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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. PATRICK OLLIER

1. Loi de finances pour 1999 (deuxième partie).Suite de la discussion d'un projet de loi (p. 7817).

AFFAIRES ÉTRANGÈRES M. Yves Tavernier, rapporteur spécial de la commission des finances, pour les affaires étrangères.

M. Jean-Louis Bianco, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, pour les affaires étrangères.

M. Bernard Cazeneuve, rapporteur pour avis de la commission de la défense, pour les affaires étrangères et la coopération.

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour les relations culturelles internationales et la francophonie.

M. Georges Hage, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, pour les relations culturelles internationales et la francophonie.

MM. Philippe Séguin, Pierre Lequiller, Michel Suchod, François Loncle, Marc Reymann, Jean-Claude Lefort, Jean-Bernard Raimond, Roger-Gérard Schwartzenberg, Pierre Brana, Loïc Bouvard, Jacques Myard, Mmes Marie-Hélène Aubert, Monique Collange.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

Réponses de M. le ministre aux questions de : M. Bernard Schreiner, Mme Nicole Catala, MM. Charles Ehrmann, Jean-Jacques Weber, Michel Voisin.

Les crédits inscrits à la ligne « Affaires étrangères et coopération : I.

Affaires étrangères » seront appelés à la suite de l'examen des crédits de la coopération.

Amendement no 48 de M. Myard : MM. Jacques Myard, le rapporteur spécial, le ministre, François Loncle.

- Rejet.

COOPÉRATION M. Maurice Adevah-Poeuf, rapporteur spécial de la commission des finances.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

2. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 7855).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. PATRICK OLLIER,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1 LOI DE FINANCES POUR 1999

DEUXIÈME PARTIE Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 1999 (nos 1078, 1111).

AFFAIRES ÉTRANGÈRES

M. le président.

Nous abordons l'examen des crédits du ministère des affaires étrangères.

La parole est à M. le rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, pour les affaires étrangères.

M. Yves Tavernier, rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan, pour les affaires étrangères.

Monsieur le président, monsieur le ministre des affaires étrangères, monsieur le ministre délégué à l a coopération, mesdames et messieurs, le budget du ministère des affaires étrangères intègre, pour la première fois cette année, les services et les moyens de la coopération.

Ce budget unique est l'expression de la réforme de la coopération décidée par le Gouvernement le 4 février dernier.

La réforme des structures administratives a naturellement entraîné une modification de la nomenclature budgétaire. Comparer le projet de loi de finances pour 1999 au budget de 1998 est donc un exercice difficile et délicat.

Le budget unique s'élève à 20 775 millions de francs.

Il atteignait 20 921 millions de francs l'an dernier, 14 430 millions de francs pour les affaires étrangères stricto sensu et 6 490 millions de francs pour la coopération.

Dans leur sécheresse, les chiffres traduisent une baisse des crédits de 146 millions de francs, soit 0,7 % du budget.

M. Jacques Myard.

Eh oui !

M. Yves Tavernier, rapporteur spécial.

La part des crédits des affaires étrangères, coopération comprise, dans le budget de l'Etat est de 1,28 % au lieu de 1,32 % en 1998. Elle était de 1,68 % en 1992. Elle n'a donc cessé de diminuer, de manière continue, d'année en année.

Ce constat me conduit à formuler une première interrogation.

Je comprends que le budget des affaires étrangères ne soit pas prioritaire, mais je m'interroge sur l'adéquation entre nos ambitions légitimes sur la scène internationale et les moyens que nous leur consacrons. Peut-on continuer à entretenir le deuxième réseau diplomatique du monde avec un budget en réduction constante ? Peut-on rester le deuxième contributeur mondial en matière de coopération pour le développement avec des crédits qui se raréfient d'année en année ? Certes, l'intégration de l'administration de la coopération dans celle des affaires étrangères entraînera à terme des économies de fonctionnement, mais j'estime que le ministère des finances est allé un peu vite en besogne en imposant les économies avant même que les réformes structurelles aient produits leurs effets. Il aurait été judicieux de les étaler dans le temps.

Une deuxième interrogation. Elle porte sur la vérité du budget.

Vous savez que l'effet-change influe sur le niveau des crédits réellement disponibles. La loi de finances de 1998 avait été construite sur un dollar à 5,66 francs. Or la moyenne sur l'année s'est établie à 5,95 francs. L'impact du différentiel pour 1998 est loin d'être négligeable : 179 millions de francs dont 52 millions au titre des rémunérations. Le ministre des finances s'était engagé à combler le déficit. La commission des finances a voté, à l'unanimité, une observation demandant que le différentiel dû aux taux de change soit entièrement compensé.

En préambule à l'examen des crédits, je veux présenter, monsieur le ministre, une troisième observation. Elle concerne le personnel.

L'année 1998 devait être la dernière année d'application du plan quinquennal de réduction des effectifs. En cinq ans, 610 emplois auront été supprimés. Vous estimiez, l'an dernier, que les effectifs devaient être dorénavant stabilisés. Il n'en est rien puisque le projet de budget prévoit la suppression de 143 emplois, sans taux de retour.

M. Jacques Myard.

C'est du masochisme !

M. Yves Tavernier, rapporteur spécial.

En effet, contrairement à la règle suivie dans le cadre du schéma d'adaptation, la suppression des postes d'expatriés ne sera pas compensée par la création de postes de recrutés locaux.

Je comprends que le ministère des affaires étrangères contribue à l'effort de redéploiement et de stabilisation de l'emploi public.

M. Jacques Myard.

Depuis longtemps !

M. Yves Tavernier, rapporteur spécial.

Certes, l'effort de rationalisation sera poursuivi et des gains de productivité pourront être trouvés. Toutefois, je m'interroge sur le seuil en deçà duquel il ne sera plus en mesure de faire face convenablement à ses obligations.


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M. Jacques Myard.

C'est déjà le cas !

M. Yves Tavernier, rapporteur spécial.

Je suis préoccupé, en particulier, par la faiblesse de nos moyens en personnel dans un grand nombre de consulats, au moment où nous devons renforcer et affiner notre politique d'attribution des visas.

Traiter le problème des services des visas, c'est s'occuper de l'image du service public rendu par la France dans le monde.

Certains postes connaissent une réelle faiblesse du taux d'encadrement. Plusieurs exemples méritent d'être relevés : à Jakarta, deux agents indonésiens traitent avec un vacataire français 5 900 dossiers par an ; à Pékin, six agents traitent plus de 33 200 dossiers, soit un ratio par agent de plus de 5 100 dossiers ; à Taipei, le nombre de dossiers traités par agent atteint 9 790, et à Hong Kong 7 900. Je souhaite que soit réalisé un état des lieux afin de nous permettre de mieux apprécier la relation entre l'ampleur des missions et le nombre d'agents disponibles pour les remplir.

Après ces trois observations de caractère général, j'en viens aux moyens dont disposera le ministère. Ils seront en augmentation sensible, de 4,51 %.

Les effectifs budgétaires s'élèvent à 9 474 emplois, 38,5 % dans l'administration centrale, un peu plus de 51 % dans les services à l'étranger, 10 % dans les établissements culturels et les centres médico-sociaux.

La réduction de 143 postes budgétaires, 130 pour les affaires étrangères et 13 pour la coopération, ne se traduit pas par une baisse des frais de personnel. Ceux-ci progressent d'un peu plus de 5 % à la suite de la transformation d'emplois d'adjoints administratifs d'administration centrale et d'emplois d'adjoints administratifs de chancellerie pour un coût de près de 3 millions de francs.

Les moyens de fonctionnement progressent légèrement, de 0,97 %. A ce titre, je tiens à saluer l'importance des efforts réalisés par le ministère dans la modernisation de sa gestion, notamment grâce à une plus grande autonomie des postes et à la mise en place d'une comptabilité rénovée.

Les évolutions par chapitre sont différenciées. Les crédits de matériel et de fonctionnement courant sont en légère augmentation, un peu plus de 1 %. Les frais de réception et de déplacement officiel à l'étranger et ceux destinés au ministère des affaires étrangères sont stables.

Par contre, les moyens informatiques sont en réduction de 2,42 %. Devons-nous en conclure que les besoins sont largement satisfaits ? Cette baisse pose interrogation dans la perspective de l'application du nouveau schéma directeur 1998-2002.

Seront ouverts 281 millions de francs en autorisations de programme et 278 millions de francs en crédits de paiement pour financer les nouvelles installations de Berlin et de Pékin, la construction d'une nouvelle ambassade à Téhéran, l'acquisition de mobilier et la réhabilitation de locaux dans plusieurs ambassades, missions de coopération et lycées français.

L'effort pour améliorer l'accueil du public par les services de l'Etat doit être poursuivi. J'insiste pour que les services qui gèrent l'état civil des Français à l'étranger e t ceux qui traitent les demandes de visas bénéficient des moyens humains et techniques nécessaires à l'accomplissement de leurs missions.

La France est l'un des meilleurs contributeurs au fonctionnement des Nations Unies, du moins pour les contributions obligatoires. Elles atteindront, toutes organisations internationales confondues, 3 156,51 millions de francs.

La légère baisse de 0,77 % par rapport à 1998 est justifiée par la réduction du coût des opérations de maintien de la paix.

Une bonne nouvelle : la forte augmentation, de près de 22 %, des crédits affectés aux contributions volontaires.

Les crédits avaient baissé de près de 65 % entre 1992 et 1998, mettant en péril les intérêts français, faisant perdre à notre pays son influence dans un certain nombre d'organismes des Nations Unies.

Je me réjouis, en particulier, de la hausse des crédits affectés au Programme des Nations Unies pour le développement.

Les crédits du fonds d'urgence humanitaire diminuent légèrement. Les crédits de l'aide alimentaire sont stables à 105 millions de francs.

Les concours financiers destinés à financer les subventions directes versées aux Etats les moins avancés ainsi que la bonification consentie par la France au titre des prêts d'ajustements structurels diminuent. Cette diminution doit être considérée comme positive dans la mesure où ces économies résultent de l'amélioration de la situation dans un certain nombre de pays d'Afrique.

L'aide aux Français à l'étranger reste prioritaire. Les dotations dévolues à cette action augmentent de 132 millions de francs, soit une progression de 8,67 % à structure constante. Je note en particulier un crédit supplémentaire de 20 millions de francs en faveur des bourses scolaires.

Enfin, les crédits de l'OFPRA et l'aide aux réfugiés étrangers restent stables.

Je serai bref sur le volet du projet de budget concernant l'action culturelle, scientifique et technique, dans la mesure où les crédits concernés feront l'objet d'une présentation approfondie par M. Adevah-Poeuf, rapporteur pour la coopération.

Une nouvelle direction de la coopération internationale et du développement va se substituer à l'ancienne direction des relations culturelles, scientifiques et techniques du Quai d'Orsay et à l'ancienne direction du développement de la rue Monsieur.

Après plusieurs années d'érosion, j'observe avec plaisir que les crédits sont reconduits. Les moyens consacrés à la coopération culturelle, scientifique et technique, ainsi qu'à la coopération au développement, représenteront 8 milliards de francs.

Je veux souligner l'effort très important en faveur de l'audiovisuel extérieur, 130 millions de francs étant inscrits pour des mesures nouvelles : soutien à l'exportation des programmes audiovisuels, aide au transport par satellite des chaînes françaises, aide à la diffusion et à l'amélioration de TV 5. Avec 1 040 millions de francs, les crédits consacrés à l'audiovisuel extérieur augmentent de 7,37 %. Nous ne pouvons que nous en réjouir.

Les dotations de la francophonie et de l'enseignement du français à l'étranger progressent également de manière très significative, de 5,38 %. La subvention de fonctionnement de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger est en progression de 5,6 %.

Au terme de cette présentation, il apparaît que le budget du ministère des affaires étrangères est fait, comme tout budget, d'ombres et de lumières.


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J'ai insisté sur la relative stagnation globale des moyens. En 1999, le montant total des moyens mis au service de notre politique extérieure, au sein du budget de l'Etat, y compris les comptes spéciaux du Trésor, s'élèvera à 56,7 milliards de francs dont 5,9 milliards de francs pour la quote-part française aux dépenses des actions extérieures de l'Union européenne. Ces données sont officieuses dans l'attente de la parution du jaune budgétaire.

En 1998, le montant global des crédits s'élevait à 56,8 milliards de francs, mais la participation française à l'Union européenne était un peu plus élevée : 6,7 milliards de francs.

Les dépenses de l'ensemble des ministères en faveur de l'action internationale de la France passent de 43,4 à 44,5 milliards de francs.

Ainsi, la légère réduction des crédits des affaires étrangères est compensée par la stabilité de la dotation globale dont bénéficie notre politique extérieure.

Il y a un an, monsieur le ministre, vous nous indiquiez que le budget que vous présentiez alors s'inscrivait dans une dynamique de reconquête. Pour ma part, je veux situer ce projet de budget dans un temps de stabilité préparant la reconquête que nous appelons tous de nos voeux.

C'est pourquoi, mes chers collègues, mon optimisme naturel me conduit à vous inviter, au nom de la commission des finances, à voter les crédits du budget du ministère des affaires étrangères.

Mme Monique Collange.

Très bien !

M. Jacques Myard.

Quel effort !

M. le président.

Je rappelle que, conformément aux décisions des commissions, les rapporteurs pour avis disposent chacun de dix minutes pour s'exprimer. Je souhaite que ce temps de parole soit respecté.

La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, pour les affaires étrangères.

M. Jean-Louis Bianco, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, pour les affaires étrangères.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, sur de nombreux points, vous n'en serez pas surpris, mon intervention recoupera l'analyse que vient de nous présenter M. Tavernier.

Le projet de budget qui nous est présenté est sans aucun doute décevant. Décevant, car les crédits du budget unique sont en diminution par rapport à ceux qui avaient été votés pour 1998, décevant, aussi, parce que ce budget succède à d'autres qui étaient encore plus mauvais alors que la loi de finances prédédente laissait espérer un rebond.

Les crédits du budget unique s'élèvent à 20,78 milliards de francs. Ils diminuent de 0,7 % par rapport à la loi de finances de 1998. Cette stabilité apparente masque une différence sensible entre les crédits qui relevaient des affaires étrangères et ceux qui étaient gérés par la coopé ration. Les premiers sont en augmentation de 2,5 %, alors que les seconds sont en diminution de 7,7 %.

L'évolution des crédits de la coopération s'explique par la baisse des concours aux pays les moins avancés, la baisse des crédits de paiement du FAC et la diminution du nombre d'assistants techniques.

Pour ma part, l'argument selon lequel l'amélioration de la situation des économies africaines justifierait, dès maintenant, un effort budgétaire moins important me laisse sceptique.

S'agissant du budget des affaires étrangères, le principal point noir est évidemment l'évolution des effectifs. En effet, 1998 est la dernière année d'application du schéma d'adaptation des réseaux. Sur cinq ans, le Quai a supprimé 610 emplois. C'était déjà beaucoup, plus en tout cas que les contributions relatives de la plupart des autres administrations. On pouvait espérer que les effectifs du Quai resteraient stables. Il n'en sera rien, puisque 130 emplois disparaîtront en 1999. Quand on sait que le Quai d'Orsay va perdre 1,5 % de ses emplois, alors que le ministère des finances, dont les effectifs sont vingt fois supérieurs, n'en perdra que 0,4 %, on peut se demander si la rigueur est vraiment équitablement partagée.

Mme Bernadette Isaac-Sibille et M. Jacques Myard.

Très bien !

M. Jean-Louis Bianco, rapporteur pour avis.

Il n'est pas certain que la réforme, pour opportune qu'elle soit, permette de gagner, dès 1999, en productivité et donc en effectifs.

Par ailleurs, la gestion du personnel du Quai n'est déjà pas facile. Le recrutement local a atteint un plafond qu'il serait dangereux de dépasser. La disparition du service national suppose le développement du volontariat international dans des conditions qui restent à définir dans le projet de loi prévu pour l'année prochaine.

Il faudra évidemment réfléchir à une nouvelle adaptation de la carte diplomatique. Nous devons espérer que celle-ci ne se fera pas sous la seule contrainte budgétaire mais prendra surtout en considération l'évolution du monde et les réseaux des autres administrations.

Cependant, sous la forte réserve que son montant est insuffisant, le projet de budget est satisfaisant dans la mesure où il prévoit des priorités raisonnables et raisonnées.

En premier lieu, les crédits d'intervention de la direction générale sont préservés, et, surtout, redéployés.

L'action audiovisuelle extérieure se voit doter de 130 millions de francs de mesures nouvelles après trois années où l'élan donné en 1994 avait été brisé. Nous attendons que l'amélioration annoncée du programme de TV5 se concrétise. Pour ma part, j'estime qu'il conviendra sans doute de se donner un jour des moyens encore plus importants, notamment pour financer une chaîne d'information en continu.

La politique des bourses est également entrée dans une phase de rénovation. Les crédits augmentent pour les bourses versées aux élèves français du réseau d'enseignement à l'étranger. Un dispositif nouveau de bourses d'excellence a été mis au point. L'objectif est d'atteindre un montant de 1 500 bourses de ce type d'ici à trois ans.

Ces initiatives sont excellentes, mais la commission des affaires étrangères, lors de l'examen de ce budget, a estimé qu'il convenait, là encore, d'être beaucoup plus ambitieux, si l'on souhaitait sauver la présence culturelle de la France. En réalité, seule la généralisation d'une deuxième langue étrangère obligatoire dans les programmes scolaires de nos partenaires est susceptible de garantir l'avenir de notre langue.

Le deuxième aspect positif de ce budget réside dans l'augmentation des contributions volontaires en faveur des organisations internationales. Ces dernières ont baissé continûment entre 1992 et 1998 alors qu'elles sont, à l'évidence, un facteur d'influence dans les institutions spécialisées de l'Organisation des Nations Unies. Le message que les parlementaires n'ont cessé de marteler d'une discussion budgétaire à l'autre semble enfin avoir été entendu.


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Par ailleurs, le ministère a engagé une action résolue afin que le service central de l'état civil, à Nantes, dispose enfin des moyens de fonctionner normalement. Les délais d'examen des demandes sont encore trop longs, mais la numérisation des données devrait enfin franchir un seuil significatif en 1999.

D'une manière générale, on peut vraiment considérer qu'un vent de changement souffle dans la gestion de ce ministère.

La principale réforme est évidemment celle qui touche la coopération. Vous avez choisi, messieurs les ministres, de réaliser une vraie réforme. Il n'était d'abord question que d'un rapprochement entre les structures ; vous avez voulu une fusion. La nouvelle direction générale de la coopération internationale et du développement sera à pied d'oeuvre dès janvier 1999. Vous avez voulu qu'elle soit profondément nouvelle. Le personnel adhère à ces principes. Pourtant la majorité des agents des directions concernées devra changer de directeurs et de collaborateurs et devra très probablement exercer un nouveau métier.

Grâce à une concertation continue et approfondie, certains obstacles ont été surmontés. Il reste encore évidemment des appréhensions car la fusion doit avoir une traduction statutaire. Vous souhaitez notamment que la réforme des statuts soit l'occasion d'une réflexion approfondie sur le regroupement des personnels de centrale et de chancellerie, en particulier au niveau des catégories A.

Cette initiative est bienvenue.

Au risque de paraître utopique, je pense néanmoins que la réforme ne peut en rester là. En particulier, elle ne peut se traduire par le statu quo s'agissant du rôle du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie dans la politique extérieure de la France.

M. Jacques Myard.

Très bien !

M. Jean-Louis Bianco, rapporteur pour avis.

Nous devons continuer à réfléchir à la création d'une administration unique de l'action extérieure qui dépasse le partage des tâches actuel. Messieurs les ministres, il reste encore des Bastilles à prendre !

Mme Yvette Roudy.

Très bien !

M. Jacques Myard.

DSK !

M. Jean-Louis Bianco, rapporteur pour avis.

On a souvent dit que le budget des affaires étrangères est un petit budget pour un grand ministère. Nous souhaiterions tous ici, je pense, que ce budget soit un peu moins petit car il est au service de grandes ambitions : 1,28 % du budget de l'Etat, cela est peu.

Ce budget peut paraître décevant, si l'on estime, comme moi, que l'influence de notre pays dans le monde dépend en partie des crédits du ministère des affaires étrangères. Sans doute la perception de cet enjeu par nos compatriotes n'est-elle pas suffisante pour que ce budget puisse dès maintenant devenir une priorité dans un contexte budgétaire tendu.

Cependant, ce projet contient des priorités justifiées et cohérentes.

Par ailleurs, la modernisation du Quai d'Orsay se poursuit. La réforme de la coopération en est la dimension la plus spectaculaire. Mais d'autres chantiers sont en bonne voie ou achevés : la rénovation de l'OFPRA, les investissements en faveur du service de l'état civil à Nantes, le développement des nouvelles technologies, la nouvelle définition de notre politique des visas, en particulier à l'égard des ressortissants algériens.

A l'avenir, d'autres pistes mériteraient d'ête explorées.

La formation du personnel doit sans aucun doute franchir un nouveau seuil. Le Quai d'Orsay devrait intensifier sa politique de proximité avec les Français à l'étranger, notamment en tâchant de mieux identifier ceux de nos compatriotes qui ne voient pas l'intérêt de s'immatriculer.

Les réseaux des différents ministères travaillent encore trop souvent en parallèle. Le développement du volontariat international est aussi un enjeu fondamental de la présence de la France à l'étranger.

Au bénéfice de ces observations, votre rapporteur et la commission des affaires étrangères vous proposent de donner un avis favorable à l'adoption des crédits des affaires étrangères pour 1999. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour les affaires étrangères et la coopération.

M. Bernard Cazeneuve, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour les affaires étrangères et la coopération.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, comme l'an dernier, le rapport pour avis de la commission de la défense sur le budget du ministère des affaires étrangères et de la coopération traite de l'ensemble des questions de sécurité et de défense de la France. Comme l'an dernier cependant, je concentrerai mon propos sur la politique française de coopération militaire et de défense.

Cette politique apparaissait l'an dernier comme insatisfaisante. En effet, il ressortait de son examen qu'elle était fractionnée entre trois départements ministériels.

Le ministère des affaires étrangères gérait ce qu'on appelle la coopération de défense, c'est-à-dire la coopération militaire avec l'ensemble des pays développés ou émergents.

La coopération avec les anciennes colonies françaises en Afrique, élargie depuis 1996 à l'ensemble des pays ACP, était gérée par la mission militaire de coopération dépendant du ministère de la coopération.

Enfin, le ministère de la défense, par le moyen des nombreuses forces prépositionnées qu'il entretient en Afrique, menait également des actions d'assistance et de formation militaire.

A ces moyens dispersés correspondaient des budgets disparates. Alors que la MMC disposait du chapitre 41-42 du ministère de la coopération, c'est-à-dire de 703 millions de francs, le service de l'aide militaire du ministère des affaires étrangères ne disposait, pour le reste du monde, que de 86,1 millions de francs. Les actions de coopération du ministère de la défense en Afrique pouvaient par ailleurs être estimées entre 100 et 200 millions de francs.

Alors que la France disposait d'une mission d'assistance militaire de cinquante-neuf membres en République Centrafricaine ou de cinquante-cinq membres au Tchad, elle ne disposait que de soixante-trois coopérants de défense pour le reste du monde dont cinq seulement dans les pays de l'Est. Cette situation présentait le grave inconvénient de laisser notre coopération de défense à l'écart de la refonte par ces pays de leur organisation militaire et de l'équipement de leurs armées dans la perspective de leur intégration à l'OTAN.

Cette situation était d'autant moins satisfaisante que la capacité de formation militaire de la France, partout reconnue, donnait à notre pays, l'opportunité de proposer


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à ces pays notamment au sein du Conseil de partenariat euro-atlantique, une coopération militaire efficace, crédible et offrant une alternative au modèle américain. Il s'agissait ici de fournir une base supplémentaire à l'identité européenne de sécurité et de défense.

La réforme de la coopération est d'ores et déjà source de progrès considérables dans la modernisation de notre coopération militaire.

Le point majeur est la fusion des deux coopérations.

Cela permettra l'interaction des moyens et des méthodes, par le biais notamment d'une évaluation comparative des projets, alors qu'aujourd'hui ceux-ci sont évalués dans le cadre d'enveloppes séparées.

Dans la nouvelle direction de la coopération militaire et de défense qui sera créée, l'ancien service de l'aide militaire et l'ancienne mission militaire de coopération devraient constituer chacune une sous-direction. Eu égard aux différences entre les interlocuteurs de l'une et ceux de l'autre ainsi qu'au type de prestations dont ils ont besoin, il paraît en effet souhaitable de continuer à les identifier.

En revanche, un pôle commun sera constitué, qui réunira les moyens nécessaires aux actions des deux sous-directions, autrement dit la gestion du budget, celle des assistants militaires techniques, les stages et l'aide technique.

Si cette réforme administrative n'est pas encore entrée en vigueur, un premier pas très important est fait à l'occasion du projet de loi de finances, avec la fusion des budgets des deux coopérations. Techniquement, le chapitre 41-42 de la MMC disparaît, et l'ensemble des crédits est désormais regroupé dans le chapitre 42-29 du ministère des affaires étrangères. Ils sont désormais répartis selon la ventilation de l'ancien chapitre de la MMC.

Cette fusion s'accompagne de signes positifs. D'abord, elle se fait au franc près, sans diminution de crédits, alors que l'an dernier encore, si les crédits de la coopération de défense avaient été stabilisés, ceux de la MMC avaient diminué de 5 % environ. Les crédits seront donc de 789,434 millions de francs, sachant que les crédits de déplacement des personnels de l'administration centrale, soit 900 000 francs, sont désormais logés dans le chapitre adéquat du budget du ministère.

Deuxième signe positif, 4 % des crédits de la MMC sont redéployés vers le service de l'aide militaire. Cette politique, qui permet le transfert de 28 millions de francs, devrait être poursuivie dans les prochaines années.

Pour le service de l'aide militaire, ce redéploiement aboutit à une augmentation de ses crédits d'un tiers.

Cette progression se traduit immédiatement en action.

Quatre postes de coopérants de défense sont créés en Europe centrale et orientale : un troisième poste est créé en Pologne, un deuxième en Roumanie, un premier en Bulgarie et auprès du partenariat pour la paix. On ne peut que se réjouir de cette identification judicieuse des priorités. Il s'agit de postes auprès des états-majors ou dans les grandes académies militaires.

L'un des trois postes créé en Pologne est un poste de conseiller « Air », au moment où ce pays cherche à renouveler sa flotte d'avions de combat. Il est également réjouissant de voir que le caractère essentiel de la coopération multilatérale, dans le cadre du partenariat pour la paix, est complètement pris en compte.

La politique dynamique en matière de coopération de défense se traduit également en matière d'offre de stages.

Les crédits sont augmentés de 50 %. Cette augmentation est utilisée pour accroître le niveau et la technicité des stages. Ainsi est-il envisagé de développer des stages de pilotes ou de missiliers, ainsi que des cours d'état-major.

Est également à l'étude la création d'un cursus de sousofficier en Pologne.

La mission militaire de coopération, quant à elle, poursuit la politique engagée depuis quelques années. La diminution de ses crédits l'amène une fois de plus à réduire le nombre d'assistants militaires techniques. Leur effectif passe de 570 à 506, soit une réduction de 64, contre 70 l'an dernier. C'est sur les missions les plus nombreuses que porte l'ajustement et c'est un bien. Ainsi celle du Centrafrique passe de 59 membres à 28 ; celle du Tchad de 55 à 46. Plus aucune mission n'atteint 50 coopérants.

La formation est autant que possible préservée : plus de 110 assistants militaires techniques restent affectés à ces tâches, soit dans des écoles nationales, soit dans des écoles nationales à vocation régionale.

Ces écoles nationales à vocation régionale sont le grand chantier actuel de la mission militaire de coopération.

Celle-ci, du fait de l'accroissement du nombre des pays dont elle a la charge et des réductions des promotions d'officiers français du fait de la professionnalisation des armées, souhaite transférer autant que possible les formations en Afrique. Dans ce cadre, les pays africains ont estimé que la meilleure solution était que chacun d'eux puisse offrir un ou plusieurs centres d'excellence, où viendraient aussi se former les élèves ou stagiaires des pays voisins. La mission militaire de coopération offre pour les écoles ainsi définies des AMT, douze y sont affectés, et des crédits. Sept écoles nationales à vocation régionale fonctionnent et six devraient être ouvertes en 1999, parmi lesquelles une école de maintien de la paix à Zambakro.

De ce fait, le nombre de stages offerts en France diminue, passant de 1 338 en 1997 à 916 en 1998, tandis que les places offertes en Afrique augmentent, passant de 193 en 1997 à 269 en 1998 et 550 environ en 1999.

La mission militaire de coopération bénéficie d'un autre point de la réforme. En effet, elle se plaignait que son budget ne lui permette d'offrir que des subventions de fonctionnement, sans jamais pouvoir offrir des subventions d'investissement. Aussi 8 millions de francs ont été distraits du chapitre 42-29 pour être placés sur une ligne du chapitre 68-80, qui est un chapitre de subventions d'investissement. C'est là encore un point positif. Cette année, ces 8 millions de francs seront en totalité consacrés à des investissements dans des écoles nationales à vocation régionale ou dans des écoles nationales.

Conformément aux voeux exprimés l'an dernier, la coopération militaire sera par ailleurs rapprochée du ministère de la défense et là aussi, messieurs les ministres, c'est une excellente chose. Il sera désormais recouru aux services de celui-ci de façon beaucoup plus complète pour évaluer les actions des missions locales de coopération.

Les premiers éléments laissent apparaître que son rôle pourrait être tout à fait positif.

De plus, il faut aussi replacer la coopération avec les pays africains dans le cadre de la redéfinition de la politique africaine de la France en matière de sécurité. La France considère désormais que c'est d'abord les Etats africains eux-mêmes qui doivent assurer celle-ci. Une telle doctrine amène en conséquence à infléchir l'action menée sur le terrain. C'est le concept RECAMP - renforcement des capacités africaines de maintien de la paix.

Or la mise en oeuvre de ce concept amène à recourir à la fois à la mission militaire de coopération et aux forces prépositionnées.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

Elle implique d'abord de développer la formation.

C'est la raison du développement par la MMC de l'école nationale à vocation régionale de Zambakro.

En conclusion, l'action menée en matière de coopération militaire et de défense apparaît très positive, qu'il s'agisse de l'action menée en Afrique ou du redéploiement de la coopération militaire. Certes, dans ce dernier domaine, les progrès encore à faire sont importants.

Mais, en tout état de cause, la commission de la défense a donné un avis favorable aux crédits des affaires étrangères et de la coopération pour 1999. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, pour les relations culturelles internationales et la francophonie.

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, pour les relations culturelles internationales et la francophonie.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, les crédits qui seront consacrés en 1999 aux relations culturelles internationales et à la francophonie portent la marque de la réunification des ministères des affaires étrangères et de la coopération voulue, et surtout enfin réalisée par le gouvernement de Lionel Jospin.

Qu'il me soit permis préalablement de me réjouir que, pour la première fois depuis près de dix ans, ce budget n'ait pas fait l'objet de régulations en 1998.

A cette même tribune, il y a un an, j'avais en effet déploré des annulations qui avaient touché les crédits de la direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques pour un montant de 200 millions sur 5 milliards de francs inscrits en loi de finances initiale pour 1997.

L'image de la France, hier altérée par des annulations de programmes dans lesquels notre pays était engagé en partenariat, a été préservée et je souhaitais, messieurs les ministres, saluer votre rôle décisif en ce domaine.

Dans le projet de loi de finances pour 1999, les relations culturelles, scientifiques, techniques et audiovisuelles constituent un secteur protégé de l'action extérieure de la France, et traduisent la volonté de maintenir un fort outil de coopération. Ainsi, les crédits de la direction générale passent de 5,125 milliards à 5,287 milliards de francs.

Il convient d'y ajouter la dotation du fonds d'aide et de coopération, ainsi que la subvention de l'agence pour l'enseignement français à l'étranger pour constater que les crédits consacrés à la coopération, hors défense, s'élè veront en 1999 à plus de 10 milliards de francs, soit près de 50 % des dotations du ministère des affaires étrangères réunifié.

Le travail de votre rapporteur sur ce budget aurait néanmoins été facilité par l'envoi moins tardif de données essentielles dont certaines lui sont parvenues après la pré-s entation, jeudi dernier, de son rapport devant la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Adieu donc, en 1999, à la direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques ! Et bienvenue à la direction générale de la coopération internationale et du développement. La création d'un outil neuf permettra de résoudre un cetain nombre de problèmes de répartition de compétences, de gestion et donc d'efficacité du dispositif, problèmes posés depuis de nombreuses années dans toutes les analyses portant sur les interventions du ministère.

En particulier, une distinction est clairement établie entre les quatre directions fonctionnelles, d'une part, et la direction de la stratégie de la programmation et de l'évaluation, d'autre part.

Votre rapporteur souhaite vivement que la mise en place de la nouvelle direction générale, désormais organisée autour des métiers, soit enfin l'occasion d'un réexamen de la politique de recrutement des personnels du réseau culturel, comme vous en avez d'ailleurs exprimé l'intention, messieurs les ministres.

Je souhaiterais maintenant évoquer les orientations prioritaires retenues par le Gouvernement pour 1999.

Il s'agit, tout d'abord, de signaler l'effort particulier fait en faveur de bourses de l'enseignement supérieur. Ainsi, 55 millions de francs sont dégagés, pour 1999, afin de permettre la mise en place de 300 bourses d'excellence destinées à la formation, dans le cadre du progamme Eiffel, d'étudiants étrangers dans les domaines politique et administratif, mais surtout économique et industriel, secteurs dans lesquels la France souffre d'un manque important de relais.

Cet effet prouve bien que le ministère des affaires étrangères a pris conscience que la baisse continue des interventions en ce domaine, depuis 1993, devait être stoppée. En quatre ans, la durée de séjour des boursiers, qui était de 4,6 mois en moyenne, est passée de 3,2 mois en 1997. Surtout, la France, qui occupait depuis des décennies la deuxième place en nombre d'étudiants accueillis, s'est vu dépassée par la Grande-Bretagne, dont l'effectif d'étudiants étrangers a doublé en quatre ans.

Il convient à cet égard de se féliciter qu'une refonte de la réglementation sur les conditions de délivrance des visas aux étudiants étrangers ait été engagée afin de facili ter l'accès du territoire national à ceux qui viennent répondre à l'offre française de formation.

Les mesures nouvelles comprennent la motivation des refus de visas, le renforcement de la coopération entre les services consulaires et les services de coopération, la création d'un visa de court séjour avec mention « étudiantconcours », le succès aux épreuves ouvrant droit à la demande d'un visa de long séjour.

En ce qui concerne l'enseignement français à l'étranger, il faut noter, pour s'en réjouir, une relance des crédits consacrés aux bourses scolaires destinées à favoriser la scolarisation des élèves français dans les établissements du réseau. Le projet de loi de finances pour 1999 prévoit 20 millions de francs de mesures nouvelles, après une augmentation de 12 millions de francs en 1998.

Il faut regretter cependant un manque de moyens financiers ne permettant pas l'instauration d'un système de bourses « au mérite » destiné à faciliter l'accès des élèves étrangers aux écoles françaises.

Il convient de relever, comme il y a un an, les incertitudes nées de la réforme du service national, et donc de la disparition des coopérants servant dans ce cadre, à qui était offert un mode apprécié de formation complémentaire à l'étranger. Un partie des étudiants diplômés qui en constituaient le vivier de recrutement devrait logiquement se tourner vers les programmes de bourses. Le millier de bourses dont dispose la direction générale risque de répondre fort mal à un tel accroissement de la demande.

Il n'est que temps d'évoquer maintenant la grande réforme de l'audiovisuel extérieur, si souvent envisagée, tant attendue et, enfin, engagée cette année par M. le ministre des affaires étrangères.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

Cette réforme s'articule autour de trois objectifs : une relance ambitieuse de la chaîne francophone TV 5 ; un soutien accru à l'exportation des programmes français ; une aide financière renforcée pour que le plus grand nombre de chaînes françaises soient diffusées sur le plus grand nombre de bouquets satellitaires.

Inutile de préciser qu'a été abandonné le projet, financièrement illusoire, de création d'une chaîne de type CNN à la française.

Ces nouvelles orientations trouvent logiquement leur traduction dans ce budget par une progression de près de 10 % des subventions aux opérateurs de l'action audiovisuelle extérieure, subventions qui dépassent, pour la première fois, le milliard de francs.

Les 130 millions de francs de « mesures nouvelles », essentiellement financées par redéploiement, doivent permettre : le soutien à l'exportation des programmes audiovisuels, pour 10 millions de francs ; l'aide au transport satellitaire des chaînes françaises et la constitution de bouquets numériques, pour 40 millions de francs ; lar égionalisation et l'amélioration des programmes de TV 5, pour 80 millions de francs.

La réorganisation du pôle audiovisuel extérieur a été confiée avec bonheur à M. Jean Stock, qui assure la présidence commune de TV 5 et de CFI, sans qu'il ait été besoin de créer un holding.

La participation française au conseil d'administration de TV 5 fait que RFO et ARTE-La Cinquième se substituent à la SOFIRAD, la présence de France-Télévision étant, par ailleurs, renforcée.

Dans sa conférence de presse du 15 octobre 1998, à laquelle votre rapporteur assistait, M. Stock a présenté les plans d'entreprise des deux opérateurs dont il assure la direction, plans qui ont été ratifiés par les personnels des deux chaînes et qui visent à projeter à l'extérieur de la France ce qui se fait de mieux dans l'audiovisuel français et francophone.

Le Parlement sera d'ailleurs tenu régulièrement informé des activités des opérateurs CFI et TV

5. En ce qui concerne l'exportation de programmes français, il s'agit d'un enjeu autant économique que culturel.

Il est majeur quand on sait que les Etats-Unis contrôlent aujourd'hui 60 % des échanges mondiaux dans le secteur de l'audiovisuel et du cinéma, qui constitue le deuxième poste d'exportation de ce pays.

Il est à cet égard souhaitable que nous sachions adapter nos mécanismes d'aide à l'exportation aux spécificités du secteur audiovisuel.

Un dernier mot sur Radio France Internationale. La légère baisse de son budget pour 1999 traduit l'incidence de l'allégement du dispositif de diffusion en ondes courtes. On peut regretter que ces économies n'aient pas été maintenues dans le budget de RFI de manière suffisante pour amplifier la présence de la chaîne sur Internet, dans le cadre d'une démarche francophone renouvelée et à l'instar du succès rencontré par le site sur la chanson française.

Les concours publics représentent toujours la presque totalité des ressources de RFI. Leur composition connaîtra cependant une modification sensible en 1999, puisque la redevance audiovisuelle affectée à RFI diminuera de près de 130 millions de francs pour ne plus représenter que 22,2 % des ressources de la société, tandis que les crédits budgétaires augmenteront de 120 millions de francs sur les crédits des services généraux du Premier ministre, pour atteindre 76,8 %. La subvention du ministère des affaires étrangères reste, quant à elle, stable à 452 millions de francs.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, les crédits proposés pour 1999 permettent d'accompagner avec efficacité la réforme de l'action culturelle extérieure engagée de diverses manières. C'est pourquoi la commission des affaires culturelles, familiales et sociales a émis un avis favorable à l'adoption des crédits des relations culturelles internationales et de la francophonie pour 1999.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste du groupe Communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, pour les relations culturelles internationales et la francophonie.

M. Georges Hage, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères, pour les relations culturelles internationales et la francophonie.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, pour la deuxième année consécutive, j'ai l'honneur de vous présenter les crédits destinés aux relations culturelles internationales et à la francophonie.

Je dois d'abord préciser que mon avis portera essentiellement sur les crédits traditionnellement confiés à la direction générale des relations culturelles scientifiques et techniques du Quai d'Orsay, la DGRCST, même si il est de plus en plus ardu de les distinguer de ceux que gérait jusqu'à présent le ministère de la coopération.

J'avais décrit le budget pour 1998 comme un budget de stabilisation. L'absence de régulation budgétaire, à savoir d'annulation ou de gel de crédits - ce qui ne s'était pas produit depuis cinq ans -, a heureusement confirmé ce diagnostic.

J'ai failli penser, après avoir jeté un coup d'oeil rapide sur le montant global des crédits, que ce deuxième budget que j'étudiais n'était que la répétition du précédent et qu'il pouvait donner le sentiment d'une simple reconduction des crédits à l'identique : les crédits de fonctionnement, en hausse de 6,8 %, s'en tirant toutefois plutôt mieux que l'an dernier, tandis que les crédits d'intervention sont stables au million près à un peu plus de 3 milliards.

Cependant, force est de reconnaître que le présent projet de budget se différencie du précédent voire des précédents à plusieurs titres.

D'abord, il marque la fin de l'érosion des moyens réels de la DGRCST, qui se poursuivait depuis 1993.

Ensuite - et il s'agit là d'une évolution que notre commission n'a jamais cessé de réclamer -, la DGRCST a enfin défini clairement ses deux priorités majeures.

Premièrement, l'audiovisuel extérieur est créditée de 146 millions de francs. Sont concernées TV 5 et les nouvelles technologies de l'information, Internet notamment.

TV 5, vitrine souvent médiocre par son anthologie sans prétention des chaînes francophones, est appelée désormais - on peut s'en féliciter - à développer ses propres programmes ; il serait bon, comme l'a fait remarquer le rapporteur, que ce fût en continu.

Deuxième priorité : la promotion de l'enseignement supérieur français à l'intention des futurs décideurs étrangers grâce à des bourses dites d'excellence, poste qui est créditée de 55 millions de francs. Rappellerai-je que notre commission, persuadée de l'importance de cette promotion, avait à cet effet confié à Mme Michèle Alliot-Marie un rapport d'information, lequel fut fort apprécié.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

Saluons la détermination de la direction générale concernée, qui renonce de la sorte à une partie de ses priorités traditionnelles.

Enfin, ce budget s'inscrit dans une structure fort différente de la précédente. Les plus hautes autorités de l'Etat ont approuvé la fusion du ministère des affaires étrangères et du ministère de la coopération, ce qui provoque le rapprochement de la DGRCST et de la direction du développement de la rue Monsieur, désormais rassemblées au sein d'une direction générale de la coopération internationale et du développement, la DGCID.

D'ores et déjà, ainsi que je l'ai évoqué au début de mon propos, les crédits sont présentés sous la forme d'un budget unique s'élevant à environ 8 milliards.

La mise en place de cette instance nouvelle nécessiterait la création d'une trentaine d'emplois. Est-ce crédible en cette conjoncture de réduction d'emplois ? Sans aucun doute, des changements sont attendus.

Il en va ainsi de la réforme de l'audiovisuel que j'ai évoquée et dont seul le cadre institutionnel est pour l'heure défini.

Il en va également ainsi du recensement des secteurs efficaces de la francophonie, de l'indispensable rationalisation de ses structures où la créativité ne fait point défaut.

Ces structures sont profuses et, il faut bien le dire, confuses aux opérateurs multiples, institutionnels ou associatifs, ainsi qu'en témoigne, monsieur le ministre, votre réponse du 3 août 1998 à une question écrite de notre honorable collègue Bruno Bourg-Broc. Et je ne parle pas d'organisations diverses que M. Hervé Bourges a audacieusement qualifiées de « budgétivores et valétudinaires ».

(Sourires.)

Mais je ne prends pas la responsabilité de ce jugement.

La raison d'être de la francophonie, sa définition socratique, son ciment, c'est la langue française.

Or nul ne peut nier le recul du français sur la scène et dans les organisations internationales, y compris au sein de l'Union européenne,...

M. Jacques Myard.

Elle y contribue !

M. Georges Hage, rapporteur pour avis.

... cependant que l'analphabétisme se développe dans l'Hexagone.

L'anglais, langue de l'impérialisme dominant, ...

M. Jacques Myard.

Très juste !

M. Georges Hage, rapporteur pour avis.

... menace de perte d'influence les autres langues, véhiculaires ou vernaculaires ou nationales.

M. Jacques Myard.

M. Hage est excellent !

M. Georges Hage, rapporteur pour avis.

Comme cela a été écrit dans un journal du soir : « La condition première d'une francophonie vivante est l'existence d'un système éducatif performant... Les pays francophones sont touchés par une grave crise de l'école. Cela vaut pour les pays développés ou non. »

Je me félicite donc que les crédits de l'Agence pour l'enseignement du français à l'étranger, l'AEFE, augmentent de 6,6 % - fûte-ce au dépens de la coopération scientifique et technique -, de l'effort en faveur de la diffusion de films français à l'étranger - au dernier festival de Cannes, 50 % des films projetés étaient des coproductions assistées par la France - et de l'offre croissante de coopération administrative.

Je ne manquerai pas d'ajouter aux problèmes francofrançais en matière de langues la juste insistance du président de notre commission concernant l'intérêt commun des nations à rendre obligatoire l'apprentissage de deux langues vivantes.

Je voudrais avant de terminer appeler votre attention sur la disparition regrettable des CSN, coopérants du service national, et sur la nécessité de réfléchir à un volonta riat de substitution.

En conclusion, votre rapporteur souhaite qu'on envisage d'un seul et même regard l'évolution des budgets nationaux de l'éducation nationale, de la recherche et de la culture et celle des crédits consacrés aux mêmes priorités dans l'action extérieure que nous étudions ici, car il s'agit à ses yeux d'une même et ardente obligation de défense de notre culture.

Le changement de structure est sans doute une opération délicate. Toutefois, elle ne lésera pas, j'en suis sûr, l'intérêt des personnels. De nouvelles priorités seront à définir dans ce budget. Pour autant, votre rapporteur y ayant décerné des points très encourageants lui apporte son soutien critique. Si je devais noter une copie, je dirais en jargon pédagogique : « Peut mieux faire ».

M. Jacques Myard.

Ils ne peuvent pas !

M. Georges Hage, rapporteur pour avis.

Appartenant à la majorité qu'il est convenu d'appeler plurielle, je dirais :

« Doit mieux faire ». C'est dans cet esprit que je vous invite à le voter. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Philippe Séguin, premier orateur inscrit.

M. Philippe Séguin.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, quitte à m'exprimer, j'aurais préféré le faire en m'associant à l'échange de vues auquel cette discussion budgétaire sert toujours d'utile prétexte.

J'aurais aimé pouvoir vous dire, monsieur le ministre des affaires étrangères, que nous apprécions nombre de vos initiatives et, plus généralement, les méthodes que vous vous êtes choisies et dont nous nous réjouissons qu'elles servent si souvent la politique étrangère ambitieuse, déterminée et cohérente qu'a définie le Président de la République.

Mais si je me suis cru contraint d'intervenir avant mes collègues et amis Jean-Bernard Raimond et Jacques Myard, c'est pour souligner et déplorer avec force, à mon tour, la contradiction dont votre ministère depuis trop longtemps est la victime, contradiction aussi aveuglante que regrettable entre les intentions qui sont celles de la France et les moyens qui sont si chichement mesurés.

Que veut la France ? La France veut que l'Union européenne s'affirme et s'organise car elle y voit le meilleur moyen de préserver son influence et de promouvoir ses intérêts dans un monde globalisé. La France veut encourager le mouvement nécessaire vers un monde multipolaire...

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. Philippe Séguin.

... où l'Europe trouvera naturellement sa place. La France veut que la mondialisation irréversible des technologies et des marchés soit pleinement bénéfique, donc mieux organisée, mieux maîtrisée grâce à l'adoption et à la mise en oeuvre de règles communes.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

Autour de ces trois objectifs, la France peut rallier la plupart de ses partenaires. Encore faut-il que notre pays dispose des moyens indispensables à son action diplomatique.

M. Loïc Bouvard.

Absolument !

M. Philippe Séguin.

Et force est de constater que c'est de moins en moins le cas. Or il n'est pas acceptable que le budget du ministère des affaires étrangères se réduise ainsi comme peau de chagrin. Quels que soient le talent et le dévouement de nos diplomates, il n'y a pas de grande politique étrangère sans un minimum de moyens ! Je souhaite donc aujourd'hui, moi aussi, devant notre assemblée, exprimer une réelle angoisse, car en taillant avec constance dans le budget du Quai d'Orsay, c'est la politique étrangère de la France qu'on poignarde.

Alors que les dépenses de l'Etat continuent d'augmenter, ce projet de budget impose, une nouvelle fois, j'en conviens, le repli, au moment même où nous devons plus que jamais prendre l'initiative, pour rénover la relation franco-allemande, pour relancer, après l'euro, la construction de l'Europe unie des Etats, pour assumer nos responsabilités de quatrième puissance économique du monde, membre du G 7, dans la reconstruction nécessaire du système monétaire international, pour contribuer à notre rang, c'est-à-dire celui d'un membre permanent du Conseil de sécurité, à la solution des crises, du Kosovo à l'Afrique des Grands Lacs, pour aider les plus démunis à réussir leur développement, pour défendre et diffuser notre langue et notre culture.

Mais pouvons-nous encore, les uns et les autres, sérieusement plaider auprès de nos partenaires en faveur du maintien de taux substantiels d'aides publiques, alors que l'on ampute de 500 millions de francs le budget de notre coopération et qu'on lui impose ainsi une baisse de 7 % ?

M. Jacques Godfrain.

Très juste !

M. Philippe Séguin.

Pouvons-nous plaider, face aux tentations unilatéralistes de certains, pour un rôle accru des organisations internationales alors que les contributions volontaires de la France à plusieurs grandes institutions de la famille des Nations Unies, malgré un premier effort, en arrivent à un niveau si choquant ? Et peu importe de savoir qui a commencé. L'essentiel est de savoir que cela doit cesser, d'autant qu'on pourrait multiplier les exemples.

Il faut que chacun soit bien conscient - et cela ne s'adresse pas à vous en particulier, monsieur le ministre, vous le savez bien - que tenir le rang de la France a un prix.

M. Jacques Myard.

Eh oui !

M. Philippe Séguin.

Ce prix est faible au regard du budget général de l'Etat, mais c'est celui de la solidarité et de la responsabilité ; or en leur portant atteinte à travers ce genre de budget, c'est la crédibilité de la France que l'on met en cause. C'est à son image que l'on porte atteinte.

Il est plus que temps de redonner au Quai d'Orsay un budget qui soit digne de notre politique étrangère. Celui que Bercy a alloué cette année encore est malheureusement indigne de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Lequiller.

M. Pierre Lequiller.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le ministère des affaires étrangères voit ses moyens humains et financiers diminuer au point que même Jean-Louis Bianco, rapporteur pour avis, qualifie son budget de décevant.

Certes, me direz-vous, ce n'est pas une tendance nouvelle puisque, depuis 1992, la part des crédits des affaires étrangères est passée de 1,68 % à 1,28 % du budget total. Pourtant, la France dispose toujours du deuxième réseau diplomatique et consulaire mondial.

Le traitement réservé au budget des affaires étrangères, qui détermine l'action extérieure de la France et qui n'entre pas, de votre propre aveu, monsieur le ministre, dans les priorités gouvernementales, inquiète le groupe Démocratie libérale et Indépendants. Mais ce qui nous inquiète plus encore, c'est que la baisse des moyens résulte, à l'évidence, d'arbitrages rendus à Bercy, sans rationalisation des instruments ni perspectives globales à long terme.

Ainsi, alors que la stabilité des frais de fonctionnement permettra la gestion courante du réseau, la baisse de 10,7 % des dépenses d'investissement ne manquera pas d'affecter notre action extérieure.

Les affaires étrangères supprimeront en 1999 au moins 130 emplois, alors qu'en application du schéma d'adaptation des réseaux qui, depuis six ans, a déjà conduit à la suppression de 610 emplois, les effectifs devaient être stabilisés cette année. Nous nous étonnons que cette réduction des personnels de la fonction publique s'applique avec autant de rigueur à un ministère dont le titre III n'est pas, loin de là, celui qui grève le plus le budget de la nation. Nous nous étonnons également qu'elle ne soit pas appliquée dans d'autres secteurs de l'action gouvernementale, financièrement beaucoup plus lourds, où les économies d'échelle seraient à la fois beaucoup plus opportunes et importantes.

Cela dit, nous approuvons la décision que vous avez prise au mois de février 1998 de regrouper les crédits de la coopération avec ceux des affaires étrangères. Comme je l'ai indiqué en commission, nous aurions néanmoins souhaité que cette réorganisation soit accompagnée d'un rattachement de l'action économique extérieure : nous avons besoin d'une véritable force de frappe diplomatique qui regroupe au sein d'un même ministère, celui des affaires étrangères, tous les moyens financiers et humains contribuant au rayonnement culturel et économique de la France.

Avec la mondialisation, la concurrence toujours plus rude, le rattachement de la DREE, la direction des relations économiques extérieures, au ministère des finances est un anachronisme qu'il faut avoir la volonté de corriger si l'on veut, sur le terrain, aider efficacement nos entreprises à exporter et à s'implanter à l'étranger.

La très grande attention portée par le Président de la République à ces problèmes serait d'autant mieux relayée sur le terrain, au niveau des services, si une unité de décision et d'action était mise en place.

La rationalisation, à l'heure des réductions budgétaires et de la construction européenne, implique également que l'on réfléchisse à notre carte diplomatique et consulaire.

Nous pourrions reconsidérer l'opportunité de maintenir tous nos consulats dans les pays de l'Union. Parallèlement, la France pourrait défendre, auprès de ses partenaires, l'idée d'une coopération au niveau des consulats dans les pays tiers. Des expérimentations de coopération franco-allemande, par exemple, constitueraient un premier pas symboliquement fort.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

M. Jacques Myard.

Tu parles !

M. Pierre Lequiller.

Une question préoccupe plus particulièrement le Conseil supérieur des Français de l'étranger : la transformation, au travers de la suppression du service national, du service des coopérants.

Vous nous annoncez que vous allez suppléer aux postes vacants par l'appel à un volontariat international dont les termes feront l'objet d'un prochain projet de loi. A cet égard, pouvez-vous éclairer davantage la représentation nationale, car il s'agit là de l'un des rouages essentiels de notre action extérieure et formidablement formateur pour les jeunes à l'étranger ? Le groupe Démocratie libérale souhaite bien sûr une rationalisation des actions du ministère des affaires étrangères. Mais il souhaite aussi que celle-ci s'inscrive dans une perspective et qu'elle ne se fasse pas, comme l'a dit Philippe Séguin, au détriment de la place de la France sur l'échiquier international. En effet, les enjeux auquels nous avons à faire face sont toujours aussi diversifiés. Permettez-moi d'en citer quelques-uns.

Jamais le leadership américain n'a été aussi manifeste.

Il confine même au quasi-monopole diplomatique. On l'a vu au travers de quelques exemple récents, tels que les accords de Wye Plantation, la décision unilatérale des frappes au Soudan et en Afghanistan, l'attitude de M. Holbrooke dans l'affaire du Kosovo, ou encore la tournée africaine de Bill Clinton qui marque, à l'évidence, l'ambition des Etats-Unis d'agir dans des zones du monde qui relevaient de la sphère d'influence du Vieux Continent, notamment de la France.

La désinvolture avec laquelle la diplomatie américaine néglige ses partenaires européens est plus patente que jamais.

Pour ce qui concerne le problème israélo-palestinien, nous ne pouvons, bien sûr, que nous féliciter des accords de Wye Plantation et de la relance du processus de paix, même si l'application de ces accords n'est pas sans problème, loin de là. Il reste qu'il est anormal que l'Europe n'y ait aucunement été associée alors qu'elle contribue de manière massive au développement des territoires sous autorité palestinienne.

A ce propos, nous avions conditionné, à juste titre, notre ratification de l'accord entre la Communauté européenne et Israël à la reprise du processus de paix. Dans le nouveau contexte, cette ratification peut-elle à votre avis intervenir rapidement ? Dans le même ordre d'idées, le groupe Démocratie libérale s'inquiète de la décrédibilisation de l'institution onusienne, qui, outre ses problèmes financiers, voit ses résolutions régulièrement battues en brèche. Ainsi, monsieur le ministre, qu'en est-il du respect de la résolution de l'ONU demandant à la Syrie et à Israël le retrait immédiat et sans condition de leurs troupes du Liban ? S'agissant de l'Afrique, l'offensive diplomatique américaine nous incite à la plus grande vigilance. On peut donc s'inquiéter de la baisse de 7 % des crédits d'aide au développement justifiée par « l'amélioration de la situation des économies africaines qui ne nécessiterait plus le même effort au titre de l'ajustement structurel ». Mais comme l'a dit notre rapporteur pour avis, personne ne peut croire que la relative amélioration des « fondamentaux » des économies africaines annonce une transformation rapide des conditions de développement des pays les plus déshérités.

Il nous paraît grave de baisser la garde dans une zone où la France doit maintenir son influence et, au contraire, entraîner ses partenaires européens !

M. Jacques Godfrain.

Très bien !

M. Pierre Lequiller.

La dérive des Etats-Unis est également patente dans la crise du Kosovo.

Rappelons-nous que les Américains étaient prêts à faire intervenir militairement les forces de l'OTAN sans mandat de l'ONU dans une région qui n'est pas reconnue comme un Etat souverain. Si l'OTAN doit intervenir, c'est sur le mandat de l'ONU. Et, comme il s'agit de l'Europe, il serait souhaitable que l'ONU soit saisie par une décision politique des instances européennes.

Pour atteindre cet objectif, je voudrais savoir où en sont les négociations portant sur le retour de la France dans les structures intégrées de l'OTAN.

Il va de soi que l'Europe ne peut réclamer des droits de consultation et d'intervention que pour autant qu'elle s'organise elle-même. Il serait grand temps qu'elle prenne son destin en main sur le plan politique et diplomatique, après l'avoir fait sur le plan monétaire.

A ce titre, nous soutenons la déclaration belgo-italofrançaise sur la réforme des institutions. Mais il faut aller plus loin.

Nous souhaitons, comme l'avait suggéré le président Giscard d'Estaing, que, d'une manière ou d'une autre, même si l'on ne peut intégrer juridiquement la déclaration dans le texte du traité d'Amsterdam que l'on nous proposera de ratifier, un dispositif qui marque la volonté du Parlement français de faire avancer l'indispensable réforme institutionnelle européenne. M. Ehrmann y reviendra tout à l'heure.

Enfin, à Prtschach, le revirement du Premier ministre britannique concernant la défense européenne confère une nouvelle portée à la nécessité d'une identité diplomatique et militaire de l'Europe. Dans cette perspective, quelles initiatives comptez-vous prendre pour profiter de cette position favorable et faire avancer ces propositions ? J'en terminerai par un problème que l'affaire Pinochet porte au premier rang de l'actualité.

Alain Madelin a très justement réclamé une ratification rapide du traité portant création d'une juridiction criminelle internationale pour les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les génocides. Pouvez-vous nous dire quelles sont les initiatives que compte prendre la France, pays des droits de l'homme, pour faire progresser cette belle idée de la suprématie du droit sur le crime d'Etat, tant il est vrai que les Etats démocratiques ont, par le passé, trop souvent pratiqué le silence gêné, en Amérique latine, en Asie, en Afrique, mais aussi dans les pays communistes de l'Est de l'Europe ? Notre pays fait l'objet de nombreuses sollicitations de la part de pays avec lesquels elle nourrit, de longue date, des rapports amicaux noués, au fil de l'histoire, sur une complicité culturelle ou politique. Ces pays attendent beaucoup de nous.

Plus que jamais, il nous faut affirmer le rôle de la France et promouvoir celui de l'Europe. Je crains que la baisse des moyens que vous nous soumettez n'entrave le développement d'une politique étrangère à la hauteur de notre histoire et de nos ambitions.

La rationalisation de vos services est une nécessité mais, je le répète, elle ne doit pas se faire au détriment de notre poids sur l'échiquier international. C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, le groupe Démocratie libérale votera contre vos crédits.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

M. le président.

La parole est à M. Michel Suchod.

M. Michel Suchod.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, dans la brièveté des cinq minutes qui me sont imparties, je traiterai deux points.

Je me féliciterai en premier lieu de l'aboutissement de la réforme intégrant les services de la coopération au ministère des affaires étrangères. C'est la preuve qu'il faut savoir attendre parfois longtemps : nous avions espéré une réforme de ce type en 1981, elle a avorté en 1982 et nous devons cette année à vous-mêmes et à M. Jospin le plaisir de la voir resurgir. Il est vrai que, souvent, lorsque des intérêts importants sont en jeu, les réformes ont du mal à avancer.

Je me réjouis donc de la création de la direction générale de la coopération internationale et du développement, d'autant que, dans les détails, la chose a été très bien pensée : une mission de coopération non gouvernementale sera l'interlocuteur des ONG comme des collectivités locales décentralisées, qui conduisent aujourd'hui une coopération importante.

Je voudrais toutefois signaler un risque concernant le service de la coordination géographique, dont on nous dit qu'il devrait permettre de maintenir des liens privilégiés avec les pays d'Afrique et avec ceux de la zone de solidarité prioritaire, bénéficiaires à ce titre de crédits plus s ubstantiels.

Pour avoir visité le monde au cours des vingt dernières années, je souhaite un rééquilibrage véritable entre ce qu'il était convenu d'appeler les pays du champ et les pays hors champ. Je me souviens d'avoir inspecté nos postes dans l'île d'Hispaniola et constaté qu'un côté de l'île, Haïti, recevait 120 millions de francs, tandis que l'autre, la République dominicaine, recevait 2,5 millions.

L'Histoire peut justifier beaucoup de choses mais, en l'occurrence, il me semblait qu'un rééquilibrage s'imposait. Je souhaite que l'Agence française de développement, sur instruction du ministère des affaires étrangères, soit en mesure, dans les temps qui viendront, d'y procéder.

En second lieu, j'exprimerai, après mes félicitations, quelques préoccupations.

On l'a dit et on le pense sur de nombreux bancs, après des années noires, comme 1997, vous aviez, l'an dernier, fait part à cette tribune de votre volonté d'enrayer la décroissance continue des moyens affectés à notre diplomatie. Cette décroissance est-elle véritablement enrayée ? Franchement, je ne le crois pas, même si notre rapporteur spécial a eu l'amabilité de dire que c'est un budget stabilisé qui nous était soumis. C'est vrai peut-être formellement, encore que l'on doive relever une baisse des crédits des dépenses ordinaires et des crédits de paiement de 0,7 %, alors que les dépenses de l'Etat augmentent de 2,2 % pour l'ensemble des ministères. Votre ministère, monsieur le ministre, fait donc partie des six plus mal lotis. Si les crédits du ministère des affaires étrangères sont stabilisés à environ 20,7 milliards, la décroissance dans le budget de l'Etat, en chiffres relatifs, s'observe année après année. En 1992, votre budget représentait 1,68 % du budget de l'Etat, mais 1,63 % l'année suivante, puis 1,56 %, 1,55 %, 1,45 %, 1,35 %, 1,32 %, 1,28 %. A ce rythme, vous repasserez en 2003 sous la barre de 1 % du budget de l'Etat, ce qui déplaît profondément à la représentation parlementaire.

Tout cela pose des problèmes de personnel évidents : 800 postes perdus entre 1990 et 1995 et 500 agents perdus dans la période récente, ce qui n'empêche pas de parler du maintien et de la couverture du réseau ! Cela se double d'un problème bien connu : les effectifs diminuent non pas dans l'administration centrale, mais dans les ambassades, les consultats et les services culturels.

On applique là un système bien connu. Le Colonial Office, à Londres, ne comptait-il pas 110 fonctionnaires quand l'Angleterre régnait sur le monde alors qu'il en employait 1 350 quand l'empire avait disparu ? Nous n'en sommes naturellement pas là. Il demeure que cette décroissance sur le terrain est grave alors même que l'on parle du maintien du réseau.

Je vais conclure, monsieur le ministre, sur l'injonction débonnaire de notre président, pour rappeler que vouss ouhaitez personnellement l'accroissement de votre budget. Il est temps de relancer la machine. Sinon, l'influence de la France, que tant de gens dans le monde souhaitent voir plus grande, risque de s'atténuer.

Notre sous-groupe du Mouvement des Citoyens souhaite vous voir mener une grande politique étrangère.

Nous serons donc à vos côtés pour augmenter, dans les temps qui viennent, votre budget.

(Applaudissements sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. François Loncle.

M. François Loncle.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'examen du budget des affaires étrangères et de la coopération est un moment privilégié pour les parlementaires membres de la commission des affaires étrangères.

D'abord, la politique étrangère que vous menez, monsieur le ministre, au nom de la France avec le Gouvernement et le Président de la République, est bonne.

Ensuite, il ne s'agit pas de parler seulement de chiffres et de finances. L'exercice annuel auquel nous livrons - vous, messieurs les ministres, et nous-mêmes, mes chers collègues - permet de faire le point sur la place et sur le rôle de la France dans un monde qui bouge bien au-delà des limites auxquelles nous étions accoutumés jusqu'à la fin de la bipolarité, ainsi que sur les outils dont dispose l'Etat pour affirmer sa présence extérieure, défendre ses ambitions, ses initiatives et, en définitive, l'intérêt national.

Notre action personnelle et collective est conditionnée, comme on le dit, par la mondialisation. Pourtant, les questions dont vous avez la charge n'occupent pas la place qui devrait être la leur dans le débat national.

L'«étranger », entre guillemets, est, le plus souvent, un domaine perçu comme lointain et compliqué. Il est traité de façon émotionnelle et souvent superficielle par des médias polarisés par l'indice d'écoute. Le « vu à la télé » distorsionne la perception de réalités peu et mal connues, et donc peu et mal traduites dans nos assemblées.

Trop peu de temps est consacré dans la vie publique, y c ompris dans cette assemblée, pour essayer de comprendre, de débattre et de proposer dans le domaine international.

La France occupe-t-elle, sur la scène internationale, la place correspondant à ses ambitions, à sa vocation et à la place qu'elle occupe au Conseil de sécurité des Nations Unies ? A-t-elle bien négocié le virage de l'après-guerre froide pour maintenir, dans un monde en mouvement, sa place, son influence et sa capacité d'agir ? Poser ces questions fondamentales conduit à prolonger la réflexion. La France a-t-elle une claire conscience de ce qu'elle peut et doit faire dans le monde ? En d'autres termes, a-t-elle défini une stratégie adaptée à ses moyens ? A-t-elle affecté à cette éventuelle orientation les dotations


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

nécessaires en hommes et en argent ? Quel est votre sentiment, monsieur le ministre, sur les dynamiques et les rapports de force qui menacent la stabilité des Etats et leurs économies, donc la paix ? De quelle façon la France les interprète-t-elle ? Le monde, depuis 1990, est-il unipolaire, soumis au bon vouloir diplomatique, militaire, économique d'une seule puissance : les Etats-Unis d'Amérique ? La façon dont a évolué le dossier proche-oriental, de la guerre du Golfe aux récents accords de Wye Plantation ou aux rebondissements de la crise irakienne, conduit-elle à répondre par l'affirmative ? Poser la question revient à admettre une perplexité révélatrice d'incertitudes et génératrice de propositions et d'espoirs.

Les conflits locaux ou régionaux se multiplient et suivent des logiques souvent longtemps indifférentes aux réactions internationales. On le voit en Algérie, on le note en Afghanistan, on le constate en Afrique centrale ou dans l'ex-Yougoslavie.

Les crises financières asiatique et russe nous interpellent. La crise court toujours d'un continent à l'autre, mais, fort heureusement, l'Europe fait face.

Quelles que soient les réponses apportées à ces questions, à ces réalités contrastées, quelle doit être, quelle peut-être la voie choisie par le gouvernement français pour préserver son autonomie de jugement et d'action, et la possibilité de défendre les intérêts bien compris du pays ? Dire son mot dans un monde plus ouvert et plus rude, préserver la paix et le droit suppose la recherche permanente d'équilibres et donc d'alliances plus ou moins cohérentes, plus ou moins globales.

La France, monsieur le ministre, poursuit avec raison son objectif de concertation européenne renforcée. La fameuse PESC, la politique étrangère et de sécurité commune, dont on mesure les effets positifs mais aussi les limites en Bosnie et au Kosovo, représente un espoir.

L'urgence d'un développement de la PESC par rapport à l'omniprésence américaine nous conduit à penser qu'il est urgent que la France ratifie le traité d'Amsterdam en dépit de ses insuffisances, et à estimer que ceux qui y rechignent font, probablement sans le vouloir, indirectement mais objectivement, le jeu de la politique américaine.

M. Jean-Claude Lefort et M. Jacques Myard.

Oh !

M. François Loncle.

La France poursuit un dialogue et un travail diplomatique porteurs avec l'Egypte au ProcheOrient. Elle entretient avec la Chine et le Brésil des liens multiformes. Elle poursuit avec le Canada et plus particulièrement le Québec une coopération active visant à préserver la place du français dans les technologies modernes de communication.

La France entend, si j'en crois l'esprit de la réforme de la coopération, donner un nouveau souffle à ses rapports avec l'Afrique pour des relations mutuellement profitables, bien utiles dans les instances internationales.

Pourtant, sur tous ces dossiers, monsieur le ministre, que de questions en suspens, que d'incertitudes ! L'équilibre, la voie des alliances ne vont jamais de soi. Les compromis sont toujours difficiles à trouver. L'exercice que la France s'efforce de mettre en oeuvre au Kosovo suit un cheminement laborieux entre OSCE, OTAN et ONU. Les choses seraient peut-être plus aisées si les priorités étaient clairement définies et assumées. Je pense en particulier au dossier agricole et au projet de consolidation d'un bloc européen au travers de l'élargissement. Je pense encore aux horizons euro-latino-américains, assombris par le blocage des négociations engagées entre l'Union européenne et le marché du cône sud.

Il y a enfin les moyens matériels. Comment préserver notre influence aux Nations Unies et notre capacité à proposer si nous ne sommes pas à la hauteur sur le terrain, si nous ne consentons pas les efforts financiers nécessaires au sein des organisations internationales avec d es contributions volontaires significatives ou, par exemple au Kosovo, en étant aussi présents que nos partenaires européens au sein des vérificateurs de l'OSCE ? Je ne reviendrai pas sur l'excellent travail réalisé par nos collègues rapporteurs, mais je ne peux m'empêcher de constater, à lire leurs rapports, un parallélisme contestable entre les bouleversements du monde et la réduction des crédits affectés à l'action extérieure.

Notre diplomatie a besoin d'énergie au sens de carburant. Vous n'en manquez pas, monsieur le ministre, en ce qui concerne votre action personnelle et celle de nos diplomates. Disposer d'un outil rénové et efficace comme celui que nous examinons aujourd'hui est une nécessité vitale. Mais notre responsabilité, j'y insiste, est collective.

Entre 1992 : 1,7 % du budget, et aujourd'hui : 1,28 %,

M. de La Palice aurait constaté qu'il y a eu, sur sept ans, quatre années de baisse continue.

Puisque notre responsabilité est collective, il serait temps, collectivement, de voir que l'avenir de la France se joue certes à Brest, à Strasbourg et à Paris, mais aussi à Bruxelles, à New York, à Jérusalem ou à Brasilia.

Un sursaut budgétaire est nécessaire dans les années qui viennent. Nous l'attendons avec impatience. Nous sommes prêts, monsieur le ministre, à vous y aider.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jacques Myard.

Alors, votez l'amendement Myard !

M. le président.

La parole est à M. Marc Reymann.

M. Marc Reymann.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je dérogerai, pour une fois, à l'usage de notre assemblée en ne cherchant pas à entretenir une fausse surprise : le groupe UDF ne votera pas ce budget.

Le budget des affaires étrangères présenté par le Gouvernement est certes conforme à la réforme administrative décidée le 4 février dernier. Il comporte, en effet, et pour la première fois, deux parties : celle du ministère des affaires étrangères à proprement parler et celle du ministère de la coopération. Cette présentation est la traduction comptable d'un choix politique, voulu par le Président de la République : placer l'action extérieure de la France, en dehors bien sûr du commerce extérieur et de la défense, sous l'autorité d'un seul ministre et ne pas séparer artificiellement notre action de coopération, en Afrique notamment, du reste de notre politique étrangère.

Il s'agit, avec cette réforme, de mieux coordonner et de rendre plus efficaces les initiatives et les actions conduites par la France. L'objectif serait donc de rechercher une unité de moyens pour une unité de dessein.

La France a un objectif : affermir ses liens de solidarité traditionnelle, et d'abord avec l'Afrique, toute l'Afrique, mais selon des modes opératoires nouveaux. Cet objectif est-il atteint, monsieur le ministre ? Les moyens financiers vous sont-ils donnés de l'atteindre ? En un mot, avezvous les moyens de notre ambition ?

M. Jacques Myard.

Non !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

M. Marc Reymann.

Notre réponse est non.

Deux remarques à ce propos : l'une sur les ressources financières à votre disposition pour conduire la réforme, l'autre sur l'adhésion nécessaire des agents de votre administration.

S'agissant des moyens financiers, un constat s'impose : la réunion des compétences du Quai d'Orsay et de la Rue Monsieur n'apparaît ici qu'à l'état d'ébauche budgétaire. Le groupe UDF s'interroge d'ailleurs sur la capacité du ministère des affaires étrangères de mener à bien une réforme aussi complexe en disposant d'un budget aussi étriqué. Deux budgets étriqués, même ajoutés l'un à l'autre, ne font pas un grand budget.

M. Jacques Myard.

Bien sûr !

M. Marc Reymann.

Il est louable de rationaliser les moyens d'une politique ; il est plus difficile de mener une politique sans moyens.

Le ministère de la coopération, désormais inséparable de celui des affaires étrangères, a pâti d'une certaine interprétation de la réforme du 4 février dernier, en termes de crédits de fonctionnement par exemple. Mais comme la discussion budgétaire lui consacre un moment particulier, juste après le débat sur les affaires étrangères, je ne m'étendrai pas sur cet aspect.

S'agissant maintenant des hommes, cette fusion doit préserver ce qui fait la richesse de votre ministère : ses diplomates, qu'on critique souvent injustement, mais dont l'expertise est partout reconnue dans le monde. Ce métier a une spécificité propre. Sera-t-elle maintenue avec cette fusion ? Votre réforme s'accompagne-t-elle d'une véritable réflexion sur les compétences et les carrières ? N'est-il pas temps, à cette occasion, de mettre un terme à des distinctions improbables entre les corps et les agents qui composent cette grande maison pour aboutir à un recrutement et un déroulement de carrière uniques, comme dans les autres pays européens, notamment l'Allemagne ? Une certaine inquiétude se fait jour parmi les agents de votre ministère. Sachez l'apaiser, monsieur le ministre.

Bousculez les pesanteurs, les cloisonnements, les distinctions artificielles, mais rassurez sur l'avenir de ce métier qui est aussi une vocation.

J'en viens maintenant aux crédits que vous nous présentez.

Le budget des affaires étrangères est en recul de 0,7 % par rapport à 1998. Il est inférieur à 1,5 % du budget de l'Etat. C'est donc un budget « décevant », pour reprendre le jugement de Jean-Louis Bianco.

Le Gouvernement a d'ailleurs eu l'honnêteté d'avouer qu'il ne figurait pas parmi ses priorités. Je ne vous blâmerai pas, monsieur le ministre. C'est un choix qui prolonge une politique de diminution des effectifs et de redéploiement de la carte diplomatique poursuivie depuis cinq ans.

On aurait bien voulu croire que ce mouvement de baisse allait s'interrompre avec la fin de ce plan quinquennal qui était sûrement nécessaire en son temps.

Mais, aujourd'hui, son prolongement laisse entendre que la France renonce, à terme, à relever efficacement tous les défis qui se présentent à elle et à conserver sa place de deuxième au rang des réseaux diplomatiques dans le monde.

Si la diplomatie se limite à de la politique déclaratoire et à de grands sommets, vous n'avez pas tort de réduire le nombre des cadres de votre ministère. Mais, à mon sens et pour le groupe que j'ai l'honneur de représenter, la diplomatie repose d'abord sur des moyens à mettre en oeuvre afin d'atteindre des objectifs pour répondre aux défis d'aujourd'hui et de demain. A cet égard, je reconnais dans ce budget un effort louable en faveur de la promotion de Strasbourg comme capitale européenne grâce notamment, aux crédits alloués à sa desserte aérienne.

Les organes de suivi des négociations, d'application des traités, de représentation de la France et d'information imposent une dépense qui, à un moment, apparaît incompressible.

Je ne crois pas que la suppression de 119 emplois gelés en 1998 soit une nécessité qu'exige une rigueur budgétaire avec laquelle, dans d'autres ministères, le Gouvernement prend une distance condamnable. Votre administration centrale connaît déjà un déficit d'une centaine de postes. Est-il sage de continuer sur cette pente, alors que nous devons répondre à de nouveaux défis : prolifération nucléaire et balistique, grande criminalité, audiovisuel extérieur ? Si jamais, à la base du budget que nous propose le Gouvernement, il y avait eu une réflexion sur les moyens et les réformes nécessaires, alors elle ne se traduit pas dans les chiffres. Considérons, par exemple, l'adaptation nécessaire de notre réseau diplomatique : certes, vous ne supprimez pas encore des représentations françaises à l'étranger, mais vous prenez le chemin sans retour d'un allégement considérable du réseau consulaire.

Je vous demande donc, monsieur le ministre, de m'indiquer si l'autre voie possible, compte tenu des coupes budgétaires que je viens d'évoquer, à savoir l'ouverture conjointe de consulats avec nos partenaires de l'Union européenne, est envisageable à court ou à moyen terme.

Un tel choix serait naturellement dans la logique de la construction européenne, dans la mesure où la protection et la représentation de nos ressortissants dans le monde n'ont pas les mêmes implications en matière de souveraineté politique que l'idée d'ambassades communes, idée qu'il faut étudier avec soin tant que n'existe pas de véritable politique étrangère commune au sens strict. Où en sont les négociations en vue de consulats communs ? Le Gouvernement, en reconduisant, c'est-à-dire en diminuant en francs constants le budget des affaires étrangères, a choisi de marquer de son empreinte le cours de la diplomatie française.

L'augmentation des contributions volontaires françaises en faveur des organisations internationales, notamment celles qui relèvent de l'ONU, comme le Haut Comité aux réfugiés et le Programme de développement des Nations Unies, témoigne d'une orientation conforme à la vocation de la France dans le monde. La France doit continuer à manifester son intérêt à l'égard des organes de l'ONU et de leurs programmes en faveur des pays en voie de développement. Tout ce qui se fait sous l'égide des Nations Unies doit intéresser la France, ce qui ne veut pas dire, naturellement, que tout doit être automatiquement soutenu par la France. C'est pourquoi je m'interroge, monsieur le ministre, sur l'usage et le contrôle précis des fonds volontaires que nous allons verser au Programme des Nations Unies pour le développement. Pourriez-vous préciser le contenu des programmes en cours, au regard notamment des 25 % d'augmentation des crédits français en ce domaine ? Nous avons raison d'investir les organes de l'ONU, mais nous devons aussi, ici comme ailleurs, nous soucier de l'esprit qui les anime et de la manière dont ils entendent dépenser nos contributions. Ce n'est qu'un souci de clarification, car ma question exige un détail qui va au-delà d'un article budgétaire.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

La seconde raison pour laquelle nous ne voterons pas ce budget s'explique de deux manières.

Nous souhaitons d'abord vous adresser un signal. Les relations extérieures se déroulent toujours et traditionnellement pour la France dans le cadre des relations d'Etat à Etat. Même si elles prennent un tour personnel, comme c'est l'usage depuis cinquante ans, elles ne se déroulent jamais à côté des Etats. Or nous observons depuis quelques semaines, de manière presque furtive, à la faveur d'élections ou d'une crise gouvernementale chez nos voisins et partenaires européens, la tentation d'un modèle internationaliste de relations diplomatiques. Certaines connivences de parti à parti ne doivent pas interférer dans la conduite de notre diplomatie.

En second lieu, puisque l'occasion nous est donnée de faire le point sur la position de la France dans le monde, n ous souhaitons vous présenter quelques brèves remarques plus générales.

Les relations internationales de cette fin de siècle sont dominées par la superpuissance des Etats-Unis, fondée sur une capacité technologique, une créativité culturelle et médiatique et un dynamisme économique qui placent ce pays très en avant de ses alliés et rivaux potentiels et tendent à donner à ses modes de pensée, voire à ses intérêts, une valeur universelle. Plus ancienne alliée de Washington, la France peut cependant se trouver en concurrence d'intérêts et d'ambitions avec les Etats-Unis, qui ont la tentation soit d'instrumentaliser les organisations internationales du fait de leur leadership incontesté, soit de créer à partir de leurs normes internes une légalité internationale qui vaudrait pour tous les autres Etats.

Savons-nous suffisamment résister à cette tentation de prééminence ? Deux exemples d'actualité : Au Kosovo, il nous a semblé que M. Holbrooke menait plutôt les négociations qu'il n'était investi d'une mission et d'un mandat du groupe de contact, où nous sommes représentés ; de la même façon, en Yougoslavie, l'OTAN paraît définir elle-même les critères de sa propre intervention militaire éventuelle. Conservons-nous encore u n contrôle politique sur la structure militaire de l'OTAN ? Au Proche-Orient, ce sont les accords de Wye Plantation qui redynamisent le processus de paix, sans que notre diplomatie paraisse y jouer le moindre rôle. Les

Etats-Unis négocient, la France et l'Europe paient.

M. le président.

Monsieur Reymann, il est temps de conclure.

M. Marc Reymann.

Je termine, monsieur le président.

Trois grands dossiers vont mériter une attention particulière dans les mois à venir.

Le premier concerne l'élargissement de l'Union européenne. La ratification du traité d'Amsterdam sera l'occasion pour notre groupe de rappeler la nécessité d'une réforme préalable des institutions. Le président Giscard d'Estaing défendra l'addition d'un article 2 au projet de ratification. Quelle est à ce sujet la position du Gouvernement ? Le second dossier a trait à la relance des relations franco-allemandes, à laquelle je suis particulièrement attaché : nous avons besoin d'un nouveau cadre conceptuel de relations avec nos amis allemands.

Le dernier concerne le lien transatlantique et l'identité européenne de défense : il faut donner à la France et à l'Europe les moyens d'une influence politique en renforçant ses capacités propres ; cela passe aussi par la recherche d'une identité européenne au sein de l'OTAN, accompagnée d'une adaptation de l'Alliance.

En un mot, monsieur le ministre, mon groupe a le sentiment que vous réagissez plus que vous n'anticipez.

Vous n'allez pas aux événements, ce sont eux qui viennent à vous. En refusant de voter le budget que vous nous présentez, nous marquons notre inquiétude à l'égard d'une certaine timidité européenne et internationale du Gouvernement.

(M. Bernard Schreiner applaudit.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Claude Lefort.

M. Jean-Claude Lefort.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, l'examen du budget des affaires étrangères se situe à un moment où le monde qui nous entoure paraît pris de convulsions subites et variées, où un grand nombre d'événements semblent incohérents ou inexplicables - et pas seulement dans la sphère économique -, où des fanatismes et de nouvelles barbaries s'expriment qu'on croyait à jamais éradiqués.

Où va le monde ? Voici une question récurrente de la période qui m'invite à dépasser une sorte de comptage des problèmes auxquels nous avons à faire face pour donner des bons et mauvais points au Gouvernement. Je pense, car le moment est propice, qu'il faut chercher à comprendre le monde actuel et tenter de dégager ses lignes de force afin de replacer l'action de la France dans cet univers qui paraît étrange alors qu'il ne manque pas de sens. Nous sommes dans l'un de ces moments rares où nous voyons mieux et de manière plus assurée que l'on est sorti de toute une période historique pour entrer dans une autre période, marquée par une nouvelle mais forte c ontradiction. Je souhaite donc évoquer d'abord le contexte géostratégique qui encadre désormais plus clairement notre histoire contemporaine.

Le monde nouveau dans lequel nous sommes entrés est caractérisé par l'enchaînement de plusieurs processus des processus objectifs, et donc indiscutables. Je ne retiendrai ici que ceux qui me paraissent les plus essentiels pour notre réflexion d'aujourd'hui.

Depuis le début de cette décennie, nous avons assisté à un événement qui n'est pas mince : la fin d'un monde bipolaire marqué par la rivalité entre deux blocs. Ce monde qui s'est écroulé produit des nostalgies, et pas seulement là où on peut le penser... Car il fournissait une grille de lecture bien commode pour beaucoup.

Première remarque : si ce monde s'est écroulé, c'est tout simplement parce qu'il ne pouvait pas tenir. Ce monde - je parle bien de celui qui n'était pas communiste et que l'on qualifiait pourtant ainsi -, ce monde ne pouvait pas tenir, dis-je, car en vérité il était la préhistoire au présent. Il était dépassé par les évolutions et les aspir ations d'aujourd'hui. Il était boulier quand il aurait du être ordinateur ! A cet ébranlement majeur, qui ne s'est pas produit en dix jours, se sont ajoutés d'autres phénomènes fondamentaux d'amplitude planétaire. J'ai en vue, naturellement, la mondialisation ou globalisation, comme on le voudra. Un phénomène objectif, mais aussi irréversible.

Deuxième remarque : il convient, là encore, de ne pas pleurer les temps passés. Ce qui ne veut pas dire qu'il faille oublier. Ne perdons jamais de vue cette sage affirmation selon laquelle « celui qui n'a pas de mémoire n'a pas d'avenir ». Pour autant, il convient de ne pas tomber dans le piège qui consiste à nous proposer de nous


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

comporter, en quelque sorte, comme des canuts de la mondialisation, sous le prétexte qu'elle serait la cause d'où viendrait tout le mal.

Il ne faut pas confondre le progrès, qui est positif, et le contenu, les conditions dans lesquelles ce processus se développe. Car il est vrai que cette situation soulève un très grand nombre d'interrogations, et des interrogations très lourdes. Elles traversent et interpellent notre peuple dans les profondeurs de sa conscience, même si c'est de manière confuse.

Le fait, par exemple, que notre planète soit devenue un village est admis par chacun, et pas seulement parce que la formation, les images, les moyens de transport rapprochent, à une vitesse prodigieuse, les êtres humains.

C'est évident. Mais ce phénomène de proximité, de tutoiement planétaire, pourrait-on dire, est ressenti aussi parce que tel ou tel événement qui se déroule à l'autre bout de la planète est vécu peu ou prou comme affectant directement notre propre vie, nos propres choix, et la crédibilité de nos réponses. Il est vrai que ces éléments nous touchent directement, au point de produire un sentiment de fatalité, de résignation, qui interfère dans les choix politiques que nous avons à faire ou à proposer, tout comme il marque les comportements et les positionnements de nos concitoyens.

Comment, par exemple, affirmer que le plein emploi est possible en France, si le sentiment existe que le monde d'aujourd'hui, interdépendant, rend cet objectif, certes généreux, inaccessible ? Tout cela pour dire que, stricto sensu, les « affaires étrangères », n'existent plus. Je veux dire par là que ce qui était traditionnellement considéré comme extérieur à la France ne l'est plus désormais, pour beaucoup s'entend.

En vérité, monsieur Védrine, vous êtes de moins en moins le ministre des affaires étrangères, et de plus en plus le ministre des affaires non pas du monde, mais de

« notre » monde. La prise en compte de cette réalité même si, en ce qui vous concerne, monsieur le ministre, il ne s'agit que d'une image - est essentielle pour appréhender ce que nous faisons et avons à faire - ici et maintenant.

Troisième remarque : les évolutions du monde nous appellent à distinguer ce qui est objectif, mais aussi positif, dans les phénomènes nouveaux que nous enregistrons, de ce qui est le fruit de l'action et de la volonté politiques. Cette distinction entre le processus à l'oeuvre et son contenu est essentielle, je l'ai dit. On voit trop ce que la confusion sur ce point peut entraîner de conséquences négatives pour certaine force politique qui fait du repliement sur soi, de la crainte de l'autre et de la modernité l'un de ses chevaux de bataille. A tomber dans ce travers et à le faire délibérément - c'est, à coup sûr, p our de sordides calculs politiciens - « politichiens », devrais-je dire (Sourires) -, pousser notre peuple dans le précipice du néant. C'est irresponsable, mais aussi terriblement dangereux.

Car c'est justement le contenu de cette mondialisation s'exerçant dans un cadre renouvelé qui pose problème, qui nous pose un problème majeur stratégique pour aujourd'hui, et pour une longue période. C'est, selon moi, la question des questions au coeur de notre débat aujourd'hui.

Premier considérant : le monde d'aujourd'hui, dominé par ce phénomène de globalisation, n'est plus bipolaire mais unipolaire, nous dit-on couramment. Reste qu'il n'est pas neutre pour autant. Il n'est pas le simple résultat de phénomènes naturels qui s'imposeraient à tous, sans que l'on n'y puisse rien. Nous sommes entrés dans un monde nouveau, par bien des aspects. Un monde organisé ou désorganisé, comme on voudra, qui a été conceptualisé sous le vocable de « nouvel ordre international », encore que la formule ait été utilisée après l'heureuse chute du mur de Berlin. Aujourd'hui, ce concept est travaillé par cette dimension nouvelle et marquante de

« mondialisation ».

Cet ensemble d'événements s'est donc accompagné d'une volonté toute classique, mais terriblement forte.

Une volonté qui ne se heurte plus au pôle constitué hier.

C'est une volonté hégémonique renforcée : celle de la super-puissance que sont les Etats-Unis de marquer encore plus nettement son emprise sur le monde, une emprise très connotée politiquement et socialement, puisque au service exclusif des multinationales nombreuses outre-Atlantique. Ces forces économiques et financières ont la taille et les moyens de développer ce phénomène de mondialisation-globalisation. Songeons, et songeons-y bien, à ces paroles du président Clinton prononcées au cours d'une conférence de presse sur un tout autre sujet : le prochain siècle, disait-il, sera américain. Il n'a pas ajouté à haute voix, mais on aurait pu l'entendre : ou il ne sera pas ! Ce processus de mondialisation-hégémonie est au coeur du monde contemporain. C'est là que se trouve le noeud du problème : un phénomène objectif, et en soi positif, mais qui, tel que développé, a un contenu dévastateur, très dévastateur.

Je ne ferai pas ici un descriptif de la situation que chacun connaît. Mais, tout de même, est-ce vraiment un monde unipolaire que celui que nous avons sous les yeux où, d'un côté - à un pôle, donc - jamais les puissants n'ont concentré tant de richesses et de pouvoirs, tandis que, de l'autre côté - à l'autre pôle, donc - les trois quarts de l'humanité sont devenus encore plus pauvres, sans compter la situation qui prévaut dans les pays dits riches et qui ne procède pas de la richesse partagée ? Que l'on pense, par exemple, aux dizaines de millions de chômeurs et de précaires qui existent dans cet espace où flotte un drapeau bleu frappé de douze étoiles dorées.

Que l'on songe, encore, au 100 millions de pauvres dénombrés dans les pays dits riches.

Au total, on assiste à la mise en place de ce que les observateurs internationaux qualifient, pour s'en alarmer, d'un nouveau mur à l'échelle planétaire.

Finalement, mes chers collègues, et c'est mon second considérant : ce monde-là est-il si unipolaire que cela ? La nouvelle situation qui prévaut dans le monde ne pose-telle pas une bipolarité d'une autre nature que la précédente, mais une bipolarité tout de même ? Je suis enclin à le penser ; j'en suis même convaincu, pour être tout à fait franc.

Du reste, les faits sont loin, tout au contraire, de me donner tort. N'est-ce pas un monde bipolaire qui s'est mis en place sous nos yeux quand, selon le rapport 1998 du programme des Nations Unies pour le développement - PNUD - les 225 plus grandes fortunes du monde disposent de 1 000 milliards de dollars, soit l'équivalent du revenu annuel des quarante-sept pays les plus pauvres où vivent 2,5 milliards de personnes ? D'un côté, 2,5 milliards d'individus et, de l'autre, 225 qui ont autant de richesses que les premiers. Et vous avez dit « monde unipolaire » ?

M. Pierre Goldberg.

Très bien !


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M. Jean-Claude Lefort.

Quand on sait, par ailleurs, que donner un droit universel à l'accès aux services sociaux de base - école, nourriture, santé, eau potable, santé reproductive - coûte 40 milliards de dollars par an, soit moins de 4 % de la fortune de ces 225 grandes fortunes, le coeur se noue et l'envie de se battre avec.

Les temps modernes nous donnent à voir la mise en place d'une volonté hégémonique, à la fois uniformisante et destructrice, qui bloque et empêche formellement les progrès que l'on pourrait légitimement attendre de la modernisation, phénomène positif en soi.

Car cette volonté hégémonique, sinon impériale, provoque, il faut bien appeler un chat un chat, une véritable

« guerre économique » aux effets à la fois soudains - la crise monétaire actuelle - et considérables, que l'on peut précisément qualifier de planétaires. Elle provoque une crise durable d'autant plus large, massive et universelle que le concept d'hégémonie est un concept global. Il concerne naturellement l'économique mais aussi le politique jusqu'au militaire.

Nous sommes dans cette situation, mes chers collègues.

Dès lors, la seule question qui vaille est la suivante : quelle stratégie développer pour une politique extérieure de la France à la hauteur des temps modernes, des temps qui voient se croiser, s'entremêler les potentialités et les dangers. Quelle politique mettre en oeuvre pour travailler à ce que les potentialités l'emportent sur le second terme qui, lui, est à l'oeuvre aujourd'hui ? Telle est la problématique que je veux souligner aujourd'hui.

Nous sommes aux prises avec une volonté hégémon ique chargée d'intérêts particuliers, par définition aveugles à l'intérêt général. Il s'agit d'intérêts aux tentacules planétaires.

La première question à poser pour développer une stratégie est donc de savoir s'il faut s'y opposer ou s'il faut, non seulement ne pas chercher à les réguler mais, au contraire, les encourager encore dans leur volonté de déréglementation qui n'a pas de borne. Question simple et évidente en apparence, mais fondamentale. Car l'esprit de résistance côtoie en France - c'est historique et persistant - l'esprit de soumission, et l'hégémonie engendre aussi bien des esprits soumis que des esprits rebelles.

Nous avons fait le choix de refuser cette soumission et de nous opposer à la loi de la jungle qu'on appelle, désormais, le libéralisme. Il est vrai que « liberticide » est une déclinaison de liberté... Nous avons fait ce choix par esprit de justice - placer l'être humain au centre de tout, c'est la justice moderne - et souci d'efficacité pour stopper le cours désastreux des choses.

Donc, refuser le contenu inhumain de la mondialisation et travailler à lui donner tout le sens positif qu'elle porte en elle et que seuls les intérêts des multinationales détruisent ou empêchent est le premier point fondamental. Mais comment faire ? Un pays comme le nôtre peut-il s'y employer ? Oui, s'il en entraîne d'autres dans son sillage. Oui, si la réponse qu'il propose est d'abord et avant tout politique et non pas économique. Car une des autres nouveautés de la « mondialisation-hégémonie », c'est précisément que l'économie cherche à dévorer le politique au point de lui contester tout espace.

Ce n'est donc pas un des moindres mérites du Premier ministre d'avoir, comme nous le souhaitions, su refuser l'AMI qui consistait, pour rester sur cette problématique, à retourner les choses jusqu'à l'extrême en donnant tous les droits aux multinationales et tous les devoirs aux

Etats. Tout le monde ici, et sur tous les bancs, devrait se réjouir qu'il ait été ainsi fait l'éloge du politique. Et je me réjouirais aussi, si tel était le cas. Pourtant je n'hésite pas à penser, quant à moi, que cette décision qui appartient au Premier ministre, n'est certainement pas totalement étrangère au Président de la République.

Mais j'en reviens à mon propos. Il faut donc travailler à rassembler des forces suffisamment nombreuses et unies pour oeuvrer à une autre bipolarité que celle d'auj ourd'hui, à une multilatéralité pour parler clair.

L'Europe, de ce point de vue, est un espace pertinent.

L'Union européenne, tout d'abord, qui est la première puissance économique mondiale. On comprendra pourquoi nous sommes des Européens convaincus, convaincus au point de contester sa construction actuelle, car nous voulons que vive l'Europe.

En effet, si l'Union européenne actuelle n'est pas hors de ce raisonnement qui consiste à s'opposer à l'hégémonie, il faut encore noter que la réponse qu'elle apporte à cette question n'est pas satisfaisante. En quoi consiste-telle, sinon à s'organiser pour répondre à la guerre par la guerre ? Certes, je ne nie pas une certaine logique dans cette conception. Il est vrai que les multinationales ne sont pas qu'américaines. Si l'on en compte soixante aux

Etats-Unis, on en dénombre vingt et une en Allemagne, par exemple...

Cette logique de guerre n'est pas la nôtre. Nous savons trop, car c'est non seulement un fait d'expérience mais aussi une réalité visible, que ce sont les peuples qui paient et ont toujours payé les guerres. Or c'est bien une guerre qui se déroule au sein de l'Europe, entre Européens ainsi qu'on le constate par les rivalités qui opposent les entreprises européennes entre elles, à coup d'absorptions, de fusions, de restructurations pour s'assurer la domination sur d'autres. Alors, est-ce vraiment une bonne réponse ? Il en va de même pour l'euro dont on nous dit qu'il est un paratonnerre. Certes il attirera la foudre un jour ou l'autre. Qui peut dire et assurer le contraire ? Encore une fois, je ne conteste pas que cette réponse ait sa logique, encore faudrait-il aller jusqu'au bout et, par exemple, prendre avec l'euro la direction du FMI.

Mais cette réponse est de nature guerrière, et cela ne peut résoudre l'équation qui nous est posée : se servir de la mondialisation pour mondialiser le progrès.

Ce qu'il faudrait en vérité au plan mondial, puisque j'évoque là les institutions monétaires, c'est une monnaie commune : « le mondial », par exemple, en lieu et place du dollar ou de l'euro de demain, enfin peut-être. Il faudrait une monnaie de coopération et non une monnaie plus ou moins hégémonique.

Il en va de même pour les institutions européennes. Si l'on se place dans le cadre d'une réponse guerrière à l'hégémonie, alors le tropisme américain a sa validité, sauf que l'Europe ne s'est pas constituée d'emblée avec la même langue et la même monnaie. Et cela ne peut tenir, ni politiquement, ni culturellement. Voyez déjà les flots de « louanges » qui saluent le travail de la Commission, laquelle bafoue quotidiennement la souveraineté mais encore le principe de subsidiarité.

On pourrait multiplier les exemples, spécialement dans le domaine social, qui montrent que ce type de construction tourne le dos aux besoins de notre temps, aux besoins de notre peuple et des autres peuples.

Il est vrai qu'une nouvelle donne existe en Europe qu'il faut savoir féconder. Des premières initiatives ont déjà été prises en ce sens par le Gouvernement. Mais il faut aller plus loin. C'est pourquoi, par exemple, nous demandons que le pacte de stabilité soit renégocié. Il


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étouffe les économies, il n'est pas réaliste en ce qu'il ne laisse pas de place à la vie et à ses imprévus. Il n'est pas de l'ordre de l'intergouvernemental mais de l'Union, autrement dit du Conseil. Ce dernier peut constamment et parfaitement - sauf si l'alternance est possible partout excepté en Europe - décider d'en changer quand bon lui semble. Et il serait bien que bon lui semble. Non, ce n'est pas faire marche arrière que d'avancer ! J'en dirai de même d'Amsterdam qui n'efface pas Maastricht mais le prolonge, bien qu'il soit considéré par beaucoup qui s'apprêtent à le ratifier comme non satisfaisant ou/et comme n'étant pas le fait de ce gouvernement. Quelle belle logique ! Le vice congénital de cet ensemble de traités se trouve d'ailleurs dans ce que l'économique domine le politique.

C'est d'ailleurs le traité de Maastricht, devenu par la grâce d'Amsterdam un traité consolidé, qui expose la philisophie de cette Europe comme étant « une économie de marché ouverte où la concurrence est libre ». Et l'on en vient à se plaindre maintenant que la Banque centrale ne soit pas maîtrisée par le politique alors que toute influence politique est expressément bannie dans les traités eux-mêmes, que son seul objectif est de lutter contre l'inflation et que sais-je encore.

Quand nous vous disons qu'il faut un autre traité, mes chers collègues, n'exprimons-nous pas un besoin, une vérité, quand bien même celle-ci, comme toute vérité, peut être dure à entendre ? Une zone de libre concurrence contre une autre zone de libre concurrence, est-ce cela le modernisme, le progrès assuré et l'avenir ?

M. le président.

Monsieur Lefort, il vous faut conclure.

M. Jean-Claude Lefort.

Je m'approche de ma conclusion, monsieur le président.

C'est en vérité une réponse classique à un problème classique. Ne serait-il pas temps d'innover, dès lors que la preuve de l'efficacité sociale et économique de cette réponse vieillotte est loin d'avoir été apportée ? A cette sorte d'empire en construction, aussi solide et aussi faible qu'un empire, nous préférons, pour reprendre un mot de Gramsci, l'union dans la diversité. Oui à l'Union européenne ! Oui, à une union plurielle ! Telles sont les quelques idées que nous voulions présenter aujourd'hui. Estimant que la politique du Gouvernement en la matière s'inscrit plutôt dans ce cheminement et persuadés que vous ne manquerez pas de faire bon usage de nos idées, nous voterons pour ce budget.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert).

M. le président.

Merci d'avoir respecté votre temps de parole, monsieur Lefort.

La parole est à M. Jean-Bernard Raimond.

M. Jean-Bernard Raimond.

Monsieur le ministre, je me contenterai de deux remarques sur votre budget proprement dit.

Tout d'abord, je regrette une fois de plus que l'on vous ait contraint à appliquer la règle des réductions d'emplois alors que le ministère des affaires étrangères, comme quelques autres, devrait pouvoir y déroger. On oublie toujours qu'il est une mission que le Quai d'Orsay ne partage avec personne d'autre : c'est l'information du Gouvernement, du Premier ministre, du Président de la République sur la situation politique, au sens large, du monde entier et de chacun des Etats qui le composent.

Quelle que soit la qualité, qui est grande, des analyses du ministère des affaires étrangères, elles ne peuvent que souffrir progressivement d'un nombre insuffisant d'agents pour faire face à toutes les situations.

Ensuite, je tiens à vous féliciter, monsieur le ministre, d'être le premier à présenter à l'Assemblée nationale un budget unique correspondant à la fusion des structures administratives du ministère des affaires étrangères avec celles de l'ex-secrétariat d'Etat à la coopération et à la francophonie. Sans doute, dans l'avenir, cette réforme du dispositif français de coopération devrait-elle être aménagée et étendue à d'autres secteurs du budget de l'Etat, comme celui de l'aide économique et financière qui dépend du ministère des finances. Mais, dès maintenant, ce budget unique permet à vous-même, au Premier ministre et au Président de la République de définir plus rationnellement les priorités de notre action concrète à l'étranger.

Aujourd'hui, c'est un territoire exigu, le Kosovo, qui exige une réponse urgente de la communauté internationale et révèle les problèmes fondamentaux qui se posent pour l'avenir des relations internationales.

La question, au moment où je parle, est loin d'être réglée définitivement. Elle met en lumière tous les obstacles qui s'opposent à une influence de l'Europe des Quinze dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune, même quand il s'agit d'une crise purement européenne. L'absence d'anticipation de la part des Européens est flagrante. Peut-être le traité d'Amsterdam, qui prévoit une cellule de réflexion et d'analyse, un

« Monsieur PESC », la définition de stratégies communes par le Conseil européen apportera-t-il une amélioration sur ce point très important ? En effet, c'est en 1989, au moment de la libéralisation de l'Europe centrale et orientale, que Milosevic met fin au statut d'autonomie du Kosovo. Il a ainsi les mains libres en Croatie et en Bosnie-Herzégovine. Lorsque, après les atermoiements des Nations Unies, le Président de la République, en 1995, puis les Etats-Unis, avec l'intervention de l'OTAN, ramènent, par le recours à la force et les accords de Dayton, le calme en Bosnie et règlent au moins provisoirement les problèmes politiques de l'ex-Yougoslavie, les Européens n'auraient-ils pas dû montrer une plus grande fermeté à l'égard de Belgrade ? Le temps perdu a permis que s'aggravent les difficultés puisque, à côté d'un modéré, Ibrahim Rugova, l'armée de libération de l'UCK a pu mener une politique de pression en faveur de l'indépendance.

Or l'indépendance du Kosovo n'est pas envisageable.

En raison des symboles attachés à l'histoire de la Serbie et de la majorité albanaise, une telle solution risquerait de provoquer une explosion en chaîne dans les Balkans.

Une discussion de fond qui dépasse le problème du Kosovo a opposé les Américains, prêts à intervenir sans mandat de l'ONU, et les Européens, avec la France à leur tête, qui voulaient préserver, comme cela fut le cas dans toutes les interventions depuis 1991, même pour la guerre du Golfe, le rôle de l'ONU, c'est-à-dire le vote préalable d'un mandat du conseil de sécurité. C'était du même coup prendre en considération la position de la Russie qui s'oppose au recours à la force au Kosovo.

Si la résolution 1199, adoptée le 24 septembre, se réfère au chapitre VII de la charte des Nations Unies, elle ne prévoit pas explicitement le recours à la force. Tel est encore le cas de la seconde résolution adoptée le 25 octobre qui, si elle renforce sans aucun doute la pression des Nations Unies pour l'application des récents accords - retrait des forces serbes, envoi d'observateurs de


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l'OSCE - ne prévoit toujours pas explicitement le recours à la force encore que la Russie et la Chine se soient abstenues.

Je ne traiterai pas des problèmes, si importants pour la France, de l'Alliance atlantique qui apparaît, dans le monde de l'après-guerre froide, comme le seul instrument militaire efficace devant une crise d'envergure. Je préfère évoquer la question de l'Irak.

La décision de Bagdad d'interrompre sa coopération avec les Nations Unies est sans aucun doute une erreur grave dans un processus dont on pouvait raisonnablement penser qu'il aboutirait à la levée de l'embargo. Je rappelle cependant que Bagdad a rempli toutes ses obligations sur le nucléaire et les missiles. C'était déjà vrai en janvier 1996 lorsque je me suis rendu en Irak. Dans le domaine chimique, le contrôle concerne maintenant presque exclusivement le programme irakien VX. Quant aux armes biologiques, elles sont pratiquement incontrôlables, en Irak comme en tout pays.

Mon avis, qui n'engage que moi, est que la levée de l'embargo n'est plus un problème de désarmement mais un problème politique.

En revanche, vous comprendrez sûrement, monsieur le ministe, que j'aie suivi avec un extrême intérêt votre voyage en Iran, au cours duquel vous avez allié fermeté et volonté de dialogue. Au cours de ce voyage, où vous étiez accompagné, à juste titre, d'une forte délégation, vous avez pu rencontrer les principales personnalités, d'abord le président Khatami qui agit en faveur d'un Etat de droit et de la détente sur le plan international, mais aussi M. Rafsandjani, ancien président de la République, qui incarnait, il y a dix ans, dans un contexte difficile, l'espoir de l'Iran d'aujourd'hui.

Si l'on se souvient des pressions américaines exercées il y a à peine deux ans, voila qui conforte ceux qui, en Europe, préconisent une politique extérieure à la fois ouverte et ferme.

Au moment où le continent africain, délivré des rivalités idéologiques d'autrefois, est victime en son centre et dans la région des Grands Lacs, de conflits qui le déchirent et le déstabilisent, sous le regard d'une communauté internationale largement impuissante, la France a, plus que jamais, la chance de pouvoir exercer une influence prépondérante, comme l'a illustré, en juin de cette année, la visite en Afrique australe du Président de la République.

Je ne peux terminer ce bref exposé, monsieur le ministre, sans parler de l'Allemagne.

Personne ne doute que la construction européenne, qui sera au centre de l'actualité en 1999 à l'occasion des élections au Parlement européen, ne peut se passer d'une solide entente franco-allemande. Au moment où s'éloigne la grande figure d'un chancelier qui a réunifié son peuple divisé et tout fait pour l'ancrer en Europe, il n'y a pas de raison de faire des procès d'intention à ses successeurs.

Néanmoins, l'une des questions fondamentales de l'avenir de l'Europe élargie, et aussi de l'avenir de la France, est l'indépendance économique dans le domaine de l'énergie. Au moment où votre gouvernement entend poursuivre une politique de coopération franco-allemande dans le nucléaire civil, l'accord de gouvernement entre le SPD et les Verts sur l'abandon du nucléaire, ainsi que les commentaires qui l'accompagnent, non seulement en Allemagne mais aussi en France, ne peuvent que nous alerter, malgré la réponse qui se veut rassurante donnée par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, mercredi dernier. Je crois, en effet, monsieur le ministre, que votre gouvernement ne peut rester silencieux.

M. Jacques Myard.

Très bien !

M. Jean-Bernard Raimond.

C'est pourquoi, comme je l'ai dit il y a peu de temps dans une question au Gouvernement, il me semble indispensable que l'Assemblée nationale débatte prochainement de la politique française en matière d'énergie. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

M. Roger-Gérard Schwartzenberg.

Monsieur le ministre, il est très légitime d'accueillir progressivement d ans l'Union européenne les nouvelles démocraties d'Europe centrale ou orientale, car il est normal et souhaitable que l'Europe retrouve sa géographie naturelle et son histoire commune, son destin commun. Cependant, chacun le voit bien, si nous procédons à l'élargissement de l'Europe sans opérer préalablement son renforcement et la rénovation de ses institutions, nous risquons de condamner l'Union européenne à la dilution des volontés, à l'inertie, voire à une certaine paralysie.

Que l'on me comprenne bien ; certes, on ne peut pas dire que trop d'Europe tue l'Europe, mais on ne saurait non plus accepter le paradoxe qui serait celui d'une Europe qui se défasse en s'élargissant, victime de son succès. En effet, l'Union européenne doit incarner l'Europe de la volonté, l'Europe de la détermination et de l'action.

Elle doit renforcer avec vigueur ses politiques communes.

Elle ne peut risquer de devenir une machinerie lente et lourde qui peinerait ou tarderait à prendre les décisions nécessaires. Nous en reparlerons à l'occasion de la ratification du décevant traité d'Amsterdam négocié, il est vrai, par un autre gouvernement Il est, en effet, indispensable de restructurer le système, de clarifier et de simplifier les mécanismes de décision, comme le proposent la France, l'Italie et la Belgique, pour que l'Union européenne ne devienne pas un simple assemblage de velléités.

Chacun comprend bien qu'il faut avancer résolument dans la construction de l'Europe politique. Nous le devons à nos concitoyens, qui attendent plus de démocratie, plus de clarté, plus de transparence et plus de justice sociale.

L'Europe sociale a souvent et longtemps été un simple slogan relevant de l'optatif. Désormais, elle peut devenir une réalité concrète et tangible. En effet, onze des quinzes Etats de l'Union européenne ont désormais des gouvernements dirigés par des forces de gauche. L'arrivée au pouvoir de Tony Blair, de Lionel Jospin, de Gerhard Schrder et de Massimo D'Alema ouvre de nouvelles perspectives, comme l'a déjà montré le sommet tenu en Autriche il y a quelques jours : l'Europe renoue avec le volontarisme politique et cesse de croire à la fatalité économique. Elle privilégie de nouveau la croissance et l'emploi.

Il faut saisir cette occasion historique, cette conjonction de circonstances favorables, pour mettre au coeur de la construction européenne nos priorités : le combat contre le chômage, la lutte contre l'exclusion dans une Europe où près de 12 % des ménages vivent encore audessous du seuil de pauvreté, le soutien à l'activité et à la demande intérieure, la défense de la protection sociale. Il


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importe de faire converger nos normes sociales en les harmonisant vers le haut. Aux critères de convergence économique, ajoutons des critères de convergence sociale.

Je parlerai maintenant des droits de l'homme.

Ainsi que Lionel Jospin l'avait très bien souligné dès 1995 : « Notre premier guide doit être l'intérêt de la France, et il n'y a pas de diplomatie sans pragmatisme.

Mais il n'y a pas de politique étrangère sans principe. Je ne sépare pas l'action de la France dans le monde des valeurs dont la République est porteuse. »

Il est indéniable que la communauté internationale se fait une certaine idée de la France. Parce que notre pays a sa tradition, son histoire, son identité particulière, on attend de lui qu'il incarne des valeurs, qu'il défende sur la scène internationale des orientations qui valent pour tous, en particulier, la démocratie et les droits de l'homme. Je ne prendrai que trois exemples.

Le premier concerne l'Afrique. Certes, il ne faut pas oublier les différences de structures et de traditions, mais, comme le rappelait François Mitterrand, dès 1990, au sommet franco-africain de la Baule, « la démocratie est un principe universel ». Il serait donc souhaitable que la France lie davantage son aide aux efforts, aux progrès qui sont et seront accomplis en ce sens, vers les élections, vers le multipartisme, vers la liberté de la presse, en favorisant les pays qui avancent réellement dans cette voie, souhaitée par leurs peuples.

Le deuxième cas est celui de la Chine, grand pays avec une grande civilisation. Or, même si quelques progrès ont été récemment accomplis, nous ne pouvons pas accepter la conception du président Jiang Zeming qui déclarait, lors de sa visite aux Etats-Unis, en octobre 1997 : « La théorie de la relativité peut aussi s'appliquer au domaine politique. Les droits de l'homme sont des concepts relatifs et non absolus. »

Le troisième exemple, porte sur l'Afghanistan où le régime islamiste intégriste des talibans multiplie les mesures de discrimination et d'exclusion, qui privent les femmes de leurs droits les plus élémentaires. Il a provoqué, en juillet dernier, le départ des ONG qui organisaient l'aide humanitaire à une population en pleine détresse, parce que, très légitimement, elles refusaient cette ségrégation, cet apartheid sexuel, qui dénie aux femmes l'égal accès aux soins et à l'éducation. La France doit continuer d'agir, comme elle le fait, dans le cadre de l'ONU et de l'Union européenne, et auprès des pays qui sont proches des autorités de Kaboul - Arabie Saoudite, Emirats arabes unis, Pakistan - pour condamner et combattre cette inadmissible violation des droits des femmes par le régime de talibans.

M onsieur le ministre, les radicaux de gauche approuvent votre action et voteront donc le budget que vous nous présentez, mais ils souhaitent que l'action de notre pays sur la scène internationale s'inscrive résolument dans le sens des orientations que je viens de rappeler en quelques mots et qui correspondent à la vocation profonde de la France, telle qu'elle est perçue par la communauté des nations. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Brana.

M. Pierre Brana.

Monsieur le ministre, ce budget est une première car il intègre, pour la première fois, celui de la coopération. Il fera date puisqu'il entérine une évolution de notre politique étrangère attendue depuis longtemps.

Confronté à une mutation et à une intensification de l'activité internationale, à une mondialisation hyperconcurrentielle, y compris diplomatique, à la disparition des zones d'influence traditionnelles, à la montée en puissance d'intérêts financiers ou de dynamiques plus pernicieuses - criminalité organisée, drogue, blanchiment d'argent, corruption, traite et exploitation des êtres humains... -, notre pays doit s'exprimer d'une seule voix, afin d'assumer pleinement, sans arrogance et en privilégiant le dialogue, son rôle de puissance d'influence mondiale.

Si nos capacités économiques, techniques, culturelles justifient notre action extérieure, il fallait adapter nos moyens. L'efficacité et la lisibilité, tant vues de l'extérieur qu'à l'intérieur de nos frontières, sont à ce prix. Mieux défendre nos intérêts, mieux vendre notre savoir-faire et nos productions à l'échelle mondiale, mais aussi mieux agir pour la démocratie, la solidarité, la réduction des inégalités et le développement durable, nécessitait un regroupement des compétences et des structures.

Disposons-nous avec ce budget pour 1999 des moyens de notre ambition ? La question a été posée.

La rigueur comptable indique un repli des crédits de 0,7 %. Personnellement, je le regrette, même si je relève quelques satisfactions comme la hausse de 25 %, soit 50 millions de francs, des contributions volontaires aux organisations internationales. La France, il est vrai, a, dans ce domaine, un lourd retard à rattraper puisqu'elle se situait en 1997 seulement entre les douzième et quatorzième rangs des contributeurs au programme des Nations unies pour le développement, du programme alimentaire mondial, de ceux de l'UNICEF et du Haut commissariat pour les réfugiés.

Toutefois, sauf erreur de ma part, le fonds d'urgence humanitaire, lui, diminue. N'y a-t-il pas là un paradoxe dans cette politique d'intervention internationale ? J'espère que si le besoin s'en faisait sentir il serait tout de même possible de l'abonder pour faire face à notre devoir de solidarité.

D'autres évolutions sont satisfaisantes, en particulier celles concernant les dotations de l'action culturelle extérieure, avec notamment 130 millions pour l'audiovisuel extérieur. L'action de la France, dans ce domaine stratégique que sont l'information et la communication, était déficiente. Il faudra certainement encore poursuivre et coordonner nos efforts sur ce plan à l'heure d'une société de l'information planétaire.

De même, bienvenues sont les mesures nouvelles inscrites en faveur de la formation, de la promotion de la langue et de la culture. Je pense, en particulier, au dispositif des bourses d'excellence, destiné à attirer des étudiants étrangers. L'initiative est à saluer, tant notre handicap s'est accentué par rapport aux Anglo-Saxons.

Pour reconquérir notre place, le ministère de l'éducation et celui des affaires étrangères souhaitent labelliser des formations supérieures. C'est une bonne idée mais elle doit être concrétisée le plus rapidement possible car des habitudes sont en train de se prendre et, plus le temps passe, plus il sera difficile d'inverser le courant.

Il est également heureux de constater les priorités de ce budget à l'égard de nos compatriotes établis à l'étranger : sociale, avec une dotation d'assistance dopée de 11 millions de francs, éducative avec une revalorisation des bourses au bénéfice des enfants des familles françaises.

En revanche les importantes réductions d'emplois alors que l'on nous avait indiqué que ces diminutions seraient stoppées - auront des conséquences dans de


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nombreux postes. Nos missions à l'étranger se développent, des charges nouvelles apparaissent. Ces contractions de personnels supportées principalement par le réseau diplomatique accentuent les difficultés en matière de relations et d'accueil. Nos représentations consulaires sont la vitrine de la France. Ne l'oublions pas. Les candidats à l'obtention de visas, notamment, doivent être reçus dans des conditions décentes. Or j'ai pu vérifier sur place - tant en Afrique qu'en Europe centrale et orientale - que cela n'était pas toujours le cas. Des efforts en effectifs et en équipements sont indispensables pour que, partout, les conditions d'accueil soient vraiment dignes d'une grande puissance comme la France.

Par ailleurs, ne serait-il pas judicieux de relancer les contacts et les études pour regrouper - dans certains cas bien délimités - nos moyens avec ceux de nos partenaires de l'Union européenne ? Nous connaissons évidemment les obstacles juridiques et institutionnels, mais ils doivent pourvoir être surmontés. De toutes les façons, c'est une piste qu'il faut continuer à explorer.

Ce débat nous permet d'aborder d'autres questions.

Alors qu'il y a trois ans commençaient les négociations de Dayton sur la Bosnie, que les pays européens s'engageaient à éviter le déclenchement de toute autre nouvelle guerre dans les Balkans, force est de constater que l'Union européenne n'a pu empêcher, ces huit derniers mois au Kosovo, des massacres de civils - environ 1 500 morts -, des destructions de maisons - de 5 000 à 7 000 - et des dizaines de milliers de nouveaux déplacés ou réfugiés. M. Wolfgang Schssel, répondant récemment à des questions sur les objectifs de la présidence autrichienne de l'Union européenne, s'est d'ailleurs publiquement interrogé sur les déficiences de la politique extérieure et de défense européenne.

Je crois, monsieur le ministre, quels que soient les efforts réalisés par le groupe de contact - qu'il n'est pas question de minimiser -, qu'une réflexion en profondeur doit être engagée pour améliorer l'efficacité des interventions européennes dans le domaine de la sécurité et de la paix. La présidence autrichienne semble en être convaincue.

Pour ce qui est des génocides, des crimes contre l'humanité, des crimes de guerre, je me suis réjoui de l'accord de Rome sur l'institution d'une cour pénale internationale permanente pour laquelle, avec beaucoup d'autres, je milite depuis longtemps. Après les 800 000 massacrés du génocide rwandais, les 150 000 à 200 000 morts en Bosnie, les récents tués du Kosovo, les péripéties de l'affaire Pinochet - le sanglant dictateur que j'espère voir jugé - l'utilité et l'urgence de la mise en place d'un tel organisme ne sont plus à démontrer pour les démocrates, les défenseurs des droits de l'homme.

Malheureusement, le nombre de pays signataires de l'accord nécessaire à son application et les compétences limitées de cette cour - sans compter les obstacles des juridictions nationales - sont autant de freins à la mise en place et à l'efficacité d'une telle institution. Je compte sur vous, monsieur le ministre, pour que la France mette tout en oeuvre pour convaincre ses partenaires d'adhérer à cette création et pour que soit levé, le plus rapidement possible, tout obstacle qui pourrait gêner son bon fonctionnement.

S'agissant de l'Union européenne et de la réforme préalable des institutions avant l'élargissement, la France, soutenue par la Belgique et l'Italie, est restée assez isolée.

Or les partis de la coalition du nouveau gouvernement allemand ont signé un accord qui dispose, entre autres, que l'Union doit procéder à des réformes internes, notamment institutionnelles, avant élargissement. Qu'en pensez-vous, monsieur le ministre ? Croyez-vous qu'une initiative commune soit désormais possible ? Enfin l'Union européenne a engagé une politique d'accords commerciaux et de coopération avec toutes les régions du monde : Asie, Méditerranée, Afrique subsaharienne, pays du Golfe, PECO et, l'année prochaine, Amérique latine. Cette ambition reflète le caractère mondialisé des échanges. L'Union européenne est l'un des pôles majeurs de l'économie mondiale, en concurrence avec les Etats-Unis et le Japon.

Si cette recherche d'alliances et de complémentarité est dans l'ordre des choses, elle n'est pas toujours facile à mettre en oeuvre. Il faut donc du temps. Or on a constaté, dans la période récente, une absence de coordination des calendriers, dommageable aux intérêts collectifs comme à ceux de la France, entre la négociation Agenda 2000, en particulier en son volet agricole, et l'accord de l'Union européenne avec le marché commun du Sud de l'Amérique, le Mercosur.

J'espère, monsieur le ministre, qu'au cours des débats vous pourrez nous apporter quelque éclairage sur ces questions. D'avance, je vous en remercie.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Merci, monsieur Brana, d'avoir respecté votre temps de parole.

La parole est à M. Loïc Bouvard.

M. Loïc Bouvard.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, je voudrais évoquer devant vous et devant la représentation nationale l'insuffisance de la présence française dans les quatorze pays qui, avec la Fédération russe, constituaient l'URSS. Depuis dix ans en effet, j'ai pu me rendre dans la plupart de ces pays, au sein de missions de l'Assemblée de l'Atlantique Nord et y observer la réalité sur place.

M. Jean-Claude Lefort.

C'est vrai !

M. Loïc Bouvard.

Forts de 140 millions d'habitants, ces pays se répartissent en quatre groupes : les trois pays baltes, les trois pays jouxtant l'Europe centrale - dont l'Ukraine -, les trois pays du Caucase et les cinq pays d'Asie centrale, soit, au total, une population équivalente à celle de la Fédération russe.

Que savons-nous, en France, de tous ces pays ? A vrai dire, fort peu de choses et ce qui s'y passe intéresse peu les Français.

Pourtant, ces pays, aujourd'hui indépendants, ont entrepris de transformer leurs structures politique, économique et sociale, pour se rapprocher de nos modèles occidentaux. Cela a provoqué de véritables bouleversements internes et externes et a entraîné la chute des niveaux de vie, l'instabilité politique et la mainmise des groupes mafieux sur l'économie. Et, dans le domaine sécuritaire, de nombreux conflits ont eu lieu et de nombreux risques se font jour.

Tous ces pays, ou presque, se sont tournés vers la communauté euro-atlantique et l'OTAN, considérée par eux hier comme ennemie, leur apparaît aujourd'hui comme le garant de la sécurité en Europe.

La France a donc pris acte, mais avec un temps de retard, de la naissance de ces Etats et elle a redéployé son dispositif diplomatique et ouvert des ambassades dans toutes les capitales, à l'exception de trois d'entre elles.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

Je connais l'effort de votre département, monsieur le ministre, mais son budget est hélas limité et il ne constitue par une priorité nationale, comme l'a bien dit M. Philippe Séguin. Je sais, notamment, que du point de vue culturel, la France s'efforce de renforcer son impact, quelque 30 millions de francs étant consacrés à ces quatorze pays. Avouez que c'est peu ! Il n'en reste pas moins que notre pays se trouve en retrait par rapport à nos partenaires ouest-européens - sans parler des Etats-Unis et de la Turquie - dans ses relations avec ces quatorze pays.

J'en veux pour preuve, d'abord, le fait que les relations aériennes entre Paris et ces pays sont quasi inexistantes.

L'Ukraine est le seul pays desservi par Air France, mais à raison de quatre vols par semaine. Songez que, pour me rendre à Bakou, où Elf et Total sont présents, il m'a fallu emprunter la Lufthansa via Francfort à l'aller et la KLM via Amsterdam, au retour.

J'en veux pour preuve, ensuite, l'insuffisance de nos effectifs commerciaux, financiers et économiques dans ces pays : vingt conseillers commerciaux pour les quatorze pays.

Les résultats, monsieur le ministre, sont à la mesure de nos efforts et les chiffres sont consternants. La part de marché de la France dans ces quatorze pays se situe entre 1 % et 3 % seulement et même moins pour les investissements, alors que les Allemands, les Britanniques et, parfois, les Italiens font deux, trois ou cinq fois mieux que nous. Bref, notre action n'est pas dans cette immense région ce qu'elle devrait être. Or une assistance technique réussie est souvent le prélude à des contrats commerciaux fructueux et ces pays recèlent de grandes richesses en matières premières qui sont une base solide de développement pour l'avenir. L'Allemagne, la Turquie et les EtatsUnis l'ont bien compris et s'approprient une part importante des contrats et des marchés.

Certes, nos présidents se sont rendus là-bas, mais cela ne saurait suffire. Il convient, monsieur le ministre, d'intensifier nos efforts, d'accentuer notre présence, de multiplier les contacts à tous les niveaux, de préparer et d'accompagner les incursions de nos entreprises dans ces pays qui se tournent vers la France, car nous sommes attendus et désirés plus que nous ne le croyons. Les chefs d'Etat de ces pays sont venus à trente reprises en France, depuis sept ans.

Tout cela, monsieur le ministre, vous le savez, mais il me paraît essentiel qu'un grand pays comme la France ne se laisse pas distancer par ses voisins européens dans l'action politique et économique en Europe de l'Est, dans le Caucase et en Asie centrale, qui sont des régions stratégiques. Je souhaite que votre action à la tête de la diplomatie française, en liaison avec les ministères des finances et du commerce extérieur, puisse nous permettre d'être dans le peloton de tête et, ce, tout spécialement au moment où l'Europe s'unit, car les présences économiques, politiques et militaires se confortent mutuellement et sont à la source de l'influence, de la puissance et du rayonnement d'un pays. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Alain Barrau.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard.

Monsieur le président, messieurs les ministres, le fait de débattre du budget des affaires étrangères et de la coopération le jour des morts est symbolique...

Mme Nicole Bricq.

Cela commence bien !

M. Jacques Myard.

... tant il est vrai qu'il est placé sous les auspices qu'il mérite, étant, en vérité, le fossoyeur de notre action extérieure !

Mme Nicole Bricq.

Carrément !

M. Jacques Myard.

Si j'ai bien compris, le mammouth est de plus en plus boulimique, à devenir obèse ! Quant à vous, monsieur le ministre des affaires étrangères, vous êtes au pain sec et à l'eau ! C'est sans doute là l'expression de la solidarité revue et corrigée par M. StraussKahn.

M. Bianco a fait, je le lui ai déjà dit, un excellent travail d'opposition. Aussi, je ne vais pas, à ce stade du débat, reprendre ses critiques fort pertinentes et que vous connaissez, ô combien ! Car se faire tancer quand on a raison, passe encore, mais, quand on a tort, c'est, j'en conviens, insupportable. J'espère seulement que mes chers collègues socialistes seront logiques avec eux-mêmes et avec M. Bianco et que, lorsque nous débattrons de mon amendement, ils se ressaisiront et vous donneront, monsieur le ministre, les moyens de la politique que vous appelez de vos voeux et que nous soutiendrons à ce titre.

Aussi, qu'il me soit permis de faire quelques remarques sur l'outil, en complément de ce qu'a dit M. Bianco, avant de parler de l'action diplomatique elle-même.

L'outil tout d'abord. La fusion affaires étrangèrescoopération n'est pas une mauvaise chose en soi et j'ai toujours pensé qu'il y avait là matière à mieux dynamiser notre action. Mais je pense que c'est une erreur que d'avoir bâti une direction générale de la coopération internationale et du développement qui couvre l'ensemble de la planète. Je ne suis pas certain que cette DGCID qui mélange à divers niveaux à la fois une approche géographique et une approche fonctionnelle soit un instrument idoine pour faire face à nos obligations, notamment en Afrique. M. le ministre Josselin n'est disconviendra certainement pas.

Je pense que vous êtes allés trop loin dans la banalisation des pays du champ et j'estime, pour ma part, que les pays d'Afrique, pour ne pas les nommer, ont besoin d'avoir, en eux-mêmes et pour eux-mêmes, la direction de leur développement pour des motifs historiques, politiques et économiques. Le développement en Afrique n'est pas le même que celui que l'on peut pratiquer dans le reste du monde, même s'il fait appel, cela est vrai, à des moyens en capital et en hommes.

Après l'outil, je voudrais évoquer l'action diplomatique.

J'ai une question préalable à vous poser, monsieur le ministre.

Mme Nicole Bricq.

Vous n'allez pas parler une heure !

M. Jacques Myard.

J'espère que vous allez pouvoir me rassurer. Pouvez-vous me préciser si la langue française, le Français, comme cela est marqué dans la Constitution, est toujours la langue officielle de notre diplomatie ? J'ai quelques doutes depuis que j'ai entendu le Premier ministre, s'adresser, à Shanghaï, à des hommes d'affaires dans un idiome étranger, qui n'est ni le sien ni celui de ses interlocuteurs chinois. Les bras m'en tombent. J'espère que vous avez fait les représentations qu'il convient au Premier ministre qui n'emploie pas la langue française lorsqu'il s'exprime.

M. Jean-Claude Lefort.

A Jérusalem, le Président de la République n'a-t-il pas dit ? : « I am the french president ! ».


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

M. Jacques Myard.

Monsieur Lefort, je sais très bien que, sur ce point précis, vous êtes d'accord avec moi.

N'en rajoutez pas. Et puis Jérusalem est loin !

M. le président.

Ne vous laissez pas interrompre, monsieur Myard.

M. Jacques Myard.

Je souhaite maintenant évoquer une question plus fondamentale.

La diplomatie consiste d'abord à analyser le monde comme il est, puis, une fois cette analyse faite - et je sais que vous êtes un expert dans ce domaine - à prévenir longtemps à l'avance les risques de ruptures et les conflits potentiels. Or, la politique que vous suivez est à l'évidence en décalage par rapport au monde actuel et à son évolution. Aujourd'hui, notre diplomatie - et elle n'est pas la seule, c'est vrai - s'épuise dans le « tout-Europe » devenu l'alpha et l'oméga de notre action extérieure.

Mme Bernadette Isaac-Sibille.

C'est vrai !

M. Jacques Myard.

Certains rêvent même de faire disparaître notre action dans une PESC, une politique étrangère et de sécurité commune. En réalité, ce qu'ils souhaitent, c'est que la France rentre dans le rang et ne soit pas le mauvais élève du l'Europe, voire du monde occidental.

M. Jean-Claude Lefort.

La PESC et le choléra ! (Sourires.) Messieurs les ministres, ouvrons les yeux : la coopération européenne est nécessaire, elle est même l'une des données de notre politique extérieure, mais elle ne saurait être exclusive et ce serait une faute que de tout consacrer à cette politique. Car, aujourd'hui, la rupture de notre monde n'est plus sur la ligne bleue des Vosges, sur l'Elbe ou sur la ligne Oder-Neisse ; elle est en Méditerranée.

M. Jean-Claude Lefort.

C'est bien dit !

M. Jacques Myard.

La fracture du monde, qui constitue un conflit potentiel à l'aube du XXIe siècle, c'est en Méditerranée qu'elle se joue, car c'est là qu'il y a concentration de tous les déséquilibres : démographiques, économiques, politiques.

Mme Bernadette Isaac-Sibille.

C'est vrai !

M. Jacques Myard.

En 1950, 30 % de la population était au sud et 70 % au nord. Dans quelques années, ce sera l'inverse. Dès aujourd'hui - nous sommes plusieurs à l'avoir constaté et François Loncle avec nous - 80 % de la jeunesse algérienne est au chômage et la population de l'Algérie, du Maroc et de l'Egypte double tous les vingtcinq ou trente ans. Ce sont véritablement des situations dramatiques. C'est là que nous devons agir.

M. le président.

Monsieur Myard, veuillez conclure !

M. Jacques Myard.

Je conclus, monsieur le président ! C'est là que nous devons porter notre effort et non plus dans de vaines élaborations de directives sur les cages à poules ou la longueur des asperges où nous perdons notre temps.

Messieurs les ministres, le monde n'est plus celui de la conférence de Messine de 1956. La coopération européenne est nécessaire, mais elle ne doit pas être l'ultime fonction de notre politique extérieure. La France joue la maîtrise de son destin en Méditerranée. Nous devons ensemble lui en donner les moyens. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme Marie-Hélène Aubert.

Mme Marie-Hélène Aubert.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, si le budget des affaires étrangères ne fait pas la une des journaux et ne pousse personne à manifester dans la rue, ce qui explique peut-être en partie sa modestie, il revêt néanmoins une importance particulière parce qu'il devrait traduire à la fois des objectifs à court terme et des perspectives à long terme quant à la politique étrangère de la France. Je dis bien « devrait » car, à l'évidence, ce budget, qui décroît d'année en année, n'est pas à la mesure de nos attentes, ni sans doute, des vôtres, monsieur le ministre des affaires étrangères.

A croire qu'à l'heure où l'économie et l'information sont en voie de mondialisation, où même le G 7, dans un accès de compassion, souhaite mieux réguler la finance et insuffler un peu d'humanité dans un néo-libéralisme ravageur, la France aurait de moins en moins à intervenir dans les relations internationales ! Comment l'admettre ? Au contraire, le budget des affaires étrangères devrait monter en puissance pour accompagner l'indispensable construction européenne, et notamment la politique étrangère et de sécurité commune, pour développer de nouvelles relations, plus équitables et plus lucides avec l'Est et le Sud, et pour mettre en oeuvre les conventions internationales que nous avons bel et bien signées.

Aujourd'hui s'ouvre la conférence internationale sur l'effet de serre à Buenos Aires. Les engagements pris à Rio en 1992, puis à Kyoto l'an passé vont-ils enfin faire l'objet de mesures concrètes en France ? Il faudra bien des moyens aussi pour participer à l'évolution de notre monde vers un mode de développement plus soutenable, fondé sur la démocratie, les droits de l'homme et la solidarité, alliant économie et écologie et prévenant les conflits pour gagner enfin une paix durable.

Cet objectif est encore bien lointain, je vous l'accorde, mais il devrait être clairement celui de la majorité plurielle.

Par définition, les Verts s'inscrivent dans une démarche globale, planétaire, et ce n'est pas un hasard si Joschka Fischer et les Gr unen ont fait du ministère des affaires étrangères de l'Allemagne un enjeu stratégique majeur.

Nous lui souhaitons de connaître la réussite qu'il mérite et de donner à cette fonction un style nouveau, où pragmatisme et convictions pourront faire bon ménage. Il faudra bien en effet, Monsieur Raimond, aborder sans faux-fuyant la question de l'énergie nucléaire et de l'énergie tout court au niveau national, européen et mondial.

M. Jean-Claude Lefort.

Tout à fait !

Mme Marie-Hélène Aubert.

Nous avons à coeur aussi que la France ne soit pas en reste. Or force est de constater que le budget des affaires étrangères est plus que décevant et soulève bien des questions, auxquelles il n'apporte pas de réponses.

S'il fallait, en effet, réformer la coopération tant sur les structures que sur le fond, en quoi la fusion proposée fait-elle émerger de nouvelles orientations ? L'objectif de 0,7 % du PNB en matière d'aide au développement prôné par le Parti socialiste - 1 % en ce qui nous concerne - est-il toujours d'actualité ? Le sommet africain de Paris, fin novembre, sera-t-il l'occasion de rompre enfin avec les mauvaises habitudes du passé ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

A force de proclamer qu'il ne faut pas dépenser plus mais mieux, ne réduit-on pas considérablement la capacité du ministère à assumer le rôle qui est le sien ? Quelle politique du personnel veut-on mener ? Pour quelles priorités ? Le développement de l'audiovisuel français et le soutien aux Français de l'étranger s'inscrivent-ils dans une politique plus globale dont par ailleurs on voit mal les contours ? Ou cela tient-il lieu de politique étrangère pour 1999 ? La faiblesse de nos contributions volontaires, au Prog ramme des Nations unies pour le développement notamment, ne traduit-elle pas une frilosité de la France à l'égard de programmes essentiels, alors que le RoyaumeUni et même le Danemark donnent bien plus ? Bref, en quoi consiste la politique étrangère de la France, aujourd'hui ? En quoi est-elle différente de celle du gouvernement précédent ? Il est clair que la cohabitation, permise par une Constitution qui n'est manifestement plus adaptée à notre temps, ne permet guère au gouvernement de Lionel Jospin beaucoup d'audaces en la matière. Mais, là comme ailleurs, ou même là plus qu'ailleurs, on peut craindre que la pensée unique perdure, soutenue par les modes de fonctionnement très conventionnels d'un honorable Quai d'Orsay qui peine à innover.

Les tout aussi honorables parlementaires de la majorité que nous sommes déplorent souvent la fadeur des réponses aux questions écrites que nous posons, comme ils déplorent l'attitude de la France, très en retrait, lors de la négociation sur la création de la Cour criminelle internationale ou sur le code de bonne conduite européen en matière de vente d'armes ainsi que la priorité accordée ou affichée à l'occasion de déplacements à l'étranger à la signature de gros contrats commerciaux, obtenus parfois à n'importe quel prix, au détriment d'une véritable parole politique de la France.

Entendons-nous bien : il ne s'agit pas pour nous de contester l'utilité des échanges commerciaux - nous sommes d'ailleurs hostiles aux mesures d'embargo qui pénalisent les populations et confortent les dictateurs mais la dérive qui consiste à transformer le politique en promoteur d'intérêts de grands groupes privés est, elle, hautement contestable.

Enfin, l'élaboration de la politique étrangère de la France doit sortir du secret des cabinets et des cellules, qui en ont eu jusque-là la charge. Les parlementaires et la commission des affaires étrangères peuvent y être associés plus étroitement et ne devraient pas avoir à se battre pour figurer par exemple parmi les membre du Haut comité à la coopération. Les ONG et la société dans son ensemble, doivent aussi pouvoir se reconnaître dans une politique dont les priorités sont lisibles et issues de débats publics.

De ce point de vue aussi, on peut dire que le budget est indigent.

M. le président.

Veuillez conclure, madame Aubert.

Mme Marie-Hélène Aubert.

Je termine, monsieur le président.

Vou le voyez, monsieur le ministre, nos exigences et nos attentes sont grandes, même si nous sommes bien conscients que ce n'est pas en seize mois que l'on peut changer tout cela. Encore faut-il que nous soyons assurés que la volonté de le faire existe. Nous accorderons la plus grande attention à vos réponses sur tous ces points.

Pour l'instant, votre budget nous inquiète et nous déçoit. Nous le voterons du bout des lèvres, à cause notamment des incertitudes qui pèsent sur la coopération et de la baisse des crédits affectés à l'aide au développement.

Comme beaucoup de nos collègues, nous comptons sur un sursaut en 1999. A la veille du troisième millénaire, la France devra relever de multiples défis et faire entendre une voix forte et généreuse dans le concert mondial.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à Mme Monique Collange.

Mme Monique Collange.

Monsieur le président, messieurs les ministre, mes chers collègues, je souhaite évoquer devant vous le rôle qui pourrait être celui de la France et de l'Union européenne après la signature, le 23 octobre dernier, d'un nouvel accord israélo-palestinien.

Cet accord a été salué par tous ceux qui se désespéraient de l'arrêt du processus de paix. Il est d'abord le résultat du courage politique de Yasser Arafat qui n'a cessé de jouer un rôle modérateur dans les Territoires en restant ouvert au compromis.

Il est aussi le résultat du courage politique de Benyamin Nétanyahou qui a signé, ce jour là, son adhésion au principe « la paix contre les Territoires », renonçant ainsi à l'utopie du grand Israël.

Sans doute, cet accord ne résout aucun des problèmes de fond qui opposent les Israéliens et les Palestiniens depuis 50 ans, mais les accords d'Oslo, eux non plus, ne prétendaient pas résoudre ces questions.

Cet accord doit permettre, en premier lieu, un nouveau redéploiement. Il doit permettre aussi de renforcer considérablement les garanties de sécurité d'Israël grâce à la coopération et à l'arbitrage des Etats-unis. Ainsi, l'argument de la sécurité ne devrait plus être invoqué pour bloquer le processus de paix, comme il l'a été trop souvent.

Sans doute cet accord ne fait-il que préciser des accords antérieurs. La plupart de ces précisions sont d'ailleurs au désavantage des Palestiniens.

On peut s'interroger sur l'ampleur des concessions territoriales en Cisjordanie. L'Autorité palestinienne ne contrôlera qu'une part limitée d'un territoire épars, sans réelle continuité territoriale. Ce redéploiement est d'ailleurs plus faible que ce que laissait espérer l'accord de Tabam.

On voit mal comment les négociations finales pourraient aboutir d'ici le 4 mai 1999.

Les positions d'Israël sur Jérusalem Est et les implantations sont diamètralement opposées à celles des Palestiniens. Les parties se sont engagées à ne pas prendre d'initiatives unilatérales qui modifieraient le statut de la Cisjordanie ou de la bande de Gaza, mais une clause identique existait dans les accords d'Oslo et Israël a considéré qu'elle ne s'appliquait pas à Jérusalem Est et n'interdisait pas l'extension des colonies. On peut donc craindre qu'Israël ne poursuive sa politique de colonisation. En outre, l'accord du 23 octobre ne reconnaît pas la légitime revendication des Palestiniens de créer un Etat.

Par conséquent, tout ce que l'on peut espérer de cet accord est qu'il apaise les esprits et permette aux territoires autonomes de s'intégrer dans un espace économique qui est, de très loin, le plus développé du ProcheOrient.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

Dans le cadre de notre débat, il me paraît important de développer un aspect qui conditionne l'évolution de l'état d'esprit des Palestiniens dans les Territoires.

Depuis cinq ans, les expérances des Palestiniens ont été déçues.

Yasser Arafat a multiplié les concessions. Il doit affronter une opposition qui l'accuse d'avoir trahi la cause palestinienne. La situation de l'économie palestinienne s'est dégradée, plongeant la jeunesse dans le désoeuvrement et le désarroi. Pourtant, il ne fait aucun doute que l'accord du 23 octobre sera approuvé par une majorité de l'opinion palestinienne.

Cette opinion ne se fait guère d'illusions sur l'accord du 23 octobre, mais elle en attend des choses concrètes.

En premier lieu, la libération des Palestiniens détenus dans les prisons israéliennes. Dans un protocole annexé au mémorandum, Israël s'est engagé à libérer 750 prisonniers, à raison de 250 personnes par mois. D'après les estimations des ONG, il existerait environ 2 200 détenus palestiniens, dont 400 seraient des personnes âgées ou m alades. Cette question sera, dans les prochaines semaines, un test décisif de la volonté de paix israélienne.

En second lieu, la liberté de circulation. Au cours d'une mission dans les Territoires, nous avons pu constater à quel point la circulation des personnes et des biens était entravée par les autorités israéliennes. Même en l'absence de bouclage des Territoires, les Palestiniens ne peuvent quitter facilement leurs lieux de résidence. Cet état de fait a beaucoup contribué à ruiner l'espoir placé dans le processus d'Oslo et il est à l'origine de l'effondrement de l'économie palestinienne. Sans désenclavement, le redéploiement n'aurait aucun sens.

L'accord du 23 octobre prévoit des mesures concrètes.

L'aéroport de Gaza devrait entrer en service et la zone industrielle de Gaza devrait ouvrir dans un délai proche.

Mais il faut y mettre tout de même un bémol, puisque ce sera sous l'entière autorité israélienne dont on peut se demander quel sera son comportement.

Le mémorandum prévoit également la reprise des négociations sur l'ouverture d'un corridor permettant aux Palestiniens de se déplacer entre la bande de Gaza et la Cisjordanie.

Les négociation sur la construction d'un port à Gaza doivent également s'engager immédiatement avec comme objectif la conclusion d'un protocole sous 60 jours.

Enfin, des négociations doivent s'ouvrir afin de développer les échanges économiques. Cet aspect, vital pour l'économie palestinienne, est le point d'appui le plus solide sur lequel la politique de l'Union européenne peut se développer.

Les Etats-Unis ont une influence décisive au Proche Orient. C'est vers eux que Yasser Arafat s'est principalement tourné pour arracher cet accord. C'est eux qui seront les garants de la bonne application des dispositions relatives à la sécurité. C'est eux qui parraineront les négociations sur le statut final. L'OLP est en train de devenir un allié des Etat-Unis dans une région déjà largemenrt dominée par les Américains.

L'Union européenne a été pratiquement absente des dernières négocations. Pourtant, elle est le principal bailleur de fonds aux territoires palestiniens et le principal partenaire commercial d'Israël. On ne saurait mieux illustrer sa situation géopolitique paradoxale.

La France, quant à elle, est probablement l'Etat européen qui a le plus soutenu la cause palestinienne, après avoir joué un rôle décisif, avant 1966, dans la défense d'Israël. Tout Français qui, comme moi-même, a eu l'honneur de rencontrer Shimon Peres ou Yasser Arafat peut témoigner de l'affection dont la France est l'objet.

Il serait consternant que l'Europe ne joue pas un rôle plus grand dans le processus de paix.

L'Union Européenne a conclu avec l'OLP un accord commercial préférentiel. Cet accord permet aux produits répondant à certaines règles d'origine d'accéder au marché européen en franchise de droits et de quotas ou à des conditions préférentielles.

Pour l'instant les territoires n'ont aucun accès direct vers l'extérieur. La totalité des exportations et des importations doivent donc transiter par des points de passage israéliens et la plupart sont traités par des transitaires israéliens.

Ces derniers coûtent cher et la compétitivité des produits palestiniens en souffre. Selon le protocole de Paris, les Palestiniens ont le droit d'exporter leur produits agricoles et industriels sans restrictions, sur la base de certificats d'origine émis pas l'Autorité palestinienne. Ces produits devraient reçevoir lors de leur passage en douanes un traitement équivalent aux produits israéliens. Ce n'est malheureusement pas le cas.

Dans la pratique, Israël exporte tous les jours à destination de l'Union, sous étiquette israélienne, des produits fabriqués exclusivement dans les Territoires, à JérusalemEst ou dans les implantations. Les exportateurs palestiniens n'étant jamais sûrs de réussir à sortir leurs produits, il préfèrent passer par un agent israélien. Il s'agit clairement de pratiques discriminatoires.

Lors de notre mission en Israël, les responsables israéliens nous ont exposé qu'ils considéraient que les Territoires étaient sous la responsabilité douanière d'Israël et qu'ils ne reconnaissaient pas la validité de l'accord conclu avec l'Union. C'est une interprétation inacceptable. A ma connaissance, ce litige entre Israël et la Communauté n'a pu être résolu par le mémorandum du 23 octobre. Dans ces conditions, comment peut-on espérer la relance des négocations économiques ? Il s'agit en tout cas d'un dossier important que le Parlement doit prendre en considération lors de l'examen du projet de loi de ratification de l'accord d'association entre Israël et l'Union européenne. Peut-on ratifier un accord dont on sait qu'il n'est pas interprété de la même manière par ses signataires ? Peut-on admettre que les relations avec l'Union et Israël se développent alors qu'Israël entrave le développement des relations avec les territoires ? Une fois ce préalable levé, et même si la question palestinienne n'est pas résolue, l'Union pourra intensifier ses relations tant avec Israël qu'avec les Territoires.

Avec Israël, la coopération est déjà intense. La relance du processus de paix devrait notamment permettre le renouvellement de l'accord de coopération scientifique qui unit Israël et la Communauté. Le Conseil a déclaré en effet qu'il tiendrait compte de l'état du processus de paix lors de la conclusion de cet accord. A ce sujet, je souhaiterais savoir, monsieur le ministre, si le Conseil prendra sa décision prochainement ou seulement après l'application du mémorandum.

Avec les Territoires, beaucoup a été fait, mais beaucoup reste à faire. L'aide de l'Union depuis 1993 a été consacrée au soutien du budget de l'autorité palestinienne, à l'assistance technique et aux infrastructures.

Certains projets devraient se débloquer grâce à l'application du mémorandum.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

Ce soutien est vital pour les territoires. La seule question de l'approvisionnement en eau grève l'avenir de la bande de Gaza. Le nouveau réseau est de mauvaise qualité et les ressources sont nettement insuffisantes, alors que la population de Gaza bat des records de densité et en croissance annuelle.

En même temps, le potentiel économique des Territoires est important. Le niveau d'éducation des Palestiniens est très élevé. Lorsque son dynamisme ne sera plus entravé, l'économie palestinienne pourra devenir performante.

Ces facteurs devraient conduire l'Europe à jouer un rôle politique au Proche-Orient et le Gouvernement franç ais, j'en suis certain, pourrait en être l'initiateur.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre des affaires étrangères.

M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères.

J'ai écouté avec beaucoup d'attention les interventions des rapporteurs et des orateurs. Une fois de plus, leurs propos dénotent une connaissance réelle et attentive de notre diplomatie, de ses moyens, et des difficultés qu'elle doit surmonter. Pour beaucoup d'entre elles, les analyses et les suggestions que j'ai entendues rejoignent mes propres préoccupations.

Plusieurs d'entre vous avez souligné les aspects positifs de ce projet de budget, qui constitue, comme vous l'avez noté, le premier budget unique affaires étrangères-coopération, que je vous présente conjointement avec Charles Josselin, en application de la réforme de notre dispositif de coopération annoncée en février dernier par le Premier ministre, Lionel Jospin, même si les débats sont encore distincts cette année.

Certains d'entre vous ont regretté par ailleurs certaines contraintes ou insuffisances, dont je suis bien conscient, vous vous en doutez. Je suis néanmoins convaincu que ce projet de budget me permettra de soutenir notre action, de relayer notre influence dans le monde et de poursuivre la réforme de notre outil diplomatique, dont vous savez que j'ai fait un objectif prioritaire de mon action à la tête du ministère des affaires étrangères.

Tout en répondant à vos principales observations, je m'attacherai à montrer comment notre diplomatie tient compte des réalités du monde d'aujourd'hui pour agir plus efficacement ; j'expliquerai le sens des réformes que je mène et je présenterai enfin le budget de mon ministère pour l'année qui vient.

Tout d'abord, quels sont les objectifs ? Je les résumerai rapidement, car vous les connaissez : en temps de crise comme dans les moments ordinaires nous agissons partout pour que notre diplomatie contribue à la sécurité présente et à venir de notre pays, pour qu'elle prévienne ou contrebalance dans le monde les évolutions stragégiques, économiques ou culturelles qui pourraient être défavorables à nos intérêts et pour que, au contraire, elles soutiennent ces derniers, pour qu'elle favorise la mise en oeuvre dans le monde de nos conceptions et de nos idées et pour qu'elle nous assure, dans une Europe de plus en plus large, une influence toujours déterminante. Ce sont là des buts permanents que nous poursuivons en Europe comme en Méditerranée, en Afrique, au Proche et au Moyen-Orient, ou dans les Amériques, que nous déclinons en matière diplomatique comme dans tous les domaines et qui nous inspirent dans les sommets internationaux, comme dans les visites ou les rencontres bilatérales. Bref, partout, nous travaillons à ce monde multipolaire auquel plusieurs d'entre vous ont fait allusion.

P our atteindre ces objectifs constants, comment tenons-nous compte des caractéristiques du monde de 1998, de sa globalité, de l'interdépendance toujours plus forte entre les Etats, du poids des Etats-Unis, si particulier aujourd'hui ? D'abord parce que ce monde est global, que notre pays est une puissance d'influence mondiale et que nos intérêts sont partout, notre diplomatie doit l'être aussi.

M. Jacques Myard.

Très bien !

M. le ministre des affaires étrangères.

C'est le sens des nombreux voyages ou contacts du Président de la République, du Premier ministre, de moi-même, de Charles Josselin, de Pierre Moscovici et des autres ministres. Nous avons des relations étroites et régulières avec plusieurs dizaine de pays. Certains - Allemagne, autres membres de l'Union européenne, Etats-Unis sont des partenaires de tous les jours. Au-delà, aucun des 184 autres pays du monde ne peut être négligé. Chacun d'eux dispose un jour ou l'autre d'une voix, d'une influence, d'un rôle. C'est ainsi que nous avons relancé notre diplomatie dans toutes les instances multilatérales, qu'il s'agisse d'institutions comme le Conseil de sécurité ou de réunions de fait comme le groupe de contact.

Comme dans ce monde global tout se négocie en permanence dans diverses enceintes, nous devons prêter attention à tout. C'est le rôle du ministère des affaires étrangères, plus indispensable que jamais, que de veiller aux risques, et de saisir les opportunités, de conduire ou en tout cas de suivre toutes les négociations et de surveiller leurs interactions. Ne pouvant être exhaustif, je citerai q uelques-unes d'entre elles en matières européenne, économique et stratégique.

Ainsi en ce moment, nous commençons avec nos partenaires européens des négociations délicates pour maintenir, dans les limites de 1,27 % du PNB communautaire, le budget de l'Union européenne pour les années 20002006, pour continuer à consacrer à la politique agricole commune une part de ce budget suffisante pour que l'agriculture remplisse ses diverses fonctions, ainsi que des moyens adaptés pour la politique des fonds structurels.

Nous agissons aussi pour que la contribution de chaque pays reste raisonnable. En même temps, nous avons déjà fait part à nos partenaires de notre absolue détermination et de la nécessité de réformer les institutions européennes avant tout nouvel élargissement, faute de quoi l'Union se diluerait ou se paralyserait. Cette idée gagne du terrain et elle est, je le sais, très largement soutenue dans cette assemblée.

Avec six des pays candidats, nous commençons à quinze des négociations d'adhésion qui, pour que cet é largissement soit réussi, devront être sérieusement menées, négociations que Pierre Moscovici et moi suivrons de très près.

Nous nous sommes - M. Lefort y faisait allusion retirés des négociations AMI...

M. Jean-Claude Lefort.

Très bien !

M. le ministre des affaires étrangères.

... et avons obligé la Commission européenne à reconsidérer les négociations NTM sur un nouveau marché transatlantique.

M. Jean-Claude Lefort.

Pas le PET !

M. le ministre des affaires étrangères.

Mais, toujours avec nos partenaires européens, nous allons bientôt devoir commencer à définir ce que sera la position de l'Union


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

quand, dans un an, débuteront, comme prévu au sein de l'Organisation mondiale du commerce, de nouvelles négociations sur des sujets aussi sensibles que l'agriculture, l'audiovisuel, les services, la société de l'information. Chacune de ces négociations comportera pour nous des risques, mais aussi des chances, compte tenu de la diversité de notre économie.

E nfin, nous allons commencer à débattre, en décembre, avec les Etats-Unis et nos autres alliés au sein de l'OTAN, du « concept stratégique » qui sera adopté pour le cinquantenaire de l'OTAN au printemps prochain à Washington. Nous voulons que ce concept respecte la charte des Nations Unies et n'entrave pas l'éveil de cette identité européenne en matière de défense et de sécurité, que la France préconise depuis si longtemps et que la récente ouverture britannique rend peut-être moins inaccessible.

Un mot maintenant du poids des Etats-Unis. Parce que les Etats-Unis sont nos amis et nos alliés...

M. Jacques Myard.

Méfions-nous de nos amis, monsieur le ministre !

M. le ministre des affaires étrangères.

... et que nous constatons le rôle primordial qu'ils jouent partout dans le monde, où ils sont une hyperpuissance d'un type nouveau, nous devons être prêts à soutenir leurs efforts chaque fois que c'est justifié - comme par exemple pour la relance du processus de paix au Proche-Orient -, ou à travailler avec eux, comme nous l'avons fait - dans des conditions que j'estime bonnes - au sein du groupe de contact sur le Kosovo ou à débattre de tous les sujets difficiles : Irak, Iran, Afrique, rôle de l'OTAN, etc.

; mais parce que les Etats-Unis sont aussi une hyperpuissance sans contrepoids, portée à l'hégémonisme - surtout leurs assemblées -, ou quand ils perdent de vue ce qu'est un partenaire ou un allié, nous devons également être capables de leur résister.

M. Patrick Bloche, rapporteur pour avis, et Mme Yvette Roudy.

Très bien !

M. le ministre des affaires étrangères.

C'est en ayant à l'esprit ces contraintes - contraires, si je puis dire - et ces nécessités et tout en poursuivant nos objectifs de fond que nous avons fait face aux principaux événements de l'année écoulée.

Quelques mots - je ne peux pas les énumérer tous sur les principaux.

Ainsi sur l'Irak, malgré tous les incidents, nous ne renonçons pas à rechercher une issue d'avenir qui respecte les résolutions et qui prépare le retour de ce pays et surtout de ce peuple dans son contexte régional et dans la vie mondiale. Mais il faut que l'Irak se conforme enfin à ses obligations. Je le dis avec gravité alors qu'une fois de plus ses dirigeants s'engagent dans la mauvaise direction.

En Iran, tout en restant prudents, nous accompagnons les évolutions nouvelles.

Au Proche-Orient, tout en ne cessant d'agir pour le déblocage du processus de paix, depuis des mois et des mois, par tous les moyens sur tous les plans, nous avions appelé à un plus grand engagement américain. Ils devaient assumer leurs responsabilités qui découlaient du rôle qu'ils avaient joué au moment de Madrid et d'Oslo et qu'ils avaient, un moment, abandonné.

Nous avons donc soutenu les effort de Mme Albright, salué l'engagement du Président Clinton et les résultats obtenus à Wye Plantation. Nous entendons maintenant accompagner - je le dis à Mme Collange qui nous en a parlé de façon tout à fait intéressante -, du côté isr aélien comme du côté palestinien, le processus de paix relancé mais encore très fragile. Nous n'oublions, dans ce contexte nouveau, ni la Syrie ni le Liban.

Après les essais indiens et pakistanais, nous avons agi pour préserver le traité de non-prolifération et convaincre, par des moyens moins arrogants et moins contreproductifs que les sanctions, ces pays importants de prendre une autre voie. Nous avons déjà des signes encourageants.

En Afrique, nous avons poursuivi l'adaptation de notre nouvelle politique qui respecte les engagements et les amitiés de la France, mais proscrit les ingérences et veut développer des liens avec tout le continent. Nous le faisons sans nous laisser décourager par les drames de l'Afrique des grands lacs ou d'autres.

S'agissant de la Russie, une plus grande lucidité s'impose. Il nous faudra accompagner encore longtemps son redressement. Il faut encore prendre conscience - mieux vaut tard que jamais - qu'on ne peut pas plaquer brusquement sur les décombres de l'URSS une économie de marché et une société moderne que partout ailleurs nous avons mis des décennies, pour ne pas dire des siècles, à édifier.

M. Alain Barrau.

Très bien !

M. le ministre des affaires étrangères.

Aux Russes comme à nous Français et Européens qui souhaitons les aider utilement de trouver le chemin de ce processus.

M. Alain Barrau.

Très bien !

M. le ministre des affaires étrangères.

Au Kosovo, en liaison et en entente constante avec nos partenaires du Conseil de sécurité, du groupe de contact, de l'Union européenne, de l'OTAN et de l'OSCE, car nous avons agi au sein de toutes ces enceintes pour qu'une seule et même politique soit menée par tout le monde, nous nous sommes mobilisés pour arracher aux autorités de Belgrade, en combinant tous les moyens de persuasion et de p ression, l'engagement d'une autonomie substantielle pour le Kosovo. Et nous avons agi de la même façon pour convaincre les Kosovars d'accepter cette solution.

C'est maintenant une question de persévérance. Nous ne pouvons pas relâcher notre pression.

Enfin, l'Union européenne ! Au-delà des négociations entamées auxquelles je faisais allusion - et à réussir, bien sûr, et au-delà des ratifications encore à accomplir, l'enjeu est tout simplement de reprendre le contrôle politique de son évolution et la maîtrise des décisions qui s'y prennent, afin qu'elle apporte, sur tous les plans, aux citoyens de ses Etats membres des raisons de continuer à croire en elle, à souhaiter son développement et, également, des raisons d'apporter au reste du monde la preuve de son utilité...

M. Jacques Myard.

Vaste programme !

M. le ministre des affaires étrangères.

... pour le modèle économique et social qu'elle présente par rapport aux autres continents - c'est un programme qui est facile à illustrer - de façon à maintenir la diversité des cultures et des langues et à renforcer le rôle qu'elle peut jouer pour la préservation de l'environnement, la prévention et la solution des conflits, le développement, les progrès de l'Etat de droit.

Nous ferons tous, dans les temps qui viennent, d'abord à travers la relance de la relation franco-allemande, pour que l'Union ne se paralyse pas et ne se dilue pas, retrouve tout son rayonnement et son élan.


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Ce monde est instable, vous l'avez tous noté. Ce tour d'horizon le souligne et vous l'observez chaque jour. Il est aussi très concurrentiel, aucune situation acquise, aussi illustre soit-elle, n'y est protégée des remises en cause.

Il est instable et perturbé, comme le montrent les quelque trente guerres qui mettent aujourd'hui aux prises plus de cinquante Etats ainsi que les rebondissements intercontinentaux de la crise financière, alors qu'il est au même moment patent que les organes de la régulation mondiale - Conseil de sécurité, Fonds monétaire international, G 8 - peinent à accomplir leur tâche. Notre diplomatie doit plus que jamais anticiper, inventer, proposer.

C'est bien parce qu'elles sont conscientes de tous ces enjeux, et pas uniquement en raison de la cohabitation et de la Constitution, que les autorités françaises ont à coeur de parler d'une même voix, même si c'est par plusieurs bouches, celle du Président de la République en premier lieu naturellement, mais aussi celles du Premier ministre, du ministre des affaires étrangères et des autres ministres concernés.

La France, disais-je, parle et propose d'une même voix.

Ainsi, au cours des mois écoulés, j'ai relancé l'idée avancée naguère par le Président de la République d'une conférence sur la paix pour l'Afrique des Grands Lacs, j'ai proposé après les essais indiens et pakistanais la négociation d'un traité universel d'interdiction des matières fissiles à usage militaire. C'est ainsi que le Président de la République a lancé, et que j'ai repris devant l'assemblée g énérale de l'ONU l'idée d'une négociation d'une convention universelle contre le financement du terrorisme, que le ministre des finances a proposé à nos partenaires européens un mémorandum contre l'instabilité financière internationale. Le Président de la République en a saisi ses partenaires du G 8 et a lancé l'idée d'un code de la route pour la bonne circulation des capitaux.

Tout cela tourne autour d'une même idée centrale, c'est que le monde a besoin de règles. N'oublions pas plusieurs propositions présidentielles ou gouvernementales concernant l'Europe, sa réorientation sociale, la coordination des politiques économiques, la représentation extérieure de l'euro, l'intégration progressive de l'UEO dans l'Union européenne et, sur un autre plan, le rôle décisif que le gouvernement français a joué pour qu'aboutisse la conférence de Rome sur la création d'une Cour pénale internationale crédible. Nous avons signé parmi les tout premiers. Aujourd'hui, trente-deux Etats ont signé. Il faut atteindre le chiffre de soixante pour que cette Cour puisse exister.

Nous continuerons ainsi à être présents et actifs au service de notre pays, de ses intérêts et des valeurs qui sont les siennes.

J'en viens maintenant à la réforme de notre outil diplomatique et aux moyens que nous donne ce projet de budget.

Je vous parlerai d'abord des réformes en cours, car l'état du monde, dont nous avons tous parlé, exige maintes adaptations.

Comme vous le savez, le Gouvernement a commencé par la réforme de la coopération, attendue depuis de nombreuses années, différée dans le passé pour de multiples raisons que vous connaissez, annoncée par Lionel Jospin lors de son discours de politique générale de juin 1997 et arrêtée dans ses principes au début de février 1998, réforme à la mise en oeuvre de laquelle, depuis lors, Charles Josselin et moi-même travaillons sans relâche. J'ai constaté, et je m'en réjouis, une large compréhension de votre assemblée pour les objectifs de cette ambitieuse réforme, preuve supplémentaire qu'elle devait être menée à bien. Charles Josselin vous en parlera plus en détail, mais je voudrais mettre l'accent sur deux points.

D'abord, nous mettons en place à cette occasion une organisation administrative profondément rénovée. Au début de janvier prochain, une nouvelle entité, la direction générale de la coopération internationale et du développement, verra le jour. Sans doute aurait-il été plus facile ou plus commode pour nous de juxtaposer les structures de l'ancien ministère de la coopération et celles du ministère des affaires étrangères, mais nous aurions perdu l'occasion de faire une vraie réforme - celle qui était demandée par tous les analystes, tous les audits extérieurs, tous les rapports de la Cour des comptes et par le ministère des finances depuis une vingtaine d'années - et laissé perdurer des doubles emplois. Nous avons retenu un schéma plus ambitieux qui consiste à associer dans un même ensemble les multiples fonctions de coopération internationale assurées aujourd'hui par la direction générale en matière de relations culturelles, scientifiques et techniques et celles d'aide au développement portées par les services de la rue Monsieur. Nous en attendons - ce qui rencontrera certainement votre souhait et, je l'espère, rassurera M. Myard,...

M. Jacques Myard.

Pas tout à fait.

M. le ministre des affaires étrangères.

... qui nous a fait à ce sujet une analyse dans laquelle son sens des nuances s'est à nouveau exprimé... - une rationalisation de notre dispositif de coopération, une clarification de nos modes d'intervention, une définition plus lisible de nos priorités d'action, une vision plus complète, plus mondiale, un coup de fouet pour toutes nos interventions et, enfin, à l'intérieur de cette grande direction, la chance d'un dialogue fécond entre les divers métiers concernés.

Je remercie ceux d'entre vous qui ont souhaité la bienvenue à cette nouvelle direction.

De plus, le budget pour 1999, premier budget unique porteur de cette réforme, affiche, davantage que par le passé, des priorités nettes, j'y reviendrai dans un instant.

Cette réforme de la coopération je le répète, n'est en rien synonyme de distanciation vis-à-vis de nos partenaires traditionnels, en premier lieu africains. Certes, dans le même temps, je l'ai évoqué, notre politique africaine est en mutation. Comme nous, en effet, l'Afrique et les Africains évoluent et ce qu'ils nous demandent est différent. Nous adaptons notre présence, notre influence, notre assistance à la modernité africaine, en restant fidèles à nos amis, en élargissant nos relations à l'ensemble du continent comme ils le font dans le même temps. Notre solidarité ne se relâchera pas. Notre aide publique bilatérale a, bien au contraire, vocation à se concentrer sur les pays les plus fragiles et à soutenir leurs efforts de développement.

En réunissant prochainement le comité interministériel de coopération international et de développement, le CICID, qu'il a créé, le Premier ministre arrêtera les contours de cette zone de solidarité prioritaire qui concrétisera la poursuite de l'engagement de la France aux côtés de ses partenaires traditionnels.

L'adaptation en cours des structures du ministère des affaires étrangères ne concerne pas uniquement l'ancienne direction générale.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

Je ne cherche pas à changer ce qui fonctionne convenablement, mais, à l'usage, plusieurs ajustements me sont apparus nécessaires. Ces adaptations sont en cours et le nouveau décret d'organisation qui les fixe sera très prochainement publié.

L'idée générale est de simplifier nos structures d'administration centrale, de raccourcir autant que faire se peut les différentes chaînes hiérarchiques et de clarifier les différentes fonctions et missions exercées à Paris, notamment tout ce qui relève de l'administration et de la gestion.

Cette adaptation de nos structures centrales devra trouver son prolongement sur le terrain, dans le réseau de l'Etat à l'étranger. La carte de nos implantations à l'étranger doit évoluer, tout simplement parce que le monde change et que, par conséquent, la localisation à l'étranger de nos entreprises et de nos compatriotes se modifie.

Nous devons en tenir compte et procéder à des ouvertures et à des fermetures de postes, à des redéploiements, rendus de toute façon nécessaires par la limitation de nos effectifs.

Se borner à répercuter mécaniquement des coupes budgétaires aboutirait à un résultat absurde. J'ai donc demandé qu'un plan d'adaptation de notre réseau, fondé sur une vision prospective du monde, me soit présenté dans les prochaines semaines. J'en informerai naturellement vos commissions spécialisées. Je compte ensuite interroger les autres administrations de l'Etat présentes à l'étranger sur leurs projets dans ce domaine. Nous ne pouvons, en effet, rationaliser intelligemment notre présence que si toutes les administrations concernées le font en même temps.

J'ai également entrepris de moderniser en profondeur les méthodes de gestion de mon administration, et je poursuivrai cet effort sans relâche. Je remercie ceux d'entre vous qui le comprennent et le soutiennent.

Certes, je ne mésestime rien de ce qui a été engagé ou tenté dans ce domaine par certains de mes prédécesseurs, mais mon diagnostic est clair : les contraintes budgétaires durables qu'il nous faut affronter, les exigences nouvelles et justifiées de rigueur quant à l'argent public, la nécessaire réforme de l'Etat, y compris de ses administrations dites régaliennes, le développement des relations internationales des autres ministères ou de la société civile, la nécessité d'être mobiles, adaptables et réactifs, m'ont conduit, pour dire les choses simplement, à « changer de braquet ».

J'espère réussir à enraciner au ministère des affaires étrangères une vraie culture de gestion moderne, ce qui implique aussi d'accepter des évaluations, sur ce que nous faisons, ce qui marche, ce qui ne marche pas, afin d'en tirer des leçons pour améliorer la démarche elle-même.

Dans cet esprit, j'ai créé un comité de management, qui comprend tous les principaux responsables du ministère autour du nouveau secrétaire général, et que je réunis chaque mois. Avec ce comité, j'ai commencé à mettre en oeuvre les changements nécessaires, notamment dans le domaine du personnel et de la gestion.

Rénover la politique du personnel et de la formation, c'est favoriser la mobilité interne et externe, réformer les statuts et les corps, à la lumière, en particulier, de l'arrivée, au sein des affaires étrangères, des personnels de la coopération, et améliorer la formation. Tout cela est en cours.

Réformer la gestion, c'est déconcentrer les crédits, renforcer l'évaluation, améliorer la gestion quotidienne, introduire de façon accélérée les nouvelles technologies de l'information. Des initiatives nombreuses ont été prises depuis plusieurs mois. J'accélère ce mouvement. Les affaires étrangères ne sont pas uniquement une grande administration de l'Etat dépositaire d'une fonction régalienne éminente. Elles sont également un service public qui doit, qui peut contribuer d'une manière exemplaire à la réforme de l'Etat et à la recherche de l'efficacité.

J e m'attache en particulier à la restructuration complète de notre politique immobilière, qu'il s'agisse de la conservation du patrimoine exceptionnel dont nous sommes dépositaires et pour lequel j'ai créé une mission confiée à un spécialiste, ou de l'entretien, de la décoration des constructions nouvelles, notamment des ambassades. Après une étude approfondie, j'ai arrêté il y a quelques semaines un plan d'action global dans ce secteur, qui comprend une réforme des procédures et des modes de décision en vigueur, et l'appel à de nouveaux responsables.

Un mot enfin sur un secteur d'activité de mon département ministériel auquel, je le sais, vous êtes justement sensibles : l'administration des deux millions de Français de l'étranger. Un réel effort a été réalisé en faveur de la sécurité des communautés françaises à l'étranger, dont plusieurs crises en Afrique, en Indonésie ou ailleurs sont venues rappeler la nécessité. De nouvelles modalités ont été adoptées en matière d'adoption internationale, un site Internet d'informations pratiques pays par pays sera prochainement ouvert. Je ne saurais à ce propos trop vous engager à prendre connaissance régulièrement de ce site.

Toutes ces initiatives contribueront, je le souhaite, à améliorer la qualité du service rendu par le ministère des affaires étrangères à ses usagers.

Je rappelle, en outre, que le Gouvernement a assoupli la politique des visas au profit des milieux étrangers qui participent à la vitalité de notre influence et de notre rayonnement : universitaires, étudiants, hommes d'affaires, personnalités culturelles, et ce, bien entendu, sans remettre en cause la lutte contre l'immigration clandestine à laquelle participent nos services consulaires.

Toutes ces réformes seront patiemment poursuivies jour après jour car elles ne prendront tout leur sens que si elles finissent par créer de nouvelles mentalités.

J'en viens au budget proprement dit et à ses principales orientations, le premier budget unique « affaires étrangères-coopération ». Globalement, il s'agit d'un budget de reconduction, même si cela recouvre des évolutions différenciées entre la partie proprement « affaires étrangères », et celle relative à l'ancien périmètre du budget de la coopération.

Avec 20,7 milliards de francs, le projet de budget que je vous présente avec Charles Josselin s'inscrit, en effet, dans la continuité des moyens que vous avez votés l'an dernier, mais ce budget de consolidation comporte des choix clairs correspondant à plusieurs priorités marquées que nous finançons par des redéploiements. J'en donnerai devant vous quatre brèves illustrations, en revenant sur des sujets que j'ai déjà esquissés.

J'ai personnellement insisté, pendant la préparation de c e budget, sur l'importance que revêt pour notre influence dans le monde le maintien d'un effort public significatif en faveur de la coopération culturelle, scientifique et technique. C'est parfois contesté, et je le regrette, car nos actions de coopération dans ce domaine constituent l'indispensable accompagnement de notre diplomatie. Elles sont également le support de notre politique en faveur de la francophonie. Elles sont souvent, enfin, la condition préalable au succès de nos entreprises sur cer-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

tains marchés extérieurs, et les remarques de M. Loïc Bouvard à propos des pays de la CEI sont tout à fait exactes à cet égard. La culture est au coeur de la place de la France dans le monde. Or son poids dans l'ensemble du budget de l'Etat reste minime.

Après plusieurs années d'érosion continue, interrompue in extremis l'an dernier, j'ai à nouveau obtenu cette année la reconduction des moyens financiers affectés à ces actions. Pour lutter contre l'éparpillement, j'ai toutefois décidé d'amorcer, à partir de 1999, une réorientation et des redéploiements des crédits autour d'actions que je juge prioritaires.

Pour financer le plan d'action que j'ai présenté en conseil des ministres le 30 avril dernier, la politique audiovisuelle extérieure bénéficiera de plus de 130 millions de francs de mesures nouvelles. Le soutien à TV 5, dont la grille de programmes va être profondément remaniés sous l'impulsion de son nouveau président, M. Jean Stock, qui est en même temps président de CFI, et dont je salue devant vous le dynamisme et la créativité, l'aide à la montée sur satellites de nouvelles chaînes françaises, le soutien accordé à l'exportation de productions françaises constituent, je vous le rappelle, les trois axes de ce plan d'action. Au total, et pour la première fois, les moyens consacrés à l'audiovisuel extérieur par le ministère des affaires étrangères dépasseront le milliard de francs.

Après l'audiovisuel, la promotion de l'offre de formations supérieures françaises à l'étranger. Le marché de la formation supérieure est dorénavant devenu mondial et concurrentiel en même temps qu'il est un investissement stratégique. Regardez, par exemple, le rôle que jouent les universités américaines dans les mécanismes actuels d'influence mondiale des Etats-Unis.

M. Jacques Godfrain.

Très juste !

M. le ministre des affaires étrangères.

Si l'université française veut demeurer ou redevenir un centre d'attraction pour les jeunes élites étrangères, avec toutes les conséquences à en attendre pour notre pays, il est impératif de renforcer les actions de promotion internationale de notre enseignement supérieur.

M. Jean-Claude Lefort.

Et les bourses !

M. le ministre des affaires étrangères.

On en tient compte aussi dans le budget ! Il s'agira de mieux accueillir les étudiants étrangers, d'assouplir leurs formalités de visas, de mettre en place un nouveau programme de bourses d'excellence.

J'ai réservé à cet effet 55 millions de francs de moyens financiers nouveaux. Claude Allègre, avec qui cette politique est pensée et menée, et moi allons constituer dans les prochaines semaines un nouvel opérateur, l'agence

« EduFrance », dont la mission sera de relayer les efforts de nos deux administrations et des universités françaises pour assurer à l'étranger cette promotion de notre système d'enseignement supérieur. Certains d'entre vous ont approuvé cette démarche. Il fallait en effet prendre le taureau par les cornes pour assurer une meilleure organisation et une meilleure visibilité de la présence française en ce domaine, pour que les jeunes étrangers qui veulent venir voient les procédures simplifiées et ne soient pas découragés d'emblée comme c'était finalement devenu la règle.

J'ai enfin décidé que notre action culturelle devait obéir à des priorités géographiques plus claires et plus compréhensibles. Les plus expérimentés d'entre vous penseront que c'est une « Arlésienne ». Pourtant, l'une des tâches de la nouvelle direction générale devra être de travailler en permanence à leur définition et à leur adaptation avec tous les autres services du ministère, la réforme en cours visant également à établir des relations plus étroites et plus fécondes entre la nouvelle direction générale et les autres services du ministère, notamment les directions géographiques.

Naturellement, je parle de vraies priorités et non de celles que l'on accumule en telle quantité que ce mot perd toute signification. Le but est tout simple : il s'agit de savoir avec qui l'on coopère, avec quels moyens et dans quel but. Ainsi, en 1999, c'est la coopération avec les Etats-Unis, avec la Chine, à la suite notamment des déplacements du Président de la République et du Premier Ministre, avec les pays du Mercosur et, enfin, avec les grands pays de l'Afrique anglophone, Afrique du Sud et Nigeria en particulier, qui sera favorisée, les crédits d'aide au développement de l'ancien secrétariat d'Etat à la coopération restant bien sûr orientés en priorité vers nos partenaires traditionnels.

Ces orientations, qui me paraissent correspondre à des exigences largement ressenties, auront pour inévitable corollaire une diminution des moyens affectés aux autres types d'actions plus traditionnelles, mais je vous présente ici des priorités.

Le deuxième choix important de ce budget vise à permettre à notre pays de retrouver son influence dans le système multilatéral de l'ONU, grâce à la restauration du niveau de nos contributions volontaires. Vous avez relevé à juste titre le redressement du volume des contributions volontaires de la France aux organisations internationales, grâce à une mesure nouvelle très significative de 50 millions de francs, soit un accroissement de 25 % des crédits correspondants. Cette mesure était indispensable. Vous étiez nombreux à l'avoir réclamée. Votre commission des affaires étrangères, en particulier, en avait évoqué la nécessité dans le débat budgétaire de l'année dernière.

Alors que les négociations fondamentales se multiplient dans toutes les enceintes multilatérales, notre absence durable des fonds et programmes des Nations Unies financés sur contributions volontaires aurait pu conduire, si nous n'y prenions garde, à une marginalisation de notre pays sur ces terrains. Cet effort budgétaire sensible nous redonnera toute la crédibilité nécessaire pour peser de toute notre influence au sein de ces organismes.

Troisième priorité marquée, et que j'ai évoquée dans ma première partie : la solidarité envers nos compatriotes de l'étranger. Votre assemblée ne pourra qu'adhérer, j'en suis convaincu, à la décision du Gouvernement de décliner, au profit de nos communautés installées à l'étranger, les choix sociaux mis en oeuvre pour la collectivité nationale. Vous approuverez certainement l'effort sensible accompli au profit de l'enseignement français à l'étranger, dont les crédits, confiés à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, augmenteront de 5,4 %, avec un accent particulier sur les bourses scolaires pour lesquelles une mesure nouvelle de 20 millions de francs - plus de 10 % d'augmentation - est prévue ; ainsi, les familles françaises à l'étranger qui éprouvent des difficultés financières pourront continuer à scolariser leurs enfants dans le système éducatif français.

J'ai souhaité également que le devoir de solidarité à l'égard de nos compatriotes de l'étranger en situation sociale précaire puisse être mieux assuré. A cette fin, les crédits sociaux d'assistance seront eux aussi en croissance en 1999, de 10 %, grâce à une mesure nouvelle de 10 millions de francs.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

Vos rapporteurs ont souligné a la question sensible de l'évolution des effectifs diplomatiques et consulaires. Le projet de budget que nous vous présentons prévoit pour l'ensemble des services des affaires étrangères et de la c oopération une nouvelle tranche de suppression d'emplois à hauteur de 143 postes.

J'ai écouté avec attention les observations de vos rapporteurs sur les contraintes supplémentaires qu'allaient occasionner ces nouvelles réductions de postes, après tous les efforts déjà consentis au cours de ces dernières années depuis 1992, pour être plus précis. Comment ne pas comprendre vos inquiétudes sur ce plan ? M. Jean-Louis Bianco a même qualifié cet effort de réduction de « sans équivalent dans le reste de l'administration ». Compte tenu de la configuration actuelle de notre réseau à l'étranger, nous sommes probablement parvenus à une sorte de point limite. La poursuite d'un processus de réduction d'emplois appellerait inévitablement des décisions difficiles...

M. Jacques Myard.

C'est le discours de l'année précédente, monsieur le ministre !

M. le ministre des affaires étrangères.

... que - si je m'en tiens à ce que j'entends et à ce qui a été déclaré p ar les uns et les autres, personne ne souhaite -, à aucun niveau ni dans aucun parti.

Je suis prêt, comme je vous l'ai indiqué il y a un instant, à procéder à des aménagements en ce qui concerne ce réseau. Ceux-ci doivent toutefois découler d'une vision politique de l'évolution de notre présence à l'étranger et non d'une approche comptable.

Je souligne toutefois que le rapprochement entre les services des affaires étrangères et ceux de la coopération, par les gains de productivité qu'ils permettent d'espérer et les économies d'échelle attendues de cette réforme, permettra de réaliser plus facilement ces redéploiements.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je suis sûr que vous êtes convaincus, comme moi, de la nécessité de renforcer pour cette année 1999, dans un monde si compliqué et si instable, le caractère vigilant, global, inventif et mobile de notre diplomatie, j'ajouterai aussi « ambitieux », parce qu'il ne s'agit de rien de moins que de civiliser cette mondialisation, parfois si brutale.

Je vous ai dit comment j'agissais pour que l'outil diplomatique au service de ces objectifs soit de plus en plus performant et comment j'utilise à cette fin les moyens qui me sont donnés. Le projet de budget pour l'année 1999 représente une nouvelle étape. Je vous remercie de bien vouloir l'adopter, lorsqu'en fin de débat vous aurez à vous prononcer par un vote unique.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en arrivons maintenant aux questions.

Nous commençons par le groupe RPR.

La parole est à M. Bernard Schreiner.

M. Bernard Schreiner.

Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, la situation budgétaire du Conseil de l'Europe, et celle de l'Assemblée parlementaire en particulier, est des plus préoccupantes. En tant que président de la commission du budget et du p rogramme de travail intergouvernemental de cette assemblée, j'y suis confronté de manière aiguë.

Dans le budget du Conseil de l'Europe, dont je vous rappelle pour mémoire que les recettes sont constituées par les contributions des Etats membres, fixées par le comité des ministres, celui de l'Assemblée parlementaire ne représente que 8,42 %. Pour 1999, il sera même en recul et ne permettra pas de compenser l'inflation.

Cette somme allouée chaque année à l'assemblée parlementaire est fonction de son mandat statutaire d'origine.

Or ces dernière années, notamment à la suite des décisions du deuxième sommet des chefs d'Etat et de Gouvernement d'octobre 1997, force est de constater que ce mandat s'est considérablement élargi et que la configuration de l'Assemblée a changé : augmentation du nombre des commissions, d'invités spéciaux et d'observateurs.

Tout le monde s'accorde à considérer que ces modifications ont donné une énorme plus-value au travail du Conseil de l'Europe et ont permis d'enrichir les contenus de l'action politique menée.

Malheureusement, les moyens financiers sont encore, moins que par le passé, à la hauteur de la tâche demandée. Deux raisons à cela, premièrement le plafond budgétaire pour 1999 fixé à 1,34 milliard tient compte uniquement des effets de l'inflation, de la création de la Cour unique européenne des droits de l'homme, mais quasiment pas des crédits nécessaires pour la mise en oeuvre du sommet de 1997.

Deuxièmement, dans ce budget, les propositions budgétaires formulées par l'assemblée parlementaire, en ce qui concerne ses propres dépenses de fonctionnement sont, une fois de plus, restées lettre morte.

Monsieur le ministre, je ne doute pas que la France, au regard des engagements pris par le Président de la République et le Premier ministre, attache une grande importance au fait que le Conseil de l'Europe poursuive son action en fonction des objectifs fixés dans la déclaration finale du deuxième sommet de 1997 et mène à bien le plan d'action arrêté pour sa mise en oeuvre.

A court terme, la France est-elle prête, à l'instar de la Norvège, à consentir une contribution volontaire, à hauteur de 6 millions de francs, au budget du Conseil de l'Europe pour lui en donner les moyens et lui permettre d e faire face aux dépenses additionnelles du plan d'action ? N'oublions pas que nous avons la chance d'avoir le siège du Conseil de l'Europe à Strasbourg. A plus long terme votre gouvernement serait-il favorable à l'accroissement des pouvoirs budgétaires de l'assemblée qui, aujourd'hui, sont limités à l'adoption d'un avis non contraignant pour le comité des ministres ?

M. le président.

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre des affaires étrangères.

Le budget global du Conseil de l'Europe a énormément progressé ces dernières années. De 432 millions de francs en 1969, il est passé à 843 millions de francs en 1996 pour atteindre, en 1997, 975 millions de francs. Cette progression considérable s'explique par l'arrivée des nouvelles démocraties, en particulier, en 1996 par celle de la Russie. Elle est devenue un des cinq grands contributeurs - si elle est encore en mesure de payer, ce que je ne sais pas - avec la France, l'Allemagne, l'Italie et le Royaume-Uni.

Pour 1999, le secrétaire général a chiffré les besoins du budget ordinaire à 1 066 millions de francs en augmentation de 5,4 %. La France, en tant qu'un des principaux contributeurs, assume près de 13 % des charges ordinaires de l'organisation, soit 125 millions de francs environ et même 170 millions de francs si l'on ajoute notre contribution aux accords partiels, au budget des pensions et au budget immobilier. Notre pays apporte donc une contribution que je crois sérieuse, significative et même élevée.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

J'ajouterai, avant d'aller plus loin, qu'il conviendrait de connaître les résultats de l'effort de rationalisation, sur lequel un comité des sages a été chargé de réfléchir, qui passe par une restructuration d'ensemble. Le président de c e comité - M. Soares, l'ancien Président de la République du Portugal - doit présenter ce rapport au conseil des ministres le 4 novembre, c'est-à-dire dans deux jours.

Je crois honnêtement que nous faisons notre devoir.

M. le président.

La parole est à Mme Nicole Catala.

Mme Nicole Catala.

Monsieur le ministre, le 26 juillet dernier, ont eu lieu au Cambodge des élections législatives dont on a pu espérer qu'elles marqueraient la fin d'une période complexe et tourmentée qui durait depuis 1993. Le scrutin organisé cette année-là sous l'égide de l'ONU avait, certes, paru marquer le retour de la paix au Cambodge, après les terribles événements qui avaient déchiré ce pays. Malheureusement, à la suite du scrutin de 1993, un système particulier de répartition des responsabilités politiques entre les deux principales formations politiques au pouvoir a conduit à une situation très complexe et, rapidement, à des affrontements d'abord larvés, puis violents.

Cette situation a abouti, en juillet 1997, à un coup de force du second Premier ministre, M. Hun Sen, qui a accusé le prince Ranariddh, premier Premier ministre, d'avoir eu un comportement agressif et notamment d'avoir incorporé des Khmers rouges dans l'armée cambodgienne d'une manière tout à fait provocante. Bref, le Cambodge a connu en juillet 1997 un véritable coup d'Etat qui a abouti au départ à l'étranger de certains responsables politiques et qui a provoqué des morts.

Dans ces conditions, il a paru presque inespéré que des élections législatives puissent se tenir en juillet 1998.

Elles ont été activement préparées par les Cambodgiens eux-mêmes et les observateurs internationaux présents sur place ont estimé qu'elles s'étaient déroulées de façon régulière, sans pour autant pouvoir affirmer qu'aucune pression des autorités locales ne s'était pas exercée sur telle ou telle partie de la population. Les observateurs présents n'ont pu faire état que de ce qu'ils ont pu constater durant leur séjour et non ce qui avait pu se passer en amont, hors de leur champ d'investigation.

Mais depuis lors, monsieur le ministre, la situation s'est à nouveau fortement dégradée au Cambodge. Peu après ces élections, un tir aurait été dirigé contre l'une des demeures de M. Hun Sen sans faire de victimes. Au mois d'août, alors que le roi allait réunir à Siem Reap les dirigeants des formations politiques, une grenade aurait, semble-t-il - il faut toujours parler avec prudence des événements qui se déroulent au Cambodge -, été lancé contre M. Hun Sen.

Tout récemment encore, au moment où la première séance de la nouvelle assemblée allait se tenir, une nouvelle agression aurait été dirigée contre M. Hun Sen.

Ce dernier n'est pas en reste, si je puis dire, puisqu'il a fait arrêter ou a menacé d'arrestation certains de ses adversaires politiques. M. Sam Rainsy, l'un des leaders des partis d'opposition, serait actuellement toujours en Thaïlande. Le prince Ranariddh, quant à lui, est également parti à l'étranger. Ces personnes sont sous la menace d'une arrestation alors qu'elles ne sont, semblet-il, aucunement responsables des événements qui se sont produits.

La situation politique est par ailleurs complètement bloquée, puisque M. Hun Sen ne peut pas constituer un gouvernement. Il a certes obtenu soixante-deux sièges à l'Assemblée, mais il lui en faudrait quatre-vingt-deux pour avoir l'investiture ; le roi lui-même n'arrive pas à obtenir que les partis d'opposition entrent dans un gouvernement de coalition.

M. le président.

Madame Catala, veuillez conclure.

Mme Nicole Catala.

J'en viens à ma question.

(« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme Nicole Bricq.

Enfin !

Mme Nicole Catala.

C'est une situation préoccupante, madame, qui met en cause les droits de l'homme. Les cambodgiens ont malheureusement vu beaucoup de sang versé depuis quinze ans. Si vous l'ignoriez, je vous l'apprends.

M. Maurice Adevah-Poeuf.

Personne ne l'ignore !

Mme Nicole Bricq.

Merci de la leçon !

M. le président.

Laissez Mme Catala poser sa question, s'il vous plaît.

Mme Nicole Catala.

Monsieur le ministre des affaires étrangères, que fait la France, qui a été coprésidente de la Conférence de Paris et qui, à ce titre, a une responsabilité particulière à l'égard du Cambodge, d'une part, pour aider au déblocage de la situation politique et, d'autre part, pour faire en sorte que les droits de l'homme soient respectés ? Je mentionnerai en particulier le cas de M. Kem Sokha, président de la commission des droits de l'homme dans la précédente assemblée, qui est actuellement empêché de quitter le territoire cambodgien.

Monsieur le ministre, la France fait-elle quelque chose pour que la démocratie soit rétablie au Cambodge ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Messieurs les ministres, mes chers collègues, je vous rappelle que les questions doivent être posées en deux minutes et les réponses faites en trois minutes. Je vous demande de respecter vos temps de parole.

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre des affaires étrangères.

Madame Catala, je ne reviendrai pas sur l'analyse de la situation que vous venez de faire avec précision. Ainsi que vous le savez, puisque vous vous êtes rendue sur place et que vous y avez réalisé un important travail, la France n'a pas cessé d'agir depuis la crise de juillet 1997 pour que cette situation désolante trouve une issue politique, de manière pacifique et démocratique. Pour diverses raisons, à la fois historiques et diplomatiques, que vous avez rappelées, nous sommes très engagés dans ce pays et nous essayons d'agir en liaison avec nos partenaires européens et avec les pays de l'ASEAN.

uvrer pour la mise en place d'un cadre juridique afin que les élections puissent avoir lieu nous a semblé constituer le centre de l'action souhaitable. Et finalement, d'une façon presque surprenante, comme vous le disiez vous-même, des élections ont pu avoir lieu ; elles ont été jugées libres et équitables par le groupe des observateurs internationaux, alors qu'elles étaient sous la responsabilité des seules autorités cambodgiennes, à la différence des élections de 1993 qui avaient été organisées par les Nations Unies. Il s'agissait d'un élément prometteur qui n'a, jusqu'à présent, abouti à des résultats suffisants : il faudrait que cette nouvelle assemblée dispose d'une majorité des deux tiers pour débloquer politiquement la situation et aucun des partis n'en dispose pour le moment.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

Que faisons-nous ? D'abord, nous sommes en relation avec les différentes forces politiques au Cambodge, nous les incitons à trouver un accord politique parce que ce n'est pas par la force, ou en reprenant les affrontements, qu'ils aboutiront à une solution durable. Nous apportons surtout notre entier soutien aux efforts déployés par le roi Sihanouk, non seulement en raison de son prestige personnel mais aussi parce que la Constitution lui confère un rôle d'arbitre suprême, en vue d'assurer le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. C'est donc à lui qu'il incombe d'essayer de rassembler les éléments pour que les pouvoirs publics puissent fonctionner.

Il a obtenu quelques résultats, puisque l'Assemblée nationale a pu se réunir une première fois le 24 septembre et que les parlementaires ont pu prêter serment. Nous espérons qu'il en obtiendra d'autres. Nous n'avons pas d'autre moyen puisqu'il nous faut demeurer sur ce terrain diplomatique de l'amitié franco-cambodgienne et de la persuasion.

Dès que le nouveau gouvernement cambodgien sera formé, nous pourrons traiter les problèmes en suspens, c'est-à-dire la question du siège aux Nations Unies, de l'entrée dans l'ASEAN...

Mme Nicole Catala.

Des droits de l'homme !

M. le ministre des affaires étrangères.

... et du développement économique qui est lié naturellement aux droits de l'homme. En effet, on ne pourra jamais travailler sérieusement sur la protection des droits de l'homme dans ce pays si on ne recrée pas un cadre institutionnel qui fonctionne et une perspective de développement économique, tout cela étant étroitement lié.

Nous y travaillons. Dans notre politique, le rôle du roi est tout à fait central.

Mme Nicole Catala.

La liberté d'aller et venir devrait être protégée !

M. le président.

Nous en arrivons au groupe Démocratie libérale.

La parole est à M. Charles Ehrmann.

M. Charles Ehrmann.

Ma question a trait à la réforme des institutions de l'Europe des Quinze, avec une donnée nouvelle : l'Allemagne a changé, beaucoup changé.

Trop de Français oublient que, depuis 1515, c'està-dire depuis François Ier , la France et les Etats allemands ont été en guerre, en moyenne, tous les vingt-trois ans avec des millions de morts, mais que, depuis 1945, soit depuis plus d'un demi-siècle - c'est un orphelin de la guerre 14-18, qui vous parle - la France et l'Allemagne sont en paix.

L'Europe des Quinze, c'est avant tout la paix ; c'est aussi la richesse : les Quinze réalisent 70 % de leur commerce extérieur entre eux. Au plan social, le niveau de vie a triplé en francs constants et les Etats sont devenus des Etats-providences qui devront cependant résoudre le problème des dix-huit millions de chômeurs.

Cette Europe des Quinze est aujourd'hui à la croisée des chemins. En dehors du problème posé par une nouvelle Allemagne devenue plus berlinoise, moins sentimentale que celle du chancelier Kohl - rappelons-nous Mitterrand et Kohl à Verdun -, le grand problème est celui de l'élargissement à vingt ou à vingt-cinq voulu par l'Allemagne et la majorité des Quinze, préalablement à celui de la réforme des institutions, voulue par la France et soutenue à Amsterdam par la Belgique et l'Italie.

Et pourtant ces institutions faites pour six Etats, obsolètes pour quinze, seront inutilisables à vingt.

Elargir c'est d'abord, poser le problème de la politique agricole commune, de la contribution des pays anciens et nouveaux, de la concurrence des pays moins évolués socialement.

Certes, c'est créer une grande zone de libre-échange économique, d'union monétaire, mais, par contre, c'est se contenter d'une Europe faible, toujours obligée de faire appel aux Etats-Unis.

En revanche, réformer d'abord les institutions - malgré les échecs de la conférence intergouvernementale - c'est créer une Europe politique, économique, sociale, militaire réglant seule ses problèmes intérieurs et capable, au troisième millénaire - de tenir tête aux grands Etats américains et asiatiques.

Sommes-nous, monsieur le ministre, sur le bon chemin ?

M. le président.

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre des affaires étrangères.

Monsieur le député, toute notre politique va dans le sens que vous avez indiqué et bien résumé dans votre question.

Nous avons devant nous de nombreuses échéances.

Dans l'histoire de l'Union européenne, il est rarement arrivé qu'il y ait autant de décisions difficiles à prendre en même temps dans un laps de temps aussi court. Nous devrons trouver le plus rapidement possible la moins mauvaise solution possible pour l'Agenda 2000, avant de pouvoir nous attaquer aux autres sujets.

Là où le dilemme que vous exposez se présente de la façon la plus frappante, c'est entre l'approfondissement et l'élargissement. Nous avons ouvert des négociations pour un processus d'élargissement avec six pays, mais beaucoup d'autres attendent à la porte. D'ailleurs, ces négociations sont également compliquées pour les pays sollicitant leur adhésion à l'Union car elles impliquent un effort d'adaptation considérable de leur part.

Nous sommes évidemment favorables à l'élargissement pour des raisons historiques, démocratiques et de civilisation évidentes, mais nous voulons qu'il soit bien mené, bien fait, que les négociations soient sérieuses et que tous les problèmes de nature à compliquer ou à empoisonner la vie de l'Union européenne soient réglés avant l'entrée de ces pays dans l'Union. C'est notre intérêt, car nous voulons que celle-ci puisse continuer à fonctionner. C'est leur intérêt, car s'ils veulent entrer dans l'Union, c'est parce qu'elle est riche, qu'elle a des politiques communes, qu'elle fonctionne et qu'elle se développe ; ils n'ont pas intérêt à entrer dans une Union qui serait affaiblie ou paralysée par leur entrée.

Cela suppose que l'on réforme les institutions. Vous y avez fait allusion, c'est la clé du problème.

Nous avons fait des suggestions pragmatiques qui permettent de mieux faire fonctionner le conseil des affaires générales, la Commission et le Conseil européen sans même toucher aux traités. Nous en avons proposé d'autres, plus importantes, avec nos amis italiens et nos amis belges - et nous savons que plusieurs autres pays européens les partagent en tout ou partie, même s'ils ne veulent pas le faire savoir trop tôt - pour que l'on réforme les institutions sur certains points clés, comme le vote à la majorité qualifiée et l'organisation de la Commission.

Comme je l'ai dit dans mon intervention, la France propose, innove, mais elle ne peut pas imposer à ses partenaires. Elle peut tenter de convaincre, de persuader, et c'est ce que nous faisons en permanence.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

En tout cas, il est déjà évident pour nos partenaires que nous n'accepterons pas un nouvel élargissement s'il n'est pas précédé d'une réforme des institutions propre à nous garantir que l'Union ne va pas vers la paralysie ou la dilution mais, au contraire, vers son renforcement. La politique française est claire, aucun de nos partenaires ne peut douter de notre démarche. D'ailleurs, ils sont tous de plus en plus convaincus du bien-fondé de cette dernière !

M. Jean-Claude Lefort.

Et si Amsterdam passe ?

M. le président.

Nous en venons au groupe UDF.

La parole est à M. Jean-Jacques Weber.

M. Jean-Jacques Weber.

Monsieur le ministre, le dossier de l'immigration dans notre pays ne se limite pas à la vingtaine de personnes qui suivent une grève de la faim dans une mairie de la région parisienne et pour lesquelles j'ai beaucoup de compassion. Il reste un dossier explosif et désastreux au plan humain. Il faut l'aborder avec le coeur, donc avec humanité, et avec la raison, donc avec rigueur, car on ne peut pas tolérer que les désordres actuels continuent.

Avec le coeur, disais-je, car, quoi que l'on fasse aujourd'hui, les immigrés sont là, en nombre imposant. Je me suis laissé dire qu'ils sont plus de 10 000 dans le HautRhin, la plupart à Mulhouse et dans son agglomération.

Je parle bien entendu des sans-papier, de ceux qui, Algériens, Tunisiens, Marocains, Polonais, Serbes, Croates, Russes, Comoriens sont venus en France attirés par l'espoir d'y partager quelques miettes de notre eldorado.

Comment faire le procès de ceux qui, tenaillés par le besoin, ont sauté dans une clandestinité qui leur permet au moins de manger à leur faim et de faire manger leurs enfants peut-être ? Traquons leurs vils exploiteurs et régularisons ces immigrés au plus vite. Le bon sens et le coeur le commandent.

Mais, monsieur le ministre, la raison doit aussi s'imposer. Rendons en même temps impossible toute arrivée de nouveaux clandestins. Et si j'en parle dans cette enceinte, réservée davantage aux grandes envolées sur la politique internationale et la stratégie mondiale, c'est que le problème est au moins international et que les affaires étrangères et les affaires européennes ont, à mon avis, un rôle capital à jouer.

D'abord, il faut informer activement les populations des pays pauvres sur les conditions d'accueil en France.

Nos ambassades et nos consulats doivent pourvoir à cette tâche.

Ensuite, il convient d'ouvrir partout, et pas seulement dans les capitales, des écoles françaises des instituts, et de donner des moyens à ceux qui existent. Les jeunes doivent être formés, initiés à notre langue, à notre esprit de tolérance et à notre culture ; ils doivent aussi être formés aux métiers dont leur pays a besoin pour son développement. Il faut également fixer un numerus clausus de personnes qualifiées, autorisées sous condition à venir travailler en France pour une durée déterminée, si cela est nécessaire.

Mais, pour cela, une règle impérative et préalable doit s'imposer à tous : tout hôte sans papier sera, après une date qui reste à fixer, reconduit chez lui sans pitié, sans délai et sans atermoiement. Comment y parvenir ? En l'identifiant de façon formelle et sûre. Pour cela, il existe un moyen qui se révèle le plus fiable parmi tous ceux qui ont été expérimentés : le système EURODAC, qui permet la comparaison des empreintes digitales. Ce système est proposé depuis 1996 par l'Europe pour améliorer le fonctionnement de la convention de Dublin de 1996, entrée en vigueur le 1er septembre 1997, relative à la détermination de l'identité de l'Etat membre de l'Union européenne responsable d'une demande d'asile.

Le système EURODAC permettra de vérifier facilement et rapidement si une personne a déjà présenté une demande d'asile dans un pays membre et d'éviter que p lusieurs pays membres examinent en parallèle les demandes d'asile présentées par une même personne. Il permettra aussi d'éviter que le demandeur d'asile ne soit renvoyé successivement d'un Etat membre à l'autre, comme c'est souvent le cas aujourd'hui. Mais il permettra surtout, à mon avis, de déjouer les identités multiples et les récidives, de lutter contre les filières d'immigration clandestines, grâce à une banque de données accessible par tous les pays membres. Le système permettra également de retrouver des personnes ayant commis des délits et rendra impossible le fait qu'une personne puisse recevoir des soins dans un hôpital en se servant de l'identité d'une autre en situation régulière et assurée sociale - ce qui est encore fréquent.

Vous savez, monsieur le ministre, que ce projet de fichier d'empreintes digitales des étrangers en situation irrégulière est également débattu au sein du comité exécutif de Schengen et que la question du siège d'EURODAC est toujours pendante.

J'aimerais donc savoir comment vous-même et vos services appréhendent cet aspect du problème de l'immigration, et si vous êtes favorable ou non à EURODAC.

Dans l'hypothèse où vous le seriez, quand la France rejoindra-t-elle les autres pays, en particulier l'Allemagne et l'Autriche, dans ce projet ?

M. le président.

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre des affaires étrangères.

Monsieur le député, j'ai écouté avec attention vos propos, qui constituent en quelque sorte un exposé d'ensemble sur ce que devrait être selon vous une politique d'immigration. Il s'agit d'une question qui ne concerne qu'en partie mon département ministériel, lequel travaille sur ce point avec d'autres, notamment le ministère de l'intérieur. Au fond, c'est l'ensemble du Gouvernement qui est concerné.

Nous sommes tous à la recherche d'une politique d'immigration qui soit républicaine, humaine et équilibrée, qui permette de garantir le droit d'asile chaque fois qu'il est valablement invoqué, d'accueillir le mieux possible ceux que nous pouvons accueillir légalement - parce qu'il ne serait pas charitable de laisser venir chez nous des gens que nous sommes pas en état de recevoir dans des conditions décentes - et de les aider à s'insérer.

Sur le plan européen, notamment dans le cadre des accords de Schengen, dont l'application s'accélère régulièrement - mais, sur ce point, je ne veux pas m'engager sur un dispositif précis sans avoir eu une concertation avec mes collègues les plus directement concernés -, nous recherchons une procédure permettant de savoir au plus tôt, le mieux possible, dans le respect des droits des uns et des autres, les personnes qui peuvent être accueillies et celles qui ne le peuvent pas, afin que les délais soient de moins en moins longs, que des incertitudes ne subsistent pas, que les mauvais traitements soient évités. Par conséquent, nous recherchons une procédure pour que ne viennent en Europe, dans des proportions variables selon les moments, la conjoncture, l'économie, que ceux qui sont sûrs d'y recevoir un bon accueil.

Il me semble que, après de longues périodes où ces sujets ont été traités avec autant plus d'affrontements et de véhémence que l'ensemble des dispositions pratiques


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

étaient mal comprises ou mal connues, les pays appartenant à l'espace Schengen se rapprochent peu à peu, étape après étape, d'une sorte de consensus européen sur la façon dont il faut traiter les personnes en question. En tout cas, elles doivent être traitées avec une extrême dignité.

Les dispositifs techniques auxquels vous faites allusion peuvent dans certains cas faciliter les choses, après un examen attentif.

Donc, je réserve ma réponse sur ce point, car il ne s'agit pas d'un dossier que j'ai eu personnellement à gérer. Toutefois, j'ai cru devoir rappeler les idées générales qui sont les nôtres en la matière et qui, je le crois, sont largement comprises dans cet hémicycle.

M. le président.

La parole est à M. Michel Voisin.

M. Michel Voisin.

Monsieur le ministre, à la suite de la proposition de règlement du Conseil relatif à la coopération financière et technique avec les territoires occupés qu'a reçue la délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne, et à la suite de la mission que la commission des affaires étrangères a effectuée en septembre dernier à Gaza en en Cisjordanie, mission à laquelle assistait notre collègue Bernadette Isaac-Sibille, il apparaît nécessaire de dresser un bilan et de s'interroger sur la place de l'Union européenne et de la France dans le processus de paix, et ce de façon encore plus aiguë après les accords de Wye Plantation.

Lors de la conférence des donateurs tenue à Washington en octobre 1993, un plan international de développement de l'économie palestinienne sur cinq ans avait été décidé pour un montant de 2,4 milliards de dollars.

L'Union européenne avait décidé d'y participer à hauteur de 500 millions d'écus. Aujourd'hui, le soutien international à l'économie palestinienne s'élève à 2,8 milliards de dollars. L'Europe représente 54 % de cette aide, alors qu'elle ne devait y contribuer que pour 38 %. Les EtatsUnis avaient promis d'en financer 27 % ; ils n'y participent que pour 10 %. Pourtant, la situation des Palestiniens est aujourd'hui plus défavorable qu'il y a cinq ans. Le PNB par habitant a reculé de 35 % depuis 1992, et la politique de bouclage des territoires occupés par Israël a entraîné des pertes du PNB allant jusqu'à 7 % par an.

La participation de la France apparaît d'autant plus nécessaire que l'Union européenne a révisé son aide à la baisse. La France peut-elle accepter cette diminution de crédits et ce doute implicite jeté sur l'avenir du processus de paix, sans remettre en cause ses choix politiques dans cette région ? Par ailleurs, la proposition de règlement E 1125 ne reprend pas l'expression « territoires occupés », mais se prévaut des accords d'Oslo pour limiter son aide à la Cisjordanie et à la bande de Gaza.

Monsieur le ministre, mes questions sont les suivantes : Quelle est l'interprétation de la France concernant cette correction ? Cette correction induit-elle une révision de la politique européenne quant à l'objectif final du processus de paix, à savoir la naissance d'un Etat palestinien ? L'aide propre de la France au processus de paix se conformera-t-elle aux limites géographiques définies par la proposition européenne ? L'alignement possible de la France sur la proposition européenne ne signifie-t-il pas la fin d'une certaine politique française dans cette région, en contradiction avec la récente initiative franco-égyptienne appelant à une conférence de paix régionale, dont personne ne parle plus et qui serait pourtant, pour notre pays, l'occasion de définir une politique générale avec le Liban, la Syrie, la Jordanie, Israël et la Palestine ?

M. le président.

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre des affaires étrangères.

Monsieur le député, l'engagement de la France pour tenter d'aboutir un jour à une solution équitable au Proche-Orient, qui permettrait aux Israéliens, aux Palestiniens, aux Libanais, aux Syriens, aux Jordaniens et aux autres de cohabiter en paix, est connu depuis des années.

Il n'en reste pas moins que la plupart des accords politiques ou des percées diplomatiques depuis vingt ou trente ans se sont effectués sous la pression des EtatsUnis, quand ceux-ci ont voulu s'engager dans telle ou telle conjoncture. L'opinion est impressionnée par les récents accords de Wye Plantation, mais ce n'est pas un élément nouveau pour ceux qui connaissent l'histoire du Proche-Orient.

Cela ne signifie pas non plus que l'action bien réelle de la France ait été inutile. Pendant des années, elle a consisté à renforcer dans chaque camp ceux qui avaient une approche de paix plutôt que ceux qui avaient une approche de conflit et de revanche. Cette démarche a été indispensable.

Depuis vingt ou trente ans, notamment par le biais de ses présidents successifs, la France a contribué, comme aucun autre pays, à préparer les évolutions, à acclimater certains concepts et à ramener la discussion sur le terrain de la diplomatie et de la politique. Notre pays a été conceptuellement précurseur et a aidé les gens de bonne volonté dans chaque camp.

Après quoi, les choses se déroulent en fonction de la réalité des rapports de force dans le monde à un moment donné. Mais cela ne veut pas dire que la France n'ait plus aucun rôle à jouer. Les engagements de Wye Plantation sont ainsi bien difficiles à traduire dans les faits, et naissent dans des conditions d'une extrême fragilité.

Nous avons donc un rôle très important à jouer au côté de ceux des Israéliens qui veulent vraiment les appliquer, au côté de ceux des Palestiniens qui veulent vraiment les appliquer et au côté des autres pays de la région pour entretenir cette espérance, qui semble renaître après un an et demi de blocage, pendant lequel, en effet, vous le rappeliez à juste titre, le niveau de vie en Cisjordanie s'est effondré d'à peu près 40 %. Nous avons un rôle très important à jouer pour accompagner cette relance si elle se vérifie. Et nous y travaillons.

En ce qui concerne l'aide, l'Union européenne, qui a agi avec beaucoup d'humanisme et avec une grande élégance, fournit 60 % de l'aide que reçoivent les Palestiniens par différents canaux. Nous allons continuer dans cette voie. Mais nous voulons que cette aide soit utile.

Nous voulons qu'elle serve à consolider ce qui, peu à peu, commence à ressembler à ce que sera demain un

Etat palestinien. Telle est notre politique. Ses fondements ne sont modifiés en rien. Au sein de l'Union européenne, nos partenaires se rapprochent peu à peu de notre façon de voir, de notre analyse, de notre vision de l'avenir d'un Proche-Orient réconcilié ; s'il y a une évolution des positions, elle n'a pas lieu dans l'autre sens.

Je vous rassure, monsieur le député, c'est bien sur cette base que nous voulons travailler. Les difficultés à propos du Proche-Orient sont toujours suffisamment nombreuses que nous ayons encore beaucoup d'énergie à déployer.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

M. le président.

Nous en avons terminé avec les questions.

Les crédits inscrits à la ligne : « Affaires étrangères et coopération : I.

Affaires étrangères » seront appelés à la suite de l'examen des crédits de la coopération.

Toutefois, en accord avec la commission des finances, j'appelle maintenant l'amendement no 48 de M. Myard qui porte sur le titre IV de l'état B.

M. Myard a présenté un amendement, no 48, ainsi rédigé :

« Sur le titre IV de l'état B concernant les affaires étrangères et la coopération, supprimer la mesure nouvelle : "- 506 251 868 francs". »

La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard.

Un adage circulait à Berlin selon lequel c'était au pied du mur qu'on voyait le maçon.

(Sourires.)

Certains collègues des affaires étrangères avec lesquels j'étais en poste savent de quoi je veux parler.

Cet amendement tend à supprimer une suppression de crédits. Compte tenu de l'article 40 de la Constitution, donc compte tenu du fait que les parlementaires ne peuvent accroître les dépenses ou créer des charges nouvelles, il faut bien un peu ruser ! Par cet amendement, je propose de rétablir, dans le titre IV, qui est l'instrument des affaires étrangères pour agir en matière de coopération internationale, des crédits qui ont été malencontreusement supprimés par Bercy.

En cette affaire, je pense que nous avons une position quasi unanime, chacun ayant déploré le manque de moyens de votre budget, monsieur le ministre. Vousmême n'en disconvenez pas en faisant remarquer que c'est la dernière année où cela se produira, que l'an prochain ce ne sera plus le cas. Mais nous vous avions déjà entendu sur ce thème, l'an dernier, comme vos prédécesseurs d'ailleurs, les années précédentes.

Comme chat échaudé craint l'eau froide, je préfère agir dès maintenant et faire passer un message clair. Et je sais que cet amendement aurait pu, au-delà des clivages et des options partisanes, être cosigné par notre collègue JeanLouis Bianco par exemple. D'ailleurs, je sens qu'il va immédiatement lui apporter son soutien ! (Sourires.)

Il est de l'intérêt de la représentation nationale de dire nettement que trop, c'est trop et qu'il convient maintenant de redresser la barre s'agissant des moyens mis à disposition du ministre des affaires étrangères. Il ne faut pas dire : « l'année prochaine, à Jérusalem » (Sourires.)

Non, il faut dire : « maintenant ! » Je souhaiterais qu'au-delà des clivages partisans, qu'audelà des options de chacun que je respecte - au demeurant, nous sommes souvent d'accord sur ce point d'un bout à l'autre de l'hémicycle -, nous faisions passer le message net et fort que nous voulons rétablir des crédits de budget du ministère des affaires étrangères, car il en va de la volonté de la France d'exister sur le plan international et de s'en donner les moyens ! La France a une politique de coopération internationale, elle défend - et ce, quel que soit le gouvernement, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre des objectifs de paix au Proche et au Moyen-Orient, elle a la volonté d'aider l'Afrique à se sortir de la situation dans laquelle elle se trouve. Eh bien, donnons-nous-en les moyens. Ce que nous ferons aujourd'hui, ce que nous dépenserons à cette fin, nous ne le paierons pas demain, dans des conditions qui risquent d'être catastrophiques pour l'ensemble de notre continent et de la France en particulier.

J'en appelle à un devoir de ressaisissement de notre assemblée. Je souhaiterais qu'elle adopte de façon unanime cet amendement. Ce serait un signal fort, et nous aurions fait oeuvre utile ce soir.

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur spécial, pour donner l'avis de la commission sur l'amendement no

48.

M. Yves Tavernier, rapporteur spécial.

Monsieur Myard, vous êtes un incorrigible récidiviste.

M. Jacques Myard.

Mieux vaut se répéter que se contredire, cher collègue !

M. Yves Tavernier, rapporteur spécial.

Oui, mais la répétition peut devenir de l'entêtement ! Je rappellerai simplement que, il y a deux ans, vous aviez fait la même proposition au gouvernement que soutenait une autre majorité dont vous étiez l'un des membres,...

M. Jacques Myard.

C'est bien la preuve qu'il ne s'agit pas d'une proposition partisane !

M. Yves Tavernier, rapporteur spécial.

... et que vous n'aviez pas eu beaucoup de succès.

Vous avez recommencé l'an dernier en proposant d'affecter les crédits rétablis à l'audiovisuel.

Cette année, vous changez votre fusil d'épaule, dans la mesure où vous semblez avoir été entendu, puisque les crédits concernant l'audiovisuel ont fortement augmenté.

Vous nous proposez, pour alimenter le titre IV, c'est-àdire pour augmenter les crédits affectés à la coopération pour le développement, de supprimer certaines mesures nouvelles négatives.

M. Jacques Myard.

Moins par moins égal plus !

M. Yves Tavernier, rapporteur spécial.

La démarche est sympathique, mais j'ai le sentiment que vous ne proposez pas d'affecter les crédits au meilleur endroit.

La politique de la France en matière de coopération pour le développement est en effet l'une des plus remarquables qui soit.

M. Jacques Myard.

Elle baisse !

M. Yves Tavernier, rapporteur spécial.

Vous avez observé que la coopération culturelle, scientifique et technique voit ses crédits croître. Et je vous indique, si vous ne le savez déjà, que, en matière de coopération pour le développement, la France est le deuxième contributeur mondial.

M. Jacques Myard.

Les crédits reculent de 500 millions !

M. Yves Tavernier, rapporteur spécial.

Ecoutez si vous voulez comprendre ! Nous consacrons plus de 0,45 % de notre produit national à la coopération pour le développement.

Donc, pour toutes ces raisons, monsieur Myard, nous ne pouvons vous suivre.

Cela dit, la commission des finances ne s'est pas prononcée sur l'amendement puisqu'elle n'a pas eu à l'exam iner. Toutefois, à titre personnel, je demande à l'Assemblée de le rejeter.

M. le président.

Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. le ministre des affaires étrangères.

Monsieur Myard, je dirai à mon tour que l'amendement procède d'une démarche sympathique. En tant que ministre, je ne peux qu'être sensible à la sollicitude qu'ont exprimée tour


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

à tour les rapporteurs et les orateurs, et que vous-mêmes exprimez sous une forme que, chaque année, vous affectionnez et qui traduit votre préoccupation que nous disposions des moyens nécessaires.

Je vois dans cet amendement un signe de l'attachement du Parlement et de vous-même aux actions que nous menons, en particulier par le biais de la direction générale des relations culturelles, scientifiques et techniques et que nous mènerons demain avec la nouvelle direction générale de la coopération internationale du développement. Je ne peux donc qu'être touché par la philosophie qui anime votre démarche.

M. Tavernier a exposé avec beaucoup de bon sens et de justesse la façon dont le problème se pose.

Cela étant, j'ai exposé tout à l'heure en quoi le budget des affaires étrangères me semblait disposer des moyens nécessaires pour que nous travaillions dans le sens des priorités que j'ai énoncées avec plus de clarté que cela n'était fait d'habitude. Nombre d'entre vous l'ont d'ailleurs relevé et je les en remercie. J'ajoute que ces priorités m'ont paru recueillir un large assentiment, qu'il s'agisse de l'audiovisuel extérieur, dont vous vous préoccupiez l'an dernier, d'une offre de formation supérieure ou des nouvelles priorités géographiques.

Nous avons donc répondu à votre attente de l'an dernier. J'espère que, l'an prochain, nous répondrons à votre attente d'aujourd'hui.

M. Jacques Myard.

L'année prochaine à Jérusalem !

M. le ministre des affaires étrangèrs.

Nous avons pris de vraies décisions, exprimé de vraies priorités et procédé à de vrais redéploiements que nous avons le courage d'assumer.

Pour toutes ces raisons, j'invite au nom du Gouvernement l'Assemblée à rejeter votre amendement, même si je comprends la philosophie qui l'inspire et si je retiens certains de vos arguments car ils nous seront utiles dans notre démarche.

M. le président.

La parole est à M. François Loncle.

M. François Loncle.

Nous apprécions tous depuis longtemps l'esprit facétieux de notre collègue Jacques Myard, qui suscite notre sympathie. Je dirai cependant que la technique parlementaire qui lui permet de déposer un tel amendement s'apparente un peu à l'esprit, et c'est un compliment, de Pierre Dac.

Car enfin, monsieur Myard, vous voulez non pas supprimer une suppression, mais supprimer une diminution en supprimant une augmentation.

M. Jacques Myard.

Mais non !

M. François Loncle.

Nous ne pouvons vous suivre.

Je retiendrai simplement, monsieur le ministre, en précisant dès à présent que mes collègues et moi-même voterons contre l'amendement, que vous avez exprimé votre volonté de mettre fin à l'érosion que nous déplorons depuis 1992. C'est pourquoi, et au-delà de notre groupe, nous serons à vos côtés car c'est d'un commun accord que nous voulons que les moyens budgétaires de la France correspondent à la politique qu'elle mène !

M. le président.

Je rappelle que moins par moins donne plus ! (Sourires.)

La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard.

Monsieur le ministre, c'est gentil de votre part que de m'octroyer de la sympathie. Mais quant à moi, je veux être efficace plutôt que facétieux.

A l'instant où vous commenciez à me répondre, le président Lang entrait dans l'hémicycle. Il devrait mettre son poids dans la balance.

Nous devons envoyer un message fort, dans la perspective de la bataille que vous allez mener avec le ministère des finances, dont notre rapporteur spécial respecte l'orthodoxie - que dis-je ? le dogme, ce qui n'est pas pour m'étonner.

Il y a un moment où il faut savoir être indiscipliné et prendre ses responsabilités. Disant cela, je m'adresse à chacun de mes collègues car ils savent que c'est là le meilleur moyen de vous aider : dans un premier temps, il faut frapper fort, alors même que l'on sait qu'interviendra une deuxième lecture.

Vous avez eu l'amabilité de rappeler que je n'ai jamais, en ce qui me concerne, changé de position, quel que soit le ministre en place, dont je comprends les difficultés.

Pour une fois, le Gouvernement pourrait s'en remettre à la sagesse de l'Assemblée. Cela nous permettrait de vous donner un sérieux coup de main, monsieur le ministre !

M. le président.

Je mets aux voix l'amendement no

48. (L'amendement n'est pas adopté.)

COOPÉRATION

M. le président.

Nous abordons l'examen des crédits du ministère des affaires étrangères concernant la coopération.

La parole est à M. le rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Maurice Adevah-Poeuf, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Monsieur le président, mesdames, messieurs, nous assistons aujourd'hui à une grande première : le ministre des affaires étrangères et le ministre délégué à la coopér ation et à la francophonie assistent tous deux à notre discussion budgétaire. Nous le devons, chacun le sait, à la petite révolution qui est intervenue il y a quelques mois, après des décisions politiques et des arbitrages compliqués et difficiles, et plus de dix ans de discussions stériles.

Plus encore que la réforme, c'est l'évolution doctrinale que celle-ci traduit qui nous paraît importante. Et tout cela est beaucoup plus exaltant que l'analyse des crédits, qui l'est relativement peu.

Je regretterai au passage que M. Myard soit déjà parti, sans doute pour façonner l'un de ses amendements si précis et parfaitement compatibles avec l'application stricte de l'article 40, mais dont il n'ignore pas qu'il sont complètement inefficaces car, à ma connaissance, aucun amendement de ce type n'a jamais été voté par aucune majorité. Son souci d'efficacité me semble donc plus incantatoire que réel.

Les crédits qui nous sont soumis ne sont pas très bons, qu'il s'agisse de l'ensemble des affaires étrangères ou simplement de sa composante « coopération ». Sur tous les bancs nous constatons que les affaires étrangères ne sont encore pas cette année une priorité budgétaire. Il serait bon que, dès l'année prochaine, un effort significatif de nature politique soit réalisé pour qu'elles le redeviennent, faute de quoi s'instaurerait très vite un flagrant décalage entre le discours de grande puissance que la France continue de tenir et les moyens qu'elle consacre à ses ambitions.

Je dirai quelques mots pour décrire le nouveau dispositif.


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Il compte trois niveaux d'intervention et deux organes nouveaux - le CICID, le Comité interministériel de la coopération internationale et du développement, et le Haut conseil de la coopération internationale - qui ont vocation à impulser, orienter et organiser la concertation.

Il comporte également des structures de décisions, organisées autour de deux grands pôles, le pôle diplomatique, dépendant du ministère des affaires étrangères, et le pôle financier, dépendant du ministère de l'économie et des finances. Ces pôles concentrent les fonctions de définition, de gestion, de suivi et d'évolution concernant la souveraineté et les projets de nature culturelle.

Je n'oublie pas l'instrument technique de mise en oeuvre des autres politiques qu'est l'AFD, l'Agence française de développement, ex-Caisse française de développement, ex-Caisse de coopération centrale économique. La Proparco, société financière filiale du groupe AFD, est un élément du dispositif.

Tout cet ensemble me paraît performant et efficace. Il est géré par des gens motivés - j'emploie le mot « géré » dans le meilleur sens du terme : une gestion tenue, sur la base de projets analysés, contrôlés, évalués, avec des garanties de risques mesurés au maximum. Je tiens à le souligner, car on entend ou on lit ici ou là des mises en cause qui sont à mon sens infondées.

Le nouveau dispositif est donc pertinent, lisible et intéressant.

Je passerai très rapidement en revue les crédits.

Ils s'établissent à un peu moins de 6 milliards de francs, ce qui n'est pas très bon, et leur lisibilité est moyenne. Il faut reconnaître qu'il y a un certain brouillard. Mais les raisons en sont évidentes : la préoccupation budgétaire passe au second plan par rapport à la préoccupation politique, qui est celle de la réforme du dispositif et, à cet égard, le calendrier ne nous aide pas.

Qu'en est-il du titre III ? Il est inexploitable ! Quand je dis inexploitable, comprenez-moi bien, car la langue de bois diplomatique ne se nourrit pas toujours exclusivement de bois tropicaux. (Sourires.)

Pour ma part, je préfère l'éviter, quelle que soit l'origine des bois.

Le titre III augmente de 4,7 %. Cela correspond à des mouvements dans un sens et dans un autre, dont je ne suis pas en état de vous dire quel parti le rapporteur spécial peut en tirer. (Sourires.)

Quant au titre IV, ses crédits accusent une diminution massive de 10,25 %, qui reflète des choses assez différentes : il s'agit notamment d'une baisse importante des concours financiers, des crédits de l'assistance technique et d'une hausse, très élevée en pourcentage mais mesurée en valeur absolue, de tout ce qui touche à la coopération décentralisée, aux organisations non gouvernementales et aux organisations de volontaires. Cette évolution, tout à fait positive, reste modeste eu égard aux valeurs absolues auxquelles elle s'applique.

Au titre VI, en revanche, les crédits d'intervention sont à peu près maintenus. Relevons tout de même une petite augmentation - 1,7 % - des autorisations de programme du chapitre 68-91, et une diminution substantielle, de 11,4 %, des crédits de paiement.

Je ne doute pas que les orateurs qui s'exprimeront après moi ne trouveront pas tout cela très bon. C'est vrai, tout cela n'est pas très bon. Mais, si l'on veut être logique et réaliste, il faut convenir que les engagements au titre du FAC, le fonds d'aide et de coopération, ont beaucoup de retard. Je considère pour ma part que les crédits inscrits pour l'exercice 1999 sont suffisants pour faire face aux décisions déjà prises.

Je m'interroge cependant sur la baisse des dons visant à financer les projets dans les pays les plus pauvres, inscrits à l'article 40. Cette baisse représente plus d'une centaine de millions, ce qui n'est pas négligeable. A-t-elle une raison particulière ou résulte-t-elle des mécanismes d'engagement de crédits qui prennent en ce domaine encore plus de retard que dans les autres ? Quoi qu'il en soit, cette baisse me surprend un peu.

Je vous renvoie à mon rapport écrit si vous souhaitez prendre connaissance de manière détaillée de l'évolution des crédits budgétaires d'un exercice à l'autre. Mais nous ne sommes plus à prérimètre constant, ce qui ne simplifie rien.

A partir de cette analyse, dont je vous prie d'excuser la brièveté, je voudrais, monsieur le ministre délégué à la coopération, vous poser quelques questions, qui découlent soit de l'analyse des crédits, soit de la réforme du dispositif, à moins qu'il ne s'agisse de questions plus politiques.

Tout d'abord, quel sera le périmètre de la zone de solidarité prioritaire ? Je comprends bien qu'un certain nombre de raisons, liées au calendrier, ne vous permettent pas de préciser ce qu'elle sera, mais je le regrette. Il serait souhaitable que la représentation nationale soit rapidement saisie des propositions que fera le CICID, dans la mesure où nous ne p ouvons pas indéfiniment laisser dans l'incertitude notamment les anciens pays du champ de la coopération.

Je crois que vous pouvez d'ores et déjà dire qu'ils seront forcément dans la zone de solidarité prioritaire, mais ils aimeraient bien savoir dans quelle « compagnie », si je puis dire - cette « compagnie » n'étant pas seulement géographique, mais aussi économique - car ils savent que des diviseurs auront dans l'avenir une certaine importance.

Bref, quels seront les pays qui seront dans la zone de solidarité prioritaire et quand la décision sera-t-elle prise ? J'en viens aux rôles respectifs des deux pôles que j'ai évoqués tout à l'heure.

J'ai cru comprendre qu'il y aurait un pôle diplomatique, dont le ministère des affaires étrangères serait une composante à part entière, ainsi qu'un pôle économique et financier : le bien connu ministère de l'économie et des finances.

Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les rôles respectifs de chacun ? L'administration du Trésor vous laissera-t-elle un peu d'espace dans tout ce qu'elle gère pour le compte des politiques françaises d'aide publique au développement, qu'elles soient bilatérales ou multilatérales, notamment au sein des instances de Bretton Woods et pour tout ce qui est susceptible de concerner la gestion des concours multilatéraux et la dette ? Je rappelle que le Trésor gère des fonds beaucoup plus importants que l'ensemble de ceux qui sont mis en oeuvre au titre du ministère de la coopération.

M. Jacques Myard.

Eh oui !

M. Maurice Adevah-Poeuf, rapporteur spécial.

Il serait bon que le pôle diplomatique voie son rôle rééquilibré par rapport au pôle financier. Des modus operandi ont-ils été finalisés entre « Bercy-Trésor » et l'administration ?

M. Jacques Godfrain.

Bonne question !

M. Jacques Myard.

Il y a des citadelles à prendre !

M. Maurice Adevah-Poeuf, rapporteur spécial.

J'en arrive aux moyens humains. Je parlerai plus particulièrement des postes à l'étranger et, comme le temps passe, je m'en tiendrai à l'assistance technique.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

Vous nous avez expliqué que la déflation des effectifs de l'assistance technique était inférieure à celle de l'année dernière, qui était similaire à celle de l'année précéden te. On en revient là à une question qui a été posée lors de la discussion du budget global du ministère des affaires étrangères.

Vous ne pouvez pas vous contenter de nous dire, année après année, qu'il s'agit là d'une évolution normale consistant à passer d'une coopération de substitution à une coopération de projet ! Je vois ici un certain nombre de mes collègues qui, plusieurs années de suite, l'ont dit avant vous. Mais il va bien falloir que l'on sache si l'on veut encore de la coopération technique et, si oui, pour quoi faire et avec qui.

Comment le ministère fait-il face aux problèmes sociaux que la déflation n'a pas manqué de provoquer année après année ? Je compte sur vous pour avoir une réponse précise, monsieur le ministre.

Quant aux volontaires, je crois, mais j'aimerais qu'on me le confirme, qu'ils peuvent s'attendre à un progrès sensible : de la fusion affaires étrangères-coopération devrait - j'emploie le conditionnel - mettre un terme à la rigidité sur les quotas par zone.

Dans la mesure où il y a une fongibilité des compétences dans un ministère unique et une direction centrale unique, la DGCID, rien ne pourrait justifier le maintien des quotas par zone. Nous pourrions donc envisager sérieusement la fongibilité des affectations de volontaires.

La question est très fortement posée par toutes les organisations non gouvernementales et la réponse est attendue avec beaucoup d'intérêt. Je suis persuadé que la souplesse induite par cette fongibilité constituerait un vrai progrès pour toutes les ONG.

Toujours à ce sujet, quid du projet de loi en préparation sur le volontariat, dont tout le monde a impérativement besoin, et pas seulement les organisations non gouv ernementales, du fait de la suppression de la conscription ? Pouvez-vous nous donner des indications sur son état d'avancement et sur la date approximative à laquelle il sera déposé, puis débattu et voté par la représentation nationale ? Deux mots sur le contenu, deux mots forts, voire un peu lourds.

M. le ministre des affaires étrangères nous rappelait il y a quelques minutes que le monde était instable et concurrentiel. Instables, les pays d'Afrique ne le sont ni plus ni moins que ceux des autres parties du monde. Concurrentiels, ils le sont peut-être moins car ils sont souvent plus fragiles. D'où les questions que j'ai à vous poser, monsieur le ministre, sur le contenu de votre politique, à partir de la réforme de votre dispositif, bien sûr, mais aussi de la rénégociation des accords de Lomé et de l'intégration du franc CFA dans l'euro.

Nos amis du champ traditionnel, nos amis africains, ne sont pas les seuls dont nous avons le devoir de nous occuper, mais nous avons avec eux une amitié qui découle de l'histoire et envers eux une responsabilité particulière. Et s'ils doivent se réjouir que le franc CFA soit amarré à l'euro, depuis le Conseil des ministres des finances du 6 juillet 1998, ils le peuvent parce que c'est le Trésor et non pas la Banque de France qui apporte sa garantie. Cette différence très substantielle explique sans doute en grande partie pourquoi nos partenaires ont accepté cet amarrage. Grâce à l'intégration de la zone franc dans la zone euro, garantie par le Trésor français, nos amis africains vont passer d'un système de préférence commerciale unilatérale à un système d'insertion dans l'économie mondiale. C'est pour eux une occasion à ne pas manquer, car ils ont ainsi la chance d'aboutir plus rapidement à un développement durable, pour employer un terme sans doute à la mode mais qui correspond, dans ces pays-là comme ailleurs, à une vérité profonde.

J'en aurai terminé quand j'aurai évoqué quelques questions précises.

Et d'abord l'articulation huitième FED, Lomé et ACP d'une part, budget général des Communautés de l'autre, sachant que le FED finance les pays ACP et le budget général les pays hors ACP. Il me semble que cela tend à renforcer la prégnance du Trésor par rapport au pôle diplomatique. Rassurez-moi sur ce point, monsieur le ministre.

Il faut veiller ensuite à ce que la non-ingérence ne transforme pas le secteur des Grands Lacs en « cuvette de Ponce Pilate » : nous ne pouvons pas nous laver les mains des événements qui risquent de se produire dans cette partie du monde, si d'aventure l'un des géants de l'Afrique est victime d'un dépeçage total. Je ne crois pas que nous pourrons persévérer dans la non-ingérence ; il faudra progresser sans doute vers une conférence internationale de la paix, ce qui ne dispensera pas la France de prendre des positions publiques fortes.

M. Jacques Godfrain.

Très bien !

M. Maurice Adevah-Poeuf, rapporteur spécial.

C'est l'intérêt et de l'Afrique, et de la France. J'aimerais, si vous le pouvez, que vous nous rassuriez aussi sur ce point.

Enfin, bien sûr, la morale n'a rien à voir avec la politique : tout le monde le sait, nombreux sont ceux qui le disent et plus encore ceux qui le croient. Je souhaiterais pourtant qu'on réintroduise non pas un minimum mais un maximum de morale, donc de conditionnalité, dans nos aides. Nous sommes un bon nombre ici, très également répartis sur ces bancs, à trouver choquant que des contributions publiques françaises aillent à des Etats dont l'analyse des comptes ne révèle aucun mouvement de ce que rapportent des matières premières qui s'extraient, se valorisent et s'exportent. Je n'en dirai pas plus, chacun comprend ce que je veux dire, mais je souhaiterais que nous fassions progresser la conditionnalité de nos aides.

Monsieur le ministre, j'en terminerai en disant que nous n'avons pas à rougir ni à courber la tête devant la modestie de notre dispositif. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Pierre Lequiller.

Jusque-là, votre discours était parfait !

M. Maurice Adevah-Poeuf, rapporteur spécial.

Il est vrai que ce budget n'est pas très bon.

M. Jacques Godfrain et M. Jacques Myard.

Il n'est pas bon du tout !

M. le président.

Laissez conclure le rapporteur, mes chers collègues !

M. Maurice Adevah-Poeuf, rapporteur spécial.

Je rappelle cependant que nous sommes le premier contributeur de l'Union européenne et en valeur absolue, et en pourcentage. Je rappelle aussi, après Yves Tavernier, que nous sommes le second contributeur du G7 en valeur absolue et le premier en pourcentage, avec 0,45 % du PIB. Par conséquent, la France tient son rôle, et le tient bien.

M. Jacques Myard.

Alors, pour ou contre ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 2 NOVEMBRE 1998

M. Maurice Adevah-Poeuf, rapporteur spécial.

J'espère qu'elle pourra le tenir longtemps et que nous nous retrouverons l'année prochaine en présence d'une réforme du dispositif améliorée et des crédits qui suivent.

La commission des finances, mes chers collègues, vous demande d'adopter ce projet de budget.

M. Jacques Myard.

Double saut périlleux carpé !

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures, troisième séance publique.

Suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 1999 (no 1078) : M. Didier Migaud, rapporteur général au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (rapport no 1111).

Affaires étrangères et coopération (suite)

Coopération : M. Maurice Adevah-Poeuf, rapporteur spécial au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (annexe no 3 au rapport no 1111) ; M. Pierre Brana, rapporteur pour avis au nom de la c ommission des affaires étrangères (avis no 1113, tome III).

Affaires étrangères et coopération : M. Bernard Cazeneuve, rapporteur pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées (avis no 1114, tome I).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures vingt-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT