N°1275 - Tome I - 1ère partie ______ ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 DOUZIÈME LÉGISLATURE
RAPPORT FAIT AU NOM DE LA MISSION D'INFORMATION (1) sur la question du port des signes religieux a l'école Président et Rapporteur M. Jean-Louis DEBRÉ, Président de l'Assemblée nationale -- TOME I RAPPORT (1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page. Education.
S O M M A I R E _____ Première et 2ème parties du rapport première partie : Le port des signes religieux a l'école est-il compatible avec le principe français de laïcité ? 1111 I.- la laïcité : un principe consacré par l'histoire et par le droit 1111 A.- les fondements historiques de la laïcité 1212 1.- Les fondements théoriques 1212 a) D'une laïcité sans liberté... 1212 b) ... à une laïcité de tolérance 1313 2.- L'épisode révolutionnaire ou la séparation inachevée 1313 a) « Impossible religion civile, impossible laïcité » 1414 b) Une première étape de la laïcisation de la société française 1515 B.- L'importance de l'espace scolaire dans la mise en œuvre du principe de laïcité 1616 1.- La laïcisation de l'école publique... 1616 a) La loi du 28 mars 1882 sur l'enseignement obligatoire 1717 b) La loi du 30 octobre 1886 sur l'organisation de l'enseignement primaire 1919 2.- ... annonce la séparation des Eglises et de l'Etat 2020 a) La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat 2020 b) Le « pacte laïque » ou le « second seuil de la laïcité » 2121 C.- une laïcité qui tient compte de certaines spécificités 2222 1.- Ecole privée et liberté d'enseignement 2222 a) La reconnaissance du principe de liberté d'enseignement 2222 b) Le régime juridique issu de la loi du 31 décembre 1959 2323 2.- Les régimes particuliers applicables à certaines parties du territoire de la République 2525 a) Le statut particulier de l'Alsace-Moselle 2525 b) Les autres territoires à statut particulier 2626 II.- l'« exception » française : un modele original a conforter 2828 A.- le modèle français... 2828 1.- La laïcité à la française : un modèle original ? 2828 a) Des influences étrangères 2828 b) Un modèle unique en son genre : l'exemple de l'enseignement de la religion 3030 2.- Une laïcité multiforme : les exemples étrangers 3232 a) La diversité des modèles européens 3232 b) L'influence du modèle sur l'attitude adoptée face à la problématique du port des signes religieux à l'école 3535 B.- ... à l'épreuve de nouveaux enjeux 3737 1.- Le débat autour de la référence à la religion dans le projet de traité instituant une Constitution européenne 3737 a) Les termes du débat au sein de la Convention 3838 b) Le dispositif de compromis retenu par la Convention 3939 2.- La place croissante du phénomène religieux sur la scène internationale 4040 a) Le phénomène religieux comme enjeu politique 4141 b) La transposition des conflits internationaux à l'école 4141 C.- un modèle à conforter 4242 a) L'adhésion de l'islam au « pacte laïque » 4343 b) La tentation d'une redéfinition de la laïcité à la française 4444 2.- Réaffirmer le projet laïque dans son idéal d'intégration 4545 Deuxième partie : Les manifestations d'appartenance religieuse ou politique révèlent les difficultés de l'école dans sa mission intégratrice 4747 I.- L'école comme lieu d'apprentissage du « vivre ensemble » est en perte de vitesse 4848 A.- des brèches importantes s'ouvrent dans le respect de la laïcité a l'école 4949 1.- Des réalités qui semblent bien éloignées des constats officiels qui se voudraient rassurants 4949 a) Des constats officiels qui se voudraient rassurants... 5050 b)...mais qui ne reflètent pas les propos des enseignants et des chefs d'établissement 5353 2.- Le rôle amplificateur des médias 5656 3.- Le dialogue et la médiation peuvent permettre d'aboutir à des équilibres qui restent fragiles 5757 4.- La position prudente des associations de parents d'élèves 6060 B.- L'école doit rester un lieu d'apprentissage de la citoyenneté 6262 1.- L'école doit développer l'esprit critique sans heurter aucune croyance 6262 2.- Les conflits et les revendications communautaires n'ont pas leur place à l'école 6666 II.- L'école comme vecteur d'intégration sociale semble de moins en moins crÉdible pour les jeunes des milieux défavorisés 6868 A.- Le repli communautaire : une tentation pour des jeunes en difficulté 6969 1.- L'échec scolaire frappe lourdement les enfants issus de l'immigration 6969 2.- Les discriminations et la perte du sentiment d'appartenance à la République 7171 B.- Le port de signes religieux et politiques : une manifestation du communautarisme 7272 1.- Le port du voile et la quête d'identité 7474 2.- Le port du voile, la ghettoïsation et la montée de la violence 7575 3.- Le port du voile et le statut des femmes dans la société 7777 4.- D'autres signes d'appartenance religieuse expriment également un repli identitaire 7878 C.- Les fondamentalismes religieux en toile de fond 7979 1.- Les associations intégristes occupent l'espace laissé vacant dans les cités 8080 2.- La lutte des femmes musulmanes pour leur émancipation en France et dans le monde passe par l'opposition au voile 8181 3.- Les conflits internationaux et l'exacerbation des violences chez les jeunes 8282 Accès à la 3ème partie du rapport Troisième partie : Le régime juridique du port des signes religieux à l'école ne garantit pas suffisamment le respect de la laïcité dans les établissements scolaires I.- Le port de signes religieux dans les établissements scolaires : la nécessaire conciliation entre liberté de religion et principe de laïcité A.- Le problème juridique du port de signes religieux dans les établissements scolaires : concilier deux principes consacrés 1.- La liberté de conscience : un principe constitutionnel 2.- La liberté de conscience, garantie et limitée par le principe de laïcité B.- La compatibilité du port, par les élèves, de signes religieux avec le principe de laïcité : l'avis du Conseil d'état du 27 novembre 1989 1.- L'encadrement juridique du port, par les élèves, de signes religieux dans les établissements scolaires 2.- L'élève, un individu titulaire de droits, soumis à des obligations spécifiques C.- L'obligation de neutralité des enseignants 1.- L'interdiction du port, par les enseignants, de signes religieux 2.- Une interdiction compatible avec la Convention européenne des droits de l'homme et de sauvegarde des libertés fondamentales II.- le port des signes religieux a l'école : un régime juridique contesté et d'application délicate A.- Le Conseil d'état a posé des limites au port de signes religieux que les chefs d'établissement n'ont pas toujours les moyens d'appliquer 1.- Les chefs d'établissement ne disposent pas toujours des outils pour faire face à des revendications communautaristes 2.- La difficile appréciation par les chefs d'établissement du caractère de prosélytisme et de propagande du port de signes religieux B.- La création d'un « droit local » pour l'exercice d'une liberté fondamentale C.- Les élèves ne doivent pas être traités comme de simples usagers du service public de l'éducation nationale 1.- Les élèves ne sont pas de simples usagers du service public 2.- En tant que membres de la communauté éducative, les élèves peuvent se voir imposer des obligations propres au service public de l'éducation nationale D.- Des restrictions à l'exercice d'une liberté fondamentale dépourvues de fondement législatif quatrième partie : Pour une réaffirmation par la loi du principe de la laïcité à l'école I.- restaurer par la loi le respect, par tous, de la neutralité de l'espace scolaire A.- L'interdiction légale du port visible de signes religieux et politiques dans les établissements scolaires 1.- Le régime juridique de l'exercice d'une liberté : une compétence du législateur 2.- L'interdiction du port « visible » de signes religieux et politiques dans les établissements scolaires B.- Un dispositif législatif qui garantit un juste équilibre entre liberté de religion et principe de laïcité dans le respect de la Constitution et conforme au droit international 1.- Un dispositif législatif qui garantit un juste équilibre entre liberté de religion et principe de laïcité dans le respect de la Constitution 2.- Un dispositif législatif conforme aux engagements internationaux de la France C.- La prise en compte de certaines spécificités 1.- La prise en compte du caractère propre des établissements privés sous contrat 2.- Un dispositif législatif qui ne remet pas en cause le régime spécifique de l'Alsace-Moselle 3.- Un dispositif législatif qui ne remet pas en cause les régimes spécifiques de certaines collectivités d'outre-mer II.- des mesures complémentaires pour faire vivre la laïcité à l'école dans un environnement apaisé A.- Lutter contre toutes les formes de discriminations et intensifier les efforts accomplis dans le cadre de la politique de la ville B.- Promouvoir l'égalité de traitement des différentes religions et enseigner l'histoire des religions à l'école 1.- Lutter contre l'image négative de l'islam et favoriser la construction de lieux de culte musulman 2.- Des aumôneries pour toutes les religions ? 3.- Des écoles privées de confession musulmane ? 4.- Améliorer l'enseignement de l'histoire des religions C.- Développer une pédagogie de la laïcité à l'école CONCLUSION EXAMEN DU RAPPORT CONTRIBUTIONS Glossaire ANNEXES Liste des personnalités auditionnées La mission d'information parlementaire sur la question des signes religieux à l'école a été créée par la Conférence des présidents de l'Assemblée nationale le 27 mai 2003 et installée le 4 juin 2003. Elle est la première illustration de la modification du Règlement de l'Assemblée nationale votée le 26 mars 2003 qui permet désormais au Président de l'Assemblée de prendre l'initiative de constituer des missions d'information sur des sujets intéressant l'ensemble de la nation, d'y réfléchir et de formuler des propositions dans un cadre plus solennel que celui des traditionnelles missions d'information des commissions. La réflexion sur la question du port de signes religieux à l'école s'est imposée à la suite des difficultés récurrentes rencontrées par l'institution scolaire depuis 1989 qui semblent s'amplifier depuis quelques temps au point de susciter des interrogations sur une éventuelle mise en cause du principe de laïcité à l'école. Parce que l'école est le lieu particulier où les élèves acquièrent à la fois le savoir, le goût de vivre ensemble et font l'apprentissage de la citoyenneté, il a paru nécessaire de donner à cette institution les moyens de surmonter une difficulté à laquelle elle est confrontée dans sa mission d'intégration et de formation des esprits. Pour mener cette réflexion, la mission a souhaité entendre le plus grand nombre de personnes en privilégiant celles et ceux qui, quotidiennement, sont confrontés, sur le terrain, à des situations parfois difficiles, tout en recueillant également les opinions des administrations centrales et de leurs ministres, celles des juristes, des organisations représentatives, des représentants des cultes ainsi que des spécialistes des questions religieuses et des grands courants de pensées. C'est ainsi qu'en 26 séances et 37 auditions et tables rondes, nous aurons entendu plus de 120 personnes. Par ailleurs, le forum d'expression mis en ligne le mercredi 22 octobre sur le site internet de l'Assemblée nationale a recueilli en 6 semaines plus de 2 200 messages témoignant du véritable intérêt de la population pour cette question (cf. annexe 2). Il faut aussi mentionner les nombreux courriers et contributions écrites adressés à la mission par lesquels nos concitoyens ont souhaité faire part de leur expérience et exprimer leur souhait de participer au débat. De l'ensemble de ces messages, contributions écrites et courriers, et surtout des auditions auxquelles nous avons procédé et des échanges qui les ont accompagnés, il résulte un certain nombre de constats et une volonté d'agir unanimement partagés. En premier lieu, les membres de la mission ont du constater que le principe de laïcité dans notre pays ne doit jamais être considéré comme définitivement acquis. Ils partagent la conviction que c'est à l'école, lieu de formation des futurs citoyens, qu'il faut en priorité assurer l'équilibre consacré par la Constitution entre le caractère laïque de la République et la liberté de conscience. Nous avons par ailleurs été frappés par le décalage entre les chiffres officiels fournis par les administrations concernées et la situation sur le terrain, telle que la vivent au quotidien les enseignants et les chefs d'établissement. Loin de se résorber, la question du port des signes religieux à l'école aurait, au contraire, tendance à gagner du terrain, comme l'actualité en témoigne. Au-delà des chiffres, nous avons été surpris par l'ampleur du décalage entre le sentiment des administrations centrales qui pensent disposer des moyens adéquats pour circonscrire ou surmonter les difficultés et le désarroi de certains chefs d'établissement et de certains enseignants qui estiment être insuffisamment soutenus par leurs administrations et qui sont confrontés à la pression de parents, particulièrement bien conseillés, et de médias omniprésents. Pour les membres de la mission le « voile », qui est au centre de la polémique, ne peut être réduit à un simple signe d'appartenance religieuse. Il véhicule souvent, si ce n'est toujours, une volonté politique d'affirmation d'une différence et, peut-être plus encore, une certaine idée de l'image et de la place des femmes dans la société. Rares, en effet, sont les jeunes filles qui le portent spontanément, en dehors de toute pression de la famille ou du milieu dans lequel elles vivent. A cet égard, certains témoignages sont édifiants. Les auditions ont également démontré que cette question du « voile », n'est qu'un des aspects des difficultés que rencontre l'école du fait de pratiques religieuses problématiques, tels que l'absentéisme certains jours, le refus d'assister à certains types d'enseignements, quand ce n'est pas le refus de suivre les cours de certains professeurs ou la contestation très orientée du contenu des enseignements dispensés. Il apparaît que l'école qui, jusqu'à ces dernières années était un milieu protégé, est maintenant un lieu où s'expriment de plus en plus les tensions et les difficultés de notre société : incivilités, violence, actes ou propos racistes et prosélytismes en tout genre... Par ailleurs, la question de la laïcité apparaît, à l'évidence, dépasser le cadre de l'école. Si celle-ci est aujourd'hui en première ligne confrontée au problème de la laïcité, et si c'est là qu'il faut agir de façon symbolique, la question touche également d'autres secteurs, tels que les services publics, des administrations jusqu'à présent protégées, comme l'hôpital, mais également le monde des entreprises. Toutefois, nous n'avons pas souhaité étendre notre réflexion au-delà du cadre fixé par la Conférence des présidents, tout en ayant le souci d'analyser l'ensemble des aspects de la problématique du port des signes religieux à l'école. A l'issue des auditions, il me semble que tous les membres de la mission ont acquis la conviction qu'il est impératif d'agir sans tarder si l'on ne veut pas que la situation actuelle, fruit d'une évolution intervenue depuis la fin des années 80, ne se dégrade au point de devenir ingérable. Nombreux ont été les intervenants, y compris les représentants des confessions, à dire que si une réponse ferme avait été apportée dès 1989, la situation ne serait pas si difficile. Et pourtant, la situation actuelle est tellement sensible et juridiquement complexe, que le législateur, celui-là même qui, sur une question aussi fondamentale que celle de la laïcité, s'est tout au long du XIXème siècle et du début du XXème siècle, montré extrêmement offensif, est aujourd'hui acculé à une position défensive ; certains d'entre nous hésitent à faire la loi, à dire le droit. A titre tout à fait personnel, je considère que cette position est inquiétante. La République n'a pas à s'excuser d'être elle-même. Le Parlement n'a pas à se justifier de légiférer. Aujourd'hui, la réponse au problème auquel nous sommes confrontés me semble être essentiellement politique. La médiatisation de tous les incidents qui surviennent dans les établissements scolaires, les prises de position publiques des différentes parties prenantes obligent le législateur à prendre position et à agir. Faute de quoi, son silence, ses hésitations, ses divisions seront interprétés par une large part de l'opinion comme un aveu de faiblesse, un signe d'impuissance, qui ne fera qu'accentuer l'attractivité des thèses extrémistes et les dérives communautaristes. Dans ce but, la mission propose d'introduire une disposition législative, brève, simple, claire, le moins possible sujette à interprétation, posant le principe de l'interdiction du port visible de tout signe religieux et politique dans l'enceinte des établissements publics d'éducation. --____-- Le présent rapport, dans sa première partie, situe le contexte dans lequel la réflexion de la mission sur la question précise du port des signes religieux devait s'effectuer en rappelant les fondements historiques et la spécificité de la laïcité « à la française », un modèle original à conforter où l'école a joué et doit continuer à jouer un rôle essentiel. Sur la base des nombreux témoignages recueillis par la mission, la deuxième partie du rapport montre en quoi les manifestations d'appartenance religieuse - et politique - révèlent les difficultés de l'école dans sa mission d'intégration et en quoi celles-ci sont le reflet des tensions et des difficultés de notre société. L'analyse du régime juridique du port des signes religieux à l'école, qui résulte de l'avis du Conseil d'Etat du 27 novembre 1989, de sa jurisprudence et des circulaires ministérielles, et les conditions dans lesquelles il s'applique sur le terrain, telles qu'elles ont été rapportées à la mission est l'objet de la troisième partie. Les conséquences des différents constats de la mission et l'analyse des moyens susceptibles de réaffirmer le principe de laïcité à l'école sont abordées dans la dernière partie. Il est suggéré d'introduire d'une disposition législative interdisant le port visible de tout signe religieux dans l'enceinte des établissements scolaires publics et de la compléter par des mesures d'accompagnement destinées à favoriser la compréhension et l'acceptation de cette interdiction. Jean-Louis Debré. PREMIÈRE PARTIE : LE PORT DES SIGNES RELIGIEUX A L'ÉCOLE EST-IL COMPATIBLE AVEC LE PRINCIPE FRANÇAIS DE LAÏCITÉ ? Si la question du port, par les élèves, des signes religieux à l'école interroge aujourd'hui la société française dans son ensemble, c'est qu'elle touche à l'un des principes fondateurs de la République : la laïcité. Ce principe fait partie de notre patrimoine. Autrefois l'objet des plus vives querelles, il a peu à peu conquis le caractère d'une évidence. Chaque Français se l'est approprié, à sa manière, au point que sa définition et les réalités qu'il recouvre sont devenues multiples jusqu'à être, parfois, très éloignées des contours juridiques du concept. Toutes les personnes auditionnées par la mission ont affirmé leur attachement à la laïcité, mais chacune selon sa propre définition, celle-ci oscillant de la neutralité la plus stricte à l'expression du plus large pluralisme. Par ailleurs, la perception de la laïcité appelle des fantasmes de tous ordres, aussi bien de la part de ceux qui imaginent la laïcité en permanence bafouée que de ceux qui voient en elle une menace perpétuelle pour l'expression de leur foi. La laïcité « à la française » s'est construite au cours d'un long cheminement. Entre l'expression du principe et sa traduction dans les normes juridiques, plusieurs siècles se sont écoulés. Etendard ambigu de la Révolution, valeur de combat chez les républicains au cours du XIXème siècle, la laïcité, si elle divise moins, interroge encore. Sa pérennité1 dépend moins de son renouvellement - la loi de 1905, qui constitue le socle légal de cette construction, fait aujourd'hui l'objet d'un consensus - que de sa capacité à appréhender des situations nouvelles, telles que le port des signes religieux à l'école. I.- LA LAÏCITÉ : UN PRINCIPE CONSACRÉ PAR L'HISTOIRE ET PAR LE DROIT Qu'est-ce que la laïcité ? Objet de tant de passion, la définition classique du mot est étonnamment brève. A son sujet, le Littré est pour le moins laconique : la laïcité renvoie au « caractère laïque » ; est laïque « ce qui n'est ni ecclésiastique ni religieux ». La notion embrasse ainsi un espace vaste et flou et s'appréhende par contraste. Etymologiquement, la laïcité désigne le laos, c'est-à-dire le peuple considéré comme un tout indivisible. Elle renvoie simultanément à un principe de liberté et à un principe d'égalité. A.- LES FONDEMENTS HISTORIQUES DE LA LAÏCITÉ Si la laïcité, comme mode d'organisation de la société, peut être considérée comme un phénomène relativement récent corrélatif à l'émergence de l'Etat-nation, le principe même de la distinction entre le pouvoir temporel et le pouvoir spirituel, véritable fondement du principe de laïcité, plonge ses racines dans un passé plus lointain. La problématique apparaît en même temps que le concept de démocratie qui pose la question de la conciliation des deux sources du pouvoir, l'une qui puise sa légitimité du suffrage, l'autre qui la tire directement de la chose sacrée. L'équation que donne à résoudre l'émergence de l'idée démocratique peut donc se résumer à la proposition suivante : comment faire coexister, sans heurts, un pouvoir venu d'en « bas » et un pouvoir issu du « haut » ? a) D'une laïcité sans liberté... Les guerres de religion en France et la guerre civile anglaise qui font suite au mouvement de la Réforme constituent un moment charnière au cours duquel la problématique de cette coexistence prend un relief particulier et devient l'un des thèmes majeurs de la pensée politique. Jean Bodin (1530-1596) et Thomas Hobbes (1588-1679) sont parmi les premiers à envisager les moyens d'émanciper le pouvoir politique de la tutelle de la religion. Le premier fonde sa théorie sur le concept de souveraineté qu'il définit comme le pouvoir qui décide en dernier ressort. Investi de ce pouvoir, l'Etat ne saurait être limité par les prétentions des religions à s'immiscer dans la conduite des affaires publiques. Le second développe une théorie plus aboutie. Comme les conflits religieux proviennent, selon lui, d'interprétations divergentes des écritures, il propose que l'Etat, le Léviathan, impose une lecture officielle de ces dernières. Ainsi les premières versions articulées de l'Etat laïque dans la philosophie politique moderne sont-elles celles d'une laïcité sans liberté. b) ... à une laïcité de tolérance John Locke (1632-1704) dépasse cette contradiction en introduisant la notion de tolérance au cœur de son dispositif théorique. Cependant, il s'inscrit dans une logique protestante, à rebours du compelle intrare catholique, et ouvre la voie du processus de laïcisation par sécularisation, propre aux pays de tradition protestante. Jean-Jacques Rousseau, dans le Contrat social (1762), va plus loin. En concevant l'Etat comme l'instrument des fins individuelles devenues, par l'adhésion au « contrat social », l'expression de la volonté générale, il évacue la notion de « sacré » du pouvoir politique. La laïcité « à la française » est l'héritière de cette conception qui refuse d'accorder à des groupes particuliers des règles spécifiques pour éviter, de proche en proche, que la société ainsi morcelée ne se délite complètement. A l'exception du régime des cultes reconnus mis en place par Bonaparte via le Concordat et les articles organiques qui lui ont été rattachés, la mise en œuvre du principe de laïcité en France a toujours répondu à cette exigence de maintenir l'unité du corps social. Ceci ne signifie pas que les divers systèmes expérimentés depuis la Révolution n'ont pas abouti à diviser profondément la communauté nationale. Mais, le « pacte laïque », comme les tentatives révolutionnaires, ont eu vocation à s'imposer à tous, selon des règles identiques, soit en substituant à des confessions multiples un culte unique soumis à l'Etat, soit en introduisant un principe conjugué de neutralité et de respect du pluralisme. Ce dernier principe, organisé par la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat, est celui qui s'applique actuellement en France. 2.- L'épisode révolutionnaire ou la séparation inachevée C'est avec la Révolution, que le processus de laïcisation tend véritablement à prendre corps dans la société française. Jusqu'alors, la France se présentait comme la « fille aînée de l'Eglise ». Cette conception, enracinée dans l'inconscient collectif, reposait sur trois thèmes fondateurs : l'antériorité de la conversion de la France, des relations privilégiées entre le royaume et le Siège apostolique et la conviction d'une élection du peuple français par Dieu pour l'accomplissement des desseins de la Providence dans l'histoire de l'humanité condensée dans la célèbre formule : « gesta dei per Francos ». a) « Impossible religion civile, impossible laïcité » Avec le mouvement révolutionnaire, la France ne se détourne pas de sa vocation universaliste mais tend à substituer à sa fonction de missionnaire de l'évangile catholique, le messianisme de la liberté et des droits de l'homme. La Déclaration universelle des droits de l'homme et du citoyen du 24 août 1789 ne se lit pas autrement que dans cette perspective. Elle s'adresse moins au corps social constitué symboliquement par l'assemblée de ses représentants, qu'à l'humanité toute entière, en consacrant, dans une déclaration solennelle, « les droits naturels, inaliénables et sacrés de l'homme ». La dimension déiste n'est pourtant pas absente de ce texte fondateur de la démocratie française, puisque les auteurs ont pris soin de placer cet énoncé des droits « sous les auspices de l'Etre suprême ». Toute l'ambiguïté de la démarche de laïcisation de la Révolution tient dans ce remarquable raccourci par lequel les représentants du peuple souverain mettent en balance le suffrage démocratique qui fonde leur légitimité et la protection d'une autorité supérieure. La tolérance progresse mais l'établissement de la liberté de conscience coexiste avec l'idée maintenue d'une « religion nationale » qui renforce le gallicanisme. L'opposition de certains clercs à la Constitution civile du clergé, condamnée à deux reprises par le pape Pie VI, entraîne les nouvelles autorités politiques à exiger qu'ils prêtent serment à la Constitution. Face au refus de la moitié des prêtres de répondre à cette exigence, l'assemblée législative s'engage, à partir de novembre 1791, dans la voie de la répression. Elle laïcise l'état civil et le mariage, jusque-là prérogatives de l'Eglise catholique, et autorise le divorce. Dans le même temps, la Révolution devient chose sacrée par le recours au serment civique et la mise en place d'un nouveau calendrier en lieu et place du calendrier chrétien. Cette sacralisation s'accompagne, sous la Terreur, d'une répression féroce à l'encontre de tous les cultes qui culmine en mai 1794, lorsque Robespierre décrète le culte de l'Etre suprême. La chute de Robespierre et l'installation de la convention thermidorienne ouvrent la voie de la reconnaissance du pluralisme religieux et de la neutralité de l'Etat. La Constitution de l'an III affirme : « Nul ne peut être empêché d'exercer le culte qu'il a choisi. Nul ne peut être forcé de contribuer aux dépenses d'un culte. La République n'en salarie aucun ». On retrouve ici l'ébauche de la célèbre formule de la loi de 1905. Mais ces dispositions ne seront jamais appliquées. b) Une première étape de la laïcisation de la société française Le Consulat et l'Empire apporteront une première forme de réponse avec l'établissement du « système concordataire ». Celui-ci constitue, selon la classification établie par Jean Baubérot2, le premier seuil de laïcisation caractérisé par une fragmentation institutionnelle (la religion perd sa vocation sociale totalisante), la reconnaissance de la légitimité sociale de la religion et le pluralisme des cultes reconnus. En effet, Bonaparte entame des négociations avec le pape. Elles aboutissent à la signature d'un concordat, le 10 messidor an IX (15 juillet 1801). L'unité de l'Eglise catholique en France est rétablie et son lien avec le Saint-Siège reconnu. Cependant, le catholicisme ne recouvre pas son caractère de culte officiel. L'Eglise catholique entérine la vente de ses biens, en contrepartie de l'octroi d'un traitement convenable aux ecclésiastiques. Le culte est libre et public, sous la réserve qu'il se conforme aux règles de police. Bonaparte joint unilatéralement au Concordat des articles organiques qui, tout en permettant à la liberté de religion de s'exercer concrètement, place le catholicisme et le protestantisme, réorganisés, sous le contrôle de l'Etat. Cette reconnaissance du pluralisme sera complétée, en mars 1808, par un décret réorganisant le culte israélite, sans toutefois que les mesures d'exception concernant les juifs ne soient toutes abrogées. Pourtant, certaines ambiguïtés perdurent. Ainsi, le code civil entérine la laïcisation du droit familial en opposant droit civil et droit canon sur certains points. La morale religieuse n'est plus officiellement le guide de l'action publique mais elle l'imprègne encore fortement. Portalis, le principal rédacteur du code civil, n'hésite pas à déclarer devant le Corps législatif : « Les lois ne règlent que certaines actions ; la religion les embrasse toutes ». En fait, le système mis en place par Bonaparte concilie des éléments de laïcité et des éléments de religion civile. Il constitue une sorte de modus vivendi qui permet l'apaisement. B.- L'IMPORTANCE DE L'ESPACE SCOLAIRE DANS LA MISE EN œUVRE DU PRINCIPE DE LAÏCITÉ La querelle des « deux France », l'une fidèle à l'Eglise catholique ultramontaine, l'autre, héritière des Lumières et laïque avec ferveur, alimentera tout le XIXème siècle. Chacune triomphera de manière alternée jusqu'à ce que le différend se résorbe aux lendemains de la loi de 1905 autour du « pacte laïque ». Dans cette lutte, la question scolaire occupera une place primordiale en raison du développement de l'institution et de son rôle éminent dans la formation des citoyens. Creuset des consciences futures, elle cristallise, hier comme aujourd'hui, les débats qui animent la société dans son ensemble. 1.- La laïcisation de l'école publique... Fait significatif de la confusion qui règne encore au début du XIXème siècle entre l'institution scolaire et l'Eglise, le premier des ministres de l'instruction publique, en 1824, est Monseigneur Frayssinous, lequel a parallèlement en charge le ministère des affaires ecclésiastiques. Durant la première moitié du siècle, les autorités publiques tenteront ainsi de concilier religion et liberté dans le domaine scolaire. La loi du 28 juin 1833 sur l'instruction primaire, dite « loi Guizot » renforce l'autonomie de l'enseignement primaire, sans pour autant le dégager de la tutelle religieuse : l'instruction morale et religieuse figure en tête des matières à enseigner et les écoles primaires communales sont soumises à la surveillance d'un comité local présidé par le maire et composé de représentants des cultes et de plusieurs notables locaux. La loi du 15 mars 1850, dite « loi Falloux », renforce encore le contrôle de l'Eglise sur l'enseignement. A chaque échelon de l'administration scolaire, sont placés des ecclésiastiques. Ainsi, l'instituteur peut être muté et démis s'il déplaît au curé. Dans le second degré, les établissements privés, dits « libres », se voient octroyer une totale indépendance, aussi bien en terme d'organisation administrative que sur le plan pédagogique. Avec l'avènement de la IIIème République apparaît la nécessité de détacher les écoles de l'influence de l'Eglise. La formation de citoyens éclairés est considérée comme la condition indissociable de l'enracinement démocratique et il revient à Jules Ferry, ministre de l'instruction publique, presque sans discontinuité de 1879 à 1883, d'initier le dispositif scolaire souhaité par les républicains. Dès 1879, une loi oblige chaque département à entretenir une école normale d'institutrices. Ce texte est complété, l'année suivante, par la loi Camille Sée qui crée les collèges et lycées de filles et exclut l'enseignement religieux des heures de classe mais assure, en contrepartie, la possibilité d'un enseignement religieux facultatif à l'intérieur de l'établissement par un aumônier. Cette dernière disposition est étendue aux lycées de garçons. Les Jésuites sont dispersés et les congrégations - qui se sont considérablement développées au cours du siècle - sont soumises à enregistrement devant les pouvoirs publics. Face au refus d'obtempérer de ces derniers, plusieurs dizaines d'établissements sont fermés. Dans ceux qui subsistent, rien ne change, mais Jules Ferry n'intervient pas. La méthode qui sera la sienne est ainsi initiée qui allie tout à la fois une grande fermeté et une certaine conciliation pour permettre de faire progresser le processus de laïcisation qu'un affrontement trop farouche eût immanquablement fait échouer. a) La loi du 28 mars 1882 sur l'enseignement obligatoire Officiellement, la loi du 28 mars 1882 porte sur l'obligation de l'instruction primaire - et non sur l'obligation scolaire - pour les garçons et les filles âgés de 6 à 13 ans. Cependant, trois mesures, contenues dans les trois premiers articles concernent la laïcisation de l'enseignement : - L'instruction morale et civique remplace l'instruction religieuse en tête des matières à enseigner (article premier). - La vacance des écoles, un jour par semaine, doit permettre aux enfants de suivre un enseignement religieux, hors de l'enceinte scolaire3 (article 2 devenu l'article L. 141-3 du code de l'Education). - L'enseignement religieux devient facultatif dans les écoles privées (article 2). - La loi Falloux concernant les ministres des cultes est abrogée (article 3). L'application de la loi est l'objet de toutes les prudences de la part du gouvernement. Les nouveaux programmes d'instruction morale préservent une certaine orientation spiritualiste et il est admis que les « devoirs envers Dieu » pourront être évoqués à la fin des leçons, afin de ne pas heurter frontalement les fidèles de la religion majoritaire. Une même volonté d'apaisement est adoptée en ce qui concerne le problème de la présence des crucifix dans les salles de classes. Le ministère confie aux préfets le soin d'examiner chaque cas avec attention. Les crucifix seront ôtés lorsque cela ne soulèvera pas l'hostilité des populations ; dans le cas contraire, ils demeureront en place. La circulaire précise en effet que la loi du 28 mars 1882 « n'est pas une loi de combat [mais une] de ces grandes lois organiques destinées à vivre avec le pays ». Le pragmatisme s'exprime enfin dans la querelle des manuels scolaires. Quatre d'entre eux sont mis à l'index par le pape. Jules Ferry, plutôt que de les imposer par la force, prend contact avec les autorités religieuses et parvient, au prix de certains renoncements, à trouver un accord. La fameuse Lettre aux instituteurs que Jules Ferry rédige à la rentrée 1883 constitue le point d'achèvement de cette méthode et reste d'une étonnante actualité. En renonçant à ce que la loi s'applique immédiatement dans toute son étendue, les pouvoirs publics permettent à celle-ci de ne pas être condamnée globalement par une fraction importante de la population. Extraits de la circulaire adressée par M. le ministre de l'instruction publique aux instituteurs, concernant l'enseignement moral et civique le 17 novembre 1883 Si parfois vous étiez embarrassé pour savoir jusqu'où il vous est permis d'aller dans votre enseignement moral, voici une règle pratique à laquelle vous pourrez vous tenir : avant de proposer à vos élèves un précepte, une maxime quelconque, demandez-vous s'il se trouve, à votre connaissance, un seul honnête homme qui puisse être froissé de ce que vous allez dire. Demandez-vous si un père de famille, je dis un seul, présent à votre classe et vous écoutant, pourrait de bonne foi refuser son assentiment à ce qu'il vous entendrait dire. Si oui, abstenez-vous de le dire ; sinon, parlez hardiment, car ce que vous allez communiquer à l'enfant, ce n'est pas votre propre sagesse, c'est la sagesse du genre humain, c'est une de ces idées d'ordre universel que plusieurs siècles de civilisation ont fait entrer dans le patrimoine de l'humanité. En effet, Jules Ferry se veut avant tout pacificateur. Sans perdre de vue le but qu'il s'est fixé - la laïcisation de l'enseignement -, il veut parvenir à rapprocher les « deux France ». Plutôt que de s'inscrire dans une logique d'affrontement, il cherche à concilier les points de vue, en privilégiant la neutralité de l'éducation publique vis-à-vis des religions. En cela, sa démarche est très différente de l'approche qui avait prévalu jusque-là de substitution à la religion catholique d'une religion civile « républicanisée ». Pour être originale, sa conduite n'est cependant pas totalement novatrice, puisqu'elle s'inscrit dans les pas de Condorcet qui, dès la Révolution, avait envisagé les moyens de laïciser l'enseignement scolaire. « L'éducation publique doit se borner à l'instruction » « 3° Parce qu'une éducation publique deviendrait contraire à l'indépendance des opinions (extraits)» « D'ailleurs, l'éducation, si on la prend dans toute son étendue, ne se borne pas seulement à l'instruction positive, à l'enseignement des vérités de fait et de calcul, mais elle embrasse toutes les opinions politiques, morales ou religieuses. Or, la liberté de ces opinions ne serait plus qu'illusoire, si la société s'emparait des générations naissantes pour leur dicter ce qu'elles doivent croire. Celui qui, en entrant dans la société, y porte des opinions que son éducation lui a données n'est plus un homme libre ; il est l'esclave de ses maîtres, et ses fers sont d'autant plus difficiles à rompre, que lui-même ne les sent pas, et qu'il croit obéir à sa raison, quand il ne fait que se soumettre à celle d'un autre. On dira peut-être qu'il ne sera pas plus réellement libre s'il reçoit ses opinions de sa famille. Mais alors ces opinions ne sont pas les mêmes pour tous les citoyens ; chacun s'aperçoit bientôt que sa croyance n'est pas la croyance universelle ; il est averti de s'en défier ; elle n'a plus, à ses yeux, le caractère d'une vérité convenue ; et son erreur, s'il y persiste, n'est plus qu'une erreur volontaire. » Condorcet, Cinq mémoires sur l'instruction publique, 1791-1792. b) La loi du 30 octobre 1886 sur l'organisation de l'enseignement primaire Cette loi, dite « Goblet », constitue la seconde étape de la laïcisation de l'école. Elle confie à un personnel exclusivement laïque l'enseignement dans les écoles publiques4 (article 17 devenu l'article L. 141-5 du code de l'Education). Une nouvelle fois, la loi privilégie la conciliation à l'affrontement brutal. Des délais de plusieurs années sont admis pour que les établissements se mettent au diapason de l'état nouveau du droit (article 18) et la loi rappelle la possibilité d'un enseignement privé « entièrement libre dans le choix des méthodes » qu'il applique (article 35 devenu l'article L. 442-3 du code de l'Education). L'alliance de fermeté et de prudence des instigateurs des lois laïques a permis à celles-ci de s'appliquer. Cependant, pour que la laïcisation scolaire soit véritablement achevée, il faut encore convaincre les réticents de son bien-fondé. L'échec du boulangisme en 1889 confirme la stabilité du régime et annonce le ralliement des catholiques à la République. En 1890, le cardinal Lavigerie lance son fameux « toast d'Alger » où il prône l'adhésion des catholiques à la forme républicaine de gouvernement. Cet appel est relayé, deux ans plus tard, par l'encyclique Au milieu des sollicitudes du pape Léon XIII. Le ralliement cependant n'est pas complet. Si le message papal enjoint aux catholiques français d'adhérer à la République, il appelle également les fidèles à « combattre par tous les moyens légaux et honnêtes [les] abus progressifs de la législation », c'est-à-dire les mesures de laïcisation. L'affaire Dreyfus ravive la division qui était en voie de résorption. Celle-ci culmine avec l'adoption de la loi du 7 juillet 1904 interdisant l'enseignement aux congrégations - qui suit l'expulsion violente des Chartreux - et la rupture des liens diplomatiques entre la France et le Saint-Siège (30 juillet 1904). Dans les villages, deux figures se font face : le curé et l'instituteur, « hussard noir de la République ». Et si Charles Péguy voit en ce dernier « le représentant de l'humanité », pour Maurice Barrès il incarne la désagrégation de la société française qui, en rompant le lien de la tradition pour lui substituer une morale emprunte de kantisme, fondée sur la Raison, fait de l'élève un « déraciné » et le conduit directement de l'école au crime, du pupitre à l'échafaud5. 2.- ... annonce la séparation des Eglises et de l'Etat Dans ce climat de tension, l'annonce d'un processus de séparation des Eglises et de l'Etat apparaît aux catholiques comme une nouvelle persécution. Deux projets sont rédigés qui accompagnent la séparation d'une surveillance très étroite des Eglises par l'Etat. La volonté de revanche semble l'emporter. Pourtant, en l'espace d'un an à peine, les esprits vont considérablement évoluer pour finalement aboutir à l'adoption d'une loi très différente. a) La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Eglises et de l'Etat Un nouveau texte est élaboré sous la conduite d'Aristide Briand, rapporteur de la commission de la Chambre des députés. Ce dernier doit souvent aller à contre-courant de sa propre majorité afin d'imposer un texte acceptable par toutes les parties. Dans son esprit, la loi ne doit pas être une entrave à l'exercice des cultes mais, au contraire, doit se montrer « susceptible d'assurer la pacification des esprits » en démontrant aux Eglises qu'elles auront ainsi « la possibilité de vivre à l'abri de ce régime ». La rédaction de l'article 4 de la loi est symptomatique de l'équilibre subtil que le législateur est parvenu à trouver. Les édifices religieux, devenus domaine public, sont laissés à la disposition des associations représentants les confessions, sous réserve que celles-ci se conforment « aux règles d'organisation générale du culte dont elles se proposent d'assurer l'exercice ». La contradiction est ainsi levée entre l'appropriation par l'Etat des édifices religieux et l'exercice plein et entier de la liberté de culte dans le respect de l'organisation particulière de chaque confession. La loi de séparation des Eglises et de l'Etat est adoptée le 9 décembre 1905. Désormais, la République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes (article premier) ; elle ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte (article 2). C'est la fin du système des cultes reconnus mis en place par le régime concordataire, auquel se substitue le double principe de neutralité de l'Etat et de reconnaissance du pluralisme. Les Eglises ont désormais un statut de droit privé. A ce titre, elles doivent subvenir à leurs besoins financiers par elles-mêmes. Toutefois, l'Etat met à leur disposition le patrimoine immobilier dont il est devenu le propriétaire (article 13) et peut, ainsi que les collectivités locales, effectuer les réparations d'entretien de ces bâtiments. Il permet également de créer des aumôneries à l'intérieur des lieux publics dans lesquels les personnes sont astreintes à l'enfermement (article 2). Enfin, il est désormais interdit d'apposer tout signe religieux sur les monuments publics (article 28). Malgré les précautions qui entourent le dispositif, l'application de la loi rencontre des difficultés. La première concerne l'inventaire des biens ecclésiastiques considéré par certains catholiques comme sacrilège. L'attitude conciliatrice de Clemenceau, ministre de l'intérieur, permet de dénouer le conflit. De la même manière, une solution sera trouvée dans la querelle sur les associations cultuelles - jugées incompatibles avec l'organisation hiérarchique de l'Eglise catholique - avec le recours aux « associations diocésaines ». En 1921, la France et le Saint-Siège renouent des liens diplomatiques. b) Le « pacte laïque » ou le « second seuil de la laïcité » Avec l'adoption de la loi de 1905 se met en place ce que les historiens ont qualifié de « pacte laïque » et qui s'applique aujourd'hui en France. L'expression décrit moins une égalité entre partenaires, puisque c'est l'Etat qui, en définitive, a imposé ses règles, que l'établissement d'un mode de relation équilibré et durable entre les religions et les pouvoirs publics. Jean Baubérot qualifie cette étape de « second seuil de la laïcité ». Celui-ci se définit par : - Une dissociation institutionnelle : juridiquement, la religion s'apparente à une association et son influence dans la société ne dépasse pas le rôle d'intervention permis à ces structures. - Une absence de légitimité sociale institutionnelle : les préceptes moraux issus du dogme ne sont plus ni imposés ni combattus par la puissance publique. - La liberté de conscience et de culte qui intègre le champ des libertés publiques, sans distinction aucune, entre les cultes ni prééminence de cette liberté par rapport aux autres. « L'Union sacrée » de 1914 entérine définitivement le rapprochement des « deux France » en colportant l'image de clercs et de laïques combattant sous le même uniforme pour la défense du pays. L'apaisement se poursuit durant l'entre-deux-guerres au prix, parfois, de quelques aménagements avec la loi de 1905. La laïcité s'installe alors durablement dans la société française, à l'exception de la période du régime de Vichy. Son principe est désormais inscrit dans la Constitution. Le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose que « l'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir d'Etat » et il est inscrit à l'article Premier de la Constitution du 4 octobre 1958 : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale ». C.- UNE LAÏCITÉ QUI TIENT COMPTE DE CERTAINES SPÉCIFICITÉS Pour autant, la laïcité ne s'étend ni à l'institution scolaire dans son ensemble ni au territoire de la République sur toute son étendue. En raison des spécificités qui en découlent, la problématique du port des signes religieux ne peut y être appréhendée de la même manière. 1.- Ecole privée et liberté d'enseignement a) La reconnaissance du principe de liberté d'enseignement Bien qu'aucun texte du bloc de constitutionnalité ne mentionne expressément la liberté de l'enseignement, le Conseil constitutionnel a donné à ce principe une valeur constitutionnelle dans sa décision du 23 novembre 1977 (DC n° 77-87). Il a notamment fondé son appréciation sur une disposition de l'article 91 de la loi du 31 mars 1931 portant fixation du budget général de l'exercice 1931-1932 qui fait de la liberté d'enseignement un principe fondamental reconnu par les lois de la République6. Hormis les luttes contre les congrégations du début du siècle ou la tentative avortée d'instituer un service public unifié et laïque de l'éducation nationale (1984), la possibilité de créer, à côté de l'enseignement public laïque, des structures scolaires, confessionnelles ou non, n'a jamais été remise en cause depuis l'adoption des grandes lois scolaires de Jules Ferry et de René Goblet. Au contraire, le maintien de cette liberté fait partie intégrante du « pacte laïque ». Dès 1886, la loi sur l'organisation de l'enseignement scolaire rappelait expressément la possibilité d'un enseignement privé libre considérant que celle-ci était la condition indispensable au développement parallèle de la laïcité dans l'espace scolaire public. En fait, depuis 1945, la polémique concernant l'enseignement privé a moins porté sur son existence même - point sur lequel existe un quasi consensus - que sur son mode de financement, certains estimant qu'il n'appartenait pas à l'Etat laïque de financer des établissements confessionnels. b) Le régime juridique issu de la loi du 31 décembre 1959 Actuellement, le régime juridique de l'école privée est régi par la loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959, dite « Loi Debré », sur les rapports entre l'Etat et les établissements d'enseignement privés dont les dispositions sont désormais intégrées dans le code de l'Education. Dans un premier temps, la loi a soulevé l'opposition de la hiérarchie catholique qui craignait de voir son indépendance, en matière d'enseignement, remise en cause. Elle en reconnaît aujourd'hui le bien-fondé. En effet, ce texte s'est voulu une forme de conciliation permettant un financement public de l'enseignement privé, en contrepartie de quoi l'Etat se réservait le droit d'exercer son contrôle sur ces institutions. Il a ainsi permis de pérenniser l'existence de nombreux établissements privés. Le contrôle des pouvoirs publics s'effectue de manière différente selon le niveau du financement alloué par l'Etat aux établissements scolaires. Il est à remarquer que le caractère confessionnel ou non de l'établissement ne constitue pas un critère. Le droit français appréhende en effet indirectement cette question à travers la notion de « caractère propre », à laquelle le Conseil constitutionnel a donné une valeur constitutionnelle par la décision du 23 novembre 1977 susmentionnée, sans toutefois en préciser le contenu. - Si un établissement privé ne sollicite aucun financement public (établissement hors contrat), l'enseignement qu'il dispense est libre et le contrôle de l'Etat léger, puisqu'il se borne à veiller « aux titres exigés des directeurs et des maîtres, à l'obligation scolaire, au respect de l'ordre public et des bonnes mœurs, à la prévention sanitaire et sociale » (article 2 devenu l'article L. 442-2 du code de l'Education nationale). Dans les faits, les écoles ayant opté pour ce régime sont très peu nombreuses. Le régime juridique le plus courant est celui de l'école privée sous contrat. La loi prévoit deux types de contrats : le contrat simple et le contrat d'association. Dans les deux cas, les établissements doivent préparer les élèves aux diplômes et examens selon les programmes nationaux et les maîtres sont rémunérés par l'Etat à raison des diplômes qu'ils possèdent. - En cas de contrat simple, l'établissement conserve une certaine autonomie dans l'organisation de l'enseignement et la répartition horaire des matières enseignées. La surveillance de l'Etat se limite à un contrôle pédagogique et financier (article 5 devenu l'article L. 442-12 du code de l'Education nationale). - Par contre, la signature d'un contrat d'association entraîne, pour l'établissement, l'obligation d'aligner strictement son enseignement sur celui dispensé dans les écoles publiques. En contrepartie, l'Etat assure les dépenses de fonctionnement sur les mêmes bases que celles en vigueur pour les établissements publics. Néanmoins ces règles ne remettent pas en cause l'existence du « caractère propre » de l'établissement qui peut s'exprimer dans les activités extérieures au secteur sous contrat7 ou bien, à l'intérieur même de ce secteur, par une approche pédagogique différente qui peut tenir compte du caractère confessionnel de l'établissement (article 4 devenu l'article L. 442-5 du code de l'Education nationale). L'audition des chefs d'établissement de l'enseignement privé a montré combien ceux-ci étaient attachés à la préservation de ce « caractère propre ». Pour tous, cette notion intègre la possibilité de manifester son appartenance à une religion dans l'espace scolaire. 2.- Les régimes particuliers applicables à certaines parties du territoire de la République a) Le statut particulier de l'Alsace-Moselle Sous l'Ancien Régime, l'Alsace bénéficiait déjà d'une législation spécifique en matière religieuse. Le culte catholique jouissait d'une relative indépendance par rapport au pouvoir central. Les religions luthérienne et israélite étaient également régies par des statuts particuliers qui leur garantissaient le libre exercice de leurs cultes. Après la période révolutionnaire, hostile à toutes les Eglises, les cultes sont rétablis, en Alsace, comme ailleurs, par le régime concordataire. Jusqu'en 1871, l'Alsace va ainsi connaître le même statut cultuel que les autres provinces françaises. L'annexion, par l'Allemagne, des départements du Rhin et de la Moselle qui suit la défaite de 1870 ne modifie pas le régime cultuel hérité du Consulat. Néanmoins, le redécoupage des frontières et la mise en place d'un droit fédéral, entraînent la création de nouveaux organes directeurs, conformes à la structure fédérale de l'Etat allemand : les consistoires départementaux israélites du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle se séparent du consistoire central de Paris ; l'Eglise réformée et l'Eglise de la confession d'Augsbourg se séparent des Eglises réformées et luthériennes françaises ; les diocèses de Metz et Strasbourg sont détachés de l'archevêché de Besançon pour être directement rattachés au Siège apostolique. Lorsque, en 1905, est adoptée la loi de séparation des Eglises et de l'Etat, le maintien du régime ancien entraîne enfin une césure complète avec la législation religieuse applicable en France. Pour des raisons politiques, la spécificité de ces départements ne sera jamais remise en cause, y compris en 1918 avec le retour de l'Alsace-Moselle à la France. En 1924, la tentative du président du Conseil, Edouard Herriot, d'y substituer les lois laïques se heurte à un vif refus des populations entraînant le retrait du projet gouvernemental. La même situation se reproduira en 1945 à la chute du régime nazi, l'opposition des alsaciens et mosellans contraignant une nouvelle fois le gouvernement à renoncer à toute idée d'abrogation du régime spécifique propre à ce territoire. L'ordonnance du 15 septembre 1945 rétablissant la légalité républicaine maintient donc, de façon provisoire, la législation locale d'avant 1940. Cette législation ne sera plus remise en cause par la suite, malgré quelques vaines tentatives, dans les années 50, visant à régler définitivement la question de l'école confessionnelle privée sur l'ensemble du territoire français. Le régime de droit local est ainsi très profondément enraciné dans la société alsacienne et mosellane. Selon une étude réalisée par l'Institut du droit local et le centre CNRS de l'université Robert Schuman à la fin des années 90, 90 % des sondés perçoivent le droit local des cultes comme un avantage, alors même que seuls 9 % d'entre eux avouent une pratique religieuse hebdomadaire, 18 % ne fréquent jamais les offices et 11 % se disent non croyants. Le régime applicable à l'enseignement public est abusivement dénommé « régime concordataire » en référence au Concordat de 1801. En réalité celui-ci ne traite pas des questions scolaires. Il s'agit d'un régime de droit local proche de celui établi par la loi « Falloux » de 1850, dont les particularités seront développées dans la quatrième partie du rapport8. On rappellera simplement que l'enseignement religieux est obligatoirement organisé par les établissements publics pour les quatre cultes reconnus (catholique, luthérien, calviniste et israélite) et que le suivi de ce cours est obligatoire pour l'élève, sauf dispense de celui-ci auprès du directeur de l'établissement par son représentant légal. L'élève est alors tenu de suivre un enseignement de morale. b) Les autres territoires à statut particulier - Dès 1905, la Guyane a été exclue du champ d'application de la loi concernant la séparation des Eglises et de l'Etat (article 43). Le « régime concordataire » a été maintenu, lequel prévoit, comme en Alsace-Moselle, l'enseignement des cultes reconnus à l'école publique et son financement par l'Etat. - Le droit applicable dans les collectivités d'outre-mer (Wallis-et-Futuna et la Polynésie française9) et dans les collectivités sui generis qui sont rattachées à cette catégorie administrative (Polynésie française, Saint-Pierre-et-Miquelon et Mayotte) est régi par le principe de la « spécialité législative » issu de l'article 74 de la Constitution. En vertu de celui-ci, le droit qui réglemente ces territoires peut différer de celui qui s'applique sur le reste du territoire : En application de la loi n° 85-959 du 11 juin 1985 relative au statut de l'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon, la loi est applicable de plein droit à cette collectivité selon un principe d'assimilation. Les règles scolaires, parmi lesquelles les règles de laïcité, s'appliquent de la même façon sur ce territoire que dans le reste de la France. En Polynésie française et à Mayotte les dispositions relatives à la laïcité de l'enseignement public s'appliquent dans leur quasi intégralité. Seul l'article L. 141-1 du code de l'Education, qui reprend le 13ème alinéa du Préambule de la Constitution de 194610, ne s'applique pas. L'article L. 141-3 du même code, transcription de l'article 2 de la loi du 28 mars 188211, est remplacé par les dispositions suivantes qui reprennent, pour l'essentiel, mais dans une rédaction différente, celles applicables au reste du territoire : « Dans les écoles maternelles et élémentaires publiques, l'organisation de la semaine scolaire ne doit pas faire obstacle à la possibilité pour les parents de faire donner, s'ils le désirent, à leurs enfants l'instruction religieuse, en dehors des édifices scolaires et en dehors des heures de classes. » Les mêmes dispositions s'appliquent à la Nouvelle-Calédonie, auxquelles il faut ajouter certaines modalités particulières qui tiennent au statut particulier de l'archipel. En effet, en application de la loi organique n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie, l'enseignement primaire public relève de la compétence du Congrès du territoire, sous réserve de la possibilité pour les provinces d'adapter les programmes en fonction des réalités culturelles et linguistiques qui leur sont propres ; l'enseignement primaire privé, l'enseignement du second degré public et privé sont de la compétence de l'Etat jusqu'à leur transfert à la Nouvelle-Calédonie au cours de la période correspondant aux mandats du Congrès commençant en 2004 et en 2009. En ce qui concerne Wallis-et-Futuna, outre les deux exceptions susmentionnées pour la Polynésie française et Mayotte, l'article L. 141-512, qui reprend l'article 17 de la loi du 30 octobre 1886, disposant que l'enseignement primaire est exclusivement confié à un personnel laïque, ne s'y applique pas, puisque l'enseignement public fait l'objet d'une concession de l'Etat à la mission catholique des pères de Sainte Marie. Il s'agit là d'une double dérogation au principe de laïcité de l'enseignement public dans la mesure où les cours sont dispensés par des religieux dont la rémunération est prise en charge par l'Etat. II.- L'« EXCEPTION » FRANÇAISE : UN MODELE ORIGINAL A CONFORTER L'originalité du modèle français de laïcité tient autant à l'aboutissement de sa construction juridique qu'à la singularité de sa conception historique qui lui donne une valeur symbolique éminente, indissociable de l'existence de la République. Il est en effet possible d'affirmer que République et laïcité ne font qu'un, tant cette dernière a contribué à l'émergence et à l'affirmation de celle-là. 1.- La laïcité à la française : un modèle original ? Contrairement à une idée couramment répandue, la France n'est pas le premier pays où la laïcité s'est développée. En Grande-Bretagne, la loi Foster, votée en 1870, met en place les non sectarian schools qui accueillent les enfants des diverses confessions. L'enseignement, assuré par un instituteur indépendant du clergé, est inspiré de principes moraux et religieux suffisamment généraux pour ne pas heurter les sensibilités des élèves. En Allemagne, le Kulturkampf mis en place par Bismarck, à partir de 1871, est une tentative de laïciser l'enseignement catholique et de renforcer le contrôle de l'Etat sur la hiérarchie épiscopale - sous-tendue par la volonté politique de briser l'influence du parti Zentrum, proche des catholiques. En Italie, la religion ne constitue plus une matière obligatoire de l'enseignement primaire dès 1877. Mais cette mesure est très diversement appliquée. Les grandes lois scolaires de la IIIème République sont ainsi précédées, dans plusieurs pays européens, de législations visant à détacher l'école de l'influence de la religion. Les lois françaises du 28 mars 1882 sur l'enseignement obligatoire et du 30 octobre 1886 sur l'organisation de l'enseignement primaire sont particulièrement influencées par la loi Van Humbeck adoptée par le Parlement belge en 1879. Celle-ci procède à la laïcisation du personnel enseignant, substitue l'instruction morale à l'instruction religieuse et fait dispenser le catéchisme en dehors des heures de classe. Les difficultés d'application rencontrées par cette loi détermineront le législateur français à différer jusqu'en 1886 la laïcisation complète de l'enseignement public mais, au final, il adoptera un dispositif très proche de celui mis en place par la Belgique. Assez paradoxalement - si l'on se réfère au contexte actuel - c'est le modèle américain qui a constitué durant tout le XIXème siècle la référence incontournable pour les partisans français de la séparation des Eglises et de l'Etat. Ainsi, la rédaction de l'article 4 de la loi du 9 décembre 1905 qui lève la contradiction entre l'appropriation par l'Etat des édifices religieux et l'exercice de la liberté de culte est-elle directement inspirée de la législation américaine. La diffusion de ce modèle doit beaucoup à l'ouvrage, sitôt paru (1835), sitôt classique, d'Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique. « Des principales causes qui rendent la religion puissante aux Etats-Unis » « Les philosophes du XVIIIème siècle expliquaient d'une façon toute simple l'affaiblissement graduel des croyances. Le zèle religieux, disaient-ils, doit s'éteindre à mesure que la liberté et les lumières augmentent. Il est fâcheux que les faits ne s'accordent point avec cette théorie. « Il y a telle population européenne dont l'incrédulité n'est égalée que par l'abrutissement et l'ignorance, tandis qu'en Amérique on voit l'un des peuples les plus libres et les plus éclairés du monde remplir avec ardeur tous les devoirs extérieurs de la religion. [...] « J'avais vu parmi nous l'esprit de religion et l'esprit de liberté marcher presque toujours en sens contraire. Ici, je les retrouvais intimement unis l'un à l'autre : ils régnaient ensemble sur le même sol. « Chaque jour je sentais croître mon désir de connaître la cause de ce phénomène. [...] Tous [les Américains] attribuaient principalement à la complète séparation de l'Eglise et de l'Etat l'empire paisible que la religion exerce en leur pays. Je ne crains pas d'affirmer que, pendant mon séjour en Amérique, je n'ai pas rencontré un seul homme, prêtre ou laïque, qui ne soit tombé d'accord sur ce point. « Ceci me conduisit à examiner plus attentivement que je ne l'avais fait jusqu'alors la position que les prêtres américains occupent dans la société politique. Je reconnus avec surprise qu'ils ne remplissent aucun emploi public. Je n'en vis pas un seul dans l'administration, et je découvris qu'ils n'étaient pas même représentés au sein des assemblées. « La loi dans plusieurs Etats, leur avait fermé la carrière politique ; l'opinion dans tous les autres. » Alexis de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, volume 1, 1835. Néanmoins, la séparation des Eglises et de l'Etat en France et aux Etats-Unis ne doit pas être entendue de la même manière. En effet, la tradition protestante américaine a permis le développement d'un consensus moral et religieux « a-confessionnel » dissocié des religions organisées qui autorise que le Président prête serment sur la Bible lors de son entrée en fonction13 - alors même que la Constitution prévoit une simple déclaration solennelle14 - ou que la référence à Dieu soit utilisée par les représentants officiels et inscrite au cœur même de la devise nationale - « In God we trust15 » -, sans que cela n'apparaisse comme une entorse au Premier amendement de la Constitution qui institue la séparation des Eglises et de l'Etat outre-atlantique16. b) Un modèle unique en son genre : l'exemple de l'enseignement de la religion La laïcité en France a ainsi tracé un chemin particulier. Une étude du ministère des affaires étrangères sur l'enseignement de la religion dans les écoles de quinze pays européens renforce l'idée d'une singularité du modèle français17. La France est en effet le seul parmi les pays européens étudiés à ne pas dispenser un enseignement spécifique consacré à la religion dans les établissements publics. La République Tchèque et la Hongrie, Etats laïques qui présentent la même spécificité que la France, réservent quand même à des ministres du culte la possibilité d'intervenir dans le cadre d'autres cours ou de dispenser un enseignement dans les locaux des écoles sur la demande des familles. Le système français qui ne traite l'étude du fait religieux que dans le cadre d'autres enseignements de l'école publique est donc unique en son genre. La majorité des pays européens dispensent un enseignement religieux spécifique non catéchétique dans le cadre d'horaires spécialement réservés à l'étude des religions. Cet enseignement est effectué par des professeurs laïques, parfois en collaboration avec des ministres du culte. A l'exception de trois pays, l'enseignement religieux est facultatif et l'élève peut en être dispensé. En Suède, en Finlande et en Grande-Bretagne, le cours de religion est obligatoire et, pour ces derniers pays, il n'existe pas d'enseignement de substitution. L'enseignement non catéchétique de la religion peut prendre des formes diverses selon trois pôles : - un pôle culturel mettant en avant les aspects sociologiques et artistiques des différentes religions (Suède, Bulgarie) ; - un pôle éthique axé sur l'enseignement moral des différentes croyances, notamment en ce qui concerne les débats de société contemporains (Italie, Danemark, Grande-Bretagne, Autriche) ; - un pôle identitaire, dans les pays ayant une Eglise d'Etat et où la religion est une constituante à part entière du sentiment d'appartenance nationale (Grèce). En outre, le fait que certains pays proposent un programme d'instruction civique tandis que d'autres mettent en place un enseignement d'éthique et d'éducation à la tolérance, comme enseignement de substitution dispensé aux élèves qui ne souhaitent pas suivre le cours de religion, est révélateur de la disparité du traitement de la question religieuse par l'école et par l'Etat. L'enseignement catéchétique existe aussi au sein de l'école publique au Luxembourg - Etat qui reconnaît l'utilité sociale et publique des cultes catholique, juif, orthodoxe et protestant - ainsi que dans des Etats laïques (Belgique, Portugal), ou pratiquant une séparation de l'Eglise et de l'Etat (Espagne, Suisse). Il ne s'agit pas d'un modèle marginal. Cependant, la présence d'un tel enseignement fait débat au sein des sociétés concernées et pose un certain nombre de problèmes à l'administration scolaire, notamment concernant le contenu des programmes, le financement des cours et le choix du personnel enseignant. Enfin, certains pays dispensent, dans le cadre de l'école publique, un enseignement spécialisé adapté aux élèves des confessions minoritaires. La légitimité de cet enseignement n'est pas remise en cause par la population, sauf dans les pays dans lesquels existe une Eglise d'Etat où la présence d'un tel enseignement fait parfois l'objet d'un débat, comme cela a été le cas au Danemark où l'école publique assure un apprentissage de la religion musulmane uniquement axé sur l'étude du Coran. Ces différentes approches de l'enseignement de la religion à l'école sont à mettre en relation avec les différents modèles de « laïcité » adoptés par les pays européens. 2.- Une laïcité multiforme : les exemples étrangers En préambule à ce développement, il est important de remarquer que la laïcité lato sensu - respect par l'Etat de la liberté religieuse et des droits fondamentaux de la personne - est absente dans la plupart des pays du monde. Ce principe est en effet propre aux régimes démocratiques. a) La diversité des modèles européens En Europe, la mise en place de la laïcité s'est effectuée suivant des logiques différentes selon les pays. Françoise Champion, chercheur, membre du groupe de sociologie des religions et de la laïcité du Centre national de la recherche scientifique (CNRS), a établi une typologie dualiste distinguant une logique de laïcisation et une logique de sécularisation. La première met en concurrence l'Etat et une Eglise perçue comme globalisante. Elle est propre aux pays de tradition catholique. Le cas français constitue l'archétype du processus de laïcisation. La seconde consiste en une libéralisation concomitante de la société et de l'Eglise et caractérise les pays protestants. Il faut ajouter à cette distinction le cas des pays multiconfessionnels et celui des pays dans lesquels la question de l'identité religieuse est inséparable de l'identité nationale. L'étude du mode de fonctionnement des pays correspondant à ces différentes catégories met en lumière la pluralité des formes que peut recouvrir le concept de laïcité en raison des conditions historiques de sa formation : - Cinq pays européens ont poursuivi une démarche de laïcisation similaire à celle de la France, sans toutefois que la séparation des Eglises et de l'Etat y soit opérée de manière aussi nette. En Belgique, la Constitution du 3 novembre 1830, qui résulte d'un compromis entre catholiques et libéraux, garantit la liberté religieuse et la liberté de conscience. Elle consacre également l'indépendance des cultes vis-à-vis de l'Etat, ce qui n'empêche pas ce dernier de prendre en charge les traitements et pensions des ministres des cultes et des « délégués des organisations reconnues par la loi qui offrent une assistance morale selon une conception philosophique non confessionnelle » (article 181). La Belgique s'inscrit ainsi dans une logique des cultes reconnus. A ce jour, elle en reconnaît six : catholique, protestant, israélite, anglican (1870), islamique (1974) ; orthodoxe (1985). En l'absence de critère établi par la Constitution, il appartient au Parlement de reconnaître chaque culte de manière discrétionnaire. De même, à leur demande, les organisations laïques sont désormais reconnues sur un pied d'égalité avec les religions. En Espagne, la Constitution garantit la « liberté idéologique, religieuse et de culte des individus et des communautés » (article 16-1). Aucune confession n'a le statut de religion d'Etat. Néanmoins l'Eglise catholique bénéficie d'une position spéciale en tant que partie prenante de l'identité espagnole. Ainsi, l'article 16 alinéa 3 de la Constitution dispose que « les pouvoirs publics tiennent compte des croyances religieuses de la société espagnole et entretiennent les relations de coopération nécessaires avec l'Eglise catholique et les autres confessions ». La Constitution reconnaît également aux parents un droit à l'éducation religieuse de leurs enfants en âge d'être scolarisés, dans des institutions publiques ou privées, selon leurs convictions. En Italie, la situation est plus complexe. En 1929, les accords du Latran, signés entre Mussolini et le pape, mettaient fin à la situation de « prisonnier volontaire » du souverain pontife en contrepartie de quoi le catholicisme devenait religion d'Etat. Tout en reconnaissant ces accords, la Constitution de 1948 instituait la liberté religieuse et l'indépendance de l'Etat vis-à-vis de l'Eglise catholique. En 1971, la Cour constitutionnelle donna la priorité aux normes constitutionnelles sur les normes concordataires. Depuis 1984, la situation a été clarifiée aux termes d'un nouvel accord entre l'Etat italien et le Vatican dans la mesure où la Constitution prévoit que « les modifications des pactes [du Latran], acceptées par les deux parties, n'exigent pas de procédure de révision constitutionnelle » (article 7). Les rapports de l'Etat italien et des confessions religieuses sont « fixés par la loi sur la base d'ententes avec leurs représentants respectifs » (article 8). La République Tchèque s'est également engagée sur une voie similaire au sortir de l'ère communiste. La Charte des droits de l'homme et des libertés fondamentales, intégrée au bloc de constitutionnalité tchèque, assure une séparation stricte des Eglises et de l'Etat. Mais, au cours des dernières années, le gouvernement a tenté de faire adopter une loi permettant à l'Etat de financer les vingt-et-une Eglises principales du pays. En Bulgarie, si la Constitution entérine le principe de la séparation des institutions religieuses et de l'Etat, elle reconnaît dans le même temps la valeur « traditionnelle » du culte orthodoxe. C'est ainsi que la hiérarchie ecclésiastique orthodoxe prend part à tous les événements de portée nationale. Cette ambiguïté est accrue du fait du maintien de l'application d'une loi de 1949 sur la liberté des cultes qui donne au conseil des ministres des pouvoirs étendus en matière de direction des cultes. - La Grande-Bretagne et le Danemark incarnent la logique de sécularisation, propre aux pays protestants. En Grande-Bretagne, l'Eglise anglicane est sinon d'Etat, du moins « établie ». La Reine est le gouverneur suprême de l'Eglise d'Angleterre. Elle nomme les archevêques et les évêques sur proposition du Premier ministre et vingt-six d'entre eux siègent à la Chambre des Lords. La participation de représentants religieux au débat législatif a été remise en question en 1999 par le rapport Wakeham sur la Chambre des Lords. Celui-ci ne remettait pas en cause le principe même d'un débat nourri de préoccupations spirituelles mais suggérait que les sources de ces sensibilités soient variées et représentatives de la société britannique actuelle. Néanmoins, la liberté religieuse a été étendue à l'ensemble des confessions dès le milieu du XIXème siècle. De plus, la loi sur le blasphème qui, à l'origine, concernait uniquement l'Eglise anglicane a été étendue à toutes les autres religions, à l'exception de l'islam. Au Danemark, la séparation de l'Eglise et de l'Etat n'existe pas. La Constitution de 1953 dispose en effet que « l'Eglise évangélique luthérienne est l'Eglise nationale danoise et jouit, comme telle, du soutien de l'Etat » (article 4). Celle-ci est en fait considérée comme l'un des services publics de l'Etat. Les membres du clergé ont un statut de fonctionnaires et l'état civil est tenu par l'Eglise luthérienne. Les ressources de l'Eglise sont assurées par un impôt spécifique dont les contribuables peuvent être dispensés en effectuant une déclaration de non appartenance au culte d'Etat. La liberté de religion est néanmoins affirmée par la Constitution (article 67). A ce titre, le Danemark reconnaît l'existence de onze autres cultes, lesquels bénéficient notamment de certains avantages fiscaux. - Le modèle multiconfessionnel se rencontre dans les pays, tels que les Pays-Bas ou l'Allemagne, où la présence de plusieurs confessions a conduit à l'adoption d'un modèle spécifique, sans qu'aucune religion ne soit véritablement dominante. Aux Pays-Bas, le calvinisme a constitué le ciment de l'unité nationale lors de la formation des Provinces-Unies, en réaction à la tutelle de l'Espagne catholique. Au XVIIème puis au XVIIIème siècles, la multiplicité des appartenances crée les conditions d'un certain pluralisme avant, qu'au siècle suivant, la question scolaire ne réactive la division. Désormais, les Pays-Bas reconnaissent la liberté de religion dans toute son étendue, à tel point que le communautarisme est devenu un mode normal d'organisation de la société. En Allemagne, le Préambule de la Loi fondamentale se réfère explicitement à Dieu. Les Eglises jouissent d'une totale autonomie en matière d'organisation selon des statuts faisant l'objet d'accords soit avec l'Etat fédéral, soit avec les Länder. En outre, 10 % de l'impôt sur le revenu leur sont attribués. De ce fait, elles s'intègrent complètement dans la vie publique du pays et disposent d'une grande influence. - En Grèce et en Irlande, la religion a constitué le ciment de l'identité nationale face aux prétentions impérialistes d'un pays voisin. Les Grecs se sont unis derrière la religion orthodoxe pour combattre la Turquie musulmane et le catholicisme a rassemblé les Irlandais face à la Grande-Bretagne protestante. Ainsi, en Grèce, l'Eglise orthodoxe autocéphale occupe un statut de religion d'Etat - bien que la Constitution ne lui reconnaisse qu'une position « dominante » (article 3) - en raison de l'identification faite par une majorité de Grecs entre l'orthodoxie et la nation grecque. Les membres du clergé sont fonctionnaires et les prières orthodoxes sont obligatoires dans certaines institutions (armées et école notamment). Pourtant la Constitution interdit tout prosélytisme (article 13-2) mais cette disposition ne semble de facto pas s'imposer au culte majoritaire. Enfin, dernière ambiguïté, la Constitution reconnaît la liberté de religion entendue comme la possibilité de pratiquer le culte de son choix sans entrave (article 13) mais la loi réserve au clergé orthodoxe l'exercice d'un droit de veto sur toute construction de lieu de culte. En Irlande, la disposition établissant la « position spéciale » de l'Eglise catholique comme « gardienne de la foi professée par la grande majorité des citoyens » a été supprimée de la Constitution en 1972. Cependant celle-ci dispose encore que la famille, le contrôle de l'éducation par les parents et la propriété sont l'objet d'une protection fondée sur la « loi naturelle ». De ce fait, l'Eglise catholique est toujours omniprésente en matière de morale familiale et sexuelle, ce qui explique que le divorce et l'avortement soient toujours prohibés en Irlande. Ce rapide tour d'horizon des différentes formes de « laïcité » dans les pays européens démontre la singularité du modèle français en ce qu'il est le seul à imposer aussi strictement la séparation des Eglises et de l'Etat. b) L'influence du modèle sur l'attitude adoptée face à la problématique du port des signes religieux à l'école La plupart des pays européens sont confrontés à cette problématique. Mais la multiplicité des modèles de laïcité explique que la question du port des signes religieux à l'école ne soit pas appréhendée par tous selon les mêmes modalités, comme en témoigne une étude du ministère des affaires étrangères effectuée à la demande de la mission18. Les pays dont la société est structurée sur le mode du multiculturalisme, tels que les Pays-Bas ou le Royaume-Uni, autorisent, par principe, le port des signes religieux à l'école. En effet, le communautarisme n'est pas conçu comme un danger mais comme le mode normal d'organisation de la société. Dans les pays disposant d'une identité religieuse forte conçue comme indissociable de l'Etat, telle que la Grèce, la manifestation de l'appartenance à une religion autre que la religion dominante s'apparente à du prosélytisme. En Italie ou en Autriche, pays dans lesquels une religion bénéficie d'une position prééminente, sans que toutefois celle-ci ne prétende à un pouvoir globalisant, la société tolère le port des signes manifestant l'appartenance à une religion minoritaire dans la mesure où, par ailleurs, la population est habituée à être confrontée à l'expression de la foi religieuse du culte dominant. De fait, la singularité du modèle français ôte beaucoup de sa pertinence à toute comparaison. Unique pays européen à ne pas dispenser un enseignement spécifique consacré à la religion lato sensu, unique pays à avoir mené aussi loin la logique de séparation de l'Eglise et de l'Etat, il n'est pas étonnant de constater qu'aucun pays de l'Union européenne n'a précédé la France en matière de législation sur le port, par les élèves, des signes religieux à l'école. Toutefois, dans certains pays européens, cette question constitue un débat de société, jusqu'ici arbitré par la jurisprudence qui tente de concilier liberté religieuse et neutralité du service public. Le cas de l'Allemagne, pays multiconfessionnel dans son mode d'organisation des relations entre les Eglises et l'Etat, est intéressant. Confrontée à la question de savoir si le port du foulard islamique par une enseignante était compatible avec la neutralité de l'école, la Cour constitutionnelle fédérale de Karlsruhe, dans une décision du 24 septembre 2003, a cassé le jugement de la Cour fédérale administrative qui maintenait l'interdiction d'enseigner faite à cette enseignante par le Land de Bade-Wurtemberg. Toutefois, pour casser le jugement d'appel, la Cour ne s'est pas prononcée sur le fond et n'a relevé, pour motiver sa décision, que l'insuffisance de base légale. Elle a renvoyé aux Länder, détenteurs de la compétence législative en matière d'éducation, l'opportunité d'une telle interdiction. A bien des égards, cette possibilité peut même se lire comme une invitation à le faire puisque, dans sa décision, la Cour écrit : « Les mutation sociales qui s'accompagnent d'une plus grande pluralité religieuse peuvent amener le législateur à redéfinir le cadre licite de l'expression du phénomène religieux à l'école ». Enfin, ce parcours de la laïcité serait incomplet si n'était pas mentionné le cas de la Turquie. Ce pays, de confession musulmane prédominante, membre du Conseil de l'Europe et candidat à l'intégration dans l'Union européenne, est en effet le seul19 à interdire expressément, par la loi, le port, par les élèves, d'un signe religieux, en l'occurrence le voile, dans toute l'enceinte de l'école sous peine, pour les contrevenants, d'être exclus de l'établissement20. La législation est même plus restrictive encore, puisqu'il subsiste de l'héritage kémaliste de laïcisation de la société turque l'interdiction du port du voile hors des lieux de culte et des cérémonies religieuses (loi du 13 décembre 1934), cette interdiction ayant été entendue comme devant s'étendre à l'enceinte des lycées confessionnels (circulaire du 28 mars 1997). Cette situation est le résultat, comme en France, des combats laïques pour l'avènement de la Turquie moderne. B.- ... À L'ÉPREUVE DE NOUVEAUX ENJEUX Confronté au processus d'intégration européenne et à un contexte international de plus en plus marqué par la présence du religieux, le modèle français de laïcité est en proie, aujourd'hui, à de nouvelles tensions. 1.- Le débat autour de la référence à la religion dans le projet de traité instituant une Constitution européenne La multiplicité du mode de relations entre l'Etat et les Eglises au sein des pays membres de l'Union européenne a rejailli lors des discussions du projet instituant une Constitution européenne. Le point central du débat tournait autour de la question suivante : le projet de Constitution européenne doit-il faire référence à la religion ? Plusieurs pays, parmi lesquels figuraient principalement les pays du sud de l'Europe et les pays candidats, notamment la Pologne, ont défendu une vision consistant à rappeler dans le texte constitutionnel les fondements chrétiens de la civilisation occidentale exprimant ainsi un point de vue opposé à celui de la France qui prônait une laïcité vigilante. Ce débat n'est pas nouveau. Lors de la précédente convention chargée d'élaborer la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne - proclamée solennellement lors du Conseil européen de Nice en décembre 2000 - les autorités françaises avaient indiqué qu'elles refuseraient de signer un texte dans lequel figurerait explicitement la référence à l'héritage religieux de l'Europe estimant que cette mention était inconciliable avec le principe de laïcité reconnu par la Constitution française. Un compromis avait finalement été trouvé en remplaçant l'expression « héritage religieux » par celle, jugée plus neutre, de « patrimoine spirituel ». a) Les termes du débat au sein de la Convention Le débat a ressurgi, à plusieurs reprises, lors des discussions au sein de la Convention sur l'avenir de l'Europe chargée de proposer une Constitution pour l'Union européenne instituée par le Conseil européen de Laeken en décembre 2001. Les points de vue qui se sont exprimés peuvent être regroupés en trois catégories : - les défenseurs d'une référence aux valeurs chrétiennes de l'Europe ; - les défenseurs d'une référence à un héritage religieux ; - les défenseurs d'une conception stricte du principe de laïcité. Très rapidement, il est apparu qu'un consensus ne pourrait être trouvé en faveur de la mention de l'héritage chrétien de l'Europe. En effet, cette position, défendue notamment par la Pologne et la Lituanie, tous deux candidats à l'Union, était trop limitative eu égard à la diversité des pratiques religieuses en Europe et pouvait être perçue comme une initiative dirigée contre l'intégration de la Turquie dans l'Union européenne. A cet égard, M. Romano Prodi, président de la Commission européenne, avait rappelé, le 27 décembre 2002, que l'Union européenne n'avait pas vocation à devenir un « club chrétien » et que la Turquie pourrait la rejoindre, dès lors qu'elle se conformerait à tous les critères d'adhésion. Par contre, la référence à l'héritage religieux de l'Europe a suscité de vives polémiques. Une contribution de M. Joachim Wuermeling, député européen allemand, cosignée par 25 conventionnels - soit près du quart des membres de la Convention21 - a été déposée le 31 janvier 2003 pour demander une référence explicite à Dieu. Par ailleurs, le Parti populaire européen (PPE), principal groupe politique au Parlement européen22, a lui aussi proposé une référence à Dieu et à « l'héritage religieux » de l'Union, le président de ce groupe soulignant que la contribution du christianisme à l'histoire de l'Europe est « un fait, non une opinion ». A contrario, plusieurs propositions ont défendu une conception stricte du principe de laïcité. Trois conventionnels espagnols ont déposé, le 26 février 2003, une résolution cosignée par 163 membres du Parlement européen plaidant « pour le respect des principes de liberté religieuse et de laïcité de l'Etat dans la future Constitution européenne ». Dans cet appel, les signataires affirmaient que « les principes de laïcité de l'Etat et des Eglises, d'égalité et de non discrimination entre les citoyens, et par conséquent entre les différentes religions et Eglises, sont à la base de la démocratie et de l'Etat de droit » et demandaient « qu'aucune référence directe ou indirecte à une religion ou croyance spécifique ne soit incluse dans la future Constitution européenne ». Deux représentants français ont également fait valoir ce point de vue. M. Jacques Floch, député et membre suppléant de la Convention, s'est opposé à toute référence religieuse et s'est déclaré favorable à une Constitution « qui reconnaisse la laïcité ». M. Hubert Haenel, représentant du Sénat à la Convention, a déposé une contribution plus consensuelle, considérant « qu'admettre, dans son pluralisme, la dimension religieuse des héritages européens pourrait constituer un des aspects d'un modèle européen de laïcité fait de séparation du politique et du religieux, de garantie de la liberté de conscience, mais aussi de reconnaissance du fait religieux dans l'esprit de favoriser le dialogue, le respect mutuel, l'effort de reconnaissance réciproque ». b) Le dispositif de compromis retenu par la Convention C'est finalement cette solution de compromis qui a prévalu dans le préambule du projet de Constitution présenté par M. Valéry Giscard d'Estaing, président de la Convention, au Conseil européen réuni à Thessalonique le 20 juin 2003. Le texte fait référence aux « héritages culturels, religieux et humanistes de l'Europe, dont les valeurs, toujours présentes dans son patrimoine, ont ancré dans la vie de la société le rôle central de la personne humaine et de ses droits inviolables et inaliénables, ainsi que le respect du droit ». Dans un premier temps, le préambule mentionnait « les civilisations helléniques et romaines et les courants philosophiques des Lumières », se contentant d'une allusion à la religion, et plus particulièrement au christianisme, à travers l'expression de « l'élan spirituel qui a parcouru l'Europe », sur le modèle de la rédaction de la Charte des droits fondamentaux de l'Union dont le texte est intégré à la Constitution. Par ailleurs, l'article I-2 sur les « valeurs de l'Union » ne fait aucunement référence à la religion malgré de nombreux amendements déposés en ce sens. En effet, le Présidium n'a pas souhaité modifier son texte, dès lors que les valeurs religieuses ne sont pas identiquement partagées par l'ensemble des pays européens et que le non-respect par un Etat membre des valeurs mentionnées à cet article - parmi lesquelles figurent notamment le respect de la dignité humaine et des droits de l'homme - peut constituer un motif de sanction pouvant mener à l'exclusion de l'Union. Enfin, l'article I-51 sur le « statut des Eglises et des organisations non confessionnelles » dispose que l'Union « respecte et ne préjuge pas du statut dont bénéficient, en vertu du droit national, les Eglises et les associations ou communautés religieuses dans les Etats membres ». En « reconnaissant leur identité et leur contribution spécifique », celle-ci « maintient un dialogue ouvert, transparent et régulier avec ces Eglises et organisations ». La rédaction finalement retenue par la Convention, aussi bien dans le préambule que dans le dispositif du projet de Constitution, constitue donc une voie moyenne. Néanmoins, on notera la préférence accordée, dans le texte final, au terme « religieux » plutôt qu'au terme « spirituel », comme cela avait été le cas dans la Charte des droits fondamentaux. De plus, le fait que les amendements demandant la suppression de cette mention soient beaucoup moins nombreux que ceux déposés en faveur d'une référence explicite à Dieu, au christianisme ou aux valeurs judéo-chrétiennes, éclaire les tensions qui pèsent sur le modèle français dans le contexte de l'intégration européenne et la difficulté rencontrée par notre pays pour faire valoir son point de vue. La problématique est d'autant plus sensible que ces revendications ont été, dans la plupart des cas, formulées par des pays candidats à l'entrée dans l'Union européenne. La réaffirmation de la laïcité est pourtant nécessaire dans une période où, sinon la religion, du moins le prétexte de celle-ci, tend à devenir un des facteurs dominants de l'instabilité du monde. 2.- La place croissante du phénomène religieux sur la scène internationale Le modèle français de laïcité est interpellé par des tensions issues d'un contexte international dont les effets s'exportent jusque dans notre pays, du fait de l'intensification et de la globalisation des échanges. a) Le phénomène religieux comme enjeu politique La révolution iranienne de 1979, conduite par l'imam Khomeiny, et l'installation, dans ce pays, d'un régime à fondement théocratique, a fait rejaillir de façon particulièrement virulente sur la scène internationale la problématique du lien entre le politique et le religieux. Plus que d'autres conflits locaux, comme ceux de l'Irlande du Nord ou des Balkans, elle a constitué le point de départ d'un mouvement intégriste qui s'est emparé de la religion comme un moyen et un prétexte pour s'approprier le pouvoir politique. Cette confusion, à l'exact opposé de l'ambition laïque de distinction des pouvoirs temporel et spirituel, a conduit au développement d'un fanatisme dont les attentats du 11 septembre 2001 contre les tours jumelles du World Trade Center de New York sont, en quelque sorte, le tragique aboutissement. Plus grave encore, la confusion introduite par ceux-là même qui, pour des motifs purement politiques, se proclament les défenseurs d'un islam dont ils dévoient les principes de tolérance, a conduit à introduire, dans l'esprit de nombreux citoyens, une confusion entre islam et fondamentalisme, entre musulmans et terroristes. Le discours prononcé par le président des Etats-Unis, M. George W. Bush, le 14 septembre 2001, en réponse à ces « attentats monstrueux », invoquant une « bataille du bien contre le mal » - plutôt qu'une lutte de la justice contre le crime - a réactivé le spectre d'un « choc des civilisations », selon la théorie développée par Samuel P. Huntington, professeur à l'université de Harvard. b) La transposition des conflits internationaux à l'école Dans ce contexte, la confusion entre la manifestation intime et sereine de la foi, par le port d'un signe religieux et l'expression d'un choix idéologique et politique - lequel n'a assurément pas sa place dans l'espace scolaire, comme en est convenu, à l'unanimité, l'ensemble des membres de la mission23 - s'est trouvée renforcée chez des enfants et des adolescents en construction. Pour ceux-ci, la distinction entre les deux espaces est d'autant plus floue que le discours médiatique - parfois schématique - n'aide pas à faire la part des choses. Cette transposition des événements du monde dans notre pays tend pourtant à s'étendre et l'espace scolaire est devenu le lieu d'un affrontement identitaire politico-religieux. M. Yves Bertrand, directeur central des Renseignements généraux, a remis aux membres de la mission, lors de son audition le 9 juillet 2003, un rapport faisant état d'une nette progression des actes antisémites commis dans le cadre scolaire depuis le 1er janvier 2002 : 77 actes antisémites ont été recensés en 2002 contre 29 en 2001 et 42 actes de même nature ont été comptabilisés pour le seul premier semestre de l'année 2003. L'actualité vient encore de donner la preuve de cette violence avec l'incendie criminel d'un établissement secondaire de confession juive à Gagny (Seine-Saint-Denis). Mme Thérèse Duplaix24, proviseur du lycée Turgot à Paris, déclarait devant la mission que son établissement vivait « au rythme des événements du Moyen-Orient » exprimant un constat partagé par plusieurs de ses collègues. A la suite de la recrudescence des attentats suicides en Israël, en réponse à l'offensive de Tsahal en Cisjordanie, des élèves de confession juives avaient ainsi placardé « des affiches concernant un appel aux étudiants juifs » dans son établissement. La guerre en Iraq et le conflit israélo-palestinien avivent les tensions et les risques d'affrontement entre de jeunes juifs et de jeunes musulmans qui, par mimétisme, s'identifient respectivement à la cause d'Israël et à la cause palestinienne en arborant une kippa ou un keffieh. Plus que jamais, la vigilance des autorités pour le respect strict du principe de la laïcité doit donc être accrue. Les événements du monde ne doivent pas être source de division de la communauté nationale. Face à ces menaces, votre Président estime nécessaire de réaffirmer le principe de laïcité comme projet, à la fois politique et social, d'intégration des individus dans une communauté nationale une et indivisible, à l'inverse d'une conception de la société dans laquelle se développeraient, côte à côte, des communautés distinctes. La reconnaissance de la diversité, au fondement même du « pacte laïque », ne doit pas se transformer en une revendication de la différence mais doit conduire à enrichir la communauté nationale dans l'accomplissement d'un projet commun. A cet égard, le port des signes d'appartenance religieuse ou politique dans l'enceinte scolaire est un risque dans la mesure où, en substituant au principe traditionnel du « vivre ensemble » celui du « vivre côte à côte », il constitue un facteur de division dans un lieu d'apprentissage du lien social. Deux éléments majeurs ont contribué ces dernières années à rendre flou et peu lisible le principe de laïcité : d'une part, les difficultés à appréhender et à intégrer dans le « pacte laïque » une religion qui n'en faisait initialement pas partie, d'autre part, l'évolution même de la société qui bouleverse le projet laïque par le développement de l'individualisme et la revendication du droit à la différence. a) L'adhésion de l'islam au « pacte laïque » Aujourd'hui, deuxième religion de France derrière le catholicisme, l'islam n'a pas, pour des raisons historiques évidentes, été associé à la définition du « pacte laïque » de 1905. Cette situation a pu conduire certains citoyens de confession musulmane à se sentir exclus de la République. La crise économique et sociale des années 80 a fortement touché ces populations et contribué un peu plus à leur donner l'impression que le projet républicain d'intégration était une fiction vide de sens concret. La question des lieux de culte a également nourri l'incompréhension. En vertu de la loi du 9 décembre 1905, on a vu que l'Etat ne salarie, ni ne subventionne aucun culte mais qu'il peut, ainsi que les collectivités locales, subvenir à l'entretien des lieux de culte laissés à la disposition des Eglises. Tandis que l'Etat contribuait à l'entretien de nombreuses églises, l'islam s'est trouvé dans l'obligation de financer, par lui-même, ses propres mosquées, en raison de son implantation tardive. Ce qui a pu être vécu, par certains musulmans, comme une inégalité ne résulte que d'une situation de fait qui ne doit pas remettre en cause l'application d'une règle commune à toutes les confessions. Cette préoccupation rejoint d'ailleurs le souhait unanime des représentants de la confession musulmane auditionnés par la mission. Tous, sans exception, ont déclaré leur attachement aux principes issus de la loi de 1905 et leur volonté de respecter le cadre de droit ainsi défini. En permettant d'offrir un interlocuteur privilégié à l'Etat, la création récente du Conseil français du culte musulman (CFCM) constitue indéniablement une avancée dans la compréhension mutuelle de l'Etat et de l'islam. Mais pour que cette compréhension se fasse en bonne intelligence, encore faut-il que les règles posées soient claires et intelligibles. Or, les membres de la mission ont pu constater que la définition de la laïcité manque actuellement de lisibilité au point qu'en matière de liberté d'expression religieuse à l'école la ligne de partage entre le licite et l'illicite est devenue floue. b) La tentation d'une redéfinition de la laïcité à la française Toutes les personnes auditionnées par la mission, ont affirmé leur attachement aux principes énoncés par la loi de 1905. Pourtant, on assiste à une remise en cause profonde du principe de laïcité, tel qu'il a été conçu en France depuis ses origines. La neutralité du service public est contestée par ceux qui réclament la possibilité de manifester leur appartenance à une religion dans le cadre du service ou par ceux qui souhaitent, par exemple, des horaires différenciés pour les hommes et pour les femmes dans les piscines municipales. Désormais, la religion s'est privatisée et la société civile s'est dissociée de l'Etat. La priorité n'est plus l'exercice de la souveraineté des citoyens pour la réalisation de l'intérêt commun mais la garantie des droits de l'individu correspondant à une « troisième époque du principe de laïcité ». La foi dans l'expérience collective s'est tarie au profit d'une légitimation excessive de l'individualisme qui rend plus difficile la coexistence des individus et la cohésion sociale. La voie est ouverte vers ce que certains appellent une « nouvelle laïcité » dans laquelle l'affirmation du pluralisme prendrait le pas sur la neutralité de l'Etat. La laïcité n'est plus conçue comme le principe émancipateur par excellence. La logique du droit à la différence a pris le pas sur celle de l'intérêt général, auparavant conçues comme complémentaires. L'affirmation d'une identité singulière est mise en avant par le port de signes religieux qui départagent plutôt qu'ils n'unissent. L'individu souhaite être admis dans l'espace public comme représentant de son identité propre et non plus comme citoyen dépouillé de tout « marquage ». La réflexion de M. Thomas Milcent25, dit « docteur Abdallah », auteur d'un ouvrage controversé, Le Foulard islamique et la République française : mode d'emploi26, lors de son audition par la mission, se présentant, moins comme un laïque, que comme un « militant des droits de l'homme » est sur ce point représentative d'une certaine dérive. Cette situation est plus proche de la sécularisation propre aux pays protestants dont on sait qu'elle peut mener au communautarisme. Or, la laïcité « à la française » est l'application d'une règle commune, condition du « vivre ensemble » et de la cohésion de l'édifice républicain. C'est pourquoi, la rupture de l'équilibre issu de la loi de 1905, actuellement en cours, laquelle est partie intégrante du pacte social français, ébranlerait l'édifice construit au cours des deux siècles écoulés. Comme le rappelait le Président de la République à Valenciennes le 21 octobre 2003 : « la laïcité n'est pas négociable ». 2.- Réaffirmer le projet laïque dans son idéal d'intégration La crise que traverse aujourd'hui la laïcité ne doit pas fragiliser le modèle républicain. Ce qui est en cause est moins la laïcité dans son principe que la difficulté qu'elle rencontre à s'affirmer comme élément essentiel de l'intégration républicaine. Conformément à notre tradition, l'espace scolaire doit être le lieu privilégié de cette réaffirmation. Lieu de l'apprentissage de la vie en commun, l'école enseigne à la fois les valeurs universelles et l'esprit critique. Si elle encourage la diversité, elle ne peut accepter la division de la communauté scolaire, source d'affrontements et de repli identitaire dont le port des signes d'appartenance religieuse et politique est la manifestation. C'est sur la base de cette conception et convaincue du rôle déterminant de l'école dans la sauvegarde du principe de laïcité « à la française » que la mission a conduit ses travaux sur la question spécifique du port des signes religieux à l'école, même si les auditions qu'elle a menées lui ont rapidement démontré que le problème, à la fois dans ses causes et dans ses manifestations, dépasse largement le strict périmètre de l'institution scolaire. DEUXIÈME PARTIE : LES MANIFESTATIONS D'APPARTENANCE RELIGIEUSE OU POLITIQUE RÉVÈLENT LES DIFFICULTÉS DE L'ÉCOLE DANS SA MISSION INTÉGRATRICE La grande majorité des témoignages entendus par la mission, et notamment ceux des acteurs les plus proches des réalités de l'école, constate que la crise actuelle sur le port de signes religieux reflète la difficulté de l'institution scolaire à définir et à adapter ses missions aux nouvelles générations d'élèves. On constate une forte attente sur ce thème, comme l'a indiqué par exemple M. Patrick Gonthier27, secrétaire général de l'UNSA-Education en soulignant que son syndicat: « se félicite de la mise en place de cette mission sur la question des signes religieux à l'école avec tous les partenaires directement concernés. Depuis plus de quatorze années, cette question de société n'a pu trouver de réponses satisfaisantes et durables pour les usagers et les agents du service public de l'Education ». Dans une société caractérisée par une grande diversité culturelle et religieuse, il est essentiel, pour garantir la cohésion sociale, d'assurer à chaque membre le droit à une éducation indépendante des dogmes et des intérêts particuliers. La mission a été rapidement convaincue que le principe de laïcité dont l'élément fondamental est la neutralité face à toutes les croyances et toutes les religions, constitue l'instrument nécessaire pour atteindre cet objectif. Face à une société civile pluraliste et diversifiée, il faut un principe d'unité. Mlle Barbara Lefebvre28, enseignante agrégée d'histoire-géographie, co-auteur de l'ouvrage « Les territoires perdus de la République », a formulé devant la mission une définition de la laïcité scolaire assez convaincante en disant que c'est le moyen le plus efficace trouvé par la République de faire advenir dans un espace donné - l'école - un apaisement souvent absent des espaces privés. C'est à l'école que se forgent la conscience commune et le sentiment d'appartenance à l'ensemble de la collectivité nationale. Mais est-ce bien encore le cas ? L'irruption des manifestations d'appartenance religieuse ou communautaire et la perte de sens du rôle fondateur de l'école dans l'attachement à la démocratie et à la citoyenneté, ne risquent elles pas d'ébranler le lien entre l'école et les valeurs humanistes de la République ? Une autre question - liée - est posée à travers les affaires de signes religieux et de revendications identitaires à l'école : l'Education nationale est-elle encore un outil de promotion sociale et d'intégration ? I.- L'ÉCOLE COMME LIEU D'APPRENTISSAGE DU « VIVRE ENSEMBLE » EST EN PERTE DE VITESSE Comme l'a mentionné, M. Gérard Aschieri29 au nom de la Fédération syndicale unitaire (FSU), le problème de la laïcité renvoie, aujourd'hui, à des questions traditionnelles et à des questions nouvelles. Les problèmes traditionnels, qui ressurgissent dans le cadre du débat sur le projet de Constitution européenne, tiennent à la place des religions et des Eglises dans la société et à l'école. La dimension nouvelle de la problématique de la laïcité, selon ce responsable syndical, tient au rapport qu'entretient l'école à « la marchandisation », c'est-à-dire à « la place des marques, du commerce et de tout ce qui peut se traduire par l'introduction d'intérêts privés dans le système éducatif et mettre en cause la laïcité en tant que formation de l'esprit critique et en tant qu'élément central de la neutralité ». Ainsi que l'a fait observer M. Jean-Louis Biot1, secrétaire national du syndicat SE-UNSA, « au fil du temps, la référence à la laïcité de la société française s'est estompée, devenant plus discrète, voire complètement ignorée. Inconsciemment, sans doute, nous avons pensé collectivement qu'elle imprégnait naturellement tous les citoyens de notre pays. C'est une erreur et les débats actuels le démontrent. C'est ce défi qui paraît devoir être relevé. La classe politique doit prendre ses responsabilités et s'engager, sans arrière-pensées, dans cette reconquête collective qui exigera beaucoup de temps ». Dans l'histoire, comme dans la culture française, l'idéal de la laïcité est associé à l'idéal de l'école publique émancipatrice et pourvoyeuse d'égalité des chances. L'universalité des savoirs transmis à l'école a pour corollaire l'universalité des élèves accueillis et l'effacement de leur appartenance d'origine. Les membres de la mission considèrent que cet idéal doit s'enraciner dans la vie scolaire au quotidien et non pas rester inscrit au fronton des écoles. Cela nécessite une vision de l'école comme lieu d'apprentissage de la citoyenneté et pas seulement comme outil de distribution de savoirs que chacun pourrait, de surcroît, sélectionner en fonction de ses propres aspirations. A.- DES BRÈCHES IMPORTANTES S'OUVRENT DANS LE RESPECT DE LA LAÏCITÉ A L'ÉCOLE La mission s'est heurtée à une réelle difficulté concernant l'évaluation de l'ampleur du phénomène du port de signes religieux à l'école et notamment du port du « voile ». Si le phénomène est difficilement quantifiable, la perception que l'on en a est également certainement déformée par le retentissement, souvent disproportionné, donné par les médias à chaque conflit. Par ailleurs, les brèches dans les valeurs de la laïcité à l'école interviennent aussi sous des formes beaucoup moins spectaculaires que le port des foulards islamiques. Selon M. Jean-Paul de Gaudemar30, directeur de l'enseignement scolaire, l'effritement de la laïcité résulte d'une plus grande place faite à la reconnaissance institutionnelle des comportements religieux. Par exemple une grande tolérance s'est installée concernant les pratiques liées aux fêtes religieuses juives et au ramadan. Paradoxalement cet effritement s'explique également par la difficulté à intégrer le fait religieux dans les enseignements eux-mêmes, ce qui est à l'origine de bien des lacunes et des incompréhensions. La mission a ainsi constaté que la remise en cause des règles de la laïcité, en milieu scolaire peut prendre des formes variées. Beaucoup de témoins ont cité des revendications de type alimentaire ou concernant des locaux de cantine séparés pour les musulmans. L'absentéisme les jours de fêtes religieuses, le refus d'aller à la piscine ou, encore plus grave, le refus des élèves de passer devant un examinateur du sexe opposé, sont des faits qui semblent petit à petit se multiplier. 1.- Des réalités qui semblent bien éloignées des constats officiels qui se voudraient rassurants Il n'existe aucun chiffrage global concernant le phénomène du port des signes religieux à l'école. Les seuls chiffres disponibles concernent le foulard islamique mais ils ne sont guère fiables, en l'absence de critères communs d'évaluation et de consignes générales M. Daniel Robin31, de la FSU, a attiré l'attention de la mission sur le fait qu'il est très difficile d'évaluer précisément le nombre de jeunes filles qui portent aujourd'hui le voile dans les collèges et les lycées. Il s'est déclaré étonné d'apprendre que certaines d'entre elles fréquentent des établissements dont il ne soupçonnait pas qu'ils puissent être confrontés au problème. Selon lui, l'une des explications réside dans le fait que « certains collègues ont accepté de transiger, par exemple, sur la taille du foulard ou savent pertinemment que toute publicité autour de cette question risque, pour des motifs passionnels, de déclencher une crise là où ils sont parvenus, peu ou prou, à l'éviter ». Ces réactions expliquent probablement la perception bien différente qu'ont de ce problème, d'un côté la hiérarchie administrative et de l'autre, ceux qui sont au contact des élèves. a) Des constats officiels qui se voudraient rassurants... Tous les problèmes locaux ne remontent pas jusqu'au ministère, malgré la mise en place du logiciel SIGMA qui devrait permettre de recenser tous les incidents qui surviennent dans les établissements. Le ministre de la jeunesse, de l'éduction nationale et de la recherche, M. Luc Ferry32 a indiqué à la mission qu'en 2002 les affaires de foulards ont donné lieu à 10 contentieux, une centaine de médiations et que l'on peut estimer le nombre voiles à environ 1 500 dans les écoles. Ces chiffres ont été globalement confirmés par M. Yves Bertrand, directeur central des renseignements généraux et par le ministre de l'intérieur M. Nicolas Sarkozy33. Ce dernier a évoqué devant la mission, 1 256 cas de jeunes filles qui se sont présentées à l'école avec le voile à la rentrée de septembre 2003, alors que l'on en dénombrait 1 123 en 1994. Selon le ministre, 3 mois après la rentrée il ne reste que 20 cas non résolus et seulement 4 établissements ont été contraints d'aller jusqu'à l'exclusion. Les responsables de l'administration de l'Education nationale reconnaissent que le port du foulard et les relations entre les garçons et les filles posent de réels problèmes à l'institution et aux chefs d'établissement mais ils considèrent, dans l'ensemble, que les problèmes restent localisés et ne s'aggravent pas. De son côté, Mme Hanifa Chérifi34 la médiatrice de l'Education nationale pour les problèmes de voile, a déclaré que la situation dans les établissements scolaires s'est aujourd'hui apaisée et que le nombre de conflits nécessitant une médiation se situe entre 100 et 150 cas. Elle a ajouté que le voile est moins présent dans les écoles que dans les quartiers. Toutefois, M. Dominique Borne35, doyen de l'inspection générale de l'Education nationale a reconnu devant la mission que les remontées dont il dispose sur le port du voile ne sont pas toujours très fiables. Certains chefs d'établissement préfèrent parfois ne pas faire remonter une information, estimant qu'ils seront mieux jugés s'ils ne font pas état de problèmes au sein leur établissement. D'autres estiment maîtriser la situation et pensent que les deux ou trois voiles qu'il peut y avoir dans leur établissement ne posent pas de problème et ne doivent pas être signalés car alors, ils en provoqueraient. M. Borne considère que le nombre d'établissements touchés doit être légèrement supérieur à 5 % de l'ensemble des établissements, mais certainement très inférieur la barre des 10 %. Pour sa part, M. Jean-Paul de Gaudemar36, directeur de l'enseignement scolaire, a admis mais sans en évaluer le nombre, des cas de contestation de l'enseignement lui-même, s'agissant de l'enseignement d'un certain type de philosophie ou des sciences de la vie, notamment, tout ce qui touche à la procréation. D'une façon générale l'administration semble surtout préoccupée par l'ensemble des problèmes liés au communautarisme, dont le port du voile n'est qu'une manifestation parmi d'autres. La mission a également cherché à mesurer le problème en auditionnant les recteurs de six académies37. Certains chiffres ont pu être obtenus mais ils ne sont pas comparables, faute de répondre à des critères comparables. M. André Lespagnol, recteur de l'académie de Créteil a indiqué que chaque année, une dizaine d'affaires de voile, concernant 30 à 40 jeunes filles remontent au niveau du rectorat. Parmi ces cas, 2 ou 3 ont vraiment de l'importance car ils attestent d'une volonté de transgression de la loi républicaine. M. Alain Morvan, recteur de l'académie de Lyon, a fait état de 3 cas depuis le début de l'année dans son académie, dont l'affaire du lycée de La Martinière-Duchère qu'il a résumée ainsi : « tous les matins, une élève, qui arrivait voilée, enlevait son voile, mettait son bandana, se heurtait à un groupe d'une vingtaine d'enseignants très engagés - du côté de l'ultra gauche, voire au-delà - qui n'étaient pas fâchés de mettre l'institution en difficulté sur ce sujet ». M. Gérard Chaix, pour l'académie de Strasbourg a fait état, sur la base d'un récent sondage réalisé dans la moitié des établissements de son académie, de 193 voiles dans les lycées consultés, soit 1 % des élèves, et de 230 voiles dans les collèges consultés. Le recteur a toutefois précisé que ce sondage n'a aucune valeur scientifique dans la mesure où, se focalisant sur les établissements les plus sensibles, les chiffres sont surévalués par rapport à la totalité des établissements. Un quart de ces affaires est remonté au rectorat en 2002/2003, toutes les autres ont été réglées sur place, c'est-à-dire qu'elles ne sont pas réglées mais « tolérées » selon les propos de M. Chaix. Ce dernier a par ailleurs déploré, comme l'a fait M. De Gaudemar, un phénomène d'affirmation identitaire dont le port du voile pour les jeunes filles n'est qu'un des éléments. Il s'agit d'une augmentation des absences des élèves au moment des fêtes musulmanes, de revendications par rapport aux interdits alimentaires, de la rupture du jeûne pendant les cours, lors du ramadan. M. Chaix a cité l'exemple suivant : « dans un lycée, en cours de philosophie ou en sciences de la vie et de la terre, les stylos se lèvent lorsque le professeur aborde un élément qui est jugé sensible et objet de contestation par certains élèves ». La situation de l'académie de Paris a été évoquée par Mme Sylvie Smaniotto, chef de cabinet du recteur. Elle n'a pas cité de chiffre sur le port du voile ou sur les incidents de nature communautariste, mais a fait apparaître ces derniers comme plus préoccupants. Les témoins révèlent que dans les conflits durs les élèves portant le voile sont soutenues par une famille, un réseau, une association et par des avocats. Il peut en résulter des affrontements entre des équipes enseignantes peu armées pour défendre des positions juridiques mal maîtrisées et des personnes subissant la pression de certains courants islamistes. C'est la description qui a été faite par M. Daniel Bancel, recteur de l'académie de Versailles citant l'exemple du collège de Nantua, qu'il a eu à connaître, lequel était « lié à la présence autour de l'établissement d'une communauté musulmane qui avait clairement d'autres visées que celle de l'équilibre au sein de la communauté éducative ». Le recteur de l'académie de Lille, M. Paul Desneuf s'est montré moins optimiste, constatant une volonté assez forte de la part de certains milieux musulmans d'affirmer leur identité et « une absence totale de complexe dans le langage des jeunes filles, que ce langage soit intégré par elles ou qu'il leur soit dicté ». Sur l'ensemble de cette académie, 200 cas remontent au rectorat, mais sans incident. Le problème se pose de manière forte dans un lycée de la banlieue lilloise, où 50 jeunes filles portent le voile. Les témoins ont également fait valoir que le recensement est, à l'évidence, rendu difficile en raison de la grande versatilité, propre à l'adolescence, des jeunes filles concernées, pour lesquelles le port du foulard peut être une étape très passagère ou qui testent les limites de l'interdit et du possible. Des brèches à la laïcité dans les écoles confessionnelles sous contrat ont également été évoquées devant la mission. Ces écoles doivent accueillir tous les enfants, sans distinction d'origine, d'opinion ou de croyance, ce qui n'est pas toujours le cas, notamment dans les écoles juives sous contrat. Comme l'a fait observer M. Yvon Robert38, chef du servive de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale, « il ne doit pas y avoir de crucifix dans les salles de classes des écoles catholiques, alors qu'on en trouve fréquemment ». Enfin les inspecteurs de l'Education nationale, à l'occasion de leurs trop rares inspections dans les écoles privées, constatent que les programmes s'écartent parfois de ceux de l'enseignement public, ce qui ne devrait pas être le cas. La forte présence de la dimension religieuse dans les établissements juifs et catholiques sous contrat n'est conforme ni à l'esprit ni à la lettre de la loi du 31 décembre 1959. Si les cas litigieux semblent assez limités, selon les constats officiels, en revanche le durcissement et la radicalisation des positions ont été affirmés par tous les observateurs et notamment, sur le terrain, par les enseignants et les chefs d'établissement. b)...mais qui ne reflètent pas les propos des enseignants et des chefs d'établissement L'ensemble des témoignages qui seront évoqués ci-dessous ont convaincu votre Président et l'ensemble des membres de la mission de la réalité du sentiment d'impuissance, et parfois d'abandon, qui décourage les chefs d'établissement et les enseignants confrontés, parfois durement, à des crises liées au port de signes religieux dont la signification politique est clairement apparue. M. Philippe Guittet39, secrétaire général du Syndicat national des personnels de direction de l'éducation nationale (SNPDEN), a insisté sur la montée des pressions communautaires et identitaires sur les élèves, engendrant des incidents de plus en plus fréquents dans les écoles. Il devient de plus en plus difficile de discuter avec les jeunes filles. « Elles connaissent les arrêts du Conseil d'Etat et ont une attitude beaucoup plus déterminée face au problème. Elles sont très entourées par des juristes, des prédicateurs, toutes sortes de gens qui font pression. » Mme Marie-Ange Henry40, secrétaire académique du SNPDEN et proviseur du lycée Jules-Ferry à Paris a relaté les pressions fortes qu'elle a pu constater, exercées au sein des établissements, sur les jeunes filles d'origine musulmane qui refusent de pratiquer le ramadan ou de porter le voile. « L'immense majorité est encore dans ce cas et c'est cette majorité que nous devons protéger pour que l'école de la République fasse son métier d'intégration ». Des pressions de même nature ont été signalées à la mission s'agissant de surveillants d'externat à l'égard de jeunes surveillantes maghrébines. Mme Henry constate également une surenchère dans les signes religieux, le port du voile entraînant celui de la kippa. La difficile gestion de ces problèmes est également mise en avant par cette proviseure: « Au lycée, vous ne pouvez pas sanctionner un élève majeur qui va à la mosquée le vendredi et se fait lui-même un mot d'excuse. De même, vous ne pouvez pas exclure une jeune fille qui ne va pas à la piscine parce qu'elle a le certificat d'un médecin complaisant » La mission a auditionné de nombreux chefs d'établissement de la région parisienne et de province qui ont eu à gérer des crises liées au port de signes religieux. Tous ont évoqué la difficulté de dialoguer et de négocier dans un contexte juridique flou où la ligne de partage entre l'interdit et le permis est fluctuante. Ils se sont le plus souvent trouvés coincés entre une équipe enseignante radicalisée et des élèves exploitant habilement le principe de liberté d'expression en matière religieuse affirmée par la jurisprudence du Conseil d'Etat. Même lorsque des compromis sont trouvés ou lorsque les sanctions ne sont pas invalidées, ces conflits font des ravages pour la cohésion de la communauté éducative et laissent des traces profondes. M. Olivier Minne41, proviseur au lycée Henri Bergson de Paris a bien exprimé le sentiment général : « L'absence de cadre légal précis nous met en situation de devoir agir, en quelque sorte, en juge de paix, de rechercher des compromis plus ou moins acceptables, d'inventer une sorte de droit local. Ce fonctionnement permet certes de vivre ensemble dans un esprit de tolérance et dans le respect du pluralisme culturel et religieux, mais il me semble qu'il cesse d'être possible et, en tout cas, devient extrêmement inconfortable pour les personnels de direction, quand se développe une démarche offensive, délibérément contraire aux valeurs laïques » Un cas relaté par M. Régis Autié42, directeur d'école élémentaire à Antony (Hauts-de-Seine), est particulièrement significatif. Il s'agit d'une petite-fille de CE2 âgée de 8 ans et demi, dont la famille a informé l'école qu'à partir de janvier 2000, l'enfant atteignant ses 9 ans, elle porterait le voile. Cette position, a beaucoup ému l'ensemble de la communauté éducative qui considérait que le port du voile pour une enfant aussi jeune, associé à un discours très militant et très argumenté de la part de la famille constitue en soi un acte de prosélytisme. Le tribunal administratif a annulé la décision prise par l'inspecteur d'académie d'exclure l'enfant, l'équipe pédagogique a refusé d'appliquer cette décision et l'enfant a été inscrite dans une autre école où son voile a été admis. Comme l'a indiqué, avec beaucoup de pertinence, M. Eric Geffroy43, principal du collège Jean Monet à Flers (Orne), le dispositif juridique est tout à fait satisfaisant, tant que l'on n'est pas confronté au problème. « Lorsque l'on voit arriver dans une petite ville de province comme Flers un avocat en robe dans un conseil de discipline ou le Docteur Thomas Milcent, plus connu sous le nom de Docteur Abdallah, qui vient d'Alsace pour une séance de conseil de discipline dans un petit collège de l'Orne, on pense, en tant que chef d'établissement de base, que l'on ne joue pas dans la même cour ». M. Armand Martin2, proviseur du lycée Raymond-Queneau, à Villeneuve d'Ascq, a indiqué que depuis le début de l'année scolaire 2002-2003, le nombre des élèves portant le voile a très fortement augmenté, passant d'une petite vingtaine à 55, soit 6 % des 898 élèves filles du lycée. Il a évoqué une enquête selon laquelle 25 élèves en cours d'éducation physique et sportive portent un foulard très serré autour de la tête, voire une cagoule sportive et 11 en sciences physiques et sciences et vie de la terre. A la rentrée de septembre, il a compté 58 voiles. Selon lui, l'avis du Conseil d'Etat est satisfaisant tant que l'on est en présence de gens ouverts au dialogue, il ne permet pas de sortir des situations de blocage délibéré. Votre Président fait observer l'ambiguïté des propos tenus par M. Farid Abdelkrim44, membre de l'Union des organisations islamiques de France (UOIF), par rapport au problème de la piscine et du sport. Selon lui ces pratiques s'inscrivent dans la logique du choix personnel qui doit être accordé aux jeunes filles, lui-même n'entendant pas s'immiscer dans leur conscience, ni leur dire ce qu'elles doivent mettre de côté et ce qu'elles doivent considérer comme des obligations religieuses. D'autres représentants d'associations musulmanes ont suggéré de résoudre le problème en déclarant les cours de piscine facultatifs dans le cadre des programmes scolaires. Les chefs d'établissement parlent d'une entreprise concertée de démolition du principe laïque, dont le voile n'est qu'un aspect, qui appelle une réponse ferme et claire, à laquelle aspirent d'ailleurs de nombreuses élèves d'origine maghrébine. La loi de la rue ne doit pas être la loi de l'école, affirment-ils. Sur ce dernier point, M. Jean-Paul Savignac45, proviseur du lycée Colbert à Marseille, a apporté un éclairage intéressant en estimant que les élèves ont besoin d'espaces un peu protégés dans lesquels l'échange peut se faire de façon neutralisée, écrêtée, car la rue est souvent le terrain des violences, des tensions ou l'opposition des cultures. De l'avis de tous, interdire les signes d'appartenance religieuse ou politique à l'école ne signifie nullement une forme quelconque d'hostilité aux religions. Bien au contraire, il s'agit de faciliter l'échange et la réflexion sur les liens entre culture et religions, sur l'histoire des religions et aussi sur l'athéisme. Mlle Barbara Lefebvre46, professeur d'histoire-géographie, a constaté que dans son établissement de banlieue parisienne classé en ZEP, la fermeté de l'administration et d'une majorité d'enseignants quant à la visibilité de signes religieux ostentatoires a permis l'instauration d'une paix religieuse d'autant plus nécessaire qu'existaient, par ailleurs, des problèmes de violence, en particulier à caractère antisémite et sexiste. Elle interroge un peu plus loin : « Devant une élève voilée de cinquième qui avance comme seule argumentation la dimension révélée de la parole du Prophète lors d'une leçon sur le contexte socio-historique de la naissance de l'islam, quelle position adopter sans courir le risque d'être taxée d'islamophobe ? » 2.- Le rôle amplificateur des médias Les innombrables articles et reportages consacrés quotidiennement aux « affaires de foulards », frôlent le matraquage médiatique et brouillent la perception de la réalité. Un exemple parmi d'autres mérite d'être cité, celui du lycée La Martinière-Duchère, situé dans le quartier difficile de la Duchère à Lyon, dont la proviseure Mme Stanie Lor Sivrais a été entendue par la mission1. Cette affaire très passionnelle a enflammé la presse au cours de l'année scolaire passée alors que, comme Mme Lor Sivrais l'a fait remarquer, une seule jeune fille sur 2 500 élèves, dont 67% de filles souvent d'origine immigrée, était concernée. Les réseaux intégristes qui soutiennent très souvent les élèves utilisent les médias pour donner le maximum de retentissement à leur action et susciter un sentiment de solidarité et de victimisation chez les jeunes d'origine immigrée. Le cycle provocation, répression, exclusion, aggravé par le flou juridique ressenti par la communauté éducative, provoque un écho médiatique qui engendre une situation conflictuelle dont tout le monde sort meurtri et à laquelle, la mission est convaincue qu'il faut mettre un terme. Beaucoup de chefs d'établissement ont d'ailleurs indiqué que la médiatisation est souvent plus difficile à supporter que le conflit lui-même. Cette situation contribue à amplifier considérablement des faits qui restent numériquement limités, même s'ils représentent une grave mise en cause des valeurs républicaines et si, comme l'a indiqué M. Bertrand47, directeur central des Renseignements généraux, un nombre croissant de port de signes religieux est probablement banalisé. Selon lui, il n'y a jamais eu de cas spontanés « d'affaires de foulards ». Tous les cas recensés ont toujours été contrôlés par la Fédération nationale des musulmans de France (FNMF) ou l'Union des organisations islamiques de France (UOIF). 3.- Le dialogue et la médiation peuvent permettre d'aboutir à des équilibres qui restent fragiles Que l'on soit favorable ou opposé à une modification législative, on peut considérer que l'exclusion définitive et immédiate ne peut être la seule solution d'un conflit et qu'il importe de laisser aux équipes pédagogiques la possibilité d'explorer, au préalable, d'autres voies, en particulier celle du dialogue, pour obtenir de l'élève qu'elle accepte de retirer son voile. C'est dans ce but que Mme Hanifa Chérifi48 a été nommée en 1994 médiatrice auprès des établissements scolaires pour les problèmes liés au port du voile islamiste. A la rentrée 1994, le nombre de voiles était évalué à 2000 dans l'ensemble des établissements. Selon la médiatrice, la situation s'est aujourd'hui plutôt apaisée, grâce à un dispositif qui comprend à la fois la médiation, la formation, une meilleure connaissance des textes juridiques de la part des chefs d'établissement et une intervention immédiate de la médiation, à leur demande. Mais la mission a eu le sentiment que ce dispositif reste insuffisant, voire qu'il peut contribuer davantage à dissimuler les problèmes qu'à les résoudre. Des nombreux témoignages entendus, il ressort en effet que tout repose non seulement sur la capacité des chefs d'établissement à dialoguer en permanence, tant avec les élèves et leur famille qu'avec les enseignants, pour détourner les tentations de toutes espèce mais également sur la solidité et la cohésion de l'équipe pédagogique en place. Malheureusement, ces conditions ne sont pas toujours réunies en raison du manque de temps, du manque de formation à la gestion de ces problèmes et surtout du manque d'arguments juridiques et pédagogiques. Surtout, le sentiment est largement répandu que les compromis sont toujours provisoires et que, le plus souvent, ils déplacent ou diffèrent le problème. Par ailleurs, il n'est pas évident que les compromis selon lesquels la jeune fille accepte de porter un bandana ou un foulard plus discret donnent une claire perception des fondements de la laïcité, même si ces coiffures sont moins agressives pour le regard. L'extrême diversité sur l'ensemble du territoire de l'évolution d'un problème lié au voile et surtout des solutions appliquées, a beaucoup troublé les membres de la mission qui ont vu dans cette situation une réelle rupture d'égalité devant la loi. Dans certains lieux réputés calmes, l'apparition d'un voile, rapidement médiatisée, provoque un scandale. Dans d'autres, à l'inverse, le phénomène est totalement banalisé. Il ne peut être admis que les réponses à un problème aussi grave pour le fonctionnement de l'école dépendent de la plus ou moins grande énergie dépensée par les chefs d'établissement et de leur capacité à développer cette énergie dans la durée. Le problème du non respect de l'obligation d'assiduité aux cours se pose un peu dans les mêmes termes, même si la règle juridique est plus claire. Pour éviter les conflits, par facilité, certains chefs d'établissement tolèrent la non assistance à certains cours, le vendredi ou le samedi, ou acceptent des certificats médicaux de complaisance dispensant des cours de piscine ou d'éducation physique. C'est la préoccupation principale de M. Dominique Borne49, doyen de l'inspection générale de l'éducation nationale, qui a déclaré devant la mission : « Le domaine dans lequel la laïcité doit être absolue est celui de l'assistance aux cours. Je crains parfois qu'une certaine rigueur sur le voile fasse oublier que l'essentiel est l'enseignement. Certains accommodements en la matière me semblent tout à fait condamnables, avec des dispenses d'assistance aux cours de gymnastique, des sciences de la vie et de la terre, etc. Ce problème, d'une grande gravité, ne doit pas être toléré. Or parfois, par accommodement, pour éviter des conflits, on tolère cette non-assistance aux cours ». Pour résoudre les conflits, les chefs d'établissement doivent faire preuve de trésor d'imagination. C'est ce qu'a souligné M. Michel Parcollet, proviseur du lycée Faidherbe de Lille, lors de son audition par la mission50 : « Concernant le voile, le lycée Faidherbe a vécu des heures chaudes en 1995. (...) Il se trouve qu'après ce traumatisme de 1995, la région a fait des travaux, a clos le lycée qui ne l'était pas, et a aménagé un parking d'entrée qui permet d'appliquer un compromis élaboré à l'époque, les élèves entrant voilées dans ce premier parking, mais ôtant leur voile sur la voie piétonne qui arrive à la véritable entrée des bâtiments, cours comprises. (...) Cet équilibre est extrêmement fragile. On le sent tellement que, tous les matins, avec les proviseurs adjoints nous sommes à la grille, dans les cours, très souvent, pour éviter que certains oublis, plus ou moins volontaires, fassent qu'un voile ou un foulard entre dans l'établissement. Nous essayons de l'éviter au maximum car nous savons qu'une partie non négligeable des professeurs, comme à Villeneuve-d'Ascq, réagirait immédiatement et je suis quasiment sûr que, dans l'heure qui suit, nous aurions un mouvement de l'ensemble du personnel et d'une partie des élèves. Donc, nous sommes extrêmement vigilants. Si nous n'avons pas d'affaire de voile en ce moment, nous sommes quand même toujours un peu sur le fil du rasoir. » On peut se demander si les raffinements constatés, au travers des auditions de la mission, dans la recherche du compromis ne frisent pas l'absurde et s'il n'y a pas là une considérable déperdition d'énergie et de temps au détriment des autres responsabilités des chefs d'établissement. Autre exemple : MM. Jean-Claude Santana et Roger Sanchez51, enseignants au lycée La Martinière-Duchère de Lyon, ont relaté les quatre mois de discussions, d'interrogations et de négociations avec la jeune fille de 15 ans qui refusait d'ôter son voile dans un quartier marqué par un fort prosélytisme de la part de groupes fondamentalistes. Le conseil de discipline s'est finalement réuni pour constater un manquement au règlement intérieur qui prescrit aux membres de la communauté éducative d'être tête découverte dans l'enceinte de l'établissement. Le conseil a été aussitôt suspendu par le recteur de l'académie qui a ordonné le maintien de l'élève en classe. Selon les enseignants de l'établissement, le résultat ne peut être regardé comme satisfaisant dans la mesure où d'autres élèves ont été sanctionnés pour le port de casquette ou de bonnet. Par ailleurs, ils estiment que ce type de situation, où le règlement intérieur ne peut être appliqué, ébranle considérablement le respect de l'autorité publique. Mme Hanifa Chérifi52, médiatrice nationale du voile, a décrit devant la mission les conditions dans lesquelles elle exerce sa médiation. Elle s'efforce toujours de rencontrer les parents et elle constate que bien souvent ils « se laissent dépasser par des responsables d'associations, par des juristes, qui viennent parler à leur place en prétendant qu'ils auraient un meilleur contact avec les chefs d'établissement, puisque les pères et les mères ne parlent pas bien français ». Elle conseille d'ailleurs vivement aux chefs d'établissement de ne pas recevoir tous ces intermédiaires qui encadrent les familles et, le cas échéant, de faire intervenir un interprète, lorsque les parents ne parlent effectivement pas français. Le plus souvent les parents ne partagent pas la vision fondamentaliste de la religion et manifestent un grand désarroi car ils se sentent dévalorisés et remis en cause dans leur rôle de transmission culturelle et religieuse. La médiation de l'Education nationale se heurte en permanence à certains intervenants tel M. Abdallah-Thomas Milcent, ardent défenseur de la liberté du port du voile en milieu scolaire, qui exploitent toutes les subtilités de la jurisprudence du Conseil d'Etat et les imprécisions relatives aux limites de la liberté d'expression religieuse à l'école, pour encourager les élèves à entretenir le conflit, sans crainte de sacrifier leur scolarité. « Les islamistes ne défendent pas les jeunes filles voilées mais ils défendent le voile » selon les termes de la médiatrice. 4.- La position prudente des associations de parents d'élèves La mission a entendu avec un certain étonnement les représentants des associations de parents d'élèves53 constater, à l'exception de M. Bernard Teper, au nom de l'union des familles laïques (UFAL), que la situation était gérable et ne méritait pas d'intervention législative. La fédération des conseils de parents d'élèves (FCPE) tend à relativiser les problèmes liés au port de signes religieux par les élèves en considérant qu'une infime minorité de jeunes choisit la religion comme référence identitaire et que les jeunes sont dotés d'une infinie capacité d'invention en matière de signes et d'apparence extérieure. La FCPE estime que face à cette difficulté d'interprétation des différentes tenues, il vaut mieux s'en tenir aux règles habituelles en matière de discipline, quitte à les renforcer. M. Georges Dupon-Lahitte, président de la FCPE, a ainsi indiqué à la mission que le principe de laïcité concerne l'Etat et pas les individus. La laïcité à l'école concerne les bâtiments, les programmes et les personnels de l'Education nationale qui, eux, sont soumis à la règle de la laïcité, mais pas les usagers. Les élèves et les parents, ne sont pas des laïques « par essence », ils doivent être accueillis à l'école publique dans leur diversité. Par ailleurs, il estime qu'il vaudrait mieux commencer par appliquer les règles existantes de la laïcité à tout le territoire, en commençant par l'Alsace-Moselle. Enfin, il observe qu'il serait très grave de sanctionner une jeune élève qui garde son voile en classe, alors que les véritables intégristes sont ailleurs et plus difficiles à maîtriser. Selon M. Dupon-Lahitte, faute de pouvoir définir quel type de tenue vestimentaire est obligatoirement la marque d'une volonté de prosélytisme ou un signe religieux, il faut trouver un difficile équilibre qui peut être obtenu sur la base du système juridique actuel, alors que toute interdiction porte, en elle, le risque d'un engrenage Mme Lucile Rabiller, secrétaire générale de l'association des parents d'élèves de l'enseignement public (PEEP), admet, au contraire, la nécessité d'interdire le port de signes religieux à l'école dans le cadre d'une clarification des règles sur la laïcité. Les représentants de l'union nationale des associations de parents d'élèves de l'enseignement libre (UNAPEL), privilégient la défense de la liberté d'expression religieuse qui est une dimension essentielle de la liberté de conscience par rapport à l'interdiction du port de signes religieux dans les établissements. Mme Véronique Gass et M. Philippe de Vaujuas, de l'UNAPEL, ont fait valoir, devant la mission, l'avantage considérable, à leurs yeux, des écoles privées, lesquelles, dans le cadre d'un projet d'établissement spécifique, peuvent plus facilement dialoguer avec les familles qui ont choisi ce projet. Selon eux, la connaissance du fait religieux facilite le « vivre ensemble ». Les écoles privées catholiques scolarisent environ 10 % d'enfants musulmans ou d'origine musulmane et M. Philippe de Vaujuas a indiqué que 9 fois sur 10, souvent après un long dialogue, les élèves retirent leur voile. Il a précisé cependant, que certains établissements privés catholiques tolèrent tout simplement le port du voile. Mme Véronique Gass a clairement exprimé sa crainte d'une interdiction: « dès lors que l'on aura supprimé tous signes visibles ou ostentatoires de religion, pourquoi pas, dans un deuxième temps, remettre en cause, l'existence même des établissements catholiques ? » La position de M. Bernard Teper, président de l'union des familles laïques (UFAL) est beaucoup plus tranchée. L'école est une institution spécifique, elle n'a pas à appliquer les mêmes règles que les services publics et encore moins celles qui relèvent de la sphère privée. M. Teper considère que les incidents en rapport avec les signes religieux sont très nombreux et qu'ils perturbent les cours de beaucoup d'écoles. De plus, dans une enceinte scolaire, il faut que tout le monde soit soumis à la même règle, or aucune élève portant le voile ne peut aller à la piscine. La République doit protéger les milliers de jeunes filles qui ne veulent pas porter le voile et qui subissent des pressions intolérables, c'est pourquoi M. Bernard Teper est favorable à une nouvelle loi interdisant tous les signes religieux, voile, croix, ou kippa à l'école publique. Cette position rejoint les propos tenus, devant la mission, par Mme Camille Lacoste-Dujardin54, ethnologue, spécialiste de l'Afrique du Nord, à propos des risques de pressions sur les jeunes filles qui ne souhaitent pas porter le voile : « pour toutes les autres jeunes filles de parents musulmans, leurs compagnes de classe par exemple, il y a grand danger que cette exposition politico-religieuse ne réactive le remord qu'ont la plupart de ces jeunes filles de ne pas être assez fidèles à la religion de leurs parents, car les filles à fichu prétendent leur donner des leçons ». B.- L'ÉCOLE DOIT RESTER UN LIEU D'APPRENTISSAGE DE LA CITOYENNETÉ Mme Françoise Raffini55, membre du bureau fédéral de la FERC-CGT, a rappelé que l'une des missions essentielles de l'école. « est d'instituer l'élève en citoyen au cours d'un long apprentissage, ce qui exige la confrontation à autrui, à d'autres modes de vie ou de comportement que les siens. En ce sens, l'enseignement du fait religieux participerait à l'instauration de ce « vivre ensemble ». Nous sommes convaincus de la nécessité du dialogue entre les représentants de l'institution, les élèves et leur famille ». Beaucoup d'enseignants déplorent, par ailleurs, que l'enseignement de l'éducation civique juridique et sociale ait été déconnecté, notamment, de l'enseignement de l'histoire, et ne soit pas enraciné dans le socle de connaissances de base. 1.- L'école doit développer l'esprit critique sans heurter aucune croyance Mme Elisabeth Roudinesco56, psychanalyste, directrice de recherche au département d'histoire de l'université Paris VII a réfuté devant la mission un argument, utilisé par les signataires d'une pétition en faveur de la liberté du port du voile à l'école, selon lequel « ces jeunes filles sont studieuses ». Elle a ajouté : « je me méfie de cet argument parce que je ne sais pas ce que l'on peut retirer de l'enseignement lorsqu'on se borne à apprendre comme un automate studieux. Développe-t-on vraiment la pensée critique sous un voile en ingurgitant un savoir sur lequel on n'a pas de recul critique ?(...) La mission de l'école est aussi de faire naître chez l'élève, dans certaines limites bien sûr, un esprit critique sur ce qu'on lui enseigne, voire un esprit de rébellion par la parole. En tout cas, la mission de l'école n'est certainement pas de confiner l'élève dans un silence voilé ». La mission a noté que pour beaucoup d'acteurs du secteur éducatif, l'école ne doit pas s'éloigner des valeurs constitutives de la République et de la démocratie et notamment de la laïcité et de l'égalité des droits, qu'elle doit appliquer et transmettre. Cela nécessite, comme l'a mentionné M. Hubert Duchscher57, secrétaire national du Syndicat national unitaire des professeurs d'école (SNUIPP), « d'assurer l'éducation et la formation, en dehors des religions ou de tout autre groupe de pression. C'est une qualité qui ne se vérifie pas toujours dans d'autres pays européens aux yeux desquels il est parfois difficile de faire valoir notre spécificité en la matière ». La crainte d'un recul de la démocratie a été évoquée - d'ailleurs le plus souvent à travers l'augmentation de l'abstentionnisme aux élections - et une réelle attente est exprimée pour que l'école joue pleinement son rôle dans la réconciliation des citoyens et de leurs institutions. L'école républicaine est universelle, d'une part parce qu'elle est destinée à tous les enfants et d'autre part, parce qu'elle dispense à tous un enseignement identique, fondé sur la raison. Dans un pays, comme la France, historiquement très marqué par l'influence d'une religion, le processus d'affranchissement des règles de la vie commune, de toute confession religieuse, a permis non seulement un accès aux principes fondamentaux de liberté et d'égalité mais a également favorisé le respect de toutes les religions. Organiser la liberté religieuse et former les consciences et les intelligences au principe de laïcité passe donc par la nécessité, à l'école avant tout, d'interdire qu'un ou plusieurs cultes envahissent visiblement l'espace public. Il serait paradoxal de retourner contre la laïcité sa tradition conciliatrice en transformant son respect de toutes les religions en droits spécifiques propres à chacune. La laïcité n'est pas uniquement un mode de régulation des relations entre l'Etat et ses institutions d'une part et les religions d'autre part. Elle a ses valeurs propres qui ont contribué à façonner la démocratie. Elle associe la liberté fondée sur l'autonomie de jugement, le souci de l'universel qui relativise les appartenances, sans les nier, et l'égalité des droits indépendamment des origines et des convictions. L'apprentissage de ces valeurs à l'école passe obligatoirement par la capacité de l'institution à imposer le respect de toutes les convictions, sans permettre leur affirmation péremptoire. Il ne s'agit certainement pas de « profiler » des futurs citoyens uniformisés et de faire prévaloir une sorte de consensus d'opinions affadies, mais de constituer un socle commun d'appartenance et de valeurs. Il s'agit également, face à de jeunes élèves en construction, le plus souvent mineurs, de les protéger de toutes formes de pressions, afin que l'accès au savoir devienne pour eux, le moyen privilégié de développement de leur identité et de leur autonomie. Ce rappel des missions de l'école et des droits et obligations des élèves constituait l'objet principal des circulaires ministérielles du 12 décembre 1989 et du 20 septembre 1994. Malheureusement, force est de constater que ces textes n'ont pas eu l'impact escompté, tant sur le plan de la compréhension du sens de la laïcité que sur la disparition des perturbations liées aux revendications d'appartenance religieuse ou identitaire. C'est ce qu'a rappelé, devant la mission, M. Hubert Raguin58, secrétaire fédéral de Force Ouvrière enseignement. Il considère qu'il faut rétablir les règles traditionnelles et restaurer les principes, à savoir le respect de la stricte neutralité religieuse de l'enseignement public. Les dérives constatées, notamment en ce qui concerne les facilités reconnues aux communautés, remonteraient à la loi du 10 juillet 1989 qui a accordé la liberté d'expression aux élèves. « Pour Force Ouvrière, la laïcité ne peut pas être à géométrie variable, d'un établissement ou d'une école à l'autre. Il n'appartient pas à chaque établissement, ni a fortiori à chacun des professeurs, d'interpréter ce qui est conforme, ou non, au respect de la laïcité ». Pourtant, ce syndicat est opposé à l'adoption d'une loi. M. Patrick Gonthier1, de l'UNSA-Education, a également constaté que la circulaire du 12 décembre 1989 s'était bien assigné, à terme, l'objectif du retrait du port de signes religieux. Malheureusement, selon lui, quatorze années après, « les faits ont confirmé nos inquiétudes. La gestion purement disciplinaire, inscrite dans les règlements des établissements, montre ses limites. Le vide juridique perdure, les contentieux pourraient se multiplier ». Il constate pourtant que « une solution politique est devenue nécessaire ». Si l'éducation est un processus qui doit conduire à l'autonomie du jugement, ce processus ne peut commencer par l'affichage d'une allégeance ou de certitudes prédéterminées. Arborer un signe ou une tenue révélant une appartenance c'est affirmer par avance ce qu'il faut croire et se fermer à toute connaissance nouvelle qui pourrait en faire douter. L'enseignement laïque transmet les œuvres et les conquêtes de l'esprit humain, il doit relater les visions du monde, religieuse ou autre, qui ont leur place dans ce panorama, sans qu'aucune forme de pression ou d'autocensure ne conduise à les invalider, à les valoriser ou à les censurer. L'école ne doit pas devenir un supermarché de la connaissance où s'échangeraient une offre d'apprentissage et une demande sélective de savoirs. Elle a parmi ses missions celle de contribuer à la formation d'esprits libres et aptes au jugement critique. Pour cela les enseignants, astreints à une stricte neutralité dans leur démarche intellectuelle et leur comportement, doivent privilégier l'universel sur le particulier et aider les élèves à se distancier de l'emprise familiale, religieuse et culturelle. Il ne faut toutefois pas confondre approche universelle des connaissances, c'est-à-dire ce qui est commun à l'humanité, et nivellement total des savoirs. Un détour par l'expérience individuelle de chacun peut constituer un outil pédagogique utile dans des classes où se côtoient des origines très diverses, mais cette démarche doit valoriser, à travers la tolérance, la curiosité et l'ouverture à la diversité, ce qui rapproche les élèves et faire reculer ce qui enferme et ce qui sépare. Pour cette raison la mission estime qu'il faut tenir compte des propos de M. Hubert Duchscher59, du SNUIPP, lorsqu'il dit « il faut considérer que l'école est source d'émancipation, de tolérance, d'éducation ouverte à la citoyenneté pour tous les jeunes. En ce sens, si les enseignants se voient contraints de procéder à l'exclusion d'un élève, c'est qu'ils ont échoué dans leur mission, ce qui est un constat toujours très douloureux et très mal vécu ». Il est bien certain que tout doit être fait pour faire conduire tous les élèves à adhérer aux principes de fonctionnement de l'enseignement, afin d'éviter au maximum les solutions radicales. Cette haute idée de la mission éducative, indispensable à la formation d'une conscience collective et à la découverte de la citoyenneté passe par l'instauration de règles, au sein des établissements, qui doivent favoriser l'apprentissage du « vivre ensemble » et inculquer aux élèves une perception claire de la limite de leurs droits et de leurs devoirs envers l'école et les autres membres de la communauté éducative. C'est pourquoi l'école a besoin de distance par rapport aux conflits et aux problèmes qui traversent la société et le monde, même si elle ne peut évidemment les ignorer. Les symboles vestimentaires ou les signes d'appartenance visibles remettent en cause la neutralité nécessaire à la mission de l'école parce qu'ils sont source de discrimination, voire de conflits. L'école doit garantir à chacun la possibilité de se mettre à distance des appartenances et des croyances des autres mais aussi des siennes propres. C'est le seul moyen de permettre sans arrière-pensée de domination, des échanges et de la fluidité entre les croyances individuelles. C'est la vraie garantie de la liberté de conscience des élèves. Enfin, la relation égalitaire entre les garçons et les filles se construit à l'école. La mission est convaincue que si, par exemple, une élève porte le voile elle s'inscrit dans une forme de différentiation qui peut sous-entendre que le respect des filles par les garçons est subordonné à une tenue spéciale. C'est le sens de la remarque de Mme Elisabeth Roudinesco60, psychanaliste, à propos de : « l'idée, souvent invoquée par les jeunes filles elles-mêmes, que celles qui ne se voilent pas sont impudiques et impures ». 2.- Les conflits et les revendications communautaires n'ont pas leur place à l'école M. Patrick Gonthier61, de l'UNSA-Education, a attiré l'attention de la mission sur le problème de la revendication de droits spécifiques à l'école en fonction d'appartenance religieuse ou autre en estimant que : « La manifestation d'expression des convictions ne peut être fondée sur une différence de droits, laissée à l'appréciation des établissements ». Votre Président considère utile de rappeler que le principe constitutionnel d'égalité devant la loi, sans distinction d'origine, de race ou de religion et celui selon lequel les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune, excluent tout différentialisme juridique fondé sur la religion, la coutume ou la tradition familiale. Les revendications dans le cadre scolaire, de droits de dispenses ou d'avantages, en référence à ces spécificités religieuses ou traditionnelles, non seulement sont contraires aux principes fondamentaux de la République, mais tendent à faire de l'école un champ clos d'affrontements reproduisant ceux des adultes, comme cela a été plusieurs fois rappelé devant la mission. M. Hubert Tison62, membre de l'association des professeurs d'histoire et de géographie, a fait état de « tentatives d'ingérence soit d'organisations, soit de personnalités religieuses ou politiques, [qui] se font jour dans les contenus d'enseignement ou dans la formation des maîtres Beaucoup de professeurs font face à ces incidents, d'autres craquent ou passent vite sur les faits controversés pour ne pas susciter de conflits internes ». Ceux ou celles qui croient ainsi affirmer leur liberté religieuse ou leur liberté d'expression mettent gravement en péril la laïcité dont ils se revendiquent en livrant l'école à toutes sortes de pressions communautaristes dont ils pourraient devenir les victimes. Une telle juxtaposition de droits et de situations spécifiques réduirait la laïcité à une simple laïcité d'accueil. L'égalité de tous à travers l'interdiction de toute forme visible d'affichage d'une croyance religieuse ou politique est la véritable garantie de la liberté de conscience. De surcroît, les partisans de ce communautarisme feignent de penser qu'un croyant est nécessairement rattaché et soumis à une communauté constituée. Or de nombreuses études sociologiques démontrent exactement le contraire. Pour toutes les religions, y compris l'islam, les pratiques religieuses en Europe sont fortement individualisées et les croyants sont davantage dispersés qu'organisés, au sein de la société. La démarche communautariste qui vise à enfermer des individus dans un fonctionnement univoque au nom d'une religion n'est en fait qu'un moyen d'exercer un pouvoir politique et moral sur ces individus. Il ne faut jamais perdre de vue, comme cela a été rappelé par plusieurs observateurs devant la mission, que face aux poussées de l'intégrisme religieux, le nombre de pratiquants musulmans en France est minime, sans doute moins de 12 % de la communauté musulmane, selon un article de René Rémond paru dans le journal « La Croix » le 23 juin dernier. Ces chiffres coïncident avec ceux de M. Yves Bertrand63, directeur central des renseignements généraux, lorsqu'il dit que sur les 1 534 mosquées présentes en France, 1 147 accueillent moins de cent fidèles et 12 seulement dépassent le seuil des mille pratiquants. En réalité, les revendications de type communautariste ne reposent actuellement en France sur aucune réalité sociologique et sont un facteur d'agitation politique utilisé par un petit nombre d'individus. A l'inverse, l'individualisation de la conscience qui veut penser par elle-même est une conquête de la pensée européenne en faveur de la liberté individuelle et de la formation d'une réelle identité personnelle. L'effet de contagion des revendications d'un traitement particulier, pour des motifs religieux, ne pourrait qu'aboutir à la disparition de la communauté scolaire au profit de plusieurs petites communautés aux intérêts et aux rythmes divergents. Autoriser le simple port de signes d'appartenance spécifique est, en raison de leur forte valeur symbolique, le point de départ de dérives qui, à terme, mettront à mal le lien social. Il faut donc éviter que les établissements scolaires perdent leur identité principale qui est d'être un lieu d'études et de savoir en devenant des terrains d'expérimentation de revendications identitaires et, occasionnellement, d'affrontements liés à un sentiment d'appartenance communautaire occultant toute réflexion. De même, la violence raciste constatée trop souvent à l'école est une forme de communautarisme. C'est en redonnant à l'école tout son poids et tout son rôle dans la diffusion d'un savoir neutre et supplantant les croyances et les préjugés que l'on fera reculer la détestation de l'autre. L'école publique est aujourd'hui parfois considérée comme un lieu dangereux par certaines familles et il faut impérativement renverser cette tendance. II.- L'ÉCOLE COMME VECTEUR D'INTÉGRATION SOCIALE SEMBLE DE MOINS EN MOINS CRÉDIBLE POUR LES JEUNES DES MILIEUX DÉFAVORISÉS Le Haut conseil à l'intégration, dans un rapport sur l'islam dans la république de novembre 2000, a souligné que de nombreuses manifestions identitaires à l'école et d'hostilité à l'institution, correspondent souvent à des situations d'échec scolaire, voire de détresse sociale. Ce constat a également été fait par de nombreux témoins auditionnés et c'est un aspect du problème que la mission considère comme déterminant. A.- LE REPLI COMMUNAUTAIRE : UNE TENTATION POUR DES JEUNES EN DIFFICULTÉ Les discriminations répétées liées à l'origine réelle ou supposée peuvent conduire les personnes qui en sont victimes, et notamment les jeunes plus sensibles à l'injustice, à rechercher une intégration de substitution dans le recours au communautarisme. L'appartenance à une communauté c'est-à-dire à un groupe social uni par des intérêts communs qui peuvent être de nature très diverse, (religieux, mais aussi culturels ou professionnels ...) est un phénomène structurant, à la fois pour les individus et pour la collectivité, à la condition qu'il reste associé à la sphère privée. Le communautarisme tend à faire basculer ces intérêts dans la sphère publique, notamment sous la forme de revendications de droits spécifiques. C'est parce que, l'école d'abord puis le marché du travail ensuite, ne jouent plus leur rôle de lieu d'intégration sociale, que les différences culturelles deviennent des handicaps et que la société se cloisonne. 1.- L'échec scolaire frappe lourdement les enfants issus de l'immigration Le fractionnement social de l'espace urbain et périurbain n'est pas un phénomène nouveau. Il est aujourd'hui un facteur de profondes inégalités et de discriminations parce qu'il fait obstacle à la mobilité sociale et géographique. C'est le phénomène de ghetto qui commence à être bien cerné et qui rejaillit sur le fonctionnement de l'école. Mme Hanifa Chérifi64, médiatrice nationale du voile, rappelant le déroulement de la première affaire de voile à Creil en 1989, a évoqué le contexte social de cet établissement scolaire, qu'elle retrouve dans quasiment toutes les affaires pour lesquelles elle intervient comme médiatrice de l'Education nationale. Le principal du collège de Creil parlait de son collège en disant que c'était une « poubelle sociale ». 60 % des élèves de cet établissement n'avaient pas réussi leur examen au BEPC. Selon Mme Chérifi on trouvait là un « concentré » de problèmes sociaux, le voile n'étant finalement qu'un des révélateurs de ces problèmes. Dans un document de contribution au débat sur l'éducation en date du 1er octobre 2003, le Conseil national des villes (CNV) analyse certains aspects des blocages de la politique éducative. Sous l'effet de la « captivité territoriale », et de l'isolement des quartiers, les inégalités entre territoires continueraient de s'accroître. Certains établissements scolaires se trouvent ainsi « spécialisés » sur une base souvent sociale ou ethnique, renforcée par les stratégies d'évitement des familles qui en ont la possibilité. De surcroît, l'investissement en matière éducative (modernisation des infrastructures, accompagnement extrascolaire) varie fortement d'une collectivité à une autre et dépend du niveau des ressources des communes. Le CNV voit dans l'échec scolaire, qui se traduit par le départ chaque année du système scolaire sans diplôme ni qualification de 160 000 élèves65, une des causes de la violence à la fois physique et verbale qui a fait irruption à l'école. Dans un récent rapport66, le Conseil d'analyse économique (CAE) démontre que l'égalité d'accès à l'éducation et à la formation est gravement remise en cause par « le système ségrégatif urbain ». Un premier constat est rappelé : les zones d'éducation prioritaires (ZEP) coïncident à 95,5 % avec les zones urbaines sensibles (ZUS) caractérisées, notamment, par un habitat dégradé, un taux de chômage et de jeunes ayant quitté le système scolaire sans diplôme élevé et une surreprésentation des familles immigrées. Le second constat est que 10 % des établissements scolaires accueillent 90 % des élèves issus de l'immigration. Ces derniers sont majoritaires dans les sections d'enseignement général et professionnel (SEGPA) et dans les filières d'enseignement professionnel du secondaire. Selon le CAE, il en résulte de grandes déceptions, alors que les familles immigrées ont des attentes fortes vis-à-vis de l'enseignement. Ces déceptions peuvent conduire à divers types de réaction de la part des élèves : absentéisme, décrochage, perte d'estime de soi, perte de confiance dans la société, voire obsession identitaire. La probabilité de sortir du système scolaire sans qualification est très liée à l'origine sociale et nationale des parents des élèves. Elle s'échelonne de 1,9 à 30,8 % entre les parents appartenant au corps enseignant et les parents inactifs en passant par 15,6 % pour les ouvriers non qualifiés. Elle est de 8,7 % pour les élèves français et de 15,1 % pour les élèves étrangers avec des variations importantes suivant les nationalités des familles, 14,8 % pour les familles originaires d'Algérie et 12,5 % pour celles originaires du Maroc, par exemple. La proportion des jeunes de 15-24 ans non diplômés est particulièrement élevée au sein des ZUS, elle est de 35 % en moyenne pour atteindre 66 % dans les ZUS de Boulogne et de Calais. 2.- Les discriminations et la perte du sentiment d'appartenance à la République Plusieurs observateurs signalent l'émergence d'un islam des quartiers, fondé sur une culture des cités dont la religion serait une des composantes. Ce phénomène concerne aussi des jeunes, surtout des garçons, issus de familles d'origine française qui se convertissent à l'islam, celui-ci représentant un exutoire à leur mal de vivre. Ces informations sont corroborées par une note communiquée à la mission par le directeur central des renseignements généraux qui fait état de l'expansion du phénomène des conversions à l'islam des jeunes dans le département de l'Essonne, où il y aurait aujourd'hui entre 1 000 et 2 000 convertis. D'après cette note, la propension de ces nouveaux convertis à intégrer des réseaux extrémistes, et notamment des groupuscules salafites, n'est pas négligeable. Cette démarche correspond plus souvent à la recherche d'une famille d'appartenance qu'à une véritable attirance spirituelle. De surcroît et paradoxalement, la médiatisation négative de l'islam, associée, sans réflexion, à la révolte des pauvres dans le monde, séduit des jeunes en voie de marginalisation. La pratique identitaire de la religion musulmane est ainsi le fruit de frustrations sociales et économiques et, pour les jeunes issus de l'immigration, de discriminations inacceptables. On s'aperçoit vite que ce type de positionnement qui revendique le port du voile pour les filles est plus proche de l'idéologie que de la religion. Par exemple, les manifestations d'antisémitisme qui accompagnent trop souvent, notamment en milieu scolaire, les revendications identitaires de certains jeunes musulmans n'ont pas grand-chose à voir avec la pratique religieuse. M. Mohamed Arkoun, professeur spécialiste d'islamologie, entendu par la mission67, n'a pas hésité à parler d'idéologie à propos des sermons dispensés dans les mosquées : « Ces sermons vont davantage dans le sens du combat idéologique - nécessité historique - de tous les musulmans dans le monde et non pas d'une formation théologique qui ouvrirait les croyants à une compréhension ouverte et cohérente de ce qu'est la croyance religieuse dans une société moderne et laïque ». Ce sentiment d'exclusion est aggravé par le fait que les discriminations touchent également les jeunes d'origine maghrébine qui ont réussi leurs études. L'intégration des jeunes français d'origine maghrébine est en difficulté et le taux de chômage, à diplôme égal, est anormalement plus élevé parmi eux, ce qui nourrit évidement beaucoup de frustrations. En mars 2000, une étude du ministère de l'emploi révélait que le taux de chômage des actifs les plus diplômés se situait à 5 % chez les français d'origine, à 11 % chez les français de parents étrangers et à 20 % chez les étrangers d'origine maghrébine. On peut citer à ce propos M. Michel Tubiana68, président de la Ligue des droits de l'homme : « On peut enseigner toutes les valeurs que l'on souhaite à l'école, mais lorsqu'à sa sortie, l'on est systématiquement refusé dans les entreprises parce que votre nom n'est pas de consonance berrichonne ou autre, que cette mésaventure se reproduit au quotidien, pour trouver un appartement ou dans les rapports aux autorités publiques, vous pouvez enseigner toutes les valeurs que vous voulez à l'école, vous n'avez aucune légitimité à les enseigner, tout simplement parce qu'elles sont violées chaque jour à l'extérieur ». Selon lui la vraie question est donc celle de l'intégration. Mme Aline Sylla2, membre du Haut conseil à l'intégration, a fait allusion au monde difficile de l'entreprise « où l'on se prend la discrimination en pleine face (...) plus ce choc est tardif, plus il est mal ressenti : on le voit avec les jeunes diplômés qui, au prix de grands efforts, sont parvenus à entrer dans le système et qui se heurtent à la discrimination quand ils se mettent à chercher du travail ». B.- LE PORT DE SIGNES RELIGIEUX ET POLITIQUES : UNE MANIFESTATION DU COMMUNAUTARISME Parmi les arguments entendus qui réfutent la nécessité d'une intervention législative figure l'idée qu'une telle loi serait prohibitive et répressive. Mais il est au contraire apparu que la loi pourrait avoir un caractère libérateur, notamment pour les élèves musulmanes qui sont opposées au port du voile et qui considèrent que leur identité ne se réduit pas à une appartenance religieuse. Un autre argument favorable au statu quo consiste à dire que l'interdiction du port de signes religieux ou politiques à l'école publique rejetterait les enfants de familles croyantes vers les écoles confessionnelles. Cette crainte semble peu convaincante lorsque l'on constate qu'à l'heure actuelle, les écoles privées croulent déjà sous les demandes d'inscription motivées par les tensions et les conflits divers apparus dans les écoles publiques. M. Shmuel Trigano69, sociologue, a, notamment, évoqué ce problème en disant que l'afflux des demandes d'admission dans les écoles juives, non seulement d'élèves mais d'enseignants, ne correspond pas à un choix positif mais à un choix de sécurité. Quant au foulard islamique, la mission a observé que s'il peut avoir une signification religieuse pour celles qui le portent, il a également bien d'autres motivations, notamment psychologiques, culturelles et politiques. On citera Mme Françoise Gaspard, entendue par la mission2 : « En effet, il n'y a pas un seul voile mais plusieurs : le voile de l'émigrée, qui ne gêne personne ; le voile contraint de certaines petites filles qui le portent ne serait-ce que pour aller jusqu'à l'entrée de l'école ; le voile revendiqué ; le voile de protection, qui protège de la violence des garçons. (...) Par ailleurs, dans la société française, on le constate, il y a des foulards qui vont et viennent, correspondant à des périodes de tension politique, nationale ou internationale ; les foulards avancent, puis dès que le climat se détend, ils reculent - par exemple, les femmes portent plus le foulard pendant le ramadan qu'à d'autres périodes ». M. Bruno Etienne, directeur de l'observatoire du religieux à l'IEP d'Aix-en-Provence, a, par exemple, déclaré à la mission70 que le port du foulard est négociable, parce qu'il ne s'agit pas d'une obligation canonique. Il est lié aussi à la conception de la pudeur et les enquêtes réalisées mettent surtout en valeur la dimension identitaire du port du foulard, à savoir la recherche de reconnaissance. Le port du voile relève de stratégies hostiles à l'intégration et il n'est pas sans intérêt de ce point de vue de rappeler, comme l'ont fait différents interlocuteurs, que ces coiffures et tenues sont apparues au moment même où, en France, les jeunes filles de familles maghrébines remportaient de plus grands succès que leurs frères dans leur scolarité et que grâce à l'école, elles s'intégraient réellement, sans grands problèmes. C'est en effet précisément dans ce contexte de rentrée scolaire qu'en 1989 « l'affaire de Creil » a ouvert la polémique et déclenché le trouble dans l'opinion française. 1.- Le port du voile et la quête d'identité Outre que le port du voile n'a pas le même sens à 10 ans, à 13 ans, à 16 ou 20 ans, il résulte de tous les témoignages qu'il est largement polysémique. Le problème de recherche d'identité et de valorisation de l'image de soi de tous ces jeunes garçons et filles tentés par des comportements de repli identitaire est apparu d'autant plus préoccupant à la mission, qu'ils sont français à 95 %, scolarisés à l'école publique depuis leur plus jeune âge et n'ont pourtant pas l'impression d'habiter en France. Le sentiment d'appartenance à la « vraie » culture musulmane correspond à une recherche de valorisation à travers une identité d'origine passablement mythifiée. Le discours des responsables islamistes consiste bien souvent à dévaloriser les pratiques religieuses discrètes et modérées des parents dénoncés comme analphabètes et ignorants. Le phénomène de destruction identitaire chez les jeunes provient très souvent de cette disqualification des parents propagée par les courants islamistes. Mme Chérifi71, médiatrice nationale du voile, explique que de nombreux jeunes d'origine immigrée qui n'adhèrent ni à l'islam des parents ni à la culture de la société française, pensent avoir trouvé une identité islamique de substitution. La grande majorité des personnalités entendues par la mission ont considéré que la revendication des jeunes filles qui portent un voile est plus identitaire que religieuse. D'ailleurs, aucun des représentants de la religion musulmane auditionnés, n'a considéré le port du foulard par les femmes comme une obligation religieuse impérative. De son côté, Mme Chérifi a été catégorique en disant : « Le voile n'est pas un signe religieux, il n'y a pas de signes religieux dans l'islam ». Mme Dounia Bouzar72, chargée de la mission « islam et action sociale » à la protection judiciaire de la jeunesse, a fourni une explication particulière en parlant du « mythe de l'âge d'or » de l'islam. Les jeunes d'origine musulmane ont de plus en plus tendance à penser que l'islam a été précurseur, ce qui entraîne une « sublimation des textes et renforce une vision apologétique qui conduit certains à dire que le Prophète était féministe avant l'heure et à chercher qui, le premier, a défendu telle ou telle valeur ». Ce qui ressort majoritairement de toutes les auditions réalisées sur le sens du port du foulard, c'est d'une part, une profonde ignorance des élèves musulmans, comme des autres, des fondements de leur propre religion, et des religions en général, et d'autre part, pour les jeunes musulmanes, le désir de faire reconnaître par la société française une religion trop ignorée et trop invisible. Par ailleurs, le fait de se manifester comme appartenant à une confession peut en fait tenir lieu d'identité, à un moment donné de l'évolution de la personnalité. Les adolescentes, parfois très jeunes, concernées par le port d'un foulard sont tiraillées entre de multiples contradictions. Celles liées à leur âge, celles liées à leur environnement familial et social et celles découlant de leurs obligations scolaires. La mission a souvent eu le sentiment qu'un interdit clair et précis pourrait être ressenti comme un soulagement, car, comme l'a souligné Mme Wassila Tamzali73, présidente du forum des femmes de la Méditerranée-Algérie, le voile est un obstacle à l'égalité des chances entre les filles et les garçons. Ainsi, le port de signes religieux privilégie, et parfois même réduit, l'identification de soi à la composante religieuse, c'est d'ailleurs pour cette raison qu'il constitue, dans l'espace scolaire, une atteinte à la laïcité. 2.- Le port du voile, la ghettoïsation et la montée de la violence M. Dominique Borne, doyen de l'inspection générale de l'éducation nationale, et M. Yvon Robert, chef de service de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale et de la recherche, ont été chargé d'une mission de réflexion sur l'idée républicaine, la laïcité et la lutte contre le communautarise. Auditionné par la mission74, M. Borne a indiqué que lorsqu'il y a croissance du nombre de jeunes filles portant le voile au sein d'établissements scolaires, elle se situe dans des lieux très particuliers, ghettoïsés, proches de cités où la non mixité sociale entraîne des problèmes forts dans les collèges et les lycées. Beaucoup de témoignages relèvent une montée de la violence des garçons à l'égard des filles et celles-ci expliquent que le port du voile est une protection contre les comportements masculins agressifs et sexistes dans certains quartiers. Le voile et l'appartenance communautaire serviraient ainsi de bouclier protecteur. Mme Françoise Gaspard75, co-auteur de l'ouvrage « Les foulards de la République », fait également ce constat et aborde un autre aspect du phénomène de ghettoïsation en observant que les problèmes naissent souvent dans les établissements situés dans des quartiers socialement difficiles, où il y a une très forte rotation des enseignants et où ces derniers arrivent le matin pour repartir le soir. Ils n'ont, par conséquent, aucun lien avec le quartier, ils ne rencontrent pas les familles comme c'était, explique Mme Gaspard, « le cas de mon temps quand le professeur de mathématiques s'inquiétait auprès de ma mère, sur le marché, de l'évolution de mes études ». Mme Fadela Amara76, présidente de l'association « Ni putes ni soumises » a expliqué à la mission que des mouvements intégristes contribuent fortement à ce que les jeunes filles des cités portent le voile, souvent sans l'assentiment des parents mais avec le renfort des grands frères qui, depuis les années 90, se substituent aux pères et imposent leur autorité. Selon elle, les dérives des ghettos sont un véritable terreau qui nourrit toutes les formes d'intégrisme, qui renforce le sentiment d'injustice et d'exclusion perçu dans les cités et qui empêche une partie de la jeunesse de s'inscrire notamment dans ce que l'on appelle « le sentiment d'appartenance à la nation ». Enfin la mission a entendu avec émotion le témoignage de Mlle Kaïna Benziane77, sœur de Sohane Benziane, morte brûlée vive au pied de la tour où elle vivait à Vitry-sur-Seine, le 25 mars 2002. Lors de la reconstitution des faits, des applaudissements ont accueilli la sortie de la fourgonnette de police du petit « caïd » de 19 ans, suspecté d'avoir aspergé Sohane d'essence. Melle Benziane a indiqué que de plus en plus de jeunes filles avec lesquelles elle a grandi se tournent vers le voile, non pas par conviction religieuse, mais pour se protéger ou montrer qu'elles sont les « vraies femmes musulmanes ». En effet, pour bon nombre de garçons, une femme est avant tout une musulmane. Pour eux, quels que soient leur pays, leur civilisation ou leur culture, les femmes doivent porter le voile. Elle a précisé qu'elle est musulmane et fière de l'être, mais que cela ne suffit pas à constituer sa personnalité, contrairement à certains qui considèrent qu'être musulman est la seule composante d'un individu. Elle a ajouté « Je ne veux plus entendre ce que me disent certains garçons à chaque fois que je les rencontre, à savoir que si ma soeur avait choisi son statut de jeune fille musulmane et avait porté le voile, elle ne serait pas morte ». 3.- Le port du voile et le statut des femmes dans la société Certaines jeunes filles affirment que le port du voile constitue pour elles une forme d'émancipation et de liberté. Pourtant, beaucoup d'interlocuteurs de la mission, et surtout des femmes, ont affirmé que le conditionnement social des femmes et leur enfermement dans un statut d'infériorité par rapport aux hommes est à la base de l'exigence ou de la « recommandation » du port du voile formulée par certains prédicateurs. Nombreux sont ceux qui pensent qu'imposer le voile aux petites filles à l'école est un obstacle à l'égalité des chances. Par exemple, M. Patrick Gonthier78, de l'UNSA-Education, considère que « l'institution scolaire se doit de rester neutre et laïque, la manifestation des convictions religieuses de quelques-uns pouvant aussi porter atteinte aux droits et libertés d'autres. Ainsi, certaines jeunes filles disent ne plus pouvoir supporter d'être considérées, dans l'école, comme l'antithèse de celles qui portent le foulard. La liberté des uns ne peut ni porter atteinte à celle d'autres, ni à la mixité et à l'égalité de tous ». Comme toutes les formes d'endoctrinement, il s'agit de faire un détour par une référence valorisante à la religion et à la pudeur, afin que les femmes s'approprient cet instrument de leur propre aliénation. Leur parcours scolaire peut en subir de graves conséquences hypothéquant leur avenir social et surtout, les femmes qui persistent dans leur volonté de porter le voile s'interdisent toute possibilité d'accéder à la fonction publique où il est clairement interdit. Si l'objectif proclamé des partisans du voile n'est pas de maintenir les femmes dans un statut social d'infériorité, c'est en tout cas le résultat qui est obtenu. Mme Chérifi79 a rappelé que, pour les fondamentalistes, la société devrait être gérée en séparant les hommes et les femmes. Pour que cette séparation, au nom de la préservation de la pudeur des femmes, soit effective, il faut, si l'on ne peut pas la mettre en pratique comme dans les pays qui appliquent la charia, trouver d'autres formes de séparation. Le voile est une forme de négation de la mixité dans la société. Mme Annie Sugier80, présidente de la Ligue internationale des droits de la femme, considère que le port du voile est à la fois un signe religieux et un signe de ségrégation envers les femmes. Pour les fondamentalistes, la femme serait, par sa sexualité, source de désordre social. Si elle sort de la maison, elle doit être couverte. Mme Sugier a cité le sport comme exemple du mécanisme de l'exclusion des femmes par le voile. Dans les pays où le port du voile est obligatoire, aucune femme ne participe aux compétitions sportives, notamment aux Jeux olympiques. On retrouve le même phénomène avec l'exclusion des élèves des piscines et des terrains de sport. Votre Président rappelle, à ce sujet, qu'une question a été posée (le 4 novembre 2003) par notre collègue M. Damien Meslot, au ministre des sports, sur la montée du communautarisme et des dérives qui frappent aujourd'hui certains milieux associatifs et sportifs, avec notamment les pratiques ségrégatives dans les piscines et les gymnases. M. Jean-François Lamour a répondu en confirmant que certains clubs sportifs sont devenus des lieux de repli identitaire et communautaire, voire de prosélytisme et qu'un groupe de travail a été mis en place pour mieux décrire les mécanismes qui empêchent les jeunes femmes d'intégrer les clubs sportifs et aider les dirigeants bénévoles et les élus à mieux comprendre ces mécanismes et à trouver des solutions. Toutes ces analyses ont été confirmées par M. Slimane Zeghidour81 journaliste, auteur de l'ouvrage « Le voile et la bannière », qui a dénoncé l'aspect aliénant du voile, lequel est pour le moins, l'une des expressions de l'infériorité juridique de la femme, inscrite dans les textes coraniques comme dans les textes du talmud. 4.- D'autres signes d'appartenance religieuse expriment également un repli identitaire Le port de la kippa dans les établissements scolaires semble mieux toléré que le voile par les enseignants, mais surtout il est beaucoup moins fréquent dans les écoles publiques en raison de l'existence d'un nombre non négligeable d'écoles juives sous contrat où ce port est largement répandu. Pour autant, le port de la kippa pose les mêmes problèmes que les autres signes religieux ou politiques du point de vue du respect de la laïcité. M. Olivier Minne82, proviseur du lycée Bergson à Paris, a abordé le port de la kippa en soulignant qu'il ne pose généralement pas de problème dans son établissement, sauf en période d'examens. En ces occasions, il arrive qu'un élève, voire un correcteur, appartenant à un établissement privé de confession israélite, tente d'imposer à son jury le port de la kippa. M. Olivier Minne a relaté que « le 14 mai, un candidat de section professionnelle passant des épreuves d'éducation physique et sportive (EPS) a refusé d'ôter sa kippa malgré la pression forte du jury et de mon adjoint qui gérait le centre d'examen. Il nous a fallu consulter le Service interacadémique des examens et concours (SIEC). Il a été considéré que le règlement intérieur de l'établissement n'était pas opposable en la circonstance, parce que l'examen se passait sous l'autorité du SIEC et non sous celle du chef d'établissement et, qu'au nom du principe d'égalité, l'élève devait être a admis à passer les épreuves, ce qui s'est passé sans encombre ». Mme Chérifi83 a, par ailleurs, fait état de différentes sortes de manifestations identitaires qui tendent à remettre en cause le fonctionnement laïque de l'école. Elle a constaté la montée du problème du port de la barbe, comme signe d'appartenance religieuse, par les jeunes gens. Par référence au Prophète des garçons arrivent avec des djellabas ou des calottes. D'autres refusent de s'asseoir à côté d'une jeune fille. Certains adultes, des pères ou des grands frères, refusent de serrer la main de la chef d'établissement parce qu'elle est une femme. On voit également des jeunes filles arrivées le visage voilé aux examens. A propos de la croix catholique à l'école, Mme Linda Weil-Curiel84, avocate de la Ligue internationale des droit de la femme, répondant à une question a indiqué qu'elle doit être interdite si elle est ostentatoire c'est-à-dire si elle est se voit à l'extérieur ou est agressive. Elle a complété sa réponse dans les termes suivants : « Puisque le voile, le foulard, la calotte, la barbe des musulmans ou les bouclettes des juifs orthodoxes expriment une appartenance religieuse qui n'échappe pas aux regards, il est nécessaire de les interdire indistinctement à l'école ». C.- LES FONDAMENTALISMES RELIGIEUX EN TOILE DE FOND L'analyse de Mme Chérifi1 est notamment très claire sur ce point « Le voile en Arabie Saoudite, en Iran ou aujourd'hui dans les pays d'Europe, est une référence exclusive aux courants fondamentalistes. C'est la version fondamentaliste du Coran. » M. Dominique Borne85, doyen de l'inspection générale de l'éducation nationale fait la même analyse lorsqu'il constate que l'extension du port du voile est parallèle aux crises internationales qui touchent l'islam. Mme Bétoule Fekkar-Lambiotte86, membre du comité de conservation du patrimoine cultuel, estime que le voile est le symptôme d'une maladie de l'islam qui voudrait garder son authenticité au nom de « la pureté des commencements ». M. Abdelwahab Meddeb1, professeur d'université, auteur de l'ouvrage « Les maladies de l'islam », également entendu par la mission considère que nous assistons à l'émergence d'un « voile idéologique ». « Le voile devient le même de Djakarta à Paris en passant par New-York et Londres. Le voile devient un signe idéologique et de propagande politique » Mme Fadela Amara87, présidente de la fédération « Maison des potes » n'hésite pas à parler « des soldats du fascisme vert [qui] travaillent dans nos cités pour installer un Etat islamique dans notre pays. Ces personnes sont en contact avec nos jeunes. Et les jeunes filles qui portent le voile n'ont pas toutes la volonté de le porter comme étendard politique pour un projet de société qui n'a rien à voir avec notre République ; beaucoup d'entre elles sont entraînées dans ce fameux travail de communication. » 1.- Les associations intégristes occupent l'espace laissé vacant dans les cités L'intégrisme consiste à instrumentaliser une religion pour asseoir un pouvoir politique. Selon Mme Hanifa Chérifi88, le phénomène du voile n'est rien d'autre que la conséquence du travail de prosélytisme des islamistes dans les quartiers, dans un contexte social très défavorisé. Elle ajoute : « Contrairement à la thèse souvent entendue, le voile n'est pas le signe d'une appartenance religieuse musulmane. C'est le signe de l'appartenance à l'islam fondamentaliste. Le port du hidjab peut être subi ou assumé volontairement par les femmes, cela ne change rien à la nature de ce voile. Si certaines jeunes filles ou femmes disent l'avoir adopté librement, il faut regarder le milieu dans lequel elles évoluent. L'ambiance générale dans certains quartiers est marquée par un retour aux normes islamiques. Dans certains contextes, c'est désormais la version de l'islam fondamentaliste qui prime et s'impose comme norme à l'ensemble, avec un véritable contrôle social des membres. Contrôle social qui s'exerce notamment sur les femmes. ». La médiatrice considère que le problème excède largement l'école et que si l'on ne tente pas de réduire l'influence des islamistes dans les quartiers, par des réponses sociales, par une meilleure connaissance de leur discours, en opposant un contre discours qui valorise l'intégration, toutes les lois que l'on pourra voter ne suffiront pas à réduire le phénomène. 2.- La lutte des femmes musulmanes pour leur émancipation en France et dans le monde passe par l'opposition au voile Mme Chahdortt Djavann, dans son livre « Bas les voiles », rappelle les conditions dans lesquelles la révolution islamique en Iran a imposé le port du voile à toutes les femmes, dans tout le pays, dans toutes les écoles y compris les écoles primaires : « c'était le voile ou la mort ». Elle parle des femmes tirées par les cheveux, jetées à terre, frappées dans les rues de Téhéran parce qu'elles ne voulaient pas porter le voile. Pour elle qui l'a porté 10 ans, le voile abolit la mixité de l'espace et limite de façon radicale l'espace féminin. Il convient de rappeler que la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, signée à New York le 1er mars 1980, entrée en vigueur en France le 13 janvier 1984, demande aux Etats de modifier les schémas et modèles de comportement socio-culturels de l'homme et de la femme en vue de parvenir à l'élimination des préjugés et des pratiques coutumières ou de tout autre type qui sont fondés sur l'idée de l'infériorité de la femme. Selon Mme Chérifi89, le voile n'est jamais émancipateur. Le monde musulman est vaste, il compte 1 milliard de personnes dans des pays différents, et les gens s'habillent selon leurs traditions locales et selon les traditions du pays. Le voile en Arabie Saoudite, en Iran ou aujourd'hui dans les pays d'Europe, est une référence exclusive aux courants fondamentalistes. C'est la version fondamentaliste du Coran. Selon les fondamentalistes, le corps de la femme perturberait tellement les rapports sociaux qu'à défaut de réclusion, celle-ci doit être entièrement couverte lorsqu'elle sort de sa maison. C'est le cas de l'Arabie Saoudite où les femmes sont entièrement couvertes, comme de l'Afghanistan avec le tchadri. Cela concorde avec l'approche de Mme Camille Lacoste-Dujardin90, ethnologue spécialiste du Maghreb, qui qualifie le voile d'uniforme politico-religieux moderne. Elle a précisé qu'il est apparu à la suite de la révolution iranienne, donc en 1980, sous un nouveau nom « hidjab », celui qui cache. Il est prescrit dans le monde aux femmes qui adhèrent aux valeurs de l'idéologie islamiste. Il est un signe d'adhésion à ces mêmes valeurs politico-religieuses. Dans de nombreux pays musulmans le voile est un enjeu entre les modernistes et les conservateurs et ce combat peut rejoindre celui pour la démocratie. C'est ce que dit Mme Wassila Tamzali91, avocate franco-algérienne : « les sociétés du sud méditerranéen sont restées figées sur une attitude fondée sur l'apartheid des femmes, c'est-à-dire l'empêchement de circuler des femmes. Je ne joue pas avec les mots. Il s'agit bien de la culture de mon pays que nous sommes en train d'essayer de vaincre ». Mme Elisabeth Roudinesco92, psychanalyste, partage cet avis « En interdisant le port du voile à l'école, nous favoriserions la lutte des femmes musulmanes en faveur de la laïcité dans les pays islamiques. Nous étions opposés à la pratique de l'excision et de la polygamie, nous les avons interdites. Il faut toujours favoriser ce qui peut être émancipateur. Si le voile est autorisé, les jeunes filles qui le portent n'auront plus aucun recours lorsqu'elles souhaiteront l'enlever et qu'elles seront sous l'emprise de leurs familles ». Mlle Kaïna Benziane93 a évoqué la situation des femmes en Algérie, évoquant des femmes de sa famille qui se sont battues contre le port du voile. « Je trouve dramatique que, dans un pays comme le nôtre où la laïcité et l'égalité sont des principes qui permettent d'être libres, de s'exprimer et de vivre ensemble, on tolère le port du voile, notamment dans des institutions où c'est le « vivre ensemble » qui fait que l'on existe ». 3.- Les conflits internationaux et l'exacerbation des violences chez les jeunes On assiste depuis quelque temps en France et en Europe à l'intériorisation des évènements internationaux, ce que certains qualifient de « globalisation des émotions ». Une part importante des problèmes de manifestation du communautarisme à l'école est liée à la situation internationale et notamment au conflit israélo-palestinien. Beaucoup d'enseignants notent la coïncidence entre l'irruption des voiles, des kippas et des keffiehs, parfois associés à des violences, avec le début de la deuxième Intifada en 2001. La dramatique méconnaissance culturelle, politique et religieuse des problèmes conduit de nombreux jeunes à identifier leur propre malaise aux actions les plus indéfendables et à de véritables détournements des valeurs religieuses. D'autres événements comme la première guerre du Golfe, les attentats du 11 septembre 2001 ou, plus récemment, la guerre en Iraq ont coïncidé avec l'observation d'une recrudescence d'incidents à l'école. Un chef d'établissement a décrit ces faits en insistant sur la vision binaire du monde qui est très souvent celle des élèves. Ils sont traversés par ces évènements comme toute notre société et comme ils sont beaucoup plus sensibles, beaucoup moins armés et cultivés, ils se servent de tout ce qui passe pour tenter de se repérer. Selon ce proviseur, les incidents comme le port de signes religieux, ou les problèmes de communautarismes et les manifestations de racisme sont des signes d'alerte de quelque chose qui dépasse singulièrement la question de savoir s'il faut ou non tolérer le voile. * * * * * * * * Au vu de l'ensemble de ces faits, de ces témoignages et de ces analyses, la très grande majorité des membres de la mission d'information a estimé qu'une loi est nécessaire - même si elle n'est pas suffisante - et qu'il faudra l'appliquer avec souplesse. Une loi rappelant les exigences de la laïcité à l'école ne pourra, en effet, n'être que plus protectrice et émancipatrice que la situation juridique qui prévaut actuellement. Voir la suite du tome 1 du rapport N° 1275 - Rapport sur la question du port des signes religieux à l'école (Tome I) (M. Jean-Louis Debré) 1 Selon un sondage BVA de novembre 2003, 43 % des Français estiment que les pouvoirs publics ne défendent pas la laïcité avec suffisamment de détermination (cf. annexe 1). 2 Président honoraire de l'Ecole pratique des hautes études et titulaire de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité ». 3 Cette solution a finalement été préférée à la possibilité que le catéchisme puisse être donné à l'école, en dehors des heures de classe, comme le souhaitait Jules Ferry. 4 Le principe de laïcité du personnel enseignant dans le secondaire n'a qu'une valeur coutumière consacrée par l'arrêt Abbé Bouteyre du Conseil d'Etat (10 mai 1912). 5 Cf. Maurice Barrès, Les Déracinés, 1897. 6 Art. 91. - Sous réserve du maintien de la liberté d'enseignement, qui est un des principes fondamentaux de la République, par extension des dispositions de l'article 157 de la loi de finances du 16 avril 1930, instituant la gratuité de l'externat dans les classes de sixième de tous les établissements d'enseignement secondaire de l'Etat, les rétributions scolaires de l'externat simple cesseront d'être perçues, à dater du 1er octobre 1931, pour les élèves des classes de cinquième des mêmes établissements. [...] 7 L'établissement a également la possibilité de solliciter un contrat portant sur certaines classes seulement et non sur l'ensemble de l'établissement. 8 Ce régime est notamment organisé par certaines dispositions de droit allemand (loi du 12 février 1873 et ordonnance du Chancelier du 10 juillet 1873). 9 Les Terres australes et antarctiques françaises font également partie de cette catégorie administrative. Etant donné la spécificité de ce territoire, la question de l'application du principe de laïcité ne s'y pose pas. 10 Art. L. 141-1. - Comme il est dit au treizième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 confirmée par celui de la Constitution du 4 octobre 1958, « la Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation et à la culture ; l'organisation de l'enseignement public gratuit et laïque à tous les degrés est un devoir de l'Etat ». 11 Art. L. 141-3. - Les écoles élémentaires publiques vaquent un jour par semaine en outre du dimanche, afin de permettre aux parents de faire donner, s'ils le désirent, à leurs enfants l'instruction religieuse, en dehors des édifices scolaires. L'enseignement religieux est facultatif dans les écoles privées. 12 Art. L. 141-5. - Dans les établissements du premier degré publics, l'enseignement est exclusivement confié à un personnel laïque. 13 George Washington, premier Président des Etats-Unis, initia cet usage, lequel fut repris par tous ses successeurs, sans exception. 14 « Avant d'entrer en fonctions, [le Président] prêtera le serment ou prononcera la déclaration qui suit : « Je jure solennellement que je remplirai fidèlement les fonctions de Président des Etats-Unis et que, dans toute la mesure des mes moyens, je sauvegarderai, protégerai et défendrai la Constitution des Etats-Unis. » (Constitution du 17 septembre 1787, article 2, section 1 paragraphe 7). 15 La devise est apparue pour la première fois sur les pièces de deux cents en 1864. En 1955, sur la proposition du député de Floride, M. Charles E. Bennett, l'inscription fut étendue à toute la monnaie (pièces et billets), puis, l'année suivante, le 30 juillet 1956, toujours sur la proposition du même député, le Congrès en fit la devise officielle des Etats-Unis. Cette devise a été contestée à de nombreuses reprises devant les tribunaux mais ceux-ci, et notamment la Cour suprême, en 1977, ont systématiquement entériné son usage. 16 « Le Congrès ne fera aucune loi relativement à l'établissement d'une religion ou en interdisant le libre exercice [...] » (1er amendement à la Constitution du 17 septembre 1787). 17 Cette étude, menée dans le cadre de la mission de M. Régis Debray sur l'enseignement du fait religieux, porte sur les pays suivants : l'Autriche, la Belgique, la Bulgarie, le Danemark, l'Espagne, la Finlande, la Grèce, la Hongrie, l'Italie, le Luxembourg, le Portugal, la République Tchèque, le Royaume-Uni, la Suisse et la Suisse (cf. tableau en annexe n° 3). 18 Cf. tableau en annexe 3. 19 Avec la Tunisie. 20 Ce dispositif juridique est très strictement appliqué, hormis dans certaines régions très fortement islamisées où certains chefs d'établissement peuvent « fermer les yeux ». 21 La Convention était composée de 105 membres. 22 Le PPE dispose de 232 sièges sur un total de 624. 23 Dans les années 30, plusieurs circulaires avaient interdit le port d'insignes politiques (circulaire du 12 avril 1935 relative à la propagande politique, circulaire du 1er juillet 1936 relative aux ports d'insignes, circulaire du 31 décembre 1936 relative à la répression de l'agitation politique parmi les élèves). 24 Table ronde du 1er juillet 2003 25 Audition du 1er juillet 2003 26 Sorte de vade-mecum à l'adresse des jeunes filles portant le voile pour les aider à combattre les décisions de l'administration qui leur seraient défavorables. 27 Table ronde du 30 septembre 2003 28 Table ronde du 29 octobre 2003 29 Table ronde du 30 septembre 2003 30 Audition du 25 juin 2003 31 Table ronde du 30 septembre 2003 32 Audition du 12 novembre 2003 33 Audition du 19 novembre 2003 34 Audition du 11 juin 2003 35 Audition du 24 juin 2003 36 Audition du 25 juin 2003 37 Table ronde du 8 juillet 2003 38 Audition du 24 juin 2003 39 Audition du 25 juin 2003 40 Audition du 25 juin 2003 41 Table ronde du 1er juillet 2003 42 Table ronde du 1er juillet 2003 43 Table ronde du 22 octobre 2003 44 Table ronde du 16 septembre 2003 45 Table ronde du 22 octobre 2003 46 Table ronde du 29 octobre 2003 47 Audition du 9 juillet 2003 48 Audition du 11 juin 2003 49 Audition du 24 juin 2003 50 Audition du 22 octobre 2003 51 Table ronde du 22 octobre 2003 52 Audition du 11 juin 2003 53 Table ronde du 30 septembre 2003 54 Table ronde du 17 septembre 2003 55 Table ronde du 30 septembre 2003 56 Audition du 11 juin 2003 57 Table ronde du 30 septembre 2003 58 Table ronde du 30 septembre 2003 59 Table ronde du 30 septembre 2003 60 Audition du 11 juin 2003 61 Table ronde du 30 septembre 2003 62 Table ronde du 30 septembre 2003 63 Audition du 9 juillet 2003 64 Audition du 11 juin 2003 65 Ce chiffre a également été cité par le ministre de l'éducation nationale dans son discours sur le projet de budget de la jeunesse et de l'enseignement scolaire pour 2003, le 22 octobre 2002 à l'Assemblée nationale. 66 Ségrégation urbaine et intégration sociale, novembre 2003 67 Table ronde du 17 septembre 2003 68 Table ronde du 24 septembre 2003 69 Table ronde du 29 octobre 2003 70 Table ronde du 16 septembre 2003 71 Audition du 11 juin 2003 72 Table ronde du 16 septembre 2003 73 Table ronde du 17 septembre 2003 74 Audition du 24 juin 2003 75 Table ronde du 16 septembre 2003 76 Table ronde du 17 septembre 2003 77 Audition du 9 octobre 2003 78 Table ronde du 30 septembre 2003 79 Audition du 11 juin 2003 80 Audition du 9 octobre 2003 81 Table ronde du 17 septembre 2003 82 Table ronde du 1er juillet 2003 83 Audition du 11 juin 2003 84 Audition du 9 octobre 2003 85 Audition du 24 juin 2003 86 Table ronde du 17 septembre 2003 87 Table ronde du 24 septembre 2003 88 Audition du 11 juin 2003 89 Audition du 11 juin 2003 90 Table ronde du 17 septembre 2003 91 Table ronde du 17 septembre 2003 92 Audition du 11 juin 2003 93 Audition du 9 octobre 2003 © Assemblée nationale |