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N° 1986

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 décembre 2004.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES,

sur le projet de loi (n° 1977) relatif à l'ouverture du capital de DCN

et à la création par celle-ci de filiales

PAR M. Philippe VITEL,

Député.

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Voir le numéro : n° 1987

S O M M A I R E

_____

Pages

INTRODUCTION 5

I. -  LE CHEMINEMENT RÉUSSI D'UNE ADMINISTRATION A VOCATION INDUSTRIELLE VERS UN STATUT D'ENTREPRISE 7

A. DCN, MAÎTRE D'œUVRE DE NAVIRES ARMÉS COMPLETS 7

1. Un large éventail de compétences 7

a) L'ingénierie et la conception de bâtiments 7

b) La construction à proprement parler de coques et de moyens de propulsion 8

c) L'intégration de systèmes de combat et d'équipements 8

d) Le maintien en condition opérationnelle 8

2. Des réalisations attestant d'un grand savoir-faire 9

a) Le porte-avions Charles de Gaulle 9

b) Le SENIT, système de combat des bâtiments de surface 9

c) Les frégates antiaériennes Horizon et furtives La Fayette 10

d) Les bâtiments de commandement et de projection 10

e) Les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération (SNLE-NG) 10

B. UNE ENTREPRISE DÉSORMAIS PERFORMANTE 11

1. Les efforts consentis pour assurer le succès du passage au statut de société 11

a) L'adaptation des effectifs à la réalité du plan de charge 11

b) La réorganisation industrielle 12

c) L'adoption de nouvelles méthodes de gestion 13

2. Des perspectives commerciales et des résultats comptables plus
qu'encourageants
13

a) Un chiffre d'affaires appelé à croître 13

b) Une rentabilité d'ores et déjà acquise 15

II. -  L'OUVERTURE DU CAPITAL, PROLONGEMENT LOGIQUE DU CHANGEMENT DE STATUT DE DCN 17

A. UN CONTEXTE INTERNATIONAL QUI APPELLE DES REGROUPEMENTS NATIONAUX ET EUROPÉENS 17

1. Le trop grand morcellement du secteur de la construction navale en Europe 18

a) La spécialisation verticale des chantiers navals français 18

b) Une industrie très dispersée au Royaume-Uni 18

c) La rationalisation du secteur en Allemagne 19

d) Vers une dissociation des chantiers civils et militaires espagnols 19

e) La dichotomie entre chantiers navals et électroniciens en Italie 20

2. Des alliances indispensables 20

a) Une nécessité stratégique pour garantir l'avenir de DCN 20

b) Le scénario envisagé 21

B. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI : FLEXIBILITÉ ET GARDE-FOUS 22

1. Les fondements juridiques d'une évolution pragmatique du capital 23

2. Des garanties non négligeables en contrepartie 23

CONCLUSION 25

TRAVAUX DE LA COMMISSION 27

INTRODUCTION

Depuis le 1er juillet 2003, l'ancienne direction des constructions navales (DCN), héritière des arsenaux fondés par Richelieu et Colbert, est une société anonyme de plein exercice. Cette mutation d'une administration en personne morale de droit privé ne s'est pas faite du jour au lendemain, puisque les premières évolutions remontent au début des années 1990, avec la création de la société DCN International et la distinction des tâches régaliennes et industrielles assumées par l'ancienne direction des constructions navales.

Le projet de loi n° 1977 est une étape supplémentaire de cette évolution pragmatique. Il concrétise l'annonce par la ministre de la défense, lors de l'inauguration du salon Euronaval, le 25 octobre 2004, de l'ouverture du capital de DCN, actuellement intégralement détenu par l'Etat aux termes de la loi (1), à des partenaires, éventuellement privés.

Cette mesure est devenue nécessaire. Alors que le secteur de la construction navale en Europe se restructure, il est effectivement impératif de permettre à DCN de nouer des alliances structurelles avec d'autres industriels, au premier rang desquels Thales. Il y va donc de l'avenir de la société nationale qui, même si elle est devenue une entreprise rentable avec deux ans d'avance sur l'objectif initial, ne pourra affronter seule la concurrence internationale à l'horizon de la décennie actuelle.

Quatre conditions sont néanmoins déterminantes pour le succès de cette nouvelle étape dans l'existence de DCN : la conservation par l'Etat d'une participation majoritaire au capital de la société mère et de ses filiales, le maintien de l'unité du groupe, la reconduction du contrat d'entreprise et la préservation du statut des personnels. Il est en effet indispensable de rassurer ces derniers, en ce qui concerne leurs conditions de travail et le plan de charge, car ils ont beaucoup contribué au succès du changement de leur entreprise.

Le projet de loi donne des garanties sur l'ensemble de ces points, tout en apportant la souplesse juridique nécessaire à la conclusion de partenariats d'avenir pour l'entreprise.

I. -  LE CHEMINEMENT RÉUSSI D'UNE ADMINISTRATION A VOCATION INDUSTRIELLE VERS UN STATUT D'ENTREPRISE

Le statut de l'ancienne direction des constructions navales a été transformé par l'article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001. Le service à compétence nationale dépendant auparavant du ministère de la défense, dont les activités financières étaient retracées sur le compte de commerce n° 901-05 ouvert par la loi de finances initiale pour 1968 (2), est devenu une société anonyme « régie par le code du commerce, dont le capital est détenu en totalité par l'Etat » (3).

Avec le recul, il apparaît clairement que DCN constitue un exemple de mutation efficace du secteur public de l'armement, fortement décrié par ailleurs (4).

A. DCN, MAÎTRE D'œUVRE DE NAVIRES ARMÉS COMPLETS

La société DCN est très souvent présentée comme un chantier naval réalisant des coques de bâtiments militaires, ce qui ne correspond pas tout à fait à la réalité. Avant même le changement de statut, DCN avait misé sur des capacités à forte valeur ajoutée technologique, afin d'être en mesure de développer des composants électroniques, de plus en plus nécessaires aux bâtiments militaires, et d'intégrer l'ensemble des éléments de tout navire de combat moderne sur des plates-formes propulsées.

1. Un large éventail de compétences

Outre la construction de coques, DCN est capable de concevoir des bâtiments de combat complexes, de réaliser leurs systèmes de communication et de commandement, de les assembler et d'en assurer l'entretien.

a) L'ingénierie et la conception de bâtiments

L'ingénierie est la phase de définition technique des projets d'armement. Elle oriente considérablement le processus de réalisation.

DCN dispose en la matière d'un savoir-faire reconnu. Ses bureaux d'études ont apporté la démonstration de leur caractère innovant. Pour mémoire, on rappellera que, tandis que tous les chantiers navals préconisaient de rendre les frégates furtives en les équipant de moyens électroniques sophistiqués et coûteux, DCN a inventé le concept de coque furtive à l'occasion du programme La Fayette. Désormais, ce modèle est devenu le standard des bâtiments militaires furtifs.

b) La construction à proprement parler de coques et de moyens de propulsion

Cœur de métier originel de DCN, la construction de bâtiments, sous-marins à Cherbourg et navires de surface à Lorient et Brest, reste une compétence importante de l'entreprise. Elle n'est pas pour autant son activité essentielle, DCN recourant de plus en plus à la sous-traitance, comme l'illustre le cas de la réalisation des parties avant des bâtiments de projection et de commandement (BPC) par les chantiers polonais de Gdansk.

A défaut de sous-traiter, la recherche d'efficacité en matière de coûts et de délais conduit à adopter une organisation de type modulaire, permettant de réaliser de nombreuses tâches en parallèle. C'est ainsi que DCN a fait figure de précurseur en construisant des bâtiments de surface en anneaux pré-armés pour les frégates La Fayette. Pour ce qui concerne les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de type Le Triomphant, c'est une technique de réalisation par sections qui a été mise en œuvre.

c) L'intégration de systèmes de combat et d'équipements

Depuis dix ans, le métier de la construction navale a profondément changé. Il ne consiste plus seulement à réaliser des coques, mais aussi à intégrer un ensemble de composants complexes touchant aux armements, à l'électronique, aux communications, dans une plate-forme navale.

Désormais, le cœur d'un programme d'armement naval est le système de traitement des informations. DCN a démontré sa compétence en ce domaine, avec des réalisations comme le système d'exploitation navale des informations tactiques (SENIT) du Charles de Gaulle. Des centaines d'ingénieurs travaillent sur ces aspects sur le site du Morillon, à Toulon.

d) Le maintien en condition opérationnelle

Le tiers de l'activité de DCN est engendré par ses prestations de maintenance auprès de ses clients, plus particulièrement de la marine nationale. Le maintien en condition opérationnelle concerne l'entretien des bâtiments, mais aussi la logistique ainsi que le stockage et la maintenance des munitions. Il faut reconnaître que ce secteur d'activité a longtemps été le plus sinistré (5). Pour cette raison, DCN a décidé de reconquérir la confiance de son client national, en y voyant une manière de consolider sa position dans un marché désormais porteur et même d'explorer de nouveaux créneaux, les services notamment.

Les résultats sont là. Le retard cumulé dans l'entretien de la flotte française, qui avoisinait auparavant 300 jours, est aujourd'hui nul ; certaines opérations de maintenance se terminent même à présent en avance sur les prévisions de la marine. La disponibilité des bâtiments est à ce jour en adéquation avec les objectifs fixés à la marine et DCN s'engage à diminuer les délais.

2. Des réalisations attestant d'un grand savoir-faire

DCN conçoit et réalise tous types de navires armés, qu'il s'agisse de bâtiments de surface majeurs ou de sous-marins, nucléaires comme conventionnels. La société a également apporté la preuve de son savoir-faire dans des domaines aussi essentiels que les systèmes de combat ou les équipements stratégiques (propulsion, manutention d'armes, plates-formes, torpilles, systèmes de lancement d'armes), notamment.

a) Le porte-avions Charles de Gaulle

Seul porte-avions européen à propulsion nucléaire, le Charles de Gaulle reste la réalisation la plus complexe et la plus prestigieuse de DCN. Comprenant un équipage de près de 2 000 personnes, il est capable d'embarquer une quarantaine d'aéronefs, qu'il s'agisse d'avions de combat Rafale ou Super Etendard modernisés, d'avions de guet Hawkeye ou d'hélicoptères NH 90, Puma et Panther. Grâce à un rythme de catapultage d'un appareil toutes les trente secondes, il contribue à la projection de la force de frappe aéroportée française.

Quelques difficultés de mise au point, sur la longueur du pont d'envol et les hélices notamment, ont donné lieu à l'expression de doutes ou de sarcasmes injustifiés. L'engagement de ce bâtiment dans l'opération « Enduring Freedom », en Océan indien, fin 2001 et début 2002, a mis un terme à toutes les interrogations, en prouvant, de l'aveu même de la marine américaine, la grande qualité du porte-avions français.

b) Le SENIT, système de combat des bâtiments de surface

Le SENIT est un système de traitement de l'information, plus généralement désigné par son appellation anglo-saxonne : « combat management system ». Fédérant l'ensemble des senseurs et des armes du bâtiment qu'il équipe, il décrit en temps réel la situation tactique, évalue la menace et offre des solutions adaptées. Il constitue de ce fait le cœur de l'interopérabilité des équipements navals modernes.

Le SENIT 8 du Charles de Gaulle est le premier système européen intégrant la liaison 16, qui équipe la plupart des matériels américains. Le SENIT 2000, qui en est dérivé, a été choisi par la marine norvégienne pour la modernisation de ses quatorze patrouilleurs Hauk, dont la dernière unité a été livrée au premier trimestre 2004. Il a également été retenu par la marine norvégienne pour équiper ses patrouilleurs rapides de la classe Skjöld.

c) Les frégates antiaériennes Horizon et furtives La Fayette

DCN occupe une place importante sur le marché de la construction de frégates, en raison d'une solide expérience acquise de longue date et perpétuée par de nombreux programmes majeurs, en cours.

Les frégates antiaériennes Horizon, construites en coopération avec les chantiers navals italiens Fincantieri, sont des bâtiments de combat de premier rang destinés à assurer des missions de défense de zone locale contre des attaques de missiles. Ils disposent également de moyens d'autodéfense anti-sous-marine et anti-navires. Les deux exemplaires français commandés seront livrés fin 2006 et fin 2008. Les frégates La Fayette sont des bâtiments de plus petite taille, caractérisés par leur faible signature radar, acoustique, infrarouge et électromagnétique. Ce programme a connu un fort succès à l'exportation puisque, outre les cinq bâtiments en service au sein de la marine nationale, neuf unités ont été vendues en Asie dont trois à l'Arabie Saoudite.

Il convient enfin de signaler que DCN devrait participer à un nouveau programme ambitieux de frégates, à compter de l'année 2005 : le programme des frégates européennes multimissions (FREMM), qui porte sur dix-sept exemplaires pour la marine nationale et dix autres pour la marine italienne. Ce projet, financièrement très compétitif, pourrait ouvrir des débouchés à l'exportation voire, pourquoi ne pas l'espérer, constituer un programme fédérateur au niveau européen.

d) Les bâtiments de commandement et de projection

Ces bâtiments succédant aux transports de chalands de débarquement traditionnels s'apparentent à des porte-hélicoptères disposant d'une grande capacité d'emport de matériels (seize hélicoptères, quatre barques d'embarquement, un poste de commandement), en vue d'une projection d'unités terrestres. Equipés de pods électriques pour leur propulsion, ils sont très manoeuvrables. Leur construction a été réalisée en coopération avec les Chantiers de l'Atlantique, selon un procédé de « jumboïsation ». Le premier exemplaire, le Mistral, sera livré courant 2005 à la marine nationale, le second, le Tonnerre, devant l'être en 2006. La qualité de ces bâtiments a suscité l'intérêt de certains pays d'Océanie et d'Europe, leur ouvrant ainsi un potentiel à l'exportation.

e) Les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération (SNLE-NG)

Cœur de la dissuasion nucléaire française, avec leurs seize missiles stratégiques, les quatre SNLE ont fait l'objet d'un renouvellement qui a débuté en 1997 et s'achèvera en 2010. A ce jour, trois sous-marins de nouvelle génération sont entrés en service, le dernier en date, Le Vigilant, ayant intégré le cycle opérationnel fin 2004. Ces bâtiments constituent une prouesse technologique dont peu de pays au monde peuvent se vanter. Bâtiments parmi les plus silencieux de leur catégorie, ils ont une signature réduite plus de mille fois par rapport à celle de leurs prédécesseurs.

Preuve de la compétence exceptionnelle de DCN en la matière, ce programme aura des retombées sur le renouvellement des sous-marins nucléaires d'attaque (SNA) par les Barracuda et il bénéficie d'ores et déjà partiellement aux offres commerciales de la société nationale à l'exportation, avec les sous-marins Agosta et Scorpène.

B. UNE ENTREPRISE DÉSORMAIS PERFORMANTE

La société anonyme DCN est entrée en activité le 1er juin 2003 à la suite de l'apport à une société de préfiguration (DCN Développement) des droits, biens et obligations de l'Etat, relatifs au service à compétence nationale antérieur. Le versement par l'actionnaire étatique du capital social, soit 560 millions d'euros, doit s'échelonner en plusieurs étapes. Si 140 millions d'euros ont été attribués en 2003, trois nouvelles enveloppes sont prévues : 120 millions d'euros en 2005, 150 millions en 2006 et la même somme en 2007. Comme 3 millions d'euros avaient été apportés à DCN Développement lors de sa création en 2002, c'est donc avec un capital social s'élevant à 563 millions d'euros que l'entreprise DCN a commencé à exister.

1. Les efforts consentis pour assurer le succès du passage au statut de société

Pour accompagner l'entrée en vigueur du nouveau statut, un plan intitulé « En avant 2005 » a été mis en œuvre, à l'intérieur de l'entreprise, en juillet 2003. La société DCN s'est ainsi assigné trois grands objectifs : adapter ses effectifs aux besoins ; revoir son organisation industrielle ; mettre davantage l'accent sur la qualité des prestations et le management. Il reste que de nombreux changements avaient déjà été engagés dès les années 1990, afin de préparer cette évolution majeure.

a) L'adaptation des effectifs à la réalité du plan de charge

Avant que DCN change de statut, la question des effectifs a surtout été envisagée sous l'angle quantitatif. L'activité ayant diminué de 40 %, les emplois ont été réduits à due proportion. Fin juin 2004, 12 587 personnes travaillaient pour DCN, soit environ 10 000 de moins que dix ans plus tôt. Cette restructuration importante n'est pas complètement achevée, puisque, en 2005, le nombre des personnels avoisinera 12 300 employés.

La diminution des effectifs de DCN depuis 1997

Siège

Cherbourg

Brest

Lorient

Toulon

Indret

Ruelle

Papeete

Ingénierie (2)

Total

1997 (1)

292

3 627

4 950

2 487

3 728

1 374

1 186

284

1 286

19 214

1998 (1)

316

3 363

4 581

2 307

3 240

1 255

1 018

270

1 165

17 515

1999 (1)

334

3 137

4 278

2 159

2 932

1 212

925

261

1 094

16 332

2000 (1)

414

2 824

3 906

1 861

2 669

1 141

853

257

1 170

15 095

2001 (1)

475

2 570

3 642

1 634

2 579

1 102

826

245

1 689

14 762

2002 (1)

456

2 368

3 453

1 473

2 427

1 058

809

251

1 677

13 972

Siège

Cherbourg

Brest

Lorient

Toulon

Indret

Ruelle

Saint-Tropez

Mourillon

Total

2003 (3)

342

2 539

3 212

1 946

2 058

1 051

820

296

516

12 780

(1) Au 31 décembre.

(2) L'établissement DCN Ingénierie regroupait les ingénieries de Lorient, Cherbourg, Brest et Toulon, indépendamment du lieu de travail des personnels.

(3) Ventilation des effectifs présentée en fonction des sites géographiques en raison du changement de configuration de l'organisation interne de l'entreprise.

La transformation de DCN en société a néanmoins ouvert de nouvelles possibilités en matière de gestion des ressources humaines, puisque, désormais, l'entreprise s'attache aussi à recruter des cadres et des techniciens spécialisés en fonction de ses besoins, et non plus selon les postes budgétés en loi de finances. C'est ainsi que 469 personnes ont été embauchées en 2003, ce chiffre devant passer à 700 à la fin 2004. Alors que le taux d'encadrement avoisinait 20 % en 2003, il atteindra 25 % en 2004, avec un objectif de 30 % en 2005.

Structure des effectifs de DCN

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004 (1)

Militaires et fonctionnaires de niveaux 1 à 3

3 767

3 649

3 575

3 561

3 577

3 622

2 902

1 484

Ouvriers d'Etat

15 447

13 866

12 757

11 534

11 185

10 350

9 050

8 613

Convention collective

-

-

-

-

-

-

828

2 490

Total

19 214

17 515

16 332

15 095

14 762

13 972

12 780

12 587

(1) Au 30 juin.

b) La réorganisation industrielle

Le nouveau statut a conduit DCN à reconsidérer l'utilité de ses emprises portuaires et à revoir son organisation interne.

La surface des différents sites de l'entreprise a ainsi été diminuée de 30 %, par des transferts à la marine nationale, de manière à réduire les coûts de gestion de l'outil de production. De même, dans le prolongement de la spécialisation des établissements qui avait été décidée à la fin des années 1990, le fonctionnement de l'entreprise a été réorganisé autour de deux pôles d'activités : le pôle « navires et systèmes », pour les constructions de bâtiments armés, et le pôle « services et équipements », qui suit plus particulièrement le maintien en condition opérationnelle.

c) L'adoption de nouvelles méthodes de gestion

DCN n'a pas attendu 2003 pour privilégier la qualité de ses prestations et améliorer sa gestion interne. Dès 2000, le service à compétence nationale avait été certifié ISO 9001. Cet effort a très certainement facilité la transition vers un statut d'entreprise accordant davantage d'attention à la relation avec les clients.

Il n'empêche que les changements intervenus depuis moins de deux ans sont saisissants, de l'aveu même de la marine nationale. Le rapporteur en veut pour exemple la contractualisation de l'entretien des sous-marins nucléaires, expérimentée dans un premier temps à Toulon. Alors qu'une indisponibilité périodique pour entretien et réparations (IPER) de SNA coûtait 68 millions d'euros hors taxes en 2003, la société DCN s'est engagée à en diminuer le montant de 20 à 30 % d'ici cinq ans. Pour ce faire, elle a lancé des négociations avec les équipementiers, elle s'est posé la question de son éventuel repositionnement sur certaines activités (principe du « make or buy ») et a profondément réorganisé la chaîne du soutien. Dans le cas des SNA, elle fournit ainsi à la marine un équipage d'exploitation pendant les opérations d'entretien, ce qui permet de libérer l'équipage opérationnel. Elle s'engage de surcroît, depuis le 1er janvier 2004, sur un taux de disponibilité annuel qui, s'il n'est pas atteint, donne lieu à des pénalités reversées à la marine ou, s'il est amélioré, conduit au versement d'une prime (système bonus/malus).

Les résultats sont d'ores et déjà probants en matière de disponibilité opérationnelle, puisque le taux de présence à la mer de ces bâtiments est passé de 44,7 % en 2003 à 48,3 % à la fin du premier semestre 2004. Pour cette raison, le système sera élargi aux SNLE.

2. Des perspectives commerciales et des résultats comptables plus qu'encourageants

La santé financière et commerciale de la société DCN est bonne, notamment au regard de son carnet de commandes, qui équivaut à trois années de travail, et de sa rentabilité financière, affichée en avance sur les prévisions. Le contexte est donc approprié pour envisager des alliances avec d'autres industriels du secteur.

a) Un chiffre d'affaires appelé à croître

Le chiffre d'affaires de DCN s'est redressé depuis la fin de la décennie précédente. La publication des comptes pour 2003 a montré l'existence d'un carnet de commandes cumulées s'élevant à plus de 4,5 milliards d'euros, les commandes enregistrées lors de ce même exercice s'élevant à un peu plus de 2 milliards d'euros.

En 2004, le chiffre d'affaires devrait augmenter par rapport à 2003, atteignant 1,7 milliard d'euros pour la société anonyme (DCN SA) et 2 milliards pour le groupe. Cette perspective est d'autant plus réaliste que le contrat d'entreprise conclu avec l'Etat, lors du changement de statut, garantit une activité de 7 milliards d'euros sur la période 2003-2008 (2,8 milliards pour le maintien en condition opérationnelle et 4,2 milliards pour les équipements neufs). S'y ajoutent les ventes à l'exportation, qui représentent actuellement le quart de l'activité de l'entreprise.

Évolution du chiffre d'affaires
hors taxes de DCN depuis 1999

(en millions d'euros)

1999

2000

2001 (1)

2002

2003

Service à compétence nationale DCN*

DCN SA

Groupe DCN (2)

France

1 275

1 217

581,5

1 554,5

1 244

-

Exportation

448

405

335,5

627,0

415

-

Total

1 723

1 622

917,0

2 181,5

1 659

1 907

*Y compris DCN-International et filiales

(1) Le décalage entre 2001 et 2002 résulte du changement de méthode comptable (prise de chiffre d'affaires à l'avancement pour les grands programmes et à terminaison pour les petites affaires, et non plus uniquement à terminaison des contrats).

(2) Le groupe DCN comprend DCN SA, DCN-International, DCN Log et 50 % d'Armaris.

DCN peut aussi légitimement compter sur d'autres perspectives de plan de charge, liées à l'important programme de renouvellement de la flotte de la marine française et à l'aboutissement de ses prospections commerciales à l'étranger.

L'accord-cadre franco-italien sur le programme des frégates européennes multimissions, annoncé lors de l'ouverture du salon Euronaval, en octobre 2004, devrait déboucher sur un contrat de réalisation en 2005. DCN s'assurera une part non négligeable d'un investissement de plus de 5 milliards d'euros. De même, c'est en 2006 que seront signés les contrats de réalisation du second porte-avions et des sous-marins nucléaires d'attaque Barracuda, dont les coûts prévisionnels respectifs s'élèvent à 2 et 5 milliards d'euros. Une fois encore, DCN occupe une position clé pour le lancement de ces projets, qui engendreront une activité substantielle. Il ne faut pas non plus oublier les échéances de certaines démarches à l'exportation, en Asie, au Moyen-Orient et en Amérique latine, dans le domaine des sous-marins conventionnels (Scorpène), ainsi qu'au Moyen-Orient, en Asie et en Océanie pour les bâtiments de surface (bâtiments de projection et de commandement, essentiellement).

Cette conjoncture favorable, qui aura des répercussions positives dans les prochaines années, ne doit pas pour autant faire oublier que l'entreprise est à présent soumise à une concurrence de plus en plus manifeste, y compris sur le marché français. Par conséquent, l'avenir ne s'annoncera pas indéfiniment sous d'aussi bons auspices.

b) Une rentabilité d'ores et déjà acquise

Les faits parlent d'eux-mêmes : les comptes 2003 affichent un résultat net de 41 millions d'euros, alors que le retour à l'équilibre était initialement attendu pour 2005 seulement. DCN se trouve donc en avance sur ses objectifs.

Compte de résultat analytique de dcn sa pour 2003

(en millions d'euros)

2002
(pro format)

2003
(comptes audités)

Variation en %

En valeur

En % du chiffre d'affaires

En valeur

En % du chiffre d'affaires

Prises de commandes

2 202

2 072

+ 6 %

Carnet de commandes

4 033

4 553

+ 13 %

Chiffre d'affaires

1 457

1 659

+ 14 %

Marge brute

182

12 %

341

21 %

+ 88 %

Frais hors production

dont :

Charges de structures

Recherche et développement

Autres projets internes

282

189

22

71

19 %

234

179

22

33

14 %

- 17 %

- 5 %

-

- 53 %

Résultat d'exploitation

- 100

7 %

+ 107

7 %

+ 207 %

Résultat financier

3

(1)

Résultat exceptionnel

- 5

57

(1)

Impôts

6

(1)

Résultat net après impôts

- 105

7 %

+ 41

3 %

+ 139 %

(1) Variation non significative.

Source : DCN.

Les comptes du premier semestre 2004 confirment cette tendance. Il s'agit là d'un redressement structurel qui s'explique par des gains de productivité supérieurs aux prévisions (dans le domaine des achats, notamment), ainsi que par une activité industrielle plus soutenue.

II. -  L'OUVERTURE DU CAPITAL, PROLONGEMENT LOGIQUE DU CHANGEMENT DE STATUT DE DCN

Le présent projet de loi engage une nouvelle étape majeure de la vie d'entreprise de DCN, puisqu'il autorise l'ouverture minoritaire du capital de la société nationale. Il s'agit là d'un choix qui permettra à l'entreprise de rester un acteur de premier plan dans son secteur d'activité en nouant des alliances, nationales, mais aussi européennes.

A. UN CONTEXTE INTERNATIONAL. QUI APPELLE DES REGROUPEMENTS NATIONAUX ET EUROPÉENS

Les restructurations du secteur de la construction navale ont déjà été effectuées outre-Atlantique, alors que le processus n'en est qu'à ses balbutiements en Europe.

Panorama mondial. du secteur de la construction navale

Pays

Industriels

Chiffre d'affaires (naval militaire)*

Chiffre d'affaires total*

Effectifs (naval militaire)

Effectifs totaux

Royaume-Uni

BAe Systems

VT Group (ex Vosper Thornycroft)

1 200 (2)

500

17 837

952

5 000

inconnu

68 400

8 640

France

DCN

Alstom Marine

Thales

1 907

inconnu

2 127 (3)

1 907

997

10 569

12 800

inconnu

5 800

12 800

3 400

57 500

Allemagne

HDW (4)

ThyssenKrupp (6)

600

500

1 335

884

inconnu

inconnu

6 300

190 102

Espagne

Izar

451 (1)

1 537 (1)

inconnu

10 800

Italie

Fincantieri

494 (1)

2 190 (1)

inconnu

10 000 (1)

Etats-Unis

Northrop Grumman

General Dynamics

Lockheed Martin

Raytheon

United Defense

6 885

5 395

4 041

1 515

758

33 090

20 965

40 163

22 871

2 590

38 000 (5)

19 000

inconnu

inconnu

inconnu

123 000

67 600

130 000

77 000

7 500

* En millions d'euros, sur la base d'une parité équivalant à 1 dollar pour 1,263 euro, au 31 décembre 2003.

(1) En 2002.

(2) Hors systèmes de combat et équipements, qui comprennent notamment Atlas Elektronik et AMS (détenue à parité avec Finmeccanica).

(3) Dont plus de 1 milliard d'euros pour Thales Naval France.

(4) Avec les filiales Kockums (chantier suédois) et Hellenic Shipyards (chantier grec).

(5) Y compris construction navale civile, hors systèmes de combat.

(6) Exercice comptable 2002-2003 décalé.

La construction de navires armés est assurée par seulement quatre maîtres d'œuvre et six chantiers navals aux Etats-Unis et elle y engendre un chiffre d'affaires annuel de 12 milliards d'euros, tandis qu'en Europe neuf maîtres d'œuvre et plus de vingt chantiers navals se répartissent une activité d'un montant d'à peine 9 milliards d'euros. En outre, la valeur du reste du marché mondial équivaut à environ 5 milliards d'euros.

1. Le trop grand morcellement du secteur de la construction navale en Europe

L'industrie navale européenne ne s'est pas profondément regroupée. Contrairement aux secteurs de l'aéronautique et de l'électronique de défense, les capacités restent le plus souvent nationales : chaque Etat disposant d'une marine importante détient ses propres chantiers de construction (6).

a) La spécialisation verticale des chantiers navals français

En France, DCN n'est pas le seul industriel compétent en matière de réalisation de navires. Il s'agit néanmoins du plus important chantier naval militaire, pour ne pas dire du fournisseur prépondérant de la marine nationale. L'explication tient à un héritage historique très fort et à une compétence reconnue en matière d'intégration globale de systèmes d'armes et de combat sur des plates-formes navales propulsées.

La filiale du groupe Alstom, Alstom Marine, accomplit l'essentiel de son activité dans la construction de navires de croisière et de commerce, c'est-à-dire sur le marché civil. Ses deux chantiers (Chantiers de l'Atlantique et Alstom Leroux Naval) participent actuellement à la construction des deux bâtiments militaires de projection et de commandement, en coopération avec DCN, mais cette coopération semble ponctuelle. Le plan de charge des Chantiers de l'Atlantique ayant fortement diminué depuis la mise en service du paquebot Queen Mary, des restructurations profondes seront engagées dès fin 2004.

Thales, quant à lui, exerce une activité de concepteur de systèmes de combat navals et d'intégrateur de navires armés, aussi bien en France qu'au Royaume-Uni, aux Pays-Bas, en Australie ou en Allemagne. Le groupe travaille avec DCN à l'exportation (contrats de frégates Sawari II et Delta, notamment), mais aussi sur des projets nationaux (cas du second porte-avions, en particulier). Le chiffre d'affaires de Thales Naval France est d'environ 1 milliard d'euros.

D'autres petits chantiers, telles les Constructions mécaniques de Normandie (CMN), existent, mais ils jouent un rôle plus marginal.

b) Une industrie très dispersée au Royaume-Uni

Le secteur de la construction navale britannique est dominé par BAe Systems, qui regroupe trois chantiers navals (Scotstoun, Barrow-in-Furness, Govan), et des activités d'équipementier dans les systèmes de combat navals, les armes sous-marines, les radars et les communications. Le groupe est détenu à 43 % par des capitaux d'origine britannique, contre 47 % de capitaux américains et 10 % d'autres nationalités.

BAe Systems coexiste avec d'autres chantiers navals outre-Manche : VT Group, anciennement Vosper Thornycroft, qui réalise des prestations d'entretien de bâtiments (20 % de son chiffre d'affaires) et construit des bateaux, mais aussi Swan-Hunter, chantier de 650 employés qui est plus particulièrement spécialisé dans la réalisation de bâtiments auxiliaires, ainsi que Devonport Management limited (DML) et Babcocks Dockyards (Rosyth), qui entretiennent les flottes de la Royal Navy.

Toutes ces entreprises demeurent fragiles, d'autant plus que les restructurations menées par BAe Systems n'ont pas porté leurs fruits, comme en attestent les déboires du programme de SNA de nouvelle génération Astute. Si des partenariats semblent s'imposer, il est probable que des alliances avec les groupes américains seront privilégiées.

c) La rationalisation du secteur en Allemagne

L'industrie navale de défense allemande comporte une dizaine de chantiers navals, pour la plupart de taille moyenne. Le 7 octobre 2004, les deux principales entreprises du secteur, Howaldtswerke-Deutsche Werft (HDW) et ThyssenKrupp Werften, ont formalisé leur fusion, donnant ainsi naissance à ThyssenKrupp Marine Systems, l'un des principaux groupes européens d'armement naval avec 9 300 salariés et 2,2 milliards d'euros de chiffre d'affaires.

HDW, qui occupait jusqu'alors le premier rang mondial sur le marché des sous-marins conventionnels, grâce notamment au rachat des chantiers suédois (Kockums) et grec (Hellenic Shipyards), a finalement été acquis par l'autre grand industriel germanique du secteur, plus particulièrement spécialisé dans les bâtiments de surface avec Blohm & Voss. Cette solution n'allait pas de soi, puisque 75 % du capital d'HDW avaient été acquis par le fonds de pension américain One Equity Partners (OEP). L'accord entre ThyssenKrupp et OEP a attribué 75 % du capital du nouvel ensemble au premier et les 25 % restants au second.

Ce regroupement place ThyssenKrupp Marine Systems en position incontournable pour les futures alliances européennes.

d) Vers une dissociation des chantiers civils et militaires espagnols

La fusion des chantiers navals publics civils, Astilleros Españoles, et militaires, Bazan, effective depuis fin 2000, a donné naissance à Izar. Le groupe a noué deux partenariats majeurs : avec General Dynamics et Lockheed Martin pour les bâtiments de surface (consortium AFCON) et avec DCN pour les sous-marins Scorpène. Il est détenu en totalité par l'Etat espagnol.

Izar est dans une situation très délicate, à la suite de la demande de la Commission européenne de rembourser les subventions indûment perçues, d'un montant de 308 millions d'euros, soit 375 millions avec les intérêts. Le gouvernement espagnol a préparé une séparation des activités civiles et militaires de l'entreprise avec un double objectif : sauver les chantiers militaires, pratiquement les seuls rentables, et faciliter la privatisation ou la fermeture des chantiers civils, qui n'ont reçu aucune commande en 2003.

Cette remise en cause des orientations décidées en décembre 2000 est un préalable indispensable à la participation des chantiers militaires espagnols à la consolidation du secteur en Europe.

e) La dichotomie entre chantiers navals et électroniciens en Italie

Fincantieri est le principal industriel italien sur le marché de la construction navale. Principal concurrent des Chantiers de l'Atlantique dans le domaine des paquebots de croisière, où il réalise plus de la moitié de son chiffre d'affaires, il est également maître d'œuvre de grands programmes navals militaires. Allié à HDW pour les navires civils et les sous-marins, il est aussi partenaire, aux côtés de Finmeccanica, de DCN et Thales pour les programmes de frégates Horizon et multimissions. Il est détenu à 83 % par l'Etat italien.

Le groupe Finmeccanica possède, quant à lui, une part importante de l'activité des systèmes de combat naval italiens, suivant un schéma comparable à celui de Thales en France.

2. Des alliances indispensables

Les partenariats avec d'autres industriels sont une nécessité reconnue depuis quelques années déjà. Le rapport pour avis de la commission de la défense sur le projet de loi de finances rectificative pour 2001, lors du changement de statut de DCN, ne soulignait-il pas que « son adaptation aux conditions économiques du marché international s'avère impérative » ? Et ce document d'ajouter : « A défaut, les règles présidant actuellement au fonctionnement de l'entreprise constitueraient un handicap insurmontable qui lui ferait rapidement perdre toute perspective de développement, notamment en fragilisant les quelques alliances que DCN a pu déjà nouer. » (7). L'examen du présent projet de loi permet de tirer les conséquences logiques du processus engagé à la fin de l'an 2000.

a) Une nécessité stratégique pour garantir l'avenir de DCN

L'analyse des programmes des principales marines du monde pour les quinze prochaines années fait apparaître un potentiel de chiffre d'affaires annuel de 25 milliards de dollars entre 2004 et 2009 pour le secteur de la construction navale. Cette activité serait même portée à environ 30 milliards de dollars annuels sur la décennie suivante. Ce contexte mondial a priori favorable ne doit pas pour autant occulter que les entreprises susceptibles d'en bénéficier sont aujourd'hui trop nombreuses. En outre, désormais, les programmes d'armement européens se décident le plus souvent à un niveau intergouvernemental, par l'intermédiaire de l'organisation conjointe de coopération en matière d'armement (OCCAR) et, bientôt, l'agence européenne de défense. Là aussi, l'offre industrielle européenne ne s'est pas adaptée à l'évolution du cadre de la demande.

Les industriels européens se sont insuffisamment rassemblés face à des concurrents américains qui commencent à s'intéresser au marché naval militaire et amortissent leurs coûts grâce au volume des commandes de l'US Navy et des gardes-côtes. Ils sont aussi plus chers que les chantiers navals asiatiques et russes. Ils pourraient donc, à terme, éprouver des difficultés à financer les études de recherche et développement nécessaires aux nouveaux besoins opérationnels et à s'aligner sur les prix du marché. Les marines européennes dépendraient alors de plus en plus d'équipements conçus et réalisés hors d'Europe et les compétences européennes finiraient par disparaître.

Le Gouvernement ne veut pas s'y résoudre. L'ouverture du capital de la société nationale n'a d'ailleurs pas d'autre objectif que de contrecarrer cette perspective. Le rapporteur en veut pour preuve cette explication apportée par le ministre délégué à l'industrie, lors de la séance consacrée aux questions d'actualité au Gouvernement, au Sénat, le 18 novembre 2004 : « en Europe, l'industrie navale compte vingt et un industriels pour vingt-trois chantiers navals, contre quatre industriels pour six chantiers navals aux Etats-Unis. Il faut donc cesser de gémir sur la puissance américaine sans rien faire en Europe ! Dans cette perspective, force est de constater que la DCN ne peut plus rester seule. [...] Le Gouvernement veut doter la DCN, qui connaît un grand succès en ce moment, des moyens d'occuper une place stratégique dans l'industrie de défense européenne. » (8).

b) Le scénario envisagé

DCN a noué de nombreux partenariats ponctuels avec d'autres industriels, depuis plus d'une décennie. Le rapporteur se bornera à citer l'alliance commerciale avec Thales, via notamment la filiale commune Armaris, la coopération avec Izar sur les sous-marins Scorpène, avec Fincantieri sur les frégates, les Chantiers de l'Atlantique sur les BPC, ou Rolls-Royce sur les turbines à gaz, sans oublier l'Italien WASS dans le domaine des torpilles et Areva pour les chaufferies nucléaires.

Tous ces liens attestent de l'intérêt des compétences techniques de DCN, mais leur portée est restée relativement limitée. Avec le changement de statut, les alliances peuvent être envisagées au niveau patrimonial grâce à des participations capitalistiques, sous réserve toutefois d'une modification des dispositions législatives en vigueur.

Des discussions ont été engagées pour un rapprochement avec Thales. Si DCN coopère avec les Chantiers de l'Atlantique, il n'est pas pour autant question d'englober les chantiers civils dans l'opération, ne serait-ce que pour éviter de fragiliser le nouvel ensemble sur le plan financier. D'ailleurs, il est peu probable qu'une acquisition des Chantiers de l'Atlantique par DCN et Thales assurerait aux premiers les débouchés dont ils ont besoin, les chantiers militaires réalisant chaque année environ 5 000 tonnes de coques de bâtiments de surface, alors que les besoins d'activité de la filiale d'Alstom Marine s'élèvent à 100 000 tonnes par an.

Le schéma retenu consisterait donc à filialiser les divisions « navires armés » et « ingénierie systèmes » de DCN, employant 5 000 personnes, avec l'activité de Thales naval France, pour ce qui concerne les navires armés et le combat management system. Il n'en découlera aucune suppression d'emploi au sein de DCN. Le capital de cette nouvelle entité serait détenu, dans un premier temps, en majorité par DCN. L'Etat pourrait ultérieurement se désengager pour favoriser une participation allemande. Les autres industriels européens seraient ensuite appelés à s'associer au nouvel ensemble.

On soulignera qu'un rachat de Thales par EADS ne changerait rien au projet. Il pourrait même faciliter l'étape ultérieure, c'est-à-dire un regroupement avec ThyssenKrupp Marine Systems.

La restructuration du secteur de la construction navale à l'échelle européenne ne pourra se faire que sur une base pragmatique et progressive. Une spécialisation des pays selon certains produits (bâtiments de surface pour la France et sous-marins pour l'Allemagne, par exemple) est inacceptable en l'état. Les regroupements ne pourront porter au préalable que sur des fonctions amont (achats, ingénierie, commerce, entre autres), les spécialisations intervenant dans un second temps seulement.

B. LES DISPOSITIONS DU PROJET DE LOI : FLEXIBILITÉ ET GARDE-FOUS

L'ouverture du capital de DCN a été annoncée par la ministre de la défense, le 25 octobre 2004, en des termes qui résument parfaitement l'esprit du présent projet de loi : « toute notre action depuis deux ans vise à permettre à DCN d'être au rendez-vous des échéances prochaines, et de saisir toutes les opportunités de développer ses projets de partenariats, tout en conservant les nécessaires garanties apportées aux personnels. J'ai donc demandé l'inscription [...] d'une disposition permettant de lever les contraintes inutiles qui pèsent actuellement sur DCN en matière d'alliance, que ce soit dans la société mère ou dans les filiales. Dans tous les cas, le capital restera majoritairement public. Et je serai particulièrement attentive à ce que ce texte garantisse à la fois l'unité du groupe et la préservation des droits des personnels, quel que soit leur statut. Le contrat d'entreprise restera la référence des relations entre DCN et l'Etat. »

1. Les fondements juridiques d'une évolution pragmatique du capital

La modification de l'article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001, telle que proposée par le Gouvernement, autorise une ouverture du capital de la société nationale DCN, tout en conservant le caractère majoritaire de la participation de l'Etat. Aucun seuil n'a été fixé pour l'entrée éventuelle de capitaux privés, évitant ainsi de figer une situation dont l'aboutissement sera uniquement le fruit de la négociation des industriels intéressés.

Il est également prévu que les filiales de DCN, qui réalisent un chiffre d'affaires supérieur à 375 millions d'euros ou ont plus de 250 employés, seront elles aussi détenues en majorité par l'Etat. Cette précision écarte clairement toute perspective de privatisation partielle de DCN puisque le plus petit des sites actuels de l'entreprise, à Saint-Tropez, emploie plus de 250 personnes. En revanche, cette disposition permettra à la société de participer de manière minoritaire à des filiales intervenant sur des marchés restreints, mais stratégiques.

Ce dispositif offre la flexibilité nécessaire au développement de DCN, car il permet la création d'alliances structurelles aussi bien au niveau du groupe qu'à celui de ses filiales, conformément au mode de développement de toute entreprise intervenant sur un marché international.

2. Des garanties non négligeables en contrepartie

Les dispositions soumises à l'examen de la représentation nationale apportent une réponse à chacune des inquiétudes des personnels de DCN.

Outre la garantie du contrôle par l'Etat, ainsi que, par voie de conséquence, de l'unité du groupe, le projet de loi donne des gages juridiques très significatifs sur les conditions de l'ouverture du capital de DCN et les transferts de participation dans ses filiales. Ceux-ci seront soumis aux dispositions du titre II de la loi du 6 août 1986 (9), ce qui signifie que la commission des participations et des transferts rendra un avis conforme sur leur aspect financier. De plus, l'autorisation préalable des ministres de la défense et de l'économie sera requise pour tout apport à une filiale d'une activité mobilisant plus de 250 employés et réalisant un chiffre d'affaires excédant 375 millions d'euros. Dans ce cas, les dispositions de la loi du 25 juillet 1983 (10), notamment celles relatives à la représentation du personnel au conseil d'administration, s'appliqueront à compter de la date de l'apport.

Le maintien des statuts des personnels militaires, fonctionnaires, agents sous contrat et ouvriers de l'Etat, détachés dans des filiales est également prévu, de manière à garantir la continuité de leur régime juridique. Les ouvriers de l'Etat seront même électeurs et éligibles au conseil d'administration ou au conseil de surveillance des filiales dans lesquelles ils travailleront. Le rapporteur a eu l'occasion de démontrer l'attention qu'il accorde à cet aspect lors de l'examen de la proposition de loi n° 735 (11). Il importe en effet de préserver les acquis sociaux, à l'instar de ce qui a été fait, par exemple, lors de l'évolution statutaire de France Télécom ou même de Giat Industries, car l'adhésion des personnels aux mutations de leur entreprise détermine pour une bonne part la réussite de ces dernières.

Enfin, le plan d'entreprise pluriannuel, conclu entre DCN et l'Etat lors du changement de statut, demeurera le fondement des engagements réciproques des deux parties jusqu'en 2008. Ce document constitue une garantie importante en matière de plan de charge pour DCN. Le fait qu'il se trouve conforté est un signal positif à l'adresse des personnels.

En définitive, les engagements pris par la ministre de la défense lors de l'inauguration du salon Euronaval ont été intégralement tenus. Le rapporteur ne peut que s'en réjouir et adhérer, par la même occasion, au dispositif présenté par le Gouvernement.

CONCLUSION

En l'espace de quelques mois seulement, la société DCN est devenue performante et viable. Ce succès, elle le doit d'abord et avant tout à l'ensemble de ses personnels, des ouvriers jusqu'à l'équipe de direction. Sans leur implication totale, sans leur profond attachement à cette entreprise au savoir-faire inestimable, il est probable que les réformes nécessaires à l'avenir de DCN n'auraient pas été possibles.

Trois ans après l'adoption des dispositions législatives portant création de la société nationale, le Parlement est appelé à se prononcer sur une nouvelle étape majeure pour les chantiers navals militaires français. Il serait très préjudiciable au groupe DCN de ne pas pouvoir nouer des partenariats nationaux et européens alors même que les restructurations ont commencé sur le vieux continent. Ne rien faire serait condamner l'entreprise au déclin, voire à la disparition.

Une telle perspective n'est pas acceptable. Le projet de loi soumis à l'examen de la représentation nationale traduit d'ailleurs l'attachement des pouvoirs publics à la préservation d'un des fleurons du secteur public de l'armement.

Pour autant, parce qu'il n'est pas concevable d'engager l'entreprise sur la voie d'une nouvelle réforme sans le soutien de ses personnels, des garanties importantes sont prévues pour celles et ceux qui constituent la première des ressources de DCN. Le rapporteur considère que les garde-fous apportés par le projet de loi sont suffisants pour rassurer tous ceux qui auraient des inquiétudes. L'évolution de DCN ne pourra se faire qu'avec eux, et non contre eux.

Aussi, parce que le projet de loi présenté par le Gouvernement a trouvé un juste point d'équilibre entre davantage de flexibilité juridique pour permettre à DCN d'évoluer et le maintien des acquis des personnels recrutés avant le changement de statut, le rapporteur se prononce-t-il en faveur de son adoption.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission de la défense nationale et des forces armées a examiné, pour avis, sur le rapport de M. Philippe Vitel, le projet de loi (n° 1977) relatif à l'ouverture du capital de DCN et à la création par celle-ci de filiales, au cours de sa réunion du mardi 14 décembre 2004.

M. Jean-Michel Boucheron a souhaité marquer le mécontentement du groupe socialiste devant la très grande rapidité demandée pour l'examen de ce texte, laquelle ne permet pas un examen approfondi et dans de bonnes conditions de dispositions controversées, ce qui est regrettable s'agissant d'un projet engageant l'avenir de DCN et de ses personnels.

M. Jean-Marc Ayrault a indiqué qu'il avait évoqué ce sujet lors de la conférence des présidents. La méthode dangereuse adoptée par le Gouvernement ne permet pas d'organiser un véritable dialogue social dans l'entreprise et suscite de vives inquiétudes. Il aurait été souhaitable que la ministre de la défense vienne présenter son projet en commission afin d'exposer les raisons de cette précipitation.

Le président Guy Teissier a estimé que l'ouverture du capital de DCN avait été préparée par la précédente majorité et qu'il était prévu depuis longtemps que soit déposé un amendement dans le cadre de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2004. Cette procédure n'apportant pas toutes les garanties suffisantes, il a été nécessaire de déposer un projet de loi spécifique afin de faire aboutir le dossier avant la fin de l'année, comme cela était déjà prévu, même si cela peut poser quelques problèmes d'organisation des travaux de l'Assemblée.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur pour avis.

M. Jean-Marc Ayrault a souligné que la précédente majorité n'avait pas décidé d'ouvrir le capital, mais de transformer DCN en société anonyme détenue intégralement par des capitaux publics. De nombreux engagements n'ont pas été tenus, dont notamment la présentation d'un plan pluriannuel d'activité. La perspective de constitution de groupes européens dans le domaine naval est certes intéressante, notamment avec l'Allemagne et l'Espagne, mais le chemin à parcourir reste long et l'on peut donc s'interroger sur la précipitation du Gouvernement. De plus, les négociations engagées entre DCN et Thales peuvent parfaitement être réalisées par le biais des filiales communes. Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste a déposé un amendement de suppression de l'article unique.

M. Philippe Vitel, rapporteur pour avis, a déclaré que les résultats de DCN s'étaient améliorés plus rapidement que prévu, ce qui constitue un signe d'espoir et qui doit conduire à donner à l'entreprise les moyens de réussir sa mutation dans les meilleures conditions. Dans un contexte européen en rapide évolution, il convient de ne pas perdre de temps et le texte proposé est rassurant sur le sort des filiales par les seuils qu'il propose. Ce texte devrait rassurer les personnels et permettre à DCN de s'inscrire dans le cadre européen.

Le président Guy Teissier a jugé que le groupe socialiste était davantage hostile à la forme qu'au fond. Le contrat entre l'Etat et DCN a été élaboré au cours de l'année 2003. Alors que les fusions dans le domaine naval ont été par trop différées, le projet de loi a pour objectif de sauver des emplois en France, à l'image de ce qui a pu être réussi dans le domaine aérien avec la constitution d'Airbus.

La commission a examiné un amendement de suppression de l'article unique, présenté par M. Jean-Marc Ayrault et les commissaires appartenant au groupe socialiste.

M. Jean-Marc Ayrault a souligné que, si la constitution de grands groupes européens constitue, de façon générale, une avancée, une telle opération doit faire l'objet d'une préparation approfondie et demande du temps. Chacun sait qu'un rapprochement européen dans le domaine naval n'interviendra certainement pas dès la fin de l'année. Par ailleurs, de réelles inquiétudes se manifestent sur les sites de DCN, tandis que les personnels des sites industriels d'autres pays européens expriment également leur volonté d'obtenir des garanties. Actuellement, la création d'un groupe naval européen ne fait l'objet d'aucun projet industriel défini. Sans doute, le rapporteur fait-il preuve d'un optimisme quelque peu exagéré dans sa présentation du projet de loi. Pour réaliser une telle réorganisation de DCN, il est nécessaire de conduire des discussions approfondies au sein de l'entreprise, afin de répondre aux interrogations des personnels. La méthode retenue par le Gouvernement ne permet pas de le faire. De plus, la question du devenir des différents sites revêt une importance considérable, comme l'illustrent les négociations conduites sur ce point entre les Etats lors de la constitution d'EADS. L'amendement présenté vise donc à permettre de disposer du temps suffisant pour débattre de la stratégie industrielle de l'entreprise et conduire avec les personnels les discussions qu'implique une réorganisation de cette ampleur, l'absence de telles négociations apparaissant choquante.

M. Philippe Vitel, rapporteur pour avis, a indiqué que les éléments chiffrés mentionnés dans son rapport mettent en évidence l'évolution positive de DCN. Ce constat, qui ne relève nullement d'un optimisme excessif, permet de dire que c'est aujourd'hui que doit être menée une telle réforme, afin de montrer à nos interlocuteurs européens la détermination et le volontarisme de la France dans le domaine naval. La valeur et les compétences technologiques de DCN ne sont plus à démontrer et il faut lui donner les moyens de prendre part à des mouvements européens le plus rapidement possible, ce qui lui permettra d'assurer sa pérennité et son développement.

La commission a rejeté l'amendement.

Puis, elle a adopté l'article unique sans modification.

En conséquence, et conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission a émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi.

En conséquence, la commission de la défense nationale et des forces armées demande à l'Assemblée nationale d'adopter le projet de loi n° 1977.

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N° 1986 - Avis sur le projet de loi relatif à l'ouverture du capital de DCN et à la création par celle-ci de filiales (M. Philippe Vitel)

1 () Article 78 de la loi de finances rectificative pour 2001, n° 2001-1276 en date du 28 décembre 2001.

2 () Loi n° 67-1114, du 21 décembre 1967.

3 () Loi n° 2001-1276, du 28 décembre 2001.

4 () Voir à ce sujet le rapport public particulier de la Cour des comptes sur les industries d'armement de l'Etat, publié en octobre 2001.

5 () Voir à ce sujet les rapports d'information n° 3302 (XIème législature), et 328 (XIIème législature), de MM. Jean-Noël Kerdraon et Chales Cova, d'une part, et de M. Gilbert Meyer, d'autre part, portant, l'un, sur l'entretien de la flotte et, l'autre, l'entretien des matériels.

6 () Voir à ce sujet le rapport d'information n° 1701 de M. Jean Lemière : « Quel avenir pour l'industrie navale européenne ? », enregistré à la présidence de l'Assemblée nationale le 23 juin 2004.

7 () Avis n° 3428 présenté par M. Jean-Yves Le Drian sur le projet de loi de finances rectificative pour 2001 (XIème législature), p. 66.

8 () Extrait du compte-rendu intégral des débats du Sénat, portant sur la séance du 18 novembre 2004.

9 () Loi n° 86-912, relative aux modalités des privatisations.

10 () Loi n° 83-675, relative à la démocratisation du secteur public.

11 () Voir à ce sujet le rapport n° 822 de M. Philippe Vitel, sur la proposition de loi n° 735 de M. Jean-Pierre Giran et plusieurs de ses collègues, relative à la représentation au sein du conseil d'administration et des instances représentatives des fonctionnaires, des agents sous contrat et des ouvriers de l'Etat mis à la disposition de l'entreprise nationale DCN.


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