ASSEMBLÉE NATIONALE 1re SÉANCE DU 18 JANVIER 2001
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vote du 29 mai 1998. Et jirai dire demain, comme je
lavais fait il y a deux ans, à mon ami Garo Hosvepian,
maire des 13e et 14e arrondissements de Marseille, quil
peut annoncer aux Français dorigine aménienne quils
peuvent se recueillir sur la tombe de leurs parents et que
le parlement français a donné à ces martyrs la sépulture
quils attendaient. (Applaudissements sur tous les bancs.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Teissier.
M. Guy Teissier. Madame la présidente, monsieur le
ministre, mes chers collègues, lors dune séance histo-
rique, le 29 mai 1998, lAssemblée nationale a reconnu à
lunanimité le génocide arménien de 1915. Il lui appar-
tient de se prononcer une nouvelle fois sur cette
reconnaissance, après le vote du Sénat.
Un génocide se caractérise par la mise en uvre, par
les autorités dun pays, dun programme de destruction
systématique dun groupe national, ethnique, racial ou
religieux. Les massacres perpétrés contre la population
arménienne résidant dans lempire ottoman, à partir
davril 1915, répondent à une telle définition. La popula-
tion arménienne a en effet été lobjet dune politique sys-
tématique dextermination et de déportation, légalisée par
les autorités ottomanes dans un texte de mai 1915. Plus
dun million de personnes ont été assassinées ou sont
mortes en déportation. Le massacre des Arméniens par le
gouvernement jeune turc de lépoque constitue donc bien
le premier génocide du XXe siècle.
La France peut shonorer davoir été lune des grandes
terres daccueil des rescapés arméniens, à tel point que ma
ville, Marseille, est presque devenue leur capitale. Ces
hommes, ces femmes, ces enfants sont arrivés dans un
état de dénuement complet mais ils ont su, par leur tra-
vail, leur sens de la famille et des valeurs communes,
sinstaller dans notre pays et y construire leur avenir. Les
descendants de ces derniers sont aujourdhui pleinement
intégrés dans notre communauté nationale et y consti-
tuent à cet égard un exemple parfait.
La volonté de nos compatriotes dorigine arménienne
nest pas dexprimer un désir de vengeance, comme cela a
été dit, mais tout simplement dobtenir la reconnaissance
- et la renaissance - de leur histoire.
M. Renaud Muselier. Très bien !
M. Guy Tessier. En votant cette proposition de loi, je
veux participer pleinement moi aussi à la lutte contre
loubli. Comment pourais-je oublier, dailleurs, moi qui
suis né au cur dun quartier arménien de Marseille, qui
ai grandi avec des copains arméniens ? Kervorck, Kervick
ou Agop étaient étaient des prénoms aussi répandus que
Maurice, René ou Marc dans mon école. Comment
pourrais-je oublier ma mère qui ma parlait des souf-
frances de mes voisins ou de leurs parents, souffrances
quils avaient subies pour des raisons quà lépoque, bien
sûr, et compte tenu de mon âge, je ne comprenais pas ?
Cest une des raisons pour laquelle je tiens à rendre hom-
mage aux victimes innocentes de cette tragédie ainsi quà
leurs descendants.
Dire du passé quil na jamais existé est bien pis que la
torture ou la mort. Nier ce génocide, cest vouloir faire
disparaître une nouvelle fois le peuple arménien, son his-
toire, sa mémoire et le patrimoine que celui-ci représente
pour lhumanité. Je my refuse et je compte sur vous, mes
chers collègues, pour adopter, avec la même belle unani-
mité quen 1998, le texte qui nous est soumis.
Il est de notre devoir, parce que nous sommes les
représentants du peuple français, de reconnaître ce qui a
été démontré par les historiens et les chercheurs. Les faits
sont les faits. Il nappartient à personne de les modifier
ou de les faire oublier. Savoir sil est du ressort de la loi
de qualifier lhistoire est une fausse question. Et puisquil
sagit du devoir de mémoire, il faut faire en sorte que ce
crime sinscrive dans notre conscience collective de
manière à servir denseignement, en condamnant les
autres génocides de par le monde et en empêchant que se
reproduisent des actes aussi monstrueux.
Je terminerai mon propos en rappelant que la
reconnaissance des crimes commis demeure le préalable à
la réconciliation durable des peuples. Outre la dimension
symbolique, je veux croire à la dimension pédagogique, et
surtout humaine, de la reconnaissance du premier géno-
cide de ce siècle. Par notre vote, notre assemblée fait
uvre de justice. Cest aussi lhonneur de la France.
(Applaudissements sur tous les bancs.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Janine
Jambu.
Mme Janine Jambu. Madame la présidente, monsieur
le ministre, chers collègues, commencerons-nous le
XXIe siècle par la reconnaissance officielle, enfin inscrite
dans une loi de la République, du premier génocide du
XXe siècle que nous venons de quitter : le génocide armé-
nien de 1915 qui a fait 1 200 000 victimes ?
Cest mon vu le plus cher. Je pense quil est partagé
sur tous les bancs de cette assemblée et, je lespère, par le
Gouvernement et le Président de la République qui aura
à promulguer la loi.
Notre vote daujourdhui, qui validera celui du Sénat,
est un acte de justice. Il doit permettre de lever enfin
toutes les ambiguïtés et les artifices de procédure qui,
au fil des derniers mois, depuis le vote unanime de notre
assemblée le 29 mai 1998, ont constitué autant
dobstacles.
La représentation nationale, la France, pays de la
Déclaration des droits de lhomme et terre dasile, se
doivent de commencer ce millénaire par cette réhabilita-
tion historique, par ce signal despoir lancé, bien au-delà
de la communauté arménienne, aux femmes et hommes
de Turquie, dArménie, dEurope et du monde pour quil
soit mis un terme aux atrocités et exterminations et pour
que lhumanité se construise un présent et un futur
humains.
Je pense aux attentes, aux luttes, aux espoirs souvent
déçus de la communauté arménienne et des associations
qui ont agi inlassablement.
Je pense à la joie ressentie dans les familles et inscrite
sur de nombreux visages que je connais bien, dans ma
commune, Bagneux, où se poursuivent la solidarité et la
coopération avec lArménie daujourdhui.
Je pense à tous ces militants arméniens, progressistes,
démocrates qui ont participé aux combats contre loppres-
sion nazie, pour la libération de notre pays, à tous celles
et ceux qui se sont impliqués dans les grandes luttes de
notre histoire pour la justice, le progrès social et la paix.
Je pense au combat tenace mené au nom du groupe
communiste, pendant des années, dans cette enceinte, par
mon ami Guy Ducoloné, vice-président de lAssemblée
nationale, député dIssy-les-Moulineaux - Vanves - Mala-
koff. Combat quavec mes collègues Paul Mercieca, Jean-
Claude Lefort, députés du Val-de-Marne, André Gérin,
député du Rhône, Guy Hermier, Michel Vaxès et Roger
Meï, députés des Bouches-du-Rhône, nous avons pour-
suivi et que je suis fière de contribuer à faire aboutir
aujourdhui.