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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1998

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. MICHEL PÉRICARD

1.

M odification de l'ordonnance relative aux lois de finances. - Discussion d'une proposition de loi organique (p. 9363).

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 9365)

M. Nicolas Sarkozy.

MM. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ; le rapporteur.

M. Daniel Feurtet.

Rappel au règlement (p. 9375)

MM. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances ; le président, le rapporteur.

Reprise de la discussion (p. 9375)

MM. Henri Plagnol, José Rossi, Didier Migaud, Alain Ferry.

Clôture de la discussion générale.

MM. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie ; le rapporteur.

ARTICLE UNIQUE (p. 9386)

Renvoi des explications de vote et du vote sur l'article unique à une prochaine séance.

2. Ordre du jour des prochaines séances (p. 9386).


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COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. MICHEL PÉRICARD,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures quinze.)

1

MODIFICATION DE L'ORDONNANCE

RELATIVE AUX LOIS DE FINANCES Discussion d'une proposition de loi organique

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi organique de M. Nicolas Sarkozy et plusieurs de ses collègues modifiant l'ordonnance du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances (nos 1151, 1191).

La parole est à M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Monsieur le président, monsieur le ministre de l'économie et des finances, mes chers collègues, imaginer simplement qu'une loi puisse être rétroactive a, en soi, quelque chose de choquant.

Cela signifie tout simplement que l'Etat peut revenir sur la parole donnée. Pourtant, la rétroactivité existe.

L'objet de la proposition de loi, dont nous débattons ce matin, consiste précisément à la limiter, plus exactement à promouvoir un principe de sécurité juridique en matière fiscale. Elle tend, en effet, à permettre au législateur d'utiliser un régime spécifique d'avantages fiscaux à caractère pluriannuel afin de se préserver contre les risques de modification.

L'importance de cette proposition de loi n'a pas échappée aux présidents des trois groupes parlementaires de l'opposition, qui ont choisi de la consigner avec son auteur, M. Nicolas Sarkozy. Elle n'a pas échappé non plus au principal groupe parlementaire de la majorité, qui a réclamé l'organisation d'un scrutin solennel, permis par le règlement de l'Assemblée pour tous les textes particulièrement importants. Elle n'a pas davantage échappé à notre commission des lois, qui l'a approuvée à la majorité, puisque, même en tenant compte du fait que trois parlementaires présents n'aient pas souhaité prendre part au vote, c'est une majorité de la commission des lois qui l'a votée. Je vous présente donc bien ce rapport au nom de la commission des lois.

En quelques minutes, je vais m'attacher à vous montrer les conséquences de cette proposition de loi, d'abord en matière juridique, puis en matière fiscale.

D'abord, cette proposition de loi est juridiquement nécessaire.

Dès le début de mon intervention, j'ai souligné combien était choquante la rétroactivité. Aussi n'est-il pas étonnant que le législateur, dès 1804, ait inscrit dans l'article 2 du code civil que « la loi ne dispose que pour l'avenir et qu'elle n'a point d'effet rétroactif ». Il s'agit d'une disposition extrêmement claire, mais handicapée par sa place dans la hiérarchie juridique. En effet, de nature législative, elle s'impose au juge mais non au législateur.

Au vu de cette prohibition très importante, la Cour de cassation reconnaît dans la non-rétroactivité un principe d'ordre public qui n'admet qu'une exception : les lois interprétatives. Encore vérifie-t-elle bien ce caractère interprétatif.

Le Conseil d'Etat, lui, a fait de la non-rétroactivité des actes réglementaires un principe général du droit et il annulent avec une grande constance les actes administratifs rétroactifs.

En revanche, le Conseil constitutionnel n'a pas de base juridique pour écarter la rétroactivité. La seule dont il dispose est, en matière répressive, l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui énonce : « La loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires, et nul ne peut être puni qu'en vertu d'une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée. » Ainsi, dès 1980,

il a constaté que, sauf en matière pénale, la loi peut comporter des dispositions rétroactives. Malgré cela, depuis une vingtaine d'années, la volonté du Conseil constitutionnel a été de fixer des limites à cette rétroactivité en matière fiscale.

La première est que les lois rétroactives en matière fiscale doivent respecter l'autorité des décisions de justice ayant force de chose jugée. Il s'agit d'une limite dont la portée n'est malheureusement pas très grande, compte tenu des délais de jugement de nos juridictions administratives.

Ensuite, le Conseil constitutionnel estime que les lois doivent respecter le principe de non-rétroactivité des lois répressives plus sévères. Dans une décision de 1982, il a même étendu la protection découlant de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen à toute sanction ayant le caractère de punition, même si elle n'est pas prononcée par une autorité judiciaire.

Par ailleurs, le juge constitutionnel a souligné que les lois rétroactives ne pouvaient faire échec à une prescription acquise.

Quatrième limite : les lois rétroactives ne peuvent avoir pour effet de priver de garanties légales des exigences constitutionnelles, telles que le principe d'égalité ou le droit de propriété. Ainsi le Conseil constitutionnel vérifie régulièrement que des dispositions fiscales rétroactives ne portent pas une atteinte trop lourde à ce droit.

Enfin, il estime que les lois fiscales de validation doivent reposer sur une justification d'intérêt général, le seul intérêt financier de l'Etat à préserver ne suffisant pas.

Par exemple, le Conseil constitutionnel a annulé un


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article d'une loi de finances validant des titres de perception en matière de transport aérien pour cette raison précise.

Au-delà de l'évolution du Conseil consitutionnel, le d roit communautaire est également intervenu pour apporter des limites à ce principe de rétroactivité.

Ainsi, une loi rétroactive n'est pas fondée si la position qu'elle contribue à valider est contraire au droit communautaire, le cas échéant, après prise de position de la Cour de justice des Communautés européennes. Le Conseil d'Etat a d'ailleurs écarté l'application de certaines dispositions en se fondant sur ce principe.

De même, la Cour de justice des Communautés européennes a admis un principe de sécurité juridique qu'elle a d'ailleurs appelé, depuis 1975, le principe de confiance légitime. Elle s'attache d'ailleurs à vérifier elle-même si une loi rétroactive n'a pas pour effet de rendre ingagnable un contentieux engagé devant l'autorité judiciaire par un citoyen contre son Etat.

Mes chers collègues, la rétroactivité entraîne des abus choquants contraire, au respect de la parole donnée. C'est pourquoi, depuis une vingtaine d'années, tous les juges, qu'ils soient judiciaires, administratifs, constitutionnels ou européens, ont voulu y apporter des limites. Il n'en reste pas moins que la situation actuelle est extrêmement claire. Le Conseil constitutionnel a même énoncé dans une décision de 1985 : « Aucun principe ou règle de valeur constitutionnel ne s'oppose à ce qu'une disposition fiscale ait un caractère rétroactif. »

Cela démontre bien l'utilité de la proposition de loi dont nous discutons ce matin. Il est donc indispensable que le Parlement se prononce sur la modification qu'elle propose à l'article 4 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959. Cet état de fait atteste même de la pertinence de cette proposition de loi, car, vous le savez, si une loi organique doit respecter la Constitution - elle est d'ailleurs soumise obligatoirement à un contrôle de constitutionnalité -, elle s'impose à toutes les lois.

Cette proposition de loi, utile donc juridiquement, est aussi utile fiscalement.

A cet égard, il convient d'abord de souligner qu'elle est claire et limitée. Soyons très explicites en la matière, car il existe trois grands types de rétroactivité en matière fiscale.

Le premier est constitué par les lois de validation qui amènent le Parlement à interpréter une disposition existante. Or, si les lois de validation ont bien un caractère interprétatif, elles peuvent être utiles, par exemple pour lutter contre l'évasion fiscale, même si l'on peut regretter quelques dérapages en la matière. Ainsi, un conseiller d'Etat, Jérôme Turot, écrivait il y a quelques années que l'habit ne fait pas le moine et que si beaucoup de lois se disaient interprétatives, peu l'étaient réellement. En tout état de cause, la proposition de loi dont nous discutons ne s'applique pas à cette catégorie de rétroactivité.

Ensuite, les juristes affirment que les modifications apportées en cours d'année au régime de l'impôt sur le revenu ou de l'impôt sur les sociétés constituent une forme de rétroactivité. En effet, depuis le décret de 1948, la législation fiscale applicable à ces impôts est celle en vigueur au 31 décembre de l'année concernée, à la différence des impôts directs locaux, pour lesquels la date de référence retenue est le 1er janvier.

Cette disposition peut être critiquable, car, au moment où ils accomplissent un acte économique, les contribuables ignorent quel sera le régime fiscal qui lui sera applicable. Néanmoins, ce système est admis parce que, en la matière, il faut prévoir des règles d'application du droit fiscal.

Mais la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui ne s'applique pas non plus à ce genre de disposition ni au barème de l'impôt sur le revenu.

La troisième catégorie de lois rétroactives, la plus choquante pour nos concitoyens, est constituée par les lois qui disposent pour l'avenir en modifiant le traitement fisc al d'une situation parfois contractuelle en cours.

L'exemple le plus emblématique date de 1984 lorsque la durée de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties, initialement fixée à vingt-cinq ans, a été ramené e à quinze ans pour les immeubles construits antérieurement à 1973. C'est bien cette catégorie de lois rétroactives particulièrement choquantes que vise la proposition de loi soumise à notre examen en recourant à des techniques juridiques très classiques.

Il est donc proposé que seule une loi de finances puisse conférer un caractère pluriannuel à des avantages fiscaux, celui-ci ne pouvant ensuite plus être remis en cause par une loi ultérieure, quelle que soit sa nature.

Mes chers collègues, l'ordonnance de 1959 prévoit déjà de nombreuses interdictions de faire figurer certaines dispositions dans d'autres lois que les lois de finances. Je pense en particulier à la création et à la transformation d'emplois de fonctionnaire. De même, le caractère pluriannuel n'est pas une innovation en soi puisqu'il existe déjà des autorisations de dépenses pluriannuelles, notamment dans le cadre des lois de programme.

Cette proposition de loi prévoit donc que, en matière de ressources, une protection pourrait être accordée à un avantage fiscal pour une période fixée par avance, qui ne pourrait excéder cinq ans mais qui serait renouvelable.

Elle est donc bien conforme au principe constitutionnel du consentement périodique à l'impôt.

Cette disposition présenterait d'ailleurs de nombreux avantages pour le Parlement et pour le Gouvernement, parce qu'elle permettrait à ce dernier de proposer des mesures constitutives d'une politique à moyen terme.

Cette proposition de loi ouvre de nouvelles possibilités d'action, parce qu'elle accroît l'efficacité des dispositifs fiscaux. Oui, mes chers collègues, à partir du moment où la parole de l'Etat devient plus sûre, les dispositifs fiscaux deviennent plus incitatifs.

Cette proposition de loi permet d'ouvrir un avantage pour une période préfixée de plusieurs années. Elle garantit donc la liberté de chaque contribuable de choisir la date à laquelle il va accomplir l'acte économique, l'investissement auquel on l'incite, que ce soit en matière de logement, en matière de réductions d'impôt au titre des dépenses de grosses réparations, ou en matière de crédits d'impôt pour l'entretien des résidences principales. De plus, le bénéfice de cet avantage fiscal peut avoir un caractère pluriannuel, comme pour la taxe foncière sur les propriétés bâties, que j'ai citée en exemple.

Mes chers collègues, nous discutons ce matin d'une proposition de loi utile juridiquement et fiscalement.

J'ajoute qu'elle était attendue sur tous les bancs.

Dès 1984, un groupe de sénateurs émanant de l'opposition actuelle écrivait dans un recours au Conseil constitutionnel : « L'établissement d'un impôt rétroactif est contraire à une liberté fondamentale, celle de pouvoir déterminer ses actes en fonction d'un état de droit. » La

rétroactivité est « contraire à la sécurité juridique qui fonde le droit des personnes dans une démocratie ».


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Deux années plus tard, un groupe de députés attaquait devant le Conseil constitutionnel des mesures de validation d'impositions irrégulières. Les requérants écrivaient qu'il s'agissait là d'un recours « d'une extrême gravité » et que « le législateur ne peut disposer que pour l'avenir, faute de quoi non seulement serait rompue l'égalité des citoyens devant les charges publiques, mais serait anéantie toute garantie des droits ».

Ainsi, dès 1986, les signataires de ce recours admettaient la nécessité de fixer des limites à la nonrétroactivité. J'ai eu la curiosité de regarder la liste des signataires. On y trouve des collègues éminents dont certains sont devenus ministres. Je ne citerai que Claude Bartolone, aujourd'hui ministre, ou Augustin Bonrepaux, aujourd'hui président de la commission des finances.

Mais savez-vous qui était le premier des requérants, le premier des signataires : Lionel Jospin ! (Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Je suis sûr, mes chers collègues, que, concernant une proposition de loi dont l'objet est de donner plus de valeur à la parole de l'Etat, notre Premier ministre ne reniera pas la sienne !

M. Jean-Louis Debré.

Cela ne lui ressemble pas !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

En conclusion, mes chers collègues, je voudrais vous livrer ma conviction profonde. L'adoption de cette proposition de loi relève d'une exigence morale.

Oui, je crois qu'elle est juridiquement et fiscalement utile.

Oui je crois que le comportement de l'Etat doit être exemplaire.

Oui je crois que les citoyens doivent pouvoir croire en la parole donnée de l'Etat. Lorsque notre assemblée vote un avantage fiscal, ce n'est pas seulement une décision prise par une majorité politique mais c'est bien la parole de l'Etat qui est donnée à chacun des citoyens.

Mme Nicole Catala.

Très bien !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

Mes chers collègues, en votant ce matin cette proposition de loi, vous participerez à la construction d'un Etat plus respectueux des citoyens, d'un Etat plus républicain. (Applaudissementss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Nicolas Sarkozy.

M. Nicolas Sarkozy.

Monsieur le ministre des finances, je me réjouis beaucoup, comme l'ensemble de mes collègues, de votre présence.

Vous voir aujourd'hui représenter le Gouvernement aux côtés de M. le secrétaire d'Etat à l'industrie suscite en nous beaucoup d'espoir car vous avez eu maintes fois l'occasion de vous opposer aux archaïsmes de pensée de certains de vos collègues. Je pense à Martine Aubry et même au Premier ministre. Nous allons donc pouvoir avoir un vrai débat sur ce qu'est un Etat moderne.

Un Etat moderne est celui qui tient compte de la revendication de nos concitoyens d'être davantage respectés.

Voilà donc que l'opposition vous propose un vrai, un beau débat politique. Ce n'est pas une question technique qui nous occupe aujourd'hui.

M. Jean-Louis Idiart.

C'est ce que vous dites !

M. Nicolas Sarkozy.

Le problème que nous devons affronter est au coeur des relations entre l'Etat et le citoyen, en tout cas dans un Etat moderne.

Vous comprendrez dès lors que je m'interroge parce que, pour débattre, il faut au moins être deux.

M. Pierre Lellouche.

Eh oui !

M. Jean-Louis Debré.

Ce n'est pas la majorité plurielle, c'est la majorité absente !

M. Nicolas Sarkozy.

Le Gouvernement est bien représenté, de façon prestigieuse, et croyez bien que l'opposition y est sensible.

Mais ou est la majorité ?

M. Jean-Louis Debré.

Il n'y en a plus !

M. Didier Migaud.

Nous sommes là !

M. Nicolas Sarkozy.

A-t-elle peur d'exercer ses responsabilités ?

M. Jean-Louis Debré.

Oui !

M. Pierre Lellouche.

Elle est trop occupée à « pacser » !

M. Nicolas Sarkozy.

Ses arguments sont-ils si faibles qu'elle choisit de ne pas donner l'opportunité aux autres membres de l'Assemblée de les entendre ?

M. Pierre Lellouche.

Quel mépris pour la démocratie !

M. Nicolas Sarkozy.

Est-il finalement si douloureux, pour une majorité qui dit si souvent faire profession de tolérance, d'écouter les arguments, les propositions de l'opposition ? A moins que ce ne soit le sujet, mes chers collègues, qui n'intéresse pas les députés de la majorité. Dans ce cas, soyons confiants et laissons les citoyens contribuables électeurs déterminer qui de nous ou de la majorité absente a raison dans le choix des thèmes.

J'espère que ce débat fera regretter leur absence.

M. Jean-Marc Ayrault.

La majorité est représentée de façon prestigieuse !

M. Nicolas Sarkozy.

Naturellement, sensibles nous sommes à la présence parmi nous du président du groupe socialiste qui, après avoir invité ses collègues, par presse interposée, à ne pas être présents au débat d'aujourd'hui, nous honore lui-même de sa présence. (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Décidément, cohérence quand tu nous tiens...

Sans doute le PACS est-il passé par là. (Sourires.)

C'et un vrai débat politique auquel nous vous convions. Pourtant, que n'a-t-on entendu ?

« C'est une proposition démagogique », a-t-on dit.

« Une proposition irresponsable », ont dit les plus calmes.

« Une atteinte indamissible aux droits du Parlement ! » a-t-on encore entendu dire. Bigre ! La charge est bien sévère. Quel crime d'opinion l'opposition a-t-elle bien pu commettre pour mériter de tels qualificatifs ? J'ai même eu l'occasion de lire, dans un journal du matin qui ne se cache pas, et c'est son droit, de penser et d'écrire à gauche, qu'un argument définitif contre la proposition de l'opposition - voyez-vous, c'est quasiment une minute de silence qu'on nous demanderait - est que la haute fonction publique de Bercy y serait opposée, la jugeant irresponsable.


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M. Pierre Lellouche.

C'est aberrant !

M. Nicolas Sarkozy.

Je ne me suis jamais permis de porter un jugement sur les fonctionnaires et encore moins sur les hauts fonctionnaires, ni de me livrer à quelque campagne que ce soit à leur encontre. Les hauts fonctionnaires de Bercy, monsieur le ministre, qui vous servent avec compétence, honnêteté et un sens du travail que nous sommes un certain nombre à avoir pu mettre à l'épreuve dans les années passées, ...

M. Jean-Louis Idiart.

Nostalgie ?

M. Nicolas Sarkozy.

... n'ont qu'un défaut : certains d'entre eux sont convaincus de détenir la vérité révélée en tous points et en toutes circonstances.

Que la rétroactivité fiscale soit une commodité pour eux, nul n'en disconvient. Mais cela ne suffit pas à en faire pour nous une évidence. C'est tout l'enjeu du débat qui nous réunit ce matin.

Finalement, la question qui nous est posée touche aux relations Etat-citoyens et est donc une illustration de la nécessaire modernisation de l'Etat. Combien de colloques n'ont-ils pas été organisés, monsieur le ministre des finances, à droite, à gauche, au centre, sur la modernisation de l'Etat ? Nous avons ce matin l'occasion de décliner dans la réalité ce que nous pensons devoir être la modernisation de l'Etat. C'est une question de crédibilité - à la fois de la parole des hommes politiques et de celle de l'Etat - et de confiance : celle que cet Etat et ces hommes politiques doivent inspirer.

Refuser le débat sur ces questions, c'est, mon Dieu, faire preuve de cécité. Vous savez bien, vous qui devez porter la France dans tous les coins du monde, que le monde a changé et que nous ne pouvons pas rester enfermés dans des schémas du passé.

C'est faire preuve également d'archaïsme, car cela revient à refuser de prendre en compte la revendication de plus en plus prégnante du citoyen d'être davantage respecté.

C'est faire preuve enfin de conservatisme, car c'est se figer sur des schémas du passé.

Il s'agit donc pour nous ce matin d'essayer de concilier deux enjeux, deux droits inaliénables : le droit du Parlement à légiférer pour définir la règle du jeu applicable et le droit, tout aussi inaliénable, du citoyen à la fois de connaître avant d'agir quelle est cette règle du jeu et d'avoir l'assurance qu'elle ne sera pas modifée quand le contribuable qu'il est n'aura plus la possibilité de changer de comportement.

Nul n'est censé ignorer la loi, dit-on. Mais, mes chers collègues, que vaut cette règle d'or - sur laquelle repose l'institution de la justice - si la loi est rétroactive ? Comment, en effet, ne pas ignorer la loi lorsque celle-ci intervient après les faits auxquels elle s'applique ? Nier cette interrogation, c'est passer à côté de la chance qui nous est donnée ce matin de faire évoluer notre Etat vers plus de modernité.

C'est un débat fondamental que celui qui porte sur la manière dont on exerce le pouvoir. Exercer le pouvoir, l égiférer, ce n'est pas simplement prévoir, décider, convaincre. C'est aussi inspirer confiance, susciter l'adhésion. Et comment le peut-on quand les citoyens se sentent peu respectés et ont le sentiment d'avoir été trompés ? D'où l'importance de la question, qui est au coeur de notre débat de ce matin : faut-il, oui ou non, encadrer la possibilité de la rétroactivité fiscale ? Il existe trois catégories de rétroactivité fiscale. L'opposition, avec un sens de la mesure que, j'en suis sûr, vous apprécierez, monsieur le ministre et monsieur le secrétaire d'Etat, propose d'encadrer une rétroactivité sur les trois possibles.

La première, à laquelle nous ne touchons pas - c'est une évidence -, est la rétroactivité liée au mode de déte rmination de l'assiette fiscale. Nous le savons, l'IRPP, l'impôt sur les sociétés sont rétroactifs. La règle fiscale suit, naturellement, et ne précède pas, les revenus auxquels elle s'applique. On parle, en langage technique, de

« petite rétroactivité ». D'autres pays que la France l'acceptent : l'Allemagne, l'Italie, les Pays-Bas et bien d'autres.

On pourrait imaginer, pour changer de système, de créer un impôt avec retenue à la source, mais cela impliquerait, je le dis à mes collègues, de supprimer toutes les niches fiscales. Sinon, cela permettrait à l'employeur une intrusion intolérable dans la vie privée du salarié contribuable.

M. Pierre Lellouche.

Tout à fait !

M. Nicolas Sarkozy.

Cette petite rétroactivité, nous la préservons. Elle ne pose pas de problème, en tout cas de notre point de vue.

La deuxième rétroactivité est plus complexe. La proposition de loi des trois présidents de groupe de l'opposition réunie n'y touche pas non plus, encore qu'elle mériterait mieux qu'un débat d'une matinée : il s'agit de la rétroactivité des lois interprétatives, c'est-à-dire de la possibilité donnée à l'Etat de valider législativement des échecs lorsqu'il y a eu contentieux fiscal. Tout juriste trouve le procédé choquant. En effet, face au rôle du juge, qui constate l'imperfection rédactionnelle d'une loi fiscale, on admet aujourd'hui que le législateur a le droit de rétablir sa volonté initiale. Le juge est dans son rôle en indiquant qu'une loi n'a pas l'effet qu'on prétend lui donner. Le législateur est sans doute dans le sien en confirmant que cet effet était bien sa volonté. Nous proposons de ne pas toucher à cette rétroactivité fiscale. Convenons cependant, mes chers amis, qu'elle pose un problème d'égalité pour nos concitoyens. C'est une facilité que l'Etat se donne.

N'y touchons pas. Mais reconnaissons qu'il faudra y revenir dans l'avenir. On ne peut, en effet, mes chers collègues, parler à tout moment de l'Etat de droit et permettre ce type de validation sans s'exposer à de sacrés problèmes. Mais notre proposition n'y touche pas.

Nous proposons d'encadrer la rétroactivité liée à l'abrogation par anticipation d'un avantage fiscal. C'est le cas le plus choquant. Voici en quoi cela consiste : le législateur, sur proposition du Gouvernement, incite le contribuable à un changement de comportement. Une fois celui-ci obtenu, il décide de supprimer l'avantage qui avait initié le changement de comportement. L'avantage fiscal est supprimé après que le contribuable a indiqué avoir suivi la route qui lui était proposée. C'est cette dernière catégorie de rétroactivité que nous demandons d'encadrer.

Pourquoi nous attaquons-nous pour ce faire à l'ordonnance du 2 janvier 1959 relative aux lois de finances ? Pour la raison simple que l'ensemble des formations politiques de l'opposition ne souhaitaient pas une énième réforme de la Constitution. Je reconnais bien volontiers, monsieur le ministre des finances, que c'est sans doute l'une des faiblesses de cette proposition. En ne touchant qu'à l'ordonnance du 2 janvier 1959, elle ne pose pas le problème de la sécurité et de la stabilité des mesures en matière sociale. Or, il y aurait beaucoup à dire de la politique d'exonération des charges sociales. Elle fonctionne


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bien, mais elle fonctionnerait mieux si les chefs d'entreprises ne se demandaient pas, à chaque fois qu'ils recrutent, quelle garantie ils ont que les exonérations de charges sociales qui leur sont promises seront pérennisées pour une durée minimum. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

J'admets bien volontiers que, si critique il doit y avoir de la proposition de l'opposition, c'est sans doute, je le répète, qu'elle manque d'ambition en ce qu'elle ne s'attaque qu'à l'instabilité juridique fiscale et non pas à l'instabilité juridique sociale.

Notre conviction est qu'il faut prendre maintenant une décision symbolique forte. C'est un élément déterminant.

Il s'agit de montrer au contribuable que, gauche et droite confondues, nous sommes décidés à garantir la stabilité en matière fiscale. On m'objectera que la rétroactivité n'a concerné que quelques exemples. C'est vrai, mais, mes chers collègues, ce n'est pas une question de quantité, c'est une question de qualité et de symbole.

M. Didier Migaud.

C'est comme sur nos bancs, ce matin, c'est une question de qualité et pas de quantité !

M. Nicolas Sarkozy.

Trois exemples ont troublé nos concitoyens.

Le premier - on n'a jamais fait mieux depuis concerne l'exonération des taxes foncières entre 1973 et 1984. Souvenez-vous ! On décide que tout immeuble construit avant le 1er janvier 1973 bénéficiera d'une exonération de taxes foncières pendant vingt-cinq ans. Tous ceux qui se sont engagés dans la construction à cette époque-là ont établi des plans de financement sur cette base.

M. Alain Ferry.

C'est vrai !

M. Nicolas Sarkozy.

Or, en 1984, M. Mauroy, pour des raisons sur l'opportunité desquelles je n'ai pas à me prononcer, ramène la durée de l'exonération promise de vingt-cinq à quinze ans. Le contribuable est floué et la parole de l'Etat bafouée. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Alain Ferry.

Exact !

M. Nicolas Sarkozy.

Je ne connais pas une seule personne qui, faisant preuve d'un minimum de bonne foi, puisse considérer cette décision comme exemplaire de celles qui sont responsables du manque de confiance récurrent de nos concitoyens dans la vie politique, dans la parole de l'Etat et dans la crédibilité des hommes politiques.

Mon deuxième exemple prouve, monsieur le ministre, qu'il ne s'agit pas pour l'opposition de pointer du doigt uniquement les comportements de la gauche. Il revient à l'honnêteté de le dire : la droite aussi a pu fauter en la matière, et il n'est nulle raison de nous en faire grief.

Nous sommes décidés à tirer les leçons de ce que nous avons fait ou pas fait dans le passé, et quand bien même la droite elle aussi se serait laissée aller à de tels comportements, c'est une raison de plus pour que tous ensemble, ce matin, nous décidions de mettre un terme à cette situation.

M. Didier Migaud.

Que c'est beau !

M. Nicolas Sarkozy.

Le deuxième exemple est la suppression de la réduction d'impôt pour les contrats d'assu-r ance-vie décidée lors de l'examen de la loi de finances 1996. Même si Alain Juppé avait prévu à l'époque qu'il ne reviendrait pas en arrière, puisqu'il avait arrêté le compteur au 20 septembre 1995, c'était quand même, reconnaissons-le, une remise en cause de la signature de l'Etat puisque des hommes et des femmes qui avaient signé un contrat d'assurance-vie en espérant une réduction d'impôt ont dû, après la suppression de celle-ci, continuer à bloquer leur épargne. Là encore, qui peut accepter, après avoir été incité à bloquer son éparg ne pour huit ans par l'octroi d'avantages en matière successorale et fiscale, de voir ces avantages supprimés et son é pargne immobilisée ? Je considère, avec beaucoup d'autres, que cette rétroactivité fiscale n'est pas admissible.

Vous-même, monsieur le ministre des finances, peutêtre sous la pression de vos services, vous êtes laissé aller à la tentation de nous resservir le même plat. C'est l'affaire des contrats d'assurance-vie.

J'ai suivi avec beaucoup d'intérêt le cheminement de votre argumentation. Vous avez d'abord dit qu'il n'y avait pas rétroactivité fiscale puisque, assuriez-vous, en matière d'assurance-vie, le contrat entrait en vigueur non pas au moment de la signature mais à la mort du cocontractant.

Je ne me lancerai pas avec vous dans une bataille juridique, encore qu'il y aurait beaucoup à dire sur cette argumentation. Après réflexion - et, après tout, c'est votre droit de réfléchir et de tirer les conséquences d'erreurs -, vous avez décidé de revenir sur votre élan initial, démontrant de façon quasi caricaturale que rétroactivité fiscale il y avait bien puisque vous aviez décidé d'y renoncer.

En vérité, si vous avez renoncé à cette formule, c'est parce qu'un tollé s'était élevé parmi les contribuables, qui ne voulaient plus placer leur épargne à long terme, et que vous avez compris - et c'est tout à votre honneur - qu'en agissant ainsi vous déstabilisiez le placement sur les produits à long terme de l'épargne des Français.

Troisième exemple, extravagant celui-là : en 1995, le gouvernement d'Edouard Balladur décide d'autoriser la déduction d'un SMIC hors charges pour toute famille créant des emplois familiaux. Le principe était assez simple : on déduisait 50 % dans la limite d'un plafond de 90 000 francs, non pas de l'assiette fiscale, mais des impôts. Immédiatement, des dizaines de milliers de familles, pour garder qui des personnes âgées, qui des enfants, se sont mises à créer des emplois - geste de solidarité - et à bénéficier de la déduction fiscale. Hélas ! cette déduction fiscale n'aura duré qu'un an.

M. Augustin Bonrepaux.

C'était un geste exorbitant ! Un privilège !

Mme Michèle Alliot-Marie.

La création d'emplois, un privilège ? C'est nouveau !

M. Nicolas Sarkozy.

Or ces emplois familiaux sont des contrats à durée indéterminée, ne serait-ce que pour faire plaisir à Mme Aubry qui n'a pas de mots assez durs pour dénoncer les contrats qu'elle juge précaires. Mais l'on ne s'y prendrait pas autrement pour décourager les familles de créer des emplois en CDI (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) ...

M. Augustin Bonrepaux.

En d'autres termes, il ne sera plus question de toucher aux privilèges !

M. Jacques Masdeu-Arus.

Et le chômage, qu'en faitesvous ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1998

M. Nicolas Sarkozy.

... et déstabiliser ceux qui avaient embauché, qui pensaient déduire 45 000 francs et se sont finalement vu octroyer 22 500 francs.

M. Augustin Bonrepaux.

On ne peut plus corriger les privilèges ?

M. Nicolas Sarkozy.

Vous pouvez parfaitement juger cette mesure injuste et inutile. C'est votre droit, monsieur le président de la commission, et je respecte votre avis.

Mais ce qu'on n'a pas le droit de faire, c'est de revenir sur la parole de l'Etat une fois que celui-ci s'est engagé, que des contrats ont été conclus, des salaires déterminés.

Là est le scandale ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Didier Migaud.

L'Etat, c'est la majorité !

M. Augustin Bonrepaux.

Les citoyens se sont exprimés !

M. Didier Migaud.

Et ils n'ont plus voulu de votre conservatisme !

M. Nicolas Sarkozy.

Ecoutez, mes chers collègues, cela va devenir passionnant pour vous. Car chacun sera servi, je n'oublierai personne.

De grandes voix se sont élevées, à commencer par le Président de la République lui-même, qui a dénoncé l'instabilité fiscale comme un élément essentiel du mal français. Mais, tant qu'à choisir des exemples, prenons-en parmi ceux qui nous honorent ce matin de leur présence.

Il me faut du reste remercier le président de la commission des finances comme le rapporteur général du budget d'être parmi nous. Et les présents ayant toujours raison, il est normal que nous nous adressions à eux. Tandis que les absents, on le sait, ont tort.

M. Didier Migaud.

Vous-mêmes n'êtes pas très nombreux ! Vous êtes seulement vingt-deux !

M. Nicolas Sarkozy.

C'est la raison pour laquelle je me permettrai de citer un parlementaire dont je ne partage pas les opinions, mais dont j'ai eu l'occasion d'apprécier la ténacité et la force des convictions : M. Didier Migaud lui-même. M. Migaud est socialiste, moi pas,...

M. Didier Migaud.

Eh oui !

M. Nicolas Sarkozy.

... mais il connaît excellement la matière fiscale. C'est ce qui lui a permis d'écrire en 1996, à l'occasion d'une saisine du Conseil constitutionnel, dans un document qui fera date...

M. Didier Migaud.

Sûrement !

M. Nicolas Sarkozy.

...

« Alors mêmes qu'il ne s'agit pas ici de la loi pénale, la rétroactivité n'est pas conciliable avec le principe de la sécurité juridique constitutive de l'Etat de droit ». (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Pierre Lellouche.

Bravo, Migaud !

M. Nicolas Sarkozy.

Bigre, cher rapporteur général ! Je n'aurais pas osé prononcer un tel réquisitoire... Au moins l'opposition a-t-elle eu la modestie de ne viser qu'une seule des rétroactivités ; vous, c'étaient les trois. Qui peut le plus peut le moins : dans la mesure où vous avez affirmé voilà moins de deux ans, et vos propos n'en ont que plus d'autorité aujourd'hui puisque vous êtes devenu notre rapporteur général du budget, que la rétroactivité fiscale dans son ensemble met en cause l'Etat de droit, je ne doute pas que nous pourrons compter sur votre soutien enthousiaste.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

Très bien !

M. Nicolas Sarkozy.

J'ajoute, car il n'y a aucune raison de mettre en valeur le seul M. Migaud, que ce texte avait également été signé par des personnages aussi éminents q ue l'actuel président de l'Assemblée nationale, M. Laurent Fabius lui-même, très brillamment représenté aujourd'hui par son vice-président, ou M. Augustin Bonrepaux, si disert aujourd'hui, devenu président de la commission des finances, qui disait : « La rétroactivité fiscale n'est plus acceptable, n'est plus compatible avec l'Etat de droit. » Voilà, mesdames et messieurs de l'oppo-

sition, trois renforts de poids ! J'ai plaisir à souligner que notre conception de la rétroactivité fiscale encadrée va bien au-delà du débat gauche-droite.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Nous avons aujourd'hui une chance : montrons à nos concitoyens que cette question n'est pas une affaire de gauche ou de droite,...

M. Jean-Louis Idiart.

Que ne l'avez-vous fait pendant que vous étiez ministre ! Vous ne savez qu'être opposants, c'est tout !

M. Nicolas Sarkozy.

... mais bien une affaire d'anciens et de modernes, de modernes et d'archaïques.

M. Jean-Louis Idiart.

Il faut moderniser l'opposition !

M. Nicolas Sarkozy.

La question est posée. Vous êtes au Gouvernement, vous avez la majorité ; c'est vous qui bénéficierez de cette proposition si vous avez le courage de l'accepter.

M. Jean-Louis Idiart.

Occupez-vous d'avoir la majorité !

M. Nicolas Sarkozy.

Ne vous claquemurez pas dans un sectarisme que l'on pourra vous reprocher. Ayez le courage de relever le défi, même si ce ne sont pas les Verts, les communistes ou M. Cohn-Bendit qui vous le proposent.

(Rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et I ndépendants.)

Quoique, avec Daniel Cohn-Bendit, sait-on jamais, nous-mêmes pourrions être un jour dépassés en la matière !

M. Jean-Louis Idiart.

Vous avez déjà accueilli Lalonde, vous pourriez accueillir Cohn-Bendit !

M. Nicolas Sarkozy.

Au moins, si nous ne réussissons pas à vous convaincre, regardez ce que font les autres pays ! On m'assure qu'en France un tel changement est impossible, irresponsable. Mais pourquoi ce qui est interdit en Allemagne, aux Etats-Unis, en Italie, ce qui a fait l'objet d'un gentleman agreement entre la majorité et l'opposition aux Pays-Bas, ce qui n'existe pas, sauf dans des cas très exceptionnels, au Royaume-Uni, devrait être la règle en France ? Avec la mondialisation, le monde est devenu un village. On ne cesse d'appeler les Français à bouger, à se mobiliser, à aller au-delà des frontières, à s'inspirer de ce qui se passe à l'extérieur. Mais c'est toujours pour le pire,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1998

pour une compétition acharnée, pour la précarisation, jamais pour le meilleur ! Sitôt qu'il y aurait un avantage à gagner de la mondialisation, du droit international comparé, on se drape immédiatement dans une vertu d'un autre temps en répondant que ce qui est possible pour les autres ne l'est pas pour nous ! Que proposons-nous ? Rien d'autre que la notion de contrat fiscal. Lorsque vous entendez modifier le dispositif des parts fiscales, nous pouvons vous combattre, mais vous comprenons fort bien qu'une nouvelle majorité entende mettre en oeuvre une nouvelle politique. Mais dès lors que l'on crée un avantage fiscal ciblé, il faut s'y tenir pendant une durée minimum pour que cette incitation prenne sa pleine efficacité.

J'en ai fini de ce plaidoyer, mes chers collègues. La France est le seul pays du monde à connaître à ce point la rétroactivité fiscale.

Mme Françoise de Panafieu.

Parfaitement !

M. Nicolas Sarkozy.

Vous-mêmes, socialistes, avez réclamé la disparition de ce système. Les contribuables sont de plus en plus nombreux à le contester. L'attitude courageuse de Dominique Strauss-Kahn en est la marque.

Il a assumé un recul. J'imagine que ce n'est pas facile.

Nous l'en félicitons.

Tout milite donc pour que notre proposition obtienne force de loi, à moins que son péché originel ne soit d'être portée par l'opposition...

M. Jean-Louis Idiart.

Mais non, c'est un plaisir de vous entendre !

M. Nicolas Sarkozy.

Au moins, alors, les choses seront claires ! D'un côté, les sectaires sur le dos des contribuables, de l'autre, une opposition décidée...

M. Didier Migaud.

Théâtral et caricatural !

M. Nicolas Sarkozy.

... à restaurer la confiance des Français dans la parole politique. Finalement, mesdames, messieurs, c'était un bien beau débat.

M. Didier Migaud.

Pour le moment, vous êtes le seul à avoir parlé !

M. Nicolas Sarkozy.

Nous regrettons seulement que tant des vôtres n'y participent pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je dois d'abord vous présenter mes excuses, et particulièrement aux orateurs qui interviendront après moi, de ne pouvoir participer à votre débat jusqu'au bout. Le Président de la République ayant convoqué ce matin, à dix heures trente, un conseil restreint, je serai contraint de vous quitter dans quelques minutes. C'est la raison pour laquelle j'interviens dès maintenant, et c'est M. Christian Pierret qui restera au banc du Gouvernement. Celui-ci peut être valablement représenté par chacun de ses membres, mais certains d'entre vous pourraient se demander pourquoi le secrétaire d'Etat au budget, plus directement concerné par ces questions n'est pas à mes côtés.

M. Jean-Louis Idiart.

Il faut tout leur dire ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Or M. Sautter se trouve au Sénat, pour la discussion de la loi de finances. Il en est ainsi du calendrier parlementaire : nous ne pouvons pas toujours être à l'endroit où nous le souhaiterions à chaque instant.

Cela dit, si le Gouvernement se voit représenté d'une façon spécifique, force m'est d'admettre que l'opposition quant à elle, l'est fort bien...

M. Jean-Louis Idiart.

Bravo !

M. Didier Migaud.

En qualité, pas en quantité ! Par moins du dixième de ses députés ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

... et je donne bien volontiers acte à M. Sarkozy de ses propos sur la qualité et le prestige de ses membres. Mais je constate également que la majorité est représentée de façon au moins aussi prestigieuse ! Disons que l'équilibre, pour le prestige, se suffit de quelques parlementaires pour la majorité, alors qu'il en faut plus du côté de l'opposition.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Pierre Lellouche.

Merci pour elle !

M. Richard Cazenave.

Vous êtes trop bon, monseigneur !

M. Philippe Séguin.

Vraiment, quel mépris ! Quelle arrogance ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Mais parlons de votre texte.

Vous nous présentez là un assemblage bien baroque.

Sous des dehors séduisants, il se révèle - et la véhémence avec laquelle il vient d'être soutenu le montre - assez fragile. Principalement parce que, en dépit de ce qui nous est présenté, il traite en fait peu de la rétroactivité.

En effet, après avoir soigneusement écarté les problèmes de rétroactivité, il soulève une autre question : celle de la pérennité des annonces de l'Etat et des textes votés, avec des arguments du reste souvent intéressants et qui relèvent, j'en conviens, du problème de la parole de l'Etat. Mais ce n'est pas tant la rétroactivité qui est en cause que le fait de savoir si, dès lors que l'Etat prend une position, dans le cadre d'un texte voté par le Parlement comme à l'occasion d'une déclaration, tout aussi valable aux yeux des citoyens, celle-ci peut et doit être tenue pendant la durée nécessaire, et comment.

Autant le dire d'emblée, le Gouvernement n'est guère d'accord avec l'argumentation qui vient d'être présentée.

M. Pierre Lellouche.

C'est donc qu'il a changé d'avis !

M. Didier Migaud.

Comme M. Sarkozy ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Sarkozy a revendiqué le droit à l'erreur. Vous ne pouvez accuser le Gouvernement de changer d'avis alors qu'il n'a jamais pris position sur cette question.

M. Pierre Lellouche.

Les socialistes l'ont fait !

M. Jean-Louis Debré.

Il n'y a plus de socialistes ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Puis-je vous supplier de me laisser poursuivre, pour les raisons que j'évoquais tout à l'heure ? Je ne pourrai malheureusement pas rester avec vous aussi longtemps que je l'aurais souhaité ; sinon, j'aurais volontiers continué sur ce terrain.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1998

M. André Santini.

Il ne faut pas faire attendre le Président de la République ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Il ne suffit pas de dire que les fonctionnaires de Bercy sont contre une position pour aussitôt marquer notre avis du sceau de l'infamie. Ce sont du reste ces mêmes fonctionnaires de Bercy, monsieur Sarkozy, qui avaient su vous convaincre d'instaurer une rétroactivité sur les plus-values à long terme.

M. Nicolas Sarkozy.

Une « petite rétroactivité » ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Petite, certes ; mais vous venez justement de dire à cette tribune que c'était une question de principe, non une question d'ampleur. Et comme je ne puis penser que c'est vous-même qui avez voulu cette rétroactivité-là, j'en déduis qu'elle vous a été indiquée par votre administration ; c'est ce qui explique sans doute que vous cherchiez à la dénigrer quelque peu aujourd'hui...

Mais laissons cela de côté. Le sujet de ce matin est important, j'en suis d'accord, et vaut la peine d'un débat au fond.

Il y a un point de convergence entre nous, c'est le respect de la parole de l'Etat. Ce point ne souffre aucun débat, nous en sommes tous d'accord. La question posée est celle-ci : votre proposition de loi permet-elle, d'une manière ou d'une autre, d'améliorer la situation ? Si oui, il faut la considérer positivement ; sinon, il faut la rejeter.

Or le sentiment que je retire à la lecture du texte et après vous avoir écouté, ainsi que M. le rapporteur, c'est que, finalement, elle ne nous apporte rien.

Pour commencer, son emballage, en l'occurrence la rétroactivité, est assez éloigné de la réalité. On compre nd qu'il sonne bien aux oreilles de nos concitoyens, car personne n'est pour la rétroactivité. Mais la réalité, pour intéressante qu'elle soit, est autrement plus modeste : la question devient celle de savoir si, oui ou non, dès lors qu'une proposition a été faite pour une certaine durée, on peut la modifier pendant sa période de validité. Nous voilà très loin des grands principes républicains sur la rétroactivité.

M. Richard Cazenave.

C'est le problème de la parole de l'Etat ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je ne discuterai donc pas de la rétroactivité en général ni de la virtualité des déclarations, mais seulement de la réalité de votre proposition de loi.

Première remarque : elle ne me semble, à l'évidence, pas conforme à notre Constitution. En effet, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 décembre 1986, énonce que le pouvoir du législateur de modifier rétroactivement la législation fiscale ne saurait être restreint du seul fait de l'existence de droits nés sous l'empire de la loi ancienne. Voilà qui pourrait mettre fin à notre débat, puisque les exemples que vous avez cités tombent exactement dans ce cas de figure. Une loi ancienne a créé une situation, des décisions ont été prises dans le cadre de cette loi ancienne ; or le juge suprême nous répond que les droits ainsi acquis ne sauraient empêcher de modifier rétroactivement la loi fiscale.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

C'est bien pour cela que nous proposons de changer le texte.

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

La constitutionnalité de votre texte pose à l'évidence un problème, tout au moins une contradiction car le Conseil constitutionnel peut changer de jurisprudence, même si sa décision, en date de 1986, n'est pas si ancienne.

« Justement, changeons la loi organique », proposezvous. Mais vous-même avez laissé entendre l'idée qu'il y avait sans doute un point de faiblesse dans cette affaire.

Je croyais que vous alliez mettre le doigt dessus, mais le doigt a glissé. En effet, vous vous êtes borné à soulever le problème de la législation sociale, hors du champ de la rétroactivité : auquel cas, le problème demeurerait pour les textes qui relèvent de ce domaine. Vous avez raison, c'est un point de faiblesse, mais ce n'est pas le principal.

Le principal, c'est que la règle ne concerne pas spécifiquement les lois de finances, mais n'importe quelle loi fiscale. Par conséquent, une modification de la loi organique relative aux lois de finances ne réglerait en rien le problème : comme vous le savez, on peut introduire des dispositions fiscales dans n'importe quelle loi. Ce n'est donc pas du ressort de la loi organique.

M. Pierre Lellouche.

Pas terrible, votre argument ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Mais votre proposition contrevient à d'autres principes à valeur constitutionnelle. Le rapporteur a évoqué l'article VIII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Je le renverrai à l'article XIV que vous connaissez tous, c'est notre bréviaire : « Tous les citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée. »

En d'autres termes, à chaque fois que l'impôt est voté en début d'année, il est loisible aux représentants du peuple de déterminer la durée de sa perception ; or c'est bien cela que vous contestez. Par conséquent, j'interprète votre proposition comme contraire à l'article XIV.

Mme Michèle Alliot-Marie, M. Edouard Balladur et

M. Richard Cazenave.

Pas du tout ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l 'industrie.

Tous ces éléments constitutionnels me donnent à penser que nous pourrions nous arrêter là. Si la non-rétroactivité fait partie de nos principes, l'impossibilité de changer une loi dans un délai prescrit ne fait en rien partie des principes constitutionnels ; plus, elle est contraire, je l'ai montré, à plusieurs de nos règles constitutionnelles. Mais je ne veux pas me contenter de prendre le problème sous son seul aspect formel ; il faut aller au fond.

Je veux d'abord montrer qu'en fait ce texte est inutile, qu'il n'apporte rien. Vous avez cité quelques cas de rétroactivité qui avaient pu exister, à droite comme à gauche, et je vous rends justice sur ce point. Prenons, par exemple, la loi de finances que cette assemblée a votée en première lecture il y a quelques jours. Toutes les dispositions à caractère rétroactif qui y ont été introduites, sont favorables aux contribuables : la baisse des droits de mutation, qui ne commencera pas le 1er janvier, mais qui a commencé le 1er septembre,...

M. Pierre Lellouche.

Petite rétroactivité ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

... de même que la suppression des droits de timbre sur les cartes d'identité ou les permis de conduire, applicable dès le 1er septembre plutôt qu'au 1er janvier.

J'ose espérer que vous n'entendez pas, par votre texte, combattre toutes ces mesures.

M. Richard Cazenave.

Nous perdons notre temps !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1998

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Vous avez évoqué l'assurance-vie. Je veux m'y arrêter quelques instants, car je crois que vous faites erreur et, comme vous appeliez tout à l'heure à la bonne foi, je ne doute pas que, en toute bonne foi, vous vous corrigerez vous-même.

En effet, si le Gouvernement a été amené à modifier son texte initial sur l'assurance-vie, cela n'a rien à voir avec un problème de rétroactivité ; c'est tout simplement parce que le Conseil d'Etat a averti le Gouvernement d'un risque d'inconstitutionnalité. Il se posait un problème d'égalité devant l'impôt selon que les héritiers à venir hériteraient du patrimoine « normal » du défunt ou bien d'un patrimoine lié à l'assurance-vie dans les conditions telles que nous les avions originellement établies.

C'est cela qui nous a conduits à modifier notre dispositif, en aucun cas une crainte en matière de rétroactivité.

A l'inverse, l'exemple de l'assurance-vie, qui, me semble-t-il, motive pour une large part votre proposition de loi, montre bien que celle-ci est non seulement inutile, puisque la disposition en question n'en avait nul besoin, mais totalement inopérante. A supposer que nous tombions sous le coup de votre critique, ce qui n'est pas le cas, puisque la mesure en question n'est pas rétroactive, votre proposition de loi n'y aurait rien changé : il s'agit de dispositions permanentes alors que votre proposition de loi ne concerne que celles d'une durée inférieure à cinq ans. En d'autres termes, quand bien même cette disposition sur l'assurance-vie aurait été rétroactive, votre texte n'aurait strictement rien changé !

M. Richard Cazenave.

Vous n'avez pas tout compris, me semble-t-il ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je crains d'avoir assez bien compris que votre texte a finalement peu de rapport direct avec le problème que vous soulevez.

M. Richard Cazenave.

Vous n'avez pas bien suivi ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Inutile, inopérante, votre proposition est, pire, contre-productive. En effet, si un texte de cette nature était voté, alors la tentation deviendrait extrêmement forte de ne mettre en oeuvre que des mesures limitées à une durée de cinq ans, favorisant par là même l'instabilité juridique que vous dites vouloir combattre. Il faut d'ailleurs souligner que c'est ce gouvernement qui s'est efforcé de mettre en place des dispositions permanentes, en revenant sur des mesures à vocation temporaire que vous aviez prises : c'est le cas de l'amortissement Périssol, par exemple, dont la durée était limitée, auquel succède l'amortissement Besson, à caractère permanent, ou encore de la baisse des droits de mutation mise en oeuvre par M. Juppé, à titre là encore temporaire, alors que celle que nous proposons est définitive.

M. Patrick Devedjian.

Parce que vous la vouliez définitive ? M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Adopter un texte législatif poussant à la multiplication des dispositions temporaires, au motif que cela permettrait de les garantir, revient par là même à créer l'instabilité juridique.

M me Michèle Alliot-Marie.

Vos arguments sont faibles !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

Très faibles !

M. André Santini.

Pour le moins spécieux ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Mais, au-delà, je ne crois pas que votre proposition soit très équitable. Nous sommes un pays de droit écrit. En conséquence de quoi, la loi doit s'adapter aux évolutions. Nous avons pu vérifier il n'y a pas si longtemps, sur un sujet qui vous a réjouis - et qui vous a donné l'occasion de réussir un petit coup de séance -, que vous n'étiez pas prêts à demander à la loi d'accompagner les évolutions dans nombre de domaines touchant aux moeurs. Pour notre part, nous considérons, avec cette majorité, qu'il revient à la loi d'accompagner l'évolution. Or si l'on veut accompagner l'évolution, il est souhaitable que des dispositions prises hier puissent être changées demain.

Mme Michèle Alliot-Marie.

Cela n'a rien à voir !

M. Richard Cazenave.

Vous ne connaissez pas bien le texte ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Il y a effectivement une réforme que l'actuelle majorité n'aurait pas pu mettre en oeuvre si votre texte avait été voté dans le passé : celle des quirats. Cette disposition, que je considère comme scandaleuse, permettait à des contribuables de déduire de leurs impôts, sous des habillages divers, un million de francs, ce qui revenait, pour les plus fortunés de nos concitoyens, à échapper à l'impôt sur le revenu pour ce montant. Cette disposition avait été votée « pour un certain temps ». Si votre texte avait été en vigueur, nous n'aurions pas pu revenir dessus.

Ce n'est sûrement pas avec cet argument que vous pouvez justifier l'existence de votre proposition.

Plus fondamentalement, votre texte est dangereux, parce qu'il est totalement justifié de pouvoir revenir sur un texte voté quand, par exemple, il comporte une ambiguïté. D'ailleurs, vous ne vous êtes pas gênés pour le faire - et vous avez eu raison ! Au cours de la législature préc édente, l'Assemblée avait voté un abattement de 100 000 francs pour les dons de grands-parents à leurs petits-enfants, qui ne devait être possible que tous les dix ans. Or la mesure était rédigée de telle manière - ça arrive ! - qu'il devenait possible tous les jours. Vous vous êtes donc empressés de rétablir rétroactivement la volonté initiale du législateur.

Je n'aurai pas l'outrecuidance de penser que l'actuelle majorité ne puisse pas commettre des erreurs analogues.

Par conséquent, il faut pouvoir revenir sur ce que l'Assemblée a voté. Vous-mêmes pourriez avoir à revenir sur un texte que vous auriez voté, à moins que vous ne pensiez ne plus jamais faire d'erreur - je ne le crois pas ou que vous ayez définitivement renoncé à revenir au pouvoir - ce que je ne peux pas croire non plus.

Dans ces conditions, il est absolument nécessaire de laisser la possibilité au Gouvernement et à l'Assemblée de revenir sur un texte ; il serait dangereux de le leur interdire.

Enfin et surtout, le danger le plus grand est politique et il touche à la démocratie.

Mme Michèle Alliot-Marie.

Vous devriez écouter, monsieur Migaud : M. le ministre est en train de vous critiquer ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Comment accepter, dans un système prévoyant des élections périodiques, qu'une majorité finissante pourrait imposer, pour toute la législature à venir puisque vous prévoyez une durée de cinq ans -, des décisions que la nouvelle majorité, si les électeurs ont sou-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1998

haité changer d'orientation politique, n'aurait plus la possibilité de modifier, alors que la précédente n'aurait plus à en assumer ni la responsabilité politique ni le coût financier ? Vous vous référiez aux grands principes. Cela correspondrait-il à notre conception de la démocratie ? Le peuple aurait décidé de changer d'orientation politique mais les nouveaux élus se trouveraient entravés pour toute la durée de la législature ? Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est opposé au texte que vous proposez.

Il est d'ailleurs piquant de constater, alors que nous fêtons le quarantième anniversaire de notre constitution, qu'en 1958, la question s'était déjà posée. C'est alors un gaulliste, M. Foyer, qui avait considéré qu'une disposition analogue à la vôtre était inutile. Je vous renvoie aux trav aux préparatoires aux textes constitutifs de la Ve République, vous retrouverez facilement ces passages, qui sont éclairants.

Il est piquant aussi de constater que, chaque fois que vous êtes dans la majorité, vous réfléchissez à ces questions - rapport Aicardi en 1986, colloque organisé par le président Poncelet en 1995 -, mais que c'est seulement lorsque vous êtes dans l'opposition, que vous formulez des propositions.

M. Philippe Séguin.

Ça ne vous arrive jamais, à vous ? M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je ne doute pas que, si la vie politique veut qu'un jour vous vous retrouviez de nouveau majoritaires, vous mettiez en oeuvre ce texte.

M. Christian Estrosi.

N'ayez crainte, ça va arriver ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Pour le moment, sans obtenir l'écho que vous espériez en agitant le terme de rétroactivité, vous nous présentez un « bébé » dangereux, inutile et inopportun, mais d'ampleur beaucoup plus limitée.

M. Jacques Masdeu-Arus.

Les Français jugeront ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Le point qui me paraît le plus important, vous ne ne l'avez évoqué que d'une phrase. Je ne pensais pas que vous y viendriez.

Contrairement à ce que vous avez dit, une telle disposition n'existe ni aux Etats-Unis, ni en Allemagne, ni en Italie. En revanche, la situation aux Pays-Bas que vous avez décrite est exacte. Une sorte de consensus s'y est fait pour éviter tout risque que l'Etat revienne sur sa parole.

Je le répète, ce n'est pas la rétroactivité qui est en cause, elle n'est même pas en débat dans cette affaire, c'est la parole de l'Etat.

Il convient que les élus soient suffisamment vertueux pour que, en effet, la parole de l'Etat soit respectée et que les citoyens puissent lui faire totalement confiance.

Moi, j'ai confiance dans la vertu des parlementaires.

Faut-il que vous ayez peu confiance dans votre propre vertu pour vouloir mettre ainsi une camisole à la liberté parlementaire !

Mme Michèle Alliot-Marie.

Nous n'avons pas confiance en la vôtre, puisque vous êtes majoritaires ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Le Gouvernement ne soutiendrait donc pas ce texte. J'ai compris que la majorité ne le soutiendrait pas non plus et, je vous donne rendez-vous dans quelques années, car un jour - ainsi le veut la démocratie - cette opposition redeviendra une majorité.

M. Nicolas Sarkozy.

Dans trois ans et demi ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Je ne doute pas qu'à ce moment-là, vous mettrez en oeuvre ce texte. Et nous verrons si son inutilité, son caractère inopérant, parfois contradictoire, l'iniquité dont il est porteur ne vous apparaîtront pas comme dirimants.

En attendant, je prends note de vos craintes s'agissant de l'opposition. Je me porte garant de la majorité : la parole de l'Etat continuera d'être respectée.

Mme Michèle Alliot-Marie.

Vous avez démontré le contraire ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Il n'est nul besoin d'« enfermer » les parlementaires pour cela. Ayez confiance, monsieur Sarkozy,...

M. Jean-Louis Idiart.

N'ayez pas peur ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

... ayez confiance dans votre propre vertu ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

Je voudrais répondre aux trois objections constitutionnelles que vous avez soulevées, monsieur le ministre.

On nous objecte d'abord la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 1986 : « Considérant que le pouvoir du législateur de modifier rétroactivement la législation fiscale ne saurait à l'inverse être restreint du seul fait de l'existence de droits nés sous l'empire de la loi ancienne. » C'est bien la justification de la proposition de

loi que nous déposons, car si ce principe n'existait pas, il n'y aurait nul besoin de notre proposition, et nous n'en débattrions pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

D euxièmement, le texte auquel est parvenue la commission des lois de notre assemblée prévoit qu'une loi de finances peut conférer un caractère pluriannuel à un avantage fiscal. En effet, nous sommes conscients que la protection du caractère pluriannuel d'un avantage fiscal a un caractère solennel et qu'elle doit être décidée dans un débat solennel sur les finances de notre pays, c'est-à-dire au moment du vote de la loi de finances.

Rien n'empêche, monsieur le ministre, qu'un avantage fiscal créé par toute autre loi, de quelque nature qu'elle soit, soit protégé de la même manière en vertu du nouvel article 4 que nous vous proposons d'adopter. Ainsi l'avantage fiscal en matière d'assurance-vie résulte du code des assurances. Rien n'empêche de le protéger, lui aussi, au moyen de notre proposition.

V ous avez posé, en troisième lieu, monsieur le m inistre, le problème de la durée, en invoquant l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme. Il ne nous avait pas échappé qu'aux termes de cet article, l'impôt doit être librement consenti pour une période fixée.

Mais relisez notre texte : il prévoit précisément que cet avantage pluriannuel sera limité pour une période préalablement déterminée ! Et, comme nous ne voulions pas qu'il puisse être dit qu'une assemblée puisse engager ad vitam aeternam les finances de l'Etat, nous avons introduit la limitation à cinq ans.

A contrario, vous dites craindre qu'on ne déstabilise ainsi les avantages fiscaux. Pas du tout ! Il suffira de les proroger de cinq ans dans une autre loi de finances.

M. Augustin Bonrepaux.

Maintien des privilèges cinq ans de plus !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1998

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

L'avantage fiscal gardera ainsi la protection que nous souhaitons lui donner, tout en respectant la liberté de choix du législateur.

M. Didier Migaud.

Ah, non ! C'est cocasse !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

Pour le reste, j'ai été extrêmement surpris en constatant la différence entre l'argumentation tenue dans l'hémicycle ce matin et celle que nous avons entendue en commission des lois.

En commission des lois, M. Caresche nous a fait un long exposé, pour nous démontrer que notre texte était dangereux et serait une catastrophe absolue pour les finances publiques. Or, aujourd'hui, vous nous dites surtout qu'il est inutile et n'aura pas de conséquences !

M. Nicolas Sarkozy.

Très bien !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

Je n'ai pas d'autre commentaire à en faire ! Quant à la menace d'un législateur fou s'efforçant frénétiquement, à quelques mois d'une élection, de protéger tous les avantages fiscaux, elle peut nous rappeler certain comportement peu citoyen d'une assemblée votant, à la veille d'une élection législative,...

M. Pierre Lellouche.

Absolument ! En 1992 !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur...

un projet de loi de finances voté avec 90 milliards de déficit, qui sera exécuté avec 360 milliards de déficit ! C'était le budget de 1993 ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Il y a bien d'autres occasions, monsieur le ministre, pour une assemblée, de se montrer « peu citoyenne ». Si, par malheur, vous deviez succomber à la tentation, sachez que les électeurs y sont de plus en plus attentifs.

M. Jean-Louis Idiart.

Vous en savez quelque chose !

M. Jean-Luc Warsmann.

En réalité, nous avons deux conceptions différentes. Pour nous, lorsque l'Assemblée nationale vote, elle n'engage pas seulement une majorité politique mais la parole de l'Etat, la parole de la France.

Et il est tout à l'honneur d'une autre majorité de continuer à assumer la parole engagée. En la matière, l'Etat doit être exemplaire.

M. Didier Migaud.

En matière de privilèges ?

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

Quand l'Etat donne sa parole par un vote de l'Assemblée nationale, les ministres, même d'une autre majorité, doivent l'assumer.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, je maintiens la position de la commission des lois en souhaitant que notre assemblée approuve cette proposition de loi.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre.

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Comme je vais devoir m'absenter, je ne voudrais pas laisser penser que j'approuve ce que vient de dire le rapporteur.

Il nous explique : c'est contraire à la Constitution, voilà pourquoi on veut changer. Les choses sont claires.

Vous avez relu la décision de décembre 1986 puis déclaré : c'est justement ce que nous voulons changer. Ce sera au compte rendu.

M. Pierre Lellouche.

C'est contraire à un arrêt du Conseil constitutionnel ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

En effet, c'est contraire à l'interprétation que donne le Conseil constitutionnel, M. Lellouche a raison.

Mme Michèle Alliot-Marie.

Ce n'est pas du tout la même chose ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Ma formule est un peu « raccourcie », certes.

Vous avez déclaré, j'en conviens : c'est contraire à ce que dit le Conseil constitutionnel !

M. Pierre Lellouche.

Ce n'est vraiment pas pareil ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Sans vouloir dire, en aucune manière, que le débat ne doit pas se poursuivre - auquel, malheureusement, je ne pourrai pas participer -, je trouve que vous nous avez parfaitement éclairés sur cette affaire. Vous voulez que, pendant un certain temps, ce qui a été voté ne puisse pas être modifié par une majorité différente.

C'est pour moi l'expression même du conservatisme.

Mme Michèle Alliot-Marie.

Les droits acquis prônés par Mitterrand, c'était donc du conservatisme ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Vous les combattez suffisamment, madame ! Vous ne pouvez pas vouloir qu'ils soient retirés aux salariés et conservés uniquement à ceux qui bénéficient d'avantages fiscaux !

M. Pierre Lellouche.

Démagogie !

M. Charles Cova.

Et vous dites ça sans rire !

M. le président.

Laissez M. le ministre terminer ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Dans ces conditions, nous avons un débat dont l'intérêt n'est pas seulement juridique - et médiatique, puisqu'il permet de mettre un peu en musique l'activité de l'opposition ! - il est fondamentalement politique : pensons-nous, oui ou non, que ce qu'une assemblée a fait, une autre peut le défaire ?

M. Didier Migaud, rapporteur général.

C'est tout le débat ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

C'est là un débat de fond.

Ce n'est pas la parole de l'Etat qui est en cause.

M. Jacques Masdeu-Arus.

Bien sûr que si ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Vous ne pouvez pas dire à la fois qu'il est heureux que M. Balladur, en 1994, ait pu changer ce qui a été fait en 1993 - c'est bien ce que vous avez dit ...

M. Richard Cazenave.

On a bouché les trous socialistes ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

... et prétendre qu'il faut mettre des entraves à cette possibilité de changement.

Je vous le répète : ayez confiance dans ce que nous savons faire, ici, ensemble !

Mme Michèle Alliot-Marie.

On ne peut pas avoir confiance en vous, vous le savez bien ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Moi, j'ai suffisamment confiance en vous pour que vous puissiez avoir confiance dans le Gouvernement !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1998

En tout cas, aucun des exemples que vous avez cités n'aurait été évité - si tant est qu'ils auraient dû l'ê tre par le texte que vous proposez.

M. Pierre Lellouche.

On n'est pas passé loin ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Il est donc clairement inutile.

M. Richard Cazenave.

Et la suppression de l'exonération de la taxe foncière de M. Mauroy ? M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

J'ai oublié de l'évoquer. Là aussi, votre texte aurait été inopérant puisque c'était en 1983 et que la date initiale était 1973 ou 1976.

M. Nicolas Sarkozy.

1973 ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Or vous avez prévu une durée de cinq ans !

M. Richard Cazenave.

Ç'aurait été reconductible ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Au total, quand ça fonctionne, c'est inutile ; et quand ça ne fonctionne pas, ça peut être dangereux ! Vous vous êtes décidément engagés sur un mauvais terrain, si mauvais d'ailleurs que vous n'avez fait qu'en discourir quand vous étiez au pouvoir ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Philippe Séguin.

Faible argumentation !

M. le président.

La parole est à M. Daniel Feurtet.

M. Daniel Feurtet.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, monsieur le président, chers collègues, la proposition de loi présentée par les groupes de l'opposition pose un problème majeur et intéressant, même si nous ne sommes pas tous d'accord sur les réponses à y apporter.

Le principe de la non-rétroactivité des lois est à l'évidence essentiel à l'exercice des libertés publiques et de la démocratie. Peut-il être étendu facilement en matière fiscale ? La question mérite d'être posée.

La non-rétroactivité est d'abord une garantie des droits individuels en matière pénale. On ne peut être poursuivi et condamné pour des faits qui n'étaient pas légalement délictueux au moment où ils ont été commis. C'est bien un principe sans lequel la paix civile serait impossible et dont l'absence mettrait les citoyens à la merci de l'arbitraire le plus complet.

Il en va de même pour les droits civils, ce qui implique le plus souvent que la loi nouvelle s'applique aux instances en cours au moment où elle est promulguée, mais pas à des faits antérieurs pour lesquels la justice n'a pas été saisie.

En ce qui concerne les droits sociaux, les députés communistes sont favorables à la rétroactivité, dès lors que la loi nouvelle introduit un avantage supplémentaire dont il serait injuste de priver certaines personnes simplement en raison de leur date de naissance, par exemple, s'il s'agit d'un avantage de retraite.

Mais c'est un domaine où le coût financier de la dépense prend souvent valeur d'argument pour refuser l'extension d'un droit.

Le principe de non-rétroactivité est donc susceptible de variation dans l'intérêt des individus, de leur liberté et de leurs droits sociaux.

La loi fiscale appelle à notre avis une approche différente. Par exemple, il est un domaine que la proposition de loi ne modifie pas, c'est la validation législative d'une disposition constatée à l'occasion de contentieux fiscaux ; en l'occurrence, la rétroactivité est pourtant discutable.

Une récente loi de finances a apporté la validation législative de la perception d'une taxe régionale de l'assemblée de Corse que le tribunal administratif de Bastia avait annulée avec raison, car elle avait été décidée dans des conditions illégales.

Il est choquant que la loi légalise a posteriori une illégalité, d'autant que le principe de la séparation des pouvoirs doit assurer l'application normale des décisions de justice.

Mais ce qui préoccupe le plus nos collègues de l'opposition, c'est la modification d'un avantage fiscal accordé pour une période déterminée. Il y aurait rupture unilatérale du contrat tacite conclu avec le contribuable. La question a été récemment soulevée à propos de l'assurance-vie.

Il nous semble que l'argument selon lequel l'Etat reviendrait sur sa parole n'est pas fondé. D'abord, parce que la spécificité du droit fiscal est reconnue. Ensuite, le droit de lever l'impôt appartient au législateur, et même les Etats généraux, sous l'ancien régime, se sont déjà battus contre la volonté du monarque de faire autoriser la levée des impôts une fois pour toutes. Chaque année, le législateur autorise la perception de certains impôts existants et modifie les conditions de perception, l'assiette et les taux d'autres impôts.

Il ne peut pas être lié pour l'avenir, sinon par certains traités internationaux et par les principes du bloc de constitutionnalité. Mais, sur cette base, ce qu'une loi a fait, une autre loi peut le modifier. C'est un pouvoir du peuple souverain qu'il délègue au Parlement. En d'autres termes, une majorité est libre de conserver ou de supprimer ce que la précédente a voté. La droite a conservé en 1993 l'impôt sur la fortune qu'elle avait supprimé en 1986.

Mais, fondamentalement, ne met-on pas dans le domaine juridique ce qui est d'abord et exclusivement politique ? La fiscalité, ce sont les recettes diversifiées de l'Etat.

Pour financer sa politique économique, le Gouvernement et la majorité de droite comme de gauche seraient privés d'une liberté de choix importante s'ils ne pouvaient modifier certains impôts par lesquels la majorité précédente, ou la même, a donné à certains contribuables des avantages que le changement de circonstances ou de conjoncture économique ne justifie plus.

Derrière un débat de principe, il y a des intérêts très matériels, qui n'intéressent souvent qu'un nombre limité de contribuables, les plus aisés. Pour se constituer, hier comme aujourd'hui, une assurance vie supérieure à un million de francs, il ne faut être ni RMIste ni en situation précaire.

De gros intérêts financiers sont en jeu. Peut-on accepter que l'Etat ne puisse pas modifier des dépenses fiscales au profit des plus fortunés, et soit donc obligé de chercher des recettes supplémentaires à travers l'impôt indirect qui touche le plus grand nombre et particulièrement les ménages les plus modestes ? A la veille d'élections législatives, un gouvernement ferait adopter une mesure fiscale pour certains détenteurs de revenus financiers dont le bénéfice s'étendrait sur quinze ans et les gouvernements successifs seraient empêchés pendant plusieurs législatures de modifier une loi injuste et coûteuse pour les finances publiques. Ce n'est pas acceptable.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1998

Ce serait contre la logique, la simple justice et le droit souverain du peuple et de ses représentants de revenir, dans le respect des formes, sur une norme précédemment adoptée.

C'est donc bien un débat faussement vertueux. C'est la tranquillité des contribuables aisés qui préoccupe avant tout les auteurs de la proposition.

M. Didier Migaud.

C'est le moins qu'on puisse dire ! D'ailleurs, ils ne sont même plus là pour vous entendre !

M me Michèle Alliot-Marie.

Monsieur Migaud, le ministre vous a disqualifié tout à l'heure ! N'insistez pas ! Plusieurs députés du groupe socialiste.

Même Sarkozy n'est pas là.

M. Augustin Bonrepaux .

Ce n'est pas très sérieux !

M. Daniel Feurtet.

Ce serait aussi une remise en cause du principe de l'annualité de l'impôt et de la loi de finances qui, dans une perspective européenne, réduirait encore au profit des instances le droit de la France et de son législateur de lever des impôts dont la définition lui appartient.

En fin de compte, le problème est bien politique. C'est au niveau des engagements des différents partis devant les électrices et les électeurs que la réponse doit être trouvée

A chaque formation politique de s'engager politiquement et de dire si elle entend maintenir ou modifier telle ou telle loi fiscale. Et aux électrices et aux électeurs de choisir.

Pour leur part, les députés communistes se sont présentés aux législatives de 1997 en insistant sur la nécessité de profondément démocratiser la fiscalité pour ne plus favoriser les revenus financiers par rapport aux revenus du travail.

M. Jean-Louis Idiart.

Très bien !

M. Daniel Feurtet.

Pour toutes ces raisons, nous ne sommes pas favorables à cette proposition de loi qui invoque le principe de non-rétroactivité pour le détourner de son sens.

J'ai le sentiment - mais n'est-ce qu'un sentiment ? que l'auteur de cette proposition de loi rêve d'alternance sans changement. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Idiart.

Ça, c'est vrai ! Rappel au règlement

M. le président.

La parole est à M. le président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Monsieur le président, je ne connais pas parfaitement le règlement, mais je me demande si nous pouvons poursuivre l'examen d'un tel texte en l'absence de son auteur. Il ne pourra pas entendre les arguments développés sur tous les bancs...

M. Didier Migaud.

M. Sarkozy confond l'Assemblée avec du théâtre !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

... et ne pourra donc pas se prononcer en connaissance de cause,...

M. Jean-Louis Idiart.

Ils sont tous partis !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

... d'autant que le débat n'a pas pu s'instaurer en commission.

M. Jean-Louis Idiart.

Quel mépris pour le Parlement !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

L'auteur, en effet, n'a jamais demandé à la commission des finances de se saisir de ce texte,...

M. Didier Migaud.

C'est du théâtre !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

... ce qui m'aurait donné l'occasion de le rencontrer au moins une fois, puisque je n'ai pas eu non plus le plaisir de le rencontrer au sein de la commission au cours de la discussion budgétaire.

M. le président.

C'est le représentant de la commission des lois qui doit être présent pour un tel débat, ainsi que le Gouvernement, naturellement.

M. Didier Migaud.

Cela n'exclut pas la courtoisie !

M. le président.

Quant à l'absence de tel ou tel, à vous d'en penser ce que vous voulez.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

Je rappelle au président de la commission des finances que le texte en discussion est celui de la commission des lois tel qu'il a été discuté et approuvé par la commission des lois.

M. Jean-Louis Idiart.

A deux voix !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

Nous essayons d'engager un débat de fond, et je regrette une nouvelle fois qu'on concentre les attaques contre la personne de l'auteur. Je souhaiterais que ce débat retrouve un peu de sérénité et que l'on puisse échanger sur le fond du sujet.

M. Didier Migaud.

L'auteur de la proposition n'est pas là. C'est du théâtre !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Cela prouve l'intérêt qu'il porte au sujet !

M. le président.

Le débat se déroule en présence des acteurs indispensables.

M. Didier Migaud.

Le metteur en scène n'est même pas là !

M. le président.

Il n'a jamais été obligatoire que l'auteur de la proposition soit présent. Vous pouvez le regretter, mais cela ne fait pas partie de notre règlement.

Reprise de la discussion

M. le président.

Nous reprenons la discussion générale.

La parole est à M. Henri Plagnol.

M. Henri Plagnol.

Monsieur le président, mes chers collègues, l'impôt est de toute évidence au coeur des rapports entre l'Etat et les citoyens, et nous sommes tous bien conscients, quelles que soient nos appartenances partisanes, que le consentement à l'impôt est le fondement de la démocratie.

Par conséquent, la proposition de Nicolas Sarkozy, qui introduit une authentique révolution dans notre droit budgétaire en limitant fortement dans la Constitution le principe de rétroactivité fiscale et en garantissant aux


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1998

contribuables les engagements pluriannuels de l'Etat sous forme d'avantages fiscaux, est suffisamment importante pour justifier un débat de fond entre nous, un débat politique au sens noble, comme vient de l'expliquer excellement Nicolas Sarkozy.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Il revient !

M. Henri Plagnol.

Pour ma part, je m'associe aux regrets qui ont été exprimés que le Gouvernement et la majorité plurielle n'accordent manifestement que très peu d'importance à ce débat essentiel, ...

M. Jean-Louis Idiart.

A son aspect théâtral !

M. Henri Plagnol.

... beaucoup moins en tout cas qu'à une proposition comme celle relative au PACS. Les Français et les contribuables apprécieront cette logique des

« deux poids, deux mesures ».

M. Jean-Louis Idiart.

On vous donnera notre avis mercredi !

M. Henri Plagnol.

Le groupe UDF soutiendra cette proposition pour trois raisons essentielles : c'est un progrès important de l'Etat de droit, et je répondrai aux objections du ministre sur ce point ; c'est la condition de l'efficacité économique et sociale d'une politique fiscale moderne ; enfin, c'est un pas important dans la modernisation des rapports entre l'Etat et le citoyen.

C'est d'abord un progrès important de l'Etat de droit.

Je ne reviendrai pas longuement sur le caractère essentiel du principe de portée générale de non-rétroactivité puisque le rapporteur, M. Warsmann, l'a fait de façon tout à fait exhaustive. Je citerai simplement Portalis, l'un des principaux rédacteurs du code civil, qui dit tout en une seule phrase : « Avec la rétroactivité, il n'y a plus de sécurité juridique pour les citoyens. » Il faut donc être

extraordinairement prudent et vigilant dans l'usage qui peut être fait par le Parlement de la rétroactivité, quelle que soit la matière.

Il y a, certes, le principe sacro-saint de l'annualité du budget, et je voudrais insister sur ce point.

Les orateurs de la majorité plurielle nous ont expliqué que c'était un principe très ancien, très vénérable, au coeur du vote du budget par le Parlement et par conséquent au coeur même du pacte social, mais sa justification philosophique et historique est beaucoup plus la méfiance des citoyens et du législateur, et tout particulièrement des Lumières, à l'égard du pouvoir exorbitant qu'est celui de lever l'impôt, que la volonté de donner à l'Etat des possibilités léonines.

Pourquoi l'annualité budgétaire ? Parce qu'il faut que le consentement à l'impôt soit donné chaque année. C'est la raison pour laquelle, chaque année, nous revotons théoriquement tous les impôts. Cela veut bien dire que le constituant et l'auteur de la Déclaration des droits de l'homme ont entendu protéger le citoyen, et non pas l'Etat, contre des excès possibles de l'impôt. D'ailleurs, il est bien précisé que c'est pour constater la nécessité de la dépense publique.

On assiste à une inversion du principe de l'annualité budgétaire. Elle n'est plus censée maintenant protéger le citoyen, mais protéger l'Etat ! En ce sens, c'est une vraie perversion. La proposition que nous votons ce matin rééquilibre les rapports entre l'Etat et le citoyen, en redonnant sa véritable portée au principe de l'annualité budgétaire.

M. Pierre Lellouche.

Très bien !

M. Henri Plagnol.

Tous les ans, nous devons réexaminer les fondements de chaque impôt, car, en matière de perception de l'impôt, le législateur se doit d'être extraordinairement prudent.

Enfin, j'en viens à l'objection majeure que nous a faite le ministre, l'impossibilité pour la majorité, en cas d'alternance, de revenir sur un engagement de l'Etat. On a prétendu que c'était un déni de démocratie. Je prétends, moi, que c'est au contraire une conception moderne et pacifiée de la démocratie.

D'ailleurs, mes chers collègues, c'est bien tout le sens de la création du Conseil constitutionnel dans le cadre des institutions de la Ve République. Le Conseil constitutionnel permet d'éviter les excès liés aux abus éventuels d'une majorité qui remettrait en cause les principes généraux du droit. Je prendrai un seul exemple, celui des nationalisations. En l'absence de contrôle de constitutionnalité, rien n'obligeait le législateur à indemniser les prop riétaires spoliés. Désormais, parce qu'il existe un contrôle du Parlement, au nom de principes généraux du droit qui s'imposent aussi bien à la majorité qu'à la minorité, fort heureusement, les propriétaires éventuellement spoliés bénéficient d'une indemnité juste et préalable. De la même manière, si cette proposition est votée, en cas d'alternance, les citoyens auront la garantie que, quelles que soient les tentations de la majorité, la parole de l'Etat à leur égard sera respectée.

Ce n'est donc pas du tout un déni de démocratie.

C'est, bien au contraire, une conception moderne, équilibrée, raisonnable de l'alternance, qui ne doit pas se traduire par la loi du plus fort ou par des errements idéologiques excessifs. Il y a des droits supérieurs à la loi de la majorité. C'est toute l'évolution moderne des démocraties.

M. Jean-Louis Idiart.

Vous ne supportez pas l'alternance, c'est ça le problème !

M. Henri Plagnol.

Il est vrai que la révolution ne sera plus possible. Mais la révolution, cela n'a rien à voir avec l'Etat de droit et la démocratie.

M. Jean-Louis Idiart.

N'importe quoi !

M. Henri Plagnol.

La deuxième raison pour laquelle nous votons avec enthousiasme cette proposition. (Rires sur les bancs du groupe socialiste)...

M. Jean-Marc Ayrault et M. Didier Migaud.

Ça se voit, d'ailleurs !

M. Henri Plagnol.

... est l'efficacité économique et sociale.

Toute l'économie moderne, mais vous avez beaucoup de mal à l'admettre, est fondée sur la liberté, la liberté des échanges, la liberté des investissements,...

M. Didier Migaud.

La liberté du citoyen de voter.

M. Henri Plagnol.

... ce qui veut dire que la confiance est l'une des conditions essentielles de la compétitivité d'un pays. Or la confiance suppose bien entendu le respect de la parole de l'Etat.

C'est vrai, vous le savez bien, en ce qui concerne les investissements internationaux. Tous les gouvernements successifs font des efforts pour rendre notre pays le plus attractif possible, car un investissement est créateur d'emplois et de richesses. Or le premier motif, d'après tous les sondages réalisés auprès des entreprises internationales, pour lequel certaines sont dissuadées de s'installer en France, c'est le doute sur le respect de la sécurité juridique et des engagements de l'Etat. Une proposition


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1998

de ce type est un progrès dans la confiance et, par conséquent, un progrès pour l'efficacité de notre économie.

La confiance, c'est aussi celle du citoyen épargnant.

L'épargne a besoin de règles stables, Nicolas Sarkozy en a donné d'excellents exemples et l'assurance-vie en est une illustration criante. Comment voulez-vous que nos concitoyens fassent confiance aux produits que leur proposent l'Etat et le législateur si les modestes avantages qui leur sont consentis peuvent être remis en cause pour un oui ou pour un non en fonction des aléas de la politique ? Enfin, cette proposition permet de définir une stratégie fiscale à long terme. Il est assez curieux de voir la majorité, qui dénonce constamment la myopie du marché et le fait qu'il soit incapable de penser sur le long terme, s'opposer à une proposition qui vise à mettre en oeuvre un libéralisme éclairé, intelligent, c'est-à-dire capable de réintroduire le long terme.

Je donnerai un exemple cher à au moins une partie de la majorité plurielle, et je parle devant le secrétaire d'Etat à l'industrie, c'est celui de l'écologie. Comment voulezvous construire une politique moderne en matière d'écologie s'il n'y a pas d'incitations fiscales à long terme ? Ainsi, les carburants non polluants nécessitent des invest issements de centaines de milliards de francs qui demandent des années et des années. Imaginez un instant les conséquences catastrophiques si l'on revenait sur les incitations fiscales en faveur des carburants les moins polluants possible.

M. Didier Migaud.

Pourquoi voulez-vous que nous revenions dessus ?

M. Henri Plagnol.

N'est-il pas plus intelligent de favoriser, par le biais d'incitations fiscales dans la durée, des comportements citoyens des entreprises, de réintroduire le long terme dans leurs décisions stratégiques, plutôt que de les assujettir aux aléas de la politique ?

M. le président.

Monsieur Plagnol, il va falloir conclure.

M. Henri Plagnol.

Je conclus par un dernier point, monsieur le président, et je vous demande deux minutes de grâce.

Ce texte traduit une conception moderne des rapports entre l'Etat et les citoyens. L'avenir est à un Etat modeste, respectueux des citoyens.

Nous avons toutes les semaines des exemples d'engagements de l'Etat en matière de ressources publiques. C'est vrai tout particulièrement avec les collectivités locales, il suffit de penser aux contrats de plan. Ce sera vrai lors du prochain débat sur l'audiovisuel public, etc. Mais cette contractualisation des rapports sociaux et inégale puisque les partenaires dépendent du respect par l'Etat de sa parole. C'est tellement vrai que Mme Bredin vient d'être nommée en catastrophe par le Premier ministre pour essayer de voir comment les professionnels de l'audiovisuel pourront avoir la garantie que l'Etat tiendra sa parole et que les 2 milliards de francs qui vont leur être retirés seront compensés.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

Il y a du travail !

M. Henri Plagnol.

Pourquoi n'en serait-il pas de même, mes chers collègues, quand le législateur prend un engagement pour diminuer les impôts ? Pourquoi un Etat moderne se serait-il pas fondé davantage sur l'incitation fiscale ? Pourquoi ne pourrait-on pas passer d'une logique du "toujours plus d'impôts" à une logique "du toujours moins" ? Si l'on veut arriver à diminuer la dépense publique, encore faut-il que, dans la durée, le législateur puisse redonner une partie de leurs pouvoirs aux citoyens, en diminuant leurs impôts.

C'est bien cela, et c'est là-dessus que je conclurai, qui vous dérange. Vous êtes dans une logique de redistribution de la dépense publique, qui passe par toujours plus d'impôt alors que nous voulons, et ce n'est qu'une première étape, aller vers une réforme de l'Etat pour en faire un Etat modeste, qui redonne aux citoyens du pouvoir au lieu de lui en prendre.

M. Jean-Louis Idiart.

Ah oui ! plus tard, toujours plus tard, quand on est dans l'opposition !

M. Henri Plagnol.

La meilleure façon de redonner aux citoyens une parcelle de pouvoir, c'est que l'Etat respecte sa parole quand il s'est engagé à les exonérer d'une partie de leurs impôts. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. José Rossi.

M. José Rossi.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi que nous sommes amenés à examiner aujourd'hui constitue une première à un double titre. C'est en effet la première fois, et ce ne sera certainement pas la dernière, que, dans le cadre de l'ordre du jour réservé aux groupes parlementaires, une proposition de loi initiée par M. Sarkozy et cosignée par les trois présidents de groupe de l'opposition est discutée en séance publique.

M. Didier Migaud.

Il fallait bien ça !

M. José Rossi.

C'est aussi la première fois que nous examinons, en séance publique, un dispositif limitant la rétroactivité fiscale. Je comprends difficilement l'attitude des groupes de la majorité gouvernementale qui affichent un profond mépris à l'égard de ce débat, en annonçant qu'ils voteront contre la proposition de loi, lors du vote solennel qui aura lieu mercredi prochain, sans même avoir écouté nos arguments.

M. Charles Cova.

C'est la dictature de la majorité.

M. José Rossi.

Par votre refus du débat, messieurs, vous niez la nécessité d'améliorer la sécurité juridique de notre système fiscal, mais ce n'est pas véritablement une surprise pour nous dans la mesure où cette attitude n'est que la traduction de l'état d'esprit qui anime la majorité qui soutient le Gouvernement. Car, en définitive, vous avez été, depuis le début de la présente législature, les champions de la rétroactivité et de l'instabilité fiscales.

Pour s'en convaincre, il suffit de dresser un bilan rapide d'un an de politique fiscale du Gouvernement de M. Jospin. Ce bilan est éloquent. De manière rétroactive, le Gouvernement a, en effet, diminué la réduction d'impôt pour emplois de proximité...

M. Didier Migaud.

0,25 % des familles étaient concernés ! 70 000 familles !

M. José Rossi.

... modifié à plusieurs reprises la loi en faveur de l'investissement dans les DOM-TOM, abaissé le quotient familial, majoré de 15 % l'impôt sur les sociétés,...

M. Augustin Bonrepaux.

Nous avons été élus pour cela !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1998

M. José Rossi.

... augmenté la taxation des plus-values, relevé la CSG et instauré une taxe générale de 2 % sur les revenus de l'épargne. Tout cela est assez conséquent.

Je comprends la gêne que vous ressentez à l'égard du dispositif qui vous est proposé.

M. Didier Migaud.

Nous ne sommes pas gênés du tout !

M. José Rossi.

Ce triste bilan aurait pu être encore bien plus lourd si nous, c'est-à-dire l'ensemble de l'opposition RPR, UDF et Démocratie libérale, n'avions pas fait reculer le Gouvernement sur l'assurance-vie.

M. Didier Migaud.

Vous êtes d'une grande prétention !

M. Jean-Louis Idiart.

En matière de recul, vous êtes des spécialistes, c'est sûr !

M. José Rossi.

En effet, dans le cadre du projet de loi de finances pour 1999, le Gouvernement voulait ni plus ni moins remettre en cause, non seulement sur les contrats d'assurance-vie à venir, mais aussi sur l'ensemble des contrats d'assurance-vie déjà signés, l'exonération des droits de mutation qui date - tenez-vous bien - de 1959.

Le Gouvernement portait ainsi atteinte à une exonération qui concerne des millions de contribuables. Il s'est attaqué à un des produits d'épargne les plus populaires et un des plus largement diffusés dans la population française.

Le recul de la majorité qui soutient le Gouvernement prouve manifestement que la rétroactivité pose un réel problème. Sinon, comment comprendre cette attitude ? En définitive, vous n'avez pas voulu endosser la responsabilité de remettre en cause cet avantage ancien de quarante ans, dont bénéficient des millions de Français.

Il faut l'admettre : le problème de la rétroactivité fiscale remonte loin. Si on prend en compte les autres législatures, la liste des remises en cause de la parole de l'Etat est longue : suppression de la prime du plan d'épargne populaire, suppression de la réduction d'impôt pour l'assurance-vie, qui avait donné lieu à un important débat dans lequel s'était déjà manifesté notre collègue M. Sarkozy. Dans ces conditions, comment les Français pourraient-ils avoir confiance en un Etat qui renie sa parole en modifiant en permanence les règles fiscales et qui remet en cause des avantages pour des situations passées ?

M. Jean-Louis Idiart.

On voit qu'il n'a jamais été ministre !

M. José Rossi.

Il n'est pas acceptable qu'un contribuable qui souscrit un contrat d'assurance-vie, contrat dont la durée de vie peut facilement dépasser dix, vingt, voire trente ans, puisse subir une modification des clauses fiscales avant le terme du contrat.

Il n'est pas acceptable qu'un contribuable qui souscrit un plan d'épargne populaire pour une durée de huit ans et à qui on promet une réduction d'impôt égale à 25 % du montant de ses versements en soit privé au bout de deux ans.

Il n'est pas acceptable qu'un contribuable qui achète une maison en recourant à un dispositif de réduction d'impôt soit privé de cette réduction d'impôt en cours de remboursement de ses emprunts.

Il n'est pas acceptable qu'un contribuable qui emploie à domicile un salarié pour garder ses enfants parce qu'il bénéficie d'une réduction d'impôt apprenne en fin d'année, après avoir versé les salaires et les charges, que cette réduction a changé de montant.

Les gouvernements devraient s'inspirer du droit pénal, où la rétroactivité n'est autorisée que pour les lois plus favorables. En droit fiscal, à l'heure actuelle, c'est le contraire qui prévaut ; la rétroactivité est la règle, et souvent pour les lois les plus contraignantes.

La logique voudrait, pour le moins, que la loi fiscale applicable à une imposition donnée soit celle en vigueur à l'époque où le fait générateur s'est produit.

Le refus de la majorité de limiter la rétroactivité prouve sa méconnaissance de la vie quotidienne des ménages - malgré les références faites en permanence aux aspirations populaires - et des entreprises. Les entreprises, comme les contribuables, calculent leur budget au plus juste, prévoient d'une année sur l'autre leurs dépenses en prenant en compte les impôts à payer. Ils planifient leurs investissements, en tentant, et cela est de plus en plus difficile, de prévoir les règles fiscales qui seront en vigueur.

En matière budgétaire, les ménages sont moins imprévoyants que l'Etat et le gouvernement socialiste. Compte tenu de la précarité de la loi fiscale, ils ont bien du mérite.

Cette insécurité est une source de découragement, d'injustice, d'incompréhension et d'impuissance.

Découragement car le contribuable ne peut jamais prévoir réellement quelle sera la durée de vie des mesures fiscales.

Injustice car, dans cette instabilité, il y a les gagnants, ceux qui, bien informés, bénéficient à plein des avantages fiscaux et il y a les perdants, qui, croyant la parole de l'Etat, voient leur opération remise en cause du fait du vote d'une nouvelle loi.

Incompréhension et impuissance car ces changements incessants rendent le code général des impôts de plus en plus illisible.

Cette instabilité servirait, paraît-il, les intérêts de Bercy.

M. Didier Migaud.

Ils sont fous !

M. José Rossi.

C'est faux. La France est, en effet, pénalisée par l'insécurité chronique de son droit fiscal, qui dissuade de nombreuses entreprises étrangères de s'installer et de nombreux Français de créer une entreprise ou d'acheter un logement.

La plupart des pays qui nous entourent ont une fiscalité plus stable. Cela aussi a déjà été dit, mais j'y insist e. En Allemagne, le tribunal constitutionnel de Karlsruhe a même reconnu le principe de « confiance légitime des citoyens dans la continuité de l'ordonnancement juridique » qui limite le recours à des lois rétroactives.

M. Jean-Louis Idiart.

C'est la même majorité depuis quinze ans !

M. José Rossi.

Au Luxembourg, les lois fiscales ne peuvent pas être rétroactives. Au Royaume-Uni, il y a un large accord pour ne pas mettre en oeuvre de telles lois.

La modification permanente des règles fiscales réduit les recettes de l'Etat, nuit à la crédibilité de la France visà-vis des investisseurs internationaux et pénalise donc l'emploi. Personne n'a avantage au développement de ce type de situation.

La proposition de Nicolas Sarkozy ne doit pas être traitée à la légère. Cette proposition n'est pas scandaleuse, comme vous le dites, mais sage et réaliste. Elle s'inscrit car, cher Nicolas, il ne s'agit pas d'une création ex nihilo - dans une démarche logique depuis le rapport Aicardi, qui prévoyait un ensemble de propositions pour améliorer les relations entre les contribuables et les administrations fiscales. Ce rapport condamnait - dois-je le rappeler ? de manière nette l'abus de la rétroactivité fiscale. Ainsi, il


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1998

indiquait : « Faut-il pour autant continuer d'admettre les lois rétroactives au seul motif qu'elles ne sont pas contraires à la Constitution ? La réponse est absolument négative. » La commission recommandait alors, en 1987,

la modification de l'ordonnance du 2 janvier 1959.

Nous ne faisons que reprendre cette orientation. L'un des nôtres, au groupe Démocratie libérale, avait d'ailleurs, en 1991, déposé une proposition de loi qui allait dans le sens de ce que nous propose aujourd'hui Nicolas Sarkozy.

En droit européen, depuis trente-cinq ans, la Cour de justice des Communautés européennes se réfère au principe de sécurité juridique, qu'elle a intégré dans les principes généraux supérieurs du droit communautaire. De même, la sécurité juridique est au coeur de la Convention européenne des droits de l'homme.

En droit interne, l'article 2 du code civil stipule : « La loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif. » Certes, cet article 2 n'a qu'une valeur législa-

tive ; mais, pour ses auteurs, au début du

XIXe siècle, le code civil s'imposait au législateur.

Par ailleurs, les juridictions françaises n'acceptent pas sans sourciller les lois rétroactives. Ainsi, en 1987, le c ommissaire du Gouvernement au Conseil d'Etat, M. Bruno Martin-Laprade, indiquait, en s'adressant aux membres de la section du contentieux : « Le simple bon sens impose qu'une loi rétroactive qui déroge au principe selon lequel la loi ne dispose que pour l'avenir doit être interprétée de manière la plus restrictive possible par le juge. Il faut que vous fassiez votre possible pour cantonner la nocivité des lois rétroactives. »

Certains considèrent que les lois fiscales rétroactives sont légales car le Conseil constitutionnel ne les censure pas. Cette affirmation peut être soutenue, mais elle ne résiste pas à l'analyse. En effet, ces décisions sont dictées par le fait que dans le bloc de constitutionnalité rien n'empêche de telles lois. Néanmoins, au nom de la sécurité juridique, le juge constitutionnel encadre, de plus en plus, au fil de ses décisions, la rétroactivité.

En conclusion, avons-nous affaire à une proposition de loi extrémiste ? Certainement pas ! La proposition de Nicolas Sarkozy est sage et réaliste.

Elle ne supprime pas la rétroactivité, elle l'encadre ; elle tend à en réduire les effets les plus choquants.

L'opposition fait-elle preuve d'irresponsabilité avec cette proposition de loi ? Certainement pas ! Cette proposition de loi n'empêche pas la perception de l'impôt sur le revenu et de l'impôt sur les sociétés, qui reposent sur des règles rétroactives. Elle n'empêche pas une majorité d'appliquer son programme.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

Bien sûr !

M. José Rossi.

Elle intègre simplement la pluriannualité dans l'ordonnance du 2 janvier 1959. Une majorité pourra décider qu'un avantage fiscal ne pourra pas être supprimé durant les cinq premières années de son application. Cette faculté ne serait possible que dans le cadre des lois de finances ; le délai protecteur de cinq ans serait renouvelable une fois.

La France rattraperait ainsi son retard vis-à-vis de ses partenaires et mettrait un frein à la précarité fiscale. Elle rejoindrait le lot des grands pays qui adoptent à cet égard une attitude plus sage et plus responsable.

L'ancienne majorité avait ainsi prévu une réforme de l'impôt sur le revenu, étalée sur cinq ans, les suppressions d'avantages étant compensées par une baisse des taux du barème.

Mettant à mal une fois de plus la parole donnée, le gouvernement de M. Jospin a mis un terme dès la deuxième année à cette réforme. La France souffre de ces revirements incessants et de l'inflation législative. Chaque année, ce sont, en moyenne, plus de 100 nouvelles mesures fiscales qui modifient ou qui s'ajoutent aux 2 500 articles du code général des impôts. Chaque année, de nouveaux impôts sont créés. Cette année encore, nous avons eu droit à la taxe sur les logements inoccupés.

Chaque année, le Gouvernement modifie de fond en comble des taxes et des impôts. Ainsi, le projet de loi de finances pour 1999 réformait, en l'alourdissant, la taxe sur les bureaux qui a été instituée il y a moins de trois ans. Dans le projet de loi de finances rectificative pour 1998, le gouvernement Jospin réforme sur six pages le droit de bail et la taxe additionnelle. Les revirements permanents empêchent toute évaluation. Il est impossible de mesurer les effets d'une législation, car à peine les décrets d'application sont-ils édictés qu'elle est changée.

Le Gouvernement comme le Parlement devraient s'inspirer de Montaigne, qui écrivait que « les lois les plus désirables, ce sont les plus rares, plus simples et générales ».

Dans cet esprit, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui constitue donc un premier pas vers l'autolimitation de l'inflation législative et vers la pluriannualité. Je considère donc, avec le groupe Démocratie libérale, qu'il faudra l'accompagner et même aller au-delà et remettre en cause la sacro-sainte annualité, principe qui pourrait, à bien des égards, avoir vécu. Si l'on poussait plus loin le raisonnement, l'ordonnance du 2 janvier 1959 pourrait, de ce fait, obliger les gouvernements à présenter des budgets glissants sur trois ans.

C'est un piste de réforme supplémentaire à laquelle nous pourrions réflechir.

Enfin, cette proposition de loi introduit dans notre droit fiscal des notions chères aux libéraux : les notions de contrat fiscal et de responsabilité. L'Etat pourra s'engager sur cinq ans à ne pas modifier un avantage fiscal qui incite par exemple le contribuable à investir dans l'immobilier ou dans l'épargne à long terme. Les deux parties seront liées, seront en position d'égalité.

M. Jean-Louis Idiart.

C'est le fond du problème !

M. José Rossi.

La loi sera la même pour tous.

En finir avec les lois précaires, avec les lois temporaires qui ne durent qu'un été, tel est l'objectif que l'ensemble de l'opposition, autour de l'initiative de Nicolas Sarkozy, soutient à travers cette proposition de loi. En finir avec l'insécurité fiscale, redorer le blason de l'Etat et faire de sa parole une parole d'or, telles sont les motivations qui animent notre groupe et l'ensemble des groupes de l'opposition. C'est pourquoi nous voterons à l'unanimité en faveur du texte qui nous est présenté aujourd'hui.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Didier Migaud.

M. Didier Migaud.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je veux tout d'abord remercier notre collègue Nicolas Sarkozy de nous permettre de passer une bonne matinée !

Mme Nicole Catala.

Ça c'est vrai !

M. Didier Migaud.

D'ailleurs, je l'écoute toujours avec beaucoup d'attention...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1998

M. Jean-Louis Idiart.

Et de recueillement !

M. Didier Migaud.

... et je trouve qu'il n'a rien perdu de son talent de metteur en scène. Et j'avoue que, ce matin, il a même, selon moi, gagné le prix du meilleur acteur !

M. Richard Cazenave.

Ce n'est pas la même chose que la mise en scène !

M. Didier Migaud.

Nous allons être appelés à voter sur la proposition de loi organique dont l'Assemblée discute aujourd'hui le 25 novembre prochain seulement.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Robert Pandraud et Mme Marie-Jo Zimmermann.

Pourquoi pas aujourd'hui ?

M. Charles Cova.

Parce que les députés de la majorité plurielle sont absents !

M. Didier Migaud.

Parce que nous estimons que le débat est d'importance et qu'il mérite effectivement un vote solennel. Cela permettra d'ailleurs à notre collègue Nicolas Sarkozy d'être beaucoup mieux entouré mercredi prochain qu'il ne l'a été ce matin.

M. Jean-Louis Idiart.

C'est vrai ! Pour un projet qui les intéresse autant, ils ne sont pas très nombreux, hormis les Parisiens !

M. le président.

Monsieur Idart, cessez de marmonner ! On sait qu'il y a un vote solennel mercredi.

M. Charles Cova.

C'est une parodie de démocratie !

M. Didier Migaud.

Voter mercredi nous permettra d'être un peu plus nombreux, et à notre collègue d'être davantage entouré, puisque, au plus fort de leur présence, massive, lourde, les députés de l'opposition étaient, je crois, au total, au nombre de vingt-trois.

M. Jacques Masdeu-Arus.

Cela apporte quoi au débat ? C'est ridicule ! Parlez du fond !

M. Didier Migaud.

Alors, nous avons toujours l'immodestie de croire que la qualité l'emporte sur la quantité. Mais en fait, nous avons été invités à une pièce de théâtre, très bien organisée, il faut le reconnaître, par notre collègue Sarkozy, puisqu'il s'est permis de convoquer l'Assemblée nationale - ce qui était tout à fait son droit -, mais aussi la presse - et d'ailleurs il manifeste souvent beaucoup plus de présence dans la presse que dans nos débats.

M. Jacques Masdeu-Arus.

Parlez de la proposition de loi !

M. Charles Cova.

Fantoche !

M. Jacques Masdeu-Arus.

Au fait !

M. Didier Migaud.

Cela dit, je confirme dès maintenant que les membres du groupe socialiste, pour un certain nombre de raisons que je vais expliquer, bien sûr, s'opposeront à l'adoption de ce texte.

M. Pierre Lellouche.

Vous auriez peut-être pu écouter le débat, par politesse envers l'opposition !

M. Jean-Louis Idiart.

La politesse et vous, monsieur Lellouche... Faites-le dire à quelqu'un d'autre !

M. Pierre Lellouche.

Je vous en prie !

M. Didier Migaud.

J'ai été présent tout au long du débat, ce qui n'était pas votre cas.

A défaut d'avoir un avenir dans le bloc de constitutionnalité, cette proposition aura une place de choix au musée des astuces politiciennes. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la Démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme Michèle Alliot-Marie.

Vous êtes en train de vous condamner.

M. Pierre Lellouche.

C'est un festival d'arrogance depuis ce matin. C'est scandaleux. Aucun argument, sauf le mépris !

M. Jacques Masdeu-Arus.

Vous êtes tous au même niveau ! Volez un peu plus haut !

M. Didier Migaud.

Par sa finalité avouée, cette proposition prétendument novatrice est aussi vieille que la politique.

M. Pierre Lellouche.

Il n'a rien à dire !

M. Didier Migaud.

Ecoutez, messieurs, nous essayons de dire un certain nombre de choses. Pourquoi tous vos propos seraient-t-ils frappés au coin du bon sens alors que les nôtres relèveraient de la polémique ? Je crois que, tout à l'heure, Nicolas Sarkozy en a beaucoup fait.

(Exclamations sur les mêmes bancs.)

M. le président.

Mes chers collègues, je vous en prie !

M. Migaud a la parole.

M. Charles Cova.

Et c'est bien dommage !

M. le président.

Je ne peux pas vous laisser dire cela, mon cher collègue !

M. Didier Migaud.

Je crois qu'il le pense profondément. C'est peut-être là la différence entre lui et moi.

On serait tenté de dire que cette proposition fait

« vieille droite », quelque chose comme le rêve ultime du conservateur.

De ce « coup médiatique », on pourrait sourire. Mais cette proposition est pernicieuse, aussi. La démarche de ses auteurs ne peut que contribuer à rendre plus fragile l'institution parlementaire. Elle tend au fond, en s'abritant - et c'est toujours ce que fait la droite - derrière la défense du petit épargnant, à opposer la légitimité de la situation acquise, du conservatisme, à celle des représentants légitimes.

M. Richard Cazenave.

Et les droits acquis ?

M. Didier Migaud.

Pourquoi faut-il s'opposer à cette proposition qui témoigne, de la part de ses signataires, d'un savoir-faire quelque peu expéditif, et je dirai même d'un moment d'égarement ?

M. Jacques Masdeu-Arus.

Oh !

M. Didier Migaud.

Elle est inconstitutionnelle, inopportune, inutile, et, si elle n'était pas inutile, elle serait dangereuse.

M. Jacques Masdeu-Arus.

Comme le PACS !

M. Didier Migaud.

Elle est d'abord inconstitutionnelle.

Le Conseil constitutionnel a clairement signifié qu'aucune norme constitutionnelle ne garantit l'existence d'un principe dit de « confiance légitime ». Faut-il l'instituer ? C'est un débat que l'on peut avoir. Encore faut-il y mettre les formes.

S'agissant d'affirmer un nouveau principe constitutionnel, il faudrait soit chercher à en obtenir l'énoncé de la part du Conseil constitutionnel, soit réviser la Constitution.

M. Robert Pandraud.

Chiche ! Organisons un référendum !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1998

M. Didier Migaud.

Le fait que l'ordonnance de 1959 portant loi organique relative aux lois de finances appartienne au bloc de constitutionnalité et s'impose au législateur ordinaire ne dispense pas la loi organique qui tend à la réviser du respect dû à la Constitution.

L'astuce - il n'y a pas d'autre mot - consiste à recourir à un substitut de révision constitutionnelle. Pour les signataires de la proposition, il suffirait d'ajouter l'institution d'avantages fiscaux pluriannuels à la liste des dispositions qui ne peuvent être adoptées que dans une loi de finances.

C e faisant, on restreindrait les pouvoirs fiscaux reconnus au législateur par les articles 34 et 39 à 51 de la Constitution, dont le respect s'impose au législateur organique lorsqu'il prétend réviser l'ordonnance de 1959.

Il est pour le moins paradoxal de prétendre asseoir une garantie constitutionnelle en commençant par ne pas respecter la Constitution.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

C'est faux !

M. Didier Migaud.

On peut s'étonner de la position majoritaire de la commission des lois, mais on sait dans quel contexte ce vote - ou ce non-vote - a eu lieu.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République et M. Jean-Luc Warsmam, rapporteur.

Quel contexte ?

M. Jean-Louis Idiart.

A deux voix !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

C'est faux ! Il fallait être présent.

M. le président.

Peu importe ! La commission des lois à tranché.

M. Didier Migaud.

Absolument ! Cette proposition de loi est ensuite inopportune.

Faire de la stabilité des avantages fiscaux, dont profitent avant tout les plus riches, le critère de la politique économique et fiscale traduit une conception singulièrement étriquée des choix de politique fiscale.

Qui peut nier que d'autres impératifs existent, que des considérations d'intérêt général peuvent justifier une mesure de rétroactivité économique ? Qui peut nier que le contexte de la politique économique peut changer et rendre indispensables des mesures fiscales d'adaptation ? M. Juppé - qui doit avoir adressé un mot d'excuse pour son absence de ce matin - a d'ailleurs jugé devoir faire face à la situation qu'il a jugée « calamiteuse » que lui avaient léguée M. Balladur et M. Sarkozy.

M. Didier Migaud.

Qui refuserait de considérer qu'une alternance politique peut comporter l'engagement solennel de la nouvelle majorité de changer de politique fiscale ? Qui exclurait même que la correction d'une erreur puisse s'avérer nécessaire ? A l'évidence, les signataires de la proposition de loi.

M. Nicolas Sarkozy.

Nous avons dit le contraire ! Vous n'écoutez pas !

M. Didier Migaud.

Le régime fiscal des quirats de navires constitue une bonne illustration de la nécessité de ne pas prévoir, pour une période déterminée à l'avance, l'application de la législation fiscale.

Mme Michèle Alliot-Marie.

Trouvez des arguments ! Ne dites pas systématiquement le contraire de ce qui a été dit. Soyez sérieux !

M. Didier Migaud.

Mis en place à l'été 1996, ce dispo-s itif reposait sur la prévision d'une création de trente emplois de navigants par navire pour un volume d'investissement annuel de 2 milliards de francs, soit huit navires, et un coût global maximal de 400 millions de francs, ce qui correspond à 800 000 francs par emploi.

En réalité, au 1er septembre 1997, des agréments avaient été accordés pour vingt-cinq navires, soit 5,6 milliards de francs et un coût budgétaire de l'ordre de 2 milliards de francs. Le nombre d'emplois créés était inférieur de moitié aux prévisions et la dépense par emploi créé de l'ordre de 5,4 millions de francs.

La suppression du régime fiscal des quirats de navires dès la loi de finances pour 1998 a donc été justifiée, non seulement parce qu'une nouvelle majorité ne saurait être liée par les choix de la précédente - et c'est ça la démo cratie - mais aussi, évidemment, par la constatation que le coût des quirats était sans commune mesure avec les avantages procurés à la collectivité.

M. Richard Cazenave.

Mieux vaut donc fermer tout de suite !

M. Didier Migaud.

Prendre une décision politique peut signifier déranger, modifier la règle existante. C'est le rôle même, voire l'honneur du politique. Le Conseil constitutionnel ne s'y est d'ailleurs pas trompé : il a toujours pris soin de rappeler qu'il ne dispose pas d'un pouvoir d'appréciation identique à celui du Parlement. Eh bien, c'est cela que les signataires de la proposition de loi appellent, pour le législateur, « s'arroger un droit exorbitant ». Qui pourra comprendre ? Je ne sais pas ! En tout cas, quand nous lisons cette proposition de loi, nous sommes très étonnés ! Les mêmes signataires n'ont pas craint d'ajouter, je cite : « Comment demander aux Français de croire aux engagements politiques si l'Etat s'autorise à revenir sur la parole donnée ? ». Mais la réponse n'apparaît pas autrement compliquée. C'est en respectant ses engagements politiques, ceux pour lesquels on a été élu, et non ceux d'une majorité ancienne devenue minorité, qu'on peut obtenir des Français un respect accru du politique. Tant qu'à parler du respect de la parole donnée, peut-être faut-il simplement faire ce que l'on a dit qu'on ferait.

Lorsqu'on y a manqué, aucun placebo constitutionnel ne guérira vraiment le sentiment de trahison des électeurs floués.

M. Jean-Marc Ayrault.

Très juste !

M. Didier Migaud.

Vous nous parlez de la parole de l'Etat. Mais l'Etat, c'est qui, sinon vous, nous et tous nos concitoyens ? Lorsque ces derniers sanctionnent une politique donnée, il est tout à fait légitime - c'est cela la démocratie - qu'une nouvelle majorité puisse changer des dispositions.

Mme Michèle Alliot-Marie.

Alors, pourquoi étiez-vous opposé avant à la rétroactivité ?

M. Didier Migaud.

Cette proposition est inutile.

Je l'ai dit, c'est aux représentants du peuple qu'il revient de concilier, en dernier ressort, les différents impératifs d'une politique fiscale. Parmi ces impératifs, la stabilité fiscale - je rejoins là notre collègue - doit, cer tes, occuper toute sa place, mais non toute la place. C'est aux représentants du peuple qu'il revient de faire prévaloir celui de ces impératifs qu'ils estiment prioritaire. Or l'Assemblée nationale ne manque pas de le faire et continuera de le faire.

Tout un tapage a été organisé autour de cette proposition de loi pour tenter de capitaliser une inquiétude apparue à propos de l'article 24 du projet de loi de finances. Les signataires de la proposition de loi ont feint


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1998

d'ignorer que la commission des finances, le Gouvernement et l'Assemblée nationale ont su trouver la solution qui convenait, au point d'ailleurs que la commission des finances du Sénat a proposé, elle-même, de la maintenir.

La simple présence aux réunions de la commission des finances ou aux séances de notre assemblée lorsqu'elles ont discuté de l'article 24 du projet de loi de finances aurait permis de voir que le problème prétendument soulevé n'en est pas un.

Enfin, cette proposition est dangereuse, si elle n'est pas inutile.

Elle aggrave d'abord le mal qu'elle prétend soigner. Si l'on suit les signataires, c'est de la crédibilité de l'Etat qu'il s'agirait. Mais on voit mal comment cette crédibilité pourrait être renforcée si l'on devait permettre qu'en fin de législature puisse être imposé, pendant une durée indéterminée selon la proposition initiale - pendand cinq ans, dit le rapporteur de la commission des lois - au législateur futur, y compris en cas d'alternance, un « testament fiscal » interdisant de fait toute marge de manoeuvre aux nouveaux élus...

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

C'est faux !

M. Didier Migaud.

... et dans des conditions dont le flou ne laisse pas d'être inquiétant.

En effet, qu'est-ce qu'un avantage fiscal ? Là aussi, le débat est intéressant.

Le rapporteur de la commission des lois a bien senti la difficulté. Pour lui, il ne peut s'agir que d'une dérogation à la norme. Il affirme ainsi qu'un plan de réduction de l'impôt sur le revenu ne serait pas un avantage fiscal. On comprend d'ailleurs qu'il puisse avoir ce raisonnement.

Mais qui en décidera en dernier lieu ? Je prendrai l'exemple de l'article 885 U du code général des impôts, qui fixe le tarif et les tranches de l'impôt de solidarité sur la fortune. Imaginons qu'on ajoute un alinéa disposant que, pendant cinq ans, le tarif applicable à la base d'imposition au titre de l'ISF serait le taux de la première tranche, soit 0 %. S'agirait-il d'un avantage fisc al ? La norme resterait bien le tarif fixé par l'article 885 U du code général des impôts, qui ne serait pas abrogé. Une telle mesure s'appliquerait pendant cinq ans.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

Mauvaise sciencefiction !

M. Didier Migaud.

Si elle était renouvelée pour cinq nouvelles années, deviendrait-elle la norme, de ce seul fait, ou bien s'agirait-il encore d'un avantage fiscal ? Que survienne une alternance politique ou que les besoins financiers justifient une contribution de solidarité, que devrait faire le législateur ?

M. Richard Cazenave.

Fantasme !

M. Didier Migaud.

Aurait-il le droit de remettre en cause cet avantage ou devrait-il attendre que s'écoule le délai restant à courir pour obtenir une contribution au titre de l'ISF ? Ou devrait-il instituer un impôt ayant les mêmes bases, le même taux et les mêmes modalités de recouvrement que l'ISF, sans toutefois en porter le nom ? On nage dans l'hypocrisie et la démagogie.

M. Richard Cazenave.

C'est un expert qui parle !

M. Didier Migaud.

D'ailleurs, si cette proposition avait été en vigueur à l'époque, le ministre du budget - c'étai t, je crois, un certain Nicolas Sarkozy - aurait-il pu, le 15 octobre 1994, à une heure du matin, faire adopter un amendement, qui n'était même pas dactylographié et qui tendait à relever de 18 % à 19 % le taux réduit d'impôt sur les sociétés sur les plus-values à long terme.

M. Nicolas Sarkozy.

Petite rétroactivité ! C'était prévu !

M. Didier Migaud.

Il s'agissait d'obtenir, en 1995, un produit de 710 millions de francs - ce n'est pas si petit que ça - assis sur des plus-values dont une bonne partie était déjà réalisée au moment où cette mesure a été votée.

De même, si la majorité précédente avait, lorsqu'elle a porté de 45 000 francs à 90 000 francs le plafond des dépenses pour calculer la réduction d'impôt pour les emplois à domicile, fixé une durée d'application de cinq ans de cet avantage, incitation devenue privilège, il aurait été impossible de la remettre en cause l'année dernière...

M. Nicolas Sarkozy.

Eh oui, justement !

M. Didier Migaud.

... pour financer des allégements d'impôts en faveur d'un plus grand nombre.

M. Jacques Masdeu-Arus.

Mais, maintenant, des employés pointent à l'ANPE !

M. Didier Migaud.

Cette mesure n'a concerné que 69 000 familles par rapport à des millions et des millions de familles qui ont bénéficié d'autres allégements d'impôts qui, selon notre appréciation de la justice fiscale, étaient davantage dans l'intérêt de notre pays.

M. Augustin Bonrepaux.

Très juste !

M. Richard Cazenave.

Le problème, ce n'est pas l'avantage accordé aux familles, c'est l'emploi !

M. Didier Migaud.

On s'en rend compte : si elle était adoptée, cette proposition rendrait notre système constitutionnel plus rigide. Elle porterait donc atteinte à ce que beaucoup reconnaissent comme l'une de ses qualités essentielles : sa faculté d'adaptation.

En outre, cette proposition porte en elle le risque de rendre les alternances conflictuelles et difficiles. A terme, elle ne pourrait donc qu'affaiblir les institutions de la Ve République et la large adhésion qu'elles ont pu obtenir au fil, et en raison même, des alternances.

C'est dire - et c'est ma conclusion - si, loin d'être un facteur de modernisation des institutions, l'adoption de ce texte constituerait une régression. C'est donc rendre service à l'Assemblée nationale, au Parlement, à nos institutions, et à l'opposition elle-même, que de rejeter cette proposition qui relève, je le dis amicalement à Nicolas Sarkozy, davantage de la démagogie que de la démocratie.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Nicolas Sarkozy.

Que n'aurais-je entendu si ça n'avait pas été amical !

M. Augustin Bonrepaux.

En effet, si M. Migaud avait été vindicatif, ça aurait été autre chose !

M. le président.

La parole est à M. Alain Ferry.

M. Alain Ferry.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la proposition de loi organique soumise à notre examen traite un problème de fond : celui de la parole de l'Etat et de la confiance que les Français peuvent lui accorder. Il était très souhaitable que notre assemblée débatte de ce sujet. Nous connaissons en effet l'émotion qu'a suscitée le projet du Gouvernement d'appliquer le dispositif des droits de succession aux contrats d'assurance vie déjà conclus.

Mais pour évoquer ce dossier, encore faut-il avoir un contradicteur, chacun exposant alors courtoisement ses arguments. Or le président du groupe socialiste a déclaré


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1998

qu'il n'avait pas l'intention de participer à cette « mascarade ». Toutefois, je constate qu'il est revenu sur sa décision, puisqu'il est présent parmi nous, et je m'en félicite.

M. Jean-Louis Idiart.

C'est normal qu'il soit là : il a écouté l'intervention de l'orateur du groupe socialiste.

M. Alain Ferry.

Pour autant, il est permis de s'étonner de tels propos : l'examen d'un texte législatif en séance publique a rarement été qualifié de la sorte. Comment dans le même temps déplorer la crise de l'institution parlementaire ? Venons-en à l'objet de cette proposition de loi organique.

Ce texte vise à introduire dans le bloc de constitutionnalité, auquel le législateur doit se conformer, l'interdiction de remettre en cause des avantages fiscaux consentis par l'Etat avant l'échéance prévue. Il est précisé que ce dispositif s'applique pour une durée de cinq ans et peut être reconduit.

Cette réforme me paraît justifiée à plusieurs titres.

C'est l'objet d'un avantage fiscal que d'influencer les décisions de consommation et d'épargne de nos concitoyens. Il convient donc que l'Etat respecte la parole qu'il a donnée. Si la puissance publique ne tient pas ses promesses, quel crédit lui accorder ? Est-il possible alors de s'étonner de l'incivisme que l'on prête aux Français ? L'enjeu est tout simplement moral.

Il existe, en outre, des arguments juridiques à opposer à la rétroactivité en matière fiscale.

Le Conseil d'Etat a ainsi dénoncé dans son rapport annuel la fréquence de cette pratique qui aboutit à une grande instabilité des règles de droit. Les incessantes modifications fiscales déroutent les contribuables et entretiennent une insécurité juridique.

De surcroît, un changement trop brutal de la législation n'est pas nécessairement compatible avec le principe de confiance légitime dégagé par la Cour de justice des communautés européennes, mais je reconnais qu'il y a là controverse au sein des juristes.

Face aux nombreux avantages de la réforme proposée, quels sont les arguments opposés ? Il est exact que toute loi de finances met en oeuvre le principe de rétroactivité fiscale : le barème de l'impôt sur le revenu qui est fixé concerne les revenus de l'année précédente. Mais cette pratique n'est en rien modifiée par notre proposition de loi.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

Absolument !

M. Alain Ferry.

Plus intéressant est l'argument selon lequel une telle réforme empêcherait une nouvelle majorité de mettre en oeuvre son programme. Pour ma part, je ne partage pas cette crainte. Elle revient à dire : nous avons tous les droits, y compris celui de nous renier. Elle traduit un réflexe consistant, quand on a besoin de fonds, à augmenter les ressources publiques sans chercher à supprimer les dépenses inutiles et à augmenter l'efficacité des services publics.

Enfin, quand bien même de nouveaux prélèvements seraient nécessaires - et il arrive en fait qu'ils le soient -, le Gouvernement demeure parfaitement libre de les effectuer dans la grande majorité des cas.

Le texte qui nous est proposé retire simplement à l'administration des finances la possibilité, qu'on me pardonne le mot, de « bricoler » à court terme, sans égards pour les droits légitimes des contribuables.

M. Henri Plagnol.

Très bien ! M. Alain Ferry Pour ces raisons, je voterai en faveur de la proposition de loi organique soumise à notre examen.

J'appelle mes collègues de la majorité à se joindre à nous par-delà les clivages politiques car cette réforme correspond sans aucun doute à l'intérêt de nos concitoyens.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La discussion générale est close.

M. Pierre Lellouche.

Les Verts ne s'intéressent pas beaucoup au débat !

M. Nicolas Sarkozy.

M. Cochet inscrit : pas là !

M. Jacques Masdeu-Arus.

Il est avec les clandestins !

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je présenterai d'abord quelques observations liminaires.

Je pense en effet que nous assistons et que nous participons à un débat important...

M. Nicolas Sarkozy.

Ecoutez donc, monsieur Migaud !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

... qui permet, à la majorité comme à l'opposition, d'évoquer les fondements de la politique économique et sociale par le biais d'utiles réflexions sur la politique fiscale. Il s'agit donc d'un débat sérieux. Pour répondre aux différents orateurs de la majorité et de l'opposition, je regrouperai les éléments d'analyse qu'il m'inspire autour de trois concepts : cohérence, clarté et confiance.

Je commencerai par la cohérence. S'il est un participant à ce débat qui n'a jamais changé d'avis, c'est bien moi - mais je sais qu'il y en a d'autres sur ces bancs.

Déjà, dans le rapport sur la loi de finances initiale pour 1982 que j'avais eu l'honneur de présenter à l'Assemblée nationale, j'évoquais les questions dites de rétroactivité de la loi fiscale, et je n'ai pas changé d'avis depuis.

Au demeurant, je prétends que vous ne nous parlez pas vraiment de rétroactivité, monsieur Sarkozy, monsieur le rapporteur, et je considère que la loi fiscale, que la loi constitutionnelle, que la loi d'une manière générale, peut et doit réserver très largement au législateur la possibilité de mettre en oeuvre des évolutions, des réformes, des modifications, des progrès dans la loi. C'est un principe constitutionnel.

M. Didier Migaud.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

La cohérence est de notre côté, du côté de ceux qui demandent à l'Assemblée nationale de repousser la proposition de loi qui a été présentée tout à l'heure par M. le rapporteur, et, excellement d'ailleurs, par M. Sarkozy.

M. Pierre Lellouche.

En effet, quelle cohérence !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Le deuxième concept est celui de la clarté. Il s'agit en effet d'un débat utile et rémanent.

J'évoquais à l'instant l'un des rapports que j'ai rédigés lorsque j'étais rapporteur général. Mais le rapporteur général d'aujourd'hui pourrait également témoigner que, régulièrement, lors de la discussion d'un projet de loi de finances, en commission des finances, la question de la rétroactivité ou de la non-rétroactivité de telle ou telle disposition est très souvent abordée.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1998

M. Didier Migaud.

Tout à fait !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Il s'agit donc, disais-je, d'un débat utile et d'un débat rémanent. Cela dit, certains orateurs de l'opposition ont pris le prétexte de notre discussion d'aujourd'hui - c'est la vie politique pour exposer leur opinion sur la politique économique et sociale du Gouvernement, plutôt que de rester sur le terrain strictement juridique, constitutionnel et organique, qui, à mon avis, aurait dû être au centre de nos préoccupations.

Troisième concept : la confiance.

Mesdames et messieurs de l'opposition, vous confondez la permanence d'une politique avec la fixité des dispositions législatives. Or le Gouvernement veut, avec sa majorité, réaffirmer combien il est nécessaire que la sécurité des citoyens soit assurée par une vision à long terme des réformes de justice sociale qu'il veut engager et que cette majorité soutient. Qui dit réforme dit liberté du législateur, dynamique, amodiation, transformation, progrès continu de la loi, et donc de la loi fiscale. Par conséquent, le législateur doit jouir de cette liberté fondamentale, garantie par l'article 3 de la Constitution, qui lui permet de promouvoir des rénovations, des modernisations et des évolutions de la loi fiscale.

Monsieur le rapporteur, monsieur Sarkozy, vous prétendez combattre la rétroactivité en matière fiscale. Mais votre texte n'interdit nullement cette rétroactivité.

Qu'est-ce que la rétroactivité en matière fiscale ? Stricto sensu , c'est l'application de la loi à un fait générateur antérieur à l'entrée en vigueur de celle-ci. D'ailleurs, les dispositions législatives et constitutionnelles sont tout à fait claires : n'est véritablement rétroactive qu'une disposition qui s'applique à une situation juridique déjà constituée - c'est-à-dire, en matière d'impôt, à un fait gén érateur déjà intervenu.

Par exemple, pour ce qui est des droits de mutation à titre gratuit sur les sommes versées au titre des contrats d'assurance vie, la rétroactivité aurait consisté - vous vous êtes à cet égard trompé, monsieur Sarkozy - à imposer des versements effectués antérieurement au 1er janvier 1999, date d'entrée en vigueur de la loi.

Supprimer un régime fiscal favorable ou réduire des avantages fiscaux que ce régime comporte, qu'il ait été ou non initialement prévu pour une durée déterminée, ne constitue donc pas une mesure rétroactive dès lors que la modification s'applique à des faits générateurs qui ne sont pas encore intervenus.

M. Henri Plagnol.

On ne peut pas dire ça !

M. Nicolas Sarkozy.

Allez l'expliquer aux contribuables !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

C'est le droit, c'est la loi, c'est la Constitution.

La constitutionnalité de la rétroactivité des lois fiscales sous cette forme a d'ailleurs - je l'indique pour qu'on puisse s'y référer dans le souci de raisonner sur le plan juridique - été souvent admise par le Conseil constitutionnel.

La constitutionnalité de la rétroactivité fiscale est explic itement reconnue par la décision du Conseil du 29 décembre 1984, que j'ai retrouvée avec beaucoup de bonheur et de profit dans le rapport de M. Warsmann.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

J'y ait fait référence en effet !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Mais votre proposition n'a pas pour objet de revenir sur cette jurisprudence du Conseil constitutionnel : elle tend simplem ent à fixer des règles régissant les lois fiscales pluriannuelles, ce que M. le rapporteur a d'ailleurs confirmé.

Alors, qu'apporte-t-elle ? Je suis d'accord avec M. Plagnol : les dispositions fiscales ne sont pas limitées par le principe d'annualité budgétaire. La loi fiscale a toujours valeur permanente et le texte que vous proposez ne fait que rappeler cette évidence. Au fond, vous enfoncez une porte ouverte législative et fiscale.

M. Henri Plagnol.

Dans ces conditions, que l'on vote le texte !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Votre proposition, qui ne limite pas la rétroactivité de la loi fiscale, n'a assurément pas la portée politique que vous voudriez lui donner. Par exemple - soyons très concrets - elle n'aurait pas protégé les avantages fiscaux de l'assurance vie.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

Pourquoi ?

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Elle n'aurait pas non plus empêché la remise en cause de l'exonération de taxe foncière sur les propriétés bâties pour les immeubles de moins de vingt-cinq ans, qui n'était pas davantage limitée dans le temps et constituait une disposition permanente.

Elle n'aurait pas, monsieur Rossi, empêché le gouvernement de Lionel Jospin de revenir sur la réforme Juppé concernant l'impôt sur le revenu.

En revanche, elle aurait effectivement avantagé les lois temporaires, que vous critiquez, monsieur Rossi, puisqu'elle aurait rendu immuables, définitifs, comme le rapporteur général l'a confirmé, les seuls avantages dont la durée est limitée dans le temps.

C'est pourquoi je dirai, après M. Dominique StraussKahn, que, loin de limiter l'instabilité fiscale, la proposition de loi défendue tout à l'heure par M. Warsmann encourage et favorise l'instabilité et l'insécurité juridique et fiscale.

Cette proposition se heurte par ailleurs à d'autres obstacles juridiques considérables et dirimants : elle n'est pas conforme aux principes constitutionnels qui sont le fondement de notre démocratie.

Je me référerai à quelques articles de la Constitution, qui nous aideront, les uns et les autres, à mesurer la gravité de la proposition de loi, en ce sens qu'elle est radicalement contraire au droit positif constitutionnel.

En interdisant au législateur de modifier ou de supprimer des dispositions qu'il a déjà adoptées, la proposition apporterait une limitation considérable à l'exercice de la souveraineté nationale par les représentants du peuple, garantie par l'article 3 de la Constitution. Plus précisément, elle apporterait une limitation aux pouvoirs du Parlement et du Gouvernement en matière législative, garantis par les articles 34, 39 et 44 de la Constitution.

Une telle limitation se heurterait en outre - je l'ajoute pour le cas où les moyens précédents ne seraient pas suffisants - à l'article XIV de la Déclaration des droits de l'homme, selon lequel les représentants des citoyens ont

« le droit de constater [...] la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d'en suivre l'emploi et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ».

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

Mais ce serait toujours le cas !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1998

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

On rappellera en outre que le Conseil constitutionnel a fait jusqu'à présent prévaloir la liberté du législateur par rapport aux dispositions que celui-ci a précédemment votées.

Une illustration parmi beaucoup d'autres : la décision du Conseil constitutionnel du 27 juillet 1982. Permettezmoi, monsieur Sarkozy, de la citer : « Considérant que le législateur ne peut lui-même se lier ; qu'une loi peut toujours et sans conditions, fût-ce implicitement, abroger ou modifier une loi antérieure ou y déroger... ».

Par conséquent, les objections de fond qui ressortissent à la Constitution, à la Déclaration des droits de l'homme ou aux décisions du Conseil constitutionnel me paraissent suffisantes pour que l'Assemblée nationale rejette la proposition de loi.

M. Pierre Lellouche.

Vous n'avez aucun argument !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Plagnol a cité, plus concrètement, l'exemple des carburants propres.

M. Pierre Lellouche.

Aucun de vos arguments ne tient !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Mais, justement, on ne peut figer la fiscalité en ce domaine. Le débat est d'ailleurs d'actualité.

Un avantage fiscal institué pour des carburants peut apparaître moins légitime au bout d'un certain temps. La notion même, monsieur Plagnol, de « carburant propre » évolue considérablement en fonction des données technologiques et scientifiques.

M. Henri Plagnol.

Nous parlons d'un engagement sur cinq ans !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

Elle évolue de manière très rapide et les données technologiques peuvent changer avant même qu'un tel délai ne soit écoulé.

Regardez ce qui se passe avec le carburant utilisé ou les véhicules personnels !

Monsieur Rossi, vous critiquez la majorité pour sa politique fiscale. Je vous rappellerai deux chiffres : les prélèvements obligatoires ont baissé de 0,4 % par rapport au PIB depuis le mois de juin de 1997 alors qu'entre 1993 et 1997, période où vous étiez au gouvernement, ils avaient augmenté de 2 %. Vous critiquez aussi la suppression de la réduction d'impôt pour l'assurance vie, dont vous semblez attribuer la responsabilité à l'actuel gouvernement, auquel j'ai l'honneur d'appartenir. Il s'agit en fait d'une mesure figurant dans la loi de finances pour 1996, votée à la fin de 1995.

Vous invoquez le droit communautaire. Mais savezvous que, si la proposition de loi était adoptée, dans l'hypothèse où un avantage fiscal se révélerait contraire au droit communautaire nous serions totalement en dehors de celui-ci ? Nous serions ainsi capables de respecter nos engagements internationaux et européens.

Vous critiquez enfin le foisonnement des règles fiscales.

Dois-je vous rappeler que le projet de loi de finances pour 1999 supprime cinquante-huit articles du code général des impôts - ce qui devrait vous réjouir -, huit impôts et quinze millions de formulaires, notamment grâce à la réforme du droit au bail que vous avez par ailleurs évoquée ? Une fois de plus, il y a donc une volonté de montrer que nous sommes d'abord comptables des engagements que nous avons pris, que ce gouvernement a pris, par la déclaration de politique générale prononcée ici même le 19 juin 1997,...

M. Pierre Lellouche.

On l'a vu, notamment pour les privatisations !

M. le secrétraire d'Etat à l'industrie.

... devant le peuple et devant votre assemblée, mesdames et messieurs les députés.

Le Gouvernement est comptable de la réforme. Il n'entend pas se lier les mains : il entend appliquer le droit, la Constitution et les engagements internationaux de la France. Il entend conduire, dans leur esprit comme dans leur lettre, les réformes qu'il veut voir mises en oeuvre dans ce pays, conformément au mandat qu'il a reçu du peuple.

Malgré la qualité et l'intérêt du débat, je suis donc contraint, me plaçant sur les plans économique, fiscal, juridique et constitutionnel, de demander à l'Assemblée nationale de rejeter la proposition de loi présentée par la commission des lois, tout en remerciant les divers orateurs de la majorité et de l'opposition d'avoir approfondi le sujet, qui reviendra certainement à l'ordre du jour...

M. Pierre Lellouche.

Vous pouvez compter sur nous !

M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

... dans une commission ou une autre, et même dans l'hémicycle.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

Je souhaiterais revenir sur quelques points.

De quelle rétroactivité s'agit-il ? Vous avez affirmé, monsieur le secrétaire d'Etat, que la proposition de loi ne remettait pas en cause le système, que l'on pourrait qualifier de rétroactif, de fixation du barème de l'impôt sur le revenu. Tout le monde vous en a donné acte et tel n'est pas l'objet de la proposition de loi. Elle vise non pas à poser un principe général de non-rétroactivité, mais à donner la possibilité au législateur de protéger un avantage fiscal pendant une durée déterminée.

Quels sont les avantages fiscaux qui peuvent être protégés ? Différents orateurs ont donné des exemples, qui, pour certains, n'étaient absolument pas justifiés. Avec la proposition de loi de M. Nicolas Sarkozy, il n'est pas possible de protéger le barème de l'impôt sur le revenu ou le taux normal d'un impôt. Ce qu'il est possible de protéger, c'est un avantage fiscal déterminé, voté en loi de finances, pour une durée déterminée.

Plusieurs orateurs se sont demandé ce qu'il en était de la liberté du législateur. Très sincèrement, je pense qu'elle reste entière, et cela pour plusieurs raisons.

La première, c'est que, sur un budget de 1 600 milliards de francs, les mesures envisagées représentent au plus quelques milliards de francs.

M. Augustin Bonrepaux.

Ce n'est pas rien !

M. Didier Migaud.

Vous devriez faire un stage à la commission des finances ! Cela vous ferait du bien !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

Nous ne proposons pas de figer pendant des années des centaines de milliards de francs.

M es chers collègues, lorsqu'un Gouvernement demande à l'Assemblée de voter un avantage fiscal, c'est bien pour convaincre les Français d'accomplir un acte économique, comme acquérir ou rénover un logement, acheter une voiture, placer de l'argent. Et, pour que cette disposition soit efficace, il faut bien sûr qu'elle ait le temps de s'appliquer.

Si, ce matin, un large débat avait été possible - mais, au sein de la majorité, le service minimum a été si léger qu'un groupe de cette majorité ne s'est même pas


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ASSEMBLÉE NATIONALE - SÉANCE DU 20 NOVEMBRE 1998

exprimé - j'aurais bien voulu entendre des arguments concernant la réduction de la période à trois ou quatre ans, ou même son allongement à six ans.

Pourquoi notre commission des lois a-t-elle fixé la limite à cinq ans ? Tout simplement parce que, dans un grand nombre de domaines - je pense aux lois de programme et aux évaluations des nouvelles législations -, il est très habituel pour nous, législateurs, de demander un rapport à cinq ans ou de juger d'une loi de programme sur la même période. C'est parce qu'il nous a semblé que c'était une période normale pour apprécier l'efficacité d'un dispositif que nous l'avons reprise. Nous l'avons estimée à la fois assez longue pour justifier de l'efficacité des mesures prises et assez courte pour laisser au législateur la liberté de revenir sur le sujet.

Les opposants au texte sont confrontés à un dilemme : le texte est-il inutile - enfonce-t-il une porte ouverte, monsieur le secrétaire d'Etat ? - ou bien dangereux ?

M. Augustin Bonrepaux.

Les deux !

M. Jean-Luc Warsmann, rapporteur.

J'ai même entendu M. Migaud, rapporteur général, dire que le texte menacerait les institutions de la Ve République. Arrêtonsnous un instant ! En la matière, il faut rester mesuré.

Le but de la proposition de loi, c'est tout simplement de faire en sorte que la parole de l'Etat soit respectée.

Quand l'Etat dit aux contribuables d'adopter tel ou tel comportement fiscal, ou d'investir de telle ou telle manière, le respect de sa parole doit être garanti.

J'ai beaucoup entendu parler de cohérence. Quant à moi, je me permettrai de conclure par une phrase qui résume beaucoup de choses : « Le législateur ne peut disposer que pour l'avenir, faute de quoi non seulement serait rompue l'égalité des citoyens devant les charges publiques, mais serait anéantie aussi toute garantie des droits. »

Cette phrase va beaucoup plus loin que la proposition de loi, et elle est signée Lionel Jospin. Je regrette que son gouvernement et sa majorité ne le suivent pas ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Article unique

M. le président.

Je donne lecture de l'article unique de la proposition de loi organique dans le texte de la commission :

« Article unique. - Le premier alinéa de l'article 4 de l'ordonnance no 59-2 du 2 janvier 1959 portant loi organique relative aux lois de finances est ainsi rédigé :

« L'autorisation de percevoir les impôts est annuelle.

Toutefois, une loi de finances peut conférer un caractère pluriannuel à des avantages fiscaux, sous réserve d'en limiter précisément la durée, qui ne peut excéder cinq ans, sans qu'une loi ultérieure puisse venir les modifier avant l'échéance prévue. Le rendement des impôts dont le produit est affecté à l'Etat est évalué par les lois de finances. »

Mes chers collègues, l'article 95, alinéa 9, du règlement prévoit que le vote sur l'article unique d'un texte équivaut, en l'absence d'article additionnel, à un vote sur l'ensemble.

La conférence des présidents ayant décidé, en application de l'article 65-1 du règlement, de fixer au mercredi 25 novembre, après-midi, après les questions au Gouvernement, le vote, par scrutin public, sur l'ensemble de la proposition de loi organique, les explications de vote et le vote sur l'article unique sont reportés à cette date.

2

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Mardi 24 novembre 1998, à dix heures trente, première séance publique : Questions orales sans débat ; Fixation de l'ordre du jour.

A quinze heures, deuxième séance publique : Questions au Gouvernement ; Discussion du projet de loi constitutionnelle (no 1072), modifiant l'article 88-2 de la Constitution : M. Henri Nallet, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 1212) ; M. Michel Vauzelle, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires étrangères (avis no 1209) ; M. Henri Nallet, rapporteur au nom de la délégation p our l'Union européenne (rapport d'information no 1189).

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à onze heures cinquante.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT