'est-à-dire des ventes sur pied, annuelles et précaires, ce qui explique le rôle prépondérant du pastoralisme. L'élevage en montagne est nettement plus extensif qu'en plaine, la charge animale y est en moyenne de 0,7 UGB/ha (unité de gros bétail par hectare) contre 1,1 UGB/ha pour le reste de la France. Contrairement à l'image souvent dévalorisée ou teintée de folklore, qui est donnée de cette forme d'élevage, elle repose sur des savoir-faire agricoles montagnards qui doivent allier tradition et modernité. Au fil de ses travaux, la commission a acquis la conviction que cette forme d'élevage doit être mieux défendue et mieux soutenue dans ses efforts d'adaptation, lesquels devraient notamment lui permettre une meilleure valorisation de ses produits. II.─ L'EXERCICE DU PASTORALISME RECOUVRE DES FORMES TRÈS DIVERSIFIÉES QUI ONT ÉVOLUÉ DANS LE TEMPS M. Bernard Bruno, président de la Fédération départementale ovine des Alpes-Maritimes et éleveur, a considéré, lors de la table ronde du 17 décembre 2002, répondant à une question de M. Jean Launay, que les pratiques pastorales n'ont pas changé : « Je travaille dans le parc du Mercantour depuis vingt ans comme mon père avant moi. Les pratiques n'ont pas changé. La commune met en location une montagne, d'une superficie délimitée, qu'il appartient aux éleveurs de gérer. L'éleveur possède 350 ou 400 moutons, ce qui fait avec les agneaux 700 ou 800 bêtes. Auparavant, il prenait 500 ou 600 brebis en garde pour compléter sa montagne. Il y a des montagnes de mille moutons, des montagnes de 3.000 moutons en fonction des superficies. Il en est ainsi depuis des générations. On montait, on savait que sur telle montagne, on pouvait rassembler 1.000 moutons. Il y avait une adjudication. Celui qui avait un gros troupeau avait besoin d'une grande superficie. Aujourd'hui, on subit une perte économique, parce que l'on ne trouve plus de moutons à prendre en pension dans les zones à loups. On paie pour les superficies occupées même s'il y a moins de moutons regroupés. La montagne que je loue peut accueillir 3.000 moutons mais je n'en fais paître que 2.000. Je perds ce que me rapportaient les 1.000 moutons que je prenais en garde ». Pour autant, votre rapporteur est amené à faire quelques observations qui suggèrent que le pastoralisme ovin a évolué au cours du temps et dispose d'un fort potentiel d'adaptation. Au XIXème siècle l'élevage ovin a tout d'abord été extensif, puis est devenu intensif. Dans la seconde moitié du XIXème siècle, le commencement de la déprise rurale qui s'est accompagnée de reboisements a conduit à un abandon progressif des terrains de parcours, comme d'ailleurs de nombreuses parcelles cultivées. Ces mutations se sont accélérées à partir des années 50 avec le mouvement général d'intensification agricole. Dans la seconde moitié du XXème siècle, la mondialisation progressive des échanges et la libre concurrence économique ont mis en péril l'économie montagnarde et pour réduire les coûts de production, les éleveurs ont renoué avec l'élevage extensif qui réduit au maximum les coûts de main d'œuvre et d'installation de bâtiments. A partir de 1992, les aides de la PAC ont favorisé l'accroissement de la taille des troupeaux dans le but, également, de réduire les coûts de production, la réduction du nombre d'exploitants étant compensée par l'augmentation des effectifs. M. Pierre Braque, auteur d'un rapport de mission interministérielle sur la cohabitation entre l'élevage et le loup, a déclaré à la commission le 29 janvier 2003,, conformément aux conclusions de son rapport : « Il est vrai que le pastoralisme avait beaucoup changé au cours des dernières années, notamment grâce à la politique agricole commune (PAC), puisque, depuis 1980, des aides étaient accordées tant à l'hectare qu'au nombre de bêtes ce qui s'était traduit par une explosion du nombre des moutons. La coutume de la transhumance vers les alpages, l'été, se poursuivait, les moutons venant en grande quantité des Bouches-du-Rhône, mais on assistait, grâce aux primes, à un développement local de l'élevage ovin et à une augmentation des cheptels, non seulement dans le Mercantour, mais également dans les Alpes du Nord. On a vu alors, dans cette filière si difficile, les troupeaux, qui comptaient cinq cents têtes dans le passé, grossir jusqu'à 1.500, voire 1.600 têtes ce qui implique des conditions de travail totalement différentes. ». Il semble, d'après certains autres témoignages, que les troupeaux peuvent même être encore plus importants. Sur l'évolution des pratiques d'élevage dans les Alpes-Maritimes, M. Jean-Pierre Legeard, directeur du Centre d'études et de réalisations pastorales Alpes-Méditerranée (CERPAM) a apporté les précisions suivantes : « On a assisté dans la zone du parc du Mercantour, et plus globalement dans les Alpes-Maritimes, à un changement radical au début des années 1980 dans l'organisation générale des activités d'élevage. Auparavant, le département des Alpes-Maritimes était largement tourné vers la production laitière. Ainsi, l'ensemble de la collecte laitière des Alpes-du sud, c'est-à-dire les Hautes-Alpes - gros département bovin - les Alpes-de-Haute-Provence et les Alpes-Maritimes redescendait vers la centrale laitière de Nice basée à Mouans-Sartoux. En raison d'un contexte économique difficile et d'orientations mal choisies, puisque toute la production était convertie en lait UHT sans aucune valorisation, très peu d'éléments de collecte ont subsisté et cette pratique a disparu. Seules quelques petites unités des Hautes-Alpes, de la vallée de l'Ubaye ou de la vallée de Guillaumes restent tournées vers la collecte laitière et sont orientées vers le pôle Rhône-Alpes. Les éleveurs de vaches laitières se sont donc retrouvés face à un problème de réorientation rapide. Certains ont choisi de se reconvertir dans la transformation fromagère, qui existait déjà, mais qu'ils ont déplacée sur la partie estivale, dans l'alpage. Cette reconversion s'est traduite par une bonne valorisation. Beaucoup de petites unités d'estive, notamment dans le parc du Mercantour, auraient été complètement abandonnées sans ces activités relativement valorisantes. D'autres ont choisi de se reconvertir dans l'élevage ovin. Il faudrait analyser ces phénomènes, qui remontent à peine à une vingtaine d'années, de façon plus précise, car ils ont fortement marqué l'évolution de l'économie agricole des Alpes-Maritimes ». B.- LES DIFFÉRENTS SYSTÈMES D'ELEVAGE DE MONTAGNE EN FRANCE La grande variété des systèmes d'élevage, avec ou sans transhumance, avec ou sans gardiennage, avec hivernage sur l'alpage local ou sur le littoral, s'oppose à une approche trop globale et théorique des problèmes. 1.- De grandes diversités sur le massif alpin La région PACA est une des principales régions concernées par l'activité pastorale. Les espaces pastoraux y couvrent 750 000 hectares, soit 23 % du territoire et 2 500 éleveurs ovins y travaillent à un moment ou à un autre de l'année. Le pastoralisme commence en haute montagne, dans les alpages et descend jusqu'au bord de la méditerranée. La transhumance estivale concerne 550 000 ovins qui parcourent les Alpes du sud chaque année. Dans la région Rhône-Alpes les surfaces rattachées au pastoralisme représentent 13 % du territoire total. Entre la côte et la haute montagne le pastoralisme se déploie sur des zones très variées tels de grands espaces comme la Crau ou les massifs forestiers du littoral varois ou des Alpes-Maritimes. M. Bernard Bruno président de la fédération départementale ovine des Alpes6Maritimes, a ainsi décrit l'activité pastorale dans son département : « Nous sommes dans un système extensif : les troupeaux de moutons pâturent quasiment toute l'année dehors et ne sont enfermés qu'un mois à deux mois l'hiver - cela dépend de l'exploitation, des lieux où elle se situe - pour l'agnelage. On les relâche ensuite à la mise à l'herbe dehors dans des collines qui couvrent de grandes surfaces. Les animaux pâturent dans le département, du haut du Mercantour, avec des crêtes à 2 500 mètres d'altitude, jusqu'en bord de mer, aux abords des villes. Ce mode d'élevage requiert beaucoup de surface et beaucoup de déplacements de troupeaux. Nous produisons des agneaux de qualité, mais non de conformité. Lorsque l'on a commencé à entendre parler du bio, nous étions dans notre département déjà plus bio que les bios. L'hiver, les troupeaux débroussaillent les garrigues, l'été, avec la pousse de l'herbe, ils gagnent les montagnes. Dans notre département, on monte et on descend toute l'année ; on est toujours en transhumance, à la pousse et à la repousse de l'herbe ». Même au sein de l'élevage extensif dans un même département, des distinctions importantes pour la compréhension des difficultés de cette activité doivent être signalées. Les petits troupeaux locaux de moins de 500 brebis n'ont pas la même rentabilité que les gros troupeaux transhumants de plus de 1000 têtes. De même, les éleveurs mono-actifs qui ne vivent que de l'activité pastorale ne peuvent vivre les réalités de l'élevage dans les mêmes termes que ceux qui développent parallèlement des activités touristiques ou qui travaillent l'hiver dans les stations de ski et dont le revenu salarié est souvent bien supérieur à celui procuré par l'élevage. Le gardiennage est un autre élément de différenciation. Dans les Alpes du sud, selon une enquête pastorale conduite par les services du ministère de l'agriculture, 80 % des alpages disposent d'un berger pour conduire les troupeaux. Le seuil de rentabilité, pour l'emploi d'un berger, étant fixé par l'ensemble des spécialistes à 1 500 bêtes, cela explique l'absence de gardiennage, caractéristique des petits troupeaux. C'est majoritairement le cas des exploitations de la région PACA, hors alpages d'altitude, où les techniques de gestion en parc clôturé électrifié se sont développées. La faible rentabilité de ces petits troupeaux se trouve alors aggravée par l'absence de garde, des brebis non surveillées étant plus vulnérables et plus souvent victimes d'accidents, de maladies ou de prédations. A contrario, il faut observer que des troupeaux de plus de 1 500 bêtes, gardés par un seul berger ne bénéficient pas non plus de la meilleure protection. La recherche de rentabilité, à la base du regroupement des troupeaux, peut, en effet, être alors contrariée par des pertes importantes d'animaux, lorsqu'ils sont insuffisamment surveillés. Laurent Garde, chercheur au CERPAM a présenté à la commission les quatre grands systèmes d'élevage utilisateurs de l'arc alpin, sur lesquels on reviendra dans la suite du rapport sous l'angle de leur vulnérabilité aux prédations. Le système herbassier, présent dans les départements méditerranéens, peut être qualifié de semi-nomade. Il utilise les alpages de haute montagne pendant la phase d'estive. Le système préalpin est présent dans les montagnes sèches des Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes Haut Var et Vaucluse. Le système montagnard est présent dans les hautes vallées des Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes et Alpes-Maritimes. Enfin dans les vallées humides des Alpes-Maritimes (Roya, Vésubie, Moyenne-Tinée), la régression de l'élevage bovin laitier a fait émerger des systèmes ovins méditerranéens originaux. Il faut signaler également, les zones de plaine comme La Crau, où on a le plus souvent affaire à de gros troupeaux de plus de 2 000 têtes appartenant à un seul propriétaire et qui pratiquent la grande transhumance jusqu'en Isère et en Savoie. De surcroît, la qualité des alpages, leur accessibilité, leur escarpement, leur enrochement, la rareté des points d'eau, modifient profondément les conditions de l'activité et notamment les possibilités de regrouper les troupeaux, la nuit, à l'intérieur des filets de protection. Malgré la grande diversité des systèmes d'élevage, un élément plutôt favorable semble, néanmoins, rapprocher toutes les situations. Les zones pastorales sont en majorité, sauf peut-être dans la Mercantour, propriété de l'Etat, de collectivités locales ou de syndicats de communes. Cette propriété publique peut favoriser la prise en charge collective de l'entretien, des investissements lourds, de la protection contre les risques naturels et la contractualisation de la gestion de ces espaces. 2.- Des diversités encore plus grandes dans le massif pyrénéen Les zones d'altitude sont des régions de grand tourisme, la partie orientale connaît une activité touristique moins développée et la partie occidentale est constituée de régions agricoles en difficulté. Le pastoralisme est un mode d'élevage présent dans toute la région. Les Pyrénées-Atlantiques pratiquent principalement l'élevage ovin et bovin laitier orienté vers des productions fromagères (200 tonnes de fromage d'estive). Le cheptel transhumant qui représente 50 % du cheptel de tout le massif, compte 340 000 ovins et 29 000 bovins. Cette zone, de petites exploitations, est couverte de surfaces d'estives représentant 146 000 hectares, de surfaces de parcours collectifs utilisés au printemps et à l'automne pour 5 000 hectares et de surfaces de pâturages pour 100 000 hectares. Dans les trois autres départements, Hautes-Pyrénées, Ariège et Pyrénées-Orientales prédomine le pastoralisme ovin destiné à la production de viande. Existe-t-il une spécificité du pastoralisme à la française ? Plusieurs interlocuteurs de la commission l'ont affirmé. M. Bernard Moser, secrétaire général de la Confédération paysanne, l'a ainsi décrite : « Dans mon département [Drôme], 60 % des alpages ne sont pas gardés. Nous ne sommes pas dans la situation roumaine, yougoslave, voire de celle des Abruzzes où le gardiennage des troupeaux se fait avec de la main-d'œuvre familiale ou par des travailleurs immigrés, dans certains cas en provenance d'Albanie, en tout cas avec de la main-d'œuvre nombreuse. Chez nous, les alpages ne sont pas ou peu gardés. On a bien souvent un berger pour un nombre élevé de brebis. Cette spécificité n'est pas un choix économique, mais une adaptation au relief, au climat et aux modes d'élevage en montagne ». M. Moser a signalé également la particularité des petits troupeaux regroupés en grandes unités gardées par un seul salarié et enfin la dominante des agneaux de boucherie en France «... alors que dans certaines zones, comme les monts cantabriques en Espagne et même dans les Abruzzes en Italie, il s'agit d'effectifs plus petits, de troupeaux laitiers qui rentrent le soir en bergerie pour la traite ». Selon Eurostat, le service de statistiques de l'Union européenne, l'élevage des ovins est pratiqué essentiellement dans cinq Etats-membres qui élèvent 85 % du cheptel total, la Grèce, l'Espagne, la France, l'Italie et le Royaume Uni. L'Espagne et le Royaume-Uni regroupent à eux seuls 52 % du cheptel. Le troisième pays est l'Italie avec 11 millions de têtes de bétail suivi par la France et la Grèce avec 9,2 millions de têtes chacune. Les brebis laitières sont prépondérantes et en forte augmentation en Italie alors qu'elles sont minoritaires, bien qu'en légère augmentation en France. 1.- Des situations globalement contrastées Le groupement d'intérêt public (GIP) ATEN (15), a organisé plusieurs stages de rencontre avec des éleveurs, en Italie, en Espagne et en Roumanie. Les résultats de ce travail figurent dans un document publié en juin 2000(16). La première différence frappante avec la France est non seulement la présence massive des loups dans ces pays (2 000 en Espagne, entre 500 et 1 000 en Italie, environ 3 000 en Roumanie) et aussi d'ours et de lynx, mais surtout le fait que le loup n'a jamais disparu de ces régions ce qui a considérablement influencé les systèmes d'élevage. Les conflits sont toujours beaucoup plus importants dans les régions où le loup avait totalement disparu, comme en France. Les stratégies de protection contre les prédateurs dans ces pays, sont anciennes, généralement regardées comme inhérentes à l'activité et grandement facilitées par les faibles coûts d'une main d'œuvre nombreuse et souvent immigrée. La situation est évidemment différente en France. On constate toutefois de grandes disparités dans les formes d'élevage. En Italie, dans le parc national des Abruzzes et le parc del Gigante et contrairement au parc national Gran Sasso où la commission s'est rendue, l'agriculture traditionnelle a été pratiquement abandonnée et remplacée par l'élevage des bovins pour la production de parmesan. Les pâturages situés au-dessus de 1 100 mètres se trouvent pratiquement abandonnés. Le cheptel ovin qui comptait 20 000 têtes il y a quinze ans est tombé à 2 000 ou 2 500 têtes. Les interlocuteurs que la commission a rencontrés en Italie ont contesté l'argument selon lequel cette régression est liée à la présence du loup, pourtant cette explication a souvent été affirmée par d'autres. La principale activité du parc des Abruzzes aujourd'hui, est le tourisme qui a maintenant pratiquement remplacé l'élevage. Il faut cependant noter qu'à l'échelle de tout le territoire italien, l'élevage ovin reste très important. Si l'on rapporte le nombre d'ovins à la superficie de l'Etat, il y a 36 ovins au km2 en Italie contre 16 ovins au km2 en France. En Espagne, la tradition du mouton est encore fortement ancrée. La province de Zamora dans la Sierra de la Culebra, possède le plus gros troupeau ovin de tout le pays avec 800 000 brebis. L'exode rural y est néanmoins très important, la population est majoritairement composée de bergers et de retraités. Dans la réserve régionale de la Sierra de la Culebra, où le loup est présent en densité importante, on compte environ 25 000 brebis avec des troupeaux entre 200 et 800 têtes. Dans les Asturies, le parc naturel de Somiedo, a vu également le nombre d'éleveurs diminuer et l'élevage bovin est dominant. Il ne reste qu'environ 5 000 moutons transhumants à Somiedo. Globalement en Espagne, la majorité des dommages provoqués par les loups ont lieu dans les régions montagneuses où les troupeaux ne sont pas gardés. Dans la province de Zamora où le gardiennage est systématique, les pertes sont beaucoup moins nombreuses. La Roumanie concentre plus d'un tiers des grands carnivores d'Europe avec 5 600 ours, 3 000 loups et 1 500 lynx, qui vivent dans les Carpates roumaines. Comme en Espagne, la chasse y est autorisée sous certaines conditions. L'élevage ovin y est très important avec de longues périodes d'estives en altitude. Il se pratique le plus souvent dans un cadre familial, dont tous les membres sont mobilisés pour la surveillance du troupeau. 2.- L'exemple du Parc national italien du Gran Sasso et Monti della Laga La commission s'est rendue le 17 février 2003 en Italie, dans le parc national du Gran Sasso, situé dans le massif des Abruzzes. Elle y a rencontré les présidents et directeurs de plusieurs parcs nationaux, un chercheur de l'Institut national de la faune sauvage, des responsables des administrations de l'agriculture et de l'environnement, des éleveurs et des agents du parc. Le parc du Gran Sasso couvre 150 000 hectares, divisés en trois régions et quarante quatre communes. La population de loups est évaluée à 35 individus environ. L'élevage y constitue un volet économique important et les produits de l'élevage bénéficient d'un label délivré par le parc. Comme partout en Italie, l'élevage n'est pas extensif, mais parfois semi-extensif. Les communes édictent des règlements pour l'usage des pâturages et les troupeaux doivent avoir une autorisation pour paître. Depuis le XIXème siècle, la transhumance connaît un déclin régulier et irréversible pour des raisons sociales et économiques. Sur le territoire du parc on dénombre 76 100 ovins, 4 906 bovins et 850 chevaux. Le nombre de bergers par bêtes diminue, même si la main d'œuvre albanaise ou macédonienne souvent recrutée, est peu exigeante en matière de salaires. Un troupeau d'un millier de moutons procure, à l'éleveur, un revenu annuel moyen de 51 000 euros. 3.- Le cas de la Suisse, peut-être plus proche de celui de la France Il faut enfin s'arrêter un instant sur la situation de la Suisse qui est semble-t-il la plus comparable à celle de la France. Après un ralentissement important dans la première moitié du XXème siècle, l'élevage ovin pour la viande a repris de la vigueur grâce une forte politique de subventions publiques. A l'heure actuelle on compte 450 000 moutons dont les trois quarts sont menés en estive sur les différents alpages de montagne. La majorité des éleveurs exercent une autre activité professionnelle et ne sont pas en mesure de contrôler quotidiennement leurs troupeaux. L'élevage est extensif mais pour des raisons climatiques, les bêtes passent de 120 à 140 jours en bergerie ce qui augmente considérablement les coûts de production. Le revenu des éleveurs est en recul constant et il est impossible pour nombre d'entre eux d'embaucher un berger. Dans ces conditions, le retour du loup cent ans après son éradication se révèle extrêmement conflictuel. III.- LA FILIÈRE OVINE SE HEURTE À DE GRAVES DIFFICULTÉS EN FRANCE M. Philippe De Mester, préfet des Alpes-de-Haute-Provence a bien résumé la situation de l'élevage ovin dans son département, situation que la commission a pu constater partout où elle s'est rendue : « Le pastoralisme [...] constitue dans les Alpes-de-Haute-Provence un système économique d'une extrême fragilité. L'économie pastorale s'y maintient dans des conditions de grande précarité, la faible rémunération liée à la production ovine en étant la principale cause. Par conséquent, toute perturbation dans le fonctionnement de ce système a des conséquences extrêmement dommageables ». A.- UNE PRODUCTION EN DÉCLIN ET PEU COMPÉTITIVE La compétition mondiale à laquelle se heurte la filière ovine de montagne pourrait bien lui être fatale si l'on s'en tenait à une logique purement économique et commerciale. C'est pourquoi l'approche de la seule rentabilité économique doit être tempérée par l'intégration des données sociales et territoriales auxquelles répond le pastoralisme de montagne. La filière ovine est en difficulté partout en France. Cela ressort, notamment, du rapport de mission confiée par le ministre de l'agriculture et de la pêche, en 1999 M. Jean Launay, député et Michel Thomas, inspecteur général de l'agriculture. 1.─ Une baisse continue de la production nationale La filière ovine est le seul secteur agricole à perdre à la fois ses producteurs et son potentiel de production. Cette production a subi un déclin continu depuis vingt ans. Selon les auteurs du rapport précité, en dix ans, la France a perdu 1 million de brebis et près de 20 000 éleveurs. La baisse des effectifs s'est principalement répercutée sur les petits troupeaux de moins de 200 brebis, alors que les troupeaux de plus de 500 têtes ont fortement augmenté. Toutefois ces derniers ne représentent encore que 3 % des éleveurs et 17 % des moutons. Ce déclin est particulièrement marqué pour les ovins élevés pour la viande. La filière ovine laitière connaît, à l'inverse, un réel dynamisme lié à la bonne valorisation des produits fromagers dans des zones, notamment les Pyrénées, bénéficiant d'une forte identité. Le cheptel ovin laitier a ainsi progressé de 11 % en dix ans, alors que dans le même temps le cheptel viande, s'est réduit de 22 %. La concentration des élevages ovins s'est opérée dans les zones défavorisées qui rassemblent 85 % de l'effectif total, alors que les zones non défavorisées ont perdu depuis 1989, 700 000 brebis et 9 500 éleveurs. Dans les plaines et les bassins mixtes où coexistent élevage bovin et élevage ovin, la tentation est forte de délaisser ce dernier élevage et de transférer la totalité des activités vers l'élevage bovin, mieux rémunéré et moins contraignant. Cette tendance à la concentration dans les zones défavorisées ou de montagne, est confirmée par M. Laurent Garde, chercheur au CERPAM qui a indiqué, s'agissant de l'élevage ovin dans les Alpes du sud et en Provence, que selon les derniers recensements agricoles, les effectifs sont stables dans cette région qui est la région française ayant le mieux résisté. La production principale dans cette zone, est l'agneau de boucherie qui, le plus souvent, est élevé en bergerie pour des raisons de qualité de viande. La dimension extensive de ce système d'élevage concerne donc essentiellement la conduite des brebis mères. On rappellera que les besoins de consommation intérieure de viande ovine ne sont couverts qu'à 45 % par la production nationale. Le commerce mondial est dominé par la Nouvelle Zélande qui exporte chaque année 400 000 tonnes de viande ovine à très faible coût et par l'Australie. Outre le poids des charges structurelles, beaucoup plus lourdes dans le cadre du pastoralisme de montagne que dans des pays aux vastes espaces comme la Nouvelle Zélande ou l'Australie, la production française d'agneaux souffre de son caractère saisonnier. Les producteurs ne sont pas en mesure de mettre des agneaux sur le marché tout au long de l'année ce qui perturbe l'approvisionnement des marchés et rend impossible des relations contractuelles stables avec l'aval de la filière. Le recul régulier de la production déclarée, s'il est incontestable, doit être toutefois légèrement tempéré par le volume important des ventes directes et de l'auto-consommation fréquentes dans ce secteur. C'est ainsi que l'OFIVAL (Office national interprofessionnel des viandes de l'élevage), dans sa présentation du marché des ovins en France en 2002, indique que pour calculer la production indigène totale, le SCES (service central des enquêtes et statistiques) majore de 22 % les abattages contrôlés. L'OFIVAL a quand même constaté en 2002, que la production contrôlée d'ovins a baissé de 1,6 % par rapport à 2001. Parmi les grandes régions moutonnières, l'Auvergne a perdu en un an 4,5 % de ses effectifs de brebis, le Limousin 3,5 %, et la PACA 2,5 %. En revanche, d'autres régions résistent mieux comme le Midi-Pyrénées (- 0,9 %) et l'Aquitaine (- 1,5 %). En ce qui concerne les prix à la production des agneaux, l'OFIVAL constate qu'après avoir été exceptionnellement hauts en 2001 ils ont amorcé un repli en 2002 (5,04 euros/kg), tout en restant supérieurs à la moyenne des années précédentes. Cette situation résulte de l'épidémie de fièvre aphteuse qui a entraîné une baisse de l'offre en raison des abattages et du retrait du marché français des produits d'origine britannique et irlandaise. Au fur et à mesure du retour de ces produits plus compétitifs, les prix sont redescendus. 2.─ De nombreuses causes d'abandon du domaine pastoral Sous la responsabilité des services statistiques du ministère de l'agriculture et de la pêche, une enquête a été réalisée en 1997, sur les pratiques pastorales en région PACA(17). Cette enquête fait apparaître que par rapport au précédent recensement de 1983, environ 10 % des surfaces en pelouses n'étaient plus pâturées en 1997. Un tiers des surfaces abandonnées se situent en haute altitude, 40% en moyenne altitude et le reste sur les parcours de plaine. Les trois quarts des unités pastorales abandonnées l'étaient depuis plus de cinq ans. Les causes d'abandon ou de non utilisation de ces surfaces révélées par l'enquête sont dans l'ordre d'importance : une ressource fourragère insuffisante, un manque d'eau, un relief trop accidenté, un problème foncier ou encore la dégradation des cabanes pastorales. Des travaux de réhabilitation et d'aménagement de ces unités pastorales abandonnées ou inutilisées sont nécessaires pour la mise en valeur de toute la région, les priorités étant l'aménagement de points d'eau et de clôtures, le débroussaillement de certains accès et la rénovation des cabanes. Les équipements des estives sont très souvent médiocres et les cabanes pastorales, surtout lorsqu'elles appartiennent à des propriétaires privés, sont vétustes, sans confort, souvent sans eau ni électricité. La commission a entendu de nombreux témoignages sur ce point important. 3.─ Une activité fortement subventionnée bien que mal prise en compte par la PAC A partir de 1980, l'élevage ovin de viande est rentré dans le cadre de la politique agricole commune avec l'adoption d'un règlement communautaire spécifique. La diminution du prix de vente de l'agneau, consécutive à l'ouverture des marchés, a été régulée par l'adoption de la prime compensatrice ovine (PCO) qui permet d'ajuster la recette finale perçue par l'éleveur en fonction d'une référence communautaire moyenne. Un dispositif d'aides directes au revenu des éleveurs a été ensuite mis en place, ces aides étant attribuées à l'hectare ou à la tête de bétail et contingentées sous forme de droits à primes individualisés. Par ailleurs une indemnité compensatrice de handicap naturel (ICHN), a été mise en place en 1971 par la France et généralisée en 1975, par la Communauté européenne à l'ensemble des zones de montagne et des zones défavorisées communautaires. Cette indemnité représentait, en 2000, 4 833 euros (31 700 francs), par exploitation bénéficiaire. La prime au maintien des systèmes d'élevage extensif (prime à l'herbe) accompagnant la réforme de la PAC en 1992, a eu un impact important, concernant tous les éleveurs herbagers extensifs montagnards, car elle a permis de reconquérir un certain nombre d'espaces pastoraux en voie d'abandon. Cette prime était cependant d'un faible montant (300 francs/hectare). Dans le cadre de la réorientation des soutiens vers les mesures agri-environnementales, l'Union européenne a refusé la reconduction de la prime à l'herbe, en raison de son caractère national et insuffisamment environnemental : elle a pris fin à compter du 1er avril 2003. Elle est d'ores et déjà remplacée par des mesures agri-environnementales élaborées au niveau régional et co-financées à hauteur de 50 % dans le cadre du deuxième pilier de la PAC (développement rural). Ces mesures pouvaient être contractualisées par l'établissement de contrats territoriaux d'exploitation (CTE) dont le nombre est resté très inférieur au nombre de bénéficiaires de la prime à l'herbe. Les CTE vont d'ailleurs disparaître et être remplacés par les contrats d'agriculture durable (CDA) qui bénéficieront en 2003 de 500 millions d'euros, y compris les crédits européens. Un nouveau dispositif en faveur des anciens bénéficiaires de la prime à l'herbe est également en cours d'élaboration avec l'allocation d'une nouvelle prime herbagère agri-environnementale (PHAE), d'un montant majoré, mais d'application plus restrictive. Dans le cadre national, la politique agricole de la montagne verse une indemnité spéciale montagne (ISM), dont le montant, par bénéficiaire, s'élevait en 2000 à environ 6 982 euros dans les Alpes du sud, 3 883 euros dans les Alpes du nord et 2 896 euros dans les Pyrénées. Cette indemnité s'apparente plus à un soutien aux revenus qu'à un soutien à l'investissement. Le tableau ci-après résume la répartition de l'ISM selon les massifs. Répartition de l'ISM selon les massifs en 2000
Source : Ministère de l'agriculture D'une façon générale il faut regretter que le soutien à l'investissement en montagne soit à peu près inexistant, à l'exception des soutiens à la mécanisation. On dénombre très peu d'aides accordées pour l'entretien ou la construction de bâtiments pour les animaux, alors que le surcoût d'un bâtiment en montagne est évident. De surcroît le retour sur investissement des propriétaires d'alpages, par exemple pour la réfection des cabanes de bergers, est nul puisque, quel que soit l'état de la cabane, le prix de location de la montagne est le même. Les financements publics doivent donc s'orienter vers le soutien des programmes d'équipement ovins facilitant la conduite des troupeaux et leur gestion sanitaire, quelles que soient les formules de location de la montagne. Par ailleurs, les primes aux éleveurs ovins sont plus impressionnantes par leur accumulation et leur manque de lisibilité que par leur montant total. Sur les 8 milliards d'euros d'aides directes à l'agriculture française fournis par la PAC, environ 300 millions d'euros seulement vont à l'agriculture de montagne. Le revenu des exploitants de montagne reste ainsi inférieur de 30 % au revenu agricole moyen en France. Les principes qui ont guidé la réforme de la PAC de 1992, auraient du être favorables aux systèmes extensifs. En fait, les modalités d'octroi des aides directes ont conforté le différentiel favorable aux systèmes intensifs de plaine. Une aide aurait pu résulter de la réforme suivante, adoptée dans le cadre du programme d'actions communautaires Agenda 2000 qui mettait plus fortement l'accent sur un soutien renforcé à l'aménagement de l'espace rural et aux activités agricoles respectueuses de l'environnement. Toutefois les montants correspondants sont faibles puisque le deuxième pilier de la PAC ne représente que 15 % des crédits à l'agriculture. La configuration actuelle des aides européennes et du soutien national à l'agriculture est donc clairement défavorable à l'élevage ovin extensif de montagne. Certes l'agriculture est une activité économique qui doit d'abord trouver sa rémunération sur le marché, mais le pastoralisme pas plus que les autres secteurs, et même plutôt moins, compte tenu du rôle environnemental qui lui est reconnu. Votre rapporteur s'inquiète de la persistance des autorités nationales et européennes à négliger ce secteur dont on a démontré la fragilité et l'importance. Les très volumineux soutiens accordés aux céréales et aux oléo- protéagineux absorbent, sans contrepartie environnementale, la plus large part des financements du premier pilier de la PAC, c'est-à-dire les aides directes. Mais ces aides concernent très marginalement l'agriculture de montagne. Ces orientations ont évidemment contribué à réduire la production agricole en montagne et à inciter nombre d'éleveurs, dont les conditions de travail sont par ailleurs très difficiles, à se reconvertir vers des productions céréalières plus rémunératrices. La commission tient à dénoncer clairement ce qui lui semble être à la fois une injustice sociale et un contre sens économique. B.- DES CONTRAINTES FORTES ET DES RISQUES ÉLEVÉS INHÉRENTS À L'ACTIVITÉ 1.─ Les maladies, les contraintes sanitaires et les accidents Dans les modèles démographiques utilisés par l'AFSSA (Agence française pour la sécurité sanitaire des aliments) et l'INRA (Institut national de la Recherche agronomique), on admet qu'environ 2 % des ovins meurent accidentellement chaque année, ce qui représente 200 000 ovins, parmi lesquels ne sont pas comptabilisés ceux qui meurent dans la période néonatale. Si l'on intègre les cadavres d'agneaux, ce sont 715 000 ovins et caprins qui ont été envoyés à l'équarrissage en 2000, selon les chiffres communiqués par Mme Nathalie Lacour, vétérinaire chargée de mission au ministère de l'écologie et du développement durable qui a fait devant la commission le constat suivant : « Plus de 2 % de l'élevage ovin français ne part pas dans les circuits de commercialisation en vue de l'alimentation humaine mais sont détruits chaque année. C'est un chiffre énorme, mais il faut souligner que l'élimination d'ovins par la voie de l'équarrissage est parfois plus intéressante économiquement pour les éleveurs que l'envoi des animaux à l'abattoir ». Les chiffres cités par Mme Lacour ont été confirmés par M. Jean-François Noblet, conseiller technique à l'environnement au conseil général de l'Isère. Selon lui, sur 10 millions d'ovins en France, plus de 700 000 passent chaque année à l'équarrissage, dont seulement 2 500 à cause du loup, a-t-il été précisé. Le reste s'explique par un agnelage problématique, des maladies, ou encore la foudre et les dérochements. Selon M. Guy Joncour, vétérinaire : « On sait qu'il y a actuellement moins de 10 millions de moutons en France et que la mortalité naturelle ou par abattage, hors pathologie, est importante, elle se situe entre 2 % et 4 % et touche donc de 200 000 à 400 000 bêtes ». M. François Moutou chercheur à l'AFSSA, a pour sa part fait la déclaration suivante : « J'aimerais juste citer des chiffres qui m'ont un peu surpris lorsque je les ai découverts mais que je tiens de source officielle puisqu'ils proviennent du ministère de l'agriculture. Ils concernent les animaux d'élevage qui, au niveau national, disparaissent à l'équarrissage, ce qui n'est quand même pas le but de l'élevage des animaux domestiques : en 1999, 652 533 ovins et caprins ont été envoyés à l'équarrissage, ce qui n'est pas négligeable et, en 2000, 715 449 autres ont subi le même sort. Je n'ai pas d'explications et j'aimerais bien comprendre d'où viennent tous ces animaux qui ne sont sans doute pas tous élevés pour disparaître de cette façon. Je pense que ces effectifs englobent beaucoup de jeunes, mais que ce n'est pas la seule explication. Il serait d'autant plus important d'élucider cette question que l'on sait que certains animaux éliminés dans la montagne ne passent pas forcément par l'équarrissage ». S'agissant de la brucellose ovine, selon Mme Lacour, en région PACA, 6000 ovins ont été abattus en 1998, soit un coût de 37 millions de francs. Dans le département des Alpes-Maritimes, 434 ovins ont été abattus en 1998 pour cette même raison et 148 en 1999. Dans les Hautes-Alpes, ce sont près de 1 000 ovins qui ont été abattus en 1998 et plus de 600 dans le département des Alpes de Haute-Provence. Toutefois il faut souligner que le dossier de la brucellose ovine est significatif de la vitalité du monde pastoral. Depuis vingt ans la mobilisation pour l'éradication de cette maladie en zone méditerranéenne française n'est pas retombée. Il a fallu faire admettre aux autorités sanitaires la spécificité de l'élevage ovin, liée au mélange des troupeaux et à la pratique de la transhumance, afin de trouver des schémas de prophylaxie adaptés à cette réalité. Aujourd'hui, la brucellose ovine a considérablement reculé là où elle était endémique. Si la France est de nouveau indemne de fièvre aphteuse, les menaces liées à la tremblante du mouton subsistent. L'arrêté du 27 janvier 2003 fixant les mesures de police sanitaire relatives à la tremblante ovine, confirme malheureusement la nécessité des mesures d'abattages systématiques en cas de détection de la maladie mais ajoute une nouvelle contrainte aux éleveurs. Aucune évaluation véritablement exhaustive de l'impact des attaques de chiens sur les troupeaux n'a pu être fournie à la commission. Aucune source fiable ne peut être consultée et seules des estimations et des extrapolations sont disponibles pour quantifier ce type de dégâts. La commission a pu observer que le problème est parfois éludé par les exploitants et cette question est apparue comme un sujet assez « tabou ». Dans le contexte de l'arrivée des loups, la crainte que les dégâts provoqués par ces derniers soient systématiquement imputés aux chiens a, sans doute, contribué à une certaine négation du problème. Par la suite, lorsque les indemnités ont été attribuées sur la base de la simple présomption d'une attaque de loups, le problème des chiens dans les zones à loups est devenu indissociable de celui de l'ensemble des grands prédateurs. A ce propos, M. François-Marie Perrin, berger salarié a déclaré à la commission : « Lorsque j'ai commencé ce métier, on m'a dit à propos des chiens divagants : tu tues et tu te tais....Pendant trois ans, j'ai tué des chiens. Je n'avais jamais tenu un fusil de ma vie avant d'être berger. La première année où j'ai eu à faire face à des attaques de chiens, 60 brebis ont été tuées, aucune indemnisation pour les éleveurs. Cela a certainement changé mes méthodes de travail, car je n'avais pas la paix. Il a fallu vingt et un jours pour éliminer ces chiens. Le problème semble parfois occulté ». De surcroît, il apparaît qu'une grande majorité de cheptels, surtout les plus petits, ne sont pas assurés en raison du surcoût que cela induirait. Les attaques de chiens donnent donc rarement lieu à déclaration, ce qui réduit considérablement la portée de cette source d'information. Pour autant il y a lieu de penser que ce type de prédation est la cause de pertes assez importantes pour les éleveurs, même si les évaluations sont extrêmement variables. M. Pascal Wick, spécialiste du pastoralisme de montagne, auditionné par la commission, considère que chaque année en France les chiens domestiques sont à l'origine de la mort de 500 000 moutons, pour un cheptel comptant une dizaine de millions de têtes. Selon différentes autres sources, les chiens errants décimeraient 100 000 animaux domestiques chaque année en France. Mme Sophie Bobbé, ethnologue, évoque dans ses articles les plus récents le chiffre de 250 000 bêtes domestiques tuées chaque année, par des chiens. Elle cite dans sa contribution au livre « Le fait du loup » (18) un extrait d'un article du journal « Le paysan savoyard », du 24 août 2000, consacré à ce problème « En 1999, alors que le loup était responsable de la mort de 1 100 moutons dans l'arc alpin, plus de 50 000 moutons étaient victimes de chiens errants et 300 000 à 400 000 moutons étaient tués du fait de problèmes sanitaires, de la foudre, de dérochement ou de vol ». Une autre source d'information vient toutefois tempérer ces chiffres. Il s'agit d'une enquête menée en 2001 auprès des éleveurs, dans le massif des Monges, par M. Laurent Garde et Mme Emmanuelle Vors, du CERPAM. La méthode a consisté à enquêter sur les prédations, avant l'arrivée des loups soit de 1990 à 1998 et de comparer les résultats avec le niveau de prédation après l'arrivée des loups. Il résulte de cette étude que le nombre d'attaques antérieures à 1998 - et donc susceptibles d'être attribuées aux chiens - est de l'ordre de 2 ou 3 par an sur l'ensemble du massif. En dix ans, 21 attaques de chiens errants ont affecté 15 troupeaux dans les Monges, occasionnant la perte de 539 animaux. Une explosion des prédations, à partir de 1998, correspond à l'arrivée des loups sur le massif, et permet donc de relativiser la part qui revient aux chiens. Ce travail d'enquête est résumé dans le document ci-après transmis à la commission par M. Laurent Garde. Enfin, il faut évoquer les propos de M. Guy Joncour, vétérinaire, auteur d'une étude sur les dommages des chiens en France qui a tout d'abord souligné que l'espèce des huskies, chiens tracteurs qui se rapprochent des loups, font des ravages tant sur la faune sauvage que sur les troupeaux de moutons. Selon M. Joncour, l'identification systématique des chiens qui est obligatoire mais peu contrôlée, permettrait de réduire le nombre de chiens en liberté et par là même les dégâts qu'ils causent. Les chiens reviennent sur les lieux des sinistres parce que c'est une forme de jeu qui se termine par un carnage. M. Joncour a estimé que tout cela est affaire de responsabilisation personnelle des propriétaires car dans un village chacun connaît les chiens errants et divagants. Aussi, votre rapporteur propose t-il de systématiser le contrôle de l'identification des chiens par le tatouage. On peut, par ailleurs, considérer que les mesures de protection générées par l'arrivée du loup, se traduiront, à terme, par la disparition des attaques de des chiens errants, voire par leur éviction. C.- DES REVENUS TROP FAIBLES POUR LES ÉLEVEURS ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL SOUVENT INDIGNES POUR LES BERGERS 1.─ Des revenus insuffisants pour les éleveurs M. Christian Ernoult, chercheur au Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et forêts (CEMAGREF), a indiqué que les éleveurs d'ovins sont en général plus âgés que les éleveurs d'autres espèces, ce qui explique un taux de disparition très important entre deux recensements. Ils sont en général pluriactifs, le taux de pluriactivité pouvant atteindre 70 %, comme c'est le cas en Haute-Maurienne. Dans les Alpes-Maritimes, la majorité des éleveurs assurent eux-mêmes le travail de gardiennage. Le recours à un berger salarié est beaucoup plus répandu dans les Hautes-Alpes et les Alpes de Haute-Provence Le secteur connaît les plus bas revenus de l'agriculture pour la plus forte charge de travail et un vieillissement très préoccupant des producteurs puisque 50% ont plus de 50 ans. Des informations ont été communiquées à la commission par M. Christian Ernoult, sur les revenus des éleveurs ovins sous la forme d'un graphe que l'on trouvera ci-après. Ces informations proviennent du réseau d'information comptable agricole (RICA) et prennent en compte l'ensemble des zones de montagne française. Malheureusement elles remontent à 1996. La dernière ligne du graphe concerne les éleveurs d'ovins pour la viande (50 UGB/ha, unités de gros bétail par hectare), soit un cheptel de 350 à 400 brebis. Les résultats figurant dans le graphe permettent de comparer les revenus des différentes catégories d'éleveurs de montagne en fonction de la nature de l'élevage (bovins lait, bovins viande, ovins lait et ovins viande) et de la taille des troupeaux. L'étude met également en évidence le revenu agricole dégagé par les éleveurs et le niveau de subventions et démontre la disparité entre les revenus tirés de la production de viande et ceux tirés de la production laitière. Ainsi, M. Christian Ernoult a conclu sa présentation dans ces termes : « On constate que les revenus et les niveaux de subventions sont à peu près équivalents, sauf pour les deux systèmes allaitant bovins et ovins où les niveaux de subvention représentent pratiquement le double du revenu agricole dégagé par l'activité. Ainsi, pour les ovins viande, le revenu était à l'époque de 90 000 francs pour 180 .000 francs de subvention ». Ces chiffres ont été actualisés par M. Gilles Bazin, professeur de politique agricole à l'Institut national agronomique, qui a été auditionné par la mission commune d'information du Sénat pour le rapport sur l'avenir de la montagne précité. M. Bazin a fourni au Sénat le tableau suivant concernant les revenus des agriculteurs en 2000 qui souligne la faiblesse des revenus en zone de montagne : Revenu courant avant impôts et aides directes en 2000
Source : Réseau d'information comptable agricole M. Bazin a ajouté le commentaire suivant : « Le revenu des exploitants de montagne reste inférieur de 30 % à la moyenne nationale. L'ICHN en montagne représente aujourd'hui le tiers des aides et environ 20 à 25 % du revenu ». Le revenu brut annuel moyen d'un agriculteur en zone de montagne s'élève donc à environ 21 116 euros. La montagne est bien la zone où les revenus sont les moins élevés, la charge de travail et les contraintes les plus lourdes et les soutiens publics les plus faibles. Cela explique, pour une grande part, le découragement et la colère souvent exprimés devant la commission, aggravés par les contraintes supplémentaires liées à la prédation. 2.─ Le métier de berger à valoriser Le terme de « berger » est souvent utilisé, notamment par les médias, de façon générique pour désigner une activité pastorale qui, notamment, face au problème du loup, représenterait une catégorie professionnelle unitaire et intangible. La réalité est un peu différente puisqu'il faut distinguer au minimum, les éleveurs, les éleveurs-bergers et les bergers salariés dont les activités et souvent les intérêts divergent. Les auditions ont montré que tous partagent un authentique attachement aux traditions pastorales, un réel amour des bêtes et une vraie interdépendance. Mais la relation de l'éleveur au berger reste quand même une relation de patron à salarié. La crise liée au retour du loup a été l'occasion, pour les bergers, y compris les bergers salariés qui sont en France entre 700 et 750, de faire reconnaître la réelle technicité et le professionnalisme exigés par une activité érigée au rang de métier et enfin sortie d'une représentation folklorique peu valorisante. M. François-Marie Perrin, président de l'Association des bergers des Alpes de Haute-Provence, participant à la table ronde organisée par la commission le 17 décembre 2002, a présenté la situation de berger salarié dans les termes suivants : « Nous avons des responsabilités de chirurgien avec des obligations de garde, de banquier et un salaire de manœuvre ». Il précise un peu plus loin, « Au cours d'une saison, nous effectuons une durée de travail mensuelle effective équivalente à 300-340 heures » Il a décrit également la dureté de ce métier qui se déroule en moyenne 4 mois, en estive. Les cabanes n'ont pas les surfaces annoncées (dix ou douze mètres carrés), elles sont placées loin des voies de communication et des chemins, elles sont difficiles d'accès, ce qui rend très difficile toute communication avec l'extérieur, notamment en cas d'accident ou de prédation. Il existe clairement, chez les bergers, le désir de ne pas rester dans l'ombre et d'apparaître comme les détenteurs du savoir de l'alpage et des troupeaux. Valoriser cette technicité passe nécessairement par la capacité à s'adapter aux évolutions de la profession et à gérer les contraintes nouvelles, comme la présence imposée des grands prédateurs. Cette valorisation implique l'amélioration de la formation et la diversification des recrutements. A cet égard, la commission a pu noter une féminisation de la profession, largement présentée comme bénéfique. Gravement isolés, les bergers ont constaté que le fait du loup avait suscité des rencontres, des débats et des positionnements, parfois même la constitution de véritables réseaux de solidarité. Cette crise, en accentuant le désarroi de la profession, aura au moins servi à rompre cet isolement et l'on peut espérer que les échanges permettront de faire évoluer, non seulement les conditions de travail, mais aussi le sentiment d'appartenance à une collectivité mieux reconnue. Un statut national de berger devrait être l'aboutissement de ces rapprochements et du renforcement de cette identité collective. Cela correspond certainement au vœu de M. François Marie Perrin qui a vivement regretté devant la commission le fait que les bergers, directement concernés par les problèmes du pastoralisme ne soient jamais associés aux prises de décision, alors qu'ils auraient assurément des propositions à présenter. IV.- LE RETOUR DU LOUP A AGGRAVÉ LA CRISE ET IMPOSE UNE ÉVOLUTION DE LA POLITIQUE RURALE EN MONTAGNE Depuis leur réapparition dans les Alpes-Maritimes en 1992, les loups sont présents dans les Alpes de Haute-Provence, les Hautes-Alpes, la Drôme l'Isère, la Savoie et la Haute-Savoie. Comme l'a indiqué à la commission, M. François Dobremez, président du comité scientifique du parc naturel régional du Vercors, la présence du loup a été un formidable révélateur des difficultés rencontrées par la filière ovine. Si l'image du loup a évolué de manière positive dans la population urbaine, il a cristallisé dans les populations rurales, et surtout chez les éleveurs, tous les maux de la profession et de la crise d'identité rurale. M. Salim Bacha, technicien à l'Organisation Régionale de l'Elevage Alpes-Méditerranée (OREAM), a apporté le témoignage suivant : « En discutant avec les éleveurs, je me suis rendu compte qu'ils vivaient la situation actuelle comme une offense. Car s'il existe un élevage respectueux de l'environnement et des ressources naturelles, c'est bien l'élevage qui se pratique en Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Il s'agit en effet d'un élevage très extensif qui n'a pas cédé aux appels de l'hyperproductivisme et de la spécialisation. Les éleveurs ont su rester près du terrain, produire des animaux de qualité et bien entretenir l'espace naturel. Ils vivent donc très mal les leçons d'écologie qu'on entend leur donner du jour au lendemain. On prétend qu'ils sont contre l'environnement alors qu'ils ont toujours œuvré au maintien de la biodiversité. Sans compter que, pour le commun des mortels, on devient berger quand on n'a pas réussi sa vie. En refusant la présence du loup, on les accuse d'aller à l'encontre des attentes citoyennes. Ils vivent d'autant plus mal cette situation qu'on ne cherche pas à entendre leurs arguments ». La commission a auditionné de nombreux éleveurs et les représentants de tous les syndicats professionnels agricoles, à Paris et lors de ses déplacements sur le terrain. Elle a été très sensible aux témoignages souvent poignants et au découragement qui domine dans la profession en raison de l'accumulation des contraintes et d'un fort sentiment d'isolement. Mais elle a néanmoins acquis la conviction que des solutions existent à cette crise. Comme on l'a vu, le pastoralisme doit gérer des contraintes techniques et économiques complexes dans un secteur en crise. L'arrivée du loup ne pouvait être perçue autrement que comme un facteur aggravant des conditions de travail, déjà très difficiles, et un facteur de stress intense. Les éleveurs ont vécu ce retour comme une remise en cause de leurs modes de vie et une atteinte insupportable à leur identité, à leurs traditions et à leur liberté. Fallait-il en rester là et se borner à un constat d'incompatibilité totale fermant la porte à toute évolution et surtout à toute solution réaliste ? Il existe incontestablement des seuils d'incompatibilité qu'il faudra traiter aussi finement que possible en se gardant des solutions simplificatrices et trop générales. Mais votre rapporteur considère qu'il faut surtout éviter d'enfermer le monde de l'élevage dans une situation sans perspective, et donc sans avenir. Il est intéressant de citer une étude réalisée en 1999, par M. Thierry Durand(19), vétérinaire-inspecteur, selon laquelle 71 % des personnes consultées admettent que le retour du loup a permis de mieux faire connaître les problèmes d'un pastoralisme ovin de montagne, dont les acteurs se sont longtemps considérés comme les laissés pour compte de la politique agricole. Le problème que pose ce prédateur à l'élevage ne peut trouver de solution que dans son dépassement et dans une approche globale de soutien et de dynamisation de l'agro-pastoralisme et de l'économie montagnarde. M. Dobremez, président du comité scientifique du parc du Queyras, a déclaré devant la commission, à propos de la motivation des éleveurs: « Lorsqu'on parle en tête à tête avec eux, la plupart des éleveurs sont prêts à accepter de nouvelles conditions de travail, à condition d'être aidés. Ces nouvelles conditions de travail incluent le loup, mais aussi d'autres contraintes qui s'ajoutent à celles qui étaient traditionnelles. » A propos des éleveurs du Mercantour il a également indiqué : « Les plus violents d'entre eux, dans la discussion en tête à tête, admettaient que les choses changent tous les dix ans en matière d'élevage et qu'ils étaient prêts à continuer leur activité si on les aidait ». La guerre du loup doit cesser, sauf à ruiner définitivement les économies locales. Dans toutes ses propositions, votre rapporteur s'est efforcé de répondre à un double objectif d'apaisement et de vision de long terme. Nous sommes face à un problème majeur de société qui n'est autre que le devenir de territoires qui, dans une économie dominée par le productivisme et la compétition mondiale, se sont peu à peu vidés de leurs habitants et de leurs activités traditionnelles. Dans un tel enjeu il faut considérer toutes les données et éviter les solutions d'urgence adoptées sous la pression des évènements, mêmes dramatiques, qui ne feraient qu'enfoncer davantage les territoires de montagne dans leur isolement. L'adaptation progressive, dans la durée, aux conditions nouvelles de fonctionnement de leur profession, dans la concertation, avec derrière eux le soutien de tout le pays, est certainement plus porteuse d'espoir, pour les éleveurs, qu'un brutal constat d'impuissance. A.- LE CHOC DU RETOUR DU LOUP A ÉTÉ PLUS VIOLENT QUE POUR LES AUTRES PRÉDATEURS 1.─ La situation face aux lynx Les derniers lynx ont disparu du massif vosgien dans les années 1910. Les premières réintroductions ont eu lieu en Allemagne, puis en Suisse dans les années 70, en Yougoslavie, en Italie en Autriche et en Tchécoslovaquie à la fin des années 70. M. Pierre Pfeffer, biologiste, a été chargé de l'opération de réintroduction de lynx en France dans les Vosges, dans la forêt de Ribauvillé en 1983, sous le contrôle du ministère de l'environnement. Selon ce chercheur, il n'y a pas eu d'attaques sur le bétail dans la région concernée, grâce à la présence de nombreux chevreuils. En revanche il y a eu des attaques dans le Jura à la suite de l'arrivée de lynx qui avaient été réintroduits en Suisse en 1974. Aujourd'hui les six départements alpins, sont colonisés par le lynx. M. Pascal Grosjean, éleveur de moutons dans le département de l'Ain où on trouve une quinzaine de lynx, déplore la perte de nombreux animaux. Il considère que depuis sa réapparition, ce prédateur serait à l'origine de la mort de 3 000 moutons sur l'ensemble des territoires où il est présent contre 8 000 à l'actif des loups. Il estime toutefois que la présence du lynx est moins dramatique que celle du loup car c'est un tueur isolé et un sélectionneur qui tue « à peu près proprement » entre une à quatre brebis par attaque. Lorsqu'un grand nombre d'attaques se concentrent sur un petit nombre de troupeaux, ce qui se produit surtout dans les départements de l'Ain et du Jura, les préfets peuvent délivrer une autorisation de destruction sélective de l'animal qui se spécialise sur les troupeaux. Selon Mme Martine Bigan, chef du bureau faune et flore du ministère de l'écologie et du développement durable, interrogée par la commission, «Si l' on intervient immédiatement après une attaque et que le lynx est tué, les dégâts cessent pour une période assez longue ». Cette soupape de sécurité, facilitée par le fait que le lynx est un animal solitaire, a incontestablement contribué à atténuer les conflits liés à la présence du lynx et à rendre plus acceptable cette présence. La prédation de moutons par le lynx s'établirait aujourd'hui, en France, à près de 400 animaux indemnisés par an, pour une population totale de lynx estimée, très approximativement, à 135 individus. 95 % des prédations sur le cheptel domestique ont été constatés dans le seul massif jurassien. 2.─ La situation face aux ours Aujourd'hui, dans les Pyrénées, on compte entre 14 et 15 ours. Les individus issus du programme de réintroduction d'ours slovènes en 1996 en 1997, se sont dispersés et ont colonisé des territoires couvrant l'ensemble de la chaîne alors que les ours autochtones étaient relativement circonscrits dans la partie la plus à l'ouest. Les conflits avec les éleveurs tiennent surtout, on l'a vu, aux conditions très mal négociées dans lesquelles les réintroductions ont eu lieu, car les ours autochtones semblent relativement tolérés. L'ours peut causer des dommages importants aux troupeaux mais ils restent épisodiques dans la mesure où il n'a pas besoin de proies en permanence. 3.─ La situation face aux loups Les attaques de loups provoquent des réactions émotionnelles beaucoup plus violentes que pour les autres prédateurs. Les éleveurs, confrontés à la présence des loups, vivent avec un sentiment d'impuissance et de remise en cause de l'utilité de leur travail, tant dans son aspect production qu'environnemental. Ce sentiment d'impuissance et d'inutilité conduit certains éleveurs à envisager l'arrêt de leur activité, même si peu de cas de cessation d'activité pure et simple ont été signalés à la commission. En revanche, il est évident qu'actuellement un environnement où ce prédateur est présent, est défavorable à l'installation de nouveaux exploitants. Avec l'arrivée des loups, les éleveurs ont eu le sentiment d'être mis hors jeu et, avec eux, le patrimoine pastoral fondé sur la paix et la tranquillité des grands espaces montagnards. Les éleveurs alpins vivent cette situation comme une injustice et un abandon. Leur statut même au sein de la société leur semble brutalement remis en question par la protection légale attribuée au loup et la bienveillance générale dont il semble bénéficier dans le pays. Il faut aider les éleveurs à sortir de cette logique d'exclusion en affirmant que leur métier est totalement en phase avec le milieu naturel. Si elle évolue et se transforme, souvent en rapport direct avec l'activité humaine, la nature n'est pas un sanctuaire intouchable et sa préservation ne doit pas se faire au détriment d'une activité économique. Malgré les moyens mis en œuvre par l'Etat et l'Union européenne qui seront analysés plus avant dans le rapport, pour défendre les troupeaux contre les attaques de loups, il est incontestable que ces attaques ont un coût financier pour les éleveurs. Cette surcharge financière a, notamment, été évoquée par M. Pascal Grosjean, vice président de l'Association française de pastoralisme dans les termes suivants : « Nous avons réalisé une étude sur les coûts liés à la présence du loup pour les petits élevages ovins. Quel que soit le système ovin, le surcoût est de 50 000 à 60 000 francs par an, ce qui, compte tenu de la faiblesse des revenus dans cette filière, est très important ». Le loup représente des contraintes nouvelles et lourdes pour l'élevage car c'est un animal territorial. Sa présence sur un territoire rend obligatoire une protection permanente des troupeaux et induit des contraintes structurelles supplémentaires pour l'élevage. B.- CETTE CRISE EXIGE UNE POLITIQUE OFFENSIVE POUR LE DÉVELOPPEMENT RURAL EN MONTAGNE Comme cela a été exposé, le pastoralisme ovin de montagne, malgré ses difficultés et ses handicaps, ne manque pas d'atouts sur lesquels il faut s'appuyer pour revaloriser et pérenniser cette forme d'élevage. La remotivation des professionnels et l'amélioration des conditions d'exercice de leur métier, la rupture de leur isolement social et la reprise d'un dialogue confiant avec les autres acteurs de l'espace rural, enfin un effort pour valoriser leur production, devraient ouvrir de meilleures perspectives. Votre rapporteur ne peut que signaler les pistes à suivre, sans être en mesure de proposer, sur ces thèmes, un véritable plan d'action pour le sauvetage du pastoralisme. Ces pistes rejoignent d'ailleurs les solutions proposées dans le cadre de deux rapports d'information récents du Sénat(20). S'agissant de la gestion des grands prédateurs dans ce paysage, la commission s'est, en revanche, efforcée, conformément à sa mission, d'apporter réponses et propositions de la façon la plus précise possible. Cet aspect sera traité plus avant dans le présent rapport. 1.─ Renforcer et concentrer tous les soutiens financiers La commission a constaté un éparpillement préjudiciable des subventions et des aides communautaires, et surtout une dilution des aides dans des programmes plus larges de soutien aux zones fragiles et défavorisées. Un effort de clarification et de meilleure lisibilité des aides financières passe par l'évaluation des besoins spécifiques des éleveurs ovins de montagne en raison de leurs difficultés propres. Outre les interventions liées à la contrainte spécifique des grands prédateurs qui seront développées plus loin, quatre types de soutien sont particulièrement justifiés par les conditions de cette activité. Des aides à l'investissement dans les bâtiments et l'ensemble des installations en montagne ; Des emplois aidés de bergers en nombre important ; Des aides à l'installation des jeunes exploitants ; Une meilleure rémunération du volet agro-environnemental du pastoralisme. En second lieu il est indispensable, dans le cadre des négociations en vue de la prochaine réforme de la PAC de redéployer les aides de façon significative en faveur de l'élevage ovin et d'augmenter les fonds alloués au deuxième pilier en faveur du développement rural. Votre rapporteur considère qu'il est grand temps que la politique agricole, tant au niveau national que communautaire, procède à un rééquilibrage, trop longtemps différé, des aides et des financements, en faveur de l'élevage ovin. 2.─ Faire évoluer le pastoralisme ovin vers des conduites d'élevage améliorées et plus productives Il est de l'intérêt du pastoralisme ovin de systématiser, avec des aides adaptées, la garde des troupeaux, indépendamment de la présence des grands prédateurs. Les aides pour l'emploi de bergers permettraient, en outre de réduire la taille des troupeaux regroupés pour des raisons économiques. La présence constante d'un ou de plusieurs bergers permet tout d'abord d'améliorer la conduite du troupeau et de lui faire suivre les meilleures possibilités de pâturages, évitant notamment le surpâturage des crêtes et l'embroussaillement des piémonts. L'utilisation optimale des capacités fourragères et le respect de plans de pâturage, devraient améliorer l'état général des troupeaux et éviter la dégradation de certaines prairies. Les ovins, peu ou mal encadrés, effectuent, en effet, de plus grands déplacements au détriment de leur engraissement et de la production allaitante. En second lieu la présence constante de professionnels auprès des animaux permet de prodiguer des soins rapides et d'éviter une mortalité naturelle qui est très supérieure dans les troupeaux non gardés par rapport à celle des troupeaux soumis à un gardiennage constant. La commission a ainsi constaté que les deux programmes LIFE ont totalisé 4,5 millions d'euros sur sept ans et pour l'ensemble des départements concernés. A titre de comparaison, sur la même période, le seul traitement de l'une des maladies de l'élevage, la brucellose ovine, a coûté à la collectivité 44 millions d'euros. En 2002, le déficit du commerce extérieur de la filière ovine s'élève à 501 millions d'euros. Cependant, les productions agricoles bénéficient chaque année de 11 milliards d'euros d'aides publiques. 3.─ Encourager la pluri-activité en montagne Dans la situation actuelle, la pluriactivité des éleveurs est apparue plutôt comme un handicap. En effet elle rend difficile une surveillance continuelle des troupeaux et elle suscite une production saisonnière qui répond mal aux besoins du marché. En outre cette diversité d'occupations répond essentiellement à une nécessité financière individuelle et assez peu à une politique générale de dynamisme économique. Or, la commission a pu constater à quel point les paysages montagnards et les zones rurales recèlent de potentiels d'activités, souvent peu exploités. C'est bien entendu au développement du tourisme qu'il convient tout d'abord de s'attacher. Le rapport précité du Sénat sur l'avenir de la montagne relève des signes inquiétants de l'érosion de la demande touristique en montagne, tout en constatant que les recettes du tourisme d'été sont supérieures à celles du tourisme d'hiver. Le tourisme de montagne, avec le développement des métiers de guides naturalistes et d'accompagnateurs de moyenne montagne peut se développer dans des proportions importantes et assurer la reconversion des stations de faible altitude. L'exemple du massif du Vercors, cité par M. Jean Marie Ouary, vice président de la Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA) Drôme, est encourageant. Ce massif compte aujourd'hui « 1 700 habitants, répartis dans cinq villages, contre 10 000 auparavant. Nous sommes passés de 4 000 journées vacances à 60 000. Je sais donc comment faire vivre le monde rural avec toute la richesse du milieu naturel, notamment assurée par le retour du lynx, du loup et de l'ours. Les citadins demandent à découvrir les richesses du milieu naturel pendant leurs vacances ». Certains interlocuteurs de la commission ont fait valoir que la présence des loups pourrait effrayer et détourner les touristes. Cette éventualité semble peu conforme au comportement habituel des loups, animal extrêmement discret et furtif et elle est contredite par l'exemple de plusieurs pays étrangers. Cette politique nécessite une vaste campagne de mobilisation ainsi que des travaux de réhabilitation des gîtes, voire de construction de nouveaux lieux d'hébergement, en harmonie avec la protection des sites. b) Faire vivre le patrimoine naturel L'image, fortement revendiquée, d'une région engagée dans la promotion du terroir peut constituer un levier très attractif pour toutes les activités et toutes les fabrications locales. Une gamme importante des produits d'artisanat, le développement de l'art animalier, le secteur de l'édition et des revues naturalistes, peuvent bénéficier du support de la défense du patrimoine naturel. L'éducation populaire à l'environnement, à la biologie des espèces sauvage et à leur observation, dispensée dans le respect des activités humaines du terrain, peut aussi largement contribuer à relancer le dynamisme économique en montagne. Une image nouvelle des milieux montagnards, en phase avec leur environnement et la protection de la nature, sans renoncement à leurs traditions, est susceptible, d'attirer une clientèle nouvelle séduite par ce contexte. La fabrication de produits agroalimentaires de qualité constitue également un atout majeur. 4.- Exploiter le capital nature On ne peut pas nier l'intérêt du public pour la faune sauvage. La littérature et les médias regorgent de descriptions exaltantes sur les vastes territoires ensauvagés qui répondent à un attrait grandissant pour la nature, notamment chez les urbains. La commission a ainsi constaté, lors de son déplacement en Italie l'enthousiasme pour le loup et l'attraction touristique qu'il suscite. Deux millions de visiteurs se rendent chaque année dans le parc national des Abruzzes où la vente de produits locaux est dopée par des labels agro-environnementaux à l'effigie du loup. Il ne s'agit pas pour autant, de perdre de vue que le contexte agricole et sociologique de ces régions italiennes se prête mieux à une telle évolution que le contexte alpin français. Le mythe d'une nature sauvage pourrait-il avoir en France une véritable valeur économique ? Une telle orientation, surtout si elle touchait à la problématique loup exigerait, à l'évidence, du dialogue, des actions concertées entre tous les acteurs concernés et, en tout état de cause, une approche locale. M. Patrick Strzoda, préfet des Hautes-Alpes a invité la commission à ne pas négliger cette approche qui voisine, bien sûr, avec un discours radicalement plus hostile au loup : « Il s'agit du discours tenu par les acteurs du tourisme, mais également, en filigrane, par un certain nombre d'élus qui constatent que la présence du loup n'a pas que des effets négatifs dans un département de haute montagne qui construit son image et son identité sur la nature préservée et l'environnement. Et parfois même, j'entends dire que cette présence du loup est porteuse ». Un verrou doit sauter si l'on veut vraiment donner toutes ses chances au pastoralisme et au développement économique en montagne. Il s'agit de l'affrontement regrettable et finalement stérile entre les professionnels de l'élevage et les associations de défense de l'environnement. Votre rapporteur souhaite la reprise du dialogue et de la coopération entre tous les acteurs concernés par la montagne et son environnement. Un rapprochement semble possible à la condition que chacun accepte et respecte la place et le rôle de l'autre. M. Henry Ollagnon, chercheur à l'Institut national agronomique, a posé le problème dans des termes pertinents à partir du constat de l'effacement de plus en plus rapide de la séparation entre le privé et le public : « Aujourd'hui, cette séparation qui n'a jamais été aussi marquée ne marche plus parce que les entités « qualités de populations animales », « qualité de troupeaux », « qualité de massifs » exigent que des acteurs privés et publics, par des processus politiquement légitimes et pertinents, s'accordent, pour une durée donnée, sur un dessein commun et sur une intelligence stratégique partagée ! Une telle démarche correspond pour moi à la définition de la notion de bien commun. Elle n'est d'ordre ni éthique, ni moral, étant entendu que, si je souscris à la nécessité d'un questionnement éthique et moral, je me place à un niveau strictement stratégique ». La commission a acquis la conviction que les objectifs poursuivis par les uns et par les autres ne sont finalement pas si éloignés et qu'une fois dissipés tous les malentendus et tous les conflits résultant le plus souvent d'un déficit de dialogue, un travail en commun fructueux pour les régions concernées pourrait être amorcé. C'est ce qui s'est passé, comme on l'a vu, dans le Haut-Béarn. Les propos de certains éleveurs ou de responsables professionnels permettent de croire à la reprise du dialogue, pourvu que les exploitants aient le sentiment d'être écoutés. M. André Pinatel, président de la chambre d'agriculture des Alpes de Haute-Provence souhaite visiblement aller dans ce sens : « Je suis responsable professionnel, je respecte les lois et je comprends qu'on cherche à trouver des moyens pour que les bergers supportent mieux la présence du loup. Des parcs ont été construits grâce à des financements. Ce pourrait être une solution, mais elle n'est pas facile à mettre en place et les financements sont insuffisants. Les chiens patous ? On connaît les dangers qu'ils représentent pour les promeneurs. Dans les Alpes-Maritimes, on le sait, des chiens ont attaqué des randonneurs. Mais les patous posent aussi de gros problèmes de gestion. Un éleveur me rappelait récemment qu'il lui faudrait dix patous pour encadrer son troupeau de 1 500 bêtes, soit un hélicoptère par semaine pour leur amener à manger. Toutes ces solutions ne sont donc pas forcément adaptées à la montagne. Mais le plus grave, c'est que les bergers ont eu le sentiment, dès 1995-1996, que tout était fait pour protéger le loup et qu'ils étaient mis au second plan ». C'est ce sentiment d'exclusion qu'il faut briser et des propos encourageants dans cette perspective, ont incontestablement été tenus devant la commission. M. René Burle, président du groupe Loup : « Depuis sa fondation, le groupe Loup France a plus que décuplé le nombre de ses adhérents, mais ce ne sont pas des adhérents comme les autres. En effet, notre association, née en milieu rural, a soutenu, depuis le début, que le retour du loup ne pourrait se faire sans l'acceptation du monde de l'élevage et des populations concernées. C'est pour cette raison que nous avons toujours préconisé le dialogue et la concertation et que nous continuons dans cette voie sans relâche et avec obstination. Pour nous, les éleveurs et les bergers ne sont pas des adversaires, mais bien des partenaires avec qui nous souhaitons trouver des solutions, car elles existent, à la cohabitation entre les hommes, les troupeaux et les loups. Le retour du loup doit donc se faire avec les éleveurs et non contre eux. Cette approche tolérante et raisonnable, nos adhérents la soutiennent en connaissance de cause et sont de plus en plus nombreux à le faire. Nous recevons des centaines de messages d'encouragement dans ce sens ». A l'initiative du groupe Loup, des opérations d'écovolontariat ont été mises en place depuis 1999 pour rapprocher les milieux urbains et les milieux ruraux. Ces opérations rencontrent un vif succès « recevant à la fois l'accueil enthousiaste de jeunes urbains désireux de se rendre utiles et l'accueil chaleureux de bergers réconfortés de se sentir soutenus ». M. Bernard Cressens, directeur scientifique de WWF France et ancien éleveur, a de son côté déclaré : « Nous avons mené plus de 13 000 programmes de conservation de la nature sur le terrain. Nous vivons donc constamment la réalité des relations entre l'homme et l'animal et de la gestion de l'espace » et également : « Il faut améliorer les méthodes d'élevage. Le travail fait par les associations pour soutenir les éleveurs va dans le bon sens et il faut soutenir les initiatives permettant d'adapter la conduite des troupeaux et d'accompagner les éleveurs. Le problème fondamental est liée à la conduite des troupeaux ». M. Roland Guichard, administrateur d'Artus, s'est situé dans la même tonalité : « Nous militons pour le respect de la différence. Si l'on respecte l'ours brun, le loup ou le lynx, qui peuvent paraître hostiles, on apprend des valeurs utiles à la coexistence entre humains en se posant des questions essentielles sur le partage des usages et du territoire et sur l'acceptation de gens que l'on ne comprend pas. Il faut aussi respecter le berger et l'éleveur en essayant de trouver une solution à leurs problèmes. Nous sommes prêts à nous asseoir à vos côtés pour vous y aider » Des exemples de collaboration existent, telle que la mise en place par WWF France et « Gîtes de France » des gîtes pandas labellisés pour la découverte de la nature et qui sont tenus par des agriculteurs et des éleveurs d'ovins. D'autres points de vue sont également encourageants, tel celui de M. Alain Rondepierre préfet de l'Isère : « L'Isère est un département moderne, tourné vers l'avenir, et les agriculteurs y participent. Ils sont bien conscients de l'importance des enjeux environnementaux dans le développement économique. Ils ont donc le souci de travailler de concert avec les associations de défense de l'environnement, lesquelles sont très pragmatiques, et ne s'opposent pas de façon systématique aux contraintes du développement économique.». Citons enfin M. Jean François Noblet, conseiller technique à l'environnement au conseil général de l'Isère et membre de la FRAPNA : « Les éleveurs peuvent compter sur les écologistes pour les aider. Nous les aiderons à passer le cap de cette révolution culturelle qui les oblige à s'adapter à la présence des prédateurs dont ils avaient perdu l'habitude ». b) Valoriser l'agneau des Alpes par rapport aux produits d'importation L'élevage ovin souffre d'un déficit d'image et le renversement de cette image est peut-être le levier le plus important pour transformer la situation, en tout cas, c'est celui qui requiert l'intervention du plus grand nombre d'acteurs locaux. De plus en plus, les consommateurs sont attentifs à l'origine et à la qualité des produits qu'ils consomment, en particulier s'agissant des viandes. Cette aspiration doit être prise en compte par les éleveurs pour valoriser les agneaux qu'ils produisent dans un cadre montagnard, respectueux du bien être des animaux, de la nature et de la faune sauvage. Cette marque d'identification qui pourrait être commune au massif alpin, serait diffusée sur le thème du haut niveau de savoir faire du pastoralisme français capable de produire des agneaux de grande qualité dans un environnement partagé avec la faune sauvage. L'élevage ovin français doit de plus en plus faire le choix des filières de qualité, dans une stratégie de différenciation vis-à-vis de la viande importée. Dans cette perspective, pourrait être labellisé, au même titre que l'agriculture biologique, ou le fromage des Pyrénées, l'agneau de montagne élevé en pleine nature. 5.- Améliorer la formation au métier de berger ainsi que les conditions de travail dans les alpages a) Beaucoup d'efforts restent à faire dans le domaine de la formation La commission a entendu Mme Michèle Jallet, responsable de la formation des bergers à l'école du domaine du Merle(21). L'organisation de cette formation professionnelle a été profondément remaniée depuis 1998. Il s'agit désormais d'une formation qualifiante et diplômante de niveau 5. Elle se déroule sur une année et comporte de nombreux stages en exploitations notamment pendant la transhumance. La majorité des stages se déroulent en zone de prédation et la partie théorique de la formation consacre un temps important aux techniques de prévention contre les prédateurs et à la préparation psychologique des stagiaires à ce genre de situation. Tous les stagiaires qui terminent la formation et qui souhaitent rester dans ce métier trouvent un emploi. Toutefois, Mme Jallet a déploré le trop faible nombre de jeunes admis à suivre cette formation tant par rapport au nombre de candidats que par rapport aux besoins de la profession. « ...notre centre est sous convention dans le cadre des programmes régionaux de formation et (...) l'on ne nous accorde que dix places conventionnées ce qui nous permet, grâce à quelques financements extérieurs, de former entre dix et quinze personnes par an. Nous ne pouvons pas en admettre plus alors même que les besoins l'exigeraient ». Selon madame Jallet, des promotions de vingt personnes par an constitueraient une meilleure réponse aux besoins. L'interlocutrice de la commission a constaté depuis quelques années la féminisation des élèves qui comptent actuellement 40 % de femmes. Le profil type du berger a également changé. Depuis la mise en place de la nouvelle formation, les stagiaires sont plus jeunes, de 27 à 28 ans en moyenne, le niveau scolaire s'est élevé, les bacheliers sont nombreux et les titulaires de diplômes de l'enseignement supérieur sont de moins en moins rares. Les motivations sont le plus souvent très positives, s'agissant de la recherche d'une certaine qualité de vie au contact de la nature. Il n'existe en France qu'un autre centre de formation diplômante, tel que celui du domaine de Merle, c'est le centre Etcharry dans les Pyrénées. A l'évidence il faut augmenter dans des proportions importantes le nombre de ces contrats de formation et le nombre de places dans les écoles. Une main d'œuvre qualifiée, nombreuse, correctement logée et rémunérée pour assurer une surveillance constante et professionnelle des troupeaux est à la base de toute démarche consistant à revaloriser le pastoralisme ovin et la qualité des produits. b) Grâce au soutien des parcs, les conditions de travail peuvent être améliorées en estive. Les conditions de vie sur les estives restent encore très précaires. Pourtant des exemples encourageants existent qui doivent être généralisés. Selon M. Pierre Weick, directeur du parc naturel régional du Vercors, le parc a développé depuis une quinzaine d'années des actions pour améliorer sans cesse la vie des bergers. « ...en améliorant les moyens de communication grâce à un système radio mis en place depuis très longtemps et financé par le parc, en installant l'électricité dans chaque bergerie, grâce à un système photovoltaïque, en améliorant sans cesse l'accès aux cabanes ainsi que leur confort. Aujourd'hui, plusieurs de nos bergeries ont des douches, l'eau chaude et des sanitaires ». M. André Pinatel, président de la chambre d'agriculture des Alpes-de-Haute-Provence, a suggéré également d'améliorer les moyens de communication des bergers en estives en construisant des relais pour les téléphones potables ou en dotant les bergers d'appareils de communication adaptés. 6.- Développer l'expertise en matière de pastoralisme et créer une discipline universitaire La commission a constaté une relative faiblesse du dispositif recherche/ développement en matière de pastoralisme. Mme Nathalie Lacour a par exemple déclaré à la commission : « Dans le cadre du programme LIFE, qui est cofinancé par l'Europe, on a cherché à évaluer les conséquences économiques du retour du loup en France. Nous n'avons pas pu trouver d'interlocuteur acceptant de se positionner sur cette question et nous n'avons donc pas pu faire faire d'études pour chiffrer les pertes ni les conséquences du stress sur les troupeaux, comme les avortements provoqués ou les pertes de productivité en lait ». Le pastoralisme est une technique qui sait évoluer et s'adapter, alliant tradition et modernité, ce n'est pas un sous-élevage. Les informations et les études relatives aux différents aspects de cette activité sont trop dispersées, mal relayées auprès des autorités publiques et surtout ne répondent pas à des thématiques précises. Il serait donc utile de créer une discipline universitaire pour répondre à un besoin de cohérence et pour améliorer la connaissance du milieu pastoral dans toute sa complexité et sous tous ses aspects : social, économique, environnemental, agronomique, sociologique, etc. Cette démarche aurait également l'avantage de regrouper les moyens humains et financiers très dispersés et peu lisibles aujourd'hui. Le pastoralisme doit devenir un thème de recherche/développement en phase avec les besoins du monde rural. Ce type de programme de recherche pourrait, notamment, être éligible aux fonds européens du VIème programme cadre de recherche/développement. Inscrire les thématiques pastorales dans des programmes de recherche faciliterait et rendrait plus crédible la pratique généralisée de la gestion agri-environnementale des espaces. Cette démarche, porteuse d'une forte valeur ajoutée pour le pastoralisme, devrait contribuer à rapprocher, les gestionnaires des parcs, les agriculteurs, les administrations concernées et les milieux écologistes. TROISIÈME PARTIE : LES DISPOSITIFS DE PRÉVENTION ET DE RÉPARATION DES ATTAQUES DE GRANDS PRÉDATEURS, BIEN QU'IMPORTANTS, N'ONT PAS SUFFI À RÉGLER LES IMMENSES DIFFCULTÉS AUXQUELLES SONT CONFRONTÉS LES ÉLEVEURS I.- DES DÉPENSES DÉJÀ IMPORTANTES QUI VONT S'AMPLIFIER ET QU'IL REVIENT À LA SOLIDARITÉ NATIONALE DE PRENDRE INTÉGRALEMENT EN CHARGE Confrontée à la présence du loup, la France, on l'a vu, ne peut plus, si elle veut respecter ses engagements internationaux, recourir à l'éradication de l'animal pratiquée au cours des siècles derniers. Il faut donc accepter la présence du prédateur mais il faut la gérer. Ainsi, le loup ne saurait être toléré partout, en particulier quand il pose des problèmes insurmontables à l'élevage, nous y reviendrons. De plus, dans les zones où la présence du loup peut être acceptée, les conséquences négatives, liées à cette présence, doivent être intégralement compensées par la solidarité nationale. Au contraire, le poids, économique, de cette présence est aujourd'hui intégralement subi par les éleveurs et les bergers victimes des prédations. L'Etat, avec l'aide de l'Union européenne, a mis en place un certain nombre de dispositifs visant à prendre en charge le surcoût, mais ils sont insuffisants, malgré un coût budgétaire important que la commission a tenté d'évaluer. Reste la question du futur : comme on l'a vu dans la première partie, il n'y a aucune raison pour que l'expansion du loup s'arrête ou se ralentisse entraînant ainsi des coûts budgétaires supplémentaires. La France est elle prête à supporter cette charge ? « Le jeu en vaut-il la chandelle ? » La question mérite, au moins, d'être posée ! A.- L'ÉLEVEUR EST LA PRINCIPALE VICTIME DE LA RÉAPPARITION DU LOUP Au cours de ses auditions, la commission a eu l'occasion d'entendre le témoignage de nombreux bergers et éleveurs. A chaque fois, elle a été frappée par la détresse et le profond sentiment d'injustice qu'ils exprimaient. Les bergers et les éleveurs ont effectivement le sentiment de subir une situation qui leur a été imposée, sans qu'ils aient jamais été consultés, et dont ils sont les principales victimes. Sentiment d'injustice aggravé par le fait qu'ils avaient la certitude de s'inscrire pleinement dans la logique d'une réorientation de l'agriculture moderne qui accorde plus de place à l'environnement. Qui, en effet, à part ces bergers et ces éleveurs, s'occupe encore d'entretenir les montagnes, de lutter contre la reforestation et la fermeture des espaces de montagne ? Or ces montagnards ont le sentiment très net de se faire déposséder d'un territoire qu'ils ont contribué, et contribuent encore, à façonner au bénéfice d'une population urbaine qui a une idée de la montagne exclusivement ludique et une vision de la nature plus proche du fantasme que de la réalité. La réapparition du loup a des conséquences fondamentales sur les pratiques pastorales de l'arc alpin, pratiques qui s'étaient développées à une époque où le prédateur était absent et qui s'étaient même accrues grâce à l'absence de prédateurs. 1.- Des conséquences économiques qui remettent en cause la viabilité des exploitations L'attaque d'un troupeau ovin par un prédateur comme le loup n'a pas comme seule conséquence la perte d'animaux. Les effets d'une action de prédation sont à la fois directs et indirects. Une étude du groupement d'intérêt économique (GIE) « Alpages et forêts » de Savoie(22) recense parfaitement les multiples conséquences négatives de la présence du loup sur les exploitations ovines. Les pertes directes sont, bien sûr, les animaux morts ou disparus mais aussi les animaux abattus suite à de fortes blessures ainsi que la perte de l'acquis génétique du troupeau. La sélection des bêtes à l'achat s'effectue en effet selon des critères qualitatifs précis. Les pertes indirectes sont la baisse de fécondité, la chute de la production laitière, les nombreux avortements, la perturbation de l'ovulation, le non-sevrage d'agneaux rendus orphelins, le renouvellement des brebis tuées par des agnelles (d'où une diminution du nombre d'agneaux pendant deux saisons), la perte de poids des agneaux et enfin la baisse de qualité qui se traduit par le déclassement de certains agneaux. Toutes ces pertes, directes et indirectes, se traduisent par une augmentation des charges : augmentation des frais vétérinaires, achat, entretien et alimentation de chiens de protection, déplacement sur l'alpage pour soigner les chiens lors de la période de non gardiennage, usure accélérée des véhicules professionnels, achat de clôtures électrifiées et de piles solaires supplémentaires, aménagement de cabanes en vue de l'occupation permanente par du personnel salarié durant l'été, recours à l'embauche d'aides-bergers et, enfin, le complément d'alimentation des agneaux. En terme de temps également, la présence de prédateurs implique un investissement supplémentaire pour surveiller le troupeau, rechercher les brebis disparues, élaborer les constats d'attaque, établir les démarches administratives de remboursement et acheter de nouvelles bêtes. Il existe en outre un risque de baisse de certaines primes, si les bêtes perdues ne sont pas renouvelées ou si des engagements de mesures agro-environnementales ne sont pas tenues. 2.- Des études de cas qui confirment cette analyse De nombreuses études de cas ont été menées pour évaluer le coût économique pour une exploitation de la présence du prédateur. Ainsi la chambre d'agriculture des Bouches-du-Rhône(23) a-t-elle essayé d'effectuer cette évaluation sur l'exploitation de M. Jean-Pierre Jouffrey, éleveur à Arles, pratiquant la transhumance estivale sur la commune d'Allevard en Isère, et qui fut d'ailleurs le premier éleveur affecté par l'arrivée du loup dans ce département. La chambre d'agriculture estime que : « Les incidences technico-économiques des attaques des prédateurs survenues en alpages sur le troupeau de M. Jean-Pierre Jouffrey ces deux dernières saisons sont considérables. Elles remettent en cause l'organisation même de la conduite de l'élevage : lutte principale de printemps incomplète, production d'agneaux d'alpages impossible, perturbation du travail estival en plaine...Elles désorganisent également le schéma habituel de pâturage des alpages : parcage nocturne forcé du troupeau avec abandon des lieux traditionnels de couchade, surpâturage de certains secteurs près des cabanes, impossibilité de pâturage des quartiers d'automne, stress permanent du troupeau » Et d'ajouter, après un calcul économique serré et précis : « les pertes économiques liées aux attaques de l'été 1999 représentent à ce jour près de 20 % du chiffre d'affaires de l'exploitation (indemnisations prévisionnelles déduites). Elles sont largement supérieures aux indemnisations prévues dans le cadre du programme « LIFE Loup ». Une analyse économique(24) semblable a été effectuée par l'APPAM (Association pour le pastoralisme dans les Alpes-Maritimes) sur deux exploitations pour l'année 2002, année où les prédations n'ont, en l'occurrence, pas été particulièrement élevées. Les calculs sont fondés sur le travail effectué lors de la constitution des CTE respectifs des exploitants. L'étude conclut, pour les deux exploitations, à une perte de revenus située entre 35 et 40 % du fait de la présence du prédateur sur ses pâturages! Le stress engendré, lui, ne se chiffre pas et il est pourtant un élément perturbateur majeur, même en l'absence de prédations importantes cette année-là. Ce dernier point est fondamental. Il prouve bien que, même en l'absence de prédations, l'exploitant voit ses revenus diminuer du fait de la simple présence du prédateur et de la possibilité d'une attaque. Or, cette baisse de revenus est très insuffisamment compensée par l'Etat, puisque l'indemnisation n'intervient que lorsqu'il y a eu prédation. 3.- Des conséquences psychologiques redoutables Au-delà de ces considérations économiques, la présence du prédateur a des conséquences morales et émotionnelles très importantes en termes de stress, de fatigue, d'énervement et de découragement pouvant mener à de véritables dépressions, tant cette remise en cause de l'utilité du travail de l'éleveur ou du berger est profonde. Ainsi M. René Tramier, chargé du dossier Loup à la Fédération nationale ovine, membre du conseil d'administration de la FNO et président de la Fédération ovine du Sud-Est, explique-t-il : « Les éleveurs et les bergers vivent dans un stress permanent. On ne sait jamais le matin, voire dans la journée, ce que l'on va trouver. Aujourd'hui, on nous parle beaucoup de bien-être animal. Or, nous malmenons nos animaux : nous les ramenons tous les soirs au point de départ. Le pastoralisme signifie de très grandes superficies à parcourir, des kilomètres et des heures de marche. Tout cela porte tort aux animaux comme le piétinement des bêtes porte tort à la flore. » De même, Denis Grosjean, vice-président de la FNO, en charge du dossier Prédateurs, président de la Fédération régionale ovine Rhône-Alpes et secrétaire général de l'Association de défense du pastoralisme contre les prédateurs, raconte-t-il : « Je voudrais vous faire part du sentiment d'un éleveur de moutons, que l'on n'arrive jamais à faire partager. Le matin, vous partez faire le tour de vos parcs ou de votre troupeau en montagne avec l'estomac noué, en vous demandant ce que vous allez trouver et précisément vous trouvez des cadavres de moutons, et cela à répétition. C'est absolument insupportable. Je ne crois pas qu'il y ait une autre profession dont on oserait saccager les outils de travail, démolir les magasins, les bureaux, les voitures en lui expliquant que quelques loubards ont besoin de se défouler et qu'elle sera indemnisée. C'est à peu près dans cette situation que l'on nous met et c'est en usant de ce type de procédé que l'on veut nous faire accepter l'impossible ! ». Les nombreux éleveurs entendus par la commission, notamment lors de ses déplacements, sont unanimes, et la commission dans son ensemble soutient leur volonté de refuser toute régression sociale due à la présence du loup. Les métiers d'éleveur et de berger sont des métiers très difficiles que les progrès techniques ont quelque peu facilités, mais il est hors de question de demander à ces personnes de revenir à des pratiques du début du siècle, certes encore pratiquées mais dans certains pays dont le niveau de développement n'est pas comparable à celui de la France. Alors que le reste de la France est passée aux 35 heures, il faudrait que les bergers et les éleveurs reviennent à des méthodes de travail ancestrales ! Si cohabitation entre loup et pastoralisme il doit y avoir - et nous verrons qu'elle n'est pas possible partout - celle-ci doit se faire à coût zéro pour l'éleveur, la collectivité nationale devant prendre intégralement en charge le surcoût engendré par la présence du prédateur. Or, aujourd'hui, malgré l'importance des sommes investies, les surcoûts liés aux changements de pratiques des éleveurs et à la mise en œuvre quotidienne des mesures de protection en « année de croisière », en dehors des surcharges de travail et de stress liées aux attaques, ne sont pas pris en compte. Par ailleurs, la souffrance psychologique des éleveurs et des bergers est encore insuffisamment reconnue. Comme le reconnaît Mme Geneviève Carbonne, ethnozoologue et actrice de la première heure de cette histoire maintenant vieille de dix ans : « Je crois que l'on a vraiment manqué d'humanité à l'égard de cette profession. Je considère qu'on ne les a pas suffisamment accompagnés dans ce problème. Souvent, ce n'est pas seulement une question d'argent ou une question technique, il s'agit d'être avec eux et de ne pas monter les voir, juste pour faire un constat ». B.- LES MOYENS MIS EN œUVRE : LE COÛT DU LOUP La présence des loups est due à un choix de société et il revient à la société toute entière d'en assumer les conséquences, notamment financières, non à une petite partie de la population. Ainsi, l'Etat , avec l'aide de l'Union européenne, a investi des sommes importantes, pourtant insuffisantes, dans la gestion de ce dossier. Choix de société donc, même si ce choix n'a pas, à notre avis, été fait en toute connaissance de cause. Comme on l'a vu, lors de la ratification de la convention de Berne, le loup n'était pas encore présent sur notre territoire ; en outre, l'arrêté de protection de 1993 n'a pas fait l'objet d'un débat suffisamment approfondi. Il a davantage été la conséquence d'une décision prise dans les administrations parisiennes, sans que les premiers concernés, les populations locales et leurs élus, aient été effectivement consultés. Choix de société encore, mais qui repose souvent sur une image tronquée du loup que les médias répandent avec une certaine complaisance, loin de la réalité du loup, telle qu'elle est vécue par les populations locales. Enfin, ce choix est entaché de certaines ignorances, en particulier concernant le coût du loup. Dans un souci de transparence, la commission d'enquête a tenté de clarifier ce point. L'exercice est en soi difficile : une analyse économique complète du loup, devrait intégrer à la fois les pertes financières liées à la prédation sur l'élevage ovin, les crédits publics mis en œuvre, mais aussi (pourquoi pas ?) les bénéfices que certaines activités, touristiques par exemple, peuvent, le cas échéant, tirer de la présence de ce prédateur. Une telle étude, qui devrait analyser les flux monétaires entre les différents acteurs, reste à faire. Elle était d'ailleurs prévue par le deuxième programme LIFE mais l'appel à candidature est resté sans réponse. La commission a dû se limiter à répertorier les dépenses publiques liées à la présence du loup, exercice lui-même délicat, étant donné l'absence de comptabilité analytique de l'Etat. Il est, par exemple, difficile de savoir, au sein des administrations, quel pourcentage du temps de travail est consacré à ce dossier. Les chiffres indiqués ci-dessous sont donc a minima. Ils ne comprennent pas, notamment, les crédits investis par les associations de protection de la nature que la commission n'a pas été en mesure de calculer, malgré la demande effectuée auprès desdites associations. Ils permettront néanmoins à tous ceux que cela intéresse d'avoir une vision plus équilibrée de la présence du loup en considérant les conséquences budgétaires importantes de sa présence. A la suite de la réapparition du loup dans le parc national du Mercantour, le ministère de l'environnement de l'époque a chargé le parc, en 1993, du suivi scientifique de l'espèce, de la gestion et de la prévention des dommages sur le cheptel domestique ainsi que de la communication à destination du grand public, dernière tâche dont le parc s'est chargé avec un prosélytisme certain. A partir de 1997, au vu de l'expansion du loup sur l'arc alpin, la France obtient de la Commission européenne l'attribution, pour trois ans, d'un programme LIFE nature dont les objectifs étaient les suivants : - rechercher les méthodes et les solutions de nature à permettre l'acceptation sociale et la conservation de la population de loups installée dans les Alpes-Maritimes ; - accompagner l'expansion de l'espèce dans l'ensemble du massif alpin. Ces objectifs sont déclinés en quatre volets : - améliorer la connaissance du loup ; - mettre en place des mesures d'accompagnement en faveur des éleveurs ovins concernés (notamment le développement de pratiques pastorales particulières dans les zones à loups et l'amélioration de la protection des troupeaux) ; - réintroduire des ongulés sauvages ; - développer la communication à ce sujet. Qu'est-ce qu'un programme LIFE ? Un programme LIFE (L'Instrument Financier pour l'Environnement) est un programme européen « de lancement » qui permet, grâce à la mobilisation de fonds communautaires sur une période donnée (en général trois ans), d'initier des actions de gestion, de protection ou de conservation dans les domaines de l'environnement ou de la nature. Les programmes LIFE favorisent des expérimentations qui peuvent permettre, par la suite, l'adoption de mesures nationales ou de mesures s'appuyant sur des fonds communautaires. Les crédits liés aux programmes LIFE ne sont donc pas pérennes puisque, si les mesures sont considérées comme devant être poursuivies, il revient à l'Etat-membre de les prendre à sa charge. Ainsi l'Union européenne a-t-elle refusé que les crédits d'indemnisation des dommages prévus dans le deuxième programme LIFE soient utilisés dans le Mercantour, dans la mesure où une telle mesure était déjà inscrite dans le deuxième programme et où il revenait donc au ministère de l'environnement de financer ces indemnisations. Doté de 1,136 million d'euros, ce programme fut financé, au départ, pour moitié chacun, par l'Union européenne et l'Etat français, sur les crédits du ministère de l'environnement. Sa gestion fut assurée par l'Office national de la chasse et de la faune sauvage. Conçu à l'origine pour les Alpes-Maritimes, il a dû être rapidement étendu aux autres départements des Alpes du sud : Alpes de Haute-Provence et Hautes-Alpes. Détail des crédits engagés de 1997 à 1999 par le ministère chargé de l'environnement et l'Europe (premier programme LIFE)
Les crédits prévus pour l'indemnisation des dommages et le financement des mesures de protection ont malheureusement été insuffisamment provisionnés et ont été épuisés au bout, respectivement, de 17 et 24 mois. Le ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement a donc pris le relais financier, allant au-delà des obligations auxquelles il s'était engagé dans le cadre du programme LIFE. 2.- Le deuxième programme LIFE Afin de faire face à l'expansion du loup dans les Alpes du Nord, le ministère de l'environnement a déposé un dossier au début de l'année 1999 sollicitant l'obtention d'un deuxième programme LIFE. Ce deuxième programme, doté de 2,836 millions d'euros, est financé à 40 % par l'Union européenne, à 55 % par le ministère de l'environnement et à 5 % par le ministère de l'agriculture. En effet, comme l'explique M. Bruno Julien, responsable des programmes LIFE à la direction de la protection de la nature de la Commission européenne, « Nous avons exigé du ministère de l'environnement que le ministère de l'agriculture soit cofinanceur afin qu'il soit partie prenante dans la stratégie de protection du loup dans le cadre du zonage. La Commission, souhaitant protéger la nature, mais pas au détriment de l'homme, a exigé que les acteurs économiques, ou tout au moins les ministères les représentant, soient impliqués dans ce dossier. Nous avons donc un taux de cofinancement de 5 % du ministère de l'agriculture. » Deux régions (Provence-Alpes-Côte d'Azur et Rhône-Alpes) et 10 départements (Alpes-de-Haute-Provence, Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes, Vaucluse, Ain, Drôme, Isère, Savoie, Haute-Savoie, Var) sont concernés par le programme sachant que deux départements (Ain et Vaucluse) n'ont pas encore été atteints par le prédateur et que deux autres (Var et Haute-Savoie) ne sont concernés que de façon épisodique. Encore une fois, c'est l'Office national de la chasse et de la faune sauvage (ONCFS) qui est chargé de la gestion administrative et financière. Comme pour le premier programme LIFE, certaines lignes de crédits ont été utilisées très rapidement et l'Etat a dû prendre le relais du financement, par exemple, la ligne des « aides-bergers » et la ligne « indemnisation ». Comme le craignait M. Braque dans son rapport, la ligne « indemnisation » a été, en particulier, largement sous-évaluée. Actions financées à 100 % par le ministère de l'écologie et du développement durable Après épuisement des crédits LIFE
Source : ministère de l'écologie et du développement durable De son côté, le ministère de l'agriculture a également été au-delà des 5 % (soit 141.800 euros) prévus par le programme LIFE : sur la période 2000-2002, ce sont près de 997 016 euros qui ont été débloqués sur le budget du pastoralisme pour financer des mesures pastorales destinées à aider les éleveurs confrontés au prédateur.
Source : ministère de l'écologie et du développement durable Le tableau ci-dessus retrace l'ensemble des crédits consacrés à la politique de soutien du pastoralisme et de gestion du loup de 1997 à 2002. Précisons que seuls les 5 % prévus par le programme LIFE pour le ministère de l'agriculture sont pris en compte, mais pas les mesures évoquées plus haut qui vont au-delà. Ainsi, pour les années 2000, 2001 et 2002, l'ensemble des crédits destinés au loup, si l'on ajoute les crédits de soutien au pastoralisme ouverts par le ministère de l'agriculture, est de 7,446 millions d'euros. Encore faut-il préciser que ces chiffres n'intègrent pas le coût des agents titulaires de l'Etat qui travaillent sur ce dossier et ils sont particulièrement nombreux. Tous ne sont pas employés à 100 % sur ce problème mais celui-ci occupe une partie importante de leur activité : comme le détaille Louis Olivier, directeur du parc national du Mercantour, en 1997, le dossier loup occupait les agents du parc à plus d'un titre : « - les observations de terrain destinées à recueillir les indices de la présence du loup, afin de déterminer ses effectifs et le territoire des meutes, ont représenté 816 demi journées d'agent de terrain ; - le parc participa cette année-là aux constats de dommages sur les troupeaux à hauteur de 415 demi-journées ; - à titre de comparaison, les comptages et programmes de recherche sur les ongulés sauvages ont occupé les agents du parc pendant 576 demi-journées. » De même, la DDAF des Alpes-Maritimes estime-t-elle que ce dossier monopolise un agent de catégorie A à 30 % de son temps, soit, sur 10 ans, une somme de 180 000 euros. Selon les documents transmis par le ministère de l'environnement et du développement durable à la commission, le coût en personnel du constat des dégâts peut être globalement évalué à trois ETP (équivalent temps plein) techniques par an, soit 160 000 euros. Le coût du fonctionnement du réseau de suivi du loup (mais aussi du lynx) mobilise le même nombre d'agents, soit 160 000 euros de nouveau. En termes de personnels administratifs, en administration centrale et dans les services déconcentrés, il faut compter 3 ETP, soit de l'ordre de 120.000 euros pour l'environnement et 4,6 ETP pour l'agriculture soit près de 190.000 euros. Ces dépenses de personnel approcheraient donc globalement environ 630.000 euros par an. Ainsi en intégrant tous les coûts de fonctionnement et Quelle est la situation budgétaire pour l'année 2003 ? Cette question soulève beaucoup d'inquiétudes parmi les éleveurs qui craignent qu'avec la fin du second programme LIFE (il devait se clôturer le 31 mars 2003), les aides qui leur sont accordées ne soient plus financées. La France a d'abord demandé le 18 décembre 2002 que le programme LIFE soit prolongé d'un an. Plusieurs raisons motivaient cette demande : d'une part, le démarrage différé du programme sur plusieurs massifs et d'autre part, la non-consommation de certains crédits et la non-réalisation de certaines actions. Cette prolongation a été accordée le 18 décembre 2002 et le programme s'achèvera en décembre 2003 (avec une clôture administrative et financière en mars 2004). Il faut bien préciser que cette prolongation ne s'accompagne d'aucune ouverture supplémentaire de crédits : elle permet simplement de gagner un peu de temps pour dépenser les crédits européens restant disponibles. Pour autant, nous l'avons vu, de nombreuses lignes budgétaires sont déjà épuisées et le financement de ces actions (indemnisations, mesures de protection) est déjà assuré quasi intégralement par l'Etat. L'enjeu pour 2003 était donc de connaître la répartition de ce financement entre les deux ministères concernés, l'environnement d'un côté, l'agriculture de l'autre. Un accord a été trouvé, ce dont se félicite votre rapporteur, selon une répartition fonctionnelle du financement : le ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche et des affaires rurales prendra à sa charge les moyens de prévention tandis que le ministère de l'écologie et du développement durable prendra à sa charge : - l'ensemble des coûts liés au personnel de l'équipe LIFE (les techniciens pastoraux, le chargé de communication, les 2 biologistes et 3 personnes pour le secrétariat) ; - les crédits d'urgence pour la mise en place du protocole ; - l'indemnisation des dégâts et les coûts liés à la procédure de constat des dommages ; - le fonctionnement du réseau loup. Après consultation des DDAF concernées, un budget prévisionnel a été établi. Le tableau ci-dessous retrace la répartition des tâches et des financements entre les deux ministères : Tableau récapitulatif des besoins financiers pour 2003
Source : ministère de l'écologie et du développement durable / ministère de l'agriculture, de l'alimentation de la pêche et des affaires rurales. Les crédits présentés sous la colonne Europe sont ceux que le ministère de l'agriculture espère voir financés par des fonds européens, via le deuxième pilier de la politique agricole commune. On constate, par ailleurs, une montée en puissance du ministère de l'agriculture dans le financement des mesures dues à la présence du loup. Votre rapporteur approuve cette réorientation car elle permet d'intégrer les mesures de protection dans une politique plus globale de soutien au pastoralisme qui est très demandée par les éleveurs. On voit donc que, pour l'année 2003, un plan Loup et de soutien au pastoralisme est programmé dont le financement semble assuré. Mais qu'en sera-t-il dans les années futures ? Il est très important que les acteurs de ce dossier, et plus particulièrement les éleveurs, disposent d'une certaine visibilité financière à moyen terme. Comme toute activité économique, l'élevage doit disposer, pour fonctionner, d'un horizon financier dégagé. La présence du loup a déjà multiplié les incertitudes et les aléas économiques. Si, de surcroît, les aides de l'Etat pour pallier ces difficultés ne sont pas pérennes et sont sujettes à des arbitrages budgétaires chaque année, l'exercice deviendra impossible pour les éleveurs. Or, il est très probable que les coûts, déjà importants, liés à la présence de ce prédateur vont aller en augmentant, ne serait-ce qu'en raison de la poursuite de son expansion territoriale. La collectivité est-elle prête à assumer cette charge ? Il est d'ores et déjà acquis - ou quasiment - qu'il n'y aura pas de troisième programme LIFE : ceux-ci ont une vocation expérimentale et de démarrage, et les mesures mises en place doivent, en cas de succès, être prises en charge par l'Etat-membre. L'Etat français doit donc s'engager très clairement sur le financement à long terme du dispositif. Il conviendrait en particulier de réfléchir à une « Indemnité compensatrice de prédation » qui intégrerait l'ensemble des surcoûts d'exploitation. Cette indemnité pourrait contribuer fortement à la survie des pratiques pastorales ovines sur d'immenses territoires de montagne, au maintien d'éleveurs dans ces zones et à leur production de qualité, d'une « force de tonte » animale irremplaçable dans ces milieux difficiles et qui contribue à entretenir une diversité biologique et paysagère unanimement reconnue. Ce financement peut passer, comme le prévoit le ministère de l'agriculture pour 2003, par une meilleure utilisation des fonds communautaires, et en particulier le fonds de développement rural. Comme l'explique M. Nicholas Hanley de la direction de la protection de la nature de la Commission européenne, « Jusqu'à présent, la France n'a pas fait appel à des fonds communautaires pour financer la gestion de programme de cohabitation avec le loup, mais d'autres pays l'ont fait. Ainsi, la région de Lazio en Italie utilise actuellement les fonds de développement rural dans le deuxième pilier de la PAC pour financer un programme de compensation des pertes liées à la présence du loup. Autre exemple, en Grèce, celui du financement d'un programme visant à gérer la présence de l'ours dans les pâturages. Ce programme prévoit notamment la compensation des pertes de revenus et l'achat de chiens de protection. » M. Hanley ajoute que « dans le cadre de la révision du fonds de développement rural, la Commission a inclus pour la première fois une référence explicite à l'éligibilité des dépenses de compensation liées à une mise en œuvre des directives Habitats et Oiseaux. La situation n'était pas très claire jusqu'à présent et certains ministères de l'agriculture contestaient cette éligibilité. Pour éviter toute confusion, la Commission a donc, dans sa nouvelle proposition, indiqué clairement que des dépenses qui sont liées à la mise en œuvre des directives Habitats et Oiseaux sont éligibles pour les aides aux agriculteurs découlant de ces directives. » Il appartient donc au gouvernement d'exploiter toutes les pistes possibles, en particulier européennes, pour que ce dossier bénéficie d'un financement pérenne. II.- DES MESURES DE PROTECTION TRÈS INÉGALEMENT EFFICACES SUR LE TERRITOIRE Ces sommes, importantes, ont servi à financer de nombreuses actions : le suivi de la population de loups, sa connaissance scientifique mais surtout, et c'est ce qui nous intéresse ici, les mesures de protection. Celles-ci sont essentiellement au nombre de trois : les aides-bergers, les chiens de protection et les parcs de contention. Pour que la protection ait des chances d'être efficace (et même ainsi, cette efficacité ne saurait être garantie partout), les trois éléments suivants doivent être réunis : présence humaine, regroupement du troupeau la nuit, chiens de protection. Nombre d'associations écologistes ont tendance à faire de ces mesures de protection l'alpha et l'oméga de la problématique du loup, sans avoir pleinement conscience des difficultés, réelles, de leur mise en œuvre et des conditions de leur efficacité. C'est en effet la conclusion à laquelle est arrivée la commission : les mesures de protection, si elles sont correctement mises en place, peuvent être efficaces mais ont des effets négatifs non négligeables. Par ailleurs, même avec toute la bonne volonté de l'éleveur, certaines conditions topographiques ou géographiques rendent ces mesures totalement inefficaces. Il n'existe donc pas « une » solution à une problématique mais « des » solutions variées à des situations diverses et complexes. D'où l'absolue nécessité de partir du territoire et de sa réalité concrète. A.- LES MESURES DE PROTECTION PRÉCONISÉES 1.- La présence humaine : les aides-bergers Dès le premier programme LIFE, il est apparu que les mesures d'aide au gardiennage étaient les plus appréciées des éleveurs. Cette réalité souligne l'importance de la dimension psychologique du problème. On a vu précédemment que la présence du loup engendre des contraintes supplémentaires dans la conduite des troupeaux ovins et la gestion de l'unité pastorale d'altitude. Pour tenter de répondre à la surcharge de travail qu'entraîne la mise en place de la prévention sur les alpages, la mesure aide-berger est donc proposée aux alpagistes. Les missions de l'aide-berger consistent à participer au surcroît de travail qu'impose la présence des prédateurs sur l'alpage : - le déplacement des parcs mobiles pour le regroupement nocturne du troupeau ; - l'aide au transport du matériel lors du changement de quartier ; - l'alimentation et les soins du ou des chiens de protection ; - la participation, en collaboration avec les agents chargés des constats, à la recherche des bêtes tuées, blessées ou égarées, permettant de prouver les dommages. Ainsi en 2002, plus d'une centaine d'emplois d'aides-bergers ont été financés.
La diversité des modes d'élevage constatée entre les départements les plus au sud et les plus septentrionaux entraîne des modalités de mise en place des aides-bergers différentes. Si la mesure, telle qu'elle est proposée, permet l'embauche d'aides-bergers sur une durée satisfaisante (3 mois) dans le contexte des Alpes du nord, en revanche, les conditions climatiques d'autres départements, situés plus au sud, peuvent justifier le maintien des troupeaux à l'extérieur sur une période dépassant celle d'estive. L'utilisation des zones intermédiaires (prairies et parcours de printemps et d'automne), se traduit par des besoins en aides-bergers durant l'intersaison, lesquels sont rarement satisfaits, faute de moyens. Restent des difficultés et des écueils à éviter : d'une part la cohabitation, sur le plan pratique, entre l'éleveur ou le berger et l'aide-berger est parfois difficile dans des logements d'alpage souvent peu spacieux et peu confortables. Il convient donc d'aménager ces lieux de vie de façon appropriée. Par ailleurs, il ne faut pas confondre berger et aide-berger : le rôle du berger est de permettre l'alimentation du troupeau pendant toute la durée d'estive et de veiller au bon état sanitaire des animaux. Il doit ainsi connaître et savoir soigner les pathologies spécifiques des ovins de montagne. Surtout, c'est lui qui est responsable, devant son employeur, de l'état du troupeau et qui lui rend compte du déroulement de la campagne d'estive. Son rôle est donc tout à fait différent de celui de l'aide-berger, tel qu'il a été décrit plus haut, et ce dernier ne saurait le remplacer. Cela soulève le problème des petits troupeaux qui ne sont gardés que par un aide-berger et pour lesquels l'utilisation d'un berger n'est absolument pas rentable. Source : DIREN-PACA Il conviendrait donc de mettre en place un système d'aides permettant à ces petits troupeaux de financer un vrai berger. Peut-être faudrait il envisager une aide complémentaire permettant d'aider ces petits éleveurs, qui sont déjà les plus sensibles aux conséquences économiques de la prédation, à rémunérer un berger lors des estives. Dans le cadre du programme LIFE Loup, une des mesures de prévention proposée aux éleveurs ovins consiste en la mise en place de ce type de chiens dit « de protection ». Ces chiens sont parfois présentés comme la solution miracle à la prédation. La réalité est beaucoup plus nuancée. Certes, ces chiens peuvent être efficaces contre les attaques de loups mais ils posent aussi de nombreux problèmes : un coût d'entretien très important qui n'est pas pris en charge par la collectivité, une agressivité très problématique et maintes fois soulignées, une interaction également problématique avec la faune sauvage ... Il faut donc avoir conscience de ces limites et de ces difficultés avant de présenter les chiens de protection comme l'ultime panacée. Qu'est-ce qu'un chien de protection ? Il s'agit, en fait, de certains chiens de races particulières, dont on a développé l'instinct de protection vis-à-vis d'un troupeau. Cet instinct se développe au cours d'une phase d'imprégnation du jeune chiot au troupeau qu'il devra défendre : placé au milieu d'ovins, il adapte son comportement à celui des brebis et non pas à celui de ses congénères. Cependant, en cas d'agression du troupeau, le chien doit retrouver son comportement instinctif de canidé dans une attitude de protection que lui dicte son attachement au troupeau. La mise en place des chiens de protection est un peu particulière. On ne peut parler de dressage mais plutôt d'éducation spécifique. Le principe de base est d'effectuer un transfert d'affection du chien vers les moutons avec une bonne acceptation de l'humain (à l'inverse du chien de conduite dont toute l'affection est portée sur le maître). Le chien doit, à proprement parler, vivre avec le troupeau. Il doit dormir, manger et rester avec lui, quelles que soient les conditions climatiques ou environnementales. Il assure ainsi la protection du troupeau durant les circuits de pâturage d'estive, d'intersaison et d'hiver, aussi bien en présence du berger qu'en son absence (au cours de la journée durant la chôme, et surtout la nuit). Cela évite à l'aide-berger ou au berger d'avoir à veiller à proximité des brebis, avec une efficacité, en terme de protection, bien supérieure. Reste une difficulté importante : que faire des chiens patous hors des saisons d'estive ? Il est indispensable qu'ils restent avec le troupeau mais cela peut créer des difficultés importantes avec les voisins, sans oublier le coût que représente leur nourriture. La mise en place de chiens de protection constitue souvent la dernière mesure de prévention prise par les éleveurs, compte tenu de l'investissement à long terme que cela implique, de la mauvaise réputation de ces chiens et des problèmes posés par leur présence au sein du troupeau. Ainsi la plupart des éleveurs attendent d'être en situation de prédation pour introduire des chiens (ce délai peut même atteindre plusieurs années de présence du loup, pour certains). On a néanmoins observé en 2002 une montée en puissance en Savoie et dans l'Isère de cette mesure. Ainsi, au cours de l'année 2002, 66 chiens ont été financés dont 30 chiens pour la PACA et 36 chiens pour la région Rhônes-Alpes. Cette action se poursuit de façon satisfaisante puisque la mise en place de chiens pendant l'hiver 2002-2003 pourrait concerner une quarantaine de chiens. Le nombre de chiens financés par le programme est très inférieur au nombre réellement présent sur l'ensemble de l'arc alpin (cf. tableau ci-dessous). On estime à un tiers le nombre de chiens en activité ayant pu bénéficier de subventions, avec des variations importantes selon les départements : de 11% des chiens présents, effectivement subventionnés au titre du programme LIFE dans les Alpes-Maritimes à 56 % pour les Hautes-Alpes.
Source : DIREN PACA 2002 Malgré ces progrès, on constate un indéniable scepticisme, voire une certaine inquiétude chez les éleveurs, vis-à-vis du chien de protection. Ils craignent en effet les interactions avec les êtres humains et en particulier avec les randonneurs qui sont nombreux, parfois trop d'ailleurs au goût des bergers, et qui ne respectent pas les règles d'usage en cas de confrontation avec un troupeau et ses chiens de protection. L'éleveur craint que sa responsabilité ne soit engagée en cas d'accident. A juste titre, d'ailleurs, puisque plusieurs bergers ont été poursuivis après des dommages causés par leurs chiens à des tiers. Ainsi l'excès de confiance ou d'optimisme mis dans l'efficacité des chiens de protection a rapidement déclenché, sans doute par opposition, une exagération des dysfonctionnements, bien réels toutefois, et des problèmes qu'on pouvait leur reprocher. Le chien de protection, son statut juridique : chien en état de divagation ? L'analyse des textes juridiques conduit à laisser penser que le chien de protection peut être assimilé à un chien «en action de garde du troupeau», notion qui semble englober à la fois les chiens de conduite du troupeau et les chiens de protection, puisque aucune mention ne dit le contraire (art.213 al.2 du Code rural). La définition la plus claire de l'état de divagation se trouve à l'article 213 du code rural. En tenant compte de ses caractéristiques de chien à usage professionnel, le chien de protection pourrait faire partie des exceptions mentionnées à l'article 213 al.2 du code rural au même titre que le chien en action de chasse, et le chien en action de garde du troupeau. En revanche, si le chien de protection est en réel état de divagation, c'est-à-dire qu'au moment où il divaguait il n'exerçait pas son travail de protection, le propriétaire du chien devra assumer entièrement la divagation de son chien. Poursuites en cas de divagation : Les poursuites contre les propriétaires de chiens «dits divagants» n'aboutissent généralement que s'il y a eu attaque, poursuite (course) ou mouvement intempestif du chien envers une personne ou un autre animal. La divagation est réprimée : > par le code pénal (art. R.622-2 et R. 623-3) > par le code rural (art. R. 228-5) > engage la responsabilité civile du propriétaire de l'animal divaguant dans l'optique d'une réparation des dommages subis (art. 1385 du code civil). Responsabilité du propriétaire ou du gardien du chien en cas de dommage Les responsabilités pénale et civile du gardien de l'animal peuvent se cumuler, car les deux n'ont pas les mêmes finalités : la première tend à réprimer une infraction pénale et la seconde vise à réparer le dommage subi par la victime. Si le gardien de l'animal a commis une faute ayant entraîné un dommage, l'action en justice pourra être fondée sur les articles 1382 ou 1385 du code civil ; en revanche, si le dommage est du à la seule action du chien, seul l'article 1385 du code civil sera applicable (responsabilité du propriétaire pour les animaux dont il a la garde). Le berger, s'il est employé pour garder le troupeau n'est pas considéré comme le gardien du chien car il est salarié : c'est le propriétaire du chien qui en reste responsable. Comme le constate une étude de l'APPAM(25), sur le terrain, les éleveurs se sont souvent retrouvés seuls, faute d'une assistance technique suffisante, lors de la mise en place de leurs chiens et ils se sont débrouillés comme ils le pouvaient. Or, pour que cette technique soit efficace, elle suppose le respect d'un certain nombre de règles et de procédures, particulièrement lors des premiers mois d'existence du chien. Cette précipitation imposée par l'urgence de la situation peut expliquer certains des comportements de ces chiens. Ainsi il y a bien des chiens de protection qui mordent et qui sont dangereux pour les tiers. Quatre causes principales sont citées : - à l'intérieur des différentes races de chien de protection, il y a des lignées qui ont plus tendance à mordre que d'autres ; - certains éleveurs pensent à tort qu'un bon chien de protection est un chien dominant et facilement hargneux ; - l'éleveur donne à son chien de protection une éducation qui incite le chien à devenir un chien dangereux, le plus souvent sans que l'éleveur lui-même ne s'en rende compte ; - les tiers ont une très mauvaise connaissance du chien et adoptent en présence de chiens de protection, des comportements qui encouragent le chien à les agresser. On le voit, toutes ces causes sont susceptibles d'être modifiées pour peu qu'un travail de fond intervienne. Il est en particulier indispensable que la filière chien de protection soit mieux organisée : une réflexion doit être menée pour organiser cette filière sur le long terme. Une base de données visant à recenser les chiens de protection en activité (Alpes et Pyrénées) est déjà en cours de constitution. Il existe par ailleurs des « lignées pastorales » connues chez des éleveurs cynophiles et compétents. Mais il reste encore beaucoup de travail pour effectuer un effort de sélection génétique. Ainsi, serai-il utile de réfléchir au choix de critères de sélection, définis de façon objective, pour l'élaboration d'une grille permettant d'apprécier la valeur des chiens de protection au travail par leurs qualités génétiques et phénotypiques. Un schéma de sélection permettrait, à l'avenir, d'orienter les éleveurs dans leurs choix et d'effectuer des accouplements raisonnés (éviter la consanguinité...). En France, cela fait douze ans que différents acteurs intervenant dans ce domaine tentent en vain de mettre en place une telle structure. A l'issue du programme LIFE Loup, l'expérience acquise devrait pouvoir concourir à créer une prise de conscience globale en la matière : il faudrait modifier l'article de loi 213-1. (L. n° 89-412 du 22 juin 1989) du Code rural sur le statut des chiens au travail, y ajouter les chiens de protection, proposer un encadrement en matière de formation, conseil et suivi auprès des éleveurs, et structurer cet encadrement. Il serait illusoire de vouloir améliorer la qualité de ces chiens et leur efficacité en protection des troupeaux domestiques, et ce quel que soit le prédateur incriminé, sans de tels efforts. Une autre incertitude subsiste : quelle interaction entre le chien patou et la faune sauvage ? De nombreux témoignages font état d'une prédation importante, sur les marmottes en particulier, témoignages qui ne sont pas toujours confirmés par les études de terrain. Il apparaît néanmoins que certains éleveurs laissent leurs chiens chasser, ce qui leur évite d'avoir à les nourrir. Il y a, en effet, un vrai problème d'alimentation des chiens de protection : celle-ci reste à la charge du propriétaire et le chien peut consommer entre 800g et 1kg de nourriture par jour selon l'activité. L'alimentation ajoute, en outre, de nouvelles contraintes pour son transport en alpage et un coût financier important. Ainsi, confrontés à un outil de travail qui a prouvé son efficacité, les éleveurs se trouvent dans une situation difficile : il n'est pas toujours aisé d'obtenir des subventions pour l'achat des chiens ; il n'existe aucune aide pour leur entretien, leur soin et surtout leur alimentation ; aucun travail de sélection n'est fait pour éliminer les souches mordantes ; leur éducation n'est pas accompagnée alors qu'elle est primordiale pour l'efficacité future du chien ; la responsabilité de l'éleveur est engagée en cas d'accident. Dans ces conditions, il n'est pas étonnant que de nombreux éleveurs hésitent avant d'investir dans ces chiens de protection. Troisième élément du triptyque de protection contre les prédateurs, le regroupement nocturne des animaux implique la mise en place de parcs de contention. Ainsi des parcs mobiles de regroupement nocturne des troupeaux sont installés afin d'éviter que les brebis ne se dispersent sur leur lieu de couchade. Ce regroupement augmente aussi l'efficacité des chiens de protection pour la surveillance de nuit. Mais la mise en place de ces parcs de regroupement a fait naître des contraintes supplémentaires pour les bergers : cela les oblige à modifier leurs pratiques pour tenir compte des déplacements supplémentaires des troupeaux afin de revenir au lieu de parcage et ce, au détriment du temps de pâture. De plus, un déplacement des parcs (quand la topographie le permet) est nécessaire pour des raisons sanitaires évidentes (piétin lors d'années pluvieuses, gros pied...). Ainsi le comité scientifique du parc national du Mercantour soulignait(26) les impacts négatifs associés à ce type de mesures (impact esthétique ou paysager, problème écologique lié à l'accumulation des déjections et de pollutions...). Il est difficile de préconiser un seul type de matériel, identique pour l'ensemble des unités pastorales. Pour définir les matériels les plus pertinents en fonction des contextes, une étroite collaboration entre l'éleveur, le berger et le technicien pastoral est nécessaire. Sur des unités pastorales d'alpage, les filets électriques sont généralement utilisés, et sur des zones embroussaillées (zones basses de l'alpage, quartiers d'intersaison...), c'est l'utilisation des clôtures qui est généralement privilégiée (exemples des clôtures actives dans les Alpes-Maritimes, ainsi que des clôtures électriques fixes développées au cours de ces 15 dernières années en zones préalpines). Le bilan des moyens de contention mis en place au cours de l'année 2002 est de 83 parcs pour l'ensemble des Alpes. Ce chiffre correspond à 117 alpages équipés dans tout l'arc alpin.
Source : DIREN-PACA 2002 Dans le département des Alpes-Maritimes, les éleveurs considèrent ces clôtures comme un outil à développer, le besoin de plusieurs parcs de regroupement par alpage (1 à 3) ou unité pastorale se faisant ressentir. Au-delà de l'action des parcs, il est indispensable que l'Etat soutienne financièrement l'aménagement des estives. On constate, en effet, une réponse insuffisante de l'Etat et des collectivités aux besoins rencontrés par les éleveurs en ce qui concerne l'aménagement des accès aux alpages, l'amélioration des cabanes pastorales, l'équipement des estives en parcs de contention, abreuvoirs, pédiluves, réserves d'eau, captage de sources... Une implication plus lourde de la collectivité serait très bénéfique au monde pastoral : - les accès aux alpages devraient être améliorés autant pour faciliter la transhumance que pour permettre le ravitaillement des bergers et des troupeaux et, dans certains cas, la fourniture en matériaux et équipements ; - la réhabilitation des cabanes pastorales est absolument essentielle pour offrir aux bergers des conditions de confort minimales et éviter la marginalisation sociale de leur statut. A ce titre, l'équipement photovoltaïque et la desserte en eau courante des cabanes doivent absolument être inscrits au programme de leur réhabilitation ; - les équipements ovins facilitant la conduite des troupeaux et leur gestion sanitaire doivent enfin être intégrés dans les programmes soutenus par financement publics, d'une part parce qu'ils contribuent à la protection des troupeaux contre les prédateurs, et d'autre part parce qu'ils favorisent la productivité de l'élevage, en assurant un meilleur contrôle sanitaire des brebis. Enfin, les réseaux de communication doivent être développés afin de limiter la solitude du berger face à la prédation d'une part mais aussi, plus généralement, pour lui permettre de garder un contact avec les vallées. On constate donc que les mesures de protection préconisées dans le cadre du programme LIFE se mettent progressivement en place, non sans difficulté. En effet, leur mise en place est complexe et nécessite un lourd travail et un investissement important de la part de l'éleveur sans que les aides publiques soient toujours à la hauteur de ce surcroît de travail. De plus, ces nouvelles pratiques pastorales rendues nécessaires par la présence du prédateur sont totalement inédites pour les éleveurs et les efforts qu'ils ont consacrés à leur mise en place traduisent la motivation et le réel attachement à ce métier. Peu d'activités économiques sont capables en en laps de temps aussi court, à peine 10 ans, de revoir de fond en comble leur méthode de travail et leur mode de production, comme l'ont fait les éleveurs ovins de l'arc alpin. B.- DES MESURES TRÈS INÉGALEMENT ET JAMAIS TOTALEMENT EFFICACES Quelle est l'efficacité des mesures de protection préconisées et financées par les programmes LIFE successifs ? Deux éléments peuvent être affirmés : - les mesures de protection ne peuvent pas être efficaces partout et dans toutes les situations ; - là où elles sont globalement efficaces, il reste toujours un seuil minimum de prédation : la prédation « zéro » n'existe pas. En conséquence, il faut prendre en compte la diversité des territoires. 1.- Des départements diversement touchés Au 15 mars 2003, quelques constats sont encore en cours d'instruction (soit en attente de décision du comité local de concertation soit en attente de décision d'indemnisation). Les estimations financières ne sont donc pas exhaustives. Sur l'ensemble des 8 départements concernés, une progression des dommages est enregistrée, aussi bien en nombre d'attaques que de victimes (y compris pour les seules victimes directes). Ceci semble essentiellement lié à l'expansion territoriale du loup sur de nouvelles zones. Nombre de constats indemnisés au titre du loup, ventilés selon les zones
Source : ONCFS. a) Dommages constatés dans les secteurs identifiés de présence permanente Par rapport à 2001, le volume de dommages a augmenté uniquement dans le Queyras-Béal-Traversier. Une partie des dommages constatés dans cette zone a touché plus particulièrement 3 éleveurs. Le volume de dommages reste stable dans le Vercors ainsi que dans le Mercantour. Sur ce dernier site, l'augmentation du nombre de victimes est lié à un dérochement important de plus de 400 bêtes (dont 7 présentaient des signes caractéristiques de prédation qui ont conduit à ne pas exclure la responsabilité du loup). Le volume de dommages a même diminué dans les massifs de Belledonne et des Monges, sans que l'on ait pu en identifier les raisons. b) Dommages constatés hors des secteurs identifiés de présence permanente L'apparition et/ou la montée en puissance des dommages dans chacun de ces secteurs concourent, pour l'essentiel, à l'augmentation globale constatée : - Mercantour - zone d'extension (Alpes-Maritimes) : cette zone correspond grossièrement aux secteurs des gorges de Daluis et du Cians, situés en marge des zones de présence permanente. Des dommages y ont déjà été enregistrés les années précédentes mais ils sont en progression ; - Haut Verdon (Alpes de Haute-Provence) : cette zone (essentiellement le massif des trois évêchés situé entre le Mercantour et les Monges) constitue un nouveau foyer, accompagné d'autres indices de présence certifiés ; - Omblèze-Vercors Ouest (Drôme) : ce secteur, en marge du Vercors, où la présence temporaire du loup avait été signalée en 2000, constitue en 2002 un nouveau foyer de dommages important, avec d'autres indices convergents qui traduisent la présence de l'espèce ; - Oisans (Isère) : nouveau foyer essentiellement situé dans le massif du Taillefer (sud Belledonne) et des Grandes Rousses (sud-est Belledonne), sur lequel des dommages avaient déjà été enregistrés les années précédentes sans que la présence du loup n'ait pu y être mise en évidence. En 2002, des traces et un excrément ont certifié la présence, au moins temporaire, de l'espèce sur ces 2 sites, en marge de la zone de présence permanente de Belledonne. Des dommages sont par ailleurs toujours enregistrés sur le plateau de Canjuers (Var) où la présence au moins temporaire de l'espèce a été attestée l'hiver dernier, et sur le massif des Hauts Forts (Haute-Savoie) avec une forte hétérogénéité dans la conclusion technique des dossiers de constat de dommages. On constate donc que si certains départements ont vu la prédation diminuer du fait de la mise en place des mesures de protection, certains, et en particulier les Alpes-Maritimes, connaissent toujours un taux de prédation important et qui ne régresse pas. Ainsi, corrélativement à l'expansion du loup dans le département, les dommages augmentent régulièrement depuis 1993 (10 attaques et 36 victimes) avec des paliers de 1996 à 1998 (193 attaques et 708 animaux) et de 1999 à 2001 (260 attaques et 1.152 victimes). En 2002, il y a eu 330 attaques et 1 500 victimes, dont un dérochement de 404 animaux. On peut expliquer cette diversité des situations de prédation par l'hétérogénéité des modes d'élevage et des territoires. 2.- Les mesures de protection ne sont efficaces que sous certaines conditions Comme on l'a vu, à l'échelle de l'arc alpin français où le loup est présent, on peut distinguer schématiquement quatre types de systèmes d'élevage en fonction de critères liés au mode de production des animaux et au mode de conduite des animaux en pâturage : le système herbassier grand transhumant, le système montagnard, le système préalpin et le système des Alpes-Maritimes. Le système de protection des troupeaux face au loup a surtout montré une certaine efficacité dans la situation des estives de haute montagne où se regroupent de gros effectifs pendant une durée limitée. Après 7 à 8 ans d'expérience, on constate que, à engagements de moyens de protection égaux, la protection des troupeaux est relativement efficace en estive de haute montagne, plus difficile à mettre en œuvre dans les Préalpes et très insuffisante dans les Alpes-Maritimes. La raison en est simple : la vulnérabilité liée au territoire ainsi qu'aux systèmes d'élevage est très différente selon les régions géographiques. L'échec de la protection des troupeaux en présence du loup dans les Alpes-Maritimes illustre les limites d'un programme inadapté pour ce système d'élevage dans cette région, et non pas une quelconque incompétence des hommes qui conduisent les animaux au pâturage, comme le soutiennent certains écologistes. De plus, comme nous l'avons vu plus haut, les pertes dues à la prédation ne suffisent pas à rendre compte de l'ampleur des contraintes que le loup fait peser sur les exploitations d'élevage, même celles qui n'ont pas fait l'objet d'attaques. La présence territorialisée du loup représente une contrainte structurelle pour tous les éleveurs emmenant leurs animaux au pâturage dans une zone de présence permanente du loup. Mais l'ampleur de ces contraintes et le niveau de vulnérabilité peuvent être hiérarchisés dans chacun des quatre types de système d'élevage en fonction d'une série de critères liés aux caractéristiques de ces systèmes ainsi qu'au territoire : - durée au pâturage dans une zone à loup ; - couvert végétal : arbres, buissons, pâturages secs ; - effectif et mode de conduite du lot d'animaux au pâturage ; - mobilité du système pastoral ; - sécurité du système d'alimentation. En appliquant ces critères aux quatre systèmes décrits plus haut, on arrive au constat suivant (27). Premier système, le système herbassier grands transhumants utilisateur d'estive en haute montagne pendant la phase d'été. Ce système présente une vulnérabilité au loup sur la période précise de son estive, c'est-à-dire pendant quatre mois. On connaît l'ampleur des difficultés. Néanmoins, par le grand nombre des effectifs présents sur les pâturages en même temps, c'est-à-dire des unités de 2 000 bêtes, les éleveurs ont moins de difficultés à se prémunir contre la prédation. Plus le troupeau est important, plus il est facile d'empêcher la prédation pour la raison très simple que la taille du troupeau permet de recourir aux services d'un berger et à d'autres mesures de protection, ce qui est impossible pour un troupeau local de 200 bêtes. La commission a pu constater qu'un gros travail est mené depuis plusieurs années dans l'organisation du regroupement des troupeaux sur le plan des conditions sanitaires, juridiques et techniques et dans l'utilisation des territoires. Plusieurs combinaisons existent, par exemple des éleveurs locaux s'organisent entre eux, ou bien des éleveurs locaux regroupent leurs troupeaux avec ceux d'éleveurs transhumants. Deuxième système, le système montagnard, qui utilise les mêmes alpages. Il est vulnérable, car d'une part il prolonge son pâturage au-delà de l'estive pendant environ 7 mois et d'autre part il est moins mobile qu'un transhumant qui peut toujours changer de territoire, si les dégâts occasionnés par le loup sont trop importants. Les troupeaux, plus petits, de 150 à 500 brebis, passent 5 à 6 mois en bergerie. L'estive s'effectue sur l'alpage local et le reste de l'année, les troupeaux sont dans les prairies. Troisième système, le système préalpin. Il est encore plus vulnérable, la durée en bergerie étant plus courte, 3 mois, puisque les conditions climatiques changent et que la cohabitation avec le loup en estive dans les montagnes locales est plus longue, 9 mois. Les troupeaux comptent entre 300 et 800 brebis De plus, les quartiers de pâturage sont boisés et secs, donc difficiles à utiliser et propices aux prédations Les systèmes d'élevage sont en outre peu mobiles puisque les zones de transhumance sont proches. Dernier système, celui des vallées des Alpes-Maritimes ou la régression de l'élevage bovin a fait émerger des élevages ovins méditerranéens originaux. C'est le système qui cumule tous les facteurs de vulnérabilité, puisque les troupeaux, qui peuvent avoir des effectifs très variables, sont dans les pâturages pendant douze mois, grâce au climat, et que les quartiers de pâturages sont difficiles à utiliser s'agissant de montagnes sèches avec brouillard et neige. En outre, il n'y a pas de mobilité, puisque l'estive et le quartier d'hiver se regroupent sur la même commune. Enfin, le système d'alimentation n'est pas sécurisé, à la différence des autres systèmes d'élevage qui assurent la sécurité alimentaire des animaux par des stocks fourragers. Or, dans les Alpes-Maritimes, compte tenu de l'étroitesse des terres capables de produire du foin, il n'est pas possible d'assurer une telle sécurité. En résumé, les facteurs de vulnérabilité se divisent en deux catégories. Les facteurs liés au système d'élevage : petits effectifs, faible sécurité du système alimentaire, en raison de l'impossibilité de constituer des stocks fourragers, faible mobilité et durée plus longue dans les pâturages, cette dernière pouvant varier entre 4 et 12 mois. Les facteurs liés au territoire : les quartiers de pâturage boisés permettent au loup d'être plus discret et donc d'attaquer en plein jour, ce qui n'est pas possible dans les grandes estives dégagées de haute altitude ; les quartiers de pâturage secs sont aussi favorables au loup, en raison de la rareté des points d'eau qui oblige le troupeau à traverser des quartiers boisés pour atteindre des points d'eau et à rallonger les circuits pour aller chercher une herbe plus sèche. A cette analyse des systèmes d'élevage et des territoires, vient s'ajouter la modification des méthodes d'attaque du prédateur : dans les Alpes-Maritimes, la proportion d'attaques de jour a eu tendance à augmenter entre 1994 et 2001. La même tendance est observée dans le massif des Monges. Cette augmentation des dommages enregistrés pendant la journée dans le Mercantour pourrait être liée à la diminution de l'accessibilité aux troupeaux durant la nuit et à la mise en place progressive de moyens de prévention. En comparaison, dans les Abruzzes (Italie), les troupeaux ovins laitiers, qui sont mis en enclos la nuit et gardés par des chiens et/ou des bergers, sont plus souvent attaqués de jour que les troupeaux équins ou bovins qui ne bénéficient pas de mesures de prévention. Pendant la journée, l'efficacité des moyens de protection (chien et/ou berger) peut diminuer lorsque les troupeaux s'étendent sur les pâturages ou lorsque la visibilité diminue (couvert forestier ou conditions climatiques difficiles). Pour exemple, en Roumanie, des attaques de jour sont observées lorsque les troupeaux pâturent dans ou à proximité de la forêt. Sur les 125 attaques de jour recensées dans les Alpes-Maritimes, dont les conditions climatiques sont connues, plus de la moitié ont eu lieu lors de conditions climatiques difficiles (brouillard, pluie régulière, orage), situation qui est aussi rencontrée dans les Abruzzes. De plus, même en cas de beau temps, les loups ne sont aperçus, parfois de façon furtive ou à grande distance, que dans un quart des attaques vraisemblablement parce qu'ils mettent à profit des conditions topographiques particulières ou un moment d'absence du berger. C.- UN SYSTÈME D'INDEMNISATION QUI NE DONNNE PAS SATISFACTION état des animaux tués par les loups et des indemnités versées aux éleveurs
Source : DIREN-PACA En cas de prédation, une procédure de compensation des dommages fondée sur une évaluation technique de la responsabilité du prédateur est prévue. Après avoir constaté un cas de prédation, l'éleveur fait une déclaration à l'administration, ce qui déclenche la procédure d'indemnisation. Pour ce faire, des agents du réseau Loup présents dans les huit départements alpins concernés sont habilités à réaliser les constats de dommages. Le dommage est formalisé dans un dossier de constatation standard pour chaque attaque. Le constat s'attache à dresser l'inventaire des animaux tués ou blessés, à en faire l'examen (recherche des traces de morsure, description de la consommation) et à rechercher les indices de présence du prédateur (fécès, poils...). Jusqu'en 2002, ce constat devait ensuite être validé par le vétérinaire du programme LIFE. Mais une grille de lecture systématique du constat a été élaborée et doit permettre d'exclure ou non la responsabilité du prédateur et d'aboutir à une décision équitable de tous les cas de dommages sur des bases techniques fiables et homogènes. L'étape d'expertise systématique (devenue obsolète par la création de cette grille) est ainsi supprimée et le transfert de compétence du vétérinaire du programme LIFE vers les DDAF (au préalable chargées de pré-instruire chaque constat) a été réalisé en décembre 2002. La possibilité de solliciter l'ONCFS pour des expertises techniques est conservée dans les nouveaux secteurs de présence ou en cas de dossier d'instruction difficile (éléments techniques contradiction ....) à la demande des DDAF. Cette simplification administrative devrait rendre la procédure plus efficace en terme de délai de paiement des indemnités aux éleveurs. Bilan des attaques pour 2002
Source : ONCFS 2.- Les difficultés d'application Malgré ces progrès, le système d'indemnisation reste sujet à critiques. D'abord, il ne repose pour l'instant sur aucun texte réglementaire précis, ce qui est la source d'une insécurité juridique peu appréciée des éleveurs. Ensuite, ne sont indemnisés que les moutons qui sont retrouvés par le berger ou l'éleveur. Outre qu'une telle recherche peut prendre beaucoup de temps, du temps qui n'est pas compensé financièrement, toutes les brebis ne peuvent pas toujours être retrouvées. Par ailleurs, l'abondance de charognards limite fortement le laps de temps disponible avant que les cadavres ne disparaissent complètement. Ainsi, la plupart des éleveurs estime que pour deux brebis perdues, une seulement est en moyenne aujourd'hui indemnisée. Enfin, il ne faut pas oublier les pertes induites qui concernent la baisse de la qualité provoquée notamment par les descentes anticipées des bêtes dans des secteurs où la prédation est élevée ; la baisse de capacité d'investissement de l'éleveur ; le temps passé par l'éleveur à rechercher les brebis disparues ou mortes, à élaborer les constats, à redescendre dans la vallée pour téléphoner, à procéder aux démarches administratives de remboursement, à rechercher de nouvelles bêtes pour remplacer les anciennes ; les frais divers représentés par les déplacements, par le coût financier provoqué par le retard des remboursements administratifs et par la baisse de certaines primes... Enfin, les éleveurs sont unanimes à se plaindre de la lenteur des indemnisations qui arrivent souvent plusieurs mois après la prédation. Pendant ce temps, l'éleveur est obligé de faire une avance de trésorerie qui n'est pas compensée. Par ailleurs, de nombreux éleveurs se plaignent du manque de transparence sur la qualification des attaques et sur une insuffisante communication de la part de certaines DDAF. Rappelons que les agents assermentés constatant les attaques ne sauraient se contenter d'un passage rapide dans les estives et du remplissage du formulaire. Il est indispensable que cela soit accompagné d'un soutien psychologique fort pour l'éleveur qui vient de subir la prédation. La nécessité d'un laboratoire d'expertise en génétique moléculaire La France ne possède pas de laboratoire d'expertise génétique au services des gestionnaires de l'environnement, comme cela existe déjà dans de nombreux pays. Cependant, un laboratoire universitaire français a acquis une expérience internationalement reconnue dans le domaine de l'expertise génétique à partir de fèces ou de poils collectés sur le terrain : il s'agit du laboratoire de Biologie des Populations d'Altitude situé à Grenoble. Compte tenu des opérations de renforcement des populations pyrénéennes d'ours, et de la progression constante des effectifs de loups dans les Alpes françaises, il est certain que ce laboratoire sera de plus en plus sollicité. Or cette unité de recherche se trouve maintenant en situation de ne plus pouvoir assurer convenablement ces expertises pour plusieurs raisons : en ce qui concerne le loup, le nombre d'expertises demandées dans l'urgence est difficilement compatible avec les moyens disponibles en personnel, en ce qui concerne l'ours, le laboratoire ne travaille plus en routine sur le sujet, et la remise en route des analyses génétiques sur cet animal nécessite trop d'investissements en temps. Il semble donc que la solution la plus efficace pour fournir aux gestionnaires de l'environnement un accès fiable et rapide aux expertises génétiques serait la création d'une structure légère, entièrement au service du ministère de l'environnement et du développement durable. La création d'une telle structure avait été décidée lors d'une réunion du CIAT (Comité interministériel d'aménagement du territoire) en 2000, mais les gouvernements successifs n'ont jamais encore été capables de dégager un budget permettant à ce laboratoire de travailler dans des conditions correctes. Il semble impératif à votre rapporteur que ce laboratoire soit mis rapidement en place. En effet, entre le dossier du lynx, le dossier de l'ours et celui du loup, la France, a besoin de se doter d'une véritable capacité d'expertise et de recherche. En outre, on sait qu'il est désormais possible d'identifier le prédateur (chien ou loup) grâce à des prélèvements sur les traces de morsure. Sachant qu'une analyse prendrait moins d'une semaine si un tel laboratoire était constitué, cela permettrait de dissiper les incertitudes sur la source de la prédation et d'accélérer les indemnisations. Il semble aujourd'hui indispensable de réformer le système d'indemnisation pour aller vers une plus grande efficacité, un traitement des dossiers plus rapides et, au final, un règlement définitif moins lent. Un système d'assurance grand prédateur est une des hypothèses régulièrement évoquée, en premier lieu dans le rapport Braque. L'assurance des troupeaux ovins contre la prédation est actuellement proposée aux éleveurs mais ne connaît qu'un succès limité en raison de son coût et surtout de la franchise (5 animaux non indemnisés par attaque subie). Il faudrait donc que les compagnies d'assurance proposent un produit d'un coût limité (de l'ordre de 1 euro par brebis) et sans franchise. Dès lors que le contrat serait souscrit par l'ensemble des éleveurs présents dans une zone soumise à la présence du loup, et que le principe de constat par les pouvoirs publics (c'est-à-dire par agents assermentés) serait maintenu, un tel système serait possible. En effet, un poste important de dépense pour les compagnies d'assurance réside dans l'exécution des constats qu'elles ne peuvent assurer dans le contexte d'un contrat à prix modique pour l'éleveur. Sachant que l'indemnisation des dégâts occasionnés par le loup (ou l'ours et le lynx) serait toujours financée par l'Etat, le contrat d'assurance prendrait en charge, de façon systématique, tout dégât incombant aux chiens errants. Les cas d'attaque où la responsabilité du loup ou du lynx est peu plausible ne seraient plus à la charge de l'Etat, qui pourrait alors redéployer les volumes financiers épargnés vers la prévention et le soutien au pastoralisme. En tout état de cause, cette piste doit être approfondie et discutée avec les partenaires agricoles. Certains d'entre eux y semblent effectivement très opposés tandis que d'autres sont, selon les auditions réalisées par la commission, beaucoup plus ouverts. Une autre hypothèse est l'élaboration d'une prime forfaitaire dont bénéficierait tout éleveur travaillant dans une zone à loups. Celle-ci devrait prendre en compte le temps passé à la recherche des animaux, les animaux perdus mais non retrouvés, les avortements, le stress des brebis... Un tel système permettrait-il de faire l'économie d'une procédure de contrôle des prédations et d'indemnisation ? Votre rapporteur est sceptique sur ce point mais aucune porte ne doit être fermée a priori. Quel que soit le système, il semble nécessaire de subordonner les indemnisations ou le versement de la prime au respect des normes de protection. QUATRIÈME PARTIE : SEULE UNE POLITIQUE DE RẾGULATION ET DE MAÎTRISE DE L'ÉVOLUTION DE L'ESPÈCE LOUP EN FRANCE ET DANS LES PAYS VOISINS PERMETTRA DE CONCILIER LES OBLIGATIONS LIÉES À LA PROTECTION DE LA FAUNE SAUVAGE ET LA SAUVEGARDE DU PASTORALISME Votre rapporteur a acquis la conviction, à l'issue des travaux de la commission, que la principale raison des conflits, parfois violents, suscités par la protection de la faune sauvage et des grands prédateurs est que l'on n'a pas su, ou pas voulu, intégrer la dimension humaine dans cette politique. Si l'on veut vraiment, sur le long terme, rendre acceptable par le milieu rural, la coexistence d'une vie sauvage, il faut, dans l'immédiat, s'efforcer de réduire au minimum les interactions nuisibles aux activités humaines vulnérables. Il faut également, au-delà des aides matérielles, retrouver la voie de la négociation, du dialogue et restituer un réel pouvoir d'initiative aux acteurs locaux. La dimension humaine de la gestion des prédateurs doit consister à donner aux hommes, et notamment aux hommes de terrain, les moyens de la maîtrise de la situation. C'est probablement en réduisant le sentiment que se font les éleveurs de la toute puissance de l'administration, que l'on rétablira leur confiance dans les institutions et les pouvoirs publics. I.- UNE APPLICATION PLUS ADAPTÉE DES DÉROGATIONS À LA PROTECTION DES GRANDS CARNIVORES EN EUROPE ET EN FRANCE A.- DEUX CONDITIONS À LA DÉROGATION SONT PRÉVUES PAR LES TEXTES Comme il a été indiqué précédemment, l'article 9 de la convention de Berne prévoit des dérogations au régime de protection générale des espèces visées par ses annexes. Les Etats-parties disposent donc de la faculté de déroger à l'interdiction de tuer ou de pratiquer certaines activités sur les espèces protégées, dont le loup, lorsque certaines conditions sont remplies. La directive 92/43/CEE, dite directive « Habitats », reprend les dispositions de la convention de Berne afin de contribuer à son application au sein des Etats-membres. Les Etats-membres qui décident d'appliquer les dérogations prévues, ont l'obligation d'adresser tous les deux ans, à la Commission européenne, un rapport sur les dérogations mises en œuvre, la Commission faisant connaître son avis dans un délai de douze mois suivant la réception du rapport. La même demande est formulée par la convention de Berne vis-à-vis des Etats-parties qui doivent établir un rapport sur les mesures de dérogations qu'ils décident d'appliquer. On notera dès à présent que ni la convention de Berne ni la directive n'exigent que soit formulée une demande préalable à la mise en œuvre des dérogations et qu'aucun contrôle a priori n'est exercé sur le bien fondé des mesures appliquées par les Etats. Il apparaît, d'après les auditions de la commission, qu'au niveau européen, une certaine souplesse dans l'application des dispositions protectrices se fait jour et que la prise en compte des problèmes économiques et des difficultés d'adaptation des populations concernées est plus présente. Il est donc possible, sans remettre en cause les objectifs généraux des obligations internationales, d'espérer faire progresser l'idée d'une nécessaire adaptation de ces objectifs aux spécificités locales. M. Nicholas Hanley, directeur du bureau protection de la nature à la Commission européenne, a ainsi indiqué aux députés : « La Commission comprend que la cohabitation du loup avec les habitants peut poser des problèmes dans les pays de la Communauté, surtout dans les milieux agricoles de montagne. Il faut donc gérer cette cohabitation. (...) Le problème du loup en France s'inscrit dans le cadre plus général du problème des grands carnivores en Europe. Mes services sont en train de mener une enquête auprès des autorités nationales pour alimenter le débat au sein du comité scientifique de suivi de la directive Habitats sur la gestion des grands carnivores - loup, lynx, ours... - dans l'Europe des quinze et dans les pays qui vont entrer dans l'Union l'année prochaine. Cette enquête devra nous permettre de confronter les expériences, afin de mieux comprendre la problématique et de mieux la gérer » Les conclusions de notre commission d'enquête joueront évidemment leur rôle dans ce réexamen général de la situation au niveau européen Les dispositions nationales autorisent les mêmes dérogations, selon les mêmes conditions. L'article 2 de l'arrêté du 12 octobre 1996 dispose : « Toutefois, à condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien dans un état de conservation favorable des populations concernées dans leur aire de répartition naturelle, une autorisation de capture ou de destruction de spécimens d'espèces mentionnées [loup, lynx, ours......] peut être accordée par arrêté conjoint des ministres chargés de la protection de la nature et de l'agriculture, pris après avis du Conseil national de la protection de la nature, pour prévenir des dommages importants aux cultures, ou au bétail, ou dans l'intérêt de la sécurité publique, ou pour assurer la conservation de l'espèce elle-même. » Cette rédaction, on le verra, est un peu plus restrictive que les dispositions internationales. 1.- L'absence de solution alternative Des techniques ont été mises au point pour protéger les troupeaux contre les attaques de loups et de grands prédateurs. Votre rapporteur les a scrupuleusement examinées en présentant leurs limites, leur coût et leurs difficultés de réalisation, dans certains cas. Lorsque le rapport d'information parlementaire de MM. Robert Honde et Daniel Chevallier, sur la présence du loup en France, a été déposé le 20 octobre 1999 et a conclu à l'incompatibilité entre la présence du loup et le pastoralisme à la française, les mesures de protection n'étaient pas en place ou n'avaient pas eu le temps de produire leurs effets. Il en est différemment aujourd'hui et il paraît donc nécessaire que, dans un contexte de protection juridique des prédateurs, toutes les solutions qui permettent de prévenir les attaques ou d'en limiter les conséquences soient privilégiées. En conséquence, il est nécessaire que pour se prévaloir des mesures de dérogations, obligation soit faite de réduire au maximum les circonstances favorisant les attaques de loups sur un troupeau. Afin de rendre légitimes, au regard des règles de protection, les mesures d'élimination de certains prédateurs, l'Etat doit donc, partout où cela est possible et dans un cadre contractuel, négocier avec les éleveurs et les autres parties prenantes, afin de mettre en œuvre les mesures de prévention les plus adaptées (regroupement nocturne des troupeaux, gardiennage en nombre suffisant, chiens de protection en nombre suffisant...). 2.- Un état de conservation favorable La directive « Habitats » dresse la liste des espèces qui doivent être protégées, au sein de la Communauté, dans leurs aires de répartition naturelle. Selon M. Nicholas Hanley, « Cette aire ne peut être considérée comme une zone géographique figée dans le temps parce que la nature change ». Le bon sens commande d'ajouter que cette aire ne saurait encore moins se confondre avec les frontières administratives d'un Etat ou d'un département. Au risque de décevoir une certaine forme de fierté nationale qui exigerait la présence d'une population viable de loups en France, on ne saurait soutenir sérieusement que l'état de conservation d'une espèce, telle que le loup, doit se mesurer à l'échelle d'un Etat. C'est bien plutôt parce que les problèmes environnementaux comme l'expansion des espèces sauvages transcendent les frontières que seules des normes internationales peuvent les appréhender efficacement. Il ne faut pas voir dans cette approche une volonté de reporter sur les voisins les contraintes liées à l'obligation de protection de l'espèce car votre rapporteur affirme à nouveau que la France doit mettre en œuvre tous les moyens concourant à cette protection. L'objectif de la directive « Habitats » est d'assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des Etats-membres. On notera dès à présent, que l'article 2 de la directive qui fixe cet objectif en détermine également la limite en précisant que les mesures prises doivent tenir compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales. L'article premier de la directive fournit des indications sur les différents concepts biologiques utilisés dans la suite du texte. La définition de l'état de conservation d'une espèce est « l'effet de l'ensemble des influences qui, agissant sur l'espèce peuvent affecter à long terme la répartition et l'importance de ses populations sur le territoire visé à l'article 2 », c'est-à-dire le territoire européen des Etats membres. L'état de conservation sera considéré comme « favorable » lorsque la dynamique de la population considérée lui permet, sur le long terme, d'être un élément viable des habitats naturels et que son aire de répartition naturelle ne diminue ni ne risque de diminuer dans un avenir prévisible. Il s'agit donc bien de mettre en œuvre des mesures dont les effets s'évaluent à une échelle géographique propre à chaque espèce et non à l'intérieur de frontières nationales auxquelles il n'est jamais fait allusion dans la définition d'une population viable. De la même façon, la convention de Berne, que la directive « Habitats » applique, autorise dans son article 9, des dérogations à la protection stricte à condition de ne pas nuire à la survie de la population concernée. Là non plus la notion de survie d'une espèce n'est pas rapportée à l'échelle d'un territoire national mais s'entend au niveau de l'habitat naturel d'une espèce. La convention précise d'ailleurs à l'article premier que la conservation de la flore et de la faune sauvages, « nécessite la coopération de plusieurs Etats » et le même article encourage cette coopération. C'est bien sur le terrain de l'évolution écologique d'une espèce, ou d'une sous-espèce, qu'il faut donc se placer pour apprécier son état de conservation et sa viabilité. Votre rapporteur entend donc réfuter les arguments entendus à plusieurs reprises par la commission selon lesquels l'espèce loup n'ayant pas atteint sur le territoire français un seuil de viabilité, fixé plus ou moins arbitrairement à 150 individus, l'une des conditions exigées pour déroger à la protection totale ne serait pas remplie. Rappelons les propos contestables de M. Lionel Brard devant la commission: « En dessous de 25 à 30 meutes installées sur le territoire national en interconnexion, il y a péril et il ne faut donc pas toucher aux populations de loups». L'approche transfrontalière de la viabilité des espèces pour apprécier la recevabilité des mesures dérogatoires est implicitement admise par la Commission européenne comme par le Comité permanent de la convention de Berne. Le plan d'action pour la préservation du pastoralisme et du loup dans l'arc alpin dit « plan loup » établi par la France en juillet 2000, indique que la population concernée est constituée par les loups des Alpes occidentales franco-italo-suisses et, implicitement, s'appuie sur cette réalité pour tenter d'élaborer un système de zonage avec des possibilités de tir ou de capture. Or quelle a été la réaction des autorités communautaires et européennes ? M. Nicholas Hanley a déclaré à la commission d'enquête : « Nous avons pris connaissance récemment du plan loup préparé par le ministère de l'environnement. Ce plan d'action comporte des éléments très importants qui forment d'après nous la base d'une approche sensée et raisonnée du problème ». A propos de ce même plan, dans une lettre du secrétariat général du Conseil de l'Europe adressée à la commission d'enquête le 12 décembre 2002(28), on peut lire : « A notre avis la France a toujours suivi une politique appropriée vis-à-vis de cette espèce (...). Le retour du loup ne se fait jamais sans problème d'adaptation du pastoralisme et il convient de traiter ce dossier à long terme. C'est la raison pour laquelle le Comité permanent n'a pas voulu imposer une protection plus stricte du loup en France même si il y a eu des actions de « contrôle » plus ou moins spontanées réalisées par les populations locales en dehors du cadre réglementaire prévu ». On a vu qu les études génétiques démontrent que les loups présents en France appartiennent à une sous espèce italienne de loups dont le code ADN est bien spécifique en raison de l'absence de contact avec les autres populations d'Europe. C'est bien la dynamique de cette sous-espèce dans son ensemble, qui doit être prise en compte dans sa sphère d'évolution naturelle qui est notamment l'arc alpin. M. Luigi Boitani, biologiste italien de renommée internationale a pris position, lors d'une conférence internationale sur le loup en février 2000 aux Etats-Unis, pour une gestion coordonnée du loup à l'échelle européenne. Selon lui, la taille des pays européens ne leur permet généralement pas d'accueillir une population viable de loups. Dans ce contexte, la gestion du loup doit s'inscrire dans le cadre d'une démarche de coordination européenne qui viserait à apprécier le niveau de la conservation de la biodiversité sur plusieurs pays. Pour être efficace, dit ce chercheur, il faut entreprendre les stratégies de conservation à grande échelle. Le juge communautaire n'a jamais eu à se prononcer sur les conditions d'application des dérogations. Toutefois, en raison de ce qui vient d'être exposé, et du fait que les textes communautaires doivent être interprétés en fonction de l'objectif qu'ils poursuivent, on peut considérer que la survie de l'espèce italienne de loups n'étant pas menacée, des mesures dérogatoires encadrées et limitées sont conformes aux objectifs. B.- L'APPLICATION DES DÉROGATIONS PAR LA FRANCE 1.- La régulation des lynx et des ours a) Un protocole d'élimination de lynx Les dispositions de la convention de Berne sur le lynx sont plus souples que celles applicables au loup puisqu'elles autorisent sa chasse, dans certaines régions, à condition qu'elle soit réglementée pour éviter la disparition de l'espèce. En revanche, la directive « Habitats » prévoit le même niveau de protection et les mêmes conditions de dérogations que pour le loup. A la demande du ministère de l'aménagement du territoire et de l'environnement, un protocole a été adopté au cours de l'été 2001 dans les départements du Jura et de l'Ain autorisant des prélèvements dans certaines conditions. En cas de dégâts répétés sur un site, ce protocole prévoit qu'une commission composée, outre des représentants de l'administration, des principaux acteurs départementaux concernés (syndicats des éleveurs, associations de défense de l'environnement, fédération départementale des chasseurs, ONCFS...) est réunie sous la direction du préfet. Cette commission peut, en dernier ressort, et si toutes les mesures de protection sont appliquées, proposer l'élimination d'un lynx, après dix attaques sur une ou plusieurs exploitations situées dans le même périmètre. Lorsqu'un foyer d'attaques persistant est ainsi détecté, ce qui est souvent le cas par exemple en zone forestière, le déclenchement de l'opération d'élimination est décidé par le préfet du département. Ce protocole ne peut aboutir qu'à l'élimination d'un seul animal par an et par département. Si un second prélèvement est indispensable, le préfet doit requérir l'autorisation du ministre de l'environnement. Le 12 octobre 2001, le préfet de l'Ain a ainsi autorisé jusqu'au 31 décembre suivant, l'élimination d'un lynx dans le secteur de Cerdon-Labalme. Le service départemental de l'ONCFS à qui a été confiée l'élimination n'a pu capturer ni tuer aucun lynx pendant la période autorisée. Selon Mme Martine Bigan, chef du bureau faune et flore sauvages du ministère de l'écologie et du développement durable, «Il n'y a eu guère plus qu'une ou deux opérations de capture par an » ce qui représente depuis 2001 un nombre très réduit de prélèvements. Le braconnage est, semble-t-il, une cause de mortalité du lynx beaucoup plus élevée que les prélèvements autorisés. b) Un protocole d'intervention sur l'ours Dans le contexte très conflictuel du début des années 90, dans les Pyrénées, un protocole de capture de « l'ours familier », originaire des Pyrénées, a été autorisé par le ministère de l'environnement en juin 1992. L'Office national de la chasse, assisté de gardes chasse et de gardes du parc national, s'est vu confier l'opération de capture de l'animal en vue de l'équiper d'un collier émetteur, puis de le relâcher. La demande de déplacement de l'animal formulée par des élus et des éleveurs n'avait pas été accordée. Après plus d'un mois d'attente, un piège au lacet a été installé, l'animal s'est fait prendre mais a réussi à se libérer et à s'enfuir, sans doute blessé. Aucune autre attaque due à cet ours ne s'étant produite par la suite, l'opération a été finalement abandonnée, laissant beaucoup d'interrogations sans réponse. 2.- L'échec des modalités de régulation des loups Dans le prolongement de ce qui a été constaté sur les conditions du retour du loup, la politique française de gestion du loup, depuis l'adoption des premières mesures en 1993, se caractérise par un manque de lisibilité et beaucoup de confusion. Les autorités publiques refusant d'opter clairement pour une régulation efficace de l'espèce en nombre et en lieu d'installation des meutes, ont adopté des mesures d'affichage qui n'ont contribué qu'à aggraver la colère des éleveurs et leur perte de confiance dans le pouvoir de l'Etat. Constatant la rapidité de l'expansion des loups et ses grandes capacités d'adaptation, M. Pierre Bracque, dans son rapport de mission, sans se prononcer sur la question du bon état de conservation de l'espèce, évoque la possibilité d'une protection graduée en fonction d'un zonage lié à la configuration des territoires. L'idée d'autoriser la destruction de loups dans des conditions hautement délimitées fait ainsi son apparition. Le problème des modalités de mise en œuvre reste cependant en suspens à cette époque. En mars 2000, les réflexions du comité national loup débouchent sur un projet de plan d'action de gestion du loup, établi conjointement par le ministère de l'agriculture et celui de l'environnement, inspiré du rapport de M. Bracque mais aussi de celui de M. Jean-François Dobremez(29), et du rapport d'information parlementaire de MM. Honde et Chevalier. Ce plan loup est publié et adressé aux préfets le 4 juillet 2000, sous l'intitulé « dispositif de soutien du pastoralisme et de gestion du loup dans la partie française de l'arc alpin ». En dépit d'idées intéressantes, tels que le zonage en fonction de la vulnérabilité des exploitations et le principe du contrôle des loups, ce plan renvoyant chaque modalité d'application à des échéances ultérieures et à de nouvelles négociations n'a pas été valablement concrétisé. Comme paralysée par la peur de prescrire des mesures simples et lisibles pour contrôler les loups, l'administration s'est enlisée dans des schémas irréalistes tels les « corridors de circulation » pour les loups entre deux parcs nationaux, ou encore un programme d'expérimentation à peu près vide de contenu. Agissant ainsi, les pouvoirs publics ont fini de perdre toute crédibilité au yeux de nombreux éleveurs qui ont alors déserté les lieux de négociation. b) Des protocoles inapplicables Avec l'envoi du plan loup, les préfets ont reçu un premier protocole « visant à réduire le nombre d'attaques de loups ou de chiens sur les troupeaux domestiques », valable pour l'année 2000. Ce protocole prévoyait des mesures d'intervention sur les loups, par tir ou piégeage, sous la direction d'agents assermentés, en concertation avec les éleveurs. De nombreuses conditions préalables à la décision d'intervention du préfet devaient être remplies et en dernier lieu, une intervention ne pouvait être déclenchée qu'à la suite d'une série de trois attaques totalisant au moins 18 animaux tués ou blessés, survenues au cours de trois semaines consécutives. En l'absence de mesure de protection des troupeaux, les conditions de prélèvements étaient plus restrictives. Pour l'année 2000, chaque préfet de département était autorisé a priori à mettre en œuvre une opération de prélèvement. Les chambres d'agriculture et les syndicats professionnels de l'arc alpin ont déclaré refuser la mise en œuvre de ce protocole, le considérant inapplicable sur le terrain. De fait ce protocole a fait l'objet d'une seule décision d'autorisation délivrée par le préfet des Alpes-Maritimes le 4 décembre 2000, sur le territoire de la commune de Venanson. L'affût organisé par quatre gardes de l'ONCSF des Alpes-Maritimes, assistés de deux gardes de la brigade mobile de Provence, n'ayant pas abouti, le préfet a ordonné la levée de la mise en oeuvre du protocole le 12 décembre. La présence sur le lieu de l'intervention, de journalistes et d'opposants au prélèvement, a très probablement contribué à l'échec et à l'abandon de l'action. Un second protocole, plus restrictif que le premier, a été adopté en juillet 2001 pour l'année 2002. Cette seconde version reprend la majorité des principes précédents mais pose, en préalable à toute décision d'application, l'existence de mesures de prévention. En cas d'attaques répétées, une expertise doit être diligentée afin d'évaluer la réalité et l'efficacité des mesures de protection, avant toute procédure de prélèvement du loup. Si la démarche est susceptible de renforcer et d'améliorer les mesures de protection, elle rend inopérante toute possibilité d'élimination du loup. Ce protocole n'a reçu aucune application en 2002. A ce jour, aucun loup n'a été abattu dans le cadre de ces décisions ce dont on pourrait se féliciter si cela signifiait que les prédateurs sont désormais fermement tenus éloignés des troupeaux ou mis dans l'incapacité de les attaquer. Malheureusement, force est de constater que tel n'est pas le cas, comme l'ont répété un grand nombre d'éleveurs devant la commission. M. Philippe De Mester, préfet des Alpes-de-Haute-Provence a dans une note adressée à la commission le 10 mars 2003, porté sur ce protocole le jugement suivant : « Le prélèvement devant être effectué par des agents assermentés, il n'y a qu'une chance extrêmement réduite que le prédateur soit au « rendez-vous ». Animal particulièrement fugace, le loup ne se fait pas prendre au tir d'un agent assermenté occasionnellement présent : le protocole en vigueur, au contraire, met en évidence l'incapacité des pouvoirs publics à supprimer le prédateur indésirable, ce qui conduit à leur discrédit ». Votre rapporteur oppose trois critiques majeures aux mesures jusqu'à présent mises en place : · le manque de clarté dans l'objectif d'élimination des loups, là où ils posent trop de problèmes ; · l'absence d'initiative revenant aux éleveurs ; · l'absence de réactivité d'une procédure trop lourde ; Il en est résulté encore plus de méfiance et, malheureusement, le gel des négociations et du dialogue indispensables à la mise en place de toutes les techniques de protection et d'amélioration des activités pastorales. Toutes les battues au loup, légales ou illégales, organisées en France au cours des dernières années ont été vaines, à l'exception d'une opération non autorisée menée aux Orres, au cours de laquelle un loup a été tué. La discrétion des loups est certainement l'une des causes de cet échec. On pourrait évoquer également le manque d'expérience ou la volonté d'effaroucher les loups plutôt que de les tuer. Mais, comme l'évoque Isabelle Mauz dans sa thèse (30), les battues qui ont laissé des traces dans les archives départementales de la Savoie s'étaient toutes soldées par le même résultat. Il s'agissait plus souvent de dédouaner l'administration que d'éliminer les loups. Il semble que les battues organisées dans certaines régions d'Espagne soient tout aussi inefficaces, si l'on en croit le témoignage d'un naturaliste cité par Isabelle Mauz : « Je sais que les espagnols pratiquent les battues aux loups. Personne n'est dupe. A titre de défoulement collectif : il y a un problème, on organise une battue, la rentabilité est vraiment maigre mais ça sert d'exutoire ». Votre rapporteur tenait à apporter ces précisions afin d'éviter pour l'avenir de telles mesures «exutoires», même s'il ne faut pas négliger l'impact psychologique qui doit accompagner les décisions. L'objectif principal à rechercher est certainement de redonner aux éleveurs et aux acteurs locaux le sentiment de la maîtrise de leur sort. C.- POUR UNE GESTION TRANSFRONTALIÈRE DES GRANDS CARNIVORES 1.- Les recommandations du Conseil de l'Europe Le 8 décembre 1989, le comité permanent de la convention de Berne a adopté une première recommandation (31) relative à la protection du loup en Europe. Ce document énumère une longue liste de principes et de directives relatifs à la conservation des loups. Quelques recommandations éclairent utilement le débat qui nous occupe aujourd'hui, en posant le principe d'un zonage. Il est dit par exemple : « dans les régions à vocation essentiellement agricole, il n'est pas souhaitable de maintenir des loups ou de chercher à les réintroduire ». Quelques paragraphes plus loin, il est précisé: « Chaque pays définira dans son territoire des régions adaptées à l'existence des loups et adoptera en conséquence une législation permettant de maintenir les populations et de faciliter la réintroduction de cette espèce. Ces régions incluront les zones où le loup bénéficiera d'une protection juridique totale, par exemple dans des parcs nationaux, des réserves ou des zones de conservation spéciales ainsi que d'autres zones où les populations de loups seront modulées en fonction de principes écologiques en vue de réduire les conflits qui peuvent survenir avec d'autres modes d'utilisation des terres ». Une recommandation du comité permanent beaucoup plus récente concernant les grands carnivores (32), a été adoptée le 1er décembre 2000 et concerne les actions à mener par la France, l'Italie et la Suisse. On trouve dans l'exposé des motifs de cette recommandation le considérant intéressant suivant « Reconnaissant que les mesures de conservation pour les grands carnivores dans les pays voisins doivent prendre en compte les aspects transfrontaliers ». Puis s'agissant du loup dans les Alpes occidentales, il est recommandé aux trois pays voisins de : - reconnaître que la population alpine doit être gérée comme une entité distincte des autres populations voisines ; - collaborer à la gestion commune de la population alpine du loup en établissant les contacts et structures politiques et techniques appropriées ; - veiller à préserver le statut de sauvegarde favorable de la population alpine du loup dans le respect du développement durable des zones rurales ; - prendre en compte, à ce propos, les travaux menés dans le cadre de l'initiative « grands carnivores pour l'Europe ». L'initiative « grands carnivores pour l'Europe », diligentée par le Conseil de l'Europe, finance des études écologiques sur ces espèces. L'une d'entre elles, mentionnée par M. Nicholas Hanley devant la commission d'enquête, s'intitule « Corridors écologiques et espèces : grands carnivores dans la région alpine »(33) et a été publiée en août 2002. On y trouve notamment, les résultats de travaux de recherche sur les zones de conservation des grands carnivores. Les chercheurs considèrent que la gestion des grands carnivores ne peut être traitée à une échelle locale et que la dynamique des populations de carnivores en Europe occidentale est fondamentalement celle d'une métapopulation. L'objectif de conservation des espèces concernées ne peut être atteint que dans une vision globale. Par ailleurs, compte tenu de la densité de population et d'activité en Europe occidentale, il est indispensable, selon cette étude, « de définir des zones prioritaires nécessitant une protection totale et des zones secondaires d'où, en raison d'activités et d'intérêts incompatibles, l'espèce doit être délogée ».
2- L'aire de répartition des loups dans les Alpes se situe de part et d'autre de la frontière franco-italienne. La dynamique des populations de loups dans les Alpes occidentales va dans le sens d'une réelle consolidation de l'espèce. M. Dominique Lebreton, directeur-adjoint du centre d'écologie fonctionnelle et évolutive de Montpellier a fourni les précisions suivantes à la commission : « Le taux de croissance en Mercantour a été de 37 % dans la période de 1993-1998 ; on peut soupçonner un excédent de femelles pour expliquer un taux de croissance aussi élevé, mais on peut aussi invoquer une immigration continue depuis l'Italie. Ce taux est en baisse depuis, mais nous avons évoqué les destructions de loups par empoisonnement » Selon M. Fulco Pratesi, directeur du parc national des Abruzzes, l'Italie abrite aujourd'hui 500 loups. Une quarantaine de loups sont présents dans le parc des Abruzzes, environ 35 dans celui de Gran Sasso et 15 à 20 dans le parc de la Maiella. On en compte 25 à 30 dans le Piémont, en provenance des Appenins, répartis sur cinq meutes. Ces loups sont en interconnexion constante avec ceux qui sont installés, ou en cours d'installation, sur les versants français des Alpes et également sur le versant suisse. La rapidité d'expansion de l'espèce d'abord dans les Alpes du Sud, puis dans les Alpes du Nord, confirme la vitalité démographique des meutes de l'arc alpin et ce, malgré le braconnage. Les conditions d'une régulation négociée et tenant compte des spécificités socio-économiques de part et d'autre de la frontière sont réunies. 3.- La nécessité d'élaborer un plan de gestion commun entre la France et l'Italie L'évidence de la nécessité d'une gestion commune est partagée par nombre de responsables italiens. M. Walter Mazitti, président du parc national de Gran Sasso a déclaré lors du déplacement de la commission : « J'ai beaucoup apprécié la préoccupation manifestée par votre délégation pour les graves problèmes que semblent rencontrer les éleveurs en France. Nous connaissons le même type de problème que pose le loup en France, avec le sanglier. Il faut trouver un consensus sur la façon de gérer les prédateurs. En Italie comme en France, les agriculteurs doivent savoir coexister avec les prédateurs. On peut atteindre cet objectif grâce à une communication forte et significative et grâce à l'amélioration des indemnisations et des techniques de gestion. Il faut parvenir à faire baisser au maximum la tension sociale résultant de la présence des prédateurs. La France et l'Italie doivent travailler ensemble en ce sens. Nous sommes prêts à nous engager pour une collaboration étroite, en conseillant au gouvernement français d'intensifier la création de parcs nationaux et régionaux, qui sont autant d'instruments qui peuvent aider les populations à mieux comprendre la présence des prédateurs et à l'accepter ». M. Nicola Cimini, directeur du parc national de la Maiella a rappelé à la commission qu' « il existe déjà un observatoire dans le cadre de la convention des Alpes, toutes les zones protégées de l'arc alpin ont constitué un réseau. C'est le parc de la Vanoise qui coordonne ce réseau ». La commission n'a pas été en mesure de prendre des contacts avec les autorités suisses et ne peut donc pas faire état de leur approche de ces problèmes. L'actualité récente fait toutefois état d'un durcissement de la problématique dans ce pays où les prédations sont très mal acceptées. Il est évident que la Suisse devra également être associée à cette coopération. Le suivi en commun de l'évolution des populations de loups, l'échange des bonnes pratiques sur les techniques de protection et la mise en réseau des parcs apparaissent comme le minimum indispensable à une réelle coopération franco-italienne. La France pourrait, par exemple, fort utilement s'inspirer de la méthode de suivi des loups par collier émetteur utilisée par le professeur Luigi Boitani. Mais il faut aller plus loin et votre rapporteur souhaite que le gouvernement français engage des négociations avec les responsables italiens en vue de l'établissement d'un véritable plan de gestion et de contrôle commun des populations de prédateurs présents sur l'arc alpin, qui tienne compte des contraintes propres à chaque secteur et des activités économiques locales. L'efficacité des programmes de gestion dépend en effet directement de l'échelle à laquelle on se place et il faut concevoir des stratégies de conservation qui tiennent compte des activités humaines propres à chaque secteur. Comme première orientation de ce plan commun, votre rapporteur considère qu'accepter une population viable de loups dans les Alpes ne signifie pas encourager le développement d'une population abondante qui serait socialement et économiquement inacceptable. 4.- La mobilisation des fonds communautaires a) L'utilisation du fonds de développement rural Ainsi que l'a indiqué à la commission M. Nicholas Hanley, la France, contrairement à l'Italie, n'a pas fait appel, en sus de programme LIFE, au fonds de développement rural dans le deuxième pilier de la PAC, pour abonder les indemnités de compensation des pertes liées à la présence du loup. Pour l'avenir, votre rapporteur engage le gouvernement à mieux mobiliser ces aides, d'autant que dans le cadre de la révision, en cours, du règlement du fonds de développement rural, une référence explicite à l'éligibilité des dépenses de compensation des coûts de la mise en œuvre de la directive « Habitats » est incluse. M. Nicholas Hanley a ajouté : « C'est encore une preuve que la Commission comprend que la mise en œuvre de ces directives, que ce soit le réseau Natura 2000 ou les dispositions de protection des espèces, nécessite un financement et nous cherchons progressivement à trouver les fonds communautaires appropriés pour aider des Etats-membres dans la poursuite des objectifs communs ». b) L'utilisation des fonds structurels Les aides structurelles européennes ont pour objectif d'accompagner des projets de revitalisation des territoires en déclin. Cofinancé par le Fonds européen pour le développement régional (FEDER) et le Fonds social européen (FSE), l'objectif 2 de la politique régionale européenne vise plus particulièrement à soutenir les zones industrielles, rurales ou urbaines qui connaissent des difficultés structurelles. Pour la période 2000-2006, les régions Midi-Pyrénées, PACA et Rhône Alpes se sont vu attribuer, pour les zones éligibles à l'objectif 2, des dotations financières importantes (respectivement : 376 millions d'euros, 274 millions d'euros et 361 millions d'euros). Des actions de soutien au pastoralisme, d'aménagement des zones d'alpage, de formation de bergers ou d'emploi de bergers, de développement du tourisme, associées à un repeuplement des régions montagneuses pourraient certainement être cofinancées par l'Europe. Votre rapporteur regrette la sous utilisation chronique de ces instruments financiers par la France et l'absence de mobilisation locale pour élaborer des projets de développement. Le programme LEADER+, cofinancé par le Fonds européen d'orientation et de garantie agricole (FEOGA), a également vocation à soutenir des projets de développement rural initiés par des acteurs locaux. La France bénéficie de 268 millions d'euros au titre de ce programme pour la période 2000-2006. Enfin le programme INTERREG III, dont la gestion est déléguée aux collectivités locales, vise à développer les coopérations transfrontalières, transnationales et interrégionales sur des problèmes d'intérêt commun, comme la gestion des grands prédateurs. Il devra aussi être utilisé. L'Italie a su, mieux que la France, mettre à profit les fonds structurels, notamment pour financer des travaux scientifiques sur le nombre de loups installés dans les Alpes et dans le Piémont. Dans le cadre du programme INTERREG II, qui s'est achevé en 2001, de nombreux aspects de la connaissance et de la présence des loups dans les Alpes occidentales ont été ainsi financés, de même que des compensations de dommages sur les animaux domestiques. De nombreuses données ont été récoltées et stockées dans le cadre du programme INTERREG, notamment sur l'identification des territoires plus favorables au loup. Ces données et de nombreuses statistiques sont stockées par le Parc Alpi Maritime et pourraient utilement être utilisées et complétées dans le cadre d'une gestion franco-italienne des prédateurs. II- LE LOUP N'A PAS SA PLACE DANS LES SECTEURS D'ÉLEVAGE OU AUCUNE PROTECTION EFFICACE N'EST POSSIBLE A.- DÉFINIR DES SEUILS D'INCOMPATIBILITÉ M. François Moutou, directeur de l'unité épidémiologique de l'Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA) a déclaré devant la commission : « Je ne suis pas forcément convaincu qu'à terme, les Alpes soient le territoire le plus approprié pour maintenir la présence du loup en France. Si l'on tombe d'accord pour conserver des loups en France, des zones comme la Franche-Comté, la Lorraine, la Champagne ou la Bourgogne qui sont des zones bien boisées avec très peu d'élevages ovins, mais avec des populations de cerfs, de chevreuils et de sangliers abondantes - les plans de chasse en témoignent et ces populations ne sont pas tirées à hauteur de ce qui est autorisé - me semblent, à terme, mieux convenir ». 1.- La problématique du zonage Comme cela a été confirmé par M. Nicholas Hanley, la Commission européenne a accepté le concept de zonage prévu par le plan loup français qui prévoit d'identifier des régions pour la recolonisation en dehors desquelles les dérogations de l'article 16 de la directive peuvent s'appliquer. Le problème du zonage est donc posé, corrélé à une graduation de la protection des prédateurs en fonction de la vulnérabilité et des particularités socioéconomiques de chaque zone, afin de minimiser les conflits. Toutefois, sur le principe même du zonage, des avis divergents se sont exprimés devant la commission. Le zonage figurait parmi les mesures proposées dès 1996 par Jean François Dobremez dans son rapport précité. Il proposait, sur la base d'une étude de l'Office national de la chasse, un découpage en zones où la présence de loups peut être supportée et en zones où les loups sont indésirables comme cela a été fait en Italie, précisait-il. Pour atteindre l'objectif de la conservation d'une population viable de loups, tout en limitant au maximum les conflits avec l'élevage, un zonage géographique évolutif de l'espace à partager, apparaît plutôt convaincant. Pour autant de nombreux problèmes subsistent comme l'a expliqué M. Pierre Migot de l'ONCFS : « Au cours des discussions sur ce sujet, des zones biologiques où le loup s'était installé avaient été déterminées. Sur ces zones, le loup aurait été protégé, partant du principe qu'il fallait une certaine surface pour que la population de loups soit viable. On peut convenir de définir les communes concernées pour que la situation soit administrativement plus gérable, mais ce n'est pas une mesure biologique ce qui renvoie au problème de savoir pourquoi on pose la limite en tel ou tel endroit, d'autant que les loups s'installent en un point donné, mais qu'ils peuvent en changer et créer d'autres meutes. Relevant du domaine opérationnel, la question posée est de savoir quoi faire dans les zones définies comme étant des zones à loups et dans les zones où le loup ne serait pas opportun.(...) Honnêtement, je ne sais pas, avec des critères objectifs, comment établir un zonage. Ce serait de toute façon un choix et il serait difficile à gérer dans la mesure où les limites seraient arbitraires. Si l'on prenait des mesures différentes d'un côté à l'autre d'une vallée, rien ne prouve que le loup ne la franchirait pas et même si l'on décidait, dans une zone, de le détruire ou de l'éliminer, il ne serait pas si facile d'éviter les dommages! Pour me résumer, je ne sais pas comment exclure le loup d'un territoire où le loup ne serait pas souhaité ». M. Laurent Garde a lui aussi exprimé des réticences : « Je suis très réticent concernant le zonage, mais si un zonage devait être mis en place, il devrait se fonder sur le critère de la typologie des systèmes d'élevage et donc de la masse des contraintes posées par le loup. Sous forme de boutade, je dirais que si l'on mettait le loup dans le bois de Boulogne, cela ne poserait aucun problème à l'élevage. Au-delà de la boutade, il faut bien voir que, étant donné la dynamique de l'espèce, une telle politique demanderait une pression permanente de régulation et de pression des animaux sortant des zones protégées.En pratique, j'ai du mal à imaginer la faisabilité d'un tel zonage. Cela dit, si le zonage était implicite, c'est-à-dire s'il consistait à enlever le loup là où il provoque des dégâts majeurs, si le zonage se fondait sur l'acceptabilité sociale du retour du loup plutôt que sur une limite, nous ne ferions que suivre la politique de la Suisse et de la Norvège, pourtant signataires de la convention de Berne qui n'ont pas hésité à tirer sur les loups dès qu'ils ont posé trop de problèmes à l'élevage et qui le laissent s'installer là où ils causent moins de problème ». La délimitation des zones est en effet un problème délicat et M. Eric Arnou, vice-président du parc naturel régional du Vercors, a illustré cette difficulté lors de son audition par la commision. Après avoir constaté la possible coexistence, dans les zones d'alpage du parc du Vercors, il a ajouté: « Mais désormais, nous rencontrons de nouveaux problèmes en périphérie de réserve, bien que le conseil d'administration du parc ait toujours voulu que les mesures financées par LIFE ne se limitent pas aux frontières de la réserve mais prennent en compte l'ensemble du massif. Une partie du problème s'est donc sans doute déplacée vers la périphérie de la réserve. En bref, le problème peut être maîtrisé sur la réserve, là où la présence du loup est passagère et où le territoire nous a permis d'appliquer nos recettes. Par contre, si la présence du loup devait s'étendre à la moyenne montagne, là où la végétation est importante et là où les structures d'exploitation ne permettent pas la même organisation de la pratique pastorale, je ne suis pas sûr que nos recettes puissent s'appliquer, donc que ces zones soient viables. Je tire donc pour l'instant des conclusions très mitigées de notre expérience ». La majorité des chercheurs et des biologistes sont très réservés sur le zonage des loups dans l'arc alpin, mais M. Luigi Boitani, déjà cité, est un des rares chercheurs à penser que le zonage est la seule façon rationnelle de gérer le retour du loup. Il se prononce cependant pour un zonage a posteriori qui suppose que l'on laisse les loups occuper l'espace qui leur convient et que l'on adapte le réseau de zones de protection en fonction de la plus ou moins grande compatibilité constatée. Cette démarche peut être appliquée sur tous les territoires où les loups sont installés. En revanche, pour l'avenir, il serait préférable d'anticiper et d'étudier, dès à présent, les zones probables d'expansion où le loup ne pourra pas être toléré. Confronté à toutes ces incertitudes, votre rapporteur considère que l'approche par niveau de compatibilité entre les prédateurs et les activités humaines est la seule possible. Trois conditions méritent cependant d'être posées. La délimitation des différents secteurs ne peut être envisagée qu'à la suite d'études pastorales approfondies intégrant le degré d'acceptation des populations concernées. En second lieu, ces secteurs doivent être évolutifs en fonction du niveau des prédations ce qui exige un suivi très régulier. Enfin, il n'est pas question de cantonner le loup aux seules régions alpines alors qu'il existe en France bien des territoires de plaines et de massifs forestiers riches en ongulés sauvages où l'élevage est peu présent. Sous ces réserves et en l'état actuel des connaissances et des informations, votre rapporteur propose de retenir le projet de trois grands types de territoires. Les territoires où le pastoralisme ovin n'est pas pratiqué pourront devenir des secteurs de protection intégrale des grands prédateurs. Dans les territoires où le pastoralisme est présent mais où l'efficacité des mesures de protection des troupeaux aura été démontrée, le loup sera toléré mais pourra être éliminé, sous certaines conditions. En dernier lieu, dans les secteurs d'élevage très vulnérables où les techniques de prévention sont inapplicables, les loups ne seront pas autorisés à s'installer et devront être éliminés. Comme on va le voir, ce canevas devra se construire dans la durée, prendre en compte l'évolution des situations et surtout, s'appuyer sur une connaissance très fine, inexistante actuellement, de chaque territoire. 2.- Diligenter des diagnostics pastoraux très fins pour déterminer les territoires d'exclusion des loups Les diagnostics pastoraux financés dans le cadre du programme LIFE portent essentiellement sur l'analyse de la ressource fourragère d'un alpage en vue d'adapter la conduite du troupeau à cette ressource. Il est indispensable d'intégrer, dans ce type d'analyse de la valeur pastorale d'une unité, les paramètres de la prédation par le loup et d'élargir les conclusions à la faisabilité des mesures de prévention ou aux raisons de leur manque d'efficacité. Cette approche nouvelle du diagnostic pastoral a été prise en compte dans la réorientation de certains outils du programme pour l'année 2002. Les actions concernant les diagnostics pastoraux ont été requalifiées « Analyse de vulnérabilité des unités pastorales face à la prédation ». Ce travail d'analyse qui peut être conduit par le CEMAGREF et le CERPAM doit être systématisé et réalisé parallèlement à un diagnostic classique ou de façon autonome. Mais il faut accélérer les travaux car, à ce jour, 16 unités pastorales seulement ont fait l'objet d'un diagnostic pastoral dans le cadre du programme LIFE, dont 8 comprenant une analyse de vulnérabilité. On rappellera que le seul département des Alpes-Maritimes compte une centaine d'unités pastorales(34). Le coût d'un diagnostic simplifié de repérage des dysfonctionnements du système pastoral dus au risque de prédation par le loup, a été estimé entre 3.354 euros et 4.574 euros. Votre rapporteur souhaite l'accélération et la pérennisation de ces diagnostics, essentiels pour la gestion des loups, à l'expiration du programme LIFE. B.─ LES MÉTHODES DE RÉGULATION DOIVENT ÊTRE ENCADRÉES, EFFICACES ET RÉACTIVES La régulation est non seulement possible au regard des obligations internationales comme on l'a vu, mais elle est nécessaire, pour des raisons socioéconomiques qui ne sont plus à démontrer. On peut ajouter qu'elle est favorable à la biodiversité. Plusieurs interlocuteurs de la commission ont ainsi fait état de situations absurdes où, pour ne pas limiter la prolifération de certaines espèces, on a pris le risque de provoquer des catastrophes écologiques. Il convenait effectivement de le rappeler, même si la situation des grands carnivores européens n'est pas comparable à celle des sangliers ou des grands cormorans et des vautours dont la prolifération et les dégâts consécutifs, démontrent que le problème n'est certainement plus la recherche d'un état de conservation favorable. Des précautions doivent donc être prises pour respecter les objectifs de viabilité des loups de l'arc alpin, mais les dispositions réglementaires en vigueur en France ne posent pas clairement les termes d'une régulation adaptée, à la fois au respect de ces objectifs et à la protection des élevages. La France doit élaborer une nouvelle procédure de régulation, mettant en place des moyens clairs, efficaces, encadrés par un nouveau règlement interministériel. En dehors des zones de protection totale, un droit de prélèvement des loups indésirables doit être reconnu et mis en œuvre, le cas échéant, par les éleveurs ou les bergers eux-mêmes, s'ils l'acceptent. 1.- Fixer des conditions claires pour un exercice réel du droit de régulation des loups En l'état actuel du droit interne, le prélèvement d'un loup (comme d'un lynx ou d'un ours) s'effectue en trois temps. L'arrêté du 10 octobre 1996, après avoir rappelé les conditions préalables à la dérogation, prévoit qu'une autorisation de capture ou de destruction peut être accordée, par arrêté conjoint des ministres de l'agriculture et de l'environnement, après avis du Conseil national de la protection de la nature. Cette autorisation interministérielle a pris la forme, à deux reprises, de protocoles visant à réduire le nombre d'attaques de loups, valables pour l'année 2001, puis pour l'année 2002, que votre rapporteur a examinés précédemment. Enfin, au-delà d'un certain seuil de dégâts et de diverses autres conditions, le déclenchement d'une opération de dissuasion ou de prélèvement, doit faire l'objet d'une autorisation préfectorale limitée dans le temps. Le préfet confie à la DIREN et à la DDAF, par l'intermédiaire de leurs agents assermentés, l'organisation des phases de l'intervention. On comprend que les éleveurs et les élus locaux, confrontés à des attaques aussi furtives que meurtrières soient restés plus que perplexes devant un tel échafaudage de conditions et de niveaux d'intervention qui conduisent inévitablement à la paralysie de l'action publique. De fait une seule décision d'intervention a été prise, comme on l'a vu, par le préfet des Alpes-Maritimes qui n'a abouti à rien. De plus, pour 2003, il y a un vide juridique puisque aucun nouveau protocole n'a été adopté. Aucune mesure de prélèvement d'un loup n'est donc juridiquement possible à l'heure actuelle. Votre rapporteur considère qu'il faut sortir de cette impasse et de ces faux semblants. Tout le monde s'accorde pour dire que l'on ne peut pas laisser le loup s'installer partout. Il faut donc pouvoir le déloger ou le faire disparaître des secteurs où sa présence est reconnue strictement incompatible avec les activités humaines. Comme le faisait observer M. Pierre Bracque dans son rapport, la majorité des pays engagés dans la protection du loup ont été amenés à mettre en œuvre des politiques de régulation de ses effectifs : officielles dans certains cas (Etats-Unis, Espagne, Pologne, Finlande), officieuses dans d'autres, comme l'Italie où le loup est strictement protégé mais où le braconnage est toléré. Il incombe à l'Etat, dans le respect de ses obligations internationales, d'encadrer, par la voie réglementaire, l'impact de la régulation sur l'accroissement normal de la population protégée, de déterminer les territoires où la régulation est justifiée et le seuil d'attaque autorisant le déclenchement d'une action. Un arrêté interministériel doit poser clairement ces trois limites à la mise en oeuvre des actions de régulation, pour répondre aux objectifs de l'article 16 de la directive « Habitats », sans ajouter d'autres conditions ou restrictions. S'agissant de l'impact sur l'espèce, Laurent Garde a fourni des indications intéressantes dans l'une de ses études(35). S'appuyant sur des travaux nord américains, il considère qu'un taux de prélèvement de 20 à 30 % maintient une population de loups à un niveau stable, à condition de ne pas éliminer les louveteaux. Au-delà de 30%, la population déclinerait. En Espagne 20 % de loups sont tués chaque année et la population continue de croître. Quant aux territoires où la régulation sera autorisée, ils seront déterminés en fonction de la plus ou moins grande vulnérabilité aux prédations des unités pastorales, conformément aux diagnostics pastoraux qui doivent être rapidement mis en œuvre. Leur délimitation devra faire l'objet d'un arrêté préfectoral, au fur et à mesure où cela sera possible. Enfin le seuil de déclenchement de l'action de prélèvement pourrait être fixé, dès la première attaque meurtrière, sans contrôle préalable de l'existence de mesures de protection puisque notre hypothèse de départ est la généralisation et le renforcement de ces mesures. Votre rapporteur propose donc de modifier les dispositions relatives à l'autorisation de capture ou de destruction des loups, des lynx et des ours qui figurent à l'article 2 de l'arrêté du 10 octobre 1996 fixant la liste des mammifères protégés. Les nouvelles dispositions poseraient le principe d'un droit de régulation des trois espèces, dès la première attaque meurtrière. Les limites seraient celles d'un pourcentage de prélèvement compatible avec la survie de l'espèce, et les territoires où les prédateurs bénéficieraient d'une protection totale. Il faut maintenant se demander qui sera chargé de l'exécution de la régulation. Deux mesures distinctes doivent être envisagées. D'une part, la restitution du pouvoir, pour les communes ou les groupements de communes, d'ordonner des tirs ou des captures, en riposte à des situations gravement dommageables, d'autre part dans les secteurs où le loup ne doit pas être toléré, la définition d'actions préventives confiées à des professionnels spécialisés. Enfin dans les territoires de protection totale des mesures exceptionnelles d'aide aux éleveurs qui continueront à y travailler devront être mises en place. 2.- Redonner aux communes le pouvoir d'éliminer les prédateurs qui présentent un danger sur leur territoire, hors zone de protection totale. a) La modification de l'article L. 2122-21- 9° du code général des collectivités territoriales n'était pas justifiée. Entre avril et octobre 1996, à la suite d'importantes pertes subies par les troupeaux, 8 communes des Alpes-Maritimes (36) ont pris des délibérations autorisant le maire, sur le fondement de l'article L. 2122-21-9° du code général des collectivités territoriales, à prendre les mesures propres à éliminer les loups. Ce paragraphe 9 autorise le maire, sous le contrôle du conseil municipal et sous le contrôle administratif du préfet, à prendre « à défaut des propriétaires ou des détenteurs du droit de chasse, à ce dûment invités, toutes mesures nécessaires à la destruction des animaux nuisibles... ». A l'époque, le texte précisait, « ...désignés dans l'arrêté pris en vertu des articles L.427-8 et L.427-9 du code de l'environnement, ainsi que des loups et sangliers remis sur le territoire ». Le préfet des Alpes-Maritimes a déféré les huit délibérations municipales au tribunal administratif de Nice qui les a annulées, au motif de leur incompatibilité avec la convention de Berne. La Cour administrative d'appel ayant confirmé les huit jugements, le Conseil d'Etat a été saisi de l'ensemble du litige. Après avoir écarté le moyen de la violation de la convention de Berne, au motif que ses dispositions ne créent d'obligations qu'entre les Etats-parties et ne produisent pas d'effet dans l'ordre juridique interne, le Conseil d'Etat a annulé, le 8 décembre 2000 les délibérations des communes en se fondant sur la méconnaissance des articles 12 et 16 de la directive Habitats. La haute juridiction a considéré que l'article L.2122-21-9° n'est pas par lui-même incompatible avec les objectifs de la directive, dont il résulte que la capture ou la mise à mort de certains animaux sauvages, dont les loups, ne peut avoir lieu que dans des cas strictement limités. Les délibérations ont été annulées parce que, en violation des conditions de dérogations de l'article 16 de la directive, elles prescrivaient la destruction sans restriction des loups présents sur le territoire des communes. Selon le Conseil d'Etat, une telle mesure dont « ni le but ni les limites n'étaient précisées a méconnu la portée des règles dans le cadre desquelles la mise en oeuvre de l'article L.2122-21-9° s'inscrit ». Ainsi, ce n'est pas le bien fondé de l'intervention municipale qui a été condamné, mais les moyens utilisés pour exercer ce droit. Par ailleurs, le Conseil d'Etat, par un arrêt(37) du 30 décembre 1998, avait jugé que si les mesures édictées par l'arrêté interministériel du 10 octobre 1996 confient aux ministres concernés, le pouvoir de délivrer des autorisations de capture et de destruction du loup lorsqu'elles sont nécessaires, elles n'ont pas eu pour effet de retirer aux autorités municipales le pouvoir dont elles disposent en vertu du paragraphe 9° de l'article L.2122-21 du code général de collectivités territoriales. Il résulte donc de cette jurisprudence que le conseil municipal peut disposer, dans les limites réglementaires, et en réponse à un but précis, du pouvoir de mettre en œuvre les dérogations de l'article 16 de la directive « Habitats » et que les dispositions de l'article L.2122-21 9°, n'étaient pas contraires aux objectifs de cette directive. Néanmoins, le gouvernement a cru bon, à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 7 novembre 2000, lequel, en réponse à une question du Premier ministre, a procédé à la délégalisation de l'article L.427-6 du code de l'environnement et de l'article L.2122-21-9° du code général des collectivités territoriales, de supprimer le loup et le sanglier de la liste des animaux nuisibles. C'est par le décret du 25 mai 2001, portant modification des dispositions du code général des collectivités territoriales et du code rural relatives à la destruction d'animaux nuisibles, que le paragraphe 9° de l'article L.2122-21 du CGCT, a été modifié par la suppression des mots « désignés dans l'arrêté pris en vertu des article L.427-8 et L.427-9 du code de l'environnement ainsi que des loups et sangliers remis sur le territoire ». Outre l'incohérence qui consiste à faire relever loups et sangliers de dispositions qui les excluent de la catégorie des animaux nuisibles - car ils le restent potentiellement quand ils deviennent dangereux - on comprend la colère des acteurs locaux de se voir dépossédés, sans véritable justification juridique, du seul pouvoir d'intervention dont ils disposaient. Cette incompréhension a été bien exprimée par M. Hervé Benoit chargé de mission à l'Association nationale des élus de la montagne (ANEM) « L'autonomie de gestion des élus sur leur propre territoire est remise en cause. De quelle façon doit-on gérer la faune sauvage ? Pourquoi se substitue-t-on à l'élu local qui est pourtant le meilleur observateur ? Pourquoi empêche-t-on le maire de gérer une crise à laquelle il est pourtant sensible à travers les dommages que subissent les éleveurs sur le territoire de sa commune ? Le mal essentiel que nous cherchons tous à combattre est bien les dommages économiques que cause le retour du loup ». Il est vrai que le décret du 25 mai 2001 a fait suite à un avis motivé adressé à la France par la Commission européenne, le 2 février 2001, concernant la non-conformité de la législation française à la directive « Habitats » pour la protection du loup. Cet avis était fondé sur la contradiction supposée entre l'arrêté du 10 octobre 1996, qui organise la protection du loup, et l'article L 2122-21-9° du code général des collectivités territoriales. La Commission européenne reprochait à ce dernier texte de ne pas appréhender le loup comme une espèce dont la protection est obligatoire et de prévoir sa mise à mort intentionnelle. Selon la Commission, les dispositions incriminées ne pouvaient pas, en l'absence de précisions supplémentaires, constituer des modalités d'application de l'article 16 de la directive. Votre rapporteur constate tout d'abord que cette interprétation est contraire à celle exprimée par le Conseil d'Etat qui a critiqué les moyens mis en oeuvre par les délibérations municipales, mais pas leur fondement juridique. En second lieu il est possible, tout en conservant aux municipalités leur pouvoir de police face aux animaux dangereux, d'encadrer et de limiter ce pouvoir lorsqu'il s'agit d'espèces protégées. Un tel équilibre entre protection de la faune sauvage et sécurité n'est pas contraire à la logique des textes européens, bien interprétée. b) Les maires doivent pouvoir exercer leur pouvoir de police dans le cadre de l'autorisation de dérogation ministérielle Votre rapporteur propose donc de compléter l'article L.2122-21 du code général des collectivités territoriales afin de donner aux maires le pouvoir de faire exécuter une décision du conseil municipal visant à l'élimination, par tir sélectif, d'un loup ou d'un lynx ou d'un ours dangereux pour les troupeaux. Il ne s'agit pas d'organiser des battues, dont on a vu qu'elles sont le plus souvent inefficaces et surtout qu'elles ne répondent pas à l'obligation d'une élimination sélective pour prévenir des dommages importants sur les troupeaux, conformément aux exigences de l'article 16 de la directive « Habitats ». Les maires pourront, après délibération du conseil municipal sur l'opportunité de la décision, et sous le contrôle administratif du préfet, autoriser un droit de riposte sélectif par tir sur un loup qui attaque un troupeau. c) Ce pouvoir peut prendre la forme d'un droit de riposte susceptible d'être délégué aux bergers exerçant sur la commune Les éleveurs et les bergers sont partagés sur un pouvoir de riposte directe qui leur serait délégué, sous la forme d'une autorisation de tir. Beaucoup d'entre eux refusent de se transformer en tueurs de loups. M. Franck Bonneval, membre du bureau national des Jeunes agriculteurs, l'a clairement indiqué à la commission : « Nous ne voulons pas que, demain, on tue tous les loups, mais si un loup s'approche d'un troupeau, il faut que nous ayons la possibilité de faire quelque chose. Que ce ne soit pas de la responsabilité des éleveurs me semble logique et qu'un organisme vienne à gérer tout cela serait quelque chose de bien et d'utile. Il conviendrait que les pouvoirs publics prennent leur responsabilité dans cette affaire. Selon nous, les pouvoirs publics, et un certain ministère n'ont sans doute pas fait ce qu'il fallait au moment où il le fallait. Selon les Jeunes Agriculteurs, s'il doit y avoir tir, il doit être fait par des personnes assermentées, afin d'éviter toutes difficultés futures sur le sujet. C'est un moyen de se protéger, car si l'on sait qui tire, on ne sait jamais trop sur quoi on tire ». A l'inverse, M. Philippe De Mester, préfet des Alpes-de-Haute-Provence a déclaré : « Nous sommes de plus en plus convaincus de la nécessité d'engager un système de régulation par les bergers eux-mêmes. Les éleveurs, en effet, ont le sentiment de ne pas être reconnus. Ils ont un grand sentiment d'abandon et pensent que le loup passe avant leur profession. C'est un gros problème, qui relève largement d'une approche psychologique. Les responsabiliser en matière de régulation du loup serait non seulement un moyen de réhabiliter leur profession, mais aussi de réduire les dégâts provoqués par le loup. Bien sûr, il ne s'agit pas de rétablir un droit d'affût généralisé, qui a été supprimé il y a une quarantaine d'années, mais d'autoriser un droit de riposte dès la première attaque. Ce droit s'exercerait, bien entendu, sous certaines conditions, dans un temps et un espace limité, et en s'engageant dans une politique contractuelle visant à mettre en place des mesures de protection efficaces. J'ai lu dans d'anciens rapports que les bergers ne souhaitaient pas se transformer en régulateurs. Moi, ce n'est pas ce que j'ai entendu du terrain. Les bergers, les éleveurs et les agriculteurs souhaitent pouvoir prendre en main leurs affaires. Pourquoi pas, s'ils le font sérieusement ». De son côté l'ANEM, serait plutôt favorable à une action confiée aux gardiens des troupeaux. Écoutons M. Hervé Benoit qui s'exprimait ainsi devant la commission : «(...) le loup aurait dans certains espaces le statut d'animal protégé que lui reconnaît la convention de Berne, alors que dans d'autres, où son rôle nocif pour les activités pastorales est reconnu, des moyens seraient mis en œuvre pour le contrer. Ces moyens pourraient consister à valider les pouvoirs de police des élus locaux d'organiser des battues et à reconnaître le droit des propriétaires de troupeaux et des gardiens de pratiquer en quelque sorte la légitime défense en cas d'attaque du troupeau. Le berger pourrait manier le fusil sans avoir à recourir à la procédure administrative actuelle prévue par le protocole d'enlèvement qui oblige à comptabiliser les pertes, à prouver qu'elles ont été causées par le loup, à redescendre jusqu'à la préfecture pour déposer le dossier et obtenir l'autorisation nécessaire pour que les louvetiers puissent procéder à l'enlèvement du loup ». Dans un souci de pragmatisme et de respect de la liberté de chacun, votre rapporteur considère qu'il faut laisser le choix aux éleveurs et aux bergers disposant d'un permis de chasse, soit d'exécuter eux-mêmes les autorisations de prélèvement, soit de demander au maire de faire appel aux agents de l'ONCFS ou à des gardes forestiers. d) Des conditions exceptionnelles pour les éleveurs dans les zones de protection totale. Dans les territoires où l'élevage est très peu présent ou très peu vulnérable, on a vu que la présence des loups pourra faire l'objet d'une protection totale. Les éleveurs peuvent néanmoins faire le choix de maintenir ou de créer des activités pastorales dans ces secteurs. C'est pourquoi il faut leur proposer des conditions de protection et d'aides renforcées telles que : - la prise en charge par l'Etat de la location des pâturages ; - le versement d'une indemnité forfaitaire annuelle de dommages, calculée en fonction de la composition du troupeau ; - le renforcement des mesures de protection et l'accompagnement des éleveurs par des techniciens pastoraux qualifiés. 3.- Créer des brigades de louveterie pour surveiller les zones où le loup est exclu Au fur et à mesure de la réalisation des diagnostics pastoraux réclamés par votre rapporteur et grâce à l'amélioration du suivi de l'expansion des loups et de ses agissements, il apparaîtra inévitablement que sa présence devra être totalement exclue de certains territoires. Sur ces territoires, dont la désignation devra reposer sur des critères scientifiques et économiques incontestables, des actions préventives de mise en fuite ou de destruction des loups devront être organisées. Seuls des groupes de professionnels assermentés et spécialistes de l'espèce loup pourront être chargés de cette tâche. Votre rapporteur propose de confier cette tâche au corps de la louveterie. Ce corps n'a pas été dissous après la disparition des loups du territoire français. Il a été adapté à la situation nouvelle en 1971 et les articles L427-1 et L427-2 du code de l'environnement en organisent le fonctionnement. Ses membres sont des auxiliaires techniques et bénévoles de l'administration. Les lieutenants de louveterie sont nommés par le préfet sur proposition du DDAF et après avis du président de la fédération départementale de chasse. Ils doivent être de nationalité française, justifier d'aptitudes physiques et de compétences cynégétiques. En améliorant leur formation et en leur attribuant une rémunération, ils peuvent être rétablis dans leur activité ancestrale de suivi et prélèvement des loups, sous le contrôle des préfets. Dans le cadre de la formation envisagée, et pour des raisons déontologiques évidentes, il sera nécessaire d'insister sur l'obligation d'une impartialité totale attendue de ces agents assermentés. 4.- Interdire et sanctionner toute autre forme de destruction des prédateurs Votre rapporteur a acquis la conviction que, faute d'une politique de régulation claire et efficace de la part de l'Etat, un contrôle officieux sous forme de braconnage des loups et des autres grands prédateurs s'est installé. Des exemples de destruction sont connus, et même parfois revendiqués. Des éleveurs ont d'ailleurs été poursuivis devant les tribunaux. D'autres formes d'élimination, plus discrètes, par l'empoisonnement notamment, si elles révèlent le niveau de désarroi des victimes d'attaques de loup, mettent en péril l'ensemble de la faune sauvage et domestique et ont été à plusieurs reprises condamnées par les fédérations de chasseurs. Cet ensemble de faits alourdit encore davantage, s'il est possible, le climat conflictuel qui existe autour du problème de la protection des prédateurs. Les éleveurs considèrent que si l'on en arrive à de telles extrémités c'est que l'on n'a pas le choix et que, confrontés à l'impuissance de l'administration, certains ne supportent pas de rester inactifs face à des prédations qui sont parfois de véritables désastres. Sensible au désarroi des éleveurs, votre rapporteur considère qu'un Etat de droit ne peut laisser s'installer de telles situations où l'on se fait justice soi même, faute d'autre recours. Une régulation officielle, encadrée, limitée mais efficace, comme on vient de le proposer, est évidemment la seule réponse à la régulation sauvage et à la violation de la loi, à laquelle les éleveurs et les bergers ne recourent évidemment qu'en désespoir de cause. Cette position devra faire partie des aspects de la gestion du loup qu'il convient de négocier en commun avec l'Italie. Dans ce pays en effet, contrairement à la Suisse, aucune dérogation à la protection totale du loup n'est admise. En revanche, un braconnage important est toléré : 61 ours auraient été tués dans les Abruzzes entre 1970 et 1985. Dans ce même massif selon des chiffres officieux non contestés par les autorités italiennes, 15% de la population de loups est abattue clandestinement chaque année(38). III.- DÉFINIR UN PLAN DE GESTION MAÎTRISÉE POUR L'AVENIR A.- FAUT-IL LAISSER SE POURSUIVRE L'EXPANSION TERRITORIALE DES LOUPS ET COMMENT L'ENCADRER ? L'objectif du maintien de populations de grands prédateurs viables en Europe et donc en France, ne doit pas être confondu avec une expansion incontrôlée de ces espèces qui deviendrait vite insupportable. Il faut du temps pour permettre à une organisation humaine d'intégrer un bouleversement tel que le retour des loups dans la vie rurale. Non seulement il faut, souvent en catastrophe, transformer les méthodes de travail, mais c'est tout autant à une forme d'adaptation culturelle qu'il faut se résoudre. L'exemple de l'Institution patrimoniale du Haut-Béarn dans la gestion des ours est un exemple de ce qu'il faut faire. L'accompagnement technique, financier, psychologique qui s'est mis en place a sans doute contribué à panser quelques plaies. Mais c'est surtout le manque d'anticipation des pouvoirs publics et, en conséquence, l'impréparation totale des éleveurs qui sont à l'origine de tant de drames. C'est pourquoi, votre rapporteur considère que tout doit être fait pour éviter à l'avenir un tel décalage entre des décisions prises par les uns et les conséquences dramatiques subies par les autres. Pourtant, les travaux de la commission ne porteraient pas vraiment à l'optimisme quant aux capacités de nos institutions à placer réellement sous contrôle, à long terme, le « stock » et le « flux » de loups sur notre territoire. Le rapport a déjà souligné la faiblesse des moyens scientifiques et techniques dont dispose la France pour améliorer les connaissances sur les grands prédateurs, leur dispersion prévisible et leur comportement sous nos latitudes. Certes, cette démarche doit relever principalement d'initiatives et d'organismes européens. Mais notre pays ne doit pas rester passif. Par exemple il pourrait être utile de faire dresser par des spécialistes une cartographie de la probable expansion dans les années à venir des loups en France, en fonction des corridors biologiques historiquement connus et de la configuration actuelle des territoires. A ce type d'interrogation, Mme Roselyne Bachelot-Narquin ministre de l'écologie et du développement durable a apporté les éléments de réponse suivants, lors de son audition par la commission : « Je tiens à la garantie scientifique de mon action. La science est à même de résoudre un certain nombre de conflits. En ce moment même, au ministère, se tient un colloque sur la charte de l'environnement, partie juridique et partie scientifique. J'ai souhaité que les deux puissent se rencontrer. C'est dans cet esprit qu'un observatoire national de la faune sauvage et de ses habitats a été créé. Dès 2003, il s'attachera à un suivi scientifique plus approfondi du loup sous l'œil vigilant du conseil scientifique que je vais installer et pour lequel j'attends les propositions du Professeur Jacques Lecomte (39). Je suis frappée des difficultés que nous avons à obtenir des résultats rapides, par exemple, des analyses génétiques sur les prélèvements d'indices ». C'est une avancée, mais le souci de votre rapporteur porte principalement sur l'absence de positionnement, tant au niveau national qu'européen, sur le niveau acceptable de présence de grands prédateurs. L'Europe occidentale est constituée de régions peuplées, économiquement dynamiques et qui entendent le rester. Le problème global de la compatibilité de ces situations avec une dispersion incontrôlée de loups doit être clairement posé, et si possible, résolu dans la transparence. Contrairement aux loups, l'accroissement des ours des Pyrénées est, certes, très lent mais personne ne semble véritablement s'interroger sur les perspectives d'un retour des ours italiens dans les Alpes françaises. Sur ces problèmes des études sérieuses et transparentes doivent être lancées en liaison avec des chercheurs et des responsables italiens pour évaluer au mieux cette perspective. De la même façon, on a vu que l'arrivée annoncée du loup dans les Pyrénées, en provenance d'Espagne, n'est pas suffisamment anticipée. B.- RENÉGOCIER AU NIVEAU EUROPÉEN LES CONDITIONS D'EXPANSION DES PRÉDATEURS D'UN ÉTAT À L'AUTRE Une assez grande confusion règne sur une éventuelle présence, même erratique, de loups dans les Pyrénées occidentales. La commission, malgré un déplacement dans cette région et de nombreuses auditions, n'est pas en mesure d'apporter des éléments de réponse précis, ce qui traduit une relative indifférence, tant locale que nationale. M. Gérard Caussimont président du fonds d'intervention éco- pastoral (FIEP Groupe Ours Pyrénées) et membre du comité scientifique du parc national des Pyrénées, a communiqué à la commission quelques informations en provenance des services de l'environnement des régions espagnoles de Navarre et d'Aragon. Selon ces services, il n'y aurait aucune donnée certaine de présence du loup dans la partie ouest de la Navarre. S'agissant de la partie sud ouest de la Navarre, éloignée d'environ cent kilomètres des Pyrénées-Atlantiques, l'incertitude est plus grande. Pour ce qui est de l'Aragon, des indications de présence ont été révélées par des incursions occasionnelles d'individus dans les provinces de Teruel et de Saragosse, distantes de 150 à 300 kilomètres de la frontière. Autant dire que l'on ne sait pas grand-chose et qu'il est urgent de diligenter une mission d'expertise dans un cadre franco-espagnol si l'on ne veut pas réitérer les errements de 1992 dans les Alpes. La France ne doit pas subir à nouveau la pression de prédateurs imposés par les choix des Etats voisins, sans concertation préalable ni mise en place de modalités de contrôle de ces espèces. Face à la perspective d'arrivées de loups en provenance d'Espagne ou d'ours en provenance d'Italie qui viendraient aggraver la situation de l'élevage dans les versants français des Alpes et des Pyrénées, il faut prendre des dispositions. Votre rapporteur considère que le gouvernement doit engager, au sein de la Commission européenne d'une part et du comité permanent de la convention de Berne d'autre part, des négociations afin de redéfinir les conditions dans lesquelles la France pourra se protéger contre l'expansion prévisible sur son territoire, des loups dans les Pyrénées et des ours dans les Alpes. Des procédures de suivi et de contrôle de ces espèces doivent être adoptées au niveau européen afin de ne pas tendre vers une expansion des grands carnivores, insupportable pour la France, tant économiquement que socialement C.- RENÉGOCIER LES CONDITIONS DE LA MISE EN PLACE DU DISPOSITIF NATURA 2000 Outre la protection des espèces menacées, la directive « Habitats » se préoccupe de la protection de leur cadre de vie par l'instauration de zones spéciales de conservation (ZSC). Pour la conservation de ces habitats naturels, notamment ceux des ours et des loups, la directive a prévu la mise en place dans toute l'Europe du réseau Natura 2000 qui devrait être achevé en 2004. Ces zones de protection des espèces menacées et de leur espace bénéficieront d'un outil financier qui a déjà démontré son efficacité dans le soutien du pastoralisme contre les loups, le programme LIFE (40). L'article 8 de la directive prévoit que, parallèlement à leurs propositions concernant les sites susceptibles d'être désignés comme ZSC, les Etats-membres communiquent les montants qu'ils estiment nécessaires dans le cadre du cofinancement communautaire pour leur permettre de remplir les obligations auxquelles ils s'engagent. Les dispositions de la directive « Habitats » qui prévoient l'organisation de ce réseau ont été très mal acceptées par le monde rural, lequel a eu le sentiment d'être, une fois de plus, dépossédé de toute capacité d'initiative. Un manque de concertation évident, lors de la mise en place du dispositif et la délimitation des périmètres, est venu accroître le malaise. Dans ce contexte, un faible nombre de propositions a été formulé par la France auprès de la Commission européenne, proposition d'ailleurs contestée au niveau local, pour la constitution de ce réseau écologique et beaucoup de retard a été pris. Votre rapporteur considère qu'il faut sortir de cette impasse et reprendre les négociations avec les acteurs locaux en tenant compte de leurs propositions. La mise en place du réseau Natura 2000 et des modes de gestion et de conservation relèvent de l'initiative des Etats membres et de leurs propositions. S'il ne faut pas perdre de vue les avantages financiers associés au réseau Natura 2000, lesquels pourraient, au moins partiellement, prendre le relais du programme LIFE loup, il est absolument indispensable que l'appréciation des situations locales ne néglige pas les obstacles économiques et sociaux, notamment dans les Alpes et dans les Pyrénées. Le ministère de l'écologie et du développement durable a transmis en septembre 2002 à la Commission européenne une proposition de site d'intérêt communautaire concernant la zone centrale du parc du Mercantour. Cette proposition doit être réexaminée à la lumière des constatations de la commission d'enquête sur la particulière vulnérabilité aux prédations, du système pastoral pratiqué dans le Mercantour. D'une manière générale, il convient de réexaminer tous les projets de sites susceptibles d'être proposés par la France en diligentant, partout où des problèmes se posent, des expertises à caractère scientifique et socioéconomique et en organisant une véritable consultation avec les acteurs locaux concernés et les élus. Dans cette perspective, il est indispensable que le gouvernement obtienne le report des délais fixés par la directive « Habitats » pour la transmission à la Commission européenne de la liste des sites d'importance communautaire. A l'issue de travaux conduits à un rythme soutenu, en donnant la parole à tous les représentants des secteurs concernés par la confrontation du pastoralisme et des prédateurs, la commission a fondé ses propositions sur un certain nombre de constats et de principes directeurs que l'on peut ainsi résumer : · Le pastoralisme ovin doit être reconnu comme une activité économique essentielle à la vie montagnarde. · Les grands prédateurs, dont la protection représente une contrainte lourde pour les éleveurs, doivent faire l'objet d'une régulation encadrée mais efficace. · La France doit respecter ses engagements internationaux en matière de protection de la faune sauvage sans mettre en péril ses activités économiques. · Un dialogue constructif entre toutes les parties concernées est nécessaire et les problèmes en cause requièrent une gestion au plus près du terrain qui donne toute leur place aux élus locaux. · La protection des grands prédateurs découlant d'un choix de société, la solidarité nationale doit compenser toutes les conséquences qui en résultent pour les éleveurs. · Seule une gestion transfrontalière du loup, du lynx et de l'ours est réaliste. Une réelle coopération européenne est donc indispensable tant pour le suivi et l'étude de ces espèces que pour leur contrôle en fonction des spécificités économiques et sociales des différentes régions. · Le pragmatisme et la recherche permanente d'un équilibre entre protection des espèces et défense des activités humaines constituent la clé qui devrait permettre de résoudre bien des conflits en ajoutant l'impérieuse nécessité, pour l'Etat, d'agir dans la transparence. · Enfin au-dessus de tout, il faut placer le principe absolu de la priorité de l'homme, des ses activités et de ses traditions, sur l'animal fût-il protégé. Vingt cinq propositions d'actions ont été retenues
1. Affirmer que la solidarité nationale doit prendre en charge la totalité des surcoûts imposés aux éleveurs par la présence des grands prédateurs. 2. Pérenniser les aides du programme LIFE loup, à l'expiration du co-financement européen. Mobiliser les fonds communautaires en faveur du développement rural et régional. 3. Créer, au niveau départemental, un fonds d'indemnisation des éleveurs alimenté chaque année à hauteur des montants versés au cours de l'année précédente, avec délégation de paiement aux préfets. 4. Diligenter des études sur le coût économique, pour les exploitations, de la présence des prédateurs, en vue de la création d'une indemnité compensatrice de prédation. 5. Améliorer et renforcer les techniques de protection des troupeaux contre les prédateurs. Multiplier la présence de techniciens pastoraux auprès des éleveurs et des bergers pour la mise en place de ces techniques, notamment des spécialistes des chiens de protection. 6. Etudier la faisabilité d'un système assurantiel d'indemnisation des dégâts provoqués par toutes les espèces de prédateurs, y compris les chiens, dont les primes seraient prises en charge par l'Etat. 7. Systématiser les contrôles d'identification, par le tatouage, des chiens divagants. 8. Créer une structure de recherche spécialisée dans l'expertise en génétique moléculaire, disposant des moyens suffisants pour répondre rapidement aux demandes d'analyses. Développer la pratique des tests en aveugle sur l'analyse des indices. 9. Diligenter des diagnostics pastoraux sur la vulnérabilité aux prédations des unités pastorales de l'arc alpin, intégrant le degré d'acceptabilité de la présence de prédateurs sur ces unités. 10. Déterminer des seuils de compatibilité entre l'élevage et la présence de loups et délimiter des territoires où la protection serait intégrale, des territoires où le loup pourrait être prélevé sous certaines conditions et des territoires où sa présence ne devrait pas être tolérée. Désigner ces territoires par arrêtés préfectoraux. 11. Accorder des moyens de protection renforcée et des primes exceptionnelles aux éleveurs qui exerceraient leur activité dans les territoires de protection totale : prise en charge par l'Etat de la location des pâturages, indemnité forfaitaire annuelle de dommages calculée en fonction de la composition du troupeau. 12. Réunir, à l'initiative des préfets, en avril et en novembre de chaque année, les comités de massif pour évaluer, en début et en fin d'estive, la situation face aux prédateurs et les dégâts subis. 13. Engager le gouvernement par l'intermédiaire des autorités administratives compétentes, à avertir sans délai les maires, de l'arrivée de loups, ours ou lynx sur le territoire de leur commune. 14. Adopter, par arrêté conjoint des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement les dispositions encadrant et limitant la mise en oeuvre des actions de régulation des loups, dans le respect de l'article 16 de la directive « Habitats » et prévoyant notamment : - le taux de prélèvement annuel autorisé sur la population de loups ; - le déclenchement d'une action dès la première attaque meurtrière ; - l'interdiction des battues administratives ou de toute autre mesure d'élimination non sélective à l'encontre des espèces protégées. Aménager en conséquence l'arrêté du 12 octobre 1996, modifiant l'arrêté du 17 avril 1981 fixant la liste des mammifères protégés sur l'ensemble du territoire. 15. Compléter l'article L.2122-21 du code général des collectivités territoriales afin de donner aux maires le pouvoir de faire exécuter une décision du conseil municipal visant à l'élimination, par tir sélectif, d'un loup ou d'un lynx dangereux pour les troupeaux. Donner la possibilité aux bergers titulaires d'un permis de chasse, de procéder à l'élimination autorisée. Ce pouvoir ne pourra s'exercer que dans les communes situées hors des territoires de protection totale des prédateurs. Dans les secteurs d'exclusion des loups, créer des brigades de louveterie en nombre suffisant pour déloger les loups. 16. Engager le gouvernement à renégocier au niveau européen les conditions dans lesquelles la France pourra se protéger de l'expansion prévisible, sur son territoire, des loups venant d'Espagne et des ours venant d'Italie. Exiger davantage de souplesse dans les modalités de contrôle de ces prédateurs supplémentaires lorsqu'ils viendront aggraver les problèmes de l'élevage du côté français des Alpes et des Pyrénées. 17. Engager le gouvernement à reprendre les négociations avec les acteurs locaux, sur la mise en place du dispositif Natura 2000 et la délimitation des périmètres concernés sur tout le territoire et notamment en ce qui concerne la zone centrale du parc du Mercantour. Engager le gouvernement à obtenir le report du délai fixé pour la transmission par la France, à la Commission européenne, de la liste des sites d'importance communautaire.
18. Redéployer les aides versées dans le cadre du premier pilier de la PAC, au profit de la filière ovine. Prévoir, dans le cadre de la réforme de la PAC, l'augmentation des fonds alloués au deuxième pilier en faveur du développement rural 19. Développer et améliorer la formation au métier de berger : augmenter le nombre de places dans les centres de formation diplômante. Créer des emplois aidés de bergers et d'aide-bergers. Améliorer les conditions de travail dans les estives (moyens de communication téléphonique, confort des cabanes, chemins d'accès, aide à l'acheminement du matériel de protection, meilleur accès aux points d'eau). 20. Améliorer la productivité de l'élevage ovin et mieux valoriser l'agneau des Alpes et des Pyrénées par rapport à la viande d'importation. Encourager la pluriactivité en montagne. 21. Rétablir le dialogue entre tous les acteurs concernés par le pastoralisme et la protection de la faune sauvage.
22. Réformer les parcs nationaux : décentraliser et démocratiser la gestion des parcs et renforcer leur fonction de soutien au pastoralisme. Augmenter les pouvoirs de décision et de contrôle des conseils d'administration. 23. Faire respecter leur devoir de réserve aux agents des parcs nationaux et aux agents de l'Etat qui travaillent dans le secteur de l'environnement. Sanctionner les agents de l'Etat ou des établissements publics qui ne porteraient pas immédiatement à la connaissance de leur responsable hiérarchique des faits constatés dans l'exercice de leurs fonctions. 24. Rompre avec le maintien d'une certaine forme de cogestion du ministère de l'écologie et du développement durable par les associations de défense de l'environnement. Exclure les bénévoles du réseau loup et réserver aux agents assermentés le soin de récolter les indices de présence. Accélérer la procédure d'identification et de contrôle des loups en captivité. 25. Subordonner toute réintroduction de l'ours dans les Pyrénées à la concertation et à l'acceptation des acteurs locaux. Etendre à toutes les communes concernées le droit de demander le retrait d'un ours au comportement de prédation anormal. * * * La Commission a examiné le présent rapport au cours de sa séance du mercredi 30 avril 2003 et l'a adopté. Elle a ensuite décidé qu'il serait remis à M. le Président de l'Assemblée nationale afin d'être imprimé et distribué, conformément aux dispositions de l'article 143 du Règlement de l'Assemblée nationale. * * * EXPLICATIONS DE VOTE Déclaration des commissaires L'objectif de cette commission était d'enquêter sur les conditions de la présence du loup en France et du pastoralisme dans les zones de montagne. En fait, cette commission a été principalement motivée par la question de l'éventuelle réintroduction du loup et, par voie de conséquence, par une mise en doute du bien fondé des textes internationaux, dont la convention de Berne. Dans ce cadre, les députés socialistes et apparentés ont souhaité élargir le débat à la question du pastoralisme en zone de montagne car c'est bien la survie de cette activité indispensable aux territoires qui doit être au cœur de nos préoccupations. La précédente mission d'information parlementaire avait d'ailleurs considéré que le fait de répondre à la question de l'origine de la présence du loup ne réglait en rien le problème posé. Il nous faut agir en considérant la présence du loup, quelle que soit son origine et sachant que notre pays se doit de respecter le cadre des conventions internationales. Au terme de cette commission d'enquête, nous constatons que le travail fourni par les commissaires a été important, que le programme des auditions a été varié et équilibré, que les grandes difficultés que les prédateurs posent au pastoralisme ont été appréhendées et que les données techniques du rapport peuvent faire référence. Toutefois, malgré les moyens déployés et les postulats affichés a priori par ceux qui sont à l'origine de la commission d'enquête, démonstration n'est pas faite d'un retour autre que naturel du loup. Le rapport traduit les difficultés à critiquer le fondement des conventions internationales et à sortir de leur cadre. Ce résultat, prévisible avant même le début des travaux, nous semble d'ailleurs compatible avec l'initiative de l'actuel Président de la République, qui souhaite annexer une charte de l'environnement à la Constitution ! Ainsi, sur le fond, le rapport de la commission ne répond pas aux objectifs initialement fixés, ce qui conduit ses auteurs à émettre des propositions bien en deçà des enjeux exposés. Au-delà de ce constat, nous nous inquiétons du fait que les propos qui y sont tenus, n'apaisent pas les relations tendues entre les partenaires traitant des questions de pastoralisme. Nous regrettons vivement que dans ce rapport, des accusations gratuites et polémiques soient portées. Elles ne pourront que contribuer à poser les débats de manière manichéenne. Ces propos regrettables vont à l'encontre de la volonté qui nous est chère d'apaiser les débats. Enfin, nous constatons avec regret que des titres du rapport sont volontairement provocateurs et surtout inappropriés puisque dans certains cas, ils sont en décalage, voire en contradiction, avec le contenu même du texte qu'ils sont censés annoncer et synthétiser. En ayant conscience des enjeux discutés au cours de cette commission d'enquête, en marquant clairement notre déception à la lecture du rapport au vue du travail préalable réalisé, nous ne pouvons cautionner les propos abusifs et polémiques qui y sont tenus et en conséquence nous ne prendrons pas part au vote. Explication de vote de M. André CHASSAIGNE, Ce rapport est un document remarquable et une synthèse de qualité sur la présence du loup en France et l'exercice du pastoralisme dans les zones de montagne. Rappelons que cette commission d'enquête avait été constituée à la suite des sollicitations de nombreux éleveurs désemparés par la présence du loup dans leurs montagnes et par l'impossibilité qu'ils avaient de réagir aux attaques des loups contre leurs troupeaux. Les auditions et visites sur le terrain ont été d'une extrême richesse et les éléments recueillis constituent une base de données de grand intérêt : le rapport rassemble ainsi des informations, témoignages, analyses et appréciations qui permettent de mieux comprendre la problématique du loup et plus largement des autres grandes prédateurs (lynx, ours). Aussi, faut-il saluer en premier lieu le travail réalisé et l'apport indiscutable qu'il représente. Il n'en est pas moins gâché par des orientations qu'il est difficile d'approuver et qui conduisent à des affirmations caricaturales, inutilement polémiques et occultant certains témoignages recueillis, avec, au final, une série de propositions élaborées d'ailleurs sans concertation réelle au sein de la commission. ¬ Certains titres de chapitre expriment un parti-pris manquant d'objectivité et confortant des thèses en contradiction avec les auditions et visites effectuées par la commission d'enquête : il en est ainsi de l'affirmation d'un doute sur le retour naturel du loup, s'appuyant sur le fait que « de lourdes incertitudes subsistent », ce qui est complètement faux. L'enquête a révélé tout au contraire qu'aucun doute ne subsiste aujourd'hui sur cette question. Non seulement cette assertion est inexacte mais elle alimente inutilement une controverse démentie par des témoignages multiples et des preuves scientifiques irréfutables : colonisation progressive des Apennins par le loup, mode de dispersion, annonce de l'imminence de son retour dans le Mercantour, analyses génétiques... Le texte est ainsi souvent perverti par des propos maximalistes et démagogiques qui n'aident pas à résoudre un problème qui exige au contraire de la rigueur, de la mesure et une objectivité scrupuleuse. ¬ Un autre parti-pris est de privilégier les conséquences négatives de la présence du loup. Or, de nombreux témoignages ont aussi montré un apport appréciable pour le développement des territoires concernés. Le texte lui-même démontre fort bien que cette crise a aussi des effets positifs sur l'évolution du pastoralisme. Quand les acteurs locaux ont la volonté de positiver, des bénéfices non négligeables peuvent être tirés de la présence du loup sur un territoire : au-delà d'un simple attrait touristique en terme d'image, souligné certes dans le rapport avec une approche utilitariste, il s'agit aussi de valoriser l'apport éducatif pour une meilleure compréhension de notre environnement, de la biodiversité et aussi en terme de responsabilité vis-à-vis des générations futures. Mais, pour valoriser cette dimension, il aurait fallu expliquer, ce qui n'est pas fait dans le texte, que les grands prédateurs sont aussi des éléments de l'équilibre biologique et combien de loup, animal protégé, a sa place dans le patrimoine de l'humanité. Il s'agit-là d'une réalité qui ne peut être réduite à un fantasme sorti de l'imaginaire d'urbains sentimentalement bucoliques. ¬ Il ne suffit pas d'affirmer la nécessité «d'un dialogue constructif entre toutes les parties concernées ». Encore faut-il proposer formellement des espaces de discussions et surtout renouer le dialogue, ce qui exige, contrairement au rapport, de ne pas jeter l'anathème sur le milieu associatif intervenant dans la protection de l'environnement. Ainsi, la proposition d'exclure les bénévoles du réseau loup comme l'interprétation outrancière des propos de certaines personnes auditionnées ne vont pas dans le bon sens. Il en est aussi de la proposition de «créer une structure de recherche spécialisée dans l'expertise en génétique moléculaire ». En effet, cette structure existe déjà à Grenoble, avec le « Laboratoire d'écologie alpine » remarquablement animé par le professeur Taberlet : il s'agit désormais de lui donner des moyens supplémentaires pour fonctionner dans de bonnes conditions en valorisant un savoir-faire reconnu, avec les objectifs de mieux répondre aux besoins et d'être plus réactifs. ¬ En ce qui concerne le dispositif de régulation proposé, avec une différenciation entre territoires, comment ne pas s'interroger sur les critères de délimitation des zones où le loup serait « interdit »... et par voie de conséquence supprimé dès la première attaque meurtrière ! Les zones d'exclusion seraient donc celles où la cohabitation pose le plus de problèmes, avec de graves nuisances pour l'élevage, mais surtout celles où les mesures d'accompagnement ont été a priori rejetées. Le risque est grand d'encourager ainsi les comportements de repli et de refus de toute évolution. Il faut au contraire, avant tout, conforter les mesures d'accompagnement et conditionner les éventuelles actions de régulation à la mise œuvre effective de mesures techniques de protection. Les propositions de régularisation proposées conduiront inéluctablement à des abus, et d'autant plus que l'autorisation d'élimination pourra être accordée à tout berger-chasseur sur décision d'un conseil municipal. De fait, au regard de la faible population de loups, ne s'agit-il pas d'une volonté masquée d'éradication sur le territoire français ? Une autre approche aurait pu être celle de la contractualisation entre toutes les parties concernées. Elle n'est pas prise en compte alors que c'est une dimension fondamentale. Des aides spécifiques pour les contraintes induites par la présence du loup et le financement des mesures de protection des troupeaux seraient accordées sur la base d'une politique partagée concrétisée par des chartes d'occupation des territoires. Une assurance pour couvrir les prédations ne pourrait d'ailleurs se concevoir qu'en accompagnement d'une telle contractualisation. ¬ En ce qui concerne l'élevage ovin et le pastoralisme, n'aurait-il pas fallu davantage souligner que la question du loup est devenue le symbole de la crise profonde de cette filière ? Le loup n'est qu'un problème supplémentaire dans la crise structurelle de l'élevage ovin : aussi est-il essentiel de porter tous les efforts sur les solutions à porter à cette crise ovine. Le rapport a bien mis en évidence les difficultés de la filière. Trois points mériteraient d'être approfondis : Comme dans toute l'agriculture la filière ovine se heurte à l'absence de prix rémunérateurs. Une politique agricole de soutien des prix paraît nécessaire pour protéger cette filière et le revenu des éleveurs ovins confrontés à la concurrence des moutonniers du groupe de Cairns (Nouvelle Zélande, Australie notamment). La démarche de valorisation de la viande ovine française doit dans cette perspective être encouragée, sans exclure a priori l'adoption de labels valorisants tels que « l'agneau de la région du loup », à l'image du « broutard du pays de l'ours ». Il devient effectivement nécessaire de mener une véritable politique de formation des bergers et d'encourager la modernisation des exploitations. Cette exigence répond à l'évolution de la filière : les élevages ovins à titre d'activité complémentaire tendent à disparaître et ce sont surtout les exploitations où l'élevage ovin constitue l'activité principale qui se maintiennent. Pour cela, des aides européennes à l'investissement, et non plus seulement de soutien au revenu, sont à privilégier. De tels efforts en faveur du pastoralisme, avec davantage de bergers, permettraient aussi de mieux contrôler les troupeaux et ainsi de réduire les pertes accidentelles (200 000 victimes par an), les attaques des troupeaux par les chiens (50 000 victimes)... et bien sûr par les loups (2 500 victimes). La pression foncière, la configuration des aides européennes au revenu (qui n'ouvrent pas droit au complément pour élevage extensif dont bénéficie la filière bovine) déplacent les élevages ovins vers les zones les plus défavorisées du territoire. Cette évolution exigerait d'aider les éleveurs en conséquence. Les éleveurs sont aujourd'hui des éléments déterminants de la protection des territoires et de l'occupation des espaces. Il est nécessaire de bien appréhender le fait que les principaux prédateurs, pour les bergers, ne sont aujourd'hui pas les loups, mais bien plutôt ces institutions européennes et mondiales (OMC, Union Européenne...) qui fragilisent toujours davantage les éleveurs par leurs politiques libérales et la marchandisation du monde qu'elles organisent. ¬ En réagissant durement contre la présence du loup, les bergers expriment une légitime préoccupation : celle que leurs montagnes en particulier et que tous les territoires ruraux en général restent des territoires vivants, d'activité, voués à la production. Ils refusent justement que ces territoires se transforment en espaces naturels aseptisés, avec une « agriculture de plaisance », organisés pour des touristes attirés par la vision fausse d'une nature sauvage, source de sensations fortes, mais cependant sécurisée. On ne répondra pas à ce véritable « impérialisme culturel » des citadins contre les territoires ruraux et de montagne par des incantations démagogiques. Des réponses pérennes sont à trouver. Et le loup n'est ici qu'un épiphénomène. Ce rapport cède trop souvent à la facilité et à la démagogie. Il n'analyse pas assez profondément les solutions à développer pour redynamiser ces montagnes confrontées à la présence du loup et y développer la filière ovine. Ainsi, n'aurait-on pas dû considérer que c'est la désertification des territoires et le déclin progressif des activités humaines qui a permis le retour du loup dans des montagnes redevenues sauvages ? Et que le loup est plus la conséquence visible de la crise des zones de montagnes que sa cause ? L'économie pastorale doit être aidée et soutenue. Elle est déterminante pour maintenir une forte présence humaine dans les zones de montagne fragilisées, et plus particulièrement celles du sud des Alpes. C'est pour toutes ces raisons, que le représentant du groupe des députés communistes et républicains juge nécessaire de s'abstenir. Contribution de M. Jean LASSALLE, commissaire-membre du groupe Union pour la Démocratie française Le rapport sur lequel nous avons à nous prononcer est excellent. Il constitue une avancée importante dans la connaissance de la présence des grands fauves dans notre pays. Jamais depuis bien longtemps le risque de voir s'éteindre toute une partie de notre civilisation n'avait été abordé avec autant de réalisme. Les problèmes du pastoralisme, de la transhumance, les conditions de vie de nos bergers, sont très bien compris et présentés. Le rapport fait preuve d'un bon équilibre dans la présentation des forces en présence et illustre bien la formidable complexité de la gestion de ce dossier. L'homme est repositionné comme il ne l'a été depuis bien longtemps dans les textes. Cependant, le fait de reconnaître dans ce rapport l'existence implicite de la directive « HABITATS », contribuant à la mise en place du réseau NATURA 2000, est pour moi inacceptable. Au contraire le Gouvernement français doit demander d'urgence à l'Union européenne sa remise à plat totale ainsi que la celle de la directive « Oiseaux » de 1979 concernant la chasse. Ces textes ne sont pas adaptés à notre pays, du fait de son histoire, de son organisation, mais également de la variété et de l'étendue de son territoire (troisième en Europe par sa superficie). La directive « HABITATS » dessaisit et dépossède totalement la France de ses moyens propres d'action sur son territoire et brise le principe de subsidiarité. Elle empêche, au moment où notre Gouvernement réengage une forte action au niveau de la décentralisation, toute prise de responsabilité et toute prise en charge par les populations concernées, de leur propre destin. Au moment où des risques si graves pour l'avenir de notre planète que la surconcentration urbaine, l'énorme et si dangereux problème des transports, l'émanation massive de gaz carbonique, la multiplication d'immondes friches industrielles aux quatre coins de la planète, on se polarise sur des questions, des territoires, sur lesquels ne planent aucun danger grave, si ce n'est celui de la désertification. La directive « HABITATS » condamne, irrémédiablement et pour des raisons purement idéologiques, à court et moyen terme, une partie très importante de notre territoire à la sanctuarisation. Cette situation, si on n'y remédie pas à temps, provoquera de graves troubles dans notre pays et des remises en cause brutales au sein de l'Union européenne. Le dossier, qui nous occupe aujourd'hui, a été constitué avec sérieux et rigueur. Je tiens à dire combien j'ai été heureux d'y travailler avec les participants de tous les groupes politiques. Je veux saluer l'action du Président de la commission et du Rapporteur. Du fait de ces éléments positifs je ne peux voter contre ce rapport. Mais la reconnaissance de la directive « HABITATS » rend totalement inopérant, avant même leur mise en œuvre, la plupart des excellentes propositions qui nous ont été présentées. Ainsi face à ce dilemme cornélien, j'ai décidé de ne pas participer au vote. Je pense que l'on comprendra ce choix. Contribution de M. Joël GIRAUD, Tout en partageant le point de vue et le vote exprimés par le groupe socialiste et apparentés, je tiens à préciser que la lecture du rapport pose le problème de : - la contradiction entre le contenu du texte et les titres et sous titres ; - la contradiction entre des propositions mesurées et des propos inutilement maximalistes. Dans la mesure où il est affirmé (page 109) « la guerre du loup doit cesser », « notre objectif est l'apaisement », il aurait fallu à mon sens modérer les affirmations sur la probabilité de lâchers clandestins alors même que si une introduction artificielle n'est bien sûr pas à exclure, tout concourre à démontrer que le retour naturel du loup est l'hypothèse la plus probable. Ainsi, le titre du chapitre I devrait être « Un retour naturel du loup est probable même si quelques incertitudes subsistent ». S'agissant du retour du loup dans le Parc du Mercantour, la recolonisation de tous les Apennins démontre que le loup est ou serait revenu naturellement dans ce secteur et les conclusions sur ce passage à savoir que « les loups concernés sont bien italiens, que le modèle de dispersion est compatible avec le mode connu de colonisation. » est plus une affirmation de la forte présomption d'un retour naturel que de l'existence de « lourdes incertitudes ». En tout état de cause, il aurait fallu insister dans le rapport sur le fait que le caractère naturel ou non du retour du loup n'a aucune conséquence sur son statut juridique, ce qui est un élément de non pérennisation d'une inutile polémique, qui masque la réalité du problème de l'exercice du pastoralisme dans les zones de montagne. Concernant les conclusions : 1. Dans l'exposé des motifs, il convenait de rappeler que le poids de la prédation est lié au niveau de revenu des éleveurs ovins et que, en l'espèce, la situation dans les Alpes françaises (où le revenu annuel est de 8.000 €) contraste avec celle des autres pays et notamment l'Italie (où ce revenu atteint 51.000 € dans les zones visitées par la commission d'enquête). En ce sens, insister à nouveau dans les propositions sur une réorganisation de la filière ovine et l'étayer par des propositions concrètes aurait été nécessaire pour assurer l'avenir du pastoralisme en zone de montagne. 2. Dans les propositions : L'information aux élus doit être une priorité, le mieux étant d'exiger une information des comités de massif concernés deux fois par an (en automne, pour un bilan ; au printemps pour les actions à entreprendre). Je me réjouis que cet amendement ait été retenu ainsi que je l'ai souhaité par note du 24 avril au rapporteur et ce sera un pas important vers moins d'opacité. Il faut plus insister sur les réductions des délais de versement des indemnisations en délégant dès le printemps les crédits ad hoc aux préfets de département (l'exemple italien, en terme de rapidité, aurait du être mis en relief). La possibilité d'élimination autorisée (proposition 11) aurait du être clairement assortie d'un contrôle de l'ONCFS. Le terme « exclure les bénévoles » (proposition 19) du réseau loup est à la fois blessant et irréaliste (sauf à multiplier par 10 le nombre de fonctionnaires), il convenait en revanche de placer ces bénévoles sous le contrôle et l'autorité des agents assermentés, ne serait-ce que pour une meilleure harmonisation des méthodes. La recherche de l'utilisation d'autres chiens de protection que les patous aurait du faire l'objet d'une proposition, suivant en cela l'exemple du Parc National Gran Sasso où les éleveurs ont acquis un savoir-faire (garde par des chiens bergers des Abruzzes issus d'une même portée afin d'avoir un effet de clan face aux prédateurs) qui contribue à l'amélioration de leurs revenus par exportation des portées. En ce sens, je crains que le travail fourni, pour intéressant qu'il soit, ne soit pas à la hauteur des attentes. Contribution de M. Roland CHASSAIN, Je tiens à souligner la qualité du travail effectué par le Rapporteur, le Président et les membres de la Commission d'enquête. L'ensemble des auditions s'est déroulé dans la plus grande courtoisie et les diverses personnalités auditionnées ont été très coopératives et ont fait preuve d'un remarquable sens des responsabilités. Cependant, l'opacité sur l'introduction des loups en France et le coût réel du maintien de ces prédateurs subsiste, notamment par le manque de transparence du Ministère en charge à l'époque de ce dossier. Je suis particulièrement satisfait que ce rapport prenne en considération les questions liées au pastoralisme. Il sera nécessaire dans ce domaine de mettre en place des mécanismes simplifiés, plus rapides et plus efficaces pour l'indemnisation de la filière ovine qui souffre directement des ravages causés par l'introduction de ces prédateurs. Je m'associe pleinement aux conclusions du présent rapport qui ouvre la voie vers la prise en compte du mode spécifique de gestion du territoire rural. TABLE DES SIGLES
1 () Véronique Campion-Vincent « Les réactions au retour du loup en France » in « Le fait du Loup », 2002. 2 () Les données ci-dessous sont issues de l'ouvrage de M.François de Beaufort, Le loup en France. Éléments d'écologie historique.S.F.E.P.M. Paris, 1987. 3 ()"The fear of wolves : a review of wolf attacks on humans". Linell et al. , Norsk Institute for Naturforskning. 2002. 4 () Martine Bigan, Synthèse des réponses au questionnaire de la Direction de la Protection de la Nature et des Paysages (Secrétariat d'Etat chargé de l'environnement) in : la Terre et la Vie, suppl. 5, 1990. 5 () Libération, 29 déc. 1992, article de Florence Aubenas. 6 () Jacques Baillon, Nos derniers loups, les loups autrefois en Orléanais, Association des Naturalistes Orléanais, 503 p., Orléans, 1991. 7 () Gérard Ménatory, La vie des loups, éd. Stock, 1993. 8 () Les conditions du retour du loup en France: éléments techniques à partir du dépouillement de publications, CERPAM, février 2003. 9 () Journal Officiel du 24 mars 2003. 10 () « Premiers éléments d'enquête sur le retour du loup dans les Alpes françaises » Ministère de l'environnement, avril 1996. 11 () « Réintroductions et renforcements d'espèces animales: le point de vue de la D.P.N. » François Letourneux in Revue d'écologie, supplément 5, 1990, p8. 12 () Voir l'excellent ouvrage de Marianne Bernard, « Génération Démagogie » 1992. 13 () « Compensation for damage caused by bears and wolves in the European union » Experiences from LIFE-Nature projects. Mariella Fourli, 1999, European Commission. 14 () Rapport d'information n° 15 :« l'avenir de la montagne, un développement équilibré dans un environnement préservé » octobre 2002. 15 () Atelier technique des espaces naturels, situé à Montpellier. 16 () L'édition du Cahier technique « Vivre avec le loup des Asturies aux Carpates » 17 (1) Le pastoralisme en France à l'aube des années 2000, édition de la Cardère, mai 2000. 18 (1) « Idéologie, mythe et science. Le loup objet de toutes nos passions ». » Le fait du Loup » 2002. 19 () « Pastoralisme ovin durable et retour du loup », mémoire de mission réalisée à la DIREN de la région Rhône-Alpes et la DDAF de la Savoie. 20 () L'avenir de l'élevage : enjeu territorial, enjeu économique. n° 57, novembre 2002, et L'avenir de la montagne, un développement équilibré dans un environnement préservé N° 15, octobre 2002. 21 () CFPPA du Merle à Salon de Provence. 22 () « Impact économique du loup sur les élevages ovins estivant en Savoie » GIE Alpages et forêts, décembre 2001. 23 () « Incidences technico-économiques des attaques de prédateurs sur les troupeaux ovins en alpages », chambre d'agriculture des Bouches-du-Rhône, dossier de synthèse du 10 décembre 1999. 24 () « Incidences économiques de la prédation sur deux exploitations ovins viandes du département des Alpes Maritimes », APPAM, janvier 2003. 25 (1) « Témoignages d'éleveurs des Alpes Maritimes à propos de leur expérience avec les chiens de protection » APPAM, janvier 2003. 26 () Compte rendu de la réunion du comité scientifique du 11 juin 1998 à la séance du Conseil d'administration du parc national du Mercantour du 2 juillet 1998. 27 () « La vulnérabilité de l'élevage ovin face au loup » Laurent Garde (CERPAM), Salim Bacha (FROSE), Jean-François Bataille (Institut de l'élevage), Patrick Fabre (CA 13), février 2003. 28 () On trouvera cette lettre en annexe du présent rapport. 29 () Rapport sur une mission d'inspection et de médiation sur le loup, novembre 1996. 30 () « Gens, cornes et crocs ». Ecole nationale du génie rural, des eaux et des forêts, Janvier 2002. 31 () Recommandation n°17 (1989). 32 () Recommandation n°82 (2000). 33 () Sauvegarde de la nature n° 127. 34 () Portion de territoire toujours en herbe exploitée exclusivement par un pâturage extensif. 35 () Loup et pastoralisme ; la prédation et la protection des troupeaux dans le contexte de la présence du loup en région PACA- 1998. 36 () Breil sur Roya, Auvare, Belvedere, Thiery, Bollene-Vésubie, Lieuche, Malaussene et la Roquebillierre. 37 () CE, 30 décembre 1998, chambre d'agriculture des Alpes-Maritimes et centre départemental des jeunes agriculteurs Rec. CE 516. 38 () Chiffres cités dans un rapport de Nicolas Chassin de septembre 2001 « Aspects juridiques de la conservation des grands prédateurs en France : les cas du loup et de l'ours » 39 (1) Président du Conseil national de la protection de la nature. 40 () Règlement du Conseil LIFE n°1973/92 CEE et n°1655/2000 CEE. © Assemblée nationale |