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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE

DE

M.

ARTHUR PAECHT

1. Loi de finances pour 1999. - Suite de la discussion d'un projet de loi (p. 6507).

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ (p. 6513)

Exception d'irrecevabilité de M. Douste-Blazy : MM. JeanJacques Jégou, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ; le rapporteur général, Gérard Fuchs, Philippe Auberger, Jean-Pierre Brard. - Rejet.

Suspension et reprise de la séance (p. 6529)

QUESTION PRÉALABLE (p. 6529)

Question préalable de M. Debré : MM. Gilles Carrez, Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget ; le rapporteur général, Mme Nicole Bricq, MM. Laurent Dominati, Daniel Feurtet. - Rejet.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

2. Dépôt de propositions de loi (p. 6546).

3. Ordre du jour des prochaines séances (p. 6546).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. ARTHUR PAECHT,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures.)

1 LOI DE FINANCES POUR 1999 Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion générale du projet de loi de finances pour 1999 (nos 1078, 1111).

Cet après-midi, l'Assemblée a entendu M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ainsi que

M. le secrétaire d'Etat au budget.

La parole est à M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat au budget, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, je suis très impressionné par la qualité de mon auditoire.

(Sourires.)

M. Jacques Heuclin.

A défaut de la quantité.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Mieux vaut la qualité que la quantité.

Si le bilan économique et financier au milieu de l'année dernière montrait une « France en panne », les nouvelles orientations mises en oeuvre à partir de l'été 1997 auront permis une remise en mouvement, aussi bien sur le chemin de la croissance que sur la voie de la convergence européenne.

L'objectif, que d'aucuns jugeaient irréaliste, d'une croissance de 3 % en 1998 devrait être atteint, voire légèrement dépassé cette année.

Le « bouclage budgétaire », que les mêmes avaient jugé impossible, a été effectué sans imposer des sacrifices supplémentaires à l'ensemble des Français. L'amélioration constatée a aujourd'hui dégagé des marges pour développer encore la stratégie de croissance et de solidarité que les Français ont appelée de leurs voeux en mai-juin 1997 et que le gouvernement conduit par M. Lionel Jospin met en oeuvre.

L 'horizon international s'est cependant obscurci.

Amplifié par la brutalité des réactions des marchés financiers, symptômes des dérèglements inhérents à un capitalisme incontrôlé, l'enchaînement des crises asiatique, japonaise, russe... - constitue un choc réel, que les économies européennes, en marche vers l'euro, doivent garder la capacité de surmonter.

Je ne crois pas, à cet égard, que l'on puisse nous reprocher de pratiquer la méthode Coué. Objectivement, il faut noter que le degré d'ouverture de la zone euro est de l'ordre de 10 % environ. Son degré d'exposition aux pays émergents d'Asie et au Japon est inférieur à 2 % de son PIB et s'établit à 1,4 % vis-à-vis de la Russie et des pays de l'est.

Il faut, bien sûr, faire en sorte que l'Europe puisse peser pour assurer la stabilité dans cet environnement international dégradé.

Nul doute, à cet égard, que la représentation nationale tout entière soutienne les orientations définies par le Premier ministre, et rappelées tout à l'heure par M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, en vue de mettre en place ce que l'on peut appeler un nouveau Bretton Woods destiné à assurer une meilleure régulation du système financier international.

Dans cet environnement incertain, les perspectives économiques de la zone euro restent favorables et, avec un projet de budget qui réinvestit judicieusement les

« fruits de la croissance » retrouvée, notre pays peut, sauf tourmente mondiale, espérer tenir la prévision de croissance, prudemment révisée, de 2,7 % pour 1999 en phase vous l'avez rappelé, monsieur le secrétaire d'Etat - avec les plus récentes prévisions du FMI prenant en compte les derniers développements des désordres financiers internationaux connus à la mi-septembre 1998.

La croissance, d'abord alimentée par l'exportation, repose désormais sur la demande intérieure, comme y incitaient les orientations de politique économique arrêtées il y a un an. La consommation, bénéficiant de la hausse du pouvoir d'achat et du retour de la confiance, a contribué à une réorientation favorable de la demande.

L'investissement, trop longtemps hésitant, est enfin reparti et, nourri des perspectives maintenues de croissance, il devrait, à son tour, alimenter celle-ci, dans un contexte de bonne santé financière de nos entreprises.

Cette croissance autonome, si elle contribue à une certaine vigueur des importations, ne remet cependant pas en cause l'équilibre de nos échanges extérieurs. Structurellement, notre balance commerciale doit supporter tant le ralentissement des exportations lié à la crise mondiale, d'ailleurs atténué par l'orientation privilégiée de nos ventes vers une Europe occidentale aux perspectives satisfaisantes, que le raffermissement des importations résultant du dynamisme de la consommation des ménages et du redressement de l'investissement. Par ailleurs, l'inflation est contenue, et la perspective de la mise en place de l'euro a préservé l'Europe des turbulences financières, lui permettant de bénéficier de taux d'intérêt historiquement bas, même si l'on peut souhaiter qu'ils soient encore plus bas.

La croissance, recentrée sur les composantes internes de la demande, a permis d'amorcer un redressement de l'emploi et un repli du taux de chômage, ce qui génère des revenus soutenant la consommation et raffermit encore la confiance des ménages.

Compte tenu de cet acquis, il nous semble que les hypothèses économiques associées à ce projet de loi de finances restent réalistes, comme le montrent les débats intervenus il y a quelques jours au sein de la commission


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des comptes de la nation et que, pour satisfaire à une demande exprimée en commission des finances, j'ai relatés de manière détaillée dans mon rapport écrit.

Ainsi, le consensus des conjoncturistes, pourtant tiré vers le bas par deux prévisions particulièrement pessimistes, reste, avec 2,5 % de croissance pour 1999, en phase avec le cadrage macro-économique gouvernemental.

Il est exact que le niveau du dollar, qui a chuté de près de 10 % depuis deux mois, introduit un élément d'incertitude. La poursuite de la baisse des taux d'intérêt qui se dessine - on peut, tout au moins, l'espérer - peut, face à cette menace, permettre de conforter la croissance européenne.

Rester sur le chemin de la croissance suppose ainsi que les pouvoirs publics ne restent pas inertes. La vigueur de la consommation requiert le maintien des orientations définies l'an passé pour soutenir le pouvoir d'achat, particulièrement en direction des classes moyenne et populaire. Le ressort de l'investissement doit être préservé, en faisant également bénéficier les entreprises des baisses d'impôt qu'autorise l'amélioration de nos finances publiques. Une politique active, et sélective, de la dépense publique - comme cela a été rappelé également tout à l'heure - doit apporter sa contribution au soutien de la demande intérieure.

Cette croissance retrouvée et recentrée sur ses composantes internes nous a donné, en effet, quelques marges de manoeuvre.

Cette meilleure orientation de la croissance s'est d'ailleurs traduite dans les prévisions de recettes révisées pour 1998, qui augmentent de 26,7 milliards de francs par rapport aux évaluations initiales, essentiellement en raison des meilleures rentrées de TVA nette.

Pour 1999, cette progression des recettes devrait se poursuivre, avec une hausse de 74 milliards de francs des ressources nettes du budget général.

Si l'on corrige cette estimation pour prendre en compte les effets du changement de périmètre du budget de l'Etat, cette progression s'établit à 51 milliards de francs. C'est ce chiffre qu'il faut avoir en référence.

D'où le débat sur les fruits de la croissance, lors de la préparation de ce budget.

Je voudrais, à cet égard, saluer les avancées constatées dans la méthode, dont a parlé tout à l'heure M. le ministre.

Plus de transparence, une meilleure association, en amont, des parlementaires, une plus grande anticipation dans les arbitrages, telles sont, du point de vue de la méthode, les avancées constatées.

En particulier, en annonçant à l'avance les trois axes de réforme de la fiscalité - patrimoine, fiscalité locale, écol ogie -, le Gouvernement aura permis à la commission des finances de présenter ses propositions, avec trois rapports - celui de Mme Nicole Bricq sur la fiscalité écologique, celui de M. Edmond Hervé sur la fiscalité locale et celui que j'ai eu l'honneur de présenter sur la fiscalité du patrimoine.

Ce dialogue avec le Gouvernement aura permis de voir nombre d'initiatives parlementaires reprises dans ce budget dès le stade du projet de loi. Il convenait de le souligner et d'en remercier M. le ministre de l'économie et M. le secrétaire d'Etat au budget. Il va de soi que je souhaite que ce dialogue s'enrichisse encore et se traduise concrètement d'ici à la fin de la semaine, à travers, notamment, les propositions formulées par la commission des finances.

Quelles sont les orientations du projet de budget ? Il nous apparaît que, dans un contexte qui reste encourageant en dépit des incertitudes externes, le partage des

« fruits de la croissance » fait l'objet d'arbitrages raisonnables et équilibrés.

Ainsi, 16 milliards de francs sont affectés au financement des priorités de la nation, avec une progression de 1 % - dites-vous - en volume des dépenses, cette progression maîtrisée étant permise par un effort sans précédent de redéploiement. Vous avez eu raison d'y insister tout à l'heure.

Quelque 21 milliards de francs sont consacrés à une nouvelle réduction du déficit budgétaire contribuant à envisager globalement, pour 1999, un besoin de financement des administrations publiques de 2,3 %, le budget de l'Etat devant atteindre, pour la première fois depuis 1991, l'équilibre primaire. Cela a été dit mais il me semble nécessaire de le rappeler.

Enfin, environ 16 milliards de francs confortent le m ouvement de décrue des prélèvements obligatoires amorcé en 1998 - après des années terribles sur le plan des prélèvements obligatoires - dans le cadre d'un processus tendant à réorienter notre système fiscal vers l'emploi et la justice sociale.

S'il est nécessaire de profiter de la croissance retrouvée pour reconstituer des marges pour l'avenir, les aléas liés à l'environnement international doivent, en effet, inciter à une certaine prudence et la croissance retrouvée doit être confortée.

L'évolution maîtrisée de la dépense, tout d'abord, participe de la volonté d'inscrire dans le moyen terme les priorités politiques de la majorité plurielle : agir rapidement et puissamment pour l'emploi et la solidarité en poursuivant l'effort de soutien de la croissance engagé l'an passé.

C'est ainsi, notamment, que les crédits du budget de l'emploi augmenteront de 6,1 milliards de francs, au profit des emplois-jeunes, de la réduction du temps de travail et de l'allégement du coût du travail pour les emplois non qualifiés. L'effort consacré par l'Etat à la lutte contre l'exclusion et au renforcement de la solidarité se traduit é galement par l'augmentation sensible des dotations allouées aux budgets de la santé, de la ville et du logement.

L'environnement connaît aussi une évolution, à la mesure de la montée des préoccupations écologiques des Français et de la volonté de Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement et du Gouvernement dans son ensemble.

Avec la création de 60 000 emplois d'aide-éducateurs dans l'enseignement scolaire et de 800 emplois dans l'enseignement supérieur, ainsi que la mise en place de moyens destinés à financer le plan social étudiant, l'école et l'université s'affirment aussi comme un lieu privilégié de la lutte contre l'exclusion.

L'Etat ne délaisse pas pour autant ses fonctions régaliennes, auxquelles certains voudraient trop souvent le réduire. La priorité accordée à la justice en 1998 est confirmée en 1999 avec, entre autres, la création de 930 emplois. Par ailleurs, les moyens de fonctionnement et d'investissement de la sécurité publique sont renforcés.

Enfin, l'effort d'investissement civil de l'Etat s'accroîtra au total de 2 %, alors que les moyens de fonctionnement resteront stables.

Ainsi le projet de budget amplifie-t-il les orientations définies l'an passé pour placer notre pays sur la voie d'une croissance plus durable, d'une société plus juste et


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plus humaine. Ce dessein suppose une action forte sur le montant et la structure des dépenses de l'Etat. Comme j'ai tenté de l'illustrer dans mon rapport écrit, les efforts d'économie ne sont pas ménagés - près de 30 milliards de francs - les redéploiements de crédits portent sur des montants élevés, les actions prioritaires sont clairement identifiées et correctement financées. La dépense publique se met au service de la volonté publique : elle n'est plus subie, mais assumée.

J'entends l'opposition critiquer ces orientations, et nous reprocher d'utiliser une partie de nos moyens pour soutenir ainsi la croissance.

M. Jean-Louis Idiart.

On n'entend rien du tout !

M. Philippe Auberger.

On n'a pas encore parlé ! Le rapporteur se prend pour Jeanne d'Arc ! Il entend des voix !

M. le président.

Mes chers collègues, veuillez ne pas provoquer les députés d'en face et laisser parler le rapporteur général.

M. Gérard Bapt.

C'est pour tester leur état de vigilance !

M. le président.

Monsieur le rapporteur général, poursuivez.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Merci, monsieur le président, mais l'opposition s'est déjà exprimée en dehors de l'hémicycle ! Il y a quelques inconséquences dans ce discours, puisque ce sont les mêmes qui voient la croissance s'affaiblir en 1999. Je n'ose croire qu'ils choisissent la politique du pire.

Il faut raison garder et observer que l'évolution de la dépense est maîtrisée.

Traditionnellement, la commission des finances calcule un agrégat, différent de celui du Gouvernement, pour mesurer les charges du budget de l'Etat.

Nous intégrons, en effet, la somme des crédits du budget général, la charge nette des opérations temporaires et les crédits de dépenses définitives des comptes d'affectation spéciale. Compte tenu de la réduction prévue des cessions de titres publics, la progression des charges définitives de ces comptes est freinée.

M arquant ainsi, pour une fois, une progression moindre que celle de l'agrégat du Gouvernement, notre agrégat marque une progression d'un peu moins de 4 %.

Si l'on tient compte de l'impact des rebudgétisations - 40 milliards de francs - ce taux d'évolution s'inscrit à 1,51 %.

Ainsi - et c'est la première fois que cela nous arrive -, compte tenu de la prévision d'inflation pour 1999, le montant des charges de l'Etat, considéré dans le périmètre de 1998, est quasiment stabilisé, au regard de l'agrégat de la commission des finances.

Ce constat objectif et indiscutable - puisqu'il correspond à nos méthodes de calcul depuis plus de quinze ans - conduit à relativiser quelque peu les appréciations portées çà et là sur un prétendu dérapage, voire une supposée explosion de la dépense publique. Les faits sont là : le budget est bien tenu, et les propos excessifs doivent être relativisés.

M. Jean-Pierre Brard.

Ils ne seront pas nombreux pour les tenir.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

D'ailleurs, les dernières statistiques de l'OCDE, que je présente à la page 143 du tome I, volume I, de mon rapport, devraient quelque peu troubler les apôtres de la réduction systématique de la dépense publique. Aux commandes du pays de 1993 à 1997 - mon prédécesseur Philippe Auberger le sait bien -, ils ont réalisé, ces années-là, des performances d'autant plus médiocres que leur discours était plus radical.

M. Jean-Louis Idiart.

Déjà !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Deuxième axe de ce projet de budget : la réduction du déficit. Il s'agit d'un impératif social autant qu'économique. Le déficit nourrit, en effet, cela a été rappelé tout à l'heure par M. le ministre de l'économie et des finances, un endettement qui conduit à prélever sur les revenus d'activité pour servir des intérêts, c'est-à-dire, en fait, à favoriser la rente a u détriment des entrepreneurs et des classes moyenne et populaire. Le poids du service de la dette dans le budget est d'ailleurs tel que la dette nourrit la dette, ce qui accroît la « viscosité » du budget. Par ailleurs, il convient de dégager, en phase de haute conjoncture, les marges qui permettront, le cas échéant, de faire face à un éventuel ralentissement économique dans le respect de nos engagements européens.

Un effort substantiel est réalisé à cet égard : avec 236,6 milliards de francs, le déficit général du budget de l'Etat s'inscrit en recul de 21,3 milliards de francs par rapport à la loi de finances pour 1998, ce qui le ramène à 2,7 % du PIB. Le déficit de l'ensemble des administrations devrait s'établir à 2,3 % du PIB.

On mesurera les progrès accomplis depuis l'époque où le Premier ministre, M. Alain Juppé, qualifiait de calamiteux le budget de son prédécesseur et jugeait infaisable le budget 1998, doutant ainsi de la capacité de notre pays à se qualifier pour l'euro. Il faut saluer l'objectivité de M. Juppé.

M. Philippe Auberger.

Quand cela vous sert ! C'est de la basse polémique, indigne d'un rapporteur général. Je ne me serais jamais permis cela !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Vous vous êtes permis bien d'autres choses ! On observera que, pour la première fois depuis 1991, le solde primaire, c'est-à-dire hors charges de la dette, est équilibré.

Globalement, le déficit des administrations publique se rapproche du seuil, permettant de stabiliser, avant de le réduire - car tel est bien l'objectif - le poids de la dette politique dans le PIB.

En 1999, en effet, le déficit stabilisant la dette serait de l'ordre de 2,1 points de PIB. L'écart entre le déficit effectif prévu de 2,3 points de PIB et ce déficit stabilisant le ratio d'endettement ne serait donc plus que de 0,2 point de PIB en 1999, au lieu de 0,5 en 1998, 1,2 en 1997 et 2,7 en 1996. Il n'est donc plus hors de portée de casser la dynamique de la dette, dont la charge a d'ailleurs déjà été contenue, puisque sa charge nette ne devrait progresser en 1999 que de 1 % contre 5,5 % en 1998.

Troisième orientation forte de ce projet de budget : les baisses d'impôts.

La volonté de diminuer les prélèvements obligatoires prend en compte le poids désormais unanimement jugé excessif de notre fiscalité, même si, je tiens à le souligner, les comparaisons internationales souvent mises en avant doivent être tempérées par la prise en considération du niveau des prestations collectives dans notre pays, résultant lui-même des traditions nationales et des exigences du corps social.


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M. Alain Belviso.

Tout à fait !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

L'exercice est d'autant plus méritoire que, parallèlement, il a été résolument entrepris de mettre en cause une situation fiscale déséquilibrée, en procédant à une nouvelle approche de la répartition de nos impôts entre les prélèvements pesant sur le travail et ceux pesant sur le capital, et en allégeant la charge fiscale des ménages les plus modestes.

La réforme dite Juppé, que nous avons abandonnée, ne bénéficiait qu'aux seuls contribuables imposables à l'impôt sur le revenu. Or, aujourd'hui, la moitié des foyers fiscaux ne sont pas imposés. En revanche, ces derniers foyers ont été lourdement pénalisés par la hausse des taxes et impôts indirects.

M. Alain Barrau.

Et de la TVA !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

On rappellera, à cet égard, les enseignements d'une récente étude de l'INSEE, selon laquelle le prélèvement fiscal global apparaît modérément progressif. La nette progressivité de l'impôt sur le revenu, variant de 0 à 14 % quand on progresse sur l'échelle des revenus, est, en effet, largement atténuée par l'effet dégressif des prélèvements assis sur la consommation, qui, à l'inverse, varient de 13 à 7 % au fur et à mesure que le revenu croît.

L'enquête révèle par ailleurs - ce qui n'est pas sans intérêt dans le cadre du débat sur la politique familiale que si la présence d'enfants entraîne une consommation plus élevée, donc des prélèvements indirects plus importants, à partir de deux enfants les effets du quotient familial sur l'impôt sur le revenu font plus que compenser ce surcroît d'impôt sur la consommation. Or cet effet ne s'exerce, par définition, que pour les ménages imposés à l'impôt sur le revenu et, malgré le plafonnement du quotient familial, joue d'autant plus fortement que les revenus du ménage sont élevés.

D'où notre choix de privilégier la baisse de la TVA.

L'exercice est difficile compte tenu de la part de cet impôt dans les recettes fiscales - 674 milliards de francs de recettes nettes, soit 44 % des recettes fiscales et des contraintes communautaires. D'où le choix de baisses ciblées de TVA.

Des mesures d'ampleur ont été décidées en 1997 ; d'autres sont aujourd'hui proposées par le Gouvernement.

Elles sont significatives. Nous souhaitons cependant, messieurs les ministres, aller plus loin, et tirer parti des ouvertures faites récemment par la Commission européenne.

M. Alain Barrau et M. René Mangin.

Très bien !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Le Conseil européen extraordinaire de Luxembourg sur l'emploi des 20 et 21 novembre 1997 a, en effet, engagé, à l'initiative de la France, une démarche visant à placer la lutte contre le c hômage au coeur des priorités européennes. Cette volonté des Etats membres a conduit la Commission à envisager, dans une communication au Conseil, « de permettre, à titre expérimental, un taux réduit de TVA, au lieu du taux normal, à la prestation de certains services considérés comme étant à forte intensité de maind'oeuvre ».

L es propositions de la Commission européenne concernent notamment les services à domicile, d'une part, et la rénovation et la réparation de logements, d'autre part.

Le Gouvernement, jusqu'à maintenant, a essentiellement défendu l'idée d'une baisse de la TVA sur les services à la personne.

L'opportunité de ce choix n'est pourtant pas évidente, le dispositif envisagé apparaissant d'une portée limitée et risquant d'évincer une offre associative qui remplit parfaitement sa fonction.

La commission des finances a donc pris une initiative afin que le Gouvernement défende une autre priorité.

Nous proposons, en effet, l'application du taux réduit de TVA aux travaux d'amélioration et d'entretien dans le bâtiment. Il s'agit d'une initiative d'ampleur significative.

Nous pensons que ce dossier doit être défendu, de manière prioritaire, par le gouvernement français, au niveau communautaire.

M. Alain Barrau.

Très bien !

M. Jean-Pierre Brard.

Parfait !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

L'obtention d'une autorisation formelle permettra, sous réserve des marges budgétaires qui seront alors disponibles, de mettre en oeuvre cette mesure, qui aura certainement un impact très important en termes de soutien à l'activité intérieure, ce qui, messieurs les ministres, répond à vos préoccupations.

Nous souhaitons également, malgré la réponse plus fermée du commissaire européen, Mario Monti, que le dossier de la restauration soit rouvert.

Dans l'attente de décisions que pourrait prendre le Conseil de l'Union européenne, nous proposons de doubler, à compter du 15 octobre 1998, les seuils applicables au crédit d'impôt pour les travaux d'entretien et de porter son taux de 15 à 20 % et le plafond de 10 000 à 20 000 francs.

C'est, en année pleine, une aide supplémentaire de 2 milliards de francs aux ménages, applicable à l'ensemble des ménages, puisque le dispositif touche les foyers non imposables. La réduction de dépenses pour les ménages est ainsi portée à 3,4 milliards de francs, puisqu'à ces 2 milliards de francs il faut ajouter les 1,4 milliard de francs votés l'année dernière. Nous avons vu avec satisfaction, messieurs les ministres, que cette proposition recevait votre approbation. Nous aurons l'occasion d'y revenir au cours de la discussion budgétaire.

Je ne m'attarderai pas davantage sur les dossiers fiscaux, puisque nous leur consacrerons de longues heures de débats techniques à l'occasion de l'examen des articles et des quelques centaines d'amendements déposés.

Je saluerai cependant l'effort de solidarité proposé dans une série d'articles permettant de porter à près de 15 milliards de francs le produit de l'impôt de solidarité sur la fortune.

Je saluerai également les diverses mesures proposées au titre de la fiscalité écologique, notant au passage que le rééquilibrage de la fiscalité des carburants s'effectue dans un cadre général de modération fiscale. Vous avez eu raison de le souligner, monsieur le ministre : c'est la première fois depuis vingt ans que les taxes sur le super sans plomb n'augmentent pas.

Un mot également sur l'article 24, qui traite de la fiscalité de l'assurance-vie. Il vise à lutter contre l'évasion fiscale résultant du dispositif actuel. Dans un but de justice, il est nécessaire d'y apporter des correctifs, afin de respecter un principe d'égalité lors de la transmission des patrimoines. Le dispositif proposé n'est cependant pas sans poser des problèmes techniques et de droit, vous l'avez dit tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat au budget, s'agissant notamment de l'égalité entre les contribuables. La commission des finances l'a donc rejeté, dans


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l'attente de l'élaboration, en collaboration avec le Gouvernement, d'un dispositif mieux adapté à la finalité vers laquelle nous tendons, à savoir rendre plus juste la fiscalité applicable lors de la transmission du patrimoine. J'ai fait une proposition qui a été déposée sur le bureau de la commission des finances cet après-midi et que je rapporterais demain devant elle.

Nous aurons sans doute à débattre longuement de la réforme de la taxe professionnelle, qui est, à nos yeux, une bonne réforme.

M. Jean-Pierre Brard.

Ça reste à voir ! C'est même tout vu !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Il y aura cependant lieu de suivre pas à pas ses effets sur les entreprises et sur les finances locales, ce qui justifie la demande par la commission des finances d'un rapport, dès le mois de septembre 1999.

S'agissant plus généralement des finances locales, nous avons prêté une attention particulière à l'article 40, qui propose un nouveau contrat de croissance et de solidarité avec les collectivités locales, pour une période de trois ans.

Un dialogue est engagé avec le Gouvernement. Nous avons noté les progrès réalisés, mais aussi les préoccupations qui ne sont pas encore suffisamment prises en compte. Nous espérons parvenir sur ce point, au cours de la discussion budgétaire, à un meilleure équilibre.

Installer la croissance dans la durée tel est donc l'objectif premier de ce projet de budget : il vise d'abord à stimuler une croissance solidaire par une progression maîtrisée de la dépense publique, ensuite à préserver à terme la possibilié de mener une politique plus efficace de la dépense publique, en poursuivant la maîtrise des comptes et la réduction des déficits, enfin à favoriser le dynamisme de l'économie, en amorçant la décrue des prélèvements obligatoires.

Ni laxiste ni rigoriste, cette démarche équilibrée rompt avec les erreurs d'un passé récent. Elle peut permettre, dans un environnement lourd de menaces mais au sein d'Europe qui peut desserrer l'étau de la spéculation, de tenir le cap du projet collectif qui a fait renaître la confiance dans notre pays : la croissance, l'emploi, la justice sociale, la modernisation de la société, la préparation de l'avenir.

Bien évidemment, mes chers collègues, votre commission des finances vous proposera d'adopter le projet de loi tel qu'il nous est présenté, sous réserve de l'adoption de ses propres amendements.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Auguste Bonrepaux, président de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, au moment où s'engage la discussion sur le projet de loi de finances pour 1999, il me semble instructif d'observer d'abord le chemin parcouru depuis un an. Malgré les prévisions alarmistes et les mises en garde de l'opposition sur ces mêmes bancs, force est de constater que la France va mieux, même s'il reste encore beaucoup à faire.

Notre économie va connaître en 1998 une croissance exceptionnelle - certainement supérieure à 3 % - avec une inflation totalement maîtrisée, et une reprise de l'investissement. Et surtout - car c'est là l'essentiel - nous constatons une amélioration sensible de la situation de l'emploi : près de 300 000 emplois seront créés cette année. Certes, compte tenu de la hausse de la population active, le chômage ne connaît pas une baisse équivalente, mais tout indique que nous devons persister dans la voie que la nouvelle majorité s'est fixée.

La politique choisie par les Français est efficace car elle mise sur les forces vives du pays : ceux qui travaillent et innovent. En d'autres termes, nous avons choisi le travail plutôt que la rente. Cette orientation s'est traduite concrètement dès cette année, puisque la loi de finances pour 1998 a permis de transférer près de 20 milliards de francs des revenus du capital vers les revenus du travail.

Ce choix, aux antipodes des options des gouvernements précédents, a été non seulement efficace mais juste. Juste car depuis des années, la grande majorité des Français qui ne vivent que des revenus de leur travail avait été matraquée par les hausses excessives de la fiscalité, et dans le même temps, les revenus financiers augmentaient de façon indécente.

Nous avons engagé la réduction de la fracture sociale et montré que c'était possible et économiquement efficace. Ce cercle vertueux s'est même réalisé en améliorant la situation des finances publiques grâce aux prélèvements effectués sur les entreprises. J'observe, d'ailleurs, que les profits annoncés par les grandes entreprises montrent que cette contribution exceptionnelle ne les a pas tellement pénalisées, d'autant plus que dans le même temps nous avons favorisé l'essor des PME innovantes.

Au moment où le Gouvernement propose à notre assemblée de poursuivre cette politique, je souhaite que nous ayons tous à l'esprit ces résultats.

Cependant, il est vrai que le contexte international n'est pas aussi bon que celui de l'an dernier. Mais, là encore, il me semble que c'est le libéralisme qui est surtout en cause : en Asie, la myopie des marchés financiers, la libéralisation trop rapide d'économies encore fragiles sont pour une bonne part responsables de l'ampleur de la crise. Les déclarations des grands dirigeants de ce monde montrent qu'il y a une prise de conscience des limites de la libéralisation financière. Malheureusement, il est à craindre que les populations soient conviées à payer au prix fort la frénésie des spéculateurs qui jouent quotidiennement avec les milliards.

Face à cette situation, les gouvernements doivent inventer une nouvelle voie qui réhabilite l'Etat, et faire le pari de l'économie réelle - celle des vraies gens - contre l'économie virtuelle. A cet égard, les propositions du gouvernement français vont dans le bon sens. Heureusement pour nous, l'Europe semble en grande partie préservée de ces tumultes, ce qui n'est peut-être pas sans lien avec le fait que la grande majorité des pays du Vieux Continent soient maintenant dirigés par des gouvernements de gauche.

Compte tenu de l'environnement international, les pays européens, en particulier ceux de la zone euro, doivent coordonner leurs politiques budgétaires en vue de soutenir la demande intérieure, dynamiser la croissance et l'investissement pour renouer avec la prospérité et le plein emploi.

C'est précisément ce qui guide le projet de loi de finances qui nous est proposé par le Gouvernement, et aussi en grande partie par la commission des finances. En effet, je veux souligner, après M. le ministre, que le travail mené ces derniers mois par la commission des finances a permis à notre assemblée d'orienter les choix du Gouvernement. Les rapports d'information, réalisés par Nicole Bricq sur la fiscalité écologique et par Didier


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

Migaud sur la fiscalité du patrimoine, trouvent dans cette loi de finances une traduction concrète et rapide. Je remercie le Gouvernement de s'en être inspiré. J'espère qu'il en sera de même très prochainement de l'excellent travail effectué par Edmond Hervé sur la fiscalité locale, mais nous aurons d'ailleurs l'occasion d'y revenir au cours de nos débats.

Cette collaboration ne peut être que fructueuse et contribue à restaurer le rôle de notre assemblée. Je souhaite que cet effort soit poursuivi et que le Gouvernement continue d'être toujours aussi attentif à nos travaux.

Le projet de loi de finances pour 1999 concilie trois priorités : le soutien de l'Etat à l'activité par une hausse modérée des dépenses, la réduction des déficits publics et la baisse de la fiscalité.

Commençons par les dépenses. Mes collègues de l'opposition sont vraiment incorrigibles ! Ils devraient davantage se souvenir de leurs échecs dans la maîtrise des dépenses. Je les invite à lire l'excellent rapport de notre rapporteur général. Ils pourront constater qu'il démontre de façon magistrale que l'augmentation des dépenses n'est que de 0,2 % par rapport à l'inflation. C'est dire qu'en matière de maîtrise des dépenses, nous faisons beaucoup mieux qu'eux pendant les quatre années où ils ont été au gouvernement ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Jacques Jégou.

Nous verrons !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Vous n'avez cessé de faire des gesticulations pour montrer que vous vouliez réduire les dépenses. En réalité, vous n'avez cessé de les augmenter !

M. François Bayrou.

Méfiez-vous ! Vos propos figureront au Journal officiel !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Cependant, j'affirme clairement que l'action de l'Etat est indispensable et qu'elle doit être vigoureuse quand le pays est confronté à une situation de chômage et de destructuration de son tissu social et urbain. Ne faut-il pas intensifier l'effort du pays dans les domaines de l'éducation...

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Si !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

... de la recherche..., Plusieurs députés du groupe socialiste.

Si !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

... des transports, de l'équipement ? Plusieurs députés du groupe socialiste.

Si !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

L'Etat ne doit-il pas mettre en place des dispositifs en faveur des exclus ? Serait-il concevable de réduire les moyens affectés à la sécurité ? Plusieurs députés du groupe socialiste.

Non !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Faut-il remettre en cause les dizaines de milliards d'exonération de charges sur les bas salaires ? Plusieurs députés du groupe socialiste.

Non !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

L'Etat doit-il revenir sur la hausse des concours aux collectivités locales,...

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Non !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

... dont, pour ma part, je trouve la progression encore insuffisante.

Et je vous ferai remarquer, mes chers collègues de la droite, que vous êtes un peu en contradiction avec vousmêmes...

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Beaucoup !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

... parce que vous en voulez encore plus ! La dépense publique, parce qu'elle prépare le futur et qu'elle résorbe la fracture sociale, est indispensable et doit être défendue avec fermeté. C'est l'un des moyens de la solidarité.

De la même manière, il est normal que les fonctionnaires, qui assurent le fonctionnement de nos services publics, soient en nombre suffisant,...

M. Dominique Baert.

Bien sûr !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

... bénéficient d'une progression de pouvoir d'achat, car l'Etat ne doit pas s'exonérer de ses obligations d'employeur.

M. Philippe Auberger.

Bien sûr, c'est votre clientèle ! Il faut que vous la soigniez ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gérard Bapt.

C'est injurieux pour les fonctionnaires !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Cependant, cet effort accru ne nous dispense pas de préparer l'avenir en réduisant le déficit budgétaire. Il ne faut pas repousser sur les générations futures le poids de la dette et de nos déficits.

A cet égard, cela n'exonère pas les gouvernements Balladur et Juppé des charges qu'ils ont léguées à l'ensemble de la nation pour de nombreuses années encore.

M. Alain Barrau.

Eh oui, la TVA !

M. Philippe Auberger.

C'étaient les charges Bérégovoy !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

La réduction du déficit sera poursuivie, comme l'an dernier, à un rythme soutenu. Il s'agit pourtant de ne pas aller trop vite. Lorsque l'épargne des ménages et des entreprises est excédentaire, le déficit et la dette de l'Etat permettent de recycler dans le circuit économique ces excédents improductifs.

M. Lucien Degauchy.

On verra ce que vous laisserez !

M. Jean-Louis Idiart.

On a vu ce que vous aviez laissé !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

M ieux vaut que l'épargne des entreprises serve à construire des écoles et des hôpitaux qu'à nourrir la spéculation des marchés financiers.

Enfin, ce budget met en oeuvre la baisse de la fiscalité que nous avions promise. Comme nous l'avons souhaité, elle se fait d'abord sur les impôts indirects - tous les ménages en bénéficieront, et particulièrement ceux qui ont été sacrifiés par les gouvernements précédents ...

M. Jean-Jacques Jégou.

Vous en avez sacrifié d'autres.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

... plutôt que sur l'impôt sur le revenu, qui ne concerne qu'un ménage sur deux et dont la progressivité a été trop fortement réduite. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Lucien Degauchy.

On verra les comptes l'année prochaine !


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M. François Bayrou.

Est-ce que vous avez vu ce que fait le SPD ?

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

La baisse des impôts indirects, de plus de 8 milliards - 10 milliards si on exclut l'infime minorité de privilégiés que vous avez toujours défendus qui pâtira un peu de la hausse de l'impôt de solidarité sur la fortune -, est unanimement plébiscitée par nos concitoyens et favorisera en priorité les plus modestes et les plus jeunes.

M. Pierre Bourguignon.

Très juste !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Précisons d'ailleurs que, pour la première fois depuis bien longtemps, la TIPP sur l'essence sans plomb ne sera pas réévaluée.

Il me semble pourtant qu'il faut encore aller plus loin dans cette direction, et nous espérons bien y arriver au cours des débats, avec, par exemple, des baisses ciblées de TVA sur la rénovation des bâtiments et l'uniformisation des taux de la restauration. Cela favorisera l'emploi et la consommation. Nous savons bien que cela ne s'inscrit pas dans les priorités immédiates de Bruxelles, mais il faut y travailler pour obtenir cette baisse de TVA, dans un premier temps, sur la rénovation des bâtiments, et, par la suite, sur la restauration. Nous ne manquerons d'ailleurs pas de vous faire des propositions au cours du débat.

La répartition des marges budgétaires entre dépenses publiques, baisse de la fiscalité et réduction des déficits n'est donc pas le fruit d'une arithmétique simpliste, mais traduit bien une orientation politique claire : répondre aux difficultés du présent, préparer l'avenir.

En effet, cette loi de finances engage des réformes structurelles importantes. La suppression programmée de la part salariale de la taxe professionnelle va permettre de rompre ce cercle vicieux, que constituait la surtaxation de l'entreprise qui embauche. Cette réforme a toujours été réclamée sur tous les bancs, et on peut être surpris aujourd'hui de voir naître des protestations. Pour ma part, je crois que nous pouvons être fiers que ce Gouvernement ait le courage de l'engager.

M. Lucien Degauchy.

Il n'y a pourtant pas de quoi !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Toutes les enquêtes, notamment auprès d'entreprises étrangères qui veulent s'installer dans le pays, montrent l'impopularité de cet impôt qui dissuade l'embauche. Dès cette année, la réforme va surtout bénéficier aux petites et moyennes entreprises, en particulier les entreprises de main-d'oeuvre, comme celles du bâtiment, des travaux publics, ou du textile et de l'habillement.

Aussi, les réserves qui ont pu s'exprimer à ce sujet sur les bancs de la majorité n'avaient pas pour objet de remettre en cause ce projet. Elles étaient motivées d'abord par le comportement des unions nationales professionnelles, qui cherchent à détourner la loi sur la réduction du temps de travail, et ensuite par la crainte que la compensation aux collectivités locales ne se fasse pas de manière complète et pérenne.

C'est la raison qui a conduit notre commission à demander un rapport d'étape pour que nous puissions chaque année faire le point, tant sur les retombées en matière d'emplois que sur la façon dont s'effectuera la compensation aux collectivités locales.

Nos collectivités territoriales assurent plus de 70 % de l'investissement public et leurs missions en matière de développement économique et social s'élargissent sans cesse. Je veux d'abord souligner la volonté du Gouvernement de transformer le pacte de stabilité - qui était en réalité un pacte de régression (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) - qui les pénalise depuis trois ans, en pacte de solidarité et de croissance.

Néanmoins, il faut reconnaître que la croissance qui est proposée actuellement ne sera pas suffisante et risque de porter préjudice aux collectivités les plus en difficulté, notamment les commune bénéficiaires de la DSU et de la DSR. C'est pourquoi nous proposons une accélération de cette progression de telle sorte qu'il n'y ait pas de collect ivités pénalisées. Nous espérons bien, monsieur le ministre, être suivis.

En conclusion, ce budget traduit tout simplement les engagements que nous avions pris : davantage de solidarité, davantage de justice sociale, moins d'impôts sur les plus pauvres, et priorité à l'emploi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Exception d'irrecevabilité

M. le président.

J'ai reçu de M. Philippe Douste-Blazy et des membres du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

M. Gérard Bapt.

Encore ! Ça ne marche pas à tous les coups ! (Sourires.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou.

Après avoir entendu MM. les ministres et tout particulièrement M. Dominique StraussKahn, qui a répondu aux questions que nous n'avions pas encore posées (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), qui nous a laissé entendre qu'il n'était pas forcément utile de monter à la tribune, c'est par conviction que nous allons essayer de montrer que vous n'êtes pas aussi vertueux, vous, la majorité d'aujourd'hui, que vous le dites (Protestations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jean-Pierre Brard.

Que vous le fûtes, pensais-je.

(Sourires.)

M. Jean-Jacques Jégou.

L'examen du projet de loi de finances pour 1999 va cette année débuter par le vote sur l'exception d'irrecevabilité déposée par le groupe UDFAlliance.

M. Jean-Pierre Brard.

Ça existe encore ?

M. Jean-Jacques Jégou.

Vous me permettrez, messieurs les ministres, de vous alerter dès maintenant, non sans malice - mais je vois que vous y avez pourvu -, sur la nécessité de mobiliser les troupes de la majorité plurielle sur le vote de ces motions de procédure afin d'éviter les fâcheux déboires que vous avez connus vendredi dernier.

(Exclamations sur divers bancs.)

Rassurez-vous, je n'espère pas avoir la même chance que mon collègue et ami Jean-François Mattei ! (Sourires.)

M. Jean-Louis Idiart.

C'est un problème de talent ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard.

C'est désobligeant !

M. Jean-Jacques Jégou.

Dans l'ensemble, au-delà des seuls arguments d'ordre constitutionnel que je développerai tout à l'heure, ce projet de budget ne répond pas aux impératifs du moment.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

M. Lucien Degauchy.

On en est loin !

M. Jean-Jacques Jégou.

Qu'il s'agisse des recettes, des dépenses ou du solde budgétaire, tout démontre dans votre texte un laxisme, que nous croyons coupable, de nos finances publiques, le manque d'ambition du Gouvernement en matière fiscale et, en un mot, le retour aux errements des années 1988, 1989 et 1990.

A propos de laxisme, monsieur le ministre, je voudrais vous lire de courts extraits d'une lettre d'un ministre de l'économie au chef de l'Etat.

« Point d'emprunt, parce que tout emprunt diminue toujours le revenu libre. »

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Vous auriez dû le dire à Juppé !

M. Jean-Jacques Jégou.

« Il nécessite au bout de quelque temps ou la banqueroute ou l'augmentation des impositions. »

M. Jean-Pierre Brard.

C'est Guizot !

M. Jean-Jacques Jégou.

« Il faut en temps de paix ne se permettre d'emprunter que pour liquider les dettes anciennes ou pour rembourser d'autres emprunts faits à un denier plus onéreux. Pour remplir ces trois points, il n'y a qu'un moyen : c'est de réduire la dépense au-dessous de la recette. »

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Vous auriez dû le dire à Balladur !

M. Jean-Jacques Jégou.

« On demande sur quoi retrancher et chaque ordonnateur dans sa partie soutiendra que presque toutes les dépenses particulières sont indispensables. Ils peuvent dire de fort bonnes raisons, mais il n'y a pas pour faire ce qui est impossible, il faut que toutes ces raisons cèdent à la nécessité absolue de l'économie. On peut espérer de parvenir, par une répartition plus équitable des impositions, à soulager sensiblement le peuple, sans diminuer beaucoup les revenus publics. Mais si l'économie n'a pas précédé, aucune réforme n'est possible. »

Cette lettre a été écrite à Compiègne le 24 août 1774.

Elle est signée Turgot, elle était adressée à Louis XVI.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Vous venez de la découvrir ?

M. Jean-Jacques Jégou.

Pas du tout !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Vous auriez pu le dire à Juppé !

M. Jean-Jacques Jégou.

Pourquoi est-ce que je vous lis cette lettre, monsieur le ministre ? Parce qu'elle a été envoyée sous forme de voeux en 1991 par Michel Charasse qui écrivait : « Michel Charasse ne ménagera pas ses efforts pour s'inspirer de ces conseils, plus que jamais nécessaires à l'intérêt national. »

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Lucien Degauchy.

Prenez-en de la graine, messieurs les socialistes !

M. Philippe Auberger.

Vous aviez un bon ministre du budget !

M. le président.

Poursuivez, monsieur Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou.

Comme chaque année, j'ai lu avec attention le rapport économique, social et financier que le Gouvernement adresse au Parlement. Non exempt d'une certaine mauvaise foi, mais c'est sans doute l'exercice qui l'exige, il reste un document de travail tout à fait intéressant pour les parlementaires, et plus particulièrement, cette année, ceux de l'opposition.

Je vais prendre la liberté d'en rappeler quelques passages à notre assemblée, car ils me paraissent tout à fait significatifs de ce qu'il faudrait faire dans ce budget, alors que le Gouvernement prend justement la direction inverse.

Page 16, à propos de la nécessité de réduire les déficits, il est écrit : « Conserver un solde structurel équilibré, c'est faire en sorte que les surcroîts de recettes apparues en périodes de vaches grasses soient bien mis en réserve en prévision des périodes ultérieures de creux de cycle, qui solliciteront alors fortement la politique budgétaire. » Ce

passage sera opportunément éclairé par un autre extrait de ce document, page 19 : « Nous n'avons pas aujourd'hui un déficit structurel suffisamment proche de l'équilibre pour disposer des marges de manoeuvre suffisantes en cas de retournement de conjoncture. » Nous allons le

voir, vous gaspillez les fruits de la croissance en ne réduisant pas suffisamment le déficit de l'Etat.

Page 18, à propos des éléments de cadrage du budget, il est écrit : « C'est fréquemment en période de bonne conjoncture que les Etats peuvent commettre des erreurs de politique budgétaire, par exemple en surestimant le potentiel de croissance de l'économie. » Nous allons voir

que vos prévisions pèchent par excès d'optimisme, en dépit de ce que vous avez déclaré tout à l'heure, et je souhaite me tromper, personnellement.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

N'ayez crainte !

M. Jean-Jacques Jégou.

Page 20, enfin, et je garde le meilleur pour la fin : « Inverser la tendance du ratio de la dette, retrouver les marges de manoeuvre budgétaire, cela conduit à gérer nos finances publiques en mettant l'accent sur un objectif de dépense. Dans la phase actuelle, cela suppose d'affecter d'éventuelles rentrées d'impôts et de cotisations supplémentaires à la réduction du déficit et à la baisse des prélèvements obligatoires, plutôt qu'à l'accroissement des dépenses. »

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Nous l'avons fait !

M. Jean-Jacques Jégou.

Voilà, monsieur le ministre, ce que vos services vous disent. En période de croissance, la seule politique possible, la seule voie qui puisse préserver nos concitoyens du retournement de conjoncture est celle de la baisse des impôts, de la baisse du déficit et de la baisse des dépenses.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Vous n'avez pas donné l'exemple, monsieur Jégou !

M. Jean-Jacques Jégou.

Je vais revenir sur ces trois points. Un mot, auparavant, sur le cadrage budgétaire.

A l'initiative du précédent gouvernement et plus particulièrement de Jean Arthuis et d'Alain Lamassoure, un débat d'orientation budgétaire a été organisé pour la première fois en 1996. Destiné à éclairer le Parlement sur les choix du Gouvernement dans ce domaine, le principe de ce débat a été repris par l'actuelle majorité, et l'on doit s'en féliciter. Vous l'avez même amélioré en y ajoutant, au mois de juillet, une présentation des grandes orientations des finances publiques pour 1999. Ce souci que vous avez du Parlement mérite d'être salué. Comme quoi l'on peut rêver qu'un jour, dans ce pays, une nouvelle majorité ne s'acharne pas dès son arrivée aux affaires à détruire ce que l'ancienne avait fait.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

L'inconvénient de ces procédures, le débat d'orientation budgétaire, la présentation des grandes lignes des finances publiques puis, en septembre, la présentation du projet de loi de finances, c'est qu'elles laissent la trace soit de la continuité des positions du Gouvernement, soit de ses changements de position. En l'espèce, pour ce qui nous intéresse ce soir, c'est une marque de continuité que nous découvrons. Vous l'avez confirmée, monsieur le ministre, dans votre intervention. Si le monde n'avait pas changé durant cette période, ce serait le signe d'une volonté politique. S'il a changé, c'est le signe au pire, d'une irresponsabilité, au mieux d'un aveuglement.

Force est de reconnaître que, depuis le mois de juin, la conjoncture économique mondiale s'est fortement dégradée. La conjonction des crises asiatique, russe et latinoaméricaine a fait entrer le monde dans une zone de turbulence qu'à défaut de pouvoir éviter, nous devons appréhender avec un maximum d'atouts.

Le 9 juin dernier, le ministre de l'économie et des finances annonçait à cette même tribune une prévision de croissance de 2,8 % en volume pour 1999, une progression des dépenses de 1 % en volume et de 2,2 % en francs courants, compte tenu d'une inflation alors estimée à 1,2 %. Ces mêmes orientations étaient retenues le 22 juillet dernier lors de la présentation des grandes lignes du budget.

Depuis, la prévision de croissance a été revue à la baisse d'un dixième de point pour s'élever à 2,7 % du PIB. Les dépenses, quant à elles, ont été revues à la hausse, il faut tout de même le souligner, puisque la prévision d'inflation a été augmentée d'un dixième de point.

Les dépenses augmenteront ainsi de 2,3 % en valeur au lieu des 2,2 % annoncés à l'occasion du débat d'orientation budgétaire. On pouvait tout de même penser que cette réévaluation à la hausse des prévisions de l'inflation allait vous faire abandonner votre dogmatique 1 % de croissance des dépenses en volume. Il n'en fut rien.

Nous nous retrouverons donc à la fin d'octobre avec les mêmes prévisions, au iota près, qu'au mois de juin.

Alors, je sais déjà ce que vous allez répondre à nos interrogations - vous l'avez déjà fait - sur vos prévisions de croissance. Il est vrai qu'un ministre de l'économie doit rassurer les agents économiques et les marchés, et que l'annonce d'une prévision plus basse, mais sans doute plus conforme à la réalité, aurait immédiatement eu des répercussions négatives sur l'économie. Il est vrai également que le Parlement, et surtout l'opposition, ne dispose d'aucun moyen d'établir ses propres prévisions.

M. François Bayrou.

Il en faudra bien un jour !

M. Jean-Jacques Jégou.

Au-delà des bonnes intentions des uns et des autres, on pourra organiser tous les débats d'orientation budgétaire que l'on veut, adresser aux députés tous les documents de la terre, tant que le Parlement ne disposera pas d'un outil d'expertise, de prévision et de simulation indépendant, il restera à la merci de l'administration et, plus particulièrement, des fonctionnaires, au demeurant brillants, du ministère des finances.

Sans doute était-ce le souhait des rédacteurs de la Constitution de 1958...

M. Raymond Douyère.

Tout à fait !

M. Jean-Jacques Jégou.

... qui voulaient rompre avec les dérives parlementaristes de la IVe République mais, aujourd'hui, cette soumission du pouvoir législatif au pouvoir exécutif n'est plus supportable.

M. François Bayrou.

Très bien !

M. Jean-Jacques Jégou.

Elle est particulièrement criante en matière budgétaire. Le groupe UDF-Alliance est très attentif à ce sujet. Il y a quelques années, c'est lui qui avait proposé l'idée d'un office parlementaire d'évaluation des politiques publiques, destiné à mieux éclairer les choix parlementaires et, conformément à la mission constitutionnelle qui est la sienne, à mieux contrôler l'action gouvernementale. Je ferme la parenthèse.

Je reviens aux prévisions de croissance.

Naturellement nous souhaitons, et vous ne nous avez pas fait de procès en la matière tout à l'heure, qu'elles se réalisent à hauteur de 2,7 %. Nous sommes attachés avant tout à notre pays. Un grand nombre de spécialistes cependant les ont trouvées trop optimistes. Dans ce contexte, nous revient alors à l'esprit le scénario du projet de loi de finances pour 1993. Je m'en souviens encore !

M. Philippe Auberger.

C'est un cauchemar ! (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Jacques Jégou.

Le gouvernement socialiste du moment avait établi son projet de budget sur une prévision de croissance de l'ordre de 2,2 %. C'est en fait une véritable récession qui frappa la France, puisque le PIB recula finalement de 1,3 % cette année-là. Budgétairement parlant, le solde de la loi de finances, initialement prévu à 165 milliards de francs, se révéla flirter avec les 350 milliards en exécution,...

M. Philippe Auberger.

L'héritage était calamiteux !

M. Jean-Jacques Jégou.

... plombant ainsi toutes les marges de manoeuvre budgétaires pour les années qui allaient suivre. L'action des gouvernements d'Edouard Balladur et d'Alain Juppé a consisté à retrouver les marges de manoeuvre que vous avez trouvées en arrivant aux affaires en 1997. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

La preuve est donc faite qu'il faut au moins trois ans pour remonter la pente dévalée à cause d'une seule mauvaise prévision, sur un seul exercice budgétaire. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Pierre Brard.

Cassandre ! Vous savez comment ça a fini, à Troie !

M. Jean-Jacques Jégou.

Et l'on sait aujourd'hui, plus encore qu'hier, la nécessité qu'il y a d'assainir les finances publiques. C'est la contrepartie de la construction européenne. L'arme monétaire est désormais transférée aux banques centrales et, le 1er janvier prochain, elle sera transférée à la Banque centrale européenne. Face à cette autorité monétaire unique, on trouve une pluralité de politiques budgétaires demeurées dans les mains des Etats membres. Il convient, dans l'intérêt de tous les pays membres de la zone euro, d'harmoniser ces politiques budgétaires. C'est tout l'intérêt du maintien des critères de convergence et de la conclusion du pacte de stabilité et de croissance.

M. Jean-Claude Lefort.

Ah !

M. Gérard Fuchs.

Et du Conseil de l'euro !

M. Jean-Jacques Jégou.

Au jour d'aujourd'hui, la France est malheureusement le mauvais élève de la classe de l'euro 11. Le nouveau président de la banque centrale européenne l'a récemment déclaré : « Les dividendes de la croissance cyclique doivent être utilisés à réduire le niveau des déficits et des dettes plutôt qu'à relâcher le contrôle


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

sur les dépenses. » En 1998, avec un déficit public équi-

valent à 3 % du PIB, nous sommes déjà les derniers de la classe. Les déficits allemand et italien, par exemple, se situent respectivement à 2,3 et 2,6 % du PIB. En 1999, avec l'objectif affiché par le Gouvernement d'un déficit public égal à 2,3 % du PIB, nous serons toujours les derniers de l'euro 11. Nous ferons moins bien que l'Allemagne, 2,2 %, l'Italie, 2 %, l'Espagne, 1,9 %, ou les Pays-Bas, 1,2 %. Je n'ose pas parler de la Finlande, du Luxembourg ou de l'Irlande, qui sont en excédent !

M. Jean-Pierre Brard.

Et l'Andorre ?

M. Jean-Jacques Jégou.

Je comprends que vous ne connaissiez pas l' Euroland, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard.

Prononcez plutôt à l'anglaise !

M. Jean-Jacques Jégou.

Ces contraintes, monsieur le ministre, vous les connaissez. Malheureusement, malgré quelques artifices sur les recettes, vous n'avez pas sufisamment réduit le déficit dans ce projet de budget et vous avez aggravé les dépenses.

Parlons des recettes.

Sur le papier, nous vous en donnons acte, le taux des prélèvements obligatoires devrait se stabiliser en 1999.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Il va baisser !

M. Jean-Jacques Jégou.

Cependant, toujours grâce au rapport économique, social et financier, nous avons la confirmation que, depuis votre arrivée aux affaires, l'ensemble des dispositions fiscales que vous avez prises, tous textes confondus, aboutit à un alourdissement des charges fiscalo-sociales pesant sur les ménages comme sur les entreprises.

M. Philippe Auberger.

C'est vrai !

M. Jean-Jacques Jégou.

Depuis votre arrivée au pouvoir, le manque à gagner cumulé s'élève à 17 milliards pour les ménages et à près de 59 milliards pour les entreprises. Et comment ne pas parler de la baisse du plafond du quotient familial ou de l'augmentation de l'impôt sur les sociétés.

M. Gérard Fuchs.

Parlons-en !

M. Jean-Jacques Jégou.

Une indication est par ailleurs intéressante, l'évolution de l'incidence des mesures par rapport à l'année antérieure, qui permet de mesurer l'évolution de la pression fiscale d'une année sur l'autre. Et là, nous voyons bien la méthode de votre gouvernement, que l'un de mes amis assimile à la « torture espagnole ». On commence par étrangler bien fort son vis-à-vis, puis on relâche un peu la pression et, tout en continuant de serrer, on lui demande si ce relâchement ne lui fait pas du bien.

M. Jean-Pierre Brard.

Mais c'est sadique ! C'est l'Inquisition ! C'est Philippe de Villiers qui vous a parlé de ça ?

M. Jean-Jacques Jégou.

Je prends l'exemple des ménages : en 1998, le manque à gagner dû aux réformes gouvernementales s'est élevé à 11,6 milliards de francs.

En 1999, il ne devrait être que de 5,15 milliards. D'une année sur l'autre, la pression fiscale s'est effectivement allégée de 6,45 milliards. Mais le cou continue pourtant à être tordu ! C'est la même méthode qui est utilisée pour les entreprises, lesquelles auront été ponctionnées de 19,5 milliards en 1997, 29,8 milliards en 1998 et « seulement » 9,5 milliards en 1999. La pression fiscale aura donc été allégée de 20,3 milliards en 1999 par rapport à 1998, mais elle aura augmenté de près de 10 milliards de 1997 à 1999. Voilà l'habile présentation d'une « vraie fausse » baisse des prélèvements obligatoires.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Et l'année précédente ?

M. Jean-Jacques Jégou.

J'en arrive au volet recettes de ce projet de loi de finances. La grande mesure annoncée est celle de la réforme de la taxe professionnelle.

S'agissant des collectivités territoriales, une fois de plus, nous renonçons, avec ce projet, au principe même de libre administration des collectivités locales. En effet, en réformant, ou plutôt en tentant de réformer la taxe professionnelle, l'Etat étend sa mainmise et son pouvoir sur les collectivités.

La suppression de la part salairiale de l'assiette de la taxe professionnelle est une vieille lune des fonctionnaires de Bercy et je vois que, pour une fois, vous avez su être à l'écoute. Certes, comme chef d'entreprise, je ne peux a priori me plaindre de voir se profiler un allégement de la TP. En effet, la pression fiscale sur les entreprises est telle que le moindre allégement - et là, c'est bien le moindre ! - est bon à prendre.

Vous aviez déjà bien chargé la barque avec les 35 heures, qui vont coûter très cher aux entreprises.

Celles-ci avaient donc vraiment besoin d'un allégement.

M. Jean-Pierre Brard.

Ce que vous dites est presque obscène !

M. Jean-Jacques Jégou.

Vous les avez fait saliver mais, à y regarder de plus près, elles commencent à déchanter.

D'après vous, c'est une réforme pour l'emploi : elle créera 25 000 emplois en 1999 et 100 000 à terme. Vous le savez bien, ce n'est pas avec une telle réforme que les entreprises vont créer des emplois. C'est un tout autre signal qu'elles attendaient pour recommencer à embaucher : celui de la baisse des charges. Plusieurs de mes collègues du groupe UDF, et tout particulièrement mon ami Pierre Méhaignerie, en parleront tout à l'heure.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission, et

M. Gérard Fuchs.

On a vu les résultats que ça a donnés !

M. Jean-Pierre Brard.

Le disque est rayé !

M. Jean-Jacques Jégou.

Et nous ne sommes pas les premiers à le dire : le Conseil des impôts, dans son quinzième rapport (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), souligne le fait que le niveau de la taxe professionnelle d'une entreprise intervient très peu dans son processus de décision. Première erreur : vous vous trompez de cible.

M. Jean-Louis Idiart.

Ce n'est pas ce que vous avez dit pendant longtemps !

M. Jean-Jacques Jégou.

Deuxièmement, le Conseil insiste sur le fait que la supression de la part salariale de la base de la TP serait inefficace en ce qui concerne l'emploi, pour la simple et bonne raison que les problèmes d'assiette de TP tiennent à la part du capital, qui est surtaxé. Ce sera donc une charge nouvelle pour les entreprises fortement capitalistiques, qui n'avaient certainement pas besoin de ça.

Si l'on compare au coût que représentera cette réforme - 11,8 milliards de francs bruts la première année, selon le ministère des finances, 7,2 milliards nets selon nos calculs -,...

M. Jean-Louis Idiart.

Il n'y a qu'à doubler l'effort !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

M. Jean-Jacques Jégou.

... l'impact sur l'emploi sera vraiment mineur, car le gain pour les entreprises ne sera pas significatif, d'autant moins significatif que l'Etat se rattrape assez bien par ailleurs. Ainsi, cette mesure ne p eut pas être considérée comme une incitation à l'embauche, loin s'en faut.

Petit détail, mais qui a son importance : cette réforme n'est pas juste. Elle favorisera les entreprises de services, à faible densité capitalistique, pour lesquelles la part salariale est plus importante que dans les entreprises indust rielles, fortement capitalistiques, très ouvertes à la concurrence internationale et le plus souvent à faible densité de rémunérations salariales.

Au-delà de l'aspect inefficace de cette réforme, la façon dont vous la financez est, c'est le moins qu'on puisse dire, incongrue : en effet, l'augmentation de la cotisation minimale de 0,35 % à 1,5 % - excusez du peu ! - rapportera, selon les estimations, environ 8,2 milliards de francs à terme et 800 à 900 millions de francs dès la première année.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

C'est vous qui avez créé la taxe professionnelle !

M. Jean-Jacques Jégou.

Mais vous ne vous arrêtez pas là. Une seconde mesure vient frapper fort et de manière aveugle, c'est l'augmentation de la cotisation de péréquation, qui représentera 500 millions de francs en 1999.

Dans votre habileté, vous n'oubliez bien sûr pas la réduction pour embauche et investissement, soit 1,8 milliard de francs en 1999.

Certes, il peut paraître normal de supprimer la part embauche, puisque les salaires, à terme, ne rentreront plus dans les bases de TP. Encore fallait-il que l'un suive la progressivité de l'autre, en épargnant la réduction pour investissement. Mais rien de tout cela n'est pris en compte.

Certains ont crié au loup (Exclamations et rires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste), messieurs les communistes.

M. Jean-Pierre Brard.

Et apparentés ! Plusieurs députés du groupe socialiste et du groupe communiste.

Hou ! Hou ! Jégou !

M. Jean-Jacques Jégou.

En fait, si vous y regardez de plus près, les cadeaux aux entreprises sont un cadeau empoisonné.

M. Bernard Outin.

Les loups ont tué les entreprises !

M. Jean-Jacques Jégou.

Le cynisme du Gouvernement est sans bornes, et il est vraiment trop facile de se donner bonne consience avec ce type de mesure.

Injustice, mesure antiéconomique, en rien favorable à l'emploi : ce sont là les principaux défauts de cette réforme.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Vous aurez du mal à le faire croire !

M. Jean-Jacques Jégou.

Mais cela ne s'arrête pas là. Je veux parler de l'entrave à la libre administration des collectivités locales, et je crois qu'à l'intérieur de la majorité les choses ne sont pas aussi claires que vous voulez bien le dire !

Mme Nicole Bricq.

Là, vous en faites trop !

M. Jean-Jacques Jégou.

Il s'agit pourtant d'un principe inscrit dans la Constitution et affirmé dès 1946. Et ne venez pas citer, comme tout à l'heure, l'exemple de la Grande-Bretagne, qui a pour habitude de subventionner à 80 % ses collectivités, ou des Pays-Bas. Ce n'est pas la tradition de la France, et personne ne peut le contester.

Que dit la Constitution à ce sujet ?

M. Jean-Pierre Brard.

Oui, que dit-elle ?

M. Jean-Jacques Jégou.

D'une part, l'article 34 confie au législateur le soin de fixer « les principes fondamentaux [...] de la libre administration des collectivités territoriales ». D'autre part, l'article 72, alinéa 2, prévoit que les collectivités territoriales « s'administrent librement par des conseils élus et dans les conditions prévues par la loi ».

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Eh bien ?

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Et alors ?

M. Jean-Jacques Jégou.

Ecoutez plutôt ! Il y a donc une règle de compétence et une garantie de fond. La règle de compétence est importante dans la mesure où les collectivités voient leurs libertés dépendre non pas du pouvoir exécutif, du Gouvernement, mais du législateur. La garantie de fond, la libre administration, vise clairement à protéger les affaires locales d'un empiétement excessif du pouvoir exécutif.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Jusqu'à preuve du contraire, c'est le Parlement qui vote la loi !

M. Jean-Jacques Jégou.

Administrer librement, c'est avant tout jouir d'une indépendance financière réelle et suffisante.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Cela n'est pas dit dans la Constitution !

M. Jean-Jacques Jégou.

Or, que cherche à faire le Gouvernement à travers cette réforme ? A ôter une partie de leurs ressources propres aux collectivités pour les subventionner, en portant atteinte à leur autonomie,...

M. Bernard Outin.

Celles qui ne veulent pas n'ont qu'à le dire !

M. Jean-Jacques Jégou.

... et, ce qui est le plus grave, à déresponsabiliser les élus locaux au regard de leurs contraintes budgétaires.

Quels que soient les chiffres que l'on prend, ils sont alarmants.

L'autonomie fiscale des collectivités, c'est-à-dire le rapport entre les recettes fiscales dont les taux sont fixés par la collectivité et l'ensemble des ressources définitives, passe d'un seul coup de 51,4 % à 46 %.

La taxe, acquittée actuellement à 38 % par l'Etat, premier contribuable local en matière de TP - et, depuis de nombreuses années, tous les gouvernements se plaignent que l'Etat paye trop de taxe professionnelle -, l'Etat, le sera désormais acquittée à hauteur de 55 %. Je signale que, dans les deux cas, on franchit sans sourciller le seuil fatidique qui fait passer de l'autonomie à l'assistance respiratoire.

M. Jean-Pierre Brard.

L'image est intéressante !

M. Pierre Bourguignon.

Osée !

M. Jean-Jacques Jégou.

Mais réelle.

Enfin, le taux de subvention de l'Etat aux collectivités locales passe allègrement, vous l'avez dit tout à l'heure et j'ai les mêmes chiffres, de 30 % à 36 %.

Petite précision : le comité des finances locales, dont d'éminents représentants siègent sur tous les bancs, était fermement opposé à cette réforme parce qu'elle met les


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collectivités locales sous la tutelle de l'Etat.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Gérard Saumade.

Mais non !

M. Jean-Jacques Jégou.

Mais, comme d'habitude, vous n'écoutez que vous, sans prendre en compte les intérêts des collectivités. C'est l'étatisation galopante (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), au mépris des élus locaux et de la responsabilité qu'ils ont à l'égard des finances de leurs collectivités locales, et qu'ils devaient, jusqu'à ce jour, assumer pour une très grande part.

Remarquez, ce sera désormais facile pour le maire d'une commune de dire à ses administrés : « Vos impôts sont trop élevés ? Ecrivez donc au Premier ministre, je ne suis plus responsable. » En effet, la compensation mise en

place ne compensera pas tout, et c'est par les taux que les communes seront obligées de se rattraper.

Qui voudrait d'une collectivité amputée à ce point, d'une décentralisation qui n'en est plus une, d'une très honorable responsabilité que personne, en dehors de l'Etat, n'aurait le droit d'assumer ? Entre nous, les collectivités locales ne votent pas des budgets en déséquilibre ! Quid, monsieur le ministre, de l'équilibre des finances locales, qui risquent fort d'être mises à rude épreuve ? Car ce sont en réalité les collectivités qui, en plus des entreprises, vont financer cette réforme. Soyons honnêtes : la perte de recettes pour les collectivités est réelle parce qu'il est bien entendu que la compensation n'est que partielle ; les collectivités ne s'y retrouveront pas et vous le savez parfaitement.

Mme Nicole Bricq.

Ça dépend desquelles !

M. Jean-Jacques Jégou.

Une compensation indexée sur l'enveloppe normée avec, qui plus est, une référence unique à l'année en cours, sera insuffisante. Et il faudra bien que les collectivités conservent malgré tout leur équilibre financier. Pensez-y, monsieur le ministre ; elles aussi subissent la crise depuis de nombreuses années et sont quelque fois au bout des économies qu'elles pouvaient faire. Comment se rattraperont-elles ? Tout simplement en augmentant les taxes locales, qui sont encore liées aujourd'hui, et, en fin de compte, ce seront l'entreprise et le contribuable qui paieront.

D'autant qu'il existe d'autres types de mesures qui aggravent lourdement les charges des collectivités, qui sont plus fréquentes, donc moins remarquées et moins connues du grand public : je veux parler de toutes les mesures relatives à la fonction publique territoriale entre autres, le GVT et l'augmentation des salaires des fonctionnaires -, que l'Etat décide unilatéralement et qui sont totalement à la charge des collectivités. Mais, de tout cela, le Gouvernement n'a que faire ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Ce n'est pas là qu'il fallait frapper pour l'emploi.

C'était bel et bien la baisse des charges sur les salaires qu'il fallait mettre en place, et particulièrement une baisse des charges sur les bas salaires. Vous le savez, messieurs de la majorité, seul un réel allégement des charges décidera les chefs d'entreprise à embaucher et nous rendra compétitifs par rapport à nos voisins, nos amis de l'Euroland.

Ce n'est pas non plus cette réforme-là qu'il fallait faire pour l'économie. Cet impôt, qui n'est pas un bon impôt - tout le monde s'accorde sur ce point -, méritait une réforme en profondeur. Pierre Méhaignerie, qui nous a présenté en commission des finances une simulation faite par notre collègue sénateur Yves Fréville, a démontré les risques de perversité de ce que vous proposez.

Ce n'est, enfin, pas cette réforme-là qu'il fallait faire pour redonner du souffle aux collectivités, sur lesquelles l'Etat se décharge de plus en plus sans jamais prendre les mesures d'accompagnement nécessaires à la mise en oeuvre des transferts effectués.

Pourtant, il y a une chose que l'on ne peut pas reprocher à ce Gouvernement (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste), c'est qu'il n'hésite pas à revenir d'une année sur l'autre sur ses propres réformes. Comme le dit avec humour notre rapporteur général, c'est la réforme de la réforme.

Parlons de la famille.

Pour ceux qui en doutaient encore, c'est bien une politique fiscale de gauche que vous nous imposez encore une fois. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Gérard Fuchs.

Enfin !

Mme Nicole Bricq.

Il l'a dit !

M. Jean-Jacques Jégou.

Ils sont soulagés ! Ils avaient peur de ne plus être de gauche depuis quelque temps !

M. François Hollande.

Dites-le autour de vous ! Faites-le savoir !

M. Jean-Jacques Jégou.

Si vous saviez ce qu'on entend !

M. Jean-Pierre Brard.

Parlez-nous plutôt de l'Alliance !

M. Jean-Jacques Jégou.

Vous imposez une politique fiscale qui ne diminue pas le taux des prélèvements obligatoires, une politique fiscale partiale, injuste et sans vision d'avenir.

L'an passé, vous avez mis les allocations familiales sous condition de ressources. Soit.

M. Jean-Pierre Brard.

Excellente mesure !

M. Jean-Jacques Jégou.

Cette année, elles bénéficieront à nouveau à toutes les familles, et nous ne pouvons que vous en féliciter ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Il y a juste quelques oublis, mes chers collègues.

Mme Nicole Bricq.

Lesquels ?

M. Jean-Jacques Jégou.

Par exemple, les familles qui n'ont qu'un enfant !

M. François Hollande.

Elles n'ont qu'à en faire deux ! (Rires.)

M. Jean-Jacques Jégou.

Je sais, monsieur Hollande, que vous êtes un spécialiste,...

M. François Hollande.

Je peux vous donner des informations !

M. Jean-Jacques Jégou.

... mais il faut commencer par un avant d'arriver à quatre ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jean-Pierre Brard.

Il y a mieux que lui : c'est Mme Boutin !

M. Jean-Jacques Jégou.

Les familles qui n'ont qu'un enfant sont nombreuses, ce sont le plus souvent de jeunes foyers et, manifestement, ce n'est plus votre cas, monsieur


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

Hollande. Ce sont elles qui ont le plus besoin d'aides mais, apparemment, elles ne vous préoccupent pas particulièrement.

Mme Nicole Bricq.

Mais si ! Lisez le rapport Gillot, et vous verrez !

M. Jean-Jacques Jégou.

Vous en profitez pour augmenter leurs charges fiscales ! Une fois de plus, vous commencez par serrer très fort puis, l'année d'après, vous desserrez, mais, au bout du compte, on reste étranglé.

M. Jean-Pierre Brard.

C'est une obsession !

M. Jean-Paul Mariot.

Ça fait quand même du bien quand on desserre !

M. Jean-Jacques Jégou.

Je vois que vous avez compris la méthode ! En diminuant le plafond du quotient familial de presque un tiers, et pour toutes les familles, vous entrez dans un raisonnement contraire à toute notre politique familiale depuis cinquante ans, ce qui est inacceptable.

Nous ne pouvons pas accepter non plus votre raisonnement qui consiste à dire : l'un compensera l'autre. En effet, cette mesure nouvelle rapportera à l'Etat pas moins de 3,9 milliards de francs en 1999.

M. Daniel Marcovitch.

Il faut bien compenser vos déficits !

M. Jean-Jacques Jégou.

De plus, comme le souligne lui-même le rapporteur général de la commission des finances dans son rapport, le quotient familial est non seulement « un instrument de la politique familiale, mais également un élément de la politique sociale en faveur de plusieurs catégories de personnes peu favorisées dans leur existence ».

M. Jean-Pierre Brard.

Il a raison !

M. Jean-Jacques Jégou.

Qu'en est-il de ces catégories ? Où est passé votre sens de la justice sociale ? Apparemment, vous n'avez pas poussé le raisonnement jusqu'au bout.

Ce sont donc à nouveau les familles qui paient,...

M. Jean-Pierre Brard.

Mais non !

M. Jean-Jacques Jégou.

... et particulièrement celles qui n'ont qu'un enfant,...

M. Gérard Fuchs.

Avec quel revenu ?

M. Jean-Jacques Jégou.

... mais ma remarque vaut aussi pour les familles qui ont plusieurs enfants.

En fait, ce sont entre 530 000 et 670 000 familles qui verront leur impôt augmenter de 6 200 francs par an en moyenne, alors que la mise sous condition de ressources d es allocations familiales n'avait touché que 386 000 familles, et de façon beaucoup moins forte.

M. Bernard Outin.

Vous étiez contre !

M. Jean-Pierre Brard.

Maintenant, ils en redemandent !

M. Jean-Jacques Jégou.

Il faut cependant remarquer, à votre décharge, que quelque 225 000 foyers seront bénéficiaires de la mesure. Mais c'est bien peu, comparé à tous ceux qui paieront plus.

M. Serge Janquin.

Nous ferons mieux l'année prochaine !

M. Jean-Jacques Jégou.

Je n'en doute pas, mon cher collègue ! Ce qui est inacceptable, au fond, c'est le tri que vous faites entre les familles.

M. Jean-Pierre Brard.

Oui, entre les riches et les autres !

M. Jean-Jacques Jégou.

Ecoutez bien, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard.

Je vous écoute, encore que je me dise parfois qu'il vaudrait mieux être sourd !

M. Jean-Jacques Jégou.

En fait, messieurs les socialistes, vous revenez à une idéologie sectaire, qui a des relents surannées de lutte des classes, et que l'on doit certainement à vos amis communistes ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Jean-Pierre Brard.

Quelle erreur !

M. Jean-Jacques Jégou.

Majorité plurielle oblige ! Mes amis du groupe UDF pensaient sincèrement que vous aviez largement dépassé ce stade.

M. Jean-Pierre Brard.

Mais non ! Nos collègues socialistes sont simplement revenus à gauche !

M. Jean-Jacques Jégou.

Comment allez-vous expliquer aux parents qui n'ont qu'un enfant que leur impôt augmente alors qu'ils ne bénéficient d'aucune allocation de la part de l'Etat ? De la même façon, comment allez-vous expliquer aux parents qui font l'effort d'aider leurs enfants devenus de jeunes adultes mariés, parce qu'ils savent qu'aujourd'hui les nouveaux foyers ont des difficultés à faire face à leur charge, en particulier à cause du chômage, que l'Etat les incite à les laisser se débrouiller tout seuls ? Ne croyez pas qu'il ne s'agisse que de familles aisées : ce n'est pas vrai et vous le savez !

M. Jean-Pierre Brard.

Des exemples !

M. Jean-Jacques Jégou.

De très nombreuses familles ayant des revenus moyens seront touchées.

M. Jean-Pierre Brard.

Pour vous, qu'est-ce qu'un

« revenu moyen » ?

M. Jean-Jacques Jégou.

La réforme que vous nous proposez est injuste parce qu'elle touche de façon très différente les contribuables et parce qu'elle va à contrecourant de ce que vous promettiez aux Français lors de la dernière campagne pour les élections législatives.

Vous n'êtes pas exactement sur ce que l'on peut appeler le chemin de la baisse des impôts. En revanche, vous élargissez le chemin de l'inégalité des Français devant l'impôt. (« C'est vrai ! » sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Serge Janquin.

Et la vertu redistributrice de l'impôt, vous connaissez ?

M. Jean-Jacques Jégou.

Mais il y a encore plus fort...

M. Jean-Pierre Brard.

C'est vrai, les applaudissements sur les bancs de l'opposition sont un peu faibles !

M. Jean-Jacques Jégou.

Parlons des journalistes. Ce sujet justifie à lui seul cette exception d'irrecevabilité.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme Nicole Bricq.

Voilà une mauvaise raison !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

M. Jean-Jacques Jégou.

Toujours sur le thème de l'inégalité des Français devant l'impôt, et ce n'est pas une mauvaise raison, madame Bricq, vous arrivez, monsieur le ministre, à recréer dans le budget une nouvelle catégorie de contribuables : celle, très particulière, qui pourra bénéficier d'une allocation pour frais d'emplois. Je veux parler, bien sûr, des journalistes, mais aussi des rédacteurs, des photographes, des directeurs de journaux et des critiques dramatiques et musicaux, qui ont la chance de figurer sur la même fameuse page du code général des impôts et qui seront, quant à eux, les heureux bénéficiaires du privilège.

Les Français doivent savoir que seules ces catégories spécifiques, par ailleurs très respectables, bénéficient de ce régime de faveur.

Monsieur le ministre, bien que j'imagine les raisons qui vous poussent à vouloir nous faire adopter une telle mesure...

M. Jean-Pierre Brard.

Vous les connaissez !

M. Jean-Jacques Jégou.

Vous aurez d'autant plus de mérite à la voter que vous connaissez ces raisons vous aussi ! Monsieur le ministre, bien que j'imagine, disais-je, les raisons qui vous poussent à vouloir nous faire adopter une telle mesure, je me demande - pardonnez-moi - si elles sont toutes inspirées par l'intérêt général. Je ne vois pas comment on peut justifier qu'un ouvrier horloger, un interne des hôpitaux de Paris, tout aussi respectables qu'un journaliste, ne puissent pas bénéficier de la même indulgence.

M. Daniel Marcovitch.

Pourquoi n'avez-vous pas pris la mesure quand vous étiez au pouvoir ?

M. Jean-Jacques Jégou.

C'est de la discrimination pure et simple et une véritable atteinte à nos principes républicains. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Pierre Brard.

C'est le racisme social cher à M. de Courson ! Parlons plutôt de l'avoir fiscal !

M. Jean-Jacques Jégou.

Je livrerai d'ailleurs à votre réflexion ce qu'a écrit, en forme d'excuse, notre rapporteur général, à la page 52 de son rapport : « Dans un cas, qui apparaît nécessairement exceptionnel, même si l'exception qui met la règle générale à l'épreuve est devenue si courante qu'elle n'est plus guère exceptionnelle, une intervention du législateur a été jugée indispensable. »

M. Didier Migaud rapporteur général.

C'est bien écrit ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Jégou.

C'est formidable !

M. Jean-Pierre Brard.

C'est de la dialectique ! On peut estampiller !

Mme Nicole Bricq.

C'est de la casuistique, pas de la dialectique !

M. Jean-Jacques Jégou.

Cela montre bien votre embarras, monsieur le rapporteur général ! Vous n'avez pas été très vaillant en commission des finances pour défendre cet amendement scélérat ! On sent bien que certaines justifications sont impossibles à trouver, et vous le savez !

M. Jean-Pierre Brard.

C'est trop difficile pour vous !

M. Jean-Jacques Jégou.

Auriez-vous oublié ce que l'on peut lire sur les frontons de tous nos édifices p ublics : « Liberté Egalité Fraternité » ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Messieurs les ministres, l'un de ces trois termes vous a visiblement échappé : l'égalité !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Nous n'avons pas de leçon à recevoir !

Mme Nicole Bricq.

C'est à Mme Boutin qu'il faut dire cela !

M. Jean-Jacques Jégou.

A ce point de la discussion, et pour calmer les esprits, j'aimerais vous citer, messieurs les ministres, mes chers collègues, les propos de quelqu'un qui apaisera certainement votre courroux : Erasme.

M. Bernard Accoyer.

Très bien !

M. Jean-Jacques Jégou.

Erasme disait...

M. Alain Néri.

Il devait certainement faire partie de Démocratie libérale ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Jégou.

Pour les mêmes raisons que vous, monsieur le ministre, je citerai donc Erasme :

« L'homme qui croit en l'humanité ne doit pas encourager les divisions mais l'union ; il ne doit pas fortifier les sectaires dans le sectarisme ni ceux qui se haïssent dans leur haine ; il doit s'efforcer de faire vivre les hommes en bonne intelligence et de favoriser les accords. »

L e constat est abrupt. Mais vous, messieurs les ministres, vous faites le contraire en favorisant une catégorie particulière de salariés, aux dépens de tous les autres !

M. Jean-Pierre Brard.

Là, il parle de Pinault !

M. Serge Janquin.

Sans doute !

M. Jean-Jacques Jégou.

Le reste des dispositions porte finalement peu à conséquence sur le plan fiscal.

Je dirai cependant un mot sur l'assurance vie et sur la nécessaire stabilité de notre système fiscal tout d'abord.

Le régime de l'assurance vie est, plus que tout autre, sans cesse modifié, bien souvent au détriment des personnes physiques contractantes. La sécurité juridique, la confiance qui doit lier deux cocontractants...

M. Jean-Pierre Brard.

Le PACS ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Jégou.

... justifient qu'il soit mis fin à ces pratiques. Je pense en particulier à la rétroactivité, qui déstabilise les épargnants et désoriente leurs choix.

En ce qui concerne la TIPP, nous approuvons la direction prise qui tend à réduire l'écart entre le gazole et l'essence sans plomb. Mais ce qui est contestable dans l'article 18, ce n'est pas le rattrapage, mais bien la hausse globale de la fiscalité pesant sur les carburants.

(« Très juste ! » et applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Le rattrapage aurait très bien pu être fait à la baisse...

Mme Nicole Bricq.

Que ne l'avez-vous réalisé quand vous étiez aux affaires !

M. Jean-Jacques Jégou.

... en ramenant le prix du sans plomb vers le niveau du gazole. Je me souviens avoir déposé, il y a quelques années, avec un certain nombre de mes collègues du groupe UDF, un amendement qui tendait à geler la hausse de la TIPP.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

M. Bernard Accoyer.

C'est vrai !

M. Jean-Jacques Jégou.

Le sort qui lui avait été réservé à cette époque me donne quelques indications sur celui que vous lui réserverez cette année. Mais on peut le regretter.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Mais cette année, c'est différent !

M. Serge Janquin.

Qu'avez-vous fait entre 1995 et 1997 ?

M. Jean-Jacques Jégou.

Dans l'ensemble, force est de reconnaître que le volet recettes du projet de loi de f inances manque singulièrement d'ambition. Aucune réforme d'ampleur n'est amorcée.

M. Philippe Auberger.

C'est vrai !

M. Jean-Jacques Jégou.

J'en arrive à la partie dépenses. Là, point de frilosité, pas d'états d'âme : l'augmentation de la dépense publique reste pour la gauche un instrument d'action privilégié.

M. Daniel Marcovitch.

Eh oui !

M. Jean-Jacques Jégou.

Avant d'entrer dans le détail des mesures prévues, il importe de préciser que le groupe UDF-Alliance n'est pas a priori hostile au principe de la dépense publique.

(« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Voilà qui est nouveau !

M. Jean-Jacques Jégou.

En période de creux du cycle économique, lorsque la consommation est atone et les exportations moroses, l'utilisation de la dépense publique pour relancer l'économie peut avoir des vertus.

M. Alain Barrau.

Oh ! la la !

M. Pierre Bourguignon.

Pas possible ?

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Vous auriez dû le dire plus tôt à M. Juppé !

M. Jean-Jacques Jégou.

Outre qu'elle permet d'assurer la cohésion de la société à travers les dépenses de soli darité, elle peut effectivement avoir un impact direct sur la croissance.

M. Jean-Pierre Brard.

Voilà un libéralo-keynésien qui parle !

M. Jean-Jacques Jégou.

Ce qui nous gêne davantage (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste), c'est l'accroissement de la dépense publique en période de croissance économique favorable.

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Mais alors, quand faut-il le faire ?

M. Jean-Jacques Jégou.

Il convient de s'attaquer en priorité aux déficits et à la baisse des impôts afin de déga ger les marges de manoeuvre qui seront nécessaires lorsque la conjoncture sera moins bonne. On sait aujourd'hui que la croissance risque de s'essouffler. Dans ce contexte, le Gouvernement va augmenter de plus de 37 milliards les dépenses de l'Etat.

M. Bernard Accoyer.

C'est une folie !

M. Jean-Jacques Jégou.

Cette politique n'est pas raisonnable. Une fois de plus, elle nous range parmi les mauvais élèves non seulement de l'Union européenne, mais également du G7.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Vous êtes mal placé pour nous donner des leçons !

M. Jean-Jacques Jégou.

En 1998, la part des dépenses publiques dans le PIB atteignait déjà plus de 54 %, contre 47 % en Allemagne, 39,4 % au Royaume-Uni et 31,8 % aux Etats-Unis.

M. Gérard Fuchs.

Grâce à qui ?

M. Jean-Jacques Jégou.

Comparons ces chiffres à la moyenne des pays du G 7, évaluée à 38,2 %, ou même à celle de l'Union européenne, estimée à 47,6 % ! Il nous faut rompre, mes chers collègues, avec cette pratique toute française qui consiste, devant chaque obstacle, pour chaque réforme, à augmenter la dépense publique. Ce mal français est devenu partie intégrante de notre culture. En disant cela, j'admets tout à fait que cette tendance ne soit pas l'apanage des gouvernements de gauche, mais elle reste malgré tout leur spécialité.

Sur ce point, la manière dont sont préparés les budgets, année après année, démontre la perversité du système. Régulièrement, une palme est décernée au ministre qui aura obtenu la plus forte augmentation de ses crédits.

Le ministre économe, quant à lui, sera vilipendé comme un mauvais défenseur des intérêts particuliers de son département. Cette pratique n'est pas bonne.

M. Bernard Accoyer.

Cette année, Le Pensec a gagné !

M. Jean-Jacques Jégou.

Si la dépense publique peut se justifier, et nous croyons pour notre part qu'elle se justifie, l'augmentation incessante et souvent infléchie des dépenses publiques n'est pas saine.

Peut-être est-il temps d'envisager à nouveau une rationalisation des choix budgétaires. Certes, le système pensé dès 1968, et plus ou moins mis en oeuvre en 1975, n'a jamais fonctionné. Mais si l'on y pensait déjà à l'époque, c'est bien que le gouvernement d'alors était déjà c onfronté à l'augmentation incessante et souvent incontrôlée des dépenses publiques. Le formalisme et la lourdeur du système mis en place ont sans doute été pour beaucoup dans le mauvais fonctionnement puis dans l'abandon de ce système.

Cela dit, l'idée de départ était franchement pertinente.

Aujourd'hui, il s'agirait de partir du principe que, aucune dépense n'étant en soi essentielle ou définitivement nécessaire, chaque denier public devrait faire l'objet d'une réflexion rapide. On devrait ainsi se demander : cette dépense est-elle bien utile ? J'ai bien conscience de l'illusion d'une telle réforme, parce qu'il s'agit de réformer totalement un mode de pensée « unique » consistant à dire, pour un ministre dépensier : « Ce que j'avais l'an passé, je suis sûr de l'avoir cette année, et sans me battre ! » Mais je ferme la parenthèse.

M. Philippe Auberger.

C'est ce que l'on appelle les droits acquis ! (Sourires.)

M. Bernard Accoyer.

Eh oui !

M. Jean-Jacques Jégou.

Cela pose également le problème de la structure du budget, et plus particulièrement du partage entre dépenses de fonctionnement et dépenses d'investissement, d'une part, et entre services votés et mesures nouvelles, d'autre part.

M. Michel Bouvard.

Il n'y a plus d'investissements !

M. Jean-Jacques Jégou.

Chacun connaît dans cet hémicycle le poids des dépenses de fonctionnement des titres III et IV.

S'agissant des dépenses de rémunérations et de pensions, une réflexion doit être menée de toute urgence sur leur évolution, qui sera de plus en plus préoccupante.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

Je ne fais pas partie de ceux qui montrent du doigt les fonctionnaires, et encore moins leurs rémunérations...

Plusieurs députés du groupe socialiste et du groupe communiste.

Bien sûr !

M. Jean-Jacques Jégou.

Néanmoins, la question du format de la fonction publique doit être posée sans passion mais avec réalisme.

Le rapport de la Cour des comptes sur l'exécution du budget de 1997 a mis en évidence l'augmentation rapide des charges sociales et des pensions de retraite versées aux fonctionnaires.

Dans le même esprit, j'évoquerai à nouveau la situation de la CNRACL.

Nous savons tous quelle est l'évolution du rapport démographique entre cotisants et bénéficiaires. Ce rapport, encore favorable en 1997, devrait se dégrader rapidement puisqu'il semble que l'on passera de un retraité pour trois actifs à un pour deux en 2000 et à 1,6 vers 2015. Nous connaissons également la situation financière de la caisse et les interrogations qu'elle suscite dans la mesure où le conseil d'administration semble aujourd'hui répugner à recourir à l'emprunt.

Nous savons tous quelles sont les solutions possibles.

Alors, monsieur le ministre, nous direz-vous, sans vous en remettre aux conclusions d'un énième rapport d'experts, quelle réforme vous allez engager pour sauver la caisse de retraite des agents publics locaux ? Allez-vous augmenter les cotisations, ponctionnant un peu plus les collectivités locales ? Allez-vous baisser les prestations de services ?

M. Philippe Auberger.

On va ponctionner les collectivités locales ! Ils ne l'ont pas fait plus tôt à cause des sénatoriales !

M. Jean-Jacques Jégou.

Mes chers collègues, l'évolution des régimes spéciaux de retraite passe inévitablement par leur intégration dans le régime général. Il faut le dire ! Il faut avoir ce courage ! Il n'y a pas d'autre issue possible, ni pour les cotisants ni pour les bénéficiaires ! Quand le Gouvernement le reconnaîtra-t-il ?

M. Philippe Auberger.

Pas un mot là-dessus dans le rapport de M. Migaud !

M. Jean-Jacques Jégou.

Mis à part la part toujours grandissante des dépenses de fonctionnement se pose le problème des services votés.

Dans le projet de budget, les services votés n'ont été revus à la baisse que de 12 milliards de francs, sur un montant dépassant les 1 580 milliards. Nous connaissons la difficulté de l'exercice. Pourtant, nous savons que le levier budgétaire ne sera efficace que lorsque le Gouvernement - comme le Parlement - osera enfin s'attaquer au lancinant problème de la révision des services votés.

Là encore, engageons le débat de manière dépassionnée. Le développement de l'Union européenne et le transfert à la Banque centrale européenne de la politique monétaire rendent l'arme budgétaire encore plus importante qu'autrefois.

L'harmonisation fiscale à l'intérieur de l'Union, à laquelle le groupe de l'UDF est très attaché, accentuera davantage encore la nécessité de retrouver des marges de manoeuvre budgétaires.

M. Gérard Fuchs.

Comme la baisse de la taxe professionnelle, par exemple ?

M. Jean-Jacques Jégou.

Or avec des dépenses de fonctionnement dépassant les 90 % du montant total des dépenses, avec des services votés écrasants, le budget devient, année après année, une machine sur laquelle les gouvernements - je n'ose pas parler du Parlement - ont de moins en moins de prise.

J'en arrive à l'article d'équilibre et au solde budgétaire.

Grâce à l'action des gouvernements précédents, le déficit du budget a été réduit de 0,4 point de PIB par an depuis 1993. De 4,8 % du PIB en 1993, le déficit budgétaire a été ramené à 3,3 % en 1997.

Le Gouvernement actuel a, semble-t-il, découvert les vertus d'un déficit modéré. C'est tant mieux ! Ce qui est regrettable, c'est que l'effort engagé soit insuffisant. La baisse des déficits publics à 2,3 % du PIB en 1999 sera en effet insuffisante pour faire décroître le poids de la dette publique. L'essentiel de l'effort demandé porte sur les collectivités locales et les organismes de sécurité sociale.

Je vous épargnerai le refrain habituel sur le poids de la dette et l'effet boule de neige. Ce que nous devons mettre aujourd'hui en avant, c'est que le poids de la dette commence à diminuer dès lors que les déficits publics ne dépassent pas 2 % du PIB.

J'aurais souhaité avec plusieurs collègues éminents du parti socialiste - je pense au président Fabius et au président de la commission des affaires étrangères, Jack Lang - que nous puissions atteindre ce seuil dès cette année.

Le déficit stabilisant la dette est estimé quant à lui à 2,1 %. Il nous manque, dans le projet de budget, 0,2 point de PIB pour l'atteindre. Un effort sur les dépenses aurait sans doute permis d'y arriver.

Dans ces conditions, le poids de la dette va continuer de s'alourdir en 1999, réduisant par là même nos marges de manoeuvre et asséchant, ou risquant de le faire, des marchés financiers déjà particulièrement inquiets.

En fixant le déficit budgétaire à 2,7 % du PIB en 1999, l'Etat montre la voie du désendettement, mais ne se donne pas les moyens de l'atteindre. On se contente de fixer l'horizon et l'an 2000 pour espérer une décrue de la dette. Nous avions, monsieur le ministre, les moyens de faire mieux cette année. Je regrette que vous ne l'ayez pas souhaité.

En fait, on s'en remet, dans ce texte, à la sagesse et à la modération des autres administrations publiques. C'est le cas pour la sécurité sociale, que l'on crédite d'un excédent de 0,1 %. C'est également le cas des collectivités locales, dont on nous promet qu'elles pourront dégager un excédent de 0,15 %. Nous aurons bientôt un débat important sur les comptes de la sécurité sociale. Je souhaite bien entendu que ces comptes puissent retrouver l'équilibre dès 1999.

Mais je constate que le projet de loi de financement de la sécurité sociale a été bâti sur une prévision de croissan ce de 2,7 %. Et nous retombons dans le débat de tout à l'heure sur l'excès d'optimisme des prévisions du Gouvernement.

M. Daniel Marcovitch.

C'est le pessimisme de l'opposition qui est exagéré !

M. Jean-Jacques Jégou.

Ce qui est au moins aussi intéressant, c'est la prévision d'excédent pour les collectivités locales. Il est vrai que l'effet « bases » jouera à plein en 1999, reproduisant les effets bénéfiques constatés cette année.

Cependant, une interrogation demeure : l'affaissement relatif des bases sur la longue période. Les bases de taxe professionnelle, par exemple, qui ont augmenté aux alen-


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tours de 7,5 % par an entre 1989 et 1995, n'augmentent plus que de l'ordre de 3,3 % par an depuis 1995. Cette évolution est à peu près la même pour la taxe d'habitation.

En ce qui concerne l'évolution des taux, la modération observée depuis 1997 devrait effectivement se poursuivre.

Cependant, j'ai le sentiment que ces perspectives, en théorie satisfaisantes, se sont assombries depuis la présentation du projet de loi de finances.

La réforme de l'assiette de la taxe professionnelle, les inquiétudes liées au financement de la CNRACL, l'insuffisante prise en compte de la croissance dans l'évolution des dotations de l'enveloppe normée, tout cela ne va pas contribuer à dégager l'excédent que prévoit le Gouvernement ! Dans l'ensemble, nous avons l'impression que les collectivités locales tendent à devenir la variable d'ajustement des comptes publics, malgré la conclusion du pacte de stabilité et de croissance, que M. le président de la commission des finances a critiqué. Nous attendons de voir ce que le Gouvernement pourra faire pour la suite.

Voilà, mes chers collègues, les quelques remarques que je souhaitais faire en préambule au débat budgétaire.

Parce que le projet de loi de finances pour 1999 ne prépare pas l'avenir de notre pays comme il l'aurait fallu, parce qu'il méconnaît manifestement plusieurs dispositions constitutionnelles, et principalement le principe d'égalité et celui de la libre administration des collectivités locales, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir adopter cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Alain Néri.

Nous ne sommes plus vendredi, aujourd'hui !

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des f inances et de l'industrie.

Je veux d'abord féliciter MM. Migaud et Bonrepaux de leurs interventions de qualité, dans lesquelles ils ont repris certains des éléments qu'ils ont apportés à la préparation de ce projet de budget pendant toute l'année. En effet, comme nous l'avons dit, Christian Sautter et moi-même tout à l'heure, ce projet de loi de finances a été largement élaboré en collaboration avec la commission des finances, et principalement son rapporteur général et son président.

M. Migaud a bien noté la baisse des prélèvements obligatoires. Il nous propose d'aller plus loin sur la TVA.

Nous verrons ce que nous pouvons faire. En tout cas, j'ai bien noté que la commission des finances insistait sur le doublement du seuil du crédit d'impôt en matière de travaux à domicile. Nous verrons donc au cours du débat comment nous pouvons nous engager dans cette voie.

Quant à M. Bonrepaux, il est revenu sur cette affaire de la TVA applicable à la restauration. C'est un long débat entre nous. Du côté communautaire, les choses sont difficiles, mais je m'engage devant l'Assemblée à essayer de les faire avancer à ce niveau et, lorsqu'elles auront avancé, nous pourrons mettre en oeuvre, dans la légalité, une baisse de TVA sur un secteur particulièrement important.

Le président Bonrepaux a également fait des remarques sur la sortie du pacte de stabilité des collectivités locales.

L'effort fait par le Gouvernement en direction des collectivités locales est déjà important. Il n'est certes pas suffisant, mais nous allons voir comment l'intensifier quelque peu pour répondre aux préoccupations évoquées par le président Bonrepaux.

M. Jégou est intervenu longuement, comme il convient. Comme tout le monde, j'ai apprécié le double parrainage de MM. Turgot et Charasse sous lequel il a mis son discours. (Sourires.) A vrai dire, ce qu'il propose pour que l'Assemblée nationale dispose d'instruments d'analyse propres me paraît tout à fait sensé. Et même si ce n'était pas le cas, je ne vois pas comment je pourrais m'y opposer, l'Assemblée nationale votant elle-même son propre budget. A vous de faire le nécessaire de ce point de vue. Cela dit, il ne m'est jamais apparu, pendant la préparation du budget de l'année dernière ou de celui-ci, que la commission des finances manquait d'instruments d'analyse ou d'analystes. Le travail que nous avons réalisé ensemble me semble plus marqué par la qualité des interventions que par le manque de techniques d'expertise.

Vous avez fait référence à 1992, monsieur Jégou, pour ce qui est de la prévision de croissance. Vous savez comme moi que cela n'a aucun sens et que la situation n'a strictement rien à voir. En 1992, l'ensemble de l'Europe était à la fin d'un cycle de croissance, si bien que l'année 1993 a été une année de dépression. Nous sommes aujourd'hui au début d'un cycle de croissance en Europe. Alors, on peut vouloir comparer les choux et les carottes, mais honnêtement les deux situations n'ont strictement aucun rapport.

M. Jean-Jacques Jégou.

Dans ce cas, il ne faut pas nous reprocher les déficits ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Mais je ne vous reproche rien ! Les déficits, je les constate simplement. Je me rappelle une phrase de M. Balladur, en décembre 1993. Il a dit, fort honnêtement, ma foi : « Dorénavant, je suis responsable. » Soit

vous considérez qu'il dit n'importe quoi, ce que je ne me permettrais pas de prétendre, soit nous sommes obligés de le suivre et d'accepter qu'à partir de 1994 il est effectivement responsable. Or, vous le savez, le déficit de 1994 était supérieur à celui de 1993. Dans ces conditions, vous ne pouvez pas systématiquement tout rejeter sur le passé.

Et quand, en juin 1995, son successeur, M. Juppé, traite la situation de « calamiteuse », il fait bien référence à ce dont M. Balladur s'est déclaré lui-même responsable.

Mais tout ça, c'est de la vieille histoire, n'y revenons pas trop ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.) Je ne vois en tout cas pas l'intérêt, pour essayer de démontrer le caractère anticonstitutionnel de ce projet de loi, de savoir si M. Balladur est responsable ou pas, conformément à ses affirmations ou non, du plus grand déficit que la France ait jamais connu depuis Turgot, à savoir celui de 1994.

Vous faites ensuite un calcul un peu compliqué, accumulant les milliards pour nous démontrer que, en fait, la baisse des prélèvements obligatoires n'en est pas une, malgré les affirmations de l'INSEE. J'ai tendance, moi, à me référer à l'INSEE, mais si vous ne voulez pas le croire, c'est votre affaire ! Le calcul est sophistiqué puisqu'il consiste à dire : la hausse d'impôts qui a eu lieu une certaine année intervenant toutes les années qui suivent, tant que l'on ne change pas le taux des impôts, cela fait x milliards plus x, plus x... Mais si on va par là, monsieur Jégou, la hausse des deux points de TVA, que vous avez sans doute votée pour 1996, a rapporté à l'Etat 60 milliards qu'il a pris dans la poche des Français en 1996, et encore 60 milliards en 1997, elle rapportera encore 60 milliards en 1998 et 60 milliards en 1999 !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

M. Michel Bouvard.

Qu'attendez-vous pour baisser la TVA ? M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

J'en suis déjà à 240 milliards, qu'il faudrait que vous rattrapiez !

M. Michel Bouvard.

Baissez la TVA ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Justement, nous le faisons, notamment en revenant sur la hausse que M. Balladur a faite s'agissant des compteurs de EDF et de GDF.

M. Michel Bouvard.

De 100 francs par compteur ! Plusieurs députés du groupe socialiste.

Evidemment, pour vous, cela n'est rien ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Lorsque vous avez fait passer le taux de 5,5 % à 20,6 %, vous avez peut-être considéré que les 100 francs en question, cela n'était pas grave de les prendre. Nous considérons quant à nous que cela n'est pas si mal de les rendre ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe communiste.)

Donc, honnêtement, monsieur Jégou, on ne peut pas se livrer à ce calcul qui consiste à cumuler les années les unes derrière les autres. Il faut se référer à nos instruments statistiques qui, entre nous, n'ont jamais été contestés. L'INSEE est une administration totalement indépendante. Quand elle dit que les prélèvements obligatoires baissent en pourcentage du PIB, c'est effectivement le cas. On ne peut aligner les chiffres simplement pour le plaisir d'essayer d'embrouiller l'auditoire.

Vous avez consacré beaucoup de temps à la taxe professionnelle, et je vous en remercie. Cela montre l'intérêt que vous portez à cette réforme. Vous avez vu comment a été apprécié sur les bancs de la majorité l'argument de la perte d'autonomie.

M. Jean-Jacques Jégou.

On verra par la suite ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Or, il y a autant d'élus locaux sur les bancs de la majorité que sur ceux de l'opposition. Au bout du compte, ce sont 60 milliards brut qui seront supprimés.

Or, dans cinq ans, lorsque la réforme arrivera à son terme, nous en serons à peu près à 60 milliards de compensation de l'Etat, puisque nous sommes à 40 milliards aujourd'hui. Cela veut dire que la part que l'Etat consacre à la réforme et qui, selon vous, diminue l'autonomie des collectivités locales aurait été de la même manière payée par l'Etat et aurait donc diminué de la même manière l'autonomie des collectivités locales à l'échéance de la réforme, c'est-à-dire dans cinq ans. Peutêtre mon calcul pèche-t-il pour quelques milliards, mais on ne peut pas dire qu'il y a un changement dans l'autonomie des collectivités locales pour un écart de trois, quatre, cinq, voire dix milliards. En effet, dix milliards sur l'ensemble des finances des collectivités locales, cela n'est pas de nature à mettre en cause leur autonomie. Or, cette autonomie elle était justement mise à mal par le système que nous connaissons puisque, vous le reconnaissiez vous-même, d'ores et déjà plus de 40 milliards - cela a augmenté tellement rapidement que les calculs permettant de voir ce que cela aurait donné dans cinq ans sont rapidement faits -, soit les deux tiers des 60 milliards, étaient payés par l'Etat. L'argument n'a donc pas beaucoup de sens.

Personne n'a osé faire cette réforme de la taxe professionnelle. Je comprends donc qu'elle puisse effrayer. Vous dites qu'elle est injuste parce qu'elle favorise les entreprises où il y a une forte densité d'emplois. Bien sûr qu'elle favorise les entreprises où il y a une forte densité d'emplois, et c'est même l'objectif de la manoeuvre ! Vous avez le droit de ne pas être pour, mais ce n'est pas pour autant injuste. Nous voulons, en effet, favoriser de telles entreprises. Au moins cet objectif est paru clairement puisque vous l'avez repris.

Au passage - c'est une parenthèse - vous avez cité le Conseil des impôts, mais un peu à tort. En effet, sa critique selon laquelle les entreprises capitalistiques seraient pénalisées partait de l'hypothèse selon laquelle la suppression de la part salariale serait totalement compensée par la hausse de la TP et non par un apport de l'Etat. Dans ce cas, en effet, les entreprises capitalistiques auraient été pénalisées, mais comme la TP n'augmentera pas, puisqu'il y aura compensation par l'Etat - je vois que vous reconnaissez la validité de l'argument -, cela ne changera rien pour les entreprises capitalistiques. Cela ne les favorisera pas, mais cela n'aggravera pas leur situation, contrairement à l'hypothèse qui était celle du Conseil des impôts. Je vous remercie de me donner acte de ce point.

Ensuite, vous avez évoqué l'« étatisation galopante ». Je n'y reviens pas. De toute façon, c'est l'Assemblée nationale qui décidera. Le Gouvernement est fort modeste dans toutes ces matières. Il ne fait que proposer à l'Assemblée de bien vouloir voter les textes. (Rires.) C'est elle qui décidera.

M. Michel Bouvard.

Avant la deuxième délibération ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Et l'on ne peut parler d'étatisation en tant que telle. Mais pour aller un peu plus au fond, et sans ironie cette fois, qu'auriez-vous dit si l'on avait justement suivi le Conseil des impôts, qui proposait un taux de TP national unique ? Pour le coup, c'était autrement plus sérieux en matière de perte d'autonomie et de choix possible par les collectivités locales ! Quant à la proposition de votre collègue sénateur, M. Fourcade, qui envisageait tout benoîtement de remplacer, pour les communes, la taxe professionnelle par un pourcentage de l'impôt sur les sociétés dont le taux est voté par le Parlement, elle aurait fait perdre encore plus d'autonomie aux collectivités locales !

M. Philippe Auberger.

M. Fourcade a tellement été suivi par le Sénat qu'il a perdu la présidence de la commission des finances ! (Sourires.)

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Auberger qui, tout à l'heure, n'aimait pas M. Madelin, maintenant n'aime plus M. Fourcade. (Sourires.) Mais je ne peux pas voir là une quelconque dissension au sein de l'Alliance ! L'Alliance n'y est pour rien.

Vous avez dit ensuite, monsieur Jégou, que la perte de recettes pour les collectivités locales serait réelle, parce que la compensation ne serait que partielle. C'est tout simplement faux. La compensation ne sera pas partielle.

Elle sera totale pour la première année. Elle sera ensuite indexée et vous demandez si l'indexation sera suffisante.

Le Gouvernement a retenu la solution qui consiste à indexer la situation de 1999 sur l'inflation plus la moitié de la croissance. Comme vous le savez, la réforme va s'étaler sur cinq ans, et si l'on regarde les cinq années écoulées, on s'aperçoit que cette indexation est supérieure à ce qu'a été la croissance de la base salariale. Autrement dit, si la réforme avait été faite il y a cinq ans, le rendement de l'impôt pour les communes serait supérieur à ce qu'il est. On ne peut donc pas dire honnêtement que c'est une indexation qui fait perdre de l'argent aux communes.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

Bref, tout cela vous conduit à considérer que seule la baisse des charges peut conduire les entreprises à embaucher. Le seul ennui, c'est que vous êtes démenti par les f aits, parce qu'elles embauchent aujourd'hui. Elles embauchent même comme elles ne l'ont jamais fait. Elles auront embauché, en 1998, 300 000 personnes. C'est deux fois plus que la moyenne annuelle des années soixante, trois fois plus que la moyenne annuelle des années soixante-dix et cinq fois plus que la moyenne annuelle des années quatre-vingt. On peut considérer que 300 000 embauches ce n'est pas assez. Je suis d'accord avec vous : il faut aller plus vite, plus loin. Mais dire qu'aujourd'hui les entreprises n'embauchent pas alors qu'elles le font plus que jamais, ce n'est pas très raisonnable !

M. Christian Cabal.

Elles embaucheraient davantage autrement ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je laisse de côté la question des prélèvements obligatoires, qui, selon vous, ne baisseraient pas. Ils baissent, mais nous n'allons pas y revenir.

Vous avez qualifié cette réforme de politique fiscale de gauche, et je vous en remercie. Je dois dire d'ailleurs que vous avez reçu l'approbation de l'ensemble de la majorité en le disant.

M. Jean-Pierre Brard.

Pas assez à gauche ! (Sourires.)

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Pas assez à gauche, dit M. Brard, qui vous pousse toujours dans vos retranchements. (Sourires.)

S'agissant de la politique familiale, monsieur Jégou, vous dites que l'abaissement du plafond du quotient familial coûtera 3,9 milliards aux ménages. C'est juste, mais vous omettez de préciser que, dans le même temps, 4,7 milliards d'allocations familiales leur seront reversées.

Donc, au total les ménages y gagnent. Il n'y a donc là rien de scandaleux ! D'ailleurs, la suppression de la remise d'impôt pour frais de scolarité que prévoyait le projet Juppé et qui touchait 2,3 millions de familles était, pour le coup, sensiblement plus importante, comme l'était d'ailleurs la fiscalisation des indemnités de maternité ou toute autre mesure de ce genre. Lorsque vous nous parlez de rupture du principe d'égalité, vous oubliez donc un peu vite les propositions que vous avez votées à l'occasion de la réforme Juppé.

Je finirai sur la TIPP. Je n'ai pas bien compris votre remarque, monsieur Jégou. Vous avez été à l'origine d'un amendement qui visait à empêcher l'indexation de la TIPP et j'ai cru comprendre - corrigez-moi si je me trompe - qu'il a été rejeté l'année dernière.

M. Jean-Jacques Jégou.

Non, avant ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Mais alors, ce projet de loi de finances devrait vous réjouir puisque, justement, la TIPP reste stable.

Cette année, pour la première fois depuis je ne sais combien de temps - je n'ai pas retrouvé d'année semblable dans le passé -, c'est la première fois que la TIPP n'augmente pas.

M. Michel Bouvard.

Sauf pour le gazole ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Au lieu de nous critiquer, vous devriez donc nous remercier. Vos amis ont repoussé votre amendement et ce gouvernement le met en oeuvre sans que vous ayez besoin de le faire voter. Vous voyez bien que cette politique est bonne.

M. Bernard Schreiner.

C'est un peu court ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Cela n'est pas un peu court ! Vous votez chaque année la hausse de la TIPP. L'un de vos collègues propose un amendement pour l'empêcher. Vous le rejetez. La majorité de gauche n'augmente pas la TIPP...

M. Michel Bouvard.

Sauf pour le gazole ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

... et vous trouvez encore à y redire ! C'est incroyable ! Enfin, M. Jégou n'était pas là pour applaudir ; il fallait qu'il critique, donc c'est bien normal.

Il va sans dire que l'on peut être pour ou contre la hausse de la TIPP, la suppression de la taxe professionnelle ou un ensemble de mesures, de toute façon il n'y a rien qui soit anticonstitutionnel là-dedans, en tout cas pas le fait de faire une politique fiscale de gauche, comme vous l'avez dit. Dans ces conditions, je vois mal pourquoi l'Assemblée, compte tenu de votre appel au nombre des représentants de la majorité - là aussi vous avez été entendu -,...

M. Michel Bouvard.

Ils n'ont jamais été aussi nombreux ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

... adopterait votre exception d'irrecevabilité.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert, et sur plusieurs bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur général.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

M. le ministre a pratiquement répondu à toutes les observations. J'ajouterai juste deux choses.

S'agissant des recettes, vous avez parlé d'artifice, monsieur Jégou. Mais quand on sait que vous avez voté, dans une loi de finances précédente, la soulte de France Télécom qui représentait vraiment une recette artificielle, vous êtes mal placé pour donner des leçons au Gouvernement !

M. Bernard Accoyer.

Et le hold-up sur la C 3 S l'année dernière !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Quant à la dépense publique, vous l'avez vous-même augmentée en période de moindre croissance qu'aujourd'hui. Donc à la limite, si l'on suit votre raisonnement, vous avez fait encore pire que ce qui est fait aujourd'hui. De plus, vous affichiez une maîtrise de la dépense publique alors qu'en exécution, elle connaissait une dérive, qui a d'ailleurs été observée par le Cour des comptes. Je répète donc simplement que la dépense publique est contenue. (« Non ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Elle n'augmentera que de 0,2 % en volume selon les indicateurs de la commission des finances, ...

M. Philippe Auberger.

Elle augmente deux fois plus vite que l'année dernière, c'est dans votre rapport ! Lisezle !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

... qui sont les mêmes depuis plus de quinze ans, quelles que soient les majorités. C'est ce qui me fait dire que la dépense est particulièrement maîtrisée dans ce projet de budget. La commission des finances ne peut donc que vous proposer de rejeter cette exception d'irrecevabilité, d'autant que l'exposé que nous avons entendu n'a soulevé strictement aucun motif d'inconstitutionnalité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

M. le président.

Dans les explications de vote sur l'exception d'irrecevabilité, la parole est à M. Gérard Fuchs.

M. Gérard Fuchs.

Monsieur Jégou, vous nous avez parlé du « laxisme coupable » du budget. Mais qu'est-ce qui est coupable ? Baisser l'impôt sur le revenu, l'impôt des riches, comme vous l'avez fait pendant deux ans,...

M. Gilles Carrez.

Caricature !

M. Michel Bouvard.

Scandaleux !

M. Gérard Fuchs.

... ou baisser la TVA,...

M. Michel Bouvard.

Sur les compteurs EDF ! Enfin, c'est ridicule !

M. Gérard Fuchs.

... un impôt sur tous, comme nous le faisons depuis un an ?

M. Jean Ueberschlag.

Manichéen !

M. Gérard Fuchs.

Où est le laxisme coupable ? J'interroge notre assemblée.

M. Michel Bouvard.

Baissez la TVA sur la restauration !

M. Gérard Fuchs.

Qu'est-ce qui est coupable ? Relancer la consommation, faisant par là repartir la croissance et reculer le chômage,...

M. Bernard Accoyer.

Parlons-en !

M. Gérard Fuchs.

... ou, au contraire, étouffer la consommation, faire reculer la croissance et augmenter le chômage, comme vous l'avez fait ?

M. Jean Ueberschlag.

Vous avez appris votre tirade par coeur !

M. Gérard Fuchs.

Vous nous dites que le laxisme coupable, c'est d'augmenter les dépenses de 1 % du budget de l'Etat. Vous voulez 0 %. Monsieur Jégou, 1 % du budget de l'Etat, c'est quoi ? C'est 15 milliards. Et 15 milliards, c'est quoi ? C'est le coût des emplois-jeunes dans le projet du budget pour 1999. Qu'est-ce que vous voulez supprimer ? Les 15 milliards des emplois-jeunes ?

M. Michel Bouvard.

C'est un dixième du déficit du Crédit lyonnais !

M. Gérard Fuchs.

Si c'est cela que vous voulez supprimer pour réduire les dépenses du budget, dites-le ! Ce sera plus clair.

Vous nous avez parlé aussi des prévisions de croissance.

Alors là, je vous en donne acte, 2,7 % de croissance, ce n'est pas dans la Constitution ! Je pense d'ailleurs que

M. le ministre de l'économie et des finances le regrette, car la vie serait beaucoup plus simple si ce principe était constitutionnel. Mais enfin, 2,7 % de croissance, ce n'est pas non plus contraire à la Constitution. Et comme M. Strauss-Kahn nous l'a fort judicieusement expliqué, ce n'est pas contraire, surtout, au réalisme. C'est ce qui nous importe aujourd'hui. Il n'y a pas là, par conséquent, motif d'irrecevabilité.

Vous nous avez parlé de la baisse de la taxe professionnelle en nous disant qu'elle n'aurait pas d'effet sur l'emploi. Mais avez-vous bien compris ce que nous allons faire ? C'est-à-dire commencer par les petites et moyennes entreprises dont la part salaires va disparaître l'année prochaine pour 70 % d'entre elles.

M. Michel Bouvard.

Mieux vaudrait baisser les charges : écoutez Martine Aubry !

M. Gérard Fuchs.

Moi, je suis convaincu qu'il y aura des effets sur l'emploi.

M. Gilles Carrez.

Vous êtes bien le seul !

M. Gérard Fuchs.

Mais nous ferons le bilan ensemble ; la commission des finances a d'ailleurs déposé un amendement d'évaluation.

Vous avez dit que la libre administration des collectivités locales - article 34 de la Constitution - était en cause.

M. Strauss-Kahn vous a répondu que le volume des recettes ne serait pas affecté et je crois que la libre admin istration, c'est surtout la liberté d'affectation des dépenses. Or, de façon évidente, celle-ci n'est pas touchée.

Vous avez parlé d'une politique familiale injuste.

M. Michel Bouvard.

Calmez-vous, monsieur Fuchs !

M. Philippe Auberger.

M. Fuchs est un loup ! (Sourires.)

M. Gérard Fuchs.

Là, vous avez raison. Il est vrai que, pour nous, il n'existe pas seulement des familles : il existe des familles aisées et des familles moins aisées.

M. Michel Bouvard.

Vous prélevez sur les familles ayant des enfants pour donner aux familles d'homosexuels ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme Nicole Bricq.

Il a osé le dire !

M. Gérard Fuchs.

Chers collègues, je fais appel à votre expérience : y a-t-il dans cette salle quelqu'un qui connaisse une famille homosexuelle ayant fait des enfants ? (Rires sur les mêmes bancs.)

Ce que vous dites, monsieur Bouvard, est absurde.

M. Michel Bouvard.

C'est ce que vous proposez, tout au moins le rapporteur du PACS ! Et c'est irrecevable, l'Assemblée l'a reconnu !

M. le président.

Mes chers collègues, laissez M. Fuchs conclure !

M. Gérard Fuchs.

Il est vrai qu'il n'existe pas pour nous de politique familiale indépendante d'une politique sociale. Vous nous dites, monsieur Jégou, que c'est une politique de gauche. Connaissez-vous l'article XIII de la Déclaration des droits de l'Homme, qui fait partie de la Constitution ?

M. Jean Ueberschlag.

Vous êtes ridicule !

M. Gérard Fuchs.

Au moins aurons-nous échangé ce soir, dans cette exception d'irrecevabilité, un argument constitutionnel.

M. le président.

Pouvez-vous vous acheminer vers votre conclusion ?

M. Pierre Lellouche.

Qu'il arrête tout de suite !

M. Gérard Fuchs.

Je lis juste l'article XIII, monsieur le

président

:

« Pour les dépenses d'administration, une contribution commune est indispensable. Elle doit être également répartie entre tous les citoyens en raison - monsieur Jégou - de leurs facultés. » Là est notre conception de la

politique familiale.

Je ne parlerai pas de l'assurance-vie pour épargner le temps de mes collègues. Et je vous dirai simplement pour conclure que j'ai trouvé votre argumentation économiquement mauvaise et constitutionnellement faible. Je demande par conséquent à l'Assemblée de rejeter votre exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

M. Pierre Lellouche.

J'ai trouvé M. Fuchs bien nerveux, monsieur le président. Il devrait se calmer, car l'hiver sera long !

M. le président.

La parole est à M. Philippe Auberger.

M. Philippe Auberger.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous avons à discuter d'une exception d'irrecevabilité. En conséquence de quoi, naturellement, nous n'avons pas à traiter de l'ensemble du budget. Pour ma part, je le ferai demain, au nom de mon groupe parlementaire. Je m'en tiendrai donc, ce soir, aux problèmes constitutionnels.

Je rappellerai d'abord à nos collègues que la décision du Conseil constitutionnel concernant la loi de finances de 1998 est extrêmement importante et doit être notre base de départ pour l'examen du projet de loi de finances pour 1999.

M. Michel Bouvard.

Très bien !

M. Philippe Auberger.

Le Conseil constitutionnel a demandé au Gouvernement, de façon très pressante, de se mettre à jour sur le plan constitutionnel. Si sa demande était si pressante, du reste, c'est que, normalement, il aurait dû déclarer la loi de finances pour 1998 inconstitutionnelle ; mais, compte tenu de la difficulté de l'exercice, il a laissé un certain temps au Gouvernement pour le mener à bien.

Je donne acte au Gouvernement qu'un effort sérieux a été fait dans ce domaine puisqu'une partie des fonds de concours ont été intégrés au budget. En revanche, d'autres parties ne l'ont pas été. Je fais référence à l'excellent rapport présenté hier à la commission des finances par Henry Chabert, rapport où notre collègue montre que les fonds d'épargne, les fonds particuliers du Trésor et les commissions prélevées dans ce domaine et faisant l'objet de fonds de concours ne figurent pas encore dans la loi de finances. Nous demandons qu'ils y soient réintégrés, car nous estimons qu'ils font partie du bloc de constitutionnalité défini l'année dernière par le Conseil constitutionnel.

Toujours sur le plan de la présentation, je ferai état d'un autre problème tout aussi important, que la Cour des comptes a déjà relevé, à savoir que le mode de comptabilisation des prélèvements, qu'ils soient opérés au profit des collectivités locales ou de l'Europe, n'est pas à notre sens convenable et qu'il conviendrait de présenter séparément les recettes et les dépenses à ce titre, plutôt que de les confondre en se contentant d'inscrire le solde de recettes.

Nous demandons dans la présentation du budget plus de clarté, plus de transparence, dans l'esprit sinon dans la lettre de l'ordonnance de 1959. C'est le premier motif pour accepter cette motion d'irrecevabilité.

Le deuxième concerne le quotient familial. La mesure proposée n'a aucune justification et est, à mon avis, inconstitutionnelle au regard de l'égalité devant les charges publiques. M. Thélot le démontre dans un excellent rapport, dont, malheureusement, la diffusion parlementaire n'a pas été générale. Il est difficile, dans cette assemblée, de se le procurer et je le regrette. Personnellement, j'ai dû en demander une photocopie à la commission des affaires sociales.

Mme Nicole Bricq.

Vous l'avez donc eu, ce rapport !

M. Philippe Auberger.

C'est quand même assez gênant.

Le rapport Thélot, qui date de quelques mois puisqu'il avait été préparé pour la conférence de la famille, indique que la référence en matière de quotient familial est l'échelle d'Oxford, qui existe depuis très longtemps et demeure valable. Il indique également qu'il n'y a absolument aucune justification à fixer un plafond, en tout cas au niveau où le Gouvernement nous propose de l'établir, à savoir 11 000 francs et non plus 16 380 francs. Cette mesure est donc parfaitement injustifiée.

M. Daniel Marcovitch.

Il n'y a pas plus de justifications pour 16 380 francs que pour 11 000 !

M. Philippe Auberger.

De plus, elle pose un problème constitutionnel indiscutable, et d'ailleurs reconnu par le rapporteur général, dans la mesure où le Gouvernement, à la demande ou sur la proposition du Conseil d'Etat, a également soumis à ce nouveau plafond la demi-part attribuée aux anciens combattants et aux handicapés adultes. Le rapporteur général a bien compris qu'il n'y avait absolument aucune raison de traiter sur le même pied, d'une part, les familles et, d'autre part, les anciens combattants et les handicapés. En conséquence de quoi, il a été obligé de supprimer cette mesure de l'article 2, en précisant bien que c'était pour des raisons constitutionnelles. Il y a donc là un problème constitutionnel extrêmement sérieux auquel le Gouvernement n'a pas répondu.

Mme Nicole Bricq.

Il n'empêche que l'opposition a signé en commission la proposition du rapporteur !

M. Philippe Auberger.

Le troisième moyen que je souhaite invoquer à l'appui de l'exception d'irrecevabilité concerne les frais professionnels des journalistes. Il est incontestable, en effet, que les autres professions qui bénéficiaient de déductions forfaitaires supplémentaires, ou au moins certaines d'entre elles, ont également des frais professionnels. La façon inégalitaire dont cette question a été traitée justifie également un examen au regard de la Constitution.

Enfin, je dirai un mot de la taxe professionnelle. Monsieur le ministre, vous avez lu comme moi le rapport sur la taxe professionnelle publié l'an dernier par le Conseil des impôts, instance présidée par votre ancien collègue, M. Pierre Joxe. Que dit ce rapport ? Que la réforme proposée cette année n'est pas adaptée pour deux raisons : parce que ses effets en matière de création d'emplois sont extrêmement aléatoires ; parce que la principale inégalité en matière de taxe professionnelle pour les entreprises, qui est l'inégalité des taux, n'est nullement remise en cause.

M. Pierre Lellouche.

Exactement !

M. Philippe Auberger.

Néanmoins, vous voulez appliquer cette réforme en procédant, comme on l'a dit très justement, à une « renationalisation » du produit correspondant à la compensation, avec, au terme de cinq ans, une intégration à la dotation globale de fonctionnement, ce qui suppose des critères de répartition très différents de ceux découlant des bases actuelles de la taxe professionnelle. Il en résultera une profonde injustice pour les collectivités locales, notamment pour celles qui ont accepté de lourdes charges pour accueillir de nouvelles entreprises créatrices d'emplois.

M. Michel Bouvard.

Dans les zones en difficulté notamment !

M. Philippe Auberger.

Au regard de la libre administration des communes et de leur équilibre financier et fiscal, il y a là un problème très sérieux qui mérite d'être soulevé auprès du Conseil constitutionnel.

M. Bernard Accoyer.

Très bien !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

M. Philippe Auberger.

Pour ces quatre raisons, mes chers collègues, je pense que l'exception d'irrecevabilité est parfaitement justifiée. Ces questions seront soumises au Conseil constitutionnel le moment venu. Il aura naturellement à nous départager. On verra bien le résultat, mais ce ne sera pas forcément celui que vous croyez ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Brard.

M. Jean-Pierre Brard.

Evidemment nos collègues de l'opposition, après leur succès éphémère de vendredi, veulent nous refaire le coup aujourd'hui.

M. Pierre Lellouche.

Ephémère ? Nous verrons !

M. Jean-Pierre Brard.

Le problème, c'est qu'ils sont moins nombreux. Ils auront besoin de viagra pour tenir la forme ! (Sourires.)

M. Pierre Lellouche.

Parlez pour vous, monsieur Brard !

M. Michel Bouvard.

Chez vous, c'est Jospin qui a dopé Ayrault !

M. Jean-Pierre Brard.

Notre collègue Jean-Jacques Jégou en a appelé aux ancêtres, nous emmenant de Turgot à M. Charasse, et c'est certainement par esprit de concision qu'il nous a épargné les références à Philippe le Bel et au surintendant Fouquet ! (Sourires.)

Mais chacun a bien entendu que, dans son exposé, il n'y avait aucun argument qui puisse consolider la thèse selon laquelle le projet de loi du Gouvernement serait inconstitutionnel. Certes, j'ai bien relevé, à deux reprises, une invocation de la Constitution, parce qu'il devait quand même faire semblant, mais rien de sérieux.

Messieurs les ministres, j'attire votre attention sur le fait que M. Jégou n'est sûrement pas le mieux qualifié pour vous dire ce qui est de gauche ou ce qui ne l'est pas. En effet, dès qu'il regarde à sa gauche, il pense qu'on est de gauche, mais cela ne suffit pas pour vous donner un blanc-seing sur le contenu de votre budget. Non, non ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mme Nicole Bricq.

Est-ce que nous ne serions plus de gauche ?

M. Jean-Pierre Brard.

Madame Bricq, je ne me permettrais pas, connaissant votre engagement ancien, de vous dire que vous n'êtes pas de gauche ! En tout cas, on ne fait jamais assez d'efforts ni pour tenir le cap, comme dirait le Premier ministre, ni pour l'atteindre, comme dirait quelqu'un d'autre qui siège sur ces bancs.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) De ce point de vue, il y a encore des efforts à faire pour établir un budget qui, d'une façon plus résolue, améliore les conditions de vie de nos concitoyens et aille vers plus de justice.

M. Pierre Lellouche.

C'est mal parti !

M. Jean-Pierre Brard.

Nous n'avons pas entendu M. Jégou nous parler de l'impôt sur la fortune, ni pour l'alourdir, car ce n'est pas ce qu'il souhaite, ni même pour l'alléger, car il sait que ce n'est pas vendable à notre peuple.

M. Michel Bouvard.

Il y a plus d'assujettis à l'ISF dans certaines circonscriptions de gauche que dans la mienne, monsieur Brard !

M. Jean-Pierre Brard.

Si vous y tenez, monsieur Bouvard, je suis prêt à faire la comparaison entre votre circonscription et la mienne.

M. Michel Bouvard.

Je ne parle pas de la vôtre.

M. Jean-Pierre Brard.

J'ai d'ailleurs proposé dans mon rapport sur la fraude que l'on aille voir à combien s'élève l'imposition des assujettis à l'ISF. Nous saurions ainsi, très concrètement, combien paient ceux de chez vous...

M. Michel Bouvard.

Tout à fait d'accord !

M. Jean-Pierre Brard.

... de même que ceux qui résident dans la circonscription de M. Jégou. Et je suis persuadé qu'après un examen objectif car notre collègue l'est - il ferait des propositions pour inclure, par exemple, les biens professionnels dans l'assiette de l'ISF.

Messieurs les ministres, il y a lieu d'améliorer votre budget.

Les mesures concernant la taxe professionnelle, telles que vous les prévoyez, ne sont pas un levier économique adapté, parce que c'est un avantage que vous consentez sans contrepartie. Cela aurait pu être, par exemple, la mise en oeuvre des 35 heures.

On pourrait aussi évoquer la taxe sur le foncier bâti.

On reparlera certainement de la TVA, qui mérite d'être abaissée de façon ciblée, et non pas générale, car nous comptons bien faire des propositions à ce sujet.

M. Michel Bouvard.

Très bien !

M. Jean-Pierre Brard.

Certes, M. Bouvard nous disait tout à l'heure que 100 francs, ce n'est que pacotille. Evidemment, quand on a des marges et que l'on ne tire pas le diable par la queue pour joindre les deux bouts à la fin du mois, 100 francs peuvent paraître peu de chose, une économie méprisable.

M. Michel Bouvard.

Nous sommes, nous aussi, pour des baisses ciblées, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard.

Sauf que vous ne les avez pas faites ! Ce que vous avez fait, quand vous étiez au Gouvernement, c'étaient des hausses ciblées, car la TVA, même si elle pèse sur tous, est proportionnellement plus payée par les plus pauvres que par les autres.

M. Michel Bouvard.

Demandez à M. Strauss-Kahn de la réduire !

M. Bernard Accoyer.

C'est votre ami, non ?

M. Jean-Pierre Brard.

La langue de bois propre aux inspecteurs des finances et qu'utilisait tout à l'heure notre collègue Auberger, pour lequel j'ai par ailleurs la plus grande considération (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République) ne remplit pas les assiettes ! Et l'échelle d'Oxford n'a jamais éclairé les RMistes sur la façon dont ils peuvent nourrir leurs enfants ! Vous avez parlé, monsieur Jégou, de liberté, d'égalité, de fraternité. Précisément, donnons du contenu à la devise de la République. Vous êtes-vous interrogé dans votre propos sur les moyens qu'il fallait réunir pour l'exercice concret de la liberté, en particulier des plus pauvres ? Certes pas, car cela ne vous intéresse pas culturellement, si j'ose dire.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Bernard Accoyer.

C'était pas mal jusqu'ici, là c'est nul !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

M. Jean-Pierre Brard.

C'est nul, évidemment, pour les gens que vous défendez ! Et je vois M. Lellouche s'esclaffer.

M. Pierre Lellouche.

Oh oui !

M. Jean-Pierre Brard.

En ce qui concerne l'égalité, on croit rêver quand on entend M. Auberger, parlant du quotient familial, dire que les propositions du Gouvernement sont anticonstitutionnelles parce qu'elles altèrent la notion d'égalité devant les charges publiques.

M. Bernard Accoyer.

C'est vrai !

M. Jean-Pierre Brard.

Eh bien, nous n'avons pas la même conception que vous !

M. Bernard Accoyer.

Ça nous rassure !

M. Michel Bouvard.

Surtout pour la famille : pour nous, c'est un homme et une femme !

M. Jean-Pierre Brard.

Pour que la République soit fidèle à ses valeurs, selon nous, il faut que les contributions soient inégales, il faut que les plus riches, que vous protégez avec l'ardeur qui vous caractérise, paient plus que les plus pauvres.

Ne vous a-t-on pas entendu, monsieur Auberger je p arle sous votre contrôle -, essayer d'expliquer en commission des finances qu'il était normal que les enfants de riches disposent de revenus plus élevés parce qu'ils dépensent plus ? (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Telle n'est pas notre conception.

M. Philippe Auberger.

Vous n'avez rien entendu ! Vous n'étiez pas en commission !

M. Jean-Pierre Brard.

Quant à la fraternité, monsieur Jégou, où sont vos propositions pour augmenter les minima sociaux, que d'ailleurs, pour l'instant, le Gouvernement ne propose pas non plus d'augmenter mais qu'il faudra augmenter ? De tout cela, il ressort non seulement qu'il ne faut pas ajourner la discussion, mais qu'il faut la commencer sans tarder, car il est urgent d'améliorer le projet du Gouvernement.

M. Pierre Lellouche.

Améliorez, améliorez !

M. Jean-Pierre Brard.

Chacun aura bien entendu ce que disait M. Strauss-Kahn, c'est-à-dire que ce Gouvernement est humble...

M. le président.

Veuillez conclure, monsieur Brard.

M. Jean-Pierre Brard.

Je termine, monsieur le président. Je vous remercie d'ailleurs de votre mansuétude.

(Sourires.)

M. le ministre de l'économie et des finances a donc fait preuve, au nom du Gouvernement, d'une grande modestie, d'une grande simplicité, d'une grande humilité...

M. Bernard Accoyer.

N'en jetez pas trop, vous le gênez ! (Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard.

... à tel point que c'en était à peine crédible.

(Sourires.)

Le Gouvernement, disait-il, se borne à proposer. J'en déduis qu'il reviendra au Parlement, à l'Assemblée en particulier, de disposer.

M. Michel Bouvard.

Chiche !

M. Jean-Pierre Brard.

Comme chacun ne dépend que de ses électeurs, c'est là une ouverture extrêmement importante qui doit nous permettre de passer au-dessus des appartenances des uns et des autres pour ne tenir compte que d'une chose : l'intérêt de nos concitoyens,...

M. Michel Bouvard.

Très bien !

M. Jean-Pierre Brard.

... le devoir que chacun d'entre nous, présent ici par leur volonté, a de répondre à leurs besoins, en particulier à ceux des plus modestes. Là, je suis sûr que M. Bouvard ne dit plus « très bien ! ».

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. Michel Bouvard.

Mais si ! Je suis élu par les plus modestes !

M. le président.

Je vais maintenant mettre aux voix l'exception d'irrecevabilité.

M. Alain Néri.

Cette fois-ci, il ne va pas y avoir photo ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Eh bien ! nous allons le voir, mais laissez-moi exercer mes responsabilités !

M. Jean-Pierre Brard.

Va-t-on procéder par assis et levé ?

M. le président.

Si je le juge utile seulement !

M. Bernard Accoyer.

Appelez Cochet ! (Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement par la République.)

M. Pierre Lellouche.

Où est Cochet ? (Mêmes mouvements.)

M. le président.

Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Didier Quentin et M. Bernard Accoyer.

L'exception d'irrecevabilité est adoptée, aurait dit Cochet !

M. Michel Bouvard.

M. Paecht préside mieux que Cochet !

M. le président.

Mes chers collègues, il est vingt-trois heures vingt. Il nous reste à examiner la question préalable. M. Carrez, que j'ai consulté tout à l'heure, m'a indiqué qu'il utiliserait avec modération son temps de parole. En tout état de cause, je vous le rappelle, la fin de séance est fixée impérativement à une heure du matin.

Cette précision étant donnée, je vous propose dix minutes de suspension avant de poursuivre nos travaux.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à vingt-trois heures vingt, est reprise à vingt-trois heures trente.)

M. le président.

La séance est reprise.

Question préalable

M. le président.

J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe du Rassemblement pour la République une question préalable déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

La parole est M. Gilles Carrez.

M. Gilles Carrez.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat au budget, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, ce projet de budget pour 1999 est, disons, décalé. Il est décalé dans les prévisions éc onomiques sur lesquelles il repose ; il faut dire que celles-ci datent d'il y a six mois. Il est décalé dans son obstination à ne pas baisser les impôts ; et la France va être le seul pays dans ce cas.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Vous avez donné le mauvais exemple !

M. Gilles Carrez.

Cher président, vous n'étiez pas obligé de nous suivre ! Il est décalé dans sa propension à la dépense publique ; seule la France va l'augmenter.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

C'est inexact !

M. Gilles Carrez.

Enfin, il est décalé par rapport à un avenir qu'il ne prépare pas et par rapport à un rapprochement européen et à une mondialisation qu'il contredit.

En fait, c'est un budget profondément conservateur.

Certes, il adresse quelques signaux à la gauche plurielle.

Mais, ni dans sa politique fiscale ni dans ses choix de dépenses, il n'affiche de priorités claires.

C'est un budget en apparence tranquille, conçu pour des temps socialistes calmes. Un budget qui veut endormir les Français dans l'illusion trompeuse que la croissance est là, durable, que les risques sont conjurés et que les efforts sont inutiles. C'est le budget d'un gouvernement qui se sent sûr de lui et qui affiche volontiers son autosatisfaction. Nous en avons eu tout à l'heure la démonstration avec le brillant discours de notre ministre de l'économie et des finances.

Mais les certitudes et le contentement de soi sont-ils vraiment de mise quand le monde entier traverse des turbulences ?

M. Christian Cabal.

Non !

M. Gilles Carrez.

Ne sommes-nous pas aujourd'hui dans le calme précaire de l'oeil du cyclone ? Et le scénario dramatique que la France a connu, que vous avez connu au début des années 90, n'incite-t-il pas à davantage de prudence, en tout cas d'humilité ? L a croissance d'abord. Il est prévu qu'elle atteigne 2,7 % en 1999. Je le souhaite sincèrement pour notre pays. En tout cas, je ne me hasarderai pas à faire des pronostics car, dans ce domaine, tous les experts se trompent régulièrement et je suis, quant à moi, plus modeste que vous, monsieur le secrétaire d'Etat, et que Dominique Strauss-Kahn ; d'ailleurs, l'année dernière, je ne m'étais pas risqué à faire des prévisions. De toute façon, la seule question qui vaille est la suivante : si la croissance ne se poursuit pas, si, par malheur, elle chute autour de 2 %, chiffre qu'on a hélas ! souvent connu pendant les années 90 et en deça duquel le chômage recommence d'augmenter, le budget que vous nous proposez aura-t-il les capacités d'adaption à cette situation nouvelle ? Face aux perturbations, pourra-t-on réduire la toile dans les dépenses publiques improductives ? Pourra-t-on stimuler la demande intérieure pour remédier à une activité étrangère qui ferait défaut ? La réponse est non, catégoriquement non et c'est tout l'enjeu de cette question préalable, que je défends au nom du groupe RPR. Je vais montrer point par point que, face à une possible adversité, nous n'aurons aucune marge de manoeuvre, ni dans les dépenses, ni dans les recettes, ni, bien entendu, dans le déficit.

Mais restons encore un instant sur cette hypothèse de croissance. Non pas pour en formuler une autre, je le disais à l'instant, mais pour évoquer les aléas qui l'affectent.

Je passe rapidement sur l'enchaînement des crises financières à répétition, sur l'atonie du Japon, sur la lente convalescence du sud-est asiatique, sur le naufrage de la Russie, sur la vulnérabilité de l'Amérique latine. Vous nous dites, monsieur le secrétaire d'Etat, que nos exportations vers ces pays sont d'un poids limité. Et vous avez raison. Mais vous sous-estimez la capacité d'agressivité commerciale de ces pays. Vers qui pourront-ils se tourner si ce n'est vers l'Europe ou les Etats-Unis, seuls havres où subsiste une relative prospérité ?

M. Jean-Pierre Balligand.

Ce n'est pas la question !

M. Gilles Carrez.

Mon inquiétude provient plutôt de votre prévision relative à la croissance de la demande extérieure que vous avez arrêtée à 5 %. Puisqu'il faut éliminer tous les pays qui sont en crise, dont je viens de parler, la demande extérieure qui devrait nourrir nos exportations ne pourra provenir que des pays de la zone euro et de l'Amérique du Nord. Il faudra donc que le volume de nos échanges avec eux progresse de 7 %, voire de 8 %, en 1999. Cela démontre combien votre hypothèse est irréaliste.

Elle est irréaliste parce que le dollar, dont vous évaluez la parité à 6 francs, s'achemine doucement vers un cours aux alentours de 5 francs, 5,50 francs, ce qui n'était pas le cas lorsque vous avez établi vos prévisions au printemps dernier. Est-il réaliste de penser que la demande extérieure sera forte en Europe alors que le Royaume-Uni est entré en récession au début de cette année et que la situation de l'Allemagne apparaît aussi incertaine que la nôtre ? Nul ne peut contester que la mise en place de l'euro au 1er janvier prochain nous serve de bouclier face aux crises financières. Il s'agit d'un thème très cher à la majorité et que Dominique Strauss-Kahn reprend à l'envi.

Mais personne ne pourra décréter le cours de l'euro par rapport au dollar ou au yen. Personne ne pourra prévoir les conséquences de son entrée en vigueur sur les échanges de l'Europe avec le reste du monde, ou sur ceux entre les pays européens. J'insiste sur ce point.

Il est certes rassurant de constater que 60 % de notre commerce extérieur est réalisé avec les pays de l'Europe.

Mais un dollar bas n'aura-t-il pas un effet d'éviction de nos exportations, y compris au sein de nos échanges européens ? Vous n'apportez aucune réponse à ces questions qui sont pourtant essentielles, et pour cause puisqu'il s'agit d'éléments nouveaux que vous ne pouviez prendre en compte lorsque vous avez présenté le budget au mois de juillet. Vous rétorquerez sans doute - ce sont les arguments éternels de Bercy - que, si nos exportations vont diminuer, le volume de nos importations sera également réduit et que la baisse du cours du dollar préservera le montant de notre excédent commercial puisque les matières premières coûteront moins cher.

Cependant, monsieur le ministre, ce raisonnement est de plus en plus contestable. En effet, l'important désormais est moins la balance commerciale que la balance de l'emploi. Or, même si le volume de nos importations diminue, même si elles coûtent moins cher, le chômage recommencera à augmenter si la réduction de nos exportations concerne des produits à forte valeur ajoutée, car


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

cela touchera les entreprises pourvoyeuses d'emplois.

C ette préoccupation est également absente de vos réflexions.

Quand on a, comme dans notre pays, trois millions de chômeurs, quand le chômage a repris son ascension au cours des deux mois derniers, il ne faut pas traiter à la légère ce problème du commerce extérieur puisque un Français sur quatre travaille pour l'exportation. De ce point de vue, monsieur le secrétaire d'Etat, j'espère qu'un premier signe ne vous a pas échappé : depuis le mois de juin dernier, nos exportations recommencent à baisser.

Mme Nicole Bricq.

C'est normal !

M. Gilles Carrez.

Dans ces conditions faut-il continuer de tabler sur une croissance de la demande extérieure adressée à la France - comme vous dites dans votre jargon - de 5 % ? Cela ne me paraît pas sérieux.

Compte tenu de ces éléments, on peut aussi s'inquiéter de voir le budget du commerce connaître une véritable Berezina financière.

M. Philippe Auberger.

Très juste !

M. Gilles Carrez.

En effet, mes chers collègues, ses crédits vont diminuer de 47 %. C'est du jamais vu ! Dans ce cadre, les crédits pour l'organisation des foires et expositions, si utiles aux PME, chuteront de 20 %.

M. Raymond Douyère.

Ce n'est pas cela qui fait de la croissance !

M. Gilles Carrez.

Ceux de l'assurance prospection diminueront de 30 %. Alors que nos exportations seront en danger en 1999, alors que les pays les plus libéraux parmi nos partenaires commerciaux comme la Grande-Bretagne et les EtatsUnis augmentent leurs crédits publics d'aide à l'exportation, la France va désarmer.

En vérité, vous avez fait votre analyse de la situation internationale en mai dernier ; vous l'avez publiquement assumée à la fin du mois de juillet en présentant ce budget et, depuis, vous vous y cramponnez de façon presque désespérée. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Pourtant, Dieu sait si les choses ont changé depuis six mois.

Puisqu'il est probable que la demande extérieure ne sera pas au rendez-vous, tous les espoirs devraient reposer sur une poursuite de l'embellie de la consommation intérieure et de l'investissement. C'est le pari que M. Dominique Strauss-Kahn a évoqué cet après-midi, selon lequel la demande interne prendrait largement le relais de la demande extérieure et permettrait de tenir l'objectif de 2,7 % de croissance.

S'agissant des investissements des entreprises, monsieur le secrétaire d'Etat, vous prévoyez une augmentation de 5,7 %.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Absolument !

M. Gilles Carrez.

A ce propos, vous devriez lire les récentes enquêtes sur les intentions des chefs d'entreprise car elles sont bien différentes de celles effectuées au début de l'été.

La conclusion de cette première analyse...

M. Jean-Louis Idiart.

Ce n'est pas une analyse mais un credo !

M. Gilles Carrez.

... est que la crédibilité des prévisions du Gouvernement repose sur le maintien d'une consommation élevée et sur l'évolution du pouvoir d'achat du revenu disponible des ménages. Vous prévoyez donc respectivement 2,5 et 2,7 % d'augmentation.

M. Christian Cuvilliez.

C'est possible.

M. Pierre Lellouche.

Voilà le credo !

M. Gilles Carrez.

A première vue, ces chiffres ne paraissent pas hors d'atteinte...

M. Christian Cuvilliez.

Exactement !

M. Gilles Carrez.

... compte tenu de la dynamique enclenchée à la fin de 1997, je le reconnais bien volontiers. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Nicole Bricq.

Tout de même !

M. Gilbert Meyer.

Nous ne l'avons jamais nié !

M. Gilles Carrez.

Cela étant, madame Bricq, il faut regarder l'avenir. Or le contexte de 1999 ne va pas être favorable aux ménages, pour plusieurs raisons.

M. Philippe Auberger.

Les 35 heures !

M. Christian Cabal.

Le PACS !

M. Gilles Carrez.

La première raison d'inquiétude tient au fait que, contrairement à votre discours, le budget de 1999 n'entraînera pas de baisse d'impôt pour les ménages. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Nicole Bricq.

Ah bon ?

M. Philippe Auberger.

Il y aura aggravation !

M. Gilles Carrez.

Je vais vous le démontrer, mes chers collègues.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Vous allez essayer de le démontrer !

M. Gilles Carrez.

La deuxième raison d'inquiétude est liée à l'évolution probable des salaires en 1999. A l'exception des fonctionnaires, en effet, qui sont toujours choyés par la gauche,...

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Vous les avez tellement maltraités !

M. Philippe Auberger.

C'est du clientélisme !

M. Gilles Carrez.

... les salariés risquent de connaître une situation moins favorable qu'en 1998, car, à l'incertitude extérieure que je viens d'évoquer, va s'ajouter une incertitude bien franco-française, celle des 35 heures.

M. Philippe Auberger.

Eh oui !

M. Gilles Carrez.

Nombre d'accords salariaux sont actuellement gelés à cause de l'ignorance du régime futur des heures supplémentaires et du traitement qui sera réservé aux cadres.

M. Pierre Lellouche.

Merci madame Aubry !

M. Gilles Carrez.

Cela est surtout vrai dans les petites et moyennes entreprises. Les hausses de salaires sont ainsi différées ou tout simplement contenues.

Le troisième motif d'inquiétude est l'effet richesse, comme disent les économistes, ou, plutôt, l'effet appauvrissement dans la situation actuelle.

Certes, les Français détiennent proportionnellement beaucoup moins de valeurs mobilières que les Anglosaxons, mais, même si Paris est relativement plus abrité que tel ou tel autre marché financier, la chute des bourses va très certainement provoquer, par esprit de précaution, un ralentissement de la consommation.

M. Christian Cuvilliez.

Ce ne sont que conjectures !

M. Gilles Carrez.

Cela vous fait rire, mais, comme le seul élément sur lequel vous comptiez pour alimenter la croissance est la consommation, à votre place je rirais jaune.


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A cet égard, nous serons fixés rapidement, car, dès les fêtes de fin d'année, nous verrons quel sera le comportement des Français en matière de consommation.

M. Christian Cuvilliez.

A Noël, ils achètent toujours plus !

M. Gilles Carrez.

Face à ces perspectives, qui sont pour le moins incertaines, le Gouvernement ne s'est donné aucune marge de manoeuvre dans sa politique fiscale. Le pouvoir d'achat de nos compatriotes sera freiné parce qu'il n'y aura aucune baisse d'impôts. Globalement, la pression fiscale va plutôt augmenter en 1999.

M. Pierre Lellouche.

Eh oui !

M. Gilles Carrez.

A la fin de 1997, vous nous aviez dit que, grâce aux mesures que vous aviez prises, la pression fiscale allait recommencer à diminuer. Or les statistiques d'Eurostat, qui sont incontestables - ce ne sont pas les chiffres de Bercy -, montrent que le pourcentage des prélèvements obligatoires par rapport au produit intérieur brut est passé de 46 % en 1996 à 46,3 % en 1997.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Vous étiez encore là.

M. Gilles Carrez.

Dès votre première année d'entrée en fonction, les prélèvements obligatoires ont donc augmenté.

M. Jean-Pierre Balligand.

Dans ces conditions la consommation aurait dû être ralentie. Votre raisonnement ne tient pas !

M. le président.

Monsieur Balligand, laissez parler

M. Carrez.

M. Gilles Carrez.

Mon cher collègue Balligand, lorsque nous examinerons ensemble la loi de finances rectificative de 1998, nous constaterons le même phénomène : il y aura aggravation de la pression fiscale mesurée par les prélèvements obligatoires sur la richesse.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Vous l'inventez !

M. Gilles Carrez.

La raison est parfaitement claire.

M. Alfred Recours.

D'où vient la croissance ?

M. Gilles Carrez.

En effet, dans votre budget, les recettes fiscales de l'Etat augmentent plus vite que le produit intérieur brut, c'est-à-dire davantage que la richesse nationale. Il est donc normal que le pourcentage des prélèvements obligatoires croisse.

M. Jean-Pierre Balligand.

Pourquoi les Français ont-ils consommé davantage en 1997 et en 1998 ? Parce qu'ils ont confiance.

M. Christian Cabal.

Non, parce que nous avions assaini l'économie !

M. Gilles Carrez.

Dominique Strauss-Kahn aura beau avancer toutes les arguties, tous les sophismes qu'il veut, cette réalité ressort de vos budgets.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Pour l'instant, vous n'avez rien démontré.

M. Gilles Carrez.

Dans votre budget pour 1999, les recettes fiscales nettes de l'Etat progressent de 4,3 % alors que la croissance du PIB est estimée à 3,8 %. En conséquence, la pression fiscale devra augmenter. Même un enfant de cours élémentaire comprendrait cette arithmétique.

Anticipant sur l'examen de la loi de finances rectificative qui nous réunira le mois prochain,...

Mme Nicole Bricq.

Il y a un moment que vous anticipez.

M. Gilles Carrez.

... je veux souligner que nous aurons 60 à 80 milliards de recettes fiscales supplémentaires en 1998 par rapport à 1997.

M. Jean-Pierre Balligand.

Pour quelle raison ?

M. Gilles Carrez.

En raison de l'aggravation de la pression fiscale, mon cher collègue. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Pierre Balligand.

Non, parce que l'augmentation de la consommation aura permis d'accroître les rentrées de fiscalité indirecte !

M. Gilles Carrez.

Bien sûr, mais vous aurez aussi, monsieur Balligand, les premiers effets en année pleine de la hausse de l'impôt sur les sociétés.

M. Robert Gaïa.

Juppé !

M. Alfred Recours.

Et les 2 % de TVA de Balladur ?

M. Gilles Carrez.

La relance de la consommation a certes accru les recettes de TVA, mais, dès lors que ces dernières augmentent plus vite que la richesse nationale, le rapport entre les deux progresse.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

C'est vous qui avez augmenté la TVA.

M. Gilles Carrez.

Par conséquent, la pression fiscale dans le pays augmente et ne diminue pas. CQFD ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Christian Cuvilliez.

Voilà un sophisme !

M. Jean-Pierre Balligand.

Cela tient à la politique économique. Pourquoi, sous Juppé, les gens ne consommaient-ils pas ?

M. Gilles Carrez.

Mes chers collègues, il n'y aura donc pas de baisse d'impôts pour les ménages en 1999.

M. Gilbert Meyer.

Eh non !

M. Christian Cuvilliez.

Cela dépend pour lesquels !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

En tout cas, pas pour ceux que vous défendez !

M. Gilles Carrez.

C'est pourquoi nous avons tous les m otifs d'être inquiets quant à la relance de la consommation.

Pour étayer mon raisonnement, je vais m'appuyer sur les chiffres qui figurent dans vos documents.

Je vais commencer par la baisse de la TVA qui est la grande affaire - et avec raison, pour le groupe socialiste.

M. Alfred Recours.

C'est vous qui l'avez augmentée !

M. Gilles Carrez.

Dans sa générosité, le Gouvernement octroie une baisse du taux de TVA sur les abonnements au gaz et à l'électricité, ce qui représente, selon le ministre, 130 francs par an et par famille.

M. Jean-Pierre Balligand.

Etes-vous contre ?

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

C'est pour corriger vos erreurs !

M. Gilles Carrez.

Quant à la réduction du taux pour les bailleurs privés de logements sociaux, elle sera tellement limitée qu'elle ne coûtera que 200 millions à l'Etat.

Je vous demande donc, mes chers collègues, de comparer les 4 milliards de la baisse de taux sur les abonnements


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de gaz et électricité et les 200 millions que vous octroie le Gouvernement sur le parc privé de logements sociaux avec les 675 milliards que va rapporter la TVA en 1999.

Après cela, pourrez-vous encore sérieusement affirmer qu'il y a une baisse de TVA dans ce budget ? (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) M. Didier Migaud, rapporteur général.

Oui ! D'au moins 4,4 milliards de francs.

M. Gilles Carrez.

Le prétendre est une véritable escroquerie intellectuelle.

M. Philippe Auberger.

Oui, car le produit de la TVA augmente plus vite que la croissance !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Avez-vous fait des mathématiques quand vous êtiez petit ?

M. Gilles Carrez.

A cet égard, j'ai d'ailleurs assisté à une rébellion presque surréaliste du groupe des collègues socialistes de la commission des finances, la semaine dernière, courageusement emmenés conjointement par le président et par le rapporteur général.

M. Alfred Recours.

Excellent président, excellent rapporteur !

M. Gilles Carrez.

Pourtant, le ministre Strauss-Kahn nous a indiqué que jamais une loi de finances n'avait été préparée avec une telle association des députés de sa majorité.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

C'est vrai !

M. Gilles Carrez.

Je n'en ai vraiment pas l'impression, mes chers collègues.

Parlons donc de ce qui s'est passé la semaine dernière, en commission des finances, parce que cela est très éclairant.

M. Alain Barrau.

Parlons-en !

M. Gilles Carrez.

Il s'agissait de la baisse du taux de TVA sur les travaux d'entretien dans l'habitat quel qu'il soit, ce qui est une très très bonne idée.

(« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Nicole Bricq.

Idée que vous n'aviez pas eue !

M. Gilles Carrez.

C'est une très bonne idée parce qu'il s'agit d'un secteur riche d'emplois, mais perturbé par le travail au noir. C'est pourquoi, cher président, cher rapporteur général, j'ai voté sans hésiter l'amendement que vous avez présenté à ce sujet. Or ma déception a été très grande, car, à peine avions-nous adopté cet amendement - d'un coût d'environ 15 milliards de francs - parfaitement légitime et qui donnait satisfaction à votre électorat ainsi qu'au nôtre (Rires sur les bancs du groupe socialiste), que vous nous avez expliqué qu'il serait impossible de le retenir car il n'était pas eurocompatible.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

C'est une caricature !

M. Philippe Auberger.

C'était du cinéma !

M. Gilles Carrez.

L'Europe a évidemment bon dos dans cette affaire.

Vous nous avez donc proposé un succédané, une sorte d'ersatz, consistant en un triplement de ce malheureux crédit d'impôt de 2 000 ou 3 000 francs voté en 1998 pour la réalisation de travaux.

Selon nos collègues socialistes, l'essentiel était non pas de réduire ce taux de TVA, mais de donner un signal fort au Gouvernement - je reprends votre expression, monsieur le rapporteur général - pour encourager le Gouvernement à négocier avec conviction à Bruxelles sur ce sujet afin d'obtenir cette baisse de TVA.

N os collègues socialistes sont-ils naïfs ? Sont-ils cyniques ? Je n'en sais rien.

M. Christian Cabal.

Les deux !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Ils sont talentueux.

M. Gilles Carrez.

En effet, chacun sait bien que le problème de la TVA n'est pas européen, mais qu'il réside dans la structure même de votre budget. En effet, monsieur le secrétaire d'Etat, ce budget permet-il une vraie baisse de TVA de 15 milliards de francs comme l'ont souhaité nos collègues ? Si tel était le cas, nous serions les premiers à voter un tel amendement.

M. Jean-Louis Idiart.

Vous êtes bien placés pour parler de la baisse de la TVA !

M. Gilles Carrez.

Justement, monsieur Idiart ! Votre intervention me permet de faire un rappel historique et de rétablir la vérité sur ce qui s'est passé en 1995.

Mme Nicole Bricq.

Vous allez peut-être nous dire que vous n'avez pas augmenté la TVA !

M. Philippe Auberger.

Ecoutez, madame Bricq !

M. Jean Ueberschlag.

Mme Bricq n'écoute pas. Elle a ses certitudes.

M. Gilles Carrez.

Ecoutez un instant, madame Bricq.

Mme Nicole Bricq.

Mais je ne fais que ça !

M. Gilles Carrez.

Lorsque le taux de la TVA a été augmenté de deux points en juin 1995, c'est le choix de l'Europe qui a été fait à travers cette décision ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.) Il fallait qualifier la France et donc réduire le déficit budgétaire.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

On le corrigeait, bien sûr !

M. Gilles Carrez.

Et quel déficit budgétaire ! On ne le dira jamais assez. Le déficit budgétaire dont nous avions hérité...

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

De Balladur !

M. Gilles Carrez.

... en 1993 était colossal, abyssal.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Daniel Marcovitch.

M. Balladur avait laissé une situation calamiteuse.

M. Gilles Carrez.

Je ne me lasserai jamais de le répéter, et vous ne cesserez jamais de l'entendre, car c'est une vérité salutaire. En décembre 1992, vous aviez prévu un déficit de 170 milliards de francs. Au mois de mars 1993, il s'élevait à 340 millions ! Le déficit pour les comptes sociaux que vous aviez prévu à 20 milliards était de 100 milliards et celui que vous aviez estimé nul sur les comptes de l'UNEDIC se montait à 50 milliards.

M. Philippe Auberger.

Eh oui !

M. Gilles Carrez.

En 1993, le total des déficits publics atteignait 6 % de notre produit intérieur brut.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Philippe Auberger.

Quelle gabegie !

M. Alfred Recours.

Vous savez bien que ce n'est pas vrai. Vous mentez impunément.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

M. Gilles Carrez.

Avec des finances aussi calamiteuses...

M. Jean-Louis Idiart.

Résultant de la gestion Balladur !

M. Gilles Carrez.

... et aussi catastrophiques, comment vouliez-vous réduire le déficit instantanément, d'un coup de baguette magique ?

M. Philippe Auberger.

La gestion socialiste a été calamiteuse.

M. Gilles Carrez.

Pour respecter les critères de Maastricht, puisque le traité avait été approuvé, il fallait du temps et des mesures courageuses et douloureuses prises par étapes.

Il nous a donc fallu - et c'est tout à fait normal - plusieurs années pour résorber...

M. Gilbert Meyer.

Le trou !

M. Gilles Carrez.

... l'héritage catastrophique d'une gestion socialiste irresponsable.

M. Philippe Auberger.

Et calamiteuse !

M. Gilles Carrez.

La hausse de la TVA intervenue au mois de juin 1995 a été l'une des étapes douloureuses que nous avons dû franchir.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Barrau.

Eh voilà !

M. Gilles Carrez.

Il est possible qu'Alain Juppé n'ait pas suffisamment à l'époque mis en avant la responsabilité socialiste.

(Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Idiart.

Vous ne deviez pas siéger au Parlement en ce temps-là !

M. Gilles Carrez.

Mais il s'était engagé solennellement à baisser graduellement le taux normal de la TVA dès que la croissance repartirait, pour le ramener à 18,6 %.

M. Alain Barrau.

Heureusement que le mouvement à la baisse n'a pas continué. Sinon, le taux serait aujourd'hui à 22 % !

M. Gilles Carrez.

De même que nous avions tenu l'engagement de baisser l'impôt sur le revenu - nous l'avions voté (Rires sur les bancs du groupe socialiste) -,...

M. Daniel Marcovitch.

L'impôt de qui vouliez-vous baisser ? Celui des plus riches ?

M. Alain Barrau.

Carrez réécrit l'histoire !

M. Gilles Carrez.

... de même la baisse progressive par étapes de la TVA aurait été réalisée. D'ailleurs, les dép utés des groupes de l'Alliance dans leur ensemble (Sourires sur les bancs du groupe socialiste) défendront un amendement pour demander le retour progressif au taux normal, en baissant la TVA d'un demi-point chaque année à partir de 1999.

M. Alfred Recours.

L'autocritique, c'est bien !

M. Philippe Auberger.

Nous verrons si vous arrivez à tenir vos promesses, messieurs de la majorité.

M. Daniel Marcovitch.

L'année dernière, nous y sommes parvenus.

M. Alfred Recours.

Sur le PACS, nous tiendrons nos promesses aussi.

M. Gilles Carrez.

Cela tranche beaucoup avec ce que vous avez fait depuis que vous avez gagné les élections de 1997.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Monsieur Carrez, permettez-moi de vous interrompre quelques instants.

Mes chers collègues, M. Carrez dispose de la parole le temps qu'il estime nécessaire. Si vous continuez à l'interrompre, vous me conduirez peut-être à ne pas donner la parole au Gouvernement car, à une heure du matin, je serai obligé de lever la séance.

(« Oh ! » sur les bancs du groupe socialiste.) Je ne pense pas que ce soit votre souhait.

M. Jean Ueberschlag.

Monsieur le président, nous avons tout notre temps.

M. le président.

Monsieur Carrez, je vous prie de bien vouloir poursuivre.

M. Gilles Carrez.

Merci, monsieur le président.

D epuis que vous avez gagné les élections en juin 1997...

M. le secrétaire d'Etat du budget.

Enfin une vérité !

M. Gilles Carrez.

... vous n'avez, vous, tenu aucune de vos promesses de baisser la TVA,...

M. Alain Barrau.

8 milliards en deux ans !

M. Gilles Carrez.

... ni en 1998, en dehors d'une mesure ciblée sur la réhabilitation des logements sociaux, propriétés des bailleurs sociaux, dont les consommateurs n'ont donc pas profité (Protestations sur les bancs du groupe socialiste),...

M. Daniel Marcovitch.

Vous n'aimez pas les logements sociaux ! Décidément, ils vous restent en travers de la gorge !

M. Gilles Carrez.

... ni dans le budget pour 1999, en dehors de la diminution de la TVA sur les abonnements de gaz et d'électricité.

M. Alain Barrau.

Il y a eu d'autres mesures de prises ! En tout, elle ont représenté 8 milliards de francs en deux ans.

M. Gilles Carrez.

Quant à l'impôt sur le revenu, vous vous êtes, dès l'automne dernier, empressés d'annuler la réforme Juppé...

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Bien sûr !

M. Gilles Carrez.

... ce qui a pour conséquence de faire payer 15 milliards de francs d'impôts de plus aux Français cette année.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Mais non, puisqu'ils n'avaient pas baissé ! Quel faussaire !

M. Gilles Carrez.

A cet égard, j'ai relevé le cynisme de M. Fuchs dans sa réponse à l'exception d'irrecevabilité. Il trouve tout à fait normal qu'une moitié des Français paie l'impôt sur le revenu puisque l'autre moitié ne le paie pas.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Vous caricaturez !

M. Gilles Carrez.

En vertu de ce raisonnement, il serait anormal de diminuer les impôts des uns puisque les autres n'en paient pas.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

C'est vrai. Il a raison.

M. Gilles Carrez.

Les Français apprécieront, mon cher collègue ! Ce ciblage électoral est bien loin de l'idée d'intérêt général.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Vous savez que le système est particulièrement injuste, nous ne cessons de le dire.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

M. Philippe Auberger.

C'est du clientélisme.

M. Gilles Carrez.

Non contents d'avoir annulé la baisse que nous avions votée de l'impôt sur le revenu, vous allez augmenter celui payé par les familles en 1999 de 4,5 milliards.

Un nouveau coup dur leur est asséné.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Oh !

M. Gilles Carrez.

La baisse du plafond du quotient familial de 16 000 à 11 000 francs va entraîner, pour 600 000 d'entre elles, une forte hausse d'impôt.

M. Daniel Marcovitch.

Lesquelles ?

M. Alfred Recours.

Les plus pauvres ?

M. Gilles Carrez.

Cette mesure semble vous gêner vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, car on n'en voit aucune trace dans les décomptes fiscaux que vous présentez. Elle n'apparaît pas dans vos tableaux. Vous l'avez complètement oubliée, totalement passée sous silence.

M. Philippe Auberger.

M. le rapporteur non plus n'en fait pas état dans ses tableaux.

Mme Nicole Bricq.

Le ministre vous a répondu tout à l'heure !

M. Gilles Carrez.

Vous tenez un raisonnement spécieux. Selon vous, les familles ne perdent rien puisqu'on leur rétablit en 1999 les allocation familiales, qu'elles avaient perdues en 1998.

Mme Nicole Bricq.

Eh oui !

M. Gilles Carrez.

Sur le plan technique, vous savez bien qu'on ne peut en aucun cas mélanger prestations sociales et dispositions fiscales.

M. Philippe Auberger.

Bien sûr !

M. Gilles Carrez.

Mais surtout, sur le plan moral, madame Bricq, que répondrez-vous à une famille ayant plusieurs enfants, comme il doit vous arriver d'en rencontrer dans votre circonscription, qui aura perdu deux fois en 1998 : d'abord parce qu'elle n'aura pas touché en 1998 les allocations familiales, ensuite, parce qu'au titre des revenus de 1998, elle va payer en 1999 un impôt majoré au titre des revenus de 1998 ? Vous comprendrez son amertume !

Mme Nicole Bricq.

A combien s'élevaient ses revenus ? Soyez honnête, dites-le nous !

M. Daniel Marcovitch.

Au moins à 45 000 francs imposables par mois !

M. Gilles Carrez.

« Les riches n'ont qu'à payer », direzvous ! Mais cela procède d'une idéologie à courte vue, qui, j'y reviendrai plus tard, nous causera de graves déconvenues dans l'avenir.

Mme Nicole Bricq.

La redistribution, vous ne connaissez pas !

M. Jean Ueberschlag.

Les socialistes aiment bien distribuer des leçons !

M. Alain Barrau.

Il n'a pas écouté Jean-Pierre Brard tout à l'heure !

M. Philippe Auberger.

Ils s'attaquent aux familles. Ils préférent le PACS !

M. Gilles Carrez.

A ce sujet, je me suis demandé vend redi après-midi, pourquoi nos collègues socialistes étaient si peu nombreux dans l'hémicycle. Vous êtes beaucoup plus nombreux ce soir.

M. Philippe Auberger.

Le PACS, c'est la gauche caviar.

M. Gilles Carrez.

Je pense que vous n'étiez pas nombreux parce que dans votre fort intérieur, vous vous sentiez gênés et que vous avez préféré vous réfugiez dans vos circonscriptions.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Quel rapport avec le budget ?

M. Gilles Carrez.

Il y en a un, monsieur le secrétaire d'Etat. J'y viens.

M. Philippe Auberger.

Il y a des allégements fiscaux dans le projet de PACS. Nous sommes donc bien dans le sujet, monsieur le secrétaire d'Etat !

M. Gilles Carrez.

C'est vrai qu'il est gênant de défendre le vendredi des avantages fiscaux pour les couples homosexuels quand, le mardi suivant, on assène un véritable matraquage fiscal aux familles,...

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Vous n'êtes pas sérieux !

M. Gilles Carrez.

... qu'il s'agisse de couples mariés ou non mariés, là n'est pas le problème, ...

M. Jean-Louis Idiart.

C'est ça ! Prenez un PACS, vous paierez moins d'impôts.

M. Gilles Carrez.

... et on considère, que les enfants sont uniquement de la matière fiscale, de la matière taxable, dont le seul objet est de rapporter de l'argent à l'Etat. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Voilà quelle est votre philosophie ! Je comprend que vous soyez gênés.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Vous nous avez habitués à mieux, monsieur Carrez.

M. Gilles Carrez.

C'est vrai, monsieur le rapporteur général. Je me bornerai donc à dire que c'est une coïncidence, mais vous reconnaîtrez avec moi qu'elle est fâcheuse.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Je ne reconnais rien du tout.

M. Gilles Carrez.

Dans le projet de budget, si on ne trouve rien, ou presque, sur la TVA, on trouve au contraire une augmentation de l'impôt sur le revenu.

C ontinuons à rechercher ensemble les prétendues baisses d'impôt figurant dans le budget de 1999.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Il faut changer vos lunettes.

M. Gilles Carrez.

Assurément, ce n'est pas l'impôt de solidarité sur la fortune.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Ah non !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Là, nous sommes bien d'accord.

M. Gilles Carrez.

Il fallait donner des gages à vos alliés communistes. J'espère qu'ils se satisferont des 2 milliards prévus.

M. Alfred Recours.

Ce n'est pas assez.

M. Gilles Carrez.

Mais vous oubliez que les ménages qui gagnent de l'argent sont aussi ceux qui créent à la fois de la richesse, de l'activité économique, de la consommation et de l'emploi.

M. Alain Barrau.

Et les autres, non ?

M. Gilles Carrez.

Vous oubliez aussi que le combat qui vise à cadenasser fiscalement la France est totalement incompatible avec la disparition des frontières euro-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

péennes, la mise en place de l'euro au 1er janvier prochain et le mouvement général de mondialisation. Au moins, vos alliés communistes n'ont pas cette incohérence, eux qui refusent l'euro et rejettent la mondialisation.

M. Christian Cuvilliez.

Ne parlez pas pour nous !

M. Gilles Carrez.

Je prends l'exemple d'une disposition dont on n'a pas beaucoup parlé : l'article 16 du projet de loi de finances. Il vise à imposer les plus-values latentes en cas de transfert du domicile fiscal à l'étranger. Il symbolise un combat pathétique, et perdu d'avance, de l'administration fiscale française contre les acteurs économiques, découragés par le poids des impôts dans notre pays.

Mes chers collègues, faut-il nous réjouir du départ, vers l'Angleterre de Tony Blair, de dizaines de milliers de jeunes Français que nous avons formés à grands frais et qui vont aller exercer leurs talents chez nos concurrents ? Faut-il nous réjouir du désengagement financier, hélas probable, d'investisseurs étrangers qui, depuis quelques mois, recommençaient à placer de l'argent dans l'immobilier, notamment en région parisienne, laquelle en avait bien besoin ? Vont-ils continuer à investir chez nous alors que les droits de mutation sur les immeubles professionnels vont être multipliés par cinq, voire par vingt, ou trente, avec votre article 27 qui prévoit un plafond de 20 000 francs et un taux de 4,80 % sur la totalité de la transaction ? Ne croyez-vous pas que nous risquons de sérieux problèmes d'investissement dans les prochains mois ?

M. Didier Migaud, rapporteur général.

C'est vraiment n'importe quoi !

M. Gilles Carrez.

Monsieur le secrétaire d'Etat, tout à l'heure, vous parliez de votre souci de mettre en place

« une fiscalité du mouvement ».

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Absolument !

M. Gilles Carrez.

Mais la fiscalité du mouvement que vous êtes en train de mettre en place, c'est la fiscalité de...

M. Philippe Auberger.

Du désordre !

M. Gilles Carrez.

... la fuite des capitaux vers l'étranger.

Si c'est cela que vous voulez, autant le dire clairement !

M. Philippe Auberger.

C'est une fiscalité de l'épouvantail !

M. Gilles Carrez.

Il ne s'agit pas pour notre pays d'être le moins-disant fiscal. Il s'agit tout simplement de ne pas transformer la France en épouvantail fiscal (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) en un pays où l'Etat ne respecte pas la parole donnée, où les impôts se multiplient chaque année, où nos concurrents deviennent de plus en plus attractifs, où l'initiative est clouée au pilori et l'assistanat porté au pinacle (Mêmes mouvements), où le secteur public, loin de se réformer, s'enfle démesurément.

M. Alain Barrau.

Comment peut-il y avoir une reprise dans ces conditions !

M. Gilles Carrez.

De ce point de vue, le projet de budget pour 1999 nous place de plus en plus en décalage par rapport à nos partenaires européens et aux autres pays de l'OCDE. Comme le démontre la brutalité des mouvements internationaux de capitaux, la richesse est de plus en plus mobile. Et si la France reste, fort heureusement, encore aujourd'hui, un pays riche, il faut être attentif à tous ces signaux négatifs, tous ces signaux dangereux qui se multiplient dans le projet de budget pour 1999.

M. Gilbert Meyer.

Idéologiquement, vous ne tenez pas compte de la mobilité.

M. Gilles Carrez.

Le premier signal négatif est la trahison de la parole donnée par l'Etat, avec la remise en cause de l'exonération de droits de succession sur les produits de l'assurance-vie.

Il n'est pas acceptable que les contrats déjà signés soient concernés. A ce sujet, j'ai entendu avec intérêt votre observation, monsieur le secrétaire d'Etat. Vous avez laissé entendre que vous consentiriez peut-être à reconnaître le bien-fondé de notre demande de ne pas voir trahis les Français qui ont déjà signé des contrats.

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Je n'ai pas dit ça !

M. Gilles Carrez.

La rétroactivité fiscale est un archaïsme de notre droit. (Mêmes mouvements.)

Elle nous ramène au rang de pays sous-développé. (Mêmes mouvements.)

Mme Nicole Bricq.

Tout dans la nuance !

M. Gilles Carrez.

L'opposition tout entière déposera une proposition de loi organique pour bannir à jamais la rétroactivité de notre droit fiscal.

M. Gilbert Meyer et M. Jean Ueberschlag.

Très bien !

M. Gilles Carrez.

Nous verrons bien quelle sera votre attitude et si vous voterez cette disposition !

M. Alfred Recours.

Un million trois cent mille francs par héritier en franchise !

M. Robert Gaïa.

C'est de l'assistanat, ça ?

M. Gilles Carrez.

L'autre signe dangereux, dans le projet de budget, est la suspicion généralisée à l'égard de ceux qui font vivre, qui font bouger l'économie française.

Le budget est rempli d'exemples. J'ai parlé de l'ISF, des droits de mutation, de la taxation des résidents et des non-résidents. Je ne suis pas sûr, mes chers collègues, que l'Etat fasse un bon calcul budgétaire en majorant le barème de l'ISF, en verrouillant fiscalement les plusvalues en report d'impôt et même les plus-values latentes, en cherchant à assujettir l'impôt en France des revenus réalisés à l'étranger ou en bafouant la règle de bon sens de la non-rétroactivité fiscale.

Peut-être que cette accumulation de mesures permettra de récupérer à court terme quelques milliards de francs sur des agents économiques prisonniers de leurs engagements en France. Mais, beaucoup plus sûrement, ce sont des dizaines de milliards de francs d'investissements qui feront demain défaut à notre pays, car les investisseurs i nternationaux, et même français, ne feront plus confiance à la France, plus confiance à une administration inquisitoriale et sans parole.

Quelle schizophrénie de votre part (« Oh » ! sur les bancs du groupe socialiste) de parler sans cesse d'Europe, de mondialisation et d'en nier en même temps l'existence par des mesures fiscales de nature carcérale. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Eh oui ! Regardez l'article 16 ! C'est une véritable disposition « prison ».

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Robert Gaïa.

Quel univers impitoyable !

M. Gilles Carrez.

Ah, il risque de le devenir pour vous, oui !

M. Alain Barrau.

C'est peut-être un peu excessif !

M. Christian Cuvilliez.

C'est Dallas à l'envers !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

M. Gilles Carrez.

Tout cela, j'y reviens, sur une toile de fond où l'impôt, loin de baisser, aurait plutôt tendance à augmenter. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Revenons, mes chers collègues, à nos calculs sur les ménages : 4 milliards de francs de moins sur la TVA, les abonnements au gaz et à l'électricité, mais 4,5 milliards de plus pour l'impôt sur le revenu des familles ; 3,7 milliards de taxes de moins sur les ventes de logement, mais 3 milliards de plus sur l'ISF et sur l'assurance-vie.

M. Christian Cuvilliez.

Ce ne sont pas les mêmes !

M. Gilles Carrez.

Il y aura 1,6 milliard en moins avec la suppression des taxes sur les cartes d'identité et le permis de conduire, mais 1,1 milliard de plus sur la taxe sur le gazole.

M. Robert Gaïa.

C'est toute la différence entre le corned-beef et le caviar !

M. Gilles Carrez.

Je prends vos chiffres, tout simplement, monsieur le secrétaire d'Etat. Et vous voyez bien qu'au bout du compte, pour l'ensemble des ménages, en termes de baisse d'impôt, c'est pratiquement zéro ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Ce ne sont pas les mêmes !

M. Gilles Carrez.

Je comprends, dans ces conditions, pourquoi certains de nos collègues de gauche ont essayé, jusqu'ici en vain, de placer des amendements réduisant la TVA.

M. Christian Cuvilliez.

Et on va continuer !

M. Gilles Carrez.

Ce ne pourra être, en effet, que par des amendements parlementaires - si le Gouvernement veut bien les accepter - que l'on pourra enfin dire qu'il y a, dans ce budget 1999, un début de baisse d'impôt en faveur des ménages.

M. Christian Cuvilliez.

Voilà une bonne parole !

M. Gilles Carrez.

MM. les ministres nous ont dit, notamment au cours de leur conférence de presse à la fin juillet, que s'il n'y a pas de baisse d'impôt pour les ménages, il y a, en revanche, une baisse d'impôt réelle pour les entreprises car, vous l'avez répété sans cesse depuis les trois derniers mois, la mesure fiscale phare de votre projet de budget, c'est la réforme de la taxe professionnelle.

M. Alain Barrau.

Une des mesures phares !

M. Philippe Auberger.

Elle est phare mais elle n'est pas claire !

M. Gilles Carrez.

Alors, parlons de la réforme de la taxe professionnelle.

Là, monsieur le secrétaire d'Etat au budget, vous avez pris tout le monde de vitesse, à commencer par vos propres collègues du Gouvernement.

M. Philippe Auberger.

Précipitation !

M. Gilles Carrez.

Mme Aubry d'abord, qui souhaitait réamorcer la politique de baisse des charges sur les bas salaires...

M. Raymond Douyère.

Cela a déjà été fait !

M. Gilles Carrez.

... qui avait été engagée par M. Balladur et M. Juppé. C'est que, à l'évidence, comme le confirment de nombreux économistes, tel récemment Edmond Malinvaud, cette politique est efficace pour la création d'emplois.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

On ne s'en est pas rendu compte !

M. Gilles Carrez.

Mais elle ne doit pas non plus oublier les salariés, dont l'évolution du pouvoir d'achat est un facteur très important pour la santé de l'économie.

(« Bravo ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous avez donc forcé Mme Aubry à ranger cette idée au placard et à se contenter de nouvelles concertations avec les partenaires sociaux.

Mme Nicole Bricq.

Comme si on pouvait forcer Mme Aubry ! C'est bien mal la connaître !

M. Gilles Carrez.

Et elle peut constater, sans doute avec amertume, que la réforme de la taxe professionnelle c oncoctée par Bercy, coûtera la bagatelle de 300 000 francs par emploi créé,...

M. Philippe Auberger.

Ce n'est pas donné !

M. Gilles Carrez.

... si tant est que les 25 000 emplois de 1999 soient au rendez-vous.

Vous avez pris aussi de vitesse M. Chevènement - dont je me réjouis de son rapide rétablissement - qui avait su si bien comprendre les légitimes aspirations des collectivités locales.

Mme Nicole Bricq.

Sa réforme n'est pas abandonnée !

M. Gilles Carrez.

Début juillet encore, la refonte de la fiscalité locale passait par deux grandes idées : la réforme de la taxe d'habitation et la mise en oeuvre de la taxe professionnelle unique dans le cadre du projet de loi de M. Chevènement sur l'intercommunalité.

Sur ces sujets, notre collègue Edmond Hervé avait fait un excellent travail qu'il avait présenté à la commission des finances au cours du mois de juin.

A la surprise générale - le secret, je vous félicite, monsieur le secrétaire d'Etat, avait été parfaitement gardé - le 21 juillet, changement de cap radical ! On ne parle plus de réformer la taxe d'habitation, mais de supprimer la base « salaires » de la taxe professionnelle.

M. Alfred Recours.

Vous êtes contre ?

M. Robert Gaïa.

Répondez donc !

M. Gilles Carrez.

Je suis pour.

M. Daniel Marcovitch.

Dites-le haut et fort !

M. Gilles Carrez.

Mais, de grâce, ne prenez pas des vessies pour des lanternes !

M. Philippe Auberger.

C'est le miroir aux alouettes !

M. Gilles Carrez.

La révision des valeurs locatives, votée depuis 1992, ne tient lieu en aucun cas de réforme de la taxe d'habitation, comme semble vouloir vous en persuader, à bon compte, le Gouvernement !

M. Philippe Auberger.

Le Gouvernement vous gruge, messieurs !

M. Gilles Carrez.

Pas de baisse de TVA pour les ménages, pas de réforme de la taxe d'habitation.

M. Alain Barrau.

Ce n'est pas en le répétant que cela deviendra juste !

M. Gilles Carrez.

Pouvez-vous accepter un tel budget, mes chers collègues ?

M. Alain Barrau.

Ce que vous dites est faux ! Vous essayez de vous convaincre vous-même !

M. Gilles Carrez.

Mais revenons à la réforme de la taxe professionnelle. C'est une vieille idée de Bercy. Et je fais volontiers la distinction entre Bercy et le ministre.

(« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

M. Jean-Louis Idiart.

Ça devient intéressant !

M. Gilles Carrez.

Car Bercy rêve en fait soit de la disparition pure et simple de la taxe professionnelle, soit de son étatisation.

Le raisonnement des fonctionnaires de Bercy est simple : si on supprime, ou si on étatise, la part

« salaires » de la taxe professionnelle, le reste, c'est-à-dire la part « investissements », tombera à son tour quand comme un fruit mûr.

D'ailleurs, que dit le porte-parole du CNPF, M. Kessler ? Que c'est la totalité de la taxe professionnelle qui doit disparaître ; et il souligne, à juste titre, que depuis dix ans les bases « investissement » de la taxe professionnelle ont beaucoup plus vite augmenté que les bases

« salaires ». Voilà dix ans la répartition était moitiémoitié ; aujourd'hui, les salaires ne pèsent que pour un gros tiers et les investissements pour le reste.

M. Alfred Recours.

De quoi se plaint-il ?

M. Gilles Carrez.

Alors, monsieur le secrétaire d'Etat au budget quelles que soient votre bonne foi et vos convictions - et je ne doute pas de votre sincérité, ni de celle de vos successeurs -,...

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Mes successeurs ? (Sourires.)

M. Gilles Carrez.

... vous allez faire l'objet, ils feront l'objet d'une pression grandissante.

Monsieur le secrétaire d'Etat, les ministres passent, mais Bercy reste ! Nous, élus, devons garder cela en tête.

Quelle que soit votre bonne foi et votre conviction, disais-je, vous ferez l'objet d'une pression grandissante pour que cet impôt « anti-économique » sur l'entreprise...

M. Philippe Auberger.

Sur l'investissement !

M. Gilles Carrez.

... finisse par disparaître.

D'ailleurs, nous payons là, vous l'avez dit tout à l'heure, monsieur Sautter, les critiques souvent excessives que nous avons tous portées, à un moment ou à un autre, sur la taxe professionnelle, « cet impôt imbécile qui pénalise l'emploi et l'investissement ».

M. Daniel Marcovitch.

Chirac !

M. Gilles Carrez.

La réforme est donc lancée, monsieur le secrétaire d'Etat. Sa forte médiatisation depuis plusieurs mois l'a rendue populaire, en particulier auprès des PME.

Elle va donc se faire. Tant mieux pour les entreprises ! Plusieurs députés du groupe socialiste.

La voterezvous ?

M. Gilles Carrez.

J'ai un principe très simple : quand on la chance qu'une majorité socialiste...

M. Jean-Claude Lefort.

Ce n'est pas une majorité socialiste !

M. Gilles Carrez.

... une « majorité plurielle », propose une baisse d'impôts,...

M. Philippe Auberger.

Ça ne va pas durer !

M. Gilles Carrez.

... il faut s'empresser de la voter, quelle qu'elle soit ! Donc, je la voterai.

M. Alfred Recours.

Ça vous gêne quand même !

M. Gilles Carrez.

La réforme étant lancée, la vraie question est de savoir comment les collectivités locales vont être traitées.

M. Philippe Auberger et M. Jean Ueberschlag.

Elles vont être maltraitées !

M. Gilles Carrez.

Malheureusement, monsieur le secrétaire d'Etat, vous prévoyez la technique de la compensation budgétaire, c'est-à-dire de la subvention d'Etat, pour équilibrer le manque à gagner subi par les collectivités locales. Pourtant, dès le mois de juillet, l'ensemble des représentants des élus locaux ont plaidé pour le dégrèvement fiscal.

La compensation budgétaire pose un problème de principe, car, en confisquant un pouvoir fiscal autonome pour le remplacer par une subvention d'Etat, on remet en cause le principe d'indépendance des collectivités locales, on remet en cause un des fondements de la décentralisation.

M. Alfred Recours.

Arguties !

M. Gilles Carrez.

Notre Constitution n'indique-t-elle pas, dans son article 72, que les collectivités territoriales s'administrent librement ?

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Dans le cadre des lois votées !

M. Gilles Carrez.

La compensation budgétaire marque bien votre volonté de recentralisation et d'étatisation de la ressource publique locale. A ce sujet, je suis obligé de faire un rapprochement avec une autre disposition de la loi de finances pour 1999, qui est très éclairante, elle aussi. Il s'agit de la création de la taxe générale sur les activités polluantes. Cette sorte d'« écotaxe » générale sera centralisée et affectée en totalité au budget de l'Etat alors qu'elle vient remplacer tout un ensemble de taxes déconcentrées, notamment au profit de l'ADEME.

M. Daniel Marcovitch.

Ce sera de toute façon au profit de l'ADEME !

M. Gilles Carrez.

A terme, elle reprendra des taxes déconcentrées comme celles dont profitent les agences de bassin, permettant aux communes de faire des travaux qui collent à la réalité du terrain.

M. Christian Cuvilliez.

N'allez pas trop vite en besogne !

Mme Nicole Bricq.

N'anticipez pas sur l'an prochain !

M. Alfred Recours.

C'est la seule chose intéressante que vous ayez dites depuis une heure !

M. Gilles Carrez.

Au moins, vous n'aurez pas perdu votre soirée ! Cette volonté étatique de centralisation de la ressource locale ne peut que pénaliser les collectivités locales.

M. Philippe Auberger.

Bien sûr !

M. Gilles Carrez.

Je ne partage pas votre optimisme, monsieur le secrétaire d'Etat, lorsque vous affirmez que l'indexation sur les prix et la moitié de la croissance de la future compensation, comme la DGF, sera favorable aux communes.

Prenons l'exemple de 1999. Si, en 1999, la réforme s'appliquait, la compensation serait donc indexée sur les prix, à savoir 1,2 %, et la moitié de la croissance, 1,3 %, ce qui donnerait 2,5 % ? Or, dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale de votre collègue Mme Aubry, la masse salariale progresse en 1999 de 4,2 %. Ces chiffres, je ne les invente pas, ce sont les vôtres, les chiffres on ne peut plus officiels du Gouvernement. Autrement dit, dès 1999, les collectivités locales perdraient la différence entre 4,2 % et 2,5 %, c'est-à-dire 1,7 %.

M. Christian Cuvilliez.

Non ! C'est un sophisme, parce que les salaires ne pèsent que pour 30 % !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

M. Gilles Carrez.

Le système de la compensation a un autre inconvénient : il fige les situations acquises. Il va compenser à partir de salaires historiques, j'allais dire fictifs, mais cela évoque d'autres notions...

M. Alfred Recours.

Le mot est malheureux, en effet.

M. Christian Cuvilliez.

Oui, il a une certaine connotation !

M. Gilbert Meyer.

Soyez plus discrets sur ce sujet, messieurs de la majorité !

M. Gilles Carrez.

Voilà des problèmes qu'on connaît aussi rue de Solférino ! Le système de la compensation pourrait maintenir, par exemple, un droit à compensation pour des entreprises qui auraient disparu. C'est ce que nous avons tous dénoncé à propos de la dotation de compensation de la taxe professionnelle.

En revanche, la compensation sera bloquée pour les communes qui, grâce à leurs efforts dans leur politique locale de développement économique, font venir des entreprises nouvelles ou leur permettent de s'étendre.

En bref, la responsabilité et la mobilisation locale sur l'économie et l'emploi risquent d'être perturbées. C'est vraiment dommage quand on connaît tous les efforts que font, d'ailleurs de concert avec l'Etat, les élus locaux pour promouvoir l'activité économique.

Monsieur le secrétaire d'Etat, j'avoue que je ne comprends pas votre obstination à rejeter la formule du dégrèvement fiscal. En 1999, vous acceptez de façon loyale, je le reconnais, de compenser la perte des communes sur les bases 1999 réelles et multipliées par les taux de 1998, c'est-à-dire presque dans les conditions du dégrèvement fiscal.

Alors, pourquoi s'arrêter en si bonne route ? Aucun de vos arguments n'est convaincant. Ne soyez donc pas prisonnier, monsieur Sautter, de votre ministère.

Vous êtes le politique, ne partagez pas la méfiance viscérale qu'a toujours eue Bercy à l'égard des collectivités locales ! Cette méfiance est injuste et elle peut vous faire commettre une erreur politique majeure car si beaucoup d'élus locaux, toutes sensibilités confondues, se battent aujourd'hui pour la formule du dégrèvement fiscal plutôt que pour la compensation, c'est parce qu'ils savent qu'une mauvaise compensation nous condamnerait à augmenter les impôts des ménages, c'est-à-dire la taxe d'habitation et l'impôt foncier bâti.

C'est notre crainte, monsieur le secrétaire d'Etat, car les charges des collectivités locales vont être très lourdes dans les prochaines années.

Nous aurons à financer les accords salariaux que vous avez signés en février dernier, ainsi que les effets des normes, problème qui n'est toujours pas résolu. Nous aurons à financer la montée des dépenses sociales. Si vous retirez la taxe professionnelle aux collectivités locales, quel autre choix auront-elles que d'augmenter les impôts des ménages ?

M. Alfred Recours.

Déconnexion des taux !

M. Gilles Carrez.

A moins que le Gouvernement n'accepte de supprimer la liaison entre les taux desdits impôts et de la taxe professionnelle.

M. Daniel Marcovitch.

Par exemple !

M. Gilles Carrez.

Mais alors, il faut le dire très vite aux entreprises. Il faut qu'elles sachent ce qui les attend dans ce budget 1999.

Il faut aussi les prévenir - vous ne l'avez pas suffisamment fait - que la réforme de la taxe professionnelle va en réalité conduire un nombre non négligeable d'entreprises à payer davantage de taxe professionnelle, et cela dès 1999.

M. Alfred Recours.

N'importe quoi !

M. Gilles Carrez.

Vous avez eu tort de ne pas informer clairement sur cet aspect de la réforme. Je suis donc obligé de le faire ce soir.

M. Alfred Recours.

Vous auriez dû mobiliser les médias sur le sujet plutôt que sur le PACS !

M. Gilles Carrez.

D'abord, en deux ans, c'est-à-dire d'ici à l'an 2000, la réduction pour embauche et investissement va être supprimée - 1,8 milliard d'économies en 1999. C'était pourtant une bonne disposition, qui permettait d'amortir les effets sur la taxe professionnelle d'une augmentation de l'emploi et de l'investissement de l'entreprise. Il me semble qu'elle sera encore plus nécessaire lorsque ne subsistera que la base « investissement ».

Sinon, nous aurons une véritable révolte des entreprises, ce qui confirme d'ailleurs mon inquiétude sur l'avenir à terme de la taxe professionnelle.

Quant au triplement, dès 1999, de la cotisation minimale de taxe professionnelle à la valeur ajoutée, il est certainement un peu rapide, d'autant que vous n'avez prévu aucun amortisseur pour le ralentir. Je suis d'accord dans son principe avec cette mesure, mais je regrette profondément, une fois de plus, que le produit de cette taxe soit affecté exclusivement au budget de l'Etat.

La multiplication par 2,5 en 1999, par 3 après 2000, de la cotisation nationale de péréquation aura la même brutalité.

M. Gilbert Meyer.

Exact !

M. Gilles Carrez.

Son produit aussi est confisqué au profit du budget de l'Etat. C'est encore plus anormal que pour la taxe minimale, puisque, depuis toujours, les cotisations nationales de taxe professionnelle acquittées par les entreprises qui sont dans des communes où le taux est plus bas que la moyenne ont été affectées au Fonds national de péréquation de la taxe professionnelle.

M. Gilbert Meyer.

Pour être redistribuées !

M. Gilles Carrez.

L'Etat se les accapare. C'est inadmissible ! Enfin, je trouve regrettable que la réforme de la taxe professionnelle ne conduise à aucune amélioration de la péréquation entre les communes, alors que les écarts de richesse ne font que se creuser et que l'inégalité dans l'impôt local et dans la qualité du service public ne fait que s'accroître.

Beaucoup d'entreprises, en toute innocence, en toute crédulité, s'attendent à bénéficier d'une baisse de taxe professionnelle en 1999. Comment réagiront-elles quand elles subiront en réalité une augmentation, et parfois très forte ? Il faudra, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous déployiez tout votre art de la conviction dans les prochains mois, en tout cas à la fin de l'année 1999 quand les feuilles d'impôt tomberont.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Aucun problème !

M. Gilles Carrez.

Pour en terminer avec les collectivités locales, particulièrement mal traitées dans ce budget pour 1999, je vais évoquer rapidement la transformation du pacte de stabilité en pacte de croissance et de solidarité.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

C'est un véritable abus de langage, monsieur le secrétaire d'Etat, que de parler de croissance quand vous n'acceptez d'indexer en 1999 les dotations de l'Etat que sur 15 % de la croissance. Une vraie misère ! Cela entraîne une diminution de 11 % de la dotation de compensation de la taxe professionnelle - 1,5 milliard.

Comme vous prévoyez de limiter cette baisse pour les communes défavorisées qui perçoivent la DSU, la diminution sera de 17 % pour les autres communes, et en particulier les communes rurales. A moins que le président de la commission des finances, qui a toujours été un ardent défenseur du lobby rural, arrive à glisser un amendement en leur faveur. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Tant mieux pour elles ! Mais plus ce type d'amendement sera voté, plus les communes qui ne percevront ni DSU, ni DSR, ni ceci, ni cela, subiront une baisse. Je ne vois pas comment nos collègues maires, dans cette situation, pourront faire face à un tel désengagement de l'Etat.

Alors, c'est simple, la seule manière de ne pas faire baisser la dotation de compensation à la taxe professionnelle consiste à indexer, dès 1999, les concours de l'Etat sur les prix plus 50 % de la croissance. Ce serait cela un véritable pacte de croissance et de solidarité.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Pourquoi ne l'avez-vous pas fait avant ? Vous êtes en pleine contradiction !

M. Gilles Carrez.

En tout cas, c'est la demande unanime de l'Association des maires de France, et, vous y étiez, mon cher collègue Bonrepaux, du comité des finances locales.

M. Philippe Auberger.

Il a avalé son chapeau depuis !

M. Gilles Carrez.

Bref, c'est la demande de tous les élus locaux qui suivent ces questions.

C'est aussi cohérent avec l'indexation de la dotation globale de fonctionnement, qui, je le rappelle, porte aussi sur la moitié de la croissance et la totalité des prix.

Aussi - j'y reviens une dernière fois - ce contexte difficile pour les collectivités locales devrait vous inciter, monsieur le secrétaire d'Etat, à enfin nous écouter et à accepter, au cours du débat budgétaire, les amendements visant à transformer la compensation budgétaire en dégrèvement fiscal.

M. Alfred Recours.

Alors, il faut rejeter la question préalable !

M. Gilles Carrez.

Pour récapituler le volet fiscal de ce projet de loi de finances, on peut donc dire que, en dépit des 75 milliards de recettes fiscales supplémentaires prélevées sur les ménages et sur les entreprises depuis votre arrivée au pouvoir en juin 1997, en dépit de la soixantaine de milliards de recettes spontanées en plus,...

M. Alfred Recours.

Spontanées ? Spontanées ?

M. Gilles Carrez.

... liées au retour de la croissance, les ménages ne vont en vérité bénéficier d'aucune baisse d'impôt en 1999 et les entreprises ne bénéficieront que d'une baisse très limitée, de l'ordre de 5 milliards sur la taxe professionnelle, à laquelle s'ajoute - c'était une mesure de 1998 - le crédit d'impôt pour création d'emplois, pour 3 milliards de francs.

Comment est-il donc possible, avec un tel volant de recettes fiscales supplémentaires, de parvenir à ne pratiquer aucune baisse d'impôts ? Est-ce parce que les marges de manoeuvre vont être utilisées autrement pour financer quelques réformes de structure dont notre pays a tant besoin ? Non ! De ce point de vue, c'est le néant.

Est-ce pour réduire fortement le déficit de l'Etat et faire baisser l'endettement de la nation ? Non plus, car le déficit baisse peu et la dette, M. Strauss-Kahn l'a reconnu lui-même tout à l'heure, va continuer de progresser en 1999.

La vérité - et nous sommes au coeur des choix politiques, idéologiques, de ce budget -, c'est que la dépense publique reprend sa course.

M. Christian Cabal.

C'est du Rocard !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Et vous proposez de l'accroître encore !

M. Gilles Carrez.

Par rapport à toute l'Europe socialiste, travailliste, sociale-démocrate...

M. Alfred Recours.

Ça, c'est tout de même un événement !

M. Gilles Carrez.

... là est la singularité, là est la véritable exception française.

La dépense publique dans le budget pour 1999 augmente donc trois fois plus vite que les prix. C'est le véritable ordre de grandeur ! Les dépenses augmentent en effet de 2,3 % et l'inflation a été évaluée à 1,2 % alors que vous savez parfaitement qu'elle sera largement en dessous de 1 %. C'est vous-même qui, il y a quelques jours, avez parlé dans une réunion publique de déflation.

Si l'on envisage une hypothèse réaliste d'une inflation contenue autour de 0,8 %, c'est bien trois fois plus vite que l'inflation qu'augmenteront les dépenses publiques, dans un pays où la dépense publique et sociale accapare déjà 54 % de la richesse nationale.

Délibérément, vous tournez le dos à la plus nécessaire, la plus urgente des réformes avec celle des retraites, je veux parler de la réforme de l'Etat.

Pour illustrer mon propos, je vais examiner ce que propose votre budget pour 1999 à la fois sur les effectifs de fonctionnaires et sur leurs rémunérations, qui constituent plus de 40 % des dépenses - plus de 600 milliards de francs.

Il est, d'ailleurs, tout à fait stupéfiant de voir à quel point, sur les problèmes d'effectifs budgétaires, les documents que propose le Gouvernement sont limités, insignifiants...,

M. Philippe Auberger.

Indigents !

M. Jean Ueberschlag.

Quand ils ne sont pas falsifiés !

M. Gilles Carrez.

... et absolument impraticables si l'on veut parler sérieusement des choses. Il faut donc se renseigner ailleurs.

Le seul tableau dont nous disposons fait apparaître un solde nul pour les emplois civils : 2 358 créations pour 2 358 suppressions.

Ces redéploiements sont dérisoires par rapport aux 1 681 577 effectifs budgétaires. Pour la sécurité, pour l'enseignement dans les lycées, par exemple, si le Gouvernement avait une politique plus courageuse, les redéploiements devraient être beaucoup plus importants.

M. Alfred Recours.

Que ne l'avez-vous fait ?

M. Christian Cabal.

On l'a fait !

M. Gilles Carrez.

Est-il normal, alors qu'on assiste depuis six ou sept ans à une baisse rapide des effectifs scolaires en maternelle, en primaire et déjà dans le pre-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

mier cycle du second degré, que l'Etat soit incapable de faire face à l'augmentation du nombre d'élèves dans les lycées qu'on aurait pu prévoir depuis longtemps ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Ueberschlag.

Tout à fait !

M. Jean-Claude Lefort.

Ça, je vous le ressortirai !

Mme Nicole Bricq.

Vous êtes les premiers à vous battre pour la fermeture de classes dans le primaire ! Alors, pas de démagogie !

M. Gilles Carrez.

Et vos chiffres d'effectifs budgétaires sont-ils sincères quand on sait que plusieurs milliers de postes de maîtres d'internat ou de surveillants d'externat ne sont pas budgétés ? Est-ce acceptable que, pour la sécurité des Français, et contrairement à ce que vous disiez tout à l'heure, les effectifs de police soient en chute libre...

M. Alfred Recours.

Vous êtes contre la création d'emplois !

M. Gilles Carrez.

... et que le nombre des adjoints de sécurité soit loin de remédier à la disparition progressive des policiers auxiliaires ?

M. Alfred Recours.

Vous êtes pour ou contre les créations de postes de fonctionnaire ?

M. Gilles Carrez.

Mon cher collègue, je suis pour un

Etat efficace dans ses véritables missions que sont l'éducation nationale et la sécurité, mais, tel que vous l'organisez aujourd'hui, il ne remplit pas ses missions.

M. Robert Gaïa.

Vous voulez supprimer des postes !

M. Alfred Recours.

Où les prend-on ?

M. Gilles Carrez.

Enfin, vos chiffres passent totalement sous silence le fait que 60 000 fonctionnaires environ partent à la retraite et qu'ils sont remplacés quasi automatiquement, presque nombre pour nombre, quelles que soient les tâches administratives auxquelles ils sont affectés.

Cette gestion immobiliste de la fonction publique illustre la démission du Gouvernement face à la réforme pourtant urgente de l'Etat.

Redéploiements rapides vers les missions prioritaires de l'Etat, remplacements partiels des départs à la retraite en fonction des besoins, intéressement des fonctionnaires à la qualité du service, avancements et promotions au mérite, tels doivent être les grands axes d'une gestion rénovée de la fonction publique. Pourquoi serions-nous incapables de réformer, comme le font actuellement nos voisins britanniques et allemands ? L'enjeu est considérable. L'effort demandé à la nation est gigantesque. Savez-vous, mes chers collègues, que l'accord de la fonction publique de février 1998, l'accord Zuccarelli, va coûter, en l'an 2000, pour les trois fonctions publiques réunies,...

M. Alfred Recours.

Il veut des policiers, mais il ne veut pas les payer. Il veut des infirmières, mais il ne veut pas les payer. Il veut des enseignants, mais il ne veut pas les payer.

M. Gilles Carrez.

...

Etat, collectivités locales, fonction publique hospitalière, 40 milliards de francs, c'est-à-dire un demi-point de produit intérieur brut ? C'est ce que souligne notre collègue Migaud dans son rapport sur le débat d'orientation budgétaire.

Pour un tel effort, la nation est en droit d'avoir des exigences de qualité dans le service public.

M. Alfred Recours.

Ça, c'est vrai !

M. Gilles Carrez.

Les a-t-elle dans le domaine de la sécurité ? Absolument pas, en ces jours où le Gouvernement demande aux agents de la RATP et de la SNCF de contrôler les identités, la police n'étant pas capable de le faire.

M. Alfred Recours.

Il faut donc plus de fonctionnaires !

M. Gilles Carrez.

Sur ce sujet capital de la fonction publique, nous revivons actuellement le même immobilisme, la même absence de courage que dans la période 1988-1992.

M. Alfred Recours.

Il avait pourtant dit qu'il serait court !

M. Gilles Carrez.

Souvenez-vous, chers collègues, Lionel Jospin était ministre de l'éducation nationale.

Mme Nicole Bricq.

Très bon ministre !

M. Gilles Carrez.

Les rémunérations des enseignants ont été fortement revalorisées, notamment celles des instituteurs. Et ce rattrapage était nécessaire. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Nicole Bricq.

Quand même !

M. Gilles Carrez.

Mais pourquoi le ministre de l'époque et le Gouvernement ont-ils capitulé sans même livrer bataille lorsque, en contrepartie de ces augmentations de salaire, il aurait fallu parler de nouvelles obligations de service, de rénovation de l'enseignement ?

Mme Nicole Bricq.

Parce que Bayrou l'a fait, ça, peutêtre ?

M. Gilles Carrez.

Comme ce fut malheureusement le cas à l'époque, le gouvernement d'aujourd'hui va-t-il à son tour renoncer à tout effort de réforme face aux forteresses syndicales de la fonction publique ?

M. Alfred Recours.

Il n'aime pas les pauvres, il n'aime pas les enseignants, il n'aime personne !

M. Gilles Carrez.

Pourtant, l'accord salarial de février d ernier est généreux, et il mériterait, vis-à-vis de l'ensemble des Français, des contreparties dans la qualité du service rendu.

Cet accord, rappelons-le, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est 1,3 % de revalorisation indiciaire en 1998, à nouveau 1,3 % en 1999, auxquels s'ajoute, et tout le monde l'oublie, le GVT, c'est-à-dire les avancements automatiques, qui, en pratique, font presque doubler la mise.

Pour la seule fonction publique d'Etat, le coût de l'accord salarial va s'élever à 15 milliards de francs dans le budget de 1999. Comment ne pas rapprocher ces 15 milliards de francs supplémentaires de votre refus de poursuivre la baisse de l'impôt sur le revenu, et de votre refus probable d'accepter l'amendement du groupe socialiste proposant une baisse de TVA sur les travaux d'entretien dans le logement ?

M. Alfred Recours.

Très bon amendement !

M. Gilles Carrez.

Le manque de courage et de volonté de ce budget est aussi illustré par la faiblesse des économies et de redéploiements de crédits entre les ministères.

Les économies réelles portent sur moins de 15 milliards de francs, moins de 1 % du total des dépenses. Elles sacrifient l'investissement, dont les crédits pour l'équipement civil diminuent de 0,3 % et stagnent à 72 milliards de francs.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

Le budget des routes, par exemple, est complètement sacrifié, et je me demande dans ces conditions ce que peut bien vouloir dire l'idée du Premier ministre d'engager un grand emprunt pour financer des travaux nouveaux. C'est totalement inconséquent !

M. Alain Barrau.

Ce n'est pas en insistant que vous rendez la cause plus juste.

M. Gilles Carrez.

Les redéploiements entre budgets sont également très limités, 16 milliards de francs, et le Gouvernement les présente comme des économies, ce qui est tout à fait contestable.

Quant aux budgets prioritaires, le Gouvernement n'en distingue pas moins de onze, ce qui dilue singulièrement la notion de priorité. Par exemple, la priorité des priorités que vous évoquiez tout à l'heure, la politique de la ville, affichée en hausse de 33 %, consiste à doter ce ministère de seulement 250 millions de francs de plus en valeur absolue.

M. Alfred Recours.

Il n'aime pas les banlieues non plus.

(Rires sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Gilles Carrez.

De même, la priorité affichée pour l'environnement, une hausse de 15 %, se limite à 280 millions de francs. Moi qui suis un député de banlieue, un député de zone franche (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), je trouve que le quasi-oubli de la politique de la ville depuis juin 1997, le fait que ce ministère ne soit doté que de 250 millions de francs supplémentaires,...

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Ce n'est pas vrai.

M. Gilles Carrez.

... c'est une véritable honte. Alors que les problèmes sont extrêmes - il suffit d'aller dans nos circonscriptions pour s'en rendre compte -,...

Mme Nicole Bricq.

On connaît.

M. Gilles Carrez.

... vous vous limitez à une augmentation de 250 millions. Comment va-t-on poursuivre les actions dans cette zone franche du Bois-L'Abbé, située dans ma circonscription, où l'on commençait à reprendre espoir,...

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Ils l'ont perdu avec vous.

M. Gilles Carrez.

... avec une telle démission ?

M. Alfred Recours.

Il leur faut un député socialiste. Ça ira mieux !

M. Gilles Carrez.

Il n'est guère étonnant que les priorités sectorielles de ce projet de budget n'apparaissent pas véritablement car une grande partie des marges de manoeuvre promises par les 75 milliards de recettes fiscales supplémentaires de 1999 sont affectées à la hausse des dépenses de personnel, je l'ai déjà évoqué, mais égal ement à ces quasi-emplois publics que constituent les emplois jeunes.

M. Alfred Recours.

Il est aussi contre les jeunes.

M. Gilles Carrez.

Le budget de l'enseignement scolaire, par exemple, passe de 286 à 298 milliards de francs, sous l'effet principalement de la création de 60 000 emplois jeunes en milieu scolaire : 350 000 emplois jeunes à terme, cela fait une charge en plus de 35 milliards de francs sur les budgets des années à venir.

Si l'on ajoute les 3 à 5 milliards de francs destinés à financer les 35 heures, et la majoration de crédits pour la lutte contre l'exclusion, les ordres de grandeur de ce budget apparaissent à l'évidence. La hausse des recettes fiscales liées à la croissance, de 75 milliards, finance en réal ité une hausse de dépenses potentielle d'environ 50 milliards, une baisse du déficit de seulement 21 milliards et une diminution cosmétique des impôts, 4 ou 5 milliards, au profit des seules entreprises.

On est donc très loin de la règle dite des trois tiers vantée par M. Strauss-Kahn. Les surplus de la croissance devaient se répartir harmonieusement : un tiers pour les dépenses supplémentaires, un tiers pour la réduction du déficit et un tiers pour les allégements d'impôt. En réalité, près des deux tiers des produits de la croissance vont gonfler la dépense publique et seulement un tiers diminuera le déficit et l'impôt acquitté par les Français.

Quel contraste avec les déclarations de M. Schrder d'il y a deux jours ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Idiart.

Ah ! si on avait un Schrder en France !

M. Alfred Recours.

Si Carrez était Allemand, il aurait voté Schrder !

M. Christian Cabal.

Il diminue les impôts !

M. Gilles Carrez.

La politique budgétaire et fiscale de la France est en train de devenir une véritable singularité dans l'Europe socialiste. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alfred Recours.

Un bon socialiste est un socialiste étranger !

M. le président.

Mes chers collègues, je vous en supplie, laissez terminer M. Carrez.

M. Gilles Carrez.

Moi, j'ai toute la nuit, mes chers collègues, si vous voulez ! Plusieurs députés du groupe socialiste.

Nous aussi !

M. Gilles Carrez.

Comme vous m'écoutez avec grande attention, je ne vais pas m'en priver.

M. Alfred Recours.

C'est un tel plaisir de vous entendre !

M. le président.

Vous l'aurez voulu ! (Sourires.)

M. Philippe Auberger.

Les grands discours à la Douma, monsieur le président, cela dure quatre ou cinq heures !

M. Gilles Carrez.

Mais surtout, on le voit, toutes ces dépenses de fonctionnement, de frais de personnel qui engagent durablement l'Etat et réduisent ses capacités d'adaptation sont de véritables bombes à retardement, tels les emplois jeunes,...

M. Alfred Recours.

Il est contre les jeunes !

M. Laurent Dominati.

Pour l'instant, ils sont dans la rue, contre vous !

M. Gilles Carrez.

... qui mettront les gouvernements d'après 2002, quels qu'ils soient, en grande difficulté.

Que deviendront-ils, ces jeunes, sinon de nouveaux fonctionnaires qu'il faudra titulariser dans la douleur...

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Mais non !

M. Gilles Carrez.

... selon un scénario auquel, hélas ! nous sommes déjà accoutumés ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Ueberschlag.

Vous les méprisez les jeunes ! Ils sont dans la rue, contre vous !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

M. Alfred Recours.

Ils jugent vos lycées !

M. Jean Ueberschlag.

Arrêtez de les prendre pour du bétail.

M. le président.

Poursuivez, monsieur Carrez, et terminez !

M. Gilles Carrez.

Alors, vous nous direz, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'à chaque jour suffit sa peine et que 2002 est bien loin. C'est 1999 qui nous occupe ce soir, et c'est demain. Or votre budget place la France dans une situation d'extrême fragilité en cas de retournement brutal de conjoncture.

Mme Nicole Bricq.

On dirait que vous le souhaitez !

M. Gilles Carrez.

Non, je ne le souhaite pas ! Je le regrette.

Votre budget n'est pas contracyclique, puisqu'il ne baisse pas l'impôt et qu'il alourdit l'Etat.

Votre budget est vulnérable à une chute des recettes prévue car vous serez incapable, dans l'adversité, de geler ou d'annuler des dépenses irrémédiablement engagées par les hausses de salaires et les dizaines de milliers de recrutements d'emplois-jeunes.

Si, hélas ! nous devions subir une baisse des recettes et la rigidité des dépenses de ce budget, c'est le décifit qui se creuserait inévitablement en cas de coup dur.

Déjà, votre ambition de réduire de 21 milliards de francs le déficit, à 236 milliards, est extrêmement limitée, surtout si on la compare à ce que pourrait être, à ce que devrait être, le déficit de 1998 corrigé par la prochaine loi de finances rectificative. Vous avez récemment déclaré publiquement qu'il fallait s'attendre à une douzaine de milliards de francs de recettes supplémentaires en 1998, par rapport à la loi de finances initiale. Comme cela se ferait partout en Europe, ces 12 milliards de francs devraient être utilisés à diminuer le déficit, qui est beaucoup trop élevé. Dès lors, celui-ci devrait être de 245 milliards.

M. Alfred Recours.

C'est tout de même moins que 300 milliards !

M. Gilles Carrez.

Que nous proposez-vous pour 1999 ? De passer de 245 milliards à 236 milliards. Baisse du déficit réel : 9 milliards de francs. Une diminution aussi limitée est vraiment peu responsable, monsieur le secrétaire d'Etat. Elle démontre à l'évidence que la priorité du Gouvernement n'est ni la baisse des impôts des Français, ni la réduction du déficit, mais exclusivement la relance de la dépense publique.

J'ajoute que la réduction du besoin de financement des administrations publiques à 2,3 % du PIB en 1999 se fait grâce à des prévisions d'excédents optimistes en ce qui concerne aussi bien les collectivités locales que les organismes de sécurité sociale. Notre collègue Jégou l'a dit tout à l'heure : si on ne tient compte que du déficit de l'Etat et qu'on annule la participation positive des collectivités locales et des organismes de sécurité sociale, le déficit de l'Etat représente à lui seul 2,7 points de PIB en 1999. Nous battons à nouveau tous les records en Europe ! La conséquence est que l'endettement public va continuer de s'accroître, passant de 58,2 % à 58,7 % du PIB, et que le service de la dette va progresser en 1999.

J'ai d'ailleurs noté que Dominique Strauss-Kahn n'a parlé de réduction de l'endettement et du poids de la dette qu'à l'horizon 2000. Demain, en 1999, on rase gratis ! Vous travaillez donc sans filet, monsieur le secrétaire d'Etat.

Mme Nicole Bricq.

C'est un artiste ! (Sourires.)

M. Gilles Carrez.

Tout retournement de conjoncture peut vous être fatal. Je l'ai dit et je le répète, je ne souhaite pas, pour la France, un scénario catastrophe, comme en 1992. Je ne souhaite pas que, avec une prévision de 170 milliards, on se retrouve avec un déficit constaté de 340 milliards. Mais nous serions tous beaucoup plus rassurés si vous aviez su baisser les impôts pour les ménages et la consommation, si vous aviez décidé de maîtriser la dépense publique, si vous aviez réduit le déficit dans les proportions nécessaires.

M. Dominique Baert.

C'est bien d'y penser quatre ans après !

M. Gilles Carrez.

Le projet de budget pour 1999 révèle un immobilisme destructeur à terme. Il n'engage aucune des réformes urgentes, ni celle de l'Etat ni celle des retraites, à commencer par le régime public et les régimes spéciaux.

Il prépare à la France des lendemains difficiles en nous éloignant de nos partenaires européens.

M. Dominique Baert.

De Schrder, par exemple ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gilles Carrez.

Dans un contexte international incertain, c'est un budget manifestement décalé, un budget inopportun. C'est pourquoi, au nom du groupe RPR, je demande à tous mes collègues d'adopter cette question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire au budget.

M. Christian Sautter, le secrétaire d'Etat au budget.

Je serai bref, monsieur le président, compte tenu de l'heure.

M. Carrez nous a fait un exposé...

M. Jean Ueberschlag.

Remarquable !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

... très curieusement décousu, sauf peut-être en ce qui concerne les collectivités locales, et bourré de contrevérités.

J'en relèverai quelques-unes. Ces prévisions ne sont pas vieilles de six mois, elles datent du mois d'août. M. Carrez prétend, par ailleurs qu'il n'y aura pas de baisse des impôts. Il s'est livré à une alchimie normale à minuit, mais qui a dégagé plus de fumée que de clarté. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) La réalité des chiffres, il suffit de se reporter au rapport du rapporteur général, c'est une baisse des impôts de seize milliards de francs, soit 0,2 % du PIB...

M. Jean Ueberschlag.

Ce sont des mots !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

... mais là n'est pas l'essentiel.

Vous avez parlé, M. Carrez, de « budget décalé ». Il n'y a pas un décalage, mais une différence fondamentale.

Lorsque vous parlez de l'environnement international, vous dites que nous sommes dans l'oeil du cyclone. Vous vous référez à des images naturelles évoquant la fatalité.

Vous, vous croyez que le monde est fatalité ; nous, nous pensons qu'il est volonté ! (« Très bien ! » sur les bancs du g roupe socialiste.) Volonté de croissance en France, volonté de croissance en Europe, volonté de solidarité dans notre pays.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

Lorsque vous parlez des familles, c'est sur la majoration de l'ISF, qui concerne un petit nombre de familles aisées, que vous êtes le plus éloquent.

Je profite de l'occasion pour rappeler que la majoration du quotient familial, qui va prendre 3,9 milliards de francs aux familles, compense, mais insuffisamment, un versement d'allocations familiales à hauteur de 4,7 milliards.

M. Jean Ueberschlag.

Vous n'aimez pas les familles ! Toute votre politique le démontre !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Si, nous les aimons.

La preuve, c'est que nous avons suivi les recommandations des associations familiales, et ce sont elles qui nous ont demandé de diminuer le quotient familial.

M. Jean Ueberschlag.

C'est un sophisme ! Vous n'aimez pas les familles !

M. Alfred Recours.

Vous, vous aimez les familles riches et les héritages !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Vous avez parlé très rapidement de la consommation et vous vous êtes inquiété, monsieur Carrez, de la consommation de Noël.

Dois-je vous rappeler que, dimanche soir, le Salon mondial de l'automobile s'est achevé après avoir attiré 1 200 000 visiteurs, 100 000 de plus qu'en 1992 ?

M. Jean Ueberschlag.

Quel rapport ?

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Que les commandes d'automobiles ont progressé de 21 % depuis un an, que les achats d'équipement des foyers ont progressé de 6 % ? Nous, nous croyons que la consommation populaire est le véritable moteur de la croissance. C'est pourquoi nous avons diminué la TVA de 10 milliards de francs, alors que M. Juppé l'avait accrue de 60 milliards de francs. Du moins avait-il eu le courage de reconnaître qu'il y était allé trop lourdement. A cette diminution de 10 milliards de francs de la TVA, il faut ajouter les 11 milliards de francs de transfert des cotisations d'assurance maladie sur la contribution sociale généralisée.

Quant à la taxe professionnelle, nous aurons l'occasion d'en reparler. La différence entre nous, c'est que vous lisez les bulletins du CNPF, et que nous écoutons les aspirations du pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Philippe Auberger.

Nous avons été élus, pas vous !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Est-ce le CNPF qui a recommandé une surtaxe de 15 % sur l'impôt sur le bénéfice des sociétés ? Est-ce le CNPF qui a demandé que les plus-values soient taxées au taux normal ? Est-ce le CNPF qui, dans la loi de finances pour 1999, réduit l'avoir fiscal payé aux entreprises ?

M. Jean Ueberschlag.

Ce sont des fonctionnaires qui nous donnent des leçons ! Faites-vous élire, monsieur le secrétaire d'Etat !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Je vais y songer, c'est un bon conseil. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.) Nous sommes attentifs aux petites et moyennes entreprises ; vous, vous pensez seulement à certaines grandes entreprises.

On peut cependant tirer une conclusion rassurante de votre exposé, monsieur Carrez : c'est qu'il y a une droite et une gauche. Il y a une différence entre nous ; ce n'est pas un décalage, c'est une véritable différence de conception de la société. Il faut rejeter cette question préalable, qui a été défendue de façon confuse, partielle et partiale.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur général.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

L'argumentation de notre collègue Gilles Carrez a précisément montré qu'il y avait lieu à débat, et j'invite pour cette raison l'Assemblée à repousser la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Dans les explications de vote sur la question préalable, la parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq.

A cette heure tardive, nous n'allons pas développer une contre-argumentation, car nous avons la discussion générale et la discussion des articles, mais je répondrai sur quatre points aux critiques de l'opposition, en rappelant quelques évidences.

Vous avez été très pessimiste, monsieur Carrez, en ce qui concerne sur la croissance. On a vraiment l'impression que vous vous complaisez dans une vision cauchemardesque de la France et de l'Europe, mais la réalité des indicateurs vous donne tort !

M. Gilles Carrez.

Faux !

M. Jean Ueberschlag.

Vous avez certainement écrit votre discours avant que M. Carrez ne s'exprime !

Mme Nicole Bricq.

Etes-vous bien qualifiés, vous qui avez commis la faute économique et politique majeure de casser la reprise qui s'amorçait en 1995 ? Vous nous reprochez en second lieu une absence de vision d'avenir. Mais êtes-vous autorisés à manier cet argument, vous qui déclariez il y a dix mois que le budget de 1998 serait infaisable, et il y a un an, que nous serions rattrapés au tournant en 1999 ? En réalité, vous voulez toujours avoir un an d'avance, mais votre myopie vous conduit à être toujours en retard sur la réalité.

Quant à la pression fiscale, vous l'avez augmentée considérablement, et de la manière la plus injuste qui soit, quand vous étiez aux responsabilités.

M. Philippe Auberger.

Vous continuez !

Mme Nicole Bricq.

Vous n'êtes même pas d'accord entre vous sur ce point !

M. Jean Ueberschlag.

Elle est nulle !

Mme Nicole Bricq.

J'ai lu les contre-projets budgétaires de M. Madelin, les déclarations des uns et des autres. Les diverses factions de la droite ne sont même pas d'accord entre elles pour opérer une diminution des prélèvements obligatoires alors que nous, nous la voulons, et que nous la faisons en 1999.

Quatrième point : la baisse des charges. Vous l'opposez, par habileté, voire malignité politique (Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République), à la réforme de la taxe professionnelle.

Vous savez bien que c'est une question délicate, qui mérite réflexion et concertation, et que cette réforme n'est pas contradictoire avec celle de 1999.

En réalité, vous avez du mal à admettre que ce budget possède deux qualités essentielles : il est de gauche et il est réaliste (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert),...

M. Gilbert Meyer.

Pas du tout !

Mme Nicole Bricq.

... et cela ne fait pas partie de votre univers mental.

M. Jean Ueberschlag.

Elle est vraiment nulle !

Mme Nicole Bricq.

C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste votera contre votre question préalable.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Laurent Dominati.

M. Laurent Dominati.

Contrairement aux orateurs précédents, j'ai jugé l'exposé de Gilles Carrez excellent,...

M. Jean-Yves Gateaud.

Vous venez d'arriver !

M. Laurent Dominati.

... même si je l'ai trouvé un peu incomplet. Il y avait en effet encore beaucoup à dire, et nous le ferons demain. L'exposé de Jean-Jacques Jégou était lui aussi excellent.

La démonstration de M. le secrétaire d'Etat est un peu courte lorsqu'il affirme : « Nous baissons les impôts. »

Gilles Carrez a démontré que la pression fiscale augmentait plus que la croissance, si l'on tenait compte de l'effet prix. Comment pouvez-vous prétendre que vous diminuez les prélèvements obligatoires avec des recettes fiscales en augmentation de 4 2 %, alors que le taux de croissance est de 3,8 % en prenant en compte l'inflation ? C'est bien beau de nous dire ça, mais si l'on s'en tient aux chiffres objectifs que vous nous communiquez, on s'aperçoit, je le répète, que la pression fiscale augmente de 4,2 % et que la croissance, y compris l'inflation, augmente de 3,8 %. Comment pourriez-vous arriver, dans ces conditions, à nous expliquer que vous diminuez les impôts ? Ça me paraît assez difficile. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Quel que soit votre nombre, mes chers collègues, vous ne pourrez pas couvrir par vos cris ce que je dis : l'affirmation de M. le secrétaire d'Etat est totalement inexplicable ! Gilles Carrez a dit aussi que ce budget était décalé. Je sais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous pensez que le Gouvernement est parfait ; mais vous avez élaboré ce budget avant la crise mondiale, et vous présentez le même après la crise. Ne s'est-il donc rien passé dans le monde ? N'avez-vous rien vu, rien lu, rien entendu ?

M. Christian Cuvilliez.

Si : la création de DL !

M. Laurent Dominati.

Ce budget est-il à ce point parfait qu'il soit adaptable à toutes les conjonctures internationales ? Est-ce sérieux de le prétendre ? Gilles Carrez a eu raison de souligner qu'il était décalé, car vous ne pouvez pas, honnêtement, dire la même chose aujourd'hui qu'il y a trois mois. Ou alors, vous saviez - et vous devez être milliardaire si vous avez bien spéculé - car je ne connais personne qui ait prévu ce coup de tabac sur toutes les places financières internationales, mis à part quelques libéraux, comme nous, qui disaient que nous étions dans une phase de dépression déflationniste.

M. Strauss-Kahn s'appuie sur les chiffres du FMI et de l'INSEE. Ceux de l'INSEE, qui sont très aimables pour vous, indiquent qu'à la fin de l'année le rythme de la croissance sera de 2,5 %. J'espère que ce chiffre sera un peu, voire nettement supérieur. Mais enfin, un budget, contrairement à ce que répètent nos collègues socialistes, pour s'en convaincre peut-être, n'est ni de droite ni de gauche ; il est ou n'est pas efficace.

M. Yves Tavernier.

Ça, c'est du « blairisme » !

M. Jean-Louis Idiart.

Si ! Il y a des budgets de gauche !

M. Laurent Dominati.

C'est d'ailleurs un Premier ministre travailliste qui l'a rappelé à cette tribune il y a quelque temps.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance).

Il n'y a pas, je le répète, des budgets de gauche ou des budgets de droite, il y a simplement des budgets sincères et efficaces et des budgets faux, qui ne sont pas efficaces.

Le vôtre est bâti sur des hypothèses totalement dépassées.

Vous avez parlé hier sur LCI de décollage. Mais c'est celui du lutteur dont les pieds commencent à décoller sous l'effet du coup qu'il a reçu ! C'est le décollage avant la chute ! (Rires sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

On ne peut pas parler de décollage quand la croissance, y compris selon l'INSEE, baisse ! Vous vous rattrapez en disant que M. Carrez reprend les propos du CNPF, des grands, des riches, et que vous, c'est le peuple, c'est les pauvres ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

A l'aube du

XXIe siècle, vous reprenez ce discours d'avant-guerre, voire plus archaïque encore ! (Exclamations sur les mêmes bancs.)

Excusez-moi, mais les ministres qui ont été soutenus par le CNPF sont dans votre gouvernement, ils ont même été financés par lui et sont très proches de vous. Il y en avait même un tout à l'heure au banc du Gouvernement. Alors, ne parlez pas de cette façon des députés de l'opposition. Moi, je n'ai jamais été soutenu par le CNPF, mais ce n'est pas le cas dans votre gouvernement.

Je n'accepte pas qu'on me lance des choses comme ça à la figure et qu'on cède à la caricature pour défendre un budget qui est effectivement décalé et dépassé. Demandez donc à M. Strauss-Kahn et à Mme Martine Aubry de dire quelles sont leurs relations avec le CNPF. Ils en ont plus que moi ! Vous cédez encore à la caricature quand vous dites que vous défendez les familles pauvres et nous les familles riches. Les familles vous répondent, et les jeunes aussi. Ça vous dérange, et ça continuera ! (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Daniel Marcovitch.

Et Jacques Blanc, par qui est-il financé ?

M. le président.

La parole est à M. Daniel Feurtet.

M. Daniel Feurtet.

Monsieur Dominati, s'il n'y avait de budgets qu'efficaces, vous devriez être encore au gouvernement ! Gilles Carrez a le droit de lire le budget comme il l'entend, mais nous n'en faisons pas la même lecture. A notre sens, c'est un budget de gauche, qui marque une volonté politique de faire en sorte que la croissance existe,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 13 OCTOBRE 1998

et qu'elle soit tirée par la demande interne. Une série de propositions sont faites. Nous nous efforcerons, dans le débat, de renforcer la cohérence de gauche de ce budget.

C'est la raison pour laquelle nous ne voterons pas la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2 DÉPÔT DE PROPOSITIONS DE LOI

M. le président.

J'ai reçu, le 13 octobre 1998, de M. Jean-Pierre Michel, une proposition de loi relative au pacte civil de solidarité.

Cette proprosition de loi, no 1118, est renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en application de l'article 83 du règlement.

J'ai reçu, le 13 octobre 1998, de M. Jean-Marc Ayrault et plusieurs de ses collègues, une proposition de loi relative au pacte civil de solidarité.

Cette proposition de loi, no 1119, est renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en application de l'article 83 du règlement.

J'ai reçu, le 13 octobre 1998, de M. Alain Bocquet et plusieurs de ses collègues, une proposition de loi relative au pacte civil de solidarité.

Cette proposition de loi, no 1120, est renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en application de l'article 83 du règlement.

J'ai reçu, le 13 octobre 1998, de M. Guy Hascoët et plusieurs de ses collègues, une proposition de loi relative au pacte civil de solidarité.

Cette proposition de loi, no 1121, est renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en application de l'article 83 du règlement.

3

ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Aujourd'hui, à neuf heures trente, première séance publique : Suite de la discussion générale et discussion des articles de la première partie du projet de loi de finances pour 1999, no 1078 : M. Didier Migaud, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (rapport no 1111).

A quinze heures, deuxième séance publique : Questions au Gouvernement ; Suite de l'ordre du jour de la première séance.

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée, le mercredi 14 octobre 1998, à une heure vingt.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT

ERRATUM Au compte rendu intégral de la 2e séance du 6 octobre 1998 (Journal officiel, Débats de l'Assemblée nationale, no 75 du 7 octobre 1998 : Page 5981, 1re colonne, 4e alinéa, 3e ligne : Au lieu de :

« C'est ainsi que 6,5 millions de francs ont été mobilisés... »,

Lire :

« C'est ainsi que 6,5 millions de francs par an sont mobilisés... ».

REQUÊTE EN CONTESTATION D'OPÉRATIONS ÉLECTORALES Communication du Conseil constitutionnel en application de l'article L.O. 181 du code électoral

CIRCONSCRIPTION NOM DU DÉPUTÉ dont l'élection est contestée

NOM DU REQUÉRANT Nord (13e ).

M. Franck Dhersin.

M. André Delattre.

TRANSMISSION DE PROPOSITIONS D'ACTES COMMUNAUTAIRES

M. le Premier ministre a transmis, en application de l'article 88-4 de la Constitution, à M. le président de l'Assemblée nationale, les propositions d'actes communautaires suivantes : Communication du 12 octobre 1998 No E 1158. - Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil concernant l'accès à l'activité des institutions de monnaie électronique et son exercice, ainsi que la surveillance prudentielle de ces institutions. Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la directive 77/780/CEE visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédits et son exercice (COM [98] 461 final).

No E 1159. - Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion, au nom de la Communauté, de la convention sur la Commission internationale pour la protection de l'Oder (COM [98] 528 final).

No E 1160. - Demande du Royaume-Uni adressée à la Commission en vue de l'extension de la mesure dérogatoire de la TVA autorisant à exclure du droit à déduction 50 % de la TVA grevant la location ou le leasing de voitures automobiles, en application de l'article 27, paragraphe 2, de la sixième directive du Conseil du 17 mai 1977 (SG [98] D/7864).

Prix du numéro : 4 F Paris. - Imprimerie des Journaux officiels, 26, rue Desaix.

103980800-001098