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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

1. S ouhaits de bienvenue à une nouvelle députée (p. 9417).

M. le président.

2. Questions au Gouvernement (p. 9417).

CHANTIERS NAVALS DU HAVRE (p. 9417)

MM. Jean-Yves Besselat, Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

CONSTRUCTION DE LA RETENUE D'EAU DE CHAMBONCHARD (p. 9418)

M. Eric Doligé, Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

SERVICE MINIMUM DANS LES TRANSPORTS (p. 9419)

MM. Christian Estrosi, Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

GRÈVES DANS LES TRANSPORTS (p. 9420)

MM. Francis Delattre, Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

DISPOSITIF DE RÉINSERTION DES IMMIGRÉS DANS LEUR PAYS D'ORIGINE (p. 9421)

M. Roland Carraz, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

MESURES D'URGENCE EN FAVEUR DES SANS-ABRI (p. 9422)

M. Germinal Peiro, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

LIBÉRALISATION DU TRAFIC FERROVIAIRE (p. 9422)

MM. Jacques Fleury, Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

LEVÉE DE L'EMBARGO

SUR LA VIANDE DE BUF BRITANNIQUE (p. 9423)

MM. Christian Paul, Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

ACCUEIL DES ÉTUDIANTS ÉTRANGERS EN FRANCE (p. 9424)

MM. Gérard Bapt, Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

PROJET DE LOI SUR L'AUDIOVISUEL (p. 9425)

M. Maurice Leroy, Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication.

LEVÉE DE L'EMBARGO

SUR LA VIANDE BOVINE BRITANNIQUE (p. 9425)

MM. François Sauvadet, Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

URGENCE SOCIALE (p. 9426)

Mmes Muguette Jacquaint, Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

VICTIMES DE L'AMIANTE (p. 9427)

M. Alain Tourret, Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

3. Modification de l'article 88-2 de la Constitution. Discussion d'un projet de loi constitutionnelle (p. 9427).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

PRÉSIDENCE DE M. MICHEL PÉRICARD

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

M. Henri Nallet, rapporteur de la commission des lois.

M. Michel Vauzelle, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ (p. 9439)

Exception d'irrecevabilité de M. de Villiers : M. Philippe de Villiers, Mme la garde des sceaux, MM. le ministre, Pierre Lellouche, Alain Barrau, Hervé de Charette, JeanClaude Lefort. - Rejet.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

4. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 9456).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. LAURENT FABIUS

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1

SOUHAITS DE BIENVENUE À UNE NOUVELLE DÉPUTÉE

M. le président.

Je souhaite la bienvenue à notre nouvelle collègue, Mme Chantal Robin-Rodrigo, remplaçante de M. Glavany, nommé membre du Gouvernement.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

2

QUESTIONS AU GOUVERNEMENT

M. le président.

L'ordre du jour appelle les questions au Gouvernement.

Nous commençons par les questions du groupe du Rassemblement pour la République.

ATELIERS ET CHANTIERS NAVALS DU HAVRE

M. le président.

La parole est à M. Jean-Yves Besselat.

M. Jean-Yves Besselat.

Ma question s'adresse à M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le ministre, je pense que vous mesurez à la fois l'importance des chantiers navals du Havre et la gravité de la situation qui leur est imposée aujourd'hui. Le dossier des Ateliers et Chantiers du Havre est stratégique pour le Havre, il l'est pour notre région, il l'est aussi pour notre pays, dans une Europe en pleine évolution. La construction navale du Havre, blessée par un accident industriel, a un savoir-faire et un potentiel de commandes tels que l'avenir lui est ouvert, si on le veut. Il faut l'aider à dominer ses difficultés. La construction navale, contrairement à ce que pense votre entourage, peut devenir un pôle d'excellence industriel nécessaire à notre pays.

L'ensemble des élus de Haute-Normandie et de BasseNormandie - toutes tendances politiques confondues -, ainsi que l'ensemble des cadres, ingénieurs et ouvriers des chantiers du Havre et de Cherbourg estiment qu'un pôle normand de construction navale, civile et militaire, répond à une vraie stratégie industrielle ; il est rare de constater une telle unanimité.

Tous savent qu'une vraie proposition est en préparation, mais celle-ci ne peut effectivement voir le jour si le Gouvernement ne fait pas cesser immédiatement les ultimatums dont les différents acteurs de ce dossier font l'objet. A cette condition, une offre crédible pourra être présentée.

Vous mettez en avant le coût de l'opération. Mais pouvons-nous oublier que vous avez versé à la Corée, via le FMI, 7 milliards de francs qui ont financé la construction navale de ce pays, que les Allemands, Helmut Kohl et bientôt Gerhard Schrder, savent aider fortement leurs chantiers navals - il y a cinquante chantiers navals en Allemagne, six en France - que vous avez su recapitaliser, avant privatisation, le Crédit Lyonnais, dont les déficits colossaux ont des causes parfaitement connues de tous ? Enfin, vous savez parfaitement ce que coûtera la pérennisation de l'activité, mais vous ne savez pas, et personne ne sait, ce que coûterait une hypothétique reconversion.

Ce chantier naval veut vivre. Nous avons de bonnes raisons de croire en son avenir. Un pôle normand de construction navale est parfaitement envisageable. Faites cesser, de grâce, les manoeuvres dilatoires en cours.

Acceptez de reconnaître que vous vous êtes trompé. Laissez-nous mettre en place en toute sérénité l'offre que nous préparons, en refusant le couperet actionné par vos conseillers ! Monsieur le ministre, avec toute la Normandie, je vous demande de changer d'avis. Y êtes-vous prêt aujourd'hui ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à l'industrie.

M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie.

Monsieur le député, l'échec industriel des ACH est en effet particulièrement douloureux pour vous, pour tous les élus, sur tous les bancs, et pour le Gouvernement.

Pour répondre à la première partie de votre question, je dirai que le Gouvernement ne marque aucun désintérêt pour la filière maritime et pour la construction navale puisque aussi bien, en ce moment même, à Saint-Nazaire, Lorient, Concarneau et Cherbourg, se lancent d'importants programmes de compétitivité en vue de permettre à ces chantiers navals d'affronter avec succès la concurrence internationale.

Ce n'est pas le Gouvernement qui ferme les ACH.

Leur échec est le résultat d'une décision, prise en 1995, que vous-même et d'autres élus, ainsi que M. StraussKahn et moi-même avons jugée, à juste titre, catastrophique. Il est aussi le résultat - hélas ! - de l'incapacité de l'entreprise à maîtriser la construction de ses navires, et aucun des plans de redressement présentés par la direction n'a pu être conduit avec succès.

Les retards s'accumulent, les pertes sont aujourd'hui de 1 870 millions de francs ; ces retards et ces pertes s'accroissent de jour en jour.


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Et si aucun repreneur ne s'est précipité pour reprendre les ACH, c'est parce qu'aucun industriel, au sens strict et fort de ce mot, ne croit possible de les sauver. A ce jour, la constitution d'un pôle normand, que vous avez évoquée dans la seconde partie de votre intervention, et que vous appelez de vos voeux, n'est soutenue par aucun industriel crédible. Soyez convaincu que j'ai contacté personnellement plusieurs repreneurs potentiels et que je regrette très sincèrement, et profondément, qu'aucun n'ait souhaité accueillir favorablement ce plan.

L'ampleur des efforts consentis par le Gouvernement pour tenter de sauver les chantiers n'a connu aucun précédent en matière de construction navale. Il ne faut pas bercer les salariés des ACH de faux espoirs et d'illusions.

La seule attitude responsable consiste à préparer l'avenir industriel du Havre et de la Basse-Seine. Je souhaite que la mobilisation très forte de tous les acteurs qu'on constate aujourd'hui sur ce dossier permette de travailler ensemble, avec vous et les autres élus, au-delà des divergences politiques, à un programme de véritable redynamisation économique, en vue d'assurer un avenir industriel au Havre et à son port. Il est urgent d'y travailler tous ensemble. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Lucien Degauchy.

Baratin !

CONSTRUCTION DE LA RETENUE D'EAU DE CHAMBONCHARD

M. le président.

La parole est à M. Eric Doligé.

M. Eric Doligé.

Monsieur le Premier ministre, M. Vergnier, député PS de la Creuse, M. Martin-Lalande, député RPR de Loir-et-Cher, M. Lajoinie, député PC de l'Allier, M. Filleul, député PS d'Indre-et-Loire, M. Fromion, député RPR du Cher,...

M. Didier Boulaud.

Vous n'allez pas nous citer les 577 députés ! C'est un inventaire à la Prévert !

M. Albert Facon.

Il va en oublier !

M. le président.

Un peu de silence, s'il vous plaît !

M. Eric Doligé.

... M. Yann Galut, député PS du Cher, M. Goldberg, député PC de l'Allier, M. Auclair, député RPR de la Creuse, M. Maurice Leroy, député UDF de Loir-et-Cher et bien d'autres sur ces bancs se sont autorisés le 16 juillet dernier, il y a donc plus de quatre mois, à vous demander une audience à propos de la construction de la retenue d'eau de Chambonchard. Vaine démarche ! Serait-ce naïveté de leur part de penser qu'un Premier ministre est disponible pour les élus de la nation ? Ils souhaitaient exprimer devant vous l'inquiétude de toute une population face à son approvisionnement en eau, au maintien de sa qualité, à la protection de la faune et de la flore et au développement de l'économie locale. Ce sont plus de six millions d'habitants de dix-sept départements qui expriment leur solidarité sur un dossier majeur et qui auraient aimé être entendus de vous. Peut-être n'êtes-vous informé des enjeux de ce dossier majeur qu'à travers le prisme déformant du ministère de l'environnement, qui ne vous dit pas que 99 % des élus sont favorables à la réalisation de ce projet, que le financement est prévu, que 100 millions de francs ont déjà été dépensés en travaux préparatoires - je n'ose croire en pure perte - et que l'Etat ne respecte pas, pour le moment, sa signature.

Vous semblez oublier que, si la loi sur l'eau s'impose à tous les citoyens, le Gouvernement se doit également de la respecter. Nous, élus, sommes victimes d'un ministre, Mme Voynet, qui utilise tous les artifices pour bloquer un dossier par pure idéologie. D'un dossier technique, elle a fait, à tort, et avec votre bienveillance, peut-être involontaire, un dossier politique.

Le 7 novembre dernier, nous étions à Montluçon cent cinquante élus, toutes tendances confondues, pour rappeler à l'Etat ses engagements et pour rappeler notre demande d'un rendez-vous. Dans la mesure où vous n'avez même pas eu la simple courtoisie d'accuser réception de nos demandes successives, je me trouve dans l'obligation, au nom de mes collègues socialistes, communistes, RPR et UDF, de prendre la représentation nationale à témoin afin de vous demander un entretien avant le CIADT prévu pour le 16 décembre prochain.

Monsieur le Premier ministre, allez-vous enfin vous saisir de ce dossier et nous recevoir dans les meilleurs délais ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l 'aménagement du territoire et de l'environnement.

(« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Louis Debré.

Comment va Dany ?

M. le président.

Un peu de silence, s'il vous plaît !

Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

Monsieur le député, le plan décennal « Loire grandeur nature » a été adopté le 4 janvier 1994 à l'issue de plusieurs années de conflits et de discussions. Le projet de barrage de Chambonchard en est un des éléments. Il a semblé normal au Gouvernement de réévaluer l'efficacité et l'intérêt de ce qui a é té déjà été réalisé dans le cadre de ce plan alors que nous arrivons à mi-parcours : freinage de la construction en zones inondables, rénovation du système d'annonce des crues, restauration du lit de la Loire et renforcement des levées entre la Haute-Loire et Nantes, pour un montant de 160 millions de francs, financement total par l'Etat, à hauteur de 321 millions de francs, de la protection de Brives-Charensac,...

M. Eric Doligé.

Ce n'est pas la question ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

... investissement dans un important programme d'étude sur le fonctionnement de la Loire, à hauteur de 50 millions de francs,...

M. Eric Doligé.

Nous voulons un rendez-vous ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

... réalisation du barrage de Naussac 2 pour compléter celui de Naussac 1, restauration du milieu naturel pour 50 millions de francs, avec l'ouverture des barrages de Saint-Etienne-du-Vigan et de Maisons-Rouges.

La deuxième phase du plan Loire, qui fera suite à l'évaluation en cours, doit permettre de mieux inscrire ce p lan dans la stratégie française du développement durable, et de privilégier la gestion rationnelle des milieux par rapport aux grands travaux. C'est dans ce contexte que nous sommes en train de procéder à la réévaluation de l'intérêt du barrage de Chambonchard.

Comme vous l'avez noté, monsieur le député, je me suis rendue sur le site le 2 juillet dernier. J'ai écouté les arguments de tous les élus, des associations, des partenaires de la vie sociale et économique.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

M. Eric Doligé.

C'est faux ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

J'ai noté que quatre objectifs étaient assignés à ce barrage : l'irrigation agricole, aujourd'hui fortement remise en cause ; le soutien de l'étiage estival, et j'ai constaté qu'il y avait bien peu d'eau dans le lit du Cher au mois de juillet ; le développement touristique, difficile à imaginer avec le marnage ; l'épuration des eaux du Cher, pour laquelle, vous en conviendrez avec moi, la dilution n'apparaît pas forcément comme la meilleure solution.

M. Eric Doligé.

Ce n'est pas la question ! Mme la ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement.

L'expertise en cours sur l'intérêt de cet ouvrage et sur ses capacités, si on devait en retenir le principe, doit être finalisée dans les semaines à venir puisque, comme je l'ai déjà annoncé devant la commission de la production et des échanges, le Gouvernement entend annoncer la deuxième phase du plan Loire lors du prochain CIAT, qui doit se tenir à la mi-décembre.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Eric Doligé.

Vous n'avez pas répondu à ma question !

SERVICE MINIMUM DANS LES TRANSPORTS

M. le président.

La parole est à M. Christian Estrosi.

M. Christian Estrosi.

Monsieur le Premier ministre, certes, le droit de grève est un formidable acquis de notre démocratie.

(Exclamations et applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert) et, dans cet hémicycle, nous sommes tous attachés au service public à la française (Exclamations et applaudissements sur les mêmes bancs).

Mais celui-ci remplit-il encore tout à fait ses missions ? R écemment, une grève des transports a paralysé l'ensemble de la région Ile-de-France. La semaine dernière, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur était frappée à son tour. Hier, la totalité du territoire national était touchée et il en sera sans doute de même vendredi prochain.

Alors qu'il y a dans la plupart des pays de l'Union européenne des accords syndicaux ou des dispositions législatives permettant de réguler le droit de grève, ce qui assure la pérennité des entreprises et évite de prendre en otages l'ensemble des usagers, la France reste arc-boutée sur des pratiques archaïques. Pouvons-nous continuer à contempler la détresse de millions de nos concitoyens, à c onstater d'innombrables conséquences sur la santé, l'emploi, les études, la formation, voire l'environnement puisque toute grève des chemins de fer entraîne une utilisation accrue de l'automobile,...

M. Didier Boulaud.

Et de la moto ! (Sourires.)

M. Christian Estrosi.

... et, donc, des rejets accrus de dioxyde d'azote dans l'atmosphère (Exclamations sur les bancs du goupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), sans adapter le droit de grève aux nécessités d'une société moderne ? Il est actuellement porté atteinte au principe même du service public, lequel, je le rappelle, est financé par les contribuables.

Monsieur le Premier ministre, il semblerait que, sous votre gouvernement, nous assistions à une recrudescence des grèves (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), que vous assuriez la culture de la grève.

(Protestations sur les mêmes bancs).

Il y a quelque temps de cela, la direction du RPR, par la voix de Nicolas Sarkozy, proposait qu'un service minimum soit assuré dans le service public en cas de grève.

Monsieur le Premier ministre, il n'est plus acceptable de prendre en otages des millions de nos concitoyens, et que d'honnêtes travailleurs soient paralysés par l'action de quelques-uns. Etes-vous favorable à la mise en place de ce service minimum ? (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement, pour une réponse qui devra malheureusement être courte.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Monsieur le député, je ne vous ferai pas l'injure de vous rappeler le nombre de grèves, notamment à la SNCF, entre 1993 et 1997. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radidal, Citoyen et Vert. - Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Eric Doligé.

C'était la CGT qui les organisait ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Il y en a même eu une très longue, et vous savez ce qu'il est advenu, en particulier concernant l'opinion des Français à l'égard du gouvernement précédent.

Je crois que la grève d'hier, que certains appellent une

« eurogrève », traduit une forte inquiétude et une grande méfiance à l'égard des chantres du libéralisme, qui veulent imposer la concurrence intramodale sur les chemins de fer, et vous seriez bien inspiré de vous demander qui est responsable de l'action d'hier.

Plusieurs députés du groupe du Rassemblement pour la République.

Vous ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Moi, je vous dis que ce sont ceux qui prônent l'ultralibéralisme ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Pierre Michel.

L'Europe de Maastricht et d'Amsterdam ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

J'ajoute que, contrairement à ce que vous dites maintenant - d'ailleurs, vous ne l'avez pas fait quand vous étiez au gouvernement - ce n'est pas par des mesures administratives ou autoritaires qu'on réglera les conflits sociaux,...

M. Pierre Lellouche.

Demandez à Mme Aubry comment elle a fait pour les 35 heures ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

... mais par l'appel au dialogue social.

Je termine d'un mot : le Gouvernement, figurez-vous, préfère mettre de l'huile dans les rouages plutôt que de l'huile sur le feu ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical Citoyen et Vert.)


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M. Arnaud Lepercq.

Double jeu !

M. le président.

La parole est à M. Francis Delattre.

GRÈVES DANS LES TRANSPORTS

M. Francis Delattre.

Monsieur le ministre des transports, le contentement qu'on affiche en permanence sur certains bancs, lorsqu'on parle de vous et de votre action, est totalement justifié. Depuis dix-huit mois, rien de ce qui roule, vole, glisse ou transporte n'a été épargné par les conflits, les grèves à répétition et les mouvements revendicatifs, qui se succèdent à une cadence infernale.

En un mot, c'est la désorganisation.

Et, contrairement à ce que vous avez dit, vous avez vraiment décroché la timbale en ce domaine, battant tous les records ministériels établis depuis trente ans. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et I ndépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Ce n'est pas vrai !

M. Francis Delattre.

Et si M. Jospin vous a désigné à ce poste, prenant en considération la proximité que vous pouviez avoir avec certains syndicats, aujourd'hui, il doit être comblé ! (Rires et applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Depuis la rentrée de septembre, il n'y a pas eu, en région parisienne, de semaine sans interruption du trafic, soit sur les lignes A, B et C du RER, soit dans le métro, soit sur les lignes de banlieue de la SNCF, ce qui a désorganisé l'ensemble du système des correspondances. Hier, il y a eu une paralysie des grandes lignes de la SNCF au motif que la Commission européenne voudrait casser le rail. Et pourtant, l'Europe a trouvé avec vous, monsieur le ministre, un nouveau zélateur de l'Europe du rail ! (Rires sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance.) Après-demain, il y aura un débrayage des conducteurs pour - paraît-il - appuyer l'emploi, sans oublier un énième conflit à Air France.

La légitimité de certaines revendications est évidente, comme celle liée à la sécurité des chauffeurs. Mais un certain nombre d'actions apparaissent tout de même de plus en plus discutables à nos concitoyens, qui ont besoin des transports en commun pour leurs besoins vitaux, pour que leur liberté d'aller et venir soit réelle. Cela mériterait pour le moins un vrai débat préalable à toute action de rupture du service public. (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Aujourd'hui, c'est la fiabilité globale des entreprises de transport et le redressement de nombre d'entre elles qui sont menacés. Les conséquences négatives pour l'économie en sont bien perceptibles du fait du déséquilibre entre les actions de rupture du service public, qui ne sont pas toujours exercées avec mesure, et les besoins vitaux de ceux qui ont besoin de travailler ou d'étudier.

Ma question sera double mais précise, pour vous éviter toute digression sur les méfaits du précédent gouvernement ou de l'ultralibéralisme.

Pensez-vous, comme M. Gallois, que les grèves à répétition de la SNCF entravent le redressement de l'entreprise dans la mesure où elles ont un coût d'environ 100 millions de francs par jour ?

M. Pierre Lellouche.

Très bonne question !

M. Arnaud Lepercq.

Le ministre s'en fout : c'est l'argent des Français !

M. Francis Delattre.

Avez-vous l'intention d'engager sérieusement avec toutes les entreprises concernées une discussion en vue de faire respecter un autre principe de notre droit public, celui de la continuité des services publics de transport ? Si tel est le cas, ceux qui se sentent pris régulièrement en otage - quotidiennement, devrais-je dire - par les transports publics vous en remercient à l'avance. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et I ndépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Monsieur le député, pour votre information et celle de la représentation nationale tout entière, je rappellerai que, depuis un an ou un an et demi, le trafic à la SNCF et à la RATP ne cesse de croître, contrairement à ce qui a prévalu durant les dernières décennies. (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Thierry Mariani.

Il n'y avait pas toutes ces grèves !

M. le président.

Un peu de silence ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Il y a donc eu une augmentation du trafic, et il est important de le souligner.

Vous me parlez des grèves et évoquez, vous aussi, l'interdiction du droit de grève ou le service minimum.

(« Non ! » sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Je le répète et j'y insiste : ce n'est pas par des méthodes administratives ou autoritaires qu'on réglera les conflits sociaux,...

M. Thierry Mariani.

Ce n'est pas la question !

M. Arnaud Lepercq.

Langue de bois ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

... ni le problème de l'insécurité qui a suscité de nombreux arrêts de travail à la suite d'agressions à la SNCF ou à la RATP.

Je ne crois pas - je ne suis pas le seul à le dire - qu'on y parviendra par des faux-fuyants : c'est en travaillant les problèmes au fond, avec l'objectif de progresser, qu'on résoudra ces problèmes.

Toujours sur le fond, je suis de ceux qui considèrent que la grève devrait être l'arme ultime, si je puis dire (Exclamations sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants), et non point le point de départ.

M. Philippe Vasseur.

Si ce n'est pas le cas, c'est que les choses vont mal !

M. Arnaud Lepercq.

Qu'avez-vous fait auparavant ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Si l'on est arrivé à la situation que l'on connaît aujourd'hui, il faut essayer de savoir pourquoi.

M. Philippe Vasseur.

Si les agents concernés font grève, c'est que le ministre ne les satisfait pas ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

C'est en visant l'objectif de défense du service public, de conquête du trafic ferroviaire pour les marchandises et les voyageurs, tout en empruntant la voie du dialogue social, que nous arriverons à régler les problèmes.

Monsieur le député, en formulant votre question comme vous l'avez fait, c'est-à-dire en rabâchant - pardonnez-moi le terme - la vieille formule de la « courroie de transmission », vous avez fait la démonstration que vous ne vivez non pas avec votre temps, mais avec le passé ! (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. Jacques Baumel.

Oh ! la la !

M. le président.

Nous en venons au groupe Radical, Citoyen et Vert.

DISPOSITIF DE RÉINSERTION DES IMMIGRÉS DANS LEURS PAYS D'ORIGINE

M. le président.

La parole est à M. Roland Carraz.

M. Roland Carraz.

Monsieur le président, ma question s'adresse à Mme Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Madame la ministre, en matière d'immigration, deux attitudes, deux camps sont aujourd'hui clairement identifiés : il y a, d'un côté, les démagogues et, de l'autre, ceux qui ont choisi une attitude de responsabilité. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Un peu de silence !

M. Roland Carraz.

Du côté des démagogues, je range l'extrême gauche, qui souhaiterait régulariser sans précaution la totalité des clandestins, ce qui est bien évidemment totalement irresponsable. J'y range aussi l'extrême droite, tout aussi irréaliste et irresponsable, qui voudrait que la France se referme sur elle-même comme une huître et tourne le dos au reste de l'humanité.

De l'autre se situe le Gouvernement, dont nous connaissons la position équilibrée, juste, approuvée par la majorité des Français et reposant, pour l'essentiel, sur deux principes simples.

Premier principe : les critères. La régularisation doit se faire sur critères : pas de régularisation générale à l'italienne ! Second principe : la réinsertion dans le pays d'origine et le codéveloppement. Il s'agit d'un principe de courage, fondé sur une volonté de rééquilibrage et de réduction des flux migratoires par le développement économique des pays d'origine. C'est sur ce point, madame la ministre, que je souhaite vous interroger.

Le Gouvernement a rendu public le 4 novembre un dispositif de réinsertion dans les pays d'origine et, à ce propos, je vous poserai trois questions.

D'abord, de quelle manière assurez-vous la popularisation du dispositif auprès des intéressés ? Ensuite, quelles sont les réactions des associations et des organisations d'immigrés ? Enfin, où en sommes-nous avec les pays d'origine ? Avons-nous déjà signé des accords ? Quelles sont les perspectives de développement ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Lucien Degauchy.

Démagogue !

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, le Gouvernement a annoncé le 4 novembre un contrat de retour dans le pays d'origine qui vise à faire en sorte que les personnes qui ne satisfont pas aux critères de régularisation puissent repartir dans leur pays non seulement dans le respect total des droits de l'homme, mais aussi dans la plus grande dignité possible.

Il nous semble essentiel que le plus grand nombre de ces personnes puissent, si elles le souhaitent, bénéficier d'une formation dans notre pays, à partir d'un projet de réinsertion dans leur pays d'origine, ce qui aidera au développement de celui-ci. Cette formation durera jusqu'à trois mois, pendant lesquels les personnes concernées verront leur situation régularisée et percevront une rémunération. Elle sera poursuivie dans le pays d'origine avec l'aide d'associations.

Nous travaillons actuellement avec trois pays : le Mali et le Sénégal, avec lesquels nous avons passé un accord, et le Maroc, avec lequel nous continuons la discussion pour que les projets aident son développement. Faut-il former des mécaniciens, développer les métiers de l'hôtellerie, de la restauration ou du tourisme ? Faut-il laisser des personnes nous proposer des projets originaux, ce que nous faisons déjà ? Nous souhaitons que ces personnes ne soient pas venues dans notre pays pour rien et qu'elles puissent repartir la tête haute avec la volonté d'apporter à leur pays d'origine les moyens de se développer.

Voilà ce qu'est le contrat de retour dans le pays d'origine. L'OMI popularise directement les dispositifs au sein des publics concernés, y compris par des dépliants dans la langue d'origine. Il en est de même des associations avec lesquelles nous travaillons.

Certaines associations ont réagi négativement, peut-être parce qu'elles souhaitent continuer le combat pour la régularisation générale. D'autres, au contraire, travaillent avec nous soit pour accompagner les personnes concernées - l'accompagnement social est nécessaire -, soit pour servir de relais d'information.

Le contrat se met en place dès ces jours-ci. Quarante demandes ont été déposées en quelques jours. Je suis convaincue qu'il s'agira d'un élément du codéveloppement indispensable. Car le codéveloppement ne concerne pas seulement des personnes qui doivent repartir dans leurs pays d'origine : il relève en effet de notre responsabilité d'aider au développement de ces pays si nous souhaitons maîtriser les flux migratoires en amont, et de bonne façon.

Nous aurons pour ce faire besoin des entreprises, des associations et des collectivités locales françaises. Je suis persuadée qu'un grand nombre d'entre elles répondra présent ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

J'appellerai ultérieurement la question de M. Tourret.

Nous en venons aux questions du groupe socialiste.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

MESURES D'URGENCE EN FAVEUR DES SANS-ABRI

M. le président.

La parole est à M. Germinal Peiro.

M. Germinal Peiro.

Monsieur le président, ma question s'adresse à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Madame la ministre, une nouvelle fois, la rigueur de l'hiver vient de nous rappeler cruellement le drame de la misère et des exclusions. En moins d'une semaine, la vague de froid a tué à huit reprises dans notre pays : à Paris, à Cambrai, à Toulouse et ailleurs, des femmes et des hommes sont morts sous une dérisoire toile de tente ou sous un porche entre deux cartons.

M. Lucien Degauchy.

Quel scandale !

M. Germinal Peiro.

Ces drames nous révoltent et nous ne pouvons accepter que dans notre pays, qui figure parmi les plus riches du monde et qui veut porter le message universel de la fraternité, des femmes et des hommes puissent mourir de faim ou de froid.

Vous étiez hier en Dordogne, madame la ministre, et vous avez déclaré qu'il fallait que les Français ouvrent les yeux sur la misère. Vous avez eu raison de rappeler que ce drame nous concerne tous et que le devoir de solidarité est un devoir de tous les citoyens, qui doivent l'assumer aux côtés des pouvoirs publics et des associations humanitaires.

Au-delà du projet de fond qui vise à construire une société de progrès et de justice sociale, le Gouvernement a proposé une loi contre l'exclusion votée au mois de juillet dernier par l'Assemblée nationale. Ce texte balaie le champ des exclusions au travers de quarante-trois mesures en faveur de l'emploi, de la santé, de la citoyenneté, des moyens d'existence, de l'éducation et de la culture.

Mais aujourd'hui, dans l'urgence, quelles solutions concrètes pouvez-vous apporter à celles et à ceux qui, brisés par la solitude, sont sans abri et n'ont même plus le strict minimum pour vivre ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Vous avez raison, monsieur le député : il est intolérable que, dans un pays comme le nôtre, des personnes meurent de froid, que ce soit chez elles, dans un local précaire, ou dans la rue.

Il ne s'agit pas de rechercher des responsables, alors que les pouvoirs publics, de tous côtés, ont amélioré les structures d'hébergement depuis une dizaine d'années et que le nombre global des lits disponibles est largement suffisant : cette nuit, à Paris, 315 lits sont restés libres.

Je rappelle que le numéro de téléphone « 115 » peut être, dans l'urgence, utilisé par chaque Français. Il permet à tout moment de déclencher les secours nécessaires à une personne qui est dans la rue.

Il faut aussi évoquer les équipes mobiles, notamment le SAMU social et les éducateurs de rue, qui patrouillent toute la nuit à la recherche des personnes en difficulté, ainsi que les structures d'accueil : 65 000 lits disponibles pour l'accueil de jour et l'accueil de nuit, et certains sont des lits infirmiers.

Cette nuit même, nous avons demandé à la RATP d'ouvrir la station Bonne nouvelle

Alors, pourquoi ces morts ? D'abord, les lieux d'accueil qui sont mis en place par l'Etat et les collectivités locales ne sont pas toujours d'une qualité suffisante pour que les hommes et les femmes concernés aient l'impression d'y entrer en toute dignité.

C'est la raison pour laquelle nous voulons continuer d'améliorer les choses. En 1998 et en 1999, le Gouvernement a décidé de créer 1 000 places supplémentaires d'hébergement et de réinsertion sociale, pour un accompagnement de qualité.

Ensuite, l'information n'est pas encore suffisante. Nous devons tout faire pour que ces personnes soient accueillies dans les meilleures conditions et qu'elles soient informées.

Je voudrais dire très simplement les choses : c'est notre devoir à tous, c'est le devoir de tous les Français d'ouvrir les yeux sur ceux qui, en ces périodes d'hiver, n'ont pas de lieux pour dormir au chaud.

Hier soir, dans le Nord, un couple d'agriculteurs a accueilli à son domicile un couple avec un chien. Voilà un geste de solidarité comme nous aimerions en voir beaucoup.

La loi contre les exclusions apportera des réponses de fond. Des programmes de lutte seront mis en place dans les hôpitaux - il y en aura 300 en fin d'année. Je n'oublie pas la loi relative à la couverture maladie universelle que nous allons faire voter.

Mais au-delà des structures et des financements, qui sont aujourd'hui nombreux, c'est à chacun d'entre nous que s'adresse le cri de ceux qui sont dans la rue.

Je vais dire les choses comme je les pense : la mort d'un SDF en hiver, à cause du froid, est pour moi la forme la plus scandaleuse de la détresse et de la misère qui existent aujourd'hui dans notre pays. Sachons nous mobiliser tous - collectivité locales, Etat, associations, chacun des Français - pour ouvrir les yeux et tendre la main à ceux qui en ont bien besoin. C'est à cela que doivent nous inciter les huit morts que nous avons déplorés. Je rappelle qu'il y en a eu 180 en Europe, dans des pays qui sont parmi les plus riches du monde.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

LIBÉRALISATION DU TRAFIC FERROVIAIRE

M. le président.

La parole est à M. Jacques Fleury.

M. Jacques Fleury.

Monsieur le ministre de l'équipement, des transports et du logement, les syndicats de cheminots européens ont manifesté leur opposition à la libéralisation du trafic ferroviaire à la veille de la réunion du Conseil des ministres européen des transports.

Dans une Europe où treize pays ont des gouvernements à coloration socialiste ou social-démocrate, peut-on espérer qu'ils seront entendus ? On sait que la libre concurrence dans le domaine ferroviaire pénalisera lourdement l'usager, faisant courir à des régions entières un risque d'isolement, faute de rentabilité. On sait aussi que les objectifs de développement de transport respectueux de la qualité de l'environnement, déjà difficiles à atteindre, deviendraient illusoires.

Monsieur le ministre, l'occasion sera-t-elle saisie pour réfléchir à l'organisation d'un véritable service public européen du rail ? Quelle sera la position défendue par le Gouvernement français ? Peut-on espérer qu'il sera enfin mis un frein à la dérive ultralibérale de la Commission et de l'Europe ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

M. Jacques Myard et M. Thierry Mariani.

Bravo !

M. Jacques Fleury.

Autrement dit, aura-t-on demain des raisons de vérifier qu'on peut être européen et de gauche sans courir le risque de faire un grand écart ? (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Yves Nicolin.

Merci Delors !

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

M. Jean-Claude Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Monsieur le député, vous avez utilisé le mot « eurogrève ». Je le trouve fort approprié.

J'ai lu dans un journal du soir que le mouvement préfigurait peut-être une volonté d'aller enfin vers une construction sociale de l'Europe.

Dans onze pays, des actions ont été menées sous différentes formes, dans la plupart des cas en choisissant la grève, contre la volonté de la Commission européenne et de certains pays d'organiser la libéralisation dans le transport ferroviaire, c'est-à-dire la concurrence à l'intérieur même des chemins de fer.

Les cheminots, les usagers, le Gouvernement français s'y opposent aussi, et nous ne sommes pas seuls puisque des pays tels que la Belgique, le Luxembourg, l'Espagne et l'Italie constitueraient une minorité de blocage si la Commission persistait dans ses intentions.

Je puis vous assurer, monsieur le député, de la fermeté de la position française.

M. Thierry Mariani.

On l'a vu ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Elle est connue de tout le monde et je l'exprimerai avec la même détermination lors de la prochaine réunion qui se tiendra lundi et mardi prochains à Bruxelles.

Ce qui est nécessaire, ce n'est pas l'ultralibéralisme.

D'ailleurs, les Anglais sont en train de s'en rendre compte puisque, après la libéralisation et la privatisation, c'est un constat d'échec complet qui est dressé en GrandeBretagne.

Ce qu'il faut, c'est, comme vous l'avez dit, mettre en place un véritable réseau européen, respectueux des statuts et des prérogatives nationales, favorisant l'interopérabilité et la mise sur le rail notamment du trafic des marchandises, c'est-à-dire bâtir un service public européen du transport ferroviaire.

M. Philippe Vasseur.

Pas du tout ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

Je veux croire, monsieur le député, que les évolutions politiques dans plusieurs pays d'Europe favoriseront cette démarche. Telle est, en tout cas, la volonté du Gouvernement français.

Soyez assurés, mesdames, messieurs les députés, que le Gouvernement ne cédera pas sur cette position (Exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance) ,...

M. Francis Delattre.

C'est déjà fait ! M. le ministre de l'équipement, des transports et du logement.

... dans l'intérêt des cheminots de la SNCF et d'une construction européenne où le social l'emporte sur le libéralisme et sur le dumping économique et social.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. Francis Delattre.

Langue de bois !

LEVÉE DE L'EMBARGO

SUR LA VIANDE DE BUF BRITANNIQUE

M. le président.

La parole est à M. Christian Paul.

M. Christian Paul.

Monsieur le président, ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

La levée de l'embargo sur la viande de boeuf britannique va être décidée par l'Union européenne sur proposition de la Commission. Deux ans et demi après la crise de la vache folle, cette décision inquiète les consommateurs,...

M. Philippe Vasseur.

Vous l'avez dit !

M. Christian Paul.

... c'est-à-dire tous les Français, et elle préoccupe à juste titre nos éleveurs.

Quelles garanties a-t-on obtenu quant à la qualité sanitaire des viandes britanniques exportées en Europe...

M. André Angot.

Aucune !

M. Christian Paul.

... alors qu'une centaine de cas de vache folle est recensée chaque mois en Grande-Bretagne ? Quelles garanties a-t-on obtenu sur la réalité des contrôles - j'insiste sur ce point - à l'intérieur même d es exploitations britanniques ? Enfin, quelles garanties a-t-on obtenu sur la mise en place en Grande-Bretagne de systèmes de traçabilité comparables à ceux qui existent en France depuis plusieurs années ? Cette affaire est un dossier majeur de santé publique. Il est essentiel, pour les consommateurs, mais aussi pour l'agriculture française et européenne, que les conditions de sécurité maximale soient réellement réunies. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. François Goulard.

Trop tard !

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

Monsieur le député, la Commission a proposé, hier soir, au conseil agricole européen, la décision que vous venez d'évoquer.

Le dispositif préconisé par la Commission repose sur des points extrêmement précis : Premièrement, la constitution d'un fichier d'identification des bovins britanniques aussi efficace et sophistiqué que possible ; Deuxièmement, l'institution d'une sorte de passeport permettant de vérifier l'origine et le parcours de chaque animal ; Troisièmement, l'obligation d'abattre les bêtes soumises à l'échange, donc à l'exportation, dans des abattoirs spécialisés ; Quatrièmement, les animaux concernés par l'exportation doivent être nés après le 1er août 1996, date de l'interdiction des farines animales dans les aliments du bétail.

Au moins, la position de ce gouvernement est-elle cohérente. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Je vais y venir dans un instant, faites-moi confiance ! Enfin, les Britanniques ne pourront exporter que de la viande à la fois désossée et dénervée, c'est-à-dire des muscles à l'état pur, dont tous les scientifiques s'accordent à dire qu'ils n'ont pas été contaminés.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

Face à ce dispositif, la position du Gouvernement français a consisté à demander des garanties supplémentaires sur les contrôles qui vont être mis en place par la Commission, en particulier à en être informé en temps réel. Nous souhaitons aussi pouvoir faire des commentaires, à l'occasion du conseil de l'agriculture, donner notre avis sur ces contrôles et leurs résultats et pouvoir suspendre la décision de levée de l'embargo si une nouvelle information intervenait dans le paysage scientifique et juridique concernant ce très délicat dossier.

M. Pierre-André Wiltzer.

C'est laborieux !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

La Commission a donné suite aux demandes du gouvernement français, c'est pourquoi nous avons décidé de nous abstenir (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants) dans l'attente de la mise en place des contrôles.

M. François Goulard.

C'est courageux !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Plus que vous ne le croyez ! De toute façon, la levée de l'embargo aurait été obtenue puisqu'il y avait une très large majorité en ce sens au sein du Conseil de l'agriculture.

M. Yves Nicolin.

Ce n'est pas un argument !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Pour votre information, seule l'Allemagne s'est opposée à cette décision. Le Luxembourg, l'Autriche et l'Espagne se sont abstenus avec la France.

M. Yves Nicolin.

Il ne fallait pas y aller, alors !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Cette abstention n'aurait donc pas empêché la Commission de décider la levée de l'embargo. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mais - et vous oubliez cet aspect, messieurs de l'opposition ! - du fait de l'abstention de la France (« Ce n'est pas sérieux ! » sur les mêmes bancs) et de l'insuffisance d'une majorité qualifiée pour que la décision soit prise par les ministres, la décision revient à la Commission.

Or, c'est exactement ce que nous voulions. C'est en effet ce que vous aviez demandé, messieurs de l'opposition, lors du sommet des chefs d'Etat et de gouvernement à Florence, en 1996. Le gouvernement français, comme tous les chefs d'Etat et de gouvernement européens, avait alors souhaité que cette décision relève de la responsabilité de la Commission et que le contrôle incombe au Conseil de l'agriculture. C'est ce qui s'est passé puisque, grâce à notre abstention, la majorité qualifiée n'a pu être réunie et la décision n'a pu être prise par les ministres.

Nous avons donc agi conformément à la décision des chefs d'Etat. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

ACCUEIL DES ÉTUDIANTS ÉTRANGERS EN FRANCE

M. le président.

La parole est à M. Gérard Bapt.

M. Gérard Bapt.

Ma question s'adresse à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie mais concerne aussi M. le ministre des affaires étrangères et M. le ministre délégué à la coopé ration et à la francophonie puisqu'il s'agit de l'accueil des étudiants étrangers dans les écoles et universités française s. Nombreux sont ici les parlementaires militants de la francophonie qui constatent, à l'occasion de déplacements à l'étranger ou de l'accueil d'hôtes étrangers, combien nos partenaires regrettent que des étudiants étrangers ne puissent être accueillis plus facilement et en plus grand nombre dans des écoles et des universités françaises. Cela tient à des facteurs multiples : problèmes de visas, de bourses, de quotas aussi dans certaines écoles. C'est une question importante pour la francophonie en général et, au-delà, pour la place de la France dans le monde. Les

Etats-Unis ne s'y trompent pas, qui accueillent en permanence plus de 550 000 étudiants étrangers dans leurs universités. Ces étudiants sont ainsi formés au moule américain. La perpétuation de l'actuelle situation en France pourrait être considérée comme une atteinte aux i ntérêts supérieurs de la nation. Le Gouvernement compte-t-il entreprendre une politique globale pour corriger cette situation et dans quels délais ? (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Monsieur le député, aujourd'hui même est parue au Journal officiel la création de l'agence Edufrance.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

Quel hasard !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Cela marque l'intérêt essentiel que le Gouvernement attache au problème que vous venez de soulever. L'agence Edufrance aura pour mission de susciter la venue d'étudiants étrangers dans notre pays, d'assurer leur accueil et de répondre aux appels d'offres d'éducation lancés par les grands organismes internationaux et pour lesquels la France se caractérise par son absence depuis de nombreuses années.

L'inauguration de la première exposition Edufrance au Mexique, la semaine dernière, par le Président de la République, a connu un succès qui a dépassé toutes nos espérances puisque 80 000 étudiants mexicains se sont inscrits pour assister à cette exposition à laquelle participaient 100 établissements d'enseignement supérieur français. La semaine prochaine, dans trois villes indiennes, aura lieu la deuxième exposition d'Edufrance, qui sera inaugurée par Mme la ministre déléguée, chargée de l'enseignement scolaire, Mme Ségolène Royal, et Mme la secrétaire d'Etat aux droits de la femme et à la formation professionnelle, Mme Péry.

(Exclamations et rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliancee et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Dans le même temps, nous avons simplifié la procédure d'octroi des visas pour les étudiants étrangers. Nous avons ensuite discuté avec l'ensemble des grandes écoles et des universités pour que le nombre d'étudiants étrangers soit augmenté et que leur accueil dans notre pays soit amélioré. Ainsi, il y aura dans chaque université, dans chaque école, un vice-président chargé des relations internationales et notamment de l'accueil des étudiants étrangers.

M. Lucien Degauchy.

Mais, ensuite, il faut assurer leur départ !

M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.

Comme vous le soulignez, dans la grande compétition de l'éducation mon-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

diale, la France doit faire entendre sa voix : plutôt que de s'en remettre au marché, il faut promouvoir le service public, qui assure mieux l'éducation que n'importe quel système privé.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

PROJET DE LOI SUR L'AUDIOVISUEL

M. le président.

La parole est à M. Maurice Leroy.

M. Maurice Leroy.

Le projet de loi sur l'audiovisuel qui va nous être soumis, avec quel retard d'ailleurs, se trompe de siècle. Il vise en effet à réglementer la télévision des années soixante et ne prépare pas celle des années 2000.

M. Arnaud Montebourg.

Et Carignon, c'était quoi ?

M. Maurice Leroy.

Ce texte oublie l'aide aux créateurs...

Mme Odette Grzegrzulka.

Vous ne l'avez pas lu !

M. Maurice Leroy.

... et à la production française. Il ne répond en rien à la seule question qui se pose : comment réglementer les nouvelles télévisions numériques ou par satellite ? Devant ces manques reconnus sur tous les bancs de notre assemblée, et tout particulièrement sur les vôtres, mes chers collègues socialistes, vous avez demandé, monsieur le Premier ministre, à Mme Bredin de combler les carences de ce projet de loi. (Sourires sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Ainsi, les principales dispositions du texte de loi ne seront passées - c'est une première ! - ni devant le CSA, ni devant le Conseil d'Etat, ni devant le conseil des ministres, ce qui est encore formidable !

M. Arnaud Montebourg.

Ni devant Carignon !

M. Maurice Leroy.

La question que nous vous posons, monsieur le Premier ministre, est donc simple : ne vaudrait-il pas mieux prendre le temps de la concertation plutôt que de présenter un texte vide et passéiste ? Enfin, Mme Bredin serait-elle devenue le Premier ministre virtuel de la communication de la Ve République ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de la culture et de la communication.

Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication.

Vous pouvez toujours railler, monsieur le député, car M. Douste-Blazy, que je vois à vos côtés, n'avait quant à lui rien prévu, dans le projet de loi qu'il avait présenté au Sénat, pour donner les moyens à l'audiovisuel public d'affronter la révolution numérique et la compétition avec les chaînes privées. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert. Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Alors, je comprends votre dépit et vos railleries.

Mme Christine Boutin.

C'est nul ! Double zéro !

Mme la ministre de la culture et de la communication.

Certes, il faut tenir compte du fait que l'audiovisuel est pris dans un monde concurrentiel, mais nous n'acceptons pas pour autant la société de marché car, pour nous, les trois heures que passent les Français devant la télévision ont une fonction à la fois culturelle, de citoyenneté et de démocratie. Voilà pourquoi nous avons la conviction que le service public doit être pérennisé, conforté et renforcé.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Ensuite, les Français se sont prononcés pour un retour à la véritable nature du service public en commençant par faire en sorte qu'il ne soit plus dépendant des recettes commerciales, c'est-à-dire de la publicité (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) : 68 % des Français approuvent la réduction de la publicité et ils sont largement majoritaires à considérer qu'ils y gagneront en qualité de programmes. Je conçois que vous en ressentiez un certain dépit, mais il faut écouter la parole des Français ! Par ailleurs, c'est une question de volonté politique. Le Premier ministre s'est en effet engagé - c'est une première - à compenser la perte de recettes publicitaires par des crédits dégagés sur le budget de l'Etat. (Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Cela sera confirmé par le Gouvernement pendant nos débats à l'Assemblée.

Vous prétendez que le Gouvernement ne prévoit aucune mesure concernant les producteurs et tous les métiers liés à l'industrie de programmes en France. Si vous aviez bien entendu ce qu'a dit le Premier ministre et ce que j'ai dit moi-même, qui sera confirmé dès la semaine prochaine lors du débat en commission, vous auriez dû constater que ce que nous avons appelé l'effet d'aubaine, c'est-à-dire le transfert de recettes vers les chaînes privées, fera l'objet de mesures d'écrêtement et que celles-ci iront vers l'industrie des programmes et les producteurs. Cette réforme sera donc utile aux Français.

Elle sera utile au service public et à l'industrie de programmes.

Enfin, au moment où le groupe français de télévisions publiques doit affronter la concurrence avec les chaînes privées, où il doit être à la hauteur de la BBC et des chaînes allemandes, il faut le doter d'une structure plus forte, lui donner les moyens d'intervenir dans les négociations de droit et d'assurer le développement technologique, notamment le passage à la télévision numérique.

Dans l'esprit de la résolution qui a été votée à l'unanimité, la semaine dernière, à l'initiative de la France, au Conseil des ministres européens de la culture et de la communication, nous considérons que le service publique audiovisuel est une nécessité en Europe et que les Etats sont compétents en matière d'organisation et de financement. La France, et nous en sommes fiers, sera le premier pays à doter son groupe de télévisions publiques de la force et de l'esprit de compétitivité nécessaires pour assurer sa pérennité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur quelques bancs du groupe communiste.)

LEVÉE DE L'EMBARGO

SUR LA VIANDE BOVINE BRITANNIQUE

M. le président.

La parole est à M. François Sauvadet.

M. François Sauvadet.

Je voudrais tout d'abord faire observer à Mme Trautmann qu'elle n'a pas répondu à la question de M. Leroy concernant Mme Bredin.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

M. André Santini.

Voilà !

M. François Sauvadet.

Malgré vos explications, monsieur le ministre de l'agriculture - nous avons eu le sentiment que vous tentiez de justifier l'injustifiable -, personne ne comprend aujourd'hui en France la position du Gouvernement, qui s'est abstenu sur une question aussi essentielle pour l'avenir de nos éleveurs que pour la consommation de viande bovine. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

En effet, comme vous l'avez rappelé vous-même, l'Allemagne a voté contre la levée de l'embargo sur la viande bovine britannique, estimant qu'elle était tout à fait prématurée. Les responsables professionnels, les consommateurs et l'Union française des consommateurs ont manifesté leur inquiétude et ont aussi jugé cette décision prématurée. J'ai donc une question toute simple à vous poser, monsieur le ministre, celle que se pose le pays.

M. Christian Bataille.

Il a déjà répondu !

M. François Sauvadet.

Ou des incertitudes pèsent toujours sur les importations de viande bovine britannique et il fallait voter contre la levée de l'embargo, ou de telles incertitudes n'existent pas et il fallait voter pour. Mais en tout état de cause, une grande puissance agricole comme la France ne peut se contenter d'une abstention qui, in fine , jette le trouble dans les esprits.

Nous attendons donc de vous une vraie réponse.

C'était en effet votre premier rendez-vous européen et vous en revenez avec une abstention ! Pour un grand pays agricole comme le nôtre, je m'interroge sur la suite des négociations ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

M. Jean Glavany, ministre de l'agriculture et de la pêche.

Monsieur Sauvadet, je le répète : la position du gouvernement français est parfaitement conforme aux engagements pris par le chef de l'Etat et le chef du précédent gouvernement à Florence, en 1996.

M. Christian Bataille.

C'est vrai !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

C'est vous, en l'occurrence le gouvernement que vous souteniez, qui avez fixé, à ce sommet, les conditions de levée d e l'embargo en confiant cette responsabilité à la Commission européenne, à charge pour les gouvernements de la contrôler. La position du Gouvernement est donc parfaitement conforme à cette règle du jeu ! Vous me dites qu'il fallait faire comme l'Allemagne.

Monsieur Sauvadet, je vous enverrai le compte rendu de la déclaration du ministre allemand, qui après avoir rendu hommage à la fois aux efforts faits par les Britanniques et à la qualité du dispositif mis en place par l'Union européenne pour lever cet embargo, a dit que c'était à contrecoeur qu'il votait contre mais qu'il avait un mandat impératif dans ce sens. Au fond, monsieur Sauvadet, il y avait une large majorité pour reconnaître qu'il n'y a plus de risques.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Pensez-vous que le gouvernement français ou les autres gouvernements de l'Union auraient pris le moindre risque ? Si nous nous sommes abstenus, c'est pour deux raisons que j'ai essayé de vous expliquer tout à l'heure, mais vous n'avez pas écouté.

D'abord, nous avons demandé à être associés aux contrôles et nous voulions des engagement de la part de la Commission. Elle les a pris.

M. Philippe Auberger.

Blablabla !

M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.

Nous attendons la mise en place de ces contrôles pour pouvoir juger sur pièces.

Ensuite, si nous nous sommes abstenus, c'est justement pour éviter un renversement de majorité qualifiée. Nous voulions que la responsabilité ne soit pas transmise aux ministres, qu'elle reste à la Commission, comme l'avait souhaité le gouvernement que vous souteniez en 1996.

Tout cela est parfaitement clair et justifie la position du gouvernement français. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons aux questions du groupe communiste.

URGENCE SOCIALE

M. le président.

La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

Mme Muguette Jacquaint.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, l'actualité récente de notre pays est marquée par la mort de femmes et d'hommes victimes certes du froid, mais avant tout de la misère - manque de soins, de logement et de nourriture.

Les raisons qui ont amené les nôtres à demander de faire vite et de discuter d'un texte de loi contre l'exclusion amènent aujourd'hui à mettre en place très rapidement toutes les mesures découlant de cette loi contre l'exclusion.

Mais des mesures d'urgence s'imposent, madame la ministre : réformer le numéro d'appel 115, accroître les moyens des organisations et associations caritatives qui distribuent par milliers des repas chauds ainsi que ceux des services d'urgence des hôpitaux, qui dispensent les premiers soins aux familles les plus défavorisées et sont aujourd'hui débordés.

Madame la ministre, c'est une question de solidarité, mais c'est aussi une question de responsabilité nationale : ne pourrait-on pas consacrer l'argent, car il en existe dans notre pays, à répondre aux urgences des plus défavorisés ? (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Madame la députée, vous avez raison de dire que ceux qui meurent ou même ceux qui passent en hiver la nuit sur le trottoir ne sont que l'aspect le plus dramatique et le plus scandaleux de la misère qui existe dans notre pays. C'est la raison pour laquelle, en s'appuyant sur le travail, l'expérience et les propositions des associations, la majorité a voté cette loi relative à la lutte contre les exclusions.

Aujourd'hui, la quasi-totalité des textes d'application sont sortis. Certains sortiront avant la fin de la semaine.

Les jeunes qui sont les plus éloignés de l'emploi sont rentrés, depuis le début octobre, dans le programme TRACE. Plus de 35 000 chômeurs de longue durée et


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

RMIstes sont déjà reçus par l'ANPE pour envisager des parcours et des accompagnements de longue durée destinés à les ramener vers l'emploi.

Les crédits consacrés à l'urgence sociale ont augmenté de 60 % en 1998-1999. Nous travaillons actuellement, B ernard Kouchner et moi-même, à consolider les urgences sociales à l'hôpital dont vous venez de parler, car c'est une nécessité absolue.

Madame la députée, je partage complètement votre point de vue. Au-delà du travail engagé avec les associations, au-delà de la mise en place des commissions d'urgence dans les départements, je voudrais profiter de votre question pour déplorer que de nombreux présidents de conseils généraux n'aient pas encore accepté de se mettre autour de la table avec les préfets, l'UNEDIC et les collectivités locales...

M. Félix Leyzour.

C'est scandaleux !

Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

... afin de coordonner l'ensemble de nos moyens et afin que l'urgence sociale n'existe plus dans notre pays.

Il faut répondre aux demandes de logement, aider au paiement des loyers et éviter les coupures d'eau, de gaz ou d'électricité ; il n'y en aura d'ailleurs plus grâce à la loi relative à la luttre contre les exclusions. Il faut aussi aider ceux qui ne peuvent plus payer la cantine scolaire, par exemple. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Il faut absolument avancer sur tous ces problèmes dans les jours qui viennent, car il n'est pas acceptable que certains départements refusent encore de se mettre autour de la table.

Voilà ce que nous inspire la mort de ces personnes.

Celles qui sont mortes dans la rue nous renvoient aux dizaines de milliers d'autres qui sont dans la misère et auxquelles la loi relative à la lutte contre les exclusions, qui, je l'espère va nous mobiliser tous, devrait éviter d'en arriver à de telles extrémités. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en revenons à une question du groupe Radical, Citoyen et Vert.

VICTIMES DE L'AMIANTE

M. le président.

La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret.

Madame la ministre de l'emploi et de la solidarité, des salariés ont été accablés depuis des décennies par la maladie, par le cancer, pour avoir respiré dans leur entreprise de la poussière d'amiante. C'est tout à l'honneur du Gouvernement, et plus particulièrement à v otre honneur, d'avoir décidé les 29 juillet et 19 novembre 1998 d'apporter deux réponses à ce fléau de santé publique et industrielle : en prévenant les expositions pouvant créer de nouveaux drames et en réparant les préjudices causés par l'amiante.

Pour la première fois en France, les travailleurs âgés de cinquante ans et atteints par les maladies liées à l'amiante pourront prendre leur préretraite ; à cette occasion, seront bonifiées de 33 % les années passées au contact de l'amiante.

Vous avez donc décidé, madame la ministre, et nous vous en félicitons, de créer un fonds spécial d'indemnisation. Ces mesures ont été accueillies par les victimes comme la réparation d'une injustice douloureuseusement vécue.

Cependant, une question se pose : à partir de quelle date les ouvriers de l'amiante pourraient-ils partir en préretraite, compte tenu des formalités à remplir ? (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité.

Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité.

Monsieur le député, vous connaissez bien ce sujet puisque beaucoup de salariés de l'amiante travaillent à C ondé-sur-Noireau, dans votre circonscription. Vous avez, comme Jean-Yves Le Déaut, qui a préparé au nom du Parlement - à la suite d'ailleurs de Christian Daniel, l'ancien député des Côtes-d'Armor - un rapport sur les conséquences de l'amiante sur les salariés, appelé très souvent l'attention du Gouvernement sur ce problème.

Bernard Kouchner et moi-même avons demandé un rapport au professeur Got. Depuis un an, nous agissons inlassablement, d'abord pour continuer l'action de prévention : des décrets imposant de prendre, dans les opérations de démolition, les précautions nécessaires pour éviter les maladies de l'amiante seront publiés début janvier ; ensuite pour répertorier la présence d'amiante dans l'ensemble des bâtiments afin de pouvoir la gérer dans les années qui viennent.

Nous agissons aussi pour améliorer la réparation. Ainsi, la loi de financement de la sécurité sociale, actuellement en discussion au Parlement, prévoit la réouverture de l'ensemble des dossiers constitués pour faire reconnaître une maladie professionnelle liée à l'amiante. Par ailleurs, et ce dossier sera traité en priorité, la réparation inscrite dans les tableaux professionnels s'imposera dorénavant aux caisses de sécurité sociale et les rentes versées aux salariés concernés seront revalorisées. Nous avons enfin pris une mesure sans précédent, nécessitée par le drame des maladies causées par l'amiante, en accordant la préretraite aux salariés qui sont déjà atteints par une maladie liée à l'amiante et à ceux qui ont travaillé au coeur de la transformation de l'amiante.

Je déposerai jeudi, au nom du Gouvernement, un amendement au projet de loi de financement de la sécurité sociale prévoyant la participation de la sécurité sociale et de l'Etat au financement de cette mesure, dont le coût s'élève à 600 millions de francs et qui concerne 4 000 personnes qui pourront partir en préretraite dès que ces textes seront votés, c'est-à-dire avant la fin de l'année. Dès le 1er janvier, je l'espère, ceux qui aujourd'hui souffrent et attendent cette mesure avec impatience pourront prendre leur préretraite. La nation leur doit bien cela, même si c'est bien peu au regard de l'importance de leurs souffrances et de la gravité de leur maladie.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert).

M. le président.

Nous en avons terminé avec les questions au Gouvernement.

3 MODIFICATION DE L'ARTICLE 88-2 DE LA CONSTITUTION Discussion d'un projet de loi constitutionnelle

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi constitutionnelle modifiant l'article 88-2 de la Constitution (nos 1072, 1212).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, le Gouvernement souhaite que le Parlement ratifie le traité d'Amsterdam signé le 2 octobre 1997.

Ce traité, même s'il n'apporte pas toutes les réponses, notamment sur la réforme des institutions, constitue une avancée significative de l'Union qui va dans le sens de notre conception de l'Europe.

Pierre Moscovici vous parlera plus en détail du contenu du traité. Pour ma part, je relèverai brièvement les progrès réels qu'il va permettre à l'Union européenne de réaliser, à savoir l'intégration, dans le traité, de la charte sociale européenne ; d'un chapitre emploi ; de l'acquis de Schengen, progrès substantiels dans le domaine de la justice et de la sécurité intérieure.

Si l'accord de Schengen de 1985 et le traité de Maastricht de 1992 ouvraient la voie, le traité d'Amsterdam constitue une avancée fondamentale pour les citoyens de l'Union. Il devrait nous permettre de nous rapprocher de ce véritable « espace de liberté, de sécurité et de justice » qu'il délimite.

En effet, la libre circulation des personnes à l'intérieur de l'Union européenne impose aux Etats membres de se doter de règles communes relatives au franchissement de ses frontières extérieures. Le renforcement constant de la coopération policière et pénale en matière de terrorisme, de lutte contre la drogue, de blanchiment d'argent ou la simplification des procédures d'extradition rend indispensables ces règles communes. De même, nous le voyons, une politique commune de maîtrise des mouvements de migration des populations devient nécessaire.

Cette coopération, qui a déjà été amorcée dans l'Union européenne, a d'abord été intergouvernementale, grâce à la convention de Schengen. Mais nous savons que, et même si elle est utile, face à ces défis de plus en plus présents, la coopération intergouvernementale est trop lente, et donc peu efficace. On le voit avec l'Italie, qui a beaucoup de mal à faire face à l'afflux des réfugiés kurdes.

Aucun pays de l'Union ne peut aujourd'hui prétendre mener une politique efficace dans ces domaines de la justice et des affaires intérieures si certaines pratiques ne sont pas harmonisées.

C'est un objectif politique majeur que l'Union européenne se donne, et c'est en même temps une nécessité pratique pour améliorer la vie des citoyens de l'Union.

Grâce au traité d'Amsterdam, il sera possible d'utiliser les procédures communautaires qui permettent d'accélérer les décisions et de renforcer le contrôle démocratique, en les appliquant à une partie du troisième pilier, qui concerne précisément la sécurité et la justice - je pense notamment aux questions relatives aux visas, à l'asile, à l'immigration et aux autres politiques liées à la libre circulation des personnes.

Plus encore, dans le domaine de la justice, de la vie quotidienne, familiale, commerciale, de la vie civile en général, les citoyens de l'Union ont besoin d'avancées plus marquées. Par exemple, en ce qui concerne le traitement des litiges au sein des couples mixtes, illustrés douloureusement par l'actualité récente, il convenait de simp lifier et d'harmoniser les procédures. Le traité d'Amsterdam permet d'avancer dans cette voie.

Je n'oublie pas, enfin, que le socle de ces nouvelles avancées - intégration de l'acquis de Schengen, communautarisation des matières de droit privé - est constitué par l'affirmation des libertés et droits fondamentaux dans l'Etat de droit européen. A cet égard, je crois qu'il est essentiel que le traité d'Amsterdam se réfère explicitement à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et renforce le rôle de la Cour de justice de Luxembourg.

L'ensemble de ces avancées très importantes, que je viens d'esquisser trop brièvement, mais sur lesquelles Pierre Moscovici reviendra plus longuement, n'ont pas fait l'objet de remarques globales de la part du Conseil constitutionnel, pas plus d'ailleurs que le très important protocole sur le droit d'asile pour les ressortissants de l'Union ; celui-ci considère comme sûrs les pays de l'Union les uns vis-à-vis des autres, mais comporte cependant une clause de sauvegarde.

Par conséquent, si nous sommes amenés à réviser la Constitution aujourd'hui, c'est en raison d'une partie du traité, certes importante en valeur, mais réduite quant à son champ.

C'est aussi la raison pour laquelle le Gouvernement vous propose une révision de la Constitution modeste, voire minimale, en tout cas très exactement calquée sur les remarques et les observations du Conseil constitutionnel.

Je rappellerai brièvement la décision du Conseil constitutionnel. Comme cela a été le cas en 1992 pour le traité de Maastricht, le Conseil a été saisi du traité d'Amsterdam, le 4 décembre 1997, conjointement par le Président de la République et le Premier ministre, sur le fondement de l'article 54 de la Constitution. Cette saisine tend à devenir d'ailleurs une étape normale de la ratification des traités européens.

Le Conseil constitutionnel devait se prononcer sur le fait de savoir si l'autorisation de ratifier le traité d'Amsterdam devait être précédée d'une révision de la Constitution. Il a jugé que le traité, dans son ensemble, était conforme à la Constitution sauf sur un point relatif aux

« visas, à l'asile, à l'immigration et aux autres politiques liées à la libre circulation des personnes ».

Cette décision est dans la droite ligne de la jurisprudence du Conseil constitutionnel telle qu'elle a été fixée depuis sa décision du 9 avril 1992, « dite Maastricht I ».

En effet, la haute juridiction a élaboré une méthode fondée sur un faisceau d'indices pour déterminer si less tipulations d'un traité peuvent porter atteinte aux

« conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale ».

Le premier critère retenu par la haute juridiction est celui du domaine concerné par le transfert de compétences, et plus exactement son caractère « régalien ».

Le deuxième critère concerne l'ampleur concrète des transferts consentis : s'agit-il d'un pur et simple abandon de compétences ou de l'ouverture d'une compétence partagée pour un exercice en commun ? Enfin, le troisième critère est celui des modalités d'exercice de la compétence transférée. Par exemple, est décisif pour le Conseil constitutionnel le fait de savoir si, pour le domaine considéré, on maintient le vote à l'unanimité du Conseil des ministres ou bien si l'on passe au vote à la majorité qualifiée et à la procédure de codécision avec le Parlement européen.

Le Conseil constitutionnel a jugé, en appliquant très simplement ces trois critères, que constituait un transfert de compétences l'application éventuelle, dans cinq ans, de la procédure de codécision au profit du Parlement européen et de la majorité qualifiée au sein du Conseil de


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

l'Union européenne dans les domaines suivants : le franchissement des frontières intérieures de la Communauté européenne ; les modalités de contrôle des personnes aux frontières extérieures de l'Union ; les politiques d'asile et d'immigration.

De même, le Conseil a considéré que le passage automatique à la règle de la majorité qualifiée et à la procé dure de codécision pour les conditions de délivrance des visas de court séjour et pour la procédure uniformisée de délivrance des autres visas constitue une modalité nouvelle de transfert de compétences allant plus loin que celle qui faisait l'objet de l'article 100 C du traité de Maastricht.

Il faut donc, si l'on veut ratifier le traité d'Amsterdam, modifier la Constitution sur ces points pour la rendre compatible avec le traité.

Le projet de loi constitutionnelle qui vous est soumis tend ainsi à modifier et à compléter l'article 88-2 de la Constitution.

Actuellement, cet article ne concerne que la détermination des règles relatives au franchissement des frontières extérieures de l'Union, c'est-à-dire, concrètement, la délivrance des visas aux ressortissants des Etat tiers. La nouvelle rédaction de l'article 88-2 proposée par le Gouvernement permettra, plus largement, que puissent « être consentis les transferts de compétences nécessaires à la détermination des règles relatives à la libre circulation des personnes et aux domaines qui lui sont liés ». Cette formulation renvoie très directement à l'intitulé du titre III A du traité d'Amsterdam et ajoute aux visas la possibilité de transférer des compétences en matière d'asile et d'immigration.

C'est en effet au titre III A que figurent les articles que le Conseil constitutionnel a considérés comme affectant les conditions essentielles de l'exercice de la souveraineté.

Par conséquent, la rédaction qui vous est proposée pour l'article 88-2 se situe au plus près des révisions nécessaires pour rendre la Constitution compatible avec le traité d'Amsterdam.

Cette nouvelle rédaction suscite des débats dans votre assemblée.

M. Bernard Pons.

C'est normal !

Mme la garde des sceaux.

C'est bien normal, en effet.

Certaines propositions formulées ici ou là visent à imposer un nouveau débat parlementaire quand le Gouvernement sera amené, dans cinq ans, à arrêter ses options. C'est dans cinq ans, en effet, que le Gouvernement décidera souverainement si, oui ou non, l'Union européenne peut passer, dans ces domaines, au vote à la majorité qualifiée et à la codécision, puisque la décision de passage devra être prise à l'unanimité. Si le gouvernement français s'y oppose, cette avancée-là n'aura donc pas lieu.

Certains ont suggéré que le peuple, par référendum, ou par l'intermédiaire de ses représentants, puisse se prononcer. D'autres souhaitent que le passage à la procédure de codécision soit autorisé par une loi ou une loi organique votée dans les mêmes termes par les deux assemblées.

Mais je dois dire que si nous subordonnions aujourd'hui l'action du Gouvernement, dans cinq ans, à une nouvelle décision, nous rendrions totalement inutile et inopérante la révision constitutionnelle à laquelle nous sommes en train de procéder.

M. Hervé de Charette.

Evidemment !

Mme la garde des sceaux.

Je voudrais attirer votre attention sur le fait que, si nous révisons la Constitution aujourd'hui, c'est bien parce que le Conseil constitutionnel a souligné que, demain, le passage de la règle de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée et à la procé dure de codécision ne nécessitera, le moment venu, aucun acte de ratification ou d'approbation nationale, mais seulement une décision du Conseil de l'Union qui ne pourra pas faire l'objet d'un contrôle de constitutionnalité sur le fondement de l'article 54 ou de l'article 61, alinéa 2, de la Constitution.

Le traité contient bien des stipulations qui produisent un effet différé, mais il nous appartient de le ratifier aujourd'hui. Nous ne pouvons pas attendre cinq ans, d'abord parce que nous avons la volonté politique de ne pas faire attendre nos partenaires de l'Union et que nous ne serons pas, à ma connaissance, parmi les tout premiers à procéder à la ratification.

M. Hervé de Charette.

Nous sommes même parmi les derniers, hélas !

Mme la garde des sceaux.

Ensuite, parce que le traité contient d'autres stipulations qui sont d'effet immédiat.

C'est bien parce que, dans cinq ans, aux termes des stipulations du traité d'Amsterdam, il sera de la seule compétence des gouvernements des Etats membres de décider, au sein du Conseil de l'Union, si nous passons de la procédure de l'unanimité à celle de la majorité qualifiée dans les domaines que je viens de citer, et si nous donnons au Parlement européen pouvoir de codécision, qu'il est aujourd'hui nécessaire de réviser la Constitution.

M. Hervé de Charette.

Nous sommes d'accord !

Mme la garde des sceaux.

D'ailleurs, dans cinq ans, le Parlement français pourra toujours voter une résolution pour donner son avis au Gouvernement.

M. Pierre Lellouche.

Nous sommes sauvés !

Mme la garde des sceaux.

Avant d'aborder les autres modifications constitutionnelles, je précise qu'il est tout à fait normal, évidemment, que les parlementaires exercent le droit d'amendement que leur confère la Constitution.

M. Pierre Lellouche.

C'est trop de bonté !

Mme la garde des sceaux.

Il est également tout à fait normal que le Parlement souhaite exercer un droit de regard sur les textes européens, car ceux-ci ont une influence sans cesse croissante dans notre vie nationale.

M. Pierre Lellouche.

Vraiment trop aimable !

Mme la garde des sceaux.

Mais il est non moins normal que le Gouvernement veille à ce que les équilibres constitutionnels soient respectés.

M. Hervé de Charette.

Je partage ce point de vue.

Mme la garde des sceaux.

C'est pourquoi, au nom du Gouvernement, j'examinerai les amendements qui seront proposés avec un principe simple et clair : il ne convient pas qu'à l'occasion de ce débat sur un traité européen, nous modifions l'équilibre des pouvoirs entre le Gouvernement et le Parlement, tel qu'il est défini par la Constitution.

M. Edouard Balladur et M. Bernard Pons.

Ce n'est pas le problème !

Mme la garde des sceaux.

Certains peuvent penser qu'il serait nécessaire d'accroître le rôle du Parlement.

C'est en effet, un sujet important, et c'est bien pourquoi


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

on ne peut l'aborder de biais, à l'occasion d'une révision constitutionnelle qui a un tout autre objet : permettre la ratification d'un traité européen.

M. Pierre Lellouche.

Quand voulez-vous l'aborder ?

M. René André.

Eh oui ! Ce n'est jamais le bon moment !

Mme la garde des sceaux.

Le Gouvernement estime donc tout à fait légitime que ces questions soient posées, mais il n'entend pas qu'elles soient traitées de manière annexe ou subrepticement. Si, un jour, on décidait de modifier la Constitution de 1958 pour aménager autrement les rapports entre le Parlement et le Gouvernement, il faudrait le faire en toute clarté, à l'occasion d'un débat qui leur soit entièrement consacré.

Cela dit, j'ai vu les amendements qui avaient été déposés et je voudrais m'exprimer en priorité sur le seul qui ait été proposé par votre rapporteur, et d'ailleurs retenu par la commission des lois. Il porte sur l'article 88-4 de la Constitution et concerne l'information et le droit de regard du Parlement.

L'ensemble des rapports parlementaires consacrés aux problèmes européens soulignent la nécessité que l'information du Parlement soit améliorée et que celui-ci puisse voter des propositions de résolution sur la construction européenne en général.

D'ailleurs, l'un des protocoles annexés au traité d'Amsterdam est consacré au rôle des parlements nationaux dans l'Union européenne. Dans ce protocole, les parties contractantes rappellent qu'elles sont désireuses d'encourager une participation accrue des parlements aux activités de l'Union et de renforcer leur capacité à exprimer leur point de vue. M. de Charette, naturellement, plus que tout autre ici peut-être, a une connaissance approfondie de ce texte.

M. Hervé de Charette.

Merci, madame la ministre.

Mme la garde des sceaux.

L'amendement présenté par M. Nallet au nom de la commission des lois va dans ce sens. Il tend à modifier l'article 88-4 permettant au Parlement de se prononcer sur les projets ou propositions d'actes des Communautés et de l'Union européenne. En clair, le Parlement pourrait adopter des résolutions portant sur l'ensemble de la construction européenne, c'est-àdire non seulement sur le premier pilier, mais aussi sur le deuxième, qui concerne la politique étrangère et de sécurité commune, et sur le troisième, qui concerne la coopération en matière policière et judiciaire.

Le Gouvernement n'est pas défavorable à un tel amendement mais il considère - comme d'ailleurs M. Nallet, qui l'explique très bien dans son excellent rapport - qu'il convient de conserver le critère de la nature législative des propositions d'actes de façon à respecter le champ de compétence législative déterminé par l'article 34 de la Constitution.

A cet égard, il convient de bien faire la distinction entre les documents transmis pour information et les propositions d'actes de nature législative sur lesquelles le Parlement vote des propositions de résolution.

Bien entendu, il va de soi, mais c'est un problème différent, que le Parlement est entièrement informé de tous les documents émanant de la Commission européenne, tels les livres blanc et vert et les documents d'orientation, comme cela résulte de la loi du 10 mai 1990 adoptée à l'initiative de M. Josselin, alors président de la délégation pour les Communautés européennes.

Faut-il d'autres propositions de modifications constitutionnelles ? Un amendement suggère de permettre au Conseil constitutionnel de contrôler la constitutionnalité des actes communautaires dérivés, c'est-à-dire en clair des directives ou des règlements européens.

M. Pierre Lellouche.

Est-ce un crime ?

Mme la garde des sceaux.

Des propositions de loi ont d'ailleurs été déposées en ce sens par le passé.

J'aurai l'occasion de revenir plus longuement à cette question lors de l'examen des amendements, mais il est clair qu'un contrôle de constitutionnalité du droit dérivé n'est pas conforme à l'esprit de nos engagements communautaires...

M. Pierre Lellouche.

Curieuse analyse !

Mme Nicole Catala.

Elle ne tient pas !

Mme la garde des sceaux.

... et ce pour deux raisons au moins.

Premièrement, l'institution de la Communauté européenne implique un système de droit autonome. Que serait en effet une Union dans laquelle chaque pays opposerait son système de droit interne aux actes qui découlent nécessairement des traités que les gouvernements ont signés et ratifiés, traités qui, par ailleurs, font l'objet d'un contrôle de constitutionnalité, nous le voyons bien aujourd'hui ?

Mme Nicole Catala.

Le droit dérivé, ce n'est pas le traité : ne confondez pas tout !

Mme la garde des sceaux.

De plus, le système de droit institué par la Communauté permet aux Etats d'attaquer devant la Cour de justice de Luxembourg les actes de droit dérivé qui ne seraient pas conformes au traité.

Nous avons donc une construction juridique quis'emboîte parfaitement : le Conseil constitutionnel contrôle la constitutionnalité du traité ; une fois celle-ci établie, la conformité au traité des actes de droit dérivé peut être contrôlée par la Cour de justice des Communautés européennes.

Mme Nicole Catala.

Vous bafouez la Constitution !

M. Pierre Lellouche.

C'est grave pour un ministre de la justice !

Mme la garde des sceaux.

La deuxième raison, c'est que l'Union européenne, notamment dans le traité d'Amsterdam, s'est engagée à respecter les droits fondamentaux tels qu'ils sont formulés dans la convention européenne des droits de l'homme. Par conséquent, les actes de droit dérivé ne peuvent pas porter atteinte aux droits fondamentaux et aux principes généraux résultant des traditions communes des Etats membres. Si, par extraordinaire, tel était le cas, la Cour de justice ne manquerait pas de sanctionner ces dérives.

M. Pierre Lellouche.

Incroyable !

M. Richard Cazenave.

C'est un chef-d'oeuvre de technocratie !

Mme la garde des sceaux.

En conclusion, le projet de loi constitutionnelle que le Gouvernement vous soumet tire strictement et exactement les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel du 31 décembre 1997.

Le Gouvernement n'est pas opposé à ce qu'au-delà de la modification de l'article 88-2 de la Constitution, on permette au Parlement de se prononcer sur l'ensemble des trois piliers de la construction communautaire, à condition que le critère de la nature législative des textes qui y concourent soit respecté.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

M. Pierre Lellouche.

Cela n'a aucun sens en droit européen !

Mme la garde des sceaux.

Enfin, je crois qu'il faut se garder de toute modification constitutionnelle qui, sans être rigoureusement exigée pour ratifier le traité d'Amsterdam, mettrait en cause les équilibres institutionnels définis par la Constitution de 1958. Je rappelle qu'ils concernent au premier chef les pouvoirs du chef de l'Etat, ceux du Gouvernement et ceux du Parlement.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme Nicole Catala.

C'est un comble d'entendre un garde des sceaux socialiste en appeler aux principes de 1958 ! (M. Michel Péricard remplace M. Laurent Fabius au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. MICHEL PÉRICARD,

vice-président

M. le président.

La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, nous engageons aujourd'hui - Elisabeth Guigou vient de l'introduire - le débat en vue de réviser l'article 88-2 de la Constitution. C'est un rendez-vous important, car il n'est jamais anodin de modifier notre loi fondamentale. Pourtant, je voudrais souligner d'emblée que cette révision doit être clairement replacée dans son contexte, qui justifie qu'elle soit bien circonscrite. Il s'agit d'un préalable, et seulement d'un préalable, au règlement d'une autre question que nous ne devons pas perdre de vue : la ratification du traité d'Amsterdam.

Ne nous trompons ni d'objectif ni de débat : nous nous sommes engagés, le Président de la République et le Premier ministre, qui étaient côte à côte à Amsterdam, se sont engagés à ce que la France ratifie ce traité. C'est donc cela que nous devons avoir à l'esprit, et la révision constitutionnelle dont nous débattons aujourd'hui ne saurait être considérée comme un acte séparé. Elle découle directement du traité d'Amsterdam, dont la négociation était, pour l'essentiel, achevée lorsque le gouvernement de Lionel Jospin s'est mis en place.

Ce traité est très imparfait. Nous le savons, nous l'avons dit.

M. Hervé de Charette.

C'est vous qui l'avez signé ! (Sourires.)

M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Il a fait, depuis sa signature, le 2 octobre 1997, l'objet de nombreux commentaires critiques, souvent fondés, parfois excessifs. Pour autant, je ne suis pas certain que son contenu véritable soit bien connu. Il est vrai que son abord est malaisé, puisqu'il est constitué, comme c'est toujours le cas, d'une série d'amendements aux traités existants. Au-delà de cet aspect forcément rébarbatif, son contenu n'est pas entièrement satisfaisant. Il comporte notamment, et vous le savez bien, monsieur de Charette, une lacune majeure : l'absence de réforme institutionnelle.

M. Hervé de Charette.

En effet ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Mais je veux être franc, d'autant plus que ce traité, je l'ai dit, a été négocié par d'autres : le traité d'Amsterdam n'est pas si mauvais. Il comporte des avancées utiles dont nous nous sommes déjà emparés, et si je devais porter un jugement global, je dirais qu'il pèche davantage par ce qui lui manque que par les dispositions qu'il contient.

M. Gérard Gouzes.

Très juste ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

J'aimerais donc insister d'abord sur ce que le traité contient et sur ce qu'il apporte : il est, à mon sens, à la fois un complément et une correction au traité de Maastricht.

En quoi corrige-t-il le traité de Maastricht ? D'abord, en contrebalançant la dimension fortement monétaire - certains diraient monétariste, même si c'est contestable du traité de 1992. Vous le savez, à Maastricht, l'avancée majeure était la monnaie unique et la définition des conditions pour y parvenir. De ce fait, le processus de la construction européenne s'est trouvé, pendant plusieurs années, presque exclusivement centré sur la dimension financière à travers les critères de convergence.

Permettez-moi, pour écarter toute confusion, de préciser à ce propos qu'il ne faut pas confondre le traité d'Amsterdam et le pacte de stabilité formellement adopté, lui aussi, lors du Conseil européen d'Amsterdam. Ce sont deux textes totalement distincts et de nature fondamentalement différente.

Le pacte de stabilité avait été négocié à Dublin, en décembre 1996, et il n'était pas renégociable. Nous n'avons donc pu procéder que par « amendements séparés », en faisant adopter un texte complémentaire et de valeur identique, rééquilibrant le pacte de stabilité. Ce fut la résolution sur la croissance et l'emploi. Cette initiative a été à l'origine d'une prise de conscience de ce que l'Europe peut faire pour favoriser l'emploi et la cohésion sociale. Elle a permis que certaines dispositions du traité soient mises en oeuvre par anticipation et elle a conduit,s ur proposition de la France, à la tenue, en novembre 1997, d'un sommet extraordinaire consacré à l'emploi - le premier du genre.

M. Pierre Lellouche.

Et on a vu que cela avait tout changé ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Cette démarche est, au demeurant, en parfaite cohérence et complémentarité avec le traité d'Amsterdam puisque celui-ci, et c'est son premier apport, comporte un chapitre entièrement nouveau consacré à l'emploi, à la coordination et au suivi des politiques nationales dans ce d omaine ainsi qu'au développement d'une stratégie commune européenne. L'union monétaire est ainsi clairement rééquilibrée, la stabilité économique et la lutte pour l'emploi étant mises sur le même plan politique.

Ce rééquilibrage, le Gouvernement n'a eu de cesse, depuis sa constitution, en juin 1997, de le promouvoir.

Nous avons pesé pour que l'euro se fasse dans des conditions conformes à ce que nous avions proposé aux Français pendant la campagne des élections législatives. Et l'euro existera bien, au 1er janvier prochain, dans des conditions qui permettent à nos concitoyens de s'y reconnaître - il est clair d'ailleurs, enquête d'opinion après enquête d'opinion, que c'est déjà le cas. L'euro sera un euro large, incluant onze Etats. Aux côtés de la Banque centrale indépendante, il y a maintenant une instance politique, le conseil de l'euro dont le rôle sera de coordonner étroitement les politiques économiques.

M. Pierre Lellouche.

Sur quelle base juridique ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Cette coordination se fera en soutien à la croissance et à l'emploi. Avec désormais une nouvelle configuration politique en Europe - qu'on l'apprécie ou pas, c'est un fait politique -, nous avons l'espoir de porter plus loin ces efforts. Au conseil européen informel de Prtschach, s'est ainsi clairement manifesté un nouvel esprit, qui place le soutien à la croissance économique et la lutte contre le chômage au centre de la construction européenne.

J'en reviens au traité d'Amsterdam, pour constater qu'il comporte d'autres avancées. Il comprend ainsi un chapitre social : il s'agit du protocole que nous avions défendu à Maastricht et qui n'avait pu être intégré au traité, à cause du refus de Mme Thatcher et que le gouvernement de Tony Blair a, lui, accepté. Il fait donc partie intégrante du nouveau traité et ses dispositions sur le rapprochement des législations et le dialogue social s'appliqueront à tous. En outre, il est complété par de nouvelles dispositions permettant au Conseil d'adopter à la majorité qualifiée - nous aurons l'occasion d'en reparler des mesures de lutte contre l'exclusion sociale, ainsi que des mesures visant à assurer l'application du principe d'égalité des chances et d'égalité de traitement.

Il y a aussi, toujours dans le champ des droits civiques et sociaux, des dispositions relatives à la santé et à l'environnement, plus contraignantes pour les Etats et donc plus protectrices pour les citoyens, l'affirmation de la spécificité des services publics, qui, vous le savez, sont essentiels pour nous, et la reconnaissance de leur rôle dans la cohésion sociale et territoriale de l'Union : l'actualité, à cet égard, montre combien ces dispositions répondent à une forte nécessité. Il y a encore le renforcement des dispositions relatives aux droits de l'homme et aux libertés fondamentales, le renforcement de la clause de nondiscrimination et du principe d'égalité entre hommes et femmes, ainsi que des droits sociaux fondamentaux. Il y a donc là une série d'avancées dans le droit utiles et positives.

Le traité d'Amsterdam complète aussi, je l'ai dit, le traité de Maastricht. En effet, au-delà de ces avancées vers l'Europe sociale, vers l'Europe des citoyens, il enregistre aussi quelques progrès - encore trop limités - dans un secteur où l'on n'avait pas pu suffisamment avancer à Maastricht : dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune - PESC -, l'Union s'est ainsi dotée de moyens qui renforceront sa capacité d'agir sur la scène internationale.

Elle aura un visage et une voix, grâce à un haut représentant - Mme ou M. PESC - qui doit, pour nous, être un véritable responsable politique.

Elle aura les moyens de définir sa politique. Nous pouvons nous féliciter de l'amélioration des procédures grâce à la création, à l'initiative de la France, d'un nouvel instrument, la stratégie commune, dont les dispositions d'application pourront être adoptées là encore à la majorité qualifiée et qui permettra de définir, de façon globale, les relations de l'Union avec de grands partenaires.

Je pense à la Russie, à l'Ukraine, ou, comme cela a été affirmé lors du récent sommet franco-espagnol, à la Méditerranée.

La capacité d'action de l'Union s'en trouvera renforcée, tant dans le domaine de l'action humanitaire que dans celui du maintien de la paix.

Enfin, le Conseil disposera d'une structure d'analyse et de prévision, outil indispensable à la définition d'une politique étrangère commune.

J'en viens maintenant à ce que l'on appelle, en jargon européen, le troisième pilier, c'est-à-dire à la justice et aux affaires intérieures. En effet, c'est précisément l'un des domaines où le traité d'Amsterdam apporte, par rapport à Maastricht, les compléments les plus importants. Permettez-moi de les énoncer très brièvement, pour couper court aux commentaires excessifs qui ont été faits et qui, à mon sens, témoignent souvent d'une mauvaise interprétation de ces dispositions.

Le traité d'Amsterdam introduit la communautarisation de certaines matières du troisième pilier. En d'autres termes, les politiques liées à la circulation des personnes au sein de l'Union - asile, visa, immigration - sont transférées dans la sphère de compétence communautaire.

Je rappellerai que c'était une proposition du chancelier Kohl, à laquelle le Président de la République avait, dans une lettre commune, donné son accord avant même l'ouverture de la conférence intergouvernementale.

M. Hervé de Charette.

Tout à fait exact ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Tout le travail a consisté, ensuite, à préciser les modalités de cette communautarisation, afin qu'elle se fasse de manière progressive et cohérente, c'est-à-dire en adéquation avec l'objectif de créer un espace de liberté, de sécurité et de justice.

Il faut, à ce sujet, être réaliste, et se garder des grands mots. L'évolution des phénomènes migratoires, telle que nous la vivons aujourd'hui, appelle des réponses non seulement coordonnées, mais assises aussi sur des orientations politiques communes et des mécanismes adaptés.

Seule une harmonisation progressive de nos législations en la matière nous permettra à l'avenir - j'en suis convaincu - de traiter efficacement les problèmes migratoires. Qui peut croire, en effet, qu'il est aujourd'hui possible de maîtriser ces phénomènes en nous repliant derrière nos frontières nationales ? (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

L'actualité de ces derniers mois montre au contraire qu'aucun Etat de l'Union n'est en mesure d'apporter seul une réponse, et qu'il est de notre intérêt de rechercher des solutions communes et équilibrées.

Les dispositifs actuels sont de toute évidence insuffisants. Schengen fonctionne plutôt bien, mais ne couvre pas tous les Etats membres. Et, dans le troisième pilier actuel, les instruments juridiques ne sont pas assez efficaces : les actions communes sont trop peu contraignantes pour les Etats membres ; les conventions sont trop lourdes à négocier et trop longues à mettre en oeuvre.

A vec le traité d'Amsterdam, ces matières seront communautarisées, mais le passage au vote à la majorité qualifiée ne se fera que dans cinq ans, et à condition que le Conseil en décide ainsi à l'unanimité. Il s'agit donc d'une éventualité.

M. Pierre Lellouche.

En effet, c'est une éventualité !

M. Richard Cazenave.

Il faudra donc en reparler ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Comme vous l'a dit Elisabeth Guigou, c'est dans cette perspective que nous devons aujourd'hui modifier la Constitution.

Sur le fond, il faut se garder de diaboliser cette communautarisation, du seul fait qu'elle touche les politiques d'immigration.

D'abord, on ne part pas de rien. L'intégration de Schengen dans le traité permettra de bénéficier des bienfaits, mais aussi de corriger les lacunes d'un dispositifs qui


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a fait ses preuves. Ensuite, le passage à la majorité qualifiée sera une avancée, car c'est le seul moyen de progresser dans la construction européenne, nous le savons tous.

D'ailleurs, nous revendiquons tous, ici, ce passage à la majorité qualifiée lorsque nous parlons de la réforme des institutions européennes.

M. Jacques Baumel.

Non pas tous ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Pourquoi ne l'assumerions-nous pas dans ce domaine ? Je le dis clairement et d'expérience puisque je représente la France au Comité exécutif Schengen : nous avons tout intérêt à harmoniser dès à présent nos politiques sur la base de critères exigeants, qui, ensuite, s'imposeront aux futurs Etat membres.

Hormis ce point, bien sûr essentiel, quelles sont les avancées qu'apporte le traité d'Amsterdam dans le troisième pilier ? Il nous est apparu indispensable que l'Union ait une approche globale qui garantisse l'équilibre entre les mesures destinées à permettre la liberté de circuler et celles propres à assurer la sécurité des citoyens.

Ainsi, pour permettre la mise en place d'un espace de liberté, de sécurité et de justice, et parallèlement aux travaux qui seront menés dans les matières liées à la libre circulation, la sécurité sera renforcée, grâce au développement de la coopération policière et judiciaire. L'accent est mis par le traité d'Amsterdam sur la lutte contre trois grands fléaux : la criminalité organisée internationale, la drogue et le terrorisme.

Un mot enfin sur la coopération judiciaire civile qui est également communautarisée, dans la mesure où elle est liée à la libre circulation au sein du marché intérieur.

Cela permettra des avancées, que nous souhaitons, dans le domaine des conflits touchant les entreprises, mais aussi en droit de la famille.

Le traité comporte toutefois, je vous l'ai dit d'emblée, une lacune essentielle, et qu'il faudra combler rapidement : l'absence de réforme institutionnelle de l'Union européenne. Cette lacune est grave. En effet, la réforme institutionnelle était l'objectif premier de la Conférence intergouvernementale. Or, sur ce plan, aucun des points essentiels n'a pu faire l'objet d'un accord à Amsterdam.

Aujourd'hui, nous devons tous être conscients que cette nécessité, d'ailleurs évoquée dès Maastricht, est devenue une urgence. En effet, alors que le processus d'élargissement de l'Union et lancé, on ne peut plus se permettre de continuer à travailler dans les conditions actuelles. C'est un problème d'ores et déjà pour l'Europe à Quinze qui, à défaut de réforme, connaît des blocages et est trop souvent menacée d'inefficacité. Ce serait un obstacle plus grand encore pour une Europe élargie, qui connaîtrait alors la paralysie et la dilution.

Conscients de cette lacune, nous avons donc, avec nos p artenaires belges et italiens, signé une déclaration annexée au traité, constant l'insuffisance des réformes dans le domaine institutionnel et rappelant que des progrès en la matière devraient être accomplis avant la conclusion des premières négociations d'adhésion. Peu à peu, l'ensemble de nos partenaires s'est rallié à notre position. Cette évolution a pu être actée dès le Conseil européen de Luxembourg, en décembre 1997, et rappelée à Cardiff. Ce principe d'une réforme institutionnelle, avant l'élargissement, est désormais admis par tous en Europe.

Il reste à le traduire dans les faits.

Je tiens à redire avec force, à cet égard, que le Parlement devra avoir la possibilité, lors de la ratification du traité, de s'associer solennellement - et s'il le souhaite par l'adjonction d'un article 2 à la loi de ratification - à l'exigence posée par les autorités françaises, belges et italiennes.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Pierre Lellouche.

Vous êtes trop bon ! Merci ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Mais comment progresser, maintenant, vers cette réforme politique indispensable ? On connaît les réticences de nos partenaires européen. On peut les comprendre et il faut, en tout cas, en tenir compte. Il était difficile, il est vrai, au sortir d'une Conférence intergouvernementale lourde et longue, d'appeler à l'ouverture immédiate d'un nouvel exercice de ce type, et cela, avant même que le traité, à peine signé, ait été ratifié par les quinze Etats membres.

Nous avons donc suggéré, en termes de méthode, de distinguer deux étapes. La première consisterait à mettre en oeuvre les réformes que nous pouvons engager dès à présent, parce qu'elles sont simples et ne demandent aucune modification des traités. Je pense à des améliorations de portée pratique qui concerneraient le fonctionnement du conseil des ministres des affaires étrangères, le Conseil européen, dont la fonction d'impulsion et de coordination doit être confortée, enfin, la Commission qui doit impérativement recouvrer une vraie collégialité afin d'éviter les dérives que nous avons pu constater au cours des derniers mois, du fait d'initiatives intempestives de tel ou tel commissaire.

La seconde étape, ce sont les réformes de fond, qui n'ont pu faire l'objet d'un accord à Amsterdam, mais qui sont indispensables avant tout élargissement. Il s'agit d'abord de réformer la Commission, dont le format doit être revu si nous voulons qu'elle reste ce qu'elle était au départ, c'est-à-dire un organe collégial et efficace. Nous voulons ensuite voir quasiment systématisé le vote à la majorité qualifiée. A notre sens, cette règle doit prévaloir aussi dans des domaines comme l'environnement, l'industrie, la fiscalité et la culture. Enfin, en liaison avec le point précédent, une meilleure pondération des voix au Conseil doit permettre de refléter plus fidèlement l'importance respective des Etats membres.

Sur tous ces aspects, nous avons commencé à travailler, en premier lieu avec le nouveau gouvernement allemand.

Mais, vous le comprendrez, cette réflexion ne pourra prendre un tour formel qu'une fois le traité ratifié par tous les Etats membres. Par ailleurs, il sera difficilement envisageable d'avancer sérieusement sur ce terrain tant que la négociation de l'Agenda 2000 ne sera pas réglée.

Malgré cette lacune sur les points institutionnels fondamentaux, le traité d'Amsterdam apporte, néanmoins, quelques améliorations, que nous ne devons pas négliger.

D'abord, il sera possible de mettre en place ce qu'on a ppelle des coopérations renforcées entre les Etats membres qui souhaiteront aller plus avant dans la construction européenne. Il s'agit là, j'en suis convaincu, d'un élément fondamental pour l'évolution future de l'Europe, puisqu'il permettra aux Etats qui le voudront d'aller ensemble plus loin dans l'approfondissement de l'Union. C'est d'ores et déjà le cas avec la monnaie unique ; ce pourrait être le cas, demain, pour la culture, la recherche ou l'éducation, par exemple.

Grâce au traité d'Amsterdam, le président de la Commission aura plus de poids politique et d'autorité sur le collège, puisque sa nomination devra être approuvée par le Parlement européen et que le président désigné sera associé au choix des autres commissaires.


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Mais il est clair que, des trois grandes institutions de l'Europe, c'est le Parlement européen qui tirera le plus grand bénéfice du traité : grâce à une simplification des procédures et à une extension du champ de la codécision avec le Conseil, il verra son rôle significativement renforcé. C'est une contribution à la réduction du déficit démocratique en Europe, si souvent dénoncé.

Dans le même temps, les parlements nationaux seront plus étroitement associés aux travaux de l'Union. Je voudrais insister sur ce dernier point, qui va me permettre de revenir d'un mot à la révision constitutionnelle.

Le traité d'Amsterdam contient un protocole sur le rôle des parlements nationaux. La France a beaucoup contribué à son adoption. Il nous paraissait fondamental en effet que dès lors que, dans des matières essentielles qui relèvent du domaine législatif, des compétences nouvelles étaient transférées, ou plutôt partagées, les parlements nationaux soient associés plus étroitement aux travaux communautaires.

Ce protocole prévoit d'abord une amélioration des délais de transmission et de consultation, afin de garantir que les parlements nationaux aient véritablement le temps de procéder aux examens nécessaires. Il envisage ensuite un rôle renforcé de la COSAC, la conférence des organes des parlements spécialisés dans les affaires européennes.

Nous avons donc deux aspects complémentaires : d'un côté, la procédure de collaboration avec le Parlement européen, à travers la COSAC, de l'autre, la procédure de l'article 88-4, introduite en 1992.

Elisabeth Guigou a parfaitement exprimé la position du Gouvernement sur les aspects constitutionnels de nos débats : le projet du Gouvernement est calé sur la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur le traité d'Amsterdam et ne porte donc que sur l'article 88-2.

Nous ne sommes pas là, aujourd'hui, pour débattre au fond de la Constitution de 1958, et encore moins pour modifier l'équilibre des pouvoirs, à l'occasion d'une révision qui doit tout aux circonstances.

M. Pierre Lellouche.

Nous sommes là pour quoi, alors ? M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Le Gouvernement est toutefois prêt à des progrès sur l'article 88-4.

C'est d'ailleurs, à notre sens, dans le cadre de cette procédure du 88-4 que devrait être transmis aux deux assemblées le projet de décision que, dans cinq ans, pourrait prendre le Conseil, d'introduire le vote à la majorité qualifiée dans les matières de l'immigration et de l'asile. Il s'agira là d'une décision du Conseil, à l'unanimité, et non d'un acte intergouvernemental soumis à ratification. Prévoir une procédure législative à cette occasion serait donc à la fois contraire au traité, redondant par rapport à la révision qui nous occupe aujourd'hui et contradictoire avec la demande d'amélioration du 88-4.

M. Philippe Séguin.

En quoi ?

M. Pierre Lellouche.

Contradictoire avec l'amendement d'amélioration du contrôle parlementaire ? M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

La portée du vote qu'émettra l'Assemblée nationale apparaît clairement. Ne perdons pas de vue que nous révisons la Constitution pour pouvoir ratifier le traité d'Amsterdam et que celui-ci, malgré une lacune majeure, que j'ai mentionnée, ne contient rien qui justifierait qu'on ne le ratifie pas.

Certes, il n'est pas, j'en conviens, le traité fondateur de l'Europe politique et sociale vers laquelle nous souhaitons aller. Mais, je l'ai dit, les avancées qu'il contient, pour é clatées, parcellaires, insuffisantes qu'elles soient, ne doivent pas être rejetées. En inscrivant le respect des droits fondamentaux du citoyen dans le droit positif européen, en instaurant le principe de non-discrimination, en faisant des droits sociaux et de l'emploi deux priorités de l'Union, le traité d'Amsterdam fixe à l'Europe des ambitions qui rejoigent celles que le Gouvernement s'est fixé : il confortera l'action de ceux qui militent pour un véritable modèle social européen, fondé sur la démocratie et la solidarité.

Evitons les discours réducteurs et les attitudes frileuses.

Il n'y a pas, d'un côté, les défenseurs de la souveraineté nationale et, de l'autre, ceux qui la dilapideraient.

Mme Nicole Bricq.

Très bien ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Reconnaissons au contraire qu'un partage de souveraineté, librement consenti, peut être profitable à tous. L'euro en est déjà la preuve et nous pouvons aller plus loin.

Mme Nicole Bricq.

Très bien ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

J'appelle chacun ici à la responsabilité et à la cohérence. Qu'on me permette de rappeler que le traité d'Amsterdam a été négocié par l'ancienne majorité,...

Mme Nicole Bricq.

Eh oui ! M. le ministre délégué chargé des affaires europ éennes.

... sous la conduite du Président de la République. Un refus de réviser aujourd'hui la Constitution reviendrait à faire obstacle à l'entrée en vigueur de ce traité. Et quelles seraient les conséquences d'une nonratification par la France du traité d'Amsterdam ? Nous ouvririons une crise grave avec nos partenaires, sans pour autant garantir un rebond vers l'Europe que nous appelons de nos voeux.

Mme Michèle Alliot-Marie.

Adressez-vous aussi à votre majorité, monsieur le ministre !

Mme Nicole Bricq.

Chez nous, au moins, c'est clair ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Je m'y suis adressé auparavant.

Bien au contraire, la France risquerait de se mettre en marge du jeu européen, au moment même où elle commence à reprendre la main et à avancer avec ses partenaires.

Parce que je ne souhaite ni un recul de l'Europe ni un recul de la France, je vous appelle donc, sans état d'âme, à ratifier ce traité et, pour cela, à procéder dans les meilleures conditions à la révision constitutionnelle qui vous est aujourd'hui soumise.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Henri Nallet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la l égislation et de l'administration générale de la République.

M. Henri Nallet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, le traité d'Amsterdam, effectivement négocié, pour


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l'essentiel, par le gouvernement d'Alain Juppé, puis conclu par le Président de la République, M. Jacques Chirac, est, nous le savons tous, notoirement insuffisant, notamment pour préparer l'élargissement de l'Union.

Ce texte est-il à ce point nouveau ou surprenant qu'il justifierait une consultation directe de notre peuple ? Est-il dangereux au point qu'il n'appellerait que son rejet ? Non, je ne le crois pas, M. le ministre lui-même vient de le montrer. Le traité d'Amsterdam ne comprend rien qui intègre davantage notre pays à la construction commune que ne le faisaient déjà le traité de Rome, l'Acte unique ou le traité de Maastricht. Et il contient en matière sociale, pour la protection des droits des individus ou la transparence démocratique du système communautaire, des mesures que beaucoup d'entre nous sur ces bancs, et pas seulement sur ceux de la majorité, ont appelé de leurs voeux depuis de nombreuses années.

Comme tous ceux qui pensent que la construction de l'Europe est, pour la France, un gage de paix et la condition de sa présence au monde, je ratifierai, lorsque le temps sera venu, le traité d'Amsterdam en tant qu'il constitue une étape. Mais pour cela, il nous faut d'abord réviser la Constitution et c'est à cette révision que je consacrerai l'essentiel de mon propos.

Le 4 décembre 1997, le Conseil constitutionnel a été saisi conjointement par le Président de la République et le Premier ministre - situation sans précédent dans l'histoire de la Ve République - sur la base de l'article 54 de la Constitution, de la question de savoir si, compte tenu des engagements souscrits par la France et des modalités de leur entrée en vigueur, l'autorisation de ratifier le traité d'Amsterdam devait être précédée d'une révision de la Constitution.

Dans le délai d'un mois qui leur était imparti, les juges constitutionnels ont conclu que certaines dispositions prévues dans le titre III-A nouveau du traité étaient contraires à la Constitution. Cette décision, qui accentue l'ancrage de la France à la construction européenne, précise aussi les contours des normes de référence à la lumière desquelles se prononce le Conseil et consolide une jurisprudence longtemps incertaine, sur laquelle il convient, pour éclairer notre débat, de s'arrêter un instant, même si cet instant sera très technique, donc rébarbatif.

De 1970 à 1992, la définition des critères qui servaient à apprécier la constitutionnalité d'un traité restait incertaine, voire laborieuse. Bien qu'ayant recouru aussitôt à la notion de conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, le Conseil constitutionnel a mis un certain temps à lui donner une consistance stable.

En l'espèce, rappelons que deux principes s'opposent.

D'un côté, celui de la souveraineté nationale, fondement du pacte constitutionnel, comme le rappelle le préambule de la Constitution du 4 octobre 1958. De l'autre, la confirmation de l'insertion de la France dans l'ordre juridique international par le préambule de la Constitution de 1946, qui admet que « sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l'organisation et à la défense de la paix ». De son côté, la Constitution de 1958 permet de conclure des traités ou accords relatifs à l'organisation internationale, sous la seule réserve qu'ils soient ratifiés ou approuvés en vertu d'une loi, tout en prévoyant que cette ratification ou cette approbation est subordonnée à une révision constit utionnelle si l'engagement comporte des clauses contraires à la Constitution.

Le Conseil constitutionnel, depuis 1970, a longtemps hésité avant de trouver une solution stable et satisfaisante, à même de conseiller ces deux blocs de principe liés à la souveraineté nationale et à la participation de la France aux relations internationales. C'est en fait avec la décision d'avril 1992, que l'on appelle plus communément

« Maastrich I », que le Conseil constitutionnel a ajouté les bases d'une jurisprudence plus élaborée lui permettant de procéder au « test » de constitutionnalité dans des conditions plus constantes et plus rigoureuses.

Rappelant tout d'abord les normes de référence concernant la souveraineté nationale et la participation de la France aux engagements internationaux, le Conseil constitutionnel en dégage un principe général de conciliation : le respect de la souveraineté nationale ne fait pas obstacle à ce que, sur le fondement des dispositions précitées du préambule de 1946, la France puisse conclure, sous réserve de réciprocité, des engagements internationaux en vue de participer à la création et au développement d'une organisation internationale permanente, dotée de la personnalité juridique et investie de pouvoirs de décision par l'effet de transferts de compétence consentis par la France. Autrement dit, le Conseil constitutionnel a opté sans détour, je le répète, pour une conception ouverte de la souveraineté et admet explicitement que tout transfert de compétence n'est pas en lui-même contraire à la Constitution.

Le Conseil fixe ensuite les limites de la comptabilité entre la norme constitutionnelle et le traité, soutenant qu'une révision constitutionnelle devient nécessaire, soit lorsqu'une des clauses du traité est directement contraire à la Constitution, soit lorsqu'elle porte atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale.

De fait, la décision de 1992 fournit un certain nombre d'indications sur la manière dont le Conseil entend mettre en oeuvre au cas par cas la construction jurisprudentielle que je viens d'évoquer. En l'occurrence, un transfert de compétences résultant d'une clause d'un traité doit être examiné non seulement en fonction du domaine dans lequel il intervient, mais aussi du point de vue des modalités selon lesquelles il s'opère.

Ce rappel de la jurisprudence du Conseil constitutionnel me permet de soutenir devant vous que la décision qui nous intéresse du 31 décembre 1997 s'inscrit dans le droit fil de celle de 1992. En particulier, elle consacre et renforce le raisonnement selon lequel l'atteinte aux conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale dépend aussi bien du domaine dans lequel intervient le transfert de compétences que les modalités dudit transfert. Mais le Conseil ne se contente pas de décalquer les considérants de sa décision précédente ; il apporte aussi quelques précisions complémentaires qui lui permettent d'affiner sa jurisprudence.

Rappelons que, pour cette décision, le Conseil constitutionnel se trouvait il y a quelques mois dans un environnement juridique différent.

En effet, à la suite de la décision de 1992, la loi constitutionnelle du 25 juin 1992 a inséré dans la Constitution le titre XV « Des Communautés européennes et de l'Union européenne », dont l'article 88-1 constitutionnalise l'appartenance de la France à l'Union européenne, entité composée d'Etats qui ont choisi d'exercer en commun certaines de leurs compétences. Par ailleurs, l'article 88-2 du même titre prévoit que la France consent aux transferts de compétences nécessaires à l'éta-


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blissement de l'union économique et monétaire ainsi qu'à la détermination des règles relatives au franchissement des frontières extérieures de l'Union.

Dans ce contexte, le Conseil constitutionnel a tout d'abord, et très logiquement, repris les normes de référence fixées dans la décision de 1992, qu'il complète toutefois de l'article 88-1 précité, puis a réaffirmé la conclusion de principe qu'il en avait alors tiré.

Confrontant ensuite les dispositions du traité d'Amsterdam à ces normes de références, le Conseil en déduit qu'appellent une révision de la Constitution les clauses du traité qui opèrent des transferts de compétences mettant en cause les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, soit que ces transferts interviennent dans un domaine autre que celui de l'union économique et monétaire ou que le franchissement des f rontières communes, déjà couverts par la révision de 1992, soit que ces clauses fixent d'autres modalités que celles prévues par le traité de l'Union européenne pour l'exercice des compétences dont le transfert a déjà été autorisé par l'article 88-2.

Je renvoie au rapport écrit pour ce qui concerne le détail des décisions du Conseil, mais je crois qu'il convient d'insister sur un point : le passage à la majorité qualifiée est, dans le traité d'Amsterdam, une simple faculté, subordonnée à une décision unanime du Conseil de l'Union. En fait, les juges constitutionnels ont estimé que cette caractéristique n'est pas déterminante dès lors que cette décision de l'Union ne sera soumise ni à approbation, notamment du Parlement, ni à contrôle de constitutionnalité, ce qui est peu contestable s'agissant d'un acte de droit communautaire dérivé, point sur lequel nous aurons sûrement à revenir au cours de notre débat.

Importante par ses considérations expresses, la décision du 30 décembre 1997 est également importante par ses déclarations implicites de constitutionnalité, bien que celles-ci ne soient pas motivées. A cet égard, il ne faut pas se méprendre sur la portée de cette décision. L'invalidation prononcée par le Conseil ne concerne que quelques clauses, certes importantes, d'un traité qui en comporte de très nombreuses. Ce faisant, il a amplifié et consolidé la portée de l'article 88-1 et, une nouvelle fois, entériné la vocation européenne de la République française et son appartenance à l'Union.

Ainsi, je ne résiste pas au plaisir de vous le rappeler, le Conseil a notamment admis la constitutionnalité de la procédure de sanction en cas de violation grave et persistante par un Etat membre des droits fondamentaux rien que cela -, de l'élargissement de la procédure de la majorité qualifiée au sein du Conseil des ministres s'agissant de certaines décisions dans le domaine de la politique intérieure de sécurité commune - rien de moins -, des décisions-cadres prises pour la coopération policière et judiciaire en matière pénale - ce n'est pas peu -, du protocole enfin sur le droit d'asile pour les ressortissants des

Etats membres de l'Union européenne, ce qui, convenez-en, n'est pas non plus mineur ! Ainsi, dans la mesure où la renégociation des clauses litigieuses est évidemment inimaginable, le projet de loi constitutionnelle que vous nous présentez, madame la garde des sceaux, propose logiquement, à l'instar de celui de 1992, de ne modifier la Constitution que sur les points nécessaires pour la rendre compatible avec le traité d'Amsterdam.

Certes, la révision qui nous est aujourd'hui soumise est moins ambitieuse que la précédente, ne serait-ce que parce que l'appartenance de la France à l'Europe se trouve déjà constitutionnalisée par l'article 88-1. Par ailleurs, l'ampleur des mesures déclarées contraires à la Constitution est bien moindre, de sorte qu'un simple ajustement du texte de l'article 88-2 suffit pour répondre aux observations du Conseil constitutionnel.

Cela étant, si le dispositif, calibré au plus juste, proposé par votre projet de loi est satisfaisant, l'occasion nous est peut-être aussi donnée de rendre plus effective l'implication du Parlement dans la vie communautaire en améliorant les dispositions de l'article 88-4 qui, tout en étant globalement convenables, restent néanmoins perfectibles.

Le projet de loi adopte ni plus ni moins la forme d'un amendement à l'article 88-2. Il s'agit, en pratique, d'étendre le champ de l'habilitation constitutionnelle afin de valider les transferts de compétences pouvant survenir en application du titre III-A nouveau du traité de l'Union européenne, et eux seuls.

Je voudrais cependant insister sur quelques aspects du texte que vous nous proposez. En premier lieu, sont évoquées « la même réserve » et « les modalités prévues par le traité instituant la Communauté européenne ».

Ces mentions décalquent celles figurant dans la rédaction actuelle de l'article 88-2 ; il s'agit, d'une part, de la réserve de réciprocité et, d'autre part, de celle tenant aux modalités prévues par les traités en vigueur. Autrement dit, les clauses d'un futur traité prévoyant de nouvelles procédures de décision pour des matières transférées en application du traité d'Amsterdam pourraient ne pas être, le cas échéant, couvertes par l'habilitation constitutionnelle.

En deuxième lieu, et contrairement à la rédaction du premier alinéa de l'article 88-2 qui dispose expressément que la France « consent » aux transferts de compétences, celle du deuxième alinéa emprunte une formulation passive : « peuvent être consentis les transferts de compétences... ». Il est certain que cette expression ne peut pas

être interprétée comme une éventuelle « fenêtre constitutionnelle » qui autoriserait, le cas échéant, la mise en place d'une procédure préalable à l'abandon de la règle de l'unanimité et au transfert effectif des compétences du point de vue du Conseil constitutionnel.

Certaines voix, nous le savons, militent pour l'insertion d'un dispositif conditionnant le passage éventuel à la majorité qualifiée à une nouvelle autorisation parlementaire. Les tenants de cette proposition font observer qu'en le signant, les Etats membres se sont bornés à accepter une procédure organisée par le traité. En précisant que le passage à la majorité qualifiée résulte d'une décision prise à l'unanimité, celui-ci laisserait donc à chaque Etat membre la faculté de s'y opposer, pour les raisons et selon les modalités qui lui sont propres. Rien n'empêcherait donc, selon les tenants de ce point de vue, un Gouvernement d'exciper d'un défaut « d'autorisation » préalable.

Ce raisonnement tentant se heurte cependant à deux arguments majeurs.

Tout d'abord, sur le plan juridique, il est contradictoire avec celui suivi par le Conseil constitutionnel qui, en l'espèce, justifie la révision constitutionnelle à cette phase de la procédure par le fait que l'abandon éventuel de la règle de l'unanimité constitue un acte de droit dérivé qui ne donnera lieu ni à autorisation préalable ni à contrôle de constitutionnalité. Inversement, je rappelle que le Conseil a validé des dispositions prévoyant un passage à la majorité qualifiée moyennant une décision prise


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conformément aux règles constitutionnelles propres à chaque Etat membre : c'est l'article A 14 du traité d'Amsterdam.

La démarche des partisans de cette option consiste donc, ni plus ni moins, à profiter des conséquences résultant du raisonnement des juges constitutionnels pour la retourner en quelque sorte, ce qui semble pour le moins curieux sur le plan de la logique, au service de leur thèse.

M. Pierre Lellouche.

Au service de la démocratie !

M. Henri Nallet, rapporteur.

Mais, surtout, une telle option apparaît manifestement contraire à l'esprit de la Ve République et à l'équilibre des institutions qui en résulte, ce qui ne laisse pas de surprendre de la part de ses promoteurs qui se présentent souvent, par ailleurs, comme les garants de l'héritage institutionnel.

De fait, la décision du Conseil décidant du passage à la majorité qualifiée est un acte communautaire de droit dérivé, mais elle procède aussi de la négociation entre

Etats membres, puisqu'elle s'opère à l'unanimité. Conditionner la marge de manoeuvre du gouvernement d'alors à une autorisation préalable du Parlement conduirait donc à encadrer les compétences traditionnelles de l'exécutif, en contradiction avec les principes posés en la matière par la Constitution de 1958, notamment dans son article 52.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Philippe Séguin.

Il ne faut pas dire cela.

M. Henri Nallet, rapporteur.

A ce point de mon propos, la révision de la loi fondamentale est donc en quelque sorte décrite, mais elle peut être dépassée sur un terrain qui nous est plus familier, puisqu'il concerne le rôle de notre Parlement national dans la construction européenne.

Ne voulant pas abuser de votre patience et du temps qui m'est imparti, je me bornerai à indiquer qu'en tant que rapporteur, j'ai proposé d'élargir la possibilité aujourd'hui offerte par l'article 88-4 au Parlement d'examiner les projets d'acte communautaire à portée législative appartenant ou dépendant de ce que l'on appelle le premier, le deuxième et le troisième piliers de la construction européenne.

J'ai également proposé, dans l'amendement que j'ai soutenu devant la commission des lois, que le Gouvernement puisse soumettre à l'Assemblée nationale et au Sénat des textes, des documents, des rapports, voire des

« livres blancs » ou des « livres verts », qui pourraient donner lieu à débat, comme nous le faisons déjà pour tout ce qui concerne les actes communautaires à portée législative Je crois qu'ainsi nous améliorerons, sur le modèle qui existe dans d'autres pays de la Communauté, le contrôle du Parlement sur l'ensemble des actes communautaires et la manière dont nous associons ceux que nous représentons à la construction de l'Europe. Nous aurons l'occasion d'en débattre lorsque nous examinerons cet amendement. Mais, déjà, je veux manifester ma satisfaction de voir le Gouvernement se déclarer favorable aux propositions que j'ai faites et qui ont été adoptées par votre commission.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.

M. Michel Vauzelle, rapporteur pour avis de la commission des affaires étrangères.

Monsieur le président, madame la ministre, garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des affaires étrangères a émis un avis favorable à l'adoption du projet de loi constitutionnelle rendu nécessaire pour la ratification du traité d'Amsterdam.

Au sein de la commission, deux souhaits et une préoccupation ont été exprimés fortement tout au long de l'examen de ce texte.

Le premier de ces souhaits concerne la réforme des institutions européennes. Elle est une condition essentielle de l'accord du Parlement sur de nouveaux transferts de compétences. Sans cette réforme profonde, l'élargissement de l'Union risquerait de sombrer dans l'incohérence d'une fuite en avant qui ne serait qu'une fuite vers l'anéantissement des espoirs que nous plaçons dans la construction européenne. Mais, de ce point de vue, vous venez de nous rassurer monsieur le ministre, si nous en avions besoin.

Le second souhait, très largement partagé dans la commission et formulé avec force, concerne les pouvoirs de contrôle du Parlement national en matière de politique extérieure. Les propositions du président Nallet vont, de ce point de vue, pour les affaires européennes, dans le sens que la commission souhaitait.

Notre assemblée, formée des représentants de la nation, détient directement du peuple, comme le Président de la République, le droit et le devoir d'exercer la souveraineté nationale, selon l'article 3 de la Constitution.

Il est donc indispensable que tout ou partie des décisions d'ordre législatif ou des décisions qui, sans être de nature législative, peuvent avoir des conséquences essentielles pour la vie de la nation n'échappent pas au contrôle du Parlement national.

C'est ici, dans cette enceinte, et non ailleurs - tant que la France, en tout cas, n'a pas abandonné sa souveraineté - que doit se décider le sort des Français. C'est pourquoi il est très souhaitable que le gouvernement de la République soumette au Parlement tout texte d'importance d'origine « européenne », qu'il soit ou non de nature législative.

Allant plus loin, nous pensons qu'il faudrait étudier comment le Parlement, sans jamais gêner le Gouvernement dans ses espaces de négociation, pourrait mieux exprimer, et de son propre mouvement, son sentiment en politique étrangère, notamment en matière de politique européenne.

Bien entendu, il faut toujours veiller à ne pas porter atteinte à l'équilibre d'une Constitution qui a fait la preuve depuis quarante ans de la sagesse de son inspiration. J'estime, à titre personnel, que le général de Gaulle a eu manifestement une bonne appréciation de ce qu'il fallait aux Français en matière d'institutions compte tenu de notre caractère national et des nécessités d'un gouvernement moderne.

Les parlementaires nationaux, par leur mode d'élection comme par leur comportement, leurs traditions et leur proximité par rapport aux citoyens, ont bien souvent une tout autre vision des choses et des êtres que les parlementaires européens. A titre personnel, je ferai observer que ceux-ci donnent parfois l'impression d'être allés directement du coeur d'une capitale européenne vers le Parlement de Strasbourg. Les parlementaires élus en France sont, bien entendu, hors de mon propos. Ils sont remarquables par leur comportement. Je pense davantage à certains parlementaires d'autres pays qui, parfois, si j'en crois leurs propos, semblent n'avoir jamais rencontré, dans leur pays d'origine, des paysans, des ouvriers, des pêcheurs ou des chasseurs, des chasseurs surtout,...


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Mme Michèle Alliot-Marie.

Il faut changer le mode de scrutin !

M. Michel Vauzelle, rapporteur pour avis.

... des anciens combattants ou des lycéens, des cheminots ou des chômeurs, des présidents d'association ou des chefs d'entreprises, bref, toutes ces catégories d'électeurs si attachants qui sont, mes chers collègues, nos interlocuteurs au quotidient, pour nous, députés nationaux.

M. Franck Borotra.

Ils sont d'abord des citoyens avant d'être des électeurs !

M. Michel Vauzelle, rapporteur pour avis.

Je voudrais, à cet égard, évoquer un souvenir : celui du choc des mots et du poids des photos - ou inversement - lors d'un rassemblement à Rome en novembre 1990 de représentants du Parlement européen et des parlements nationaux. Les parlementaires nationaux s'étaient à cette occasion, découverts dans leur culture commune de gens de terrain. Je me souviens qu'avec tous nos collègues étrangers et français, députés nationaux, nous avions trouvé beaucoup d'intérêt à échanger nos points de vue sur les grandeurs et les servitudes de la représentation nationale. Mais aussi et surtout, nous avions constaté une grande proximité dans notre façon de concevoir la construction européenne, non pas en dépit des nations, mais avec elles, et pour les conforter. Las ! La grande machine de communication du Parlement européen étouffa les voix des parlements nationaux et notre volonté de renouveler cet exercice très positif. De fait, une telle réunion n'a plus jamais eu lieu, sans doute parce qu'elle était jugée trop dangereuse par certains parlementaires européens.

Il pourrait donc être utile de relancer l'idée d'une seconde chambre européenne. Un sénat de l'Union pourrait représenter à Strasbourg les Parlements nationaux dans la richesse culturelle et la diversité des peuples des

Etats membres.

M. René André.

C'est une excellente idée !

M. Michel Vauzelle, rapporteur pour avis.

Ce pourrait être une bonne contribution pour consolider l'institution législative de l'Union. Cette opinion a, en tout cas, été émise lors de nos travaux en commission.

Outre ces deux souhaits visant à améliorer la vie démocratique dans l'Union par la réforme des institutions européennes et le renforcement des pouvoirs de contrôle du parlement français en matière de décisions européennes, la préoccupation de la très grande majorité des m embres de la commission des affaires étrangères, concerne la question de la souveraineté.

Sujet du titre Ier et de l'article 3 - avec une allusion très intéressante à l'article 4 - de la Constitution, la souveraineté est au coeur du dispositif que la représentation nationale a le devoir sacré de défendre. On comprend donc aisément qu'à chaque fois que la France prend la décision de partager avec ses partenaires européens ou ses alliés, des compétences relevant de l'exercice de la souveraineté, les députés se montrent particulièrement vigilants.

C'est bien notre devoir.

Le débat, pourtant, me semble être nourri par un malentendu entre le principe de souveraineté et son exercice et les compétences qui relèvent de la souveraineté et leur exercice. En 1992, lors de la révision de la Constitution, rendue nécessaire par la ratification du traité de Maastricht, j'avais répété ici même en tant que garde des sceaux, ce qui est la définition, me semble-t-il indiscutable, de la souveraineté : « La souveraineté de la nation est inaliénable, imprescriptible, incessible et indivisible. »

Le peuple est souverain. Il peut donc à sa guise, directement par référendum ou par ses représentants, déléguer ou partager des compétences relevant de sa souveraineté.

ces décisions sont prises, en toute souveraineté, par le souverain lui-même, précisément.

Dans le cas de l'Union européenne, le peuple français ne fait aucun « abandon » de compétences. Il délègue des compétences qu'il va, du reste, exercer en commun et en accord avec ses partenaires. C'est pour les exercer mieux qu'il les délègue.

Ainsi défendrons-nous mieux notre espace de liberté et nos capacités d'action universelle avec une monnaie européenne qu'avec quinze monnaies face au dollar et au yen.

Ainsi défendrons-nous mieux l'espace européen au coeur duquel se trouve la France en exerçant ensemble un certain nombre de compétences en matière de justice et de police.

Dans ce cas, il n'y a pas abandon, mais exercice en commun des compétences.

Bien différente serait la question d'abandonner sa souveraineté. Elle n'a, bien entendu, jamais été posée. L'évoquer paraît déjà difficile.

Abandonner sa souveraineté, pour la France, reviendrait à renier le message multiséculaire de tout le passé de son peuple de toute l'histoire de France.

Mme Nicole Catala.

C'est ce que vous faites pourtant !

M. Michel Vauzelle, rapporteur pour avis.

Et pour son avenir, pour notre avenir, ce serait retirer aux Français l'instrument institutionnel qui est indispensable pour protéger et sauvegarder l'identité culturelle de la nation, tout ce qui fait notre âme, celle de notre peuple, notre langue, nos valeurs républicaines, l'éthique et l'esthétique de tout notre peuple,...

Mme Nicole Catala.

C'est tout ce qui nous restera demain !

M. Michel Vauzelle, rapporteur pour avis.

... notre art de vivre, notre philosophie de la vie, nos choix en matière d'éducation et de culture.

La défense de la liberté est au premier rang des raisons pour lesquelles nous sommes rassemblés ici.

La France n'a vraiment donné toute sa dimension à l'émotion que suscite le simple « prononcé » de son nom, dans le monde entier, qu'à partir de sa grande Révolution et de son message de liberté sur les droits de l'homme et le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes.

M. Jacques Baumel.

Ce ne sont que des mots, contre des réalités !

M. Michel Vauzelle, rapporteur pour avis.

Aucun Etat, aucune fédération ou confédération d'Etats ne sera jamais supérieure aux droits de l'homme et au droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Cela va de soi quand ces constructions s'appuient sur la force des dictatures. Aussi s'effondrent-elles avec l'avènement de la démocratie. Ce fut le cas récemment pour l'ex-Union soviétique, l'exYougoslavie ou l'ex-Tchécoslovaquie.

Mais pour de grandes démocraties comme le Canada ou la belgique, nous voyons bien que cette quête de reconnaissance et de liberté se fait entendre avec autant de vigueur chez des peuples pourtant très proches de notre niveau de développement économique et qui défendent les mêmes valeurs démocratiques.

Chaque peuple pourra donc toujours, comme le rappelle le préambule de la Constitution, disposer de luimême.


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M. Jacques Baumel.

Mais ce n'est pas vrai !

M. Michel Vauzelle, rapporteur pour avis.

La liberté est un beau principe. Mais il ne suffit pas en effet, monsieur Beaumel, de le dire. Il faut le vivre dans un élan de libération jamais achevé. Il n'y a pas de liberté pour les peuples et pour les citoyens s'il n'y a pas de liberté de choix. Et il n'y a aucun choix possible dans le monde de demain sans le maintien de modèle culturels différents.

A l'époque de la mondialisation, il faut bien savoir ce que nous entendons faire pour résister autour de nos valeurs. Les nouveaux moyens de communication et d'information sont eux-mêmes porteurs de possibilité de libération sans doute, mais aussi d'asservissement. Le devoir sacré de défendre la liberté est plus que jamais actuel. Il nécessite d'autant plus d'attention et d'énergie que les techniques d'asservissement des esprits et des coeurs sont aujourd'hui plus sournoises, plus sophistiquées, plus attentatoires au libre-arbitre, à la capacité de jugement et à la dignité des citoyens. Autrefois, pour asservir un peuple, il fallait envoyer une armée et occuper le pays.

Aujourd'hui, cela n'est plus nécessaire.

Face aux menaces que font peser sur nous des puissances qui n'ont pas forcément de mauvaises intentions mais qui ont des dimensions et des comportements qui peuvent parfois apparaître comme attentatoires à nos espaces légitimes de liberté, nous devons être vigilants et imaginatifs, tout en restant, bien entendu, diplomates.

La France est responsable vis-à-vis d'elle-même et du monde d'un modèle culturel très particulier, très ancien, reconnu et respecté dans le monde entier. Il est important qu'il reste vivant. C'est important pour nous mais aussi pour les autres. Pour cela, il faut que la France conserve sa souveraineté.

Seule la France peut défendre avec son identité culturelle sa liberté. La construction européenne l'aide dans ce combat en instaurant autour d'elle un espace protecteur f ondé sur des valeurs démocratiques et sociales communes. Et c'est pourquoi cette construction doit être poursuivie.

C'est bien parce que nous avons cette idée d'une France souveraine, dans une Union européenne toujours plus cohérente et puissante au service de nos idéaux, que je vous invite, mes chers collègues, à voter aujourd'hui le projet du Gouvernement.

Demain ce sera la ratification du traité d'Amsterdam, puis, je l'espère, d'autres traités qui renforceront encore nos capacités nationales de résistance aux formes nouvelles et subtiles de l'oppression, et donc de libération.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Exception d'irrecevabilité

M. le président.

J'ai reçu de M. Philippe de Villiers, une exception d'irrecevabilité déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Philippe de Villiers.

M. Philippe de Villiers.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre des affaires européennes, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis tendant à la révision de la Constitution n'a qu'un seul objet : permettre la ratification du traité d'Amsterdam. La question qui nous est posée n'est donc pas de savoir si ce traité est contraire à la Constitution ; le Conseil constitutionnel s'est prononcé dans ce sens et chacun en convient. La question est de savoir s'il ne l'écorche que sur un ou deux points, comme on voudrait nous le faire croire, ou si, comme je me propose de vous le démontrer, il n'en sape pas les fondements au point qu'une révision ne puisse le laver de son inconstitutionnalité.

Dans le premier cas, le traité s'accommoderait d'une réforme limitée de notre constitution. Dans le second, il n'exige rien moins que son abandon complet, ce qui le rend absolument irrecevable.

La réponse, chacun en conviendra, n'est à chercher nulle part ailleurs que dans le texte même du traité. C'est lui qu'il faut interroger. Or, voyez comme c'est curieux : plus on est favorable à ce traité, moins on souhaite l'examiner !

M. Alain Barrau.

Mais c'est l'objet de la séance d'aujourd'hui !

M. Philippe de Villiers.

Plus on est impatient de l'approuver et moins on veut connaître son contenu.

Ceux-là même qui l'ont négocié se gardent d'en vanter les mérites. Rien de plus discret, de plus frileux, on pourrait presque dire de plus honteux, que les éloges qu'ils lui destinent.

On a beau solliciter les plus hautes autorités de l'Etat, leur demander de dévoiler aux Français les contours de cet objet furtif, on n'entend pas grand monde se risquer à nous expliquer les immenses avantages qu'il apporterait à notre pays.

Beaucoup d'entre vous se disposent à voter le changement de Constitution, mais, de leur propre aveu, c'est pour des raisons totalement étrangères au texte même du traité.

Derrière les uns et les autres, on aperçoit, attentive, l'ombre des signataires, soucieux de ne pas encombrer le peuple de cette affaire compliquée concernant le gouvernement du peuple, pour le peuple mais pas par le peuple.

Il est clair que, pour beaucoup de parlementaires, il s'agit moins d'approuver un grand document que d'expédier une corvée, de se débarrasser d'une formalité à laquelle on ne croit pas pouvoir se soustraire.

Mme Nicole Bricq.

Pas du tout !

M. Philippe de Villiers.

Tout le monde aura observé, en effet, comme les partisans du traité en ont peu parlé et comme, aujourd'hui encore, ils en parlent peu.

M. Alain Barrau.

Mais ce n'est pas l'objet du débat d'aujourd'hui !

M. Philippe de Villiers.

Muets sur ses mérites, ils sont plus muets encore sur son contenu.

Voici plus d'un an qu'il est conclu, près d'un an que le Conseil constitutionnel a rendu son avis. On ne peut pas d ire que le Gouvernement ait marqué beaucoup d'empressement à le soumettre à notre examen.

On ne peut pas dire non plus qu'il ait mis ce délai à profit pour en faire connaître la substance et en populariser le texte.

Tout se passe, au contraire, comme si on avait jalousement veillé à le soustraire à l'attention du public.

Nos ministres, nos chefs de parti sont intarissables quand il s'agit de l'Europe : aucune campagne de publicité ne leur paraît trop chère pour célébrer l'avènement de l'euro.

M. Alain Barrau.

Ce n'est pas une exception d'irrecevabilité !


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M. Philippe de Villiers.

Mais, sur le traité d'Amsterdam, rien, pas un mot, pas une ligne, pas une émission, aucune intervention sur les grands médias, aucun débat public. Silence radio !

Mme Nicole Bricq.

C'est faux ! Si vous étiez plus présent au Parlement, vous le sauriez.

M. Philippe de Villiers.

Cette conspiration du silence n'est sans doute pas l'effet du hasard. Elle traduit un embarras et répond à un mot d'ordre. En haut lieu, on est évidemment arrivé à la conclusion que, moins on en parle, plus rapide en sera l'adoption.

Beaucoup, d'ailleurs, ont suivi la consigne à la lettre.

Mme Nicole Bricq.

Vous ne lisez pas les journaux ?

M. Philippe de Villiers.

Comme on ne risque guère de parler de ce qu'on ignore, ils ont poussé le scrupule jusqu'à s'abstenir de lire le traité. Cela leur était d'autant plus facile que, je le reconnais bien volontiers pour en avoir fait l'expérience, il est proprement illisible. Ecrit dans un euro-galimatias, c'est un labyrinthe de clauses qui se corrigent, se contredisent ou se renvoient sans fin l'une à l'autre. A côté, le traité de Maastricht passerait pour un chef-d'oeuvre de poésie et de clarté, ce qui n'est pas peu dire.

Mme Nicole Catala.

C'est vrai !

Mme Nicole Bricq.

Vous regrettez de ne pas l'avoir voté, alors ?

M. Philippe de Villiers.

Et puis, il semble bien que l'exemple soit venu de haut. Comment expliquer autrement qu'il ait fallu attendre l'avis du Conseil constitutionnel pour que ceux-là mêmes qui ont apposé leur signature au bas du traité découvrent ce que, apparemment, ils n'avaient pas soupçonné une seconde jusque-là, à savoir qu'ils étaient en train de violer la Constitution.

M. Alain Barrau.

Il est là pour ça, le Conseil constitutionnel !

M. Philippe de Villiers.

Comme l'un d'entre eux est le garant de la Constitution et que l'autre en est le gérant, on n'ose penser qu'ils aient pu agir en connaissance de cause et commettre sciemment ce qu'en d'autres temps on aurait appelé une forfaiture. (Rires sur plusieurs bancs du groupe socialiste.) Il faut donc croire qu'ils l'ont fait à leur insu, soit qu'ils n'aient pas lu ce qu'ils signaient, soit que, l'ayant lu, ils ne l'aient pas compris. En somme, ils ont introduit dans notre droit public une catégorie nouvelle : la forfaiture par inadvertance.

Et puis, il y a ceux qui feignent de charger le traité pour en diminuer l'impact. Ils sont prêts à reconnaître qu'il est mal conçu, mal ficelé, mais ils ajoutent qu'après tout, ce n'est qu'un post-scriptum ajouté au traité de Maastricht pour le compléter ou le perfectionner sur quelques points mineurs : « Il oblige, certes, à modifier notre Constitution mais on ne va pas tout de même se quereller pour quelques retouches. Dans l'histoire grandiose de la construction européenne, ce n'est qu'un détail sans importance. Ce traité est bien trop médiocre pour être vraiment malfaisant ».

Alors, au lieu de rassurer notre conscience à peu de frais, acceptons un instant de regarder d'un peu plus près ce traité d'Amsterdam, examinons ce qu'il apporte de nouveau, mesurons ce qu'il confirme des dérives du passé, ce qu'il annonce et prépare pour l'avenir, et nous serons stupéfaits de découvrir ce qu'on nous cache : il est infiniment plus malfaisant qu'il n'est médiocre et sa médiocrité même n'est là que pour dissimuler sa malfaisance.

C'est de quoi, en tout cas, doivent se convaincre ceux qui ont encore des yeux pour voir et des oreilles pour entendre : ce traité s'attaque à la racine même de notre ordre constitutionnel, il en ruine l'unique fondement qui est la souveraineté de la nation ; il étouffe les manifestations les plus essentielles de notre existence nationale.

Avec Maastricht, nous avons transféré notre souveraineté monétaire. Avec Amsterdam, nous allons transférer notre souveraineté législative.

C'est le dernier élément qui manquait à la construction d'un Etat européen : après Amsterdam, il n'y aura plus véritablement de Constitution française.

C'est la mise en place d'un nouvel Etat au sens plein du terme, le super-Etat européen, avec tous les attributs et pouvoirs régaliens : un Etat établi sur un territoire, qui bat monnaie à Francfort, qui fait la loi à Bruxelles et qui rend la justice à Luxembourg.

Après Amsterdam, le peuple français aura perdu la maîtrise de son destin, c'est-à-dire la maîtrise de son territoire, de sa constitution et de ses lois.

Alors, mes chers collègues, le choix est clair : ou bien nous considérons que notre constitution est caduque, ou bien nous considérons que le traité est irrecevable.

Le choix qu'on nous demande de faire est paradoxal.

Nous avons une constitution qui est bonne et, sous les yeux, un traité qui est mauvais. La preuve, c'est que tout le monde veut l'amender. Le bon sens commanderait de garder la constitution et de changer le traité. Or on nous demande de garder le traité et de changer la constitution.

Dans sa décision du 31 décembre 1997, le Conseil constitutionnel avait estimé que la communautarisation des règles relatives à la circulation des personnes pouvait conduire à ce que se trouvent affectées les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale, et il avait en conséquence déclaré cette ablation de souveraineté non conforme à la Constitution.

A partir de là, le Gouvernement avait le choix. Pour préserver l'intégrité de la souveraineté nationale et de la Constitution, il aurait pu demander une renégociation de cette partie du traité afin d'obtenir une dérogation pour la France, hypothèse non invraisemblable puisque nos voisins britanniques ont précisément obtenu une telle dérogation, mais il n'en a pas été ainsi : le Gouvernement a préféré pousser jusqu'au bout la logique fusionniste, abandonner la souveraineté nationale en matière de circulation des personnes, et nous demander d'inscrire cet abandon dans la Constitution elle-même.

A l'heure où l'Europe connaît d'énormes problèmes de contrôle de l'immigration et de sécurité, l'ambition de Bruxelles est claire et elle est pour moi extravagante : faire de l'Europe un territoire d'un seul tenant, et le gérer d'en haut, d'une seule main.

Après la monnaie unique, voici le territoire unique.

Le traité impose une novation historique inouïe en trois temps : Premier temps : abolition immédiate de toutes les frontières nationales à l'intérieur de l'Europe - je dis bien

« immédiate » et non pas dans cinq ans, qu'on lise ou qu'on relise le traité - c'est-à-dire immédiatement après la ratification du traité.

Deuxième temps : gestion du territoire européen unifié par la Commission de Bruxelles, qui obtient automatiquement en 2003 le monopole exclusif de proposition et d'initiative. Je dis bien « automatiquement ».

Qu'on lise, qu'on relise le traité.


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Troisième temps seulement : décision de passer de l'unanimité à la majorité qualifiée au Conseil à partir de 2003.

On a un peu parlé tout à l'heure du troisième temps Mme la garde des sceaux, M. le ministre des affaires européennes ainsi que M. Vauzelle et M. Nallet l'ont évoqué - c'est-à-dire le passage de l'unanimité à la majo rité qualifiée, mais on n'a pas du tout parlé jusqu'à présent des deux premiers temps. On n'a pas dit qu'il s'agissait là d'un calendrier automatique : en 1999, il n'y a plus de frontières en Europe ; en 2003, ce sont les commissaires de Bruxelles qui sont désormais à la manoeuvre.

M. Henri Nallet, rapporteur.

C'est le Conseil !

M. Philippe de Villiers.

Aucun Etat ne peut plus rien proposer. Ce sont alors les commissaires qui prennent en main et gèrent nos problèmes de sans-papiers. Il n'y aura plus dans cet hémicycle de débat à l'ordre du jour sur toutes ces questions.

Le peuple français aura perdu la maîtrise de son territoire.

Je vous rappelle, monsieur Nallet, qu'il y a dans le t raité d'Amsterdam un article 250 qui reprend l'article 189 A du traité de Maastricht, et qui dispose que le Conseil des ministres ne peut revenir sur une proposition de la Commission qu'à l'unanimité.

M. Henri Nallet, rapporteur.

Cela existe depuis longtemps !

M. Philippe de Villiers.

On a vu hier l'actualité de ce dispositif à propos de l'embargo sur la viande britannique. Le conseil des ministres a pris une décision à la majorité qualifiée et c'est la Commission qui va décider, dans quelques jours ou dans une semaine, de lever l'embargo.

M. Pierre Lellouche.

C'est la faute des gouvernements, pas de la Commission ! Il ne faut pas tout mélanger !

M. Philippe de Villiers.

Ce monopole d'initiative automatique de la Commission en 2003 est une mécanique perverse, et je suis surpris qu'un Parlement, le nôtre, puisse accepter par avance, d'un coeur léger, de se dessaisir de tout ce qui concerne les contours géographiques de la nation, la définition de notre espace territorial, l'idée même de population, d'ayant droit, de citoyenneté, de nationalité, le concept de liberté publique, quoi qu'on pense par ailleurs, et quelle que soit la portée de nos débats. Sur tous ces sujets et sur bien d'autres, la loi ne s'écrira plus à Paris, elle s'écrira à Bruxelles, sous le contrôle vétilleux des juges de la Cour de justice de Luxembourg.

Dans le projet de modification de la Constitution que propose le Gouvernement, la définition des politiques régaliennes concernées par les transferts de pouvoirs est très vaste : les Français ne pourront plus décider dans toutes les matières qui touchent à l'essence même de la nation.

La République française aura ainsi abandonné le droit de décider souverainement qui elle peut recevoir, et à qui elle peut refuser l'accès de son territoire.

Ce que le texte appelle « circulation des personnes » doit être compris très largement : il s'agit de la circulation des personnes en général, c'est-à-dire de la circulation internationale et de la circulation nationale. Avec le traité d'Amsterdam, nous ne transférons pas seulement à la Communauté l'ensemble de nos politiques de visas, d'asile, de réfugiés, de franchissement des frontières extérieures et de nos politiques de l'immigration, mais aussi la définition des règles qui gouvernent la circulation et le séjour des personnes, y compris les ressortissants de pays tiers, à l'intérieur de notre territoire national.

Il s'agit, en d'autres termes, quoi qu'on puisse penser par ailleurs, d'une dépossession gigantesque, indéfinie et illimitée, dirais-je même, car, contrairement à tous nos principes constitutionnels, nous ne savons même pas avec précision, à la lecture du projet gouvernemental, quelle est l'étendue des domaines abandonnés. En effet, le texte proposé mentionne les règles relatives à la circulation des personnes, mais ajoute in fine

« les domaines qui lui sont liés ».

De quoi s'agit-il ? Quelle expression vague ! Déjà, la circulation des personnes englobe un ensemble vaste et imprécis. Si, en plus, on y adjoint les domaines qui peuvent lui être liés, sans dire lesquels, alors le champ des compétences ainsi transmises, dont l'interprétation relèvera d'ailleurs, je le dis au passage, de la Cour de justice des Communautés européennes, risque de ne plus connaître de limite.

C'est la négation du principe des compétences d'attribution, qui gouvernait jusqu'à présent nos relations avec la Communauté. Ce n'est plus un abandon de souveraineté, c'est la déroute.

Le projet gouvernemental autorise, au bénéfice de la Communauté, ce qu'il appelle des transferts de compétences, expression qui recouvre à la fois la possibilité de voter à la majorité, la codécision avec le Parlement européen, le monopole d'initiative et la juridiction de la Cour de justice.

Cette rédaction découle de la décision rendue par le Conseil constitutionnel. Il a en effet déclaré que la souveraineté nationale pouvait être affectée par le vote à la majorité qualifiée, la codécision avec le Parlement européen, mais aussi le monopole d'initiative de la Commission.

Que signifie ce monopole ? Que la Commission européenne, monsieur Lellouche, sera automatiquement, au terme de cinq ans, la seule détentrice du droit de déposer des propositions sur la table du Conseil.

M. Pierre Lellouche.

Sur la base de l'unanimité !

M. Philippe de Villiers.

Cela veut dire aussi que le Gouvernement français et le parlement français ne garderont plus aucune capacité d'initiative à ce sujet.

Et je vais plus loin. Selon l'article 67, alinéa 2, le parlement français pourra présenter des demandes à la Commission, qui appréciera à sa discrétion s'il convient de les transmettre au Conseil. Par conséquent, non seulement cette disposition prévoit une amputation énorme des droits de la représentation nationale, mais elle l'exprime de manière particulièrement humiliante pour les

Etats, qui seront obligés d'aller soumettre leurs suggestions à la Commission.

En d'autres termes, voilà des gouvernements nationaux responsables, des parlements démocratiquement élus et jusqu'à présent pleinement compétents, qui devront aller soumettre leurs suppliques à un collège de fonctionnaires.

Je souligne ce point très important pour ceux de nos collègues qui, en relevant que le traité d'Amsterdam prévoit un mécanisme à double détente pour le passage à la majorité qualifiée au Conseil, seraient tentés de penser que, finalement, notre souveraineté serait ainsi bien protégée.

M. Pierre Lellouche.

Vous êtes donc d'accord avec

Mme Guigou. C'est rassurant.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

M. Philippe de Villiers.

Certes, l'article 67 du traité prévoit qu'après son entrée en vigueur, on délibère à l'unanimité pendant cinq ans, comme le rappelaient tout à l'heure les deux ministres. C'est seulement après ce délai que le Conseil, statuant à l'unanimité, prend une décision pour voter désormais à la majorité qualifiée, en codécision avec le Parlement européen. Par conséquent, se demandent certains collègues, ne conservons-nous pas notre souveraineté jusqu'à la seconde étape, pendant cinq ans ? L'Europe d'Amsterdam, dans sa mansuétude, nous aurait accordé une sorte de grâce, un sursis de cinq ans avant la date où tombera le couperet : « Encore un instant, monsieur le bourreau ! Encore un instant, monsieur le commissaire ! » Hélas !, la machine est réglée autrement et, une fois qu'elle sera mise en mouvement, rien ne pourra l'arrêter.

La rédaction de l'article 67 ne laisse aucun choix : le Conseil « prend » une décision. C'est un indicatif qui vaut un impératif. Le seul point qui n'est pas précisé, c'est la date exacte, mais l'obligation de prendre la décision au bout de cinq ans est inscrite noir sur blanc, comme d'ailleurs les Allemands l'avaient souhaité dans les travaux préparatoires.

Indépendamment de ce mécanisme à double détente, le traité met en place un triple transfert automatique de tous les pouvoirs nationaux pour ce qui concerne la libre circulation des personnes.

Je rappelle le calendrier : dès 1999, c'est la juridiction de la Cour de justice qui est compétente pour interpréter et arbitrer tous les problèmes qui peuvent survenir ; dès 1999, tous les contrôles de personnes doivent être abolis, avant l'expiration d'un délai de cinq ans, et de manière immédiate ; et puis, à partir de 2003, la Commission acquiert automatiquement, sans aucune décision nouvelle, le monopole d'initiative sur tout le domaine considéré, devenant en quelque sorte le nouveau ministère de l'intérieur de l'Europe unie.

Il n'y a pas d'échappatoire. C'est une nasse qui se met en place. Il ne faut pas, mes chers collègues, se laisser prendre au piège, car, si vous admettiez de ratifier Amsterdam en croyant disposer d'une seconde chance, matérialisée par un prétendu pouvoir de blocage dans cinq ans, vous vous feriez de grandes illusions. D'abord, vous laisseriez de toute façon passer de très graves abandons de souveraineté, ce que je viens de décrire, avec le calendrier automatique que je viens de rappeler. Ensuite, dans cinq ans, vous n'auriez plus guère que le choix de la date à laquelle il faudrait faire le saut dans le système de vote à la majorité.

C'est donc maintenant que se situe l'instant juridiquement crucial, et je rejoins là, paradoxalement, la position de Mme la garde des sceaux et de M. le ministre des affaires européennes. Oui, c'est maintenant qu'il faut faire le choix crucial. Le Conseil constitutionnel lui-même l'a bien entendu ainsi, puisqu'il a demandé une révision de la Constitution avant la ratification du traité, et non pas dans cinq ans.

M. Alain Barrau.

Cela, c'est normal !

M. Philippe de Villiers.

Avec Amsterdam, tout bascule dans l'irréversible.

Il n'y a plus ni réciprocité qui compte, ni clause de sauvegarde qui tienne. Rien ne pourra plus arrêter la marche forcée du marché unique, en passant par la monnaie unique et le territoire unique, jusqu'à l'Etat unique.

M. Jean Vila.

Il a raison !

M. Philippe de Villiers.

Abolir les frontières pour créer ce qu'on appelle pudiquement « un espace de liberté et de sécurité » signifie que cet espace n'est plus borné.

D'autres nations peuvent y survivre ; pas la France. Parce que, monsieur Nallet, dussé-je vous faire sourire, la France est le résultat d'un acte politique, c'est un cas particulier dans l'histoire. Qu'on soit de droite ou de gauche, on ne peut que le constater ; c'est ainsi.

Elle n'est pas comme les autres nations. Elle n'est pas, par exemple, une nation insulaire, bordée par la mer, donc définie par la mer, comme l'Angleterre.

Mme Nicole Bricq.

Ça ferait plaisir aux Anglais, d'entendre ça !

M. Philippe de Villiers.

Elle n'est pas une nation ethnique, comme l'Allemagne ou la Pologne.

M. Alain Barrau.

Oh la la !

M. Philippe de Villiers.

Elle ne peut survivre que sur un territoire et à partir de son principe d'unité, qui est l'Etat. Si le territoire disparaît, si l'Etat perd ses pouvoirs, son autorité,...

Mme Nicole Bricq.

Vous confondez sans arrêt la nation et l'Etat !

M. Philippe de Villiers.

... si, demain, celui-ci se retrouve démuni des attributs de la souveraineté, l'attelage merveilleux Etat-nation qui a fait la France se dissociera et notre pays éclatera en ethnies provinciales et communautaires.

(Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Ce qui est impressionnant, dans la logique d'Amsterdam, c'est que c'est un billet aller Paris-Bruxelles, mais qu'il y a pas de billet retour.

(Exclamations et rires sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

On nous dit parfois, et encore tout à l'heure : « Amsterdam ne fait que reprendre et retranscrire les accords de Schengen. »

C'est faux ! Ceux qui le disent ont menti ! P lusieurs députés du groupe socialiste.

C'est le diable !

M. Philippe de Villiers.

Pourquoi ? Pour trois raisons.

D'abord, les accords de Schengen étaient intergouvernementaux, alors qu'on nous propose ici un cadre de décision communautaire. On peut être pour, on peut être contre, mais on ne peut pas mentir ! En second lieu, les accords de Schengen n'établissaient pas juridiquement un droit de libre circulation pour les ressortissants de pays tiers, alors qu'ici ce droit est établi, notamment aux articles 62 et 63.

Troisièmement, les accords de Schengen contenaient une clause de sauvegarde nationale, d'usage discrétionnaire, dont je rappelle la rédaction, qui est très forte : « Si l'ordre public ou la sécurité nationale exigent une action immédiate, la partie contractante concernée prend les mesures nécessaires et en informe le plus rapidement possible les autres parties contractantes. »

Cette clause, dont le Président de la République a fait un usage judicieux et immédiat en 1995, pour notre frontière du Nord, à cause du trafic de drogue en provenance des Pays-Bas, ne figure pas dans le traité d'Amsterdam.

On ne peut pas prétendre non plus qu'elle y serait insérée automatiquement du fait de l'intégration de Schengen car, précisément, le protocole sur Schengen annexé au traité d'Amsterdam mentionne explicitement


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

que les dispositions de l'acquis de Schengen sont applicables uniquement si, et dans la mesure où, elles sont compatibles avec le droit de l'Union européenne et de la Communauté.

Il est clair que la sauvegarde de Schengen est passée aux oubliettes.

Les partisans d'Amsterdam invoquent parfois l'existence d'autres protections, mais ce sont en fait des trompe-l'oeil.

L'article 64-2 du traité prévoit par exemple qu'en cas

« d'afflux soudain de ressortissants de pays tiers », le Conseil, statuant à la majorité qualifiée, et uniquement sur proposition de la Commission, pourrait décider, au profit de l'Etat victime, des mesures provisoires n'excédant pas six mois.

Cela veut dire qu'en cas de problèmes dans notre pays, notre gouvernement serait réduit à aller supplier la Commission de Bruxelles de faire une proposition au Conseil pour qu'il prenne une décision instaurant une clause de sauvegarde au profit de la France.

Il est bien évident qu'une telle clause de sauvegarde, que nous ne pouvons pas utiliser à discrétion, en cas d'urgence et de légitime défense, mais qui repose au contraire sur la bonne volonté de nos voisins et de la Commission de Bruxelles, ne vaut absolument rien.

Tout cela, mes chers collègues, apparaît incompatible avec nos principes fondamentaux.

L'article 5 de notre Constitution fait du maintien de l'intégrité du territoire une mission essentielle du Président de la République.

L'article 16 lui donne même, pour remplir cette mission, le droit de prendre des mesures exceptionnelles, sans contreseing et sans avoir à demander l'autorisation d'aucune autre autorité nationale. Imagine-t-on qu'il devrait aller demander cette autorisation à la Commission de Bruxelles ? Et que vaut l'impératif du maintien de l'intégrité du territoire si les frontières disparaissent sans aucune clause de sauvegarde nationale ? Imagine-t-on qu'en application des nouvelles politiques les autorités bruxelloises pourraient imposer aux Français la présence sur leur sol de ressortissants de pays tiers dont nous ne voudrions pas ? Ce serait un pilier majeur de la souveraineté nationale qui disparaîtrait.

Les seules internationales qui ont vocation à prospérer dans cette Europe sans nations, sans contrôles, sans frontières, ce sont les internationales des milieux interlopes, celles qui ne vont jamais sur la place publique, sur le forum, celles qui creusent, sous nos pas, leurs galeries souterraines : l'internationale du crime, l'internationale du terrorisme, l'internationale des filières clandestines et de l'argent sale et, naturellement, l'internationale bancaire.

Certes, le Conseil constitutionnel n'a pas soulevé préci-s ément la question de l'abolition systématique des contrôles de personnes aux frontières, sans clause de sauvegarde. Il était sans doute trop pressé de rendre son poulet, le 31 décembre, entre la dinde et les marrons glacés, dans la torpeur médiatique et les cotillons insouciants.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Michel Vauzelle, rapporteur pour avis.

C'est vulgaire !

M. Philippe de Villiers.

Pourtant, mes chers collègues, ce n'est pas le Conseil constitutionnel qui dispose du pouvoir constituant, mais, à ce stade de la procédure, le peuple français, représenté par chacun d'entre nous.

Vous avez donc le devoir de soulever d'office cette question vitale et je vous conjure de le faire. Si vous acceptiez ce projet de révision constitutionnelle, le peuple français perdrait la maîtrise de son territoire, ce qui signifie également que nous n'aurions plus aucun pouvoir de décision, de contrôle, ou même seulement de proposition sur la détermination des règles de circulation nationale ou internationale qui s'imposeraient aux Français.

Et que pourrions-nous obtenir en échange ? Un droit explicitement prévu au détour du protocole sur les parlements nationaux, auquel M. Moscovici a fait allusion tout à l'heure en parlant du rôle de la COSAC, qui a un nom curieux. Le droit qui nous resterait serait considérable ! Nous aurions le droit de protester à la COSAC, de lui soumettre des contributions sur ces questions. On nous promet que ces contributions seraient ensuite transmises aux institutions de l'Union, qui en seraient « informées ».

Nous serons à ce moment-là dans la situation de M. Strauss-Kahn ou de M. Jospin, qui ont supplié il y a quelques jours les banquiers centraux de baisser les taux d'intérêt après avoir réclamé le pacte de stabilité et l' avoir signé. Ils ont réclamé en vain, trop tard, ce qu'ils savaient ne pouvoir obtenir.

Voilà l'état d'abaissement où le projet d'Amsterdam voudrait réduire la représentation nationale. Vous ne pouvez pas accepter cette mise à mort. D'ailleurs - et j'arrive à l'inconstitutionnalité de la demande qui nous est présentée -, vous n'avez pas le droit de faire ce que vous apprêtez à faire.

Car si le Parlement a le droit d'exercer la souveraineté, il n'a pas le droit de l'aliéner. L'abandon de la souveraineté française sur le territoire national est indissociablement lié, dans le traité d'Amsterdam, à d'autres abandons de souveraineté qui forment un tout. Ce n'est pas seulement l'éboulement d'un pan de mur, c'est l'affaissement de toute la maison, c'est-à-dire de tous les principes et de toute la conception de notre vie en commun.

On ruine la souveraineté au nom d'un projet européen radicalement contraire à nos principes constitutionnels fondamentaux et dont le moins qu'on puisse dire est qu'il n'a pas été présenté clairement aux citoyens français. Avec Amsterdam, le peuple français perd la maîtrise de son territoire. Mais il perd aussi la maîtrise de sa Constitution et de ses lois. En effet, les principes qui sous-tendent le projet de révision constitutionnelle, tels que je viens de les décrire, relèvent d'une idée plus générale et qui est en filigrane dans le traité : il s'agit de subordonner, dans tous les domaines, la volonté du peuple français à des mécanismes supranationaux qui lui échappent et qu'il ne pourra plus jamais contrôler. Nous voyons ainsi se développer une logique fédérale qui ne dit pas son nom, selon laquelle les souverainetés nationales doivent disparaître et les libertés des nations être soumises aux procédures communautaires.

S'il est vrai, comme le disait Metternich à propos du traité de Vienne, que, dans le texte des traités de grande conséquence, bien qu'ils soient parfois de petite facture et d'écriture illisible, « le diable se loge toujours dans les détails »,...

M. Gérard Gouzes.

Le diable ! Il ne va pas se mettre à parler comme la mère Boutin ?

M. Philippe de Villiers.

... il y a dans le traité d'Amsterdam deux détails diaboliques, deux articulets falots, inaperçus, explosifs, comme deux grades de radium, deux dispositions redoutables qui changent complètement la donne, qui inversent l'ordre des facteurs de puissance.


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Avec ces deux dispositions, ce ne sont plus les nations qui contrôlent Bruxelles, c'est Bruxelles qui contrôlera les nations.

Le premier articulet est logé au coeur d'une proclamation de principe solennelle sur le thème : désormais c'est promis, juré, craché, l'Europe, dans sa sagesse, appliquera le principe de subsidiarité ; en bas, tout ce qui est possible, en haut, seulement ce qui est nécessaire. Seulement, chemin faisant, ce fameux protocole no 7, qui porte sur le principe de subsidiarité, égrenant les bonnes intentions, prend soin de mentionner, au détour d'un engagement en peau de tambour, que la subsidiarité - et c'est la phrase-clef : « ne porte pas atteinte aux principes mis au point par la Cour de justice en ce qui concerne la relation entre le droit national et le droit communautaire ».

Qu'est-ce à dire ? C'est simple à comprendre. Cette phrase consacre pour la première fois au niveau d'un traité la référence à une jurisprudence de la Cour sur laquelle les peuples n'ont jamais eu l'occasion de se prononcer. C'est-à-dire que, désormais, toute forme, toute source de droit communautaire, même dérivé, sera supérieure à toute forme, toute source de droit national, même constitutionnel.

Voilà, à ce niveau très solennel, une innovation majeure. On peut être pour, on peut être contre, mais on ne peut pas la nier, l'occulter ou la cacher au citoyen français, et encore moins à la représentation nationale.

Elle corrobore l'idée principale du traité : la subordination totale des volontés nationales, prises séparément, aux règles communautaires.

On voit bien, d'ailleurs, la logique globale, et, si j'étais fédéraliste, je serais d'accord avec cet articulet. Je dirai même qu'il est indispensable et que, sans lui, l'Europe ne peut pas fonctionner. Car comment pourrait-on gérer un territoire européen unifié, dépourvu de toute frontière interne, si les décisions centrales ne l'emportaient pas clairement sur les volontés nationales ? Eh oui, cette logique est implacable ! Dorénavant, nos votes, nos lois, notre Constitution ne vaudront plus rien face aux décisions de Bruxelles. Même contraires à nos lois ou violant notre Constitution, celles-ci s'imposeront à nous. Quand les députés et les sénateurs, d'accord avec le Gouvernement, adopteront une loi contraire à un règlement de Bruxelles, celle-ci sera sans effet, même si les Français la confirment à une large majorité par référendum.

Dans le même sens, il y a plus fort encore : c'est le droit, pour Bruxelles, de prononcer la déchéance d'un

Etat. On aurait du mal à le croire si l'on n'avait sous les yeux le fameux article 7, fameux pour ceux qui ont lu le traité. Il est d'une nouveauté si inouïe qu'on n'ose pas en faire état, mais il a pourtant été inséré dans le traité.

Il dispose qu'un Etat dont ses pairs estiment qu'il a manqué à ses devoirs peut être suspendu de tous ses droits sans être pour autant relevé de ses obligations. La décision, bien entendu, sera prise sans lui, de sorte que, pour le juger, il faudra l'avoir déjà condamné.

Que signifie l'introduction de cette disposition répressive dans l'arsenal communautaire, sinon que l'Europe a changé de nature ? Depuis le « pacte de stabilité », on pouvait mettre un Etat à l'amende. Demain, avec le traité d'Amsterdam, on pourra le mettre en résidence surveillée.

A quand la camisole de force ? (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

La camisole, c'est pour lui !

M. Philippe de Villiers.

Aussi longtemps que la Communauté européenne a été un club d'Etats associés, il était tout juste imaginable qu'on en fût exclu ou qu'on s'en retirât de soi-même.

Pour que l'Union européenne se dote aujourd'hui d'un régime disciplinaire et pénal, ne faut-il pas qu'elle soit en train de devenir une prison ou un asile ? On y entre mais on n'en sort pas.

Et on appelle cela la « souveraineté partagée » ? Parlons-en. En fait, il s'agit plutôt de « souveraineté limitée », au sens des démocraties populaires et des pays frères. La France devient un pays frère de Bruxelles.

Demain, notre pays peut être déchu de ses droits de vote et soumis à ce régime nouveau, à ce régime disciplinaire.

Le peuple français peut être mis sous tutelle internationale. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Cette hypothèse est-elle donc inconcevable, comme les bruits divers que je viens d'entendre le laissent supposer ? Si vous le voulez bien, mes chers collègues, nous allons prendre un exemple tiré du traité lui-même. En général, sauf lorsqu'on dit et qu'on écrit n'importe quoi,...

M. André Billardon.

Comme vous !

M. Philippe de Villiers.

... un article de traité est fait pour être utilisé, ou alors il ne fallait pas l'y mettre.

Vous savez que le traité d'Amsterdam prévoit de confier aux institutions communautaires le droit de décider des « mesures tendant à assurer un équilibre entre les efforts consentis par les Etats membres pour accueillir des réfugiés et des personnes déplacées, et supporter les conséquences de cet accueil ».

C'est-à-dire, pour parler clairement, que les institutions communautaires auront le droit, en cas d'afflux de réfugiés dû à une cause quelconque, de décider de les accueillir, puis de répartir la charge de leur entretien entre les différents pays membres, et finalement de répartir leur présence physique entre les différents territoires.

Cette disposition figure dans le traité à la demande de l'Allemagne. En d'autres termes, si, à la suite de troubles ravageant certaines régions du monde, 500 000 réfugiés se pressent aux portes de l'Italie, et si ce pays - naturellemment - les laisse entrer, le Conseil des ministres, sur proposition de la commission, pourra décider de les répartir équitablement, en vertu de l'article 63-2, entre les différents pays d'Europe. Et, eu égard aux vastes espaces ruraux déserts et aux nombreux villages de France abandonnés, il pourra nous en affecter 250 000, tout en garantissant que le coût financier de leur entretien sera é quitablement partagé entre les différents Etats de l'Union, au prorata de leur PNB.

La France pourra refuser cette décision, mais si tous ses partenaires considèrent que ce partage est une excellente idée et qu'on est dans le cadre de la souveraineté partagée, notre pays sera mis en minorité et le Conseil lui imposera l'accueil des 250 000 réfugiés.

La France pourra persister à refuser aller plus loin et rétablir unilatéralement les contrôles à ses frontières, comme l'a fait le Président de la République en se fondant sur la clause de sauvegarde de Schengen immédiatement après son arrivée à l'Elysée en 1995. A ce moment-là, il s'agira d'une atteinte à un principe fondamental, c'est-à-dire d'une violation grave de la sacrosainte liberté de circulation des personnes.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

Et nous voilà, nous, la France, justiciables du fameux article 7 : même si le Parlement français soutient unanimement son gouverment, les droits de vote de la France au Conseil peuvent être suspendus, sans que, pour autant, nos obligations financières, soient diminuées.

Voilà donc un exemple d'application de l'article 7 tout à fait effrayant, mais tout à fait possible puisqu'il est tiré du texte même d'Amsterdam.

On pourrait imaginer beaucoup d'autres cas de figure très vraisemblables d'application de l'article 7 : le rétablissement unilatéral de contrôles aux frontières pour lutter contre des importations américaines de viandes aux hormones ; la reprise des essais nucléaires ; le refus de briser l'unité linguistique du pays au nom des droits des langues régionales, ou encore le refus d'autoriser l'adoption d'enfants par des couples homosexuels, refus qui pourrait être considéré comme une discrimination en fonction de l'« orientation sexuelle », pratique tout à fait condamnable selon le nouvel article 13 du traité.

A travers ces quelques exemples, on perçoit concrètement, jusqu'à leur terme, toutes les conséquences du projet d'Amsterdam : subordonner les droits nationaux ; abaisser les parlements ; soumettre les peuples.

Cet article 7 détruit tous les équilibres autrefois savamment négociés de traité en traité, sous le regard vigilant du général de Gaulle.

A quoi servirait-il d'inscrire dans un traité que telle ou telle décision devra être prise à l'unanimité s'il est prévu par ailleurs que les droits d'un Etat peuvent être suspendus par les autres et que des mesures, même fondamentales, peuvent être prises sans son consentement ? Que deviendrait alors le compromis de Luxembourg ? Je sais bien que, lors du débat sur le traité de Maastricht, M. Dumas avait déclaré à cette tribune - les gaullistes s'en souviennent certainement - que le compromis de Luxembourg était caduc et que la vision du président Mitterrand était d'aller vers une Europe indéfiniment fédérale. Mais permettez que je verse une larme sur le compromis de Luxembourg car il est fondamental.

En effet, le compromis de Luxembourg est un acquis majeur de la politique gaulienne dans les affaires européennes ; il est l'instrument privilégié, le symbole même, du droit d'un Etat de choisir pour lui une règle différente de celle des autres, ou de faire obstacle à une règle commune qui léserait ses intérêts vitaux.

Compte tenu de la logique d'Amsterdam, il était inévitable que la contradiction apparaisse à un moment ou à un autre. Elle apparaît ici à l'article 7, et elle est balayée.

Et de quelle manière expéditive ! L'indépendance et la souveraineté de la France s'y trouvent anéanties sans que le peuple français ait eu son mot à dire.

Je pourrais poursuivre l'énumération des points innombrables sur lesquels le traité d'Amsterdam viole nos principes fondamentaux et, du même coup, notre Constitution. Je pourrais la poursuivre longuement : le groupe Europe des nations du Parlement européen et son président, Georges Berthu, dont je vous recommande le livre, excellent, sur le traité d'Amsterdam, ont d'ailleurs dressé des listes exhaustives. J'en resterai quant à moi aux principes, qui sont maintenant clairs : la ratification du traité d'Amsterdam implique d'abord d'aliéner la souveraineté française. Or, mes chers collègues, celle-ci est inaliénable.

Je ne chercherai pas à copier la définition de la souveraineté nationale qu'a donnée tout à l'heure M. Vauzelle.

Mais le fait qu'il ait conclu sur cette définition est pour moi comme une sorte de lapsus.

La souveraineté nationale, c'est le droit pour le peuple français de choisir lui-même ses lois et de dessiner les voies de son destin.

M. Gérard Gouzes.

Et s'il choisit d'être européen ?

M. Philippe de Villiers.

Elle constitue le pilier, le pivot des institutions de la Ve République : sur elle, tout repose ; à partir d'elle, tout se construit ; sans elle, tout s'effondre et se délite.

On peut choisir d'être seulement européen en cessant de croire à la souveraineté nationale. Mais on ne peut pas affirmer en même temps qu'on veut protéger la souveraineté nationale et qu'on veut la transférer à d'autres instances.

M. Gérard Gouzes.

C'est à M. Séguin que vous vous adressez là !

M. Philippe de Villiers.

On ne peut pas vouloir mettre sur pied un nouveau gouvernement tricéphale - la monnaie, les lois, la justice - et nous faire croire dans le même temps qu'on maintient le principe de la souveraineté nationale.

Sans la souveraineté nationale, tout s'effondre et se délite.

La Constitution proclame, en son article 3, que cette souveraineté n'appartient qu'au peuple. Ce principe n'exclut pas la coopération avec d'autres peuples. Nous sommes tous ici profondément européens, attachés à la coopération des peuples entre eux, des Etats entre eux, des entreprises entre elles.

Une association d'Etats partenaires ? Oui, bien sûr ! Mais la fusion, c'est-à-dire la confusion, non ! L'Europe d'Ariane et d'Airbus ? Oui ! L'Europe de la coopération ? Oui ! L'Europe de la Commission ? Non ! Le partenariat permet de maintenir l'indépendance nationale et l'intégrité du territoire comme le prescrit l'article 5, alors que la subordination les compromet et ne peut finir que dans le malheur.

Voilà les principes de bon sens auxquels nous sommes aujourd'hui profondément attachés - c'est assurément le cas d'un certain nombre d'entre nous. Tout le reste, pardonnez-moi de vous le dire, n'est que duperie sémantique.

D'ailleurs, dans les périodes d'affaissement civique, les mots qui reviennent sont toujours les mêmes, porteurs des mêmes séductions, des mêmes pièges, des mêmes illusions et des mêmes mensonges. Savent-ils, les prophètes de l'eurobéatitude d'Amsterdam, qu'en soufflant à l'oreille des peuples d'Europe que le temps des nations est derrière nous, ils vont répétant, résignés, la formule qu'ils ne savent pas être de Drieu la Rochelle, en 1942 : « Le temps des patries est fini » ?

Mme Nicole Bricq.

On n'a jamais dit ça !

M. Philippe de Villiers.

Quant à la trouvaille sémant ique de la souveraineté partagée, on la croit de M. Delors, alors qu'elle est de M. Benoits-Méchin, secrétraire d'Etat à Vichy, et qu'elle a été formulée en 1942.

Mme Nicole Bricq.

Voilà un amalgame qui ne vous honore pas !

M. Philippe de Villiers.

La souveraineté, hier comme aujourd'hui, ne se partage pas. Aujourd'hui comme en 1940, on n'est pas à moitié souverain : on est souverain ou on ne l'est pas. La souveraineté partagée, cela veut dire concrètement qu'on transfère les pouvoirs de décision du peuple français à des institutions européennes où la France ne pèsera plus que 12 % des droits de vote, et de 7 à 8 % après l'élargissement.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

M. Gérard Fuchs.

C'est mieux que zéro !

M. Philippe de Villiers.

Et tout cela sans droit de veto ni clause de sauvegarde pour protéger nos intérêts vitaux.

Il est clair que, si les institutions centrales se trouvent dominées demain par des intérêts opposés aux nôtres, nous nous trouverons dans une situation caractérisée de subordination.

Le bon sens proscrit toute aliénation de souveraineté, et la Constitution de la Ve République l'interdit absolument. En effet, si la souveraineté nationale appartient au peuple, cela signifie qu'elle n'appartient qu'à lui et à personne d'autre. L'affirmation du présent de l'indicatif de l'article 3 de la Constitution a la valeur d'un impératif.

D'ailleurs, on n'a pas assez souvent remarqué que la Constitution donne une indication encore plus précise à un autre endroit : en son article 89, il est précisé que « la forme républicaine du Gouvernement ne peut faire l'objet d'une révision ». Le Conseil constitutionnel l'avait d'ailleurs souligné dans sa décision du 2 septembre 1992.

Mais que signifie, sur le fond, la « forme républicaine du Gouvernement » ? L'article 2 répond : c'est le « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple », donc l'expression de la souveraineté nationale. La boucle est bouclée.

La combinaison des articles 2 et 89 montre que la souveraineté nationale ne peut pas faire l'objet d'une révision. On aura beau habiller, déguiser, maquiller le grand déménagement qui se prépare, on ne pourra pas, mes chers collègues, l'occulter.

Comment peut-on nous parler, comme l'a fait Mme la garde des sceaux tout à l'heure, de « transferts de compétences », alors que le projet gouvernemental et le traité d'Amsterdam qui se profile derrière lui proposent d'aliéner la souveraineté ? Oui, on pourrait parler de simples « transferts de compétences » si les pouvoirs délégués à la Communauté européenne restaient contrôlables, maîtrisables et réversibles. Mais l'analyse du traité montre bien que nous ne sommes pas du tout dans cette hypothèse, car ces transferts sont bel et bien conçus pour ne pas être réversibles.

Le traité l'affirme avec force à plusieurs reprises, et on n'y trouve d'ailleurs ni droit de soustraction de l'acquis communautaire ni droit de sécession.

Ces transferts ne seront pas davantage maîtrisables car on ne maîtrise rien quand on ne pèse que 12 % des droits de vote et qu'on ne dispose ni d'un droit de veto, ni d'une clause de sauvegarde, ni du droit de rétablir unilatéralement des contrôles.

Nous ne sommes donc pas devant des transferts de c ompétences, mais bien devant des aliénations de souveraineté.

La justice des mots eût été de le dire dans la révision constitutionnelle en remplaçant l'expression : « transferts de compétences » par la formule qui convient : « aliénations de souveraineté ».

La Constitution, que vous violez ainsi, nous interdit absolument d'y consentir, et c'est la raison majeure de cette exception d'irrecevabilité.

Face à cet enjeu, le recours à la notion même d'« amendement » apparaît pour ce qu'elle est : une manoeuvre dérisoire. Voici que les parlementaires seraient invités à voter de la main gauche des amendements pour sauver leurs droits, alors que, de la main droite, ils voteraient un texte qui les anéantit.

Amender ce texte, c'est en quelque sorte réclamer le droit d'être consulté au petit matin de la guillotine.

A quoi mènent donc juridiquement les résolutions du Parlement ? A voter de simples avis tardifs, que le Gouvernement a peut-être le bon goût de soutenir dans la plupart des cas, mais qui n'obligent en rien les institutions européennes, surtout dans le cas où l'on vote à la majorité qualifiée et où la France se trouve dans la minorité.

Face à ce torrent de directives qui submerge les parlements, voici qu'on nous propose de brandir des voeux pieux pour arrêter le grand déferlement des normes de Bruxelles. Quelle efficacité ! Quelle dérision ! C'est l'image d'un enfant qui viendrait se poster en contrebas d'un barrage en rupture et qui brandirait, pour stopper le cours de la masse d'eau, une pelle de plage.

Mais ce n'est pas avec une pelle de plage que l'on arrêtera la marée bruxelloise ! Ce n'est pas avec des résolutions qu'on endiguera le torrent furieux qui nous arrive dessus chaque jour comme une cataracte ! La preuve que ce torrent nous arrive chaque jour dessus, c'est que, mille fois saisis, le Sénat et l'Assemblée n'ont rendu que cent cinquante avis.

Chacun sait ce qu'il en est des résolutions - vous en avez l'expérience. Il en est des résolutions comme, parfois, des bonnes résolutions. On connaît leur mérite : mettre du baume. Et on connaît leur destination : terminer tout en haut, là-bas, dans un immeuble gris, à Bruxelles, sur une étagère. D'ailleurs, de toutes les résolutions qui ont été votées depuis 1992, aucune n'a eu d'influence - je dis bien : aucune.

Un de nos collègues de l'UDF posait hier dans la presse, naïvement sans doute, la question suivante : qu'est devenue la fameuse résolution Giscard-Jospin sur la monnaie unique ? Aurai-je la cruauté, à ce stade de mon propos, de vous rappeler ce qu'est devenue cette résolution du 22 avril, ô combien solennelle ? L'Assemblée demandait alors la constitution d'un

« comité interparlementaire » de l'euro ainsi que la comparution périodique du président de la Banque cent rale européenne devant les organes compétents de l'Assemblée nationale française. Le Premier ministre avait déclaré à cette tribune qu'il s'associait à ce voeu. Mais, mes chers collègues, votre résolution a été jetée au panier à Bruxelles, et le Parlement européen s'est même permis d'adopter un rapport humiliant pour nous, représentation nationale, et qui affirmait qu'« en tant que seule institution de l'Union européenne élue au suffrage universel, le Parlement européen avait un rôle formel à jouer en tant q u'interlocuteur unique de la Banque centrale européenne ».

Quand notre délégation - M. Nallet s'en souviendra sans doute - s'est contentée d'inviter récemment non pas le président de la Banque centrale - on n'aurait pas osé mais simplement un vice-président, elle a été traitée par le mépris et on lui a envoyé, avec le délai que méritait son audace, le gouverneur de la Banque de France.

Voilà bien la place réservée au Parlement français dans l e nouveau système européen qu'on vous demande d'entériner : une assemblée locale soumise aux ordres de Bruxelles, exactement comme la Banque de France est devenue de son côté une filiale de la Banque centrale.

Avec les « amendements » à l'article 88-4, on vous propose, mes chers collègues, d'échanger vos pouvoirs contre un droit d'avis.

Avant Amsterdam, vous aviez des pouvoirs. Après Amsterdam, vous donnerez des avis.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

On vous propose d'échanger les pouvoirs que vous a confiés le peuple français contre le droit de donner un avis aux institutions européennes. C'est le type même de l'échange inégal qui va nous conduire tout droit à l'abdication de nos libertés.

Depuis l'Acte unique, c'est-à-dire depuis une quinzaine d'années, la construction du super-Etat européen s'est accompagnée d'une marginalisation des parlements nationaux, d'un déficit démocratique croissant, d'une absence à peu près totale de participation des citoyens et d'un sentiment d'impuissance à la fois des Etats et de l'Union.

Devant un tel constat, on aurait pu imaginer que les négociateurs d'Amsterdam se fussent donné pour objectif prioritaire de renouer le fil démocratique rompu. Il n'en a rien été : le traité poursuit exactement dans la même direction qu'auparavant.

Il est hallucinant de constater que personne ne semble se demander comment sera exercé, demain, le contrôle démocratique dont la responsabilité va être soustraite au Parlement français.

L'analyse du traité d'Amsterdam et des institutions européennes actuelles montre que, dans le domaine de la c irculation internationale des personnes, le contrôle démocratique se trouvera considérablement affaibli : avant même le passage à la codécision, c'est-à-dire de 1999 à 2003, le Parlement français ne pourra plus prendre de décisions dans le domaine de la circulation des personnes.

En effet, ce sera le Conseil des ministres européen qui les prendra à l'unanimité, après avoir écouté le simple avis du Parlement européen.

Dans toutes ces matières extrêmement sensibles, où le parlement national veillait jusqu'ici au respect des libertés publiques, vous ne disposerez plus que d'un contrôle indirect, celui que vous exercerez sur le gouvernement français siégeant au Conseil.

A partir de 2004, le parlement national n'exercera plus guère qu'une magistrature d'influence. Il aura perdu tout pouvoir de contrôle. M. Moscovici l'a dit tout à l'heure : le Parlement européen sort grandi de ce traité. Oui, le parlement national se trouvera peu à peu remplacé par le Parlement européen, qui bénéficiera d'un pouvoir de codécision avec le Conseil. Mais, chacun en conviendra ici, le Parlement européen n'est pas une assemblée démocratique ordinaire. Tout d'abord, les pays n'y sont pas représentés proportionnellement à leurs populations. Surtout, le Parlement européen ne s'appuie pas sur un peuple européen ou une opinion publique européenne, qui d'ailleurs n'existent pas, en tout cas pas pour l'instant. Il ne bénéficie donc d'aucun soutien populaire, d'aucune participation affective des citoyens. Il ne dispose pas du soutien, de l'homogénéité et de la crédibilité qui seraient nécessaires et se trouve conduit trop souvent, de ce fait, à des prises de positions fantasques.

Aux termes de la réforme proposée aujourd'hui, c'est pourtant le Parlement européen qui recueillera demain les pouvoirs enlevés à notre parlement national dans ces matières si sensibles de la circulation des personnes et de l'immigration. Cette réserve de principe peut d'ailleurs être étendue à l'ensemble du traité d'Amsterdam. Vous n'ignorez pas, en effet, que l'adoption du projet actuel de révision constitutionnelle serait interprétée comme un feu vert politique pour la ratification de l'ensemble du traité.

Or, ce texte comprend de vastes extensions du champ communautaire concernant non seulement la circulation des personnes, mais aussi les droits des citoyens ou de nombreuses questions économiques et sociales. Ces extensions sont assorties d'une multiplication des cas de décision à la majorité qualifiée au Conseil ou des cas de cohésion avec le Parlement européen. Or, ces extensions des règles de la majorité ou de la codécision s'accompagnent parallèlement, dans tous les cas, d'une régression, voire d'un anéantissement des pouvoirs des parlements nationaux qui n'auront plus, dans la meilleure des hypothèses, que le droit de donner des avis. Remarquez, c'est mieux que rien et je reconnais là le grand mérite des négociateurs du traité d'Amsterdam : dans leur bonhomie et leur bienveillance, ils ont laissé aux parlements nationaux un droit d'avis ! Mais cette meule abrasive, qui éloigne les peuples de leurs démocraties nationales en mutilant les droits des parlements, ne produira que du vide et du désenchantement. C'est une mécanique absurde qui ne produira jamais la moindre politique européenne, comme le disait si bien l'ambassadeur Gabriel Robin. Elle en est radicalement incapable, mais elle est très capable de broyer les politiques nationales, et la vérité oblige à dire qu'elle n'y réussit que trop bien. On nous dit parfois, mezza voce, que l'efficacité est à ce prix, avec un sous-entendu : moins de démocratie pour plus d'efficacité.

M. Alain Barrau.

Jamais : plus de démocratie pour plus d'efficacité !

M. Philippe de Villiers.

C'est ainsi que l'on nous vante les mérites d'une future « police unique », un FBI européen. S'il s'agit, pour prendre cet exemple qui a été cité à la radio il y a quelques heures, de faire coopérer entre elles les polices, très bien ! Mais s'il s'agit d'une police unique au sens de la monnaie unique et du territoire unique, je pose simplement cette question à ceux dont la mission est de justifier le contrôle démocratique :...

Mme Nicole Bricq.

Quelle sera la couleur de l'uniforme ?

M. Pilippe de Villiers.

... qui donc contrôlera cette

« police unique » ? Quelle assemblée démocratique garantira les libertés publiques face à cette police a-territoriale ? L'expérience nous enseigne chaque jour la même leçon : il n'y a pas d'efficacité sans démocratie. Tout à l'heure, et c'est une grande première, la moitié pour ne pas dire plus des questions d'actualité posées par les parlementaires au Gouvernement ont porté sur ce qui se passe à Bruxelles. Petit à petit, vous le sentez bien, mes chers collègues, tout nous échappe, et là où il n'y a pas de démocratie, il n'y a plus d'efficacité, car toutes les institutions mal contrôlées par leurs mandants dérivent toujours loin de leurs objectifs initiaux.

En effet, le traité d'Amsterdam aura pour conséquence de subordonner les démocraties nationales à une démocratie européenne prétendument supérieure.

Mais comme cette dernière n'est qu'une illusion, puisqu'elle ne repose pas sur le soubassement d'un peuple européen, les démocraties nationales se trouveront en réalité subordonnées à des systèmes complexes de procédures artificielles, maîtrisées aujourd'hui par des fonctionnaires, demain peut-être par un Etat plus puissant ou plus habile que les autres, qui saura s'y frayer un chemin.

Au cours des années récentes, on a souvent constaté que les fonctionnaires européens réussissaient, grâce à l'absence de contrôle, à substituer leurs objectifs à ceux des nations. Pour ne citer que trois exemples, on a vu l'uniformisation à outrance prendre le pas sur le souci des modes de vie et les libertés de choix nationales. On a vu l'ouverture systématique des frontières prendre le pas sur la sécurité. On a vu des accords internationaux nous imposer une conception absurde du libre-échange ne


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

tenant pas compte des coûts non chiffrés et non inclus spontanément dans les prix, comme les coûts environnementaux, sociaux, culturels et sanitaires. Et ce processus va se poursuivre et s'amplifier si, comme le propose le projet de révision constitutionnelle, nous transférons demain à Bruxelles le pouvoir d'établir les règles de circulation des personnes dans toute l'Europe. Et puis je v oudrais bien que l'on m'explique, mais peut-être M. Moscovici le fera-t-il tout à l'heure, à quoi va servir que l'on délibère à la majorité sur les questions d'immigration, plutôt qu'à l'unanimité. Si je comprends bien, le système de la majorité, que vous souhaitez d'ailleurs étendre pour l'élargissement, sert à forcer la minorité à faire ce qu'elle ne veut pas faire.

M. Gérard Gouzes.

C'est ce que l'on va faire tout à l'heure avec vous !

M. Jacques Myard.

On a l'habitude !

M. Philippe de Villiers.

Donc, l'objectif est de forcer quelqu'un. Alors qui ? Veut-on forcer la France à se soumettre à une politique de l'immigration dont elle ne voudrait pas ? Il faut le refuser évidemment. Ou bien veut-on forcer tel ou tel de nos voisins ?

M. Pierre Lellouche.

Vous aimez tant que cela la loi Chevènement, monsieur de Villiers ?

M. Philippe de Villiers.

Monsieur Lellouche, je comprends que mon propos soit pour vous, qui êtes gaulliste, comme un reproche vivant.

(« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste),...

M. Marcel Rogemont.

La statue du commandeur a parlé !

M. Philippe de Villiers.

... mais ayez la gentillesse de m'écouter jusqu'au bout,...

M. Pierre Lellouche.

Cela fait une heure que je vous écoute !

M. Philippe de Villiers.

... vous en tirerez le plus grand profit. Je considère que votre présence ici est une marque de courtoisie et je l'apprécie particulièrement. Soyez donc assez gentil pour me laisser terminer, j'en ai pour quelques minutes ! D'autant que sur ce sujet, comme sur beaucoup d'autres, je connais vos convictions et votre accord profond.

Je ne veux donc pas que quiconque vienne forcer la France dans sa politique, quelle qu'elle soit.

M. Alain Barrau.

Personne ne veut forcer personne !

M. Philippe de Villiers.

Et je ne veux pas non plus que la France force un voisin. Les pays voisins ont en effet le droit de faire librement leurs choix et il convient de les respecter suffisamment pour ne pas les contraindre. Seulement, si par hasard l'un d'entre eux devenait outrageusement laxiste, je demande de mon côté, pour notre pays, le droit tout à fait légitime de contrôler ses frontières pour arrêter les flux venus de chez lui.

Ceux qui nous proposent l'aliénation de la souveraineté poursuivent en fait d'autres objectifs que la démocratie ou l'efficacité. Il s'agit, mais personne n'ose le dire pour l'instant - peut-être M. de Charette le fera-t-il tout à l'heure - de construire un super-Etat européen dont personnellement je n'ai que faire. En effet, ce super-Etat se retournerait très vite contre nous. Il briserait les volontés nationales. Il serait mal contrôlé. Il serait sourd aux demandes des citoyens et des nations. Il n'obéirait réellement qu'à des fonctionnaires, des experts ou des juges. Il dériverait de plus en plus par rapport aux besoins réels des peuples. Etrange système : Bruxelles - une partie de nos pouvoirs y part avec le renforcement de la Commission au détriment du Conseil - Francfort, avec les banquiers centraux - bientôt, à partir du 1er janvier, nous n'aurons plus un gouvernement national, mais nous aurons un gouverneur néerlandais ! - Luxembourg, avec la Cour de justice,...

M. Henri Nallet, rapporteur.

Et un conseil de l'euro !

M. Philippe de Villiers.

... dont les pouvoirs sont consid érablement augmentés, monsieur Nallet, vous en conviendrez. Et comme son but n'est pas tant d'arbitrer que d'influencer le droit européen pour aller dans le sens

« téléologique » - je cite - du fédéralisme, on peut s'attendre à tout.

Dans cet étrange système tricéphale - Bruxelles, Francfort, Luxembourg - il y a un absent de marque : c'est le peuple, c'est la démocratie, c'est le suffrage universel.

C'est pourquoi il y a beaucoup de vraies réformes à faire en Europe, mais ce ne sont pas celles du traité d'Amsterdam. Les vraies réformes devraient nous faire revenir aux origines du traité de Rome : la coopération et le marché commun. Ces vraies réformes devraient consister, par exemple, à enlever le pouvoir aux fonctionnaires européens en privant la Commission de ses privilèges exorbitants et en soumettant la Cour de justice, d'une manière ou d'une autre, à un droit d'appel devant les peuples et, pourquoi pas, devant le parlement national. Parallèlement, il faudrait rétablir un contrôle démocratique sur l'Union européenne, qui ne peut être que celui des nations. Concrètement, il faudrait officialiser le compromis de Luxembourg pour l'ensemble du traité. Il faudrait également imaginer un rôle direct des parlements nationaux dans les affaires européennes en leur donnant un droit de codécision - je reprends l'expression non pas pour le Parlement européen, mais pour le parlement français -, notamment pour vérifier les limites des compétences communautaires.

Mes chers collègues, j'en arrive au terme de mon propos (Ah ! sur les bancs du groupe socialiste) ...

M. Marcel Rogemont.

Bravo !

M. Philippe de Villiers.

... et je vous remercie, les uns et les autres, sinon de m'avoir approuvé, du moins de m'avoir écouté !

Mme Monique Collange.

Cela a été difficile !

M. Philippe de Villiers.

J'espère que vous êtes aussi à l'aise en m'écoutant que je le suis en vous disant ce que je vous dis ce soir !

M. Gérard Gouzes.

Nous espérons que vous allez rester là pour nous écouter jusqu'au bout tout à l'heure !

M. Philippe de Villiers.

Nous avons tous rendez-vous avec l'Histoire. C'est elle qui nous départagera. Nous ne pouvons pas échapper à notre responsabilité historique.

On nous parle d'un futur traité qui, celui-là, sera le dernier et qui va encore étendre les décisions à la majorité qualifiée. Mais de grignotage en grignotage, un jour vient où la ligne rouge est franchie. Avec Amsterdam, nous atteignons le seuil décisif au-delà duquel la souveraineté nationale n'aurait plus qu'un contenu d'apparence. On pourrait l'évoquer dans les discours, ici ou ailleurs, mais cela ne voudrait plus rien dire. D'ailleurs, convenons-en, notre jeunesse a de plus en plus de mal à savoir ce que recouvre cette expression.

M. Alain Barrau.

Quel mépris pour la jeunesse !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

M. Philippe de Villiers.

Non pas pour la jeunesse, monsieur Barrau ! C'est du mépris pour ceux qui lui ont menti pendant trop d'années...

M. Henri Nallet, rapporteur.

Vous n'êtes pas mal dans ce genre !

M. Philippe de Villiers.

... et qui ont dénaturé le traité de Rome, qui était un grand traité.

M. Alain Barrau.

Y avait-il une Cour de justice dans le traité de Rome ?

M. Philippe de Villiers.

Dans tous les domaines, le traité d'Amsterdam organise systématiquement l'abaissement de chacun de nos Etats, comme si une Europe forte allait pouvoir surgir de l'affaissement des démocraties nationales qui la composent, comme si l'affermissement de la démocratie résultait de l'aliénation des souverainetés.

Chacun doit mesurer désormais toute l'étendue des abandons de souveraineté qui seraient consentis si le traité d'Amsterdam était ratifié.

M. Alain Barrau.

C'est la prochaine étape ! Ce n'est pas ce soir !

M. Philippe de Villiers.

Vous avez tout à fait raison, monsieur Barrau, la ratification du traité d'Amsterdam, c'est la prochaine étape ! Mais cela ne vous a pas échappé : c'est en vue de ratifier ce traité que l'on nous a convoqués aujourd'hui pour changer la Constitution.

M. Alain Barrau.

C'est pour cela qu'il faut en parler !

M. Philippe de Villiers.

Je parle là de quelque chose de grave : si nous changeons de Constitution, si nous ratif ions le traité d'Amsterdam, la France de la Ve République en sortira en lambeaux ! C'est maintenant qu'il faut trancher. Alors pas d'amendements, pas de subterfuges, il ne faut pas brouiller les pistes ! Nous devons faire face à notre responsabilité. Le vote auquel nous allons procéder est sans appel. Il n'y a qu'un seul instant critique, un seul moment juridiquement crucial, c'est celui de la révision de la Constitution.

On peut certes vouloir une Europe fédérale. On peut l'avoir voulue ou s'y être rendu, mais le dessein doit en être clairement affiché pour que les peuples ou leurs représentants puissent se prononcer en toute connaissance de cause. Ce qui est inadmissible, c'est le double langage et la méthode oblique destinés à tromper les peuples. Or les dispositions du traité d'Amsterdam sont à dessein tellement incompréhensibles, tellement ésotériques pour le non-initié qu'il faut se livrer à un véritable travail de décodage pour en découvrir la véritable portée derrière les apparences bénignes. Mais croit-on qu'en procédant ainsi, on pourra susciter l'adhésion des populations en faveur de l'Europe ? Quel crédit et quel avenir peut avoir auprès des peuples une Europe qu'Amsterdam continue résolument à construire sur l'abus de confiance ? Je dis bien : sur l'abus de confiance ! L'Europe d'Amsterdam prétend maintenir le caractère intergouvernemental de la politique extérieure. Mensonge ! Mensonge !

M. Henri Nallet, rapporteur.

C'est vous qui mentez !

M. Philippe de Villiers.

Elle en communautarise le financement. Vous savez bien que demain, seules les stratégies communes resteront du domaine de l'unanimité.

Pour les actions communes, on passera à la majorité.

M. Henri Nallet, rapporteur.

Expliquez la différence !

M. Philippe de Villiers.

Donc petit à petit, par petits pas, on passe d'un système intergouvernemental à un système intégré.

M. Gérard Fuchs.

Vous préférez la paralysie ?

M. Philippe de Villiers.

M. Moscovici a eu la bonté de nous le rappeler tout à l'heure, l'Europe d'Amsterdam consacre aux parlements nationaux un protocole spécifique, mais c'est pour anéantir leurs pouvoirs ! L'Europe exalte la subsidiarité et l'Europe d'Amsterdam l'exalte encore plus, puisqu'elle lui consacre un protocole de plusieurs pages - le protocole no 7 - mais elle la transforme en un instrument destiné à vider les Etats de leurs compétences.

En refusant la révision constitutionnelle, nous refuserons d'avaliser cette méthode de l'abus de confiance, qui traduit un profond mépris à l'endroit des peuples et qui déshonore l'idée d'Europe en même temps qu'elle la compromet.

Amsterdam poursuit sur la voie du contresens historique dans lequel Maastricht avait engagé l'Europe. Maastricht avait délibérément voulu ignorer les bouleversements intervenus sur notre continent à partir de 1989.

Amsterdam repousse à une échéance lointaine la réalisation, pourtant si nécessaire, de la grande Europe. Certains veulent nous faire croire qu'il n'y a pas d'autre Europe possible que celle-là, pas d'autre Europe possible que celle du super-Etat. Leur prudence dans l'expression et leur soudaine modestie montrent que le malaise grandit. Mais ils continuent sur leur lancée le même discours ! Ils veulent nous faire croire qu'il n'y a pas d'alternative au processus de Maastricht et d'Amsterdam. C'est faux. C'est le contraire. C'est en laissant de côté Amsterdam et sa logique de construction d'une Europe hostile aux nations que l'on pourra ouvrir la porte à l'Europe de l'avenir.

Mes chers collègues, nous avons à choisir aujourd'hui entre la Constitution de la Ve République, fondée sur le respect des souverainetés, c'est-à-dire de la démocratie nationale, et le traité d'Amsterdam fondé sur l'objectif d'un super-Etat, qui vassaliserait la nation et réduirait la démocratie à des procédures virtuelles. Le Gouvernement nous dit : c'est le traité qui est bon et la Constitution qu'il faut changer. Eh bien moi, je vous dis, avec je l'espère d'autres députés et bientôt des sénateurs : non, c'est la Constitution qui est bonne et le traité qui est mauvais ! La révision constitutionnelle qui nous est proposée aujourd'hui suppose notre consentement préalable à l'abandon de la souveraineté nationale.

Mais nous ne le pouvons pas, mes chers collègues.

D'abord parce que cette souveraineté est inaliénable et que la Constitution elle-même nous interdit de consentir à la moindre révision sur ce point. Ensuite parce que, en tant que simples représentants du peuple, nous n'avons aucun pouvoir en ce sens. Les citoyens français nous ont confié le mandat d'exercer la souveraineté nationale et non pas de l'abandonner.

Si nous acceptions cette révision, nous manquerions gravement à nos devoirs les plus sacrés. Tout au plus pouvons-nous faire passer le message au Président de la République et au Premier ministre que cette affaire n'est pas de notre ressort. Seul le peuple lui-même peut se prononcer par référendum.

Il serait inconcevable que, dans la suite de la procédure de révision constitutionnelle, le Congrès fût préféré au référendum. Inconcevable parce que contraire à la Constitution.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

Mes chers collègues, vous pouvez considérer que notre Constitution est un chiffon de papier. Mais ce n'est pas à vous de la jeter à la poubelle. C'est au peuple de le décider.

La voie du Congrès, relisez l'article 89, est illégitime.

Seule la voie du référendum correspond à l'esprit de nos institutions. On nous dit pourtant que le choix du Congrès est déjà fait. Nous ne voulons pas le croire.

M. Gérard Gouzes.

Téléphonez au Président de la République !

M. Philippe de Villiers.

On nous dit même que la date est choisie : ce serait le 18 janvier prochain. Nous n'osons pas le croire ! Le 18 janvier ? A Versailles ? On aurait pu tout de même choisir un autre jour que la date anniversaire de la proclamation de l'Empire allemand dans la Galerie des glaces, à Versailles ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Ce n'est sans doute pas le bon jour pour enterrer la Ve République, pour abolir la souveraineté populaire, pour en finir avec les droits du Parlement, pour remettre les pleins pouvoirs à un gouvernement des juges, des commissaires et des banquiers !

M. Henri Nallet, rapporteur.

C'est d'un goût !

M. Philippe de Villiers.

Et ne vous dites pas, comme M. Nallet dans le regard duquel je lis un doute (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...

M. Gérard Gouzes.

Pour notre part, nous doutons de tout ce que vous dites !

M. Philippe de Villiers.

... ne vous dites plus : il y aura d'autres occasions de rattraper tout cela ! Car cette Europe tourne toute seule, et bientôt sans vous.

Elle ressemble à une pendule dont on a enlevé la grande aiguille, mais dont les heures tournent inexorablement. Et quand on se réveille, il fait déjà nuit ! Alors, pendant qu'il fait encore jour en Europe, il est temps d'arrêter la pendule et d'en changer le mécanisme pour la liberté des peuples aujourd'hui assoupis.

Il est temps de dire non ! Mes chers collègues, nous sommes un certain nombre à penser que l'enjeu, aujourd'hui comme hier, au-delà des partis, des clivages les plus naturels, des oppositions les plus légitimes, des querelles les plus anciennes n'est rien de moins que notre communauté de destin. Et comme le disait, de sa voix de stentor, l'un de nos collègues à cette tribune, dans une sorte de serment solennel, le 5 mai 1992 (« Le nom ! ». - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert)

« Il est des moments où ce qui est en cause est tellement important que tout doit s'effacer ».

Nous sommes un certain nombre à déplorer, mois après mois, que plus la France donne à cette Europe, moins elle en reçoit en retour, plus on lui demande, moins on l'écoute,...

M. Hervé de Charette.

C'est long !

M. Philippe de Villiers.

... plus la France est européenne, moins l'Europe est française. Incroyable pari où la mise se paye au comptant et doit, chaque jour, être augmentée pendant que le gain s'amenuise et qu'il est toujours pour demain.

Nous sommes un certain nombre à refuser de ployer le genou, monsieur de Charette, devant le parti des empires qui, aujourd'hui comme hier, et avec la même puissance de toutes ses naïvetés, de sa voix paisible et rassurante, nous demande d'abdiquer la souveraineté de la nation française.

Nous sommes un certain nombre à croire que le temps, aujourd'hui, est à l'unité, pas à la confusion, qu'il faut unir nos vieilles nations, pas les confondre.

M. Jacques Heuclin.

C'est le chouan du désespoir !

M. Philippe de Villiers.

Au moment où elles sont rejointes par les jeunes nations sorties du froid soviétique et de l'empire de la peur, le temps est venu de comprendre que les nations sont faites de l'étoffe des songes, tissés par des femmes et des hommes pétris de souvenirs et qui croient à la destinée et à la liberté.

Tout Européen a besoin de l'Europe, tout homme a besoin d'un pays, les Français ont besoin de la France.

(Applaudissements sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Gérard Gouzes.

Il a quand même quelques partisans !

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Mesdames et messieurs les députés, j'ai dit tout à l'heure les mérites du traité d'Amsterdam. Pierre Moscovici l'a fait de façon encore plus précise que moi.

Dire que ce traité propose des avancées ne signifie pas que l'on ferme les yeux sur ses insuffisances. Il n'y a donc, monsieur de Villiers, contrairement à ce que vous avez prétendu en commençant votre propos, aucune frilosité de la part du Gouvernement, qui porte sur ce traité un regard lucide.

Sans vanter ce traité, nous souhaitons le voter. Sans nous illusionner, nous souhaitons qu'il soit ratifié, et sans l'ignorer nous l'utiliserons pour une meilleure capacité de la France au sein de l'Union.

Monsieur de Villiers, qu'est-ce que la souveraineté nationale ? Belle question, en effet.

M. Jacques Myard.

C'est le pouvoir de dire non !

M. Gérard Fuchs.

C'est aussi celui de dire oui !

Mme la garde des sceaux.

Je ne veux pas, monsieur de Villiers, de votre conception frileuse de la souveraineté nationale !

M. Henri Nallet, rapporteur.

Très bien !

M. Jacques Baumel.

Rappelez-vous 1940 !

Mme la garde des sceaux.

Qu'est-ce qu'une souveraineté nationale lorsque les mafias défient les Etats et font la loi ?

M. Jacques Myard.

Appliquez les lois !

Mme la garde des sceaux.

Je ne veux pas d'un système qui crée des paradis fiscaux où prospère l'argent du crime.

Je ne veux pas d'un système où, sous couvert d'éviter des contrôles d'utilisation des fonds communautaires, on permet à 4 % du budget communautaire de s'envoler de la poche des citoyens.

(« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. Jacques Myard.

Appliquez les règlements !

Mme la garde des sceaux.

Je préfère de loin l'émergence d'une souveraineté réelle, forte de la capacité de tous les Etats qui luttent efficacement ensemble contre les trafics de drogue ou d'êtres humains, ainsi que cela se


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

produit quotidiennement dans le cadre de Schengen, grâce à l'exercice du droit d'observation et de poursuite.

M. Jacques Myard.

Si cela marche avec Schengen, pourquoi communautariser ?

Mme la garde des sceaux.

Je préfère que grâce à la possibilité, pour Europol d'appuyer les enquêtes nationales par son personnel et par ses informations - possibilité prévue par le traité d'Amsterdam -, les criminels soient mieux poursuivis et mieux réprimés.

Je préfère un cadre juridique qui favorise l'émergence d'un espace judiciaire européen au statisme institutionnel qui n'est plus adapté. Car l'économie et la finance, la famille, la délinquance et la communication se jouent des frontières avec une dextérité qui défie les moyens des

Etats nationaux et qui exige de ces derniers de définir ensemble des moyens mieux adaptés.

Je préfère que, quand cela permet de mieux agir, les

Etats renoncent à une parcelle de souveraineté pour parvenir, dans le cadre européen, à une souveraineté moins théorique et plus efficace, à une souveraineté exercée en commun pour faire face ensemble, car l'union fait la force, aux défis transnationaux qui, aujourd'hui, se multiplient.

Alors, mesdames et messieurs les parlementaires, vous êtes saisis aujourd'hui en votre qualité de constituants.

Ainsi que l'a rappelé le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 2 septembre 1992, le pouvoir constituant est souverain. Il lui est loisible d'abroger, de modifier ou de compléter toute disposition constitutionnelle. Le constituant, monsieur de Villiers, peut tout faire, sauf restaurer la monarchie ! (Rires sur divers bancs. - Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Philippe de Villiers.

Ce n'est pas honnête de votre part ! Les attaques personnelles ne sont pas de mise dans cette enceinte !

Mme la garde des sceaux.

Sous les seules réserves du respect de la forme républicaine du Gouvernement ainsi que des périodes au cours desquelles une révision ne peut être engagée, aucune règle de valeur constitutionnelle ne saurait lui être opposée.

M. Philippe de Villiers.

Venez donc en débattre avec moi !

Mme la garde des sceaux.

Le Gouvernement peut ainsi vous proposer de modifier la Constitution, afin de rendre possible la ratification du traité d'Amsterdam et la poursuite de la participation de notre pays à la construction communautaire.

Par ailleurs, il est exact que le présent projet de loi constitutionnel vise à étendre les transferts de compétences déjà autorisés par l'article 88-2 de la Constitution.

Je ne peux donc que rejeter toute analyse tendant à présenter ces transferts comme des abandons de souveraineté.

M. Michel Vauzelle, rapporteur pour avis.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

Je souscris entièrement à l'idée selon laquelle la souveraineté de la France est inaliénable, imprescriptible, incessible et indivisible.

Toutefois, ce principe n'interdit en rien à notre pays de participer à la création d'organisations internationales investies du pouvoir de décision par des transferts de compétences consentis par les Etats membres. D'ailleurs, le quinzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, qui fait partie de notre Constitution, dispose :

« Sous réserve de réciprocité, la France consent aux limitations de souveraineté nécessaires ». Ce n'est que l'affirmation de la participation de la France aux principes du droit international. Accepter un tel transfert de compétences n'est en rien un abandon de souveraineté. C'est, au contraire, une pleine manifestation de la souveraineté nationale.

Le transfert qui est ainsi opéré conduit simplement à une modification des conditions d'exercice de la souveraineté qui, pour les matières concernées, se fera en commun. Il n'aboutit en rien à un dessaisissement de l'Etat, puisque le travail en commun n'est pas une démission, mais à mes yeux une ambition.

M. Jacques Baumel.

N'exagérez pas !

Mme la garde des sceaux.

Il me paraît essentiel de souligner qu'aujourd'hui notre souveraineté est souvent beaucoup plus effective dans le cadre de politiques communes que dans des actions menées exclusivement au plan national. L'exemple de la politique de gestion des flux migratoires est évidemment éclairant, ainsi que l'ont montré - je l'ai rappelé dans mon discours introductif les récents problèmes rencontrés par l'Italie. Nous voyons bien qu'une coordination des politiques au niveau européen est indispensable dans ce domaine, comme dans beaucoup d'autres que je citais pour commencer.

Mme Christine Boutin.

Du rêve !

Mme la garde des sceaux.

Je soulignerai enfin le choix du Gouvernement de limiter la révision constitutionnelle aux seuls transferts de compétences exigés pour ratifier le traité d'Amsterdam.

Il ne vous est pas proposé, contrairement à ce qu'ont pu faire certains de nos partenaires comme la Belgique, l'Espagne, le Portugal ou l'Allemagne, d'adopter une clause générale autorisant tous les transferts de compét ences exigés par les futurs développements de la construction communautaire.

En faisant ce choix, le Gouvernement a entendu maintenir l'intervention du pouvoir constituant pour tous nouveaux transferts de compétences, lorsque ceux-ci s'avéreront nécessaires et affecteront les conditions d'exercice de la souveraineté nationale. C'est à la fois une méthode de travail, un choix juridique et une exigence politique.

Voilà ce que je voulais dire sur la Constitution et le traité, puisque, monsieur de Villiers, vous avez axé votre intervention sur ce thème-là. Mais vous avez aussi procédé, conformément à votre habitude, par intimidation, en n'hésitant pas, d'ailleurs, à travestir la réalité ; c'est une vieille ficelle, que nous connaissons bien.

Mme Christine Boutin.

Ça, vous la connaissez bien !

M. Thierry Mariani.

Vous êtes experte !

Mme la garde des sceaux.

Par exemple, monsieur de Villiers, vous prétendez que les domaines de compétences sont transférés à des commissaires européens. C'est faux.

C'est au Conseil européen, où sont représentés les gouvernements, que se prennent toutes les décisions.

Monsieur de Villiers, j'ai cru, en vous entendant, être reportée six ans en arrière.

M. Guy Hascoët.

Six siècles plutôt !

Mme la garde des sceaux.

Les mêmes arguments ressassés, la même outrance, les mêmes imprécations. (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Thierry Mariani.

Les mêmes résultats !

Mme la garde des sceaux.

Vous avez même vanté le traité de Maastricht pour mieux rabaisser le traité d'Amsterdam. Mais que n'avez-vous, monsieur de Villiers, voté


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

pour le traité de Maastricht au moment où c'était opportun ! Peut-être nous vanterez-vous dans six ans les mérites du traité d'Amsterdam. (Protestations sur les mêmes bancs.)

M. Jacques Baumel.

C'est faible...

Mme la garde des sceaux.

Et alors je vous pose la question...

M. Philippe de Villiers.

C'est malhonnête ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. Germinal Peiro.

C'est honteux, de Villiers !

M. le président.

S'il vous plaît !

M. Gérard Gouzes.

On l'a écouté une heure et demie et il ne laisse pas parler les autres !

M. le président.

Je vous en prie. Pas d'excès ! Monsieur de Villiers, j'ai l'impression qu'on vous a écouté convenablement.

M. Jacques Heuclin.

Avec beaucoup de mérite, mais on l'a fait !

M. le président.

Alors, laissez terminer Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

Tout à l'heure, vous avez vanté les mérites du traité de Maastricht pour mieux rabaisser Amsterdam.

M. Philippe de Villiers.

Vous dites n'importe quoi !

Mme la garde des sceaux.

Mais, monsieur de Villiers, serez-vous toujours en retard d'un train ? (Applaudissements sur le bancs du groupe socialiste.) Mènerez-vous toujours des combats d'arrière-garde ? Adopterez-vous toujours ce langage de fin du monde qui est destiné à effrayer et qui n'est que dérisoire ?

M. Gérard Gouzes.

C'est un Vendéen !

M. François Vannson.

Arrêtez vos leçons de morale !

Mme la garde des sceaux.

Je crois que oui, hélas ! Il nous faut donc nous résigner à vous entendre exciter les peurs, agiter les mêmes fantasmes. (Protestations sur plu-s ieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Jacques Baumel.

C'est indécent !

Mme la garde des sceaux.

Pour notre part, nous continuerons à faire confiance à la maturité politique de notre peuple (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste), de notre grand peuple de France, qui a compris depuis longtemps que rien ni personne ne pourrait le priver d'assumer librement sa volonté,...

M. Lionnel Luca.

Vous n'avez qu'à faire un référendum !

Mme la garde des sceaux.

... sa volonté que la France continue à compter dans le monde et que, fût-ce à travers l'Union européenne, les valeurs qui sont celles de notre République puissent continuer à rayonner dans le monde entier.

Voilà pourquoi je vous demande de rejeter l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre délégué.

M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je me contenterai d'ajouter quelques mots à l'analyse complète que vient de faire Elisabeth Guigou.

J'ai écouté avec attention le discours de M. de Villiers qui exprimait son talent habituel et un peu particulier. Il a fait preuve, au début de son intervention, - comment dire ? - d'un peu de malveillance envers ceux qui nous gouvernent : le Président de la République et le Premier ministre, allant jusqu'à parler, c'est une expression extrêmement forte, de « forfaiture par inadvertance ».

Mais que s'est-il passé ? Un traité a été négocié par un gouvernement ; il a été adopté dans un Conseil européen à Amsterdam, dans une autre situation politique ; ensuite, à la lumière de ce texte qui était extraordinairement complexe, comme c'est toujours le cas dans ces négociations qui se concluent au petit matin, le Président de la République et le Premier ministre ont décidé ensemble, or c'est fort rare, de saisir le Conseil constitutionnel ; celui-ci a dit le droit ; il a dit qu'il fallait réviser en conséquence notre Constitution. Voilà ce que nous sommes en train de faire devant le Parlement qui joue ici son rôle constituant.

Je ne vois là rien que de très normal, et l'article 89 de la Constitution prévoit ce cas de figure. Où est, monsieur de Villiers, la forfaiture ? Cette expression devrait être retirée si on veut être précis et respectueux du Parlement qui exerce ici pleinement ses responsabilités. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Votre discours, monsieur de Villiers, illustre assez bien le dicton auquel vous vous êtes référé vous-même : « Le diable se loge toujours dans les détails. »

Je me souviens de la même exception d'irrecevabilité que vous souleviez lors de la discussion sur l'euro. Ce ne sont pas les mêmes détails, mais les mêmes obsessions que vous exprimiez alors. Selon vous, la France serait m enacée de destruction, notre Constitution serait caduque, tout ce qui est européen serait néfaste, et nous serions, à tout propos, en train d'abandonner notre souveraineté.

Au-delà des arguments exposés par Mme Guigou, il faut bien voir que la construction européenne s'est fondée depuis quarante ans non sur des abandons de souveraineté, mais sur des souverainetés partagées qui rendent chacun plus fort. Qui ne voit que l'euro en est la meilleure illustration ? Nous n'avons pas perdu du pouvoir monétaire en faisant l'euro. Nous en avons gagné en le partageant au sein de la Banque centrale européenne.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Pour ma part, je pense que cette voie est celle de l'avenir et non du passé.

Je veux relever dans votre propos quelques exemples d'excès et parfois même d'erreurs.

Vous avez commencé par dire que plus on était favorable au traité, moins on le lisait, moins on en parlait.

Non, monsieur de Villiers, il n'y a pas de conspiration du silence, surtout pas dans cette assemblée. Depuis ma prise de fonction aux côtés d'Hubert Védrine en juin 1997, j'ai dû parler du traité plusieurs dizaines de fois, et pas seulement dans les médias, mais ici même devant les commissions ou la délégation, sans compter les visites que j'ai effectuées sur le terrain. Et maintenant que nous abordons le débat fondamental sur la ratification, nous allons populariser le traité.

Que n'auriez-vous dit si nous avions fait de grandes campagnes de communication sur un texte dont le Parlement n'aurait même pas débattu auparavant ? Mais nous allons commencer maintenant. Avec le concours de la


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

Commission, il est prévu, dans le cadre des actions de popularisation de l'Europe, une campagne de communication ayant pour thème principal le traité d'Amsterdam.

M. Jacques Baumel.

Payée par qui ? M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Ce n'est pas de la propagande, c'est de la pédagogie.

M. Thierry Mariani.

Mal placée ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Vous dites que la Commission aura le monopole de proposition au bout de cinq ans : c'est vrai. Mais je vous rappelle que c'est la règle dans le traité de Rome depuis 1958. Cela ne signifie pas pour autant que les commissaires soient « aux manettes ». Récemment encore, Sir Leon Brittan, le commissaire britannique, a constaté à ses dépens qu'il y avait un Conseil des ministres de l'Europe et qu'au sein de ce Conseil, les ministres français savaient faire entendre la voix de leur pays. Cet équilibre sera maintenu.

Autre exemple : vous découvrez dans le traité d'Amsterdam un article 250 précisant que le Conseil des m inistres ne peut amender les propositions de la Commission qu'à l'unanimité. Mais, là encore, monsieur de Villiers, ce n'est que la nouvelle numérotation de l'article 189 A, lequel, vous l'avez dit, a été introduit en 1986 par l'Acte unique. Or c'est un gouvernement auquel vous apparteniez qui a demandé la ratification de l'Acte unique. Chacun peut donc se voir opposer ses souvenirs et ses contradictions, dès lors qu'on parle de l'Europe.

La levée des contrôles aux frontières intérieures se fera selon les règles de Schengen, c'est-à-dire sans automatisme. Il n'y a pas en la matière, contrairement à ce q ue vous avez prétendu, d'application directe de l'article 7 A sur la libre circulation ; la levée des contrôles aux frontières intérieures sur les personnes provenant d'un Etat membre ne peut se faire qu'après constat de l'effectivité de l'application par cet Etat de toutes les mesures compensatoires.

Quant à la clause de sauvegarde, elle continue évidemment d'exister. Elle a été confirmée, lors de la « ventilation » des dispositions de Schengen dans le premier et dans le troisième pilier de l'Union.

Comme le soulignait Mme Guigou, vous avez terminé votre intervention en agitant toute une série de peurs et en allant parfois jusqu'à des scénarios de quasi-sciencefiction qui avaient de quoi faire frissonner d'horreur !

M. Thierry Mariani.

On verra ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Tout cela est bien improbable, et je préfère vous répondre sur le fond, c'est-à-dire d'abord sur l'article 7, ou l'article F 1 dans l'ancienne numérotation.

Un tel article n'avait pas de sens dans la Communauté originelle, qui était composée de nations parfaitement démocratiques voulant unir leurs destins. Cette clause a été introduite non sans pertinence dans le traité d'Amsterdam, dans la perspective du prochain élargissement, pour que l'on puisse éventuellement sanctionner « des violations graves et persistantes de la démocratie et des droits de l'homme par un Etat membre ». Qui peut critiquer cette mesure ? Si, demain, un nouvel adhérent se comportait en violation totale des principes démocratiques, l'article F 1 ou 7 aurait toute son utilité. Vous auriez d'ailleurs été le premier à nous reprocher de ne pas avoir prévu de sanction. Vous évoquez le cas d'un afflux massif d'immigrés. Le traité prévoit en effet l'élaboration d'une réponse commune. Aujourd'hui, vous avez pris cet exemple, c'est l'Italie qui est touchée. Demain, et vous comprendrez immédiatement à quoi je pense, ce pourrait être la France.

M. Thierry Mariani.

Mais vous régularisez les sanspapiers ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Il est illusoire de penser que nous pourrions répondre à ces phénomènes en fermant simplement nos frontières. Il faut au contraire, et c'est aussi l'esprit d'Amsterdam, envisager les solutions en amont et de façon commune. Nous l'avons fait en concertation avec nos partenaires pour régler, il y a quelque temps, le problème des réfugiés vietnamiens. Cela a permis un traitement à la fois plus efficace et plus humain pour les populations concernées. Si nous ne réfléchissons pas à une harmonisation des conditions d'accueil, nous continuerons demain à subir des déséquilibres. Certains Etats membres, dont la France, restant plus attractifs que d'autres, sont plus menacés.

Vous avez soutenu que le vote à la majorité qualifiée servait à nier les minorités. Il s'agit là, monsieur le député, d'une méconnaissance des mécaniques communautaires. La majorité qualifiée ne sert pas à nier ou à bloquer la minorité. Mais force est de constater qu'avec l'unanimité, rien ne bouge. C'est seulement après un débat approfondi que la majorité qualifiée s'applique ; chacun doit alors participer, dans l'esprit communautaire, à un compromis dynamique.

Ainsi, depuis l'Acte unique, que vous avez ratifié, je le rappelle, la majorité qualifiée s'applique largement dans le marché unique. Cela oblige chaque Etat, tour à tour, à des compromis. Mais il n'existe aucun exemple qu'un

Etat ait été « écrasé » dans le cadre d'un vote majoritaire.

M. Philippe de Villiers.

L'Allemagne, hier ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

A ce stade de ma démonstration, je veux rappeler, après vous, l'existence du compromis de Luxembourg.

M. Jacques Myard.

Ah ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Il demeure pour le cas extrême où un Etat risquerait d'être mis en minorité de façon injuste. Mais inutile de l'agiter pour le principe, chacun sait qu'il existe.

Faire l'Europe, cela signifie parfois dire non, mais cela signifie le plus souvent dire oui, peut-être faudrait-il enfin l'apprendre.

Sur l'amendement Giscard...

M. Jacques Myard.

De M. Giscard d'Estaing ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Je reprends la formulation de M. de Villiers.

... j'avais moi-même indiqué, en présence du Président Giscard d'Estaing, que le Gouvernement était favorable à cette mesure mais qu'il en connaissait aussi la difficulté, à savoir qu'il fallait une initiative commune des parlements.

Nous continuons, monsieur de Villiers, à être favorables à cette initiative.

Vous avez critiqué le Parlement européen. Je me suis demandé pourquoi, s'il était aussi critiquable, il attirait autant de personnalités politiques, notamment de l'opposition. (Vives exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

M. François Vannson.

C'est petit !

M. Pierre Lellouche.

Combien de ministres battus y avez-vous recasés ?

M. François Vannson.

Rocard ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Il y a là, au contraire, un transfert de pouvoirs qui n'est pas contradictoire avec l'existence du parlement national, mais qui montre bien l'attrait de l'Europe et l'importance qu'on doit lui accorder.

J'en termine. Nous ne considérons pas que le traité d'Amsterdam soit malfaisant ou médiocre. Il est positif mais insuffisant. Nous proposons sa ratification sans aucune "eurobéatitude". Nous ne sommes pas des "eurobéats", chacun le sait. Mais ce traité ne mérite ni excès d'honneur ni excès d'indignité. Croyez, monsieur de Villiers, qu'après sa ratification il continuera à faire jour en Europe. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur divers bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en arrivons aux explications de vote : cinq minutes au maximum, je le rappelle.

Pour le groupe du Rassemblement pour la République, la parole est à M. Pierre Lellouche.

M. Pierre Lellouche.

Mes chers collègues, Philippe de Villiers vient, non sans talent, et en tout cas avec beaucoup de conviction et d'honnêteté personnelle, d'exprimer devant nous une opinion qui mérite plus que de la dérision ou un simple geste d'humeur. C'est une inquiétude profonde qui, ayons la lucidité de le comprendre, ne concerne pas seulement cette partie de l'hémicycle, mais se retrouve sur tous les bancs. Il y a, à droite comme à gauche, dans tout le pays, ce qu'on appelle des « eurosceptiques », des gens qui ont peur de ce qui se passe en Europe.

C'est vrai d'ailleurs dans l'ensemble des nations d'Europe. De nombreux citoyens, en France et chez tous nos partenaires, ont le sentiment d'être dessaisis de leur destin, d'en avoir perdu le contrôle. A l'occasion d'un traité aussi important que celui d'Amsterdam, qui, chez nous, impose de surcroît une révision de la Constitution, ils expriment leurs craintes, voire leurs peurs.

La responsabilité des hommes politiques, de droite comme de gauche, c'est de répondre à ces craintes et de ne pas s'en moquer. Au groupe RPR, parce que le général de Gaulle et tous ceux qui lui ont succédé à la tête de notre mouvement ont contribué à la marche de l'Europe, nous croyons que l'Europe est nécessaire à la France, qu'elle apporte la paix et la prospérité sur le continent.

M. François Rochebloine.

Très bien !

M. Pierre Lellouche.

Nous croyons aussi que l'objet de l'Europe, c'est d'exercer en commun des compétences, dans le cadre d'une souveraineté que nous n'abandonnons pas, puisque, par définition, la souveraineté est inaliénable. Nous accceptons, sous le contrôle de la démocratie, c'est-à-dire des parlements, d'exercer en commun un certain nombre de compétences pour être plus forts ensemble. Voilà notre vision.

D'autres considèrent que, par définition, tout exercice en commun de compétences se traduit par une destruction de la souveraineté et une destruction de l'Etat. C'est la thèse qu'a présentée Philippe de Villiers.

Honnêtement, je crois cette thèse très excessive. Il ne suffit pas de citer l'article 16, l'article 2, l'article 3 ou l'article 89, comme il l'a fait. Car nous avons aussi, dans notre Constitution, un article 88-1...

M. Gérard Gouzes.

Très bien !

M. Pierre Lellouche.

... qui expose très simplement les raisons pour lesquelles la République participe à la construction européenne, selon des modalités, et c'est tout l'objet des amendements que nous allons discuter, qui relèvent du contrôle démocratique des deux assemblées.

Deuxièmement, même si je ne veux pas être cruel, laissant ce soin aux valeureux ministres qui se sont exprimés avant moi, j'ai relevé dans la démonstration de Philippe de Villiers des approximations qui m'ont un peu gêné.

Quand il se réfère à l'article 13 du traité pour expliquer que la Commission va forcer la France à accepter l'adoption par les couples homosexuels, je dis non : il faudrait un vote du Conseil à l'unanimité.

M. Gérard Gouzes.

Ce sont des fantasmes !

M. Pierre Lellouche.

Quand il explique que la PESC est devenue une politique étrangère et de défense intégrée en Europe, et que nous ne la contrôlerons plus parce qu'une partie du financement des actions communes sera votée par le Parlement européen, je réponds que c'est très, très, très exagéré, sinon faux. Il n'y a pas de politique étrangère et de sécurité commune, c'est même une des critiques que je fais au traité d'Amsterdam, qui a raté son objectif sur ce plan.

M. René André.

Hélas !

M. Gérard Gouzes.

Dites-le à M. Chirac et à M. Juppé !

M. Pierre Lellouche.

Troisièmement, Philippe de Villiers a employé des expressions sans doute un peu fortes et je suis sûr qu'à la réflexion, il les trouvera, lui aussi,e xagérées. Quand on parle de « forfaiture », de

« déroute », de « déchéance de la France » - j'en passe et des meilleures - quand on dit qu'après Amsterdam, il n'y aura plus de Constitution de la France, je crois qu'on va beaucoup trop loin, en tout cas par rapport à ce traité qui n'est plein que de mots.

M. Moscovici s'est gargarisé de la charte sociale et des dispositifs sur l'emploi. C'est très peu de chose en vérité.

Juste des voeux pieux.

Il faut aussi rappeler que ce traité n'a pas atteint son autre objectif, qui était de donner à l'Europe une nouvelle Constitution en prévision de l'élargissement de l'Union.

Mme Nicole Bricq.

C'est vous qui avez négocié Amsterdam !

M. Gérard Gouzes.

Ils s'auto-critiquent !

M. Pierre Lellouche.

Cet échec n'est pas seulement lié à une mauvaise diplomatie de la France, il est le résultat d'une négociation à quinze, avec la Grande-Bretagne de l'époque et une coalition de petits Etats qui ne voulaient pas avancer.

M. le président.

Il faut conclure, monsieur Lellouche.

M. Pierre Lellouche.

Donnez-moi encore une minute, monsieur le président, car le sujet est important.

Même les coopérations renforcées dont parlait M. Moscovici sont largement handicapées dans ce traité.

Enfin, ce qui m'a paru le plus intéressant en écoutant aussi bien Mme Guigou que M. de Villiers, c'est qu'au fond les deux extrémités se rejoignent dans la même analyse juridique. Que nous disent-ils l'un et l'autre ? Eh bien, que toute la communautarisation du troisième


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pilier, au vrai le seul apport du traité, se fera ipso facto dès la ratification. Nous prétendons le contraire. Le traité ouvre une virtualité qui est la mise en commun, à partir d'un vote à l'unanimité du Conseil, des compétences en matière d'immigration.

M. Thierry Mariani.

Dans cinq ans !

M. Pierre Lellouche.

Mais, en aucun cas, nous ne pouvons affirmer que, dès demain, après le vote de la révision constitutionnelle ou de la ratification elle-même, nous entrerons dans la communautarisation. Ce qui m'intéresse, c'est que ce vote, qui doit intervenir dans cinq ans, soit assorti d'un contrôle du Parlement.

M. le président.

Monsieur Lellouche, c'est une explication de vote, ne relancez pas le débat !

M. Gérard Gouzes.

C'est qu'il a du mal à s'expliquer !

M. Pierre Lellouche.

Pour conclure, je dirai à M. de Villiers, en toute amitié, que je comprends ses craintes mais qu'il les a mal servies en étant aussi extrême, aussi excessif.

M. le président.

Pour le groupe socialiste, la parole est à M. Alain Barrau.

M. Alain Barrau.

M. de Villiers a usé de l'exception d'irrecevabilité pour parler à la fois de la révision de la Constitution et de la ratification du traité d'Amsterdam.

Pourquoi devons-nous réviser la Constitution ? Parce que le Conseil constitutionnel, saisi par le Président et le Premier ministre, nous a demandé de modifier un de ses articles.

Y a-t-il là, comme vous l'avez dit, monsieur de Villiers, une forfaiture ? Certainement pas ! Peut-on qualifier l'action du Président de la République et du Premier ministre, qui ont négocié le traité d'Amsterdam, de forfaiture ? Absolument pas ! Doit-on considérer que le Conseil constitutionnel, le 31 décembre, a lancé un poulet entre deux dindes en répondant en droit à la question du Président et du Premier ministre ? Bien sûr que non ! Enfin, le traité d'Amsterdam est-il une camisole de force ? Comment ne pas répondre, les uns et les autres, par la négative ? Quant à la révision de la Constitution, je rappelle que l'article 88-1 est depuis longtemps en vigueur et qu'il a déjà marqué le choix de la France.

Je sais - et vous en avez le droit - que vous êtes opposé à toute construction européenne. Vous êtes opposé à l'euro, à une inflexion sociale de la construction européenne, à tout ce que nous essayons de faire en France et en Europe. Mais ce qui me choque le plus dans votre raisonnement, c'est que vous n'avez pas fondamentalement confiance dans la capacité qu'a notre pays de convaincre et d'agir avec ses partenaires pour aller de l'avant.

M. Lionnel Luca.

Exactement !

M. Alain Barrau.

Vous le savez, le Gouvernement a essayé après Amsterdam, avec le soutien du Président de la République d'ailleurs, d'infléchir la construction européenne vers une politique de lutte contre le chômage.

Est-ce important pour notre économie, pour notre société ? Oui ! Pouvons-nous le faire seuls ? Non ! Il y a une articulation à trouver entre la politique nationale et la politique européenne.

M. Thierry Mariani.

Hors sujet !

M. Alain Barrau.

Et nous pourrions multiplier les exemples.

Votre intervention, M. Lellouche l'a montré, aura eu le mérite de mettre en évidence qu'il existe des points communs entre tous ceux qui veulent se battre pour faire progresser la construction européenne, même s'ils sont en désaccord sur telle ou telle modalité. Les socialistes n'ont pas une vision idéologique, une vision a priori fédéraliste de l'Europe : cela vous arrangerait beaucoup trop. Nous avons la volonté de progresser pas à pas. Nous croyons dans le génie de notre pays. Nous sommes les premiers à défendre sa souveraineté, et nul ne peut prétendre vouloir le faire plus que nous. Nul, plus que nous, ne veut défendre notre patrie, ses valeurs traditionnelles, ses valeurs républicaines. Mais nous pensons, monsieur de Villiers, et c'est sans doute entre nous une différence fondamentale, que l'Europe contribuera à leur donner plus de force et d'ampleur.

Cette motion de procédure est aussi une motion de défiance à l'égard des capacités de la France, et c'est ce que je regrette le plus. Vous ne pensez pas que nous pouvons convaincre les autres Etats du bien-fondé de propositions qui nous sont chères, dans le domaine monétaire avec l'euro, dans le domaine social avec la lutte contre le chômage, dans le domaine de la politique étrangère, demain. Cette défiance, cette absence de confiance dans le génie de notre pays est la raison principale qui me conduit à demander à l'Assemblée de rejeter l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Hervé de Charette.

M. Hervé de Charette.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le ministre, mes chers collègues, je développerai brièvement, après les interventions que nous venons d'entendre, les trois raisons très simples pour lesquelles le groupe UDF ne votera pas l'exception d'irrecevabilité.

Je comprends d'abord très bien que Philippe de Villiers soit monté à la tribune pour dire tout le mal qu'il pense du traité d'Amsterdam après les combats qu'il a menés dans le passé contre d'autres progrès de l'Europe. Mais ses propos justifient précisément que le débat ait lieu.

Puisque traité il y a, que sa ratification ou non doit passer par les rangs de cette assemblée et que le Conseil constitutionnel a décrété qu'il fallait au préalable réviser la Constitution, nous sommes dans une logique inexorable qui conduit à débattre et à écouter les arguments de ceux qui sont pour et de ceux qui sont contre.

La deuxième raison tient à ce que les propos de Philippe de Villiers étaient excessifs non seulement sur le fond mais également dans la forme. Je veux rappeler un mot que j'avais déjà entendu prononcer dans la cour de l'Elysée après que le Président de la République eut reçu longuement Philippe de Villiers, celui de forfaiture. Je le trouve très choquant. En d'autres temps, le scandale eût été considérable.

M. Gérard Gouzes.

Cela dépend de qui le prononce !

M. Hervé de Charette.

Nous ne pouvons pas tolérer ici, quels que soient les liens personnels d'amitié ou les proximités politiques - c'est l'affaire de chacun -, que soit employé le mot de forfaiture, un jour à propos du Président de la République, le lendemain du Gouvernement, et pourquoi pas, le jour suivant à notre encontre.

Non ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, sur plusieurs bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe socialiste.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 2e SÉANCE DU 24 NOVEMBRE 1998

Enfin, juste un mot car cela fera l'objet de longs débats au cours des semaines et des mois à venir, sur le traité d'Amsterdam. Il est bien clair qu'entre la conception, développée avec le talent que chacun lui connaît par Philippe de Villiers, et celle que nous avons à l'UDF depuis la création du groupe voilà plus de vingt ans, il y a un monde. Nous ne parlons pas de la même chose. D'un côté, il y a une conception extraordinairement rigide de la souveraineté nationale dont je doute d'ailleurs qu'elle ait jamais été dans notre histoire un cristal si pur car, de tout temps, nous avons vécu dans un monde qui comptait d'autres êtres humains que nous. De l'autre, il y a tous ceux qui, depuis cinquante ans, cheminent pour construire l'Europe de nos enfants.

Cette Europe-là, ce n'est pas l'Europe des Etats. En effet, on sait ce qu'est l'Europe de la diplomatie traditionnelle : c'est le concert des nations mais c'est aussi deux guerres mondiales. Ce n'est pas non plus les EtatsUnis d'Europe, c'est-à-dire une espèce de fédéralisme tombé d'en haut. Si nous avons tant de mal, si nous sommes parfois traversés de tant de doutes et d'hésitations, c'est bien parce qu'il n'y a pas de modèle préétabli.

C'est à nous d'élaborer, jour après jour, parfois dans la peine, le modèle d'avenir qui sera l'oeuvre de l'Europe du

XXIe siècle et qui, sans doute, sera de ce point de vue un modèle offert à l'univers des peuples.

Alors, bien sûr, il y a beaucoup d'excès, de lenteur parfois aussi, beaucoup d'erreurs et d'imperfections qu'il est aisé de dénoncer de la tribune avec des effets de manche.

Mais moi je veux continuer à travailler et à cheminer sur cette voie. C'est aussi l'intention du groupe UDF. Voilà pourquoi nous vous demandons, mes chers collègues, de rejeter cette exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Claude Lefort.

M. Jean-Claude Lefort.

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous ne voterons pas l'exception d'irrecevabilité présentée par M. de Villiers pour deux raisons.

La première est toute simple, mais fondamentale. Si nous sommes réunis aujourd'hui, c'est précisément pour examiner un projet de révision constitutionnelle. C'est précisément parce que le traité d'Amsterdam a été reconnu par le Conseil constitutionnel comme remettant en cause, au moins sur un point majeur, la souveraineté nationale et la Constitution. Cette exception d'irrecevabilité n'a donc aucun objet réel. Cette motion, en son principe, n'est pas recevable. Autre chose, le contenu du projet, ou bien encore le chemin choisi pour ratifier le traité...

Seconde raison pour laquelle nous ne voterons pas cette exception : nous sommes pour l'Europe. Or, chacun l'a bien entendu ou ressenti, le discours de M. de Villiers n'allait pas vraiment dans ce sens.

Pourtant, ne sourions pas trop du propos. Demandons-nous plutôt pourquoi le type de construction actuel de l'Europe peut provoquer ce genre de raisonnement, frileux, replié, voire suicidaire pour la France.

M. Gérard Gouzes.

Très bien !

M. Jean-Claude Lefort.

Il est certain, mes chers collègues, que moins de nation c'est à coup sûr plus de nationalisme. De ce fait, le type actuel de construction européenne finit par se retourner contre l'idée même d'Europe. Or cela est très dangereux.

C'est pourquoi, en souhaitant que l'on entende ce qui s'exprime derrière ce que clame M. de Villiers, nous qui voulons une autre Europe, parce que nous voulons l'Europe, nous ne pouvons nous retrouver dans sa démarche étroitement nationale, sinon nationaliste. Cela dit, encore une fois, ne sourions pas trop. Le tropisme américain fait des ravages partout...

Un député du groupe du Rassemblement pour la République.

Exact !

M. Jean-Claude Lefort.

... y compris en Europe.

M. Renaud Muselier.

Yes ! (Sourires.)

M. Jean-Claude Lefort.

Et c'est catastrophique. La France, les nations européennes, ne sont pas les EtatsUnis. Elles n'ont pas seulement deux siècles d'histoire derrière elles. Elles ne sont pas nées d'emblée avec la même langue et la même monnaie. Prenons garde à cette volonté de pousser les feux vers un fédéralisme échevelé.

Elle pourrait ruiner l'Europe et la France avec elle.

Ni Europe fédérale, ni France isolée, l'union, pas la fusion, voilà ce que nous voulons. C'est pourquoi nous voterons contre la motion présentée par M. de Villiers.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. le président.

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

M. le président.

Suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

4

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures trente, troisième séance publique : Suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, no 1072, modifiant l'article 88-2 de la Constitution : M. Henri Nallet, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 1212) ; M. Michel Vauzelle, rapporteur pour avis au nom de la commission des affaires étrangères (avis no 1209).

La séance est levée.

(La séance est levée à dix-neuf heures cinquante.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT