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le  19 mai 2004

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N° 1595

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 12 mai 2004.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR LE PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE (N° 992) relatif à la Charte de l'environnement,

PAR Mme Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET,

Députée.

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Voir le numéro : 1593.



Introduction

I. -  Vers une nouvelle dimension Écologique : un texte nÉcessaire

A. LA PRISE DE CONSCIENCE DE LA GRAVITÉ ET DE LA GLOBALITÉ DES MENACES À L'environnement

1. Des menaces devenues planétaires

2. La conscience d'un devenir commun de l'humanité

3. Une forte demande sociale

B. un « droit millefeuille »

1. Une « prolifération juridique » : grandes lois et politiques sectorielles

2. La « loi Barnier » : un texte précurseur devenu insuffisant

3. L'écologie saisie par le droit

C. trente ans de tentatives de consÉcration constitutionnelle

1. 1975-1977 : la proposition de loi constitutionnelle sur les libertés élaborée par la « commission Edgar Faure »

2. Une longue série d'initiatives parlementaires

3. Une lacune grave et persistante du « bloc de constitutionnalité »

D. LE PARACHÈVEMENT EN DROIT FRANÇAIS d'une évolution du droit international

1. Conférences et accords internationaux : un « droit faible »

2. Le développement des politiques communautaires

3. La primauté du droit européen sur la loi ordinaire

II. -  la rÉvision constitutionnelle : progrÈs du droit et sÉcuritÉ juridique

a. une rÉvision constitutionnelle n'est pas une loi comme les autres

1. Les adaptations de la procédure législative de droit commun

2. La marge d'initiative très étendue du pouvoir constituant dérivé

3. Un impératif de clarté et de concision

4. Au sommet de la hiérarchie des normes

5. La conciliation entre normes de valeur constitutionnelle

b. 2004 : une rÉvision pas comme les autres

1. La préparation : un exercice de démocratie participative

2. Les droits de l'homme de la troisième génération : droits, devoirs et responsabilités

3. La première proclamation de droits sciemment inscrite dans le « bloc de constitutionnalité »

4. Le législateur conforté

5. Les juges guidés

6. La recherche et l'éducation encouragées

7. Le rôle exemplaire de la France

Discussion générale

examen des articles

Avant l'article premier

Article premier Modification du Préambule de la Constitution

Après l'article premier

Article 2 Charte de l'environnement

1. Une Charte, consécration solennelle d'un contrat de confiance

2. Les considérants : la partie déclaratoire de la Charte

3. L'expression d'une écologie humaniste

Premier et deuxième considérants

Troisième considérant

Quatrième considérant

Cinquième considérant

Sixième et septième considérants

Article premier de la Charte Droit à un environnement de qualité

1. Les titulaires du droit : les personnes physiques

2. Un « droit-créance »

3. Une extension de la compétence du législateur

4. La force normative du nouveau droit : un objectif de valeur constitutionnelle

5. Le contenu du droit : 1er volet : un environnement équilibré

6. Le contenu du droit : 2e volet : un environnement favorable à la santé

7. Un droit nouveau

Article 2 de la Charte Devoir de préservation et d'amélioration de l'environnement

1. Une nouveauté relative : l'affirmation d'un devoir dans la Constitution

2. Un objectif assigné au législateur

3. L'environnement est l'affaire de tous les sujets de droit

4. Un devoir d'action dynamique : préservation et amélioration

5. Un risque contentieux illusoire

Article 3 de la Charte Devoir de prévention

1. Un objectif de portée générale

2. Une étendue réaliste

Article 4 de la Charte Devoir de réparation

1. Les dommages couverts : un domaine plus large que le principe pollueur-payeur

2. L'étendue et les modalités de la réparation : un large pouvoir d'appréciation du législateur

3. Pas de régime spécifique de responsabilité

Article 5 de la Charte Principe de précaution

A. Un principe d'action

1. Une émergence progressive

2. À législation imparfaite, jurisprudence tâtonnante

3. Confusions et mauvaises interprétations

B. L'article 5 : Un rÉgime strictement dÉfini

1. Une mise en œuvre exceptionnelle, soumise à trois conditions

2. Des règles de procédure strictement définies

C. Un principe constitutionnel directement applicable, Un principe d'action

1. L'intervention facultative du législateur

2. L'application des règles usuelles du contentieux de la légalité et de la responsabilité

Article additionnel après l'article 5 de la Charte

Article 6 de la Charte Promotion d'un développement durable et intégration dans les politiques publiques

1. Consécration constitutionnelle du développement durable

2. Consécration de l'objectif d'intégration de l'environnement dans les politiques publiques

3. La question de la culture : un futur quatrième pilier pour le développement durable ?

Article 7 de la Charte Droits d'information et de participation

1. Des sources internationales complexes

2. Un droit national foisonnant

3. Les bénéficiaires des droits reconnus par l'article 7 : une définition large

4. La distinction claire entre information et participation

5. Des conditions et des limites établies par le législateur

6. La question du droit d'accès à la justice : un ajout superflu

Article 8 de la Charte Éducation et formation à l'environnement

Article 9 de la Charte Concours de la recherche et de l'innovation à l'environnement

1.  Proclamer le rôle éminent de la recherche et de l'innovation

2.  Tout le champ de la recherche

3.  Un objectif de participation

4.  La place de l'article n'est pas déterminante

Article 10 de la Charte Action européenne et internationale de la France

1.  Une lacune du droit français et des constitutions étrangères

2.  Un objectif de fond, de portée étendue

Article additionnel après l'article 2 Extension du champ de compétences du domaine de la loi fixé à l'article 34 de la Constitution

TABLEAU COMPARATIF

ANNEXE AU TABLEAU COMPARATIF

Amendements non adoptés par la Commission

auditions EN commission

personnes et organisations entendues par le rapporteur

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

La Charte pour quoi faire ?

La Charte de l'environnement s'inscrit dans notre vie parlementaire à l'envers de la banalité. Les dispositions juridiques qui la composent sont autant de formules novatrices. Les objectifs constitutionnels et le principe qui figurent dans ce texte comblent des lacunes que le législateur a plusieurs fois souhaité supprimer depuis trente ans. Ils permettent à la France de reprendre l'initiative et de constituer de nouvelles références dans le monde face aux événements d'une dimension inattendue qui menacent aujourd'hui la nature.

Nos sociétés ne peuvent ni ne doivent se résoudre à renoncer au progrès. Pourtant l'écologie a révélé ces dernières années les limites de notre modèle économique et social. L'aporie de certains modes de développement ne peut plus être ignorée.

Le Président de la République a donné l'impulsion indispensable pour que le débat sur ces questions ait enfin lieu. A plusieurs reprises, en France et lors des négociations internationales les plus significatives, il a été le porte-parole dénonçant les risques et proposant les solutions. Le Premier ministre, en résonance avec les engagements présidentiels, a lancé les travaux de la commission Coppens qui ont permis de préciser le contenu et la portée de ce grand texte constitutionnel.

Mais la complexité de ce sujet interdit d'imaginer que nous avons atteint le point d'aboutissement ou d'équilibre des extraordinaires bouleversements qui s'opèrent actuellement et qui mettent en jeu la relation profonde et quotidienne entre l'homme et la nature, qui engagent l'avenir même de nos conditions de vie et de celles des générations futures.

C'est pourquoi la Charte, loin d'apporter une solution définitive, intégrale et préfabriquée, inaugure un vaste mouvement politique et lance un défi juridique. De cette nouvelle étape, le législateur sera le maître d'œuvre. La Charte, en fixant des objectifs constitutionnels aussi nouveaux, appelle le Parlement à décliner dans la loi cette ambition. Pour cette raison l'amendement introduit lors des discussions en Commission à l'article 34 de la Constitution, intégrant l'environnement dans le champ de compétences du législateur, est important.

Mais la question environnementale sert aussi de révélateur et renvoie les débats à venir à une question essentielle : la réinvention de l'idée de progrès. C'est une vieille idée moderne. Paul Valéry écrivait en 1945 dans Regards sur le monde actuel : « À l'idole du Progrès répondit l'idole de la malédiction du Progrès ; ce qui fit deux lieux communs ».

De ces lieux communs, la Charte peut nous garder. Elle crée en effet une séquence nouvelle dans le droit contemporain par un principe et des objectifs constitutionnels qui, ici ou là, au Portugal, en Espagne, au Brésil, en Équateur, dans la jurisprudence des cours européennes, sont reconnus mais qui, nulle part, ne composent une telle architecture et ne bénéficient d'une telle cohérence. La Charte propose l'inscription d'une autre génération de droits de l'homme, dont le motif est le respect de l'autre par l'ouverture d'un chantier juridique qu'aucun gouvernement n'avait encore osé entreprendre, celui d'une requalification des responsabilités individuelles et collectives face aux drames écologiques en ce début de XXIe siècle.

La Charte, par sa rédaction équilibrée, est encore plus un exercice de lucidité et marque fortement une intention essentielle : offrir à chacun, acteur économique ou social, autorité publique, une réelle capacité à prévoir. Or, la tentation ultime de notre monde organisé est d'écarter les paravents, de refuser les surprises, de dégager des rationalités alternatives. L'enjeu est considérable, la tâche paraît chaque jour impossible.

Le principe de précaution, qui aura fait l'objet des discussions les plus aiguës, témoigne de cette démarche fondatrice pour animer notre pacte républicain face à ces impératifs dramatiques ou tragiques, inattendus. Car là est la gageure : les secousses écologiques sont multiples, les atteintes aux grands équilibres naturels suffisamment graves pour apparaître comme des convulsions dans la relation intime que nous entretenons chaque jour avec le progrès. C'est peut-être notre capacité à survivre qui est sans cesse à reconquérir. Pierre Teilhard de Chardin l'a déjà si bien écrit : « la véritable difficulté posée par l'Homme n'est pas de savoir s'il est le siège d'un Progrès continué : mais c'est bien plutôt de concevoir comment ce Progrès va pouvoir se poursuivre longtemps, au train dont il va, sans que la Vie n'éclate sur elle-même ou ne fasse éclater la Terre sur laquelle elle est née ».

Nous sommes placés, bon gré mal gré, sur cet arc de tension qui nous contraint désormais à trouver de nouvelles voies du progrès. La Charte apporte une contribution considérable à l'affirmation de notre modèle de société, à son confortement, à son évolution. À la lecture des neuf objectifs constitutionnels et du principe de précaution, se dégage le projet d'un ordre juridique nouveau, appliqué à l'environnement et qui répond à trois caractéristiques nécessaires qui font de cette Charte un texte pragmatique, flexible et interprétatif.

Enfin, et c'est peut-être une des missions essentielles d'un texte qui s'intègre dans notre bloc de constitutionnalité, la Charte a une haute valeur pédagogique. Ses dispositions ne prévoient aucune sanction, la Charte entame un droit de la prévision et du partage.

I. -  VERS UNE NOUVELLE DIMENSION ÉCOLOGIQUE : UN TEXTE NÉCESSAIRE

A. LA PRISE DE CONSCIENCE DE LA GRAVITÉ ET DE LA GLOBALITÉ DES MENACES À L'ENVIRONNEMENT

1. Des menaces devenues planétaires

· À la source du droit de l'environnement, il y a d'abord une prise de conscience populaire favorisée par des drames écologiques. Dès 1959, une première grande catastrophe industrielle a frappé les opinions publiques : Minamata. Dans la baie de cette ville du Japon, des rejets de mercure, assimilés en grande concentration par la faune marine consommée par les habitants, ont provoqué des malformations et de graves troubles neurologiques chez l'ensemble des nouveaux-nés.

À la fin des années soixante, étaient lancés les premiers appels à une prise de conscience des menaces pesant sur l'environnement mondial. Annonce de la mort de l'océan pour l'an 2000 par Paul Ehrlich, en 1968 (1), « rapport Meadows » du Club de Rome sur « les limites de la croissance » en 1972, défendant la thèse de la « croissance zéro ». Mais leur caractère excessif, leur ton prophétique plus que scientifique, n'ont pas permis de les prendre au sérieux.

· Comme l'explique Edgar Morin (2), après ces prophéties apocalyptiques mondiales suivies de dégradations locales, ce n'est qu'à partir des années quatre-vingts qu'en vagues concentriques ont surgi trois séries de phénomènes.

D'abord, de grandes catastrophes locales à amples conséquences. En juillet 1976, à Seveso, en Lombardie, l'explosion d'un réacteur chimique produisant des herbicides dégageait un nuage de dioxine cancérigène, contaminant une zone étendue. En 1984, en Inde, une partie des habitants de Bhopal étaient gazés durant leur sommeil par le nuage toxique dégagé lors de l'éclatement d'un réservoir dans une usine de pesticides. La catastrophe nucléaire de Tchernobyl, en Ukraine, en avril 1986 a mis en évidence la diffusion internationale des grandes pollutions. La même année, l'incendie d'une usine de pesticides Sandoz dégageait un nuage toxique.

On peut encore rappeler Three Miles Island, l'assèchement de la mer d'Aral, la pollution du lac Baïkal, l'arrivée à la limite de l'asphyxie de villes comme Athènes ou Mexico. Les grandes marées noires ont également éveillé les consciences : qu'il suffise de citer le Torrey Canyon en 1967, l'Amoco Cadiz en 1978, l'Exxon Valdez en 1989, l'Erika en décembre 1999, le Prestige en novembre 2002. « On perçoit que la menace écologique ignore les frontières nationales : la pollution du Rhin concerne Suisse, France, Allemagne, Pays-Bas, mer du Nord. Tchernobyl a envahi puis débordé le continent européen ».

La deuxième vague est engendrée par des problèmes plus généraux. Les uns touchent les pays industrialisés : contamination des eaux jusqu'aux nappes phréatiques, empoisonnement de certains sols par excès de pesticides, pluies acides, stockage de déchets nocifs, urbanisation massive de régions fragiles, comme les zones côtières. D'autres problèmes frappent les pays non industrialisés : désertification, déforestation, érosion et salinisation des sols, inondations catastrophiques.

En troisième lieu, sont apparus des problèmes globaux affectant la planète dans son ensemble : rejets de gaz carbonique intensifiant l'effet de serre, amincissement de la couche d'ozone de la stratosphère jusqu'à l'apparition d'un trou au-dessus de l'Antarctique, excès d'ozone dans la partie basse de l'atmosphère (troposphère), réchauffement du climat. Celui-ci, selon les éléments rassemblés par l'Intergovernmental Panel on Climate Change (ipcc) et présentés dans un ouvrage récent par M. Hubert Reeves (4), se serait traduit par une augmentation proche de 1 degré de la température moyenne de la terre au cours du vingtième siècle. L'élévation s'est accélérée depuis 1990, de sorte que, selon les modèles de prévision retenus, les températures moyennes pourraient s'élever de 1,4 à 5,8 degrés au cours du siècle qui commence. Pour situer les ordres de grandeur, la dernière glaciation s'était traduite par une baisse de 5 degrés. Il est désormais admis que ce réchauffement est lié, en large partie, à l'activité humaine.

· Plus récemment encore, les biologistes ont pris la mesure du mouvement d'extinction des espèces vivantes, tant animales que végétales. Selon les professeur à Harvard Edward O. Wilson, fondateur de la sociobiologie, « On estime aujourd'hui que entre 1 et 10 % des espèces sont éliminés à chaque décennie, soit environ 27 000 chaque année » (5), de sorte que près de 25 % des espèces de mammifères et 12 % des espèces d'oiseaux seraient menacées d'extinction, selon le Programme des Nations unies pour l'environnement.

· L'ensemble de ces phénomènes affectent, directement ou non, l'espèce humaine, et d'abord sa santé. Celle-ci est atteinte par la pollution atmosphérique : le dioxyde de soufre favorise l'asthme, le monoxyde de carbone peut provoquer des troubles cérébraux et cardiaques, le dioxyde d'azote est immuno-dépresseur. Au début de mois de mai 2004, étaient rendus publics les résultats d'une étude épidémiologique de l'Agence de sécurité sanitaire environnementale attribuant à la pollution atmosphérique environ 5 000 décès par an, principalement liés à la circulation automobile.

La qualité de l'alimentation est également menacée. Dans les pays en développement, la disparition des espèces animales et végétales pèse sur les ressources alimentaires, particulièrement dans les pays en développement. Globalement, la production mondiale de nourriture serait en stagnation. Des médecins, comme le cancérologue Dominique Belpomme (6), parlent de « maladies de civilisation », selon l'expression de René Dubos, à propos du cancer ou de l'asthme, lequel touche un enfant sur sept en Europe. Ces considérations montrent que l'effet sur la santé humaine est un bon indicateur de la qualité de l'environnement.

2. La conscience d'un devenir commun de l'humanité

Dans nos sociétés travaillées par la crise écologique, même s'il n'est pas toujours aisé de prendre la mesure des atteintes portées à l'environnement terrestre, la conscience de l'universalisme de « la crise écologique » est désormais très largement répandue.

· En conclusion de « Terre-patrie », Edgar Morin revient sur le chemin parcouru en l'espace de quelques années : « Encore jusqu'en les années 1950-1960, nous vivions sur une Terre méconnue, nous vivions sur une Terre abstraite, nous vivions sur une Terre-objet » (7). La découverte de la fin du siècle a été que « nous appartenons à la terre qui nous appartient ».

La conscience de « la communauté de destin terrestre » s'est enracinée. Cette communauté recouvre à la fois le destin homme-nature et le destin de l'ensemble de l'humanité.

· Signes de cette prise de conscience, des réponses internationales ont rapidement été cherchées à des menaces qui dépassent les frontières des États.

La multiplication des traités internationaux concernant en tout ou partie l'environnement depuis les années soixante-dix est telle que le professeur Michel Prieur a pu parler de « déferlement ». Il en a dénombré plus de 300, auxquels s'ajoutent quelque 900 traités bilatéraux (8).

Le rôle des organisations internationales a également été actif et souvent initiateur, que ce soit au sein de l'Organisation des Nations unies, de l'ocde, ou du Conseil de l'Europe. Leurs initiatives sont à l'origine de quelques dates marquantes : en 1972, la Déclaration de Stockholm adoptée par la Conférence des Nations unies sur l'environnement ; en 1992, la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement, au terme d'une conférence réunissant 175 États ; en 2002, la Déclaration de Johannesburg du sommet mondial sur le développement durable. Ce dernier aura été marqué par le discours du Président Jacques Chirac : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. La nature, mutilée, surexploitée, ne parvient plus à se reconstituer, et nous refusons de l'admettre (...). La terre et l'humanité sont en péril et nous en sommes tous responsables (...). Nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas ! Prenons garde que le XXIe siècle ne devienne pas, pour les générations futures, celui d'un crime de l'humanité contre la vie. »

3. Une forte demande sociale

· L'opinion publique, souvent considérée comme s'accommodant volontiers du droit existant, exerce en matière d'environnement une pression déterminante, aussi bien sur le plan international qu'au sein des États. L'action des associations est partout un moteur de l'évolution de la législation et de la jurisprudence, bien davantage que les partis politiques, il faut le reconnaître.

En France, le professeur Michel Prieur indique que, « selon les sources et les critères retenus, il y aurait dix mille à quarante mille associations intéressées plus ou moins directement aux problèmes d'environnement » (9).

Cette vitalité des associations, phénomène mondial, est le signe de la mobilisation spontanée des opinions publiques. Celles-ci sont, en la matière, parfois en avance sur leurs partis et leurs représentants.

Dès les années soixante-dix, l'idée d'une « charte de la nature », protectrice de l'environnement, a été au centre du projet fédérateur de la Fédération française des sociétés de protection de la nature, devenue aujourd'hui France Nature Environnement. Or, l'idée continue à rencontrer l'attente du grand public. Il est intéressant de noter que, selon un sondage réalisé en août 2001 pour la revue Terre sauvage wwf, 89 % des personnes interrogées espéraient que la protection de l'environnement soit inscrite dans la Constitution (10).

*

Ainsi, les citoyens sont pleinement conscients de la situation nouvelle révélée à la fin du vingtième siècle, celle d'une action de l'homme sur son environnement planétaire. Ils attendent une réponse à la mesure des enjeux. L'universalisme des problèmes d'environnement met en cause les droits de l'homme. Le Président de la République l'avait affirmé avec force dès 1998 à l'UNESCO : « (...) Les menaces qui pèsent sur l'environnement sont un autre danger pour les droits des hommes. Il est temps de fonder sa protection sur une règle éthique.

Le droit à l'environnement, c'est le droit des générations futures à bénéficier de ressources naturelles préservées. C'est la déclinaison, sur un mode nouveau, du droit de tout être humain à la vie, à la liberté et à la sûreté » (11).

B. UN « DROIT MILLEFEUILLE »

Si, comme l'a dit Hölderlin, cité par Edgar Morin, « Là où croît le péril, croît aussi ce qui sauve », reconnaissons que pour l'heure, la réponse politique et juridique n'est pas à la hauteur de la menace pour l'environnement.

1. Une « prolifération juridique » : grandes lois et politiques sectorielles

Comment répondre à l'attente des citoyens ? C'est à Jacques Chaban-Delmas que revient le mérite d'avoir engagé, dès octobre 1969, la réflexion qui devait aboutir à la création d'un ministère chargé de l'environnement. Il s'agissait d'envisager les moyens de coordonner l'action des nombreuses administrations de l'État impliquées peu ou prou, depuis les plus anciennes, comme les Eaux et forêts, dont l'organisation remonte à 1669 par Colbert, jusqu'à la plus récente, la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale (datar), instituée par décret du 14 février 1963.

Le rapport demandé au sein de celle-ci à Louis Armand fut remis le 11 mai 1970, sous l'intitulé « Pour une politique de l'environnement ». Il comportait un programme d'action de cent mesures et préconisait à cet effet la création d'un ministère, réalisée l'année suivante. C'est Robert Poujade qui assuma la lourde tâche de constituer un ministère Janus, à la fois administration de gestion directement responsable de certaines politiques, et administration de mission investie d'un rôle d'animation interministérielle. Il lui fallut fédérer des services jusqu'alors épars et parfois concurrents. Ces contraintes demeurent, selon des contours renouvelés. Aux services d'administration centrale se sont ajoutées des agences dotées d'une marge d'autonomie.

Le ministère, depuis l'origine et avec une structure à géométrie variable, est chargé de conduire une série de politiques sectorielles, d'abord tournées vers les réponses à apporter à des risques.

Sous la pression de l'opinion publique et afin de faire face au renouvellement permanent des menaces pour l'environnement, le législateur a multiplié les lois, dont le caractère ambitieux n'a pas empêché la dispersion progressive.

La loi n° 76-629 du 10 juillet 1976 relative à la protection de la nature présentait encore un caractère global dans le cadre des orientations du VIIe plan. Elle marquait le franchissement d'une étape dans la législation française, avant de servir de modèle pour le droit communautaire. Puis, avec une accélération à compter des années 1980, le législateur est intervenu dans des domaines particuliers : à titre d'exemple, les installations classées (loi n° 76-663 du 19 juillet 1976), la montagne (loi n° 85-30 du 9 janvier 1985), le littoral (loi n° 86-2 du 3 janvier 1986), les pollutions marines (notamment par les deux lois du 7 juillet 1976, celle du 26 mai 1977 et deux lois du 5 juillet 1983), les économies d'énergie (loi n° 80-531 du 15 juillet 1980), la chasse (lois n° 64-696 du 10 juillet 1964, dite « loi Verdeille », et n° 2000-698 du 26 juillet 2000), la pêche (loi n° 84-512 du 29 juin 1984), l'eau (lois n° 64-1245 du 16 décembre 1964 et n° 92-3 du 3 janvier 1992), le bruit (loi n° 92-1444 du 31 décembre 1992), les risques technologiques et naturels (loi n° 2003-699 du 30 juillet 2003).

Le professeur Michel Prieur a compté trente grandes lois sur l'environnement de 1975 à 2003. Cette « prolifération juridique », selon l'expression du Conseil économique et social (12), appelait une synthèse ordonnée. Il fallait à la fois des principes fondamentaux et une codification.

2. La « loi Barnier » : un texte précurseur devenu insuffisant

« 140 lois, 817 décrets mais toujours pas de droit de l'environnement » : ainsi s'intitulait le chapitre IV du rapport d'information sur la politique de l'environnement remis le 11 avril 1990 par M. Michel Barnier à la commission des Finances de l'Assemblée nationale (13). Ce rapport, élaboré au terme d'un an d'auditions, comportait de nombreuses propositions, parmi lesquelles on relève l'introduction dans la Constitution du droit de l'homme à l'environnement et la mention de celui-ci à l'article 34 de la Constitution.

a) Une adoption malaisée

· Devenu ministre de l'environnement en 1993, l'auteur du rapport s'est attaché à lui donner suite, en particulier par le dépôt d'un projet de loi relative au renforcement de la protection de l'environnement. Ce texte procédait à une codification partielle, au sein du code rural. Il inscrivait dans la loi des principes fondamentaux du droit de l'environnement, destinés à inspirer l'action publique, à commencer par celle du législateur dans les domaines d'action particuliers du droit de l'environnement.

Il n'est pas inutile de rappeler que ce texte novateur, au cours de dix-huit mois de débats parlementaires, a fait l'objet d'oppositions farouches et de critiques impitoyables, avant d'être, aujourd'hui, admis et entré dans les mœurs. Au cours de son audition, M. Christophe Sanson remarquait que les controverses sur la « loi Barnier » paraissaient renaître à propos de la Charte de l'environnement. Ce rappel permet de relativiser certaines critiques.

· La loi n° 95-101 a finalement été promulguée le 2 février 1995, et l'usage courant la désigne comme la « loi Barnier ». L'article 200-1 du code rural qui en résulte, codifié depuis à l'article L. 110-1 du code de l'environnement (14), définit en son I les composantes de l'environnement. Puis il dispose qu'elles « font partie du patrimoine commun de la nation ». Son II prévoit que les différents aspects des politiques qui s'y rapportent sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable. Il ajoute que ces politiques, « dans le cadre des lois qui en définissent la portée », s'inspirent des principes : 1. de précaution, 2. d'action préventive, 3. pollueur-payeur et 4. de participation.

L'article suivant, devenu l'article L. 110-2 du code de l'environnement, pose « le droit de chacun à un environnement sain », organisé par les lois et règlements. Il prévoit le « devoir de chacun de veiller à la sauvegarde et de contribuer à la protection de l'environnement ».

Ces principes précurseurs marquaient un progrès considérable pour le droit à l'environnement et contribuaient à fédérer le droit de l'environnement.

b) Une portée juridique fort limitée

Avec le recul de neuf années, le texte a cependant révélé des limites inévitables, compte tenu de sa nature législative.

· Sur le fond, on note qu'il omet la dimension internationale des problèmes d'environnement, de même que « la question du temps, du long terme, des irréversibilités » (15). Un texte de valeur constitutionnelle ne se heurterait pas à de telles limites.

D'autre part et surtout, l'articulation entre cette loi et les autres dispositions de valeur législative impose deux limites à sa portée juridique.

La première porte sur les dérogations : ce texte ne peut prévaloir sur d'autres lois. Il se situe au même niveau de la hiérarchie des normes, et des lois ultérieures peuvent parfaitement déroger à ses principes généraux : le juge n'aura aucune difficulté à écarter ceux-ci, à la fois parce que généraux et parce qu'antérieurs.

La deuxième limite porte sur les applications. Elle résulte du texte lui-même, qui prévoit que les quatre principes qu'il définit ne s'appliquent que dans le cadre des lois particulières qui en définissent la portée. En conséquence, sur le plan contentieux, lorsque le juge est saisi d'un grief tiré de la méconnaissance de l'un des principes, il tend à vérifier seulement si la loi d'application a été respectée. C'est la raison pour laquelle, s'agissant du principe de précaution, aucun juge ne paraît avoir vérifié le respect des critères, pourtant précis, posé par la « loi Barnier ». Pourtant ce principe est assez souvent invoqué par des parties à un contentieux.

Enfin, du fait de l'article 55 de la Constitution (16), le droit communautaire a une autorité supérieure à ces dispositions, dans la mesure où elles ont une valeur autre que déclaratoire. Dans ces conditions, les principes fondateurs de cette loi sont avant tout un guide pour les acteurs de la politique d'environnement.

3. L'écologie saisie par le droit

a) Une codification indispensable et laborieuse

Pour assurer l'accessibilité de la loi, une remise en ordre matérielle s'imposait.

La première tentative a été partielle : les dispositions relatives à la protection de la nature ont été codifiées au sein du code rural (17). Il en est résulté une complexité accrue.

Après un processus de codification étalé sur quatre ans, un projet de code de l'environnement, déposé en 1996, a été retiré puis redéposé en 1998. La réaction d'un parlementaire de 1996, qualifiant le projet de « détritus juridique », illustre à la fois l'hostilité latente de certains élus à l'égard du droit de l'environnement et les difficultés juridiques liées à un droit proliférant, innovant et très technique.

C'est finalement par ordonnance, du fait de l'encombrement de l'ordre du jour parlementaire, que le code de l'environnement a été adopté le 18 septembre 2000 (18). Sa ratification, après retrait d'un projet de loi de ratification, ne sera opérée que par la loi du 2 juillet 2003 habilitant le Gouvernement à simplifier le droit.

Dès son adoption, le code ne comportait pas moins de 975 articles, pour sa seule partie législative. La codification de sa partie réglementaire reste inachevée : les articles correspondants figurent encore dans le code rural.

b) Nouveaux concepts et nouvelles procédures

· Le droit de l'environnement, compte tenu à la fois de sa genèse et des particularités de la matière, est un droit assez innovant. Études d'impact, non-application de certains droits acquis, droits d'action en justice étendus pour les associations, procédures de traitement de dommages transfrontières, règles spécifiques d'information et de participation des citoyens aux décisions : il met en œuvre des procédures propres. Celles-ci sont parfois reprises ultérieurement dans d'autres domaines, comme des études d'impact.

D'autre part, il suscite l'utilisation de certains concepts nouveaux : générations futures et prise en compte de la longue période, patrimoine commun de l'humanité.

Enfin, le droit de l'environnement est, pour une large part, un droit à faible portée normative. Le droit international, surtout déclaratoire, y tient, ainsi qu'on l'a dit, une part considérable. Il abonde en actes symboliques, déclarations de principe, programmes d'action.

La législation nationale elle-même comporte également une proportion comparativement élevée de dispositions à portée déclaratoire. Comme l'a relevé le professeur Jacques-Henri Robert, c'est le cas des articles 1er de nombreuses lois sur l'environnement. C'est aussi largement le cas des articles L. 110-1 et L. 110-2 du code, issues des dispositions-phares de la « loi Barnier » de 1995. Le corpus des normes réellement contraignantes se partage finalement entre des dispositifs législatifs très spécialisés, par exemple destinés à la protection des différents milieux (eaux, air) et des normes réglementaires souvent à caractère très technique. Pour une bonne part, il se présente comme un « droit d'ingénieurs ».

Pour toutes ces raisons, élever au rang constitutionnel des principes fédérateurs ne peut que susciter la méfiance de nombreux juristes et utilisateurs du droit.

*

Pourtant, cette réaction de méfiance doit être surmontée : l'état du droit de l'environnement montre qu'une synthèse est nécessaire autour de principes dotés d'une portée supérieure à la loi.

C. TRENTE ANS DE TENTATIVES DE CONSÉCRATION CONSTITUTIONNELLE

La reconnaissance constitutionnelle du droit à un environnement sain est attendue de longue date. Un jour ou l'autre, toutes les sensibilités politiques se sont exprimées en sa faveur.

1. 1975-1977 : la proposition de loi constitutionnelle sur les libertés élaborée par la « commission Edgar Faure »

Depuis une trentaine d'années, la problématique de l'environnement est intégrée dans la réflexion sur les libertés publiques. L'idée d'inscrire dans un texte à valeur constitutionnelle le droit à un environnement sain et équilibré figurait déjà dans les « cent mesures pour l'environnement » du rapport Armand de 1970. La tentative la plus convaincante a fait suite aux débats d'idées de la campagne pour l'élection présidentielle de 1974, durant laquelle les candidats Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand ont fait des propositions tendant à conférer à ce droit le caractère de liberté publique constitutionnellement garantie.

En décembre 1975, l'Assemblée nationale a été saisie de trois propositions de loi tendant à réformer les libertés publiques. Chacune d'entre elles prévoyait des dispositions en matière d'environnement.

La première proposition de loi, déposée à l'initiative de MM. Jean Foyer, Claude Labbé, Roger Chinaud et Max Lejeune (19), prévoyait de conférer un statut de valeur législative aux libertés publiques. Son article 68 disposait que « la qualité de la vie, la tranquillité des habitants, la lutte contre les pollutions et les nuisances, la protection de l'environnement, du paysage, et du patrimoine culturel national, régional ou local sont parties intégrantes du droit à la sécurité garanti par la présente loi ». En l'état actuel de la législation, le lien entre environnement et sécurité reste fort. C'est ainsi que les pouvoirs d'intervention des maires sont liés en la matière à leurs compétences de police.

Déposée par le groupe communiste, la deuxième proposition de loi, à caractère constitutionnel (20), tendait à l'adoption d'une déclaration des libertés forte de 89 articles, dont l'article 56 était ainsi rédigé : « La République assure la protection de la nature et sa mise en valeur rationnelle en vue de satisfaire les besoins de la population sans discrimination. Elle prend les mesures nécessaires à la protection de la flore et de la faune, la conservation des paysages, la liberté d'accès aux sites, l'élimination des nuisances dues au bruit, à la pollution et à toute autre dégradation au cadre de vie. » Cette rédaction demeurait inspirée par la conception selon laquelle l'homme a vocation à dominer la nature, comme en témoigne la notion de « mise en valeur rationnelle ».

Enfin, la proposition de Gaston Defferre et des membres du groupe socialiste (21), qui se présentait comme une « coquille vide », donnait suite à la proposition de François Mitterrand, qui, au cours de la campagne présidentielle de 1974, avait proposé de compléter le Préambule de la Constitution par une « Charte des libertés et droits fondamentaux ». La proposition de loi constitutionnelle tendait simplement à prévoir l'élaboration par le Parlement, dans un délai de six mois, d'une telle charte, destinée à être insérée dans le Préambule et comportant l'affirmation d'un droit à l'environnement. Un comité présidé par Robert Badinter était chargé de réfléchir au contenu de ce texte.

Ces trois propositions de loi ont été envoyées pour examen à une commission spéciale pour les libertés, présidée par le président Edgar Faure. Celle-ci a procédé à l'audition de personnalités très diverses, parmi lesquelles Raymond Aron, Georges Vedel, Louis Leprince-Ringuet, Emmanuel Le Roy-Ladurie ou André Malraux. Au terme de ses travaux, elle a adopté le 15 septembre 1977 un texte dont l'article 10 était précurseur, puisqu'il disposait : « Tout homme a droit à un environnement équilibré et sain et a le devoir de le défendre. Afin d'assurer la qualité de la vie des générations présentes et futures, l'État protège la nature et les équilibres écologiques. Il veille à l'exploitation rationnelle des ressources naturelles. »

On y relève ainsi le droit à un environnement équilibré et sain, la notion de devoir, la prise en compte des intérêts des générations futures. La présente Charte est en quelque sorte une version actualisée et plus ambitieuse de la démarche consensuelle de 1977.

La proposition de loi, débattue à l'Assemblée nationale entre le 5 octobre et le 14 décembre 1977, n'a finalement pas été soumise au vote, pour des raisons politiques. Le vide qu'elle entendait combler est donc demeuré béant, s'agissant notamment du droit à l'environnement, d'où les nombreuses initiatives prises depuis lors.

2. Une longue série d'initiatives parlementaires

La consécration constitutionnelle en France d'un « droit de la troisième génération » est un long chemin. Plusieurs voies ont en fait été explorées.

· La principale a consisté à préconiser une modification du Préambule de la Constitution, selon des modalités variables. C'est aussi la solution retenue par le présent projet.

Dans son discours prononcé le 23 janvier 1976 à La Roche-sur-Yon, consacré au droit de l'environnement, Jean Lecanuet, garde des Sceaux, envisageait cette solution pour la reconnaissance d'une droit à la qualité de la vie, déjà préfiguré à ses yeux dans le onzième alinéa du Préambule de 1946, aux termes duquel la loi garantit à tous « la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».

La modification du Préambule a également été proposée par M. Laurent Fabius le 4 mars 1989, à l'occasion du bicentenaire de la Révolution française.

De même, Mme Ségolène Royal a déposé, lors de l'examen de la révision constitutionnelle du 4 août 1975, un amendement insérant un alinéa après le treizième alinéa du Préambule de 1946, tendant à prévoir que la loi garantit « un droit à un environnement équilibré et sain et le devoir de la défendre » (23).

Lorsque M. Édouard Balladur, au cours de la campagne électorale de l'élection présidentielle de 1995, s'est engagé, dans son discours du 1er avril 1995 au Mont-Saint-Michel, à faire inscrire le « droit à un environnement sain » dans la Constitution, c'est vraisemblablement dans cette forme que cette reconnaissance aurait été réalisée.

· D'autres initiatives ont tendu à compléter la Déclaration des droits de l'homme de 1789 par un titre II procédant, d'une part, à la « codification » des principes du Préambule de 1946 et les complétant, d'autre part, avec divers « droits de troisième génération ».

C'est la voie empruntée par deux propositions déposées le 10 décembre 1997, l'une par M. Noël Mamère et une dizaine de députés écologistes (24), l'autre par le groupe communiste (25). Le titre ainsi ajouté comportait des articles numérotés 18 à 29. Son article 20 était ainsi rédigé : « Vivre dans un environnement sain conditionne la mise en œuvre de tous les autres droits de la personne. La protection de la diversité biologique et de l'écosystème en est la garantie. »

Durant la même législature, une proposition de loi strictement identique a été déposée le 11 février 2000 (26) par notre collègue (non inscrit) M. Joël Sarlot et des députés appartenant tant à la majorité qu'à l'opposition de l'époque, parmi lesquels on relève les noms de Mme Roselyne Bachelot, MM. Raymond Barre, Jacques Barrot, Dominique Bussereau, Yves Cochet, Marc-Philippe Daubresse, Julien Dray, Jean-Michel Dubernard et Pierre Méhaignerie.

· Mais le texte de la Déclaration de 1789 et celui du Préambule de 1946 ont été fixés par l'Histoire, chacun étant adopté selon une procédure qui lui était propre. Il peut paraître préférable de les laisser intacts, en se gardant en particulier de remanier le texte de 1946 pour l'insérer, sous forme d'articles, dans un texte nouveau.

Cette démarche a justifié une autre approche, moins ambitieuse, consistant à ajouter un article dans le corps même de la Constitution. Ainsi, en 1998, la mission interministérielle pour la célébration du cinquantième anniversaire de la Déclaration universelle des droits de l'homme proposait l'adoption d'un nouvel article énonçant que « tout être humain a le droit de vivre dans un environnement de qualité, propre à assurer sa santé physique et mentale, son épanouissement et sa dignité. Il a le devoir individuel et collectif de sauvegarder l'environnement au bénéfice de l'humanité présente et future ».

Sous la présente législature, notre collègue Victorin Lurel, membre du groupe socialiste, a déposé un amendement au cours du débat sur la révision constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République, tendant à prévoir, à l'article 1er de la Constitution, que la France « reconnaît et met en œuvre le droit au respect de l'environnement (27) ».

Plus récemment encore, le 20 mai 2003, notre collègue Mme Christine Boutin et plusieurs de nos collègues ont proposé l'insertion, après l'article 42 de la Constitution, d'un article ainsi rédigé : « L'exposé des motifs des projets et propositions de loi décrit l'impact des mesures proposées aux assemblées dans les domaines économique, social et environnemental et, lorsque c'est possible, la manière de le mesurer (28). »

Enfin, d'autres initiatives ont tendu à assurer une base constitutionnelle explicite à la compétence du législateur dans le domaine de l'environnement. M. Michel Barnier, dans son rapport d'information précité sur la politique de l'environnement (29), préconisait une loi organique complétant l'article 34 de la Constitution. Le 28 juin 1990, notre collègue André Santini, membre du groupe udf, a déposé une proposition de loi constitutionnelle « tendant à inclure le droit de l'environnement dans la liste des matières dont la loi fixe les règles (30) ».

3. Une lacune grave et persistante du « bloc de constitutionnalité »

L'idée de conférer une base constitutionnelle au droit à l'environnement et aux principes fondamentaux associés, présente dans le débat public depuis trois décennies, n'a donc pas reçu d'application, aucune de ces initiatives n'ayant abouti.

Paradoxalement, alors que le droit de l'environnement est marqué par la multiplication des lois, l'environnement est absent des matières énumérées à l'article 34 de la Constitution comme relevant du domaine de la loi.

a) Une compétence législative dépourvue de base directe

La responsabilité du législateur pour arbitrer les grands débats relatifs à la protection de l'environnement est une évidence.

Pourtant, ni l'article 34, ni aucune autre disposition constitutionnelle ne prévoit que le législateur serait seul compétent pour établir les règles ou les principes fondamentaux du droit de l'environnement.

Le Conseil constitutionnel, sur le fondement du deuxième alinéa de l'article 37, a, dès le début des années 1960, eu à se prononcer sur la nature législative de dispositions figurant dans des lois et se rapportant à l'environnement. Sa jurisprudence d' « aiguilleur normatif » (31) a été protectrice de la compétence législative. Celle-ci a été rattachée à diverses rubriques de l'article 34, en fonction des effets des dispositions concernées : principalement les principes fondamentaux du régime de la propriété et des droits réels (16e alinéa de l'article 34), mais aussi les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales (14e alinéa) ou la détermination par la loi des crimes et délits (5e alinéa). Le Conseil constitutionnel a également choisi de justifier la compétence législative par la dérogation à un principe général du droit. Dans son importante décision n° 69-55L du 26 juin 1969 relative à la protection des sites, il a défini comme tel le principe selon lequel le silence gardé par l'administration vaut décision de rejet. Il a estimé, en conséquence, que le pouvoir réglementaire ne pouvait instituer, notamment en matière d'environnement, d'autorisation implicite. Le Conseil n'a pas craint, ainsi, d'aller à l'encontre de la jurisprudence du Conseil d'État (32). Il a apparemment été animé de la préoccupation de préserver des garanties suffisantes à la protection de l'environnement. C'est ainsi par exemple qu'est rendu irrégulier l'octroi d'un permis de construire tacite sur des sites ou monuments classés (33).

Ainsi, conformément à une ligne directrice générale en matière de domaines de la loi et du règlement, le juge constitutionnel confirme la compétence législative lorsque l'exercice de droits par les citoyens ou les usagers des services publics est en cause.

Le silence de l'article 34 ne l'a, jusqu'à présent, pas conduit à censurer des pans entiers d'une loi environnementale pour atteinte au domaine du règlement. Il a, au demeurant, confirmé discrètement la capacité du législateur à régir la matière en ne formulant nulle réserve lorsque, en 2002, la « commission de la production et des échanges » s'est vue conférer la dénomination « commission des affaires économiques de l'environnement et du territoire » (34).
Il n'en demeure pas moins que, faute de base constitutionnelle, la compétence du législateur demeure fragile. Ses limites ne sont pas définies et elle est à la merci d'une évolution de la jurisprudence, ce qui apparaît nettement comme un anachronisme.

b) Le refus d'une constitutionnalisation sans texte

· Lorsque, en 1990, le Conseil constitutionnel a eu l'occasion de reconnaître un droit constitutionnel à l'environnement, il s'y est refusé. Une disposition de la loi déférée relative à la révision des évaluations cadastrales concernait la construction d'ensembles touristiques en bordure des lacs de montagne. Cette disposition n'était pas contestée par les requérants. Mais par un courrier adressé au Président du Conseil constitutionnel (une « porte étroite », selon le terme créé l'année suivante par le doyen Vedel), M. Antoine Waechter a présenté des arguments de fond à son encontre, en faisant valoir qu'elle privait de garanties légales des principes à valeur constitutionnelle. Une censure sur ce fondement aurait consacré la valeur constitutionnelle de la protection de l'environnement. Le Conseil constitutionnel ne l'a pas souhaité : s'étant saisi d'office de la disposition, il l'a annulée pour un motif de procédure parlementaire (36), « sans qu'il y ait lieu en l'état de s'interroger sur la conformité à la Constitution du contenu des dispositions dont il s'agit ».

· Une telle occasion ne s'est plus présentée, s'agissant du droit à l'environnement. Plus récemment, invité en 2001 à reconnaître le principe de précaution - en l'espèce appliqué au domaine de la santé - comme un objectif de valeur constitutionnelle résultant de la liberté proclamée à l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, le Conseil constitutionnel a considéré que ce principe n'avait pas « - pour l'instant - d'assise constitutionnelle » (37). En ménageant ainsi l'avenir, il place le constituant devant ses responsabilités.

· Pourtant, d'autres cours constitutionnelles se sont montrées plus hardies, en s'appuyant sur des bases textuelles comparables aux nôtres.

La Cour constitutionnelle allemande a ainsi validé des dispositions législatives de protection de l'environnement, relatives au bruit, à la pollution atmosphérique ou aux centrales nucléaires. À cet effet, elle s'est fondée sur l'article 2 de la loi fondamentale qui reconnaît le droit à la vie et à la santé.

La Cour constitutionnelle italienne a suivi la même voie : c'est par référence à l'article 32 de la Constitution italienne relatif à la santé publique qu'elle protège le droit à l'environnement. (38)

Le Conseil constitutionnel aurait pu s'engager sur la même voie, en s'appuyant par exemple sur le onzième alinéa du Préambule de 1946, aux termes duquel la loi « garantit à tous (...) la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ». C'est le fondement évoqué en 1976 par le garde des Sceaux dans son discours de la Roche-sur-Yon (voir I-C-3 ci-avant). L'article 4 de la Déclaration de 1789, relatif à la liberté, ou son article 13, qui énonce le principe d'égalité devant les charges publiques, auraient pu assurer un « ancrage textuel », notamment, en ce qui concerne le second, pour justifier les actions préventives ou réparatrices des atteintes à l'environnement.


·
La prudence du juge constitutionnel français est probablement liée au souci exprimé naguère par Jean Rivero : « L'autorité du Conseil ne risque-t-elle pas de s'affaiblir lorsqu'elle cesse de s'enraciner dans une disposition expresse, fût-elle interprétée largement ? ».

Toujours est-il que, si le Conseil constitutionnel admet l'intervention du législateur, les dispositions qu'il adopte dans le but d'intérêt général qui s'attache à la protection de l'environnement ne peuvent déroger à aucune règle non plus qu'à aucun principe de valeur constitutionnelle. Il lui est dès lors très difficile de s'engager véritablement dans une démarche de développement durable, l'environnement n'étant juridiquement pas protégé par des normes de même valeur que le développement économique et le progrès social.

c) Les effets d'un vide juridique : l'exemple de la tgap

Pourtant, le défaut de protection constitutionnelle du droit à l'environnement présente de graves inconvénients qui n'ont pas échappé à la « commission Coppens ». Dans son rapport, elle évoque plusieurs instruments d'incitation, au premier rang desquels la fiscalité environnementale et les aides, subventions ou exonérations fiscales. Puis, après avoir souligné l'importance et les avantages, elle ajoute : « Mais l'usage de ces instruments incitatifs peut se heurter à des principes à valeur constitutionnelle, en particulier celui d'égalité, notamment devant les charges publiques. La fiscalité écologique n'est pas assise sur la capacité contributive mais sur les atteintes à l'environnement, et elle doit au surplus être accompagnée de mesures compensatoires qui vont elles aussi contre l'application de règles identiques aux agents relevant d'une même catégorie. La décision du Conseil constitutionnel sur la tgap illustre ces difficultés » (39).

Elle fait ainsi allusion à l'annulation de l'article 37 de la loi de finances rectificative pour 2000, qui étendait aux produits énergétiques fossiles et à l'électricité, la taxe générale avec les activités polluantes. La mesure était justifiée par la nécessité de réduire les rejets de gaz carbonique pour lutter contre l'effet de serre, en incitant les entreprises à maîtriser leur consommation d'énergie. Dans sa décision (40), le Conseil a relevé en premier lieu que les règles de calcul retenues pourraient conduire à taxer plus fortement des entreprises moins consommatrices d'énergie, à l'encontre du but poursuivi. Il a, en second lieu, considéré que, l'électricité étant en France principalement d'origine nucléaire, sa consommation dégage très peu de gaz carbonique et que sa taxation allait également à l'encontre de l'objectif poursuivi. Il a donc censuré l'article comme contraire au principe d'égalité devant l'impôt.

Deux enseignements peuvent être tirés de cette décision. Divers observateurs ont considéré que la décision aurait été différente si le droit à l'environnement avait été garanti au niveau constitutionnel. Le législateur aurait eu à le concilier avec le principe d'égalité devant l'impôt, lequel aurait été appliqué avec moins de rigueur par le juge. Au vu des motifs de la décision, la chose n'est pas certaine : le mécanisme a pu être tout simplement victime de son excessive complexité. Il est certain en revanche que, comme le relève la « commission Coppens », la fiscalité écologique est actuellement difficile à fonder sur des bases constitutionnelles solides. Sa technicité peut conduire à renvoyer au pouvoir réglementaire la définition de certains éléments d'assiette (41), ce qui fait peser la menace d'une censure pour incompétence négative du législateur. Mais surtout, l'exemple de la tgap illustre le caractère exigeant de la jurisprudence sur l'égalité devant l'impôt.

Un deuxième enseignement porte sur les méthodes du juge constitutionnel. L'article 37 qui a été annulé était effroyablement complexe. Comportant sept paragraphes, il modifiait notamment une longue série d'articles du code des douanes se référant à divers composantes d'assiette, définissait des mesures transitoires détaillées, indiquait deux tableaux de taux et d'abattement et se fondait sur des raisonnements relevant plus de la physique que du droit. Or le Conseil, saisi le 22 décembre 2000, a rendu sa décision le 28 décembre, en même temps que la décision relative à la loi de finances pour 2001. Dans ces conditions, on comprend mal l'alarme de quelques personnalités auditionnées, qui craignaient l'incapacité du Conseil constitutionnel à statuer sur les difficiles questions d'environnement sans faire appel à des expertises extérieures. La « jurisprudence tgap » montre qu'un tel contrôle a déjà été assuré. La Charte ne renouvellera pas, sinon à la marge, les modalités du contrôle de constitutionnalité des lois.

*


Faute de voir aboutir la consécration constitutionnelle du droit à l'environnement, la législation de l'environnement, privée de principes directeurs forts, souffre donc d'une situation de précarité juridique très dommageable.

Qui peut y mettre fin ? Ainsi que l'a souligné M. Jean Untermaier, « il n'appartient pas au juriste de décider s'il faut ou non protéger la nature, ni d'ériger en principe, de son propre chef, que chaque citoyen a le droit de vivre dans un environnement de qualité. Ceci relève du pouvoir politique qui doit déterminer quelle place il entend lui réserver et ce qui, au contraire, sera affecté aux activités économiques » (42).

D. LE PARACHÈVEMENT EN DROIT FRANÇAIS D'UNE ÉVOLUTION DU DROIT INTERNATIONAL

Comme le note M. Nicolas Huten : « Le silence de la Constitution française sur la question environnementale est devenu d'autant flagrant que le droit international et le droit communautaire, normes concurrentes de la Constitution, ont accueilli toujours plus largement les questions environnementales » (43).

1. Conférences et accords internationaux : un « droit faible »

· La prise de conscience internationale de la gravité des menaces à l'environnement s'est d'abord traduite par la réunion de conférences internationales favorisant le mouvement des idées, mais par nature inaptes à adopter des normes juridiques contraignantes.

Des déclarations de principe ont été destinées à fixer la ligne générale de l'action des États : Déclaration de Stockholm adoptée par la Conférence des Nations-Unies sur l'environnement de 1972, Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement de 1992, ou Déclaration de Johannesburg de 2002 sur le développement durable. Le Conseil de l'Europe est pour sa part à l'origine de la déclaration de principe sur la lutte contre la pollution de l'air de 1968, de la Charte des sols de 1972 ainsi que de la Charte européenne des ressources en eau de 2001.

Consciente de la portée pratique limitée de ces déclarations, les participants des conférences internationales ont recouru à un type d'instrument plus original dans le droit international : les programmes d'action, définissant des tâches à mener par les États et des méthodes à suivre. Le Plan d'action pour l'environnement de la Conférence de Stockholm de 1972 comporte ainsi 103 recommandations. Le programme Action 21 adopté à Rio en 1992 se compose de 40 chapitres, et s'adresse soit aux gouvernements des États, soit aux organisations internationales, soit aux acteurs économiques et sociaux de la « société civile ». Plus récemment, en 2002, 170 propositions d'action figurent dans le plan d'application du sommet mondial pour le développement durable de Johannesburg.

La portée symbolique de ces documents et leur influence sur les opinions publiques ne sont pas négligeables. Toutefois, l'insertion de leurs principes dans le droit positif reste à la merci de la bonne volonté des États.

· Des négociations internationales spécialisées sont par ailleurs l'occasion pour la France de promouvoir les principes de préservation de l'environnement. Au sein de l'Organisation mondiale du commerce, en particulier, elle défend activement depuis plusieurs années la mise ne œuvre du principe de précaution, face à la position de blocage des États-Unis. Il est du reste paradoxal que ce principe, qui est au cœur de l'action diplomatique française, fasse l'objet des controverses les plus vives s'agissant de son encadrement dans la Constitution.

· Sur le plan du droit positif, le vide de la Constitution a été partiellement comblé, dans quelques domaines étroitement spécialisés, une dizaine de traités multilatéraux et bilatéraux en matière d'environnement. On mentionnera en particulier la Convention de Washington sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages du 3 mars 1973, la Convention d'Helsinki du 17 mars 1992 sur la protection et l'utilisation des cours d'eau transfrontaliers et les lacs internationaux, la Convention-cadre sur les changements climatiques signée à New York le 9 mai 1992, la Déclaration de Rio sur l'environnement et le développement du 13 juin 1992, la Convention de Paris pour la prévention de la pollution marine de l'Atlantique Nord-Est du 22 septembre 1992, la Convention d'Aarhus sur l'accès à l'information et la participation du public du 25 juin 1998, la Convention de Berne pour la protection du Rhin du 12 avril 1999, ainsi que le Protocole de Cartagena sur la prévention des risques biotechnologiques du 29 janvier 2000.

Comme on le verra ci-après à propos de l'article 7 de la présente Charte, la Convention d'Aarhus, entrée en vigueur en France le 6 octobre 2002, occupe une place à part en raison du caractère général de ses stipulations. Celles-ci peuvent s'imposer au législateur dans une large gamme d'hypothèses. Son article 1er dispose : « Afin de contribuer à protéger le droit de chacun, dans les générations présentes et futures, de vivre dans un environnement propre à assurer sa santé et son bien-être, chaque partie garantit les droits d'accès à l'information sur l'environnement, de participation du public au processus décisionnel et d'accès à la justice en matière d'environnement conformément aux dispositions de la présente Convention ». Toutefois l'apport de cette convention est limité par l'application de directives européennes plus contraignantes encore pour le législateur.

2. Le développement des politiques communautaires

a) Une consécration tardive dans les traités européens

La Communauté européenne s'est constituée autour d'un projet de développement économique dont la préservation et la mise en valeur de l'environnement étaient initialement absentes. C'est progressivement que des actions en la matière se sont développées, dans le cadre de directives et de programmes d'action européenne, l'évolution étant fortement encouragée par la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes.

Cette genèse dans le creuset de l'action pratique explique que l'approche européenne de l'environnement demeure exclusivement centrée sur les politiques communautaires. À aucun moment, un droit à l'environnement n'a été reconnu dans le cadre des institutions européennes, pas plus dans les traités en vigueur que dans l'article II-37 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union figurant dans la partie II du futur traité établissant une Constitution pour l'Europe. De ce point de vue, la reconnaissance d'un tel droit par la présente Charte représente un progrès réel des normes s'imposant au législateur.

Ce n'est qu'en 1986 que l'Acte unique européen a fait entrer l'environnement dans les traités fondateurs. Le contenu de la politique communautaire d'environnement a été précisé et développé par les traités de Maastricht en 1992 et d'Amsterdam en 1999.

L'article 2 du Traité instituant la Communauté européenne dispose désormais que « la Communauté a pour mission (...) de promouvoir dans l'ensemble de la Communauté un développement harmonieux, équilibré et durable des activités économiques (...) un niveau élevé de protection et d'amélioration de la qualité de l'environnement ». Son article 6 pose ainsi le principe d'intégration de l'environnement dans les politiques communautaires : « Les exigences de la protection de l'environnement doivent être intégrées dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de la Communauté visées à l'article 3, en particulier afin de promouvoir le développement durable ».

Le plus important est l'article 174 du Traité. Son 1. dispose que les objectifs de la Communauté en matière d'environnement sont : « la préservation, la protection et l'amélioration de la qualité de l'environnement, la protection de la santé des personnes, l'utilisation prudente et rationnelle des ressources naturelles, la promotion, sur le plan international, de mesures destinées à faire face aux problèmes régionaux ou planétaires de l'environnement ». L'article 174-2 fait entrer dans le droit communautaire les principes reconnus lors de la Conférence de Rio : « La politique de la Communauté (...) est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur ».

Si ces principes ne se sont pas directement imposés au législateur, ils ont directement inspiré les très nombreuses directives transposées en droit interne. Il est donc important de souligner que, malgré le silence de la Constitution, le législateur français est contraint de prendre en compte les exigences d'environnement définies par le droit communautaire dérivé et par la jurisprudence européenne.

Au demeurant, la France a été condamnée à diverses reprises par la Cour de justice pour infraction à la réglementation communautaire en matière d'environnement.

b) Une jurisprudence dynamique

Le dynamisme propre de la jurisprudence communautaire conduit à un renforcement rapide des exigences qui pèsent à ce titre sur les États membres. Tel est le cas en particulier s'agissant du principe de précaution, mentionné mais non défini par l'article 174 précité. Ce principe est désormais considéré comme un principe général du droit communautaire. Il est appliqué notamment en matière d'environnement. Sa définition, résultat d'une élaboration jurisprudentielle, présente deux inconvénients majeurs : elle est susceptible, par sa nature même, d'évolutions à tout moment, et ses contours apparaissent moins précis que ceux fixés par l'article 5 de la Charte. En associant les notions de précaution et de prévention, en particulier, elle est de nature à compliquer la tâche du législateur et à faire, en pratique, disparaître le principe de prévention.

L'état le plus récent de cette jurisprudence est dressé dans l'arrêt « Solvay » du tribunal de première instance des Communautés européennes en date du 21 octobre 2003 (44) concernant l'autorisation du nifursol et ses effets pour la santé. Le tribunal a jugé que « (...) le principe de précaution constitue un principe général du droit communautaire imposant aux autorités concernées de prendre, dans le cadre précis de l'exercice des compétences qui leur sont attribuées par la réglementation pertinente, des mesures appropriées en vue de prévenir certains risques potentiels pour la santé publique, la sécurité et l'environnement, en faisant prévaloir les exigences liées à la protection de ces intérêts sur les intérêts économiques. Dans la mesure où les institutions communautaires sont responsables, dans l'ensemble de leurs domaines de compétence, de la protection de la santé publique, de la sécurité et de l'environnement, le principe de précaution peut être considéré comme un principe autonome découlant des dispositions du traité (...).

(...) Selon une jurisprudence bien établie, dans le domaine de la santé publique, le principe de précaution implique que, lorsque des incertitudes subsistent quant à l'existence ou à la portée de risques pour la santé des personnes, les institutions peuvent prendre des mesures de précaution sans avoir à attendre que la réalité et la gravité de ces risques soient pleinement démontrées (...). »

Reprenant la règle posée par l'arrêt Artegodan de la Cour, le juge se borne heureusement à exercer sur les mesures prises un contrôle juridictionnel minimal se limitant à vérifier si elles ne sont pas entachées d'erreur manifeste ou de détournement de pouvoir, ou si l'autorité compétente n'a pas manifestement dépassé les limites de son pouvoir d'appréciation.

Mais, une fois encore, ce sont les principes de fond de la jurisprudence communautaire et son caractère évolutif qui posent une difficulté pour le législateur national.

3. La primauté du droit européen sur la loi ordinaire

· Le droit européen est régi par le principe de l'effet direct, ou applicabilité directe. Il implique que le juge national doit exclure l'application du droit interne, même postérieur, lorsque celui-ci est contraire aux normes communautaires : « en vertu du principe de la primauté du droit communautaire, les dispositions du traité et les actes des institutions directement applicables ont pour effet, dans leurs rapports avec le droit interne des États membres (...) de rendre inapplicables de plein droit (... toute disposition contraire de la législation existante) » (cjce 9 mars 1978, Administration des finances c/ Simmenthal).

Bénéficient de cet effet direct à la fois les traités, les règlements communautaires - directement applicables (45)-, les directives sous réserve de leur transposition, ainsi que la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes.

· La jurisprudence constante de la Cour de cassation (46) et du Conseil d'État (47) fait ainsi prévaloir le droit communautaire sur la loi et le règlement, quelle qu'en soit la date. S'agissant des lois antérieures aux traités, la supériorité de ceux-ci résulte expressément de l'article 55 de la Constitution. Mais la jurisprudence, notamment administrative, avait d'abord hésité à faire prévaloir la même règle pour les lois postérieures.

Le « contrôle de conventionalité » qu'exercent en conséquence de façon permanente l'ensemble des juges judiciaires et administratifs se traduit par une diffusion très rapide du droit européen tel que la Cour de justice le met en œuvre. C'est ainsi que le Conseil d'État n'hésite pas à écarter l'application d'un article du code général des impôts qui, sur la base d'une jurisprudence de la Cour, apparaît contraire à une stipulation du Traité (48).

C'est également ainsi que, par un arrêt remarqué du 3 décembre 1999 (Association ornithologique et mammalogique de Saône-et-Loire), le Conseil d'État a annulé le refus de la ministre de l'environnement, Mme Dominique Voynet, de fixer par arrêté des dates d'ouverture et de fermeture de la chasse aux oiseaux migrateurs dérogeant à une loi, mais conformes au droit communautaire.

En l'espèce, le législateur avait délibérément dérogé à la directive n° 79-409 du 2 avril 1979 sur la protection des oiseaux, par des dispositions des lois du 15 juillet 1994 et du 3 juillet 1998 fixant ces dates. Mise en demeure par des associations de prendre des arrêtés contraires à ces dispositions pour respecter la directive, la ministre n'avait pas cru pouvoir ainsi écarter l'application de la loi. Dans son arrêt d'annulation, le Conseil d'État a considéré qu'une « loi inapplicable » du fait de la méconnaissance du droit communautaire ne pouvait empêcher le pouvoir réglementaire compétent d'agir « dans le respect des objectifs de la directive ».

On se souvient que dans cette affaire, la résistance du législateur a conduit la Cour de justice à condamner la France le 7 février 2000, avant que l'article 24 de la loi du 26 juillet 2000 sur la chasse ne reprenne - du moins en partie - les exigences de la directive de 1979.

Par conséquent, si la jurisprudence communautaire relative au principe de précaution venait à évoluer jusqu'à entrer en contradiction avec les dispositions législatives du code de l'environnement, le juge français écarterait l'application de ces dernières.

En revanche, comme on le verra ci-après (49), la primauté du droit communautaire ne s'applique pas à l'égard de la Constitution, conformément à la jurisprudence Sarran du Conseil d'État.

*

Le droit international révèle donc un paradoxe préoccupant. La France, très active sur le plan diplomatique pour défendre une politique ambitieuse de l'environnement, est en passe de perdre l'initiative dans la définition des normes applicables sur son sol, du fait de l'évolution rapide du droit européen.

*

* *

Pour l'ensemble de ces raisons, la loi ne suffit plus à apporter une réponse appropriée aux enjeux planétaire de l'environnement. Une révision constitutionnelle est nécessaire et légitime.

C'est pourquoi le Président de la République a déclaré à Orléans le 3 mai 2001 : « Au nom de cet idéal, l'écologie, le droit à un environnement protégé et préservé doit être considéré à l'égal des libertés publiques. Il revient à l'État d'en affirmer le principe et d'en assurer la garantie. Et je souhaite que cet engagement public et solennel soit inscrit par le Parlement dans une Charte de l'environnement adossée à la Constitution et qui consacrerait les principes fondamentaux, cinq principes fondamentaux afin qu'ils soient admis au nombre des principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, et à ce titre bien entendu s'imposant à toutes les juridictions y compris le Conseil constitutionnel comme ce fut le cas pour le préambule de la Constitution ou la Déclaration des droits de l'Homme. Forte de ces principes, la France peut devenir le creuset d'un nouvel art de vivre pour le XXIe siècle. »

Il a précisé son engagement le 18 mars 2002, à Avranches : « Je proposerai aux Français d'inscrire le droit à l'environnement dans une charte adossée à la Constitution, aux côtés des droits de l'homme et des droits économiques et sociaux. Ce sera un grand progrès. La protection de l'environnement deviendra un intérêt supérieur qui s'imposera aux lois ordinaires. Le Conseil Constitutionnel, les plus hautes juridictions et toutes les autorités publiques seront alors les garants de l'impératif écologique. Cette démarche est celle de l'efficacité. Elle permettra d'installer la préoccupation, et même parfois la contrainte, de l'environnement dans la durée. Beaucoup d'autres pays ont déjà adopté de telles dispositions ».

Le présent projet de loi constitutionnelle est la traduction fidèle de cet engagement pris devant les Français.

II. -  LA RÉVISION CONSTITUTIONNELLE : PROGRÈS DU DROIT ET SÉCURITÉ JURIDIQUE

A. UNE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE N'EST PAS UNE LOI COMME LES AUTRES

La nature constitutionnelle du texte emporte des conséquences, tant sur sa procédure d'adoption que sur son domaine, sa forme et ses effets. Il importe de souligner ces particularités, afin de dissiper des malentendus révélés par les auditions.

1. Les adaptations de la procédure législative de droit commun

Sur le plan de la procédure parlementaire, les règles de droit commun sont applicables. L'article 126 du Règlement de l'Assemblée nationale dispose en son premier alinéa : « Les projets et propositions de loi portant révision de la Constitution sont examinés, discutés et votés selon la procédure législative ordinaire », sous certaines réserves.

Quatre particularités de la procédure découlent du texte constitutionnel.

-  L'article 126 précité exclut le recours à la procédure d'examen simplifié.

-  Le deuxième alinéa de l'article 89 de la Constitution prévoit le vote du projet ou de la proposition de loi constitutionnelle par les deux assemblées en termes identiques, ce qui exclut à la fois le recours à la procédure de commission mixte paritaire (article 45, alinéas 2 à 4), à l'habilitation de légiférer par ordonnances (article 38) et à l'engagement par le Gouvernement de sa responsabilité sur le fondement de l'article 49, alinéa 3.

-  Une fois le texte adopté en termes identiques, la révision n'est définitive qu'après avoir été adoptée par référendum (deuxième alinéa de l'article 89). Toutefois, lorsque, comme au cas présent, elle est issue d'un projet de loi constitutionnelle et non d'une initiative parlementaire, le Président de la République peut décider de la soumettre au Parlement convoqué en Congrès, en vue d'une approbation à la majorité des trois cinquièmes des suffrages exprimés (50). La décision de convoquer les électeurs et celle de convoquer le Parlement en Congrès sont toutes deux exercées par un décret soumis à contreseing, car l'article 89 n'est pas au nombre des articles cités par l'article 19, relatif aux pouvoirs propres du Président de la République. Jusqu'à présent, c'est par le Congrès qu'ont été approuvées toutes les révisions opérées sur le fondement de l'article 89, sauf celle du 2 octobre 2000 ramenant à cinq ans la durée du mandat du Président de la République.

-  La procédure d'approbation pouvant être différente selon que le texte est issu d'une initiative parlementaire ou d'un projet de loi, c'est avec une rigueur particulière que sont applicables les dispositions réglementaires de l'alinéa 5 de l'article 98 du Règlement de l'Assemblée nationale, selon lesquelles « les amendements et les sous-amendements ne sont recevables que s'ils s'appliquent effectivement au texte qu'ils visent ou, s'agissant d'articles additionnels, s'ils sont proposés dans le cadre du projet ou de la proposition ». Dans le cas du présent projet, ces dispositions pourraient être invoquées par le Gouvernement à l'encontre d'amendements parlementaires qui ne s'appliqueraient par à la Charte de l'environnement ou qui porteraient articles additionnels sans lien avec celle-ci (51).

Le Gouvernement peut aussi choisir de ne pas user de cette faculté et de se borner à demander à l'Assemblée nationale le rejet d'un tel amendement « hors du cadre ». On se souvient qu'il a procédé ainsi le 21 novembre 2002, au cours du débat sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République : M. Victorin Lurel ayant déposé un amendement introduisant la mention du droit à l'environnement dans l'article 1er de la Constitution, le garde des Sceaux, estimant le débat prématuré, s'est borné à partager l'avis défavorable de la Commission (52).

Ces particularités mises à part, le gouvernement dispose des instruments de procédure usuels du parlementarisme rationalisé, notamment le vote bloqué prévu par le troisième alinéa de l'article 44 de la Constitution. Quant aux parlementaires, il leur est loisible de défendre les motions de procédure de droit commun, y compris l'exception d'irrecevabilité. Même s'il y a quelque paradoxe à demander à l'assemblée concernée de « reconnaître que le texte proposé est contraire à une ou plusieurs dispositions constitutionnelles » s'agissant d'une révision de la Constitution, cette motion de procédure peut valablement être défendue (53). Sur le fond, elle serait certes malaisée à étayer juridiquement, car le pouvoir constituant, même dérivé, est souverain.

2. La marge d'initiative très étendue du pouvoir constituant dérivé

Par deux grandes décisions de 1992 et 2003, le Conseil constitutionnel a cerné les contours de cette souveraineté.

· Dans sa décision dite « Maastricht II » n° 92-312 dc du 2 septembre 1992 relative au Traité sur l'Union européenne, le Conseil constitutionnel a rejeté la thèse de la supra-constitutionnalité selon laquelle des règles et des principes fondamentaux, comme la souveraineté nationale, seraient supérieurs aux dispositions de la Constitution ou à certaines d'entre elles. Si un principe tel que la souveraineté nationale a, d'évidence, une valeur fondatrice, le législateur et le juge constitutionnel n'ont pas à le faire prévaloir en tant que tel, mais au travers des dispositions constitutionnelles qu'il inspire.

Dès lors, le législateur est appelé à assurer en permanence une œuvre de conciliation entre divers principes et règles de valeur constitutionnelle.

Le Conseil a d'abord dégagé du texte constitutionnel les limites que doit respecter le pouvoir constituant dérivé : la révision ne peut être engagée au cours de certaines périodes (vacance de la présidence de la République, exercice des pouvoirs exceptionnels de l'article 16, atteinte à l'intégrité du territoire) et elle ne peut porter sur la forme républicaine du gouvernement.

Il a ensuite constaté, sous ces réserves, la compétence du pouvoir constituant pour abroger, modifier ou compléter « des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu'il estime appropriée », aussi bien que pour déroger, implicitement ou explicitement, « à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle ». La haute juridiction a ainsi pris soin, par deux fois, de ne pas seulement viser les dispositions contenues dans les articles de la Constitution, mais bien l'ensemble de ce qu'il est désormais convenu d'appeler le « bloc de constitutionnalité ».

Le considérant 19, qui résume cette analyse, mérite d'être intégralement cité :

« Considérant que sous réserve, d'une part, des limitations touchant aux périodes au cours desquelles une révision de la Constitution ne peut pas être engagée ou poursuivie, qui résultent des articles 7, 16 et 89, alinéa 4, du texte constitutionnel et, d'autre part, du respect des prescriptions du cinquième alinéa de l'article 89 en vertu desquelles "la forme républicaine du gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision", le pouvoir constituant est souverain ; qu'il lui est loisible d'abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu'il estime appropriée ; ainsi rien ne s'oppose à ce qu'il introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans le cas qu'elles visent, dérogent à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle ; que cette dérogation peut être aussi bien expresse qu'implicite ».

· Non seulement le constituant a les coudées franches pour réviser la Constitution, mais en l'état actuel, aucun juge ne peut sanctionner l'éventuelle méconnaissance des limites assignées ou des procédures fixées par la Constitution.

Par sa décision n° 62-20 dc du 6 novembre 1962, le Conseil constitutionnel avait décliné sa compétence pour statuer sur une révision approuvée par le peuple à la suite d'un référendum, et constituant ainsi « l'expression directe de la souveraineté nationale » (55). A titre plus général, l'an dernier, dans la décision n° 2003-469 dc du 26 mars 2003 sur la loi constitutionnelle relative à l'organisation décentralisée de la République, il a considéré qu'il ne tenait « ni de l'article 61, ni de l'article 89, ni d'aucune autre disposition de la Constitution le pouvoir de statuer sur une révision constitutionnelle » (56).

3. Un impératif de clarté et de concision

« Je voudrais d'abord rappeler une évidence : la forme constitutionnelle ou non d'un principe influe nécessairement sur le fond, c'est-à-dire sur la formulation et la portée. » Ainsi s'exprimait le professeur Michel Prieur au cours du colloque du 13 mars 2003 sur les enjeux scientifiques et juridiques du projet de charte alors en cours d'élaboration.

· Le texte de la Charte de l'environnement le montre avec éclat : le législateur ne rédige pas la Constitution comme il écrit la loi. Le professeur Yves Jégouzo, président du comité juridique de la « commission Coppens », témoignait, le 13 mars 2003 également, de ses interrogations sur « cette difficulté d'écriture que nous rencontrons, à savoir : "que peut-on mettre dans un texte constitutionnel ? On ne peut pas rentrer à ce stade dans le détail des procédures et c'est peut-être ici où la loi, organique ou ordinaire, prendrait son intérêt ».

Au cours du colloque d'Aix-en-Provence de septembre 1988 sur l'écriture de la Constitution de 1958, Mme Françoise Thibaut, maître de conférence en linguistique à l'université de Paris XI, expliquait : « La langue "constitutionnelle" n'est pas une langue "naturelle" : c'est une langue construite à partir d'éléments naturels, mais qui doit " couvrir " toutes les langues naturelles de tous les groupes sociaux qu'elle entend embrasser, ou, du moins, le plus grand nombre d'entre eux. » Elle relevait que la Constitution du 4 octobre 1958, en particulier, dénote « une grande unité de ton, un schéma directeur non improvisé même s'il est négocié, et une grande volonté de "clarification" ».

C'est donc avec une main tremblante que le législateur se doit de toucher à un édifice ainsi ordonné. On comprend les réticences de principe exprimés par certains juristes à l'idée de modifier le Préambule et d'adjoindre une Charte aux « textes patinés par le temps » que sont la Déclaration de 1789 et le Préambule de 1946 : M. Guy Carcassonne a parlé d'« outrecuidance », au cours de son audition du 3 décembre 2003 par votre commission des Lois. Pourtant, ainsi qu'on l'a vu, cette révision répond à des motifs si puissants qu'elle s'inscrit dans la continuité de nombreuses tentatives qui n'ont pas craint l'outrecuidance.

Dans le texte constitutionnel, chaque mot compte. Si Napoléon pouvait, il y a deux siècles, considérer qu'« une Constitution, pour être bonne, doit être courte et obscure », pour les républicains de 2004, la mission est plus ardue, car la clarté doit désormais s'ajouter à la concision. Etre courte et claire est une exigence démocratique pour une Constitution moderne.

Le législateur contemporain privilégie la précision du texte, gage de sécurité juridique. Reconnaissons que ce souci légitime a souvent pour rançon la longueur et la complexité de la norme et menace son intelligibilité -objectif de valeur constitutionnelle -, voire, au pire des cas, sa clarté - principe de valeur constitutionnelle.

La législation de l'environnement, en particulier, lorsqu'elle n'est pas déclaratoire, est souvent très minutieuse, du fait de la technicité de la matière. La Charte doit s'interdire de descendre dans les détails, pour respecter les équilibres institutionnels.

Le rôle du constituant est de désigner les buts généraux à atteindre. C'est au législateur qu'il appartient de choisir les politiques à mettre en œuvre pour y parvenir et les moyens de son action. Pour user d'une image facile, on pourrait dire que le constituant, en matière de droits et libertés, définit le port de destination, laissant au législateur « ordinaire » le soin de choisir la route à suivre et au pouvoir réglementaire la tâche de piloter le navire.

Il est vrai que le constituant peut encourir alors le reproche d'édicter des normes imprécises. Mais comme l'a sagement remarqué le doyen Vedel : « l'imprécision d'une norme constitutionnelle relative aux droits et aux libertés, si elle peut mettre obstacle à sa mise en œuvre directe sans le relais de la loi, n'empêche nullement qu'elle serve de base à la censure de la loi ou du règlement qui lui est contraire. Le degré de son imprécision a, de ce dernier point de vue, pour seul effet d'ouvrir au législateur, à l'administration, ou au juge, un pouvoir d'appréciation plus ou moins étendu » (57).

Par conséquent, les dispositions de la Charte doivent d'abord respecter un impératif de clarté, pour être accessibles à l'ensemble des citoyens et donner des orientations sans ambiguïté au législateur et au juge. Mais leur autre impératif est celui de la sobriété et de la concision. Il leur faut en effet respecter la liberté de choix du législateur, et ne pas insulter l'avenir en figeant des définitions rigides. Cette concision est en effet un gage de pérennité.

4. Au sommet de la hiérarchie des normes

a) L'articulation avec la loi en vigueur

Dans la mesure où certains articles de la Charte élèvent au niveau constitutionnel des normes qui figurent déjà dans le code de l'environnement, leur articulation avec les textes de valeur législative a suscité des interrogations.

· La première porte sur l'utilité de « répéter » des normes appartenant déjà au droit positif. Il faut donc redire une évidence : lorsque les principes de prévention et de précaution sont posés par la loi, toute loi peut y déroger. En pratique, la garantie constitutionnelle les fait passer d'une valeur déclaratoire à une complète effectivité juridique.

· Une deuxième question résulte des mentions législatives qui ne sont pas reprises dans le texte constitutionnel. Il s'agit en principe de modalités d'application qui relèvent de l'appréciation du législateur, mais n'ont pas à être pérennisées en devenant constitutionnellement garanties.

Ainsi, l'article 4 de la Charte pose le devoir de réparation, qui implique que toute personne contribue à la réparation du dommage. C'est à la loi de déterminer dans quelle mesure cette contribution doit être intégrale ou partielle. C'est à elle encore de décider de prévoir le principe pollueur-payeur, applicable aux biens appropriés, mais non aux « dommages écologiques purs », qui ne font pas grief à un propriétaire identifiable.

· Une troisième question porte sur le point de savoir si la législation en vigueur peut et doit être considérée comme loi d'application de la Charte. Les juristes auditionnés ont été unanimes pour répondre par l'affirmative dès lors, naturellement, que les dispositions en sont compatibles avec la Charte, ce qui apparaît largement vérifié. Le législateur est invité à donner toute leur portée aux normes posées par la Charte, et, ce faisant, à s'assurer de l'actualité du droit existant.

b) La suprématie de la Constitution sur le droit international

La garantie constitutionnelle conférée aux droits et devoirs en matière d'environnement les fait prévaloir, non seulement à l'égard des normes internes, mais aussi sur le droit européen et les conventions internationales. La Constitution conserve la primauté dans la hiérarchie des normes. Son article 55 ne confère aux traités régulièrement ratifiés une autorité supérieure que par rapport « aux lois ». « Par ailleurs, l'article 54 de la Constitution établit une hiérarchie favorable à la Constitution puisqu'il prévoit qu'un traité contraire à la Constitution ne peut être ratifié : ce n'est pas la Constitution qui est contrainte de s'adapter au traité à travers une révision, mais le traité qui ne peut être ratifié. Le dernier mot appartient au pouvoir constituant. » (58).

Cette analyse a été clairement retenue par le Conseil d'État dans son arrêt Sarran du 30 octobre 1998, puis confirmée depuis lors (59) et mise en œuvre pour refuser de faire prévaloir une jurisprudence de la Cour sur les dispositions de la Constitution : le Conseil d'État a ainsi jugé en 2001 que le « principe de primauté (...) ne saurait conduire, dans l'ordre interne, à remettre en cause la suprématie de la Constitution » (60), qu'il s'agisse de dispositions du Traité, de principes généraux de l'ordre juridique communautaire ou de l'autorité de la chose jugée par des arrêts de la Cour.

Par conséquent, les définitions posées par la Charte s'imposeront tant au législateur qu'au juge national. Pour prendre l'exemple du principe de précaution, quoique celui-ci soit considéré comme un principe général de l'ordre juridique européen, c'est sa définition par la Charte, sensiblement plus stricte et plus précise, qui prévaudra. En foi de quoi, le devoir de prévention pourra occuper la place prépondérante qui lui revient comme principe directeur de la politique d'environnement.

5. La conciliation entre normes de valeur constitutionnelle

a) Principes et objectifs

Ce qu'il est convenu d'appeler le « bloc de constitutionnalité » comprend des éléments divers et l'insertion de normes nouvelles supposera qu'une conciliation soit opérée entre eux le moment venu.

Sans dresser une typologie exhaustive à partir de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il convient de préciser que celui-ci se réfère notamment à des « principes de valeur constitutionnelle », directement applicables et invocables par les citoyens devant le juge. Il fait également usage depuis 1982 (61) de la notion d'« objectifs de valeur constitutionnelle », qui s'imposent au législateur, mais n'ont jamais été considérés comme directement justiciables.

Le législateur, naturellement, est tenu de les respecter et leur méconnaissance par une loi soumise au Conseil constitutionnel peut justifier une censure par celui-ci. Mais surtout, ces objectifs instituent une obligation d'agir. Il incombe tant au législateur qu'au pouvoir réglementaire de déterminer leurs modalités concrètes d'application. Leur intervention doit avoir pour objet de rendre effectifs les droits concernés. En revanche, ils ne créent pas, en eux-mêmes, de droits entre les citoyens, ni au bénéfice de ceux-ci face à l'administration. Tel est le cas en particulier de l'objectif de lutte contre la fraude fiscale (62), ou de la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent. Dans un domaine plus proche de l'environnement, le droit à la protection de la santé, garanti par le onzième alinéa du Préambule de 1946, est également considéré comme un tel objectif (63). Principes et objectifs sont parfois réunis sous le vocable d'« exigences constitutionnelles ».

La Charte assigne à la loi des objectifs de valeur constitutionnelle, en tous ses articles, sauf l'article 5 relatif au principe de précaution. Celui-ci a le caractère d'un principe constitutionnel à part entière, ce qui implique que son application directe est possible, l'intervention du législateur n'étant pas un préalable nécessaire. Le législateur est, bien sûr, compétent sans restriction pour le mettre en œuvre s'il le souhaite, au même titre que s'agissant des principes d'égalité ou de la continuité du service public. Comme l'a déclaré le président Bruno Genevois au cours de son audition : « La loi doit mettre en œuvre son pouvoir de mettre en cause ».

b) Absence de hiérarchie interne au « bloc de constitutionnalité »

Lors de l'élaboration de la loi, il appartient au législateur d'opérer la conciliation nécessaire entre les différents articles, principes ou objectifs de valeur constitutionnelle éventuellement en cause. Il n'y a pas de hiérarchie entre eux, sinon, comme le note le président Bruno Genevois (64), en fonction de leur contenu matériel, c'est-à-dire de leur degré de précision et des tempéraments dont ils sont susceptibles de faire l'objet. En matière d'environnement, le législateur pourra être amené par exemple à concilier les droits et devoirs nouveaux avec l'égalité, la propriété, la liberté d'entreprendre, la libre administration des collectivités locales, etc. Les droits doivent également être conciliés avec l'ordre public.

En outre, le sixième considérant de la Charte précise que la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la nation (dont les exigences de la défense nationale).

En raison de la difficulté de la démarche de conciliation qui incombe au législateur, le Conseil n'exerce en la matière qu'un contrôle minimum, consistant à déceler une éventuelle erreur manifeste.

c) Pas d'« effet-cliquet », mais un « effet-artichaut »

En matière de droits et libertés, une expression est volontiers employée car elle est commode : l'« effet-cliquet ». Mais elle ne correspond pas à l'état de la jurisprudence.

La doctrine avait cru pouvoir élaborer la notion de « cliquet anti-retour » applicable aux libertés publiques dans les années 1980. Par exemple, dans sa décision relative au droit d'asile, le Conseil constitutionnel avait considéré que, « s'agissant d'un droit fondamental (...), la loi ne peut en réglementer les conditions, en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle » (65).

En réalité, comme l'indique le commentaire figurant dans le n° 16 des Cahiers du Conseil constitutionnel, « en matière de libertés publiques, le Conseil a depuis longtemps renoncé à la tentation d'instaurer une règle générale de "non retour en arrière", règle qu'il n'avait d'ailleurs initialement envisagée qu'en matière de protection de la liberté de communication, parce que celle-ci est la garantie d'autres droits et libertés (n° 84-181 DC des 10 et 11 octobre 1984, cons. 38) (...). Ainsi, dans sa décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002 (cons. 63 à 68), le Conseil constitutionnel rejette expressément la théorie de l'effet cliquet à propos de la présomption d'innocence. »

L'état actuel de la jurisprudence relative aux modifications de règles légis-latives garantissant une exigence constitutionnelle est le suivant :

- Il est à tout moment loisible au législateur de modifier ou d'abroger des lois antérieures.

- Il peut adopter, pour la réalisation ou la conciliation d'objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d'apprécier l'opportunité et qui peuvent comporter la modification ou la suppression de dispositions qu'il estime excessives ou inutiles.

- Cependant, « l'exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel » (66).

Les nouvelles exigences en matière d'environnement bénéficieront, non d'un effet-cliquet, mais de cette protection : ils ne pourront plus être privés de toute garantie légale. Le doyen Favoreu en a proposé une image plaisante : celle de l'« effet-artichaut » : le législateur peut enlever feuille à feuille des éléments de leur régime législatif ; mais il ne peut toucher au cœur.

*

Le droit constitutionnel est un art d'équilibre. Les membres de la « Commission Coppens » ont témoigné de la difficulté de la tâche du constituant. Comme Ulysse, il lui faut passer entre Charybde et Scylla : entre l'espoir de l'opinion publique et la méfiance de beaucoup d'acteurs économiques, entre un texte ambitieux et contraignant qui fait peur et un texte prudent qui déçoit ou fait sourire, entre le « droit dur » et le « droit mou ».

Il est vrai que l'état actuel du droit de l'environnement justifierait déjà ces qualificatifs.

Le rapporteur a la faiblesse de considérer que, somme toute, au bénéfice des amendements de sagesse adoptés par votre commission, le compromis est satisfaisant. Il apparaît conforme à la nature de la Constitution de 1958, dont le doyen Vedel a bien voulu considérer que sa vertu était d'être à la fois « rigide » et « vaporeuse » :

« ... cette Constitution est, de toute notre histoire, à la fois la plus rigide et la plus vaporeuse. La Constitution la plus rigide effectivement ; aucune autre n'a en effet mieux ordonné les normes dans un ordre hiérarchique fidèle (...).

Le texte est rédigé avec une très grande précision, au moins dans certains cas, par des gens de plume rompus au maniement des concepts juridiques (...).

En d'autres points cependant, cette Constitution se révèle vaporeuse. Elle s'est avérée plus qu'aucune autre de nos Constitutions apte à supporter les conjonctures politiques les plus variées (...).

Mais si elle nous paraît vaporeuse, c'est aussi à cause de sa rédaction - est-ce le génie des rédacteurs, je n'en sais rien ? - qui, tout en paraissant extrêmement précise, est probablement de toutes nos Constitutions celle qui a autorisé le plus grand nombre d'interprétations juridiques » (67).

B. 2004 : UNE RÉVISION PAS COMME LES AUTRES

La Constitution a été révisée à dix-sept reprises. Mais alors qu'elle n'avait été modifiée que cinq fois entre 1960 et 1976, douze révisions sont intervenues depuis 1992, soit une par an en moyenne. Ces révisions sont de portée très inégale. La loi constitutionnelle n° 2000-964 du 2 octobre 2000 instaurant le « quinquennat » du mandat présidentiel, celle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République ont une portée institutionnelle significative.

En revanche, plusieurs révisions récentes sont de caractère technique, souvent liées à la nécessité d'opérer des ajustements aux évolutions du droit communautaire européen, comme ce fut le cas de la loi constitutionnelle du 25 mars 2003 sur le mandat d'arrêt européen.

Le présent projet de loi constitutionnelle revêt une dimension historique. Son propos est en effet d'ouvrir une troisième génération des droits de l'homme, la Charte de 2004 venant se ranger aux côtés de la Déclaration de 1789 et du Préambule de 1946.

1. La préparation : un exercice de démocratie participative

Avant l'ouverture de la procédure parlementaire de révision constitutionnelle, la Charte a fait l'objet d'une longue maturation, à la fois originale et démocratique. Le principe de participation des citoyens, proclamé par l'article 7 du projet de Charte, a été appliqué à la Charte elle-même. Plusieurs procédures de consultation ont été mises en œuvre, entre la communication de Mme Roselyne Bachelot au Conseil des ministres du 5 juin 2002 et le dépôt du projet de loi constitutionnelle, le 27 juin 2003.

Le rôle central a été dévolu à une commission constituée le 26 juin 2002 sous la présidence de M. Yves Coppens, paléontologue et professeur au Collège de France (68). Elle a reçu pour mission de préparer un projet de charte en éclairant ses enjeux. Composée de 18 membres titulaires, elle a associé, avec les suppléants, au total 25 « personnalités qualifiées » : chercheurs scientifiques de disciplines diverses, juristes, représentants du monde associatif, syndical et de l'entreprise, ainsi que des parlementaires. Un comité scientifique présidé par M. Robert Klapisch, un comité juridique présidé par le professeur Yves Jégouzo, ainsi que d'autres comités plus spécialisés (éthique, évaluation), ont permis d'associer à ses travaux de nombreux experts.

Sous l'autorité bienveillante et ferme de son président, cette commission est parvenue, en partant de positions à la fois tranchées et divergentes, à dégager un consensus sur un texte. Ce résultat a été obtenu au prix d'un travail assidu, au cours de treize séances plénières accompagnées des nombreuses réunions de comités. Il a été rendu possible par l'esprit d'ouverture qui a régné au cours des discussions, avec l'objectif de parvenir à un texte unanime.

Ainsi que l'a expliqué le professeur Yves Coppens au cours de son audition, la réunion de conclusion tenue le 20 mars 2003 avait permis de constater l'unanimité des présents sur le texte élaboré. Mais certains membres représentatifs de la sensibilité « environnementaliste », absents lors du vote, ayant exprimé ensuite des regrets sur le compromis adopté, la commission s'est réunies une dernière fois le 8 avril 2003. L'accord unanime s'est alors fait pour un texte de douze articles, dont deux, relatifs au principe pollueur-payeur et au principe de précaution, comportaient deux variantes.

Ce texte, remis au Gouvernement, a été encore resserré dans sa formulation (69) et soumis le 22 mai au Conseil d'État qui a rendu son avis le 19 juin. Le Conseil des ministres a adopté le projet dès le 25 juin.

Mais parallèlement, le Gouvernement a tout mis en œuvre pour engager le débat le plus large sur les orientations de la Charte.

Un colloque national a réuni 400 experts le 13 mars 2003, date à laquelle un échange approfondi était déjà possible sur les principales options de la « commission Coppens ». Les débats ont porté en particulier sur l'opportunité de porter au niveau constitutionnel le principe de précaution ; ils ont mis en évidence l'importance des notions de responsabilité, de réparation et d'éducation ainsi que des instruments économiques à mettre au service de l'environnement - quoique ce dernier aspect relève davantage de la loi que de la Constitution.

Quatorze assises territoriales, dont dix en métropole, ont permis, entre la fin janvier et la fin février 2003, la participation et l'expression de plus de 8 000 personnes. Elles ont apporté une illustration supplémentaire de la mobilisation des Français sur les questions d'environnement. Elles ont également permis de mesurer combien la Charte est attendue, compte tenu des limites actuelles des principes posés par le code de l'environnement.

En complément, un questionnaire adressé à de nombreux acteurs locaux, relatif aux attentes et aux propositions en matière d'environnement et à l'égard d'une Charte constitutionnelle, a reçu près de 14 000 réponses.

À l'évidence, aucune révision constitutionnelle sous la Ve République n'a été préparée par d'aussi larges consultations dans le pays.

2. Les droits de l'homme de la troisième génération : droits, devoirs et responsabilités

Après la garantie des libertés individuelles en 1789 et la protection des droits sociaux en 1946, la perspective s'élargit encore : la Charte se donne pour objet les relations entre l'homme et le monde qui l'environne.

L'article premier proclame le droit de chaque être humain à un environnement de qualité, c'est-à-dire équilibré et favorable à la santé humaine. Il assure le « rattrapage » du droit constitutionnel français par rapport à la majorité des constitutions modernes. Il est quasiment commun dans son principe à l'ensemble des projets de réforme constitutionnelle qui ont été évoqués ci-avant (I. C). On observera qu'il n'a pas d'équivalent en droit européen, puisque le Traité, autant que la Charte des droits fondamentaux, n'aborde l'environnement que par le truchement des politiques communautaires, et non en termes de droits de l'homme.

La proclamation d'un nouveau droit ne constitue pas une originalité de la Charte de l'environnement. En revanche, celle-ci innove en instaurant des devoirs (70). Une fois modifié, le Préambule de la Constitution renverra de façon complémentaire « aux droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement ».

Ces devoirs incombent soit à chacun d'entre nous, soit aux autorités chargées de définir les politiques publiques. Leur place prépondérante est une caractéristique de la matière. Elle est commune aux principes fondamentaux définis par la « loi Barnier » de 1995 et aux plus détaillées des propositions tendant à constitutionnaliser l'environnement. Celui-ci est par excellence un domaine de relations et d'interactions entre les composantes du milieu naturel, auquel l'homme appartient. C'est pourquoi la qualité de ce milieu est l'affaire de tous, et tous sont coupables de leurs comportements. À ce titre, la présente Charte est un texte de responsabilité, destiné à accompagner une prise de conscience et à encourager des politiques et des attitudes individuelles respectueuses de l'environnement.

C'est ainsi que les nouvelles exigences constitutionnelles destinées à garantir l'exercice du droit à un environnement de qualité sont principalement des devoirs : préservation et amélioration de l'environnement (article 2), prévention (article 3), réparation (article 4), précaution, qui incombe aux autorités publiques (article 5), de même que le développement durable et les grands objectifs des politiques publiques (articles 6, 8, 9 et 10). L'article 7, qui proclame le droit des citoyens à l'information et à la participation en matière d'environnement, implique au demeurant un devoir de communication et de procédures ouvertes pour les autorités publiques.

La Charte contribuera donc à enrichir d'un sentiment de responsabilité les valeurs fondatrices du « vivre ensemble ». L'équilibre entre droits et devoirs, les relations de réciprocité qu'il suppose, lui confèrent un caractère contractuel. Le pacte républicain en sera renouvelé, autour des valeurs de solidarité et de fraternité. C'est bien cette attente de nos compatriotes qui s'est exprimée au cours des nombreux débats locaux sur le projet de Charte.

3. La première proclamation de droits sciemment inscrite dans le « bloc de constitutionnalité »

L'absolue nouveauté de la Charte est que « le constituant est invité à reprendre à son compte la réalité jurisprudentielle selon laquelle le préambule a valeur de droit positif », selon les termes du Professeur Bertrand Mathieu (71).

Lors de l'écriture de la Déclaration de 1789 et des Préambules de 1946 et 1958, les rédacteurs ne considéraient pas que leurs proclamations, quoique solennelles, seraient intégrées dans un droit positif soumis au contrôle d'un juge constitutionnel (72). Depuis lors, le Conseil constitutionnel, d'abord de façon allusive, par un visa de la décision n° 70-39 dc du 19 juin 1970, puis par sa grande décision n° 71-44 dc du 16 juillet 1971 sur la liberté d'association, a donné pleine valeur constitutionnelle au Préambule de 1958 et par voie de conséquence aux textes et principes auxquels renvoie son premier alinéa. Désormais, l'inscription dans le Préambule implique l'insertion dans le « bloc de constitutionnalité », élément du droit positif bénéficiant du contrôle du juge.

Il convient de rappeler qu'aucune hiérarchie interne n'est reconnue entre les différents éléments du bloc. La Déclaration de 1789, en dépit de son lustre, « n'a pas formellement de place prééminente au sein du bloc de constitutionnalité » (73). A l'inverse, son ancienneté ne la fait pas plier face à des exigences constitutionnelles plus récentes. C'est ainsi que, dans son importante décision de 1982 relative à la loi de nationalisation (74), le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions du neuvième alinéa du Préambule de 1946 qui ouvrent la voie aux nationalisations n'avaient ni pour objet, ni pour effet de rendre inapplicables aux opérations de nationalisation les dispositions de 1789 garantissant le droit de propriété : « Il y a ... coexistence de deux règles qui ont chacune leur champ d'application propre » (75).

Les règles figurant dans la Charte auront donc pleine valeur constitutionnelle, au même titre que les autres. Il appartiendra au législateur d'opérer le cas échéant une conciliation, de façon à « ne pas priver de garantie légale une exigence constitutionnelle », selon la jurisprudence classique du Conseil constitutionnel (76). Dès lors, en accord avec la logique du développement durable, quel que soit le domaine particulier de la législation, la loi ne pourra pas priver de garanties la préservation de l'environnement au profit, soit du développement économique, soit du développement social.

4. Le législateur conforté

Au cours des premières réflexions sur la Charte, la crainte s'est exprimée que le législateur, soumis à un « bloc constitutionnel » alourdi, verrait son pouvoir réduit d'autant. Cette vision mécaniste n'est pas réaliste. C'est le contraire qui va se produire, pour plusieurs raisons.

· D'abord, parce que le principe de l'intervention du législateur en matière d'environnement sera juridiquement garanti. La situation actuelle est précaire et confuse, du fait du silence de l'article 34 de la Constitution sur l'environnement. La version initiale du projet, en posant des droits et des devoirs de valeur constitutionnelle, étendait à mesure la compétence législative. De façon plus claire encore, le texte amendé par votre commission des Lois fait de la préservation de l'environnement une matière relevant de la loi aux termes de l'article 34.

· La deuxième raison est que la Charte ouvre des domaines nouveaux à l'intervention du législateur sur des bases clarifiées par des principes directeurs. Le nouveau droit proclamé par l'article 1er, les exigences posées par les articles 2 à 5, les nouvelles dimensions des politiques publiques ouvertes par les articles 6 à 10 invitent le législateur à prendre ses responsabilités. Or, pour ce faire, la sobriété des termes inscrits dans la Constitution lui laissera les coudées franches pour définir les voies et moyens des politiques qu'il entend mener.

· La troisième raison résulte de la clarification assurée au sein des normes supra-législatives du droit de l'environnement. Le droit international et plus encore le droit communautaire - directives et jurisprudence - sont en évolution constante et rapide. La Charte assure au législateur des normes supra-législatives visibles et durables.

5. Les juges guidés

· Le droit actuel de l'environnement est trop souvent un droit de faible valeur normative, dont les principes généraux sont à caractère déclaratoire. De ce fait, c'est au juge qu'il incombe de fixer des principes jurisprudentiels d'interprétation.

La Charte mettra à leur disposition plusieurs « étages » de règles d'interprétation : les articles, les considérants qui en explicitent la philosophie, les travaux préparatoires pour le cas où ces éléments ne seraient pas suffisamment clairs. Éclairé par ces éléments, le Conseil constitutionnel élaborera au fil du temps une jurisprudence qui guidera les « juges ordinaires » sur les principes d'interprétation des lois en matière d'environnement.

· L'article 5, relatif au principe de précaution, illustre cet effet. En l'état actuel, la jurisprudence communautaire s'élabore progressivement autour d'une « principe général du droit communautaire » dépourvu de définition écrite, puisque le Traité sur l'Union européenne cite le principe de précaution sans le définir. Cette jurisprudence n'est pas sans inconvénient, car elle entremêle précaution et prévention, qu'il importe au contraire de distinguer absolument. S'agissant de la loi nationale, l'article L. 110-1 du code de l'environnement définit des critères du principe de précaution, non sans quelques ambiguïtés (sur les destinataires du principe et les éléments à concilier). Mais le juge n'applique pas ces critères, car l'article renvoie aux lois spéciales définissant les modalités de son application. Celles-ci sont, juridiquement, pleinement fondées à déroger aux règles générales posées par l'article précité.

Il n'y a donc à ce jour pas de véritable interprétation jurisprudentielle du principe de précaution tel que l'a défini la « loi Barnier » du 2 février 1995.

Demain, les règles très strictes et les conditions précises définies par l'article 5 s'imposeront au législateur lorsqu'il décidera d'appliquer le principe de précaution à telle situation particulière de risque. Dans l'hypothèse où, soit du fait de l'urgence, soit pour toute autre raison, le législateur choisirait de s'abstenir, le juge serait tenu de vérifier le respect par les autorités publiques compétentes des critères très rigoureux nouvellement définis.

C'est pourquoi, au rebours de certaines inquiétudes, la Charte permettra de sortir des incertitudes actuelles et sera garante de la sécurité juridique.

6. La recherche et l'éducation encouragées

La Charte consacre la responsabilité de chacun en matière d'environnement, notamment - mais pas seulement - par le devoir de préservation et d'amélioration proclamé à son article 2.

· L'exercice de cette responsabilité suppose un effort de formation et d'information pour éveiller les consciences à la compréhension des phénomènes complexes mis en jeu par le développement durable et l'environnement. L'article 8 de la Charte reconnaît cette nécessité.

· La responsabilité éminente de la recherche est également reconnue, à la fois par les articles 5 et 9. Le premier d'entre eux insiste sur le rôle déterminant des chercheurs à un double titre. C'est sur eux que repose la responsabilité de l'alerte préalable au déclenchement éventuel, par les autorités publiques, des mesures de précaution. En outre, l'un des deux volets inséparables de ces mesures est la mise en œuvre de programmes de recherche destinés à évaluer le risque pour l'environnement et à mettre fin à la situation d'incertitude sur l'existence de ce risque.

Pour sa part, l'article 9 est de portée plus générale. Il a pour objet d'encourager au développement des programmes de recherche en environnement et de sensibiliser l'ensemble des chercheurs à leur responsabilité éminente à l'égard de l'ensemble de la société. Il associe donc la liberté, inséparable de toute recherche de qualité, avec un sentiment de responsabilité.

7. Le rôle exemplaire de la France

En matière d'environnement, chacun est responsable, mais les phénomènes sont planétaires. Il n'y a donc pas de politique qui vaille sans prise en compte de la longue durée et de la dimension internationale. La Charte doit y contribuer à un double titre.

· Son article 10 donne clairement mandat de respecter les principes de la Charte aux diplomates ainsi qu'aux négociateurs français des conventions internationales et des actes de l'Union européenne. À ce titre, il concourt à orienter les négociations européennes dans le sens d'une politique ambitieuse et responsable en matière de préservation de l'environnement. Le chemin est long : il n'est que de voir la difficulté de parvenir à des normes efficaces pour prévenir et réprimer les pollutions marines par les hydrocarbures. L'élargissement ne fait que renforcer l'acuité des problèmes.

· Beaucoup de pays étrangers et la plupart de nos partenaires européens ont consacré la valeur constitutionnelle du droit à un environnement de qualité. La France, à cet égard, est en retard, alors qu'elle déploie des efforts inlassables pour défendre la cause de l'environnement sur la scène internationale.

L'adoption d'une Charte de l'environnement la placera en situation de précurseur, car aucun autre pays n'a élevé au niveau constitutionnel, à la fois le droit à l'environnement et un ensemble de principes de base aussi élaboré.

Notre pays disposera ainsi d'une légitimité incontestable pour soutenir ses thèses. Elle sera, le cas échéant, en mesure de proposer ses nouveaux outils juridiques à l'imitation des pays qui seraient intéressés. En entrant dans la troisième génération des droits de l'homme, elle renouera avec sa vocation universaliste.

*

* *

La Déclaration de 1789 avait assuré au citoyen français l'exercice des libertés. Le Préambule de la Constitution de 1946 en garantissant les droits sociaux, a mieux concilié liberté et égalité. La Charte de l'environnement, qui défend la responsabilité de chacun, la solidarité avec les autres habitants de notre « terre-patrie » et la garantie des droits des générations futures, est un texte de fraternité (77).

DISCUSSION GÉNÉRALE

Après l'exposé du rapporteur, le président Pascal Clément a rappelé que la discussion du projet de loi constitutionnelle avait été précédée d'une longue réflexion et de travaux multiples et diversifiés. Il a mis en relief les termes de l'alternative face à laquelle se trouvent les pouvoirs publics : soit considérer que le progrès met en cause la pérennité de la planète, ce qui conduit à prôner la croissance zéro, avec toutes les conséquences qui en découlent ; soit considérer qu'il est possible de concilier le développement économique et la protection de l'environnement, cette conception étant celle qui a inspiré la Charte de l'environnement.

Il a jugé que la constitutionnalisation du droit de l'environnement aurait un rayonnement au-delà de nos frontières, l'expérience de l'élaboration du droit communautaire tendant à montrer que les instances compétentes s'abstiennent de prendre des dispositions contraires aux règles constitutionnelles qu'un État ne souhaite en aucun cas modifier. Il a rappelé à ce propos que le tribunal de première instance des Communautés européennes avait, dans une décision récente, considéré le principe de précaution comme un principe général du droit communautaire, s'imposant à la fois au droit communautaire de l'environnement et aux règles législatives nationales, ce qui constitue une incitation supplémentaire à constitutionnaliser des règles équilibrées.

Il a relevé que l'article 5 de la Charte ne pourrait servir de fondement à la saisine du juge pénal - car il ne prévoit pas d'incrimination -, ni du juge civil, à défaut de la définition d'un nouveau régime de responsabilité. Il a précisé que seul le juge administratif pourrait être saisi directement en application de l'article 5, tout en soulignant que les juridictions administratives appliquent déjà, et avec une grande circonspection, le principe de précaution, introduit dans le code de l'environnement par la loi de 1995. Il a insisté sur le fait que l'article 5 de la Charte donnerait au principe de précaution un contour mieux défini.

Plusieurs commissaires sont ensuite intervenus dans la discussion générale.

M. Xavier de Roux a estimé que l'article 5 de la Charte se contentait de définir une procédure, qui impose aux autorités publiques de prendre des mesures conservatoires lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertain en l'état des connaissances scientifiques, peut affecter de manière grave et irréversible l'environnement. Il a souligné qu'un constitutionnaliste avait jugé contraire à la tradition française l'insertion dans la Constitution de règles attribuant une responsabilité, qui devaient relever du code civil ou du code pénal, et qu'il était préférable de donner une portée législative - et non constitutionnelle - à de tels principes. Il a jugé incontestable que l'article 5 fonde une responsabilité nouvelle des autorités publiques, non seulement civile mais aussi pénale, puisque la portée de l'article 121-3 du code pénal définissant le délit d'imprudence est accrue par les nouvelles obligations mises à la charge des autorités publiques.

Il a douté que la distinction subtile entre principe de précaution et principe de prévention soit effectuée par les juridictions. Il a relevé que l'article 5, rejoignant en cela la jurisprudence européenne, autoriserait les autorités publiques à prendre des mesures contraires aux libertés, en particulier dans le domaine économique, ce qui ne manquera pas de multiplier les contentieux, non seulement contre les autorités publiques, mais aussi contre les acteurs économiques. Il a donc récusé un texte qui conduira les autorités à une excès de précaution et qui, étant d'application directe, dépossède le législateur au profit du juge.

M. Christophe Caresche, après avoir observé que l'examen de la portée juridique du texte ne saurait exclure une appréciation de ses fondements philosophiques et de ses conséquences économiques et sociales, a approuvé la constitutionnalisation du droit de l'environnement, qui permettra une nouvelle étape dans la définition de principes, de droits et de devoirs. Il a toutefois déploré la méthode retenue, qui consiste à modifier le préambule de la Constitution et à adosser la Charte à celle-ci, alors que d'autres voies auraient pu être choisies, comme l'ont fait nombre de pays qui ont inséré des principes environnementaux dans leur Constitution elle-même et renvoyé au législateur les modalités de leur mise en œuvre. Il a souligné que cet adossement soulevait la question de la valeur constitutionnelle des différents articles de la Charte, qui dépendra de la portée que leur donnera le Conseil constitutionnel dans les décisions qu'il sera appelé à rendre sur les lois qui lui seront déférées. Il a donc annoncé un amendement de son groupe tendant à inscrire ces principes dans la Constitution elle-même, et regretté que les parlementaires aient été privés de la possibilité de modifier le contenu de la Charte, dont les principes auraient dû être hiérarchisés. Dénonçant les pressions exercées par l'exécutif sur le Parlement, il a déploré que l'occasion ait été manquée d'infléchir, par un travail parlementaire approfondi, le jeu déséquilibré des institutions de la Ve République.

Il a fait ressortir, face à l'inquiétude de ceux qui redoutent les conséquences excessives de la Charte, le sentiment de son groupe, qui estime que le texte ne va pas assez loin, puisqu'il dépend étroitement de la portée que lui donnera le Conseil constitutionnel. Il a craint à ce propos la timidité de celui-ci, relevant, de surcroît, que son président ne s'était pas montré favorable, lorsqu'il siégeait au Parlement, à la constitutionnalisation du droit de l'environnement.

Mme Valérie Pecresse a estimé que les craintes suscitées par le principe de précaution reposaient sur le postulat selon lequel son application allait modifier les équilibres sociaux sur deux points : d'une part, l'équilibre entre une société d'audace, incarnée par l'actuelle majorité, et la prudence ; d'autre part, l'équilibre entre juges et autorités publiques. Elle a souligné que les risques de déséquilibre plaidaient au contraire pour l'adoption de la Charte de l'environnement, qui clarifie des principes essentiels dans un contexte de multiplication des contentieux. Si elle a admis que la réforme constitutionnelle ne conduirait certes pas à une diminution des contentieux, elle a réfuté l'affirmation selon laquelle elle entraînerait leur multiplication, le monde d'aujourd'hui étant dominé par le principe de précaution. Faisant état de son expérience de juge administratif pendant dix ans, elle a rappelé que le principe de précaution, présent dans la législation nationale comme dans le corpus juridique européen, était d'ores et déjà appliqué par le juge, le meilleur exemple en étant son application par le tribunal de Saint-Gaudens, qui avait interdit l'utilisation des insecticides Regent et Gaucho. Elle a donc fait valoir l'urgence, pour le constituant, de prendre l'initiative en ce domaine sous peine de voir, dans quelques années, le Conseil d'État ériger de façon prétorienne le principe de précaution en principe général du droit, et le Conseil constitutionnel en faire un principe de valeur constitutionnelle, sans que le Parlement en ait fixé la portée et les limites. Elle a insisté sur le fait que le texte de la Charte exprimait une vision politique et juridique de ce principe et en traçait les contours en excluant la santé de son champ d'application, limite essentielle au regard des dérives potentielles, en liant son application à un dommage grave et irréversible, en n'imposant celle-ci qu'aux autorités publiques, enfin en introduisant une obligation d'évaluation du risque, laquelle présente l'avantage d'écarter tout risque de réécriture de l'histoire a posteriori dans l'hypothèse où, plusieurs années après la commission de faits, certains requérants souhaiteraient mettre en cause la connaissance qu'avaient les autorités publiques des risques existants à l'époque. Dans sa défense d'un principe de précaution ainsi défini avec précision par le constituant, Mme Valérie Pecresse a affiché son scepticisme sur l'amendement renvoyant à la loi le soin de préciser les modalités d'application de ce principe, estimant qu'il en affaiblirait la portée.

M. Michel Piron a estimé au contraire que, loin de définir le principe de précaution, l'article 5 de la charte en proposait une « indéfinition », puisqu'il fait référence au caractère incertain du dommage. Il a craint que l'approche putative, et non probabiliste, de l'article 5 ne conduise à fonder un régime juridique sur une absence de savoir scientifique. Il s'est par ailleurs interrogé sur la signification que pouvaient revêtir des mesures proportionnées à un dommage incertain. Il a jugé inquiétant le fait qu'un juge puisse prendre une décision sur le fondement d'incertitudes scientifiques au nom d'un principe non défini.

M. Guy Geoffroy a mis l'accent sur ce qu'il a estimé être l'objectif fondamental du projet, à savoir l'inscription de principes environnementaux dans la Constitution, en rappelant que les débats légitimes autour du projet de loi constitutionnelle ne devaient pas conduire l'opinion à croire que la majorité n'était pas attachée à la constitutionnalisation des valeurs environnementales souhaitée par le chef de l'État. Mettant en garde contre une mauvaise interprétation de l'article 5, il a relevé que celui-ci faisait œuvre de précision, en ce qu'il encadrait les éléments constitutifs du principe de précaution, dont il a souligné qu'il existait d'ores et déjà dans notre droit, puisqu'il est prévu à la fois dans le traité instituant la Communauté européenne (tce) et dans le code de l'environnement. À cet égard, il a contesté qu'il puisse être considéré comme dépossédant le législateur, dont il n'interdisait nullement l'intervention, d'autant moins, de surcroît, que l'amendement présenté par M. Francis Delattre ajoute l'environnement aux matières de l'article 34 de la Constitution.

M. Christophe Caresche s'est interrogé sur la portée de l'amendement de M. Francis Delattre, eu égard au fait que la Charte de l'environnement, quand elle souhaitait renvoyer à la loi, le faisait explicitement, et à trois reprises en l'occurrence.

Le président Pascal Clément a souligné qu'il ne fallait pas confondre application directe et intervention de la loi, la première n'interdisant nullement la seconde, puisqu'une loi pouvait toujours préciser un principe général du droit ou un principe de valeur constitutionnelle. Il a fait valoir que le législateur aurait, dans les limites de la Constitution, toute latitude pour préciser l'application du principe de précaution. Il a estimé pour autant que l'amendement de M. Francis Delattre n'était pas superfétatoire, la compétence générale prévue à l'article 37 de la Constitution faisant actuellement de l'environnement une matière réglementaire.

M. Jean Leonetti a rappelé que la philosophie grecque considérait la prudence, conçue comme évaluation du risque, comme une vertu et qu'un risque certain s'appelait un danger, ce qui faisait donc de l'incertitude un élément constitutif du risque. Il a estimé que, à une époque où l'homme avait toute capacité pour modifier l'environnement de manière grave et irréversible, il était logique que les démocraties réfléchissent sur la notion de précaution, qui n'était que la forme sémantique actualisée de la prudence des Grecs. Il a jugé que l'article 5 de la Charte, qui définissait ce principe, combiné avec l'amendement de M. Francis Delattre, conduisait à un équilibre satisfaisant entre le déclaratif et le normatif. Il a souligné que le principe de précaution ainsi défini ne venait ni combler un vide juridique, le juge pouvant déjà s'appuyer sur les dispositions en vigueur du droit français et communautaire, ni introduire un flou, l'article 5 définissant au contraire les contours de cette notion, notamment en subordonnant son application à la réalisation possible d'un dommage dûment qualifié. Il s'est élevé contre le procès fait à la notion d'incertitude, faisant valoir que, comprise au sens de donnée non évaluée totalement par la science, cette notion était familière à tout scientifique et à tout médecin. Il a toutefois supposé que la qualification de « potentiel » accolée au terme « dommage » aurait été susceptible de lever les doutes que la notion pouvait faire naître dans certains esprits, et rappelé que l'incertain devait être soigneusement distingué de l'inconnu.

Soulignant combien la protection de l'environnement est essentielle pour l'avenir, M. Jean-Paul Garraud s'est dit favorable à l'inscription du principe de précaution dans la Constitution, tout en considérant que ses modalités d'application devaient être prévues dans la loi, sous le contrôle du Conseil constitutionnel. Il a ensuite exprimé la crainte que l'article 5 de la Charte ne soulève des difficultés d'interprétation, ne serait-ce qu'au regard des débats qu'il suscite d'ores et déjà, difficultés d'autant plus grandes que les contours des notions employées sont imprécis et que les dommages à éviter sont incertains. Il a donc jugé qu'il eût été préférable, d'une part dé définir précisément le principe de précaution et, d'autre part, de refondre le code de l'environnement. Il a enfin estimé que si la question de l'application directe du principe de précaution par le juge pénal était incertaine, ce principe aurait en revanche un impact certains sur le juge administratif et sur le juge civil.

Souhaitant revenir sur le concept d'évaluation du risque encouru qui figure à l'article 5 du projet de Charte, M. Christian Decocq a rappelé que sa famille politique avait été à l'origine de nombreuses avancées législatives en matière de protection de l'environnement, citant notamment l'institution dès 1964 du principe « pollueur-payeur » par la loi sur l'eau, et qu'elle s'était efforcée de mettre en avant les préoccupations environnementales. Soulignant que le spectre de la « croissance zéro » avait entretenu l'idée que l'écologie constituait un frein au développement économique, il a considéré que l'affirmation du principe de précaution dans un texte constitutionnel mettrait un terme à cette confusion notamment par le recours à l'évaluation. Il a jugé que celle-ci contraindrait les autorités publiques à avoir une nouvelle démarche, voisine de celle défendue par les nouveaux économistes dans la théorie des « coûts évités ». Soulignant que l'environnement avait une valeur économique, il a pris l'exemple des efforts entrepris pour assurer la qualité des eaux de baignade sur le littoral pour souligner que le coût des investissements devant être réalisés à cette fin était considérable, mais moins élevé que l'impact économique d'une baisse de la fréquentation touristique. En conclusion, il a cité M. Øysten Dahl, ancien vice-président d'Esso, qui avait affirmé que « le socialisme s'est effondré parce qu'il ne laissait pas les prix dire la vérité économique, le capitalisme pourrait s'effondrer parce qu'il ne laisse pas les prix dire la vérité écologique ».

Évoquant les amendements qu'il soumettrait à la Commission pour compléter l'article 34 de la Constitution par une référence à la préservation de l'environnement, M. Francis Delattre a rappelé que celui-ci ne figurait pas aujourd'hui parmi les domaines relevant de la compétence du législateur et qu'à ce titre, la « loi Barnier » du 2 février 1995 aurait pu être considérée comme intervenant dans le domaine réglementaire. Il a souligné que la modification de l'article 34 de la Constitution réglerait nombre des difficultés que posait le texte et éviterait que le législateur ne soit dépossédé des questions environnementales, sur lesquelles il dispose pourtant d'une faculté d'évaluation irremplaçable. Il a en outre souligné que l'intervention du législateur donnerait lieu ensuite à celle du Conseil constitutionnel, auquel il revient de concilier des libertés et principes constitutionnels, ce qui lui a paru préférable à une intervention des seuls juges administratifs et judiciaires.

Observant que le principe de précaution était d'ores et déjà inscrit dans des textes et qu'il avait donné lieu à des constructions jurisprudentielles, M. Philippe Houillon a noté qu'il ne s'appliquait pas qu'aux seules questions environnementales et que c'était d'ailleurs pour éviter son application mécanique que le Parlement avait adopté la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels. Il a indiqué que le projet encadrait le principe de précaution, applicable au seul domaine de l'environnement et à la condition que celui-ci soit affecté de façon « grave et irréversible » et qu'il prévoyait la mise en œuvre de procédures d'évaluation des risques encourus. Après avoir considéré qu'il conviendrait sans doute de s'interroger sur une éventuelle distorsion entre le principe de précaution de droit commun et celui qui sera mis en œuvre en matière environnementale, il s'est demandé quel serait le périmètre de la notion d'environnement. Enfin, il a souligné les incidences de la rédaction de l'article 1er de la Charte, notant que, en prévoyant le droit de chacun à vivre dans un environnement équilibré et favorable à « sa santé », l'article conduisait à une appréciation subjective de l'environnement.

Rappelant que le rôle de la jurisprudence était de dissiper les incertitudes qui peuvent entourer les termes juridiques, M. Claude Goasguen, tout en exprimant une réserve sur le caractère « inductif » du projet de loi constitutionnelle, a jugé qu'il était moins contraignant que certains le redoutent. Faisant observer que le droit de l'environnement souffrait aujourd'hui de nombreux défauts, il a souhaité que soit élaborée une véritable législation de l'environnement permettant au Parlement d'y imprimer sa marque et de répondre aux attentes de l'opinion. Il a considéré que le principe de précaution pourrait donner lieu à une application directe par le juge civil, le juge administratif et le juge pénal, avant d'estimer indispensable de compléter le projet de loi constitutionnelle par une modification de l'article 34 de la Constitution, à défaut de laquelle le texte serait déséquilibré. Il a d'ailleurs jugé significatif que la voie constitutionnelle soit retenue en l'espèce pour compléter l'article 34, alors qu'une loi organique aurait été suffisante. Il a considéré, en revanche, que faire référence à la loi dans l'article 5 de la Charte ferait perdre toute sa portée à cet article et donnerait l'impression de dénier toute faculté d'intervention aux associations.

Réagissant à la distinction faite par certains de ses collègues entre l'environnement, auquel s'appliquerait le principe de précaution et la santé, à laquelle il ne s'appliquerait pas, M. Robert Pandraud s'est demandé si, dans cette conception, la Charte ne tendait pas à protéger davantage les animaux et la nature que les êtres humains. Après avoir rappelé que l'article 5 faisait référence à « l'état des connaissances scientifiques », supposant ainsi que la science était fixée dans ses connaissances à un instant donné, il a observé que les scientifiques étaient fréquemment en désaccord entre eux et s'est demandé qui arbitrerait ces divergences. Abordant ensuite la question de l'application directe du principe de précaution et de l'absence de renvoi à la loi, il a observé que l'avantage de celle-ci était de donner lieu à un examen par le Conseil constitutionnel dans des délais brefs, limitant ainsi l'incertitude juridique dans laquelle se trouveraient les justiciables qui, à défaut, seront confrontés à d'innombrables analyses juridiques divergentes pour le plus grand bonheur des exégètes du droit et des avocats.

Se disant à la fois perplexe à l'égard du projet et éclairé par le débat, M. Jean-Christophe Lagarde a considéré que les questions soulevées par la Charte ne manqueraient pas d'être évoquées devant les juridictions de droit commun. Après avoir rappelé les initiatives communautaires dans le domaine de l'environnement, il a regretté que la France ait fait montre de précipitation en introduisant d'ores et déjà des principes environnementaux dans sa Constitution avant même de disposer des enseignements issus des expériences communautaires ou menées par les autres États membres de l'Union européenne. Réagissant aux propos tenus par Mme Valérie Pecresse, il s'est interrogé sur l'argument selon lequel le principe de précaution n'était pas invocable en matière de santé en soulignant, d'une part, que les considérants de la Charte disposaient que l'avenir et l'existence de l'humanité - donc la santé - étaient indissociables de son environnement et, d'autre part, que le principe de précaution évoquait les risques de dommages graves et irréversibles à l'environnement, donc nécessairement à la santé des êtres humains. Il a ajouté qu'il lui semblait très délicat politiquement d'expliquer aux citoyens que le champ d'application du principe de précaution ne concernait pas leur santé mais uniquement leur environnement et jugé probable que les juges saisis n'hésiteraient pas rapprocher ces deux notions. Ayant regretté que ne soit pas prévu le droit des générations futures de bénéficier du progrès scientifique et technologique afin de garantir qu'elles disposent des instruments leur permettant d'évaluer les risques, il s'est interrogé sur la portée des dispositions des articles 8 et 9 de la Charte en déplorant la primauté de la recherche d'effets d'annonce des auteurs de la Charte sur la volonté de procéder à de réelles avancées juridiques. Après avoir approuvé la volonté exprimée par M. Xavier de Roux de mieux préciser le contenu et la portée du principe de précaution, il a de nouveau exprimé la crainte qu'à défaut d'une telle précision, cette tâche soit intégralement dévolue et assumée par le pouvoir judiciaire.

En réponse à ces propos, le président Pascal Clément a souligné qu'il convenait de ne pas confondre le principe de prévention, d'ores et déjà prévu par la législation en vigueur, avec celui de précaution qui s'applique au risque de réalisation d'un dommage dont l'incertitude découle de l'état des connaissances scientifiques à un instant déterminé.

M. Jérôme Bignon s'est interrogé sur les raisons pour lesquelles le principe de précaution n'indiquait pas clairement qu'un dommage grave et irréversible à l'environnement concernait également la santé, puisque l'article premier de la Charte en disposait ainsi et que le deuxième considérant, aux termes duquel « l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel », l'implique également. Il a précisé que le silence du dispositif de l'article 5 sur ce point ne signifiait nullement que la prise en considération de la santé était exclue du champ d'application du principe de précaution, mais qu'il s'expliquait par une commodité stylistique tendant à éviter la répétition, au sein de chaque article, des principes établis dans les considérants, qui revêtent une portée générale commune à l'ensemble des dispositions de la Charte. Il a dès lors estimé que le juge devant lequel serait invoqué le principe de précaution ne manquerait pas de prendre sa décision au vu du risque encouru pour l'environnement et la santé. Évoquant l'amendement présenté par M. Francis Delattre tendant à compléter le domaine de compétence de la loi figurant à l'article 34 de la Constitution par la mention de l'environnement, il a souhaité savoir comment s'articulerait l'exercice de cette nouvelle compétence du législateur avec le caractère directement applicable du principe de précaution.

Le président Pascal Clément a rappelé que l'article 5 de la Charte instituait un principe de valeur constitutionnelle, donc d'application directe, à la différence des dispositions des considérants relevant de la catégorie des objectifs de valeur constitutionnelle. S'agissant du caractère directement applicable du principe de précaution et du risque d'extension de son champ d'application à la santé par les juges, il a indiqué que les juridictions suprêmes de l'ordre judiciaire et de l'ordre administratif ne manqueraient pas de limiter le pouvoir prétorien du juge en désavouant d'éventuelles décisions en ce sens.

M. Émile Zuccarelli a fait part de sa réserve à l'égard de l'introduction du principe de précaution dans la Constitution en considérant que les défenseurs de ce texte se livraient à une surenchère relevant du plus parfait exercice du « politiquement correct », contraignant ainsi le Parlement à se conformer à l'air du temps. Observant que l'Académie des sciences avait émis de sérieuses réserves sur le dispositif proposé en soulignant les risques qu'il faisait courir à l'innovation, il s'est demandé si, rétrospectivement, nombre des inventions réalisées au cours des derniers siècles auraient pu voir le jour sous l'empire de la Charte.

Évoquant un aspect des propos tenus par M. Christophe Caresche, M. Gérard Léonard a précisé que M. Pierre Mazeaud, lorsqu'il était député, avait regretté que la Constitution fasse l'objet de réformes répétées. Il a ensuite fait part de la perplexité que lui inspirait la Charte et a regretté l'outrance dont faisaient preuve certains de ses collègues dans le débat. Il a demandé au rapporteur si la protection de la santé relevait ou non du champ d'application du principe de précaution et si le Parlement conserverait une capacité d'intervention en ces matières.

Faisant référence à la proposition de l'Académie des sciences de créer un comité consultatif national de l'environnement et du développement durable, sur le modèle du conseil national d'éthique, M. Didier Quentin a interrogé le rapporteur sur la pertinence d'un tel organisme.

En réponse aux intervenants, le rapporteur a apporté les précisions suivantes :

-  C'est dans le cadre des régimes actuels de responsabilité que sera engagée, le cas échéant, la responsabilité des autorités publiques au titre des mesures de précaution prises dans le cadre de l'article 5. S'agissant de l'influence de la Charte sur l'orientation de la jurisprudence, il apparaît, au terme des consultations de divers magistrats, que la définition étroite des conditions et des critères d'application du principe de précaution pourrait conduire les juridictions à maintenir, voire à resserrer encore, des jurisprudences déjà restrictives.

-  Il a été reproché à l'article 5 de ne pas comporter de définition du principe de précaution. Or le texte définit le champ d'application du principe (l'environnement, mais non la santé), les personnes qui doivent agir (les autorités publiques), à quelles conditions (une incertitude scientifique, une possibilité de dommage grave et irréversible) et les mesures qui doivent être prises (évaluations scientifiques, mesures provisoires et proportionnées).

-  Le texte de la Charte est issu d'une année de travaux approfondis de la « commission Coppens », d'assises régionales et de consultations. Il n'est nullement considéré par le Gouvernement comme intangible. La majorité envisage au demeurant de lui apporter plusieurs améliorations non négligeables.

-  Depuis trente ans, tous les groupes politiques ont tenté de constitutionnaliser le droit à un environnement de qualité. L'initiative d'adosser une Charte de l'environnement à la Constitution n'est donc pas une concession à l'air du temps. Parmi bien d'autres, on peut citer la proposition de loi constitutionnelle sur les libertés élaborée en 1977 par la commission spéciale réunie autour du Président Edgar Faure, la proposition émise par M. Laurent Fabius en 1989 lors du bicentenaire de la Déclaration des droits de l'homme, ou l'amendement déposé par Mme Ségolène Royal lors de la révision constitutionnelle de 1995. Le mérite du présent projet est d'avoir choisi la démarche la plus ambitieuse, qui s'inscrit dans la tradition constitutionnelle française.

-  La notion d'incertitude ne doit pas obscurcir le débat sur l'article 5. On en cerne mieux la portée en se rappelant les trois âges de la science : avant Pythagore, les mathématiciens ne savaient résoudre que des systèmes d'équations linéaires ; après lui, s'est ouverte une longue époque de positivisme, marquée notamment par les travaux de Laplace, au cours de laquelle, l'existence des systèmes non linéaires étant découverte, les conditions du retour à l'équilibre pouvaient être calculées, mais où la science n'était pas en mesure d'élaborer une théorie explicative de l'ensemble des phénomènes physiques ; enfin, avec la théorie de la relativité, s'est ouvert pour la science moderne l'âge des incertitudes, avec le principe d'indétermination de Heisenberg et les travaux d'Einstein. Aujourd'hui deux types de situations d'incertitude sont appréhendés par la communauté scientifique : celles dont les lois de probabilité, simples ou complexes, sont connues et celles qui font l'objet d'un débat parce que ces lois ne sont pas définies. Les auditions confirment qu'à ce jour la communauté scientifique est en mesure d'établir sans difficultés majeures une liste des phénomènes sur lesquels existe un consensus et une liste de ceux qui font l'objet d'un débat scientifique. Ainsi, les interrogations de certains juristes sur la capacité du droit à appréhender l'incertain paraissent marquées au coin d'un positivisme dépassé.

Le principe de précaution ne s'applique que lorsque le débat scientifique est ouvert ; il a pour vocation de permettre aux autorités publiques de réagir, pour éviter que l'irréparable puisse advenir, et d'engager des travaux de recherche et d'évaluation afin de sortir de l'incertitude. Quant au juge, il ne lui incombe pas de s'engager dans la controverse scientifique, mais seulement de constater l'existence de celle-ci lorsque les autorités publiques ont adopté des mesures de précaution.

-  L'article 5 ne prive nullement le législateur du droit d'intervenir ; il ménage seulement la possibilité d'une application directe du principe de précaution. Il a pour mérite de mettre un terme aux difficultés nées, d'une part, des mauvais usages du principe de précaution et, d'autre part, du flou des règles juridiques applicables, qui laissent les autorités publiques sans critères d'action clairs et les juges sans principes d'interprétation. S'agissant des autres droits et devoirs qu'elle énonce, la Charte, formulée en termes concis, ne définit que les objectifs assignés au législateur, en lui laissant pleinement le choix des modalités. En donnant la parole au Parlement, elle favorise ainsi une remise en ordre du code de l'environnement.

-  La Charte offre un moyen de lutter contre un certain obscurantisme, à la source des malentendus et des dérives du principe de précaution. L'avis rendu en avril 2003 par l'Académie des sciences, avant même que la « commission Coppens » ait achevé ses travaux, est très intéressant en ce qu'il en dresse clairement le diagnostic et se prononce contre les mauvaises applications de ce principe. Mais il conclut paradoxalement en faveur d'une abstention du législateur et du constituant, alors que l'adoption d'un texte rigoureux est la seule issue pour mettre fin aux interprétations erronées, en donnant à la prévention la place qui lui revient. Il est à noter que cet avis n'exprime pas la position unanime de la communauté scientifique. D'autres tendances existent : c'est ainsi qu'un groupe de chercheurs, parmi lesquels le président du cnrs, ont lancé un appel en faveur de la Charte de l'environnement.

-  L'utilité d'instituer, sur le modèle du comité national d'éthique, une haute autorité scientifique de l'environnement a été mise en doute au cours des auditions du rapporteur : dans la mesure où il s'agira, dans le cadre du principe de précaution, de se prononcer sur des risques neufs, actuellement non définis et touchant potentiellement les disciplines les plus variées, il n'est pas possible de définir par avance la composition d'un tel organisme de façon à lui assurer une compétence scientifique incontestable.

-  La dégradation de l'environnement comporte, à l'évidence, des conséquences pour la santé. C'est pourquoi l'article premier définit l'environnement de qualité par son caractère, non seulement équilibré, mais aussi respectueux de la santé. Pour autant, certains problèmes de santé publique susceptibles de faire l'objet d'une démarche de précaution ne relèvent pas de l'environnement : il en est ainsi par exemple des conséquences des actes médicaux, vaccinations ou maladies nosocomiales. Ils posent des problèmes éthiques fort délicats et sont étrangers au domaine de la présente Charte.

La Commission a ensuite rejeté l'exception d'irrecevabilité n° 1 et la question préalable n° 1 présentées par M. Alain Bocquet.

1 () Paul Ehrlich : « The population bomb », 1968.

2 () Edgar Morin et Anne-Brigitte Kern : « Terre-Patrie », 1993, page 76 et suivantes.

3 () Edgar Morin et Anne-Brigitte Kern : « Terre-Patrie », 1993, page 76 et suivantes.

4 () Hubert Reeves et Frédéric Lenoir : « Mal de terre », 2003, pages 13 et suivantes.

5 () Auteur de « The future of life », 2002. Cité par Hubert Reeves, dans « Mal de terre » p. 14.

6 () Professeur Dominique Belpomme : « Ces maladies créées par l'homme. Comment la dégradation du climat met en péril notre santé », 2004.

7 () Terre-patrie, 1993, p. 209.

8 () Manuel de droit de l'environnement, 5e édition, 2004, p. 17.

9 () Manuel de droit de l'environnement, 5e édition, p. 114.

10 () Sondage ipsos réalisé du 17 au 28 août 2001.

11 () Discours de M. Jacques Chirac, Président de la République, pour l'inauguration du colloque « Les droits de l'homme à l'aube du XXIe siècle », à l'occasion du 50e anniversaire de la déclaration universelle des droits de l'homme, Paris, Unesco, le 7 décembre 1998.

12 () Avis adopté le 12 mars 2003 sur le rapport de M. Claude Martinand, p.30.

13 () Document Assemblée nationale n° 1227.

14 () Voir ci-après, en annexe au tableau comparatif, le texte à jour des articles L. 110-1 et L. 110-2 du code de l'environnement

15 () Avis précité du Conseil économique et social, 12 mars 2003, page 8.

16 ()Ainsi qu'on le verra au D-3 ci-après.

17 () Par deux décrets du 27 octobre 1989 et la loi n° 91-363 du 15 avril 1991.

18 () Loi d'habilitation n° 99-1071 du 16 décembre 1999, portant sur neuf codes ; ordonnance n° 2000-914 du 18 septembre 2000.

19 () « De la liberté », document Assemblée nationale n° 2080, 17 décembre 1975.

20 () Proposition de loi constitutionnelle portant déclaration des libertés, document Assemblée nationale n° 2128 du 20 décembre 1975, également déposée au Sénat, document Sénat n° 200, 3 février 1976.

21 () Proposition de loi constitutionnelle tendant à compléter le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 par une « Charte des libertés et droit fondamentaux », document Assemblée nationale n° 2131, 20 décembre 1975.

22 () Proposition de loi constitutionnelle tendant à compléter le Préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 par une « Charte des libertés et droit fondamentaux », document Assemblée nationale n° 2131, 20 décembre 1975.

23 () Amendement n° 97, JOAN 11 juillet 1995, p. 947.

24 () Proposition de loi constitutionnelle n° 514, 11e législature, 10 décembre 1997.

25 () Proposition de loi constitutionnelle n° 515, 11e législature, 10 décembre 1997.

26 () Proposition de loi constitutionnelle n° 2181, 11e législature, 11 février 2000.

27 () Amendement n° 108 du 18 novembre 2002.

28 () Proposition de loi constitutionnelle n° 867, 12e législature, 20 mai 2003.

29 () Doc. AN, n° 1227, 11 avril 1990.

30 () Doc. AN, n° 1559, 28 juin 1990.

31 () Sur l'ensemble de cette question, voir Ferdinand Melin-Soucramanien et Joseph Pini, Constitution et droit de l'environnement, jurisclasseur, fasc. 152, 1997.

32 () CE, Assemblée, 27 février 1970, commune de Bozas.

33 () Tribunal administratif de Nice, 30 juin 1978, Société Lou Seuil.

34 () Décision n° 2002-462 DC du 20 octobre 2002 sur une résolution modifiant le règlement de l'Assemblée nationale.

35 () Décisions n° 2002-464 DC du 27 décembre 2002 sur la loi de finances pour 2003 et n° 2002-488 DC du 29 décembre 2002 sur la loi de finances rectificative pour 2003.

36 () Décision n° 90-277 du 25 juillet 1990. Voir Ferdinand Mellin-Soucramanien et Joseph Pini, Constitution et droits de l'environnement, jurisclasseur, fasc. 152, 1997, n° 62

37 () Décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001 sur la loi relative à l'interruption volontaire de grossesse et à la contraception (considérants 3 et 6), et commentaire au n° 11 des Cahiers du Conseil constitutionnel.

38 () Une proposition de révision constitutionnelle actuellement en cours d'examen tend cependant à inscrire expressément à l'article 9 de la Constitution italienne la reconnaissance de la valeur de l'environnement, des écosystèmes et de la biodiversité. Elle pose également les principes de réversibilité, précaution et responsabilité à l'égard des générations futures.

39 () Rapport remis en avril 2003, p. 25.

40 () Décision n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000. ;

41 () Cas de la taxe sur les granulats.

42 () M. Jean Untermaier, « Droit de l'homme à l'environnement et libertés publiques », p. 233

43 () « Les nouveaux fondements constitutionnels du droit de l'environnement », mémoire de dea, Paris I - Paris II, 3 septembre 2003, p. 25.

44 () Solvay Pharmaceuticals B.V.c. / Conseil de l'Union européenne, affaire T-392-02, points 121 et 122.

45 () La condition de réciprocité prévue pour les traités internationaux par l'article 55 de la Constitution ne s'applique pas aux règlements européens.

46 ()G Cass., 24 mai 1975, société des cafés Jacques Vabre.

47 () C.E. Assemblée., 20 octobre 1989, Nicolo.

48 () Pour un exemple récent : cf. l'arrêt du Conseil d'État du 30 décembre 2003 Coréal gestion, relatif à l'article 212 du code général des impôts, faisant suite aux arrêts Lankhorst-Hohorst (C-324/00) et Bosal Holding BV (C-168/01) de la Cour de justice des Communautés européennes.

49 () II-A-4. Au sommet de la hiérarchie des normes.

50 () Après le prochain renouvellement du Sénat en septembre 2004, qui portera à 331 le nombre des sénateurs, cette majorité correspondrait à 545 parlementaires sur 908 si l'ensemble des membres composant le Congrès prenaient part au vote.

51 () Voir en particulier l'intervention du ministre de la Justice, le 16 octobre 1973, à la tribune de l'Assemblée nationale, JO débats AN, 16 octobre 1973, p. 4433.

52 () JO. Débats AN, 2e séance du 21 novembre 2002, amendement n° 108 de M. Victorin Lurel, après l'article 1er.

53 () Voir, par exemple, sur le Traité de l'Union européenne, l'exception d'irrecevabilité défendue par M. Philippe Séguin, JO débats AN, 6 mai 1992, p. 863, et sur l'organisation décentralisée de la République, l'exception d'irrecevabilité de M. Jean-Marc Ayrault défendue par Mme Ségolène Royal, JO débats AN, 19 novembre 2002, p. 5323.

54 ()

55 () Considérant 2 de la décision n° 62-20 DC sur la loi relative à l'élection du Président de la République au suffrage universel direct, adoptée par le référendum du 28 octobre 1962, sur le fondement de l'article 11 de la Constitution.

56 () Considérant 2 de la décision n° 2003-469 DC sur la révision de la Constitution approuvée par le Congrès le 17 mars 2003.

57 () Actes du colloque des 25 et 26 mai 1989 : « La déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence », puf, 1989, p. 56.

58 () Mme Christine Maugüe, « L'arrêt Sarran, entre apparence et réalité », les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 7, 1999.

59 () CE, 18 décembre 1998, Parc d'activité de Blotzheim.

60 () CE, 3 décembre 2001, Syndicat national de l'industrie pharmaceutique.

61 () Décision n° 82-141 du 27 juillet 1982, relative à la loi sur la communication audiovisuelle.

62 () Cf. décision n° 99-421 DC du 16 décembre 1999.

63 () Décisions n° 89-269 DC du 26 janvier 1990 et surtout n° 93-325 DC du 13 août 1993 sur la loi relative à la maîtrise de l'immigration.

64 () La jurisprudence du Conseil constitutionnel - Principes directeurs, 1988, p. 198.

65 () Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, considérant n° 81

66 () Voir par exemple le considérant 67 de la décision n° 2002-461 DC du 29 août 2002 sur la loi d'orientation et de programmation pour la justice.

67 () Actes du colloque « L'écriture de la Constitution de 1958 », Aix-en-Provence, septembre 1988, p. 22.

68 () Dont chacun sait que les travaux scientifiques ont notamment porté sur le paléo-environnement et la part qu'il a prise dans l'évolution de l'espèce humaine.

69 () Sous la responsabilité du ministère de la justice, compétent pour les projets à caractère constitutionnel.

70 () L'innovation est cependant à relativiser au regard du droit constitutionnel positif, comme on le verra ci-après (voir le 1. du commentaire de l'article 2).

71 () « Observations sur la portée normative de la Charte de l'environnement », Les Cahiers du Conseil constitutionnel, n° 15/2003, p. 146.

72 () On ne peut manquer de rappeler à cet égard les propos circonstanciés du commissaire du gouvernement Janot, représentant le Général de Gaulle, devant le comité consultatif constitutionnel : « ni la Déclaration ni le Préambule n'ont, dans la jurisprudence actuelle, valeur constitutionnelle. Leur donner valeur constitutionnelle, au moment où on crée un Conseil constitutionnel, ... c'est s'orienter dans une très large mesure vers ce gouvernement des juges que beaucoup d'entre vous croyaient redoutable. » (documents pour servir à l'histoire de l'élaboration de la Constitution de 1958, volume II, p. 254). Ce point de vue n'était toutefois pas unanime : Léopold Sedar Senghor déclarait pour sa part : « les juristes ont parlé. Moi, je me placerai sur le terrain du bon sens ... Je demanderai à M. le commissaire du Gouvernement à quoi sert le préambule si ce préambule n'a pas non seulement de valeur juridique mais de valeur constitutionnelle » (ibidem, volume II, p. 256)

73 () M. Bruno Genevois, « La jurisprudence du Conseil constitutionnel - Principes directeurs », 1988, p. 197.

74 () Décision n° 81-132 DC du 16 janvier 1982, considérants 13 à 20.

75 () M. Bruno Genevois, ibidem, p. 198.

76 () Jalonnée par exemple par la décision n° 86-210 DC du 29 juillet 1986 (considérant 2) et, très récemment, par la décision n° 2003-484 DC du 20 novembre 2003 sur la loi relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers et à la nationalité (considérant 56). Les modalités de la conciliation sont notamment détaillées par le professeur Guillaume Drago dans « La conciliation entre principes constitutionnels », Dalloz 1991, chronique p. 265.

77 () Voir la contribution du doyen Jean-Claude Colliard aux « Mélanges en l'honneur de Guy Braibant », 1996 : « Liberté, égalité, fraternité », en particulier pages 97 et suivantes.


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