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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 1998

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS D'AUBERT

1. Loi de finances pour 1999 (deuxième partie). - Suite de la discussion d'un projet de loi (p. 8839).

BUDGETS ANNEXES DE LA LÉGION D'HONNEUR ET DE L'ORDRE DE LA LIBÉRATION

M. le président.

M. Christian Cabal, rapporteur spécial de la commission des finances.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

BUDGET ANNEXE DE LA LÉGION D'HONNEUR (p. 8841)

Adoption des crédits ouverts aux articles 49 et 50.

BUDGET ANNEXE DE L'ORDRE DE LA LIBÉRATION (p. 8841)

Adoption des crédits ouverts aux articles 49 et 50.

Suspension et reprise de la séance (p. 8841)

JUSTICE M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial de la commission des finances.

Mme Nicole Feidt, suppléant M. Jacques Floch, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour l'administration centrale et les services judiciaires.

M. André Gerin, rapporteur pour avis de la commission des lois, pour les services pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse.

MM. Jean Pontier, Georges Hage, Philippe Houillon, Jean-Louis Borloo, Jean-Luc Warsmann, Mme Nicole Feidt,

MM. Jean-Pierre Michel, André Vallini.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Réponses de Mme la garde des sceaux aux questions de : MM. Emile Blessig, Christian Kert, Jean-Luc Warsmann, René Rouquet, Jean-Pierre Balduyck, Marcel Dehoux.

Etat B

Titres III et IV. - Adoption (p. 8863)

Etat C

Titres V et VI. - Adoption (p. 8863)

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

2. Ordre du jour des prochaines séances (p. 8863).


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COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS D'AUBERT,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1 LOI DE FINANCES POUR 1999 (DEUXIÈME PARTIE) Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 1999 (nos 1078, 1111).

BUDGETS ANNEXES DE LA LÉGION D'HONNEUR ET DE L'ORDRE DE LA LIBÉRATION

M. le président.

Nous abordons l'examen des crédits des budgets annexes de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Libération.

Je suis heureux, au nom de l'Assemblée, de saluer la présence aux côtés de Mme la garde des sceaux, du général Douin, grand chancelier de l'ordre de la Légion d'honneur, et du général Simon, chancelier de l'ordre de la Libération.

La parole est à M. le rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Christian Cabal, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, ministre de la justice, monsieur le grand chancelier de l'ordre de la Légion d'honneur, monsieur le chancelier de l'ordre de la Libération, mes chers collègues, les deux projets de budgets annexes qui nous sont soumis aujourd'hui comportent des dotations en augmentation pour 1999.

Les crédits de l'ordre national de la Légion d'honneur passeront en effet de 110 millions de francs en 1998 à 113 millions de francs en 1999, soit une hausse de près de 3 %. Cette progression s'explique par l'application de l'accord salarial conclu dans la fonction publique et par l'augmentation des crédits de paiement destinés aux opérations en capital.

Les dotations en capital prévues pour 1999 permettront d'abord d'assurer l'entretien de la grande chancellerie. Il convient ici de signaler tout particulièrement la restauration des couvertures du palais de Salm : évaluée à plus de 5,6 millions de francs, cette opération se poursuivra en 1998 et 1999. Dans la perspective du bicentenaire de l'ordre, il faut désormais envisager la rénovation du Musée national de la Légion d'honneur, dont le coût est estimé à près de 17 millions de francs.

Dans les maisons d'éducation, les travaux concernant les dortoirs de Saint-Denis sont désormais achevés : l'opération engagée pour les « multicolores » a été soldée cette année, tandis que la dernière tranche du réaménagement des « blanches » sera payée en 1999.

Toutefois, la réfection du cloître, également à SaintDenis, d'un montant estimé à 33 millions de francs, devra être considérée dans un avenir proche. La loi de finances rectificatives pour 1997 avait déjà prévu 2 millions de francs au titre des études préalables et il semble que celle pour 1998 comportera également des ouvertures de crédits pour ces travaux.

A cet égard, je souhaite appeler votre attention sur les inconvénients résultant de cette tendance à inscrire les crédits en loi de finances rectificative plutôt qu'en loi de finances initiale. En effet, la modicité des crédits inscrits en loi de finances initiale a d'abord pour conséquence que la grande chancellerie aurait des difficultés certaines si elle devait faire face à des dépenses urgentes et imprévues en cours d'exercice. Mais l'inscription au coup par coup en loi de finances rectificative des crédits d'investissement de la grande chancellerie et des maisons d'éducation a surtout pour inconvénient d'empêcher toute programmation linéaire des opérations en capital, alors même que sur une longue période on constate que le montant annuel des dépenses effectives est d'une grande régularité, de l'ordre de 16 à 17 millions de francs. Enfin, elle fait dépendre les crédits disponibles pour un exercice donné des aléas inhérents à toute loi de finances rectificative, le risque consistant en ce qu'un collectif de fin d'année qui serait conditionné par une situation économique défavorable pourrait avoir pour effet de restreindre, voire de supprimer, les ouvertures de crédits initialement escomptées.

Il me paraîtrait donc souhaitable que, dans l'avenir, l'essentiel des dotations en capital puissent être inscrites avec régularité en loi de finances initiale, et non plus en loi de finances rectificative. Il y va de la préservation de la valeur du patrimoine de la Légion d'honneur, lequel, comme vous le savez, comprend des monuments historiques, tant à Paris qu'à Saint-Denis, et présente par excellence un caractère national.

S'agissant des crédits de fonctionnement, leur hausse de 2 % traduit celle des dépenses de la grande chancellerie et des maisons d'éducation. En revanche, les secours et allocations alloués par les ordres nationaux ainsi que les traitements des membres de la Légion d'honneur et des médaillés militaires restent stables en 1999.

Corrélativement à la croissance des dépenses, les ressources de l'ordre progressent globalement de 2,8 % : 2,86 % pour la subvention inscrite au budget de la justice et 2,24 % pour les recettes propres. Après une augmentation de 10 % en 1998, les droits de chancellerie resteront stables en 1999. En revanche, les prix des pensions et trousseaux progresseront de 3,1 %.


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Les crédits de l'ordre de la Libération connaissent une progression spectaculaire de 21,9 %. En réalité, aucune opération en capital n'ayant été réalisée en 1998, cette évolution s'explique simplement par la mise en route d'une première tranche de travaux de réfection de l'installation électrique de la chancellerie. Le coût de l'ensemble des travaux, étalé sur les trois exercices - 1999, 2000 et 2001 -, sera de 2,5 millions de francs, avec un premier montant de 850 000 francs de crédits de paiement inscrit en 1999.

En revanche, les dépenses de fonctionnement ne s'accroîtront que de 1,2 %. Globalement, la subvention du budget de la justice, qui couvre l'intégralité du financement du budget annexe de l'ordre de la Libération, atteindra donc 5 millions de francs en 1999, contre 4,2 millions en 1998.

Je m'en tiendrai là pour la présentation des crédits budgétaires, me permettant de vous renvoyer à mon rapport écrit pour une analyse plus détaillée, car je souhaite maintenant faire le point sur l'évolution récente de chacun des deux ordres.

Outre la gestion et la conservation de son patrimoine immobilier, l'ordre de la Légion d'honneur exerce deux fonctions essentielles : la gestion des nominations et promotions, ainsi que la responsabilité des maisons d'éducation.

La première mission confiée à l'ordre est de mettre en oeuvre, dans le cadre du code de la Légion d'honneur et de la médaille militaire, les orientations définies par le grand maître. Ces orientations prennent traditionnellement la forme de décrets qui fixent, pour une période de trois ans, les différents contingents de médaillés. Ainsi les décrets du 4 décembre 1996 ont-ils sensiblement accru les contingents dans l'ordre de la Légion d'honneur.

Bien loin de présenter un quelconque caractère inflationniste et démagogique, l'augmentation de 50 % des contingents de croix de chevalier, tant à titre civil qu'à titre militaire, vise à remédier à une évolution au terme de laquelle l'effectif des membres de l'ordre aurait chuté à 50 000 personnes, alors même que l'article R.

7 du code la Légion d'honneur et de la médaille militaire ne limite cet effectif qu'à 125 000, compte non tenu des nominations et promotions hors contingents. Il faut également avoir à l'esprit que la consultation du répertoire de l'INSEE avait permis de constater que l'ordre ne comptait alors que de 115 000 membres.

Le Président de la République a souhaité, par ailleurs, définir des orientations précises afin que soit mieux assuré le caractère universel des ordres. Dès lors, les ministres ont pour instruction de veiller à un meilleur équilibre social, professionnel et géographique entre les promotions, mais également à une meilleure représentation des femmes au sein des ordres. Il leur appartient donc, en liaison avec les préfets et l'ensemble des services extérieurs de l'Etat, d'améliorer les modalités de recherche des candidats.

Les effets de ces nouvelles orientations se sont confirmés en 1998. L'augmentation régulière du nombre de femmes dans les promotions civiles de la Légion d'honneur et de l'ordre national du Mérite caractérise bien c ette évolution souhaitée par le Président de la République : ainsi la proportion de femmes dans l'ordre de la Légion d'honneur est-elle passée de 11,4 % à 20 % entre 1995 et 1998.

L'ordre de la Légion d'honneur remplit une seconde mission, à laquelle je suis certain que nous sommes tous ici attachés : l'éducation des filles et des petites-filles des membres français de l'ordre qui lui sont confiées.

Les maisons d'éducation de Saint-Denis et des Loges accueillent chaque année près de 1 000 jeunes filles dans des classes qui vont désormais de la sixième à la khâgne, en passant par les deux années de BTS de commerce international. La haute qualité de l'enseignement qui y est dispensé s'est maintenue l'année dernière, comme en témoignent les taux de réussite remarquables aux différents examens : 93,50 % au brevet des collèges, 96,30 % au baccalauréat et 94 % au BTS.

Je conclurai en évoquant l'évolution de l'ordre de la Libération. Je rappelle que le précédent garde des sceaux avait déposé un projet de loi tendant à créer un Conseil national des communes « compagnon de la Libération ».

Je me réjouis donc que le Gouvernement ait déposé un texte identique au mois de juin 1997, car le dispositif proposé me paraît à même d'assurer la pérennité de l'ordre de la Libération. Peut-être serez-vous à même de nous indiquer, madame la ministre, si ce texte sera prochainement inscrit à l'ordre du jour des travaux de notre assemblée.

La commission des finances, sur ma proposition et conformément à la tradition, a adopté à l'unanimité les crédits des budgets annexes de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Libération et je vous demande, mes chers collègues, d'en faire de même.

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, le budget annexe de la Légion d'honneur atteindra en 1999, en recettes et en dépenses, 113,24 millions de francs, soit une augmentation de 2,82 % par rapport à la dotation de l'exercice précédent. La subvention budgétaire s'élèvera à 105,48 millions de francs en 1999 contre 102,54 millions de francs en 1998, soit une augmentation de 2,867 %. Les recettes propres de la Légion d'honneur, d'un montant de 7,76 millions de francs, représentent 6,85 % de l'ensemble des ressources du budget annexe. Les dotations de fonctionnement seront en augmentation de 2,01 % par rapport à 1998. Dans le projet de budget pour 1999, 8,15 millions de francs permettront de régler les traitements des membres du premier ordre national et des médaillés militaires.

Je voudrais rappeler devant l'Assemblée nationale que sont intervenues, en 1997, près de 15 000 promotions, nominations et concessions. Si le nombre de grades de l'ordre national du Mérite et de médailles militaires conférés est désormais stable, je rappelle que les contingents annuels de croix de la Légion d'honneur ont été majorés de 50 % le 1er janvier 1997 tant pour les ministères civils que pour la défense. Cette augmentation est destinée à permettre de maintenir les effectifs de l'ordre à leur niveau actuel et d'engager un rajeunissement des personnes décorées.

Ces mesures résultent de la meilleure connaissance de la population des décorés qu'offre maintenant l'informatique. Des données précises sont désormais obtenues sur les effectifs, les âges moyens, la répartition géographique, par sexe et catégories socioprofessionnelles tant pour la Légion d'honneur que pour l'ordre national du Mérite.


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Les dépenses en capital prévues en 1999 représentent 4,93 millions de francs en autorisations de programme et 6,93 millions de francs en crédits de paiement, soit une augmentation de 17 % par rapport aux crédits de 1998.

En 1999, la dotation des crédits de paiement permettra d'achever la deuxième phase de rénovation de la Maison de Saint-Denis. Dans ses maisons d'éducation, la grande chancellerie de la Légion d'honneur a pour mission d'assurer l'éducation de près de 1 000 élèves, filles et petitesfilles des membres français de l'ordre. Les résultats obtenus aux examens, à la fin de l'année scolaire 1997-1998, par les élèves des maisons d'éducation ont été excellents : 96,52 % ont réussi aux épreuves du baccalauréat alors que la moyenne nationale est de 78,80 %. Le projet de budget annexe de la Légion d'honneur présenté au Parlement doit permettre à l'ordre d'assumer les missions qui sont les siennes depuis sa fondation, de les adapter à l'évolution de notre société et de préparer le bicentenaire de la Légion d'honneur, qui sera célébré en mai 2002.

BUDGET ANNEXE DE LA LÉGION D'HONNEUR

M. le président.

J'appelle les crédits du budget annexe de la Légion d'honneur.

Je mets aux voix les crédits ouverts à l'article 49 au titre des services votés, au chiffre de 107 328 843 francs.

(Ces crédits sont adoptés.)

M. le président.

Je mets aux voix les autorisations de programme inscrites au paragraphe I de l'article 50, au t itre des mesures nouvelles, au chiffre de 4 930 000 francs.

(Ces autorisations de programme sont adoptées.)

M. le président.

Je mets aux voix les crédits inscrits au paragraphe II de l'article 50, au titre des mesures nouvelles, au chiffre de 5 913 892 francs.

(Ces crédits sont adoptés.)

BUDGET ANNEXE DE L'ORDRE DE LA LIBÉRATION

M. le président.

J'appelle les crédits du budget annexe de l'ordre de la Libération.

Je mets aux voix les crédits ouverts à l'article 49, au titre des services votés, au chiffre de 4 147 498 francs.

(Ces crédits sont adoptés.)

M. le président.

Je mets aux voix les autorisations de programme inscrites au paragraphe I de l'article 50, au titre des mesures nouvelles, au chiffre de 850 000 francs.

(Ces autorisations de programme sont adoptées.)

M. le président.

Je mets aux voix les crédits inscrits au paragraphe II de l'article 50, au titre des mesures nouvelles, au chiffre de 866 533 francs.

(Ces crédits sont adoptés.)

M. le président.

Nous avons terminé l'examen des crédits des budgets annexes de la Légion d'honneur et de l'ordre de la Libération.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à neuf heures quinze, est reprise à neuf heures vingt.)

M. le président.

La séance est reprise.

JUSTICE

M. le président.

Nous abordons l'examen des crédits du ministère de la justice.

La parole est à M. le rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, le budget de la justice que je rapporte au nom de la commission des finances est tout à fait convenable puisqu'il augmente, cette année encore, de 5,29 %, soit de 1,4 milliard de francs, pour atteindre 26,2 milliards de francs.

Depuis 1988, le budget de la justice aura progressé de 77 %. C'est encore un parent pauvre dans le budget de la nation. Mais progressivement, d'année en année, la situation s'améliore et se rééquilibre.

Les comparaisons sont difficiles et discutables, mais il faut savoir que la France dépense pour sa justice 439 francs par an et par habitant, alors que les Etats-Unis y consacrent 2 676 francs par an et par habitant.

Je ne me focaliserai pas sur les montants financiers de ce budget. J'ai trouvé en effet plus important d'examiner un autre aspect de l'administration de la justice : sa productivité. En réalité, la justice a moins besoin d'argent que d'une amélioration considérable de ses méthodes de gestion et d'un meilleur emploi des financements qui lui sont consacrés.

Cette productivité peut se mesurer à quelques indicateurs. Je retiendrai, parmi les plus significatifs, le nombre des affaires terminées. Il permet de bien apprécier le nombre d'affaires que les juridictions « éclusent » chaque année, par rapport au stock et par rapport aux affaires nouvelles qui leur sont soumises.

On comprend aisément qu'un nombre plus important de magistrats et une amélioration des moyens - notamment l'extension des moyens informatiques - devraient se traduire par davantage d'affaires achevées dans l'année.

Or malheureusement, dans ce domaine, les choses ne sont pas brillantes.

En matière civile, le nombre d'affaires terminées a baissé de 1,6 % à la Cour de cassation ; il a connu une légère augmentation, de 0,8 %, au sein des cours d'appel, la durée moyenne des affaires traitées ayant augmenté d'un demi-mois pour atteindre 16,3 mois ; il a baissé de 2,8 % au sein des tribunaux de grande instance, la durée moyenne des affaires traitées étant passée à 9,1 mois ; il a baissé de 2,3 % au sein des tribunaux d'instance, la durée moyenne des affaires fiscales y étant stable de cinq mois.

On le constate, la situation ne s'améliore pas au fil des années, quels que soient les gouvernements en place. Il n'y a donc pas de véritable progrès dans le domaine de la productivité judiciaire.

Or, ce dont se plaignent d'abord les Français, c'est de la durée des procédures. La justice est d'ailleurs l'administration la plus décriée. Tous les sondages indiquent des pourcentages inquiétants - plus de 70 % d'opinions négatives ! C'est donc sur la durée des procédures qu'il faut faire un effort. Bien sûr, une certaine lenteur est inévitable. L'exercice des droits de la défense, les nécessités d'instruire les dossiers rendent les délais incompressibles.

Mais, au-delà, l'administration de la justice est responsable de longueurs. Des améliorations s'imposent. Malheureusement, nous les attendons.


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Je m'attacherai maintenant à quelques aspects du problème. Peut-être, madame la garde des sceaux, nous apporterez-vous des explications complémentaires.

Tout d'abord, l'indispensable réorganisation de la Chancellerie. Cette année encore, une amélioration est à noter. Certes, beaucoup de choses restent à accomplir en ce qui concerne les directions. Sans doute cette réorganisation est-elle difficile à réaliser. Je reconnais volontiers que vous avez progressé cette année. Il n'en reste pas moins que le chantier avance à petite vitesse.

Autre point sur lequel je voudrais appeler votre attention : le niveau des statistiques. Si l'on veut améliorer la productivité de la justice, il faut disposer d'un instrument d'analyse convenable. Or, très franchement, l'appareil statistique du ministère de la justice est très en retard par rapport à ceux d'autres administrations. Les statistiques sont souvent peu fiables, très tardives. Aujourd'hui, les statistiques de 1996 ont été publiées mais celles de 1997 ne sont pas encore disponibles. Dans ce domaine, un effort important doit être réalisé, ne serait-ce que pour mieux comprendre les lourdeurs dont nous souffrons.

Les circuits financiers constituent également l'un des aspects de la lourdeur de l'appareil administratif. Le préfet est ordonnateur secondaire des dépenses en ce qui concerne les juridictions. Même si les préfets sont d'une totale correction à l'égard de l'appareil judiciaire, cela pose un vrai problème au regard de la séparation des pouvoirs. Bien que ce ne soit pas le cas - et cela ne l'a jamais été -, le préfet pourrait utiliser ce moyen à l'encontre des juridictions. Tôt ou tard une réforme devra être mise en oeuvre afin de leur conférer davantage d'autonomie et sans doute plus de facilités dans l'organisation même de leurs achats courants.

L'informatisation est vécue comme un « long calvaire » par l'administration de la justice. Nous avons déjà dû abandonner, après un échec, un premier plan qui a coûté environ 300 millions de francs. Mais vous n'y êtes pour rien, madame la ministre, cet échec ayant eu lieu bien avant votre arrivée. C'est que la culture informatique a bien du mal à gagner les milieux judiciaires ! L'informatisation pénale est encore très fragmentaire.

Je ne disconviens pas que des progrès ont été faits. Mais elle a encore besoin de se développer. Sa faiblesse est une des causes de la lourdeur et de la lenteur de la justice.

L'informatisation civile est, pour sa part, en retard.

L'effort réalisé demeure très largement insuffisant.

La carte judiciaire, maintenant. Madame la garde des sceaux, vous avez mis en place une mission pour vous focaliser sur les tribunaux de commerce. Pourquoi pas ? Mais je constate que, de gouvernement en gouvernement, on a le génie de créer des missions, de lancer des études et, finalement, de retarder indéfiniment la réorganisation d'une carte judiciaire totalement obsolète et souvent incompatible avec le découpage administratif de notre pays, en tout cas sans aucune corrélation avec les régions.

Imaginez que le tribunal de Sens est rattaché à la Cour d'appel de Paris, alors qu'il devrait trouver sa place en Bourgogne, à Dijon par exemple. Certes, c'est un détail.

Mais il n'en reste pas moins que la carte judiciaire est, dans son ensemble, totalement incohérente. Or les gouvernements successifs ont tous peur de s'attaquer à ce problème et trouvent en général de bonnes raisons pour en retarder la réforme.

Vous avez manifesté à plusieurs reprises, et dès votre arrivée, des intentions courageuses dans ce domaine. Mais vous êtes là depuis bientôt dix-huit mois et, hormis la création d'une mission nouvelle dont le travail semble, certes, utile, on n'a pas beaucoup progressé sur le terrain.

Il me semble que c'est la méthode qui est en cause. La plupart des gouvernements, et vous n'échappez pas à cette tendance, veulent procéder globalement. Mais on aboutit ainsi à coaguler tous les conservatismes, et il y en a de nombreux : les élus locaux sont les premiers à ne pas vouloir qu'on touche à leur juridiction ; les avocats trouvent bien confortable d'avoir un petit barreau dans lequel tout le monde sera bâtonnier ; les magistrats, sont bien contents d'être dans une petite juridiction bien sympathique. Tout cela, mis bout à bout, rend les réformes très difficiles.

La tâche est tellement vaste qu'on pourrait agir par petites touches et commencer déjà à supprimer quelques juridictions inutiles. En tout cas, je suis sceptique sur l'emploi de la méthode globale.

Enfin, toujours dans le cadre des nécessaires améliorations de productivité, je voudrais parler des locaux. Augmenter le nombre des magistrats est indispensable, mais leur donner les moyens de travailler l'est également.

Même si la loi de programme a permis la rénovation et la reconstruction d'un certain nombre de palais de justice de province, trop souvent, le retard s'accumule.

Prenez l'exemple de Paris, la première juridiction de France et de très loin, et celle où il y a le plus grand nombre d'affaires à traiter. Or c'est à Paris - et peut-être à Aix-en-Provence - qu'on travaille dans les plus mauvaises conditions : les deux tiers des magistrats du siège au tribunal de grande instance n'ont pas de bureau ! On peut toujours augmenter leur nombre, ils restent à la maison. Bien sûr, ils y travaillent, mais dans de moins bonnes conditions et avec une bien moindre productivité que s'ils avaient un bureau au palais de justice.

A la demande des magistrats qui se sont souvent manifestés avec vigueur à ce propos, vous avez créé le fameux pôle financier qui va s'installer rue des Italiens. Celui-ci représente indubitablement un progrès en matière de traitement des affaires financières même s'il pose quelques petits problèmes techniques, en raison de la coupure qui en résulte avec l'audience et avec l'autre partie du tribunal, qui ne traite pas des affaires financières. Le parquet financier est lui-même coupé en deux. Même s'il l'est de manière assez intelligente, il risque d'en souffrir.

En réalité, ce pôle financier est une demi-mesure. Ce dont Paris a besoin, c'est de la construction d'un nouveau tribunal. Il avait été envisagé de le faire dans la ZAC du

XIIIe arrondissement, puis l'idée en a été abandonnée. Je pense que le pôle financier n'est qu'une mesure intermédiaire entre la situation actuelle, assez catastrophique sur le plan des locaux, et la vraie réorganisation qui consistera à créer un nouveau tribunal de grande instance à Paris. Celui-ci permettra de redéployer totalement les locaux entre la Cour de cassation, la Cour d'appel et un nouveau tribunal de grande instance, avec une bien meilleure synergie de fonctionnement entre le parquet et le siège.

Je sais que cela coûterait cher - de 2 à 3 milliards de francs selon les estimations -, mais c'est seulement ainsi que nous pourrons améliorer les choses.

En résumé, le Gouvernement a fait un effort financier indiscutable, comme l'année dernière. Mais l'essentiel me paraît aujourd'hui de se focaliser sur une réorganisation administrative qui n'a que trop tardé.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 1998

M. le président.

La parole est à Mme Nicole Feidt, suppléant M. Jacques Floch, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour l'administration centrale et les services judiciaires.

Mme Nicole Feidt, supplémant M. Jacques Floch, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour l'administration centrale et les services judiciaires.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je vous prie de bien vouloir excuser l'absence de Jacques Floch. Retenu à Genève par ses obligations de président de la commission des affaires économiques de l'assemblée parlementaire de l'OSCE, il m'a demandé de vous présenter son rapport.

L'examen du projet de loi de finances pour la justice permet de se féliciter des augmentations que vous avez bien voulu annoncer, madame la garde des sceaux. Mais le budget n'est pas seulement le résultat des variations statistiques, c'est surtout l'expression d'une volonté politique, et je puis dire que la commission des lois l'a bien compris ainsi en posant cette simple question : des moyens financiers pour quoi faire ?

Les axes des réformes, tels que préconisés par le Premier ministre dans sa déclaration de politique générale, repris et mis en forme sous votre autorité, répondent à nos interrogations, d'autant plus qu'il a été précisé qu'aucune réforme ne serait discutée, décidée sans qu'en face on en précise l'impact budgétaire.

L'annonce de la réforme des tribunaux de commerce, complétée par la proposition de recruter 350 magistrats, a mis fin, du moins temporairement, à notre questionnement, même si l'on sait que cela se fera dans le temps.

L'Ecole nationale de la magistrature devrait ouvrir une formation complémentaire d'importance pour les magistrats qui s'orienteraient vers ces juridictions.

Mais, pour apprécier globalement le budget de l'administation centrale et des services judiciaires, plutôt que mettre en avant l'augmentation de 5,6 % des crédits, je préfère dire qu'il est revalorisé de 1,389 milliard de francs, somme encore jamais atteinte.

Si l'on reprend les onze derniers budgets, quatre ont vu leurs revalorisations dépasser le milliard de francs. En 1990, 1,150 milliard de francs, en 1991, 1,298 milliard de francs, en 1993, 1,345 milliard de francs et en 1996, 1,339 milliard de francs. Chacun derrière ces chiffres, trouvera les critères et les orientations des majorités qui les ont soutenus.

A ujourd'hui, madame la garde des sceaux, avec 26,258 milliards de francs, je constate que vous avez bien défendu les intérêts de cette grande fonction régalienne qu'est la justice.

Mais revenons à la principale question : des crédits pour quoi faire ? Quelles est l'activité du ministère de la justice à la lecture du document publié par votre direction de la statistique et de la documentation ? On peut être impressionné par le nombre des décisions rendues l'an dernier : 14 134 586, toutes juridictions confondues. A ce résultat, il faut ajouter les 75 000 saisines en conciliation.

Mais ce chiffre doit être lu avec précaution car apparaissent, dans cette donnée brute, les 10 738 836 amendes forfaitaires majorées, qui relèvent des officiers du ministère public. A terme, il faudra d'ailleurs essayer de trouver d'autres formules moins contraignantes et moins accaparantes pour le ministère de la justice. C'est donc 3 395 756 décisions judiciaires qui ont été rendues en 1997. On estime qu'en 1998 on atteindra les 3 500 000 décisions.

Cette donnée est en constante augmentation, nos concitoyens utilisant de plus en plus les services de la justice comme régulateurs de leur vie familiale, sociale ou administrative. C'est bien vers la justice civile qu'ils se tournent d'abord et c'est peut-être là que nos efforts der éforme devraient être prioritaires car, sur les 3 400 000 décisions judiciaires, 2 millions sont des décisions civiles, dont 20 % intéressent le droit de la famille, 20 % le droit des contrats et 13 % le droit du travail et la protection sociale.

Ces données montrent l'importance que nos concitoyens attachent à cette justice-là, d'où la nécessité qu'el le soit bien rendue et dans un délai raisonnable.

Or est-il bien raisonnable d'attendre plus de seize mois une décision de cour d'appel, un arrêt du tribunal de grande instance ou une proposition de règlement du conseil de prud'hommes ? Le rapport du président Coulon a ouvert la possibilité de grandes améliorations. Vous avez bien voulu me faire savoir que, d'ici à la fin de l'année, un décret serait publié et qu'il aurait « pour principal objet de remédier à la situation d'engorgement des cours et tribunaux, cause de lenteur des procédures, tout en modifiant certaines règles d'organisation ou de procédure, dans un souci de simplification et de modernisation de l'institution judiciaire ».

Ce projet de réforme a pour objet, en élevant les compétences du tribunal d'instance, de favoriser une réelle justice de proximité, peu coûteuse, rapide, avec une procédure simple et compréhensible par les citoyens. Mais il faut y ajouter le développement des solutions amiables,e n conférant une force exécutoire aux transactions conclues, et l'amélioration du contrôle des expertises, le juge pouvant exiger des experts, le dépôt de leurs conclusions dans un délai raisonnable.

Madame la garde des sceaux, si j'insiste sur cet aspect particulier, c'est que nos concitoyens, le plus souvent, n'ont besoin que de l'arbitrage de la justice. C'est l'image qu'ils en ont. Tout le monde ne va pas en cour d'assises ! C'est pourquoi je souhaite que vos efforts, j'allais dire nos efforts, s'orientent d'abord vers cette justice-là, la justice de proximité, même si je conçois que la justice pénale a une importance réelle pour l'exemplarité de ses décisions, qui font mieux comprendre le respect dû à la loi.

L'importance de l'activité du parquet en 1997 montre bien cette réalité mais, là aussi, il faut lire attentivement les statistiques si l'on veut reprendre cette idée majeure de l'exemplarité. Ainsi, en 1997, les parquets ont reçu près de 5 millions de procès-verbaux, 79 % d'entre eux ont été classés sans suite, dont 22 % auraient un auteur connu, soit près de 850 000. La lecture sans commentaire de tels chiffres pourrait laisser penser à l'impunité certaine d'auteurs connus de délits ou de contraventions graves, celles dites de cinquième classe. Si l'on ajoute à cela la durée moyenne du traitement des affaires, à savoir dix-sept mois pour les crimes et seize mois pour les délits, il n'est pas étonnant que nos concitoyens aient le sentiment d'une sorte de laxisme conduisant à l'impunité.

Et pourtant, si l'on ne prend que l'année 1997, on constate tout de même que 537 353 condamnations ont été prononcées, dont 6 % intéressent les mineurs. Les c ours d'assises ont prononcé 2 797 condamnations conduisant à 1 255 réclusions criminelles, dont la durée moyenne est proche de près de quatorze ans ; les tribu-


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naux correctionnels ont prononcé 382 606 condamnations, dont 16 % pour atteinte aux personnes, 31 % pour atteinte aux biens, 25 % pour conduite en état d'ivresse, 5 % pour des délits économiques et financiers et 5 % pour trafic, détention, transfert, cession et usage de stupéfiants.

La délinquance des mineurs a, elle aussi, été traitée.

Elle a donné lieu à 121 449 procès-verbaux et plaintes. Si 4 9 % d'entre elles ont été classées sans suite, 140 000 mineurs sont suivis par la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, dont 59 % de garçons et 41 % de filles. Tous, heureusement, ne sont pas des délinquants, puisque 81 % sont avant tout des mineurs en danger.

Cette abondance de chiffres qu'il faut connaître lorsque l'on parle de la justice explique mieux le rôle des personnels dépendant de la chancellerie. Cette année, madame la ministre, vous avez convaincu le Gouvernement de la nécessité d'un renforcement des effectifs et amorcé les réformes statutaires nécessaires. Mais la question des effectifs est liée à la réforme essentielle, primordiale, de la carte judiciaire. La commission des lois a donc pris acte avec une grande satisfaction de la création d'une cellule spécialisée composée d'experts, dont des économistes, des sociologues ou encore des géographes qui doivent faire des propositions concrètes - les premières concerneront les tribunaux de commerce - car, dans ce domaine, il ne peut y avoir de réformes profondes sans une vision nouvelle.

Vous avez annoncé la création de 140 postes de magistrats supplémentaires, l'offre de 185 places au concours d'entrée à l'Ecole nationale de la magistrature, ainsi que la création de 230 emplois de greffiers.

J'appelle votre attention, dans mon rapport écrit, sur la nécessité de respecter une structure pyramidale dans les différents corps. Un effort devra être fait par votre administration en ce sens.

La commission s'est préoccupée, voire inquiétée du n ombre important d'auxiliaires, de vacataires, qui prennent une place non négligeable dans les effectifs de la chancellerie : les 950 assistants de justice, les 1 347 conciliateurs de justice, les 200 emplois de délégués du procureur.

Dans mon rapport, j'essaie d'analyser la nature des activités professionnelles de ces auxiliaires de l'activité judiciaire. Les documents auxquels j'ai eu accès montrent bien la nécessité et la qualité des tâches qu'ils accomplissent, mais leur nombre m'oblige à vous demander si on ne sera pas, un jour, contraint à engager un débat sur leur statut.

J'en viens à quelques remarques sur l'activité des juridictions administratives.

Le Conseil d'Etat voit sa situation s'améliorer avec la diminution de 18 % des affaires nouvelles. Après une augmentation très remarquée de 28 % des affaires jugées, il me semble qu'un rythme très soutenu se maintient depuis quatre ans, avec plus de 11 000 jugements annuels, ce qui se traduit par une baisse constante des affaires en stock : 22 388 il y a cinq ans, 10 385 en 1997.

Il faut saluer les efforts constants et le travail de très grande qualité des personnels du Conseil d'Etat, magistrats et agents. D'autant que les effectifs des uns et des a utres n'ont guère varié depuis quelques années : 217 conseillers d'Etat en 1995, 217 en 1998 ; 296 agents en 1995, 317 en 1998.

La réforme statutaire des magistrats des tribunaux administratifs, entrée en application le 1er janvier 1998, a permis des avancées très positives et satisfait nombre d'entre eux. Il est encore trop tôt pour en tirer des conclusions sur l'activité des tribunaux, dont la production atteint un très haut niveau mais dont le stock reste important, le délai moyen de rendu de jugement étant à peine inférieur à deux ans, même s'il était de deux ans et demi en 1991.

Madame la garde des sceaux, le projet de budget pour 1999 augure bien des moyens que le Gouvernement veut attribuer à la justice pour qu'elle se réforme, pour qu'elle soit au service du plus grand nombre et attentive aux plus faibles, pour qu'elle accepte la révision de son implantation sur le territoire de la République, afin d'être plus présente là où se trouve la population qui a besoin d'elle.

La commission des lois a émis un avis favorable à l'adoption des crédits de la justice concernant l'administration centrale et les services judiciaires. Je demande à l'Assemblée de faire sienne cette proposition.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Je rappelle aux rapporteurs que le temps de parole qui leur est imparti n'est pas indicatif : en principe, il s'impose à eux.

La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour les services pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse.

M. André Gerin, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, pour les services pénitentiaires et la protection judiciaire de la jeunesse.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la persévérance dans l'effort est la caractéristique du budget de la justice pour 1999. Les crédits des services pénitentiaires augmentent en effet de 5,79 % et ceux de la protection judiciaire de la jeunesse de 6,42 %.

Madame la ministre, les chiffres dont je fais état dans mon rapport montrent que vous avez tenu votre parole sur la continuité des efforts en faveur des services pénitentiaires et de la protection de la jeunesse. Au-delà même des chiffres, les axes prioritaires que s'est fixés le Gouvernement en témoignent. L'accent est mis sur l'amélioration des conditions de prise en charge des personnes prévenues et condamnées, sur l'amélioration de leur vie quotidienne. La réinsertion et les alternatives à l'incarcération sont également privilégiées, ce dont votre rapporteur se réjouit. Une réflexion est engagée sur l'évolution des missions des personnels. Il a été décidé de mette en place une politique de réponse systématique et rapide aux actes de délinquance, en particulier des mineurs, quelle qu'en soit la gravité. Les centres d'hébergement seront rénovés et développés. Les mesures d'éloignement seront renforcées.

Ces choix sont positifs. Il faut tout faire pour qu'ils se concrétisent en 1999, pour traduire dans la vie des détenus, des personnels, des jeunes, les changements que la justice aura opérés sur elle-même afin de donner aux actes de délinquance des réponses plus rapides mais non précipitées, des réponses justes, qui sanctionnent et éduquent en même temps. Efficacité, proximité, aptitude à susciter la confiance doivent être les apanages reconnus de la justice.


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Les syndicats, vous le savez, ont exprimé un avis négatif sur le budget, à cause de créations d'emplois qu'ils jugent, eux, insuffisantes et de certaines revalorisations indemnitaires qu'ils estiment trop faibles. Les orientations nouvelles sont pourtant bien là, et il faudra convaincre les personnels de s'associer à leur mise en oeuvre ; leur efficacité en dépend.

Améliorer les conditions de détention passe également par des mesures concrètes. Je pense en particulier à la lutte contre l'indigence des sortants de prison, que vous avez engagée résolument. Pour les détenus les plus pauvres, il faudrait aussi réfléchir à une sorte de revenu minimum d'existence en prison, car chacun, dans notre civilisation, a droit à la dignité.

Priorité est également donnée à l'insertion et à la prévention de la récidive. La généralisation du projet d'exécution des peines, la réforme des services d'insertion et de probation bénéficient de crédits sensibles. Les centres pour peines aménagées constituent une véritable innovation. Ils ont pour objectif d'améliorer la réinsertion des détenus condamnés à des peines de moins d'un an. L'état des lieux des établissements pénitentiaires est très préoccupant ; 92 établissements ont au moins un siècle et sont archaïques. Il faut les rénover. Vous nous faites d'ailleurs des propositions en ce sens.

Les personnels de surveillance ont une mission difficile, voire ingrate. Ils se sentent souvent frustrés. Ils méritent que leur travail soit reconnu par la nation. Certains d'entre eux sont affectés à des tâches qui ne correspondent pas à leurs attributions ; il faudrait y remédier.

Les modalités d'octroi de la prime de responsabilité aux directeurs ont aussi été critiquées.

Le Gouvernement a la volonté politique de renforcer la protection judiciaire de la jeunesse. Il s'y est engagé lors du conseil de sécurité intérieure du 8 juin 1998. Il veut inscrire résolument son action dans la ligne de l'ordonnance de 1945, et je m'en réjouis. Toutefois, il est évident qu'il faudra actualiser, adapter, moderniser cette ordonnance, tout en lui conservant sa colonne vertébrale : la démarche éducative.

Donner des réponses rapides aux actes de délinquance est une nécessité que concrétise l'information en temps réel des procureurs de la République. Ils seront assistés par des délégués qui interviendront notamment dans les maisons de justice et du droit. A cet égard, un objectif de 2 000 mesures supplémentaires a été fixé pour 1999.

Votre budget, madame la ministre, est en forte progression, et je m'en félicite. Il reste que les prisons sont le miroir de notre société. C'est une réalité que l'ensemble de nos responsables, au Gouvernement, dans les partis politiques, dans la société civile, doivent regarder en face.

Ce doit être pour tous un grand sujet de réflexion.

Votre budget est exemplaire, mais l'avenir de la jeunesse pose à la société française des questions récurrentes, d es questions gigantesques. Pour reconquérir la République, pour que ses valeurs aient à nouveau droit de cité, il faut éliminer les zones de non-droit, rétablir partout la plénitude du droit.

Je veux de toutes mes forces, avec les républicains de ce pays, combattre la violence et l'extrémisme. Car on voit peu à peu se réunir les ingrédients d'une société Orange mécanique , aux abords des manifestations par exemple. A moyen terme, les tensions de la violence risquent de faire imploser les structures de notre démocratie. Il faut rendre l'espoir aux citoyens en instaurant immédiatement une culture de fraternité.

Avec les mesures nouvelles qu'il a prises ou annoncées dans les deux budgets de 1998 et 1999, le Gouvernement a fait preuve de courage. Il a amorcé une réforme nécessaire mais, au-delà du budget de la justice, c'est une réflexion globale qui s'impose.

Il faut un sursaut national pour combattre la délinquance des mineurs. Il y a eu trop de morts de jeunes, trop de victimes de rackets et de violences. Nous devons entendre l'appel au secours de millions de familles, de jeunes filles et de jeunes hommes victimes au quotidien de la loi du plus fort.

Jean-Marc Gueneley est mort, il y a un an, victime de cette violence. Ils étaient trois à le racketter en plein jour.

Celui qui lui a porté le coup fatal a été relâché. Il est en attente de jugement. Les deux autres sont toujours dans leur cité. Loin de moi l'idée qu'il faut les mettre en prison, et ce n'est pas non plus votre philosophie. Mais l'annonce de l'ouverture de centres pour peines aménagées me semble une réponse adaptée ; c'est un projet auquel je souscris complètement.

Quand vous annoncez des foyers pour jeunes délinquants, je dis aussi bravo ! Dans un département comme le Rhône, il y a 200 jeunes récidivistes qui ne sont pas pris en charge faute de structures adaptées et qui continuent à errer dans les quartiers.

Votre budget est excellent, mais je me demande si nous n'avons pas besoin d'une sorte de plan ORSEC où les communes, les agglomérations, les départements et les régions s'associeraient pour réaliser massivement des centres de peines aménagées et des foyers de jeunes délinquants, structures indispensables pour la réinsertion, pour l'apprentissage de la responsabilité et de la civilité.

Tout en vous présentant l'avis très favorable de la commission et de son rapporteur, je tenais, madame la ministre, à vous faire part de ces réflexions. L'action que vous menez depuis deux ans est remarquable. Mais si l'on v eut restaurer l'autorité de l'Etat et refonder la République, il nous faut, j'en ai l'intime conviction, donner à la question des mineurs, des enfants, des ados, des jeunes générations, des réponses d'une tout autre dimension, qui impliquent l'engagement de la plupart des ministères.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Jean Pontier.

M. Jean Pontier.

La poursuite de la croissance économique, retrouvée depuis l'été 1997, et la priorité affichée par le Gouvernement depuis 1998 vous permettent, madame la garde des sceaux, de bénéficier pour 1999 d'une enveloppe budgétaire égale à 1,6 % du budget de l'Etat. Par rapport au budget de l'année dernière dans lequel le pourcentage était de 1,55 %, il y a, à l'évidence, constance de la progression. Chacun d'entre nous ne peut que se réjouir et vous féliciter de cette affectation de moyens supplémentaires en hausse de 5,6 %. L'examen de la répartition de vos crédits, envisagé notamment sous l'angle de la création d'emplois, au nombre de 930, démontre la volonté d'accorder une priorité aux services judiciaires, 370 magistrats, greffiers et assistants de justice, à côté du traditionnel poids lourd qu'est l'administration pénitentiaire, 344 fonctionnaires essentiellement de surveillance, même si leurs syndicats estiment que le compte n'y est pas. Il en va de même avec la protection judiciaire de la jeunesse où, avec la création de 150 emplois, on commence à concrétiser ce


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que préconisait le rapport de la mission interministérielle sur la prévention et le traitement de la délinquance des mineurs, remis le 16 avril dernier au Premier ministre.

La protection judiciaire de la jeunesse voit ainsi ses crédits progresser de 6,42 % par rapport à 1998, soit plus que chacune des autres administrations de la chancellerie et près de 1 % de plus que la moyenne de votre ministère. Et cette situation qui témoigne de votre volonté de faire de la jeunesse une priorité de votre politique contraste avec des années de stagnation et de régression, même entrecoupées d'éphémères embellies.

Sont plus particulièrement visés les 26 départements reconnus comme prioritaires par le Conseil de sécurité intérieure de juin dernier. Il s'agit de mieux traiter la délinquance des mineurs, grâce notamment à l'ouverture de dix classes-relais, de dix modules de formation et d'in-s ertion professionnelle, de soixante-quinze places en familles d'accueil, de trente-six en hébergement collectif et de sept dispositifs d'éducation renforcée, si injustement critiqués il y a peu.

Certes est parallèlement prévu le recrutement de 200 délégués des procureurs. Nombre de magistrats se demandent d'ailleurs sur quel texte s'appuie cette novation, fleurant bon les « délégués bénévoles à la liberté surveillée » d'antan, institution tombée en obsolescence dans les années soixante.

De plus, 30 emplois de suivi en milieu ouvert renforceront les services éducatifs au tribunal et les centres d'action éducative, encore trop embouteillés de mesures civiles concernant les enfants de zéro à treize ans. En avril dernier vous avez, en effet, indiqué au Sénat que le secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse était

« spécialisé dans la prise en charge des pré-adolescents et des adolescents les plus difficiles ».

Vous comptez aussi sur l'augmentation des mesures de réparation, dont le prononcé dépend, permettez-moi de le souligner, exclusivement des magistrats, comme de l'appui trouvé auprès des collectivités. Cette double obligation n'est pas aussi évidente localement que pourrait le laisser croire son énoncé national.

Si l'on ne peut qu'approuver, malgré sa timidité, le renforcement du suivi médico-social grâce à quelques créations d'emplois d'assistants sociaux, d'infirmiers, de psychologues, ainsi que l'augmentation des crédits de vacations pour des médecins psychiatres, il y lieu de s'interroger, à nouveau, sur la pertinence du dispositif de 1991, relatif aux conditions de détention des mineurs.

En effet, la volonté, encore récente, de rassembler au plan régional les jeunes détenus pour une meilleure prise en charge pédagogique, sportive et culturelle a démontré, depuis, nombre d'effets pervers allant à l'encontre de l'objectif visé. L'éloignement du milieu familial et de l'éducateur chargé du suivi et du conseil du mineur ne peut être considéré comme une bonne mesure d'autant qu'il y a lieu de continuer à stigmatiser en ces lieux de regroupement la promiscuité et le caïdat, avec les trop nombreux incidents de détention - racket, coups et violences y compris sexuelles.

Aussi est-il important de vouloir assurer un meilleur suivi éducatif des mineurs détenus, en affectant notamment des personnels de surveillance supplémentaires et six millions de francs de crédits de fonctionnement. Mais il serait vraisemblablement plus judicieux de revenir à une implantation locale du dispositif permettant le jeu normal des différents acteurs sociaux.

Il faut impérativement s'occuper des adolescents criminels sur le plan de la santé, de l'affect, de l'instruction, de la formation professionnelle pour qu'ils ne sortent pas de prison tels qu'ils y sont entrés. Et même si de telles mesures ne concernent que peu de personnes, elles ne peuvent que réjouir tout humaniste.

A côté du volet de la délinquance des mineurs que vous marquez, madame la ministre, de votre empreinte politique, en apportant une réponse rapide, notamment p ar la séparation, l'hébergement, l'éloignement et l'accompagnement médico-social, il faut évoquer aussi le volet relatif à l'enfance maltraitée, grande cause nationale s'il en est.

L'implication des conseils généraux y est forte, mais diverse. Les liens avec l'autorité judiciaire et les directions régionales et départementales de la protection judiciaire de la jeunesse ont besoin d'être resserrés au plan institutionnel.

L'idée d'élaborer un schéma départemental de protection de l'enfance conjointement avec le secteur pédopsychiatrique - on y est adulte à seize ans ! -, la jeunesse et les sports, l'éducation nationale, la police et la gendarmerie, ainsi qu'avec les associations agréées au titre de l'aide sociale à l'enfance ou habilitées par le ministère de la justice devrait enfin pouvoir dépasser le stade des préparatifs, des actions non contractualisées et des engagements différés entre le département et l'Etat. C'est ce qu'avait préconisé en son temps le législateur.

Tant votre cabinet avec assemblée des présidents de conseils généraux, l'APCG, que la direction de la protection judiciaire de la jeunesse avec l'Observatoire national de l'action sociale décentralisée, l'ODAS, devraient pouvoir aboutir à des conclusions de portée nationale pour q u'aux besoins recensés, soient enfin apportées les réponses qui conviennent. Il doit en être de même pour le prévisionnel, élaboré par des observatoires locaux, ou pour l'évaluation du suivi.

Cela suppose, bien sûr, madame la garde des sceaux, que votre ministère puisse, au fil du temps, même à court terme, tenir quelques engagements de moyens, au moins pour les vingt-six départements prioritaires où la délinquance et la maltraitance sont les plus fortes. Ce serait le signe nouveau et fort d'une continuité de l'action de l'Etat.

J'en terminerai, par une observation sur la répartition des crédits prévue pour 1999 entre les secteurs public et associatif de la protection judiciaire de la jeunesse. Quand on retire les 22 millions de francs relatifs à l'accord salarial, ainsi que les 25 millions de francs consacrés aux 150 emplois créés du total de 167 millions, on s'aperçoit que le secteur public, avec 59 millions, dont 19 millions au titre du fonctionnement courant, ne fait pas encore très bonne figure face aux 61 millions prévus pour le secteur associatif habilité.

Certes, une réponse partielle a été apportée à la proposition no 123 de la mission interministérielle sur la prévention et le traitement de la délinquance juvénile visant à « augmenter d'une manière très significative les crédits et les postes budgétaires de la PJJ ». Mais, si l'on en croit les médias, vous ne pouvez pas poursuivre et mener à son terme ce que vous avez commencé.

En tout état de cause, le problème récurrent de la rémunération des emplois-jeunes devrait pouvoir être réglé, sans coût excessif et rapidement à l'instar de ce qui s'est fait dans l'éducation nationale et dans la police (Applaudissements sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)


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M. le président.

La parole est à M. Georges Hage.

M. Georges Hage.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le budget de la justice pour 1999 se trouve au coeur du grand chantier de démocratisation de la justice qui a été engagé, et il en fixe le rythme. Il est difficile d'aller du constat de crise, du mal vécu de ce service public essentiel par les justiciables, dont le sentiment d'inégalité est exacerbé par les affaires, à une vraie réforme.

C'est le mérite du Gouvernement et le vôtre, madame la garde des sceaux, d'aborder de front les problèmes de la place de la justice dans notre société. Les députés communistes s'inscrivent pleinement dans cette démarche novatrice. Nous refusons tout à la fois une justice aux ordres et le gouvernement des juges.

La justice rendue au nom du peuple français doit garantir la séparation des pouvoirs et permettre aux juges d'être des citoyens échappant à toute influence. A cet égard, la réforme du Conseil supérieur de la magistrature rompt avec l'emprise du pouvoir exécutif sur l'autorité judiciaire.

La pratique d'autres pays, comme les Etats-Unis, nous fait mesurer la valeur universelle des apports de la Révolution française qui continue à irriguer notre droit en le dégageant absolument de toute métaphysique, en refusant de faire d'une justice idéalisée l'otage des règlements de compte politiques.

Le respect de l'invidu, des droits de la défense et des libertés nécessite une vigilance de tous les instants. Un pas significatif sera franchi avec le vote de la loi par laquelle le parquet ne sera plus soumis aux pressions de l'exécutif pour des demandes de classement sans suite.

Cette vigilance laïque sur la liberté devra se retrouver lorsque nous examinerons le projet sur la présomption d'innocence. La distinction du juge d'instruction et du juge de la mise en détention, comme la présence de l'avocat dès le début d'une garde à vue constitueront des avancées décisives.

La détention provisoire, comme la garde à vue, porte atteinte à la présomption d'innocence. Le nombre inutilement élevé des détenus en détention provisoire, qui sont donc juridiquement innocents, reste un problème majeur.

C'est une question de dignité élémentaire.

Or, force est d'admettre que les mesures visant à réduire une population pénale trop nombreuse sont rarement suivies d'effets.

Un problème heurte la conscience de nombre de nos collègues sur tous les bancs, celui de la peine de mort, barbarie aussi cruelle qu'inutile. La peine de mort continue à être appliquée dans trop de pays qui prétendent, par ailleurs, représenter le modèle mondial de la démocratie. La peine de mort est parfois prononcée pour des crimes vieux d'un quart de siècle, y compris à l'encontre de condamnés qui étaient mineurs au moment des faits ou à l'encontre d'innocents, comme Abu Jamal, que la couleur de leur peau ou leurs idées progressistes ont désigné à la vindicte des juges.

La France doit, dans les rencontres internationales, régulièrement et systématiquement, faire avancer le principe de l'abolition de la peine de mort partout dans le monde.

Je voudrais évoquer également le problème de la révision des procès. Des affaires, récentes ou anciennes, où l'erreur judiciaire est pourtant certaine, se heurtent à la nécessité pour l'innocent injustement condamné d'apporter un fait nouveau. C'est un obstacle qui n'existe pas dans d'autres législations, britannique par exemple, et qui devrait être supprimé de la nôtre. Cela vaut tout autant pour les jugements des cours d'assises. Le projet présenté par le précédent gouvernement, de droite, avait le mérite d'exister et nous l'aurions voté, quant à nous.

Pour passer du pénal au civil, la réforme courageuse que traduit le pacte civil de solidarité doit préluder à d'autres avancées en droit civil, par exemple en matière de succession où le conjoint survivant n'a que le quart de l'usufruit alors qu'il devrait en avoir la totalité et le droit de rester dans le domicile commun. Le divorce doit également être rendu plus facile et moins traumatisant, sans pour autant priver le faible du droit d'être défendu.

S'agissant de la réforme des institutions judiciaires, il serait souhaitable d'étendre les prud'hommes au niveau de l'appel et de créer une juridiction paritaire pour les litiges entre bailleurs et locataires. Quant à la réforme des tribunaux de commerce, elle doit permettre à des magistrats professionnels, mais aussi à des représentants des salariés de siéger dans les tribunaux de commerce.

Pour ce qui est des multiples projets concernant l'immobilier et le mobilier, dont beaucoup sont déterminants pour les conditions de travail, le budget n'a pas toujours les moyens des objectifs annoncés.

Satisfaire les principes de gratuité et d'égal accès aux droits pour tous, SDF y compris, comme l'a suggéré la mission d'information commune sur la prévention et la lutte contre les exclusions, que j'ai eu l'honneur de présider, impliquerait de relever le plafond, ouvrant droit à l'aide juridictionnelle totale à deux fois le SMIC, et celui ouvrant droit à l'aide juridictionnelle partielle à trois fois le SMIC, et de donner plus de moyens aux maisons de justice, qui viennent d'être créées dans le cadre de la médiation et de la conciliation.

Il faut améliorer la justice au quotidien, celle des salariés qui ont gain de cause devant les prud'hommes avant qu'un appel de l'employeur ne renvoie le jugement et la réparation aux calendes, celles des justiciables qui, grâce aux ordinateurs, devraient obtenir des greffes copie de leur jugement sous quarante-huit heures.

L'augmentation du nombre des magistrats, cette année, est significative. Ainsi le président de la cour d'appel de Douai considère que son ressort, qui bénéficie de la nomination de trente-quatre magistrats, n'est pas mal loti.

Encore que je m'interroge sur le recrutement important des assistants de justice. Mais des moyens restent nécessaires pour les greffes et les prud'hommes, ces éternels sacrifiés de l'austérité budgétaire. Je ne peux demeurer sourd aux revendications, que vous connaissez, madame la garde des sceaux, des fonctionnaires des greffes, des greffiers en chef, greffiers catégorie C, qui dénoncent des inégalités croissantes entre les agents de la même administration.

Les intentions, louables au niveau de l'exécution des peines, des conditions de vie quotidienne et de lutte contre l'indigence, appelleraient, sans doute, des moyens adéquats et un engagement plus direct de l'administration pénitentiaire. J'ai entendu avec intérêt mon ami Gerin suggérer l'institution d'un revenu minimum d'existence.

Quant à la délinquance des mineurs, elle appelle un travail en profondeur privilégiant l'action sociale et la p révention, auxquelles contribueront la création de 150 emplois d'éducateurs dans les services de la protection judiciaire de la jeunesse. Cela témoigne d'une première prise en compte du rapport Lazerges-Balduyck, qui ne devrait pas demeurer sans lendemain.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 1998

De même, la réparation doit être privilégiée. Nous sommes convaincus qu'un mineur en détention, c'est toujours un échec pour la société. Des mineurs incarcérés sans prise en charge éducative et sociale spécifique, c'est inacceptable. Pour les adultes aussi, les alternatives à l'incarcération doivent être recherchées en priorité.

L'esprit de l'ordonnance de 1945, qui instaurait l'éducation comme priorité, reste fondamental. Systématiser la répression, déclarer les jeunes inéducables conduirait à dénaturer les missions de service public de la protection judiciaire de la jeunesse.

Voilà les remarques que je tenais à exprimer, au nom de mon groupe, sur ce budget que nous voterons avec la volonté d'aller le plus loin possible dans l'humanisation de la justice.

Je me permets de me féliciter d'avoir respecté mon temps de parole, monsieur le président.

(Rires et applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. le président.

Je vous remercie, monsieur Hage.

La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon.

Madame la garde des sceaux, je vais commencer par le commencement, c'est-à-dire par saluer objectivement l'augmentation que vous avez obtenue pour les crédits de la justice, qui progressent de 5,5 %, et ce consécutivement à leur précédente évolution de 4 % enregistrée dans le cadre du budget de 1998.

Troisième budget le mieux servi après la ville et l'environnement, le budget de la justice apparaît également comme le budget prioritaire en termes de création d'emplois avec 930 emplois nouveaux dont 370 pour les services judiciaires, incluant 140 postes de magistrats.

Le projet prévoit également - et je considère que c'est une bonne chose, même si cela reste mesuré - une revalorisation indemnitaire pour les magistrats et les greffiers.

Vous faites donc preuve du souci constant qui a été celui de vos prédécesseurs qui, depuis un peu plus de quinze ans, ont obtenu une progression globale du budget de la justice supérieure à celle du budget de l'Etat.

Ainsi, les crédits sont passés de 16,8 milliards en 1990 à 23,5 milliards en 1996 pour atteindre aujourd'hui un peu plus de 26 milliards.

Cela étant, si la progression relative est significative, la part des crédits de la justice dans le budget de l'Etat demeure faible : environ 1,5 % du budget total.

Quand, à l'époque d'Internet, il faut, par exemple, à peu près dix mois à un salarié pour obtenir une décision d'un conseil de prud'hommes et seize mois de plus en cas d'appel, soit plus de deux ans au total, on voit bien qu'il y a un décalage entre le monde judiciaire et le monde réel.

Ainsi, malgré les affirmations répétées et les progrès enregistrés, force est de constater que la justice n'est toujours pas une priorité du Gouvernement alors que, d'année en année, la demande des Français en la matière est de plus en plus importante et que le juridique et le judiciaire font de plus en plus partie de la vie quotidienne.

L'examen des crédits du ministère de la justice est l'occasion de débattre de la façon dont l'Etat assure cette fonction régalienne essentielle et de la politique qui est menée.

Quelle est la problématique ? La justice, on le sait, est trop longue, trop complexe et quelquefois trop chère. Elle n'est plus adaptée au monde moderne. Et vous avez probablement pris connaissance du tout récent sondage effectué à l'initiative du barreau de Paris qui aboutit à la même conclusion : parmi les nombreuses critiques adressées par les Français à leur justice, 95 % lui reprochent sa lenteur et 86,2 % sa trop grande complexisté.

Quand, sur 4,9 millions de procès-verbaux reçus en 1997, 3,9 millions sont classés sans suite, c'est tout de même qu'il y a un problème. Soit, dans cette recherche à la mode du tout-pénal, on dresse des procès-verbaux à tort et à travers pour constater ensuite qu'il n'y a pas vraiment matière à poursuite, soit il y a matière à poursuite, comme c'est la plupart du temps le cas, et l'on constate alors que la délinquance demeure largement impunie, ce qui est plus grave et pose la question de l'égalité de traitement. Qu'on ne s'y trompe pas, beaucoup de dysfonctionnements importants de la société proviennent de cette lenteur.

Prenons un exemple d'actualité dont nous allons prochainement débattre, celui de la présomption d'innocence. Chacun s'accorde à dire - d'où votre initiative, madame la ministre - que ce principe fondamental d'une société démocratique n'est plus respecté. La mise en examen équivaut à une présomption de culpabilité et le procès se déroule ensuite dans la presse sans aucune règle, ce qui n'est pas acceptable dans notre démocratie. Je crois que cela vient notamment du fait que le temps de la justice est décalé par rapport au temps de l'opinion et au temps des médias. Bien sûr, la justice a besoin de sérénité, mais le décalage est devenu trop important entre la vitesse de l'information, le besoin de transparence et la longueur excessive des procédures.

Nouvelle et énième illustration de mon propos : la mise en examen du président du Conseil constitutionnel, institution emblématique de notre système.

Je suis personnellement très attaché à la présomption d'innocence et je me garderai bien de porter le moindre jugement. Observez tout de même qu'après plusieurs mois de silence, on commence à entendre quelques voix s'élever et quelques débats s'instaurer. Je reconnais qu'il n'est pas indifférent de savoir ce qu'il en est. S'il n'y a pas de réponse judiciaire rapide, il se passera ce que l'on a connu dans d'autres affaires par le passé : le procès se fera ailleurs. Cela n'est pas acceptable. Il n'est pas non plus acceptable, dans le cas que j'ai cité, que les choses demeurent encore des mois ou des années en l'état, sans réponse.

Je pourrais multiplier les exemples, que ce soit en matière sociale, de délinquance juvénile, ou d'affaires familiales.

Vous voyez donc, madame la garde des sceaux, que le problème dépasse largement les augmentations de crédits et de personnels que vous proposez. Face à cette situation, il me semble qu'il faut s'attacher à gérer mieux ce qui existe plutôt que de vouloir, dans une sorte de fuite en avant judiciaire, une forme de cavalerie, toujours de nouveaux textes, toujours de nouvelles offres aux consommateurs de justice sans les moyens adéquats et surtout sans avoir réglé le passif antérieur. L'exemple le plus criant a été, il y a quelques années, la loi sur le surendettement qui a littéralement fait exploser les tribunaux d'instance. Il est temps de mettre réellement les choses à plat avec des facteurs constants et d'adopter une véritable politique de gestion des ressources humaines.

Vos initiatives en matière de carte judiciaire ou de médiation, par exemple, vont, de mon point de vue, dans le bon sens, même si les moyens qui sont mis en face demeurent bien faibles. Mais, pour le reste, il faudrait


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déterminer des priorités et agir avec progressivité plutôt que d'utiliser la méthode du patchwork sans logique apparente dans la direction suivie.

Vous annoncez 350 magistrats nouveaux pour instaurer la mixité dans les tribunaux de commerce, sans préjudice des besoins que cela va susciter en termes de formation.

Vous créez un juge de la détention et un juge par ressort de cour spécialisé dans la lutte contre les sectes. Sur un autre plan, le PACS, s'il est adopté, représentera une nouvelle charge pour les tribunaux d'instance, sans parler du contentieux nouveau qu'un tel système risque de créer. Vous annoncez le développement des maisons de justice et la création de pôles économiques et financiers.

Et je ne parle pas de la nécessaire réforme de la cour d'assises.

Tous les crédits supplémentaires de votre budget seront donc immédiatement absorbés par les besoins nouveaux que vous créez. J'entends bien que chaque garde des sceaux veuille apposer son nom sur de grandes réformes, mais ce n'est pas l'accumulation de lois qui va améliorer la qualité de la justice en France.

Au-delà d'un budget comptablement acceptable, il y a une vraie carence : l'absence de réflexion d'ensemble sur l'évolution de la justice dans une société moderne et exigeante.

La justice reste exsangue et l'accumulation de tâches nouvelles sans réflexion générale sur son efficacité risque d'aggraver cette situation.

Nous pensons qu'il ne suffit pas d'augmenter un peu les moyens et un peu les personnels de façon hésitante pour qu'une administration lourde, fatiguée, mal gérée fasse subitement des miracles. Nous ne sommes pas pour moins de service public, mais au contraire nous appelons de nos voeux un meilleur service public, plus efficace et plus égalitaire.

Votre budget et l'ensemble de votre politique sont, en l'état, loin de permettre de satisfaire ces souhaits. C'est pourquoi le groupe Démocratie libérale votera contre ce budget.

M. Jean-Luc Warsmann.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Jean-Louis Borloo.

M. Jean-Louis Borloo.

Madame la garde des sceaux, je fais miens les commentaires positifs de M. Houillon sur l'amélioration des crédits de fonctionnement de votre ministère, et plus particulièrement ceux concernant la protection de la jeunesse, tout en partageant les inquiétudes très fortes exprimées par M. Gerin.

Cela étant dit, madame la ministre, tous les grands pays d'Europe sont confrontés à une accélération des besoins de justice dans leur démocratie. La France se caractérise en Europe, et ce de longue date, par une justice inquiétante. Hier, une véritable monarchie administrative avait mis la justice des privés au ban de la société française. Aujourd'hui, nous sommes un des rares pays où l'Etat a encore son propre système de justice, les tribunaux de l'ordre administratif, singularité autrement plus incongrue que les tribunaux de commerce qui ne sont finalement que le développement de l'arbitrage à l'anglosaxonne, mieux encadré par un code de commerce.

Pour être équivalent à celui de la moyenne des pays de la Communauté, le budget de la justice de la France devrait être doublé.

Madame la ministre, dans quelle logique nous situonsnous : celle consistant à instituer toujours plus de nouvelles fonctions - et elles ne sont pas toutes contestables, loin s'en faut - ou celle consistant à mettre enfin la justice au coeur de la société française ? Si c'est la seconde, il est grand temps d'agir.

J'ai été, pour ma part, choqué de voir un certain nombre de représentants du service public de la justice critiquer un autre service de la justice, rendu autrement que par eux, sans intervention publique et solennelle du garde des sceaux.

Actuellement, le délai moyen des décisions de justice en France, recourant au deuxième degré de juridiction, est de trente-cinq mois. C'est le plus mauvais score d'Europe continentale.

J'entends critiquer les tribunaux de commerce. Or, quelle grande conclusion tire-t-on de la lecture du rapport de la commission d'enquête parlementaire ? Le parquet, convoqué dans les affaires de procédures collectives, n'est présent que dans 30 % des décisions. Celui-ci explique qu'il n'a ni les moyens humains et techniques ni la formation pour assumer cette fonction. Que proposet-on pour remédier à cette situation ? De prélever des éléments sur le corps des magistrats du service public pour les affecter aux tribunaux de commerce au lieu de conforter les parquets qui sont en sous-capacité ! Madame la garde ses sceaux, je pense que vous pouvez être, car vous avez la confiance de votre gouvernement, le ministre qui posera les problèmes et mettra les choses à plat.

La carte judiciaire, mettons-la en place ! Les rapports - il y en a eu six - concordent, à quelques détails près concernant les évolutions démographiques particulières dans les villes nouvelles. Nous savons qu'il existe un vrai service de la justice, unifiée.

Ne laissons plus l'Etat disposer de prérogatives scandaleuses, comme en matière fiscale et douanière.

Décloisonnons le service de la justice. Des initiatives ont déjà été prises en ce sens. En ce qui concerne le conseil communal de prévention de la délinquance, la justice a accepté de se décloisonner. De nombreux problèmes matériels également pourraient trouver une solution. Mais n'oublions pas que ce service est géré par son propre corps, ce qui est un cas assez particulier en France.

Revendiquant son indépendance, il ne supporte aucun contrôle de ses ressources humaines.

Le service de la justice est composé de gens de très grande qualité, intègres et bien formés et pourtant, parce que les hommes sont isolés, il se perd parfois dans des méandres de procédures totalement incompréhensibles.

La justice doit engager sa réforme en profondeur et de véritables contrôles doivent être effectués, avec des fonctionnaires du parquet, parce que ces derniers sont les garants et de la République et de la gestion des ressources humaines. Il faut donc décloisonner et faire rentrer dans la justice tout ce qui s'y rapporte.

Prenons l'exemple du conseil de la concurrence. Quelle autre incongruité française ! Quelle dispersion des tâches et des moyens !

M. Patrick Devedjian, rapporteur spécial.

Et comment !

M. Jean-Louis Borloo.

Quelle faiblesse en ressources humaines ! Le service de la justice n'est pas revalorisé à son juste niveau.

Quelle faiblesse également d'avoir accepté pendant dix ou quinze ans que l'on ne revalorise pas les actes. Et l'on a ensuite montré du doigt le vrai financement de la justice avec Infogreffe ! Bref, c'est une réflexion d'ensemble qu'il faut avoir sur ce problème.


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Savez-vous, madame la ministre que, dans ma ville, le conseil de prud'hommes est hébergé dans les locaux d'un des grands syndicats français ? Ni le syndicat ni le conseil de prud'hommes ne peuvent travailler dans de bonnes conditions.

Nous avons souhaité que soit construit un conseil des prud'hommes. Pas de réponse, en dehors d'une proposition du service des affaires immobilières à hauteur de 700 000 francs. Mais cela date de trois ans et ne semble plus d'actualité.

Bref, c'est un véritable coup de rein qu'il faudrait donner à la justice.

En l'état, avec ses 5,6 % d'augmentation, mais seulement 0,29 % pour les autorisations de programme, il s'agit d'un budget de continuité et même d'amélioration mais il reste dans le système français. C'est dire qu'il ne se passera rien. Voilà pourquoi j'ai un peu mal à ma justice et voilà pourquoi le groupe UDF ne peut pas soutenir ce budget. En l'état et en attendant vos réponses, il votera contre.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann.

Chaque année, le vote de la loi de finances pour chaque ministère est l'occasion de dresser à la fois un bilan d'activité du secteur concerné et d'en fixer les perspectives.

Le débat sur la justice a été profondément marqué par l'impulsion qu'a donnée le Président de la République quand, en 1996, il a déclaré vouloir faire de la réforme de la justice et de l'amélioration de son fonctionnement une des grandes priorités nationales. Cela s'est concrétisé, notamment par la mise en place de la commission Truche. Le constat, le Président de la République l'a fait et mes collègues de l'opposition, qui viennent de me précéder à cette tribune, également : la justice est perçue aujourd'hui comme étant trop lente, trop chère et peu accessible.

L'examen de son budget nous fournit l'occasion de faire le point sur la situation, et c'est vrai qu'elle est très inquiétante.

Quels sont les délais nécessaires pour que nos concitoyens obtiennent un jugement des différentes juridictions ? Devant les tribunaux de grande instance, le délai moyen s'élève à plus de neuf mois, et il vient à nouveau d'augmenter. En 1997, pour la première fois, le nombre d'affaires nouvelles a légèrement diminué, tout en restant supérieur au nombre d'affaires jugées. D'ailleurs, le détail de ces affaires nouvelles traduit bien certaines difficultés de notre société. Les contentieux concernant l'autorité parentale des enfants ont dépassé 5 000 affaires en un an.

Devant les tribunaux d'instance également, tribunaux de la justice de proximité par excellence, les délais de jugement se sont allongés. Au pénal, même si quelques améliorations ont été constatées du fait du développement des procédures de comparution immédiate depuis quelques années, la situation reste extrêmement inquiétante : il faut attendre quarante-cinq mois pour obtenir un jugement en matière criminelle.

Enfin, nous ne pouvons non plus ignorer les cours d'appel : le délai moyen s'y est allongé d'une demi-année en un an, pour atteindre désormais seize mois, qui viennent s'ajouter aux délais de première instance.

La justice administrative n'est pas davantage épargnée : le délai moyen, devant le tribunal administratif, est de deux ans, auquel viennent s'ajouter ceux relevés au niveau des cours administratives d'appel, qui atteignent couramment trois ans.

Ce disant, madame la garde des sceaux, je ne fais évidemment pas le procès de votre action ; je me borne à constater la situation. En effet, c'est bien à partir d'une situation donnée que doit se construire une politique. Or force est de reconnaître que, malgré la grande qualité de l'ensemble des personnels de justice, magistrats ou greffiers, les efforts de productivité atteignent leurs limites devant l'accumulation des contentieux et des stocks en instance. Face à cette situation, quels moyens mettez-vous en place dans votre budget ? Quels moyens pour quelles priorités ? Votre projet de budget traduit certes une poursuite de l'effort d'accroissement des moyens de la justice conduit par les gardes des sceaux successifs depuis une dizaine d'années, bien qu'il ne représente cette année que 1,56 % de l'ensemble de la dépense publique. Nos rapporteurs ont cherché à illustrer cette augmentation chiffres à l'appui ; rappelons toutefois qu'un peu de transparence ne nuirait pas à la crédibilité. Un chiffre en hausse n'est vraiment valable que déduction faite des transferts ou des dépenses déjà engagées : quand on fait état de 629 millions de francs pour les services judiciaires, autant être transparent jusqu'au bout et ne pas oublier d'en déduire les 119 millions liés à l'augmentation automatique des rémunérations et à la hausse prévisionnelle des frais de justice - 120 millions. Au total, il ne reste que 390 millions... Ayons aussi l'honnêteté de ne pas ignorer quelques transferts, comme ces 32 millions de francs d'indemnités du Conseil d'Etat en provenance du ministère des finances.

Quoi qu'il en soit, il y a bien une augmentation. Je pose une question évidente : à quelles priorités celle-ci sera-t-elle affectée ? Nous vous entendons répéter régulièrement qu'il n'est pas de réforme non financée. Je vous retourne bien volontiers le raisonnement : toutes les créations de postes sont largement mobilisées par les réformes que vous mettez en place. Vous-même reconnaissez qu'un peu plus de la moitié des 140 créations de postes de magistrats - en fait la totalité, sinon plus, de l'avis de nombreux experts - seraient consommées par la mise en application de votre réforme de la détention provisoire.

En d'autres termes, ces moyens supplémentaires ne serviront pas à accélérer les délais de jugement ni à réduire les stocks de contentieux en instance.

Permettez-moi à ce propos de regretter la manière dont nous sommes parfois amenés à légiférer, sans étude d'impact, parfois à coup d'annonces, comme ce fut le cas voilà quelques jours sur les sectes. Effets d'annonce, mais avec quels moyens ? Il en est de même avec le PACS, dont on préfère confier l'enregistrement et la constitution du fichier aux tribunaux d'instance plutôt qu'aux préfectures. Mais, là encore, avec quels moyens ? A-t-on fait une étude d'impact afin d'apprécier la charge supplémentaire qui en résultera pour les personnels des greffes et les juges, à plus forte raison lorsque l'on parle d'élever le seuil de compétence des tribunaux d'instance ? Plus généralement, madame la ministre, la manière dont vous entendez mener votre réforme de la justice nous laisse de plus en plus perplexes. Les projets sont hachés, sans aucune vue d'ensemble. Nous vous le répétons à chaque occasion : nous aurions voulu un projet d'ensemble, exposé de manière transparente, quitte à


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devoir échelonner les débats. Or nous arrivons à des incohérences dont l'exemple le plus marquant est celui de la détention provisoire.

Le vendredi 3 avril 1998, nous discutions dans cet hémicycle d'une proposition de loi, qui avait votre approbation, sur la réforme de la détention provisoire. En arrivant le matin, ce texte se traduisait par la nonincarcération de 7 000 personnes ; à treize heures trente, il aboutissait à la non-incarcération de 11 200 personnes ! C'est à se demander si votre vision de la réforme de la détention provisoire ne se résume pas à réduire le nombre d'incarcérations, faute de donner aux établissements pénitentiaires les moyens de fonctionner correctement.

Première étape : la proposition de loi d'avril 1998.

Deuxième étape : vous déposez un projet de loi réformant la détention provisoire, qui fait strictement double emploi avec la proposition de loi adoptée, qu'il s'agisse de la détention provisoire ou de la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue. Troisième étape : nous apprenons par un journal du soir que l'examen du projet de loi sur la présomption d'innocence, qui était programmé en décembre, sera reporté. Est-ce à croire que la vigueur des réclamations et des oppositions que ce texte a suscitées parmi les magistrats vous a convaincue de prendre davantage le temps d'y réfléchir ? En tout état de cause, convenez-en, tout cela n'est guère cohérent.

Ce dont souffre notre justice, c'est que le Premier ministre vous ait interdit, à l'été 1997, de mettre en place une nouvelle loi de programmation. Vous ne vous privez pas de critiquer sévèrement celle adoptée par l'ancienne majorité ; j'ai pourtant remarqué avec plaisir que nos rapporteurs s'en servent pour évaluer le rythme des créations d'emplois et mesurer l'évolution des délais de jugement.

On ne peut faire une politique rationnelle qu'en se fixant des objectifs, même si les contingences budgétaires les rendent parfois plus difficiles à atteindre. Il faut un tableau de bord pour gérer efficacement.

Enfin, votre budget répond-il au besoin de sécurité des Français ? A plusieurs reprises, durant la discussion budgétaire, l'opposition vous a fait part de ses inquiétudes.

Inquiétude en s'apercevant que, après quelques années d e stabilisation, l'insécurité et la criminalité ontr ecommencé à augmenter depuis le début de l'année 1998. Inquiétude aussi en voyant la gendarmerie si mal servie dans le budget de la défense. Inquiétude encore en constatant que la police est tout aussi mal lotie dans le budget de l'intérieur, à tel point que le ministre a dû concéder, pour emporter le vote de sa propre majorité, une rallonge budgétaire de 500 millions ! Q u'en est-il de l'administration pénitentiaire ? La déception est énorme chez l'ensemble des personnels.

L'administration pénitentiaire est en quelque sorte le reflet des difficultés de la société. Il est vrai qu'elle travaille de plus en plus difficilement dans un contexte marqué par l'allongement des peines. La surpopulation des maisons d'arrêt rend les conditions de vie des détenus comme des surveillants extrêmement pénibles. Elle rend plus difficiles les actions de réinsertion, qui font également partie des missions de la prison.

Il en est de même pour les locaux. La situation devient critique dans nombre d'établissements, particulièrement à Lyon où 80 millions de francs seraient nécessaires. Et que dire des rémunérations ? Vous vous êtes félicitée de l'augmentation de 16 % d'une prime de nuit. Mais qu'en pensent les personnels, lorsqu'ils calculent que cette revalorisation représente en fait 95 centimes par mois ? Et qu'en est-il des personnels de direction, confrontés à une quasi-stagnation de leur pouvoir d'achat et au blocage du déroulement des carrières pour les fonctions de direction ? Comment peut-on créer si peu de postes de surveillants - 187 au total, c'est-à-dire moins que le nombre d'établissements ? En conclusion, madame la garde des sceaux, si vous mobilisez effectivement quelques moyens au service de notre justice, force est de reconnaître que votre budget reste un budget des occasions manquées, faute de concentrer les moyens nouveaux sur ce qui nous semble être les priorités absolues pour les Français. Il peut être tentant pour un garde des sceaux de laisser son nom à une grande réforme, mais notre justice a d'abord et surtout besoin d'une politique modeste et efficace. Plutôt que de vouloir à toute force imposer de nouvelles occasions de complexifier davantage encore le système, commençons par concentrer les moyens sur des objectifs simples : un fonctionnement plus rapide de la justice et la disparition de ces véritables dénis de justice liés à des délais extraor dinairement longs, une politique de la justice enfin dans laquelle l'administration pénitentiaire, au rôle si difficile, n'ait pas l'impression d'être oubliée.

Pour toutes ces raisons, le groupe RPR votera contre votre projet de budget.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme Nicole Feidt.

Mme Nicole Feidt.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le groupe socialiste constate avec satisfaction que, conformément à ses engagements d'octobre 1997, le Gouvernement a fait cette année des efforts significatifs en faveur du budget de la justice. Il convient de saluer tout particulièrement votre opiniâtreté, madame la ministre, car vous avez réussi à faire désormais du budget de la justice une priorité affirmée pour le Gouvernement. Sachez que nous resterons vigilants à vos côtés pour que celle-ci s'inscrive impérativement dans la durée, afin de résorber un retard endémique.

Ces mesures étaient largement attendues et espérées, tant les carences apparaissaient manifestes, qu'il s'agisse des besoins des services en personnels et moyens matériels, de l'amélioration de l'accueil des usagers, des effectifs, du déroulement de carrières et des rémunérations des personnels, ou des mesures à prendre face à l'accroissement de la délinquance urbaine.

Mais ces efforts, que nous voulons publiquement souligner, en direction de l'administration pénitentiaire, de la protection judiciaire de la jeunesse ou des services judic iaires, ne doivent pas faire oublier que certaines demandes demeurent insatisfaites, qui parfois s'expriment de façon aiguë.

Nous voudrions à ce sujet, madame la garde des sceaux, appeler votre attention sur deux domaines essentiels : la situation de la protection judiciaire de la jeunesse, et les revendications des personnels pénitentiaires, qui, ainsi que vous le savez, manifestent leur impatience face à des attentes qui ne sont pas pleinement satisfaites.

S'agissant de la protection judiciaire de la jeunesse, il est nécessaire d'analyser l'action menée en milieu ouvert et en milieu fermé. Il est essentiel de redéfinir les modalit és d'intervention des diverses associations qui se consacrent à la prise en charge des mineurs en difficulté.

La création d'une instance de coordination apparaît indispensable. La place de l'Etat, dont la justice et la sécurité constituent une des missions régaliennes, doit être néces-


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sairement précisée, voire clarifiée. Cette action en faveur de la protection judiciaire de la jeunesse doit donc demeurer, comme l'a relevé Jean Pontier, une mission de l'Etat distincte de l'action du secteur privé.

Par ailleurs, on ne peut pas ne pas évoquer l'implication des départements dans ce domaine. En effet, la protection judiciaire de la jeunesse participe peu à l'action de protection de l'enfance dont l'essentiel est assuré par l'aide sociale à l'enfance des conseils généraux et par le secteur associatif, y compris pour la protection judiciaire décidée par les magistrats. Cette double compétence aide sociale à l'enfance et protection judiciaire de la jeunesse - en matière d'assistance éducative cherche désespérément ses justifications.

De nombreux adolescents en difficulté sont confiés au service de l'aide sociale à l'enfance alors que les textes désignent la protection judiciaire de la jeunesse pour exercer normalement cette mission. L'intégralité de l'assistance éducative, décidée par les juges des enfants, et la protection administrative décidée par le président du conseil général sont financées par le département. Ajoutons que l'hébergement au titre de l'enfance en danger et de l'enfance délinquante fait cruellement défaut : on compte peu de places d'accueil en établissements et guère davantage en familles d'accueil. C'est pourquoi nous mesurons tout l'intérêt d'une analyse attentive de ce domaine afin de déboucher sur une clarification dans l'exercice des responsabilités de chacun.

Sur l'administration pénitentiaire, M. Gerin a présenté un excellent rapport. Tout comme lui, je suis très préoccuppée par le mécontentement général des gardiens de prisons, qu'ils expriment par diverses manifestations aux abords des centres de détention. Leurs demandes portent à la fois sur les effectifs et sur les rémunérations. Votre budget prévoit des augmentations d'effectifs en proportion importante ; rappelons néanmoins que le retard est très lourd. Ainsi, le budget de 1997 n'avait prévu que quarante postes de gardiens, alors même que le gouvernement de M. Juppé construisait des prisons sans se préoccupper en rien de l'encadrement et des personnels nécessaires.

Les gardiens de prison jugent les augmentations de rémunération accordées par le cadre du projet de loi de finances pour 1999 trop faibles au regard des obligations du service, notamment pour ce qui concerne l'indemnité de travail de nuit, celle du dimanche et des jours fériés.

Qu'il me soit permis de rendre à cette tribune un hommage tout particulier aux différents personnels de l'administration pénitentiaire. En effet, si notre société est particulièrement attentive aux décisions de justice, si elle est également sensible à la sévérité des peines prononcées, e lle semble marquer beaucoup moins d'intérêt aux différents personnels de l'administration pénitentiaire et notamment aux gardiens de prison.

Pourtant, au quotidien, ce sont eux qui assument la responsabilité de la bonne exécution des peines et de la bonne marche des établissements, ce sont eux qui doivent faire face à des situations extrêmement tendues liées à la surpopulation carcérale, à la violence et à la dangerosité de certains détenus.

Aussi la dignité des surveillants s'accompagne-t-elle mal de cette revalorisation qu'ils assimilent plus à une aumône qu'à une véritable reconnaissance sur le plan financier des conditions difficiles de leur travail. Ajoutons que le déroulement des carrières est très lent.

Nous savons tous qu'il va à la fois de l'intérêt général de notre société, mais également de leur sécurité et de leurs conditions de travail que ces personnels puissent à la fois disposer des moyens nécessaires à la bonne exécution de leurs missions et voir leur travail reconnu.

Il convient d'ailleurs d'observer à ce moment du débat combien dans leurs revendications intervient la prise en compte de la situation des détenus, dont nous avons à préserver la dignité. Chacun sait que cette prise en compte influe de manière non négligeable sur les conditions de travail de leurs gardiens, qu'il s'agisse des conditions matérielles de la détention, locaux, visites, douches, surpopulation, etc., ou naturellement des conditions de réinsertion et de préparation à la libération. Cette année encore, vous consacrerez 22 800 000 francs à l'amélioration des conditions de vie quotidienne des détenus.

Cela dit, j'ai conscience des impératifs budgétaires nationaux et surtout de l'ampleur du retard accumulé depuis des années dans la gestion de ce dossier, tant dans le domaine du recrutement des personnels que dans celui des conditions de travail et de rémunération.

Je souhaite, madame la ministre, que des améliorations soient encore, autant que possible, apportées à ce budget pour les rémunérations et les conditions de travail de ces personnels, afin que ceux-ci, situés en bout de chaîne, puissent assurer correctement et en toute sécurité le rôle ingrat et difficile que la société leur a confié.

Cela m'amène à évoquer les condamnations à des peines de prison alors qu'existent des peines de substitution. Nous avons non seulement à favoriser les alternatives à l'incarcération, mais aussi à réfléchir à la mise en détention provisoire parfois trop systématiquement décidée, et à rejeter également toutes mesures qui contribuent à engorger les prisons et à rendre encore plus difficiles les conditions d'incarcération. Je sais que vous partagez notre souci.

Enfin, je voudrais évoquer les victimes et l'exigence d'une justice au service des citoyens, plus simple, plus rapide. Nos concitoyens attendent donc de la justice qu'elle ait les moyens de ses ambitions et que cela se traduise dans les nouvelles réformes.

Le budget de la justice est cette année en hausse de 5,60 %. Il prouve l'attachement du Gouvernement à cette priorité et marque une rupture certaine avec les années précédentes. Vous disposez ainsi, madame le garde des sceaux, d'une base solide pour rerchercher désormais la qualité par la rationalisation des moyens dans le cadre de la réforme que vous avez entreprise. Le groupe socialiste votera donc ce budget et sera particulièrement attentif à ce que l'effort engagé, cette année, soit poursuivi et amplifié les années prochaines. C'est là le prix d'une véritable réforme de la justice. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Michel.

M. Jean-Pierre Michel.

Madame la ministre, vous avez tenu parole. Votre budget montre que vous poursuivez les efforts que vous avez entrepris l'année dernière ; c'est donc un bon budget. Il est malheureux qu'il s'inscrive dans le cadre d'un budget de la nation contraint par des directives européennes d'inspiration libérale, qui, à mon sens, ne permet pas à l'Etat de remplir convenablement toutes ses missions, notamment celles dont vous avez la charge.

Quoi qu'il en soit, les crédits que vous avez obtenus sont mis au service d'une bonne politique. Les réformes que vous avez annoncées et entreprises doivent, à mon


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sens, déboucher rapidement, notamment celles qui visent à moderniser la justice, à réformer notre procédure pénale, dont la présomption d'innocence, ainsi que nos tribunaux de commerce.

J'entends dire que ces réformes seraient différées au motif que les parlementaires ne voudraient pas travailler.

J'en ressens comme une honte : rappelons que le mandat national est le premier que l'on doit exercer, même si l'on en a d'autres. Nous pouvons être requis ici tous les jours de la semaine, y compris le week-end. Votre majorité, j'en suis persuadé, sera derrière vous pour peu qu'elle croie aux réformes que vous entreprenez. Evidemment, si elle les juge inutiles ou inopportunes, il faut qu'elle le dise. Pour ma part, je ne suis pas de cet avis.

Je veux axer mon court propos sur le secteur pénitentiaire. Vous avez opéré une rupture à cet égard par rapport aux politiques antérieures, de droite comme de gauche. Votre démarche me paraît intéressante. Vous avez fait des annonces, affecté dans votre budget des crédits à des nouvelles politiques. Par conséquent, les perspectives que vous tracez sont bonnes ; mais il faut aller plus loin.

J'espère que votre majorité tout entière sera derrière vous pour vous soutenir dans cette entreprise.

Le projet de loi sur la présomption d'innocence devrait être discuté rapidement - j'espère avant la fin de l'année ; en tout cas, je le souhaite -, afin que le juge de l'instruction ne soit plus celui qui mette en détention et que la mise en détention provisoire soit soumise à des limitations objectives, seul moyen d'éviter des abus, notamment quant à la durée. En effet, si l'on peut concevoir que, dans certains cas, la mise en détention soit indispensable au début de l'instruction, elle ne l'est plus au bout d'un certain temps, ou alors elle sert à cacher l'inaction du juge d'instruction et son impossibilité de sortir d'une information difficile.

Il faut également mettre en oeuvre, de par la loi, une véritable politique de numerus clausus.

Seule une mesure de ce type permettra de limiter les mises en détention, de développer les politiques alternatives à la détention et d'améliorer réellement les conditions de vie en détention.

Nous savons que les conditions de vie en détention sont encore mauvaises pour les détenus et que cette situation n'est pas sans conséquence pour les personnels pénitentiaires. D'ailleurs, la France est « épinglée » régulièrement par le Conseil de l'Europe sur cette question, ce qui est tout de même un peu dommage.

Pour ce qui est de la population carcérale, nous savons que ce sont essentiellement les plus pauvres qui la composent. De plus, ils restent plus longtemps en prison et dans des conditions plus difficiles que les autres détenus. Pour eux, les ressources sont encore réduites du fait de leur emprisonnement. Ainsi, ils n'ont pas droit à tous les minima sociaux : ils peuvent percevoir l'allocation veuvage, le minimum vieillesse et le minimum invalidité, mais, en revanche, le versement de l'allocation spécifique de solidarité réservée aux chômeurs démunis en fin de droits est très vite suspendue puisqu'une incarcération de plus de quinze jours entraîne la radiation automatique des listes de l'ANPE. De même, une personne placée derrière les barreaux ne peut prétendre au bénéfice de l'allocation de parent isolé, conformément à une lettre ministérielle du 26 octobre 1994, lettre sur laquelle vous pourriez toutefois revenir. Par ailleurs, un détenu n'a plus droit au RMI à partir du mois qui suit le soixantième jour de son incarcération. Quant à l'allocation d'adulte handicapé, elle est réduite dans certains cas.

Tout cela me conduit à vous demander de prendre plusieurs mesures.

Nous avons voté ici même une loi relative à la lutte contre les exclusions, qui, malheureusement, est limitée aux moins exclus. Elle ne prend pas en compte les plus exclus, notamment ceux qui sont détenus en établissement pénitentiaire. Pour y remédier, des mesures concernant le RMI s'imposent.

D'abord, il me semble indispensable que les personnes qui ont accès au RMI avant leur incarcération continuent à le percevoir durant celle-ci. Ensuite, il faut que les personnes en situation d'indigence durant leur incarcération puissent avoir accès au RMI. Enfin, le RMI devrait être accordé dès le jour de leur libération à ceux qui remplissent ses critères d'attribution, ce qui implique que les procédures d'obtention soient engagées avant la sortie de prison. On pourra me rétorquer qu'il s'agit de mesures qui auraient pu être prises dans la loi relative à la lutte contre les exclusions, mais ce n'est pas le cas. Heureusement, il n'est pas trop tard pour bien faire.

Nous nous apercevons également que les personnes mises en détention, notamment les plus défavorisées, échappent encore beaucoup trop aux dispositifs de qualification. Il convient donc de faire un effort pour développer la formation professionnelle en prison, afin de préparer la sortie des détenus, leur réinsertion que nous souhaitons tous, ou plutôt leur insertion car c'est bien souvent de cela qu'il s'agit.

Les personnes mises en détention ne bénéficient pas n on plus des mesures de lutte contre l'illettrisme, lesquelles doivent être renforcées.

Enfin, il me semble utile d'améliorer les conditions de visite des familles pour préserver les liens affectifs, notamment entre les parents détenus et leurs enfants. Pour cela, il faut développer des unités de vie familiale.

Voilà un certain nombre de suggestions qui vont d'ailleurs dans le sens de ce que vous souhaitez, madame la ministre, mais qui, à mon avis, doivent être amplifiées et accélérées.

Certains ont déjà évoqué à cette tribune les conditions de travail du personnel pénitentiaire. Celui-ci a droit à toute notre gratitude et à notre respect pour la tâche qu'il accomplit dans des conditions difficiles. Le manque de fonctionnaires est évident, ce qui génère d'ailleurs un nombre ubuesque d'heures supplémentaires dont le coût atteint depuis plusieurs années des sommets. Sur ce point aussi, il faut procéder à des améliorations.

Telles sont, madame la garde des sceaux, les quelques observations que je voulais formuler. Cela dit, je renoue avec le début de mon propos et je vous confirme que le groupe RCV votera votre budget, tout en souhaitant que vous alliez encore plus loin et que vous obteniez du Gouvernement les moyens de le faire (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. André Vallini.

M. André Vallini.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dire ce que l'on fait mais surtout faire ce que l'on dit, c'est une formule, cela a été un slogan, mais cela a surtout été un engagement que les socialistes ont pris devant les Français au printemps 1997 pour obtenir leur confiance. Cette confiance, ils nous l'ont accordée et, depuis bientôt dix-huit mois, nous faisons tout pour en être dignes, c'est-à-dire que nous nous efforçons de faire ce que nous avions dit que nous ferions.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 1998

S'il est un domaine dans lequel nous illustrons cette exigence de morale publique, c'est bien celui de la justice.

En effet, madame la garde des sceaux, vous avez annoncé ici même, le 15 janvier dernier, une réforme ambitieuse et globale de la justice française. Je ne comprends d'ailleurs pas les interrogations de M. Warsmann qui regrette l'absence d'une réforme d'ensemble de la justice.

M. Jean-Luc Warsmann.

Absolument !

M. André Vallini.

Mme Guigou, ici même - vous vous en souvenez, mon cher collègue, puisque vous étiez là -, a annoncé cette réforme d'ensemble.

M. Jean-Luc Warsmann.

Annoncée, pas présentée !

M. André Vallini.

Depuis, les réformes se succèdent.

Certaines sont en cours, d'autres sont à venir. Les chantiers s'ouvrent les uns après les autres, avec pour perspective globale de réformer en profondeur la justice française.

Pour ne pas en rester aux effets d'annonce, car l'on sait qu'en matière politique notamment, il y a souvent loin de la coupe aux lèvres et des discours aux actes, mais pour mettre en oeuvre cette réforme, le Gouvernement a annoncé plusieurs textes importants. Certains ont été votés ; d'autres vont l'être, plus ou moins rapidement. J'ai lu, comme vous tous, mes chers collègues, dans un grand journal du soir paru hier que l'examen du texte sur la présomption d'innocence serait peut-être retardé de quelques semaines ; ce n'est pas très grave.

Je m'attacherai, dans les quelques minutes qui me sont imparties, à montrer que ce budget, qui est un bon budget - tous ceux qui sont objectifs le reconnaissent, notamment M. Devedjian -, va permettre à la justice non seulement de mieux fonctionner, mais aussi et surtout de se réformer.

Pour illustrer mon propos, je citerai trois exemples.

Le 15 janvier, vous avez annoncé, Mme Guigou, que vous souhaitiez, avec le Gouvernement, une justice plus simple, plus accessible, plus proche des citoyens. Le budget pour 1999 montre que les moyens sont là pour le développement des conseils départementaux d'aide juridique, pour le fonctionnement des maisons de la justice et du droit, pour la modernisation des juridictions et pour la mise en service des nouveaux bâtiments.

Cher confrère Devedjian - je dis bien confrère -, nous aurons, nous, à Grenoble, la chance que vous n'aurez pas à Paris de disposer prochainement un très beau palais de justice, tout neuf. Il est en cours de construction, et Mme Elisabeth Guigou est venue visiter le chantier il y a quelques mois.

Le 15 janvier dernier, madame la garde des sceaux, vous avez annoncé aussi une justice plus respectueuse des libertés. Là encore, le budget pour 1999 montre que les moyens sont là, en particulier pour cette réforme importante tant attendue par les avocats et, au-delà d'eux, par les défenseurs des droits de l'homme, je veux parler de la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue.

C'est ainsi que 20 millions francs supplémentaires sont prévus pour l'aide juridictionnelle. De même, s'agissant de la création du juge de la détention provisoire, création dont nous allons prochainement examiner le principe lors de la discussion du texte relatif à la présomption d'innocence, des moyens sont également prévus : en effet, la m oitié des postes de magistrats nouvellement créés en 1999 seront affectés à la réforme de la détention provisoire.

Vous aviez annoncé aussi, madame la ministre, le 15 janvier, une lutte plus efficace contre la délinquance financière. Là encore, les moyens sont prévus au budget pour 1999. Je pense notamment au renforcement des pôles de lutte contre la délinquance financière qui ont été créés à Paris, à Lyon, à Marseille et en Corse. Je pense aussi aux mesures très importantes destinées à lutter contre l'argent sale et la grande criminalité financière organisée au niveau du continent européen, que vous avez annoncées, avec vos collègues européen, à Avignon, il y a quelques semaines, lors d'un colloque sur l'Espace judiciaire européen, auquel j'ai eu la chance de participer.

Tout cela pour dire que ce budget est bon, madame la ministre, et que les réformes sont en cours. Ces réformes et je dis cela à l'attention de M. Warsmann - vont finalement permettre de mettre en oeuvre la réforme annoncée et attendue par le Président de la République, Jacques Chirac.

Entre parenthèses, mes chers collègues de l'opposition, je me demande finalement si Jacques Chirac, au fond de lui - mais il ne l'avouera jamais -, n'est pas satisfait du résultat de la dissolution. (Sourires.) Lorsque l'on voit ce que les socialistes font en matière de lutte contre la fracture sociale ou en matière de réforme de la justice, je me dis qu'il a eu bien raison - et il doit en être de conscient - de changer de gouvernement.

M. René Mangin.

Très bien !

M. Jean-Luc Warsmann.

Laissez le Président où il est ! Vous avez d'autres problèmes à résoudre !

M. André Vallini.

Le gouvernement Juppé n'arrivait pas à réduire la fracture sociale, nous y parvenons. Le gouvernement Juppé ne faisait rien pour réformer la justice, nous le faisons. Jacques Chirac a vraiment bien fait de dissoudre, car, pour mettre en oeuvre ses propres engagements, ils fallait permettre aux socialistes et à la gauche d'arriver au pouvoir.

Ce tableau budgétaire de la justice est lumineux, avec toutefois une ombre : l'absence de réforme de cours d'assises. Vous savez, madame la ministre, que cette réforme est attendue depuis longtemps : il s'agit d'instaurer un double degré de juridiction et donc de permettre un appel des verdicts des cours d'assises. Je sais qu'une telle réforme peut coûter un peu d'argent, mais, à défaut, on peut se contenter d'un système tournant prévoyant qu'une cour d'assises d'un autre département pourrait siéger en tant qu'instance d'appel, voire envisager d'assouplir les procédures de révision d'un procès - mais cette demimesure ne serait pas très satisfaisante.

En tout cas, ce que je sais, c'est que la France, qui se targue volontiers, un peu trop volontiers sans doute, d'être la patrie des droits de l'homme, ne peut plus attendre cette réforme. Il faut absolument une instance d'appel des verdicts de cours d'assises. Je pense à l'affaire Seznec : des décennies plus tard, le petit-fils de Seznec se bat encore pour obtenir la révision du procès de son grand-père. Je pense à Omar Raddad, qui hier encore était au fond de sa prison. Je pense à Jean-Marc Deperrois, qui, du fond de sa cellule, clame son innocence et qui n'a pas de possibilité de faire appel. Tout cela ne peut pas durer, madame la ministre.

Vous avez fait la preuve, depuis votre arrivée place Vendôme, que vous souhaitiez une justice plus simple, plus efficace, plus impartiale, mais aussi plus humaine. Je compte sur vous, et au-delà de moi tous les défenseurs des droits de l'homme comptent sur vous pour que, d'ici à la fin de la législature, une réforme des cours d'assises


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 1998

soit engagée. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je tiens d'abord à remercier les rapporteurs qui ont accepté, mardi soir, la modification de l'ordre du jour. Je regrette, bien entendu, l'absence de M. Jacques Floch, retenu à Genève pour une réunion de l'OSCE, mais je me réjouis de voir que Mme Nicole Feidt a accepté de présenter le rapport de son collègue, en plus de ses propres observations.

Tout en vous présentant mon budget, je tâcherai de répondre aux interventions des rapporteurs et des orateurs.

Je suis heureuse de vous présenter à nouveau, pour la deuxième année, le projet de budget de la justice. Je m'en réjouis d'autant plus que ce budget, qui avait déjà été favorisé en 1998, bénéficiera d'une priorité encore plus marquée pour 1999.

Vous avez en effet noté, et je vous en remercie, que le total des crédits de la justice pour 1999 augmente de 1,4 milliard de francs par rapport à 1998, soit une progression de 5,6 %, progression qui est à comparer avec celle du budget général de l'Etat qui est de 2,3 %.

La justice bénéficiera de 930 créations d'emplois budgétaires contre 762 en 1998. C'est la plus forte hausse parmi tous les ministères civils.

Pour le fonctionnement des services, les mesures inscrites au titre des moyens nouveaux s'élèvent à 314 millions, soit 75 millions de plus que les moyens nouveaux inscrits au budget de 1998.

Pour l'équipement, avec 1,7 milliard d'autorisations de programme nouvelles, la justice se situe au premier rang, après les transports - secteur qui, reconnaissez-le, nécessite des investissements très lourds - pour les investissements civils directs de l'Etat. Les crédits de paiement augmentent, quant à eux, de 13 %.

A la suite de la communication sur une réforme de la justice que j'avais présentée en conseil des ministres le 29 octobre 1997, trois grandes orientations ont été retenues par le Gouvernement : une justice au service des citoyens, une justice au service des libertés, une justice indépendante et impartiale. Tels sont les trois axes de la réforme que je mets en oeuvre actuellement. Les travaux avancent à un rythme soutenu. Votre assemblée est saisie des textes fondateurs de cette réforme.

Je rappellerai très brièvement quels sont les principaux textes, puisque certains d'entre vous se sont plaints de ne pas y voir clair.

S'agissant de la première orientation, une justice au service des citoyens , le texte principal est celui de la réforme de l'accès au droit. Il s'agit de permettre à chacun de nos concitoyens de connaître ses droits. Ce texte a été voté à l'Assemblée et au Sénat. J'y reviendrai tout à l'heure.

Un autre texte est relatif à la simplification des procédures pénales, il a déjà été examiné par le Sénat et l e sera prochainement par votre assemblée.

En ce qui concerne le deuxième orientation, une justice au service des libertés - thème sur lequel M. Michel et M. Hage ont particulièrement insisté avec raison, tout à l'heure -, j'observe le projet de loi qui tend à renforcer la présomption d'innocence et les droits des victimes a été déposé le 16 septembre 1998. Votre assemblée l'examinera dans quelques semaines.

Enfin, s'agissant de la troisième orientation, une justice indépendante et impartial, vous savez que le projet de loi constitutionnelle relatif au Conseil supérieur de la magistrature fera l'objet d'une deuxième, et je l'espère dernière, lecture au Sénat dans les semaines à venir, et que le projet de loi relatif à l'action publique en matière pénale, qui tend à modifier les relations entre le ministre de la justice et les magistrats du ministère public, a été déposé sur le bureau de votre assemblée, le 3 juin dernier.

Voilà un bref rappel des textes législatifs les plus importants qui sont devant vous.

Je vais maintenant aborder successivement la question des moyens, qui, comme vous l'avez souligné, est essentielle, les priorités de la politique judiciaire, celles de la lutte contre la délinquance des jeunes et celles de la politique pénitentiaire.

S'agissant des services judiciaires, du fonctionnement des juridictions, je tiens à souligner que les moyens financiers et humains sur lesquels le Gouvernement s'est engagé doivent répondre à deux objectifs majeurs : améliorer le fonctionnement quotidien des juridictions, c'està-dire poursuivre la mise à niveau engagée cette année, grâce aux effectifs et aux moyens du budget de 1998 ; financer et mettre en oeuvre les réformes.

L'augmentation des moyens alloués a traduit la première année de mise en oeuvre des engagements du Gouvernement. Je voudrais souligner, puisque vous vous êtes tous inquiétés des délais dans les juridictions - et vous avez eu raison - qu'il faut continuer à avoir pour objectif principal de les réduire. Je vais vous citer quelques chiffres à ce sujet.

En 1997, pour la première fois depuis de nombreuses années, le flux global des affaires civiles a diminué de 3,1 %. La baisse a été particulièrement sensible dans les tribunaux de grande instance avec une diminution de 4,6 %. Pour autant, les délais des contentieux continuent à se détériorer. Pourquoi ? Tout simplement parce que, comme le flux des affaires nouvelles demeure supérieur aux affaires traitées dans l'année, l'augmentation du stock des affaires en cours se poursuit. Les délais des cours d'appel sont ainsi passés de 15,8 mois à 16,3 mois et ceux des TGI de 8,9 mois à 9,1 mois.

Comment répondre à cette situation ? On peut, bien sûr, augmenter les effectifs, et je reviendrai sur ce point d ans un instant, mais, comme l'a dit justement M. Devedjian, on ne peut pas seulement compter sur cette solution. Si l'on ne modernise pas la gestion des tribunaux, si l'on ne simplifie pas les procédures, l'augmentation des effectifs ira dans un véritable tonneau des Danaïdes. Je m'emploie donc non seulement à augmenter les effectifs se perdra aussi à simplifier les procédures, la procédure pénale, mais également les procédures civiles le décret relatif à celles-ci devant être publié à la fin de l'année -, et à améliorer la gestion des tribunaux en les modernisant.

Je rappelle que, au-delà des recrutements nouveaux, vous avez autorisé en 1998 et 1999 deux recrutements exceptionnels de cent magistrats chacun ; la première promotion arrivera à l'Ecole de la magistrature au mois de janvier.

J'indique aux trois rapporteurs, et spécialement à

M. Devedjian, qui a insisté sur la longueur des délais, qu'on ne peut pas dire que la productivité se détériore ; il faut considérer l'évolution sur la longue période.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 1998

Depuis vingt-cinq ans, en effet, le nombre des affaires a été multiplié par quatre devant les cours d'appel comme devant les TGI, alors que, pendant la même période, le nombre des magistrats a augmenté de 20 % dans les tribunaux de grande instance et de 50 % dans les cours d'appel. On est donc loin d'une diminution de la productivité ; celle-ci s'est au contraire considérablement améliorée. Le nombre d'arrêts par magistrat a doublé au civil. Je tenais à souligner que, dans des conditions très difficiles, les magistrats font leur travail avec beaucoup de dévouement et de compétence.

Le projet de loi de finances pour 1999 accentue, et c'est normal, l'effort, entrepris en 1998, de renforcement du personnel des juridictions. C'est ainsi que, pour 1999, le Gouvernement vous propose de créer 140 emplois de magistrats, ce qui est le chiffre le plus élevé des quinze dernières années et représente un doublement de l'effort réalisé en 1998. Les recrutements seront accélérés grâce aux concours exceptionnels que je vous remercie d'avoir votés. Nous augmenterons également le nombre de postes offerts au concours de l'Ecole nationale de la magistrature, qui passera à 185, soit une augmentation de quarante postes. Ces créations d'emplois de magistrats seront accompagnées de la création de 230 emplois de fonctionnaires, dont 122 emplois de greffiers et greffiers en chef et trente-cinq de techniciens informatiques, afin de poursuivre l'amélioration dans ce domaine, qui est bien nécessaire.

Enfin, le projet de loi de finances prévoit le recrutement de 400 assistants de justice supplémentaires, ce qui portera à 950 le nombre des assistants de justice.

J'ai bien entendu les remarques faites à ce sujet par Nicole Feidt et M. Hage. Jacques Floch précise dans son rapport : « Le concours apporté par ces collaborateurs a donné entière satisfaction et répondu à un besoin fortement exprimé par les magistrats, ainsi déchargés de certaines tâches répétitives ou de recherches longues. »

La priorité a été donnée au recrutement de magistrats, je le démontre avec ce projet de budget, ainsi qu'au recrutement de fonctionnaires, et je viens d'indiquer les chiffres, qui représentent un record. Alors qu'il n'y avait eu aucun recrutement de greffiers en 1997, il y en aura 230 en 1999.

Les assitants de justice, qui sont recrutés pour quatre ans, sont pour la plupart de jeunes universitaires qui terminent leur thèse et trouvent un avantage à avoir une expérience de la vie professionnelle ; certains passeront d'ailleurs le concours. Non seulement ils contribuent diectement au bon fonctionnement de la justice, en faisant des activités de recherche et de documentation, mais i ls favorisent la circulation de l'information et les échanges d'expérience entre les universités et les juridictions ; il n'y a aucune confusion entre eux et les agents titulaires.

Je souligne qu'une enveloppe de 18 millions de francs a été prévue pour engager enfin l'indispensable réforme du statut de la magistrature, cette réforme dont on parle depuis très longtemps, qui avait été mise au point par mon prédécesseur, mais pour laquelle, jusqu'à présent, aucun financement n'était prévu. Nous allons enfin pouvoir engager cette réforme. Bien entendu, celle-ci s'étalera sur plusieurs années, mais elle permettra d'améliorer le déroulement des carrières et d'accroître la mobilité des magistrats.

Un effort particulier a été consenti pour augmenter de 64,4 millions de francs la dotation de fonctionnement des juridictions. Ces moyens supplémentaires permettront le développement des conseils départementaux d'aide juridique - dont je souhaite la généralisation sur l'ensemble du territoire -, la poursuite de la création de maisons de justice et du droit, moyens évoqués dans le projet de loi sur l'accès aux droits, l'informatisation systématique des magistrats, engagée en 1998, et la poursuite de la création de pôles spécialisés dans la lutte contre la délinquance économique et financière ; deux seront créés cette année à Paris et Bastia, d'autres suivront.

Les tribunaux bénéficieront d'une hausse de l'effort d'investissement en autorisations de programme, avec 673 millions de francs, au lieu de 567 millions de francs en 1998, et d'une stabilisation des crédits de paiement, à hauteur de 961 millions de francs.

Les travaux de construction et de mise en sécurité des juridictions seront poursuivis, notamment le lancement de la construction des palais de justice de Toulouse, Besançon et Rodez et l'achèvement des grands chantiers de Rennes, Grasse, Nantes et Nice.

M. Devedjian a évoqué la situation du palais de justice de Paris. Un schéma directeur a permis de souligner que les juridictions parisiennes ont un déficit de surface évalué à 50 000 mètres carrés - ce qui n'est pas rien -, obligeant à multiplier le recours à des locations hors les murse t conduisant à des difficultés de fonctionnement récurrentes. M. Devedjian a souligné à juste titre que de nombreux magistrats ne possèdent pas de bureau et que les salles d'audience sont souvent exiguës.

Alors que les années 1995 à 1999 ont permis de relancer les constructions judiciaires dans la plupart des grandes villes françaises - Aix-en-Provence, Bordeaux, C aen, Lyon, Montpellier, Nantes, Nice, Toulouse, Rennes - et d'engager d'autres chantiers, je souhaite que les années à venir permettent, grâce à la construction d'un nouveau tribunal de grande instance à Paris, de résoudre les difficultés de la plus grande juridiction de France.

Ce ne sera pas facile car le coût de la constructionrénovation du nouveau TGI est estimé à plus de 3 milliards de francs, soit la moitié des crédits d'équipement sur cinq ans de l'ensemble du ministère de la justice. Il faudra donc, là aussi, faire un choix, mais le moment est en effet venu. Inutile de vous dire que j'ai déjà engagé la discussion avec le ministère du budget à cet égard, et j'espère obtenir son accord.

Le pôle financier de Paris sera vraiment opérationnel en mars prochain. Ses locaux sont adaptés, puisqu'il dispose de 8 330 mètres carrés. Il accueillera une soixantaine de magistrats et 117 fonctionnaires, qui disposeront des moyens informatiques les plus performants. Surtout, ce nouveau pôle permettra un travail en équipe des magist rats et assistants de justice spécialisés en matière comptable et fiscale, travail en équipe indispensable.

Celui-ci doit permettre de traiter plus rapidement les grands dossiers de délinquance économique et financière.

J'en viens à la mise en oeuvre des politiques judiciaires, et d'abord de la politique judiciaire en matière pénale. Je remercie M. Hage d'avoir souligné l'importance du projet de loi, et Jean-Pierre Michel d'avoir insisté sur la présomption d'innocence. Ce projet va exiger des moyens nouveaux.

Il faudra que les personnes placées en garde à vue puissent bénéficier de l'assistance d'un avocat dès la première heure, et 20 millions de francs de provisions sont prévus au budget de 1999 au titre de l'aide juridictionnelle.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 1998

La création de la fonction d'un juge de la détention provisoire exigera la mise en place de nouveaux magistrats ; le budget pour 1999 en donne les moyens.

Sur les 140 postes de magistrats créés en 1999, soixante-dix seront affectés à la mise à niveau, et de soixante-dix à quatre-vingts serviront à créer des postes de juge de la détention provisoire.

Le chapitre des frais de justice, qui participe directement au fonctionnement quotidien de la justice, permet de financer les mesures liées au projet de loi relatif aux alternatives aux poursuites et renforce l'efficacité de la procédure pénale. Ses crédits se montent à 1776 millions de francs en 1999, soit une hausse de 121 millions de francs ; le projet de loi est donc assorti des moyens qui lui sont nécessaires.

Une mesure nouvelle de 42 millions de francs est prévue. Elle permettra d'améliorer la préparation des décisions, notamment le contrôle judiciaire socio-éducatif et les enquêtes sociales, qui favorisent le prononcé de peines alternatives à l'incarcération ; elle permettra également de développer la médiation pénale et les classements sous condition, qui évitent un classement sans suite pur et simple pour des faits de petite et moyenne délinquance.

Les mesures alternatives aux poursuites sont passées de 38 189 en 1992 à plus de 101 000 en 1997, et il faut continuer à les développer.

Je citerai enfin la relance de la politique d'aide aux victimes par une circulaire du 13 juillet 1998, en partenariat avec les associations, et la création d'un groupe de travail i nterministériel dont la présidence est confiée à

Mme Marie-Noëlle Lienermann.

En matière civile, le chapitre de l'aide juridictionnelle, en hausse de 215 millions de francs, qui prend en charge les dépenses de défense ou de représentation des justiciables les moins favorisés, bénéficie d'une importante mesure nouvelle de plus de 97 millions de francs destinée à accompagner la mise en oeuvre des réformes.

J'ai déjà évoqué le projet de décret relatif à la procé dure civile, qui devrait être publié au Journal officiel d'ici à la fin de l'année. Il a pour principal objet de remédier à la situation d'engorgement des cours et tribunaux en simplifiant les procédures civiles. J'évoquerai notamment la redéfinition des compétences matérielles des juridictions, mesure qui doit aboutir à une extension du champ des tribunaux d'instance, dont le taux de compétence passera de 30 000 à 50 000 francs, et la révision du taux en dernier ressort des décisions de justice, qui passera de 13 000 à 25 000 francs. J'évoquerai enfin le projet de loi relatif à l'accès au droit et à la résolution amiable des conflits, adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 29 juin 1998.

La saisine du juge ne peut plus être la seule voie permettant aux personnes de régler leurs conflits, de faire valoir leurs droits et de bénéficier d'une aide de l'Etat.

Il faut absolument promouvoir les modes alternatifs de règlement des conflits, qui demandent simplement sens du dialogue et de l'écoute. Il faut aussi que l'Etat - et c'est l'objet du projet de loi - permette leur financement pour les catégories les plus défavorisées : cinq millions de francs de crédits d'intervention et six millions de francs de crédits de fonctionnement supplémentaires sont réservés à cette fin dans le budget de 1999.

Mais je n'oublie pas l'administration centrale. Nous devons en effet consentir un effort particulier en faveur de l'inspection générale des services judiciaires, qui doit être renforcée. Celle-ci, à côté de missions thématiques nombreuses, a une mission de contrôle permanent du fonctionnement des juridictions et, plus généralement, de l'ensemble des services placés sous l'autorité du garde des sceaux. Ce service entend renforcer sa présence sur le terrain, et je l'y encourage. A cet effet, cinq postes d'inspecteur des services judiciaires sont créés dans le budget de 1999 du ministère. Les nouveaux inspecteurs - six greffiers en chef en 1999 - chargés du contrôle des greffes des tribunaux de commerce et des mandataires de justice lui seront également rattachés. La réforme des tribunaux de commerce commencera à être mise en oeuvre dès 1999, mais vous constatez, avec ces créations de postes, que je n'attends pas une réforme législative des tribunaux de commerce pour continuer à agir en ce domaine.

La justice administrative doit, elle aussi, pouvoir répondre à l'augmentation du contentieux. Le budget du Conseil d'Etat et des juridictions administratives s'élève à 803 millions de francs. L'augmentation en moyens de paiement est de 4,9 % à structure constante. Ce budget prévoit, comme l'an dernier, la création de vingt et un postes de magistrats et de quarante emplois d'agents de greffe, ainsi que les crédits nécessaires à la rémunération de quinze magistrats recrutés à titre temporaire.

Les crédits d'investissement permettront d'assurer la création de la nouvelle cour de Douai, l'installation définitive du tribunal administratif de Melun, la poursuite de la politique de relogement des juridictions, ainsi que la modernisation et la restauration du Conseil d'Etat.

Je reviendrai un instant sur la carte judiciaire, que vous avez été plusieurs à évoquer, à la suite de M. Devedjian.

Il faut bien constater un échec. M. Houillon a rappelé que cinq rapports sont restés lettre morte. Tous préconisaient une méthode globale refusée fort justement par M. Devedjian. Une personnalité, toujours très intelligente et très compétente, définissait de Paris une réforme applicable uniformément sur le territoire, quelle que soit la spécificité des ressorts. Il ne faut pas s'étonner que ces réformes n'aient pu voir le jour. J'ai décidé de rompre avec une telle méthode. On ne parle plus de départementalisation et j'ai réussi à faire admettre cela par le ministère du budget. On ne se contente pas d'une réforme au cordeau, décidée dans un bureau du ministère de la justice. Le ministère du budget a accepté la création d'une mission de cinq personnes afin que nous puissions travailler plus près du terrain, plus près de la réalité, davantage en concertation avec les personnels, les élus et les magistrats.

Quel est mon calendrier ? J'ai obtenu les crédits dans le budget de 1998 et la mission a été mise en place en mars-avril et elle a commencé à travailler car elle est maintenant au complet. Je lui ai fixé comme objectif de me faire des propositions pour que la refonte de la carte des tribunaux de commerce soit terminée d'ici à la fin de 1999. Nous avons commencé par les ressorts des six cours d'appel où les tribunaux de commerce sont les plus nombreux et, de l'avis général, redondants, c'est-à-dire Caen, Rouen, Poitiers, Dijon, Montpellier et Riom. Ce travail est en cours mais la refonte de la carte se poursuivra au-delà de 1999 et concernera certains tribunaux d'instance et de grande instance.

La réforme de la carte judiciaire est très importante. Il faut la mener avec un grand réalisme géographique, en tenant compte des distances, des spécificités, des exigences sociales, des personnels, en refusant tout automatisme.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 1998

J'en viens maintenant au deuxième grand poste du budget de la justice, je veux parler de la lutte contre la délinquance des mineurs et la protection judiciaire de la jeunesse.

Le Gouvernement a arrêté lors du Conseil de sécurité intérieure du 8 juin 1998 ses orientations en matière de lutte contre la délinquance juvénile. Celles-ci se sont appuyées sur les travaux réalisés au cours de l'année 19971 998 par la mission interministérielle présidée par Mme Lazerges et M. Balduyck, ainsi que sur les travaux du groupe de travail et les consultations auxquelles ont b ien voulu participer plusieurs parlementaires, dont M. Gerin et à M. Pontier que je remercie pour leurs réflexions enrichissantes.

Une circulaire a été adressée le 15 juillet 1998 aux parquets. Les orientations principales retenues sont les suivantes : Premièrement, apporter une réponse à tous les faits de délinquance commis par les mineurs, quelle que soit leur gravité, et d'abord aux premières infractions. Les mineurs et leurs parents pourront être convoqués devant les procureurs ou leurs délégués. Il est prévu à cet effet de recru ter dans un premier temps 200 délégués qui seront spécialisés en matière de mineurs ; Deuxièmement, développer les mesures de réparation.

C ette sanction est particulièrement appropriée aux mineurs car elle permet de leur faire comprendre la portée de leurs actes, d'entendre les victimes, et d'associer les collectivités à sa mise en oeuvre ; Troisièmement, développer les dispositifs d'accueil de jour et d'hébergement diversifiés pour prendre en charge sans délai tous les jeunes adressés par les juges et pour ceux ayant commis les actes les plus graves, de les éloigner, comme l'a souhaité M. Gerin, de leur département d'origine.

L'accroissement des moyens de la protection judiciaire de la jeunesse s'inscrit dans le cadre de ces orientations et a pour objet de répondre à l'accroissement de l'activité.

En effet, le nombre des mineurs interpellés est en forte augmentation : 92 000 en 1993, 126 000 en 1995, 154 400 en 1997.

De plus, en raison de la montée de la précarité, les juridictions pour mineurs connaissent une très forte augmentation du signalement des mineurs en danger par les services sociaux. Le nombre de ces signalements est passé de 31 000 en 1994 à 49 500 en 1997.

Le secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse prend en charge 36 000 mineurs et jeunes majeurs au 31 décembre 1997 dont plus de 21 000, soit 59 %, sont des jeunes délinquants. Le secteur associatif habilité assure, pour sa part, plus de 105 000 mesures, majoritairement en assistance éducative.

J'ai souhaité qu'une cellule de coordination et d'accueil d'urgence, associant le secteur public de la protection judiciaire de la jeunesse, le secteur associatif habilité et l'aide sociale à l'enfance, soit mise en place, en concertation avec les juridictions dans les 26 départements prioritaires définis par le Conseil de sécurité intérieur. Cinq c onventions d'accueil d'urgence sont d'ores et déjà signées. J'espère que nous en aurons 9 d'ici la fin de l'année.

Enfin, le nombre des dispositifs éducatifs renforcés, qui permettent d'organiser des séjours de rupture pour les mineurs les plus difficiles et de les faire bénéficier d'une présence permanente d'éducateurs, jour et nuit, passera de 13 à 20 d'ici à la fin de 1999.

Avec 150 créations d'emplois, au lieu de 100 en 1998, dont 113 emplois d'éducateur et de chef de service éducatif, la protection judiciaire de la jeunesse connaîtra en 1999 le plus fort taux d'augmentation de ses effectifs depuis 1982.

Les crédits de fonctionnement des services de la protection judiciaire de la jeunesse augmenteront de 6,8 %, cela a été souligné.

Les crédits d'investissement permettront la création de nouveaux foyers d'hébergement et la rénovation des foyers existants.

M. Gerin a bien décrit la détresse ressentie dans les cités devant les actes graves, et surtout devant la répétition des actes de délinquance commis par des mineurs. Il a demandé un plan ORSEC qui engage les collectivités.

Pour la première fois, un travail a été engagé par la protection judiciaire de la jeunesse avec l'Assemblée des présidents de conseils généraux, dans une dizaine de départements pour chercher ce qui va et ce qui ne va pas dans l'articulation des responsabilités respectives des services de l'Etat et des départements. Pour la première fois également, le ministère de la justice participera à la mise au point des contrats de plan Etat-régions car nous pouvons trouver, là aussi, de nouveaux crédits. Je pense que cela intéresserait beaucoup de régions de faire un effort supplémentaire dans ce domaine.

J'en viens notamment au troisième grand service du ministère de la justice, les services pénitentiaires. Mon objectif prioritaire, vous le savez, est d'améliorer les conditions de détention.

J'ai présenté en conseil des ministres, le 8 avril 1998, une communication sur le rôle et la place des services pénitentiaires dans l'amélioration de l'exécution des décisions de justice.

Avec 57 458 détenus au 1er juillet 1998, la situation de nos prisons reste très préoccupante, même si la population se stabilise depuis deux ans.

L'allongement de la durée moyenne d'incarcération se poursuit : 7,8 mois en 1996, 8,1 mois en 1997.

En milieu ouvert, les publics suivis augmentent de manière significative : 123 000 personnes ont été suivies en 1997, soit une augmentation de 5 % par rapport à 1996.

Pour les services pénitentiaires, les crédits vont bénéficier d'une hausse de 6 % et je le souligne à nouveau, un effort très important en matière d'emplois va être fait puisque 344 emplois seront créés, dont 220 pour le personnel de surveillance.

L'amélioration de la prise en charge des détenus est indispensable, M. Gerin l'a souligné. Elle a une incidence fondamentale sur les conditions de travail des personnels et la sécurité des établissements.

La généralisation progressive du « projet d'exécution des peines », destinée à impliquer et à responsabiliser davantage les détenus dans l'exécution de leur peine, à permettre qu'un dialogue s'engage dès le début entre les détenus et les surveillants et à améliorer la prise en charge des prévenus, constitue une priorité.

Par ailleurs, 22,8 millions de francs de crédit de fonctionnement vont permettre, en 1999, d'améliorer les conditions d'hygiène, avec notamment l'augmentation du nombre de douches hebdomadaires qui passera de deux à trois, et l'amélioration de la qualité des petits déjeuners.

Une attention particulière sera portée aux indigents, notamment dans le cadre de la préparation à la sortie.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 1998

Pour moi, le maintien des liens familiaux constitue un facteur essentiel de réinsertion des détenus. Des initiatives seront prises pour simplifier l'accès aux parloirs et généraliser les structures spécifiques permettant l'accueil des familles. Une réflexion est en cours sur les unités de visites familiales pour les établissements de longues peines. J'espère que nous pourrons aboutir rapidement.

Le plan pour les mineurs détenus que j'ai initié cette année est en cours de réalisation. Il repose sur l'adaptation de l'action éducative et l'amélioration des conditions d'hébergement, l'affectation de personnels mieux formés et spécialisés, la restructuration des quartiers mineurs.

De la même façon, la modernisation du parc pénitentiaire se poursuit. Un programme d'équipement a été lancé en 1998, en vue de la construction de trois nouveaux établissements, à Lille, Toulouse et Le Pontet - à Avignon et 696 millions de francs d'autorisations de programme permettront, en 1999, d'engager la deuxième tranche de ce programme pour trois nouveaux établissements dont les localisations définitives ne sont encore pas arrêtées.

Les normes sanitaires des nouveaux établissements seront améliorées : les toilettes seront cloisonnées, et nous demandons que des douches soient installées dans les cellules. Les crédits de paiement seront en hausse sensible : 438 millions de francs contre 278 millions de francs en 1998.

J e suis pleinement consciente de l'acuité et de l'ampleur des besoins de rénovation du parc ancien de nos prisons. C'est pourquoi j'ai engagé un programme de rénovation ambitieux sur cinq grands établissements particulièrement vétustes et surencombrés, Fresnes, Fleury, la Santé, Loos et les Baumettes.

Le développement des alternatives à l'incarcération passe par la mise en oeuvre d'une politique qui permette aux autorités judiciaires de limiter le recours à l'emprisonnement et de prévenir la récidive.

La réforme des services pénitentiaires d'insertion et de probation sera opérationnelle en fin d'année.

Les moyens des services socio-éducatifs des établissements pénitentiaires et des comités de probation et d'assistance aux libérés seront mutualisés, par la création d'un

« service pénitentiaire d'insertion et de probation », organisation unique à compétence départementale : 78 emplois sont affectés à cette fin dans le budget 1999.

Dans le cadre du programme de construction de places de semi-liberté, va être réalisé d'ici à la fin de l'anné e, sur deux sites pilotes, Metz-Barrès et Les Baumettes, un projet de création de « centres pour peines aménagées », visant à améliorer la prise en charge des détenus condamnés à de courtes peines.

Mme Nicole Feidt, MM. André Gerin, Jean-Pierre Michel et Jean-Louis Borloo ont souligné les difficultés que rencontrent les personnels de l'administration pénitentiaire. Ces personnels ne sont pas oubliés - heureusement ! - Les surveillants de prison accomplissent au service de la nation une tâche extrêmement difficile qui est insuffisamment reconnue. Je viens d'annoncer le recrutement de 220 postes de surveillants de prison supplémentaires.

Un effort a également été fait depuis deux ans pour augmenter les salaires. Le salaire d'un surveillant de premier échelon devrait passer de 91 206 francs au 1er janvier 1998 à 92 959 francs au 1er janvier 1999, soit une hausse de 2 %, et à 94 286 francs au 1er décembre 1999, soit une hausse de 3,4 %.

Quant aux indemnités, qui font l'objet de nombreuses contestations, je précise qu'elles n'avaient pas été revalorisées depuis 1996 pour certaines, depuis 1995 pour les autres. Sur les six primes qui existent, nous allons en revaloriser trois : l'indemnité de nuit, qui passera de 47,75 francs à 48,70 francs, ce n'est certes pas beaucoup mais c'est un geste ; l'indemnité pour charges pénitentiaires, qui passera de 2 400 francs à 2 550 francs par an ; l'indemnité de responsabilité des personnels de direction.

Au total, 6 millions de francs seront consacrés aux mesures indemnitaires. C'est beaucoup plus que ce que font la plupart des ministères qui ne peuvent prendre aucune nouvelle d'ordre indemnitaire, alors même qu'ils ne créent pas d'emplois.

Cet ensemble de moyens financiers et humains dégagés pour le ministère de la justice vise un même objectif : mettre en place une justice plus efficace, plus rapide, plus disponible au service de tous les Français.

M. Hage s'est interrogé sur les perspectives. L'objectif de ce budget, vous l'avez compris, est d'abord de continuer la mise en oeuvre et de financer les réformes qui sont engagées. Le calendrier sera tenu.

Nous souhaitons ensuite réfléchir et travailler à deux autres grandes réformes : sur les tribunaux de commerce et le droit de la famille.

Enfin, nous comptons poursuivre l'effort de réorganisation et de modernisation qui a été engagé pour améliorer le fonctionnement de nos juridictions et de l'administration centrale.

A ce propos, j'ai demandé à l'inspection des services judiciaires, en plus de son travail traditionnel, de faire un état des lieux, d'évaluer les expériences en cours et de proposer une réforme. De nombreuses expériences très positives ont déjà été menées. Il faut les faire connaîtr e à l'ensemble du monde judiciaire, il faut s'inspirer de ces cours d'appel, de ces tribunaux, à Paris, à Bourges, à Meaux, à Amiens, qui ont réussi, avec les mêmes moyens, à diminuer les délais.

L'inspection générale des services judiciaires engagera ce travail en 1999. Je ne me limite pas à proposer des textes législatifs ou réglementaires, même s'ils sont très importants, je m'attaque aussi à l'augmentation des moyens et à la réorganisation du fonctionnement concret.

M. Borloo, qui n'est plus là, m'a interrogée sur les tribunaux de commerce. La France est le seul Etat européen à ne pas disposer de juge professionnel dans ses tribunaux à compétences commerciales. Le Gouvernement a décidé de remédier à cette anomalie.

M. Jean-Pierre Michel.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Vous connaissez tous las ituation. Il ne s'agit pas de jeter l'opprobre sur l'ensemble des tribunaux de commerce, beaucoup fonctionnent bien, mais il y a trop d'abus et d'anomalies. Il faut bien intervenir.

L'introduction de la mixité implique le recrutement supplémentaire de 350 magistrats. La réforme législative des tribunaux de commerce interviendra en 1999 mais elle ne s'appliquera qu'à partir de l'an 2000. Le budget pour 1999 n'est donc pas concerné. Ce sera l'affaire des budgets de l'année 2000 et des suivantes. Cette réforme sera en effet étalée. L'Ecole nationale de la magistrature engage dès maintenant des programmes en formation initiale et en formation continue pour former nos magistrats au droit économique et à la justice commerciale. Nous anticipons.

M. Jean-Pierre Michel.

Très bien !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 1998

Mme la garde des sceaux.

Messieurs de l'opposition, vous reconnaissez, et je vous en remercie, que notre démarche est bonne mais vous trouvez qu'elle n'est pas suffisante au regard des besoins.

Je n'ai pas la prétention de rattraper en deux budgets, ni même d'ailleurs probablement en trois ou quatre, les insuffisances criantes de ces dernières années, aussi bien en matière d'effectifs, que de crédits de fonctionnement et d'équipement, et ce dans tous les secteurs, juridictions, prisons, protection judiciaire de la jeunesse.

Mais, avec l'aide du Premier ministre et de l'ensemble du Gouvernement, car ces postes que nous créons dans la justice, nous les prenons ailleurs, vous le savez bien, j'ai entrepris la mise à niveau et je persévérerai dans la continuation des réformes qui, soyez-en assurés, seront financées et menées à bien.

Je vous ai indiqué mon calendrier, je le répète pour M. Warsmann qui affirme n'y pas voir clair : fin 1997, j'ai annoncé en conseil des ministres ma réforme, y compris celle des tribunaux de commerce et du droit de la famille ; début 1998, nous avons eu un débat général à l'Assemblée nationale et au Sénat ; en 1999, nous aurons achevé l'examen des textes sur la réforme que j'ai engagée cette année ; en 2000, nous commencerons à appliquer la réforme des tribunaux de commerce qui sera étalée sur plusieurs années et nous engagerons la réforme du droit de la famille.

M. Marc-Philippe Daubresse.

Si tard ?

Mme la garde des sceaux.

Si vous n'y voyez pas clair, monsieur Warsmann, c'est que vous avez décidé d'être aveugle.

M. Jean-Luc Warsmann.

Ne nous faites pas de procès d'intention, madame le ministre. Admettez la critique.

Mme la garde des sceaux.

Je tenais à préciser les réalisations pour 1999 et pour les années à venir. Vous constaterez que j'ai une vue sur plusieurs années de l'action de mon ministère.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en arrivons aux questions.

Je rappelle que les questions seront appelées par périodes successives de quinze minutes par groupe, chaque orateur disposant de deux minutes pour poser sa question.

Nous commençons par le groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

La parole est à M. Emile Blessig.

M. Emile Blessig.

En matière informatique, le ministère de la justice définit ses besoins dans le cadre d'un schéma directeur pluriannuel.

En 1994 a été créé, avec l'approbation du ministère, un groupement d'intérêt public destiné à l'informatisation du livre foncier qui assure la publicité foncière en AlsaceMoselle. Le ministère participe, depuis sa création, à ce groupement. Celui-ci a entrepris la conception d'une application informatique qui est financée par une taxe perçue par les départements. A terme, l'ensemble des matériels et logiciels seront transférés au ministère qui devra en financer l'exploitation.

Néanmoins, malgré sa participation au groupement d'intérêt public, il ne semble pas que le ministère ait intégré cette opération dans ses prévisions informatiques. La mise en oeuvre et le coût d'exploitation du livre foncier informatisé ont-ils bien été pris en compte dans le schéma pluriannuel d'informatisation de vos services ? M. le président La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

La loi du 29 avril 1994 a en effet autorisé la création d'un groupement d'intérêt public chargé de l'informatisation du livre foncier des départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle. Ce groupement concerne l'Etat, la région Alsace, les départements en question ainsi que les notaires et l'institut de droit local. Il a entrepris des travaux tendant à la définition d'une conception détaillée du futur livre foncier informatisé. J'ai pu m'en rendre compte lorsque je me suis rendue à Metz récemment. Ces investissements sont financés par le produit d'une taxe spéciale sur les droits de mutation percue par les trois départements. La Chancellerie apporte pour sa part assistance et conseil sur le plan technique et contractuel.

M. le président La parole est à M. Christian Kert.

M. Christian Kert.

Madame la garde des sceaux, j'ai pris bonne note des informations que vous nous avez données sur la condition des personnels pénitentiaires qui manifestent actuellement leur inquiétude par des mouvements de grève et des actions revendicatives dans plusieurs établissements. Ils expriment trois grandes préoccupations.

La première préoccupation concerne les effectifs. Vous avez bien voulu indiquer, madame la garde des sceaux, que vous envisagiez la création de 344 emplois, dont 220 de surveillants. Mais les intéressés craignent que ce supplément d'effectif ne parvienne qu'à peine à compenser les départs à la retraite. Surtout, ils insistent sur le fait que, compte tenu de l'échéancier de formation de ces personnels, la première formation débutera en avril 1999 et la seconde en juin 1999, c'est-à-dire que ces « nouvelles recrues » n'entreront en activité qu'en janvier 2000, pour moitié, et en mars 2000 pour la seconde promotion. D'ici là le manque d'effectifs risque de poser de nouveaux problèmes. Il y a actuellement en moyenne trente-six surveillants pour cent détenus alors qu'il en faudrait au moins quarante.

La deuxième préoccupation est relative aux salaires et aux primes. Vous avez annoncé une augmentation de prime de nuit de 95 centimes qui, vous avez pris la précaution de le souligner, paraît très nettement insuffisante aux personnels en question, voire humiliante. Ne pourriez-vous faire un effort supplémentaire ? La troisième préoccupation tient au statut du personnel administratif qui, en termes de salaire et de retraite, s'estime lésé. En effet, ces personnes ne bénéficient d'aucune bonification pour le calcul de leur retraite. En compensation, elles souhaiteraient que leurs primes soient intégrées dans leur droit à pension. En outre, les personnels pénitentiaires font de l'exercice du droit de grève avec la mise en place d'un service minimum une de leurs principales revendications.

Enfin, les personnels s'interrogent sur leur mission.

Doivent-ils se contenter de surveiller et de « garder » les détenus ou, au contraire, doivent-ils favoriser leur réinsertion, ce qui nous paraît aller dans le bon sens ? Ils sont favorables à cette dernière option, mais il leur faudra alors plus de moyens - par exemple, plus de travailleurs sociaux, car il n'y en a actuellement qu'un pour cent détenus - et une formation mieux adaptée.

Pour m'être entretenu avec les personnels de certains établissements, notamment ceux de Salon-de-Provence et de Lille, je puis vous dire, madame la garde des sceaux,


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que sans nier l'importance de la place du détenu dans la politique pénitentiaire, les surveillants ne veulent pas être les oubliés de votre politique. Pouvez-vous les rassurer ?

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Monsieur le député, je vous remercie de vous être fait l'écho des inquiétudes des surveillants de l'administration pénitentiaire que je reçois régulièrement et dont je vois systématiquement les représentants syndicaux lorque je visite les prisons.

J'ai rappelé tout à l'heure dans mon discours introductif que je prévoyais de créer 220 emplois de surveillant de prison en 1999. Je précise qu'il n'y aura pas d'ouverture d'établissements nouveaux cette année-là. Il s'agit donc de 220 créations « nettes ».

S'agissant du problème des retraites, mon prédécesseur a permis aux surveillants de prison de partir plus tôt à la retraite. C'était une bonne réforme, mais elle n'était pas financée, c'est-à-dire que l'on n'avait pas prévu les postes de remplacement et j'ai hérité de cette situation. Pour faire face à ces départs anticipés en retraite, j'ai donc obtenu la création, en 1998, de 400 postes en surnombre qui s'ajoutent aux créations d'emplois de 1998, et, pour 1999, en plus des 220 emplois, j'ai obtenu 507 postes en surnombre pour faire face à ce problème particulier.

Sur les primes, j'ai déjà répondu.

S'agissant des salaires, les personnels de l'administration pénitentiaire bénéficient des hausses de l'ensemble des agents de la fonction publique. Je ne méconnais pas leur revendication d'intégration des primes dans le salaire, mais elle est commune à beaucoup d'agents de fonction publique. C'est une revendication ancienne, qui est présentée à tous les gouvernements depuis maintenant quarante-cinq ou cinquante ans.

Enfin, je suis, comme vous, extrêmement attachée à ce q ue les missions des surveillants soient davantage reconnues. Ils ne veulent pas seulement tourner des clés ; ils souhaitent participer beaucoup plus activement à la réinsertion des détenus, et ils ont raison. Heureusement, c'est ce que font beaucoup d'entre eux. Dans le cadre des projets d'exécution de peine s'instaure ainsi dès le départ un dialogue entre les surveillants et les détenus. Cela se passe bien d'ailleurs. La satisfaction existe des deux côtés.

La réforme des services d'insertion et de probation vise à faire en sorte que le milieu ouvert soit mieux intégré au milieu fermé. Il est en effet extrêmement important que la nation manifeste, à l'égard des surveillants de prison, la reconnaissance de cette tâche d'exécution de décisions de justice qui leur est confiée.

M. le président.

Nous en arrivons au groupe du Rassemblement pour la République.

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, pour poser une première question.

Jean-Luc Warsmann.

Je souhaite relayer dans cet hémicycle la très vive inquiétude de Jacques Pélissard, député-maire de Lons-le-Saunier, concernant la situation des locaux du palais de justice de Lons-le-Saunier.

Dans cette ville, les conditions immobilières de l'exercice de la justice sont déplorables. Un manque cruel de locaux affecte en effet le fonctionnement du tribunal pour enfants : c'est le couloir d'accès au tribunal de commerce qui sert de salle d'attente aux enfants et à leurs parents. Le tribunal de grande instance ne dispose ni de salle de réunion pour les expertises - c'est la bibliothèque-secrétariat de l'ordre des avocats qui pallie cette carence - ni de salle d'attente pour le juge aux affaires familiales. Enfin, la situation du conseil des prud'hommes est plus grave encore puisque la villa qui servait de greffe et de lieu de conciliation vient de faire l'objet d'une reprise par son propriétaire. Or l'ancienne caserne de gendarmerie mitoyenne de l'ensemble immobilier palais de justice-maison d'arrêt est aujourd'hui désaffectée. Cela pourrait être une solution à ces difficultés immobilières.

Interrogé lors de la discussion des lois de finances de 1994 et de 1995 par mon collègue Jacques Pélissard, votre prédécesseur avait annoncé des crédits d'étude de 600 000 francs ainsi que l'affectation des bâtiments pour une extension de la « cité judiciaire » de Lons-le-Saunier en 1998 permettant, entre autres, le relogement optimal du conseil des prud'hommes. Qu'en est-il aujourd'hui ? Devant la gravité de la situation, le conseil des prud'hommes a décidé de se mettre en grève. La décision d'affectation des locaux de l'ancienne gendarmerie va-t-elle effectivement être prise ? Quels sont les crédits prévus pour 1999 afin de financer les travaux immobiliers nécessaires à un fonctionnement normal du service de la justice que tout citoyen est en droit d'attendre ? Je vous remercie par avance, madame la garde des sceaux, de la réponse que vous voudrez bien m'apporter.

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Monsieur le député, j'ai bien conscience des problèmes du palais de justice de Lons-le-Saunier, qui regroupe dans des locaux exigus le tribunal de grande instance, le tribunal d'instance et le tribunal de commerce. Je sais que le conseil des prud'hommes est hébergé dans des locaux que le bailleur entend récupérer à la fin de l'année.

Qu'avons-nous fait ? D'abord, nous avons recherché de nouveaux locaux à proximité du tribunal de grande instance. La chancellerie vient d'autoriser la prise à bail d'un local d'une superficie de 200 mètres carrés pour un loyer de 60 000 francs. Ces locaux sont fonctionnels, ils ne nécessitent que quelques travaux de mise en conformité, dont le financement sera d'ailleurs assuré par le propriétaire. Parallèlement, la chancellerie a engagé des négociations pour acquérir les locaux de l'ancienne gendarmerie, qui sont situés à proximité du palais de justice, comme vous l'avez dit. Cette opération immobilière, d'un coût de 10 millions de francs, fait actuellement l'objet d'une étude qui devra bien entendu s'inscrire dans la perspective de la réforme de la carte judiciaire que j'ai annoncée.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, pour une seconde question.

M. Jean-Luc Warsmann.

Madame la ministre, vous avez voulu nous convaincre, durant votre intervention, que votre politique était caractérisée par une visibilité à moyen terme. Je souhaite donc vous interroger sur un point très précis, certainement le plus important d'ailleurs, qui a été évoqué par des orateurs de tous les groupes et qui concerne la durée de jugement. Celle-ci est en moyenne supérieure à neuf mois devant les tribunaux de grande instance et à cinq mois devant les tribun aux d'instance. En matière pénale, dans certains domaines, elle peut être colossale : plus de quarantequatre mois en matière criminelle ! D'où mon inquiétude lorsqu'il était question tout à l'heure de la réforme des cours d'assises dans ces circonstances. Pour les cours d'appel, le délai moyen est de seize mois.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 1998

Ma question est extrêmement simple : quel objectif vous fixez-vous, à court et moyen termes, pour améliorer ces délais de jugement ? Le programme pluriannuel qui avait été adopté avait fixé certains objectifs. Quels sont les vôtres ?

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Vous savez, monsieur Warsmann, puisque je vous l'ai dit plusieurs fois, que je refuse les effets d'annonce. Je préfère constater les progrès. Sur cette question des délais, qui est aujourd'hui le problème principal de la justice, j'ai dit dans mon discours introductif quelle était la situation : les délais continuent malheureusement à s'allonger parce que le flux des affaires civiles augmente considérablement.

Des efforts doivent donc être faits dans trois grandes directions. Il faut d'abord augmenter les effectifs, bien entendu, j'en ai parlé. Il faut ensuite simplifier les procédures, tant en matière pénale qu'en matière civile : un projet de loi doit simplifier les procédures en matière pénale et un décret sur la simplification des procédures en matière civile sortira à la fin de l'année. Enfin, il faut moderniser le travail interne des juridictions. J'ai ainsi demandé à l'inspection des services judiciaires de me faire un rapport en 1999 sur les expérimentations paraissant les plus performantes, afin que nous puissions les faire connaître davantage. Il est clair aussi que l'informatisation et la déconcentration des décisions nous permettront d'être plus performants. C'est en agissant dans ces trois directions que nous pourrons avancer. Mais je ne suis pas une adepte des annonces mirobolantes et des coups de baguette magique.

M. le président.

Nous en venons au groupe socialiste.

La parole est à M. René Rouquet.

M. René Rouquet.

Madame la ministre, M. Julien Dray a été obligé de s'absenter et m'a chargé de vous poser sa question. Puisque nous avons déjà parlé des effectifs et des départs à la retraite, je vous interrogerai sur les détachements trop nombreux qui empêchent le déroulement normal du travail des surveillants dans les établissements pénitentiaires. Ne serait-il pas possible de dresser un constat réel de la situation pour compenser les manques sur le terrain ? M. Dray avance un exemple : aujourd'hui, à Fleury-Mérogis, il manque soixante-six surveillants, dix-neuf premiers surveillants, dix personnels administratifs et dix personnels techniques.

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Je vous remercie de cette question. Il me paraît indispensable de renforcer et de dynamiser le dialogue social dans ce ministère et spécialement dans l'administration pénitentiaire. Pour la première fois, vont être créés partout des conseils d'établisse ment. Nous allons moderniser le statut spécial des personnels. Des comités d'hygiène et de sécurité spécifiques seront systématiquement créés dans les établissements pénitentiaires. Nous avons engagé une discussion d'ensemble sur le code de déontologie, ainsi que sur l'évolution des métiers des personnels de l'administration pénitentiaire.

Il est vrai que nous constatons actuellement un mouvement, que je qualifierai davantage de mouvement syndical que de mouvement social puisqu'il est justement destiné à attirer l'attention de l'Assemblée nationale sur la nécessité d'augmenter les moyens. C'est ce que je propose et j'espère que vous allez voter ce projet de budget. Je rappelle que 344 emplois seront créés, dont 220 de surveillants. J'ai aussi parlé des recrutements en surnombre.

Cela dit l'amélioration des conditions de travail des personnels de surveillance passe aussi par l'amélioration des conditions de vie des détenus. Il est en effet plus dur de travailler dans des prisons vétustes ou dont le fonctionnement est difficile, comme c'est le cas à Fleury-Mérogis.

Les efforts que nous entreprenons pour assurer l'hygiène, lutter contre l'indigence et faciliter les relations familiales permettront aussi d'améliorer les conditions de travail des surveillants de l'administration pénitentiaire.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Pierre Balduyck.

M. Jean-Pierre Balduyck.

Madame la garde des sceaux, ce budget augmente de façon significative les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse : 150 postes, deux n ouveaux foyers, sept dispositifs éducatifs renforcés, dix classes relais, soixante-quinze places en famille d'accueil. La PJJ sort ainsi concrètement d'une situation d'incertitude. Qu'attendez-vous d'elle, madame la garde des sceaux, dans la lutte contre la délinquance des mineurs ? Les classes relais illustrent un partenariat nouveau indispensable entre éducateurs, enseignants, juges, policiers et élus locaux. Comment le ministère impulsera-t-il cette réponse concertée encore trop peu développée ? Souhaitez-vous que les éducateurs, les juges, participent à tous les comités locaux de prévention de la délinquance ?

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Je remercie M. Balduyck d'insister sur ce sujet très important, après l'excellent rapport qu'avec Christine Lazerges il a remis au Premier ministre.

Comme je l'ai dit, tout à l'heure, notre objectif commun est de faire en sorte qu'aucun acte de délinquance reste sans réponse et que des sanctions appropriées soient appliquées. Le problème des mineurs qui sont rejetés du système éducatif ou qui pratiquent l'absentéisme doit être traité. C'est l'objet des classes relais. Les délégués du procureur pourront apporter systématiquement une réponse. Nous voulons développer les mesures de réparation, qui sont particulièrement adaptées, et diversifier les structures d'hébergement, notamment dans les vingt-six départements prioritaires.

Surtout, comme l'a souligné votre rapport, monsieur Balduyck, il est très important d'assurer une meilleure coordination sur le terrain entre les différents services qui interviennent, qu'ils relèvent de l'Etat ou du département. J'espère d'ailleurs que les régions pourront fournir un effort complémentaire dans le cadre des contrats de plan.

Il est très important aussi d'intervenir davantage en amont, car avant de devenir un délinquant récidiviste, on a été un primo-délinquant, et avant d'être un primodélinquant, on a souvent été un enfant en danger ou qui a connu des difficultés dans sa vie familiale. Toutes les statistiques et les études qualitatives le montrent. La plupart de ces jeunes délinquants ont connu des difficultés familiales extrêmement graves, d'où l'importance d'améliorer la coordination de l'action des différents services et de leur permettre d'intervenir plus tôt.

M. le président.

La parole est à M. Marcel Dehoux.

M. Marcel Dehoux.

Madame la ministre, ma question porte sur la refonte de la carte judiciaire.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 1998

Au-delà des conservatismes qu'évoquait M. Devedjian, le report pratiqué en matière de reconstruction suscite l'inquiétude. Les élus regrettent de ne pas être associés à cette réforme de la carte. Ils ont en tête les pratiques d'autres départements ministériels. C'est par la presse qu'ils ont appris la suppression de commissariats, de gendarmeries ou de maternités et ils ne souhaitent pas que l'histoire se répète. Ils sont suffisamment responsables pour tous ensemble aménager leur territoire.

Pour étayer cette inquiétude, je comparerai le budget de 1998 avec le projet de budget pour 1999. En 1998, 60 millions de francs d'autorisations de programme étaient prévus pour Avesnes-sur-Helpe, dans le Nord, ainsi que pour Thonon-les-Bains, Moulins et Pontoise.

Dans le projet de budget pour 1999, ces crédits ont disparu.

De là à extrapoler et à prévoir la suppression de ces juridictions, il n'y a qu'un pas que les pessimistes franchissent régulièrement dans la presse.

Madame la ministre, vous avez indiqué tout à l'heure l'échéancier de la refonte de la carte des tribunaux de commerce. Or j'ai noté que celle-ci n'était pas entreprise dans le département du Nord.

J'aimerais par ailleurs que vous confirmiez le calendrier de la réforme de la carte des TGI et votre volonté de mener une nécesssaire concertation avec les élus.

Enfin, j'aimerais que vous nous rassuriez. Y-a-t-il une relation entre la suppression d'autorisations de programme et les débuts de la réforme de la carte judiciaire ?

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Monsieur le député, je vous rappelle le calendrier que j'ai esquissé tout à l'heure. 1999 va être consacré à la réforme de la carte des tribunaux de commerce. C'est ensuite que viendra la réforme de la carte des tribunaux de grande instance et des tribunaux d'instance. J'ai indiqué que nous commencions par six cours d'appel, parmi lesquelles ne figure pas, pour l'instant, celle de Douai. Mais cela viendra, évidemment.

Dans le ressort de chacune de ces cours d'appel, la mission que j'ai instituée se rend sur place et tente, en concertation avec les élus, les magistrats et les personnels, d'évaluer la meilleure façon de réorganiser la carte judiciaire.

C'est vrai qu'aujourd'hui certains tribunaux ont une charge de travail trop peu importante. Cela se répercute sur le reste des tribunaux qui, eux, sont surchargés.

Il convient de remédier à cette situation. Mais nous ne procéderons pas brutalement, sans concertation préalable.

Nous en discuterons et, ensuite, chacun prendra ses responsabilités. Pour ma part, je compte mener à bien cette réforme.

M. le président.

Nous avons terminé les questions.

J'appelle les crédits inscrits à la ligne « Justice ».

E TAT B Répartition des crédits applicables aux dépenses ordinaires des services civils (mesures nouvelles)

« Titre III : 698 817 436 francs.

« Titre IV : 65 200 000 francs. »

E TAT C Répartition des autorisations de programmes et des crédits de paiement applicables aux dépenses en capital de services civils (mesures nouvelles)

TITRE V. - INVESTISSEMENTS EXÉCUTÉS PAR L'ÉTAT

« Autorisations de programme : 1 725 000 000 de francs.

« Crédits de paiement : 445 600 000 francs. »

TITRE VI. - SUBVENTIONS D'INVESTISSEMENT ACCORDÉS PAR L'ÉTAT

« Autorisation de programme : " ;

« Crédits de paiement : ". »

Je mets aux voix le titre III.

(Le titre III est adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix le titre IV.

(Le titre IV est adopté.)

M. le président.

Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre V.

(Les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre V sont adoptés.)

M. le président.

Je mets aux voix les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre VI.

(Les autorisations de programme et les crédits de paiement du titre VI sont adoptés.)

M. le président.

Nous avons terminé l'examen des crédits du ministère de la justice.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique : Suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 1999, no 1078 ; M. Didier Migaud, rapporteur général au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (rapport no 1111) ; Industrie M. Michel Destot, rapporteur spécial au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (annexe no 13 au rapport no 1111) ; M. Claude Billard, rapporteur pour avis au nom de la commission de la production et des échanges (avis no 1116, tome VI) ; Poste et télécommunications M. Edmond Hervé, rapporteur spécial au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (annexe no 15 au rapport no 1111) ;


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 13 NOVEMBRE 1998

M. Gabriel Montcharmont, rapporteur pour avis au nom de la commission de la production et des échanges (avis no 1116, tome VIII).

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de la discussion de la deuxième partie du projet de loi de finances pour 1999, no 1078 ; M. Didier Migaud, rapporteur général au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (rapport no 1111) ; Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

Communication, lignes 44 et 45 de l'état E et article 63 ; M. Jean-Marie Le Guen, rapporteur spécial au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (annexe no 10 au rapport no 1111) ; M. Didier Mathus, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (avis no 1112, tome IV).

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures vingt.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT