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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 NOVEMBRE 1998

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. MICHEL PÉRICARD

1. Loi de finances pour 1999 (deuxième partie). - Suite de la discussion d'un projet de loi (p. 8235).

DÉFENSE

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur spécial de la commission des finances.

M. René Galy-Dejean, rapporteur pour avis de la commission de la défense, pour la dissuasion nucléaire.

M. Bernard Grasset, rapporteur pour avis de la commission de la défense, pour l'espace, la communication et le renseignement.

M. Georges Lemoine, rapporteur pour avis de la commission de la défense, pour la gendarmerie.

M. Jean-Claude Sandrier, rapporteur pour avis de la commission de la défense, pour les forces terrestres.

M. Jean-Yves Le Drian, rapporteur pour avis de la commission de la défense, pour la marine.

M. Yann Galut, rapporteur pour avis de la commission de la défense, pour l'air.

M. François Huwart, rapporteur pour avis de la commission de la défense, pour le titre III et les personnels de la défense.

M. Jean Michel, rapporteur pour avis de la commission de la défense, pour les crédits d'équipement.

M. Michel Meylan, rapporteur pour avis de la commission de la défense, pour les services communs.

M. Jean-Bernard Raimond, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

MM. Bernard Charles, Bernard Birsinger, Antoine Carré, Alain Richard, ministre de la défense, Arthur Paecht, Yves Fromion, Guy-Michel Chauveau.

Suspension et reprise de la séance (p. 8265)

PRÉSIDENCE DE M. ARTHUR PAECHT

MM. Gérard Charasse, Bernard Outin, Guy Teissier, le ministre, Michel Voisin, Charles Cova, François Lamy, Jean-Louis Bernard.

M. Alain Richard, ministre de la défense.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

2. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 8285).


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COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. MICHEL PÉRICARD,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1 LOI DE FINANCES POUR 1999 (DEUXIÈME PARTIE) Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 1999 (nos 1078, 1111).

DÉFENSE

M. le président.

Nous abordons l'examen des crédits du ministère de la défense.

La parole est à M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Monsieur le président, monsieur le ministre de la défense, mes chers collègues, le rapport spécial des crédits du ministère de la défense doit être un rapport de vérité et impose à son auteur, quelles que soient ses proximités philosophiques avec le Gouvernement, le maximum de rigueur dans ses jugements.

C'est dans cet esprit que j'avais longuement développé l'année dernière les réserves que m'inspiraient le budget et la situation de la trésorerie du ministère de la défense.

Une certaine expérience parlementaire m'avait contraint à la plus grande méfiance vis-à-vis de la notion d'encoche budgétaire et sur la capacité d'un gouvernement à mettre fin à une baisse continue des crédits de défense. J'avais dit ici même mon scepticisme et mon inquiétude.

C'est donc avec la liberté de celui qui a su être critique quand la situation l'imposait que je peux vous dire, monsieur le ministre, avec une certaine légitimité j'espère, que le projet de budget que vous nous présentez cette année est bon et qu'il doit être approuvé nettement.

En effet, pour le première fois depuis six ou sept ans, nous ne sommes plus dans une période de transition.

Nous partons en matière de défense sur des bases totalement neuves. Nous sommes sortis de cette zone grise où les concepts futurs, pas encore totalement définis, se mélangeaient aux concepts anciens, pas encore totalement abandonnés. Il y a dans votre budget des éléments fondamentalement neufs qui en feront un budget de référence pour l'avenir.

La stabilisation de la ressource budgétaire, la nouvelle transparence de la gestion financière, la montée en puissance de la professionnalisation, la revue des programmes, la réorganisation industrielle représentent cinq révolutions majeures de l'ensemble du paysage militaire et industriel français.

C ertaines de ces réformes étaient déjà engagées, d'autres pas. Vous les avez fait progresser d'une façon extrêmement satisfaisante, même si d'inévitables zones d'ombre devront être signalées ici et là.

Première originalité, un accord de stabilité budgétaire réalisé au plus haut niveau de l'Etat. Dans un contexte de cohabitation, un équilibre a été défini entre les objectifs d'une loi de programmation militaire qui demeure intacte et des ressources budgétaires compatibles avec les autres missions de l'Etat.

Ainsi, à Saint-Mandrier, le 3 avril 1998, le Premier ministre concrétisait cet équilibre en ces termes : « La conduite dans la durée d'une politique de défense oblige à dépasser la ligne d'horizon budgétaire. C'est pourquoi afin de donner une visibilité sur le moyen terme, le Gouvernement retient une double orientation, caractérisée par la stabilisation des ressources de la défense et l'obtention d'économies compatibles avec la programmation en vigueur. Les crédits d'équipement de la défense s'élèveront ainsi à 85 milliards de francs constants pour les quatre prochaines annuités, à mi-chemin entre le niveau nominal de la programmation et le montant inscrit au budget 1998. »

L'arbitrage du Premier ministre - 85 milliards de francs valeur 1998 - stabilise donc le budget d'équipement des armées. Ces crédits passent donc à 86 milliards de francs au budget 1999, soit une augmentation de 6,2 %. Cet accord sanctuarise définitivement les ressources du titre V et permet, tout en respectant les objectifs de la loi de programmation militaire, d'engendrer 20 milliards de francs d'économies « compatibles ».

La revue de programme a permis de définir cet équilibre sans porter atteinte à nos capacités d'équipement. Je voudrais ici rappeler la réalité des niveaux de crédits disponibles pour le titre V du budget de la défense. Sans parler de l'année 1995, année de tous les excès - 11,8 milliards de francs d'annulations -, notons comme crédits réellement disponibles pour le titre V : 1996, 80 milliards de francs ; 1997, 83,7 milliards de francs ; 1998, 81 milliards de francs ; 1999, 86 milliards de francs.

Ces chiffres représentent la réalité telle qu'elle est. Les ressources disponibles ces dernières années ne permettaient pas la réalisation des objectifs de la loi de programmation militaire et entraînaient de graves difficultés dans l'ensemble de notre secteur industriel.

En titre III, le budget s'élève à 104 milliards de francs, soit une augmentation de 0,2 %. Cette stabilité apparente ne doit pas cacher cependant d'énormes modifications de la structure interne du budget de fonctionnement dues pour l'essentiel aux effets de la professionnalisation.


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En fait, la part du titre III dans la totalité du budget n'a cessé de croître pour atteindre actuellement 55 % des dotations initiales. L'exécution budgétaire renforce cette constatation, puisque les ouvertures de crédits portent toujours sur le titre III et les annulations tout aussi systématiquement sur le titre V. En termes de crédits nets, on s'approche donc de 60 % du total, ce qui est sans précédent dans l'histoire.

Pour ma part, je pense ce processus inexorable, l'armée professionnelle la plus comparable en ratio à ce que sera la nôtre est l'armée britannique dont les dépenses en titre III dépassent souvent les 67 ou 68 % du budget. La logique structurelle veut que nous suivions la même évolution.

Un autre phénomène interne au titre III, et tout aussi inexorable, est la montée des rémunérations et charges sociales au détriment des dépenses de fonctionnement. En 1999, alors que les RCS progressent de près de 3 % pour atteindre 80 % du titre III, les dépenses de fonctionnement baissent de près de 10 % pour représenter 18 % de l'ensemble. Ceci est le résultat des mesures d'effectifs, mais aussi des mesures salariales et indemnitaires, d'accompagnement de la professionnalisation.

Cette modification structurelle est la conséquence des 27 641 emplois que perdra la défense en 1999, passant sous la barre symbolique des 500 000 hommes, ce qui indique que plus de la moitié du chemin aura été accompli par rapport à la cible 2002. Malgré cette diminution des dépenses de fonctionnement, la difficulté consistera donc à promouvoir des économies réelles sans porter atteinte au caractère opérationnel des forces et notamment à leur taux d'activité et d'entraînement.

La deuxième originalité de ce budget, et non la moindre, réside dans l'énorme effort de transparence et de rigueur dans la gestion. Annulations, reports de charges, intérêts moratoires, demandes d'ouverture de crédits étaient autant d'indices objectifs d'une infernale spirale financière. Ayant souvent critiqué de cette tribune ce que l'on peut appeler la mauvaise gestion du ministère, je n'en suis que plus heureux aujourd'hui de souligner ici les efforts qui sont faits dans de nombreux domaines.

Sans pouvoir malheureusement approfondir ici chacun de ces sujets, qui le mériteraient, je voudrais citer : l'amélioration du contrôle de gestion ; la comptabilité spéciale des investissements qui retrace les différentes phases de l'utilisation des autorisations de programme ; les opérations budgétaires d'investissement, qui sont l'instrument de rétablissement du lien entre les autorisations de programme, les crédits de paiement et l'exécution concrète des investissements ; le catalogue des opérations budgétaires d'investissements, véritable tableau de bord de la programmation ; la réforme de la nomenclature budgétaire, souvent demandée par le Parlement : la clarification du titre V. La notion de programme devient un concept important de la nomenclature ; on dispose là des bases nécessaires à l'esquisse d'un calcul du coût consolidé.

Vingt-cinq programmes d'armement majeurs sont donc individualisés en fonction de leur poids financier, de leur conduite en coopération ou de leur portée opérationnelle.

Ils représentent 51 % de la totalité des crédits de fabrication et de développement. Je pense qu'il existe au moins 50 autres programmes qui peuvent être qualifiés d'importants avec les mêmes critères précédemment définis. Le progrès déjà enregistré est cependant tout à fait considé rable.

Le titre III permet maintenant de distinguer les grandes catégories de personnel militaire et donc de suivre précisément le bon déroulement de la professionnalisation.

Dans ce domaine, il est encore possible de pousser plus loin la rationalité économique en clarifiant les apports entre le fonctionnement et l'investissement. Je voudrais à ce point citer trois exemples.

Le Commissariat à l'énergie atomique : l'intégralité des transferts proviennent du titre V pour une utilisation à 40 % en fonctionnement.

Dans un autre domaine, on peut s'interroger sur le lien avec la défense du Fonds de reconversion économique de la Polynésie française, 613 millions de francs, consacrés certes à des activités créatrices d'emplois et à des aides au développement d'activités privées particulièrement dans le tourisme et l'exportation.

Enfin, troisième exemple discutable : la recherche duale. Ces crédits expressément exclus de la loi de programmation figurent pourtant régulièrement dans les crédits du ministère à hauteur de 900 millions de francs alors que celui-ci ne maîtrise ni la définition des programmes ni l'utilisation de leurs résultats.

Je souhaite citer également dans ce grand ménage de printemps les efforts méritoires dans le domaine des Opex. On connaît cependant les limites politiques de ce genre d'exercice. Par exemple, pour 1998, le financement du surcoût de rémunérations a été effectué par un décr et d'avance d'un montant de 3,8 milliards au titre III, dont 1 milliard de francs au titre des Opex.

Il faut citer aussi la clarification due aux nouvelles méthodes d'acquisition que sont les commandes globales pluriannuelles. Elles permettent à l'Etat d'obtenir des prix intéressants en contrepartie d'engagements à plus long terme vis-à-vis de l'industriel. L'Apache anti-piste, le Scalp emploi général, la torpille Murène 90, le missile MICA, le système de transmission MTBA sont des programmes qui ont bénéficié de ce type de commande.

Citons encore la règle plus saine en matière de négociations de coopération grâce à la réelle montée en puissance de l'OCCAR, qui permet des arbitrages entre les intérêts immédiats des différents Etats membres, le renoncement au calcul du juste retour industriel, libérant également les contraintes dans l'élaboration des spécificités techniques.

Citons enfin une plus grande rationalité dans la politique de réduction des coûts menée par la DGA. L'optimisation du rapport coût/performance permet de fixer les spécifications au juste besoin. Cet enjeu est fondamental car ces résultats pourront permettre d'approcher encore plus près les objectifs de la loi de programmation militaire.

Il me suffira d'ajouter le plan stratégique de réorganisation des centres d'expertises et d'essais à cette longue liste de réformes pour montrer que, là encore, il ne s'agit pas d'un budget de transition, mais d'une réforme fondatrice de l'ensemble des mécanismes de gestion de ce ministère.

Conformément au processus de professionnalisation et à la loi de programmation militaire, 39 000 appelés disparaîtront cette année des effectifs ainsi que 2 700 sousofficiers. Le nombre des officiers restera stable, 8 600 professionnels militaires du rang seront embauchés ainsi que 2 000 civils.


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Ainsi, dans l'armée de terre, la réorganisation du commandement et du soutien est la traduction directe, avec la réduction du format, du passage d'une armée territoriale de masse à une armée professionnelle de projection.

Cette professionnalisation a été conçue dans un calendrier resserré afin de limiter les effets démobilisateurs d'une transition qui s'étirerait en longueur. Il n'a pas été constaté à ce jour de dégradation significative du comportement civique des jeunes hommes appelés à faire un service national d'une durée de dix mois.

Le bon niveau général du recrutement des engagés n'allait pas de soi au début du processus. La difficulté consistera à moyen terme à recruter sans disposer du vivier naturel que représente la conscription. La réussite du processus passera par des campagnes de communication, que l'on peut juger coûteuses - 41 millions de francs en 1998 pour la seule armée de terre -, mais qui seront nécessaires.

Elle passera également par une action de proximité à partir des unités, par le rajeunissement des cadres, par la féminisation et par le recrutement de civils.

Sur ce dernier point, il faut insister et dire que le recrutement de civils est fondamental pour la réussite de la professionnalisation. La situation actuelle n'est malheureusement pas satisfaisante. C'est une réelle préoccupation. Cette situation trouve ses origines dans la rigueur avec laquelle le ministère de l'économie et des finances autorise les recrutements. Il conviendrait d'en tirer les conséquences en assouplissant l'utilisation des dotations budgétaires et les possibilités de recours à la sous-traitance.

La revue des programmes a été menée avec une grande minutie. Je ne rentrerai pas dans le détail des équipements des quatre armes - mes collègues rapporteurs pour avis de la commission de la défense le feront avec leur perspicacité habituelle.

Je réitérerai simplement le voeu de voir les commandes pluriannuelles de Rafale définitivement signées au profit de nos capacités exportatrices, de voir l'option ATF l'emporter sur celle des C130J. Je m'interrogerai sur le surcoût de 15 % du porte-avions nucléaire, qui n'est certainement pas dû qu'aux étalements de calendrier, sur l'état réel du programme VBCI, sur la fin du programme RUBIS, dont la gendarmerie a une urgente nécessité.

Permettez-moi de souhaiter dans nos prochains budgets une reprise de notre effort de recherche et développement qui ne cesse de décliner depuis 1992 - 29 milliards en 1992, 21 aujourd'hui. Si la rationalisation du dispositif d'études doit augmenter sa rentabilité, il n'en reste pas moins que l'effort financier pour la recherche doit rester important. (« Très bien ! » sur divers bancs.)

Je souhaite signaler particulièrement la baisse des crédits nucléaires, qui, de 1990 à aujourd'hui, ont chuté de 37 milliards de francs à 16 milliards de francs, la précédente majorité l'ayant déjà ramené à 19 milliards de francs.

En revanche, la proportion des crédits consacrés à la dissuasion nucléaire par rapport à la totalité des crédits du titre V - 20 % dans le projet de loi de finances pour 1999 - reste parfaitement conforme aux dispositions de la loi de programmation militaire.

La principale décision de la revue de programme dans le domaine de la dissuasion a été d'avancer la date de mise en service opérationnel du M 51 de 2010 à 2008, afin de la faire coïncider avec celle de l'admission au service actif du troisième SLNE-NG. Cette mesure, qui rapproche dans le temps l'objectif souhaité par le Président de la République, génère près de 6 milliards de francs d'économie : c'est une mesure intelligente.

Vous me permettrez, monsieur le ministre, de vous dire mes interrogations concernant le budget de l'espace.

Celui-ci suit une pente préoccupante qui traduit les difficultés observées dans les programmes en coopération Helios 2, Horus et Trimilsatcom, alors que l'ensemble des budgets d'équipement de la défense progressent de 6,2 %, les crédits de paiement de l'espace baissent de 19,5 % et les autorisations de programme de 9,6 %. Pour Helios 2, nous continuerons donc seuls. Pour Syracuse 3 également ; pour Horus, l'abandon permettra une nécessaire redéfinition opérationnelle et technologique du programme.

La France n'a pas de responsabilités dans l'abandon d'Horus et dans la rupture de Trimilsatcom. Comment cependant ne pas constater dans ces deux décisions que nos principaux partenaires se mettent entre les mains de nos amis américains quant à l'évaluation et à la gestion des crises ? La construction d'une Europe autonome de la défense sera une bien longue marche.

S'agissant des restructurations industrielles, l'année qui vient de s'écouler a été riche d'événements considérables dont beaucoup sont à porter à l'actif de votre gouvernement. Mais comment ne pas être inquiet de cette France à deux vitesses ? Celle des champions nationaux, restructuration de Thomson-CSF et de Dassault Electronique, synergie A lcatel-Aérospatiale, fusion Aérospatiale-Matra haute technologie, passerelles lancées vers nos partenaires européens DASA, BAE, GEC, Aliéna, et d'autres, entraînés par la volonté politique forte des trois gouvernements allemand, britannique et français.

Et puis il y a la France de nos anciens arsenaux, qui va mal.

Le GIAT d'abord qui est au confluent de toutes les c rises : baisse des budgets, émergence de nouveaux concurrents, immense marché de l'occasion, matériel terrestre stratégiquement de moins en moins nécessaire. Le GIAT a été fort justement restructuré, il y a une dizaine d'années ; l'organisation interne n'a pas suivi. La volonté de s'adapter à l'environnement nouveau n'a pas été assez forte ni assez rapide.

Le danger qui guette la DCN est du même ordre, bien que le marché militaire naval soit meilleur sur le long terme. Par contre, la DCN n'a pas été modernisée, elle en souffre terriblement. L'absence de culture de gestion des prix de revient, le poids plume juridique et financier que représente la DCN internationale sur le marché mondial, font que la DCN est en très grand danger. Une réforme basée sur la vérité, la concertation et le pragmatisme s'impose d'urgence.

M. Loïc Bouvard.

Très bien !

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur spécial.

Il me reste un dernier souhait, celui de voir s'éclaircir la position française vis-à-vis de l'OTAN. Nous cumulons aujourd'hui joyeusement tous les inconvénients. La participation française au budget de l'OTAN a fortement augmenté de 1997 à 1999, passant de 280 à 451 millions de francs, soit une augmentation de 61 %. Financièrement, nous sommes bien intégrés.

La nouvelle approche de l'OTAN introduit le concept de « paquet de capacité » et les grands commandements présentent désormais un besoin global pour remplir une capacité donnée. Sur le plan de l'organisation des forces, nous sommes bien intégrés.


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Le système SCCOA français de commandement et de contrôle est lui aussi parfaitement intégré à celui ACCS de l'OTAN, dont nous finançons d'ailleurs 13,3 %. Il est temps de tirer les conclusions. L'embryon d'une défense européenne commune naîtra dans l'OTAN et nulle part ailleurs, tous nos partenaires nous le disent.

Au mois d'avril, de grandes décisions sur le nouveau concept stratégique vont se prendre. J'aimerais que la France pèse lourd dans ces discussions et qu'elle ne se coupe pas elle-même de ses partenaires.

En conclusion, monsieur le ministre, votre budget est un bon budget. Il permet de respecter la loi de programmation militaire, la gestion financière du ministère est en voie d'assainissement, de nombreuses réformes structurelles d'avenir sont lancées. La commission des finances l'a largement approuvé.

Tous les hommes et les femmes placés sous votre autorité maîtrisent avec succès et rigueur plusieurs révolutions simultanées. Qu'ils sachent qu'ici, nous connaissons leurs efforts et que nous saluons leur action. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. René Galy-Dejean, rapporteur pour avis de la commission de la défense n ationale et des forces armées, pour la dissuasion nucléaire.

M. René Galy-Dejean, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour la dissuasion nucléaire.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les crédits budgétaires que le Gouvernement nous propose de consacrer à la dissuasion nucléaire de la France en 1999 sont à l'image de l'ensemble du budget de la défense, c'est-à-dire contrastés.

Certaines avancées méritent de retenir notre attention et recueillent en fait notre adhésion. D'autres aspects ne manquent pas, en revanche, de provoquer de vives préoccupations. Je les évoquerai dans un instant.

Cependant, ce fond d'appréciation générale ne saurait englober et donc limiter à lui seul notre réflexion. En effet, l'effort financier qu'un pays estime opportun de consacrer à sa sécurité doit être jugé de manière relativ e. Cet effort est-il en phase avec le comportement des autres

Etats du monde ? Plus précisément, et s'agissant de cette arme redoutable q ue constitue le nucléaire militaire, quel jugement p eut-on porter sur l'évolution du monde dans ce domaine stratégique précis ? Il y a, à cet égard, l'apparence superficielle des choses.

La guerre froide n'est déjà plus qu'un souvenir. La prégnance que la superpuissance américaine fait peser sur l'ensemble de la planète accrédite l'idée qu'un gendarme suffit à assurer la paix du monde. Et, de fait, nous constatons, chez nous et en Europe, la tranquille indifférence des opinions publiques, d'autant plus que la scène internationale est envahie par une succession d'actions diplomatiques et de traités consacrés soit à la lutte contre la prolifération des armes de destruction massive, soit au démantèlement des arsenaux nucléaires. Ces traités contribuent largement à entretenir une trompeuse illusion.

Pour un peu, d'aucuns auraient été tentés de dire, il y a encore peu de temps : le nucléaire, c'est le passé.

Or voici que deux pays, l'Inde et le Pakistan, ont, à la face du monde, dans la plus totale indifférence par rapport aux discours sur le désarmement nucléaire, procédé à plusieurs expérimentations atomiques. Certes, ces gestes s'inscrivent dans des compétitions de caractère régional et ne prétendent pas accompagner un messianisme guerrier.

Ils démontrent cependant que la maîtrise du nucléaire militaire reste au coeur des politiques de sécurité des

Etats. Ils apportent également, hélas ! la preuve de la précarité du contrôle international dans la lutte contre la prolifération.

C'est ce qui m'a conduit, dans le rapport pour avis que je présente au nom de la commission de la défense sur les crédits de la dissuasion, à analyser ce que j'appelle la nécessaire mais désespérante quête diplomatique du désarmement nucléaire.

Dans le temps limité qui m'est imparti à cette tribune, je ne ferai que résumer la lancinante succession d'échecs relatifs de toutes les démarches diplomatiques en cours.

Le traité Start I, même s'il a conduit à une diminution effective des arsenaux nucléaires, s'accompagne en fait d'un profond réaménagement qualitatif des performances destructrices des divers systèmes d'armes.

Le traité Start II a déjà vu les deux dates de franchissement de seuil de réduction repoussées à 2004 et 2007. Mais voici maintenant que la Douma russe affiche clairement sa volonté de ne pas ratifier le traité, consolidant ainsi une sorte de chantage diplomatique, en regard du processus d'élargissement de l'OTAN vers les pays de l'Est européen.

Le traité ABM, inspiré de l'éternelle compétition entre l'épée et le bouclier, voulait limiter les progrès dans la protection antimissiles pour arrêter la course à la sophistication et à la performance des missiles et des charges utiles, mais nous savons que les recherches se sont poursuivies sur les lasers de neutralisation et sur les antimissiles de haute vélocité.

Le TNP, quant à lui, portait en germe son propre syst ème autodestructueur. On prétendait endiguer le nombre des pays autorisés à détenir l'arme nucléaire, mais, dès le départ, un sixième Etat, Israël, était de fait autorisé à posséder l'arme atomique. Les essais indiens et pakistanais sont venus rompre les digues. Soyons assurés que, désormais, de proche en proche, un ensemble de facteurs - souveraineté, indépendance et fierté nationale, parade aux tentations hégémoniques, réponse aux antagonismes ancestraux, intégrisme religieux enfin - vont inéluctablement modifier la donne stratégique nucléaire mondiale.

Le TICE, traité d'interdiction complète des essais nucléaires, initié en 1994 et signé en 1996, a été tourné en dérision par les essais indiens alors que c'est l'Inde elle-même qui en avait été le promoteur.

Tel est l'état de l'action diplomatique internationale, qui peine désespérément à la poursuite des objectifs qu'elle ne parvient pas à atteindre. La prolifération des armes nucléaires, sans doute atténuée par cette action diplomatique, se poursuit inexorablement. Et que dire des systèmes de surveillance et de contrôle qui ont été surpris par les essais indiens et par la fusée balistique de la Corée du Nord ! Je renvoie à mon rapport pour ce qui est des divers aspects de la prolifération, allant de la dissémination des technologies et des cerveaux à la contrebande des matières et au terrorisme nucléaire, mais j'espère vous avoir convaincus, par l'évocation que je viens de faire, que, dans un tel contexte, la France ne peut en aucune façon amoindrir sa vigilance politique, financière et doctrinale dans le domaine de la dissuasion nucléaire.

M. François Léotard.

Très bien !


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M. Galy-Dejean, rapporteur pour avis.

Or qu'en est-il à cet égard dans le présent budget ? J'évoquerai d'abord les éléments de satisfaction.

C'est, en premier lieu, l'effort de clarification budgétaire entrepris par le ministère de la défense, qui s'est efforcé de regrouper la quasi-totalité des crédits de la dissuassion au chapitre 51-71 : forces nucléaires.

Il y a plus important. L'an passé, j'avais exprimé devant vous, monsieur le ministre, à cette tribune, la très vive inquiétude qui était la mienne quant au sort réservé au missile M 51, élément structurant de notre dissuasion à moyen terme. Or voici que la revue des programmes que vous avez conduite a complètement rétabli les choses pour ce programme. Je m'en réjouis et vous en remercie.

Les crédits de paiement affectés à diverses catégories d'armes arrivées en phase de développement, ou bien consacrés à la direction des applications militaires du CEA et à la mise en oeuvre de la simulation des essais en particulier, constituent autant de facteurs positifs.

Cependant, ces quelques arbres n'arrivent pas à cacher la forêt. Force est de constater tout d'abord que le décrochage de 12 % enregistré l'an passé en raison de

« l'encoche » n'est pas rattrapé cette année. A l'issue de la troisième année d'exécution de la loi de programmation, déjà arrêtée à un plancher bien bas, l'amputation sera de près de 4,5 milliards, soit de 7,64 %. Par ailleurs, rien dans le budget ne met en exergue le moindre début de préoccupation vis-à-vis d'une éventuelle protection de notre territoire contre les missiles balistiques. Cependant, les Américains se doteront à bref délai d'un système antimissile de théâtre d'opération, et la majorité républicaine du Congrès poursuit son projet de sanctuarisation du territoire américain par un système antimissile global. Le jour où cela sera réalisé, si l'Europe ne s'est pas protégée elle-même, craignons qu'elle ne redevienne le champ de bataille avancé des Etats-Unis en cas de conflagration grave. A cet égard, pouvez-vous nous dire comment évolue la démarche relative à une dissuasion nucléaire concertée entre pays européens ? Enfin, je dois souligner la gravité, à mes yeux, de la diminution très sensible des autorisations de programme et, surtout, de l'abattement de 20 % des études amont consacrées à la dissuasion. On en connaît les conséquences. Les chercheurs font des impasses, un peu au hasard. Si leurs choix d'axes de recherche se révèlent bons, tant mieux. Dans le cas contraire, c'est l'avenir qui est compromis.

Au-delà de ces problèmes financiers pour lesquels les gouvernements espèrent toujours et depuis longtemps, depuis trop longtemps, hélas ! que les responsables militaires accompliront les miracles d'exécution susceptibles de compenser nos défauts de rigueur budgétaire, une crainte et une interrogation majeures vont me conduire à ma conclusion.

La crainte porte sur l'exécution budgétaire de l'année qui vient. Nous savons tous ici deux choses. Premièrement, le budget de la France a été établi à partir d'un taux de croissance élevé, pour ne pas dire hasardeux.

Deuxièmement, le budget des armées est arrivé à sa limite de rupture, s'il ne l'a pas déjà dépassée. Nous savons aussi que, dans la présente loi de finances, votre ministère n'a déjà pas bénéficié du niveau de ressources que les rentré es fiscales abondantes auraient pourtant justifié. Pouvez-vous au moins nous assurer que votre budget ne sera pas la variable d'ajustement que l'on n'a que trop connue dans le passé si, par malheur, la croissance de l'économie n'était pas au rendez-vous ? Tout gel de crédit sera désormais catastrophique pour nos armées.

Mon interrogation vise plus précisément la dissuasion nucléaire dans le contexte de réduction budgétaire que nous constatons. Compte tenu de l'aspect dangereux que manifeste, hélas ! la conduite des Etats dans le monde, notre ministre de la défense et, au-delà de lui, le Premier ministre de la France sont-ils vraiment convaincus du fait que notre dissuasion nucléaire constitue un élément de sauvegarde, de sécurité et de paix absolument indispensable à notre pays ? L'inscription des crédits budgétaires au niveau souhaitable constituerait évidemment la meilleure réponse. A défaut, une solide profession de foi de votre part nous rassurerait pour l'avenir.

C'est dans cette espérance et pour tenir compte des quelques aspects positifs du présent budget de la dissuasion que, lors de mon intervention devant la commission, ma position a consisté à m'en remettre à sa sagesse, assuré que j'étais qu'elle approuverait, dans sa majorité, les crédits de la dissuasion. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. François Lamy.

Elle a donc été sage !

M. le président.

La parole est à M. Bernard Grasset, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour l'espace, la communication et le renseignement.

M. Bernard Grasset, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour l'espace, la communication et le renseignement.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis la mise en oeuvre du satellite d'observation optique Hélios, la France s'est dotée d'une capacité autonome d'appréciation dans la prévention et l'analyse des crises. Il est nécessaire de poursuivre les efforts qui ont permis la mise en oeuvre de ces techniques.

Le projet de budget pour 1999 risque cependant d'introduire une rupture avec les tendances précédentes, même s'il faut replacer la loi de finances initiale dans un contexte financier et politique global, et prendre en compte les aléas et les perspectives de la coopération européenne dans le domaine des communications ou des programmes spatiaux. Si les programmes destinés à la prévention des crises continuent d'être privilégiés, un certain ralentissement affecte le domaine spatial.

L'effort de la France dans le domaine spatial a été sans comparaison en Europe. Les dotations budgétaires ont progressé rapidement depuis dix ans, jusqu'à dépasser 4 milliards en francs courants dans les lois de finances initiales pour 1993, 1995 et 1996, mais le niveau réel des dépenses, compte tenu des annulations et des transferts, n'a pas dépassé 2,5 milliards au cours des trois derniers exercices.

Alors qu'il était prévu de consacrer près de 4 % des investissements du titre V à l'espace, la revue de programmes a autorisé un recalage des ressources par rapport aux possibilités financières et au déroulement réel des programmes.

Compte tenu du niveau des dépenses réelles au cours des précédents exercices, le projet de budget pour 1999 pour l'espace peut être globalement qualifié de raisonnable. La diminution des autorisations de programme, de 10,66 %, confirme un ralentissement des programmes spatiaux. La réduction de près de 16 % des crédits de


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 NOVEMBRE 1998

p aiement, qui passent à 2 618 millions de francs, contraste avec l'augmentation globale des dotations en capital de la défense.

On peut également regretter le retour de l'imputation de dotations duales dans les crédits spatiaux, en contradiction avec les engagements de la loi de programmation militaire, qui avait exclu toute contribution du ministère de la défense au titre des crédits du BCRD.

Le niveau des transferts devait graduellement baisser d'environ 1 milliard de francs en 1996 et 1997, au titre des reports, à 500 millions de francs en 1998, pour disparaître par la suite. Si l'exercice 1998 correspond bien à ce schéma, force est de constater que le projet de budget pour 1999 envisage un transfert de 900 millions de francs, destinés essentiellement aux recherches dans le domaine spatial.

Certes, les transferts de crédits militaires vers les programmes civils peuvent être acceptés si ceux-ci sont effectivement affectés à des études amont qui présentent un intérêt direct pour la défense, mais la participation des crédits militaires aux dépenses spatiales civiles représente un simple abondement du budget du CNES.

Les conséquences de l'affectation de crédits duaux sur le budget spatial sont d'autant plus importantes que le montant des crédits d'études gérées par la DGA ne dépassera pas 265 millions de crédits de paiement en 1999.

En attendant que les partenaires européens s'engagent sur des projets en coopération, la France garantit le déroulement des programmes majeurs qu'elle conduit dans le cadre du plan pluriannuel spatial militaire et prépare leur renouvellement afin d'assurer la nécessaire continuité de service.

C'est ainsi que notre pays propose à ses partenaires espagnol et italien de participer au lancement du satellite Hélios 1 B en décembre 1999 pour assurer la continuité du premier satellite. De même, devant les incertitudes italienne, espagnole et belge à la participation à la seconde génération Hélios 2, et à la suite de l'abandon des projets allemandes de coopération dans le domaine spatial, le projet de budget prévoit un financement de 1 254 millions de francs pour le développement du système Hélios 2.

En raison du coût élevé d'un sytème radar et de l'impossibilité pour un seul pays d'en assurer le financement, l'accès à la filière du renseignement « tout temps » a été envisagé dans un cadre multinational avec l'Allemagne, l'Espagne, la France et l'Italie. La préférence allemande pour un système d'observation radar a d'ailleurs lié les négociations sur les deux catégories de satellites d'observation, optique et radar.

La persistance des incertitudes allemandes a conduit le Gouvernement à arrêter le programme Horus dans le cadre de la revue de programmes sans pour autant renoncer à l'acquisition d'une capacité d'observation radar sur la période du plan pluriannuel spatial militaire. La maturité croissante du concept de petits satellites a entraîné le réexamen des projets de recherche et des capacités d'observation.

La succession du programme national de communications satellitaires Syracuse II, qui repose sur des charges utiles intégrées aux satellites civils Télécom et dédiées aux u sages militaires, se révèle également difficile. Des compléments au programme initial et des améliorations v isent à prolonger la durée de vie du système jusqu'en 2005 et à améliorer l'interopérabilité avec les autres systèmes de télécommunications.

La recherche d'une coopération européenne se justifiait par la concordance des dates de remplacement des systèmes nationaux britannique et français, et par la converg ence des besoins opérationnels avec l'Allemagne.

L'annonce, le 12 août dernier, que la Grande-Bretagne ne prendrait pas part à la phase de définition du programme en coopération montre qu'une solution nationale a été privilégiée en raison de différences d'approche sur le recours aux techniques EHF et de considérations industrielles.

Il sera donc nécessaire d'envisager une solution intermédiaire dans l'attente de la réalisation d'un système commun, même si cette solution ne permet pas les communications protégées.

Les aléas de la coopération européenne expliquent de manière prépondérante le niveau des dotations prévues dans le projet de budget pour 1999. Le projet de loi de finances initiale apparaît ainsi raisonnable, voire trop raisonnable.

Notre pays se voit contraint d'assurer presque seul la mise en oeuvre des systèmes de nouvelle génération. Cet état de fait pose deux questions sur la réalité de l'engagement européen dans le domaine de la prévention puis de la gestion des crises, dont l'actualité montre la nécessité, et sur la capacité de la France à continuer l'effort qu'elle a mené jusqu'à présent.

On ne comprendrait pas l'abandon de systèmes qui éclairent les décisions politiques, assurent l'indépendance d'appréciation et sont en cohérence avec les objectifs majeurs de la programmation militaire. Le bénéfice des efforts passés ne doit pas être perdu, et seules les dotations des prochains exercices pourront éviter les remises en cause des acquis indispensables à l'indépendance de la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Georges Lemoine, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour la gendarmerie.

M. Georges Lemoine, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour l a gendarmerie.

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, la présentation du budget de la gendarmerie pourrait être l'occasion d'une revue de détail, mais, en l'absence de mon ami Robert Poujade, je ne me livrerai pas à ce genre d'exercice ! (Sourires sur divers bancs.)

Le temps nous est compté et, de toute façon, personne n'y trouverait intérêt, sauf à parler pendant cinq heures d'un pacte d'amitié et de solidarité qui unit depuis deux siècles la gendarmerie à la nation ! (Sourires.)

M. Charles Cova.

Alors, « pacsons » !

M. Georges Lemoine, rapporteur pour avis, pour la gendarmerie.

Loin de toute allusion à l'actualité, il nous faut reconnaître les liens profonds qui témoignent d'une réelle solidarité. La preuve nous en a encore été apportée ces dernières semaines quand ont été évoquées des questions de « redéploiement ». Vous avez compris, monsieur le ministre, que je ne parlerai pas du rapport Hyest-Carraz, qui vivra sans doute moins longtemps que le Malet-Isaac ou que le Lagarde et Michard ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Yann Galut, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour l'air.

On l'espère ! On veut garder nos gendarmes !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 NOVEMBRE 1998

M. Georges Lemoine, rapporteur pour avis, pour la gendarmerie.

Rappelons brièvement ce qui, à la lecture de votre budget, peut nous réjouir : une hausse du budget de la gendarmerie de 2,63 %, 714 emplois budgétaires supplémentaires ; au titre III qui croît de 2,6 %, des rémunérations en hausse de 3,6 % en application des accords salariaux intervenus en 1998. Aux titres V et VI en augmentation de 1,28 %, les dotations pour entretien programmé des matériels s'accroissent de 9,2 %. Ce budget est donc marqué par un effort significatif dans ces différents chapitres.

Néanmoins, et pour satisfaisants qu'ils soient, ces chiffres ne peuvent totalement faire oublier la forte baisse des subventions d'investissement, 11,4 %. Mais surtout, monsieur le ministre, je dois rappeler que les crédits de fonctionnement baissent de 1 %, même si, à l'intérieur de cette enveloppe, les crédits de maintien de l'ordre augmentent de 70 millions de francs.

Ces crédits devraient permettre à la gendarmerie de régler sa dette à Air France qui s'élève à 10 millions de francs, ainsi que les intérêts accumulés pour un montant équivalent.

Par contre, le budget de fonctionnement des formations, c'est-à-dire des unités sur le terrain, est en diminution, de 5,8 %, ainsi que les crédits destinés aux loyers - moins 1,35 %.

Monsieur le ministre, le rappel de ces chiffres traduit notre inquiétude, qui, je l'espère, sera de courte durée.

En effet, et pour respecter le discours sur la sécurité prononcé par le Premier ministre à Villepinte, nos collègues - et je m'en réjouis - ont décidé hier de réadapter les crédits du ministère de l'intérieur. L'effort, en termes de sécurité, ne se divise pas. Il s'ajoute. Dans cette perspective, et non dans celle d'une concurrence qui serait mal venue, il est nécessaire que la demande de 50 millions de francs, qui nous paraît obligatoire pour assurer un fonctionnement des brigades, soit prise en compte.

M. Yann Galut, rapporteur pour avis, pour l'air.

C'est important !

M. Georges Lemoine, rapporteur pour avis, pour la gendarmerie.

A la demande de la commission de la défense, je me permets d'insister fortement sur ce point.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Dans le contexte psychologique que nous connaissons depuis quelques semaines, une réponse positive serait la preuve qu'en termes de sécurité il n'y a pas deux poids, deux mesures. Il n'y a qu'une seule volonté : celle de mettre en place les moyens nécessaires.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Pour renforcer cette demande, un rappel. La durée moyenne du travail quotidien en gendarmerie départementale est de neuf heures huit minutes. Les jours de déplacements effectués par la gendarmerie mobile, l'année passée, s'élèvent à 216, ce qui représente déjà un max imum. Enfin, l'évolution per capita des dotations accordées au fonctionnement des unités, hors loyer et maintien de l'ordre, est presque revenue au niveau de 1998, année de « la grogne » dans la gendarmerie.

Je ne veux pas croire au cycle des décennies parce que je sais que les gendarmes sauront apprécier les efforts que vous consentirez en leur faveur.

M. Didier Boulaud.

Très bien !

M. Georges Lemoine, rapporteur pour avis, pour la gendarmerie.

Je voudrais vous dire également, monsieur le ministre, le soin que la commission entend accorder à l'enjeu représenté par l'accueil des gendarmes adjoints, dont le premier contingent est en formation depuis peu de temps à Montargis.

Pour l'année 1998, le Premier ministre vous a autorisé à recruter 800 jeunes gendarmes adjoints par anticipation.

Nous nous en réjouissons, puisqu'il a confirmé les 3 000 recrutements pour l'année 1999. A Montargis, le 12 octobre, 324 jeunes sont entrés en formation : 177 venaient du corps des gendarmes auxiliaires en cours de service national au titre de VSL - volontaires service long - et 147 sont d'anciens gendarmes auxiliaires rendus à la vie civile. Leur moyenne d'âge est de vingt-deux ans et six mois, et 73 % d'entre eux sont titulaires du baccalauréat ou d'un diplôme d'enseignement supérieur.

J'ai passé hier la journée avec eux.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Ah !

M. Alain Richard, ministre de la défense.

C'est cela un rapporteur ! (Sourires.)

M. Georges Lemoine, rapporteur pour avis, pour la gendarmerie.

Ils posent des questions. Quelle sera leur solde ? Y aura-t-il une différence entre la leur et celle d'un adjoint de sécurité du ministère de l'intérieur ? Pourrontils être logés en brigade ? Sinon, qui paiera le loyer ? Quand un jeune, âgé aujourd'hui de vingt-cinq ans, en formation à Montargis pourra-t-il être candidat dans une

ESOG ? Combien d'années devra-t-il passer comme gendarme adjoint avant d'entrer dans une école, après succès au concours ? Que fera la gendarmerie pour ceux qui n'intégreront pas définitivement cette armée après avoir passé quatre années comme gendarme adjoint ? Enfin, peut-on envisager la création d'un concours interne réservé aux gendarmes adjoints pour entrer dans une école de sous-officiers de la gendarmerie ? Pour les futurs gendarmes adjoints, issus directement de la société civile, il faudrait porter à douze semaines le temps de formation dans un centre d'instruction de gend armes adjoints. Ce temps est aujourd'hui de dix semaines, cela me paraît trop bref.

En 2002, il aura fallu former 16 230 gendarmes adjoints, dont le plus grand nombre souhaitent faire carrière dans la gendarmerie. Je tiens à souligner la motivation de ces jeunes, qui sont aujourd'hui l'avenir de notre g endarmerie. Mais n'oublions pas que, dans cinq semaines, ces mêmes jeunes seront dans les brigades. Les conditions de travail qu'ils y constateront affirmeront ou c onfirmeront leur enthousiasme. C'est pourquoi les moyens financiers nécessaires au bon fonctionnement de ces brigades doit être garanti.

En conclusion, monsieur le ministre, la boucle est refermée. Avec 50 millions de plus, votre budget répondra à toutes nos attentes. Et c'est fort de cette confiance que nous le voterons. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Claude Sandrier, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour les forces terrestres.

M. Jean-Claude Sandrier, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour les forces terrestres.

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, cinq minutes pour 50 milliards de francs, c'est bref ; en tout cas, cela laisse peu de place pour la réflexion.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 NOVEMBRE 1998

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Cela fait 10 milliards la minute !

M. Jean-Claude Sandrier, rapporteur pour avis, pour les forces terrestres.

Merci ! Ce rapport sur le budget de l'armée de terre rappelle tout d'abord les engagements du Gouvernement, à savoir le passage à une armée entièrement composée de professionnels, militaires de carrière ou volontaires, et dont l'axe essentiel est la projection des forces, cela conformément aux grandes orientations définies par le Président de la République et votées par le Parlement en juillet 1996.

Ce projet de budget pour 1999 s'élève à 49,2 milliards de francs, soit une augmentation comparable à celle de l'ensemble du budget de la défense, qui est de 2,7 % par rapport à 1998. Le titre III s'élève à 30,7 milliards de francs. Il conserve son niveau précédent. Les titres V et VI progressent de 6,5 %, à 18,46 milliards de francs.

Toutefois, les autorisations de programme subissent une baisse de 9,8 %, inquiétante dans la mesure où le stock dont disposait l'armée de terre est en train de s'assécher.

Face à ce budget, le chef d'état-major de l'armée de terre a évoqué sa « satisfaction lucide » quant au titre V et son « inquiétude raisonnée » quant au titre III. Il a observé que le projet de budget « permettait de poursuivre la refondation de l'armée » et de « garantir ses capacités opérationnelles » notamment celles consistant à projeter en 1999 20 000 hommes avec leur matériel, conformément aux engagements prévus dans le cadre de la réorganisation de l'armée.

L'évolution des effectifs sera respectée avec 186 744 postes budgétaires ; 230 postes d'officiers, 1 220 postes de sous-officiers, 22 260 postes d'appelés seront supprimés, alors que 5 879 postes d'engagés militaires du rang et 1 361 postes volontaires seront créés. Le chef d'état-major a souligné le total respect des objectifs en matière de recrutement tant en quantité qu'en qualité. Les postes d'emplois civils augmenteront de 368 unités.

Il semble toutefois difficile qu'ils soient tous pourvus.

Cela semble contradictoire avec la suppression de milliers d'emplois à GIAT, à la DCN et à la DGA. Sans doute conviendrait-il de mieux favoriser ces transferts.

S'agissant des grands programmes d'armement terrestre, ils seront conformes à la revue des programmes que vous avez effectuée, monsieur le ministre, notamment pour le char Leclerc, le véhicule blindé léger, l'hélicoptère Tigre et l'hélicoptère NH90. Je pense toutefois qu'un rééquilibrage devrait se faire en faveur des armements conventionnels terrestres, que ce soit pour les études et le développement aussi bien que pour la fabrication. Dans ce cadre-là, le véhicule blindé de combat d'infanterie devrait être réexaminé à la lumière des difficultés de la coopération européenne en ce domaine, de l'urgence de trouver une solution et des besoins réels de l'armée de terre.

M. Yves Nicolin.

Très bien !

M. Jean-Claude Sandrier, rapporteur pour avis, pour les forces terrestres.

Si le Vextra de GIAT est trop cher parce que trop bien, comme on nous le dit, essayons au moins de négocier avec GIAT pour un char moins sophistiqué et donc moins cher.

M. Yves Fromion.

Sans les roues !

M. Jean-Claude Sandrier, rapporteur pour avis, pour les forces terrestres.

Si les capacités opérationnelles sont préservées, je ne manquerai pas de relever l'inquiétude de notre commission concernant la baisse des crédits de fonctionnement des forces. Baisse d'ailleurs prévue et d'autant plus prévisible que chacun savait que le coût de la professionnalisation irait croissant les premières années, que celle-ci se met en place dans un délai extrêmement court et dans le cadre d'une politique de contraintes budgétaires instituées par le pacte de stabilité et qui pèse fortement sur les dépenses publiques.

Toutefois, monsieur le ministre, pour faire face à cette étape délicate de restructuration de l'armée de terre - qui est l'arme où les changements sont les plus profonds -, je vous demande, au nom de notre commission unanime, de bien vouloir ne pas faire supporter le report des charges de crédits de fonctionnement de plus de 300 millions de francs dans le budget 1999 de l'armée de terre et de permettre l'inscription de cette somme dans une prochaine loi de finances rectificative.

En forme de conclusion, vous permettrez à votre rapporteur d'exprimer son opinion. L'année dernière, j'avais tenu à exprimer mes plus extrêmes réserves sur les choix effectués, à commencer par les milliers de suppressions d'emplois industriels qu'induirait le budget 1998. Malheureusement, les décisions prises concernant Giat Industries, la déflation des effectifs et les restructurations en cours et en préparation à la DCN, celles de la DGA, ont confirmé ces craintes.

Le budget pour 1999 ne lève pas les inquiétudes pour l'avenir, inquiétudes accrues par la préparation des restructurations européennes orchestrées par l'OCCAR dont l'antenne principale est à Bonn. Le pilotage par une logique de marchés, pire par une logique financière, qui est en train de prévaloir dans l'industrie d'armement, pose, au-delà des questions essentielles d'emploi, celles tout aussi essentielles de l'autorité de l'Etat, de notre souveraineté, celle aussi de la définition d'une véritable politique de sécurité européenne, un cadre pour sa mise en place, avant d'abandonner quelque compétence, savoirfaire ou technologie sensible que ce soit.

Bref, il s'agit de savoir dans ce domaine - et peut-être dans ce domaine surtout -, si, comme le déclarait récemment un analyste de l'UNESCO, les responsables politiques accepteront toujours avec passivité la tyrannie de l'urgence et du court terme ou si, un jour, ils choisiront d'anticiper au lieu de s'adapter.

C'est également dans un souci d'anticipation qu'un effort sans précédent doit être entrepris, à côté des pro ductions d'armement dont nous avons besoin, pour la diversification de nos industries de défense, notamment en interne. Effort sans lequel seront perdus compétences et savoir-faire, potentiel humain et technologique, affaiblissant des villes et des territoires.

Enfin, bien que le temps soit très compté, je n'aurai garde de mentionner que la commission a émis un avis majoritairement favorable à l'adoption des crédits destinés aux forces terrestres.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M.

le président.

La parole est à M. Jean-Yves Le Drian, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour la marine.

M.

Jean-Yves Le Drian, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour la marine.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d'abord un élément de satisfaction : la contrainte budgétaire qui pesait sérieusement sur le budget de 1998 est partiellement levée pour 1999.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 NOVEMBRE 1998

M.

Charles Cova.

« Partiellement » : dont acte !

M.

Jean-Yves Le Drian, rapporteur pour avis, pour la marine.

Les crédits de la marine atteignent près de 34 milliards, soit une augmentation globale d'environ 4 %.

Cette progression est encore plus sensible pour les dépenses en capital, dont les crédits de paiement augmentent de 7,5 %. Certes, les crédits restent en retrait par rapport à la loi de programmation, et leur progression sensible ne permet pas de résorber ce que l'on appelle p udiquement mais, de plus en plus fréquemment,

« l'encoche ».

Mais le retard est rattrapé pour moitié, ce qui va permettre de desserrer sensiblement les programmes d'équipement. Il convient aussi de noter que la part de la marine dans le budget global de la défense connaît, pour la première fois depuis dix ans, un léger redressement après une série d'érosions successives. Il conviendrait que cette tendance se poursuivre dans les exercices ultérieurs.

Toutefois, ce budget subit, comme les autres, quelques

« turpitudes » budgétaires : transfert de charges d'entretien programmé des matériels du titre III au titre V, augmentation de la part patronale de cotisations au fonds de pension des ouvriers d'Etat, transfert de charges d'immobilisations de l'ex-DCN étatique. Tout cela pèse sur le titre V à un niveau que l'on peut évaluer à plus de 350 millions de francs, ce qui est un handicap par rapport au chiffre annoncé tout à l'heure.

Aussi, en dépit d'une progression notable, on peut légitimement s'interroger : le projet de budget pour 1999 correspond-il aux besoins de la marine et lui permet-il d'assurer sa mission et de rallier le modèle 2015, même dans un schéma minimum ? La réponse n'est pas obligatoirement et systématiquement affirmative, même si elle ne pourra être vérifiée qu'après la future loi de programmation. En effet, un certain nombre de difficultés et d'incertitudes lourdes demeurent.

Dans le domaine du fonctionnement, la marine doit relever plusieurs défis liés à la professionnalisation.

La réduction de 20 % du format oblige à désarmer des bâtiments avant terme et à professionnaliser en priorité les forces projetables, donc à remplacer rapidement les appelés embarqués, dans un contexte global de déflation des effectifs - moins 3 392 en 1998. L'exercice n'est pas simple.

Le rythme d'intégration du personnel en provenance de la DCN s'est fortement ralenti en 1998, ce qui témoigne des difficultés et des limites de l'exercice pour des raisons d'inadéquation géographique et professionnelle, ce qui entraîne des perturbations dans les unités du fait de l'impossibilité de pourvoir à des postes indispensables.

La progression des rémunérations et charges sociales s'opère au détriment des dépenses courantes de fonctionnement des unités, ce qui posera certainement des problèmes l'an prochain.

Cela étant, la détermination de l'état-major et le tempérament des marins permettent de penser que ces défis concernant le fonctionnement pourront être relevés.

En revanche, nous émettons davantage de réserves sur le niveau des équipements à l'avenir.

Nous notons avec satisfaction, cela a déjà été dit, que les capacités de la FOST sont préservées, avec la livraison du quatrième SNLE-NG en 2008, directement équipé de la version M 51, dont le programme est avancé.

Nous prenons acte du fait que la constitution du groupe aéronaval se poursuivra avec l'admission au service actif du Charles de Gaulle en 1999, l'acquisition d'un troisième Hawkeye et la confirmation de la livraison du premier Rafale marine en 2001.

Il demeure que plusieurs interrogations soulevées l'an dernier par la commission n'ont pas été levées.

La plus importante, me semble-t-il, porte sur la disponibilité du groupe aéronaval. Celle-ci est amoindrie par le retrait du Foch en 2001 et par le retard pris pour la livraison de la première flottille Rafale en version intercepteur. De plus, à deux reprises, les IPER immobiliseront le Charles de Gaulle, une première fois vers 20042005, une deuxième fois vers 2010-2011.

La disponibilité du groupe ne sera donc pas totalement assurée pendant ces périodes, et jusqu'en 2015 une incertitude subsistera quant à l'action globale de la marine en raison de l'existence d'un seul porte-avions.

Nous estimons qu'il y a là un pari politique majeur sur les menaces. Il est sans doute évalué et calculé, mais il y a néanmoins un risque, qui ne pourra être supprimé que si l'on décide d'engager la construction d'un second porteavions ; ou alors il faudra, dans la future loi de programmation, redéfinir les missions de la marine, car si on v eut les maintenir il sera indispensable d'avoir ce deuxième porte-avions.

La deuxième incertitude porte sur l'âge moyen de la flotte de surface, lequel est compris entre dix-sept et dixhuit ans. Cette moyenne élevée entraîne inévitablement des conséquences en termes d'entretien : plus l'âge est avancé, plus l'entretien coûte cher. Par ailleurs, les perspectives de renouvellement des bâtiments sont limitées : elles ne portent que sur les frégates La Fayette et sur l'apparition d'une nouvelle génération de TCD avant la fin de la programmation.

La troisième interrogation concerne la frégate Horizon.

Malgré vos déclarations, monsieur le ministre, et celles du chef d'état-major de la marine, nous restons perplexes sur sa mise en oeuvre. En effet, tout en prenant acte de l'affirmation politique de la volonté d'aller de l'avant, nous nous apercevons que l'architecture industrielle du projet n'est pas encore très claire. Nous souhaiterions avoir des précisions sur ce sujet.

Je voudrais terminer en évoquant une quatrième préoccupation, assez largement partagée par les membres de la commission : l'incertitude sur l'avenir de la DCN. Nous sommes contraints de constater que la restructuration et la modernisation de la DCN sont aujourd'hui plus subies qu'anticipées - mais cela, on l'a vu récemment, vaut également pour les chantiers civils - et que persiste un manque de lisibilité à long terme. Je ne peux que le répéter, la motivation, voire l'angoisse, des personnels et des cadres provient autant de l'absence de perspectives que de l'inévitable réduction des commandes.

Certes, on a constaté des progrès, la séparation comptable des services étatiques et industriels. Mais on a également enregistré une réduction considérable des effectifs de la DCN, qui ont diminué de 30 % de 1993 à 1998, avec des conséquences sociales et psychologiques parfois considérables, avec aussi des risques de perte de compétence.

Toutefois, l'essentiel, pour la commission et pour ceux qui suivent particulièrement ces dossiers, c'est que l'on ne sache pas bien où l'on va. Vous avez dit, monsieur le ministre, à la fois votre attachement au statut et votre volonté de faire de la DCN une véritable entreprise industrielle. Vous avez confié à M. Moynot une mission.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 NOVEMBRE 1998

Vous avez demandé à la direction de la DCN d'élaborer un plan d'entreprise. Tout cela est en route, mais n'est pas achevé ; or il y a urgence. Nous souhaitons, pour nous-mêmes, c'est-à-dire pour la représentation nationale, mais aussi pour l'ensemble des personnels qui y travaillent, ouvriers et cadres, qu'on nous dise la vérité et qu'on définisse une stratégie. Il ne faut pas attendre pour définir ce que sera le moyen terme.

A cet égard, je vous rappelle que l'an dernier la commission avait souhaité qu'il soit procédé à une réforme des procédures d'appel d'offres et des procédures comptables de la DCN, réforme qui corresponde à un véritable établissement industriel. Elle aurait souhaité aussi une plus grande autonomie de DCN-International sur la maîtrise de ses flux financiers.

M. Loïc Bouvard.

Absolument !

M. Charles Cova.

Cela devient urgent !

M. Jean-Yves Le Drian, rapporteur pour avis, pour la marine.

Comme rien n'a bougé, nous avons renouvelé nos observations à l'unanimité, en vous précisant qu'on ne peut pas à la fois souhaiter que la DCN se comporte en industriel et lui en refuser les moyens. Nous savons que votre position n'est pas éloignée de la nôtre. Il faut agir pour que Bercy puisse comprendre cette évolution indispensable, mais qui ne permet pas à elle toute seule de régler l'avenir de nos établissements et de nos arsenaux.

M. Loïc Bouvard.

Très bien !

M. Jean-Yves Le Drian, rapporteur pour avis, pour la marine.

Voilà, monsieur le ministre, quelques observations rapides - 5 minutes pour 34 milliards - sur le budget de la marine. Sous réserve de ces observations, la commission de la défense a donné un avis favorable au budget de la marine. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Charles Cova.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Yann Galut, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour l'air.

M. Yann Galut, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour l'air.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget de l'armée de l'air pour 1999 s'élève à 35,8 milliards de francs, soit une augmentation de 2,6 % par rapport à l'année dernière. Comme l'an dernier également, il représente 18,9 % du budget de la défense.

Le titre III, fixé à 15,8 milliards de francs, connaît une légère diminution, de 0,98 %. En revanche, le titre V, après avoir été réduit de 11,4 % en 1998, progresse de 5,6 % et, avec 20,238 milliards de francs, correspond pour ainsi dire parfaitement au titre V découlant de la revue de programmes.

S'agissant du titre III, deux points sont à noter.

Les crédits de rémunération y prennent de plus en plus de place. Ils augmentent de 341,5 millions de francs, soit de 2,7 %. C'est là la conséquence de la professionnalisation.

En revanche, les crédits de fonctionnement courant diminuent de 5,2 %, après avoir baissé de 4 % l'an dernier. L'armée de l'air absorbe cette diminution continue de façon remarquable. En fait, on peut estimer qu'elle l'a anticipée, grâce à la restructuration qu'elle a entamée depuis longtemps et qui se poursuit.

Fin 1999, l'armée de l'air disposera en effet de trentesix implantations contre cinquante-quatre en 1982. En moyenne, les bases de l'armée de l'air sont donc de plus en plus importantes. Cette évolution réduit le coût du soutien. De plus, le budget de fonctionnement des bases a été distingué des dépenses liées à l'activité opé rationnelle ; il a également été décentralisé et confié aux commandants de base, dont les responsabilités ont aussi été élargies au recrutement et à la reconversion des militaires du rang. Tout récemment, l'organisation des bases a été réformée pour tenir compte de ces novations.

Parallèlement, l'armée de l'air poursuit à un rythme rapide sa professionnalisation. Alors qu'elle disposait de plus de 32 000 appelés en 1996, il n'en est plus prévu que 11 000 au milieu de l'année 1999 et 6 000 en l'an 2000. A la fin 1998, elle n'en a plus que 14 000, ce qui signifie qu'elle a d'ores et déjà perdu 60 % de ses appelés. Le budget de l'armée de l'air pour l'an 2000 sera donc pratiquement le budget d'une armée professionnelle.

C'est pourquoi, même si l'armée de l'air s'est dotée de meilleurs instruments pour aborder l'année 1999, celle-ci est une année charnière pour sa professionnalisation.

L'armée de l'air va ainsi créer 2 371 postes de militaires du rang engagés, portant leur effectif aux deux tiers de l'effectif final. Le recrutement local, au niveau de la base aérienne - et j'ai pu le constater en visitant la base d'Avord il y a quelques semaines - apparaît fonctionnel, en même temps qu'il est une contribution utile en termes d'aménagement du territoire. L'armée de l'air est satisfaite des prestations fournies par les MTA, militaires techniciens de l'air. Elle a par ailleurs défini ses axes d'actions de formation et de promotion pour leur permettre d'aborder au mieux la suite de leur carrière professionnelle.

Le montant du titre V correspond aux décisions de la revue de programmes. De ce fait, les opérations d'équipement prévues pour 1999 seront toutes réalisées. Seront livrés vingt-deux Mirage 2000 de défense aérienne transformés en Mirage 2000-5, douze Mirage 2000 D d'attaque au sol, vingt-cinq missiles MICA pour les Mirage 2000-5 et deux pods de désignation laser pour les Mirage 2000 D. En fin d'année, l'armée de l'air mettra ainsi en oeuvre son premier escadron de Mirage 2000-5 et troise scadrons de combat de Mirage 2000 D. Enfin, 500 armements air-sol modulaires seront commandés pour être livrés à partir de 2004.

La force aérienne de projection, elle, retrouvera neuf Transall rénovés, recevra un CASA CN 235 et commandera deux hélicoptères Cougar Resco.

S'agissant de l'avenir de l'armée de l'air, il faut évoquer à la fois le nouvel avion d'armes et le futur avion de transport.

Le nouvel avion d'armes sera le Rafale. Pour qui en douterait, il suffit d'indiquer que l'article 15 du nouveau chapitre 53-71, qui est désormais l'article budgétaire consacré au Rafale Air, comporte, pour 1999, 3 750 millions de francs de crédits de paiement auxquels s'ajoutent 3 123 millions de francs d'autorisations de programme.

Une commande pluriannuelle devrait être passée incessamment. Le premier escadron de Rafale sera opérationnel en 2005.

L'échéancier prévisionnel de retrait des avions de combat existant montre que le calendrier de livraison du Rafale tel qu'il a été maintenu est fonctionnel et correspond aux besoins de l'armée de l'air, du fait par ailleurs de l'équipement important de l'armée de l'air en Mirage


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2000 D. Les reculs effectués autrefois sur ce calendrier n'ont donc pas eu pour conséquences d'obérer les capacités opérationnelles de l'armée de l'air.

Les Transall puis les C 130 devront être remplacés à partir de 2004. Cependant, le besoin est maintenant d'un appareil plus volumineux et plus puissant pour la projection des forces avec leur matériel et à longue distance dans le cadre d'opérations extérieures ou de maintien de la paix.

Le dossier de cet avion de transport futur se concrétise progressivement. Certes, le calendrier connaît un léger glissement. Après que la fin de l'année 2005 a été évoquée pour son entrée en service, il semble qu'on envisage plutôt maintenant le début de 2006.

Cependant, après la définition des spécifications par huit chefs d'état-major européens, le prélancement a été fait en juin dernier et un appel d'offres a été lancé fin juillet à Airbus Industrie, Boeing et Lockheed. La remise des offres est prévue le 31 janvier 1999.

L'achat sur étagère d'avions existants semble donc perdre de sa pertinence. Plusieurs divergences ont été notées entre l'Antonov 70 et les spécifications de l'ATF.

Certaines d'entre elles semblent incontournables sans modifications sérieuses. Il n'est, semble-t-il, plus sûr non plus que le prix de cet appareil soit compétitif. Enfin, il apparaît de plus en plus que l'achat d'une flotte mixte de C 17 et de C 130 n'aurait qu'un caractère partiellement satisfaisant, le C 17, qui est très coûteux, ne disposant que de capacités tactiques limitées, tandis que le fuselage du C 130 est manifestement trop étroit.

On peut donc avoir bon espoir que les résultats de l'appel d'offres aboutissent à une solution satisfaisante à la fois pour l'industrie aéronautique européenne, et donc aussi pour l'emploi en France et en Europe, tandis que l'armée de l'air verrait se concrétiser une étape supplémentaire vers la réalisation de l'avion dont elle a besoin.

Compte tenu de ces observations, la commission de la défense a donné un avis favorable à l'adoption des crédits destinés à l'armée de l'air pour 1999.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Charles Cova.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. François Huwart, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour le titre III et les personnels de la défense.

M. François Huwart, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour le titre III et les personnels de la défense.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le titre III du budget de la défense s'élève à 104 milliards de francs hors pensions, contre 103,7 milliards de francs en 1998, soit une hausse de 0,29 % en francs courants et une baisse de 0,9 % en francs constants.

Dans ce total, les crédits de rémunération sont en hausse de 2,86 %. Ils atteignent, en effet, 82,8 milliards de francs.

Cette hausse est liée bien évidemment à la professionnalisation, et je veux souligner ici que celle-ci continue à s'effectuer de façon absolument satisfaisante et en conformité avec les prévisions de la loi de programmation milit aire. A la fin de 1998, les effectifs réels seront de 498 599, soit un chiffre conforme à la programmation. Pour 1999, les postes budgétaires prévus sont tous ouverts selon les prévisions, globalement et par catégorie.

La politique des pécules, qui a montré son efficacité l'an dernier, sera reconduite cette année. La dotation s'élèvera à 810 millions de francs. Compte tenu de la baisse de 10 % du montant des pécules, cette dotation permettra d'assurer le même nombre de départs aidés qu'en 1998.

Le recrutement des militaires du rang, il faut aussi le souligner, se poursuit de façon satisfaisante. Les armées sont satisfaites du niveau de recrutement et de sélection.

Les dispositifs de reconversion se mettent en place.

La seule difficulté concerne les civils, pour lesquels un déficit de 12 % environ est constaté. On peut néanmoins observer que ce déficit est stabilisé, ce qui signifie que le ministère de la défense travaille à pourvoir les emplois budgétaires ouverts en organisant désormais des concours.

J'aurais souhaité également parler des personnels retraités, mais compte tenu du bref temps qui m'est imparti, je laisserai à M. Charles Cova, qui a présenté en commission une proposition qui a été adoptée à l'unanimité, le soin d'en parler.

Les rémunérations représentent désormais 80 % du titre III contre 77,6 % en 1998. Cela signifie que les crédits de fonctionnement hors rémunérations et charges sociales diminuent. De fait, de 23,2 milliards de francs en 1998, ils passeront à 21,1 milliards de francs en 1999.

Ils perdent ainsi 2,1 milliards de francs entre 1998 et 1999, soit 9 % en francs courants, et plus encore si l'on raisonne en francs constants.

L'importance de cette diminution mérite que l'on s'y arrête. Mais d'abord, je voudrais rappeler que la loi de programmation prévoit une diminution du montant des crédits de fonctionnement de 20 % entre 1997 et 2002.

En 1999, conformément à la programmation, la réduction nette des effectifs se traduit par une économie mécanique de 1,2 milliard de francs.

Cependant, cette diminution traduit aussi, comme chaque année, des effets de structure. Ainsi, 950 millions d e francs d'économie correspondent à des mesures d'adaptation de périmètre, qui ne réduisent pas les moyens de fonctionnement des armées, tels l'actualisation des cours des produits pétroliers, qui sont fortement à la baisse, les économies liées à la revue de programmes du titre V ou le transfert au titre V de 400 millions de francs de crédits d'entretien programmé du matériel.

Compte tenu de ces modifications, la réduction nette réelle des moyens de fonctionnement est plus proche de 5 % que de 9 %. Par ailleurs, le budget de fonctionnement se voit affecter des ressources nouvelles pour traiter les ajustements et conduire les actions nouvelles consécutives à la professionnalisation. Ainsi 50 millions de francs en crédits nouveaux sont-ils prévus pour la sous-traitance, 60 millions pour faire face à divers coûts de transition et de restructuration et 70 millions pour des crédits d'ajustement de maintien de l'ordre.

En revanche, il apparaît bien que 400 millions de francs d'économies supplémentaires seront dégagés par des efforts importants d'amélioration de la productivité demandés aux armées et services. Le ministère de la défense contribue donc effectivement à l'effort général de rigueur budgétaire et de maîtrise des dépenses de l'Etat.

Comment interpréter ces évolutions ? Faut-il considérer que ces 400 millions de francs d'économies supplémentaires par rapport au budget de 1998, soit 1,7 % de son montant, suffisent pour introduire une rupture, alors même que la diminution régulière des crédits de fonctionnement a été planifiée par la loi de programmation


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militaire elle-même ? A vrai dire, pour cette même raison, il ne me semble pas qu'on puisse affirmer que tel soit le cas.

En revanche, il est clair que, si la réduction est bien globalement en adéquation avec la réduction du format des armées, elle implique qu'il y ait moins de dépenses effectives. Pour faire face, il faut restructurer unités, services et implantations. Il ne faut pas sous-estimer cet effort, ajouté aux mouvements de personnels liés à la professionnalisation ; le mener à bien est difficile.

Il reste que cet effort a été voulu, décidé et planifié par la loi de programmation militaire, tant lors de sa préparation que lors de sa discussion. De ce point de vue, il apparaît que la réduction de 1,2 milliard de francs de crédits liée à la réduction des effectifs d'appelés constitue une forte contrainte, mais que celle-ci est aussi la traduction de la décision qui a été prise en programmation ; la réduction de format devait se traduire par la restructuration des établissements.

La question est donc de savoir non pas si contrainte il y a, mais si sa mise en oeuvre pourrait aboutir à mettre en péril l'efficacité de l'outil de défense. Sur ce point, je dois très largement avouer ma perplexité. En effet, dans le budget de défense, les crédits de fonctionnement courant et les crédits opérationnels sont très largement confondus. Seule l'armée de l'air sépare les dépenses de fonctionnement courant des bases aériennes, qui diminuent de 5,1 %, des dépenses liées à l'activité opérationnelle, qui, elles, ne diminuent que de 1,4 %.

C'est pourquoi, avant toute interprétation hasardeuse, il convient comme l'a annoncé le secrétaire général de l'administration devant la commission de la défense, que la nomenclature budgétaire permette une meilleure appréciation des contraintes sur le fonctionnement de l'outil de défense liées à la programmation.

Pour conclure, il apparaît que le budget de fonctionnement est effectivement un budget contraint. Il apparaît aussi qu'on ne saurait dire qu'il introduit une rupture par rapport à la planification voulue par la loi de programmation militaire. L'Assemblée nationale devra rester attentive à son évolution et à ses conséquences. Pour cela, il est nécessaire que le développement de la transparence budgétaire du ministère soit poursuivi.

L'année 2000 permettra mieux d'apprécier la pertinence de la corrélation établie entre la baisse des effectifs et les restructurations, d'une part, et le maintien opérationnel des unités, d'autre part. Mais, dans la mesure où le titre III pour 1999 correspond aux prévisions de la loi de programmation, et où il est prématuré d'évaluer si une remise en cause est nécessaire, la commission de la défense nationale et des forces armées a donné majoritairement un avis favorable à l'adoption des crédits du titre III de ce budget.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jean Michel, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour les crédits d'équipement.

M. Jean Michel, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour les crédits d 'équipement.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cinq minutes pour 86 milliards, c'est peu.

La commission de la défense a pris la décision de présenter pour la première fois un avis budgétaire sur les crédits d'équipement militaire dans le cadre de la loi de finances pour 1999. C'est une approche complémentaire pour illustrer les choix majeurs d'équipement militaire, sans se substituer aux analyses des avis relatifs aux dotations des différentes armées ou services qui vous ont été présentées.

En premier lieu, il convient de se féliciter que le mouvement continu de réduction des crédits d'équipement soit stabilisé grâce à la hausse globale de 7,5 % du titre V.

L'encoche réalisée en 1998 n'est cependant que partiellement résorbée par le projet de budget, puisque les dotations des titres V et VI, à hauteur de 86 milliards de francs, restent inférieures de plus de 3 milliards de francs à la référence de la programmation militaire.

De plus, il convient également d'être attentif à la modification de la structure du budget, qui le rend extérieurement conforme aux décisions de la revue de programmes, mais en réalité en décalage avec elle.

C'est ainsi, et cela a été souligné à plusieurs reprises, que près de 1 400 millions de francs, dont 400 millions de francs au titre de l'entretien programmé des matériels et 900 millions de francs destinés aux crédits duaux, ont été intégrés dans l'enveloppe des crédits d'équipement.

Les conséquences de ce changement de structure sont d'autant plus importantes qu'il sera reconduit sur le restant de la programmation et qu'il peut constituer un ajustement budgétaire supplémentaire.

En second lieu, l'amélioration des méthodes de gestion des crédits et de déroulement des programmes, menée par la DGA, repose essentiellement sur les notions d'opération budgétaire d'investissement et de comptabilité spéciale des investissements.

Mais l'application de la réforme depuis le 1er janvier 1998 a retardé l'engagement des dépenses d'investissement, qui n'a pu réellement être mis en oeuvre qu'à partir de mai dernier. Il y a donc fort à parier que les armées seront dans l'incapacité technique - mais peut-être nous donnerez-vous tout à l'heure des précisions sur ce point, monsieur le ministre - d'engager toutes leurs dotations d'ici à la fin de l'année, et que les reports de crédits, qui avaient diminué à hauteur de 6,77 milliards de francs de 1997 à 1998, n'augmentent à nouveau de manière importante de 1998 à 1999.

Ce changement de nomenclature budgétaire a le mérite d'améliorer la transparence et la clarté de la présentation des crédits budgétaires. Plus d'une vingtaine de programmes peuvent être individualisés sur des articles spécifiques. Mais il convient peut-être de relativiser le passage de 8 à 9 du nombre des chapitres budgétaires, car une analyse fine montre que tous les crédits consacrés à un programme ne figurent parfois pas dans l'article spécifique qui lui est consacré.

En troisième lieu, la commission de la défense nationale a examiné l'adéquation des crédits d'équipement aux objectifs de la programmation. Elle a estimé que les grandes fonctions opérationnelles assignées aux forces armées par la programmation militaire ont été respectées par la revue de programmes, mais au prix d'inflexions dans le calendrier et l'architecture de certains programmes.

Quelques remarques doivent être formulées dans une approche globale sur les programmes majeurs qui structurent l'équipement des forces armées.

D'abord, le redimensionnement de la dissuasion nucléaire est acquis, avec l'inflexion durable des crédits et la confirmation du choix de deux composantes. L'aménagement majeur de la revue de programmes consiste en la simultanéité des calendriers du quatrième sous-marin


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nucléaire de nouvelle génération et du missile M 51. Le point le plus important reste donc la commande en l'an 2000 de ce quatrième sous-marin, pour que la capacité opérationnelle de la force océanique stratégique soit maintenue.

Ensuite, les capacités de projection des forces armées s'appuient sur le renouvellement d'équipements majeurs, déjà souligné par différents intervenants : Rafale, Tigre, porte-avions nucléaires, missiles, etc. Le renforcement de la cohérence suppose que soient menés à terme des programmes qui souffrent encore d'incertitudes techniques ou financières. Des décisions fondamentales devront être bientôt prises pour assurer notamment le développement de l'ATF, améliorer le taux de disponibilité du groupe aéronaval et achever les programmes de missiles.

Enfin, plusieurs interrogations sont liées aux aléas de la coopération européenne.

Les difficultés semblent assez générales, comme le montrent les exemples des hélicoptères Tigre ou NH 90, des frégates Horizon, de l'ATF ou du VBCI. Elles sont d'ailleurs paradoxales au moment où se renforcent les échéances des restructurations industrielles. Elles ont tendance à retarder le renouvellement des programmes spatiaux, dont la durée de vie est strictement limitée, comme le satellite d'observation optique Hélios ou le successeur du système de communication Syracuse. La conséquence immédiate est que la France doit assumer seule le financement des systèmes, dans l'attente de partenaires.

Avant de conclure, je veux attirer votre attention, monsieur le ministre - mais notre ami Boucheron a déjà insisté sur ce point -, sur l'érosion des crédits de recherche depuis presque dix ans.

La préparation de l'avenir ne doit pas être sacrifiée à la recherche à court terme d'économies budgétaires.

En conclusion, il paraît essentiel de rappeler que l'équilibre des programmes d'équipement tient à la régularité des flux financiers qui leur sont affectés et aux prévisions que les industriels peuvent faire sur leur déroulement.

Notre attention doit être constante, afin que la régulation budgétaire ne perturbe pas l'exécution de la première politique d'investissement de l'Etat.

Lorsqu'un Livre blanc sur la défense a précisé les objectifs fondamentaux de la défense nationale et qu'une loi de programmation militaire a été votée puis révisée sur une base réaliste, il apparaîtrait normal que les dotations correspondent à la réalité des choix et des arbitrages rendus.

Il faut espérer qu'existe une volonté commune de mettre en oeuvre la programmation déterminée par le Président de la République, le chef du Gouvernement et le ministre de la défense.

M. François Léotard.

Très bien !

M. Jean Michel, rapporteur pour avis, pour les crédits d'équipement.

La revue de programmes était indispensable, compte tenu du caractère imprécis des chiffrages précédemment effectués. La commission de la défense est amenée à considérer, soit que la détermination initiale des besoins financiers était erronée, soit que le recadrage opéré par la revue de programmes doit s'accompagner d'une révision des objectifs et des missions.

Les dotations en capital sont contraintes par l'évolution des crédits de fonctionnement. Or les coûts de la professionnalisation n'ont pas été correctement évalués. Ce décalage entre les prévisions et les besoins entraîne de réelles difficultés de mise en oeuvre pendant la période intermédiaire, au risque d'obérer certaines capacités des forces armées jusqu'à la fin de la période de professionnalisation, en particulier du fait du manque d'entraînement des personnels et d'entretien des matériels.

S'il est vrai que, dans la période actuelle, aucun grand conflit n'est prévisible, on ne doit pas oublier pour autant que les dépenses de fonctionnement sont compensées sur les crédits d'équipement, et que la simple application du principe que toutes les armées doivent contribuer à l'effort de maîtrise des dépenses a des conséquences directes sur les capacités des forces militaires, et plus particulièrement sur celles chargées de la sécurité publique, comme différents intervenants l'ont souligné.

Sous réserve de ces observations, la commission de la défense a donné un avis favorable à l'adoption des titres V et VI des crédits de la défense pour 1999. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Michel Meylan, rapporteur pour avis de la commission de la défense n ationale et des forces armées, pour les services communs.

M. Michel Meylan, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées, pour les serv ices communs.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les services communs du ministère de la défense - la délégation générale pour l'armement, le service de santé, le service des essences et la nouvelle délégation à l'information et à la communication de la défense - poursuivent, par des moyens et à des rythmes différents, la réforme qui leur permettra, à l'issue de la présente loi de programmation militaire, d'inscrire leur action dans le nouveau système de défense.

La réforme engagée par la DGA depuis 1997 a un enjeu qui dépasse la seule transformation des structures puisqu'elle constitue un instrument essentiel de l'adaptation du système de défense au nouvel environnement stratégique et au niveau prévisible des ressources budgétaires qui pourront y être consacrées. Alors que la nouvelle DGA entre dans sa troisième année de fonctionnement, il peut être intéressant de dresser un premier bilan des réformes déjà mises en oeuvre, même si c'est en 2002 seulement que la DGA disposera de l'ensemble de ses nouveaux outils de fonctionnement.

Réforme du système comptable, révision des modes de gestion, rénovation du lien avec les industriels, dont la conclusion de commandes pluriannuelles constitu le signe le plus visible : vous comprendrez, mes chers collègues, que cette réforme ne s'est pas faite sans difficultés.

Notamment, la concomitance de ces nombreux changements a entraîné des retards dans le démarrage de la gestion 1998, qui devrait se traduire par un taux de consommation médiocre des crédits d'équipement du ministère de la défense.

M. le ministre de la défense.

Attendez la fin de l'année ! Ne faites pas de telles prévisions ! C'est imprudent !

M. Michel Meylan, rapporteur pour avis, pour les services c ommuns.

Sur quels critères peut-on évaluer cette réforme ? L'évolution du coût de la DGA constitue un premier indicateur de suivi, la réforme ayant pour objectif avoué, outre la baisse du coût des programmes, une réduction du coût de la DGA elle-même.

Le projet de loi de finances pour 1999 fait apparaître une réduction des dotations budgétaires de la DGA de 3,5 % pour le titre III. Quant aux crédits d'investissement dont la DGA assure le gouvernorat, c'est-à-dire sur


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lesquels elle dispose d'un pouvoir décisionnel, ils sont en baisse, à 11,6 milliards de francs, du fait du transfert du gouvernorat des crédits des domaines nucléaire et espace vers l'état-major des armées.

Il est difficile de porter une appréciation sur la réforme à partir des seuls éléments budgétaires. En effet, ils ne sont pas représentatifs du véritable coût de structure généré par les activités propres de la DGA. Par exemple, le coût budgétaire de celle-ci ne prend pas en compte des dépenses pourtant directement liées à son activité, tout en incluant d'autres dépenses sans lien avec cette activité.

La DGA a donc défini un coût d'intervention représentatif de son intervention dans le système de défense et susceptible de servir de référence pour une politique volontariste et maîtrisée de réduction des coûts. J'avais, l'année dernière, noté le caractère peu compatible de la notion de coût d'intervention avec le contrôle budgétaire.

Je note cependant avec satisfaction l'effort de clarification et d'explication fait par la DGA sur cette notion. Il faut se féliciter notamment que, pour la première fois en 1998, celle-ci ait publié un rapport sur ses activités.

Le deuxième indicateur de suivi de la réforme concerne les réductions de coûts obtenues sur les programmes d'armement. Le nombre de programmes suivis en contrôle de gestion est passé de 45 au début de 1997 à 81 au 30 juin 1998. Les réductions de coûts acquises sont actuellement de 43,5 milliards de francs.

Au total, les deux indicateurs de suivi et de mise en place de la réforme que sont l'évolution du coût d'intervention de la DGA et les réductions de coût opérées sur les programmes conduisent à porter un jugement prudent sur la réforme. Notamment, si l'évolution du coût d'intervention présentée par la DGA est plutôt satisfaisante, il n'en reste pas moins que celle-ci devra faire un réel effort, jusqu'à présent trop faible, sur le volume des rémunérations et des charges sociales, pour atteindre l'objectif d'une réduction de 30 % de son coût d'intervention en 2002. Quant à l'impact réel de la réforme de la DGA sur la réduction du coût des programmes, il est plus délicat à estimer.

La réforme engagée depuis janvier 1997 n'est donc pas une réforme de plus, mais l'amorce d'un changement radical. J'en veux notamment pour preuve la réforme symbolique que représente le transfert du gouvernorat des crédits nucléaires et espace de la DGA vers l'état-major des armées. La DGA rompt ainsi avec une tradition historique qui remontait à sa création en 1961.

Je terminerai en évoquant la mise en place de structures européennes en matière d'offre industrielle d'armement, dont la DGA a été un architecte important.

L'acquisition de la personnalité juridique par l'OCCAR représente notamment un progrès important. Il reste bien entendu à voir comment les principes fondateurs de l'OCCAR - règle de mise en concurrence, abandon du principe de juste retour industriel - vont être mis en oeuvre. En tout état de cause, la montée en puissance de l'OCCAR remodélera nécessairement les modes d'intervention de la DGA dans le secteur industriel.

J'en viens maintenant au service de santé des armées, qui dispose d'un budget de 1,84 milliard de francs pour 1999, en diminution de 7,1 %. Son effectif total a nettement entamé sa déflation, puisque, de 16 700 personnes en 1998, il atteindra la barre des 13 400 en 2002.

Cette baisse globale reste nuancée selon les emplois, puisque de nouveaux postes de médecin seront créés alors qu'il est prévu de diminuer le nombre des militaires infirmiers. Je relève aussi qu'à partir de 1999 entrera en application le nouveau statut de fonctionnaire civil pour tous les personnels paramédicaux relevant de spécialités non

« projetables » en opérations extérieures. Néanmoins, le service de santé subit une réduction de ses effectifs en personnel civil alors que, paradoxalement, il reste un certain nombre de postes vacants non pourvus. C'est pourquoi, compte tenu de l'importance des missions de ce service, il conviendra, monsieur le ministre, de veiller à procéder à bref délai aux recrutements nécessaires.

La réforme de la politique de santé entraîne de nouvelles contraintes techniques et humaines. Ainsi, pour se mettre en conformité avec les normes de santé publique, le service de santé des armées s'emploie à améliorer l'accueil et le traitement des urgences dans ses hôpitaux, lesquels ne seront plus qu'au nombre de neuf à l'horizon 2002.

J'évoquerai maintenant l'activité et les crédits du service des essences. Je constate que les approvisionnements sont étroitement liés au cours du pétrole, et donc relativement fluctuants d'une année sur l'autre. S'agissant du soutien pétrolier des forces en opérations extérieures, j'ai pu constater que le service était présent sur tous les théâtres, et principalement en ex-Yougoslavie.

Le budget total du service des essences s'élève à 560,4 millions de francs pour 1999, soit une augmentation de 6,5 %, qui s'explique par le recrutement d'une centaine de militaires du rang.

La délégation à l'information et à la communication de la défense doit, à brève échéance, engager la professionnalisation de ses effectifs car elle est confrontée à l'extinction de sa ressource en spécialistes provenant du service national. A cet égard, même si le remplacement des personnels et le choix des nouveaux moyens envisagés doit s'opérer à périmètre budgétaire constant, il me paraî t indispensable de connaître le coût financier de chacune des solutions retenues.

Au bénéfice de ces observations, la commission de la défense a donné un avis favorable à l'adoption des crédits des services communs.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M.

le président.

La parole est à M. Jean-Bernard Raimond, le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.

M.

Jean-Bernard Raimond, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget pour 1999 présente une très légère amélioration par rapport à celui de 1998. L'année précédente, en effet, l'équipement avait fait les frais de la politique de maîtrise du déficit public. Il était doté de crédits nettement inférieurs à ceux prévus par la loi de programmation militaire : 81 milliards de francs au lieu de 86 milliards.

Cette année, le projet de budget de la défense est ainsi en augmentation de 2,9 % par rapport à la loi de finances initiale pour 1998. Il s'élève à 180 milliards de francs, dont 103,7 milliards de francs pour le titre III et 86 milliards pour les titres V et VI.

Ce projet doit permettre la poursuite de la professionnalisation de nos forces. Pour les équipements, il prévoit une remise à niveau conforme à la loi de programmation actualisée. Le Gouvernement a mené une revue de programmes qui se traduit par un projet de 20 milliards d'économie pour la période 1999-2002.


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M'exprimant au nom de la commission des affaires étrangères, je me limiterai à citer les principaux équipements, lancés pour la plupart dans les années 1980, qui ont subi d'importants retards.

C'est le cas d'abord du porte-avions Charles de Gaulle q ui devrait entrer en service actif vers la fin de l'année 1999. Le char Leclerc sera opérationnel à la fin de 1998 et le Rafale, en 2002 pour la marine et 2005 pour l'armée de l'air. Tous ces équipements, à l'origine, devaient être mis en service en 1996.

Quant à l'hélicoptère NH 90, il devrait être livré en 2003 à l'Allemagne et aux Pays-Bas, en 2005 à notre marine et en 2011 à notre armée de terre, alors que la date retenue à l'origine était 1999.

Pour le Rafale, je n'insisterai pas sur ses performances qui l'emportent sur celles de ses rivaux américain et européen. Il convient désormais d'assurer son avenir. Le Gouvernement, monsieur le ministre, doit encore confirmer p ubliquement la commande groupée de quarantehuit Rafale. Il est également indispensable que, pour le NH 90, le calendrier prévu ne soit pas remis en cause.

Tenir ces délais est d'autant plus impératif et justifié que tous ces équipements répondent à la situation politico-militaire dans un monde qui a changé. Qu'il s'agisse du porte-avions, des avions comme le Rafale, des hélicoptères comme le NH 90, tous ces équipements sont nécessaires à une armée appelée à intervenir dans des crises extérieures comme la guerre du Golfe, dans les Balkans, au Kosovo. Ajoutons que la modernisation de la force de dissuasion doit se poursuivre. Le deuxième sous-marin nucléaire lanceur d'engins nouvelle génération, Le Téméraire, sera prêt à l'été 1999. Félicitons-nous, comme mon collègue Galy-Dejean, que la mise en service du nouveau missile M 51 ait été avancée à 2008 au lieu de 2010.

Pour conclure sur le problème des grands équipements, sur lesquels le Président de la République est particulièrement vigilant, n'oublions pas que toutes les décisions ont des conséquences inéluctables sur les entreprises françaises, PME et PMI, qui travaillent en sous-traitance des groupes industriels. Cela n'est pas sans poser en province - j'en ai la preuve dans ma circonscription - de graves problèmes sur l'emploi. L'Assemblée nationale devrait d'ailleurs se saisir de cette situation qui ne fait que s'aggraver. Les dépenses de la France, des Etats-Unis, de la Grande-Bretagne, de l'Allemagne, ont été réduites de 1994 à 1997. Elles semblent aujourd'hui avoir atteint un plancher, et nos alliés programment même une légère reprise des budgets.

Monsieur le ministre, votre budget n'est donc pas un mauvais budget, à condition, une fois encore, de maintenir les délais de livraison. Nous serons particulièrement vigilants sur ce point.

Je voudrais maintenant, dans le temps qui m'est imparti, évoquer brièvement quelques situations politicomilitaires.

La Russie tout d'abord. La crise politique actuelle ne pourra se dénouer tant que ne sera pas levé un préalable politique, le départ de Boris Eltsine. La Russie connaît un affaiblissement durable de son potentiel militaire, mais reste un acteur stratégique majeur. Avec beaucoup de contradictions : alors que l'armée russe sert en Bosnie dans la SFOR, la même Russie freine autant qu'elle le peut, le recours à la force au Kosovo. En ce qui concerne les grands accords de désarmement stratégique, Start I et Start II - Start II qui n'est pas encore ratifié du fait de l'opposition de la Douma et des réserves liées à l'élargissement de l'OTAN -, la Russie est favorable à leur application. Au sommet d'Helsinki, en mars 1997, les présidents américain et russe ont repoussé l'échéance de START II à 2007 mais se sont engagés à négocier, dès l'entrée en vigueur de START II, un accord START III qui réduirait les têtes nucléaires à 2 000 ou 2 500. En revanche, en raison des problèmes que lui pose son armée convent ionnelle, la Russie entend maintenir une capacité nucléaire stratégique et veille à sa modernisation. Elle assure également une présence militaire au-delà de ses frontières dans l'ex-Union soviétique, notamment en Transcaucasie et en Asie centrale. Tout en étant prudente, la France doit ménager la Russie, sans laquelle il serait plus difficile de résoudre les problèmes régionaux en Europe. Le nouveau concept stratégique qui sera adopté en 1999 à Washington devra en tenir compte.

Une nouvelle fois, l'Alliance atlantique apparaît, dans le monde de l'après-guerre froide, comme le seul instrument militaire efficace devant une crise d'envergure.

L'Alliance, certes, a entrepris sa rénovation depuis 1990, d'abord au niveau des seules forces américaines en Europe, ensuite en ce qui concerne la reconnaissance progressive de l'identité européenne de défense, en particulier lors des sommets de l'Alliance, à Berlin puis à Madrid.

Une nouvelle structure de commandement doit être mise en place au sommet de Washington en avril 1999, qui donnera plus de responsabilités aux alliés et prendra mieux en compte l'identité européenne de défense. C'est un peu, me semble-t-il, ce qui se passe au Kosovo. Peutêtre, monsieur le ministre, nous donnerez-vous quelques éclaircissements à ce sujet.

Pour ne pas entrer dans les détails, disons qu'une chaîne de commandement européenne pourrait éventuellement être opérationnelle au service de l'UEO. Mais, en l'absence d'une réforme essentielle qui consisterait à rééquilibrer au profit des Européens le pouvoir décisionnel en dernier recours, l'Alliance demeure jusqu'à présent aux mains des Américains. En outre, l'intégration de l'UEO dans l'Union européenne n'est encore qu'un projet.

Les explosions nucléaires en Inde et au Pakistan ont ramené au premier plan le souci de la prolifération nucléaire. La situation est-elle alarmante ? Sans aucun doute, la prolifération nucléaire est-elle toujours redoutable. Mais la région indo-pakistanaise, malgré les contentieux entre les deux pays, n'est peut-être pas la plus dangereuse. Il ne faut pas oublier le facteur que représente, dans la politique indienne, la modernisation de l'arsenal nucléaire chinois. Par ailleurs, l'Inde et le Pakistan ont affiché une attitude raisonnable, en manifestant leur intention d'adhérer au traité d'interdiction des essais. Il reste cependant que la faiblesse du réseau international de surveillance s'est révélée particulièrement inquiétante.

Le rapport écrit consacré à l'Irak présente volontairement un tableau extrêmement détaillé et précis du désarmement irakien sous contrôle des Nations unies. Il en ressort qu'à l'exception d'un agent chimique, le VX, et de l'armement biologique, pratiquement incontrôlable, en Irak comme dans tout autre Etat, Bagdad a rempli ses obligations, notamment sur le nucléaire et les missiles.

La décision de Bagdad d'interrompre sa coopération avec les Nations unies est sans aucun doute une erreur grave dans un processus dont on pouvait raisonnablement penser qu'il aboutirait à la levée de l'embargo. Cela dit, même si cela n'engage que moi, j'estime que la levée de l'embargo n'est plus un problème de désarmement, c'est un problème politique.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 NOVEMBRE 1998

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur spécial.

Tout à fait !

M. Jean-Bernard Raimond, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.

Il est temps de conclure.

Quelles que soient les crises dans le monde actuel - je pense en particulier au Kosovo, aux Balkans - quelles que soient aussi les incertitudes concernant la Russie, le pourtour de la Méditerranée et l'Afrique, la situation internationale à la fin de 1998 apparaît nettement meilleure qu'elle ne l'était à l'époque de la guerre froide, durant laquelle régnait l'immobilisme, en Europe du moins, mais avec des risques potentiels d'explosion majeurs.

La situation nouvelle, en Europe, au Moyen-Orient et en Afrique, exige qu'une nation comme la France puisse, en elle-même et au sein de l'Europe, exercer son influence politique. Elle ne le pourra que si son armée, grâce à la professionnalisation et à la modernité de ses équipements, peut appuyer les engagements auxquels elle ne peut pas se dérober. A cet égard, monsieur le ministre, quitte à me répéter, il apparaît de plus en plus que le fond du problème est la réforme réelle de l'Alliance atlantique, pour un meilleur équilibre entre les Européens et les Etats-Unis, dans un système de forces adapté à un monde qui s'est transformé de fond en comble.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Paul Quilès, président de la commission de la défense nationale et des forces armées.

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Vous nous présentez, monsieur le ministre, un projet de budget conforme à l'engagement du Gouvernement de poursuivre, en l'adaptant, l'application de l'actuelle loi de programmation militaire.

Vous avez procédé, à l'automne et à l'hiver derniers, à un réexamen général des programmes, dite « revue de programmes », qui a ajusté l'enveloppe financière de la programmation pour tenir compte, d'une part, de ce que l'on a appelé l'« encoche » de l'exercice 1998 et, d'autre part, d'un effort d'économie supplémentaire de 20 milliards de francs pour la période 1999-2002.

Cette revue de programmes a globalement rencontré l'approbation de la commission de la défense, même si cette approbation n'a pu intervenir qu'une fois l'exercice terminé.

La revue de programmes a consisté en grande partie en une adaptation à la marge de la programmation. Elle n'a donc pratiquement pas modifié le format des armées. Ses c onséquences opérationnelles sont limitées : les programmes spatiaux sont ralentis, mais c'est pour une large part en raison des difficultés de la coopération européenne, que j'espère temporaires ; les performances attendues dans certains domaines spécifiques vont être légèrement réduites pour les trois armées, mais sans que la cohérence d'ensemble de nos systèmes de forces soit affectée, comme le chef d'état-major des armées l'a confirmé à notre commission.

Le projet de budget tire les conséquences de ces décisions. Son titre III permet la poursuite de la professionnalisation selon le calendrier défini, en association avec les états-majors, par la loi de programmation. Ses dotat ions d'équipement financent, au niveau annoncé, l'annuité 1999 de la programmation, ajustée par la revue de programmes.

Néanmoins, le projet de budget révèle certaines difficultés dans le financement de l'effort de défense.

C'est ainsi que les rémunérations et charges sociales connaissent une assez forte progression, 2,9 %, alors que la programmation repose sur une prévision de stabilité en volume du titre III. Dès lors, l'accroissement de charges constaté sur les dépenses de personnel doit être compensé par un réel effort d'économie sur les coûts de fonctionnement.

Cet effort ne doit pas être exagéré ou dramatisé. Les 2,1 milliards de francs de réduction des dépenses de fonctionnement, hors rémunérations, sont largement la conséquence des réductions d'effectifs et d'une évolution favorable du prix des produits pétroliers. Il n'en reste pas moins que, d'après les informations qui nous sont données, 400 millions de francs d'économies sont attendues d'une amélioration de la productivité ou d'une rationalisation de la dépense, montant qui représente près de 3 % des coûts de fonctionnement courant et d'activités. Le chef d'état-major des armées comme les chefs d'étatsmajors de l'armée de terre et de la marine ont exprimé devant la commission de la défense leurs inquiétudes à ce sujet et ont annoncé en conséquence des réductions d'activités.

Cet effort n'est d'ailleurs pas suffisant, puisqu'il est apparu nécessaire d'alléger les charges qui pèsent sur le titre III en transférant certaines dépenses vers le titre V, comme les dépenses d'entretien programmé des matériels, à hauteur de 400 millions de francs.

Les crédits d'équipement eux-mêmes ne correspondent pas tout à fait à l'enveloppe annoncée : si l'on tient compte en particulier de l'inscription de 900 millions de francs de dépenses de recherche dites « duales » - mais en fait civiles - au budget d'équipement de la défense et d'autres modifications de structure comme celle que je viens d'évoquer, concernant l'entretien programmé des matériels, on constate que l'enveloppe annoncée de 86 milliards de francs est en fait réduite de 1,4 milliard.

Compte tenu du niveau global des dépenses d'équipement militaire et de leur caractère de flux, qui permet un certain étalement en gestion, il faut bien reconnaître que cet écart de 1,6 % ne représente aujourd'hui que

« l'épaisseur du trait », mais il est, à mon sens, le signe de difficultés sur lesquelles je reviendrai dans un instant.

Pour résumer mon jugement, je dirai que le budget que vous présentez, monsieur le ministre, est un bon budget, mais qu'il soulève des interrogations pour les prochaines années.

C'est un bon budget puisqu'il ouvre les postes budgétaires nécessaires à la mise en oeuvre, dans les conditions prévues, de la professionnalisation. Les difficultés rencontrées en ce domaine sont, pour le moment du moins, affaire de gestion, en particulier pour ce qui c oncerne le recrutement des personnels civils. Les réformes en cours à la DGA devraient permettre d'y remédier, dans la mesure où le problème est d'abord d'organiser la mobilité de ces personnels vers les postes dont les armées ont besoin.

S'agissant de la question du recrutement des appelés, en particulier dans l'armée de terre, je remarque que le projet de budget organise, conformément à la planification des états-majors, la décroissance de la ressource en personnels appelés.

Pour ce qui concerne le contenu physique des programmes d'équipement, il sera conforme, en 1999, aux conclusions de la revue de programmes. Les équipements


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majeurs modernes requis par le modèle d'armée 2015 continueront d'entrer progressivement en service ou bénéficieront de commandes au cours de l'année à venir.

Mais le projet de budget suscite aussi des interrogations sur le niveau des ressources humaines et financières que la nation est prête à moyen terme à consacrer à sa défense.

I l semble aujourd'hui que la professionnalisation risque, à terme, de coûter sensiblement plus cher qu'il était initialement prévu. Nous sommes en tout cas loin des estimations financières optimistes...

M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur spécial.

Farfelues !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

... faites au moment où la décision de professionnalisation a été prise.

Je rappelle que, dans un rapport établi au nom de la commission des finances de notre assemblée, M. Balkany évaluait, en février 1996, le coût de la conscription à 14 milliards de francs et estimait, sur la base d'un format p roche de celui retenu par la programmation - 135 000 militaires pour l'armée de terre - que la professionnalisation permettrait, au minimum, une économie de 5 à 6 milliards de francs par an en régime de croisière et de l'ordre de 2 milliards par an pendant une période de transition de quatre ans.

De son côté, le gouvernement de l'époque considérait qu'il était possible de compenser le coût de la professionnalisation par les économies réalisées par la suppression de la conscription, même pendant la période de transition. Il a donc construit la programmation sur la base de cette hypothèse.

M. Didier Boulaud.

Exactement !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

La réalité, nous le savons, semble différente. C'est ainsi que le chef d'état-major des armées a fait état, devant la commission de la défense, d'estimations selon lesquelles il manquerait, pour chaque année de la programmation, 1 milliard de francs de crédits de fonctionnement environ.

Il me semble, monsieur le ministre, dans ces conditions, qu'un bilan précis de la professionnalisation devrait être fait assez rapidement, en liaison bien entendu avec les états-majors, de façon que nous puissions réfléchir aux solutions à appliquer dans l'hypothèse où des risques sérieux de dérive financière seraient constatés. Nous souhaiterions naturellement que ces éléments soient communiqués au Parlement.

M. Guy-Michel Chauveau.

Très bien !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

Ce débat, qui est devenu indispensable, ne doit pas être occulté par les craintes, récemment exprimées, d'un déficit de la ressource en appelés de l'armée de terre qui pourrait, entre autres causes, résulter des dispositions sur le report d'incorporation que nous avons adoptées ici même pour préserver les possibilités d'emploi et d'insertion professionnelle des jeunes. Le nombre des reports accordés aux jeunes disposant d'un contrat de travail à durée indéterminée est supportable, puisqu'il est à ce jour d'environ 11 600. Il ne semble pas qu'il y ait de lien entre cette possibilité de report et l'évolution des effectifs d'appelés de l'armée de terre. Rien ne s'oppose donc à la publication du décret d'application de la disposition relative au report pour contrat de travail à durée déterminée.

M. Arthur Paecht.

Tout à fait !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

Quant au déficit modéré des effectifs d'appelés que constate l'armée de terre depuis juin, on voit mal pourquoi il donne lieu à tant d'inquiétudes et de commentaires. La demande de surincorporations effectuée en octobre pour combler ce déficit a permis de couvrir normalement les besoins, et, au 1er janvier 1999, l'armée de terre se trouvera de nouveau en sureffectif de plus de 7 000 postes en raison de la suppression des emplois d'appelés dans le cadre de la professionnalisation.

Je reconnais que l'armée de terre accomplit un effort considérable de restructuration. Mais sans doute doit-elle encore améliorer sa gestion et accélérer sa restructuration.

Je constate que, s'il est beaucoup question du sous-effectif d'appelés qu'elle connaît provisoirement, on parle moins d e son sureffectif d'engagés volontaires ou de son excédent de VSL, qui a pourtant nécessité l'ouverture d'un crédit de 380 millions de francs dans le décret d'avance d'août dernier.

Si le coût de la professionnalisation reste entaché d'incertitudes, si le financement des équipements militaires, même après la revue de programmes, reste difficile, c'est peut-être parce que la perspective de programmation dans laquelle nous inscrivons notre politique de défense nécessite aujourd'hui une nouvelle réflexion.

Je rappelle que les besoins que la programmation a pour objet de satisfaire et le modèle d'armée auquel elle se réfère ont été définis sur la base des analyses straté giques du Livre blanc de 1994. Or, il est facile de voir que le monde et l'Europe ont considérablement changé au cours des dernières années. En 1994, les conséquences des bouleversements des années 1989 et 1990 n'avaient pas encore été perçues dans toute leur ampleur.

Les analyses du Livre blanc ont d'ailleurs donné lieu à des interprétations variables. Elles ont orienté successivement les travaux des programmations 1995-2000 et 1997-2002, mais avec des conséquences sensiblement différentes. Le modèle d'armée vers lequel tend la programmation 1997-2002 est nettement réduit par rapport aux objectifs de la programmation 1995-2000 : 300 avions de combat contre 380, 420 chars lourds contre 790.

Je rappellerai aussi qu'après avoir évalué les risques i nternationaux et les ressources disponibles pour la défense, le Livre blanc se prononçait de façon formelle en faveur d'une armée mixte.

M. François Léotard.

Exact !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

On y lisait le jugement suivant : « Une armée de métier compatible dans les années à venir avec les missions de nos armées aurait un coût budgétaire excessif et poserait de délicats problèmes de recrutement. Adapter ces deux d erniers éléments à nos possibilités budgétaires et humaines ne permettrait plus d'assurer les missions. » Je

remarque d'ailleurs que la programmation 1997-2002 n'envisage plus exactement les mêmes scénarios d'emploi des forces - et donc les mêmes missions - que le Livre blanc.

Pour ce qui concerne la projection, elle regroupe ces scénarios en trois hypothèses d'engagement des forces : Premièrement, dans un conflit régional, dans le cadre d'une alliance ; Deuxièmement, dans des opérations de maintien ou de rétablissement de la paix dans le cadre de l'ONU ; Troisièmement, pour la mise en oeuvre d'accords de défense bilatéraux, en Afrique tout particulièrement.


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Or la revue de programmes a débouché sur la constatation que le contexte stratégique avait encore notablement évolué depuis la rédaction de la loi de programmation militaire. En conséquence, les scénarios de projection des forces ont été redéfinis une nouvelle fois, et l'on a envisagé les actions suivantes : premièrement, prévention ou présence internationale ; deuxièmement, gestion des crises ou maintien de la paix ; troisièmement, participation à un conflit régional de haute intensité dans un cadre multinational.

Je reconnais que l'environnement international est mouvant. Mais, plutôt que d'adapter régulièrement les hypothèses d'emploi des forces à l'évolution des circonstances, mieux vaudrait engager une réflexion plus fondamentale.

Je me demande si, dans ces conditions, il ne serait pas nécessaire de faire à nouveau le point sur l'état des risques et sur les ressources que nous devons mobiliser pour y faire face, seuls ou, comme c'est le plus souvent le cas, en association avec nos partenaires européens et nos alliés américains.

L'évolution profonde de la situation internationale nous impose, me semble-t-il, cette actualisation des principes de notre défense, qui devrait, le moment venu, prendre la forme d'un nouveau Livre blanc.

Nous saurions alors si les interrogations qui se manifestent ici et là ne sont qu'un problème de nature financière ou s'il convient, de façon plus fondamentale, de redéfinir certaines missions assignées aux armées françaises.

Cet exercice ne devrait évidemment pas méconnaître l'importance de la dimension européenne de notre défense, qui est susceptible de connaître de sensibles évolutions.

M. Yann Galut, rapporteur pour avis, pour l'air.

Très bien !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

La France, on le sait, s'est engagée résolument depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale dans la construction de l'Europe politique. Elle a fait ce choix à l'origine parce qu'il lui semblait que c'était la meilleure voie pour éviter que les nations européennes se déchirent à nouveau. Cet objectif a été atteint au-delà de toute espérance et l'Europe telle qu'elle existe aujourd'hui est certainement un espace unique de paix et de prospérité dans le monde.

Au fur et à mesure de cette réussite, il est apparu que l'Europe pouvait devenir un élément essentiel de la stabil ité internationale. Encore fallait-il qu'elle prenne conscience de l'intérêt à parler d'une même voix, à agir comme une puissance qui influe sur les événements internationaux.

C'est cette difficile entreprise qui a été engagée par le traité de Maastricht, avec l'objectif de mettre sur pied une « politique étrangère et de sécurité commune », la PESC, et de faire émerger une « identité commune de défense ». Depuis, certaines pierres ont été posées, comme la constitution de l'Eurocorps ou la reconnaissance de l'identité européenne de défense dans le concept stratégique de l'OTAN de 1991. Le traité d'Amsterdam, qui nous sera bientôt soumis pour ratification, comporte également quelques progrès dans ce sens.

Il n'en demeure pas moins que la construction institutionnelle de cette Europe de la défense apparaît difficile.

D'où l'idée de procéder aux nécessaires rapprochements européens sur des bases pragmatiques et concrètes.

Dans cet esprit, Etats comme industriels ont fait le constat que, face à des budgets ayant diminué de 25 à 50 %, à des coûts d'investissement extrêmement élevés, à un morcellement des marchés européens, aux impressionnants regroupements américains, il était nécessaire de se regrouper sous peine de disparaître. Dans le domaine aéronautique et de l'espace, l'objectif semblait d'autant plus réalisable qu'il existait déjà une base, je veux parler du GIE Airbus.

Malheureusement des difficultés sont apparues ces dernières semaines, puisque les entreprises britannique et allemande British Aerospace et DASA ont à l'évidence engagé des négociations bilatérales, avec comme objectif soit de fusionner entre elles, soit de faire pression sur le gouvernement français afin qu'il accélère le processus de désengagement de l'Etat dans l'ensemble Matra-Aérospatiale.

Le motif invoqué est que les actionnaires des entreprises britanniques et allemandes ne sauraient tolérer la présence d'un actionnaire public, même minoritaire, dans une entreprise européenne, dans la mesure où l'Etat français risquerait de peser sur la gestion de l'entreprise en négligeant les préoccupations de rentabilité.

Permettez-moi de faire remarquer que si l'on compare Aérospatiale avec son homologue allemand, Daimler-Benz Aerospace, on constate que les résultats courants de l'entreprise française sont meilleurs que ceux de l'entreprise allemande, dont le capital est pourtant à 100 % privé...

M. Yann Galut, rapporteur pour avis, pour l'air.

C'est vrai !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

... et que, depuis deux ans, Aérospatiale réalise des profits, alors que Daimler-Benz Aerospace présente des résultats négatifs.

M. Yann Galut, rapporteur pour avis, pour l'air.

Il faut le dire !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

Prenons un autre exemple : le nouveau président de Thomson-CSF, Denis Ranque, a annoncé qu'un des objectifs principaux était de faire progresser les résultats de l'entreprise, dont la rentabilité est actuellement de 6 %. Le fait que l'Etat détienne 40 % de Thomson-CSF, c'est-à-dire beaucoup plus que ce qu'il détiendrait dans la société européenne aéronautique et de défense, ne semble pas l'avoir gêné ! Au lieu de se livrer à des critiques infondées sur les entreprises françaises où figure un actionnariat public, les dirigeants britanniques et allemands devraient plutôt demander aux autorités françaises comment elles envisageraient le rôle d'un actionnaire étatique minoritaire dans une industrie aéronautique et de défense européenne, ou encore si elles comptent se désengager plus avant de cet actionnariat et, le cas échéant, à quel rythme.

M. Yann Galut, rapporteur pour avis, pour l'air.

Très bien !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

On peut comprendre qu'une fusion anglo-allemande dans le domaine de l'aéronautique et de la défense puisse servir à court terme les intérêts financiers des entreprises qui la proposent, à condition que l'on reste dans une situation de compétition économique. Mais telle n'est pas la réalité de l'Europe aujourd'hui, puisque l'Allemagne, la Francee t le Royaume-Uni ont signé une déclaration, le 9 décembre 1997, et ont été rejoints le 6 juillet 1998 par


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l'Italie, la Suède et l'Espagne. Les Etats, les gouvernements ont donc bien manifesté leur intérêt pour cette entreprise et j'ai bon espoir que la raison l'emporte.

Dans le domaine de la restructuration industrielle européenne, il serait également utile d'engager une réflexion sur le secteur des armements terrestres et des constructions navales. On a aujourd'hui trop souvent l'impression que la restructuration ne concerne que l'aéronautique, l'espace et l'électronique de défense, et que les autres secteurs ne seraient pas prêts. Et pourtant, je considère que cette mutation conditionne l'avenir de ces secteurs. Je suis convaincu qu'il sera plus facile de faire adhérer les personnels à des projets prometteurs au niveau européen, garantissant des carnets de commandes réguliers et des clients diversifiés que de continuer à attendre avec angoisse la présentation d'un budget de la défense dont les commandes ou les lancements de programme conditionnent la survie d'unités industrielles.

Si la réflexion conduisant à une rationalisation des outils de production de matériels d'armement en Europe est donc malgré tout bien avancée, il n'en va pas de même pour les missions de nos forces armées et pour les besoins opérationnels qui en découlent. C'est pourtant un chantier essentiel, qui doit nous permettre de réaliser des économies sans avoir pour autant à restreindre notre capacité d'intervention.

Un examen des opérations dans lesquelles les pays européens ont eu à jouer un rôle ces dernières années nous permet de constater le rapprochement des missions de nos forces armées. Depuis la chute du mur de Berlin, il est rare que nous ayons eu à intervenir seuls. Nous le faisons le plus souvent dans le cadre de coalitions multinationales appelées à maintenir ou à rétablir la paix. En général, nous trouvons un ou plusieurs pays européens à nos côtés, notamment les Britanniques et les Allemands.

Il n'y a guère qu'en Afrique que la France pouvait s'engager seule dans des opérations armées. Mais, étant donné le contexte géostratégique de ce continent, il est peu probable que ce cas de figure se répète fréquemment à l'avenir, et on peut penser qu'alors la mission de nos armées ne dépassera pas en général le stade de la protection et de l'évacuation de nos ressortissants. Si nous devons aller plus loin, cela se fera dans le cadre d'un mandat de l'ONU aux côtés d'autres contingents occidentaux ou en appui logistique à des forces interafricaines.

Nous n'avons probablement pas tiré toutes les conséquences de cette situation, même s'il existe ponctuellement des accords entre pays européens sur les missions et sur la conception des forces. Je pense à l'Eurocorps mais il n'a jamais été engagé - ou à des unités susceptibles de travailler en commun, comme l'Eurofor et l'Euromarfor.

Le nombre et le type de matériels utilisés par plusieurs armées européennes et donc conçus en coopération restent faibles. Dans le budget 1999, cela représentera un peu plus de 8 milliards de francs, sur 66 milliards consacrés aux forces classiques. Il est donc nécessaire d'adopter une politique volontariste en la matière, en évitant désormais de concevoir des programmes conventionnels au strict plan national et en mettant en commun au niveau européen certains types de matériels.

Prenons l'exemple des porte-avions. Actuellement, il y a six porte-avions en Europe, deux fois moins qu'aux

Etats-Unis, ce qui est logique si on rapporte ces chiffres à l'effort budgétaire de défense comparé de l'Europe et des

Etats-Unis. Mais chez nous, ces porte-avions sont utilisés dans un cadre strictement national et il y a quatre constructeurs européens de porte-avions ! A l'échelle française, cela se traduit par un groupe aéronaval relativement onéreux et qui ne peut être disponible à 100 % du temps. Etant donné nos moyens budgétaires, mais également ceux de nos partenaires, le déficit ne peut être comblé que par une mise en commun des moyens européens.

M. Loïc Bouvard.

Très bien !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

Cette problématique est la même que celle qui se pose avec le VBCI et l'ATF. Il me semble que, même si un pays ou plusieurs pays ne souhaitent pas acheter un matériel du fait de problèmes budgétaires ou de noncoïncidence de dates de renouvellement de matériels, nous avons tout intérêt à définir ensemble les matériels et à participer à des développements communs afin de créer les conditions propices au rapprochement des besoins opérationnels. Bien entendu, le rapprochement de nos industries d'armement sera un élément qui facilitera cette tâche.

Je voudrais enfin, monsieur le ministre, souligner que notre budget de la défense est également conditionné par la nature de nos alliances et des missions que nous pouvons partager avec nos alliés.

A cet égard, il faut avoir à l'esprit que le nouveau concept stratégique de l'OTAN, actuellement en cours de renégociation, doit être adopté l'année prochaine lors du c inquantième anniversaire de l'Alliance atlantique à Washington.

On peut prévoir que cet exercice débouchera sur l'accroissementdu rôle donné à l'OTAN dans la constitution de forces de maintien de la paix. Ce qui fera évoluer le concept d'emploi des forces vers des armées au format resserré, projetables, capables de mener des opérations interarmées et dont les matériels sont interopérables.

En soi, de telles orientations ne peuvent pas nous gêner, car elles vont dans la direction que nous avons déjà adoptée depuis plusieurs années. Il sera toutefois nécessaire de veiller à ce que ces évolutions respectent bien le cadre politique dans lequel devrait, selon nous, agir l'Alliance atlantique et que je résumerai de la façon suivante : En premier lieu, l'Alliance atlantique reste une alliance de défense, dont les obligations sont fixées dans l'article 5 du traité de l'Atlantique Nord. Il n'est pas souhaitable qu'elle devienne une alliance omnipotente qui traite de tout en offrant des réponses de nature militaire. Il faut donc qu'elle ne puisse pas agir sans mandat du Conseil de sécurité des Nations unies.

M. Jean Michel, rapporteur pour avis, pour les crédits d'équipement, et M. Yann Galut, rapporteur pour avis, pour l'air.

Très bien !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

Ce principe doit être fermement affirmé dans le nouveau concept stratégique ; sinon, il est à craindre que nous affaiblissions gravement le système de sécurité collective des Nations unies mis en place en 1945. On ne pourrait plus alors empêcher que ce soit la loi du plus fort qui s'impose en toutes circonstances.

Cela implique également que l'Alliance, quand elle traite de sujets tels que la prolifération, inscrive sa démarche dans le cadre plus large des instances internationales habilitées à traiter de ces sujets. Elle ne doit


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 NOVEMBRE 1998

pas non plus donner l'impression qu'elle n'offre que des réponses militaires, susceptibles d'aggraver les tensions, à des questions avant tout politiques.

En second lieu, il faut éviter une sorte de nouveau débat sur le « partage du fardeau », le burden sharing , où les Européens se verraient obligés d'augmenter leurs charges budgétaires pour acheter des matériels américains, ce qui serait rendu nécessaire par l'interopérabilité des forces, sans qu'ils en tirent un quelconque pouvoir dans la direction de l'Alliance atlantique. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Yves Le Drian, rapporteur pour avis, pour la marine.

En effet !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

Si l'identité européenne de défense peut se constituer au sein de l'OTAN, il est aussi de l'intérêt de tous qu'elle puisse s'exprimer également en dehors de celle-ci, afin que les Européens aient la capacité d'agir seuls quand cela leur apparaît préférable.

M. Jean Michel, rapporteur pour avis, pour les crédits d'équipement.

C'est indispensable !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

Il est nécessaire pour cela de donner vie à l'accord de Berlin - dont on nous avait dit grand bien à l'époque qui pose le principe de cette action autonome des Européens en liaison avec l'OTAN.

Je m'interroge à ce propos - comme l'a fait tout à l'heure fort pertinemment M. Jean-Bernard Raimond sur la force terrestre que nous allons déployer pour garantir la sécurité des observateurs de l'OSCE au Kosovo. Il s'agira d'une opération principalement assurée par les Européens et les Français, avec le soutien de l'infrastructure de l'OTAN. Pourra-t-on la considérer comme une première application des principes de Berlin ? Dans ce cas, je souhaite que les Européens puissent maîtriser collectivement la gestion politique de leur action en l'inscrivant dans un cadre politique qui leur soit propre, comme l'UEO. Sinon, ce serait une occasion perdue d'exprimer l'identité politique de l'Europe au sein de l'Alliance atlantique.

J'en viens à ma conclusion.

Jamais, sans doute, depuis de très nombreuses années, les menaces dirigées contre notre pays n'ont été aussi faibles. Mais l'environnement géostratégique de l'Europe occidentale - qui ne s'est pas véritablement stabilisé au cours des années 90 - reste un espace de risques, quelquefois préoccupants. L'adaptation de notre politique de défense à cette situation nouvelle, mouvante et incertaine, n'est pas chose aisée, d'autant plus que l'équilibre international est fortement dépendant de la volonté de las uperpuissance militaire américaine, que les crises a ffectent le Proche-Orient, les Balkans ou même l'Afrique.

Lors de mon intervention, j'ai mentionné, dans ce contexte, deux thèmes de réflexion qui me semblent prioritaires : En premier lieu, nous allons devoir procéder à une évaluation rigoureuse de la programmation, de son adéquation à nos besoins de sécurité et de sa cohérence budgétaire. Nous allons en particulier devoir examiner attentivement les missions qu'elle vise à garantir. La revue de programmes était un ajustement, à finalité essentiellement financière. Elle ne nous dispense pas de pousser plus loin notre analyse, notamment sur les modalités de la professionnalisation ou certains choix de la politique d'équipement.

En second lieu, la question de l'extension de la construction européenne aux problèmes de défense me paraît sortir du domaine des projets théoriques pour devenir un enjeu pratique et concret, qu'il s'agisse du regroupement des industries d'armement ou de l'expression politique par les Européens de leurs intérêts de sécurité communs. Cette évolution peut être une chance pour notre pays et pour l'Euorpe. Nous devons la saisir.

Sur ces deux thèmes, comme sur d'autres grandes questions qui ne relèvent pas directement du débat d'aujourd'hui, la commission de la défense est prête à travailler.

Je rappelle qu'elle a publié l'année dernière un rapport sur l'avenir des industries de défense et qu'elle continue de suivre avec attention ce débat dans le cadre européen.

Le rapport sur le lien armée-nation, confié à Bernard Grasset, sera rendu public au début de l'année prochaine.

Elle lancera prochainement trois missions : la première porte sur le nouveau concept stratégique de l'OTAN, la seconde sur la prolifération et la troisième sur les exportations d'armes. Enfin, nous avons pour ambition d'instaurer un contrôle sur les opérations extérieures de la France à l'image de la pratique de toutes les démocraties occidentales, l'objectif étant naturellement d'accroître leur légitimité et non de constituer un frein à notre action.

Sur toutes ces questions, nous souhaitons développer le dialogue avec le Gouvernement. Car au-delà de l'approbation que nous donnons à votre projet de budget, nous entendons aussi, monsieur le ministre contribuer, dans le cadre des compétences qui sont les nôtres, à l'évolution de notre politique de défense, en vous apportant notree ntier soutien dans les décisions, souvent difficiles, qu'exigent la sauvegarde des intérêts du pays, le respect de nos alliances et la préservation de la paix. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Bernard Charles, premier orateur inscrit.

M. Bernard Charles.

Monsieur le ministre de la défense, le budget de votre ministère s'inscrit pleinement dans la ligne des grandes orientations gouvernementales, et les députés radicaux de gauche le trouvent bon. On l'a d'ailleurs dit sur pratiquement tous les bancs de l'Assemblée, même si certains éprouvent des craintes.

Grâce à une gestion plus transparente, nous pouvons beaucoup mieux le situer lors de cette discussion, et les crédits inscrits correspondent aux décisions prises au printemps dernier en conclusion de la revue de programmes.

L'armée professionnelle se met en place, ainsi que la modernisation des armements et la restructuration des commandements et des soutiens. Comme l'a dit un des rapporteurs, nous passons d'une armée territoriale de masse à une armée professionnelle de projection.

Les missions qui ont été accomplies cette année sur le territoire national et à l'extérieur de nos frontières ont montré l'efficacité de nos armées dans des situations souvent difficiles. Il faut leur rendre hommage.

Pour ma part, j'aborderai deux points dans ce budget : l'armement et la gendarmerie.

Le niveau des armements doit être maintenu et diversifié pour tenir compte des besoins et des impératifs de défense sous l'angle de la professionnalisation des armées mais aussi sous l'angle du développement de nos technologies de pointe, qui débouchent souvent sur des appli-


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cations civiles utiles à notre industrie. A ce propos, je regrette, comme notre collègue Boucheron, la baisse des crédits de recherche, qui sont pourtant nécessaires.

Le nouvel hélicoptère Tigre, avec la décision francoallemande de confirmer lors du salon de Berlin une commande ferme de deux fois 80 appareils, est un bon exemple de cette orientation. Une telle décision permet de conserver la capacité d'intervention à l'ALAT, mais elle est aussi un élément essentiel pour l'exportation.

En ce qui concerne les missiles, le Gouvernement a notifié en octobre à l'Aérospatiale un contrat pour la définition de l'ANF, qui remplacera l'Exocet. Un projet de contrat global de développement et de production, c'està-dire une commande pluriannuelle, devrait être établi en 1999. Il faudra, bien sûr, prévoir les financements pluriannuels correspondants pour répondre aux besoins français mais aussi aux possibilités d'exportation de l'ANF vers d'autres pays européens.

Le deuxième point de mon intervention, monsieur le ministre, portera sur la gendarmerie. Elle se voit dotée d'un budget globalement favorable, bien que contrasté - comme l'a dit notre collègue Georges Lemoine - après l'été difficile qu'ont connu les élus des départements ruraux.

En effet, même si ce n'était pas le Malet-Isaac, nous avions lu le rapport Carraz-Hyest. (Sourires.)

La proposition no 10 précisait qu'il fallait accélérer la fermeture des deuxième et troisième brigades dans les cantons ; la proposition no 14 qu'il fallait expérimenter des formules de brigades territoriales sur plusieurs cantons. L'annonce par les médias, en plein coeur de l'été, dans un département comme le Lot, de la fermeture de six brigades sur vingthuit nous a surpris. Mon collègue Jean Launay, ici présent, et moi-même n'avons pas compris pourquoi nous n'avions pas été consultés, pourquoi cette décision tombait si brutalement.

Nous savons qu'il faut renforcer la présence des forces de police et de gendarmerie dans les grandes agglomérations, dans le péri-urbain, dans les cités difficiles. Mais ce n'est pas avec les quelques effectifs prélevés dans les départements ruraux qu'on pourra répondre à ces besoins.

C'est donc inutilement que les départements ruraux comme celui du Lot seraient pénalisés.

De plus, nous comprenons mal qu'on oppose la ville, qui connaîtrait des conditions difficiles, à la campagne, qui serait paisible, mais que, en réalité, on condamnerait petit à petit, à la désolation. Il doit exister une solidarité.

Si les calculs sont fondés sur les crimes et les délits, on peut effectivement en déduire que de nombreuses brigades sont à supprimer. Mais il faut bien voir quel est le rôle des brigades de gendarmerie, une par canton.

M. le ministre de la défense.

Une par canton ? Très bien !

M. Bernard Charles.

Elles participent, elles sont indispensables à la vie des zones rurales. J'ai fait un calcul : la fermeture d'une brigade de six gendarmes, dans un canton très peu peuplé comprenant 17 communes sur un grand territoire, correspondrait à la fermeture d'une usine de 500 personnes dans une ville moyenne. Les gendarmes ne font pas que de la répression. Dans un département comme le nôtre, ils sont sur leur VTT pour surveiller les espaces naturels, ils sont en bateau pour faire de la prévention dans le cadre du tourisme fluvial. Nous ne pouvons donc pas accepter que nos cantons soient privés de forces de sécurité. Ce serait, si je puis dire, un démembrement.

Et surtout, il viendrait s'associer à d'autres démembrements. Nous avons des subdivisions de DDE, des perceptions, des hôpitaux qui sont menacés. C'est aussi pourquoi nous avons mal accepté ce projet, monsieur le ministre.

De plus, dans des départements aussi pauvres que le nôtre, nous avions accompli de gros efforts pour refaire à neuf les locaux de nos brigades. Vous étiez d'ailleurs venu, à mon invitation, inaugurer une superbe gendarmerie à Saint-Géry. (« Ah ! » sur de nombreux bancs.) Cette i nauguration marquait la fin du programme de reconstruction de toutes les brigades du département.

Nous sommes heureux que, comme l'avait souhaité Paul Quilès, ce projet soit rediscuté. Et nous espérons, monsieur le ministre, que vous tiendrez compte des impératifs de l'aménagement du territoire. Nous savons qu'il existe des problèmes dans les villes, mais vous devez aussi prendre conscience du rôle essentiel joué par les gendarmes dans nos campagnes. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Bernard Birsinger.

M. Bernard Birsinger.

Comme vous l'avez souligné vous-même, monsieur le ministre, le budget que vous nous présentez est la traduction financière des choix du Président de la République. Vous poursuivez en effet la mise en oeuvre, amorcée par le précédent gouvernement, des orientations stratégiques qu'il a définies : la professionnalisation de nos armées, avec comme axe principal une armée de projection, placée plus ou moins directement sous la tutelle de l'OTAN, c'est-à-dire des EtatsUnis.

Les députés communistes, comme l'an dernier, ne souscrivent pas au budget présenté. Ils s'inscrivent dans une autre conception de la stratégie de défense nationale, avec comme bases fondamentales la sécurité à laquelle aspirent nos concitoyens et les conditions de cette sécurité en Europe et dans le monde.

Il est nécessaire d'engager une réflexion globale sur les orientations. Le Parlement peut et doit être un maillon essentiel de cette réflexion. La continuité dans l'approche de notre stratégie, qui résulte de la poursuite de la loi de programmation militaire, n'est pas sans nous poser problème.

En effet, dans le monde actuel, la sécurité, c'est d'abord une politique économique, sociale et culturelle apte à répondre aux besoins des nations et des peuples, et finalement à garantir la paix. C'est ensuite une armée nationale ayant pour motivation première la sécurité intérieure du pays, sans écarter pour autant la participation à des missions humanitaires - je pense au drame que vit aujourd'hui l'Amérique centrale - ou à des missions d'aide aux peuples en lutte contre l'oppression, les massacres, les génocides.

La politique de défense ne peut avoir la projection pour objectif essentiel. Il faut un débat national pour appréhender les enjeux qui touchent à des questions fortes comme celles liées à la stratégie, aux coopérations européennes et internationales, à la politique industrielle et technologique ou à l'emploi.

M. François Léotard.

Quelle majorité !

M. Charles Cova.

La gauche plurielle en prend un coup !

M. Bernard Birsinger.

La mise en place d'une armée de métier nous confronte à une altération évidente du lien armée-nation et à un glissement vers l'idée de nation


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européenne qui, à notre sens, est, sinon vide de substance, du moins largement prématurée. La défense du territoire national reste, et sera peut-être plus encore demain, la notion première qui doit guider toute politique de défense, avec le souci d'y attacher fortement et concrètement la jeunesse.

Comment ne pas s'interroger, d'ailleurs, sur le coût élevé et grandissant de la professionnalisation ? Celle-ci s'effectue en partie au détriment du fonctionnement des forces et de leur entraînement, mais également au détriment de nos industries d'armement. Et je veux me faire i ci l'écho du refus des trois départements et des 123 communes de la petite couronne de supporter le coût de la professionnalisation du corps des sapeurspompiers.

La France, pour assurer son rang, doit disposer d'une armée de défense du territoire capable d'assurer l'autonomie de ses décisions. Il n'est pas dans l'intérêt du peuple français de dépendre d'autres puissances pour assurer sa sécurité. C'est le général de Gaulle qui disait : « Il faut que la défense de la France soit française. S'il en était autrement, notre pays serait en contradiction avec tout ce qu'il est depuis ses origines, avec son rôle, avec l'estime qu'il a de lui-même, avec son âme. S'il devait en être autrement, si l'on admettait pour longtemps que la défense de la France cessât d'être dans le cadre national ou qu'elle se confondît ou fondît avec autre chose, il ne serait pas possible de maintenir chez nous un Etat. »

C'est notre indépendance qui est en jeu aujourd'hui. Il est nécessaire que nous gardions notre souveraineté décisionnelle et industrielle. Nous avons les capacités techniques, technologiques, intellectuelles et humaines pour disposer d'une défense nationale et d'une armée nationale, capable aussi de coopérer avec les autres armées.

Mais ne passons à ce stade qu'après avoir mis sur pied une politique de sécurité commune, dont l'OSCE pourrait être le cadre.

Dans cette optique, avec l'évolution du monde, on peut parfaitement imaginer la dissolution de l'OTAN et inventer d'autres modes de coopération. Nous sommes en effet en droit de nous interroger sur la nature des coopérations actuelles.

En matière économique, la Banque centrale se trouve à Francfort. En matière de défense, l'OCCAR se trouve à Bonn.

La représentation nationale doit être consultée lorsque la France s'apprête à prendre des décisions dans les domaines de l'armement, de la défense, de la communication, de la coopération et des alliances, notamment européennes.

Un exemple parmi d'autres : la question du VBCI.

Devant les graves difficultés du GIAT, les problèmes avec nos partenaires, l'urgence d'une solution conforme aux besoins de notre armée, n'est-il pas nécessaire de remettre à plat ce dossier en réintégrant dans la réflexion le

VEXTRA conçu par GIAT ? Parallèlement, lorsque nous proposons des coopérations dans le domaine de la communication, des satellites et des renseignements, elles semblent difficiles, voire impossibles, comme c'est le cas pour le radar Horus et pour Hélios 2.

Chacun doit jouer le jeu et participer de manière équilibrée. Nous sommes pour une coopération européenne, mais elle doit se faire sur des bases claires, respectueuses de chacun des partenaires.

La coopération est enrichissante si elle renforce notre indépendance et notre capacité de jugement et de décision. Elle est appréciable et appréciée si elle renforce l'intérêt des nations et des peuples, si elle renforce leur sécurité.

Les communistes souhaitent s'engager en faveur d'une défense recentrée sur le territoire national, ce qui doit nous conduire à infléchir notre politique d'armement et notre politique industrielle.

Notre industrie de défense est en grande difficulté. Les besoins ne sont pas satisfaits, et les suppressions d'emplois sont encore à l'ordre du jour, tout comme la fermeture de sites.

Pour la DCN, après une suppression de 3 500 emplois ces deux dernières années, soit plus de 15 % des effectifs, c'est une chute de 9 % des crédits de fonctionnement qui est programmée. Le recours à la sous-traitance et à l'externalisation des missions de réparation navale va à l'encontre de l'utilisation des compétences de la DCN et du développement souhaitable des activités de partenariat.

Est-il sûr que les travaux de réparation confiés à un chantier privé seront moins chers que s'ils avaient été effectués à la DCN de Toulon ?

M. le ministre de la défense.

Oui !

M. Bernard Birsinger.

Au début de cette année, notre assemblée a adopté une loi en phase avec son temps sur la réduction du temps de travail. Le Gouvernement doit montrer l'exemple de son application sans remise en cause des acquis sociaux, sans perte ou gel des salaires.

Un dialogue entre les salariés et les différents partenaires doit s'instaurer à cet effet, mais aussi pour fixer le cadre des plans de transition et de diversification, tout en préservant un outil industriel performant, répondant aux besoins de défense.

La situation du GIAT est également préoccupante. En juin dernier a été engagé le quatrième plan social. Il se traduira par une réduction des effectifs de près de 44 % entre 1997 et 2002, après une chute de 40 % des effectifs ces dix dernières années et une baisse de 30 % de la production.

L'Etat doit entreprendre la reconquête de ses missions de fabrication d'armement et de développement d'activités complémentaires. Lorsque l'on est dans une passe difficile, il faut, même provisoirement, arrêter ou freiner les achats sur étagère qui font réaliser de fausses économies.

Enfin, dans le domaine de l'aéronautique et de l'aérospatial, le Gouvernement et la représentation nationale doivent assurer plus de transparence et de démocratie dans les choix. On peut s'étonner, comme les salariés, que le Gouvernement ait pris la décision d'approuver la fusion entre Dassault Electronique et Alcatel-Thomson, sans en avoir informé au préalable ni notre assemblée, ni les salariés qui ont été mis devant le fait accompli.

Nous avons, avec Dassault, une industrie capable de répondre aux défis aéronautiques d'aujourd'hui. Nous disposons d'avions qui ont fait leurs preuves et d'avions qui représentent l'avenir. Avec ce potentiel, nous n'avons pas à rougir de notre industrie, et l'Etat doit montrer l'exemple en lui passant des commandes.

Mais - pourquoi le taire ? - nous sommes inquiets, monsieur le ministre, quand un gouvernement de gauche reçoit les félicitations des bancs de droite pour sa courageuse et méritante politique de restructuration.

M. Guy Teissier.

Abstenez-vous !

M. François Léotard.

Quittez la majorité plurielle !


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M. Bernard Birsinger.

Ces éloges, monsieur le ministre, montrent que quelqu'un se trompe.

Il en va de même concernant la fusion d'Aérospatiale avec Matra. Ce choix aurait mérité une information et une réflexion du Parlement. Nous ne sommes pas opposés à un pôle aérospatial européen, mais nous mesurons les conséquences des choix d'aujourd'hui. Cette industrie joue un rôle stratégique par son impact sur la défense, sur les transports et les communications, sur l'acquisition des hauts niveaux technologiques. Elle a été bâtie sur des choix politiques, sur le savoir-faire et sur les luttes de plusieurs générations de salariés.

M. Charles Cova.

Camarades !..

M. Bernard Birsinger.

Ne brisons pas ces acquis. Ne cédons pas aux pressions idéologiques de ceux qui n'ont pour objectif que la rentabilité de leurs actions, de ceux qui veulent empêcher l'Etat d'être lui-même actionnaire d'entreprises. Lorsqu'il y a abandon, il faut savoir à qui il rapporte et à qui il coûte.

Monsieur le ministre, nous ne pouvons approuver votre budget. Le Gouvernement doit faire preuve de transparence et de démocratie dans ses choix. Nous demandons instamment un moratoire des plans de rest ructuration pour que l'ensemble des industries de défense fassent l'objet d'un plan de transition prenant en compte à la fois leurs plans de charge, une diversification autre qu'à dose homéopathique, la généralisation des 35 heures et l'embauche significative de jeunes. Nous demandons que soit suspendue toute décision concernant les fusions et les alliances en attendant que le Parlement ait pu en débattre.

Dans le même sens, nous souhaitons que soit organisé un débat devant la représentation nationale pour réfléchir sur l'état des risques, pour évoquer la stratégie de la France en matière de défense et de sécurité, pour approfondir les questions relatives aux coopérations et au nucléaire. La gravité des risques de prolifération est telle que cela doit faire l'objet d'un échange au-delà de la commission, même si celle-ci a décidé de créer une mission d'information à ce sujet, et j'en remercie son président, M. Quilès.

A ce moment du débat, je me souviens, monsieur le ministre, des engagements que vous avez pris l'année dernière à cette même date, à la suite de l'intervention du groupe communiste. Ils n'ont été que très partiellement respectés. C'est au regard de cette expérience et de vos réponses, prioritairement sur le volet de l'emploi industriel, que le groupe communiste déterminera son vote.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Antoine Carré.

M. Antoine Carré.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget que nous sommes amenés à examiner ce soir est un chef d'oeuvre en trompe-l'oeil. Il est présenté comme étant en progression de 2,2 % par rapport à la loi de finances de 1998 et le titre V, si cher à nos militaires car il concerne leurs crédits d'équipement, est présenté en nette augmentation puisqu'il atteindrait 86 milliards de francs.

Oui, il s'agit bien d'un budget en trompe l'oeil...

M. François Lamy.

Vous avez la mémoire courte !

M. Antoine Carré.

... car les crédits de nos armées, que ce soit le titre V ou le titre III, en réalité diminuent, et nos forces paraissent aujourd'hui arrivées au point limite des réductions qu'elles peuvent supporter. Il ne s'agit plus de jouer avec les chiffres pour leur donner l'apparence souhaitée. Il s'agit désormais, et de manière urgente, de prendre conscience de l'état réel de nos forces et des moyens qui leur manquent.

Au titre V, contrairement à ce qui est habituellement dit, les crédits d'équipement ne se réfèrent plus à la programmation, mais à la revue de programmes qui en as ensiblement modifié le contenu. Or, monsieur le ministre, quelle était la finalité de la revue de programmes que vous nous avez présentée en avril dernier ? Il s'agissait de faire moins avec moins, parce que moins de crédits sont disponibles pour la défense de notre pays.

Dans ces conditions peut-on dire que la programmation soit maintenue ? L'exécution des crédits d'équipement a été marquée, au cours de l'année 1997, par 3,9 milliards de francs d'annulations de crédits. L'année 1998 s'est caractérisée par la célèbre « encoche » de 8,9 milliards. Au total, cela représente un déficit de 12,8 milliards par rapport à l'enveloppe de la loi de programmation.

A ce déficit s'ajoute l'effet de votre revue de programmes. Celle-ci a en effet dégagé 19,2 milliards de francs d'économies sur la période 1999-2002. Au total, ce sont donc 32 milliards qui manquent sur l'ensemble de la durée d'exécution de la programmation, soit un déficit de 6 % par rapport aux crédits initialement prévus.

Vous me rétorquerez, monsieur le ministre, que votre projet de budget pour 1999 est conforme aux engagements pris dans la revue de programmes. Hélas, non ! Car il faut tenir compte de la modification du périmètre des dépenses d'équipement, et notamment du transfert des 400 millions de francs destinés à l'entretien programmé du matériel du titre III au titre V. Il faut également tenir compte de quelque 900 millions de francs de crédits pour la recherche dite duale, qui n'ont pas de véritable rapport avec la défense mais qui ont pourtant été inscrits au budget de l'équipement des armées. Avec d'autres dépenses intégrées dans les crédits d'équipement, ce sont au total 1,4 milliard de francs qui sont inscrits au titre V, alors qu'il ne s'agit absolument pas de crédits d'équipement destinés aux armées.

Pour l'armée de terre, les crédits de paiement, il est vrai, sont en augmentation par rapport à 1998, puisqu'ils progressent de 6,5 % en francs courants. Et l'évolution de ces crédits est conforme à celle prévue dans la revue de programmes. Mais, parmi les décisions prises dans ce cadre, la contrainte financière qui a été imposée à l'entretien programmé des matériels est telle qu'elle a conduit à limiter l'objectif de disponibilité technique opérationnelle des moyens à 75 % pour les matériels terrestres et à 65 % pour les matériels aériens.

La perte financière résultant de la revue de programmes atteint 2,2 milliards de francs. Ce qui a immanquablement des conséquences sur la capacité de l'armée de terre.

Tout cela montre bien qu'une entaille supplémentaire dans les crédits d'équipement de l'armée de terre entraînerait une totale remise en cause des missions confiées à cette armée, car elle ne pourrait plus y faire face.

Pour la marine, la situation n'est pas meilleure. Le titre V est amputé de 355 millions de francs par rapport à ce qui avait été fixé après la revue de programmes, et je ne parle même plus de la programmation militaire. Les crédits d'entretien programmé des matériels, outre le fait qu'ils passent d'un titre à l'autre, ont subi un abattement forfaitaire de 5 % lors de la revue de programmes. Pour les professionnels, il n'y a plus de réduction possible dans ce domaine, surtout sous la contrainte budgétaire. Le


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concept de quasi-permanence du groupe aéronaval est abandonné. Les crédits manquent pour financer un second porte-avions.

Un seul porte-avions ne nous permet plus de prétendre à une capacité de réaction efficace en cas de crise, notamment sur des théâtres étrangers et lointains. Il ne nous reste donc plus qu'à prier pour que les grandes crises, voire les conflits qui pourraient éclater et dans lesquels la France devrait intervenir, ne se produisent pas quand le Charles de Gaulle sera immobilisé pour sa maintenance.

Les missions de la marine sont restées les mêmes, mais le nombre de bâtiments diminue, et certains resteront à quai. Une présence permanente sur les théâtres d'activité ne peut plus être assurée. De plus, notre flotte vieillit, ce qui augmente les coûts d'entretien.

Pour l'armée de l'air, j'en conviens, la situation est moins critique. Permettez-moi néanmoins, monsieur le ministre, d'appeler votre attention sur notre capacité de projection. Nous avons réellement besoin d'un nouvel avion de transport. Le successeur du Transall, dont les premières livraisons étaient fixées en 2004, devra être livré au plus tard en 2005. Sinon, compte tenu du calendrier de retrait de service du Transall, il faudrait admettre une perte de capacité opérationnelle en matière de projection de force.

Quant à la situation de la gendarmerie, je tiens à vous faire part, là aussi, de mon inquiétude. Les moyens accordés à la gendarmerie ont atteint la limite au-delà de laquelle elle ne pourra plus assurer ses missions, alors que, dans le même temps, celles-ci n'ont cessé de croître. La petite délinquance et le grand banditisme prolifèrent dans le pays de façon inquiétante, et c'est un fait qui préoccupe en priorité nos concitoyens. Les discours rassurants n'apaisent plus.

Le vaste projet de redéploiement gendarmerie-police nationale sur notre territoire ne peut tarder. Il faut un renfort d'effectifs et de moyens qui n'apparaît pas dans le budget. Il faut également se préoccuper de la formation de nos futurs gendarmes. Il n'est plus possible, là non plus, de demander à nos gendarmes plus qu'ils ne font aujourd'hui.

Sur la question du nucléaire, mon opinion est plus contrastée. Il est vrai que le programme du M 51, qui paraissait compromis l'année dernière, est confirmée cette année, et c'est une bonne chose. Sa mise en service est même avancée de deux ans, ce qui contribue à améliorer les performances de notre composante nucléaire maritime.

C'est là, je le reconnais, un aspect positif de votre budget.

Je voudrais dire encore quelques mots sur notre capacité stratégique, à travers notamment l'observation spatiale. L'abandon du programme Horus sous le prétexte que les Allemands ne veulent plus participer à son financement, est regrettable. Vous ôtez ainsi à la France son indépendance en matière d'observation des zones de conflits et, par là, sa capacité à décider si une intervention est opportune ou non. Nous continuerons de dépendre dans ce domaine de nos alliés américains, même si leurs intérêts ne sont pas toujours les nôtres, comme le montre la situation actuelle en Irak.

Après ce long développement sur le titre V, je voudrais maintenant aborder la question des crédits ouverts au titre III.

M algré une augmentation apparente, le titre III demeure en deçà de ce qui était prévu dans la loi de programmation, du fait notamment d'une modification de périmètre. Il manque pour chaque année de la programmation environ un milliard de francs de crédits de fonctionnement. J'en détaillerai les conséquences pour chaque armée dans un moment. Une telle réduction des dépenses de fonctionnement va à l'encontre de la logique de la professionnalisation, qui implique la constitution de forces projetables et donc entraînées de manière adéquate.

Ces forces projetables sont utilisées dans les nombreuses opérations extérieures que la France mène. Et je voudrais attirer votre attention, mes chers collègues, sur le financement de ces opérations. Il n'est pas prévu dans les lois de finances initiales. Il manquera déjà environ un milliard de francs en 1998. Or la situation en Bosnie ne laisse pas présager un retrait rapide de nos soldats, et nous déploierons sans doute des forces au Kosovo ou dans les Etats limitrophes. Il ne faudrait pas que le financement des opérations extérieures grève encore un peu plus les crédits de fonctionnement de nos armées. Malheureusement, ce fait n'est pas nouveau.

La poursuite de la réduction des crédits de fonctionnement risque de remettre en cause la professionnalisation.

En effet, si nos armées ne peuvent recourir à la soustraitance autant qu'elles en ont besoin, elles seront obligées de conserver des effectifs plus nombreux dans les secteurs du soutien, affectant ainsi les capacités opérationnelles.

De plus, la professionnalisation suppose un recours accru aux personnels civils. Or, nous constatons que 6 500 postes civils restent vacants, ce qui constitue une difficulté majeure pour la réforme en cours.

Pour l'armée de terre, l'équilibre du titre III n'a été obtenu que par une réduction sévère des crédits de fonctionnement, qui ont eux-mêmes entraîné une réduction draconienne des objectifs de soutien et d'activités. En effet, plus de 80 % des crédits du titre III sont consacrés aux rémunérations des personnels militaires, soit plus de 24,6 milliards de francs. Ces crédits de rémunérations ne sont pas compressibles. Mais, dans le même temps, cela signifie que les crédits de fonctionnement courant sont réduits au minimum, quitte à voir ce minimum non assuré. Ainsi, et je cite ce que nous avons entendu en commission, « l'année 1999 marque un véritable décrochage qui a atteint, et probablement dépassé, ce qui est supportable et qui, s'ajoutant à la dégradation rampante observée depuis plusieurs années, pourrait conduire inexorablement l'armée de terre sur la voie de la paupérisation ».

En effet, le niveau des crédits de fonctionnement courant est inférieur de 5 % à ce qui était prévu dans la revue de programmes, soit un déficit de quelque 230 millions de francs. Les dépenses de soutien seront diminuées de 8 %, l'essentiel des réductions portant sur l'entretien immobilier. Le budget de fonctionnement des forces ne sera pas non plus épargné. L'activité passera de 80 à 70 jours, et les pilotes d'hélicoptères perdront 10 heures de vol.

Pourtant, au regard de bien d'autres dépenses, la modicité des sommes en jeu est sans commune mesure avec les implications qu'elle peut avoir sur les conditions de vie et donc sur le moral des militaires.

Pour la marine, la situation est également préoccupante : les dépenses de fonctionnement sont en baisse de 241 millions de francs et, certaines dépenses étant inéluctables et incompressibles, la marine pourrait être amenée à envisager une réduction d'activité générale ou le report d'opérations d'entretien majeur de certains bâtiments.


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Le même problème se pose pour le personnel civil, qui est en nombre insuffisant. Plus de mille postes civils sont vacants. En outre, le flux de personnels civils venant de la DCN se tarit, avec seulement 145 reclassements en 1998 sur les 420 qui avaient été annoncés. La marine devrait pouvoir embaucher rapidement et de manière directe les effectifs civils dont elle a un besoin pressant pour assurer sa logique de fonctionnement.

Dans l'armée de l'air, comme dans l'armée de terre, les dotations destinées au fonctionnement courant ou à l'activité aérienne diminuent. Pour l'armée de l'air aussi, le recrutement de personnels civils s'avère difficile.

Quant à la gendarmerie, je ne dirai là encore que quelques mots, mais ils sont éloquents : hors rémunérations et charges sociales, les crédits de fonctionnement courant sont en baisse de 1 %. Sur les problèmes de personnels, je voudrais également évoquer un service qui m'intéresse particulièrement, à savoir le service de santé des armées. Le recrutement des médecins est insuffisant, et la question du fonctionnement de certains hôpitaux militaires peut se poser prochainement. Ces personnels hospitaliers, dont les compét ences et le mérite sont reconnus de toute la c ommunauté internationale, méritent mieux que le manque de moyens auquel ils doivent faire face quotidiennement.

M. le président.

Monsieur Carré, il faut conclure.

M. Antoine Carré.

Je termine, monsieur le président.

Voilà, monsieur le ministre, ce que je peux dire de votre budget. Il est loin d'être un budget de reconquête.

Il révèle au contraire que les crédits accordés à nos armées ont atteint un seuil au-delà duquel elles ne pourront plus remplir les missions que la nation leur a confiés. Ce budget vous impose maintenant de tenir parole sur les programmes d'équipement, sur lesquels il n'est plus possible de revenir, à moins de redéfinir les missions de nos armées. La professionnalisation, qui, pour l'instant, se déroule de manière satisfaisante dans le recrutement des personnels militaires, ne doit pas échouer par manque de compétences civiles et par manque de moyens de fonctionnement. C'est malheureusement ce qui se dessine après analyse du budget pour 1999.

M. le ministre de la défense.

Puis-je vous interrompre, monsieur Carré ?

M. Antoine Carré.

Je vous en prie, monsieur le ministre.

M. le président.

La parole est à M. le ministre de la défense, avec l'autorisation de l'orateur.

M. le ministre de la défense.

Dois-je comprendre que le représentant d'une famille de pensée libérale dans cette assemblée préconise que, d'un côté, on verse des allocations sociales à des agents civils de fonctions industrielles aujourd'hui abandonnées sans leur donner de travail et que, de l'autre côté, on recrute à l'extérieur, soit une duplication des dépenses publiques ? Est-ce que c'est cela votre position ?

M. Antoine Carré.

Pas du tout, monsieur le ministre !

M. le ministre de la défense.

Alors, vous avez un problème de cohérence !

M. Antoine Carré.

Pas du tout ! Je dis qu'il est difficile maintenant de recruter parmi la DCN et qu'il est temps d'ouvrir l'accès à d'autres et de trouver d'autres solutions, puisque la masse commence à s'épuiser. Le flux de personnels civils de la DCN vers la marine est de plus en plus faible, monsieur le ministre. Vous le savez. Ce sont les faits,...

M. le ministre de la défense.

Vous n'avez pas lu le dossier !

M. Antoine Carré.

... et voilà pourquoi le groupe Démocratie libérale et Indépendants votera contre votre budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le ministre de la défense.

Comme ses amis du Front national !

M. le président.

La parole est à M. Arthur Paecht.

M. Arthur Paecht.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l'a rappelé le Président de la République en avril dernier, la rénovation de notre défense est une tâche ambitieuse, car « nous devons conjuguer la professionnalisation et la modernisation des équipements ». Pour mener cette tâche à bien, nous disposons, avec la programmation militaire, d'un échéancier cohérent des financements à assurer jusqu'en 2002.

Vous avez choisi, monsieur le ministre, d'adapter cet échéancier à vos contraintes budgétaires. C'était le sens de la « revue de programmes » à laquelle vous venez de procéder. Vous n'y avez guère associé le Parlement, ce que nous regrettons d'autant plus que la programmation que vous avez amendée par ce biais avait revêtu la forme de la loi, une loi d'actualisation qui n'a pas dit son nom.

A l'issue de votre réexamen des programmes d'équipement des armées, vous avez diminué de 20 milliards de francs l'enveloppe financière qui leur était allouée jusqu'en 2002.

Certains des choix que vous avez faits sont acceptables, dans la mesure où ils ne remettent pas en cause la cohérence interarmées des programmes et où ils ne réduisent qu'à la marge les capacités. D'autres sont plus préoccupants, comme la réduction des crédits destinés aux études en amont et surtout la diminution de 5 % des dépenses d'entretien programmé des matériels. Le chef d'état-major de la marine nous a indiqué en commission à ce propos que toute réduction supplémentaire comportait le risque de « casser l'outil ».

Mais l'essentiel à nos yeux est que le Gouvernement ait pris l'engagement d'assurer aux armées, pour les années à venir, des ressources financières suffisantes pour leur permette de garantir le pays contre les risques nouveaux auxquels il est exposé.

Après « l'encoche » de 8,3 milliards de francs faite à la programmation par le précédent budget, nous nous trouvons aujourd'hui devant une situation objectivement améliorée. Mais les crédits d'équipement inscrits au projet de budget sont inférieurs de 4,4 milliards de francs aux objectifs de la programmation, même s'ils s'intègrent à présent dans un cadre pluriannuel relativement précis et cohérent. Nous devons reconnaître que leur montant est sensiblement supérieur à celui de 1996, qui, après annulations, n'atteignait que 80,4 milliards de francs, comme du reste aussi à celui de 1997, qui s'est établi à 83,7 milliards de francs, également après annulations. Par rapport aux 81 milliards de francs de la loi de finances initiale pour 1998, nous ne pouvons que constater un net redressement, malgré les modifications de structure qui, dans votre projet de budget, accroissent artificiellement les dotations d'équipement d'un peu moins de 1,5 milliard


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de francs. Je rappelle à ce propos les transferts de charges du titre III vers le titre V déjà signalés par d'autres intervenants.

Mais nous ne pourrons nous satisfaire pleinement de ce redressement que si vous nous assurez qu'il sera durable. Cela implique que vous répartissiez de manière égale, sur chacun des exercices à venir, d'ici à 2002, les 20 milliards de francs d'abattement que vous avez décidé d'effectuer sur l'enveloppe de la programmation. Les 86 milliards de francs que vous attribuez au budget d'équipement de la défense pour 1999 devront donc être reconduits jusqu'au terme de la programmation.

Les ponctions réalisées en cours de gestion par le biais des gels et des annulations de crédits devront également rester modérées car je n'ose pas croire - j'ai assez d'expérience pour cela - qu'elles puissent entièrement cesser.

Nous regrettons à ce propos les 4,15 milliards de francs d'annulations de crédits d'équipement déjà intervenues sur la gestion 1998, qui nous paraissent dépasser la limite des ajustements tolérables, même si on nous assure qu'ils seront prélevés sur des reports de crédits, d'ailleurs imposés à la défense par le contrôle financier.

Nous attendons donc de vous, monsieur le ministre, un engagement formel de continuité dans l'effort budgétaire et de consommation rapide et complète des crédits dans le cadre des nouvelles procédures d'exécution financière que vous avez vous-même instaurées.

Nous souhaiterions aussi connaître les prévisions que vous faites sur l'évolution des besoins de financement des programmes d'équipement de la défense au-delà de 2002.

Je note que la revue de programmes n'a pas reporté de charges au-delà de l'horizon de la programmation. Mais q u'en est-il des programmes engagés, ou envisagés, comme par exemple l'avion de transport futur ? Allonsnous nous trouver en 2002, ou après 2002, devant une nouvelle bosse de financement qui nous contraindrait à abandonner les projets en cours ? Je suis d'autant plus à l'aise pour vous poser cette question que j'ai exprimé les mêmes inquiétudes à votre prédécesseur.

Quant au titre III, il doit répondre aux besoins de la professionnalisation. La réduction du format des armées est conforme aux prévisions. Les postes budgétaires nécessaires sont ouverts. Les mesures d'accompagnement, et en particulier d'aide au départ, donnent aux armées les moyens d'adapter leurs effectifs à leurs nouveaux besoins.

Les difficultés rencontrées paraissent concerner essentiellement les postes civils. Les armées souffrent en ce domaine d'un sous-effectif qui gêne leur professionnalisation, alors que les sureffectifs persistent à la DGA.

Je reprends, avec des termes différents, la question de M. Carré : comment allez-vous, monsieur le ministre, résoudre ce problème ? Il est d'importance puisque les chefs d'état-major des trois armées ont attiré sur lui l'attention de la commission de la défense ?

M. Guy Teissier.

Eh oui !

M. Arthur Paecht.

Consentirez-vous aux recrutements indispensables dans l'hypothèse où vous ne parviendriez pas à assurer un transfert de personnels suffisant en provenance de la DGA ? Le problème se pose.

M. Guy Teissier.

Voilà !

M. Antoine Carré.

Eh oui !

M. Arthur Paecht.

Ce n'est pourtant pas l'évolution des effectifs qui suscite les plus grandes inquiétudes dans votre projet, mais la réduction des dotations de fonctionnement courant...

M. François Léotard.

C'est vrai !

M. Arthur Paecht.

... que plusieurs de nos collègues ont souligné avant moi. Je ne veux pas ici amplifier les craintes exprimées par les armées, mais je ne peux que constater la contrainte qui leur est imposée. Hors carburants et entretien programmé des matériels, les crédits de fonctionnement et d'activité passent de 14,6 à 13,8 milliards de francs, soit une baisse de 5,5 %, ce qui représente à peu près le double de l'économie réalisée grâce à la réduction de format.

Les charges de personnel absorbent en fait une part grandissante du titre III et compriment les ressources disponibles pour la vie courante et l'entraînement des forces.

Vous pourrez sans doute faire face à cette situation sur l'exercice 1998. Mais qu'en sera-t-il au cours des exercices suivants ? Deux possibilités s'offrent à vous pour lever cette difficulté de financement : soit accroître - on peut toujours l'espérer - l'enveloppe du titre III de manière à absorber le surcoût de la transition vers l'armée professionnelle, soit revoir le format et donc les missions des forces.

L'augmentation du titre III, qui serait nécessaire toutes choses égales par ailleurs, et c'est ce qui a été rappelé par le président Quilès, se situerait autour d'un milliard de francs 1998. Je me demande, pour ma part, si les analyses du Livre blanc et de la programmation qui ont permis de définir le « contrat opérationnel » des armées ne doivent pas être revues. Deux constatations s'imposent en effet.

D'une part, et cela a été dit aussi, les risques ont évolué. Les scénarios d'emploi des forces sont à présent plus diversifiés, plus multiformes mais, pour l'avenir proche du moins, ils ont perdu en gravité. Nous disposons donc d'un temps de répit pour restructurer et moderniser nos forces.

D'autre part, l'hypothèse d'un engagement solitaire des forces françaises n'est plus réaliste. C'est dans un cadre international, avec nos alliés et tout particulièrement avec nos alliés européens, que nous agissons à présent. Pourquoi ne pas en tirer toutes les conséquences pour l'organisation de notre défense ? La spécialisation des tâches, la complémentarité et la coopération entre armées européennes doivent devenir des réalités. C'est pourquoi nous nous félicitons, monsieur le ministre, que vous ayez évoqué la possibilité d'une coopération franco-britannique pour la constitution et la gestion des groupes aéronavals de nos deux pays. Si, comme nous l'a annoncé le chef d'état-major de la marine, le Charles de Gaulle ne peut être disponible que les deux tiers du temps, et même dans l'hypothèse où nous déciderions de nous doter d'un second porte-avions qui, de toute façon, n'entrerait en service que bien tard, il nous faudra imaginer des formules d'association de notre groupe aéronaval avec ceux d'autres pays européens pour faire face à des crises qu'en toute hypothèse nous serons amenés à gérer ensemble.

La sécurité de notre pays n'est plus dissociable aujourd'hui de celle de nos partenaires européens et plus largement de celle de l'Alliance atlantique. La constitution d'une identité européenne de défense doit être, dans ces conditions, une priorité de notre politique militaire. Elle nous donnera non seulement une garantie plus solide,


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mais elle nous permettra aussi de faire vivre l'Alliance atlantique sur des bases plus saines, en rééquilibrant notre partenariat avec les Etats-Unis.

Si nous savons réformer nos modes traditionnels de coopération, si nous nous engageons dans la construction d'un véritable marché commun de l'armement en regroupant nos industries face à la concurrence américaine, c'est aussi le gage d'une réduction des coûts des matériels.

Les évolutions actuelles sont en ce domaine contradictoires. Les unes sont positives, comme la récente décision de donner à l'OCCAR la personnalité juridique, d'autres sont préoccupantes. Je pense en particulier - mais cela a été également dit, je ne m'y attarde pas - aux difficultés de grands programmes comme ceux de la frégate Horizon, du VBCI, ou des satellites d'observation.

Quant à la constitution d'une grande société aérospatiale européenne, elle semble marquer le pas, sauf évolution de dernière heure, et l'on ne sait si des désaccords de même gravité séparent les trois principaux partenaires ou si la France court le risque d'être isolée face à un rapprochement germano-britannique. Mais vous avez certainement, là-dessus, des informations très récentes à nous donner.

Sur tous ces points, nous attendons de vous, monsieur le ministre, des éclaircissements.

La construction de l'Europe de la défense est aussi au centre des négociations sur le nouveau concept stratégique de l'Alliance atlantique. L'Europe devra, en tant que telle, faire entendre sa voix dans le débat sur les finalités nouvelles d'une Alliance atlantique élargie, qui n'a plus seulement pour fonction d'assurer la défense collective de ses membres, mais aussi de contribuer à la sécurité collective du continent européen. Au sein de cette alliance transformée, l'Europe doit pouvoir agir seule si elle l'estime nécessaire en disposant des infrastructures alliées existantes, comme le prévoient les conclusions du Conseil atlantique de Berlin.

L'Europe de la défense ne pourra se situer autrement q ue dans le prolongement de l'Union européenne.

L'Europe de la sécurité intérieure, celle de Schengen et du « troisième pilier », l'Europe de la monnaie unique ne peut s'interdire la dimension de la défense. La solidarité qui nous a conduits à partager notre souveraineté dans les domaines de la justice et de la monnaie nous conduira aussi à la partager dans le domaine de la défense. C'est la perspective qu'ont ouverte, encore très timidement, les traités de Maastricht et d'Amsterdam. C'est aussi la voie qu'a tracée il y a peu le Président de la République en préconisant la création, le moment venu, d'une conférence des ministres de la défense de l'Union européenne.

Nous souhaiterions donc savoir également, monsieur le ministre, quelles mesures vous envisagez pour relancer les discussions relatives à la construction de l'Europe de la défense. En particulier, comment entendez-vous répondre aux propositions récentes du Premier ministre britannique, identiques, d'ailleurs, à celles déjà formulées par le président Chirac ? Quel bilan tirez-vous de la réunion que vous venez de tenir à Vienne avec vos homologues de l'Union européenne ? Comment envisagez-vous l'articulation des relations entre l'UEO, l'Union européenne et l'Alliance atlantique ? Votre réponse, monsieur le ministre, pèsera d'un poids particulier dans notre vote (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste) sur votre projet de budget, car nous jugeons aussi votre politique à l'aune de votre contribution effective aux progrès de la construction européenne.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Guy-Michel Chauveau.

Elle n'est pas mince !

M. le président.

La parole est à M. Yves Fromion.

M. Yves Fromion.

Monsieur le ministre, il y a un an, ici même, dans un contexte budgétaire calamiteux pour nos armées et nos industries de défense, le Gouvernement nous annonçait une revue des programmes d'équipement figurant à la loi de programmation militaire. C'était pour votre majorité la promesse d'économies substantielles. On allait recueillir d'abondance les dividendes de la paix.

Où en sommes-nous aujourd'hui ? L'essentiel du dispositif de la loi de programmation voté par la précédente majorité est maintenu. Il n'est pas indécent de s'en réjouir en se souvenant des critiques, pas toujours nuancées, dont cette loi et ses inspirateurs firent l'objet de la part de l'opposition d'alors.

Sans doute la cohérence de la démarche, la rigueur des choix industriels, la pertinence des programmes engagés en coopération internationale se sont-elles imposées à vous. Comment, en effet, décider d'impasses sur des programmes d'équipement sans remettre en cause l'équilibre délicat auquel on était parvenu dans le cadre budgétaire rigoureux de la professionnalisation de nos forces armées ? Sans doute aussi avez-vous été sensible à la détermination et à la foi avec lesquelles les personnels de nos armées se sont impliqués dans la réforme de l'outil militaire qu'il leur était demandé de conduire dans des conditions particulièrement difficiles.

Permettez-moi de penser, monsieur le ministre, que vous avez une responsabilité importante dans le fait que votre majorité en ait pris conscience et je crois qu'on peut vous en féliciter.

M. Philippe Auberger.

Très bien !

M. le ministre de la défense.

C'est gentil !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

Il votera le budget !

M. Yves Fromion.

Nul ne doute non plus que le Gouvernement ait pris la mesure des conséquences que ces choix budgétaires faisaient peser sur nos industries d'armement.

Mais nul n'ignore non plus que le redressement du budget d'équipement militaire est à porter au crédit du Président de la République ! (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Si vous avez pu, monsieur le ministre, lors des travaux en commission - j'étais présent - faire état du climat serein de vos discussions avec Bercy, c'est parce que le Président de la République, chef des armées, avait convaincu votre gouvernement qu'il ne pouvait accepter une remise en cause des objectifs de la politique de défense et des moyens pour y parvenir.

De cette conjonction de facteurs, tirons au moins la satisfaction de voir enfin « estampillées » par la majorité d'aujourd'hui les orientations de la politique de défense de la France.

M. François Léotard.

N'exagérons rien !

M. Yves Fromion.

Cette heureuse constatation laisse cependant place à l'inquiétude dès lors que l'on considère de plus près votre projet de budget pour 1999.


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« Lifté » par vos soins, ce budget est tendu de toutes parts à l'extrême, au point de donner l'impression que l'institution militaire est condamnée à se figer pour ne pas le faire éclater.

(Sourires.)

L'observation vaut tant pour les crédits de fonctionnement que pour les crédits d'équipement.

Examinons d'abord le titre III. Son montant n'atteint pas l'annuité 1999 de la loi de programmation.

Sans doute, et il convient de s'en féliciter, la professionnalisation se déroule-t-elle de façon conforme au cadencement imposé par la loi. Le mérite en revient, je le redis, aux différents échelons de responsabilité de nos forces armées.

Mais on ne peut passer sous silence les difficultés qui accompagnent cette mutation, imputables pour l'essentiel à l'absence de toute marge de manoeuvre financière.

L'adéquation entre les économies résultant de la réduction progressive du format des armées et le gonflement des dépenses induites par la professionnalisation ne relève pas des sciences exactes. Les différents chefs d'état-major ont insisté sur les problèmes qui découlent de cette situation et le chef d'état-major général des armées a estimé à un peu plus d'un milliard de francs l'enveloppe financière nécessaire au lissage des à-coups liés à la professionnalisation.

Répondre à cette demande relève d'une exigence. En effet, l'excès des difficultés ou des contingentements de tous ordres vécus au quotidien dans nos unités peut à la longue générer un vrai désenchantement susceptible de faire naître le doute sur la pertinence de la réforme entreprise et sur la volonté de la nation de porter un intérêt suffisant à son armée. Or je ne vois pas que ce soit l'intérêt de quiconque.

On ne peut se satisfaire non plus de l'annonce d'une réduction des crédits de fonctionnement d'une ampleur telle, 9 % - même si on peut l'expliquer par certains facteurs - qu'elle ne peut qu'avoir un impact sur l'entraînement des personnels. La formation et l'entraînement d'une armée professionnelle coûtent cher. Je crois que personne ne peut le contester. Si certains le contestaient, ils le découvrent ajourd'hui.

Mais rien ne doit être négligé en ce domaine car les soldats de la France doivent être au niveau des meilleurs.

C'est sur cette conviction que s'appuie la force morale indispensable à l'efficacité d'un combattant. C'est pourq uoi il est inacceptable que l'armée de terre soit contrainte de réduire son activité de 78 à 68 jours par an, que la marine reporte les opérations d'entretien de ses bâtiments, que l'armée de l'air maintienne à peine les heures de vol de ses pilotes.

On pourrait sans peine puiser d'autres exemples dans le quotidien de nos unités pour illustrer l'indigence relative du titre III de ce budget.

Aussi peut-on s'étonner que les économies réalisées sur le titre V, que je vais aborder maintenant, n'aient pas permis de prendre en compte les demandes légitimes et pour tout dire fort mesurées concernant le fonctionnement de nos armées.

Le budget d'équipement revient dans une proximité, encore bien relative certes, avec les projections de la loi de programmation.

La revue des programmes a conclu au maintien de l'essentiel des décisions antérieures sous réserve d'ajustements dont la pertinence est parfois à souligner. Tel est le cas de l'adéquation SNLE et M

51. Il n'en demeure pas moins que l'équipement des armées subit une réduction de crédits considérable par rapport à la loi de programmation, dont on disait pourtant qu'elle ne comportait guère de marge de manoeuvre.

Or c'est dans ce contexte, monsieur le ministre, que vous amputez déjà l'annuité 1999 d'environ 1,4 milliard de francs. Le Gouvernement fait vraiment tout pour décourager ceux qui voudraient croire à ses bonnes intentions. Rattacher au titre V l'entretien programmé du matériel ou la mystérieuse recherche duale n'est pas en soi critiquable. Ce qui l'est, par contre, c'est d'imputer ces dépenses à un budget tendu à la limite du raisonnable. Comment ne pas s'interroger ? Je ne voudrais pas passer sous silence d'autres interrogations portant, celles-là, sur le devenir du projet de commande groupée des avions Rafale - on en a parlé tout à l'heure -, sur les études préliminaires à une future et nécessaire décision concernant un deuxième porteavions, ainsi que sur le point de vos réflexions s'agissant de l'avion de transport futur ; autant de décisions qui conditionnent les capacités de projection future de nos armées. Nous donnerez-vous, monsieur le ministre, des réponses sur ces sujets ? L'avenir de nos industries de défense, je songe en particulier à GIAT Industries, est évidemment étroitement lié au budget qui nous est présenté. Des suppressions d'emplois, on passe maintenant aux fermetures de sites importants - et je pense à Salbris. Ces réalités sont en é vidente contradiction avec les affirmations selon lesquelles ce budget s'inscrirait dans la logique de la politique de l'emploi de votre Gouvernement, à moins qu'elles ne soient qu'une inquiétante anticipation...

Alors, bien sûr, on nous reparle de mesures d'accompagnement, d'accroissement des fonds de reconversion, de départs anticipés à la retraite. Sans méconnaître que la question de l'adaptation de notre outil industriel s'est posée à tous les gouvernements passés, force est de constater que, sur le sujet, vous avez la main exceptionnellement lourde, et que vous aurez déçu plus d'illusions que quiconque. Nous attendons de vous, monsieur le ministre, qu'au moins vous preniez des engagements fermes sur le respect des commandes de l'Etat, notamment vis-à-vis de GIAT et sur le soutien des exportations.

En conclusion, monsieur le ministre, vous nous présentez un projet de budget sans doute « moins pire » que le précédent. Je vous en donne acte.

Je n'insisterai pas à nouveau sur les origines de l'inflexion vers le mieux que nous observons. Si « l'encoche » du titre V est devenue, comme on pouvait s'y attendre, une longue entaille, l'inquiétude des députés RPR se focalise aujourd'hui sur le budget de fonctionnement. Il est clair que la professionnalisation ne pourra se poursuivre convenablement sans un abondement des crédits de fonctionnement permettant, comme je l'ai rappelé, de

« lisser » la conjoncture.

Le groupe RPR souhaiterait connaître vos intentions, monsieur le ministre, à cet égard.

Le point est particulièrement important, car il souligne indirectement les conséquences des coupes budgétaires auxquelles vous avez procédé. J'ai parlé il y a un instant du « lifting » excessif subi par votre budget. Il n'y a plus rien à « tirer » nulle part - pardonnez-moi l'expression.

Votre gouvernement s'est mis d'une certaine façon le dos au mur en ne sachant pas s'arrêter avant d'aller trop loin.


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Alors, vous allez devoir naviguer entre les écueils que constituent la perspective du ralentissement de la professionnalisation, l'atteinte aux capacités opérationnelles des armées ou la remise en cause du modèle 2015.

Monsieur le ministre, votre budget n'est pas vraiment bon, même si, je l'ai dit et je le répète, sous l'impulsion du Président de la République, on a évité le pire.

Nous attendons, monsieur le ministre, vos réponses.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. Guy-Michel Chauveau.

M. Guy-Michel Chauveau.

Monsieur le ministre de la défense, dix-sept mois viennent de s'écouler depuis votre entrée en fonctions et douze mois depuis la présentation en séance publique du budget 1998.

Les parlementaires, toutes tendances confondues, ont pu constater que vous n'entendiez pas rester inactif face a ux bouleversements géostratégiques, aux mutations industrielles et aux impératifs économiques.

Nous le savons tous : une véritable adaptation de notre outil de défense est nécessaire pour que la France demeure une puissance reconnue, moderne et dynamique.

Cela passe, nous le savons, par la maîtrise des quatre fonctions, rappelées dernièrement par le Premier ministre, et autour desquelles s'articule notre politique de défense ; je veux parler de la prévention, de la protection, de la projection et de la dissuasion.

Le budget pour 1998 avait été l'occasion de rationaliser les dépenses, en utilisant pleinement les crédits votés par le Parlement, ce qui d'ailleurs tranchait avec l'habitude d'une exécution budgétaire approximative.

L'année dernière, à cette même place, j'intervenais au nom du groupe socialiste pour soutenir cette démarche fort responsable.

Certains prétendaient alors que le Gouvernement en particulier, et la gauche en général, mettraient en péril notre défense puisque les crédits du titre V ne se conformaient pas à la loi de programmation militaire. Mais peut-on recevoir de tels arguments quand le niveau des crédits consommés du titre V n'a cessé de s'éloigner des objectifs de cette même loi de programmation ? J'y reviendrai tout à l'heure. Le jeu du grand écart a parfois ses limites ; au risque de s'engager dans une tâche ardue, le Gouvernement a relevé le défi depuis juin 1997. Je sais la nécessité de s'attaquer à ce chantier ambitieux, ce que vous faites, monsieur le ministre.

Fort de cette première réorientation politique, vous vous ancrez maintenant dans une logique qui préside au budget 1999. Grâce au principe des commandes pluriannuelles et aux conclusions de la revue de programmes présentée en mars dernier, le Gouvernement a pu fixer sur quatre ans un niveau de crédits constant, notamment pour le titre V.

Cette planification des crédits, écartant toute dérive et autres variations qui ont obscurci, ces dernières années, l'avenir et la pérennité de certains programmes, répondra à la modernisation de l'outil industriel et aux besoins de nos armées.

Tout d'abord, il nous faut remarquer que les crédits alloués réellement à la défense en 1998, et j'espère en 1999, seront à un niveau jamais atteint depuis cinq ans.

La première raison, nous le savons, en est bien sûr l'amélioration des résultats de notre économie due à la politique mise en oeuvre par ce Gouvernement. (Rires et exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Charles Cova.

Il dit ça sans rire !

M. Guy-Michel Chauveau.

La deuxième résulte des dispositions que vous avez prises -, j'y reviendrai.

Faut-il être surpris de ce qui s'est passé depuis cinq ans ? Non, sans doute, si l'on considère que les lois de programmation depuis 1960 n'ont jamais été respectées.

Il n'y a que M. Yves Fromion, que je viens d'entendre, qui semble encore être frappé d'angélisme quand il signe dans un quotidien du matin un article où il indique que

« le projet de budget militaire souffre également la critique parce qu'il confirme la prise de distance avec la loi d e programmation militaire 1997-2002 en matière d'équipements de nos forces ».

M. Yves Fromion.

Je deviens une référence ! Je vous en remercie !

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

Mauvaise référence !

M. Guy-Michel Chauveau.

Nous ne pouvons nous en réjouir, monsieur Fromion, mais pouvons-nous pour autant en faire la pierre angulaire d'une opposition raisonnée à ce budget ? Je vois deux raisons à cette non-application des lois de programmation, et nous le savons tous ici sur ces bancs.

La première, c'est qu'elles sont toujours trop ambitieuses.

Les motifs, nous les connaissons tous, chers collègues. Le président de la commission de la défense les rappelait l'année dernière dans son intervention : « Pour la gauche, le soupçon permanent qu'elle n'accorde pas une place suffisante à la défense, pour la droite, qu'elle est institutionnellement la gardienne d'une orthodoxie militaire. »

Les uns comme les autres, reconnaissons-le, n'avons donc pas su prévoir, ajuster, résister soit aux demandes toujours plus pressantes soit aux opinions ambiantes.

La deuxième raison est également bien connue de vous tous, mes chers collègues : le budget de la défense a toujours servi de variable d'ajustement en cas de difficultés économiques et donc de recettes moindres pour l'Etat. Il suffit de regarder ce qui s'est passé depuis 1960.

M. Yves Fromion.

N'exagérons rien !

M. Guy-Michel Chauveau.

Depuis près de quarante ans, en effet, nombreux ont été les débats budgétaires où nous, les députés, nous nous battions pour quelques dizaines de milliers de francs - peut-être 50 millions pour la gendarmerie, monsieur le ministre - pour apprendre quelques jours plus tard qu'un décret en annulait quelques milliards - pour l'exercice en cours, bien sûr ! Maigre consolation ! Puisque vous voulez des détails, si l'on regarde l'exécution des budgets de ces dernières années pour le titre V, les chiffres parlent d'eux-mêmes : en 1994, 88,4 milliards consommés pour 95 milliards inscrits ; en 1995, 74,7 milliards consommés pour 94 milliards inscrits ; c'était le record, 20 milliards de glissement !

M. Yves Fromion.

C'était une période de transition ! (Sourires.)

M. Guy-Michel Chauveau.

Mais oui, bien sûr ! En 1996, un écart de 12 milliards ! monsieur Fromion, si on devait utiliser le mot calamiteux, reconnaissez que ce serait ici qu'il faudrait le faire !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 NOVEMBRE 1998

Nous sommes bien loin des 4,5 % du PIBm annoncés par M. Chirac en 1991, deux ans après la chute du mur de Berlin.

Nous devons le dire, ce projet de budget n'aurait donc pas été possible si la situation économique que nous avons trouvée l'année dernière ne s'était pas améliorée.

Ce bon niveau des crédits - 104,7 milliards pour le titre III, 86 milliards pour le titre V, 6,2 % d'augmentation -, ne doit pas nous faire oublier cependant la nécessité de mieux assurer la maîtrise des dépenses du titre III comme du titre V ; d'abord parce que le secteur de la défense doit contribuer à la politique générale de maîtrise des finances publiques, mais surtout parce qu'il s'agit pour nos armées d'efficacité opérationnelle. Parce que nous devons veiller à ce qu'il n'y ait pas un trop grand déséquilibre entre le titre III et le titre V.

Le rapporteur spécial de la commission des finances commence - très fort, d'ailleurs ! - son rapport par cette affirmation : « Le ministère de la défense n'était pas bien géré. » Je me permets au passage de noter l'imparfait uti-

lisé par Jean-Michel Boucheron...

Malgré les nombreuses mesures que vous avez prises, monsieur le ministre, à la suite des rapports de la Cour des comptes et de l'inspection générale des finances, leur effet ne peut être immédiat et je ne doute pas, connaissant votre détermination, que vous poursuivrez ce travail de clarification budgétaire, de réduction des coûts et des délais.

Cependant, nous restons perplexes pour l'avenir à l'examen des nombreux dysfonctionnements repérés justement par la Cour des comptes. Je ne citerai qu'un exemple. Les reports de charges de 1996 et 1997 sont de 2 milliards de francs en partie apurés par le décret d'avance du 21 août 1998, qui a ouvert 3,8 milliards de francs sur le titre III.

L'évolution du titre III suscite d'autres préoccupations, monsieur le ministre. En effet, comment assurer cette maîtrise quand on sait que les rémunérations et les charges sociales représentent entre 75 et 80 % des dépenses de fonctionnement et que la professionnalisation de nos armées nous oblige à l'avenir à un recrutement de bons professionnels que les finances publiques se doivent, bien sûr, de rémunérer correctement.

M. Yves Fromion.

Très bien !

M. Guy-Michel Chauveau.

La maîtrise du titre III doit être, je le répète, un objectif à court terme afin de ne pas tomber dans l'irrationnel.

Nous parlons du budget, donc des facteurs financiers.

Mais les facteurs humains et industriels ne doivent, bien sûr, pas être oubliés.

Les questions que vous poseront mes collègues du groupe socialiste, monsieur le ministre, démontreront notre attachement à ce que vous preniez en compte de devenir des personnels, aussi bien dans l'armée que dans les différents arsenaux et entreprises servant la politique de défense de la France.

Je voudrais revenir sur la politique des industries de défense.

Cette nouvelle orientation a pris l'aspect d'une restructuration, passant soit par une diversification, soit par la concrétisation d'alliances franco-françaises par métier.

Cette restructuration s'impose.

La restructuration industrielle dans le secteur aéronautique et de défense est une priorité et elle s'inscrit nécessairement dans une perspective européenne. Elle est commandée par la forte contraction des dépenses militaires de tous les Etats depuis 1990. Cette baisse des budgets de la défense n'est pas un phénomène conjoncturel mais est due à la situation internationale qui se caractérise par la disparition pour l'Europe d'un ennemi désigné, par l'absence d'une menace majeure et par la montée en puissance d'entreprises américaines, restructurées et concentrées.

La restructuration industrielle prend un tour à la fois défensif et offensif.

Offensif, car de nouveaux territoires s'offrent à ceux qui veulent bien se donner la peine de les conquérir. Nos industriels nous en fournissent de nombreux exemples. Il faut les encourager.

Depuis quinze mois, les décisions courageuses n'ont pas manqué ; d'abord l'année dernière pour le pôle électronique autour de Thomson-CSF, puis cet été l'accord Aérospatiale-Matra hautes technologies qui doit voir son aboutissement en mars, dernièrement, l'issue annoncée des négociations avec Dassault-Aviation. A cela j'ajouterai, bien sûr, la mise en place de l'OCCAR.

Voilà qui nous met en ordre de marche pour aller plus loin dans les discussions et négociations avec nos partenaires étrangers.

Alors qu'on nous presse de toutes parts, qui aurait pu mieux faire dans des délais aussi brefs ? Nous sommes, nous, Européens, condamnés à réussir le regroupement des industries aéronautiques de défense européennes. Les étapes que nous venons de franchir étaient un préalable. Il faut en féliciter tous les acteurs.

En conclusion, monsieur le ministre, bien que les débats budgétaires soient toujours une affaire d'intendance, les choix qui y sont faits s'inscrivent dans la durée et sont la résultante d'orientations, de décisions prises en conseil de défense, qui prennent en compte, bien sûr, les évolutions des données politiques et géopolitiques.

Aussi, vous nous avez rappelé l'année dernière que ces réflexions prospectives liaient l'Assemblée et le Gouvernement pour nous permettre de mieux préparer nos choix.

Vos travaux, les nôtres y ont souscrit depuis un an et nous vous en sommes reconnaissants, mais nous devons nous interroger sur la méthode que nous devons suivre pour organiser une concertation, qui, aujourd'hui, doit obligatoirement être européenne, afin de préparer l'avenir immédiat mais, surtout, d'avoir une vision à long terme.

Je pense que la réunion à Vienne des ministres de la défense va dans ce sens.

La nouvelle architecture politique européenne, l'accélération des restructurations engagées, dans les industries d'armement notamment, la réponse collective, aujourd'hui plus que jamais nécessaire, des Européens à certaines situations doivent nous amener à rechercher des stratégies communes de sécurité.

Il est donc nécessaire que cette analyse prospective soit réalisée avec nos partenaires européens. Elaborer un Livre blanc avec nos partenaires est une bonne idée, qui a été proposée, je crois sur ces bancs, monsieur le président de la commission.

M. Paul Quilès, président de la commission de la défense.

Exact !

M. Guy-Michel Chauveau.

Les modalités doivent, bien sûr, être discutées. La confrontation des propositions, leur analyse en commun, nous feraient faire un grand pas pour avoir une vision plus globale de l'organisation et des outils de sécurité dont nous avons collectivement besoin.

Je crois d'ailleurs que, si l'on regarde un peu plus à l'est


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de l'Union européenne, cette initiative sera notamment appréciée par ceux qui ont du mal à voir l'élargissement de l'OTAN.

Pour toutes ces raisons, monsieur le ministre, les membres du groupe socialiste vous soutiendront et voteront ce budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures trente, sous la présidence de M. Arthur Paecht.)

PRE SIDENCE DE M. ARTHUR PAECHT,

vice-président

M. le président.

La séance est reprise.

La parole est à M. Gérard Charasse.

M. Gérard Charasse.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, 1999 est, pour le budget de la défense, une année particulière puisqu'elle marque la fin d'une érosion des crédits d'équipement militaire qui avait commencé en 1990. Dans ce domaine aussi, le Gouvernement a donc tenu ses engagements, et il a respecté l'orientation fixée en avril dernier à Saint-Mandrier par le Premier ministre.

Finalement, ce budget illustre une double volonté politique : d'une part, ne pas rompre avec des directions approuvées par la représentation nationale au cours des derniers mois ; d'autre part, garder à la France une place centrale sur la scène internationale et un rôle déterminant dans la construction de la politique européenne de sécurité commune.

Votre budget, monsieur le ministre, est, en effet, celui de la poursuite du processus de professionnalisation.

La suppression de la conscription, prévue pour 2002, a été un débat important qui a marqué le pays. Elle s'est accompagnée de mesures significatives qui ont permis de mesurer la détermination de la majorité à faire prévaloir dans ses choix les principes qu'elle défend, en particulier la solidarité, sans pour autant détourner les yeux de ce que sont les réalités. Les Cassandre que nous avions entendues à cette occasion se sont tues depuis. La professionnalisation est une réalité et s'accompagne de la création de 15 000 postes. Cela s'est fait dans le respect de la loi de programmation militaire mais cela va au-delà de cet impératif puisque vous proposez de renforcer certains moyens humains, de réorganiser les emplois budgétaires pour prendre en compte les besoins des armées dans le cadre de la revue de programmes, et de consacrer un effort budgétaire aux personnels dans le cadre des crédits affectés à la reconversion des militaires les moins gradés quittant le service.

Votre budget est aussi celui du respect de la loi de programmation militaire, qui subit dans son application des correctifs techniques, opérationnels et financiers.

Qui songerait, mes chers collègues, à reprocher que l'on cherche, en matière budgétaire, à s'approcher du juste chemin qui consiste à n'insulter ni le passé ni l'avenir. Les députés radicaux, monsieur le ministre, ne seront pas de ceux-là.

Finalement, en effet, les propositions faites à la représentation nationale vont tout de même permettre le lancement de notre deuxième satellite de reconnaissance optique et la continuation du développement d'une nouv elle génération de satellites d'observation militaire Hélios 2. Quant à la dissuasion, nous y consacrerons en 1999 une somme proche de celle allouée en 1998.

Enfin, nous avons noté avec satisfaction votre proposition de maintenir à flot les grands programmes d'armement : le char Leclerc, qui a une signification stratégique importante mais aussi économique, et vous savez que ce programme qui contribue à faire fabriquer à nos établissements d'armement l'obus-flèche de 120 millimètres me tient tout particulièrement à coeur ; le développement du nouveau véhicule blindé pour le combat d'infanterie ; le porte-avions nucléaire Charles de Gaulle ; la frégate La Fayette ; les hélicoptères Tigre et NH 90 ; le transport de chalands de débarquement.

Je ne peux conclure cette énumération sans évoquer le Rafale puisque le projet de loi de finances lui donne maintenant un horizon qui s'accompagne de nouvelles perspectives en matière industrielle. Je pense en particulier, vous me pardonnerez cet égoïsme, à son canon de semonce et aux munitions de 30 millimètres qui l'alimentent.

Au-delà de ces remarques, votre budget réalise la synthèse entre l'impératif d'économie qui s'applique à tous les acteurs de cette loi de finances et le désir de ne pas compromettre les moyens des forces opérationnelles de notre pays, car nous sommes, en effet, en cette matière, à un tournant.

Tournant stratégique tout d'abord, puisqu'il nous faut reformater nos forces pour les rendre compatibles avec les nouveaux impératifs de sécurité issus de la modification des rapports de force internationaux. L'objectif est en voie de réalisation puisque nous en avons défini les contours en chiffrant avec précision et réalisme la capacité de projection qui sera nécessaire à nos forces et que nous a vons imaginé les moyens à mettre en oeuvre et commencé un travail important dans ce domaine.

Tournant politique ensuite, puisque notre objectif d'être au coeur de la construction d'une politique européenne de sécurité doit s'affirmer clairement. La France ne peut pas créer une défense européenne sans les Européens. Il convient donc d'aller chercher ces partenaires là où ils sont, c'est-à-dire dans l'OTAN.

Les premières avancées obtenues à Berlin en juin 1996 ont sans nul doute été gâchées par des demandes immédiates quelque peu excessives. Nous voici, à nouveau, sur ce chemin. Il ne sera pas facile, vous le savez mieux que quiconque, mais le Gouvernement aura le soutien des Radicaux de gauche pour s'engager dans cette voie.

Progresser sur ce chemin réclame aussi de mettre la politique industrielle d'armement au service de ces objectifs. Certes, nous devrons chercher des partenariats comme cela a été fait dans le domaine de l'aéronautique, mais nous devrons un jour nous poser la question du signal que nous envoyons à nos partenaires européens quand la France leur indique, par sa revue de programmes, qu'à une exception près, elle continuera d'être, en tous domaines, son propre fournisseur.

Cette politique contribue-t-elle à atteindre nos objectifse n matière de politique européenne de sécurité commune ? Je n'en suis pas sûr. Nous aide-t-elle à ouvrir aux produits de premier ordre que sont le char Leclerc ou le Rafale, par exemple, les débouchés presque naturels que sont les marchés de nos partenaires européens ? Je n'en suis pas sûr non plus.


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Je tiens néanmoins à dire qu'en matière d'industrie de l'armement, l'actionnaire qu'est l'Etat s'est comporté courageusement, car vous avez su, dans un vrai plan industriel qui contraste avec le PRE, introduire un volet social nécessaire et significatif. Je crois que ce plan portera ses fruits.

Au total, par ce budget, vous conservez la capacité d'intervention de notre pays et donc sa faculté à s'intégrer à des dispositifs internationaux. C'est déterminant.

En conséquence, vous l'aviez compris, les députés radicaux voteront votre budget et vous assurent, par ce vote, de leur soutien dans la mission délicate que vous assumez aujourd'hui. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Bernard Outin.

M. Bernard Outin.

Monsieur le ministre, à de nombreuses reprises et notamment lors de l'entrevue que vous nous aviez accordée au mois de juin 1998 à Jean-Claude Sandrier et à moi-même, nous avions abordé la situation de l'industrie de l'armement. Je vous avais entretenu de la situation plus particulière des trois sites GIAT de la Loire et de l'intérêt de prendre en compte les propositions présentées par les organisations syndicales et par les personnels.

A l'occasion de ce budget, je réitère ma demande que soient prises en compte ces propositions sérieuses, et je vous demande que des négociations interviennent, notamment pour mettre en place une cohérence entre les quatre activités essentielles que sont la production de matériel de protection nucléaire bactériologique et chimique, les armes de petit calibre, l'optique vision et la mécanique.

Cette cohérence est incontournable si l'on ne veut pas que le site de Saint-Etienne soit fermé à très court terme.

Je vous demande également d'attirer l'attention de la direction du GIAT sur la nécessité de revoir dans les meilleurs délais le plan social qui a été présenté au dernier comité central d'entreprise. En effet, selon les informations en ma possession, ce plan semble ne pas respecter l'engagement que vous aviez pris au cours de notre rencontre selon lequel il n'y aurait aucun licenciement.

Pouvez-vous me préciser ce qu'il en est exactement ? Le département de la Loire connaît depuis de très nombreuses années d'importantes difficultés. Il a besoin que l'Etat apporte des activités et non qu'il supprime celles qui existent.

Lors de notre rencontre du 24 septembre, vous aviez confirmé l'installation d'un service de l'armée, qui doit permettre le reclassement, après une formation appropriée, d'une centaine d'employés du site GIAT de SaintEtienne. Cette mesure est positive et je souhaite qu'elle se concrétise le plus rapidement possible. La loire, je l'ai dit, connaît depuis de très nombreuses années d'importantes difficultés. C'est pourquoi d'autres mesures de ce type sont nécessaires, au nom du réaménagement du territoire.

Pourront-elles être mises en oeuvre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Guy Teissier.

M. Guy Teissier.

Il y a les paroles et il y a les actes. Il y a d'abord vos paroles, monsieur le ministre, rassurantes, quelquefois confiantes, et même parfois surprenantes.

M. le ministre de la défense.

Les vôtres ne le sont pas !

M. Guy Teissier.

Attendez, laissez-moi parler ! Vous verrez à la fin ! Vous me faites déjà un procès d'intention, d'entrée.

M. le ministre de la défense.

J'ai entendu votre collègue de groupe. Il n'y a pas de surprise : vous chassez sur les terres du Front national !

M. Guy Teissier.

Je vous prie, monsieur le ministre ! Je ne vous permets pas de dire ça !

M. le ministre de la défense.

Votre leader l'a dit luimême !

M. Guy Teissier.

Pas du tout ! Il n'a jamais dit cela !

M. le ministre de la défense.

Vous chassez sur les terres du Front national. Ça vous embête, mais c'est vrai !

M. le président.

Monsieur Teissier, ne vous laissez pas interrompre par le ministre. Poursuivez votre intervention.

M. Guy Teissier.

Ces paroles nous laisseraient croire, disais-je, si nous n'y prenions garde, que ce budget est conforme à la loi de programmation militaire et qu'il répond en tout point au défi de la professionnalisation.

Cette présentation « idéale » est certes habile, mais elle ne saurait masquer les sacrifices imposés à nos armées par votre gouvernement et par cette majorité. Car il y a aussi les paroles du chef d'état-major, beaucoup moins rassurantes et beaucoup plus réalistes sur la situation budgétaire des armées. Et je pense que vous ne le soupçonnez pas de chasser sur aucune terre, monsieur le ministre.

Il est clair que les contraintes financières imposées par les grands argentiers de Bercy mettent sérieusement à mal le processus de professionnalisation tel qu'il avait été défini par le Parlement.

M. François Lamy.

On n'a pas entendu la même chose !

M. Guy Teissier.

C'est ainsi que le chef d'état-major des armées a rappelé que les crédits d'équipement n'étaient désormais plus construits en référence à la loi de programmation, mais à la revue de programmes, qui en avait sensiblement modifié le contenu, qu'il s'agissait en fait de faire moins avec moins.

Et le général Kelche d'indiquer toute une série d'annulations de programmes, d'un montant total - une paille de 32 milliards de francs, soit un déficit de 6 % par rapport aux crédits initialement prévus.

N'est-ce pas aussi le même général Kelche qui, lors de son audition devant notre commission de la défense, précisait qu'il fallait tirer le signal d'alarme pour les crédits de fonctionnement, dans la mesure où, malgré une augmentation apparente, ceux-ci n'atteignaient pas l'annuité 1999 de la loi de programmation ? Même cri d'inquiétude et même constat de la part des chefs d'état-major de l'armée de terre et de la marine, pourtant peu enclins à livrer publiquement leurs sentiments ! Autre arme, même circonspection : la gendarmerie.

M. Prévost, son directeur général, a souligné, lors de son audition, que la situation budgétaire de son administration apparaissait « délicate » - ce sont ses mots. Car, si la hausse globale des crédits du titre III s'élève à 2 %, hors rémunération des charges sociales, les crédits destinés au fonctionnement enregistrent, eux, une baisse de 1 %, soit 60 millions de francs, qu'ils perdront en activités opérationnelles de l'arme. Par ailleurs, les crédits du titre V progressent, eux, il est vrai, de 0,7 % pour les autorisations de programmes et de 3 % pour les crédits de paiement.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 NOVEMBRE 1998

Les abattements par rapport à la loi de programmation s'élèvent, eux, à 20 millions de francs auxquels il convient d'ajouter 64 millions de francs de réduction au titre de la revue de programmes.

Ainsi, la gendarmerie, rencontrera des difficultés pour atteindre l'objectif de renouvellement complet de ses hélicoptères de sauvetage et d'intervention, par exemple, ou encore - et, au quotidien c'est sans doute pire pour l'exercice de leur profession - des difficultés pour la remise à niveau du parc des 12 500 ordinateurs portables qui devaient être livrés aux unités.

Ces encoches répétées, qui ont tendance à s'institutionnaliser, contituent de graves éléments de préoccupation pour la poursuite logique de la professionnalisation. Audelà des paroles que je viens de citer, pour mettre en exergue les divergences d'appréciation qu'il peut y avoir entre les militaires et vous-mêmes, il y a les actes concrets, ceux-là mêmes qui sont palpables sur le terrain, auxquels les militaires, du caporal au général, sont confrontés quotidiennement.

Et je me dois de vous dire que, malheureusement, ces actes, conséquences directes de cette politique, sont forts éloignés du satisfecit.

Mon collègue Antoine Carré les a d'ailleurs brillamment dénoncés. Sachez qu'il exprime, pour une grande part, les interrogations, voire les doutes, les démotivations des hommes du rang jusqu'aux officiers.

En effet, comment ne pas être désabusé, quand pour des raisons budgétaires, on nous annonce qu'en 1999 la marine devra diminuer l'entretien de ses bâtiments, que l'armée de terre sera contrainte de réduire ses journées d'activité sur le terrain et, enfin, que l'armée de l'air devra limiter ses vols ? N'y a-t-il pas, monsieur le ministre, un hiatus entre armée professionnelle et diminution de l'entraînement des hommes ?

M. le ministre de la défense.

Puis-je vous interrompre un instant ?

M. Guy Teissier.

Avec plaisir !

M. le président.

La parole est à M. le ministre de la défense, avec l'autorisation de l'orateur.

M. le ministre de la défense.

Les crédits d'entretien de la flotte, au titre de 1999, seront en augmentation de près de 30 % par rapport à ceux de 1998 : 2,238 milliards de francs comparés à 1,754 milliard. Il me semble que cette donnée vous a échappé. Au moins sur ce point, monsieur Teissier, il est contraire à la réalité de dire que les moyens d'entretien baisseront. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Guy Teissier.

Pas du tout ! C'est une « augmentation relative ». (Rires.)

C'est une augmentation par rapport à la diminution de l'année précédente !

M. le ministre de la défense.

Oui, mais vous avez dit que cela allait baisser ! Vous vous êtes trompé.

M. Guy Teissier.

Non, je ne me suis pas trompé.

M. le ministre de la défense.

Le Journal officiel en fera foi.

M. Charles Cova.

C'est une augmentation après une diminution.

M. Guy Teissier.

Permettez-moi de vous dire, monsieur le ministre, que M. le chef d'état-major des armées a tenu les mêmes propos. Mon collègue Cova, qui interviendra tout à l'heure, pourra vous en donner le détail.

Par vos efforts restés vains, le lien de confiance qui unit chaque ministre de la défense au monde militaire risque peu à peu de se distendre pour laisser place à un sentiment diffus d'incompréhension.

M. Jean Michel, rapporteur pour avis, pour les crédits d'équipement.

C'est tout à fait le contraire du budget précédent !

M. Guy Teissier.

Permettez-moi d'un mot, monsieur le m inistre, de revenir sur les emplois civils, les 6 500 emplois civils dont M. Carré vous a parlé tout à l'heure.

Vous nous avez franchement déçus,...

M. le ministre de la défense.

Je préfère vous décevoir que vous satisfaire.

M. Guy Teissier.

... parce que vous nous avez fait une réponse binaire. Bien sûr, nous sommes d'accord avec vous sur une solution libérale...

M. le ministre de la défense.

Je n'attends pas de compliment de votre part !

M. Guy Teissier.

Calmez-vous, monsieur le ministre !

M. le ministre de la défense.

Vous appartenez à un groupe qui essaie de se démarquer par son sectarisme ! (Protestations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et I ndépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Guy Teissier.

Pas du tout ! C'est vous l'ayatollah, monsieur le ministre !

M. le ministre de la défense.

Je vous combats parce que vous êtes l'opposition sectaire ! (Protestations sur les mêmes bancs.)

M. Yves Nicolin.

Respectez la représentation nationale !

M. Guy Teissier.

C'est vous, monsieur le ministre, qui êtes en train de nous agresser ! Admettez l'opposition !

M. le ministre de la défense.

Vous êtes sectaires ! (Mêmes mouvements.)

M. Guy Teissier.

Respectez l'orateur ! C'est incroyable !

M. le président.

Monsieur le ministre, mes chers collègues, décidément, je n'ai pas de chance... (Rires.) Je m'assois à ce fauteuil, et cela déclenche immédiatement le tumulte. (Rires. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Monsieur Texier, poursuivez votre propos.

M. Guy Teissier.

Monsieur le ministre, justement, j'allais abonder dans votre sens. Nous sommes favorables à une thèse libérale, mais lorsque nous entendons M. Heber, le « patron » de la DGA, annoncer un déficit de 6 500 employés civils, nous sommes d'accord avec la formule que vous avez mise en place de rapporter les employés de la DCN et de la DGA dans les armées.

Mais, à partir du moment où ce système s'étiole, s'effondre et où les gens n'acceptent plus la mobilité, il vous appartient de nous proposer d'autres solutions.

M. Antoine Carré.

Eh voilà !

M. Guy Teissier.

C'est tout simplement ce qu'a voulu dire M. Carré.

M. le ministre de la défense.

Et vous, vous n'en proposez pas ?

M. Charles Cova.

Nous en avons proposé !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 NOVEMBRE 1998

M. Guy Teissier.

Mais c'est vous le ministre, ce n'est pas nous ! Nous, nous sommes l'opposition.

Finalement, vous devrez recourir à des recrutements externes non prévus qui viendront amputer le budget déjà étriqué. Le risque est grand que ces amputations ne se fassent au détriment du titre V.

Même crainte pour les réserves, dernier pilier à bâtir de la professionnalisation, et dont le budget est notoirement insuffisant pour pouvoir espérer qu'elles rempliront avec efficacité les missions que la future loi sur les réserves devrait leur assigner.

Je tiens d'ailleurs à votre disposition et à celle de l'Assemblée ma proposition de loi portant organisation générale de la réserve militaire. Je vais me faire un plaisir de vous la faire parvenir comme preuve de notre nonsectarisme. Ma proposition pourrait utilement contribuer à accélérer la venue de ce débat devant le Parlement. En tout cas, je le souhaite.

En effet, ne risque-t-on pas de voir se confirmer l'amputation constante des crédits d'équipement au mépris des dispositions contenues dans la loi de programmation ? On comprend mieux dès lors pourquoi vous commencez à parler de la nécessité de mettre en oeuvre une nouvelle loi de programmation militaire. Il est clair, monsieur le ministre, que, dans de telles conditions, notre groupe ne pourra voter votre budget. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.)

M. le ministre de la défense.

Cela me rassure !

M. le président.

La parole est à M. Michel Voisin.

M. Michel Voisin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget de la défense pour 1999 s'efforce de poursuivre le mouvement de professionnalisation décidé par le président Jacques Chirac le 22 février 1996.

M. Yann Galut. Ça commence bien ! (Sourires.)

M. Yves Fromion. Attendez donc ! M. Michel Voisin. C'est dans cette optique (Sourires) et au prix d'une forte réduction des crédits de fonctionnem ent des trois armées et de la gendarmerie que l'ensemble des crédits inscrits au titre III est globalement maintenu à niveau, ce dont, compte tenu du contexte de rigueur et de la volonté de maîtriser les dépenses publiques, il convient de vous donner acte, monsieur le ministre.

M. Robert Gaïa. Ça se poursuit bien ! (Sourires.)

M. Michel Voisin.

N'est-ce pas ! (Sourires.)

Toutefois (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), les contraintes que fait peser sur le fonctionnement courant de l'ensemble des forces la professionnalisation ne sont pas - mais je suis sûr, monsieur le ministre, que cela ne vous a pas échappé - sans poser quelques difficultés. Il vous appartient de faire en sorte que ces difficultés, je pense principalement au maintien des capacités opérationnelles des unités, ne soient que provisoires et ne coïncident qu'avec une courte période de la phase de transition.

Que serait, en effet, une armée professionnalisée si elle était privée des moyens qui lui garantissent son opérationnalité ? Bien que le général Mercier, chef d'état-major de l'armée de terre, ait voulu, malgré la tempête qui agite apparemment ses cadres et dont il s'était plus ou moins fait l'écho devant les cadres généraux de deuxième section, faire montre de quiétude, force est de constater que, dans leur ensemble, les responsables des armées et de la gendarmerie ont, devant notre commission de la défense, fait part si ce n'est de leurs craintes, du moins d'une certaine réserve dans leurs propos.

Je ne suis pas sûr, pour ma part, qu'avec un objectif de soixante-dix jours sur le terrain - et je reprends les propos de M. Teissier - dont la moitié seulement avec leurs équipements organiques, les militaires professionnels de l'armée de terre puissent avoir véritablement l'impression d'exercer le métier des armes qu'ils ont choisi. Ne faut-il pas craindre que cette diminution des activités d'entraînement ne se révèle à terme comme une très forte contrepublicité par rapport à l'objectif qui est le vôtre de réussir à attirer vers la carrière militaire un nombre suffisant de candidats motivés ? Parallèlement, bien que votre budget innove en inscrivant des crédits au profit de la sous-traitance, sans doute convient-il de considérer que leur montant demeure particulièrement modeste au regard des besoins que rencontreront les unités. Mais je dois reconnaître qu'il y a là un effort qui mérite d'être souligné, et surtout poursuivi et amplifié.

M. Didier Boulaud. Très bien ! M. Michel Voisin. Autre sujet de préoccupation souvent évoqué par les chefs d'état-major : la diminution quasi généralisée des crédits d'entretien programmé des matériels.

La réduction des effectifs doit pouvoir avoir pour effet d'entraîner par ricochet une légère diminution des parcs de matériel dans certaines armées et de leur utilisation, mais ce ne saurait être toutefois le cas de la marine, à qui les moyens d'entretien feront, dans l'avenir, cruellement défaut si vous n'y prenez garde.

Monsieur le ministre, après mon collègue Guy Teissier, je m'interroge : est-il vrai, à propos de l'entretien programmé du matériel, que la forte diminution du titre III a été reportée sur le titre V. Il est vraisemblable qu'il existe sur ce point une certaine confusion. Des explications de votre part seraient les bienvenues.

Très préoccupante est, aux yeux de l'UDF, la baisse de 1 % en francs courants et de 2 % en francs constants des crédits de fonctionnement de la gendarmerie.

Il y a là une très forte contradiction avec l'attente des Français en matière de sécurité. Cette diminution, d'ailleurs qualifiée de paradoxale par notre rapporteur de la commission de la défense Georges Lemoine, est-elle comptatible avec les nécessaires et indispensables actions d e prévention que la gendarmerie doit mener sur l'ensemble du territoire ? D'autant plus, comme l'écrit Georges Lemoine avec les qualités d'analyse que chacun lui reconnaît, que la gendarmerie constitue « une arme au service du droit à la sécurité ».

Et, monsieur le ministre, je me suis obligé à retracer l'évolution de la criminalité dans notre société au cours des dix dernières années. Cela m'a fait peur. Il est vrai que l'on donne trop souvent l'occasion à certains, que tous ici nous voulons ignorer, la possibilité de s'exprimer sur le sujet. Au cours des dix dernières années, la criminalité a progressé en moyenne de 5 % par an. Donnons à nos gendarmes les moyens de la combattre...

M. François Rochebloine.

Très bien !

M. Michel Voisin.

... et assurons à nos concitoyens la sécurité qu'ils demandent et appellent de leurs voeux.


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M. Charles Cova.

Et qu'ils méritent !

M. Michel Voisin.

N'y a-t-il pas aussi, monsieur le ministre, une forte contradiction entre cette diminution des crédits de fonctionnement et les discours apaisants du Gouvernement en matière de redéploiement des unités de gendarmerie ? La mobilité et l'efficacité de la gendarmerie, présente sur près de 95 % du territoire, ne pourront s'accomplir sereinement qu'avec une dotation budgétaire supérieure à celle qui figure dans le projet de budget.

S'agissant des effectifs, monsieur le ministre, malgré des éclaircissements qui se veulent rassurants, quelques doutes subsistent encore sur l'intégration ou la nonintégration des 823 postes de volontaires du service national créés par anticipation en 1998 dans les 3 000 postes dont la création est inscrite au projet de loi de finances.

Pourriez-vous nous rassurer, monsieur le ministre ? Le recrutement de ces 3 000 volontaires du service national permettra-t-il d'atteindre les effectifs de la gendarmerie prévus à terme par la loi de programmation militaire ? N'y a-t-il pas une tentation de s'appuyer sur un volontariat au coût réduit pour réaliser à terme les objectifs en matière d'effectifs ? Le fonctionnement courant des unités sera amputé de 60 millions de francs, ce qui conduit nécessairement à une baisse de leur capacité opérationnelle. A moins de demander un nouvel effort de productivité, sur la nature duquel il nous serait agréable d'avoir quelques informations, d'autant plus que la gendarmerie n'a justement jamais ménagé ceux qu'elle a déjà produits en la matière, ce qui conduit d'ailleurs nos concitoyens à s'inquiéter des moyens et des missions de leur gendarmerie.

M. Didier Boulaud.

Voilà !

M. Michel Voisin.

Oui, mon cher collègue. Qui plus est, cette diminution de crédits ne peut qu'inquiéter les collectivités locales. Monsieur le ministre, nous sommes un grand nombre d'élus locaux dans cette enceinte à craindre que l'Etat ne se retourne vers elles pour compenser ses propres difficultés à assumer ses obligations en matière de sécurité, notamment dans les zones rurales.

C'est principalement dans ces parties du territoire que se manifestent les pires inquiétudes face au projet de redéploiement...

M. le président.

Monsieur Voisin, pourriez-vous vous acheminer vers votre conclusion ?

M. Michel Voisin.

Mais oui, monsieur le président.

M. Charles Cova.

C'est un sujet d'importance !

M. Didier Boulaud.

On l'a interrompu !

M. Michel Voisin.

Le sentiment d'insécurité, monsieur le ministre, même s'il y entre une part d'irrationalité qu'il faut bien reconnaître, y est fort, et la réponse que vous y apportez, avec votre plan, relève, elle, du plus implacable des rationalismes : celui des technostructures, qui ne contemplent que les chiffres et ignorent superbement les approches comportementales.

Monsieur le ministre, chaque canton doit conserver sa gendarmerie.

M. le ministre de la défense.

« Sa » !

M. Michel Voisin.

C'est un souhait. Et chaque cas de réorganisation doit être traité en partenariat avec les élus locaux proches du terrain. Il y va de la crédibilité de vos redéploiments.

En conclusion, monsieur le ministre, nous attendons que vous nous informiez, et à travers nous, nos concitoyens, sur les moyens dont vous entendez doter notre gendarmerie nationale. Enfin, il nous paraît fondamental que vous redressiez rapidement la barre en matière de crédits de fonctionnement des forces sous peine de réduire à zéro vos efforts pour mener à bien, du strict point de vue des effectifs, la professionnalisation de nos armées.

Avant de conclure, monsieur le ministre, vous me permettrez, au nom du groupe UDF, de rendre un hommage appuyé aux personnels qui dépendent de votre ministère - aux militaires, aux gendarmes, aux civils qui, malgré les troubles et les craintes qui sont liées aux mutations de nos forces en ce moment, continuent à assumer leurs missions avec l'abnégation et la compétence que nous leur connaissons. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants, et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Monsieur le ministre, votre budget donne une réponse politique à nos interrogations. Tout à l'heure, Arthur Paecht, Jean-Louis Bernard et moi-même vous poserons des questions techniques. De vos réponses dépendra notre vote.

M. le président.

La parole est à M. Charles Cova.

M. Charles Cova.

Après l'excellent rapport, tout en nuances, de notre collègue M. Le Drian et à ce stade du débat, permettez-moi, monsieur le ministre, de vous parler, encore, de la marine nationale en vous exposant trois points relatifs au budget qui me paraissent devoir être développés et une question qui me tient à coeur.

Le premier point concerne les besoins en personnel.

La nature de ces besoins s'apprécie en premier lieu par rapport au service national. La marine doit encore, pour le moment, faire appel au contingent. Or, alors que ces incorporations demeurent nécessaires, la qualification de la ressource ne correspond plus aux postes offerts.

Nous assistons à un essouflement de la ressource provenant de la conscription et à un tarissement du personnel civil de la DCN.

En outre, les armées rencontrent des difficultés pour mettre en place la sous-traitance.

C'est pourquoi, il me semble important de faire appel aux VSL à chaque fois que l'occasion se présente, mais aussi et surtout de recourir au recrutement extérieur. La marine est déjà déficitaire dans certaines spécialités, et vous conviendrez qu'il est difficile pour elle de faire confectionner des repas pour son personnel par des bac + 4, des informaticiens ou bien des chaudronniers de la DCN.

M. Didier Boulaud.

Des bacs + 4 ! Mais c'est de la cuisine quatre étoiles.

(Rires.)

M. Charles Cova.

Il faut donc lui donner les moyens de recruter des engagés volontaires dès maintenant. Il s'agit là, monsieur le ministre, d'un besoin essentiel.

Ce décalage se creuse, d'ailleurs, quelle que soit l'armée, et je me demande si nous tiendrons avec la conscription jusqu'en 2002.

De toute facon, le déficit en personnel civil est tel - une diminution de 6 % dans la marine en 1998 qu'on peut, qu'on doit, sans attendre 1999, lancer les procédures de recrutement d'ouvriers civils dans les s pécialités évoquées et commencer à recourir aux volontaires.

M. Antoine Carré.

Voilà !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 NOVEMBRE 1998

M. Charles Cova.

La carence en personnel à laquelle je viens de faire allusion vise essentiellement les postes à terre. En effet, le recrutement du personnel engagé et professionnel dans les unités de combat permet dès maintenant d'assurer une disponibilité sans difficulté majeure.

Le deuxième aspect budgétaire porte sur les rémunérations et charges sociales.

Mes observations partent de l'exécution des mesures prévues pour 1998. Telles qu'elles résultent de la situation du troisième trimestre de cette année, les prévisions de dépenses laissent présager un déficit de 190 millions de francs, malgré les 198 millions accordés par le décret d'avance pris le 21 août dernier.

Restent déficitaires, malgré le décret d'avance, les c hapitres relatifs aux rémunérations principales, aux indemnités et aux rémunérations des appelés.

Il est vrai que par rapport au budget initial peuvent apparaître en cours d'année des besoins nouveaux dont la couverture serait assurée soit par le redéploiement des crédits, soit par l'ouverture de compléments de dotation en fin d'année.

Ces pratiques budgétaires anciennes sont préjudiciables aux armées, lesquelles ne peuvent consacrer l'ensemble des crédits votés à l'exécution de leurs missions de l'année. Malgré le recours à un décret d'avance généralement accordé par Bercy, les armées, la marine en particulier, connaissent de grandes difficultés pour couvrir leurs déficits de gestion en fin d'année.

Or, nous le savons, même si nous avons du mal à les prévoir, ces déficits du titre III sont essentiellement dus aux coûts des opérations extérieures.

Mener une politique budgétaire aussi incohérente ne récompense pas les gestionnaires qui souhaitent réaliser des économies et satisfaire aux exigences de l'équilibre financier. Je dirai même que cela engendre une dérive contraire aux principes essentiels des finances publiques.

L'ensemble des obstacles que rencontrent les armées devrait nous inciter à nous interroger sur le coût réel de la professionnalisation. Les insuffisances de dotation du titre III font malheureusement apparaître qu'elle a été en réalité sous-évaluée, comme je l'ai déjà dit à maintes reprises.

C'est ainsi que le remplacement des appelés par des engagés sur les bâtiments de la flotte grève singulièrement le titre III quand viennent s'ajouter à la solde proprement dite les indemnités spécifiques perçues par l'engagé.

La professionnalisation et la participation de la marine aux opérations extérieures et aux exercices internationaux ont pour effet d'accroître sensiblement le montant des frais de déplacement et de mutation du personnel, augmentant ainsi davantage la part du titre III qui leur est consacrée.

On comprend mieux, dans ces conditions, les déséquilibres des chapitres budgétaires consacrés aux rémunérations et aux charges sociales.

Enfin, permettez-moi d'aborder un troisième élément qui, cette fois, n'est pas lié aux personnels mais qui est relatif aux crédits nécessaires à l'entretien programmé du matériel.

Dans ce domaine, la situation de la marine est particulièrement préoccupante en raison de la réduction de 1,6 % des crédits du chapitre budgétaire consacré au fonctionnement courant.

M. Guy Teissier.

Ah !

M. Charles Cova.

Je vous rappelle, monsieur le ministre, mes chers collègues, que ce chapitre budgétaire avait déjà été amputé de 3,8 % l'année dernière.

M. Guy Teissier.

Eh voilà !

M. Charles Cova.

Il est à craindre que cette politique a minima ait pour conséquence directe et irrémédiable de diminuer l'activité des bâtiments de la marine et de reporter sine die des opérations d'entretien essentielles pour certaines unités, voire de désarmer des bateaux pouvant encore naviguer.

Un autre élément de ce budget présente une rupture grave de conséquences pour la crédibilité de notre défense. En effet, si l'on compare les crédits consacrés à l'entretien de la flotte et ceux destinés à son renouvellement, on s'aperçoit qu'ils sont équivalents : 50-50. Cela signifie que, pour la première fois, la marine de notre pays va vieillir plus rapidement qu'elle ne va se renouveler.

Nous savons tous ici que le coût de la professionnalisation impose des efforts accrus de maîtrise des dépenses de fonctionnement. Nous savons également que la baisse des crédits de fonctionnement est en cohérence avec la réduction du format de nos armées. Il n'en demeure pas moins que la participation opérationnelle de la marine serait mise en cause si, par malheur, les crédits destinés à l'entretien de nos bâtiments étaient à nouveau entamés et si nous ne fournissions pas à l'avenir un effort important de renouvellement et de modernisation des matériels. Il faut que le pouvoir politique de ce pays sache que la limite de rupture est atteinte.

Dans ce débat budgétaire, je souhaite à nouveau évoquer la programmation souhaitable d'un second porteavions. Toutefois, je le ferai rapidement, car il me semble qu'il me reste peu de temps.

M. le président.

En effet, monsieur Cova, c'est le cas !

M. Charles Cova.

Il s'agit d'une question qui me tient à coeur.

A plusieurs reprises à cette tribune, j'ai eu l'occasion de rappeler, comme certains de mes collègues, l'exigence pour notre groupe aéronaval d'être doté de deux porteavions. Vous êtes conscient, monsieur le ministre, pour l'avoir souligné il y a peu de temps sur la Jeanne d'Arc, que les besoins stratégiques d'aujourd'hui nous obligent à projeter des forces pour permettre à nos armées d'intervenir sur des théâtres d'opérations extérieures. Un groupe aéronaval disponible en permanence à la mer reste le meilleur instrument permettant d'assurer cette constance et cette efficacité opérationnelles.

M. Yves Fromion.

Voilà !

M. Charles Cova.

Le Charles de Gaulle ne pourra à lui seul y parvenir !

M. Yves Fromion.

Mais c'est de l'antigaullisme primaire ! (Sourires.)

M. Charles Cova.

Enfin, d'une manière générale, je sais, monsieur le ministre, que le moral de l'armée vous soucie et que vous y attachez une grande importance.

Comme l'a rappelé l'amiral Lefebvre, l'état d'esprit dans la marine est bon, mais il a ajouté : « Le moral est atteint car la gestion de carrière qui est maintenant proposée aux personnels les inquiète. »

La réduction brutale du format des armées n'a pas été précédée d'un véritable plan social comme ce fut le cas pour le personnel civil. Gardons-nous de dispenser trop chichement les pécules à ceux des officiers et sousofficiers qui en font la demande. Cela aussi participe au maintien du moral.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 NOVEMBRE 1998

M. Yann Galut, rapporteur pour avis, pour l'air.

Très bien !

M. Charles Cova.

Pour conclure, j'insisterai sur le fait que la France dispose d'une marine encore capable de mener à bien les missions qui lui sont confiées. Une réduction supplémentaire des crédits des titres III et V menacerait ce fragile équilibre sauf à reconsidérer impérativement ces missions.

Veillons ensemble, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le déclarait une voix autorisée dans ce domaine, à ne pas prendre le risque de « casser l'outil » de défense que constitue la marine nationale.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Guy-Michel Chauveau et M. Yann Galut, rapporteur pour avis, pour l'air.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. François Lamy.

M. François Lamy.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le budget pour 1999 est une bonne occasion de faire le point sur la professionnalisation en cours dans nos armées.

Il y a deux logiques différentes pour procéder à un tel exercice.

La première consiste à se référer uniquement aux objectifs financiers de la loi de programmation et à vérifier titre par titre si la loi est respectée. Cette conception notariale...

M. Guy Teissier.

Comptable !

M. François Lamy.

... présente un défaut majeur : la loi de programmation est une loi cadre, une loi d'objectifs, et l'histoire nous a enseigné, comme l'a rappelé GuyMichel Chauveau, que, quels que soient les gouvernements, il ne pouvait en être autrement. Le contexte économique et social est une contrainte a laquelle nous ne pouvons nous soustraire où que nous soyons assis dans cet hémicycle.

Je préfère donc examiner cette nouvelle étape en regardant si, globalement, les capacités opérationnelles présentes et à venir de nos armées ne sont pas remises en cause et si les moyens que nous leur allouons cette année leur permettront d'arriver à l'objectif 2002.

J'ai, moi aussi, entendu les chefs d'état-major lors de leur audition et, pour ma part, j'ai entendu tout ce qu'ils ont dit. Comme nous l'a indiqué le général Mercier, l'armée de terre, qui supporte la majeure partie de nos interventions extérieures et en même temps vit le plus profondément la mutation de la professionnalisation, a actuellement « les capacités requises pour remplir sans difficulté le contrat qui lui a été assigné pour la période de t ransition », à savoir la capacité de projection de 20 000 hommes. Quant au général Kelche, s'il a exprimé certaines craintes, il a aussi affirmé dans sa conclusion que, sans qu'on soit encore au bout du chemin, on se devait de constater la poursuite du renforcement des capacités opérationnelles des forces. Mes chers collègues, c'est somme toute le principal.

La lecture du rapport au Parlement sur l'exécution de la loi de programmation militaire, rapport qui nous a été transmis le mois dernier, montre que si la situation est tendue, les différents indicateurs sont plutôt positifs.

Au titre V, ce document confirme ce qui a été souligné par l'ensemble des rapporteurs : les capacités futures de nos armées sont préservées dans les domaines les plus importants, qu'il s'agisse de la dissuasion, des moyens d'observation et de télécommunications spatiales ou des équipements majeurs des différentes armées.

L'encoche de l'année dernière en était bien une, et « la casse de notre outil de défense », que prophétisait M. Debré, n'était que l'un des nombreux mirages auxquels le président du groupe RPR semble parfois s'accrocher. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jean-Luc Warsmann.

Parlez-nous du budget !

M. François Lamy.

Il m'appartient donc, au nom du groupe socialiste, de remercier une nouvelle fois le Gouvernement d'avoir respecté ses engagements. Nous ne doutons pas que, en ce qui concerne les années à venir, il en sera de même. Le Gouvernement peut compter en ce domaine sur notre amicale vigilance, tout particulièrement en matière de consommation de crédits, sujet sur lequel je ne peux malheureusement pas m'étendre aujourd'hui.

En ce qui concerne le titre III, si des questions se posent, le pessimisme que certains cherchent à entretenir ne me semble pas de mise. Comme l'a excellemment montré notre rapporteur pour avis sur les crédits du titre III, M. Huwart, il n'y a pas de rupture fondamentale entre le budget de 1998 et celui pour 1999. On constate une réduction nette réelle d'environ 5 %, qui pèse tout particulièrement sur le budget de fonctionnement. Mais il faut aussi rappeler que la professionnalisation, par la réduction des effectifs et par les restructurations, devait enregistrer cette baisse mécanique des coûts de fonctionnement.

Certes, il apparaît actuellement des dépenses qui soit n'avaient pas été prévues lors de l'élaboration de la loi de programmation, comme l'augmentation du taux des cotisations sociales ou celle des rémunérations et charges sociales résultant des accords sur la fonction publique, soit avaient été sous-estimées.

Je ne rappellerai pas les conditions dans lesquelles la professionnalisation a été décidée, ni surtout la façon dont le Parlement a été associé à sa mise en oeuvre.

M. Didier Boulaud.

Très juste !

M. François Lamy.

Je n'étais pas élu à l'époque...

M. Didier Boulaud.

Ça n'aurait rien changé, mon cher collègue, puisque nous n'avons pas été associés à cette réforme !

M. François Lamy.

... mais j'ai tout de même lu, mes chers collègues, l'excellent rapport de la mission d'information dirigée par le président Séguin.

Si de nombreux parlementaires s'interrogeaient sur une possible sous-estimation du coût de la professionnalisation, j'ai pu noter, particulièrement dans le compte rendu de l'audition du général Douin, qu'il n'y avait pas d'inquiétudes majeures de la part des décideurs de l'époque.

Il serait donc malvenu de reprocher au Gouvernement ce qui n'avait pas été prévu par le précédent.

(« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Yves Fromion.

Personne n'a dit cela !

M. François Lamy.

Il faudra donc faire dans le cadre de l'enveloppe prévue car je ne crois pas que, compte tenu de l'effort fait pour l'année prochaine et pour les années futures sur le titre V, l'opinion publique puisse comprendre et accepter une augmentation substantielle des crédits de fonctionnement. Des efforts de productivité ont été demandés aux armées. Le groupe socialiste pense


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 NOVEMBRE 1998

qu'il faudra aller plus loin et s'associer à la proposition du président Quilès de procéder à une vérification de certaines missions de nos armées.

M. Charles Cova.

C'est bien le moins que nous puissions faire !

M. François Lamy.

Exception faite des difficultés que j'ai citées précédemment, on peut dire aujourd'hui que les objectifs majeurs de la professionnalisation sont respectés. C'est pourquoi, mes chers collègues, les critiques sans nuances de M. Fromion ou de M. Carré me semblent particulièrement déplacées.

M. Yves Fromion.

Il s'agit d'interrogations !

M. François Lamy.

Vous avez parlé d'un budget de parade, monsieur Fromion...

M. Yves Fromion.

Mais pas ici !

M. François Lamy.

Vous l'avez écrit dans le Figaro ...

M. Yves Fromion.

La parole est libre, mais parfois la plume est serve ! (Sourires.)

M. Didier Boulaud.

Double langage !

M. le président.

Ne vous laissez pas interrompre, monsieur Lamy. Acheminez-vous vers votre conclusion.

M. François Lamy.

Dans cet article, vous parlez d'un budget de parade...

M. Yves Fromion.

La parade est un mouvement militaire. Ça vous a sans doute échappé !

M. le président.

Monsieur Lamy, poursuivez.

M. François Lamy.

... alors qu'en préambule, vous expliquez tout ce que ce budget doit au Président de la République ! J'avoue que ça me laisse perplexe !

M. Jean-Luc Warsmann.

Cessez de polémiquer !

M. François Lamy.

De même, il me semble contradictoire de proclamer, comme l'a fait M. Galy-Dejean, que la loi de finances de 1999 est gagée sur des objectifs de croissance irréalistes et de réclamer en même temps une augmentation du titre III, afin que les armées bénéficient, comme les autres administrations, des fruits de cette même croissance.

M. Yves Fromion.

Cela n'est pas contradictoire !

M. François Lamy.

Dites-nous alors où prendre l'argent !

M. Didier Boulaud.

Très juste !

M. François Lamy.

Non, mes chers collègues, ce budget est, au regard des contraintes financières et des objectifs prioritaires que sont la bataille pour l'emploi et la consolidation de notre tissu social, un très bon comprom is. Certes, nous connaissons l'effort consenti par l'ensemble des personnels militaires et tout particulièrement par les cadres. Mais ils savent eux-mêmes que c'est le prix à payer pour une professionnalisation dont nous aurions peut-être dessiné autrement les contours si nous avions été au pouvoir à l'époque.

M. Didier Boulaud.

Eh oui !

M. Yves Fromion.

Où en seraient nos armées aujourd'hui ?

M. François Lamy.

Nous avons eu le sens des responsabilités et nous n'avons pas changé le cadre. A nous, tous ensemble, d'en accepter les conséquences en votant en faveur de ce budget.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Louis Bernard, dernier orateur inscrit.

M. Jean-Louis Bernard.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais présenter diverses remarques sur ce projet de budget pour 1999, notamment sur celui de l'armée de l'air.

Ce budget devrait en effet permettre de poursuivre et de mener à bien cette véritable évolution-révolution que constitue la professionnalisation voulue par le Président de la République et approuvée par le Parlement.

Contrairement au chef d'état-major de l'armée de terre et à celui de la marine, le général Jean Rannou n'a pas formulé lors de son audition en commission de critiques particulières sur le budget tant pour le titre III que pour le titre V.

M. Yves Fromion.

Ça, c'est exact !

M. Charles Cova.

C'est le seul qui était content !

M. Jean-Louis Bernard.

La baisse de 79 millions des crédits de fonctionnement, soit une diminution de 5,2 %, correspond en fait aux réductions d'effectifs et aux conséquences des restructurations. Je remarque toutefois que l'armée de l'air a déployé des efforts considérables en matière de maîtrise de ses coûts de fonctionnement, puisque, per capita, ses coûts sont les plus faibles de toutes nos armées. Mais, de ce fait, elle n'a plus de véritable marge de manoeuvre en ce domaine.

S'agissant, en revanche, des capacités opérationnelles, j'insisterai sur la faiblesse qui caractérise la projection de nos forces par l'intermédiaire des avions de transport. A l'occasion de plusieurs visites à la base d'Orléans-Bricy, notamment avec François Léotard et avec Antoine Carré, j'ai pu constater à maintes reprises que les Transall ne sont plus du tout adaptés au contexte actuel. Par conséquent, je regrette que leur durée d'utilisation soit prolongée jusqu'en 2005, voire 2006, dans l'attente de la construction et de la livraison de l'avion de transport futur.

Ce nouvel avion a fait l'objet, comme cela a été rappelé, d'un accord de huit chefs d'état-major d'armées européennes, lesquels souhaitent un avion le moins cher possible, doté de bonnes capacités logistiques et tactiques, et pouvant charger ou décharger très rapidement sur différents terrains des matériels de guerre, essentiellement d'ailleurs destinés à l'armée de terre.

Le programme ATF paraît donc intéressant, réaliste et susceptible de satisfaire non seulement les besoins de l'armée française - cinquante appareils, nous dit-on mais également d'autres armées européennes pour près de 250 appareils.

De plus, le caractère européen du programme est économiquement, et surtout politiquement, très porteur.

L'ATF peut constituer un engagement particulièrement significatif pour une future défense européenne. Ce programme ATF est un programme structurant pour l'avenir de l'industrie européenne et il est générateur d'activités à haute valeur ajoutée.

Or, monsieur le ministre, lors de votre audition devant notre commission, je n'ai pas senti de votre part une volonté et une détermination farouches pour voir se réaliser ce programme. Vous nous avez effectivement expliqué que la flotte ATF pourrait être concurrencée par une flotte américaine de C 17 et de C 130 et une flotte d'Antonov russo-ukrainiens. Or plusieurs études, notamment celle effectuée par le centre d'analyse de défense, ainsi que le rapport de M. Pierre Lelong ont clairement démontré


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 NOVEMBRE 1998

que l'ATF est la meilleure réponse en coût-efficacité pour satisfaire au besoin prioritaire de projection des forces dans un contexte national et européen.

Si les huit pays européens étaient tentés par la solution américaine, ils feraient courir un danger mortel à l'industrie aéronautique européenne.

M. Didier Boulaud.

Très juste !

M. Jean-Louis Bernard.

Se trouveraient alors en situation de monopole les Etats-Unis, qui imposeraient leurs prix à l'Europe, laquelle se trouverait en état de totale dépendance en matière d'avion de transport.

Cette solution est techniquement mauvaise, puisque le C 130 a une soute trop étroite ; elle est financièrement irréaliste, puisque le C 17 est trop cher et, surtout, elle est politiquement très dangereuse.

Quant à l'avion fabriqué dans le cadre d'une coopération avec l'entreprise russo-ukrainienne, son coût de fonctionnement paraît attractif, d'autant que les dévaluations des monnaies russe et ukrainienne peuvent nous tenter en ce qui concerne les commandes. La taille de la soute est comparable à celle du futur ATF et l'avion peut voler plus loin mais, compte tenu des incertitudes politiques qui règnent dans ces pays, j'émets des doutes sérieux quant à leur capacité à être en mesure d'assurer à long terme la production et, surtout, la maintenance de cet appareil.

Je conclurai, monsieur le ministre, en vous demandant instamment de bien vouloir mettre tout en oeuvre pour que l'ATF soit l'avion de transport militaire de la France et d'autres pays européens.

M. Jean Michel, rapporteur pour avis, pour les crédits d'équipement.

Très bien !

M. Jean-Louis Bernard.

J'ai entendu tout à l'heure M. Gérard Charasse dire que les radicaux allaient voter le budget. En tant que radical valoisien, membre de la composante UDF, j'émets un certain nombre de réserves, et je me déterminerai, comme mes amis Arthur Paecht et Michel Voisin, en fonction des réponses qui me seront apportées. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Luc Warsmann.

Voilà qui est radical ! (Sourires.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de la défense.

M. Alain Richard, ministre de la défense.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, mes premiers mots seront pour saluer la qualité des contributions du président Quilès, du rapporteur spécial, des rapporteurs pour avis et des députés qui ont pris part à la préparation du budget de la défense pour 1999.

De nombreuses questions et observations très pertinentes ont été formulées à cette occasion, dans un esprit que je qualifierai de positif et partenarial. C'est le type d'échange qu'il convient de souhaiter, dans un pays ayant de fortes responsabilités internationales, lorsqu'on parle de la défense.

J'ai pu apercevoir, ici ou là, quelques figures imposées de formations politiques qui cherchent leur positionnement dans un esprit qui est parfois celui de la confrontation avec leurs voisins.

M. Guy Teissier.

Le groupe communiste, par exemple !

M. Bernard Outin.

On ne montre pas du doigt, monsieur Léotard !

M. le ministre de la défense.

Mais, quand on a un peu d'expérience parlementaire, on sait que cela fait partie des variations saisonnières dans une assemblée.

M. Guy Teissier.

Ce ton est préférable !

M. le ministre de la défense.

Je vous suis reconnaissant d'avoir accepté de fusionner la discussion budgétaire et celle concernant l'exécution de la loi de programmation.

Cela nous permet d'avoir un débat large et de faire un tour d'horizon ne laissant de côté aucune question de défense ou de sécurité.

Beaucoup ont apprécié les efforts de présentation et de ponctualité du Gouvernement pour la préparation de ce budget. Nombre de commentaires faits à cette occasion, notamment les réflexions de la commission, ont démontré le même état d'esprit responsable, et je veux m'en réjouir.

D'ailleurs, ce n'est pas un secret, il n'a pas été nécessaire cette année de recourir à l'arbitrage du Premier ministre pour arrêter ce projet de budget au sein du Gouvernement. Notre travail commun avec le ministère des finances s'est fait dans un climat de confiance renouvelé.

Ce projet est équilibré et réaliste. Il s'inscrit dans la continuité des réflexions et des décisions de 1994 ainsi que dans celle de la loi de programmation militaire. Il est vrai que, au cours de cette période, la plupart des familles de pensée de notre pays ont évolué en ce qui concerne leur conception de la défense, de même que la situation générale avait évolué. C'est le contraire qui aurait été inquiétant.

Le 20 octobre dernier, j'ai remis au Parlement un rapport sur l'exécution de la loi de programmation, conformément aux engagements que nous avions pris. Ce rapport montre, et j'y reviendrai, qu'au terme de sa deuxième année, aussi bien pour les hommes que pour les équipements, les axes qui présidaient à cet engagement stratégique sont respectés, conformément au choix affirmé par le Premier ministre dès l'entrée en fonction du Gouvernement, il y a un an et demi.

L'ajustement nécessaire qu'a représenté la revue de programmes n'a pas constitué une rupture, mais simplement une adaptation à des évolutions stratégiques sur lesquelles je reviendrai, et à des contraintes budgétaires qui s'imposent à notre pays comme le savent ceux, assez nombreux encore parmi vous, qui exercent une responsabilité locale.

L'évolution politique internationale dans laquelle nous sommes entrés en 1989 est incertaine et plus complexe qu'auparavant. Les situations géopolitiques régionales évoluent en permanence et il n'est au pouvoir de personne d'arrêter le cours de cette évolution. La première chose à faire est de bien l'analyser. Le défi est d'y adapter sans relâche notre outil de défense.

C'est ce que nous avons fait, en prenant en compte dans la revue de programmes l'évolution constatée dans les faits depuis la loi de programmation militaire. Et depuis, comme l'a fait observer le président Quilès, d'autres mutations du paysage stratégique sont intervenues. Certaines tendances se sont affirmées et d'autres, au contraire, se sont estompées. C'est sur ce cadre général que je voudrais revenir un instant.

Il serait cependant bien ambitieux de prétendre évoquer l'ensemble des situations régionales suceptibles d'affecter nos intérêts. Je voudrais décrire devant vous, ce


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 NOVEMBRE 1998

soir, le premier cadre qui est le nôtre, c'est-à-dire le cadre européen, notamment dans son évolution institutionnelle,e t évoquer trois autres points : la situation dans l'ensemble de l'ex-Yougoslavie, la préparation du sommet de Washington de l'Alliance atlantique et la rénovation de nos liens avec les pays africains.

Le cadre le plus important pour nous est celui de la construction européenne. Après l'euro, l'étape essentielle - c'est le sentiment du Gouvernement et cet avis est largement partagé -, c'est l'Europe de la défense, l'Europe de la sécurité commune. Comment se construit-elle aujourd'hui ? Vous savez que l'Union européenne dispose dès à présent, avec l'article J 4-2 du traité de Maastricht, de la possibilité de recourir aux capacités autonomes qui existent actuellement au sein de l'UEO. S'agissant des capacités d'analyse et de planification qui manquent à l'Union européenne, car un consensus n'a pu être dégagé, le traité d'Amsterdam autorise une pleine utilisation des ressources à la disposition de l'Union de l'Europe occidentale : ses moyens propres d'évaluation militaire, ses capacités de planification, ses moyens de renseignement.

Les Européens ne font que faiblement appel à ces capacités. Comme je l'ai dit à mes collègues ministres de l'Union européenne lorsque nous nous sommes rencontrés à Vienne, il faudra examiner sans détour les facteurs, pour l'essentiel politiques, qui expliquent cette hésit ation ou cette réticence à employer les moyens proprement européens de l'Union de l'Europe occidentale.

En tout cas, l'expérience récente des crises où nous agissons montre l'intérêt majeur du rassemblement, et de l'analyse de la situation, qui permettent d'exercer une influence positive dès le moment où la crise se prépare et prend force. La dimension préventive est une des voies de progrès que nous pouvons aborder le plus facilement entre Européens. Sans qu'on puisse se satisfaire de la situation actuelle, il est clair que le temps de réaction collectif des Européens à la crise du Kosovo représente, même s'il est encore trop long, un progrès frappant pour tous ceux qui ont vécu les deux ou trois années de tiraillements qui ont empêché l'Europe de jouer un rôle efficace lors de la crise bosniaque.

Les contributions nationales à une gestion de crise commune devraient également permettre, et c'est un des enjeux des discussions européennes qui sont engagées aujourd'hui, un certain apport d'expertise militaire au sein des structures européennes. L'interaction entre les données militaires d'une situation et ses données politiques est aussi un enseignement central de nos expériences récentes dans les crises européennes. Le pilotage diplomatique d'une crise, qui est une capacité à propos de laquelle l'Union européenne a déjà bien avancé on l'a vu avec le fonctionnement du groupe de contact sur la crise du Kosovo -, n'atteint sa pleine efficacité que si les diplomates peuvent user de pressions militaires crédibles, donc bien étudiées, pour soutenir leurs propositions de règlement. Il nous faut donc définir pragmatiquement les moyens qui vont permettre cette expertise militaire commune.

Les ministères de la défense des pays de l'Union européenne ont, me semble-t-il, une responsabilité particulière dans la mise en oeuvre imaginative de ces dispositions qui figurent déjà dans nos traités et nous permettent de prendre nos responsabilités ensemble. Je rappelle par ailleurs que le traité d'Amsterdam prévoit la définition progressive d'une politique de défense commune donnant une cohérence à ces interventions et à ces actions sur les crises. Il est naturel que la France prenne une part active dans ce processus, et c'est bien ce que nous entendons faire au cours des mois qui viennent.

Je crois que les prises de position du Président de la République, lors de son discours devant les ambassadeurs, à la fin du mois d'août, et du Premier ministre, quelques jours après, devant l'Institut des hautes études de la défense nationale, montrent bien que notre pays s'est mis en mouvement aujourd'hui pour participer à un débat constructif quant aux capacités de défense commune de l'Europe.

Je rappelle et je souligne la convergence avec la problématique présentée tout à l'heure par le président Quilès - que nous avons, avec les décisions de Berlin, des possibilités nouvelles qu'il ne tiendra qu'à nous d'utiliser, une fois finalisés les accords, aujourd'hui en cours de disc ussion, entre l'Union de l'Europe occidentale et l'OTAN : un mécanisme de consultation pour l'analyse des situations et la préparation de décisions touchant les deux organisations internationales ; un accord-cadre qui, je crois, est en bonne voie pour le transfert de moyens de l'Alliance, favorisant la conclusion, ensuite, d'accords spéc ifiques entre l'Union de l'Europe occidentale et l'Alliance, adaptés à chaque crise ; l'utilisation, enfin, de noyaux de quartiers généraux et de groupes de forces, auxquels, comme vous le savez, la France a, depuis l'année dernière, décidé de s'associer pour préparer le travail d'une éventuelle chaîne de commandement européenne.

J'ai entendu avec beaucoup d'intérêt les recommandations de M. Jean-Bernard Raimond, au nom de la commission des affaires étrangères, sur cette approche de la relation entre l'UEO et les moyens militaires de l'Alliance, et je crois que les indications que je donne répondent en grande partie à son interrogation.

Il serait d'ailleurs très utile et je pense que l'Assemblée partagera ce sentiment du Gouvernement - que les discussions en cours sur ces sujets entre l'UEO et l'OTAN aboutissent avant le sommet de Washington, dont je reparlerai tout à l'heure.

Nous avons aussi, depuis plusieurs années, des forces multinationales européennes de nature et de format différents, susceptibles d'intervenir dans plusieurs cadres, soit en coalition cela a été le cas pour l'opération dirigée par nos amis italiens en Albanie l'année dernière -, soit dans le cadre de l'UEO ou dans le cadre de l'Alliance. Ces formations multinationales n'ont pas encore été engagées dans des situations opérationnelles, encore qu'une partie de l'état-major du corps européen soit incorporée dans l'état-major de la SFOR depuis que celle-ci a été réorganisée au mois de juillet dernier.

Notre objectif est de conforter, en mettant l'accent sur leurs atouts propres, la flexibilité et la souplesse d'emploi de ces forces européennes. J'attache à cet égard la plus grande importance au corps européen, qui doit devenir plus adaptable pour pouvoir non pas rester dans la forme rigide d'un corps d'armée, qui ne correspond pas à toutes les situations de crise imaginables, mais s'intégrer à des forces européennes plus larges ou euro-atlantiques, afin de contribuer directement au maintien de la paix sur notre continent.

Il est certain et je reviendrai aussi sur ce point - que la consolidation de notre industrie de défense, support essentiel de nos capacités d'action militaire, est une étape clef de la construction de l'Europe de la défense, et il nous faudra en parler en évoquant les principaux choix d'équipements communs.


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Ce constat de notre volonté et de la nécessité de construire l'Europe de la défense, partagée par la plupart de nos partenaires de l'Union, même si les problématiques sont encore distinctes, ressortent plus encore lorsqu'on aborde la situation en ex-Yougoslavie, et plus précisément au Kosovo, puisque c'est cette zone de crise qui se trouve aujourd'hui au centre de l'actualité.

Même si l'on peut toujours se plaindre qu'on ne réagisse pas assez vite, cette crise a montré que, depuis le début, c'est-à-dire depuis février-mars, et Hubert Védrine l'a rappelé hier encore, quand la crise s'est formée, les partenaires européens n'avaient pas de divergences quant aux objectifs à atteindre : l'établissement d'une autonomie respectant les droits collectifs des Kosovars ; le refus, en revanche, d'une indépendance déstabilisatrice pour toute la région ; l'ouverture d'une négociation véritable pour déboucher sur un processus démocratique, assurant une paix durable au Kosovo ; et, bien entendu, conséquence de ces progrès, le retour des réfugiés et des personnes déplacées.

Quelles que soient les critiques qui ont pu être formulées ici ou là, il me semble que les Européens ont retenu et exploité la leçon de la Bosnie. L'opération menée actuellement a pour cadre une résolution des Nations unies, adoptée sur proposition de deux pays européens, qui a permis de fixer un objectif de règlement de cette crise auquel se sont associés les Etats-Unis et qu'a accepté la Russie. Un ou deux mois auparavant, peu de gens auraient parié qu'on puisse parvenir à une telle convergence. Aujourd'hui, nous discutons au sein de l'Alliance, mais sur initiative européenne, afin de construire, à côté de la mission des vérificateurs de l'OSCE, une force d'intervention et de réaction qui sera une autre composante des moyens de force nécessaires pour que la résolution politique de cette crise atteigne le plein succès.

Cette crise a, je crois, montré le rôle croissant de l'Europe dans sa propre sécurité, même si elle s'appuie, pour l'emploi éventuel de la force, sur les structures collectives de l'OTAN.

Le développement de la dimension de sécurité et de défense de l'Union européenne n'est en effet pas contradictoire avec un renforcement de la contribution des Européens, mais d'Européens solidaires et exprimant une volonté politique commune au sein de l'Alliance atlantique. C'est ce dont nous avons discuté lors de la rencontre informelle des ministres de la défense qui s'est tenue à Vienne avant-hier. C'est ce que la France entend exprimer dans la négociation du nouveau concept stratégique de l'Alliance, menée, bien sûr, sous la responsabilité du ministère des affaires étrangères. L'objectif est d'inclure dans le nouveau concept stratégique les évolutions intervenues dans l'environnement international au cours des dernières années, et de mettre en cohérence un ensemble de décisions d'adaptation prises depuis 1991.

Pour nous, concrètement, ces objectifs se ramènent à quatre priorités : préserver la spécificité de l'OTAN comme alliance à la fois politique et militaire, centrée sur la défense collective, n'étendant pas son ambition à des missions que personne ne lui a confiées ; réaffirmer que cette organisation assure la sécurité de la zone euroatlantique, en coopération avec d'autres organismes régionaux, en particulier l'Union de l'Europe occidentale et l'OSCE, organisation régionale des Nations unies, et ce dans le respect des prérogatives du Conseil de sécurité ; préserver les acquis du développement d'une Europe de la sécurité et de la défense dans l'Alliance, mais aussi hors de l'Alliance ; enfin, préserver les intérêts légitimes des industries européennes de défense, qui pourraient être contestés au travers des débats sur l'interopérabilité des matériels, la contre-prolifération ou la coopération industrielle.

M. Paul Quilès, président de la commission, et M. GuyMichel Chauveau.

Très bien !

M. le ministre de la défense.

Je répondrai à la remarque qui a été faite à propos de l'augmentation de notre participation à l'Alliance. Il est clair, en effet, que le développement du partenariat pour la paix avec les pays qui ne sont pas membres de l'Alliance mais qui représentent un élément de stabilité pour l'Europe de l'Est, et notamment pour ceux des pays de l'Europe centrale et orientale qui n'ont pas vocation à entrer dans l'Alliance, ou qui ne le souhaitent pas, au cours des prochaines années, a représenté un engagement que la France a plein ement soutenu. C'est une évolution positive de l'Alliance vers la contribution à un système de sécurité collective européenne. Cela entraîne quelques charges supplémentaires, que nous avons acceptées.

De même, l'élargissement de l'Alliance, que nous avons non seulement accepté, mais soutenu, avec la première vague d'entrées de la Pologne, de la République tchèque et de la Hongrie, représente pour la France, c'est vrai, une augmentation de l'ordre d'une quarantaine de millions de francs de sa contribution à l'Alliance. Mais, au regard du gain de sécurité et du gain de stabilité en Europe que cela représente, il me semble que nous n'avons pas à regretter cet alourdissement financier.

A propos de la suite de l'élargissement, qui reste une question importante, la position de la France est de reconnaître que les pays retenus lors du sommet de Madrid, l'année dernière la Roumanie et la Slovénie, notamment -, sont en bonne voie, eu égard à leurs efforts d'adaptation et de modernisation, et que, par conséquent, ils ont bien vocation à rejoindre l'Alliance, à terme maintenant rapproché. Notre position est aussi d'envisager un élargissement futur qui réponde à des demandes venues d'autres Etats souverains et de prendre en compte les problèmes de sécurité immédiats de l'Europe, en particulier le besoin prioritaire de stabilité de l'Europe du Sud-Est, de la zone balkanique, qui est aujourd'hui la plus troublée.

La crise au Kosovo a démontré que l'intégration à l'Alliance des Etats périphériques à la Yougoslavie serait un élément clé pour assurer les fonctions de dissuasion contre toute menace à la stabilité de l'Europe.

Je souhaite donc très vivement le succès du sommet de Washington. Il peut être une manière d'avancer des objectifs internationaux majeurs de notre pays en jouant tout notre rôle dans l'Alliance, mais en permettant à l'Europe d'y développer son identité et sa volonté politique collective.

Je ne voudrais pas achever ce tour d'horizon international sans évoquer la politique du ministère de la défense à l'égard de l'Afrique et notamment notre attitude durant les événements intervenus au cours de ces dernières années aussi bien en Guinée-Bissau qu'en République démocratique du Congo, sans oublier l'année dernière au Congo-Brazzaville.

Ces expériences ont montré la fermeté avec laquelle nous défendions nos engagements de fidélité, d'ouverture, de non-ingérence sans désengagement, et de restructuration du dispositif de coopération.


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Nous considérons que les Africains doivent de plus en plus assurer par eux-mêmes leur sécurité, même si nos partenaires africains peuvent compter sur des aides spécifiques, bien choisies dans la durée, pour former les hommes et concevoir les outils de cette stabilité régionale.

Cela nous a conduits à poursuivre la réorganisation de notre dispositif de forces prépositionnées en Afrique, dont l'utilité a une nouvelle fois été démontrée lorsqu'il a fall u assurer la sécurité de nos concitoyens menacés durant le mois d'août par les événements de Kinshasa.

Ce dispositif prépositionné mobilisera, à l'issue de la réforme en cours, 5 300 hommes, quinze unités de combat, treize avions d'arme, répartis sur cinq bases, Djibouti, Dakar, N'Djamena, Libreville et Abidjan, soit une réduction de 25 % à l'horizon 2002. Notre capacité d'action correspondant aux responsabilités que nous souhaitons garder pour la stabilité du continent africain est cependant maintenue.

L'orientation générale reste celle de la préparation matérielle et humaine des armées africaines au maintien de la sécurité sur leur continent. C'est dans cette perspective que s'inscrit notre action en faveur du renforcement des capacités africaines de maintien de la paix, l'acronyme est RECAMP, qui commence à être bien compris et accepté par nos partenaires africains.

Notre dispositif de coopération a été réorienté dans ses objectifs vers cet accroissement des capacités des armées africaines au maintien de la paix. Quant à la méthode, notre action doit désormais porter sur des projets concrets, établissant un partenariat plus équilibré avec les forces africaines à partir du projet d'organisation de leur défense, librement décidé par chaque pays partenaire, et faisant une plus large part à la formation sur place.

Un mot concernant les développements récents de l'affaire irakienne. La prolifération des armes de destruction massive constitue, plusieurs orateurs l'ont à juste titre souligné, une lourde menace. Après les rivalités intra-étatiques en ex-Yougoslavie, les essais nucléaires indiens et pakistanais du premier semestre ont constitué un des changements géopolitiques de cette année et nous rappellent la prééminence de ce risque. En Irak, la menace de prolifération des armes de destruction massive justifie que nous maintenions notre participation à la zone d'exclusion aérienne sur le sud du pays avec des moyens stationnés en permanence en Arabie saoudite.

Elle justifie aussi le renforcement, par des Mirages IV, des moyens d'observation de la mission des Nations unies, de l'UNSCOM, et les toutes dernières décisions irakiennes, que la France a clairement désapprouvées, n'incitent en rien, nous le savons tous, au relâchement de cette vigilance.

C'est pour faire face à l'ensemble de ces évolutions, des menaces actuelles et des risques futurs, que nous voulons adapter notre système de défense, et cela concerne les hommes autant que les équipements et les structures.

Les dépenses de défense pour l'année 1999 progressent globalement de 2,9 %, contrastant, avec une croissance assez faible, 0,3 %, des dépenses de fonctionnement du titre III, et une remontée plus significative du titre V, qui correspond à l'engagement pris par le Gouvernement devant l'Assemblée l'année dernière de réduire les déficits.

Je voudrais compléter les propos qui ont été tenus par plusieurs orateurs sur la relation entre l'effort de défense et le développement économique. Les comparaisons internationales à cet égard sont difficiles. Mais la France prend ses responsabilités. Notre effort de défense reste un des plus élevés parmi les pays de l'Union européenne, et nous nous efforçons de montrer les avantages qu'aurait une convergence des taux d'effort de défense des principaux pays européens pour asseoir la crédibilité collective de l'Europe.

J'ai constaté, à l'occasion de nombreux contacts internationaux, en étudiant les dossiers des pays partenaires avant de m'y rendre ou de les recevoir, une très forte corrélation entre le niveau de dynamisme économique, la capacité de surmonter les problèmes structurels et la vitalité en matière de défense. Les pays les plus militarisés, qui connaissent les plus dures situations de conflit avec leur environnement, ne parviennent pas à maintenir la crédibilité de leurs armées s'ils sont en situation d'échec économique. En revanche, les pays qui obtiennent des résultats économiques intéressants sur la durée augmentent leurs capacités de défense, même s'ils sont situés dans une zone peu conflictuelle, et deviennent, en particulier sur des marchés qui nous intéressent, des partenaires ambitieux. Si la croissance économique que nous prévoyons est réellement atteinte, le budget pour 1999 sera conforme aux souhaits du Gouvernement.

J'ai bien compris que certains orateurs de l'opposition pensaient que notre prévision de croissance était un pari.

Gouvernement et le Parlement se retrouveront l'année prochaine pour apprécier si, comme en 1997, les mesures de politique économique et le réglage conjoncturel choisi par ce Gouvernement ont permis d'atteindre de bons résultats. Si tel est le cas, le budget de la défense s'exécutera dans des conditions satisfaisantes. En revanche, quelle que soit l'organisation constitutionnelle, les pays où la croissance fait défaut sont presque toujours obligés de revenir sur la régularité de l'exécution des budgets de défense, et la France ne fait pas exception.

J'en viens donc à la politique des hommes. Le défi p rincipal de la programmation dans laquelle nous sommes engagés est le passage à une armée de professionnels, mieux à même de répondre aux missions qui lui sont et lui seront assignées.

M. Patrice Martin-Lalande.

C'est vrai !

M. le ministre de la défense.

Il s'agit d'une mutation très profonde. On peut même se demander si beaucoup d'organismes, publics ou privés, seraient capables de mener une telle réforme dans un délai aussi bref. J'apprécie combien l'instruction militaire, que des analyses superficielles qualifient de rétive au changement, a su prendre son parti des adaptations qui lui étaient demandées.

Nous devons donc être particulièrement attentifs à la constitution de ce que j'avais appelé l'an passé un « système d'hommes ». Les arbitrages budgétaires décidés dans le projet de loi de finances pour 1998 avaient conduit, avec votre approbation, à garantir à très court terme les crédits du titre III pour ne faire porter les économies consenties que sur les équipements.

Je souhaiterais insister sur deux grands axes qui gouvernent aujourd'hui notre démarche pour la professionnalisation des armées : la création d'emplois et la formation.

La réussite de la réforme repose sur la maîtrise de la transition entre deux systèmes de satisfaction des besoins en hommes. A partir d'une armée de conscription, forte de plus de 570 000 hommes et femmes si j'y inclus la gendarmerie, il faut, en maintenant les capacités opérationnelles des forces, et en les augmentant là où c'est nécessaire, parvenir à un format d'effectifs en diminution de 25 %, dans lequel les professionnels de la défense, civils et militaires, représenteront plus de 95 % des effectifs. Le succès de cette transition, engagée en 1997, est


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largement conditionné par la réalisation des effectifs d'appelés incorporés, en diminution progressive jusqu'en 2002, date à laquelle s'accomplira la suspension de l'appel sous les drapeaux.

Les appelés, je veux le souligner, font preuve d'un grand sens du service et de l'intérêt général, qui permet le passage harmonieux de nos unités opérationnelles vers la professionnalisation. Leur présence reste indispensable à la réalisation au quotidien des missions des forces armées.

Comme exemples frappants, je citerai l'application du plan Vigipirate, ou la mise en service du Charles de Gaulle, l'équipage est composé à plus de 10 % d'appelés.

Ce sens civique, tout à l'honneur des jeunes, est partagé par les jeunes, nés après le 1er janvier 1980, qui ont participé aux journées d'appel de préparation à la défense.

La réussite de ces journées est certes due au travail remarquable d'organisation de la direction centrale du service national, à l'engagement de l'ensemble des personnels militaires qui s'y sont consacrés, à la participation de nombreux élus et parlementaires, que je souhaite remercier, mais elle n'aurait pas pu atteindre le niveau que nous avons constaté sans l'adhésion des jeunes, qui se montrent majoritairement satisfaits du déroulement et du contenu de cette journée. Les jeunes ont compris, approuvent et soutiennent la réforme. Encore faut-il que les moyens, et en particulier les moyens financiers, soient à la hauteur de cette adhésion.

Les orientations budgétaires traduisent cette priorité.

Elles ont permis une évolution des effectifs conformes à la programmation, notamment en renforçant les mesures d'accompagnement social et matériel. Il convenait en effet de créer un double flux de recrutements et de départs, permettant sans heurt de rallier progressivement le format en effectifs prévu à l'horizon 2002.

Permettez-moi, à cet égard, de revenir sur plusieurs observations qui ont été faites à propos de l'augmentation des rémunérations et charges sociales dans ce budget.

Sans doute sera-t-il utile, un jour, de mettre à l'épreuve, par une analyse rétrospective, la validité des prévisions chiffrées sur les coûts de la professionnalisation. Pour l'instant, je suis dans l'action, je m'efforce de faire fonctionner les armées efficacement et je ne peux pas considérer comme une mauvaise nouvelle que les rémunérations et charges sociales soient en augmentation de 2,9 %.

Selon un principe que personne, je crois, n'envisage de remettre en question, les rémunérations des armées sontr igoureusement indexées sur les rémunérations de l'ensemble des fonctionnaires et des agents de l'Etat. Le statut général des militaires ne donne pas à la communauté militaire les mêmes moyens de défense professionnelle qu'aux fonctionnaires civils. Ils ont en revanche cette garantie législative fondamentale que, en toutes circonstances, les rémunérations de la communauté militaire évoluent comme celles des fonctionnaires civils. Personne ne peut envisager de remettre en cause cet effort, nécessaire à la fois pour maintenir la condition sociale des militaires et pour donner à la carrière militaire une attractivité suffisante pour les jeunes qui doivent aujourd'hui choisir. M. Charles Cova notamment l'a bien compris. Il ne faut pas considérer l'augmentation des RCS comme une mauvaise chose. Elle est un des éléments, et je serais ravi que nous soyons tous de cet avis, du succès de la professionnalisation.

Car, si la professionnalisation se déroule conformément aux prévisions en quantité, elle le fait aussi, je crois, en qualité. Le niveau et la motivation des jeunes candidats au recrutement autorisent une sélection qui offre aux forces armées une ressource humaine particulièrement choisie. L'intensification des recrutements qui est prévue en 1999, 8 389 militaires du rang et 4 725 volontaires, ne se fera pas au détriment de cette exigence de qualité.

Cela dit, la valeur des recrutements n'est qu'une des conditions, nécessaire mais pas suffisante. Il faut aussi réussir l'adaptation des effectifs de cadres, officiers et sous-officiers. Les efforts importants réalisés tant sur le plan budgétaire que dans l'organisation ont permis de gérer de façon suivie et cohérente, comme l'a relevé M. Huwart dans son intervention, les départs induits par le resserrement du dispositif. C'est notamment le cas avec les mesures prises en faveur de la reconversion et les moyens financiers alloués au fonds d'accompagnement de la professionnalisation. J'ai moi-même constaté lors de mes déplacements le très grand professionnalisme et la motivation avec lesquels les services compétents des armées assurent cet effort de reconversion qui est un véritable défi pour la réussite de la professionnalisation.

L'évolution positive des effectifs des professionnels dans le projet de budget pour 1999, 5 847 postes en plus, est due à la forte augmentation du nombre de militaires du rang. Mais le nombre des sous-officiers connaît une forte déflation, 2 690 postes en moins en 1999, qui vient après une diminution de 1 837 postes en 1998.

Cette évolution maîtrisée s'est effectuée notamment grâce au pécule. Sur les trois premières années de mise en place de la professionnalisation, plus de 2 milliards de francs auront été consacrés à l'attribution de ces primes au départ. La dotation de 1999, de 844 millions de francs, permettra, à elle seule, d'assurer les départs aidés de 900 officiers et de 2 000 sous-officiers. Elle est en baisse par rapport à celle de 1998, ce qui démontre la bonne maîtrise, par les responsables des personnels des armées, du mécanisme de rajeunissement volontaire de nos cadres militaires.

Plusieurs intervenants sont revenus sur les prises de position des chefs d'état-major, du secrétaire général, du délégué général à l'armement devant la commission de la défense.

C es déclarations étaient empreintes de franchise, comme je le souhaite lorsque la commission de la défense entend les cadres dirigeants du ministère placés sous mon autorité.

Je ne dis pas que tout va bien et qu'une réforme de cette ampleur se déroule sans aucun imprévu, sans aucune inquiétude, sans aucune tension. Je me suis toujours efforcé de faire preuve d'un minimum de crédibilité dans mon action politique. Il est normal que se manifestent des divergences, des contestations et des inquiétudes.

Ceux qui ont un peu d'ancienneté dans cette maison le savent bien que, si d'autres ministères se livraient au même exercice, c'est-à-dire faire recevoir par l'une des commissions spécialisées des dirigeants administratifs et professionnels de leur ministère, hors la présence du ministre, il y aurait sans doute une certaine diversité dans la présentation de la situation.

M. Yves Fromion.

Ça serait une bonne chose !

M. le ministre de la défense.

Vous pouvez choisir cela peut être une tentation en fonction des bancs sur lesquels on siège -, d'en faire une utilisation critique ou inquiétante.

M. Jean-Luc Warsmann.

De nos jours, on perd son poste pour un Que sais-je !

M. le ministre de la défense.

Si les cadres dirigeants du ministère de la défense utilisaient la langue de bois, ce serait dommage pour la qualité du travail de la commis-


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sion et ce serait inutile. Cela n'empêche pas que ces cadres dirigeants, dont la plupart ont contribué à la conception de la réforme, oeuvrent quotidiennement avec leurs collaborateurs pour sa réussite, je le dis, au cas où cela aurait échappé à quelques-uns. C'est la réalité que je vis tous les jours et dont nous verrons ensemble les résultats dans quelques années. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Le ministère de la défense ouvrira au recrutement environ 16 000 postes nouveaux en 1999, 8 800 militaires professionnels, 4 800 volontaires et 2 400 postes d'agents civils. La gendarmerie nationale accroît de son côté sensiblement ses moyens humains avec 3 000 gendarmes adjoints recrutés en 1999 sur les 4 751 postes de volontaires ouverts au ministère. Ces 3 000 embauches à venir doivent être comprises, le Premier ministre l'a rappelé lors de sa visite à la gendarmerie à Melun la semaine dernière, comme un supplément aux embauches ouvertes fin 1998, 800 jeunes adjoints déjà recrutés au cours de ce dernier trimestre.

L'arrivée de ces gendarmes adjoints, qui auront, après un an d'expérience, la qualité d'agent de police judiciaire adjoint contribuera à consolider l'implantation de la gendarmerie sur l'ensemble du territoire.

J'ai bien entendu les observations de M. Georges Lemoine, le tonique rapporteur de la gendarmerie, à propos des préoccupations professionnelles à l'entrée dans la carrière de ces jeunes volontaires. La formule de volontariat que le Gouvernement a choisie - nous avons en effet changé très substantiellement la conception de volontaire par rapport à la loi de programmation -, peut offrir un premier emploi dans l'ensemble des armées à des jeunes qui n'ont pas forcément eu, dans leur parcours de formation initiale, la chance de passer des concours administratifs ou de profiter des recrutements statutaires des armées.

Une perspective de développement professionnel intéressante s'offre ainsi à eux. Ils peuvent s'engager ensuite dans la gendarmerie, s'ils passent, avec succès cette fois-ci, les épreuves de sélection, mais il faudra, c'est logique, qu'ils patientent et qu'ils démontrent auparavant leur aptitude dans leur expérience de volontaire pendant une durée que nous n'avons pas encore fixée, mais qui sera forcément de plus d'une année. Sinon, l'expérience n'aurait pas de valeur. Ceux d'entre eux qui, après cette première expérience professionnelle, se réorienteront vers les carrières civiles retireront de la capacité de formation que chacun reconnaît aux armées, en particulier pour les jeunes à faible qualification, un label en quelque sorte, une reconnaissance de l'acquisition d'un savoir-agir et d'un savoir-être qui leur sera extrêmement utile pour se placer, cette fois-ci avec beaucoup plus de chances de succès, sur le marché du travail.

De nombreux orateurs se sont intéressés, à juste titre, aux personnels civils, dont le rôle croissant est un des éléments importants de la professionnalisation. J'apporterai quelques indications à l'Assemblée sur ce sujet.

Les recrutements ont été, en 1998, d'un niveau très nettement supérieur à celui de 1997 : 159 fonctionnaires avaient été recrutés en 1996 ; 384 l'an dernier ; 2 177 l'auront été en 1998 ; leur nombre sera sensiblement équivalent en 1999. La vérité oblige à dire que quelques centaines de recrutements, au titre de 1997, se sont déportés sur l'année 1998 et que les chiffres sont plutôt de l'ordre de 700 recrutements en 1997 et de 1 800 en 1998. Nous serons certainement au-dessus de 2 000 en 1999.

Concernant les postes d'ouvriers d'Etat, les recrutements, qui avaient été de 129 en 1996, ont été portés à 294 au cours de l'année 1997 et ils auront été de 638 cette année. Je me fixe l'objectif d'un niveau au moins égal pour l'année prochaine.

Ainsi, on a procédé en 1998 à 2 000 recrutements supplémentaires par rapport à 1997. Si, du fait, notamment, des procédures de concours qui prennent du temps, les personnels concernés n'ont pas nécessairement rejoint les unités, ils l'auront fait d'ici la fin de l'année.

Par ailleurs et contrairement à ce qui s'est dit ou écrit parfois, des mouvements importants de mutation de personnels ont lieu entre la DGA - et plus particulièrement la DCN - et les armées, visant à réduire les sureffectifs existants pour les réaffecter vers les établissements, unités ou sites en sous-effectifs. Plus de 1 000 personnes ont ainsi été mutées en 1997 et d'ores et déjà 800 l'ont fait au titre de l'année 1998.

Bien entendu, la lenteur et l'effort de concilation entre les intérêts individuels des agents et les besoins des services aboutissent à un nombre important d'emplois non pourvus. Mais franchement, et c'est pourquoi j'ai réagi avec une certaine animosité aux propos, que j'ai trouvés peu compréhensibles, de M. Carré,...

M. Yves Fromion.

Avec vivacité !

M. le ministre de la défense.

C'est exact...

F ranchement donc, quel contribuable pourrait comprendre que des établissements industriels de l'Etat, des entreprises publiques ayant du personnel sous statut d'ouvrier de l'Etat, se trouvant en sureffectifs, organisent la reconversion de leurs agents et y engagent des crédits très importants - avec l'argent des contribuables -, alors que des postes nouveaux, destinés à pourvoir des emplois de service ou des emplois de soutien logistique dans les armées sont vacants, sans que l'Etat fasse l'effort d'organiser la transition des uns avec les autres ? Cela se traduit par des retards et les militaires savent bien qu'en plus des autres efforts de la réforme, ils devront assumer la charge d'accueillir, pour des fonctions nouvelles, dans des structures en voie de création, des agents reconvertis et non pas, pour l'essentiel, des recrutements de personnes que l'on forme directement sur ces postes de travail.

M. Yves Fromion.

En effet !

M. Patrice Martin-Lalande.

C'est nécessaire !

M. le ministre de la défense.

Je suis surpris de devoir l'expliquer à des gens qui font foi de vouloir baisser les dépenses publiques ; cela me paraît être une épreuve de gestion publique élémentaire, à laquelle tout gouvernement a le devoir de se soumettre, même si c'est difficile.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

La durée de six années fixée par la loi de programmation pour passer d'une armée de conscription à une armée professionnelle a pu paraître bien longue à certains. Mais elle est incompressible. Car il faudra organiser cette mutation des personnels.

Je remercie M. Meylan et M. Carré d'avoir mentionné que c'est le service de santé des armées qui rencontrera le plus de difficultés en la matière. Il n'est évidemment pas le plus important en nombre, mais il est vital pour une armée qui doit être prête à s'engager et à assumer des risques dans des théâtres d'opérations très variés, et parfois très éloignés. Le service de santé des armées contribue certainement de manière déterminante à asseoir la crédibilité et la capacité d'action de nos armées.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 NOVEMBRE 1998

L'année dernière, en compagnie du Premier ministre, j'ai assisté au retour de grands blessés revenant de l'opération d'extraction de Brazzaville. J'ai la certitude qu'ils ne seraient pas revenus sans la présence d'éléments du service de santé des armées, qui se trouvaient sur le théâtre des opérations et qui ont médicalisé leur retour.

Compte tenu de la place très importante que les appelés, notamment les jeunes médecins appelés auxquels il faut rendre hommage, occupent dans la structure de ce service, la durée de six ans fixée pour assurer sa mutation est incompressible. Celui-ci devra donc faire l'objet de toute notre attention.

Je ne peux pas terminer sur ce chapitre, qui porte sur ce qui est à mon avis l'essentiel, à savoir la communauté humaine de la défense, sans dire, comme l'ont fait plusieurs orateurs, à quel point les personnels, militaires et civils, engagés dans cette réforme - qu'il s'agisse des cadres, des officiers généraux, bien sûr, mais aussi de tout un chacun - sont motivés. Conscients de leurs responsabilités, ils font des efforts pour bien gérer les moyens publics. La qualité de ce débat et l'optimisme qui s'en dégage, car chacun voit les points forts de la réforme en cours, sont un soutien moral dont ils ont besoin. Pour cela, je remercie l'ensemble des parlementaires qui se sont exprimés.

Je voudrais rendre hommage à la clairvoyance dont ont fait preuve sur ce point le président de votre commission, M. Quilès, et M. Arthur Paecht, que je m'excuse de citer alors qu'ils préside nos travaux. Il est important qu'au cours de l'année 1999 nous élaborions ensemble une méthode pour évaluer à mi-parcours la professionnalisation.

Je ne reviens pas sur les échanges qui ont eu lieu concernant la pertinence du cadrage financier initial de la professionnalisation. Plusieurs orateurs ont avancé un montant d'un milliard de francs, à propos des dépenses de fonctionnement évoquées par le général Kelche, qui, je vous le rappelle, pilote la partie moyens de cette réforme depuis plusieurs années et la connaît donc particulièrement bien. Si la marge de dépassement n'est que d'un milliard de francs sur un budget total de 190 milliards, nous n'avons pas à nous répandre en lamentations sur les difficultés de réalisation financière de la professionnalisation.

Quoi qu'il en soit, il est tout à fait logique que nous fassions un point à mi-chemin, au cours de l'année 1999, afin d'orienter au mieux nos choix budgétaires entre 2000 et 2002.

De même, il est important de commencer à réfléchir, et c'est au Gouvernement de créer les cadres d'échange, à une analyse des perspectives stratégiques. Paul Quilès visait juste en soulignant que le monde ne s'était pas arrêté de tourner depuis le Livre blanc de 1994. Nous ne pourrons pas continuer à vivre avec un Livre blanc tous les vingt-deux ans, dans la mobilité stratégique que nous connaissons aujourd'hui.

Je l'ai dit, et peut-être certains ont-ils trouvé mon propos ambigu, la prochaine loi de programmation militaire viendra à son heure, pour remplacer celle qui s'achèvera en 2002. Mais si nous voulons travailler logiquement, efficacement, il faudra que le débat sur la future loi de programmation intervienne dès l'année 2001. Nous le savons bien pour avoir rencontré des difficultés à plusieurs reprises : pour préparer le dernier budget d'une loi de programmation, il faut connaître les objectifs de la loi de programmation suivante. L'idéal serait de soumettre la loi de programmation au Parlement avant la fin de 2001 ou du moins au premier semestre de 2002. Et en tout état de cause, les objectifs doivent être débattus auparavant. Cela signifie que, d'ici à deux ans, nous devrons effectuer le travail d'évaluation et d'analyse stratégique, qui constituera le soubassement ou le fond du décor de la prochaine loi de programmation. Cela fera alors sept à huit ans que le Livre blanc actuel aura été élaboré. Cela correspond à un rythme de renouvellement, en tout cas de révision de notre perspective stratégique, qui est plus réaliste que le rythme actuel de nos livres blancs.

Avant de passer aux équipements, je m'arrêterai sur lesr éserves qu'ont évoquées plusieurs parlementaires, M. Teissier en particulier. La réforme des réserves est maintenant une des priorités d'application de la réorganisation des armées. Le calendrier chargé du Parlement, ainsi que la nécessité d'approfondir la concertation sur ce sujet, qui rassemble de nombreux interlocuteurs autour d'intérêts variés, conduiront le Gouvernement à déposer un texte de loi devant votre assemblée au début de 1999.

Notre objectif est de soumettre le projet de loi au conseil des ministres avant la fin de cette année 1998.

Le dossier des réserves nous rassemble dans ces objectifs. Cette composante de l'armée professionnelle apportera aux forces et à la gendarmerie le complément opérat ionnel et la contribution civique qui leur est indispensable. Elle sera un facteur efficace de renouvellement du lien entre l'armée et la nation.

Le projet de loi qui vous sera présenté résulte de discussions approfondies entre le ministère de la défense et ses partenaires civils, publics et privés. Il fait l'objet, à l'heure actuelle, d'une concertation méthodique avec les associations de réservistes. Tous ceux d'entre vous qui travaillent à son contact, et vous êtres nombreux, le savent.

Nous nous réunissons régulièrement au Conseil supérieur d'études des réserves, et avant de déposer le projet de loi au Parlement, je ferai l'effort, comme je l'avais fait l'année dernière sur le projet de loi modifiant le service national, de rencontrer les représentants des groupes parlementaires.

Parmi les dossiers conditionnant la réussite de la professionnalisation des forces armées, il y a celui de la formation des cadres. Le ministère de la défense est sans doute l'un des rares ministères où la formation continue des personnels soit aussi pleinement assurée. C'est l'un des atouts de la réussite de la reconversion des militaires en fin de carrière. Il en est de même de la formation initiale des cadres, car il est important également de former des officiers et sous-officiers capables de remplir leurs missions dès leur sortie de l'école d'application.

En même temps, nous voulons leur donner les atouts culturels qui permettront de dégager progressivement une élite parfaitement intégrée à la République et constituée à son image. A cet effet, j'entends m'assurer que le niveau d'enseignement et de recherche des écoles d'officiers reste équivalent à celui des meilleures grandes écoles. Cela nécessite un bon recrutement, varié et diversifié. Les écoles militaires doivent être ouvertes sur l'extérieur. Des universitaires réputés doivent, comme c'est déjà souvent le cas aujourd'hui, pouvoir assurer leur enseignement et leur recherche à Coëtquidan, à Brest ou à Salon-deProvence.

D'un point de vue plus technique maintenant, je me dois de signaler que si la programmation des crédits d'équipement est un outil qui s'améliore au fur et à mesure des exercices, la programmation du titre III était un exercice nouveau et difficile.


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A plusieurs reprises, notamment M. Voisin, M. Fromion et M. le rapporteur François Huwart, ont évoqué les budgets de fonctionnement, y compris le titre III, hors RCS. J'ai mentionné qu'il pouvait y avoir, en effet, une dérive conduisant à s'interroger sur certains budgets de fonctionnement.

Ne confondez pas les budgets de fonctionnement et l'entretien, puisque l'évolution budgétaire à laquelle nous avons assisté ces dernières années aboutit à ce que l'essentiel des crédits d'entretien soit maintenant classé au titre V. Je pense que si certains ont exprimé leurs craintes à propos des capacités d'entretien de la marine, c'est parce que l'essentiel des crédits correspondants est passé au titre V - même s'il est vrai que nous avons dû faire des ajustements budgétaires en cours d'année.

On peut regretter que des crédits, qui étaient des crédits d'entretien, inscrits au titre III, soient passés au titre V. Mais, par définition, les besoins seront couverts et il faudra tenir compte de ce transfert lorsqu'on voudra apprécier les crédits du titre III, d'une année sur l'autre.

Ma conviction est que les crédits de fonctionnement qui sont inscrits pour 1999 seront suffisants pour assurer l'activité des forces.

J'ai bien pris note des demandes de la commission exprimées par M. Jean-Claude Sandrier et des observations justifiées de M. Cova à propos de la marine sur les reports des crédits de fonctionnement non consommés en fin de 1998. Ce report constitue aussi une des priorités du Gouvernement ; j'espère pouvoir l'annoncer à l'Assemblée nationale, au moment de la présentation du prochain collectif.

Venons-en aux crédits de fonctionnement de la gendarmerie. Comme le soulignait Georges Lemoine dans la conclusion de son rapport, le projet de loi de finances pour 1999 permettra à la gendarmerie de poursuivre les réformes qu'elle a engagées pour s'adapter tant au nouveau système de défense qu'aux évolutions de la société.

Ses moyens sont préservés. Sur cinq ans et en francs constants, la progression des crédits de fonctionnement courant, hors alimentation, de la gendarmerie, reste plus rapide que celle des effectifs.

La dotation de maintien de l'ordre, qui connaîtra un accroissement de 70 millions de francs pour l'année 1999, permettra d'éviter à la gendarmerie, comme cela a été le cas toutes ces années, de prélever sur ses moyens propres pour remplir des missions de maintien de l'ordre, parfois très loin, avec des coûts de transport importants.

L'évolution à la baisse du prix du pétrole permettra aussi une baisse des crédits de carburant pour la gendarmerie.

Des réorganisations en cours : allégement des tâches administratives ; emploi de réserves dès le temps normal, notamment - vous le constatez, les uns et les autres, dans les départements - lors des surcharges saisonnières ; renforcement de la qualification judiciaire des gendarmes adjoints ; rationalisation du soutien - sortie des militaires des gendarmes sous-officiers et des fonctions de soutien qui seront réservées à des personnels spécialisés. Elles per mettront que les moyens de fonctionnement de la gendarmerie soient à la hauteur des responsabilités de ce corps. Le recrutement des volontaires lui donnera enfin une capacité d'action supplémentaire sur le terrain.

Je résumerai brièvement, en liaison avec les équipements, autre grand pilier de notre budget, les principaux choix de la revue de programmes.

Je tiens d'abord à souligner l'ampleur de la tâche accomplie pendant six mois par les services, avec la contribution dynamique de tous les états-majors et de la DGA.

Ils m'ont permis de formuler des propositions susceptibles à la fois de garantir le respect des priorités et des besoins de programmation de l'ensemble des équipements prévus dans la loi de programmation et de réaliser 20 milliards de francs d'économies réelles - avec des charges en moins - sur la période 1999-2002. J'ai pu éviter de recourir à la solution simpliste, mais coûteuse, consistant à repousser les activités correspondantes au-delà de la période examinée.

On n'a pas suffisamment relevé qu'en plus des 20 milliards d'économie qui correspondent à des dépenses programmées entre 1999 et 2002, les mesures que nous avons prises - notamment dans le domaine nucléaire, évoqué par plusieurs orateurs, dont M. le rapporteur M. Galy-Dejean - rapporteront beaucoup plus après 2002 qu'avant.

Ainsi, les effets de la revue de programmes sont non seulement d'ajuster ce qu'on achète avec les crédits disponibles pendant la période 1999-2002, mais aussi de réduire l'effet dit de « bosse » qui consiste à renvoyer les objectifs de dépenses au-delà de la période de 2002 pour 20 autres milliards de francs.

Sur la base des propositions que nous avons ainsi établies, le Gouvernement, avec l'assentiment du Président de la République, a arrêté les orientations de notre politique d'équipement militaire, dont le budget 1999 est la première traduction concrète.

Ce budget représente bien la volonté politique de poursuivre la programmation de nos équipements de défense sur la base de 85 milliards de francs annuels - en francs constants 1998 -, ce qui correspond cette année à 86 miliards. Il rétablit une certaine continuité et une certaine visibilité de la politique d'équipement militaire, qui est insdispensable à tous les partenaires.

Dans cet état d'esprit, bien résumé par Gérard Charasse dans son intervention, toutes les grandes composantes de notre politique de défense aboutissent à des mesures d'économie qui ont été calculées de façon exacte.

Cela est vrai pour le nucléaire, avec la convergence, en 2008, du calendrier du dernier sous-marin de nouvelle génération et du missile M 51. M. Galy-Dejean a rappelé tout à l'heure que cela permettrait, pour des prestations comparables, de faire 6 milliards de francs d'économie.

Dans le domaine de la projection, les grands programmes sont maintenus, mais connaissent des aménagements.

L'entrée en service du Charles de Gaulle interviendra comme prévu à la fin de 1999. Ce bâtiment assumera alors l'ensemble des missions dévolues au groupe aéronaval. A cette date, le Foch sera retiré du service.

La disponibilité du groupe aéronaval n'est pas totale.

C'est une situation que nous connaissons déjà.

Je voudrais prendre l'exemple de la crise du Kosovo.

Le groupe aéronaval participera à d'éventuelles frappes militaires sur le Kosovo et sur le Sud de la Serbie au cas où les objectifs de la paix au Kosovo ne seraient pas atteints. En relation avec nos alliés, nous avons choisi de déployer une force aérienne à partir du groupe aéronaval, alors que les autres alliés le font à partir des forces aériennes stationnées en Italie pour pouvoir agir sur le territoire du Kosovo.

Si une crise comme celle-ci éclatait à un moment d'indisponibilité du porte-avions, nous aurions à nous situer, comme le font nos autres alliés - qui ne sont pourtant


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p as dépourvus de moyens de projection de force aérienne -, avec les moyens de ravitaillement correspondants, sur une base terrestre. Cela dit, nos amis britanniques prévoient de se doter d'un groupe aéronaval ayant le même type de spécifications que celles du Charles de Gaulle. On peut donc espérer dans un horizon éloigné - mais maintenant programmable - qu'il y aura une certaine complémentarité entre les éléments des groupes aéronavals européens. La capacité opérationnelle dont disposent les Européens aujourd'hui en serait augmentée.

Je reviens à la programmation.

Dans le but d'accroître notre capacité amphibie, la déclaration du Premier ministre à Saint-Mandrier, au mois d'avril, a bien prévu que les transports de chalands de débarquement d'un type nouveau seront réalisés au cours de la loi de programmation actuelle, selon des modalités permettant d'en réduire les coûts.

Les programmes majeurs de l'armée de terre sont, de leur côté, poursuivis, qu'il s'agisse du Leclerc, du futur véhicule blindé de combat d'infanterie ou des hélicoptères Tigre et NH-90, ce dernier intéressant également la marine. En revanche, la gamme des armes antichars sera réduite et simplifiée pour tenir compte des effets de redondance que nous avons pu constater dans notre trame antiblindés.

Le calendrier de réalisation des Rafale qui équiperont l'armée de l'air a été aménagé. Une évolution plus rapide que prévue du format de l'armée de l'air, par le retrait anticipé de deux escadrons de Jaguar, avions de toute façon en fin de vie, est par ailleurs décidée.

Le Gouvernement confirme en outre la nécessité de doter nos forces d'un avion de transport futur. J'ai bien entendu les interrogations de M. Bernard Charles et de M. Jean-Louis Bernard à ce sujet.

J'indique à M. Bernard que le Transall n'est en rien un avion dont les capacités seraient désormais en dessous des besoins opérationnels. On le verra, hélas, aujourd'hui et demain en Amérique centrale, au Nicaragua et au Honduras. A l'heure actuelle, le Transall est pratiquement le seul avion à pouvoir se rendre sur certains terrains compte tenu de ses performances en distance d'atterrissage et de décollage. Et je suis convaincu que nous pourrons mener des interventions particulièrement variées et exigeantes avec les Transall, dont certains ont été modernisés, au cours des prochaines années.

Cela dit, la France a en effet conclu un accord de spécification commune avec sept autres pays, qui représentent, disons, la force d'achat de toute l'Europe. Mais soyons clairs, ces huit pays se sont mis d'accord sur un objectif de mise en concurrence. Les parlementaires que vous êtes souhaitent, bien entendu, que la formule Airbus en sorte gagnante et j'ai la conviction que le groupement Airbus mobilisera tous ses efforts et toutes ses capacités pour présenter une proposition de haut niveau. Mais il faudra que les huit pays se mettent d'accord, et peut-être sera-t-il malaisé qu'ils le fassent sur un ensemble de critères aboutissant à ce que le choix d'Airbus s'impose. Il ne faut pas penser trop vite que les autres éléments du choix sont d'ores et déjà exclus. En tout cas, il y a, parmi les Etats acheteurs, d'autres partenaires, qui considèrent que les deux autres possibilités pour l'avion de transport futur sont également à explorer. Ils feront entendre leur voix.

Bien entendu, les évolutions économiques récentes en Russie et en Ukraine ne rendent pas plus facile ou plus vraisemblable la mise en concurrence à égalité de chances d'un avion sur base Antonov par rapport aux deux autres possibilités, européenne et américaine. Mais j'insiste sur le fait que l'accord sur les spécifications entre les huit pays européens suppose qu'ensuite on laisse jouer librement la concurrence.

Les programmes en coopération, structurants pour l'Europe de la défense, sont pour l'essentiel confirmés.

Compte tenu de la place importante qu'ils occupent désormais au sein du budget d'équipement, ils ne pouvaient pourtant pas rester à l'écart de l'effort économique.

Nous avons donc procédé à des ajustements limités. Nos partenaires en sont pleinement informés.

Il me paraît enfin utile de revenir sur les difficultés que présente la mise en place d'une coopération européenne d'espace militaire, bien décrite par Bernard Grasset dans sa présentation. Cela nous oblige en effet à retarder le lancement de certains projets. C'est le cas dans les télécommunications avec le programme successeur de Syracuse II. Le choix des Britanniques de ne pas participer à ce nouveau programme annoncé au mois d'août nous amène à le revoir très substantiellement avec nos partenaires allemands. Le partenariat bilatéral franco-allemand reste en effet solide.

C oncernant l'observation militaire, la France, qui devrait bientôt être rejointe par l'Espagne, a lancé de manière irréversible la réalisation de Helios 2, seule solution technologique acceptable pour prendre la relève de Helios 1 à partir de 2004. En revanche, le non-lancement de la coopération franco-allemande en matière d'observation, si elle n'arrête pas Helios 2, nous a poussés à arrêter le programme de satellite-radar Horus. Une expertise des nouvelles technologies et du potentiel technique, déjà financée auprès des industriels, nous permet d'envisager à terme des solutions plus économiques à base de petits satellites-radars. C'est dans ce cadre que nous voulons relancer les discussions avec nos partenaires européens, au premier rang desquels l'Italie, l'Allemagne et le RoyaumeUni, qui, à des degrés divers d'avancement, étudient aussi des projets de satellites-radars à usage civil ou militaire.

L'année 1999 nous permettra aussi de finaliser la nouvelle édition du plan spatial pluriannuel de défense, dont les travaux de mise à jour ont été lancés dès le lendemain de la revue de programmes. Cette nouvelle version prenant en compte l'impact des nouvelles technologies pour la conception des futurs systèmes servira également de base de travail pour les coopérations avec nos partenaires européens.

Pour conclure sur l'activité du secteur spatial, je soulignerai que je partage tout à fait l'avis des rapporteurs qui se sont exprimés sur les crédits consacrés aux recherches duales. La contribution du ministère de la défense au budget civil de recherche et développement n'a pas vocation à être un transfert pur et simple et ne trouve sa cohérence que si les programmes civils en question présentent un intérêt pour la défense. Je veux souligner que l'état d'esprit du ministre de la recherche, Claude Allègre, est bien que nous travaillions ensemble sur des programmes de recherche civile - l'essentiel porte en effet sur le spatial - ayant des retombées directes pour les recherches de défense.

Les études de recherche font partie des dépenses du ministère, puisqu'elles ont pour finalité la préparation des forces armées. La réduction, de l'ordre de 40 %, de ces crédits, survenue entre 1990 et 1998, rend indispensable une meilleure sélectivité de leur emploi. C'est pourquoi le critère principal qui caractérise l'effort de recherche est sa destination, c'est-à-dire la préparation des futurs programmes d'investissement.


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Pour autant, l'utilisation de ces crédits ne répond pas à d es critères simplistes comme la distinction entre recherche appliquée et recherche fondamentale, efforts de long terme et travaux de court terme. Le plan de simulation des armes nucléaires illustre, par exemple, les efforts de long terme consentis par le ministère de la défense dans des sciences fondamentales, dès lors que les objectifs sont parfaitement identifiés, finalisés sur des programmes futurs et orientés selon des critères coût-efficacité et non pas simplement vers la quête de la connaissance scientifique.

A l'inverse, la finalité des systèmes de défense oblige à maîtriser la réalisation de sous-ensembles développés avec des technologies civiles, mais organisés selon une architecture complexe. Dans de tels cas, si l'essentiel de la technologie se trouve sur étagère, c'est l'effort complémentaire de recherche et développement qui fera l'efficacité militaire finale du système, ce qui montre bien que l'analyse brute, l'analyse rudimentaire sur la simple base du montant des crédits de recherche ne peut pas rendre compte, dans un système où l'on évolue vers une plus grande efficacité, de l'effort réel d'impulsion de la recherche engagé par ces crédits.

Je souligne que notre effort de recherche et développement place encore la France dans le peloton de tête des nations occidentales. Je n'ai évidemment pas l'intention de le comparer à celui des Etats-Unis, car que sont nos 21 milliards de francs au regard du budget de recherche et développement du Pentagone, qui approche 250 milliards de francs et représente 55 % des crédits publics en faveur de la recherche ? Cet effort est sans commune mesure dans le monde occidental et fait partie des piliers de la politique à la fois militaire et scientifique des EtatsUnis.

Les comparaisons avec nos principaux partenaires européens me paraissent plus pertinentes. La France partage avec le Royaume-Uni la première place pour les crédits de recherche et développement dont le montant atteint, dans les deux pays, environ 21 milliards de francs. L'Allemagne, quant à elle, fournit un effort de quelque 10 milliards de francs, et les douze autres pays de l'Union de 10 milliards de francs à eux tous.

Les Etats-Unis consacrent 0,60 % de leur PIB à la recherche et au développement, la Grande-Bretagne et la France 0,25 %, l'Allemagne fédérale 0,10 %, tous les autres pays européens 0,03 %, c'est-à-dire huit fois moins que nous, vingt fois moins que les Etats-Unis.

A utrement dit, si les pays européens, dans leur ensemble, fournissaient le même effort, en matière de recherche de défense, que la France et la GrandeBretagne, nous serions collectivement à la moitié de l'effort des Etats-Unis, ce qui établit un certain rapport de forces, alors que sommes aujourd'hui au quart des

Etats-Unis. C'est, me semble-t-il, une vision dont il est important de convaincre nos partenaires et amis européens.

La poursuite de l'ensemble de ces actions dans les c onditions prévues doit s'accompagner de nouveaux moyens au sens le plus large. La construction d'une industrie européenne de défense, forte et compétitive, est une priorité du Gouvernement. Elle doit permettre à l'Europe de maîtriser les technologies clés et aux armées de bénéficier des meilleurs matériels au meilleur coût.

La cohérence politique de cette démarche a été définie dans la déclaration du 9 décembre 1997, signée conjointement avec les gouvernements britannique et allemand.

Sur ces sujets industriels, le Gouvernement donne la priorité à la stratégie technologique et industrielle et non aux considérations financières à court terme, a fortiori aux prises de position idéologiques. Il opère des regroupements rationnels d'actifs industriels et exclut toute idée de vente aux enchères d'entreprises publiques.

La problématique de cette stratégie a été bien posée par Guy-Michel Chauveau. Notre objectif fondamental est de construire des alliances d'envergure au niveau européen, pour équilibrer les fortes concentrations réalisées par l'industrie de défense américaine. Cet objectif se traduit par la constitution d'un pôle d'électronique professionnelle et de défense autour de Thomson-CSF, Alcatel et Dassault Electronique, et d'un pôle aéronautique et spatial autour d'Aérospatiale-Matra, qui coopérera avec Dassault, ces deux ensembles étant déjà bien engagés dans des accords européens significatifs.

Nous attachons une grande importance à la méthode selon laquelle les opérations de restructuration sont conduites. Cette méthode privilégie le dialogue authentique : aucun grand industriel ni aucun responsable syndical n'a été tenu à l'écart de la réflexion, ce qui fait qu'a ucune contestation de fond ne s'est exprimée à l'encontre de nos choix de la part des acteurs concernés. Cette concertation a eu lieu en profondeur, sans effet d'annonce. Cela nous permet, treize mois après la prise de fonction de ce gouvernement, d'estimer avoir conclu les deux dossiers majeurs de regroupement des forces françaises en matière d'industrie militaire de pointe. J'ajoute que ce travail a été largement servi par l'apport des réflexions de la commission de la défense, présentées il y a quelques mois, sur les potientialités de l'industrie française de défense en Europe.

Nous avons en même temps clarifié la position française vis-à-vis de nos interlocuteurs européens. La lettre d'intention que j'ai signée le 6 juillet dernier à Londres avec mes cinq collègues européens concrétise un important travail réalisé dans ce sens. Cette démarche substantielle des six Européens engagés dans l'industrie de défense est portée par un soutien politique constant. Des groupes de travail internationaux se réunissent très fréquemment pour préparer les accords de mise en oeuvre de la lettre d'intention. Ils seront indispensables pour permettre des synergies entre Etats acheteurs européens.

Celles-ci vont par ailleurs se développer grâce à la création maintenant conclue de l'OCCAR, qui conduira les programmes en coopération au nom des quatre principaux

Etats membres : l'Allemagne, la Grande-Bretagne, l'Italie et la France.

Enfin, dernier outil que je voudrais citer ce soir, les commandes pluriannuelles, qui ont beaucoup intéressé l'Assemblée l'année dernière, sont en effet un mode d'acquisition rénové, rendant plus efficace la dépense d'investissement en matériels de défense. Les commandes plu-r iannuelles permettent aux industriels d'avoir une visibilité de leur plan de charge et de profiter à plein des économies de l'effet de série. Cinq commandes pluriannuelles ont été passées par la défense en 1997 : le statoréacteur VESTA préfigurant les futurs missiles ASMPA et ANF, et l'acquisition de missiles MICA, Scalp et Apache antipiste, ainsi que les torpilles MU 90. Six autres commandes pluriannuelles ont déjà été passées depuis le début de 1998 : la modernisation des moyens de transmission des bases aériennes, ainsi que des garnisons terrestres, les dépanneurs, puis le char Leclerc, le développement du missile PAAMS pour la frégate Horizon, enfin, pour l'instant, deux années de développement du missile M

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L'extension de ce dispositif de commandes globales à des programmes majeurs, que j'avais annoncée à l'Assemblée, et je pense plus particulièrement au M 51 et au Leclerc, renforce l'assise et la pérennité de ces programmes, en garantissant aux industriels concernés, au premier chef Aérospatiale et GIAT, une cohérence dans la conduite de ces programmes qui, nous le savons tous, étaient indispensables. Nous allons poursuivre dans cette voie.

M. Patrice Martin-Lalande.

Très bien !

M. le ministre de la défense.

Anticipant la question qui pourrait m'être posée à ce sujet, je signale que la commande groupée d'avions Rafale fait actuellement l'objet de travaux approfondis entre mes services, le ministère de l'économie et des finances et les industriels concernés. Je suis confiant sur notre capacité à notifier cette commande début 1999.

M. Charles Cova.

Très bien !

M. le ministre de la défense.

J'évoquerai, avant de conclure, les mesures d'accompagnement de toutes ces réformes et de la modernisation de nos industries.

J'avais annoncé l'année dernière dans cette enceinte, M. Birsinger l'a rappelé, la redynamisation de la délégation interministérielle aux restructurations de défense et la mise à sa disposition de 500 millions de francs pour mener à bien la diversification des bassins d'emploi et la conversion des entreprises concernées. Un nouveau délégué ministériel, Pierre Pouessel, a été nommé au début de cette année. Il a effectué plus de trente déplacements pour mettre en place les comités de site, que j'avais également annoncés, associant les élus, les acteurs économiques et les organisations représentatives du personnel pour mûrir localement les projets de conversion économique et pour exprimer les besoins d'accompagnement.

Tous ceux, parmi vous, qui ont participé aux travaux de ces comités de site, ou s'en sont informés, savent que du bon travail y a été fait.

A ce jour, la consommation du Fonds de restructuration de la défense, qui avait été de 75 millions de francs seulement en 1997, s'élève à 175 millions de francs. Le nombre de créations d'emplois aidés dans les sites en conversion est passé de 670 l'année dernière à plus de 1 400 cette année.

Toujours en 1998, ont été engagés, pour l'accompagnement économique des restructurations de défense, 60 millions de francs du Fonds national d'aménagement et de développement du territoire - la demande de réelle interministérialité de cette action, souvent réitérée par les parlementaires, a donc bien été satisfaite -, 125 millions de francs du Fonds européen KONVER et 100 millions de francs de crédits FEDER et Fonds social européen objectif II. Au total donc, sur le droit de tirage de 500 millions de francs mis à la disposition des délégués interministériels, 460 millions de francs ont été engagés au moment où je parle.

Pour 1999, les crédits du FRED sont en légère augmentation et s'établissent à 202 millions de francs.

Sont également disponibles 250 millions de francs de crédits européens d'un programme plurirégional dédié à l'accompagnement des restructurations de défense. Par ailleurs, des droits de tirage sur le FNADT et le FEDER seront disponibles dans des proportions équivalentes à cette année.

Le délégué disposera donc en 1999 d'au moins 700 millions de francs pour son action et cette somme constitue un plancher, car je m'engage à redéployer les moyens nécessaires sur mon budget, s'il y avait des opérations encore plus nombreuses justifiant des injections de crédits de reconversion.

Au-delà de ce dispositif général, qui bénéficie à l'ensemble du territoire, le Gouvernement souhaite apporter une attention plus particulière aux bassins d'emploi les plus affectés, ceux dans lesquels existe traditionnellement une mono-industrie de défense. C'est particulièrement le cas des bassins dans lesquels sont implantés les établissements de la DCN et de GIAT Industries.

M. Patrice Martin-Lalande.

Oui !

M. le ministre de la défense.

Un premier comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire a eu lieu le 15 décembre 1997 et a pris des mesures en faveur de Brest, Cherbourg, Lorient, Saint-Etienne et Roanne.

Un comité interministériel aux restructurations de défense s'est tenu le 6 juillet dernier, avant l'annonce des restructurations militaires de deuxième phase, et a défini les grands axes de la politique gouvernementale en ce domaine : le renforcement des moyens dédiés à la conversion par le recours aux sociétés spécialisées comme

SOFRED et SODIE ; la prise en compte des effets de restructuration de défense dans la politique d'aménagement du territoire, notamment pour la préparation des contrats de plan Etat-région ; la réforme des fonds structurels européens dans laquelle cette question sera également une priorité ; enfin, le dispositif d'accompagnement social, auquel le Gouvernement a montré tout son attachement.

C'est dans ce cadre que, d'ici à la fin de l'année, se réunira un nouveau CIADT, qui s'attachera de nouveau à la situation des principaux bassins concernés par les restructurations, en particulier ceux de Bourges et de Tarbes.

M. Patrice Martin-Lalande.

Et Salbris ?

M. le ministre de la défense.

Dans le secteur des industries de défense, la diminution des effectifs engagée depuis le début de la décennie se ralentit. Alors que les suppressions d'emplois étaient chiffrées entre 10 000 et 12 000 depuis plusieurs années, cette diminution a été ramenée à 6 000 en 1997, et il est vraisemblable que le chiffre de 1998 sera de nouveau rassurant.

Encore faut-il noter que les diminutions qui touchent GIAT, la DCN et en général la DGA s'effectuent sans aucun licenciement. Vous savez que la direction du groupe GIAT Industries, après avoir cédé sa filiale Herstal en début d'année et réalisé ainsi une opération allégeant ses charges, a proposé au Gouvernement l'adoption d'un plan stratégique, économique et social prévoyant de nouvelles mesures d'adaptation. Ce plan vient d'être adopté par le troisième comité central d'entreprise, le 22 octobre dernier, après une négociation sociale réelle et sincère. Il entrera en application dès le début de l'année prochaine.

Ce plan est dur pour les bassins d'emploi concernés. Il prévoit plusieurs fermetures de site et des diminutions d'effectifs importantes, plus du tiers de ceux existant actuellement. Ce plan n'a de sens, et le Gouvernement n'y a donné son aval, que parce que, parallèlement à un plan social, il comprend des réorganisations industrielles fortes.

La concentration des activités et la réorganisation de la production étaient devenues indispensables pour cette entreprise sur le marché où elle opère. L'absence de réorganisation obérait la capacité du groupe à nouer des stra-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 6 NOVEMBRE 1998

tégies d'alliance avec nos partenaires, alors que la qualité technique de GIAT a déjà conduit à des rapprochements et à des négociations avec d'autres professionnels de l'armement terrestre européen. Ce plan était indispensable. Il sera mis en oeuvre en préservant la situation du personnel. Je précise à M. Outin, qui m'a interrogé sur ce point, que l'objectif d'éviter tout licenciement sera scrupuleusement respecté.

M. Patrice Martin-Lalande.

Très bien !

M. le ministre de la défense.

Son hésitation sur ce point est probablement due au décalage entre la fermeture de certains ateliers de Saint-Etienne et la mise en place de l'atelier graphique de l'armée de terre. Une période de latence est en effet nécessaire pour permettre aux personnels volontaires de suivre une formation, laquelle s'étale sur plusieurs mois. J'ai eu l'occasion de visiter, en compagnie de certains de vos collègues, un atelier graphique de la gendarmerie qui avait été transplanté dans les mêmes conditions à Limoges. Il commençait son activité lorsque je m'y suis rendu. Je peux vous dire que les personnels qui y travaillaient étaient devenus de véritables p rofessionnels alors que leurs spécialités antérieures étaient tout autres. Ainsi, la discontinuité qu'il a cru percevoir s'explique par le temps de formation attribué aux personnels concernés.

Quant à la DCN, elle travaille sur le projet de plan d'entreprise que je lui ai demandé et qui sera conclu dans les tout prochains mois. Ce plan donnera une vision d'ensemble aux différents acteurs. Jean-Yves Le Drian en a fort justement souligné la nécessité. Le plan vise à la fois les personnels, l'encadrement et les partenaires industriels, qui s'intéressent de plus en plus à l'évolution de la DCN, pour que la modernisation de celle-ci, dont chacun reconnaît la nécessité, s'inscrive dans une stratégie claire.

J'ai indiqué que l'intention du Gouvernement n'est pas de changer le statut de la DCN ni celui de son personnel. Mais ce statut comporte des capacités d'adaptation qui doivent être utilisées pleinement pour favoriser l'évolution de la DCN et la mettre en situation d'affronter la concurrence et de nouer des partenariats stratégiques avec les grands industriels du secteur. La mission Moynot permet, par un effort de dialogue renforcé avec tous les personnels, de faire passer l'information et de rendre lisible cette perspective indispensable. Chacun sait en effet que les besoins de la marine nationale, qu'il s'agisse de constructions neuves ou d'entretien, ne peuvent constituer à terme un plan de charges que de la moitié environ des capacités industrielles existantes.

Seule une véritable compétitivité, permettant à la DCN d'être dans la course pour les contrats à l'exportation et pour la poursuite, dans des conditions économiques acceptables, de la diversification voulue par le Gouvernement, permettra le maintien d'un outil industriel supérieur aux stricts besoins de la marine.

Il n'est pas dans mes intentions que le plan d'entreprise soit annoncé comme un ensemble détaillé et intangible de décisions imposées par Paris. Au contraire. Articulé autour d'objectifs fondamentaux à moyen terme, qui donneront aux évolutions actuelles leur cohérence, ce plan sera soumis à l'encadrement de la DCN et à ses salariés. Il sera nourri de discussions internes sur les conditions de sa mise en oeuvre. Il sera un guide pour l'action qui, comme dans toutes les entreprises modernes, sera régulièrement révisée en fonction des évolutions du marché et de la situation des établissements.

Mon ministère a engagé depuis seize mois bien d'autres réformes, que je ne mentionnerai pas pour ne pas allonger trop mon propos. Peut-être certaines serontelles évoquées lors des questions. Mais je tiens à vous dire que ce qui me tient le plus à coeur est la clarification de la gestion financière de mon ministère, l'amélioration du classement comptable de ses opérations et la conduite rigoureuse des programmes. Des progrès importants ont été réalisés, plusieurs orateurs l'ont relevé, mais il en re ste encore à faire. En tout cas, le contrôle du Parlement et la possibilité de situer les opérations dans la durée - ce sera vrai aussi pour les Opex, sur lesquelles je viendrai donner des explications au Parlement lors du collectif - nous permettront de faire du bon travail et faciliteront le dialogue sur les engagements financiers de la défense puisque nous en aurons une vision plus claire.

Je voudrais, avant de conclure, mentionner ce qui va être fait par le Gouvernement, avec les moyens des armées, en Amérique latine, où la situation est dramatique.

Des démineurs seront envoyés au Nicaragua, où 75 000 mines ont été découvertes après le passage du cyclone.

M. François Rochebloine.

Oui, des mines anti- personnel !

M. le ministre de la défense.

Un Transall sera stationné à Managua pour distribuer l'aide d'urgence dans l'ensemble de la zone. Vous savez que la plupart des zones sinistrées sont difficiles d'accès. J'ai décidé aujourd'hui de dérouter vers l'Amérique latine le portehélicoptères Jeanne d'Arc, qui venait de partir avec les midships pour Baltimore (Applaudissements sur tous les bancs) afin de mettre à disposition ses hélicoptères et ses médecins stagiaires pour faire face aux graves problèmes de santé qui se posent dans ces pays. Le Président de la République, lorsqu'il se rendra dans cette zone la semaine prochaine, pourra féliciter directement les médecins qui seront au travail là-bas. Nous acheminerons un deuxième Transall dans les quarante-huit heures. Nous envoyons également un élément de la bioforce pour lutter contre les épidémies, et nous verrons avec les autorités des deux pays les plus touchés ce que peut faire le génie pour déblayer les zones les plus sinistrées, pour faciliter l'acheminement des secours et permettre peut-être le retour des habitants sur leurs lieux de résidence.

Mesdames, messieurs les députés, la France a aujourd'hui la chance de vivre en paix et nos concitoyens sont bien plus intéressés par la violence urbaine et le chômage.

Pourtant, il est de notre devoir de profiter de ce moment pour réformer l'outil de défense de la France et l'adapter aux exigences des temps futurs, dont personne ne sait s'ils seront aussi paisibles que nous le souhaitons.

La politique de défense - je vous en donne l'assurance et vous avez pu le constater en étudiant les rapports - y est élaborée dans de bonnes conditions, en relation permanente avec l'ensemble des autorités, à commencer par le chef de l'Etat et le Parlement. Elle s'inscrit dans la longue durée et la cohérence.

Le mouvement de réforme engagé est vaste et profond.

Il prend en compte nos intérêts nationaux à long terme et suit les grandes lignes de la politique du Gouvern ement énoncée par le Premier ministre : emploi, Europe, sécurité, préparation de l'avenir. Il aboutira, parce qu'il est fondé, à chacune de ses étapes, sur le dialogue, la transparence et la rigueur. Ce mouvement ira


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à son terme, parce qu'il est réaliste et correspond à une volonté collective, que le Gouvernement, vous demande ce soir, de soutenir par votre vote.

Tout en m'en remettant avec confiance au jugement responsable que vous porterez sur ce projet de loi de finances, je vous remercie de la tenue et de l'ambition de c e qui, en surplomb de la discussion proprement budgétaire, a été un véritable débat général sur la po litique de défense et de sécurité de notre pays. Vous pouvez être collectivement satisfaits de sa qualité. Même si nous ne sommes pas d'accord sur toutes ses conclusions, il mérite le respect de la communauté de défense qui, vous le savez, s'y intéresse de près.

Quoi qu'il en soit, mesdames, messieurs les députés, permettez à l'un de vos anciens collègues, qui reste profondément attaché à cette institution, pilier de notre République, de vous dire que, loin des épisodes superficiels parfois exploités pour abaisser son image devant nos concitoyens, le travail scrupuleux et la vision d'avenir que vous avez su montrer ensemble dans cette longue séance représentent la réalité d'un Parlement à la hauteur de ses responsabilités dans un domaine majeur de l'intérêt national. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt-deux heures quinze, troisième séance publique : Suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 1999, no 1078 ; M. Didier Migaud, rapporteur général, au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (rapport no 1111). Défense ; articles 47 et 48 (suite) : M. Jean-Michel Boucheron, rapporteur spécial au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (annexe no 40 au rapport no 1111) ; M. Jean-Bernard Raimond, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (avis no 1113, tome VI). Dissuasion nucléaire : M. René Galy-Dejean, rapporteur pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées (avis no 1114, tome II). Espace, communications et renseignement : M. Bernard Grasset, rapporteur pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées (avis no 1114, tome III). Forces terrestres : M. Jean-Claude Sandrier, rapporteur pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées (avis no 1114, tome IV). Marine : M. Jean-Yves Le Drian, rapporteur pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées (avis no 1114, tome V). Air : M. Yann Galut, rapporteur pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées (avis no 1114, tome VI). -

Titre III et personnels de la défense : M. François Huwart, rapporteur pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées (avis no 1114, tome VII). Crédits d'équipement : M. Jean Michel, rapporteur pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées (avis no 1114, tome VIII). Services communs : M. Michel Meylan, rapporteur pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées (avis no 1114, tome IX). Gendarmerie : M. Georges Lemoine, rapporteur pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées (avis no 1114, tome X).

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinquante.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT