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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

1. Questions au Gouvernement (p. 6575).

ASSURANCE VIE (p. 6575)

MM. Marc Laffineur, Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

RÉFORME DES TRIBUNAUX DE COMMERCE (p. 6575)

M. Jacky Darne, Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

AMÉLIORATION DE LA VIE LYCÉENNE (p. 6576)

MM. Philippe Vuilque, Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

PROCESSUS DE PAIX AU PROCHE-ORIENT (p. 6577)

MM. Eric Besson, Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

RENÉGOCIATION DES PRÊTS PAP DU CRÉDIT FONCIER À TAUX FIXE (p. 6577)

MM. Albert Facon, Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

NÉGOCIATIONS SUR L'AMI (p. 6578)

MM. Robert Hue, Lionel Jospin, Premier ministre.

INDUSTRIE AÉRONAUTIQUE FRANÇAISE (p. 6579)

MM. Pierre Lellouche, Alain Richard, ministre de la défense.

LUTTE CONTRE LA DÉLINQUANCE JUVÉNILE (p. 6580)

M. Gérard Hamel, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

GESTION MONÉTAIRE EUROPÉENNE (p. 6581)

MM. Georges Sarre, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

AVENIR DU CRÉDIT FONCIER DE FRANCE (p. 6582)

M

M. Jean-Jacques Jégou, Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Suspension et reprise de la séance (p. 6583)

PRÉSIDENCE DE M. ARTHUR PAECHT

2. Loi de finances pour 1999. Suite de la discussion d'un projet de loi (p. 6583).

DISCUSSION GÉNÉRALE (suite) (p. 6584)

MM. Philippe Auberger, Alain Bocquet, Pierre Méhaignerie, Michel Crépeau, François d'Aubert, Jean-Louis Idiart, Jacques Guyard, François Loos, Mme Nicole Bricq,

MM. Pierre Lellouche, Raymond Douyère, Julien Dray.

PRÉSIDENCE DE M. PATRICK OLLIER

Mme Michèle Alliot-Marie,

M.

Gilbert Mitterrand.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

3. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 6610).


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COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE M. LAURENT FABIUS

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par les questions du groupe Démocratie libérale et Indépendants.

ASSURANCE VIE

M. le président.

La parole est à M. Marc Laffineur.

M. Marc Laffineur.

Monsieur le Premier ministre, en l'espace d'une semaine, Démocratie libérale et l'ensemble de l'opposition ont remporté deux victoires sur votre majorité. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Après notre victoire, vendredi dernier, sur le pacte civil de solidarité en raison du manque de conviction et de la faible mobilisation du groupe socialiste, votre gouvernement renonce aujourd'hui à modifier rétroactiviement le régime fiscal de l'assurance vie. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Il s'agit d'une deuxième victoire pour les députés de Démocratie libérale comme pour tous les députés de l'UDF et du RPR qui se sont battus avec beaucoup d'insistance pour que vous reveniez sur cette mesure.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

La question ?

M. Marc Laffineur.

Nous avions déposé des amendements en ce sens en commission des finances. Nous avons défendu les dix millions de Français qui possèdent des contrats d'assurance vie et que vous aviez voulu spolier au mépris de la parole de l'Etat, au mépris de sese ngagements constants depuis quarante ans, depuis Antoine Pinay. (« Ah ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Depuis de nombreuses années, en effet, les gouvernements successifs incitent nos concitoyens, par des p romesses rassurantes, à modifier leurs habitudes d'épargne au profit de l'assurance vie. La confiance a joué et vous avez voulu trahir cette confiance des épargnants, bafouant des principes fondamentaux comme le respect de la parole donnée, la non-rétroactivité des dispositions législatives et l'égalité des citoyens devant l'impôt.

M. Jean-Claude Perez.

Posez votre question !

M. Marc Laffineur.

Dire que vous aviez placé ce dispositif dans un article qui affichait un objectif de moralisation ! Curieuse conception de la morale ! Cette pratique illustre aussi la divergence qui existe entre votre conception de l'Etat et la nôtre. En retirant votre projet initial, vous reconnaissez aujourd'hui publiquement votre erreur.

Etes-vous prêt à reculer de nouveau dans d'autres domaines, sous la pression de Démocratie libérale (Rires sur les bancs du groupe socialiste), de l'ensemble de l'opposition et du peuple français ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance. - Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat au budget, qui va essayer de résister à la pression de Démocratie libérale. (Sourires.)

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

Monsieur le député, je crois que vous vous trompez de cible.

Nous avons effectivement la volonté de moraliser l'assurance vie.

M. Jean-Michel Ferrand.

Il fallait le dire avant !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Vous avez cité Antoine Pinay à juste titre. Dans les années 50, en effet, on utilisait l'emprunt Pinay pour échapper à l'impôt sur les successions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Or, le problème se pose aujourd'hui exactement de la même façon. Certaines grosses successions profitent d'une exonération justifiée pour les petits contrats d'assurance vie avec le dessein de contourner une obligation nationale. Le Gouvernement avait fait une proposition en la matière ; mais il a le sens du dialogue. La commission des finances ayant jugé qu'elle posait un problème de constitutionnalité (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) Le Gouvernement s'en est remis à la sagesse de la commission des finances et de son rapporteur général (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste), qui ont proposé un dispositif qui atteindra exactement le même objectif de moralisation, mais d'une façon juridiquement incontestable.

M. Patrick Ollier.

Heureusement que nous étions là !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Vous craignez qu'une disposition de type Pinay ne soit perpétuée. Je suis désolé, mais la majorité vous donnera tort. Nous allons moraliser l'assurance vie en ce qui concerne les très grosses successions. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe socialiste.

RÉFORME DES TRIBUNAUX DE COMMERCE

M. le président.

La parole est à M. Jacky Darne.

M. Jacky Darne.

Madame la garde des sceaux, les travaux de la récente commission d'enquête parlementaire sur les tribunaux de commerce ont permis de souligner


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l'importance des conséquences des décisions prises par ces tribunaux en matière de développement économique et d'emploi, en considérant le grand nombre de liquidations et la longueur des procédures.

L'enquête parlementaire a fait apparaître de graves défaillances dans la façon dont est rendue la justice commerciale par des juges chefs d'entreprise ou issus de l'encadrement supérieur. La commission a souhaité des réformes significatives. Elle a en particulier préconisé l'échevinage, c'est-à-dire que la présidence du tribunal soit assurée par un magistrat professionnel. Elle a aussi souhaité que le statut et les fonctions des professions impliquées par le fonctionnement des tribunaux soient réexaminés. Il s'agit des greffiers, des administrateurs judiciaires, des mandataires liquidateurs, des experts en diagnostic. La commission préconise enfin que soient rendues plus efficaces les procédures de prévention des difficultés des entreprises et celles de redressement et de liquidation.

Madame la garde des sceaux, les projets que vous avez présentés ce matin en conseil des ministres reprennent-ils les propositions de la commission d'enquête parlementaire ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le député, vous avez raison de souligner qu'il est urgent de réformer en profondeur notre justice commerciale. A la vérité, nous devons réformer notre droit économique dans son ensemble pour que le cadre juridique de la vie des entreprises ne soit pas une entrave à leur développement et qu'il puisse au contraire le faciliter. Cela nous permettrait de prévenir davantage les difficultés des entreprises et de préserver au mieux l'emploi et les intérêts des créanciers en cas de liquidation. Comme je l'avais déjà indiqué dans ma communication du 29 octobre 1997, une réforme de notre droit économique, de la loi sur les sociétés nous permettra de lutter davantage contre la délinquance économique et financière et de moderniser notre justice consulaire.

Le rapport parlementaire ainsi qu'un rapport de l'inspection générale des finances et de l'inspection générale des services judiciaires ont montré que les tribunaux de commerce souffraient de défauts auxquels il faut s'attaquer. En effet, il n'est pas admissible aujourd'hui de laisser persister dans notre pays des pratiques douteuses, voire fraduleuses, et de sanctionner si peu les personnes qui s'y livrent. Je précise néanmoins qu'il ne s'agit pas de jeter l'opprobre sur l'ensemble de la justice consulaire, car, vous l'avez sans doute constaté, beaucoup de juges consulaires, qui, rappelons-le, sont bénévoles, font très bien leur travail, avec beaucoup de dévouement. Mais il est important de lutter contre les pratiques frauduleuses, de se débarrasser des brebis galeuses et de permettre à notre justice commerciale de mieux fonctionner, car, hormis l'intérêt évident qu'elle présente pour l'emploi et la vie des entreprises, c'est un élément de notre compétitivité et de notre image à l'étranger.

Dans la communication que j'ai présentée ce matin en conseil des ministres, j'ai précisé que nous devions faire u ne réforme d'envergure, une réforme globale qui s'oriente vers trois grands objectifs.

Premièrement, nous devons réformer les tribunaux de commerce eux-mêmes en y introduisant des magistrats professionnels, en échange de quoi des magistrats consulaires iraient dans les cours d'appel. Cela leur permettrait de s'enrichir mutuellement de leurs compétences respectives, juridique pour les uns, tenant à la vie des entreprises pour les autres. Nous devons aussi réformer la carte judiciaire, c'est extrêmement important. Nous le ferons d'ici à la fin de 1999. C'était un élément très important du rapport de la commission d'enquête. Nous devons faire en sorte que les juges de commerce aient un vrai statut. Il faut en effet préciser les incompatibilités, les conflits d'intérêt, car nous ne pouvons plus tolérer certaines pratiques, et faire en sorte que les sanctions disciplinaires soient appliquées.

Deuxièmement, nous avons également décidé de réformer les professions auxiliaires des tribunaux de commerce - les greffiers, les administrateurs et les mandataires liquidateurs - pour introduire davantage de transparence et de contrôle, transparence dans les tarifs, contrôle de ces professions, de leurs pratiques. Il faut également assurer une meilleure formation de ces professions et leur ouverture pour que les magistrats puissent choisir entre un plus grand nombre de gens.

Enfin, troisièmement, nous allons réformer les lois de 1984 et 1985 destinées à prévenir les difficultés des entreprises ou à mieux organiser la liquidation. Il nous faudra en effet mieux organiser la liquidation des entreprises, lorsqu'elle sera malheureusement devenue inévitable, dans le respect des droits des salariés, qui sont des créanciers privilégiés, et de tous les créanciers privilégié s. Tels sont les grands axes de la réforme. Vous voyez que le Gouvernement est déterminé à mener une réforme structurelle d'envergure qui s'attaque aux vrais dysfonctionnements, mais sans faire d'amalgame et sans jeter l'opprobre sur l'ensemble des tribunaux de commerce, dont nous avons besoin. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) AMÉLIORATION DE LA VIE LYCÉENNE

M. le président.

La parole est à M. Philippe Vuilque.

M. Philippe Vuilque.

Monsieur le président, ma question s'adresse à M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

(« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Monsieur le ministre, les lycéens ont à nouveau manifesté hier. Vous nous avez indiqué ici les premières mesures concrètes que vous aviez l'intention de prendre, s'agissant notamment de l'amélioration de la vie lycéenne et de l'allégement des emplois du temps. Il n'en reste pas moins que les lycéens restent en attente d'une amélioration rapide de leurs conditions d'étude au quotidien, attente qui s'était d'ailleurs fait jour dans la consultation que vous aviez lancée sur la réforme des lycées.

Monsieur le ministre, pourriez-vous nous donner plus de précisions sur le dispositif que vous comptez mettre en place ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Monsieur le député, comme je l'ai dit hier à l'Assemblée nationale (Exclamation sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants),...


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M. Francis Delattre.

Il n'a rien dit !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

... nous avons immédiatement pris les mesures concernant la mise en place des comités de la vie lycéenne au sein des établissements.

Ensuite, nous réaliserons l'allégement des programmes après les vacances de la Toussaint.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mais, comme vous le savez, la réponse de fond au problème d'inadéquation entre les moyens et les attentes, nous l'avons donnée ce matin en conseil des ministres avec la parution correspondante au Journal officiel : c'est la déconcentration de l'éducation nationale, mesure qui aurait dû être prise depuis très longtemps.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe socialiste.)

PROCESSUS DE PAIX AU PROCHE-ORIENT

M. le président.

La parole est à M. Eric Besson.

M. Eric Besson.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, demain doit se tenir aux Etats-Unis un sommet au cours duquel se rencontreront Bill Clinton, Yasser Arafat et Benyamin Nétanyahou pour tenter de relancer, une fois de plus, le processus de paix au Proche-Orient. Mais hier, une vague de violences a secoué à nouveau la région. Deux Palestiniens ont tué un Israélien à Hébron et une explosion a blessé des Palestiniens dans le nord de la Cisjordanie. A la suite de ce meurtre, le Premier ministre israélien a annoncé qu'il excluait tout accord avec les Palestiniens. Chaque jour apporte son lot de victimes dans les deux populations.

Politiquement, vous le savez, les positions se durcissent, que ce soit au sein de l'OLP ou du Gouvernement israélien dans lequel Ariel Sharon vient d'être nommé ministre des affaires étrangères. Dans ces conditions, monsieur le ministre, quelles chances de succès donnezvous à ce nouveau sommet israélo-palestinien ? De façon plus précise, que peut faire et qu'entend faire la France en faveur du nécessaire redémarrage du processus de paix au Proche-Orient ? (Applaudisements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Monsieur le député, depuis des mois la France soutient p ar ses déclarations publiques, par des initiatives constantes et des contacts directs avec les protagonistes, la reprise du processus de paix au Proche-Orient, aujourd'hui malheureusement quasiment à l'arrêt. Elle a soutenu l'engagement des Etats-Unis tout en le complétant par son action propre.

Aujourd'hui, de nouvelles difficultés semblent survenir alors que, tout en restant prudent, l'on pouvait commencer à espérer une relance à l'occasion de la rencontre aux

Etats-Unis entre M. Nétanyahou et M. Arafat. Certes, il faut rester relativement modeste, car l'on ne parle que d'un retrait de 13 % en Cisjordanie alors qu'aux termes des accords d'Oslo il aurait dû être de 30 % à 40 %.

Mais cela aurait été une façon de recommencer.

De nouveaux obstacles apparaissent en effet. Cela ne doit malheureusement pas nous étonner car, de part et d'autre, des forces sont tout à fait déterminées à empêcher la reprise de ce processus de paix, sous prétexte de sécurité. On ne peut admettre que des arguments de ce type paralysent cette tentative de relance, car la sécurité au Proche-Orient ne sera durablement prise en compte et garantie que par la reprise d'un processus de paix et par sa poursuite jusqu'à ce que s'établissent et se consolident la cohabitation, voire un jour la coopération entre ces deux peuples. Nous souhaitons donc que de tels arguments n'empêchent pas ce redémarrage, qui n'est pas aussi satisfaisant que ce que l'on pourrait souhaiter mais dont le Proche-Orient a absolument besoin. Je peux vous donner l'assurance que la France sera du côté des protagonistes de bonne foi pour relancer ce processus, le consolider et le poursuivre. On ne peut pas encore complètement désespérer des rencontres annoncées. Il n'est pas totalement impossible que, malgré tout, elles aboutissent à un résultat. Si tel n'est pas le cas, nous serons toujours là pour aiguillonner. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe communiste.)

RENÉGOCIATION DES PRÊTS PAP DU CRÉDIT FONCIER À TAUX FIXE

M. le président.

La parole est à M. Albert Facon.

M. Albert Facon.

Monsieur le secrétaire d'Etat au logement, les dispositions gouvernementales visant au réaménagement généralisé des prêts PAP à taux fixe souscrits auprès du Crédit foncier de France et du Comptoir des entrepreneurs, issues du décret du 19 mars 1998, posent de réels problèmes d'application.

En effet, de nombreux emprunteurs pensent très légitimement pouvoir en bénéficier dans la mesure où l'intégralité des échanges qu'ils ont pu avoir à la souscription de leur contrat s'est faite avec le Crédit foncier de France et où ils sont persuadés avoir obtenu un prêt aidé distribué par cet établissement. En réalité, dans de nombreux cas, ces personnes ont en fait conclu un contrat de prêt financé à 100 % par une autre banque, notamment la BNP, non liée par la convention visée à l'article 1er du décret, le Crédit foncier de France n'étant engagé en risques qu'à hauteur de 20 %. Ces familles, qui ont des revenus modestes et sont en difficulté, espéraient beaucoup de cette mesure gouvernementale qui leur aurait permis de renégocier leur prêt à un taux d'intérêt n'excé dant pas 7 %, alors qu'initialement le taux dépassait allègrement les 10 %.

Monsieur le secrétaire d'Etat, j'ai la conviction profonde que les familles aisées ont pu négocier facilement, tranquillement avec leur banque. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et d u groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

En revanche, messieurs, les familles qui ont des fins de mois difficiles et qui sont peu considérées par les organismes bancaires continuent à galérer, à être victimes de saisies et même à devoir mettre leur maison en vente. (Protestations sur les mêmes bancs. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Gardez votre calme !

M. Albert Facon.

Au nom de ces familles, je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, quelles mesures vous comptez prendre pour que tous les foyers français accédant à la propriété puissent bénéficier des mesures gouvernementales. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat au budget.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

Monsieur le député, le 16 janvier dernier, le Gouvernement a annoncé une décision importante de réaménagement des prêts d'accession à la propriété du Crédit foncier et du Comptoir des entrepreneurs. Cette mesure, qui a été patronnée, si je puis dire, par Dominique Strauss-Kahn, Jean-Claude Gayssot et Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement, est une mesure de justice majeure, comme les faits vont le confirmer.

Quel était le problème ? De nombreuses familles avaient souscrit des prêts d'accession à la propriété dont le taux fixe dépassait 10 % dans les deux tiers des cas l'inflation était forte à l'époque - et dont les échéances étaient croissantes avec le temps.

Quel est le bilan de la décision prise par le Gouvernement, dont le coût, je le souligne, a été pris en charge par l'Etat ? Grâce à ce réaménagement, 370 000 familles ont bénéficié d'une baisse de leurs charges de remboursement - 6,5 % en moyenne - qui se traduira, à la fin de leur contrat d'emprunt, par un allégement total de 27 700 francs. Cela sans aucuns frais et sans aucun allongement de la période de prêt, contrairement à ce qui avait été fait en 1993. Le spectre du surendettement, de la vente judiciaire du domicile est ainsi écarté.

Les autres organismes qui font également des prêts d'accession à la propriété, mais dans une moindre proportion, se divisent en deux catégories.

D'une part, le monde HLM et le Crédit immobilier de France, qui ont volontairement emboîté le pas, en prenant à leur propre charge les frais correspondants. Ce sont ainsi 225 000 familles supplémentaires qui ont été sauvées d'un véritable péril.

D'autre part, comme le souligne votre question, le Crédit agricole, la Banque nationale de Paris et la Caisse d'épargne, pour seulement 15 000 prêts d'accession à la propriété, n'ont pas encore fait ce pas. Le Gouvernement regrette ce refus, qui pénalise effectivement des familles modestes, mais il n'a pas l'autorité pour contraindre ces organismes à supporter le coût de cette mesure de justice.

(Applaudissements sur de nombreux bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe communiste.

La parole est à M. Robert Hue.

(« Oh ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

A hue et à « da » ! NÉGOCIATIONS SUR L'AMI

M. Robert Hue.

Monsieur le Premier ministre, les négociations sur le projet d'accord multilatéral sur les investissements, l'AMI, vont reprendre à l'OCDE le 20 octobre.

Chacun se souvient de l'émotion suscitée au printemps dernier par ce projet d'accord multilatéral qui a conduit à un vaste mouvement de protestation de personnalités et d'organisations très diverses. La fin de non-recevoir du Gouvernement français a fortement contribué à son report. De même, et je m'en félicite, l'opposition de la France a porté un coup sévère au projet de nouveau traité transatlantique, NTM, concocté par M. Leon Brittan, au nom de la Commission de Bruxelles, et par l'administration américaine.

Depuis lors, ces tractations ont connu de nouveaux développements. Le 18 mai dernier, à Londres, en marge du sommet Europe-USA, un « arrangement » - vous entendez les guillemets - a été conclu. Il inspire très largement une nouvelle mouture du NTM, baptisée « Partenariat économique transatlantique », toujours à l'initiative de M. Brittan. Il concerne à plus d'un titre l'AMI, notamment en entérinant les lois d'extra-territorialité américaines.

Après plusieurs parlementaires communistes, comme tout récemment Jean-Claude Lefort auprès de Mme Lalumière, qu'il me soit permis de rappeler notre totale opposition à l'AMI, en raison des menaces qu'il ferait peser sur les choix politiques et sociaux comme sur notre souveraineté. Nous ne saurions cautionner de quelque manière que ce soit un tel accord, même sous un habillage qui prétendrait le rendre plus présentable. Nous souhaitons son abandon : c'est extrêmement clair.

Je vous demande, monsieur le Premier ministre, de bien vouloir nous faire connaître les intentions du Gouvernement à la veille de la réouverture des négociations et les mesures que vous entendez prendre pour qu'elles se déroulent désormais dans une totale transparence, notamment en y associant la représentation nationale.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert, et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. le Premier ministre.

M. Lionel Jospin, Premier ministre.

Monsieur le député, en 1995, des négociations ont été engagées dans le cadre de l'OCDE sur un accord multilatéral sur l'investissement, sans véritable transparence, ni à l'époque ni ensuite.

M. Jean-Claude Lefort.

Dans le secret !

M. le Premier ministre.

En février 1998, quand les enjeux véritables et les risques d'une telle négociation sont apparus et qu'une émotion s'est emparée d'une partie de l'opinion dans notre pays, mais aussi dans d'autres, le gouvernement français, notamment par la voix de Dominique Strauss-Kahn, a immédiatement posé quatre conditions pour que cette négociation puisse se poursuivre dans la clarté : le respect de l'exception culturelle, car les biens culturels ne sont pas des marchandises ; le refus d'accepter à l'intérieur de ce mécanisme les lois extraterritoriales américaines, dont nous récusons l'application sur notre sol dans d'autres cadres et d'autres discussions (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical Citoyen et Vert) ; le respect des processus d'intégration européenne ; le respect de normes sociales et environnementales.

En avril 1998, le Gouvernement, voyant que les choses ne pouvaient pas être suffisamment clarifiées, a demandé et obtenu la suspension pour six mois de ces négociations afin de les évaluer et de procéder à une consultation de la société civile.

A la fin mai, j'ai chargé Mme Catherine Lalumière, députée au Parlement européen, de procéder à ces consultations. Elle a, au cours de nombreuses semaines, dans un travail excellent, rencontré, interrogé longuement les organisations non gouvernementales, les associations intéressées au débat sur l'AMI, les milieux culturels, les organisations syndicales, et aussi les représentants des fédérations professionnelles et du monde des entreprises.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

M. Jean-Claude Lefort.

Ainsi que les parlementaires.

M. le Premier ministre.

Mme Catherine Lalumière m'a remis son rapport avant-hier. Ses conclusions sont claires.

Mme Sylvia Bassot.

C'est normal ! (Sourires.)

M. le Premier ministre.

Les contestations de ce projet d'accord ne portent pas sur des aspects sectoriels ou techniques, elles portent sur la conception même de cette négociation, qui pose en particulier des problèmes fondamentaux au regard de la souveraineté des Etats, sommés de s'engager de façon irréversible. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe communiste.)

Un député du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

Comme Amsterdam !

M. le Premier ministre.

Or une chose est de consentir des délégations de souveraineté à une communauté qui est la nôtre, l'Union européenne, selon un processus contrôlé par les Etats et dans une aventure historique qui a pour nous tous une importance considérable ; autre chose est de concéder des abandons de souveraineté à des intérêts privés, sous prétexte de la discussion d'un code international d'investissement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert, et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Des réticences, voire des objections, sont apparues ailleurs qu'en France. Le dialogue avec certaines entreprises a montré que, même dans un pays comme le nôtre qui peut investir puissamment à l'extérieur et qui tient à continuer de le faire, cet accord pourrait avoir un intérêt limité pour nos entreprises puisqu'un certain nombre d'Etats, et les Etats-Unis au premier chef, ont émis des réserves considérables sur son contenu même.

M. Jean-Claude Lefort.

400 pages !

M. le Premier ministre.

En effet, 400 pages de réserves dans la position américaine, et notamment celle-ci sur laquelle j'attire votre attention : cet accord pourrait s'appliquer aux Etats-Unis, mais pourvu qu'il ne mette pas en cause les compétences des Etats fédérés. La portion du territoire américain qui n'est pas en Etat fédéré est quand même relativement limitée : ce doit être Washington DC.

(Rires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Dans ces conditions, la conclusion qui ressort, me semble-t-il, du rapport de Mme Lalumière, est que cet accord, tel qu'il est conçu actuellement, n'est pas réformable. Mme Lalumière propose de rechercher un nouvel accord, mais en en revoyant l'architecture, soit dans le cadre de l'OCDE, soit dans le cadre de l'Organisation mondiale du commerce.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Je veux donc vous annoncer, mesdames et messieurs les députés, que la France ne reprendra pas les négociations dans le cadre de l'OCDE le 20 octobre. (Applaudissements prolongés sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert, et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Nous avons commencé à en informer, comme il était normal, nos partenaires et nos interlocuteurs. La France souhaite et proposera à ses partenaires qu'une négociation puisse reprendre sur l'investissement - car nous voulons rester un grand investisseur et continuer à recevoir des investissements chez nous - mais sur des bases totalement nouvelles et dans un cadre associant tous les acteurs, c'est-à-dire notamment les pays en voie de développement.

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. le Premier ministre.

Ce cadre, à nos yeux, est tout n aturellement celui de l'Organisation mondiale du commerce. Ses modes de travail, son approche progressive de la libéralisation des échanges et de l'investissement, là où l'AMI posait des principes absolus, son caractère universel, et en particulier la présence des pays en développement, nous assurent d'une approche et d'un examen sérieux et équilibrés.

La France fera des propositions en ce sens à ses partenaires, notamment européens. Elle reste et souhaite rester un pays ouvert aux entreprises étrangères ou aux investissements, étant elle-même soucieuse d'appuyer le développement international de ses entreprises. Mais constatant les bouleversements récents, les mouvements hâtifs et parfois irraisonnés qui se sont emparés des marchés, il ne nous paraît pas qu'il serait sage de laisser les intérêts privés mordre à l'excès sur la sphère de souveraineté des

Etats. Les Etats doivent rester des acteurs majeurs dans la vie internationale.

C'est dans cet esprit que nous reprendrons les discussions, et la représentation nationale, monsieur le député, sera naturellement informée par le Gouvernement des négociations qui pourraient éventuellement s'engager dans un autre cadre, le moment venu.

(Applaudissements vifs et prolongés sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Applaudissements sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe du Rassemblement pour la République.

INDUSTRIE AÉRONAUTIQUE FRANÇAISE

M. le président.

La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche.

Ma question s'adresse à M. le Premier ministre, parce qu'elle relève de plusieurs départements ministériels, mais aussi parce qu'elle touche à un intérêt national majeur, tout comme celle à laquelle il vient de répondre avec beaucoup de chaleur : je veux parler de l'industrie aéronautique.

Quelle que soit notre appartenance politique, nous sommes tous fiers, je crois, du travail accompli depuis quarante ans par les grands groupes, publics et privés, qui ont fait de la France une très grande puissance aéronautique et spatiale. Cette situation, cependant, est en train d'évoluer rapidement, et peut-être dangereusement, parce que nous assistons aux Etats-Unis à des regroupements sans précédent - une firme comme Boeing pèse aujourd'hui 275 milliards de francs de chiffre d'affaires, c'est-à-dire trois fois et demie le premier groupe européen - et parce que ces regroupements américains ont entraîné en Europe des restructurations industrielles très importantes.

En Europe, à côté d'un certain nombre de moyennes entreprises, en Suède, en Espagne et en Italie, l'industrie aéronautique dépend essentiellement de trois grands groupes : un groupe entièrement privé en Grande-Bretagne, British Aerospace, qui pèse 83 milliards de francs de chiffre d'affaires ; un groupe entièrement privé en Allemagne, DASA, qui pèse 51 milliards ; un groupe, enfin, qui pèse également 83 milliards, celui que vous


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

avez justement constitué au mois de juillet dernier, monsieur le Premier ministre, en réunissant Matra-hautes technologies et l'Aérospatiale.

Le problème, c'est que depuis un an, et surtout depuis ces dernières semaines, à mesure que DASA et British Aerospace entrent dans la fabrication de l'avion de combat Eurofighter, ces deux groupes ont annoncé leur intention de fusionner en une entreprise européenne nouvelle, qui serait la base d'un regroupement général en Europe de toutes les industries aéronautiques et spatiales.

Il est évident que si cette fusion devait s'opérer en l'état, il en résulterait deux conséquences : la marginalisation complète de notre industrie aéronautique de défense, laquelle est engagée, depuis 1985, dans un projet d'avion de combat différent de l'Eurofighter ; mais surtout, en matière civile, le danger, inhérent au cumul des parts de British Aerospace et de DASA - 37,5 % et 20 % - de voir se constituer une majorité automatique angloallemande dans la société Airbus. Ce serait porter un coup mortel au leadership français sur Airbus.

Alors, monsieur le Premier ministre, la question que je voudrais vous poser est simple.

(« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.) C'est une question, messieurs, qui n'a aucun caractère politicien et qui est vraiment très importante. Je vous demande donc au moins de l'écouter.

Monsieur le Premier ministre, comment faire pour réintégrer la France dans le jeu, pour éviter qu'elle ne perde son leadership ? Doit-on ne rien faire - première option ? Doit-on, comme l'a suggéré M. Gayssot lors du salon de Farnborough début septembre dans une interview au Financial Times, (Rires et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste)... Mes chers collègues, je ne comprends pas votre attitude à propos d'une telle question. C'est dommage.

Doit-on, disais-je, bloquer la réforme d'Airbus, la prendre pour ainsi dire en otage, pour éviter la fusion anglo-allemande ? Auquel cas vous risquez, monsieur le Premier ministre, de bloquer en même temps les grands projets d'investissement d'Airbus dans les avions de transport futurs.

Troisième hypothèse, enfin, n'est-il pas temps de lancer une initiative politique importante auprès de vos collègues, M. Blair et M. Schrder, et surtout d'accélérer la p rivatisation d'Aérospatiale ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de la défense, pour une réponse que je souhaite assez courte.

M. Alain Richard, ministre de la défense.

Monsieur le député, je reconnais le caractère objectif et prospectif de votre question qui aurait pu être posée d'égale bonne foi par les représentants de tous les groupes...

M. Jacques Myard.

Ah !

M. le ministre de la défense.

... ainsi que son caractère décisif pour la place de la France dans une construction industrielle européenne dans un domaine majeur.

A cet égard vous avez bien fait de rappeler que le dispositif industriel et financier français dans le secteur concerné avait substantiellement évolué au cours de la dernière année et que le Gouvernement avait pris des décisions permettant à nos capacités industrielles et technologiques de jouer pleinement leur rôle dans un regroupement européen que nous estimons tous souhaitable. Un cadre politique a même été donné, à l'initiative des autorités françaises, dans la déclaration du 9 décembre 1997 fixant les objectifs du regroupement des forces européennes.

Les discussions entre les trois grands partenaires que vous avez cités sont devenues plus mobiles, plus dynamiques du fait du regroupement des forces françaises. A ce propos, je tiens à souligner que la décision prise par le Gouvernement au mois de juillet a mis en route un processus de fusion entre Matra-Technologie et Aérospatiale qui arrivera à terme au début de 1999 après plusieurs phases de procédure. J'informe d'ailleurs l'Assemblée qu'il se déroule actuellement de façon positive et rapide.

En ce qui concerne une possible conséquence de ce rapprochement sur Airbus, je crois que si deux des trois p rincipaux partenaires industriels du groupement commettaient l'imprudence de réaliser un accord et de fusionner, donnant ainsi automatiquement la majorité à un seul membre du GIE, ils prendraient un risque car cela mettrait en cause son équilibre même, ce qui ne pourrait pas être accepté par la France. C'est exactement dans ces termes que s'est exprimé Jean-Claude Gayssot en donnant la position du Gouvernement et même, je crois pouvoir le dire, des autorités françaises.

Si une telle conjoncture devait intervenir, ce n'est pas nous qui prendrions Airbus en otage. Nous considérerions seulement qu'il s'agirait d'une initiative tendant à rompre le principe fondamental de ce rapprochement, c'est-à-dire l'équilibre entre les trois contributeurs.

Les initiatives politiques que vous appelez de vos voeux en ce domaine ont été prises très régulièrement par le Premier ministre lors de chacun des contacts qu'il a eus avec les autorités allemandes et britanniques au cours des derniers mois. Les messages sont passés. Par ailleurs, les négociateurs d'Aérospatiale ont des propositions dynamiques et créatives pour que l'on aboutisse à un accord équilibré.

Bien entendu, pendant ce temps, circulent annonces de presse et rumeurs, mais cela fait partie du jeu de toute négociation.

M. Pierre Lellouche.

Quid de la privatisation d'Aérospatiale ?

M. le ministre de la défense.

Tous les partenaires savent dans quelles conditions et grâce à quelles concessions réciproques pourrait être structuré un groupe européen vraiment équilibré qui serait la réponse ultime et efficace à la pression américaine, dont nous sommes d'accord pour dire qu'il faut y résister victorieusement.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Pierre Lellouche.

Vous n'avez pas répondu sur la privatisation !

LUTTE CONTRE LA DÉLINQUANCE JUVÉNILE

M. le président.

La parole est à M. Gérard Hamel.

M. Gérard Hamel.

Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.

Depuis de nombreux mois, des députés de l'opposition proposent de mettre sous tutelle les allocations familiales des parents d'enfants délinquants. En juillet 1997, j'ai moi-même pris un arrêté municipal demandant le recueil des enfants de moins de douze ans circulant seuls la nuit.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pur la République.) Cet arrêté a été l'objet d'attaques virulentes, notamment de la part de votre collègue


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

Mme Royal, qui a osé dire que je prenais les enfants pour des chiens. Néanmoins il a eu le mérite d'ouvrir dans le pays un débat essentiel.

En octobre 1997, j'ai déposé une proposition de loi dont le but était, entre autres, de responsabiliser les parents. Aujourd'hui, un sondage paru dans l'hebdomadaire du Parti socialiste, réalisé auprès des adhérents de ce parti, montre qu'une majorité d'entre eux se prononcent en faveur de l'interdiction de circuler seuls la nuit pour les jeunes enfants, ainsi que pour la mise sous tutelle des allocations familiales des parents d'enfants délinquants.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Monsieur le Premier ministre, puisque vous considérez désormais l'ordre comme une valeur de gauche,...

M. Didier Boulaud.

Pas l'ordre moral !

M. Gérard Hamel.

... et puisque vos militants en sont d'accord, qu'attendez-vous pour mettre enfin en oeuvre ces mesures de bon sens ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Je veux d'abord souligner que nous sommes probablement tous d'accord, sur ces bancs, pour dire - comme je l'ai fait hier - que les familles non seulement sont responsables de l'éducation de leurs enfants mais ont aussi un rôle majeur à jouer pour leur donner des repères, une bonne appréciation de la vie en collectivité et même des valeurs.

(« Le PACS ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Sur la base de ce constat, il y a deux façons de responsabiliser les familles : celle qui consiste à les montrer du doigt lorsqu'elles sont en difficulté et celle qui tend à les aider, à les accompagner pour qu'elles puissent remplir complètement leurs missions. A l'instar de nos collègues Christine Lazerges et Jean-Pierre Balduyck, nous avons choisi cette seconde voie pour lutter contre la délinquance des mineurs.

M. Pierre Lequiller.

Cela ne marche pas !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Quant à la possibilité de mettre sous tutelle les allocations familiales, je vous rappelle qu'elle existe déjà dans la loi. Ainsi, un juge peut la prononcer lorsqu'il s'avère qu'une famille les utilise à des fins qui n'ont rien à voir avec l'éducation des enfants, par exemple quand un enfant ne peut pas manger à sa faim et que la famille ne paie pas la cantine.

Cela existe. Laissons le juge l'appliquer lorsqu'il l'estime judicieux.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. André Angot.

Ce n'est pas le problème !

M. Jacques Myard.

Cela n'a rien à voir !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Comme je l'ai indiqué hier, nous avons choisi de renforcer l'aide aux parents qui n'arrivent pas à faire face à leurs obligations, souvent parce qu'ils ont eux-mêmes des difficultés. Alors, leurs enfants dérapent, tombent dans la délinquance et ils ont du mal à reprendre le dialogue avec eux.

Ainsi, un crédit d'un milliard de francs est inscrit dans la loi de financement de la sécurité sociale au titre de l'action sociale de la caisse d'allocations familiales pour financer la mise en place, dès cette rentrée, de lieux de rencontre entre parents et enfants, des lieux d'aide aux parents.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Nous préférons essayer de valoriser le rôle des parents au lieu de toujours les montrer du doigt comme vous le faites, en prônant coercition et contrôle. Nous aiderons nos concitoyens en améliorant la cohésion sociale et non pas en cherchant des boucs émissaires.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous passons au groupe Radical, Citoyen et Vert.

GESTION MONÉTAIRE EUROPÉENNE

M. le président.

La parole est à M. Georges Sarre.

M. Georges Sarre.

Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Oskar Lafontaine, futur ministre des finances du prochain gouvernement allemand, vient de faire des déclarations particulièrement intéressantes concernant la politique monétaire. Favorable à une baisse des taux d'intérêt, il considère que la banque centrale ne doit pas jouir du dogme de l'infaillibilité.

M. Jacques Myard.

Il a raison !

M. Michel Bouvard.

C'est un socialiste pragmatique !

M. Georges Sarre.

Ses déclarations, associées à l'idée que le futur président de la Bundesbank pourrait être choisi au sein du SPD, remettent en cause le dogme absurde selon lequel la politique monétaire serait une sorte de science exacte, totalement neutre et devant, de ce fait, échapper au contrôle et aux arbitrages des élus du peuple.

M. Jacques Myard.

C'est scandaleux !

M. Georges Sarre.

Les gouvernements français, de droite et de gauche, ont longtemps accepté, au nom de l'Europe de la monnaie, de maintenir des taux d'intérêt assassins pour l'investissement, donc pour l'emploi. Ils ont ainsi accepté le chômage de masse et, accessoirement, leur défaite électorale, puisque tous les gouvernements qui ont mené cette politique ont été régulièrement battus aux élections générales suivantes.

M. Jacques Myard.

Eh oui !

M. Georges Sarre.

Aujourd'hui, un nouveau contexte se développe en Europe. Il serait heureux, alors que le bon sens semble l'emporter en Allemagne, que la France prenne le même chemin, comme elle a commencé à le faire, ainsi que cela a été confirmé par M. le Premier ministre, il y a quelques minutes, à propos des négociations sur l'AMI.

Le mandat de M. Trichet, gouverneur de la Banque de France, arrive à échéance à la fin de l'année. Monsieur le ministre, le gouvernement français entend-il promouvoir la candidature à ce poste stratégique d'une personnalité nouvelle, capable de prendre en compte la croissance et l'emploi ? Au-delà des problèmes de personne, entendezvous réintroduire la politique dans la gestion monétaire ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, cette assemblée n'est pas un concile et je ne sache pas qu'elle ait


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

conféré à la politique monétaire une quelconque infaillibilité. D'ailleurs, rassurez-vous, il n'entre pas dans les intentions du Gouvernement de reconnaître un dogme de l'infaillibilité monétaire à qui que ce soit. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Jacques Myard.

Même pas à M. Strauss-Kahn ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Le rôle de la banque centrale - demain celui de la banque centrale européenne - est d'assurer la stabilité des prix dans le cadre de la politique de l'Union. La situation actuelle montre que ces deux objectifs ne sont pas contradictoires. En effet, bien que l'inflation ait été très faible, nous avons eu, en 1998, et nous aurons en 1999 une croissance, sans doute encore insuffisante, mais qui a été la plus forte du monde. (Exclamations sur les mêmes bancs.)

M. le président.

Un peu de calme ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Les députés de l'opposition n'aiment pas qu'on leur dise que l'Europe, notamment la France, a, en 1998, la croissance la plus forte du monde. Pourtant c'est la vérité, il faut vous y faire ! (Protestations sur les mêmes bancs.)

M. Pierre Lellouche.

C'est une incantation ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur Sarre, vous souhaitez que les taux d'intérêt français et allemands ne divergent pas, et j'en suis d'accord : ils doivent rester collés les uns aux autres.

D'ailleurs la moyenne européenne est en train de baisser puisque, comme vous l'avez constaté, les taux directeurs espagnols, portugais et irlandais ont été réduits tout récemment. La convergence vers les niveaux français et allemand représentera environ 0,4 point de baisse, ce qui sera une contribution non négligeable à la croissance.

La nouvelle situation que crée l'élection d'un gouvernement social-démocrate en Allemagne devrait nous permettre de travailler plus étroitement avec M. Oskar Lafontaine, si tel est le choix du nouveau chancelier, notamment au sein du conseil de l'euro, à la création duquel, vous le savez, la France a beaucoup oeuvré. Il doit devenir le partenaire politique - on dit parfois le contrepoids politique - de la banque centrale, car il est normal qu'elle ait en face d'elle des responsables politiques qui prennent les décisions.

Le travail commun entre la France et l'Allemagne au sein du conseil de l'euro fondera la croissance à venir. Il dépasse très largement les questions de personne. D'ailleurs, M. Jean-Claude Trichet, que vous avez cité, est gouverneur de la Banque de France jusqu'en septembre 1999. Ce n'est qu'alors qu'il appartiendra au conseil des ministres de désigner son successeur. En attendant, le gouverneur a toute ma confiance et je continuerai à travailler avec lui en respectant, comme c'est le cas depuis seize mois, l'indépendance de chacun.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons au groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

AVENIR DU CRÉDIT FONCIER DE FRANCE

M. le président.

La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou.

Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, il y a près de trois ans les difficultés d'un établissement financier, le Crédit foncier de France, étaient telles que le gouvernement d'Alain Juppé a demandé à la Caisse des dépôts de reprendre, pour le compte de l'Etat, la quasi-totalité des actions de cet établissement, ce qui a été fait après de n ombreuses difficultés administratives et politiques compte tenu du statut du Crédit foncier. La question a été ensuite celle de savoir qui pourrait reprendre cet établissement.

Le gouvernement d'Alain Juppé a fait plusieurs tentatives pour proposer l'établissement à des repreneurs, mais sans succès. Depuis bientôt deux ans et demi le Crédit foncier fonctionne donc en dehors de toute règle prudentielle et au grand dam de la commission bancaire.

Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour assurer l'avenir du Crédit foncier de France, si tant est qu'il en ait un ? Quelles dispositions entendez-vous prendre à cet égard ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocrate française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le député, le Crédit foncier est en effet depuis deux ans et demi dans une situation intermédiaire et nous sommes d'accord pour reconnaître qu'elle ne peut pas durer indéfiniment.

D'abord, il n'entre pas dans la vocation de la Caisse des dépôts et consignations de porter un établissement de cette nature, même pour le compte de l'Etat.

M. Jean-Pierre Delalande.

Très bien ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Ensuite, les règles prudentielles, en fonction desquelles cet établissement a besoin d'être recapitalisé, doivent être respectées. La commission bancaire a autorisé le Crédit foncier à rester dans cette situation intermédiaire parce que nous pensions tous qu'un repreneur apparaîtrait rapidement. Malheureusement, les offres ne se sont pas manifestées comme nous pouvions l'espérer.

Je vous sais gré, monsieur le député, d'avoir eu l'honnêteté de rappeler que le gouvernement de M. Juppé avait essayé plusieurs fois de trouver un repreneur, sans succès.

M. Philippe Auberger.

Vous n'avez pas été meilleur ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l 'industrie.

Le Gouvernement a donc poursuivi la démarche ainsi entreprise mais, contrairement à ce qui s'est passé avec le CIC et le GAN, pour lesquels nous avons réussi alors que le gouvernement de M. Juppé avait dû interrompre la procédure, nous n'avons pas réussi à trouver un repreneur. Nous n'avons même eu à traiter qu'une seule offre, celle d'un opérateur américain. Elle n'était pas forcément mauvaise parce qu'américaine, mais elle émanait d'un établissement financier n'ayant actuellement aucune assise sur la place.

Cette offre de reprise a donné lieu à de longues discussions à la fois sur le projet industriel, car il faut non seulement reprendre le Crédit foncier, mais aussi avoir un projet pour son développement ; sur les questions sociales parce que nous souhaitons, comme cela a été le cas pour le CIC et pour le GAN, que la solution trouvée soit approuvée par le personnel et serve les intérêts tant de l'entreprise que du personnel ; et sur l'aspect patrimonial.

Nous avons beaucoup avancé sur le projet industriel au cours des semaines qui ont précédé l'été et nous avions bien progressé sur le projet social.

M. Yves Nicolin.

En clair, où en sommes-nous ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

En revanche, lorsque la discussion s'est portée sur la partie patrimoniale, il est apparu clairement (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance) que nos partenaires américains n'avaient pas l'intention de payer le prix que vaut le Crédit foncier. Garant, au nom du Gouvernement, des intérêts de l'Etat, donc du contribuable, il m'est apparu indispensable, d'abord de les relancer à la fin du mois d'août, puis de rompre les négociations, comme vous l'avez constaté, au début du mois de septembre. En effet, il n'était pas possible de choisir une solution dans laquelle le repreneur potentiel ne voulait pas payer le prix réel du Crédit foncier.

M. Pierre Lellouche.

Et maintenant ? M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Qu'allons-nous faire maintenant ? (« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Si vous faites silence, vous allez le savoir.

M. Jacques Myard.

Il peut le dire ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je suis heureux de l'intérêt que manifeste l'assemblée tant sur les questions financières en général qu'à l'égard d'un dossier d'actualité, puisqu'il ne date que de deux ans et demi. (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. André Santini.

Alors ? M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

J'y viens ! Eh bien, nous allons faire dans l'autre sens. (« Ah ! »s ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Je vois, monsieur Santini, que vous appréciez le sérieux de ma réponse.

M. André Santini.

Sérieux n'est pas tout à fait le mot adéquat ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Nous allons donc commencer par recapitaliser le Crédit foncier au lieu de le céder non recapitalisé.

Compte tenu de l'absence de repreneur, nous allons ainsi assurer la restructuration financière et commerciale du Crédit foncier.

A cet égard je veux rassurer M. Balligand, président du conseil de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations qui s'inquiète régulièrement auprès de moi de ce bébé qu'on lui fait porter depuis deux ans et demi et qu'il n'a pas vocation à langer longtemps encore : nous allons recapitaliser le Crédit foncier et, lorsqu'il sera recapitalisé, ce qui est l'affaire de quelques mois,...

M. Yves Nicolin.

Combien de temps cela va-t-il durer ? M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Ne soyez pas impatients, vous avez déjà su attendre ! ... nous reprendrons une procédure analogue à celle qui a si bien réussi pour le CIC et pour le GAN. Je ne doute pas que nous puissions alors trouver un repreneur qui satisfasse aux trois conditions que je pose : que le projet industriel permette le développement du Crédit foncier et non pas son extinction progressive ; que les intérêts du personnel soient préservés et qu'il soit associé à ce développement du Crédit foncier ; enfin, que l'Etat, donc les contribuables, y trouvent la reconnaissance nécessaire des efforts consentis au travers d'une rentrée financière qui sera bien utile.

Quand ces trois conditions auront été remplies - et je ne doute pas qu'elles puissent l'être -, nous verrons comment la procédure juridique sera mise en oeuvre. Ce processus devrait être mené à terme au cours du premier semestre de 1999. Par conséquent, monsieur le député, je vous donne rendez-vous dans les premiers mois de 1999 pour faire le bilan de cette opération.

M. André Santini.

Il s'agissait donc d'une bonne question et nous vous la reposerons ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je constate d'ailleurs avec plaisir qu'elle traduit votre intérêt pour la restructuration financière.

(Applaudissement sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous avons terminé les questions au Gouvernement.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à seize heures est reprise à seize heures vingt sous la présidence de M. Arthur Paecht.)

PRÉSIDENCE DE M. ARTHUR PAECHT,

vice-président

M. le président.

La séance est reprise.

J'informe le Gouvernement et l'Assemblée que la séance sera levée à dix-neuf heures vingt précises.

M. Jean-Pierre Brard.

Pourquoi ?

M. le président.

Monsieur Brard, je ne suis pas obligé de vous livrer les secrets de la présidence.

(Sourires.)

M. Jean-Pierre Brard.

Alors parce que tel est le bon plaisir...

2 LOI DE FINANCES POUR 1999 Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi de finances pour 1999 (nos 1078, 1111).

Discussion générale (suite)

M. le président.

Ce matin, l'Assemblée a commencé d'entendre les orateurs inscrits dans la discussion générale.

La parole est à M. Philippe Auberger.

M. Philippe Auberger.

Monsieur le secrétaire d'Etat au budget, lorsque vous nous avez présenté le projet de budget du Gouvernement pour 1999, vous nous aviez annoncé trois objectifs.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

Premièrement, la France va demeurer à l'abri des turbulences financières et monétaires internationales...

M. Gérard Fuchs.

C'est fait !

M. Philippe Auberger.

... et la croissance se poursuivra l'année prochaine à un rythme comparable à celui de cette année.

M. Gérard Fuchs.

C'est presque fait !

M. Philippe Auberger.

Deuxièmement, les comptes publics seront en amélioration. La réduction des déficits publics sera en particulier poursuivie.

Enfin, troisièmement, une réforme fiscale de grande ampleur sera engagée.

Ne s'agit-il pas plutôt de voeux pieux ? Notre pays est parvenu jusqu'à présent à rester assez largement à l'écart des turbulences des marchés asiatiques et de la récession japonaise. Mais, à mesure que la crise financière se propage en Russie, en Amérique latine, et demain peut-être en Chine, qu'elle s'accompagne d'une chute importante du dollar - 10 % en six mois -, chute dont le rapport économique et financier tant vanté hier par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, qui n'avait pas d'adjectif suffisamment élogieux pour le qualifier, ne fait même pas mention, et que, par ailleurs, des pays européens figurant parmi nos partenaires commerciaux importants, comme la Grande-Bretagne et l'Italie, connaissent eux-mêmes un net ralentissement de leur activité, on est en droit de penser que la phase de reprise de la croissance est derrière nous. Certains analystes économiques estiment même que la baisse prolongée du dollar, dont il n'est d'ailleurs pas fait mention non plus dans le rapport général, peut, alors que le projet de budget a été établi avec une prévision d'un dollar à 6 francs - et il est actuellement à un peu plus de 5,40 francs - mettre en péril un point de notre croissance.

N'y-a-t-il pas d'ailleurs, mes chers collègues, une formidable contradiction à prétendre ne pas avoir lieu d'être inquiet et, dans le même temps, proposer aux autres pays membres du G 7 un vaste plan d'action en douze points pour mieux juguler les crises financières ? Si la crise financière actuelle n'était pas si grave, pourquoi user notre crédit à faire de telles propositions ? La détérioration de la situation économique risque, à bref délai, d'avoir des répercussions importantes sur la psychologie des acteurs économiques. Les ménages sont particulièrement sensibles à la situation de l'emploi. Or, après une amélioration incontestable, les chiffres du chômage des mois de juillet et d'août ne sont pas bons. La fragilité de la situation apparaît dans sa dure réalité : l'amélioration est due au travail intérimaire, aux contrats à durée déterminée, voire aux emplois-jeunes, beaucoup plus qu'aux contrats à durée indéterminée, et la durée moyenne du chômage de longue durée ne cesse de s'allonger. Bref, l'embellie s'estompe.

Quant aux entreprises, si elles ont été sensibles jusqu'à présent à la baisse des taux d'intérêt, elles constatent que leurs résultats diminuent alors que la chute de la Bourse va rendre l'appel aux financements extérieurs plus difficile. Leurs programmes d'investissement risquent par conséquent d'être différés.

Depuis un mois, tous les indicateurs, toutes les enquêtes annoncent une détérioration de la situation économique. Sans doute le Gouvernement aurait-il été mieux inspiré d'écouter les conseils du premier secrétaire du parti socialiste - même s'il est absent cet après-midi et d'attendre de disposer d'éléments plus précis avant d'arrêter son objectif de croissance économique. M. Hollande a en effet lui-même considéré que le Gouvernement s'était précipité.

M. Michel Bouvard.

Tout à fait !

M. Philippe Auberger.

Si ce dernier l'avait écouté, il ne serait pas maintenant dans la position de refuser, contre toute évidence, de revoir ses prévisions à la baisse.

Le projet de budget pour 1999 doit, nous dit-on, être une étape décisive pour l'amélioration des comptes publics : il est prévu de ramener le déficit budgétaire de 257 à 237 milliards de francs. Mais, déjà, les plus-values fiscales connues à ce jour permettent d'escompter obtenir ce résultat en 1998. Dans ces conditions, aucun réel progrès n'apparaîtrait en 1999.

En outre, ce progrès doit être obtenu en faisant sortir du budget de l'Etat les dotations à Réseau ferré de France, à l'établissement de défaisance du Crédit Lyonnais et aux Charbonnages de France, dont le financement serait assuré par la vente de titres publics.

La conjoncture boursière a obligé à différer ces opérations. On a en conséquence des doutes sérieux sur la possibilité de trouver les recettes correspondantes.

Ramener le déficit du budget de l'Etat à 237 milliards de francs, c'est accepter que le budget courant soit en déficit de l'ordre de 100 milliards de francs. Qui peut se satisfaire que nous soyons obligés d'emprunter pour financer les dépenses courantes et ainsi faire porter aux générations futures le poids d'un tel fardeau ? Est-il normal que le poids de la dette publique par rapport au PIB continue d'augmenter ? On nous annonce qu'il atteindra 58,7 % en 1999, c'est-à-dire presque le seuil fatidique prévu par le traité de Maastricht.

Certes, on nous affirme que l'ensemble des déficits publics ne dépassera pas 2,3 % du PIB en 1999. Mais qui peut croire une telle prévision qui repose sur l'hypothèse peu crédible que les comptes de la sécurité sociale seront à l'équilibre, grâce à une progression de la masse salariale plus forte en 1999 qu'en 1998 - alors que la croissance sera plus faible - et à un net ralentissement de la progression des dépenses d'assurance-maladie, alors qu'aucune réforme structurelle sérieure n'a été entreprise ? Ce faisant, on nous cache que nous serons, parmi les pays qui feront parti de l'euro en 1999, celui qui fera le moins de progrès pour rétablir ses comptes publics. Ne gaspille-t-on pas ainsi la chance que représente la croissance ? Enfin, on nous annonce pour 1999 une baisse des prélèvements obligatoires et l'engagement d'une grande réforme fiscale. En ce qui concerne les prélèvements obligatoires, la majorité actuelle avait pris en 1997, c'est vrai, l'engagement de les stabiliser puis de les diminuer. Or, les mesures prises dans le courant de l'année 1997 se sont traduites par une augmentation de ces prélèvements ; ceux-ci sont passés, selon Eurostat, l'organisme de statistiques des Communautés européennes, à 86,3 %, soit une augmentation de plusieurs dixièmes de point en une seule année.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

86 %, c'est un pourcentage digne de Moscou !

M. Philippe Auberger.

Qui peut croire en conséquence qu'ils vont baisser en 1998 et en 1999 après toutes les mesures d'aggravation contenues dans les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale ?

M. Gilles Carrez.

C'est juste !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

M. Philippe Auberger.

Pour les seules recettes fiscales de l'Etat, la prévision de recettes de la loi de finances initiale pour 1999 par rapport à la loi de finances initiale pour 1998, à périmètre constant et nettes des dégrèvements et remboursements, fait apparaître une augmentation de 75 milliards de francs, c'est-à-dire de 5,2 %. Qui peut croire que, avec de tels chiffres on peut parvenir à une baisse des prélèvements obligatoires de l'Etat ? C'est, au contraire, à une aggravation de ceux-ci qu'il convient de s'attendre.

Certes, le ministre de l'économie et des finances, relayé d'ailleurs par le rapporteur général, a tenté de masquer la réalité des chiffres...

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du plan.

Pas du tout ! M. Philippe Auberger ... en établissant un tableau des baisses d'impôt pour l'année 1999. Mais, comme la presse n'a pas tardé à le relever, ce tableau est tronqué : vous omettez de mentionner une aggravation importante de l'impôt sur le revenu liée à la réduction drastique du plafond applicable au quotient familial, ce qui représentera un coût de 4 milliards de francs pour plus de 600 000 familles.

M. Michel Bouvard.

Tout à fait !

M. Gilles Carrez.

Eh oui. Cela a déjà été relevé hier.

M. Philippe Auberger.

La réforme de la taxe professionnelle devait entraîner pour les entreprises une diminution de charge fiscale nette de 12 milliards de francs.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Personne n'a jamais dit ça !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

On a toujours parlé de 7 milliards.

M. Philippe Auberger.

Mais par diverses astuces, on leur reprend les cinq douzièmes de l'allègement espéré.

Pour la plupart des contribuables, cette réforme fiscale sera donc illusoire.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

C'est vous qui le dites !

M. Philippe Auberger.

D'ailleurs, prétendre engager une grande réforme fiscale et décider d'y consacrer moins de 1 % du produit des impôts ne peut que laisser sceptique.

En définitive, le projet de budget ne répond pas aux nécessités de la conjoncture, à une bonne utilisation des fruits de la croissance, à l'attente des Français, en particulier en ce qui concerne la baisse des impôts.

Le président de l'Assemblée nationale n'a-t-il pas sous une forme très policée, porté un jugement sévère et sans équivoque sur le projet de budget, lorsque, devant la Société d'économie politique, il a posé deux questions ? L'embellie de notre produit national brut n'aurait-elle pas pu être mieux utilisée pour faire baisser la dette et les impôts ? Le projet de loi de finances ne présente-t-il pas une faible capacité d'« évolutivité » par rapport aux possibles aléas à venir ? En deux questions, il avait résumé le jugement que toute personne objective peut émettre sur le projet de budget.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Comment le projet de budget aurait-il pu mieux répondre aux préoccupations des Français ? D'abord, mes chers collègues, les agents économiques disposent de plus en plus d'informations, notamment financières. Ils sont inquiets actuellement de l'ampleur de la crise. Ils souhaitent que les pouvoirs publics ne les endorment pas avec des prévisions lénifiantes et veulent qu'on leur présente des perspectives plus crédibles. Je crois savoir que l'INSEE est en mesure de produire de telle prévisions. Il faut donc avoir le courage de les présenter aux Français.

N os concitoyens, par ailleurs, sont suffisamment lucides pour savoir que la prévision, dans des temps aussi agités, est nécesairement aléatoire. Dans ces conditions, pourquoi ne pas sortir du carcan des dotations budgétaires annuelles fixées ne varietur et prévoir qu'une fraction de crédits sera utilisable si un soutien budgétaire plus appuyé révèle indispensable ? Lorsque les circonstances le commandent, la gestion publique doit faire preuve de flexibilité.

Le projet de budget comporte indiscutablement un relâchement des dépenses publiques qui, depuis quatre ans, n'ont jamais augmenté aussi vite. Rien ne justifie un tel choix. Celui-ci empêche de consacrer les fruits de la croissance à d'autres objectifs plus urgents : la diminution du déficit, la baisse des impôts. Un réexamen de ces priorités est par conséquent indispensable.

En ce qui concerne la réforme fiscale, le choix des priorités n'est pas le bon. Comme l'a dit récemment M. le Président de la République, il faut absolument reprendre l'effort de diminution des charges sur les bas salaires.

M. Malinvaud dont personne ne peut mettre en doute les qualités exceptionnelles d'analyse, en a apporté récemment la démonstration. Les mesures prises en faveur de l'emploi par le gouvernement actuel s'essoufflent. Les crédits nécessaires pour mettre en place les 35 heures représentent à peine 40 000 emplois.

Quand on sait que, il y a six mois, Mme Aubry espérait de cette loi entre 500 000 et 700 000 emplois supplémentaires, on peut mesurer l'ampleur de la déception.

M. Gilles Carrez.

Elle est grande.

M. Philippe Auberger.

Quant à l'allégement de près d'un tiers de la taxe professionnelle que vous proposez, m onsieur le secrétaire d'Etat, vous en escomptez 25 000 emplois supplémentaires la première année et 100 000 au bout de cinq ans pour un coût global de 40 milliards de francs. Or votre collègue, Mme Aubry, s'exprimant devant la commission des finances, a refusé d'avaliser une telle estimation. C'est dire qu'il devient urgent de reprendre l'effort de baisse des charges sur les bas salaires, qui est seul porteur d'un réel espoir pour l'avenir.

M. Jean de Gaulle.

Très bien !

M. Philippe Auberger.

Or cet effort a malheureusement été brutalement interrompu l'année dernière. En effet, les crédits ont diminué de 20 % dans le budget de 1998. Et on ne voit pas ce que les hésitations actuelles du Gouvernement vont apporter de plus à un débat qui n'a que trop duré.

Le produit de l'impôt sur le revenu augmentera cette année de près de 17 milliards de francs. Un tel alourdissement du poids de cet impôt est profondément démotivant. Il conduit notamment les jeunes diplômés dynamiques à s'expatrier. Un allégement de l'ensemble des tranches du barème, comme l'avait engagé Alain Juppé, doit être repris. Les Anglais, les Italiens et probablement bientôt les Allemands nous montrent la voie.

M. Michel Bouvard.

Eh oui !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

M. Philippe Auberger.

De même, il devient urgent, dans un souci de justice fiscale, de « familialiser » enfin et totalement la décote...

M. Michel Bouvard et M. Jean de Gaulle.

Très bien !

M. Philippe Auberger.

... et ainsi d'aligner la situation fiscale des contribuables mariés modestes sur celle des non-mariés.

M. Michel Bouvard.

Oui, mais cela n'intéresse pas les socialistes !

M. Philippe Auberger.

Enfin, le Gouvernement a prétendu « moraliser » les avantages fiscaux liés à l'assurancevie.

M. Michel Bouvard.

Parlons-en !

M. Philippe Auberger.

On appréciera en quoi le fait pour l'Etat de revenir sur la règle applicable au moment de l'engagement constitue un acte de « moralisation ».

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Au contraire, revenir sur la parole donnée constitue, même pour l'Etat, un acte parfaitement immoral.

(Mêmes mouvements.)

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Il date de quand votre texte, monsieur Auberger ?

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Il faut suivre l'actualité et les travaux de la commission !

M. Philippe Auberger.

Je participais encore ce matin aux travaux de la commission, monsieur le rapporteur général. Je vous y ai d'ailleurs fait un certain nombre d'observations.

M. Georges Tron.

Il y a quelques pressions, monsieur Auberger !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Pas la vôtre, en tout cas !

M. Georges Tron.

Alors de qui ?

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Il y a aussi des convictions !

M. Philippe Auberger.

Si l'assurance-vie, mes chers collègues, doit une part de son succès aux avantages qui s'y rattachent, c'est parce que les droits de succession ont, à leur niveau actuel, un caractère éminemment confiscatoire.

M. Michel Bouvard.

Tout à fait !

M. Philippe Auberger.

Et tout cela est la conséquence de la non-révision de la franchise et, surtout, du caractère excessif des taux d'imposition des successions, taux qui avaient été doublés par un gouvernement et une majorité socialistes en 1984.

M. Michel Bouvard.

Tout à fait !

M. Jean de Gaulle.

Eh oui !

M. Philippe Auberger.

Une réforme de cette imposition apparaît donc des plus urgentes. Et les mesures prises au fil du temps en matière de donation demeurent à cet égard insuffisantes.

Le projet de budget mériterait donc, sur bien des points, d'être profondément remanié.

S'il n'emporte pas l'adhésion, et cela bien au-delà de l'opposition, c'est parce qu'il n'est porteur ni d'un grand dessein ni de perspectives claires. Les deux gouvernements précédents s'étaient astreints à présenter, adossés à leur projet de budget, des prévisions quiquennales qui exprimaient nettement les objectifs suivis et les contraintes rencontrées. Ici, rien de tel : on ne sait pas, en matière budgétaire et économique, où le Gouvernement entend aller, au-delà des prochains mois. Cette situation est d'autant plus contestable que le Gouvernement déclare disposer de la durée : il pourrait, s'il le voulait, se fixer des objectifs à moyen terme et se donner les moyens de les respecter.

Pourquoi une telle carence, mes chers collègues ? Certains diront que c'est parce que la majorité est plurielle et n'est unie qu'en apparence et que, dans ces conditions, afficher des objectifs trop précis risquerait de multiplier les occasions de friction, voire de fracture.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

C'est mieux que l'Alliance.

M. Philippe Auberger.

D'autres pensent qu'un tel affichage ne serait pas bon pour les ambitions présidentielles du Premier ministre, s'il s'avérait au fil des années que les objectifs affichés ne seraient pas tenus.

Il ne m'appartient pas de trancher ce débat. Mais il est certain que l'absence de perspectives retire encore un peu plus de crédibilité à ce projet.

Le Premier ministre nous a affirmé jeudi soir que, après avoir découvert le mouvement, il venait de découvrir l'ordre. A la lecture du projet de budget, on peut se demander si M. Jospin n'a pas plutôt oublié le mouvement, tant le budget n'est porteur d'aucun élan, d'aucune énergie, d'aucune dynamique face à une conjoncture incertaine et à des problèmes structurels aigus. C'est la raison pour laquelle le groupe du Rassemblement pour la République refusera de l'approuver.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Alain Bocquet.

M. Alain Bocquet.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la loi de finances pour 1999, après un budget 1998 qui soldait les mauvais comptes de la droite, est en fait le premier budget de la gauche.

Au moment où s'engage notre débat, l'attente de nos concitoyens est forte : une attente souvent angoissée pour des millions d'entre eux touchés par le chômage, la précarité, la mal-vie. Ils ont beaucoup misé sur le changement auquel ils ont contribué. Les engagements ont été pris, qui doivent être tenus.

Soyons clairs : nous n'avons pas la prétention d'avoir, à nous seuls, toutes les réponses au vaste problème budgétaire posé en pleine crise financière internationale.

Nous savons aussi que les choix du parti dominant de la majorité sont respectueux des contraintes de Maastricht et du pacte de stabilité. Cela dit, nous sommes un groupe de la majorité qui a des idées - pas toutes à prendre ou à laisser - pour combattre efficacement les dogmes de la spéculation financière et cette loi implacable de l'argent pour l'argent qui ronge notre société comme un cancer.

On se dit parfois que si l'on écoutait un peu plus les députés communistes,...

M. Jean-Jacques Jégou.

Ils vous écoutent déjà beaucoup trop !

M. Alain Bocquet.

... la majorité dans laquelle nous travaillons de plain-pied ne s'en porterait que mieux...

M. Jean-Jacques Jégou.

Ah !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

M. Alain Bocquet.

... pour affronter l'éventuel retournement de conjoncture que l'on annonce.

Le budget pour 1999 doit être guidé par deux ambitions : que notre peuple soit plus heureux et la France plus forte.

M. Jean-Jacques Jégou.

Le bonheur, quoi !

M. Alain Bocquet.

Le projet que vous nous avez présenté, que nous avons déjà fait évoluer pour notre part dans un sens plus à gauche, n'est pas pour autant à la hauteur des menaces de plus en plus tangibles qui pèsent sur la croissance et sur l'emploi.

L'horizon économique s'obscurcit, les prévisions du FMI, comme celles des entreprises, sont révisées à la baisse. Les experts prévoient l'essoufflement de la reprise dans les prochains mois. La priorité donnée partout à la Bourse et à la croissance financière est en train de déboucher sur une crise mondiale majeure. Le FMI et le G7 prétendent toujours en faire supporter le poids aux peuples d'Asie, de Russie ou d'Amérique latine, en exigeant toujours plus de rigueur budgétaire et encore moins de création monétaire et de crédit pour l'investissement et la consommation. Ils refusent de s'attaquer aux causes de la crise, c'est-à-dire à la dictature des marchés financiers sur la politique économique des nations. C'est la voie ouverte à une guerre économique à outrance. Et certains s'en réjouissent et poussent au pire pour imposer partout la loi de l'austérité.

Je veux, à ce propos, saluer la réponse donnée par M. le Premier ministre Lionel Jospin à la question sur l'accord multi-investissement posée par notre collègue et ami Robert Hue. Nous la partageons pleinement.

Qui peut croire que la zone mark ou euro sera un havre de paix dans la tempête ? La baisse de nos exportations liée à l'austérité d'autres pays pèsera tôt ou tard sur l'emploi en France.

Ceux qui se réjouissent de voir des capitaux spéculatifs se réfugier conjoncturellement dans les pays de l'Union européenne oublient qu'ils y arrivent avec leurs exigences de rentabilité et entendent qu'elles soient satisfaites. Les fonds de pension américains, par exemple, viennent de le montrer en se retirant brutalement d'Alcatel, jugeant ses managers « incompétents » pour n'avoir pas annoncé 35 000 licenciements.

De même, si l'euro intéresse les brasseurs d'argent facile, c'est parce qu'il s'annonce comme une monnaie de combat, conçue pour la guerre économique et financière et d'autant plus attractive à leurs yeux qu'elle est flanquée du véritable pacte de fer antisocial qu'est le « pacte de stabilité », et gérée par une Banque centrale européenne à la mission et aux statuts les plus ultra-libéraux de la planète.

Ce n'est donc pas ce type de bouclier qui protégera les Européens des effets déstabilisateurs de cette crise. L'euro se révélera très vite n'être qu'un bouclier de papier.

La France ne peut accepter le diktat des marchés financiers sans hypothéquer son avenir. Il ne s'agit pas de sauver le système financier et ses errements actuels, mais bien de dégager de nouveaux rapports fondés sur l'emploi et le crédit pour la croissance réelle.

C'est un point essentiel. La France doit prendre des initiatives internationales en Europe et dans le monde pour une révision en profondeur du système monétaire i nternational, pour promouvoir de nouveaux mécanismes - la taxe Tobin pourrait être l'un d'entre eux capables de contenir les mouvements spéculatifs et de favoriser les coopérations et le codéveloppement des

Etats. Dans un pays qui compte trois millions de chômeurs, le budget ne peut se limiter à répartir le surplus de rentrées fiscales en accompagnant une reprise fragile. Il doit donner les moyens de soutenir l'activité et de s'attaquer aux causes structurelles de la crise. Les députés commun istes proposent une politique budgétaire construite autour de quatre priorités : soutenir la demande par l'augmentation du pouvoir d'achat des salariés et des retraités, relancer l'investissement productif et l'innovation, donner aux collectivités locales les moyens de leur politique, lutter contre la spéculation.

Les communistes apprécient que le Gouvernement ait repris plusieurs mesures qu'ils proposaient en ce sens.

Mais le compte n'y est pas. La démarche elle-même nous interpelle, en laissant la voie ouverte à des nouvelles dérives financières. Elle doit être infléchie.

Réduire la part des salaires dans l'assiette de la taxe professionnelle est certes positif pour l'emploi. Mais ne pas y inclure les actifs financiers, c'est fournir à la spéculation boursière un formidable aliment, tout comme d'ailleurs le projet sur les fonds de pension, la poursuite des privatisations ou encore le projet de déstructuration des caisses d'épargne. On ne peut sortir de cette contradiction qu'en adoptant une attitude ferme contre les spéculateurs. Ce choix ne met pas en difficulté les entreprises tant publiques que privées. Il faut conforter toutes les initiatives pour l'investissement et l'emploi.

Donner des gages à un ultralibéralisme qui fait pourtant la preuve de son incapacité à répondre à la crise ne pourrait que fragiliser notre économie. C'est du libéralisme qu'il faut se dégager, de ses dogmes, de sa logique qui ramène tout à l'argent, au mépris des êtres humains, des intérêts de la France et de son peuple.

Notre projet communiste, vous le savez, ce n'est pas

« l'encadrement » du capitalisme pour le rendre un peu plus civilisé. C'est son dépassement effectif.

Si on n'y prend garde, sous la pression de la Banque européenne, la France pourrait être conduite à geler, au début de l'année, des crédits votés et annuler les effets positifs des lois sur les 35 heures et les emplois-jeunes. Le budget pour 1999 doit, au contraire, traduire les engagements précis du parti communiste et du parti socialiste et empêcher, par le relèvement du pouvoir d'achat du SMIC et des minimas sociaux, un retournement de la conjoncture. Tout doit être mis en oeuvre pour protéger notre peuple et notre pays.

Un budget de gauche doit contenir des avancées réelles en termes de valeurs progressistes, des signes forts en direction de ceux qui sont le plus en difficulté.

Le CNPF s'insurge quand est évoquée l'intégration des biens professionnels dans l'assiette de l'impôt sur la fortune ; mais on passe facilement sous silence la fraude fiscale, tout comme cet impôt sur la grande pauvreté que constitue aujourd'hui la TVA. Celle-ci représente 13 % des revenus des ménages à faible niveau de vie et moitié moins pour les ménages les plus aisés. La réalité, c'est q u'un salarié payé au SMIC paye de 700 francs à 1 000 francs par mois de TVA sur des dépenses incompressibles ; or l'on sait que 45 % des recettes du budget proviennent de la TVA.

Il faut réduire en priorité cet impôt qui frappe en premier lieu la consommation populaire. Son taux doit être abaissé sensiblement sur les produits alimentaires, la consommation d'eau, de gaz, d'électricité. C'est parfaitement possible : quand le Gouvernement prévoit plus de 50 milliards de rentrées supplémentaires en 1999 au titre de la TVA, il peut bien en consacrer la moitié à réduire


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

l'impôt sur la consommation. Pourquoi ne pas accepter nos propositions de réduction de TVA sur les lunettes, sur les appareils auditifs, sur la collecte et le traitement des déchets, ce qui inciterait les communes à passer au tri sélectif, sur le marché funéraire, sur les droits d'admission aux installations et activités sportives ? Et que l'on n'aille pas prétendre qu'une réduction des taux de TVA ne serait pas euro-compatible : il existe déjà des produits taxés à 2,1 %.

Le Gouvernement met en avant, avec raison, la question de l'emploi pour indiquer que sa réforme de la taxe professionnelle créerait à terme 100 000 emplois. Mais, pour une charge de 60 milliards à compenser aux communes, sans vraie garantie, dans quelques années, cela met l'aide à 600 000 francs pour un emploi au demeurant non assuré. Est-ce vraiment le calcul le plus efficace ? Monsieur le ministre, nous ne pouvons approuver votre réforme de la taxe professionnelle, telle que vous nous la présentez. La majorité des élus locaux et de leurs associations s'y opposent avec détermination. Ils ont raison ! Vous avez, monsieur le ministre, affirmé hier soir que la compensation pour les communes serait assurée par le gouvernement actuel. Le gouvernement actuel... Mais les autres ?

M. Jean-Jacques Jégou.

M. Bocquet n'aurait-il pas confiance ?

M. Philippe Auberger.

Il voudrait déjà un changement de gouvernement !

M. Alain Bocquet.

D'expérience, les élus savent à quoi s'attendre... Mieux vaut tenir que courir.

M. Philippe Auberger.

Les communistes laissent entendre que votre Gouvernement serait fragile, monsieur Sautter !

M. Alain Bocquet.

C'est pourquoi nous voterons contre votre disposition relative à la taxe professionnelle. Nous proposerons d'autres solutions plus efficaces pour préserver l'emploi et pour garantir l'autonomie et les moyens des communes,...

M. Jean-Jacques Jégou.

Très bien !

M. Alain Bocquet.

... sans faire payer par tous les contribuables le cadeau fait au patronat sans garantie d'emplois.

M. Pierre Lellouche.

Et voilà la majorité plurielle !

M. Alain Bocquet.

Le budget doit s'attaquer à la spéculation financière par la suppression des avantages fiscaux dont elle bénéficie. Les revenus du capital doivent être imposés comme les revenus du travail ; or c'est loin d'être le cas. Notre fiscalité repose toujours sur une iniquité : 80 % proviennent du revenu des ménages et 20 % du capital. Il est possible de baisser les impôts pour les plus faibles et de les augmenter pour les plus fortunés ; ce n'est pas faire de surenchère. Quand nous proposons de faire entrer les biens professionnels dans l'assiette de l'impôt sur la fortune, c'est une mesure de justice, qui contribue dans le même temps à combattre les dérives spéculatives. Récemment, la revue Challenge relève que les patrimoines - fortunes personnelles - n'ont jamais augmenté autant que pendant la première année du pouvoir de la gauche plurielle.

M. Philippe Auberger.

Tiens, tiens !

M. Alain Bocquet.

Et le Conseil national des impôts avait relevé récemment l'efficacité d'une telle intégration dans le calcul de l'assiette de l'ISF.

Quand on a trois millions de chômeurs, des difficultés reconnues dans le domaine de l'enseignement, de la sécurité ou de la ville, un budget de gauche se doit d'être créateur net d'emplois et d'accompagner la création de droits nouveaux pour les salariés dans les entreprises, qu'il s'agisse de l'investissement ou du moratoire des licenciements.

Quand l'investissement privé piétine en dépit de la baisse historique des taux d'intérêt nominaux, le total des investissements civils de l'Etat, dont l'effet multiplicateur sur le secteur privé est pourtant reconnu, ne peut stagner à 72 milliards d'une année sur l'autre, très en dessous de ce qu'il était lorsque la droite est revenue au pouvoir en 1993 et, de surcroît, rester inchangé d'une année sur l'autre, alors que l'investissement militaire augmente, lui, de 5 milliards, pour atteindre 86 milliards.

M. Pierre Lellouche.

C'est un minimum !

M. Alain Bocquet.

Le budget de la défense, je ne vous le cache pas, nous pose d'ailleurs problème, alors que les engagements pris l'an dernier n'ont pas été tenus.

Les budgets sociaux, comme celui de l'éducation nationale dont le mouvement lycéen témoigne des besoins, de la solidarité, de la santé, du logement, des collectivités locales doivent recevoir des moyens indispensables pour répondre aux besoins urgents.

Quant à la taxe générale sur les activités polluantes, elle ne saurait être un moyen pour Bercy de centraliser le produit de l'impôt,...

M. Philippe Auberger.

C'est pourtant le cas !

M. Pierre Méhaignerie.

Très bien !

M. Jean-Jacques Jégou.

Bravo !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Il y a du Méhaignerie dans ce texte !

M. Alain Bocquet.

... pour mettre en difficulté les agences de l'eau et les collectivités locales.

M. Philippe Auberger.

Il parle d'or !

M. Alain Bocquet.

C'est l'avenir du traitement de l'eau qui se voit compromis.

Il est grand temps que l'on réfléchisse à créer les conditions d'un vrai service public de l'eau. L'argent de l'eau doit aller à l'eau. Chaque citoyen doit être placé à égalité devant ce produit de première nécessité.

Ce budget doit répondre aux attentes des Français et donner des signes clairs d'une volonté politique. Il doit accorder la retraite anticipée aux anciens d'Afrique du Nord. C'est la dernière année où la mesure aurait un sens, et c'est une promesse explicite de la gauche.

M. Pierre Lellouche.

Qui ne sera pas tenue !

M. Philippe Auberger.

Une de plus !

M. Alain Bocquet.

Il faut relever le minimum des retraites agricoles à un niveau décent ; créer, notamment dans l'éducation, les emplois publics dont le besoin est reconnu ; répondre à la proposition du Parlement des enfants d'une infirmière dans chaque groupe scolaire, tout comme il faut assurer aux salariés le droit de prendre leur retraite après quarante annuités et donner une nouvelle impulsion aux contrats ARPE pour l'embauche des jeunes.

De la même façon, il faut être plus offensif en matière de protection sociale. Et pour que la loi de financement soit de gauche comme le budget, elle devrait inclure des mesures comme le versement des allocations familiales dès le premier enfant et intégrer les profits financiers dans l'assiette de la cotisation patronale.

Le débat budgétaire commence à peine. Il dépend aussi de tous les députés de la majorité d'infléchir ce budget selon leurs convictions ; c'est une question de volonté


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politique. Pour notre part, nous avons cette volonté. Avec les salariés, les organisations syndicales et les représentants du mouvement associatif, les députés communistes souhaitent que la gauche adopte un budget de combat pour l'emploi et contre la spéculation financière, le budget de justice dont la France a besoin. Nous venons de rencontrer nombre d'entre eux au cours d'un forum citoyen, ce lundi, ici même, à l'Assemblée nationale. Sachez que leurs exigences sont fortes ; il ne faut pas les décevoir. Ils savent que l'on ne peut pas tout, tout de suite. Mais il y a des urgences sociales qui méritent des réponses immédiates.

L'intervention du mouvement social et l'intervention citoyenne sont des facteurs contributifs d'un meilleur budget. Pour sa part, le parti communiste français fait circuler une pétition allant dans le même sens ; elle recueille déjà des signatures par centaines de milliers.

Nous viendrons d'ailleurs vous les déposer lundi prochain à Bercy.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Vous êtes dans le Gouvernement, quand même ! Il ne faut pas l'oublier ! Remettez-le à vous-même !

M. Alain Bocquet.

Trop de fantômes du libéralisme hantent encore les bureaux de votre ministère, monsieur le secrétaire d'Etat. Nous sommes là pour aider à les chasser.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

On croit rêver !

M. Alain Bocquet.

Il y va de l'intérêt commun de notre majorité de gauche plurielle, qui doit faire preuve d'audace et de courage et décider de profondes réformes de structure. La réussite et le changement sont à ce prix.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Déposez votre pétition chez Gayssot !

M. Alain Bocquet.

Que les choses soient claires : nous sommes dans la majorité...

M. Nicolas Forissier et M. Philippe Auberger.

Ah bon ?

M. Michel Inchauspé.

Nous voilà rassurés !

M. Alain Bocquet.

... et nous entendons y rester, pour une raison majeure : nous voulons, dans le cadre fixé l'an dernier, mettre toute notre énergie, notre capacité d'initiative et de réflexion au service du progrès social attendu par notre peuple, que personne ne s'y trompe.

C'est dans cet état d'esprit que nous abordons l'examen du budget 1999, avec la volonté de le rendre tout simplement, mais nettement, meilleur. Car il demande à ê tre très sensiblement amélioré pour répondre aux besoins.

M. Jean-Jacques Jégou.

C'est dur !

M. Alain Bocquet.

En un mot, que l'on n'attende pas de nous le silence ou la surenchère : ces deux démarches opposées en apparence ne sont, en vérité, que les deux faces d'une même impuissance, d'une même faiblesse, d'un même refus de construire le changement. Les députés communistes et partenaires se situent sur un autre registre : nous voulons être efficaces et utiles, c'est tout d ifférent.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Le PACS avec le PS, ce n'est pas très heureux !

M. le président.

La parole est à M. Pierre Méhaignerie.

M. Pierre Méhaignerie.

Monsieur le ministre, nous avons été plusieurs à trouver votre intervention d'hier particulièrement défensive et j'ai le sentiment qu'elle s'adressait probablement plus à vos propres amis qu'aux membres de l'opposition.

M. Auberger vient de rappeler l'essentiel de nos observations et de nos critiques, à savoir que l'embellie aurait pu être mieux utilisée. Ces propos ont d'ailleurs été tenus par M. Delors qui, dans un article du Nouvel Observateur, suggérait d'être beaucoup plus ambitieux dans la réduction des dépenses publiques non prioritaires. En outre, le président de la commission des affaires étrangères a déclaré : « La France aurait dû viser plus haut sur la réduction des déficits publics. » Quant au président de

l'Assemblée nationale, il rappelait le samedi 26 septembre que le Gouvernement prenait des risques face à la conjoncture.

M. Jean-Pierre Brard.

Heureusement, ils ne sont pas au Gouvernement ! (Rires sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Pierre Méhaignerie.

Votre plaidoyer s'adressait donc bien, monsieur le ministre, autant à des membres éminents de votre majorité qu'à nous.

Quant à votre satisfaction d'hier, elle devrait être tempérée par l'amère expérience de 1992. Ainsi, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 1993, le Gouvernement avait fixé des prévisions de croissance à 2,6 % que nous jugions, à l'époque, trop optimistes. Les arguments qui nous étaient alors opposés ressemblent beaucoup à ceux d'aujourd'hui. Le président de la commission des finances estimait : « Les fondamentaux de notre économie sont bons et la France dispose des atouts d'une économie assainie. »

M. Pierre Lellouche.

Le ministre de l'industrie le disait aussi !

M. Pierre Méhaignerie.

Le ministre du budget considérait que notre pays s'en sortait beaucoup mieux que nos voisins et que nous réalisions l'une des meilleures performances des grands pays industriels.

Que fut le résultat six mois plus tard ? Une croissance négative et une explosion des déficits : celui de la sécurité sociale passait de 15 à 50 milliards, celui du budget de l'Etat de 160 à 340 milliards.

M. Christian Cuvilliez.

L'histoire ne se renouvelle jamais !

M. Pierre Méhaignerie.

Il a fallu ensuite quatre années d'efforts et de sacrifices pour remonter la pente et pouvoir satisfaire aux critères de Maastricht.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie franç aise-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Sans jouer les Cassandre, il aurait été préférable pour la dignité et la qualité du travail parlementaire, de préparer un budget plus proche de la réalité ou, à tout le moins, de prévoir un fonds d'action conjoncturelle.

En effet, nos débats ne risquent-ils pas d'être vains si, dans quelques mois, d'un trait de plume, ce budget est modifié de fond en comble du fait de la conjoncture internationale ? Et comme vient de le rappeler M. Bocquet, le risque existe.

M. Jean-Pierre Brard.

Vous avez des références étonnantes !

M. Pierre Méhaignerie.

Vous avez déclaré, monsieur le ministre, que ce budget était favorable à la croissance.

Nous ne partageons pas votre analyse.

Mais y a-t-il des alternatives à ce budget ? Nous le pensons.

Elles sont, nous le reconnaissons, difficiles à mettre en oeuvre pour tout gouvernement, mais quand même plus facile à mettre en oeuvre dans une période de croissance,


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où le Gouvernement a la durée devant lui. Ces réformes devront être un jour engagées ; elles demandent beaucoup de pédagogie parce que leur application nécessite un très large soutien de l'opinion publique.

L'alternative, c'est, nous l'avons dit, une croissance zéro, en francs constants, des dépenses publiques pendant trois à cinq ans. Dès lors, les marges financières permettraient plus de justice envers les salaires faibles du secteur privé grâce à un allégement des charges sociales et leur répercussion sur les salariés.

M. Jean-Pierre Brard.

Encore !

M. Pierre Méhaignerie.

Elles renforceraient l'attractivité du territoire grâce, dans certains cas, à des baisses de l'impôt. Elles alimenteraient, à terme, plus sûrement la croissance, l'expérience étrangère le montre. Et, en même temps, elles simplifieraient la vie des citoyens, compte tenu de la complexité et de la lourdeur de l'Etat.

Monsieur le ministre, je pars d'un constat.

Il y a aujourd'hui chez les salariés une forte attente de pouvoir d'achat supplémentaire, qui sera rendue plus aiguë encore par l'application des 35 heures et du double SMIC. Force est de reconnaître que le pouvoir d'achat des salariés ces dernières années a été confisqué par la hausse continuelle des prélèvements publics.

Dans ce budget, n'aurait-il pas été plus juste pour les hommes et plus efficace pour l'économie française de consacrer quinze à vingt milliards à la poursuite de la baisse des charges sociales sur les bas et moyens salaires ? Vingt milliards de plus, et cela pendant trois ans, permettraient d'assurer une franchise de cotisations sociales pour les 3 000 premiers francs, l'essentiel étant répercuté sur les salaires par des conventions collectives de branche.

Un rapport du Conseil économique et social, présenté il y a un an par Mme de Mourgues, proposait cette solution.

Trois arguments nous conduisent à la soutenir.

D'abord, nombre d'articles de journaux ont montré ces dernières semaines que, en dépit d'un taux de chômage de 11 %, beaucoup d'entreprises ne trouvent pas la maind'oeuvre dont elles ont besoin. Serait-ce que le salaire ne serait pas, dans certaines branches professionnelles, à la hauteur de tâches difficiles et ingrates ? Deuxième argument : les jeunes qui arrivent sur le marché du travail auront été, pour les trois quarts d'entre eux, sur les mêmes bancs du lycée jusqu'au niveau du baccalauréat. Accepteront-ils que les uns travaillent pendant vingt ou trente ans avec des salaires proches du SMIC et sans perspectives de promotion, alors que d'autres auront tout à la fois la considération, la sécurité et un plan de carrière ? Le troisième argument, c'est le fait qu'aujourd'hui un père de famille de deux enfants, payé au niveau du SMIC, a un revenu, après impôts et cotisations, exactement égal à celui d'un bénéficiaire du RMI se trouvant dans la même situation familiale.

MM. Pierre Lellouche et Michel Inchauspé.

Eh oui !

M. Pierre Méhaignerie.

Est-ce le meilleur moyen d'inciter au retour au travail ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Voilà l'intérêt d'une croissance zéro de la dépense publique. Nous savons qu'elle n'est pas facile à mettre en oeuvre. Mais elle peut compter sur les salariés du secteur privé comme alliés car ils ont besoin d'une amélioration de leur pouvoir d'achat.

MM. Jean de Gaulle et Jean-Jacques Jégou.

Très bien !

M. Pierre Méhaignerie.

Ce choix est le seul moyen, en outre, d'assurer une simplification des procédures et une réorganisation de l'Etat. Seule la croissance zéro des dépenses publiques le permettra. Il y a trois ans, nous avons reçu ici les représentants de grandes entreprises internationales qui nous ont avoué leur surprise de devoir affronter dix à quinze administrations différentes pour régler tout problème. Ils demandaient que l'Etat assure lui-même son propre réingeniering, tellement les procédures étaient devenues complexes.

Il en est de même, d'ailleurs, dans le secteur social. Un récent rapport d'un membre de la Cour des comptes, M. Kaltenbach, ne constatait-il pas que certaines familles étaient suivies par huit à dix structures différentes ? Quel gaspillage ! Quelle atteinte à la dignité de ces familles.

A ceux qui nous objectent qu'il manque des agents dans les services publics...

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Beaucoup de vos amis le disent sur le terrain !

M. Pierre Méhaignerie.

... ne faut-il pas rappeler les marges de productivité existantes et les horaires réels dans certains services administratifs, au point qu'un ministre actuel du Gouvernement exprimait la prudence nécessaire pour passer aux trente-cinq heures dans certaines administrations centrales.

Ce matin lors de leur assemblée générale sous la présidence de M. Martin Malvy, les maires des petites villes ont exprimé leur surprise de voir les préfets leur proposer peut-être est-ce dû aux horaires ? - le remplacement de deux policiers par un seul gendarme, dans le cadre de la redistribution des forces de défense. Cela ne justifie-t-il pas une remise en ordre au niveau de l'administration et de l'Etat ?

M. Jean-Louis Idiart.

Voir le décret Debré !

M. Pierre Méhaignerie.

Justice pour les salaires trop faibles, simplification de l'administration, mais aussi attractivité du territoire, troisième intérêt d'une maîtrise des dépenses publiques pendant plusieurs années.

Pourquoi sommes-nous privés, dans le championnat de football, de la grande majorité des joueurs de l'équipe de France ? Pourquoi les retrouve-t-on en Italie, en GrandeBretagne, en Espagne ? (Murmmures sur les bancs du groupe communiste.) Notre impôt ne donne-t-il pas le sentiment que la créativité est mieux récompensée à l'étranger ? Et comment ne pas s'étonner que le très beau film de Steven Spielberg, Il faut sauver le soldat Ryan n'ait pu être tourné en France, mais en Irlande, pour des raisons fiscales ?

M. Jean-Pierre Brard.

C'est l'Irlande qui est condamnable !

M. Pierre Méhaignerie.

Enfin, est-ce préparer l'avenir du pays que de voir des chefs d'entreprise parmi les plus performants délocaliser leurs sièges sociaux à Barcelone ou à Bruxelles, parce que notre système d'impôt sur la fortune conduit à devoir payer un impôt supérieur à la totalité de son revenu ? D'ailleurs, je reconnais que M. Bérégovoy avait, en son temps, eu la lucidité et le courage de revenir sur cette position.

Il semble, monsieur le ministre, et c'est ma dernière observation, que la mesure de votre budget relative à la réforme de la taxe professionnelle ne suscite pas l'enthou-


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siasme espéré. Ainsi, lors des débats en commission des finances, nous avons pu constater que votre réforme ne faisait pas l'unanimité, non seulement, bien sûr, dans l'opposition, mais aussi dans la majorité et au sein même du Gouvernement, ce qui est plus inhabituel.

Cette mesure d'allégement de la part salariale de la TP a été rapidement engagée, trop rapidement engagée sans que l'autre solution, c'est-à-dire la poursuite de l'allégem ent des charges sociales, qui avait la faveur de Mme Aubry, n'ait été débattue et comparée.

Trois arguments nous conduisent à préférer la poursuite à la baisse des charges sociales plutôt que l'allégement de la taxe professionnelle.

Premièrement, l'allégement des charges sociales est économiquement plus efficace. Cela a été démontré à l'étranger et souligné dans le rapport Malinvaud.

M.

Jean de Gaulle.

Très juste !

M.

Pierre Méhaignerie.

Deuxièmement, la réforme que vous proposez est socialement plus injuste. Vous nous aviez promis des simulations. Nous les attendons toujours. Comme nous ne les avons pas eues, nous sommes allés vers d'autres sources d'information. J'ai ici des simulations sur plusieurs entreprises. J'en choisis deux, l'une dans le domaine des services, où la moyenne des salaires est de 20 000 francs, et l'autre dans le secteur industriel, où la moyenne des salaires est de 8 000 francs par mois.

Nous constatons que l'avantage qui sera donné à l'entreprise de services - j'ai intégré les perspectives au niveau de la valeur ajoutée - représentait pour les salariés à 20 000 francs par mois une aide indirecte de 9 500 francs, et seulement de 1 500 francs pour les salariés du secteur industriel.

Nous ne comprenons pas qu'on défavorise les salariés d'un secteur soumis à la compétition, où les salaires sont faibles et où l'on a du mal à trouver de la main-d'oeuvre ?

M.

Nicolas Forissier.

Très juste !

M.

Pierre Méhaignerie.

Troisièmement, votre mesure déresponsabilise les collectivités locales. Le doublement de la cotisation minimale pénalisera, une fois de plus, les collectivités qui, parce que les salaires sont bas, ont maintenu une taxe professionnelle inférieure à la moyenne nationale. Dans ce cadre, leur cotisation de péréquation doublera. En fait, aujourd'hui, plus nous augmentons nos impôts, plus ils sont pris en charge par l'Etat ! Il ne nous reste plus qu'à délier les taux vers le haut pour laisser libre cours à la dépense et annuler votre réforme, en quelques années, monsieur le ministre. Mais nous verrons le débat sur la déliaison des taux.

En conclusion, l'efficacité de la dépense publique n'est pas assurée en France, ni par ce Gouvernement ni par d'autres d'ailleurs. L'Etat n'est pas particulièrement bien géré. L'excessive centralisation française vous met à la merci des groupes de pression qui peuvent bloquer l'Etat.

Et cette année, il faut bien dire que la recentralisation marque le budget. Enfin, les différences se creusent au détriment des salariés du secteur privé par rapport à ceux du secteur public et la complexité de la société française éloigne les citoyens de la vie publique.

Vous avez déclaré, monsieur le ministre, que, dans une économie ouverte, ce qui fait la différence, c'est 0,5 % de croissance en plus ou en moins. Ce demi-point dépend pour l'essentiel de la modernisation de l'Etat, de la maîtrise des dépenses publiques, de l'allègement du poids de la fiscalité et de la réduction des rigidités qui empêchent les adaptations de la société française.

Sur tous ces points nous avons pris du retard, et je crains que nous n'en prenions encore.

Parce que ces réformes de structure ne sont pas engagées, je crains qu'au-delà d'une conjoncture passagèrement favorable, vous ne poursuiviez dans un modèle qui nous condamne, depuis quinze ans, à avoir un taux de c roissance inférieur d'un demi-point à celui de la moyenne des pays de l'OCDE. Avec l'embellie actuelle, monsieur le ministre, et la durée dont vous disposez, vous auriez pu engager ces réformes de structure. Vous ne le faites pas ; c'est pourquoi nous ne voterons pas ce budget.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Michel Crépeau.

M. Michel Crépeau.

Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ni démagogie, ni technocratie, tels sont, selon les radicaux de gauche au nom desquels je m'exprime, les deux principes qui doivent conduire nos communes réflexions dans ce débat budgétaire.

Nous n'en sommes plus au débat d'orientation. Il a eu lieu. Mais c'est tout de même, monsieur le secrétaire d'Etat, au pied du mur qu'on voit le maçon.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Non, c'est au sommet !

M. Michel Crépeau.

Nous entrons dans le concret. Un certain nombre d'amendements ont été ou seront déposés. La question pour nous, membres à part entière de la majorité plurielle, est tout de même de savoir ce que vous allez en faire.

Je voudrais m'exprimer à la fois sur la forme et sur le fond.

Sur le fond, quand on vote un budget, on vote des impôts. Bien entendu, au coeur du débat se trouve la fiscalité, matière sensible, sujet explosif - il l'est depuis toujours en France - qui exige qu'on sache à la fois avoir l'audace des réformes nécessaires et s'abstenir d'agir avec hâte et précipitation pour répondre aux sollicitations de l'opinion.

J'entends dire partout, et des deux côtés de l'hémicycle...

M. Jean-Pierre Brard.

A propos, où sont les radicaux de gauche ?

M. Michel Crépeau.

... que la fiscalité est trop lourde.

En disant cela, on peut toujours se tailler un beau succès en France. Déjà, sous l'Ancien Régime, on la trouvait trop lourde. On a même fait un peu une révolution pour ça !

M. Jean-Pierre Brard.

Ça valait tout de même le coup !

M. Michel Crépeau.

Mais la question qui se pose, si on ne veut pas être démagogue, est de savoir si elle est trop lourde ou si elle est mal répartie...

M. Jean-Pierre Brard.

Très juste !

M. Michel Crépeau.

... et si elle n'est pas trop lourde parce qu'elle est mal répartie.

M. Pierre Méhaignerie et M. Michel Inchauspé.

Les deux !

M. Michel Crépeau.

Les deux à la fois, en effet.

M. Jean-Pierre Brard.

Quelle pertinence !

M. Michel Crépeau.

Je pense qu'il est tout à fait dans la logique de la pensée unique, de la droite libérale, de dire que la fiscalité est trop lourde. C'est leur modèle de société.


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Aux Etats-Unis, elle peut être moins lourde parce que les écoles sont payées par l'usager, les hôpitaux aussi ; tout est payé par l'usager.

M. Jean-Pierre Brard.

Même les prisons ! (Sourires.)

M. Michel Crépeau.

Il n'y a jamais de miracle, mes chers collègues : ce qui n'est pas payé par le contribuable l'est toujours par l'usager !

M. Jean-Pierre Brard.

C'est une vérité de « La Pallice » !

M. Michel Crépeau.

Et à La Rochelle, c'est pareil ! (Sourires.)

Et c'est ainsi qu'on institue la société duale : le confort pour les riches et la misère de plus en plus grande pour les pauvres.

Eh bien ! cette politique ne peut pas être la nôtre parce que ce serait la politique de la droite. Or, ce Gouvernement, que je sache, est un Gouvernement de gauche, et il doit le rester ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Il conviendra de bien avoir cela présent à l'esprit.

Vous n'allégerez pas la fiscalité. Essayez de la répartir mieux, et ce serait déjà un progrès considérable. Je vais vous donner quelques exemples.

Où sont les radicaux, demandez-vous, monsieur Brard.

C'est tout de même l'un des nôtres, qui s'appelait M. Joseph Caillaux, qui a mis sept ans à faire voter l'impôt progressif sur le revenu.

M. Alain Bocquet.

Très juste !

M. Jean-Jacques Weber.

C'était un démocrate !

M. Michel Crépeau.

Mais, à l'époque, il tenait, pour partie, compte des revenus du capital. Or ce n'est plus vrai aujourd'hui.

M. Jean-Pierre Brard.

Eh oui !

M. Michel Crépeau.

L'impôt progressif sur le revenu a perdu une partie de sa signification. Cet impôt qui se voulait équitable ne l'est plus.

M. Alain Bocquet.

Très juste !

M. Michel Crépeau.

Il se voulait équitable parce que, dans la notion de revenu, il y avait non seulement les revenus du travail mais ceux du capital. Ce n'est plus vrai aujourd'hui, sauf pour la CSG, un impôt qui a été très critiqué, y compris à gauche, mes chers amis, et que je considère comme l'une des mesures les plus intelligentes qui aient été prises par le gouvernement de M. Michel Rocard. Mais enfin, c'est comme ça !

M. Jean-Pierre Brard.

On fera l'inventaire plus tard !

M. Michel Crépeau.

A vrai dire, l'impôt n'est lourd que pour ceux qui le paient (Sourires), et il faut bien constater que, dans notre pays, mieux vaut être très riche ou très pauvre. Si on est très pauvre, on est assisté. Si on est très riche, on peut s'évader.

M. Jean-Jacques Weber.

Mieux vaut être riche et en bonne santé...

M. Michel Crépeau.

Les îles Caïmans n'ont jamais si bien porté leur nom ! Mais si vous avez le malheur de vous trouver entre les deux, d'appartenir à ces classes moyennes qui constituent tout de même la majorité de la population française...

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Attention, c'est un discours de droite ! C'est un dérapage !

M. Michel Crépeau.

... alors là, l'impôt vous écrase, que vous soyez fonctionnaire, profession libérale ou cadre.

Un impôt sur le revenu avec une assiette plus large, mettant à égalité les revenus du capital et ceux du travail, avec des seuils d'exonération et, bien entendu, un barème plus progressif, représenterait un progrès considérable qui nous paraît indispensable.

La question se pose même d'ailleurs de savoir si, au nom du civisme, au nom de l'égalité républicaine, tout le monde ne devrait pas payer l'impôt sur le revenu. Le taux serait très faible et très bas, symbolique, pour les gens les plus pauvres, mais je pense que ce serait une mesure républicaine, une mesure qui honorerait la gauche. Crépeau et les radicaux veulent faire payer l'impôt sur le revenu aux gens qui n'ont pas de revenu, dit-on. Non ! Ce serait symbolique. Et la TVA, tout le monde la paie,...

M. Jean-Pierre Brard.

Très juste !

M. Alain Bocquet.

Surtout les pauvres !

M. Michel Crépeau.

... il faut tout de même le rappeler !

M. Jean-Pierre Brard.

Les radicaux de gauche reviennent au socialisme révolutionnaire ! (Sourires.)

M. Michel Crépeau.

Cela me paraît évident, quitte, d'ailleurs, à prendre d'autres mesures.

Moi, par exemple, je ne vois pas pourquoi vous ne fiscalisez pas la redevance sur la télévision. Il y a 90 % des Français qui ont la télévision, et 1 500 fonctionnaires qui s'occupent du recouvrement de la taxe. Et, que vous soyez riche ou pauvre, vous la payez exactement le même prix.

M. Pierre Forgues.

Et alors ?

M. Michel Crépeau.

Moi, cela ne me choquerait pas du tout que le service public de la télévision soit financé par l'impôt, comme l'enseignement. L'école, aujourd'hui, c'est la télé. Les gens vont à l'école jusqu'à seize ans et puis ils regardent la télé toute leur vie. Pour Bouygues, en revanche, vous pouvez y aller de bon coeur ! Quand je vois les milliards qui se dépensent pour faire de la publicité pour le Canigou, le Ronron et autres nourritures pour les animaux, je crois qu'il y a déjà de quoi faire avec ça une politique sociale qui serait la bienvenue. Ce n'est pas de la démagogie, c'est du bon sens !

M. Jean-Pierre Brard.

A condition de pas leur faire ronron ! (Sourires.)

M. Michel Crépeau.

Je vous réveille, en général, reconnaissez ! (Rires.)

Il en est de même en ce qui concerne la TVA, l'impôt qui vous rapporte le plus, 40 ou 45 % des ressources de l'Etat. C'est, évidemment, un impôt injuste par excellence, d'abord parce que c'est un impôt indirect. J'avoue surtout que je ne comprends rien du tout à la manière dont on manie les taux. C'est assez bizarre ! Enfin, je sais bien pourquoi. Je vais vous donner quelques exemples.

Si je vais boire un Coca-Cola - je ne choisis pas cet exemple au hasard (sourires)...

M. Jean-Pierre Brard.

Si, par une hypothèse absurde...

(Sourires.)

M. Michel Crépeau.

... chez Mac Donald, comme c'est un drive-in le Coca-Cola sera taxé à 5 % de TVA. Mais si je vais boire une bouteille de Perrier dans un bistrot, je paierai la TVA plein pot, à plus de 20 %.

M. Jean-Jacques Weber.

C'est un scandale !


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M. Michel Crépeau.

Trouvez-vous que ce soit normal, messieurs les ministres ? Evidemment, cela ne peut que réjouir nos amis d'outre-Atlantique, mais cela fait beaucoup de peine à nos hôteliers, restaurateurs et cafés du coin, qui sont tout de même des éléments importants de la société française et du corps électoral.

Quant aux voitures électriques, vous savez combien j'y suis attaché. Je demandais que la TVA sur les véhicules les moins polluants soit abaissée à 5,5 %. On me répond toujours la même chose : Bruxelles, Bruxelles, Bruxelles ! Sauf en ce qui concerne les crottes en chocolat et les couches-culottes ! (Sourires.)

D'ailleurs, le parti communiste, - c'est un grand triomphe de la révolution prolétarienne ! - vient d'obtenir un accord pour baisser à 5 % la TVA sur les crottes en chocolat.

(Rires.)

Vous m'avouerez qu'on nage absolument dans l'irréel !

M. Alain Bocquet.

Ça déstresse ! Le chocolat a des vertus insoupçonnées.

(Sourires.)

M. Michel Crépeau.

La vraie question, elle est là, monsieur le secrétaire d'Etat, et je regrette que M. StraussKahn ne soit pas là.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Je lui répéterai fidèlement vos propos.

M. Michel Crépeau.

Ce que je dis ne semble pas l'intéresser beaucoup, mais nous avons l'habitude, nous, les radicaux de gauche ! Ça ne nous empêche pas de nous exprimer, heureusement ! C'est bien, en effet, de faire un marché commun, c'est bien de faire l'euro, mais, tant que la législation fiscale et la législation sociale ne seront pas harmonisées, on butera sur ce genre de problèmes.

Nous avons la chance d'avoir des gouvernements sociaux-démocrates dans les grands pays européens, et c'est la première fois que ça se produit, mais toute la question est de savoir si vous réussirez à convaincre vos collègues, socialistes comme vous, mes chers amis, qu'il faut une certaine politique de relance, qu'il faut peut-être u n grand emprunt, comme l'avait proposé Jacques Delors, et puis qu'il faut probablement une politique beaucoup plus sélective en ce qui concerne les taux de taxe à la valeur ajoutée, afin de pouvoir faire une politique de développement mais aussi une politique de justice et d'équité.

Si vous ne faites pas cette politique de relance, il est tout à fait clair que vos prévisions de croissance ne pourront pas être tenues et que vous serez obligés de geler une partie des crédits que vous nous demandez aujourd'hui de voter.

M. José Rossi.

C'est sûr !

M. Michel Crépeau.

C'est ça la vérité ! Elle n'est pas ailleurs ! Et puis, maintenant, la technocratie. Je vois qu'on s'agite devant. Mais il ne faut pas être vexé parce que je parle des technocrates ! (Sourires.) La technocratie, c'est le pouvoir de ceux qui savent. C'est formidable !

M. Jean-Pierre Brard.

Qui croient savoir !

M. Michel Crépeau.

Moi, je pense qu'on a d'excellents ministres des finances et du budget. Je ne suis pas comme M. Méhaignerie qui a vu des discours défensifs.

Moi, au contraire, je les ai trouvés extrêmement brillants.

Nous avons des ministres des finances et du budget pleins de talents, qui sont des amis, des gens que j'aime beaucoup...

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Attention à la phrase suivante ! (Sourires.)

M. Michel Crépeau.

... mais ils souffrent tout de même de deux infirmités liées à la fonction : une certaine surdité en ce qui concerne les amendements parlementaires et un rétrécissement du col de l'escarcelle pour le reste (rires,) des maladies professionnelles en quelque sorte, dont j'aimerais bien que mes propos joyeux puissent les guérir.

Mais je vais vous dire des choses sérieuses, parce que je suis un homme de terrain, et c'est l'utilité du débat parlementaire.

D'abord l'écotaxe et la fiscalité de l'environnement.

Ancien ministre de l'environnement, pensez si je suis attaché à l'écotaxe ! Les écologistes préfèrent parler de pollutaxe. On peut leur donner cette satisfaction. Elle est purement verbale, mais, enfin, les mots ont un sens ! Souvent, quand on est coupé du terrain, on ne se rend pas compte de la réalité. Mettre un taux de TVA à 5 % s'il y a une collecte sélective des déchets et à 20 % si on les brûle, c'est a priori une bonne idée, mais permettez au maire de La Rochelle de vous expliquer que c'est une très mauvaise idée.

Chez les bourgeois des banlieues résidentielles, chez ceux des centres-villes, vous avez des greniers, de grandes servitudes : vous pouvez y conserver, pour la collecte sélective, le sac des ordures ménagères proprement dit, le sac des déchets verts, le sac du papier, le sac des bouteilles et le sac de la tôle. Quand vous habitez une HLM, vous avez une cuisine grande comme cette tribune, vous avez un petit placard sous l'évier où vous pouvez seulement mettre un sac de 30 litres. Jamais vous ne ferez de la collecte sélective !

M.

Jean-Jacques Weber.

Il a raison !

M.

Michel Crépeau.

Ce qui veut dire que, dans les villes où il y a un grand nombre d'HLM et de logements sociaux, vous paierez la TVA plein pot et qui à Neuilly, chez M. Sarkozy, vous paierez le taux allégé. Voilà exactement comment, croyant bien faire, on met quelquefois à côté de la plaque ! Ensuite, il y a la taxe professionnelle. Nous avons tous considéré que c'était un impôt stupide, un impôt imbécile, parce qu'on y fait entrer à la fois l'investissement et la masse salariale. A priori, on peut dire que, puisqu'on n'y met plus la masse salariale, cela va alléger et aider l'emploi, mais, si vous voulez jouer sur l'emploi, mieux vaut jouer sur les prélèvements sociaux sur les bas salaires que sur la part que représente la main-d'oeuvre dans la taxe professionnelle. Cela représente à peu près un tiers, pas davantage. Les entreprises artisanales qui n'ont pas quatre ouvriers ne paient pas de taxe professionnelle, et cela ne changera rien du tout pour elles. J'ai souvent entendu parler de la taxe professionnelle quand j'étais ministre du commerce et de l'artisanat mais ce ne sont pas les artisans qui sont écrasés, ce sont les industriels et les professions libérales.

Mais, bien mieux, il faut être tout à fait sensible au fait qu'il faut agir dans l'ordre dans la vie. Nous allons bientôt voter une loi sur l'intercommunalité et instituer des communautés d'agglomérations qui seront financées par une taxe professionnelle unique. Permettez au maire de La Rochelle qui, depuis cinq ans, a créé une communauté de ville, avec taxe professionnelle unique et ressources uniques, de vous dire que, si nous avons augmenté fortement le nombre d'entreprises, c'est pour créer des emplois, mais aussi pour se créer des ressources.


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On va mettre cela dans la DGF. Oh ! là ! là ! J'aime bien ce Gouvernement, mais il ne sera pas éternel. Alors, un jour ou l'autre...

(Sourires.)

Il y en a peut-être d'autres qui viendront et qui diront : par ici la bonne soupe. On a vu ça se produire bien d'autres fois.

M.

Renaud Donnedieu de Vabres.

Rendez-nous Crépeau !

M.

Michel Crépeau.

Si vous voulez supprimer la part salariale dans la taxe professionnelle, trouvez autre chose.

La valeur ajoutée, je sais que ce n'est pas facile. Mais, là, un jour ou l'autre, ça se passera mal.

Dans ma communauté de villes, la taxe professionnelle a évolué de 7 % en cinq ans, la DGF de 2 %. Autrement dit, je vais maintenant dépendre gentiment de l'Etat qui, un jour ou l'autre, me dira qu'il ne peut pas, qu'il doit réduire sa participation, qu'il y a ceci ou cela, tel ou tel plan. Cela veut dire que vous êtes en train de donner un sacré coup de couteau aux lois de décentralisation ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Aliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M.

Jean-Pierre Brard.

Tout à fait !

M.

Michel Crépeau.

Cela fait peut-être plaisir à vos tout-puissants services, mais je pense que Gaston Defferre doit être en train de se retourner dans sa tombe...

M.

Jean Jacques Weber.

Tout à fait !

M.

Michel Crépeau.

... parce qu'il est tout à fait contradictoire de parler de la taxe professionnelle avant de parler des communautés d'agglomérations que vous voulez créer.

M.

Philippe Auberger.

Ils ne sont pas décentralisateurs !

M.

Michel Crépeau.

Je ne pense pas que ce soit une bonne méthode.

M.

Jean-Pierre Brard.

Très bien !

M.

Michel Crépeau.

J'avais encore des choses très sérieuses à dire, mais M. le Premier ministre m'a répondu par avance.

On peut toujours faire des taux de prévision, on se trompe quelquefois, mais vous avez de la chance, vous ne vous êtes pas tellement trompés l'année dernière. Vous, à droite, vous trompiez davantage. Cela peut arriver à tout le monde de se tromper, la statistique étant la forme la plus élaborée du mensonge ! (Sourires.)

Mais enfin, il est certain que tout dépend de ces fantastiques mouvements de capitaux qui vont, qui viennent..., M. Soros est beaucoup plus puissant aujourd'hui que n'importe quel ministre des finances ! Je ne veux pas vous vexer, monsieur le secrétaire d'Etat, mais, si j'avais à me marier ou à faire un PACS avec quelqu'un, ce serait plutôt avec M. Soros qu'avec un ministre des finances, quel qu'il soit (rires.), parce que c'est lui qui tient vraiment le pouvoir.

M.

Alain Bocquet.

C'est un mariage de raison ! (Sourires.)

M. Michel Crépeau.

Comment juguler ces mouvements de capitaux ? M. Strauss-Kahn nous a dit qu'il allait y penser, et c'est en effet très important. En tout cas, j'ai beaucoup apprécié le silence de l'hémicycle quand le Premier ministre s'exprimait sur le sujet des échanges au niveau mondial. Tout le problème est là. On ne peut pas abandonner les pouvoirs de l'Etat ou de la Communauté européenne au profit de groupes privés, dont l'intérêt général est le cadet des soucis.

M. Alain Bocquet.

Tout à fait !

M. Michel Crépeau.

Il y a aussi les mouvements monétaires. Je vous rappelle l'histoire du XXe siècle sur le plan monétaire, et je termine : en 1914, c'était le franc germinal, le franc-or, 323 milligrammes d'or ; en 1928, le franc Poincaré, on était encore à 65 milligrammes d'or ; en 1936, le franc Auriol, 43 ou 44 milligrammes d'or. A la Libération, on en était encore au dollar convertible en or, Bretton Woods. Puis, un jour, un certain M. Nixon d éclare que, maintenant, c'est le dollar-papier :

« J'imprime des dollars quand j'en ai besoin, je n'en imprime pas quand je n'en veux pas. » A partir de là, les

Américains tiennent tout.

Tant que vous n'aurez pas réformé cela, vous n'aurez rien réformé, et nous serons ensemble en train de manier de grandes idées, des idées généreuses. Malheureusement, pour quoi que ce soit, le pouvoir n'est plus à l'Assemblée nationale, il est ailleurs, et le problème, c'est que cet ailleurs, on ne le contrôle pas.

(Applaudissements sur de nombreux bancs.)

M. le président.

La parole est à M. François d'Aubert.

M. François d'Aubert.

En écoutant hier le ministre de l'économie et des finances, monsieur le secrétaire d'Etat, on avait l'impression qu'un grand nombre de fées s'étaient penchées sur les auteurs, forcément géniaux c'est l'impression que vous donniez ! -, de ce budget pour 1999. On peut tout de même se demander s'il n'y en a pas eu un peu trop, qui ont fait naître quelques mirages, quelques miracles, qui ont même construit quelques hypothèses sur quelque chose qui ressemble assez à des sables mouvants.

Quand on regarde d'un peu plus près, on s'aperçoit, en effet, que vous n'êtes pas à un paradoxe près. On a l'impression que des coups de baguette magique, absolument extraordinaires, permettent d'effacer à peu près tous les grands obstacles dont les observateurs rendent compte aujourd'hui, sauf apparemment à Bercy.

D'abord, la croissance mondiale est en baisse. Alors qu'elle était régulièrement en hausse de 3 ou 4 % ces dernières années, on est en train de passer à une hausse de 2 % ou 2,5 %. L'écart est considérable. Pourtant, d'après vous, miraculeusement, cela ne devrait affecter que très marginalement la croissance de l'économie française en 1999.

L e dollar baisse. Il cote aujourd'hui autour de 5,50 francs. Les autorités américaines semblent encore vouloir le laisser baisser - il y a encore eu des déclarations de M. Clinton il y a quelques jours -, ne serait-ce que pour améliorer la position des Etats-Unis vis-à-vis du Japon, mais là encore, miraculeusement, la France devrait être en 1999 une sorte d'îlot assez curieux, avec un dollars à six francs en moyenne, de sorte que les exportations françaises en pâtiraient à peine. Pas de crainte donc à avoir pour les ventes d'Airbus ou d'automobiles à l'étranger, tout ira pour le mieux du monde en 1999.

Enfin, la bourse baisse. Une chose s'est passée depuis quelques mois, l'effet richesse. Cinq millions d'actionnaires se sont enrichis virtuellement de quelque 300 milliards de francs depuis un an et demi environ et, brusquement, depuis la mi-juillet, ils se sont appauvris d'à peu près autant. Avec ces milliards de francs dans la tête, soit quelques dizaines ou centaines de milliers de francs pour un épargnant individuel, ils faisaient sans doute des anticipations d'achats, des anticipations de consommation. Aujourd'hui, avec les variations de la bourse, l'atmosphère chez l'épargnant, chez l'actionnaire n'est plus du tout la même. Elle n'est plus du tout la même non plus


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

chez le cadre d'une grande entreprise dont les actions ont baissé. Des cadres d'Alcatel ou d'autres entrepriss privatisées ayant récupéré des actions se sentent aujourd'hui moins riches qu'il y a quelques mois.

Tout cela ne va-t-il pas affaiblir la consommation à la fin de l'année et en 1999 ? Là encore, miraculeusement, tout va aller bien, selon vous, et la consommation restera la grand moteur de la croissance.

La bourse baisse.

Vous avez réaffirmé hier que le rendement de l'ISF allait augmenter de 33 % environ - sans doute pour faire plaisir au groupe communiste.

M. Jean-Pierre Brard.

Et apparentés !

M. François d'Aubert.

Et apparentés, merci, monsieur Brard.

Qui peut y croire ? En effet, l'augmentation du rendement de l'ISF que vous avez promise dépend aussi des bénéfices boursiers.

M. Philippe Auberger.

C'est évident !

M. François d'Aubert.

Où seront les plus-values à la fin de l'année si le CAC 40 continue à baisser ?

M. Jean-Pierre Brard.

C'est une très bonne question.

M. François d'Aubert.

Là encore, on est dans le domaine du miracle. J'arrêterai là, mais je pourrais relever d'autres exemples.

Ce projet de budget est aussi celui des mirages.

Premier mirage, on a l'impression, à vous entendre, que le nuage de Tchernobyl financier et monétaire va s'arrêter miraculeusement à la ligne bleue de l'euro. Le pouvoir protecteur de l'euro serait notre ange gardien.

Attention ! Certes, l'euro nous a protégés jusqu'à maintenant des spéculations contre les habituelles monnaies faibles européennes, mais un euro fort ne risque-t-il pas de pénaliser commercialement l'Europe par rapport à la zone dollar ? Et puis, le système de l'Union monétaire restera-t-il longtemps crédible si la France continue à faire bande à part en Europe ? Là où nos partenaires réduisent énergiquement les déficits publics, baissent les dépenses et les impôts, nous restons en situation de déficit structurel.

Là où nos partenaires font de la flexibilité, nous continuons de fabriquer de la rigidité, comme avec la réduction autoritaire de la durée du temps de travail.

Là où nos partenaires baissent la fiscalité sur l'épargne, nous continuons, depuis deux ans, à l'augmenter, comme si vous n'aviez pas compris que l'une des règles d'or de l'Union monétaire est la libre circulation des capitaux, ce qui sous-entend que ceux-ci se délocalisent tout naturellement vers les pays où ils sont le moins imposés.

M. Nicolas Forissier.

Absolument !

M. François d'Aubert.

Là où nos partenaires parviennent à résoudre la lancinante question des retraites grâce aux fonds de pension, le Gouvernement continue à les refuser pour d'obscures raisons idéologiques, en créant une sorte d'usine à gaz, ce fonds de garantie des retraites par répartition, anémique, complexe, et qui conduit à accréditer l'idée dans l'opinion publique qu'il n'y a pas vraiment urgence à s'occuper des retraites alors que le problème est bel et bien urgent.

Là où nos partenaires privatisent sans états d'âme, vous vous obstinez à refuser la privatisation d'Air France et des autres entreprises publiques du secteur concurrentiel.

On pourrait multiplier les exemples qui montrent que la France tend à faire cavalier seul, tout en développant un discours proeuropéen. Quelle distance entre les discours et la réalité ! Deuxième mirage à craindre : vos propos hier, monsieur le ministre, donnaient l'impression d'une « mythification » de la demande intérieure, considérée comme les eul bon moteur de la croissance par rapport au commerce extérieur.

Je sais que, dans votre esprit, c'est aussi un constat : la demande mondiale baisse et il faut bien se raccrocher à quelque chose. Mais tout cela risque fort de faire passer au second plan les contraintes de la concurrence et de la productivité, et d'inciter les Français à se replier sur euxmêmes, ce qui est l'inverse de ce qu'il faut faire face à la mondialisation, qui se poursuit malgré les problèmes et face à l'Europe.

Les chiffres du commerce extérieur ne sont pas réconfortants. Rappelons qu'une chute de 10 % du dollar par rapport au franc, c'est-à-dire ce que nous avons subi depuis quelques mois, fait baisser la croissance de 0,5 point. Qui plus est, le solde des biens manufacturés s'est fortement dégradé depuis 1997, marquant une baisse de 25 %. C'est un chiffre inquiétant. De nombreux éléments montrent que la demande extérieure ralentit.

Il existe donc un réel risque de modération de l'activité, sans compter qu'à trop miser sur la demande intérieure, on peut connaître des déconvenues. J'en citerai quelques-unes.

Quid, par exemple, de la poursuite de l'investissement i mmobilier après la fin du dispositif Périssol le 31 décembre 1999, de nombreux opérateurs estimant que le dispositif de remplacement, le dispositif Besson, est trop complexe et beaucoup moins efficace ? Quid des conséquences, j'en ai déjà parlé, d'un effet de richesse négatif, pesant, lui aussi, sur les anticipations de consommation ? Quid des conséquences d'un dollar faible, qui ne facilite pas les investissements étrangers en France, ou même des conséquences de la transformation de la taxe professionnelle en taxe sur les équipements installés ? Une taxe professionnelle sans part salariale, c'est en fait une taxe sur les investissements. La compensation accordée aux communes au-delà de 1999 étant insuffisante, presque tous les orateurs l'ont souligné, les communes seront tout naturellement tentées d'augmenter la taxe professionnelle, ce qui reviendra à accroître la taxation de l'investissement.

Quid enfin, monsieur le ministre, des conséquences de la réduction du temps de travail sur la consommation ? Cette réduction du temps de travail est porteuse, tous les exemples le montrent, de modération salariale, voire de baisse salariale, ce qui pèsera sur le pouvoir d'achat.

Un rendez-vous douloureux début 1999 n'est donc pas à exclure. Nous ne le souhaitons pas car cela signifierait que la France va mal, que le chômage remonte. Mais un retournement de conjoncture est vite arrivé. Vous vouss ouvenez sans doute, monsieur le ministre, qu'à l'automne 1992 le gouvernement auquel vous apparteniez prévoyait une croissance de 2,4 % et un déficit de seulement 165 milliards de francs. L'année 1993 s'est terminée avec une croissance négative de moins 1,3 % et un déficit de 315 milliards de francs en dépit des mesures de redressement prises entre-temps par le gouvernement Balladur.


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Il n'empêche, si la croissance à 2,7 % n'était pas au rendez-vous de 1999, vous n'auriez pas grand choix, compte tenu des marges de manoeuvre dans lesquelles vous vous êtes enfermés, pour réaliser l'ajustement dû à la chute des recettes fiscales.

Vous seriez obligés soit de baisser les dépenses à coups de gels et d'annulations - refrain connu - et de renier ainsi vos engagements politiques, soit de laisser filer le déficit et de faire davantage passer la France comme le mauvais élève de l'Europe, avec le risque de se voir infliger des pénalités. Vous agissez en fait comme si la France constituait un îlot de croissance au milieu de la tourmente mondiale. Ne vaudrait-il pas mieux procéder dès maintenant à une révision de la prévision de croissance ? Monsieur le ministre, je vous le dis sans parti pris politique, vous commettez, compte tenu de l'incertitude de la conjoncture, une erreur profonde en laissant filer, quoi que vous affirmiez, la dépense publique : une augmentation de 2,3 % ne correspond pas à un effort réel de maîtrise de la dépense publique mais à une approche peu exigeante et molle de l'indispensable réforme de l'Etat et des interventions publiques.

Saluons quand même l'effort de redéploiement d'une trentaine de milliards selon vos prévisions, dont 12,2 milliards de révision des services votés et 15 milliards d'ajustements. Vous avez trouvé 30 milliards de dépenses à économiser. C'est bien la preuve, contrairement à ce que vous disiez hier, que l'on peut diminuer de plusieurs dizaines de milliards la dépense de l'Etat.

M. Nicolas Forissier.

Absolument !

M. François d'Aubert.

Dommage d'avoir gâché cet effort méritoire. Le problème est en effet que ces économies ont été immédiatement réinjectées dans des mesures dispendieuses telles que les 35 heures ou les emploisjeunes...

M. Jean-Louis Idiart.

Dispendieuses ?

M. François d'Aubert.

... sans parler de l'initiative prise par le Premier ministre au niveau européen pour favoriser la croissance par la dépense publique - une fois encore quelqu'un devra payer si par hasard est mis en oeuvre le fameux plan Delors de 1993.

M. Philippe Auberger.

Il faudra rembourser les dettes !

M. François d'Aubert.

Il est évident qu'il est possible de faire diminuer la dépense budgétaire, non pas optiquement en se référant au PIB, mais en termes réels. La stabilisation en francs courants de la dépense publique que je défends au nom du groupe Démocratie libérale et Indépendants serait pourtant un signal positif pour les opérateurs économiques ainsi que pour nos partenaires.

Economiser 55 milliards cette année et pendant cinq ans, oui ! c'est possible, à la triple condition de s'attaquer enfin à la réforme de l'Etat, de lutter contre les gaspillages d'argent public, notamment dans les organismes parapublics et autres démembrements de l'Etat - la Cour des comptes a quelques idées sur ce point -, et de réformer des dépenses devenues complètement incontrôlables.

Je veux parler des dizaines de formules publiques d'aides à l'emploi où de strate en strate, d'invention en gadget ministériel, on ne s'y retrouve plus, sans parler de leur caractère parfois improductif pour ceux qui cherchent un emploi. Ainsi, 161 milliards de francs ont été dépensés au titre des politiques de l'emploi en 1999, sans compter les interventions de l'UNEDIC.

Il est temps de distinguer ce qui relève de l'assistance de ce qui relève de l'assurance, et de mesurer l'efficacité réelle des politiques publiques en matière d'emploi, déjà couronnées d'insuccès, si l'on considère la remontée du chômage survenue au mois d'août : 33 000 chômeurs de plus en un mois, voilà qui révèle un échec patent dans la gestion des politiques sociales. C'est cruel, quand on sait que les 35 heures auront pour objectif annuel de créer seulement 40 000 emplois.

D'ailleurs, en matière d'aide à l'emploi, via l'abaissement des charges, seule technique efficace à condition d'éviter les systèmes créant des trappes à chômeurs, la politique gouvernementale est d'une illisibilité coûteuse et préoccupante pour l'avenir. L'an dernier par exemple, Mme Aubry déversait des flots de critiques sur la ristourne Barrot. Voilà aujourd'hui celle-ci réhabilitée par la même Mme la ministre de l'emploi, sans doute parce que celle-ci n'a pas été associée à l'accouchement secret du système de baisse des charges à la mode de Bercy, je veux parler de la suppression progressive de la part salariale de la taxe professionnelle aux effets tout à fait incertains en matière de création d'emplois.

Au-delà du coup par coup et des « chicayas » interministérielles, quelle est donc, monsieur le ministre, la politique gouvernementale en matière de réduction des charges sur les emplois non qualifiés ? Il est difficile de le savoir à la lecture de votre budget.

M.

le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Evidemment, ce n'est pas budgétaire !

M.

François d'Aubert.

En fait, vous n'avez pas la volonté politique de réduire la dépense publique, qui est pourtant la grande clé de la baisse des prélèvements obligatoires et donc des impôts et des charges. Un jour, c'est au nom du keynésianisme rudimentaire, un autre jour, c'est au nom d'un socialisme un peu suranné.

Mais jamais vous ne semblez avoir en tête à quel point un engagement dans une réduction de la dépense publique serait un signal positif. Tous les pays européens ont opté pour des politiques de maîtrise réelle des dépenses publiques, et nous, nous restons à la traîne. En fait, vous succombez à la facilité. Miroite devant vous, même si elle est un peu exagérée, la perspective d'un pactole fiscal supplémentaire de plus de 70 milliards de francs en 1999. Pactole historique si l'on en croit vos prévisions. Pactole dû à la conjoncture 1998 et que vos prédécesseurs n'ont pas eu la chance d'avoir !

M. Jacques Guyard.

Il fallait prévoir !

M. François d'Aubert.

Incorrigibles, incapables de résister à la tentation de dépenser plus, vous en réservez un très gros tiers à l'augmentation de la dépense. Alors que l'occasion était belle, en période de conjoncture favorable, d'effectuer des réformes de fond, de réaliser des ajustements indispensables, qui seront plus difficiles, voire impossibles à réaliser si la croissance se mettait à battre de l'aile, vous gaspillez en réalité les fruits de la croissance.

Vos choix politiques vont à l'inverse de cette politique de maîtrise à moyen terme de la dépense publique décidée par le pacte de stabilité d'Amsterdam. Vous avez été très discret hier, monsieur le ministre de l'économie, sur les montées en charge des emplois-jeunes, et surtout sur la réduction de la durée du travail, sans parler de la débâcle annoncée - pas par vous -, pour dans cinq ans du régime de retraite de la fonction publique. Vous avez été fort discret sur le coût de l'application des 35 heures à l'administration, à la SNCF, à l'EDF ou à La Poste.

M. Nicolas Forissier.

Eh oui !

M.

Philippe Auberger.

Il ne le connaît pas !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

M. François d'Aubert.

Pour cette dernière, la perspective d'avoir à embaucher 15 000 agents supplémentaires implique de dégager des moyens de financement. Mais qui les paiera, ces agents publics supplémentaires à La Poste ? Au choix : l'augmentation du timbre-poste, la suppression des aides postales à la presse, ou plus simplement, hélas ! le contribuable ? Ces faits sont autant de bombes à retardement qui pèseront sur les budgets à venir, alors même que l'effort d'assainissement n'aura pas été réalisé.

En vous écoutant hier, monsieur le ministre, on avait l'impression de feuilleter une sorte de livre des records.

Quand on y regarde de plus près, ce sont des records

« maison », des records hexagonaux.

Ainsi, et je m'en réjouis à l'avance, le rapport dette publique - PIB décroîtra en l'an 2000 pour la première fois depuis, dites-vous, un quart de siècle. Préparons-nous d onc à commémorer cet événement, à ceci près qu'en 1999, ce ratio continuera malheureusement d'augmenter, et qu'il faudrait vraiment des circonstances très favorables en termes de croissance et de taux d'intérêt pour que ce rêve de l'an 2000 se réalise. Ce qu'a dit hier

M. Duisenberg n'est guère encourageant à cet égard.

J'ajouterai, monsieur le ministre, qu'il est tout à fait tendancieux d'accuser, comme vous l'avez fait hier, le précédent gouvernement de ne pas avoir eu comme préoccupation forte de faire baisser ce ratio d'endettement, alors même que toute notre politique budgétaire et monétaire a consisté à faire baisser le coût de notre endettement par une baisse à marche forcée des déficits publics et des taux d'intérêt. Cela méritait quand même d'être rappelé.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Vous vous présentez aussi en recordman de la baisse des prélèvements obligatoires. N'exagérons rien : c'est mécaniquement que les prélèvements obligatoires baissent par rapport au PIB lorsque la croissance est aussi forte.

Cela permet même de camoufler les quelque 50 milliards d'impôts supplémentaires qui seront payés par les ménages et les entreprises françaises en 1998 par rapport à 1997 et de faire oublier - enfin pas tout à fait à tout le monde - le quasiment doublement de la CSG et les m esures antifamilles, sans parler du matraquage de l'épargne.

M. Nicolas Forissier.

Absolument !

M. François d'Aubert.

Signe supplémentaire que vous ne maîtrisez pas grand-chose en matière de baisse de prélèvements obligatoires : les impôts affectés aux organismes de sécurité sociale, dont la CSG, passeront de 3 à 5,2 % du PIB en 1999. On comprend mieux alors comment Mme Aubry s'y prendra pour équilibrer les comptes de la sécurité sociale en 1999 : tout simplement en augmentant les prélèvements obligatoires.

Sans complexe, monsieur le ministre, vous vous intronisez également champion de la baisse des impôts, bien des Français n'arrivent pas à le croire. Les épargnants par exemple, ces rentiers - selon le vocabulaire un peu balzacien du ministère des finances - que vous n'aimez apparemment pas beaucoup, en oubliant d'ailleurs que l'on peut être rentier tout simplement pour préparer une retraite convenable ou que l'on peut être à la fois salarié et épargnant, voient bien que la fiscalité sur le patrimoine s'est alourdie puisqu'elle a augmenté de 40 % en deux ans. De 1998 à 1999, 55 milliards de francs supplémentaires auront été prélevés sur le capital. Cela aussi, c'est historique. Et vous en rajoutez une couche cette année, si je puis me permettre l'expression, avec l'assurance-vie. Ne vous étonnez pas que l'épargne, comme l'entreprise, puisse se délocaliser ! Pour 1999, vous affichez des baisses d'impôts de 16 milliards, dont à peine 6 milliards de francs pour les ménages, comprenant d'ailleurs, ce qui n'est pas un mode de calcul très honnête, il faut en convenir, des mesures prises en 1998. Mais vous oubliez de parler des hausses qui ne touchent pas, comme on dit à la direction de la prévision, que le fameux décile supérieur des superprivilégiés de la population.

Exemple emblématique de ce qu'il faut bien appeler une volonté politique de s'en prendre encore une fois aux classes moyennes et à la famille : l'impôt sur le revenu qui, lui, va indiscutablement augmenter en 1999 de 5 milliards de francs, à cause de la baisse du plafond de réduction d'impôt liée au quotient familial, à cause de la suppression progressive de la réduction d'impôt pour intérêts d'emprunt, à cause aussi de la fin de l'allégement fiscal pour gros travaux. Selon M. le rapporteur général, il augm ente en moyenne de 6 400 francs pour les 500 000 familles qui n'ont qu'un enfant et, de façon plus globale, il augmente par rapport au PIB. Où est donc la baisse annoncée ? Simultanément, votre nouveau partenaire social-démocrate allemand, M. Schrder, dont on parle beaucoup, promet une baisse de 8 milliards de francs par an pendant cinq ans de l'impôt sur le revenu allemand.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

L'impôt sur le revenu est beaucoup plus élevé en Allemagne !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Son montant est égal à celui de la TVA !

M. François d'Aubert.

M. Schrder le fait sans complexe, sans préjugés plus ou moins idéologiques, et propose même de baisser - de quoi faire frémir sur les bancs de la gauche - le taux de la tranche supérieure de 53 % à 48,5 %. Voilà quelqu'un de courageux, voilà quelqu'un qui a compris comment fonctionnait l'économie !

M. Jean-Pierre Brard.

Gauchiste ! (Sourires.)

M. François d'Aubert.

Monsieur le ministre, vous qui êtes, si j'ai bien compris, un fervent supporter d'une croissance soutenue par la consommation, je comprends mal pourquoi vous ne baissez pas davantage les impôts sur les ménages, ce qui viendrait soutenir la consommation.

M. Jean-Louis Idiart.

Ce n'est pas sérieux !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Vous n'avez pas vraiment montré l'exemple !

M. François d'Aubert.

Je me place là dans votre propre logique. Il y avait pourtant de la marge.

On pouvait par exemple, monsieur le président de la commission, amorcer la baisse de la TVA...

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

La TVA vous l'avez augmentée !

M. François d'Aubert.

... que nous nous étions engagés à faire diminuer lorsque la croissance serait de retour.

Cette croissance, elle est là.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

On doit corriger toutes vos erreurs !

M. Nicolas Forissier.

Et la baisse de la TVA sur le chocolat ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

M. François d'Aubert.

Entre parenthèses, monsieur le ministre, vous ne devriez pas être si critique ni si ingrat avec l'augmentation de 2 points de 1995.

M. le président.

Monsieur d'Aubert, je vous signale que vous avez largement dépassé votre temps de parole.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

En effet !

M. François d'Aubert.

Je conclus rapidement ! Cette augmentation de deux points de la TVA a d'abord permis de réduire le déficit de l'Etat et de gagner la bataille de l'euro, car figurez-vous que nous revenions de loin lorsque vous avez quitté le pouvoir en 1993. Le gouvernement auquel vous apparteniez nous avait laissé un déficit de six points de PIB, des trous abyssaux à l'UNEDIC et dans les comptes sociaux.

La réduction des déficits a, de plus, provoqué la baisse des taux d'intérêt, cela aussi c'est à mettre au crédit de ces deux points de TVA. Ils ont également permis de financer la ristourne de charges sur les entreprises, que Mme Aubry apprécie beaucoup maintenant - vous, peutêtre un petit peu moins.

Enfin, ils représentent dans votre budget de 1999 une recette d'environ 80 milliards de francs. Peut-être est-ce cela qui vous fait hésiter à tenir l'engagement pris par Lionel Jospin pendant la campagne des législatives de 1997 ? Actualisée, la promesse Jospin « vaut » en effet 80 milliards que vous aviez promis de donner aux contribuables : royalement, vous leur offrez aujourd'hui tout juste 4 milliards, soit 5 %, ciblés notamment sur les abonnements EDF. D'aucuns vont être déçus.

Voyez-vous, monsieur le ministre, nous pensons, au groupe Démocratie libérale et Indépendants - mais, curieusement, M. Lang et M. Fabius pensent, dans ce domaine, à peu près la même chose - qu'il fallait profiter d'une conjoncture aussi porteuse pour baisser les impôts, après naturellement avoir baissé les dépenses.

Cinquante-cinq milliards d'impôts en moins c'était jouable, dès 1999, mais ni avec vos raisonnements, ni avec votre parti pris. Il aurait fallu commencer par baisser la TVA de 20,6 % à 20 %, annuler les décisions de hausse de la fiscalité de l'épargne, engager une réforme fiscale d'ensemble. Nous y reviendrons.

Mais les impôts, il aurait fallu les faire baisser vraiment, avec un plan sur cinq ans comportant, comme nous le proposons, trois objectifs : l'harmonisation européenne, la reconnaissance de l'initiative et la cohésion sociale.

S'agissant de la cohésion sociale, il faut cesser d'attaquer les familles, les classes moyennes, les épargnants. Les mesures fiscales sont en fait trop tributaires, chez vous, de considérations idéologiques.

M. Philippe Auberger.

De considérations partisanes !

M. François d'Aubert.

Nous reviendrons sur ce matraquage des familles et des épargnants, sur les incertitudes qui entourent l'assurance vie, sur cette attaque brutale contre celle-ci.

Pour conclure, je dirai qu'il apparaît que le Gouvernement n'a pas pris la mesure des enjeux auxquels notre pays est confronté. Le débat engagé sur le projet de loi de finances en est la parfaite illustration. Notre combat n'est pas idéologique, comme vous aimeriez le faire croire, monsieur le ministre. Il relève tout simplement du bon sens et du réalisme. La défense d'un budget plus libéral repose essentiellement sur la volonté de voir enfin en F rance appliquer de vraies réformes permettant de répondre aux exigences d'une économie qui ne peut plus se permettre de recourir à des mesures allant à contrecourant des politiques libérales menées partout ailleurs dans les pays industrialisés...

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Et ça, ce n'est pas idéologique ?

M. François d'Aubert.

... et plus particulièrement en Europe, y compris par des gouvernements sociaux démocrates. Il faut à tout prix changer de cap si l'on ne veut pas provoquer de nouvelles désillusions chez nos compatriotes. C'est toute la motivation de notre combat pour une France plus forte et plus dynamique.

Comme vous pouvez vous y attendre, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, le groupe Démocratie libérale et Indépendants votera contre ce projet de budget.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Louis Idiart.

M. Jean-Louis Idiart.

En 1981, les socialistes au pouvoir ont réduit l'inflation. Aujourd'hui, je vais tâcher d'en rebattre sur l'inflation verbale de l'orateur qui m'a précédé !

M. Alain Belviso.

Ce sera difficile à faire !

M. Jean-Louis Idiart.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous examinons ce projet de budget pour 1999 dans des conditions différentes de l'an passé, tant la situation de notre pays a évolué positivement. Vos prévisions, monsieur le ministre, sont non seulement confirmées, mais aussi améliorées.

Ces dernières années, l'ultra-libéralisme et la spéculation financière ont sévi - il suffit de voir la situation en Russie et en Asie - au risque même de menacer la démocratie, voire, parfois, la paix civile.

Désormais, les différents peuples se tournent vers la gauche, qu'elle soit socialiste ou sociale-démocrate : le Royaume-Uni et aujourd'hui l'Allemagne ont rejoint nombre de pays d'Europe.

Même les plus fervents soutiens de Reagan et de Thatcher - certains siègent sur ces bancs - trouvent des vertus à Tony Blair ou à Gerhard Schrder. Il suffit d'entendre les déclarations de la droite française, qu'elle soit gaulliste, centriste et libérale ou libérale « pur sucre », à cette tribune.

Encore quelques années et, a posteriori , bien sûr, nous serons qualifiés de quelques vertus. Le conservatisme se nourrit toujours des progrès de la veille et les intègre pour mieux combattre les nouvelles batailles pour des progrès nouveaux.

En France, les libéraux, il est vrai, n'ont pu, n'ont pas voulu ou n'ont pas osé aller aussi loin que leurs homologues anglais ou américains, même si leur discours a toujours été le même. Peut-être que cela leur a permis d'éviter de connaître les mêmes déboires que ces derniers.

Il est évident que, sur le plan international, nos choix sont ceux qui, aujourd'hui, apparaissent comme les meilleurs possible : une économie d'échanges, une liberté d'entreprendre, une action régulatrice des pouvoirs publics, une action solidaire et plus de justice sociale.

En France, les gouvernements Balladur et Juppé ont conduit la droite dans une impasse politique. Ils ont été lourdement sanctionnés par notre peuple parce que leurs


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

choix mitigés, ou tout simplement leurs vues classiques et conservatrices, les ont paralysés, livrant le pays au pessimisme.

M. Juppé lui-même ne croyait pas en la forte capacité de notre pays à impulser une nouvelle croissance. Sa lettre en forme d'état des lieux à Lionel Jospin montre bien son pessimisme et sa frilosité.

Le budget de 1998, premier budget de la majorité plurielle, a permis de soutenir la relance de la consommation et de l'investissement et il a contribué à amplifier la croissance retrouvée. Les résultats sont là. Aujourd'hui, la question n'est plus de savoir comment boucler un budget, mais bien de savoir comment utiliser les fruits de cette croissance ? La droite nous reproche à nouveau de consacrer une part trop importante de cette croissance à alimenter la consommation ou la dépense publique. Décidément, elle n'apprend pas vite ! Vaut-il mieux soutenir la croissance ou être à contretemps ? Nous préférons le mouvement au contre-courant.

V otre choix, monsieur le ministre, d'utiliser ces moyens nouveaux pour résorber la dette, pour diminuer les impôts et pour alimenter la dépense nous convient.

Résorber la dette est une nécessité pour redonner plus de force, plus de capacité à l'initiative de demain. Résorber la dette n'est pas un dogme, une fin en soi, mais un outil.

De même, consacrer une part de la croissance à la diminution des impôts, c'est vouloir moderniser notre système fiscal, aider les entreprises, soutenir la consommation et jouer fortement la solidarité comme nous l'avons déjà fait en 1998. Diminuer les impôts n'est pas non plus un dogme mais un outil.

Enfin, l'augmentation des dépenses publiques, qui s'accompagne aussi d'efforts de modernisation et d'adaptation, est une nécessité.

Bien sûr, la droite nous reproche d'avoir fait de tels choix. Je me demande parfois si elle n'a pas le visage de Janus. Dans les circonscriptions, elle réclame plus de services publics,...

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Vous avez raison !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Ici aussi d'ailleurs !

M. Jean-Louis Idiart.

... et pour cela elle proteste, manifeste, communique, alors qu'ici elle exige moins de dépenses publiques, moins de moyens pour l'Etat !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

La droite n'est pas à une contradiction près !

M. Jean-Louis Idiart.

Quelle différence entre, d'une part, les propos tenus dans les colloques libéraux et les discours prononcés à la tribune de l'Assemblée et, d'autre part, les déclarations faites sur le terrain pour satisfaire les demandes de la population ! Pour notre part, nous préférons faire ici des choix conformes aux demandes de la population et rester fidèles aux déclarations que nous faisons sur le terrain, car la présence de services publics au service de nos concitoyens est indispensable sur tout le territoire.

En matière fiscale, nous sommes très attachés à ce que l'effort porte sur un rééquilibrage entre les taxes indirectes et les impôts directs, notamment sur le patrimoine. Notre conviction sur ce point est intacte. Nous savons bien que la fiscalité indirecte, notamment la TVA, représente une part importante des recettes et qu'au fil du temps, on l'a beaucoup sollicitée. Mais tout transfert généralisé entraîne des conséquences lourdes pour le budget. De plus, l'harmonisation européenne que nous souhaitons en matière de TVA rend la réforme plus compliquée.

Les propositions que vous faites dans votre projet de budget, monsieur le ministre, vont dans ce sens, comme en témoignent les actions ciblées relatives aux abonnements souscrits pour la fourniture de gaz et d'électricité pour 4 milliards de francs, aux appareillages destinés aux diabétiques et à certains handicapés, aux travaux d'amélioration réalisés par les bailleurs privés de logements sociaux et aux traitements des déchets faisant l'objet d'un tri sélectif.

En témoignent aussi certaines ouvertures en direction des propositions du groupe socialiste ou de la commission des finances, notamment en ce qui concerne les travaux de réparation et de rénovation des logements. Il n'en demeure pas moins que nous souhaitons que vous fassiez preuve d'encore plus d'énergie et de conviction pour faire évoluer ce dossier à Bruxelles.

La fiscalité de l'environnement tient une place toute particulière parmi les volontés de la majorité plurielle et du groupe socialiste. Agir dans ce domaine, c'est donner à tous plus d'égalité, plus de chance à chacun pour sa santé et pour la qualité de sa vie quotidienne.

L'écart entre le prix du gazole et de l'essence sans plomb sera réduit sur sept ans, alors même que pour la première fois en vingt ans les taxes sur l'essence n'augmentent pas d'une année sur l'autre.

Une attention toute particulière devrait être portée sur le renouvellement du matériel des transports en commun.

Comme l'augmentation du prix du gazole devrait dissuader d'utiliser les véhicules individuels, des mesures spécifiques en direction des transports en commun devraient être prises pour plus de cohérence. En effet, les véhicules de transports en commun qui sont vétustes - certains ne sont renouvelés qu'au bout de quinze ou seize ans au lieu de treize - risquent de se voir pénalisés.

La baisse du taux de TVA sur le traitement des déchets faisant l'objet d'un tri sélectif est une mesure positive.

La création de la taxe générale sur les activités polluantes, la TGAP, est un moyen de donner du poids et de la lisibilité à la fiscalité de l'environnement, nous nous en réjouissons. Il n'en demeure pas moins qu'une étude approfondie devrait être menée dans le cadre de la préparation de la loi de finances 2000,- puisque c'est à ce moment-là que la question se posera - sur les recettes des agences de l'eau, et ce de leur conserver leur caractère décentralisé.

La réforme de la taxe professionnelle est une décision courageuse qui va dans le sens souhaité depuis de nombreuses années. Si cette taxe est une charge pour les entreprises, elle constitue une recette pour les collectivités territoriales. Il est donc normal qu'un débat soit ouvert à ce sujet. Autant le débat portant sur les recettes des collectivités est compréhensible, lisible et réaliste, autant celui relatif à la fiscalité de l'entreprise est plus irréel.

Voilà les libéraux transformés en chevaliers protecteurs de la taxe professionnelle ! La TP, cet impôt imbécile, antiéconomique, à contre-s ens, commence à devenir respectable, moins bête, presque intelligent, parce que sa réforme est enfin proposée.

M. Christian Cuvilliez.

Il ne faut pas exagérer !

M. Jean-Louis Idiart.

Comme quoi être conservateur, c'est avoir peur même de voir appliquer ses propres propositions !


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Le débat sur la compensation, sur la capacité d'initiative fiscale des collectivités locales, sur leur dépendance supplémentaire ou non par rapport au budget de l'Etat mérite d'être conduit et doit être mené à son terme. Ce débat devra porter également sur la structuration des territoires, notamment sur l'intercommunalité et sur ses ressources. Il devra permettre d'évaluer la capacité d'entraînement de la fiscalité, notamment de la TP unique.

Enfin, ce débat devra être l'occasion de se pencher sur la loi d'orientation et d'aménagement du territoire.

Si la réforme de la TP n'entraîne pas de conséquences irréversibles, il faudra rapidement, au cours de la première année, engager des discussions pour parvenir à plus de cohérence et pour franchir une nouvelle étape dans la voie de la décentralisation.

M. Julien Dray.

Très bien !

M. Jean-Louis Idiart.

En ouvrant des pistes de réflexion sur la réforme de la taxe professionnelle, vous ouvrez un chantier plus large auquel les socialistes tiennent beaucoup. Ils ne ménageront ni leur volonté ni leur activisme car la décentralisation est une part d'eux-mêmes.

M. Julien Dray.

Exactement !

M. Jean-Louis Idiart.

La décentralisation a été votée sur les bancs de la gauche et non sur ceux de la droite ! Nous devons rester fidèles à nous-mêmes et poursuivre dans cette voie de la décentralisation en l'approfondissant.

Les dotations de l'Etat aux collectivités locales seront en progression grâce à la sortie du pacte de stabilité et à la mise en oeuvre du nouveau pacte de solidarité de croissance. Toutefois, la part de la dotation portant sur la croissance nous semble devoir être améliorée par le Gouvernement.

Enfin, l'annonce de la révision des bases des impôts locaux, révision que nous examinerons dans le cadre du prochain collectif, constitue une réponse à une longue attente des collectivités locales, qui, dans ce domaine, doutaient depuis plusieurs années de la véracité des engagements de l'Etat.

Les mesures spécifiques sur l'ISF vont dans le bon sens, notamment en contribuant à un meilleur rendement de cet impôt. Nous souhaitons trouver au cours du débat les modalités qui permettront d'inclure les oeuvres d'art dans la base de taxation, en veillant, bien entendu, à ce que les oeuvres contemporaines puissent en être écartées afin de ne pas nuire à la création.

Le renforcement de la progressivité de l'impôt sur le revenu tout comme le caractère redistributif de la politique familiale mise en place vont dans le bon sens. Des amendements ont été déposés pour apporter une réponse à la demande de personnes seules, des anciens combattants et des handicapés qui bénéficiaient antérieurement d'une demi-part supplémentaire. De même, sera revu le blocage de la déduction de 10 % en faveur des retraités, blocage mis en place par Alain Juppé.

Les priorités, quant à elles, sont largement financées.

Des moyens budgétaires importants sont dégagés en faveur de l'emploi. Les crédits du budget de l'emploi progressent de 6,1 milliards de francs, pour atteindre 161,8 milliards de francs. Cette augmentation de 3,9 % permettra de financer 100 000 nouveaux emplois-jeunes en 1999 et de porter leur nombre à 250 000 à la fin de l'année 1999. Elle permettra également de financer la réduction du temps de travail et les exonérations de cotisations sociales sur les bas salaires. Le nombre des contrats emploi consolidés est doublé pour atteindre 60 000. Les autres dispositifs - CES, programme chômeurs longue durée - sont recentrés en faveur des personnes les plus en difficulté.

La priorité accordée en faveur du logement, notamment du logement social, contribue au soutien de l'activité économique. Le nombre des prêts PALULOS pour l'amélioration des logements HLM est fixé à 120 000. En matière de construction, 80 000 PLA sont prévus, dont 20 000 pour des logements à loyer minoré et 10 000 pour des logements dits d'intégration. Parallèlement, les crédits destinés à financer l'allocation logement sont majorés de 4,5 %. Les moyens consacrés à la solidarité et à la santé augmentent de 4,5 %. Le projet de loi de finances met en oeuvre la loi relative à la lutte contre les exclusions votée en juillet dernier. Quant aux crédits en faveur du RMI, ils progressent de 4,2 %. Les moyens consacrés à la politique de la ville et inscrits au budget de la délégation interministérielle à la ville augmentent de 32,4 % pour atteindre un milliard de francs. Ils permettront de soutenir de façon significative les initiatives locales engagées dans le cadre des contrats de ville.

La priorité à l'éducation est confirmée avec une progression de 4,1 % des crédits destinés à l'enseignement scolaire et de 5,5 % de ceux alloués à l'enseignement supérieur. Par ailleurs, 60 000 emplois-jeunes seront financés pour encadrer les élèves, et 800 emplois seront créés dans l'enseignement supérieur.

Les crédits destinés aux actions en faveur de la jeunesse et des sports croissent de 3,4 %. D'autres ministères dont les actions contribuent à améliorer la vie quotidienne des Français connaissent une forte augmentation de leurs moyens. Ainsi, les crédits consacrés à la justice, à l'environnement, à la sécurité et à la culture progressent.

Monsieur le ministre, votre budget permet de répondre à un grand nombre de nos attentes. Notre pays a besoin de confiance, de dynamisme et surtout d'une politique volontariste pour développer la croissance.

La droite n'a pas cru en la capacité de notre pays à se mobiliser, à se battre pour sortir de la stagnation. Aujourd'hui, elle ne sait exprimer que sa frilosité, sa peur, ses interrogations.

Votre budget est un instrument pour construire cette France de l'initiative et de la solidarité que nous voulons.

Nous le voterons, après avoir contribué à l'améliorer.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Guyard.

M. Jacques Guyard.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je centrerai mon intervention sur les réformes de la fiscalité locale que met en oeuvre ce projet de loi de finances, réformes dont je dis tout de suite qu'elles sont nécessaires à la lisibilité de la fiscalité locale. Or, pour que l'on accepte l'impôt, il faut qu'il soit lisible. De plus, ces réformes sont cohérentes avec l'objectif de création d'emplois qui est au coeur même de ce projet de loi de finances.

Pour donner leur pleine efficacité, ces mesures doivent cependant, à mon sens, être complétées dans deux cas particuliers : en ce qui concerne la taxe professionnelle, pour les villes qui ont connu récemment un développement très rapide et qui sont fortement endettées, et en ce qui concerne la révision des valeurs locatives, pour les


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villes qui possèdent un très fort pourcentage d'habitat social. C'est une caractéristique commune aux villes nouvelles, qui ont beaucoup construit, notamment beaucoup d'habitat social, et qui sont donc particulièrement concernées en raison même de leur dynamisme. Dans les quinze dernières années, elles ont construit plus de 100 000 logements. Elles ont énormément investi et se sont donc beaucoup endettées : 14 milliards de francs de dettes pour l es seuls syndicats d'agglomération nouvelle, soit 22 000 francs par tête d'habitant, alors que l'endettement moyen des communes de la même strate de population est de 6 500 francs, soit plus de trois fois moins. Cet endettement s'est expliqué par la nécessité de financer la construction de tous les équipements indispensables aux nouveaux habitants. Jusqu'à présent, l'alourdissement de la dette était compensé par la croissance économique et le produit de la taxe professionnelle. Ces dernières années, malgré la crise économique que nous avons traversée, les villes nouvelles sont arrivées à maintenir leur équilibre, en se serrant la ceinture, comme tout le monde.

La suppression de la part salariale de la taxe professionnelle, qui, pour les syndicats d'agglomération nouvelle, représente 36 % des bases, signifie la perte de la part correspondante de taxe professionnelle des entreprises qui s'installent à partir de 1997. Avec mes collègues des villes nouvelles, nous avons fait la simulation des conséquences d'une suppression de ce type si elle était intervenue en 1994. La perte serait de 42 millions de francs pour 1998 à cause de la rapidité de la croissance que nous connaissons, croissance de population et croissance économique. L'équilibre financier de plusieurs villes nouvelles en serait sérieusement menacé. Cette comparaison vaut malheureusement pour l'avenir. Saint-Quentin-enYvelines construit 1 000 logements par an et voit s'installer le technocentre Renault ; Sénart construit 1 000 logements par an et voit s'installer le Carré Sénart ; Evry construit un peu moins et voit s'installer le Genopole ; j'en passe.

Il est donc indispensable de trouver, pour les quelques villes - elles sont peu nombreuses - qui, en France, ont énormément construit depuis quinze à vingt ans et dont l'endettement est supérieur au double de la moyenne de leur strate, une forme de compensation supplémentaire pour leur éviter un déficit difficile à surmonter.

La révision des valeurs locatives dans les villes à très fort pourcentage de logement social risque d'aboutir à une ghettoïsation accrue, curieusement assortie d'ailleurs d'une possibilité de bénéfice pour l'Etat. Je prends l'exemple que je connais le mieux, celui de ma commune : 45 % des logements y sont en locatif social ; 35 % en accession sociale ; 20 % en financement libre ou habitat plus ancien. Sur les 45 % de la population locataire en HLM, plus de la moitié est exemptée, totalement ou partiellement, de taxe d'habitation en raison de la faiblesse des revenus. Pour ces personnes-là, la révision des valeurs locatives n'apportera rien. Elles paient déjà peu, voire pas du tout. C'est donc seulement la compensation prise en charge par l'Etat qui diminuera. Dans notre cas, j'évalue cette somme à 6 millions de francs. Il est impossible de compenser cette mesure par une hausse des valeurs locatives de l'accession sociale, les gens étant déjà étranglés par la taxe d'habitation et le foncier bâti. Si on veut l'équilibre au niveau de la commune, il faudrait donc reporter la réduction accordée aux HLM sur les taxes des 20 % de logements non sociaux, qui augmenteraient ainsi au maximum fixé puisque vous avez eu la sagesse, voyant le problème venir, de fixer un maximum à l'évolution de la taxe. Néanmoins, ce maximum d'évolution cumulé sur cinq ans risque d'aboutir à chasser le peu de classes moyennes qui restent dans les villes de ce type.

Pour cette catégorie de communes, il est impératif d'étendre la solidarité au niveau national. Nous attendons donc, d'ici à la seconde lecture du budget, des solutions particulières pour qu'une bonne mesure, que nous soutenons à fond parce qu'elle s'inscrit dans la grande logique p olitique du Gouvernement, ne punisse pas les communes qui ont fait preuve du plus grand dynamisme et qui ont grandement participé à l'effort de construction sociale dans notre pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. François Loos.

M. François Loos.

Ce débat budgétaire doit aussi porter sur la crise financière internationale - crise des marchés spéculatifs, mais aussi crise de l'économie réelle dans de nombreux pays - et sur le cadrage macro-économique qui en découle.

Les pays du G7 ont convenu de favoriser ensemble la croissance en 1998-1999. Les Etats-Unis étant en fin de cycle et le Japon connaissant une crise bancaire extraordinairement lourde, il appartiendrait à l'Europe de tirer la croissance.

Dès lors, deux questions sont fondamentales pour l'examen du budget. La croissance récente de la France était due à la croissance internationale importée grâce à un commerce extérieur florissant, mais exceptionnel et largement dû à la force du dollar, à 6 francs. Première question : le contexte international s'inversant, peut-on conserver cet optimisme et en inscrire les bénéfices dans les recettes fiscales ? Deuxième question : le projet de budget pour 1999 est-il en mesure de créer cet effet de relance ou d'entretien de la croissance dans notre pays ? A-t-il été construit pour cela ? Face à ces deux questions, voici quelques éléments de réponse. D'abord, la crise internationale est profonde et coûte très cher. Le Japon met 180 milliards de francs pour la relance dans les pays d'Asie du Sud-Est et 2 150 milliards de francs pour le maintien de son système bancaire. La Russie recevra 22,6 milliards de dollars pour passer l'hiver. Les Etats-Unis interviennent grâce à des ressources monétaires et budgétaires importantes, dont ne disposent ni la France ni l'Europe. Rappelons que la dette française est de l'ordre de 4 000 milliards de francs.

Face à ces deux questions, que peut-on dire du budget ? On continue d'emprunter pour financer le fonctionnement de l'Etat. On réduit les dépenses d'investissement. Vous prétendez agir sur l'emploi par l'action sur la taxe professionnelle. Beaucoup a été dit sur les mesures relatives à la taxe professionnelle, mais une chose est certaine : l'effet sur l'emploi sera très faible. Même s'il y en a un, il sera sans doute largement compensé par l'effet du passage aux 35 heures, qui coûtera sans doute plus cher aux entreprises que ce que l'économie de taxe professionnelle est susceptible de leur rapporter. Cela aurait été une mesure efficace si vous aviez décidé d'agir sur les charges sociales salariales. Nous pensons en effet que cela aurait permis une croissance de l'emploi.

S'agissant de l'emploi, toujours vous supprimez, pour le secteur du bâtiment, la mesure Périssol pour lui substituer une mesure Besson. Cela se traduira par une baisse de la construction de logements libres qui ne sera pas compensée par la baisse de la TVA sur les travaux dans les logements conventionnés par l'ANAH. Vous ne subs-


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tituerez pas du travail de réhabilitation à du travail de construction neuve. Là encore, c'est plutôt mauvais pour l'emploi.

Vous nous annoncez une hausse de la consommation des ménages. S'agissant de l'année de la mise en place des 35 heures, il est vraiment difficile de croire à une telle hausse alors que les négociations dans ce domaine risquent de stopper toutes les augmentations de salaire jusqu'à l'an 2002. Or, en général ce sont les augmentations de salaire qui permettent de dépenser plus.

Vous comptez beaucoup sur l'Europe.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Eh oui !

M. François Loos.

Avec M. Prodi, vous avez défendu l'idée d'un grand emprunt européen, basé sur les réserves de change rendues disponibles auprès des banques centrales du fait de l'entrée en vigueur de l'euro. Cette idée serait intéressante si elle permettait de financer des investissements ayant une certaine rentabilité comme les TGV, les fameux grands travaux. Mais si elle est intéressante au niveau européen, elle l'est déjà au niveau national et rien ne vous empêcherait de la mettre en oeuvre si vous croyez vraiment à vos perspectives de croissance.

Vous nous faites espérer des baisses de TVA actuellement encore inaccessibles pour cause de « non-eurocompatibilité ». Là encore, par rapport à vos promesses, il faut bien expliquer que l'Europe vous empêche d'agir. Et pourtant, dans les services à domicile, dans les travaux d'entretien, dans la restauration, l'harmonisation européenne n'a pas lieu de s'impliquer puisque ces produits ne « voyagent »pas et n'entrent donc pas dans le cadre de la concurrence européenne.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

C'est une interprétation très personnelle !

M. François Loos.

En conclusion, monsieur le secrétaire d'Etat, vous lancez incontestablement des signaux aux entreprises, aux ménages, à vos amis, à la majorité plurielle, mais ils ne sont ni convaincants ni efficaces car ils ne provoqueront pas cette croissance, qui est nécessaire.

Si l'année prochaine, la croissance était non pas de 2,7 % mais de 2 % quelles régulations prioritaires feriezvous subir à votre budget ? Par ailleurs, vous comptez beaucoup sur l'Europe pour engager des grands emprunts et obtenir des baisses de TVA dans des secteurs importants. Je voudrais savoir ce qu'ont répondu les Allemands et les Anglais à votre proposition de grand emprunt européen ? A-t-il vraiment une chance d'exister un jour ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Pierre Lellouche.

Ils ont répondu « nein » !

M. le président.

La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq.

A ce stade du débat général, je ferai quelques remarques générales sur le budget, indiquant les qualités que je lui trouve. Je souhaite aussi réagir aux interventions des orateurs de la droite, qui s'inspirent d'une logique libérale qui n'est pas celle du parti socialiste et de la gauche.

A mon sens, ce budget possède quatre qualités évidentes. D'abord, il est basé sur la rationalité. Il est fondé sur des faits, non sur des conjectures, voire des fantasmes.

La demande intérieure est soutenue. On assiste à une reprise de la consommation et de l'investissement, à des créations d'emplois, le chômage diminue...

M. Pierre Lellouche.

Tout va bien !

Mme Nicole Bricq.

... même si c'est encore insuffisant.

La zone euro est stable, car ses développements sont autocentrés avec les échanges intracommunautaires. Voilà pour répondre à ceux qui nous font peur avec la baisse du dollar.

La deuxième qualité de ce budget c'est la continuité avec le budget de 1998, qui donnait déjà la priorité à l'emploi et au soutien de la croissance. Surtout, il nous donne les moyens de financer les engagements que nous avons pris en votant les lois sur les emplois-jeunes, sur les exclusions et sur la réduction du temps de travail.

Troisième qualité : la fiabilité. On a beaucoup parlé des prévisions de croissance. Toutes les explications ont été données, mais il n'est pire sourd que celui qui ne veut entendre. Ces prévisions sont prudentes et les choix sont justement validés par la crise financière...

M. Pierre Lellouche.

C'est original ça !

Mme Nicole Bricq.

... puisque nous avons choisi de fonder la reprise sur la demande intérieure. On a vraiment l'impression que certains, tels ceux qui disent

« Levez-vous orages désirés ! », attendent que les prévisions ne se réalisent pas. Sans vouloir leur faire un procès d'intention, se réjouiraient-ils d'un malheur potentiel qui guetterait la France ? Je crois que nous sommes entrés dans un cercle vertueux : consommation, production, création d'emplois, recul du chômage et consommation des ménages, investissement des entreprises pour répondre à la demande.

Enfin, dernière qualité, c'est un budget de réforme dans la méthode. Le calendrier du débat budgétaire a été sensiblement allongé. La discussion a tenu compte du travail parlementaire. Nous procédons à une redistribution importante entre les revenus du travail et ceux du capital.

Nous entamons une réforme de la fiscalité locale - nous aurons l'occasion d'en reparler lors de la discussion des articles - et nous introduisons pour la première fois ce que l'on appelle une fiscalité écologique pour soutenir un développement durable.

A l'occasion de la discussion de l'article 30, je développerai ma conception de la TGAP, qui diffère quelque peu de celle d'Yves Cochet. Je considère que c'est un pari qui peut être soit gagné, soit perdu. Nous y reviendrons.

Mais j'en viens aux reproches de l'opposition. De la même manière qu'elle nous affirmait que le budget de 1998 serait infaisable, elle nous dit maintenant - je l'ai lu - que le sujet, finalement, ce n'est pas le projet de budget pour 1999, c'est celui de l'an 2000. C'est une curieuse manie que de vouloir toujours se placer un an à l'avance pour se donner l'air intelligent de ceux qui savent et qui voient plus loin que le commun des mortels. Et pourtant vous devez bien reconnaître, mesdames, messieurs de l'opposition, que l'année dernière vous vous êtes trompés et que vous n'en tirez pas les leçons.

En fait, l'opposition ne peut concevoir que la majorité puisse faire un budget à la fois de gauche et réaliste. Elle méconnaît notre histoire. A gauche, nous avons toujours plaidé pour la régulation, la production et la solidarité, et nous nous retrouvons dans ce projet de budget. Le mouvement profond qui conduit une grande majorité des peuples européens à porter aux responsabilités des gouvernements sociaux-démocrates ou des gouvernements de gauche atteste que nous sommes dans le vrai et que vous, vous êtes loin des réalités.

M. Pierre Lellouche.

Ben voyons !


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Mme Nicole Bricq.

De plus, l'idée d'une initiative européenne de croissance que nous avons toujours défendue redevient tangible. C'est le sens de la proposition qu'a faite le Premier ministre d'un grand emprunt européen.

M. Pierre Lellouche.

Immédiatement écartée par le gouvernement Schrder !

Mme Nicole Bricq.

On verra ; ne pariez pas sur le pire ! Quelles sont les deux grandes critiques de l'opposition, hormis la mise en cause de la prévision de croissance. Il s'agit essentiellement du niveau des prélèvements obligatoires et de la dépense publique. Qui peut être contre la baisse des prélèvements obligatoires ? Qui ne la veut pas ? J'ai écouté tout à l'heure M. d'Aubert qui a repris l'argumentation libérale de M. Madelin, lequel a présenté un

« projet de contre-budget » de deux pages dans Le Figaro Magazine, il y a quinze jours. Vous voyez que je ne suis pas sectaire, puisque je lis aussi la presse de droite !

M. Pierre Lellouche.

Le Figaro Magazine consacre six pages à Strauss-Kahn !

Mme Nicole Bricq.

M. Madelin demande carrément une baisse de la dépense publique de 55 milliards.

M. d'Aubert ne l'a pas dit à cette tribune, mais M. Madelin l'a écrit. Au passage, il supprime les emplois-jeunes, qui sont pourtant plébiscités par nos concitoyens. Il propose la création d'un revenu familial d'activité garanti qui, en réalité, permettrait aux entreprises de payer un sous-SMIC. Tout cela n'est pas très sérieux.

La baisse de l'impôt sur le revenu est votre priorité, dites-vous. Mais quand vous l'avez faite, c'était pour les tranches les plus hautes du barème et, en même temps, vous avez relevé l'impôt indirect le plus injuste, à savoir la TVA, ce qui a cassé la reprise qui s'amorçait en 1995.

Vous ne pouvez ignorer que, si l'impôt sur le revenu augmente cette année, c'est une preuve supplémentaire de la bonne conjoncture intérieure et de son impact sur les rentrées fiscales ! C'est un effet mécanique. A l'annonce de la politique fiscale du gouvernement Schrder, vous avez cru trouver finalement l'argument qui vous manquait et vous nous dites : « Mais voyez ce que font vos amis de l'autre côté du Rhin ! ». Je vous signale que la politique menée par le SPD et le nôtre sont convergentes.

Le SPD ne veut pas toucher à la TVA pour ne pas pénaliser la consommation. De plus, vous le savez, la structure de l'impôt n'est pas la même en Allemagne qu'en France.

En France, l'impôt sur le revenu, c'est 350 milliards de francs, contre 800 milliards pour la TVA. En Allemagne, le rendement de l'impôt sur le revenu est l'équivalent de celui de la TVA.

L'argumentation sur la baisse des charges développée avec constance, je le reconnais, par M. Méhaignerie est plus subtile. Qui peut être contre ? C'est un débat sérieux qui ne peut être traité à la va-vite. Au-delà des déclarations de principe, c'est la manière de réaliser cette baisse qui compte et la façon dont on la finance. Dans ce débat, la maîtrise des dépenses de sécurité sociale doit être l'objectif afin de pouvoir financer une baisse des charges.

Il faut aussi se poser la question de la contradiction entre les stratégies d'innovation technologique et un allégement des charges sur les bas salaires. Nous connaissons bien les défauts d'un allégement des charges sur le travail peu qualifié. Cela décourage les moins formés d'améliorer leur qualification, alourdit les charges sur les salaires plus élevés et incite les entreprises à dévaloriser les diplômes et à embaucher les jeunes qualifiés à des niveaux moindres.

M. Raymond Douyère.

Très juste !

Mme Nicole Bricq.

Sur ce débat qui nous oppose, nous ne pouvons évidemment pas tomber d'accord : c'est bien normal puisque vous développez une conception libérale et nous une conception de gauche.

Je vous dirai cependant, pour en terminer, que, dans la ferme volonté manifestée par le Gouvernement et la majorité de soutenir la croissance, il ne paraît pas insensé de demander à la dépense publique de contribuer, aux côtés des opérateurs privés, à ce soutien. Pourquoi le lui interdire surtout si elle est modérée ?

M. Pierre Lellouche.

Ça, vous ne le lui interdisez pas !

Mme Nicole Bricq.

On ne peut pas dire que ce soit jeter l'argent par les fenêtres dès lors que la croissance s'en trouve renforcée.

Ce budget se tient. Il est raisonnable. Et peut-être cela vous gêne-t-il, mais il garantit la justice sociale - cette certitude, vous ne nous l'enlèverez pas - tout en préservant les grands équilibres auxquels, vous comme nous, sommes attachés.

La différence entre nous est claire : tout cela vous le dites ; nous, nous le faisons.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche.

Mes chers collègues, à la veille de la discussion budgétaire, un journal du soir rapportait que le ministre des finances, dont je regrette l'absence...

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Mais je suis là !

M. Pierre Lellouche.

... reprochait à l'opposition de se délecter à l'avance des difficultés engendrées pour l'économie française par la crise internationale. D'après ce journal, M. Strauss-Kahn aurait cité en nous l'appliquant la formule célèbre de Chateaubriand, disant ainsi que nous mettrions « le malheur de notre pays au nombre de nos espérances ».

La méthode, à franchement parler, ne me surprend pas. Elle est désormais inséparable de votre style de gouvernement : tous ceux qui ont l'audace de critiquer, de s'inquiéter, de proposer quelque chose de différent s'exposent au même terrorisme intellectuel...

Mme Nicole Bricq.

Mais non ! C'est normal que vous ne soyez pas d'accord avec nous.

M. Pierre Lellouche.

... ou stalinien.

M. Jean Glavany.

Attention, vous allez déraper !

M. Pierre Lellouche.

Vendredi dernier, lors de l'examen du PACS, nous étions considérés comme rétrogrades ou en voie de lepénisation. Le coup d'avant, sur les 35 heures, nous étions accusés d'être les nostalgiques du travail des enfants au

XIXe siècle. Pendant le débat sur l'immigration, j'ai moi-même été traité de maurrassien par M. le ministre de l'intérieur. Et aujourd'hui, parce que nous avons quelques difficultés à accepter vos prévisions budgétaires, nous serions de mauvais Français avec une mentalité d'émigrés dignes de Chateaubriand.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Chateaubriand était un très bon Français.

M. Pierre Lellouche.

Oui, mais il décrivait fort bien les émigrés : nous avons lu les même livres.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Vous a-t-il parlé d'outre-tombe ? (Sourires.)

M. Pierre Lellouche.

Et pourtant votre budget est à la fois irréaliste et surréaliste. L'un de vos amis, Jacques Attali, le considère même comme irréel.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

Permettez-moi de vous lire le commentaire qu'il en fait dans le numéro de l' Express de la semaine dernière. Ce texte commence bien pour vous :

« Voilà un document, excellent au demeurant, préparé avec le plus grand soin et la plus extrême compétence par un gouvernement honnête et réaliste... »

M. Jean Glavany.

Qui a-t-il encore plagié ?

M. Pierre Lellouche.

Je croyais que vous aviez travaillé ensemble, à l'Elysée, pour le président Mitterrand.

M. Jean Glavany.

Justement ! Je parle en connaissance de cause.

M. Pierre Lellouche.

Vous avez la dent dure à l'égard d'un ancien collègue ! La suite est, pour vous, moins glorieuse car ce document, poursuit Jacques Attali, « se révèle complètement faux avant même que l'on n'entame son examen. La croissance de la production, la hausse des prix, la valeur du dollar seront de 10 à 30 % inférieures aux hypothèses qui ont servi de base au calcul des recettes. Quant aux dépenses, elles devront être malheureusement massivement augmentées pour financer le soutien qu'il faudra apporter aux grandes banques françaises, prochaines victimes de la crise, et en raison de la nécessité d'augmenter sensiblement la protection sociale. »

M. Alfred Recours.

C'est un spécialiste des banques !

M. Pierre Lellouche.

Un spécialiste des banques, en effet, auquel le président Mitterrand avait confié la Banque européenne pour la reconstruction et le développement de l'Europe centrale, si ma mémoire est bonne.

Voilà donc un budget complètement irréel, mais comme Dominique Strauss-Kahn n'est ni sourd, ni aveugle, ni stupide, je me suis demandé pourquoi il n'avait pas voulu voir ce que tout le monde constate depuis quinze mois : l'installation d'une crise internationale gravissime, crise à la fois économique, financière et géopolitique, née en Asie du Sud-Est et qui a gagné ensuite le Japon, la Chine, la Russie et l'Amérique latine.

M. Alfred Recours.

C'est aussi une crise du libéralisme !

M. Pierre Lellouche.

Mais rien n'y fait ! Imperturbablement, par commodité politique, vous maintenez vos prévisions.

Pourquoi n'avez-vous rien vu, pourquoi persistez-vous à ne rien voir ? Tout simplement parce que vous avez reculé devant tous les choix difficiles. Vous n'avez ni entrepris la réforme de l'Etat, ni entamé la réduction des déficits publics et des dépenses, ni abordé le problème des recettes.

Par contre, vous avez dépensé beaucoup d'argent : 35 milliards pour les emplois-jeunes ; des dizaines de milliards pour faire passer en force votre loi, unique dans le monde industrialisé, sur les 35 heures. Et vous avez été d'une grande générosité en revalorisant le traitement des fonctionnaires, dont les salaires, je le rappelle, représentent la bagatelle de 600 milliards de francs, pas loin du tiers du budget de l'Etat.

Mme Nicole Feidt.

Dites que vous êtes contre !

M. Pierre Lellouche.

Vous avez donc, imperturbablement, maintenu les mêmes objectifs, parce qu'ils cadrent avec vos dépenses. Et aujourd'hui, après la rémission d'un an dont vous avez bénéficié, vous annoncez 2,7 % de croissance.

Eh bien, sachez qu'en tant que citoyen je souhaite que votre pronostic soit exact ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Béatrice Marre.

Voilà une bonne parole !

M. Pierre Lellouche.

Mieux encore, je vous souhaite d'atteindre les 3 % initialement prévus par Bercy.

M. Jean Glavany.

Ce n'est pas impossible !...

M. Pierre Lellouche.

Mais que se passera-t-il si vous vous trompez ?

M. Jean Glavany.

Et si c'est vous ?

M. Pierre Lellouche.

Est-ce de la politique ou du poker ? Je crains fort que votre affaire ne dépasse de très loin le pari pascalien. Vous jouez au poker avec la France ! Que se passera-t-il si la croissance n'est pas au rendez-vous et si, à la suite de la crise internationale, vos recettes chutent brutalement ? Vous avez fait un triste choix pour l'utilisation de ces recettes puisque, malgré une baisse relative des impôts, vous consacrez - et nous somme le seul pays d'Europe à le faire - l'essentiel de cet argent à l'augmentation des dépenses, qui progressent de 37 milliards de francs. Que se passera-t-il, là encore, si les recettes ne sont pas au rendez-vous et si le déficit, que vous chiffrez de façon très optimiste à 2,3 %, dégénère parce qu'il y aura plus de chômage, plus de besoins de protection sociale ? Un mot sur votre argument principal.

M. le président.

Un dernier mot, monsieur Lellouche !

M. Pierre Lellouche.

Face à la crise, vous dites que nous serons protégés par l'euro.

M. Alfred Recours.

Bien sûr ! Même Séguin a viré sa cuti !

M. Pierre Lellouche.

Cet argument me rappelle ce qui s'est passé dans les années 80 à la suite de l'accident de Tchernobyl. Les gouvernements de l'époque nous ont expliqué que le nuage radioactif s'était arrêté naturellement aux frontières françaises. Aujourd'hui, on nous explique que la crise internationale ne touchera pas la France grâce à l'euro.

Or il n'y a que deux hypothèses. Ou bien l'euro nous protège parce que les autorités monétaires, que vous ne contrôlez pas, vont tout faire, notamment augmenter les taux d'intérêt, pour maintenir un euro très fort quand le dollar baissera. Mais je vous signale que le dollar, que vous avez prévu à 6 francs dans le budget, est d'ores et déjà à 5,45. S'il tombe à 5, nous aurons un point de taux de croissance en moins. Et si l'euro est tiré vers le haut, nous aurons une déflation accélérée en France.

Ou bien, à l'inverse, les marchés jugent que les objectifs affichés dans le budget sont exagérément éloignés des évolutions prévisibles. Vous risquez alors de connaître la même mésaventure que certaines grandes entreprises ces derniers temps, c'est-à-dire une spéculation contre le franc dans les trois années qui nous séparent de la mise en oeuvre de l'euro.

Un tout dernier mot sur la baisse des impôts. Vous avez claironné partout que vous les réduisiez. Mes collègues ont démontré au contraire que l'impôt sur le revenu augmente de 20 milliards, l'impôt sur les sociétés de 10, la TIPP de 5, la TVA de 36. Et voici encore un exemple...

M. le président.

Non ! Je vous demande de conclure.

M. Pierre Lellouche.

Alors je conclus, monsieur le président.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

La taxe sur les locaux commerciaux, qui figure à l'article 26 du budget, va se traduire par un surcroît d'impôt considérable pour les petits commerçants, pour les petits hôteliers.

Mme Nicole Bricq.

Non, pas pour les petits !

M. Pierre Lellouche.

Pour un modeste hôtel de 2 500 mètres carrés, situé dans ma circonscription, l'économie de taxe professionnelle sera inférieure à 5 000 francs ; l'impôt supplémentaire sera de 120 000 francs l'an prochain et atteindra 240 000 francs dans quatre ans ! Vous allez concrètement détruire quatre emplois dans cet hôtel, dont je vais naturellement vous donner l'adresse.

Comme il y a énormément de petits commerces de ce genre en région parisienne, vous allez sûrement y créer de l'emploi ! En tout cas, bravo et excellent budget pour le pays !

M. le président.

La parole est à M. Raymond Douyère.

M. Raymond Douyère.

L'ensemble des députés et des acteurs économiques se posent la même question : pourrons-nous tenir les 2,7 % de croissance sur lesquels le budget est bâti ? Pourrons-nous les tenir, compte tenu de la crise actuelle ? C'est une crise réelle, mais elle n'est pas européenne. C'est une crise internationale, on le voit bien en Thaïlande, en Corée, au Japon, en Amérique centrale, mais l'Europe reste un îlot de croissance et la France a elle-même une croissance élevée, supérieure à 3 % en 1998. Les taux européens sont historiquement au plus bas : leur moyenne est d'environ 3,5 %. Enfin, l'inflation est jugulée. Et s'il est vrai que les déficits posent encore des problèmes dans quelques pays européens, le pacte de stabilité et de croissance a précisément pour vocation d'encadrer les politiques nationales, et la communautarisation des économies vise à réduire les déficits de tous les

Etats membres. Quelles sont les causes de la crise internationale ? La volatilité des marchés, due notamment aux fonds de pension dont les capitaux se déplacent d'un continent à l'autre ; les problèmes économiques propres à certains pays et, plus profondément, mais sans doute, les dysfonctionnements, du système monétaire mondial et du système bancaire.

Nous devons nous interroger sur la capacité du système libéral à corriger ces dysfonctionnements. En effet, la main invisible du marché, dont on nous vante les mérites depuis des années, a été prise la main dans le sac ! (Sourires.) Et le sac doit être pris au sens étymologique du terme : le saccage des économies mondiales.

Il arrive un moment où il faut bien remettre les choses en ordre, et contrairement à ce que prônent les libéraux, les remises en ordre ont toujours été réalisées par la puissance publique, par l'intervention de l'Etat.

Mme Nicole Bricq.

Bien sûr !

M. Raymond Douyère.

Dois-je rappeler la crise des caisses d'épargne américaines et les 175 milliards de dollars que l'Etat américain a dû débourser pour les redresser ? Dois-je rappeler que, dernièrement, la réserve fédérale est intervenue sur le hedge found de LTCM, qui avait accumulé 21 milliards de pertes dans une déroute où étaient impliquées quinze banques internationales, dont certaines banques françaises ? Là encore, c'est la puissance publique qui s'est substituée à la main invisible du marché pour arranger les choses.

M. Julien Dray.

Absolument !

M. Raymond Douyère.

Dois-je rappeler que la remise en ordre de l'économie japonaise repose sur une injection massive d'argent de l'Etat et donc du contribuable : 60 000 milliards de yens, c'est-à-dire 3 813 milliards de francs, pratiquement le PIB français ? Partout donc, même aux Etats-Unis et au Japon, l'Etat est obligé d'intervenir.

Mais sous quelle forme ? Ce que prônent les libéraux et que nous avons toujours dénoncé, c'est bien entendu la privatisation des profits et la nationalisation des pertes. Et comment ne pas reconnaître que cette doctrine s'applique lorsqu'on voit le président d'un fonds que je ne citerai pas, gagner 50 millions de dollars par an, soit près de 300 millions de francs ? Comment pourrait-il être sensible à la misère qu'il provoque à l'autre bout du monde à cause des fluctuations liées aux déplacements des capitaux qu'il gère. Je rappelle au passage que 300 millions de francs, cela équivaut au salaire de 200 000 RMIstes en France !

M. Julien Dray.

Bonne image !

M. Raymond Douyère.

Il faut s'interroger, du point de vue philosophique, sur la notion de rentabilité. Certes, la rentabilité est nécessaire. Mais faut-il la rechercher à tout prix en exigeant des retours sur investissement de 15 à 20 %, comme le font de nombreuses banques ? Nous sommes, nous-mêmes, pour une bonne rentabilité des entreprises, mais lorsqu'on veut atteindre les taux qu'imposent notamment les fonds de pension américains, on agit de façon drastique sur les économies et on provoque des désordres internationaux.

Des solutions doivent être dégagées au niveau international. Les Etats doivent intervenir pour la réforme du FMI, pour l'amélioration du fonctionnement de la Banque mondiale, ou encore pour la mise en place de la Tobin tax prônée par certains. Il n'est pas certain qu'on puisse l'instituer, mais il faut s'interroger, en Europe tout au moins, sur un mécanisme comparable à celui qui existe au Chili et qui impose, sur tout investissement à court terme investi dans ce pays, la mise en réserve de 25 % de son montant, somme qui ne donne pas lieu à rémunération. On pourrait s'inspirer de ce mécanisme en Europe pour éviter la volatilité des marchés.

C'est dans ce contexte, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement a bâti un budget reposant sur une prévision de croissance de 2,7 %. Elle me semble pouvoir être tenue malgré la crise internationale, car le Gouvernement mène une politique volontariste de baisse des impôts, avec des allégements qui profiteront à l'ensemble des acteurs économiques, aussi bien aux entreprises qu'aux particuliers.

Mes collègues ayant largement répondu, et le Gouvernement lui-même, aux objections de la droite, je m'en tiendrai, dans le peu de temps qui m'est imparti, à trois des réformes qui caractérisent ce budget : celles de la taxe professionnelle, de la TVA et de la fiscalité de l'assurancevie.

En ce qui concerne la taxe professionnelle, le mécanisme mis en oeuvre a fait l'objet de longs débats en commission des finances. Des interrogations persistent encore sur le niveau qu'atteindra la compensation, tout au moins sur le taux d'indexation que fixera le Gouvernement pour les cinq ans à venir. Au-delà, la vraie question est de savoir quelle contrepartie nous avons demandée aux entreprises pour cette baisse de la taxe professionnelle.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Très bien !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

M. Julien Dray.

Exactement !

M. Raymond Douyère.

Monsieur le secrétaire d'Etat, je m'adresse, à travers vous, à l'ensemble du Gouvernement.

Nous sommes, pour notre part, partisans du contrat social, c'est-à-dire du compromis entre le travail et le capital. Nous pensons qu'à chaque avancée pour les entreprises doit correspondre une contrepartie pour les travailleurs. Eh bien, je dis que nous aurions dû intégrer la question de la baisse de la part salariale de la taxe professionnelle dans la négociation nationale annuelle sur l'emploi.

C'est dans ce cadre, en effet, que sera débattue la baisse des charges sur le travail peu qualifié. Or on peut s'interroger sur la nécessité d'aller plus loin en ce domaine, compte tenu de ce qui a déjà été réalisé. Peutêtre faut-il se borner à un lissage des aides. En tout cas, si nous ne demandons pas de contrepartie aux avancées accordées à l'ensemble des entreprises, nous n'aurons pas les 350 000 emplois prévus par le Gouvernement dans le secteur privé. La réforme de la taxe professionnelle nous donnait une formidable occasion de mettre en face la création des 350 000 emplois. Je n'ignore pas les difficultés techniques inhérentes à sa mise en oeuvre. Mais si nous en avions discuté les conditions d'octroi, peut-être aurions-nous pu trouver là une porte de sortie.

Le deuxième sujet concerne la baisse de TVA.

Elle sera sélective et les cibles que vous avez choisies, notamment le logement, me paraissent intéressantes.

Néanmoins, il me semble qu'il conviendrait d'aller beaucoup plus loin, en particulier en abaissant le taux de TVA sur l'ensemble des travaux effectués dans les logements des particuliers à 5,5 %. En effet, ce secteur n'est pas cause d'importations et il peut être très porteur en matière d'emploi.

Le troisième sujet est la réforme de la fiscalité sur l'assurance-vie.

Nous, nous sommes d'abord opposés au mécanisme initialement proposé par le Gouvernement, en application duquel, sur un patrimoine transmis de 190 millions de francs, 60 millions provenant de l'assurance-vie ne faisaient l'objet d'aucune taxation. Il s'agissait d'une injustice flagrante, qu'il convenait de corriger. Tenant compte de nos observations, le Gouvernement présente un autre système qui consiste, d'une part, à taxer à la sortie, c'està-dire au moment de la réalisation de l'assurance-vie, à un taux de 20 %, les sommes au-delà d'un million de francs, et, d'autre part, à instituer une taxe pour l'année 1998 sur les sociétés d'assurance.

S ouvenez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, que j'avais proposé à M. Dominique Strauss-Kahn et, vousmême une autre solution qui me paraît meilleure en ce qu'elle permettrait d'éviter les objections qui ne manqueront pas d'être soulevées en comparant la transmission de patrimoine au travers de l'assurance-vie avec les autres possibilités. Il me semble en effet préférable de taxer l'ensemble des contrats, à un taux à déterminer, ce qui présenterait le double avantage d'apporter une recette importante à l'Etat, et de conserver l'affichage d'une transmission de patrimoine sans imposition. Cette solution répondrait également à un souci de justice fiscale et sociale, puisque les intéressés régleraient pendant toute la durée du contrat l'impôt qu'ils n'auraient pas à payer à la sortie.

Telles sont, monsieur le ministre, les quelques observations que je souhaitais formuler sur ce projet de budget, par le biais des trois dispositions que j'ai ciblées.

Pour terminer, je tiens à souligner que les différentes mesures prises par le Gouvernement vont conforter la croissance en France. Cependant il convient de la conforter aussi au niveau européen.

Nous avons la chance que onze des treize gouvernements européens soient socio-démocrates. Pour une fois, le roi est nu et l'on ne pourra plus nous objecter que M. Kohl empêche de prendre telle ou telle disposition ou que le gouvernement italien y est opposé. En conséquence ces gouvernements ne devraient pas hésiter à changer les membres de la Commission européenne s'ils s'arrogeaient des droits qu'ils n'ont pas, ou s'ils adoptaient des dispositions qui ne nous convenaient pas.

Ainsi, au travers de dispositions librement discutées et arrêtées entre l'ensemble de ces gouvernements sociodémocrates, la croissance pourra être confortée en Europe afin que nous réussissions à maintenir et à développer l'emploi en assurant la justice sociale.

C'est pourquoi je souscris pleinement aux propositions présentées hier à la Commission par Lionel Jospin, qui préconise le lancement d'un grand emprunt européen afin de relancer les grands travaux, ce qui serait porteur d'emplois. De la même façon, la suggestion de M. Prodi d'utiliser les excédents des réserves des banques centrales permettrait de mener des actions efficaces.

Ces différentes propositions doivent pouvoir être mises en convergence et permettre, au-delà du pacte de stabilité monétaire et de croissance, la réalisation d'un contrat social européen que j'appelle de mes voeux.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Deux orateurs de l'opposition ayant dépassé leur temps de parole précédemment, j'ai laissé M. Douyère poursuivre largement au-delà de la durée prévue. L'équilibre est maintenant rétabli et je serai plus rigoureux désormais.

La parole est à M. Julien Dray.

(Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Glavany.

Il fallait que ça tombe sur lui ! Vous aurez du mal à l'arrêter !

M. Julien Dray.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'avoue que je suis bien content aujourd'hui de ne pas être libéral. En fait, il n'y avait guère de risques ! Pour tous ces prêtres du marchéroi, ces apôtres de la déréglementation, pour tous ces fanatiques de la main invisible, mieux vaut raser les murs par les temps qui courent. Pour tous ceux-là, quel camouflet constitue la crise financière ! Pour certains de nos collègues de l'opposition, ce soit être une terrible désillusion que de voir s'écrouler tant de croyances sacrées au rythme de l'effrondement des cours des bourses du monde entier.

M. Jean-Pierre Brard.

Ils ne sont jamais déçus ; ce sont des dévots !

Mme Michèle Alliot-Marie.

Ramenez-le sur terre !

M. Julien Dray.

Maintenant, ils sauront, pour la suite, que le marché n'est pas tout. Il ne régule rien et n'organise rien à lui seul. Pis, il menace de s'autodétruire, tant la sphère financière fragilise l'économie réelle. Dire qu'il y a deux ans les mêmes voulaient en rajouter en tentant de mettre en place des fonds de pension dans notre système de retraite, comme si ceux des Anglo-Saxons ne suffisaient pas à mettre en danger toute l'activité productive au niveau mondial ! Ceux-là pourront cesser de clamer avec Alain Minc que cette mondialisation est « heureuse » car la crise systématique montre qu'elle ne l'est pas. La mondialisation se


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déroule en fait sous l'égide des marchés financiers et des intérêts de court terme, au détriment de tout développement économique durable et équilibré.

Cependant les temps changent et tout a une fin. La situation actuelle doit sonner le glas du terrorisme intellectuel du néo-libéralisme qui avait fait triompher dans les faits l'idée selon laquelle il n'y avait qu'une politique économique possible. Tous se résignaient alors à ajouter un supplément d'âme social à la brutalité du libéralisme économique, traduit en justapositions de mesures techniques qui s'apparentaient à la pose d'un bout de scotch ici, au rafistolage hâtif là-bas et à un coup de peinture final.

Ces bricoleurs de l'économie se débattaient en marge des vrais enjeux. La mondialisation était devenue l'argument majeur de l'impuissance à peser sur le cours des événements. Combien de fois ne nous a-t-on pas dit au nom du libéralisme et du réalisme que plus grand-chose n'était possible ?

M. Jean-Pierre Balligand.

Très juste !

M. Julien Dray.

La reine est nue. La réalité aujourd'hui, c'est la crise de ce système dans lequel la financiarisation exerce sa tutelle sur toutes les autres formes d'activités humaines. La réalité, aujourd'hui, prend la forme d'un épais nuage orageux qui plane au-dessus de nos prévisions de croissance.

Le risque existe à présent - même si personne ne peut en être certain - que la peinture se craquelle et que les bouts de scotch se détachent un à un. Bref, l'inquiétude perce et l'on ne peut que constater combien le contraste est saisissant avec la douce euphorie qui dominait l'an passé.

C ette période de turbulences dans laquelle nous entrons se caractérise avant tout par l'incertitude qu'elle suscite. Je me garderai bien, en tout cas, de jouer les Cassandre de l'année économique à venir. L'affaire serait bien trop périlleuse et je félicite d'ailleurs tous ceux qui auraient le cran de s'y risquer : je ne peux que leur recommander d'ouvrir un cabinet de voyance au plus vite.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jean Glavany.

Très belle image !

M. Julien Dray.

Au regard de ces incertitudes, nous pouvons souhaiter avoir ici même un vrai débat et que personne ne se réfugie derrière ses certitudes établies. En effet, il est urgent de poser la vraie question utile au pays : comment éviter le risque de récession généralisée qui ruinerait tous les efforts entrepris par le Gouvernement depuis le début de la législature pour résoudre la crise sociale ? Certes, il serait bien illusoire de croire que, dans le temps qui nous est imparti, nous pourrons efficacement trouver toutes les solutions. C'est pourquoi je m'efforcerai de donner simplement quelques pistes de réflexion au sujet de l'utilisation de nos deux principaux outils de politique économique, qu'il convient de rendre optimale.

Oui, la crise nous impose de modifier sensiblement l'orientation de notre politique monétaire et de notre politique budgétaire dans un sens expansionniste.

Notre politique monétaire est restée tant d'années la même, quel qu'ait été notre environnement, qu'elle ressemble désormais à une statue de marbre. Une détente monétaire en Europe fait figure d'impérieuse nécessité maintenant que le pragmatisme de la banque américaine s'est illustré par la chute du dollar et la baisse des taux.

Le maintien du statu quo, qui nous a déjà coûté un million d'emplois au début des années 1990, serait dévastateur pour notre économie. On revivrait alors le scénario bien connu de la surévaluation de notre monnaie, qui aggraverait le manque de crédits qu'engendre la crise déflationniste venue d'Asie.

M. Jean Glavany.

Très juste !

M. Julien Dray.

Il est grand temps d'admettre qu'une monnaie forte n'est pas une monnaie surévaluée qui, elle, fragilise l'économie en réduisant les exportations et en asséchant le crédit nécessaire aux investissements. Au contraire, une monnaie forte s'adapte aux modifications de son environnement pour se mettre au service de la croissance et du niveau d'emploi maximum. Voilà pourquoi le dollar reste, quoi qu'il arrive, une monnaie forte, et voilà pourquoi le « franc fort » était, malgré tout, une monnaie fragile.

Cette remarque est essentielle et n'est pas hors sujet.

En effet, vous savez comme moi que le budget pour 1999 a été élaboré sur l'hypothèse d'un dollar aux environs de 6 francs, hypothèse aujourd'hui soumise à discussion. Pour ne pas déséquilibrer notre budget et le voir devenir peu à peu totalement irréaliste, donc inefficace, nous devons rectifier notre politique monétaire.

Je ne crois pas, pour autant, que cela soit suffisant pour éviter que les ondes de choc de la crise mondiale se traduisent chez nous par une récession. Afin de mettre toutes les chances de notre côté pour nous préserver au mieux, il faut mobiliser aussi l'outil budgétaire en faveur d'une politique économique expansive de soutien à la consommation et à l'investissement. En effet, dans un environnement international marqué par la dépression et la déflation, il est inutile d'escompter atteindre nos 2,7 % de croissance grâce à la demande externe.

M. Patrick Ollier.

Ça c'est vrai !

M. Julien Dray.

La conjonction d'une forte contraction des importations des pays émergents et d'un dollar très bas qui freine nos exportations interdit tout immobilismee t appelle, au contraire, un approfondissement des mesures budgétaires visant à solidifier la reprise de la consommation et de l'investissement.

M. Patrick Ollier.

Très bonne analyse, monsieur Dray.

M. Julien Dray.

En effet il ne faudrait pas sous-estimer l'effet psychologique négatif sur les comportements des ménages et des entreprises que la crise actuelle peut provoquer.

M. Jean Glavany.

C'est pour cela que l'on soutient le Gouvernement.

M. Julien Dray.

Or il ne me semble pas que, sur ce point, le budget qui nous est présenté soit totalement satisfaisant.

M. Jean Glavany.

Mais si !

M. Patrick Ollier.

Il a raison. Ecoutez-le !

M. Julien Dray.

Nous devons l'améliorer, d'autant que nous disposons de marges de manoeuvres budgétaires qui rendent possible l'adoption de mesures complémentaires visant à dynamiser la demande intérieure.

D'abord, à la différence des fameux 3 % de déficit, aucun de nos engagements européens ne nous oblige à descendre au niveau des 2,3 % escomptés pour cette année. Toutefois, permettez-moi d'aller un peu plus loin : je ne suis pas sûr que, dans les mois qui viennent, ce chiffre de 3 % ne vole pas en éclats face à la réalité.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

M. Pierre Forgues.

Mais non !

M. Julien Dray.

En effet, ce chiffre n'a aucun fondement économique réel. Certes, aller au-delà signifierait pour vous, monsieur le ministre, réduire moins rapidement la dette. Vous craignez que cela ne revienne à faire payer nos enfants pour nos imprudences.

Pourtant en faisant de la réduction des déficits une religion, nous nous privons d'investissements importants pour réduire la pauvreté. Ainsi, nous finirons par léguer à nos enfants la permanence du chômage de masse, ce qui est bien plus décourageant et plus coûteux que des intérêts à rembourser.

Songeons à ces jeunes de vingt ans : souffrent-ils plus des intérêts de la dette ou des conséquences du chômage comme la violence, le manque de moyens dans l'éducation ou la dégradation de leur environnement ? Paradoxalement, le moyen le plus efficace de réduire la dette de l'Etat n'est pas d'économiser mais d'investir.

Réduire le chômage, même au prix d'une persistance transitoire des déficits publics, ne peut qu'avoir des effets bénéfiques, à terme, tant sur l'activité économique que sur les rentrées des finances publiques.

Aussi, en menant cette politique audacieuse pour la première fois depuis bien longtemps, le différentiel entre les recettes et les dépenses ne serait-il pas subi. Au contraire, il traduirait la volonté politique de favoriser l'investissement et la consommation pour maintenir la croissance dans un environnement menaçant.

Vous dites, monsieur le secrétaire d'Etat, avoir cette volonté de donner priorité absolue à la demande intérieure. Mais permettez-moi de vous interroger sur votre réforme de la taxe professionnelle.

D'abord, je ne suis pas persuadé que la suppression de la part de taxe professionnelle assise sur les salaires s'inscrive dans le cadre d'une relance de la demande intérieure. En effet, si elle allège la pression fiscale, c'est au bénéfice des entreprises mais sans contrepartie sérieuse en termes d'embauche.

Je ne vois donc pas quelles améliorations sur le front de l'emploi ou sur celui de la consommation vont engendrer ces 7 milliards de réduction de charges accordés aux entreprises. Maintes et maintes fois, l'espoir qu'une réduction du coût du travail créerait de l'emploi s'est manifesté. Toujours il a été déçu. Pourquoi en serait-il autrement cette fois-ci ? En outre, sans entrer dans le débat sur l'autonomie des finances locales que cette mesure amoindrit, la compensation par l'Etat n'est pas satisfaisante, car elle aboutit, de fait, à un transfert de charges des entreprises vers les ménages. Ce type de relance s'apparente donc plus à une politique de l'offre, alors que nous devons concentrer nos efforts sur la demande.

Les moyens d'action mobilisables en faveur de cette action sont pourtant considérables et permettraient de faire d'une pierre deux coups. Les mesures souhaitables de soutien à la demande peuvent non seulement relancer l'activité et consolider notre croissance, mais aussi réduire le caractère injuste de notre système fiscal en redonnant un sens à la notion républicaine de progressivité de l'impôt.

En la matière, l'urgence est la réduction de la TVA, impôt qui a le double défaut d'être dégressif et de peser sur la consommation dont nous avons tant besoin. Elle pèse certes sur tous les ménages, mais pas de façon indifférenciée. Ainsi, elle représente 8 % du revenu d'un smicard et seulement 5 % de celui d'un salarié qui gagne 100 000 francs par mois. En ce sens, les amendements du groupe socialiste visant à abaisser au taux réduit de 5,5 % la TVA sur les travaux de rénovation dans le logement et celle sur le traitement des ordures complètent avantageusement le dispositif initial d'allégement de la TVA du Gouvernement.

Je défendrai une extension supplémentaire de ces mesures en proposant de taxer uniformément la restauration au taux réduit de 14 %. Cela me paraît nécessaire, car l'extrême distorsion des taux qui a cours en ce moment dans la restauration est devenue une source d'inégalités de traitement entre les salariés, en défaveur de ceux qui n'ont pas la possibilité de manger chez eux ou dans une cantine d'entreprise.

Je tiens également à rappeler que ce sont les différentes formes de restauration traditionnelle qui sont les plus taxées, alors que ce secteur est le quatrième employeur privé de France avec 800 000 actifs, dont 600 000 salariés.

Par contre, les restaurants en fast food qui embauchent et licencient aussi vite qu'ils fabriquent leurs hamburgers sont ceux qui profitent le plus avantageusement de cette disparité des taux. Il est grand temps de mettre fin à cette situation inique et injuste.

M. Pierre Forgues.

Tout à fait !

M. Julien Dray.

Dans le même ordre d'idées, tout ce qui nuit à la progressivité de notre fiscalité et à la justice fiscale doit être corrigé. L'un des objectifs majeurs d'une telle orientation est de poursuivre sur la voie ouverte l'an dernier par le Gouvernement afin de rééquilibrer la fiscalité qui pèse sur le travail par rapport à celle qui pèse sur le capital. En la matière règne une indécente inégalité. En effet, les mécanismes comme celui de l'avoir fiscal, que vous avez, monsieur le secrétaire d'Etat, très justement choisi de réduire, ou comme celui du prélèvement libératoire, pénalisent à outrance les revenus du travail.

Voilà pourqoi je propose que nous abordions dans ce débat budgétaire la question de la taxe dite de Tobin.

Songez, mes chers collègues, que les recettes que procurerait un tel impôt assis sur les mouvements spéculatifs se chiffreraient en milliards de francs. Les inhibitions qu'ont certains à baisser la TVA ou à augmenter les minima sociaux pourraient alors se dissiper sans drame. Lorsque l'économie était principalement industrielle, l'industrie était normalement la plus lourdement taxée. Maintenant que la finance et la spéculation dominent, au nom de quelle bizarrerie de l'esprit ne toucherions-nous pas à ces flux ? Bien sûr, j'entends déjà les discours affolés, mais tellement classiques, sur l'inévitable fuite des capitaux qui enr ésulterait prétendûment mécaniquement. Cependant croyez-vous réellement, mes chers collègues, qu'une taxe de 0,05 % sur les opérations effectuées sur le marché des devises soit de nature à faire fuir tous les capitaux de notre territoire ? Soyons sérieux un instant et évitons de céder aux idées reçues. Les investisseurs fuiraient-ils la France, pays moteur de l'euro, à cause d'une taxe de 0,05 % ? Et où iraient-ils se porter ? Dans les pays émergents ? Au Brésil ? En Russie peut-être ? L'argument ne tient pas, non plus d'ailleurs que celui qui consiste à dire que la Tobin tax n'a de sens qu'au niveau international.

M. le président.

Veuillez conclure, s'il vous plaît.

M. Julien Dray.

Je conclus, monsieur le président.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

Si tel était le cas, pourquoi le contrôle des capitaux à court terme instauré par le Chili est-il un succès ? Pourquoi ce pays est-il l'un des rares à ne pas être touché par la crise alors qu'aucun de ses voisins ne contrôle ses capitaux ? Il va falloir que quelqu'un se décide à se jeter à l'eau.

Le premier, compte tenu de l'extrême besoin de régulation dont fait preuve le système financier international, pourrait être la France, et l'amendement sur ce sujet qui sera examiné dans la discussion des articles peut être utile.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

(M. Patrick Ollier remplace M. Arthur Paecht au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. PATRICK OLLIER,

vice-président

M. le président.

Mes chers collègues, je vous propose de poursuivre la séance jusqu'à dix-neuf heures trente.

La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie.

M me Michèle Alliot-Marie.

Monsieur le secrétaire d'Etat, à mi-chemin des grandes théories économiques ou des revendications catégorielles, je traiterai des effets du b udget, notamment de la fiscalité, sur les classes moyennes dont tout le monde reconnaît le rôle essentiel dans le développement des pays et dans le progès social.

Qui constitue en France ces classes moyennes dont on s'accorde à reconnaître qu'elles représentent près de 80 % de la population ? En fait, elles comprennent tous ceux qui travaillent, qui prennent des initiatives, qui créent, qui consentent des efforts pour essayer de s'en sortir. Mais ce sont aussi ceux qui, depuis des années, supportent l'essentiel des efforts et de la solidarité.

Il s'agit des artisans, des commerçants, des agriculteurs, des ouvriers qualifiés, qui voudraient bien trouver dans leurs revenus de quoi subsister, de quoi préparer l'avenir de leurs enfants, et qui ne le peuvent pas, car il ne leur reste pas suffisamment. Il s'agit aussi des cadres, des professions libérales, de certains patrons de PME ou de PMI qui, après avoir vu leurs revenus baisser, constatent que leur statut social est remis en cause. Il faut donc se poser la question de savoir ce qui est fait pour ces classes moyennes, moteur essentiel du développement économique, au moment de la préparation d'un budget.

En effet, le budget de l'Etat et la fiscalité les concernent tout particulièrement, notamment dans notre pays où, ne l'oublions pas, près de 50 % des Français ne paient pas l'impôt sur le revenu. Si l'on élimine les 20 % de la population qui ont le plus de difficultés, on considère que ce sont essentiellemnt les classes moyennes qui supportent le poids de l'impôt.

M. Jean-Pierre Brard.

Quelle alchimie !

Mme Michèle Alliot-Marie.

A cet égard, je considère, monsieur le secrétaire d'Etat, que votre budget ne fait pas suffisamment pour eux. Au contraire, ce sont toujours les mêmes qui supportent les efforts, ce qui aboutit à décourager les actifs des classes moyennes, les familles des classes moyennes, les retraités des classes moyennes.

Les actifs des classes moyennes tout d'abord. Alors que vous aviez, cette année, la possibilité, grâce au surplus de croissance, de diminuer l'impôt sur le revenu des classes moyennes, vous ne le faites pas. Au contraire, on note une augmentation des prélèvements de 5 milliards de francs. Vous étiez d'ailleurs, dès l'année dernière, revenus sur les engagements pris par les gouvernements précédents de baisser la fiscalité pesant sur les classes moyennes pour leur redonner l'envie de se battre. Que l'on ne nous dise pas qu'elles font partie des privilégiés ! Nous savons bien qu'elles sont les seules à subir les augmentations d'imposition. Les plus riches disposent de nombre de moyens, dont la délocalisation, pour y échapper.

A côté des actifs, les familles sont également pénalisées par le système d'imposition. Je ne reviendrai même pas sur la réforme de l'AGED. Le plafonnement du quotient familial est une mesure nouvelle. Il ne peut pas, vous le savez bien, être considéré comme compensatoire de la suppression de la mise sous condition de ressources des allocations familiales puisque celles-ci avaient été prévues pour un an seulement. Alors qu'elle aurait dû disparaître, vous la remplacez par quelque chose d'autre. En cela, vous ne tenez pas votre engagement.

Enfin, les retraités des classes moyennes, qui étaient déjà touchés par le transfert des cotisations maladie sur la CSG, sont aujourd'hui pénalisés par le système d'imposition. Le transfert des cotisations avait désavantagé ceux qui ne cotisaient pour le risque maladie qu'à concurrence du plafond de la sécurité sociale. Ceux qui bénéficiaient d'une assiette de cotisation atypique, par exemple pour la majoration en fonction du nombre d'enfants élevés, n'étaient pas, à l'époque, soumis à la cotisation avant le 1er janvier 1998.

Aujourd'hui, vous vous en prenez à l'assurance vie.

Vous avez certes reculé en partie sur le principe de rétroactivité. Mais en décidant l'application immédiate de votre disposition à la fois aux contrats en cours et aux nouveaux, vous introduisez une forme de rétroactivité, puisque ce sont les conditions des contrats passés préalablement qui sont en partie modifiés. Ce sont les retraités des classes moyennes qui vont supporter le poids de cette disposition. Mais encore une fois, ces mesures ne sont pas destinées à empêcher les fraudes des plus riches.

Il y a longtemps qu'ils ont trouvé, nous le savons bien, les moyens d'échapper à cette surfiscalisation. notamment en s'exilant à l'étranger.

Il est important de prendre en compte, dans le budget, la situation des classes moyennes.

C'est, je crois, le journal La Tribune qui rappelait hier que, il y a quelques années, en baissant un peu l'impôt sur le revenu et en jouant sur l'envie que chacun a d'améliorer sa situation, l'Etat avait tiré un grand bénéfice : les gens avaient travaillé davantage et donc gagné davantage. Même avec des taux moindres, le produit fiscal avait été plus important.

Dans l'intérêt à la fois de l'Etat et de la cohésion sociale et du dynamisme de notre pays, il est grand temps que, dans le projet de budget que vous nous proposez, soient mieux prises en compte les classes moyennes.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Gilbert Mitterrand.

M. Gilbert Mitterrand.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, « les dispositions fiscales ont leur place dans une loi de finances ».

Cette vérité à laquelle j'adhère a été rappelée, il y a moins de quarante-huit heures, à l'occasion de l'examen du projet de loi d'orientation agricole. Elle signifie en clair que les dispositions du projet appellent une suite en termes de volet fiscal.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 14 OCTOBRE 1998

Il faut reconnaître que les choses ne sont pas simples, tant il est vrai que la fiscalité agricole s'est construite à partir de mesures spécifiques et dérogatoires qui se sont compilées, à la mesure des objectifs fixés pour notre agriculture et de la diversité des produits et des exploitations, car il n'y a pas de situations types.

Entreprise économique, acteur de l'aménagement du territoire, structure familiale indispensable, outil pour l'emploi et l'activité en zone rurale, richesse de nos exportations sont autant de raisons légitimes qui ont justifié cette évolution spécifique de la fiscalité agricole mais qui, en même temps, portent des contradictions et constituent des freins au regard de priorités par ailleurs affichées.

Il en est ainsi par exemple vis-à-vis de la priorité politique reconnue qu'est la transmission des entreprises en général et donc l'installation des jeunes en agriculture en particulier.

Il en est également ainsi vis-à-vis d'une autre priorité affirmée en matière de développement des fonds propres et des investissements des entreprises. Or l'absence de définition de l'exploitant agricole ou la nature juridique multiple du foncier, qui est à la fois outil de production, objet de spéculation et élément du patrimoine, la confusion entre revenu réel d'exploitation, revenu disponible et revenu comptable, ou encore entre revenu du capital et revenu du travail, la confusion entre chef d'exploitation et chef de famille, tout cela crée autant de difficultés en termes économiques qu'en termes de calcul des cotisations sociales ou des successions. Pour les surmonter les montages juridiques sont de plus en plus élaborés et alambiqués. De véritables usines à gaz surgissent qui ne gagnent rien ni en transparence, ni en efficacité, ni en équité familiale.

Le maintien de la structure familiale ou individuelle est menacé et découragé par une fiscalité qui pousse inexorablement vers un statut différent. Ces structures familiales cèdent le pas aux sociétés comme aux capitaux, l'Etat n'y étant pas forcément gagnant dans la durée.

M me Michèle Alliot-Marie.

Voilà, nous sommes d'accord !

M. Gilbert Mitterrand.

Voyez, comme quoi on peut y arriver !

Mme Michèle Alliot-Marie.

C'est vous qui y arrivez !

M. Gilbert Mitterrand.

Nous, nous arriverons peut-être à le faire. C'est différent !

M. le président.

Ne vous laissez pas interrompre, monsieur Mitterrand. Poursuivez !

M. Gilbert Mitterrand.

Il est paradoxal, par ailleurs, de constater que, si les lois fiscales agricoles et les impératifs de l'économie moderne encouragent l'exploitation sous forme sociétaire, certaines dispositions viennent en même temps pénaliser cette évolution. Il est donc important de mettre tout cela au clair et un examen d'ensemble est devenu nécessaire.

Le cadre de ce projet de loi de finances, le premier après l'adoption en première lecture il y a quarante-huit heures du projet de loi d'orientation agricole, se prêtait bien au rappel de cette préoccupation, monsieur le secrétaire d'Etat, et permettra peut-être, au passage, l'adoption de telle ou telle disposition. Mais il est surtout l'occasion de rappeler les engagements pris par M. le ministre de l'agriculture sous l'impulsion insistante de M. François Patriat, notre remarquable et excellent rapporteur du projet de loi d'orientation agricole...

M. Didier Migaud, rapporteur général.

C'est vrai !

M. Gilbert Mitterrand.

... qui, par un amendement après l'article 64, a acté la création d'un groupe de travail entre les différentes administrations - dont la vôtre, monsieur le secrétaire d'Etat - et les professionnels en vue de la remise d'un rapport pour octobre prochain.

Je souhaite que vous nous confirmiez cet engagement solidaire et volontariste sur une question qui, elle aussi, à sa manière, contribuera à notre objectif, éminement politique, de replacer l'homme et ses activités au coeur de nos préoccupations et de notre société.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

A la demande de la commission, la prochaine séance aura lieu ce soir à vingt et une heures trente.

3

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique : Suite de la discussion générale et discussion des articles de la première partie du projet de loi de finances pour 1999, no 1078 : M. Didier Migaud, rapporteur général au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du plan (rapport no 1111).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures trente.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT