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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE

DE

M.

ARTHUR PAECHT

1. Règlement définitif du budget de 1995. - Discussion, en deuxième lecture, d'un projet de loi (p. 10009).

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 10010)

MM. Jean-Jacques Jégou, Jacques Desallangre, Gilles Carrez, Gilbert Gantier.

Clôture de la discussion générale.

M. le secrétaire d'Etat.

Article 15 (p. 10015)

Amendements identiques nos 1 de la commission des finances et 2 de M. Desallangre : MM. le rapporteur général, Jacques Desallangre, Jean-Jacques Jégou, le secrétaire d'Etat. - Adoption.

Adoption de l'article 15 modifié.

VOTE

SUR L'ENSEMBLE (p. 10016)

Adoption de l'ensemble du projet de loi.

2. Loi de finances rectificative pour 1998. - Discussion d'un projet de loi (p. 10016).

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances.

M. François Lamy, rapporteur pour avis de la commission de la défense.

M. le secrétaire d'Etat.

EXCEPTION D'IRRECEVABILITÉ (p. 10021)

Exception d'irrecevabilité de M. José Rossi : MM. Francis Delattre, le secrétaire d'Etat, le rapporteur général. Rejet.

QUESTION PRÉALABLE (p. 10026)

Question préalable de M. Jean-Louis Debré : MM. Gilles Carrez, le secrétaire d'Etat, le rapporteur général. - Rejet.

Suspension et reprise de la séance (p. 10034)

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 10034)

MM. Gilbert Gantier, Jean-Louis Idiart, Philippe Auberger, Christian Cuvilliez, Jean-Jacques Jégou, Yves Cochet, Gérard Bapt.

Clôture de la discussion générale.

M. le secrétaire d'Etat.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

3. Modification de l'ordre du jour prioritaire (p. 10049).

4. Déclaration de l'urgence de projets de loi et d'un projet de loi organique (p. 10049).

5. Désignation de candidats à un organisme extraparlementaire (p. 10049).

6. Ordre du jour de la prochaine séance (p. 10050).


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COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. ARTHUR PAECHT,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quinze heures.)

1 RÈGLEMENT DÉFINITIF DU BUDGET DE 1995 Discussion, en deuxième lecture, d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi portant règlement définitif du budget de 1995 (nos 1159, 1225).

La parole est à M. le secrétaire d'Etat au budget.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les députés, le Sénat, lors de sa séance du 29 octobre dernier, n'ayant pas adopté un texte conforme à celui que vous aviez voté, une nouvelle lecture est nécessaire.

L'amendement sénatorial en cause, qui porte sur l'article 15 du projet de loi, est relatif au transport aux découverts du Trésor de l'écart d'intégration des comptes chèques postaux.

Peut-être convient-il d'éclairer ce point un peu technique.

Lors de l'établissement de son rapport sur l'exécution des lois de finances, la Cour des comptes a relevé, en 1993, une disparité dans les modalités de comptabilisation des dépôts CCP entre les comptes de La Poste et ceux de l'Etat, à la suite de la clôture du budget annexe des PTT et de la création de l'exploitant public autonome, La Poste, le 1er janvier 1991.

Le compte de La Poste figurant au passif du bilan de l'Etat est en effet présenté - et cela est très important comme la contraction de deux opérations : d'une part, un crédit dont le montant correspond effectivement aux dépôts des fonds des comptes chèques postaux du bilan de La Poste, et, d'autre part, un débit de 18 milliards de francs, qui figure dans un sous-compte intitulé « Ecart d'intégration des dépôts des comptes chèques postaux dans l'ex-budget annexe des PTT ».

C'est ce qui explique que le montant du compte de La Poste figurant au passif de l'Etat ne corresponde pas à celui figurant en pied de bilan de La Poste.

Cette situation résulte du déficit structurel qui était celui de la branche postale du budget annexe des PTT.

En exécution, ce besoin de financement d'exploitation était assuré non seulement par le recours à l'emprunt, mais aussi par un mécanisme pouvant s'apparenter à des avances du Trésor.

Lors de la clôture du budget annexe, le bilan de la branche postale faisant donc apparaître une situation nette négative. Malgré la réévaluation de l'actif transféré par l'Etat à La Poste, la reprise de l'écart d'intégration au passif aurait conduit à créer le nouvel exploitant public avec des fonds propres à l'origine fortement négatifs d'environ 10 milliards de francs.

Cela étant difficilement envisageable, cet écart d'intégration n'a donc pas été retranscrit dans le bilan d'ouverture de La Poste - arrêté du 13 octobre 1992 - et a été isolé, au sein des comptes de l'Etat, dans le sous-compte

« écart d'intégration des dépôts des comptes chèques postaux » que j'ai mentionné précédemment.

Cette présentation comptable dans les comptes de l'Etat a été jugée par la Cour des comptes incompatible avec l'exigence d'une présentation sincère et cohérente des comptes de l'Etat et de ceux de La Poste. La Cour a donc appelé les gouvernements successifs à remédier à cette situation.

Tel est l'objet du projet d'article qui a été présenté dans le cadre de loi de règlement pour 1995. L'apurement du sous-compte incriminé par transport aux découverts du Trésor permettra, en effet, de mettre en cohérence les comptes de l'Etat et ceux de La Poste par la constatation d'une perte de trésorerie de 18 milliards de francs dans les comptes de l'Etat.

Le Sénat a cru devoir adopter un amendement diminuant, à compter du 1er janvier 1996, le montant des avoirs des comptes chèques postaux rémunérés par l'Etat de 18 milliards de francs. Cet amendement n'a pas lieu d'être. Le patrimoine de La Poste découle de son bilan d'ouverture. Et depuis la création de l'exploitant public, les avoirs des déposants des comptes chèques postaux sont identiques dans les comptes de La Poste et dans les comptes de l'Etat. Ils sont donc rémunérés convenablement.

D'un point de vue juridique, d'un point de vue comptable et, enfin, du point de vue de l'opportunité financière, il n'est ni fondé ni légitime de revenir sur la rémunération de La Poste depuis 1991. C'est pourquoi le Gouvernement se prononce pour un retour au texte initialement adopté par l'Assemblée nationale. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, lors de l'examen du projet de loi de règlement du budget de 1995 par le Sénat, le 29 octobre dernier, seul l'article 15 a été modifié, les autres articles étant votés conformes.

Ce texte revient donc devant nous en deuxième lecture, ce qui est, il faut le reconnaître, peu courant s'agissant d'un projet de loi de règlement. Un tel approfondissement de l'examen de ce type de projet peut être l'occasion d'un meilleur contrôle parlementaire sur les finances publiques, qui n'est certes pas à regretter.


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En l'espèce, toutefois, et comme vient de le préciser M. le secrétaire d'Etat, le sujet soulevé par le Sénat ne pose pas réellement problème.

Lors de l'examen de l'article 15 par le Sénat un amendement présenté par M. Yves Fréville a été adopté, visant à diminuer de 18,16 milliards de francs la base de rémunération des avoirs aux comptes chèques postaux déposés par La Poste auprès du Trésor.

Afin de prendre la mesure des problèmes que soulève cet amendement et compte tenu de la nature très technique des dispositions en discussion, je reviendrai donc sur l'origine de l'écart d'intégration des dépôts des comptes chèques postaux de l'ex-budget annexe des PTT et sur son traitement comptable.

Sous le régime du budget annexe des PTT, la branche postale était en déficit structurel. En l'absence d'une gestion distincte des flux de trésorerie, des prélèvements sur les avoirs des CCP ont été opérés pour couvrir les besoins de financement courants de l'exploitation. D'une certaine manière, ce mécanisme pouvait s'assimiler à des avances du Trésor.

Lors de la transformation de La Poste en exploitant public autonome au 1er janvier 1991, une commission a été chargée de procéder à l'identification et à l'éval uation définitive des éléments d'actif et de passif constituant le patrimoine d'origine de l'établissement.

Il est alors apparu que l'écart entre le montant crédité dans les écritures du Trésor au titre des dépôts des CCP et les écritures de La Poste atteignait 18,16 milliards de francs.

Cette perte pouvait être imputée soit sur les comptes du nouvel exploitant public, soit sur les écritures du Trésor.

Il a été décidé de faire supporter cette charge à l'Etat, afin de ne pas compromettre la situation financière de départ de La Poste. Cette décision n'était pas dénuée de tout fondement. Dans le cas où il aurait dû supporter les conséquences de la gestion conduite sous le régime du budget annexe, l'exploitant public aurait, en effet, présenté un bilan d'ouverture faisant apparaître des capitaux propres négatifs, ce qui n'était guère envisageable.

C'est donc moins la prise en charge de la perte par l'Etat que le traitement comptable de cette décision dans les écritures du Trésor qui a fait l'objet de critiques de la part de la Cour des comptes.

Celle-ci a relevé que c'était un solde contracté qui figurait au compte 427 « Compte au Trésor de La Poste », le montant ainsi présenté n'étant pas fidèlement représentatif de la réalité des avoirs CCP.

Ce traitement comptable a deux conséquences peu conformes, c'est vrai, à l'orthodoxie financière.

D'une part, un écart de 18,16 milliards existe entre les comptes de l'Etat et ceux de La Poste, au titre des avoirs CCP en dépôt au Trésor.

D'autre part, cet écart, qui constitue une perte, n'est pas enregistré comme telle dans les comptes de l'Etat, qui ont été établis contrairement à la règle de non-compensation entre éléments d'actif et de passif.

Cet affichage comptable contestable affecte donc la transparence en matière de rémunération versée à La Poste pour le dépôt au Trésor des encours collectés sur les CCP.

En effet, selon la loi du 2 juillet 1990, La Poste dépose au Trésor les fonds des comptes courants postaux. La rémunération de ce dépôt est fixée par convention entre l'Etat et La Poste et ne peut être actuellement inférieure à un taux plancher de 4,75 %.

Or, l'« assiette » de la rémunération n'apparaît pas dans son intégralité dans les écritures du Trésor. Cette assiette est, en effet, constituée par les fonds des comptes courants postaux, tels qu'ils figurent à l'actif du bilan de La Poste. Parallèlement, depuis 1993, le compte 427 supporte en débit 18,16 milliards de francs, de sorte que seul le solde contracté est présenté et que l'assiette réelle n'apparaît pas dans les écritures du Trésor. Il semble que cette situation peu claire soit à l'origine de l'amendement adopté par le Sénat.

E n réduisant l'« assiette » de la rémunération de 18,16 milliards de francs, l'amendement sénatorial revient sur un arbitrage désormais ancien relatif au patrimoine d'origine de La Poste, établissement public, ayant conduit à faire peser la perte constatée de l'administration postale sur les comptes de l'Etat.

Je crois que très nombreux sont les parlementaires conscients du fait que cet amendement aurait pour l'exploitant public des conséquences financières lourdes. Il faut donc rappeler que l'objet du présent article est d'apurer une situation comptable insatisfaisante relevant de l'Etat et dont le traitement a été différé d'année en année, sans que La Poste ait une quelconque responsabilité sur ce point.

Le transport en augmentation des découverts du Trésor proposé par l'article 15 dans sa rédaction initiale permet de constater définitivement la perte, en quelque sorte latente depuis 1993, et de rétablir la concordance entre les écritures du bilan de La Poste et celles du Trésor.

Il convient donc de revenir au texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture. C'est ce à quoi vous invite la commission des finances. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Jacques Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou.

Mes chers collègues, je voudrais d'abord revenir quelques instants sur cette affaire des comptes chèques postaux. M. le rapporteur général vient de nous expliquer qu'elle n'était ni claire ni légale mais qu'il ne fallait pas mettre La Poste en difficulté.

Il me permettra de ne pas partager l'intégralité de son analyse. Ce « petit lézard » de 18 milliards a été découvert par notre ancien et excellent collègue Yves Fréville, aujourd'hui sénateur, dont les plus anciens d'entre nous se rappelleront avec quelle minutie il décortiquait les budgets, et plus précisément, les charges communes dont il a été le rapporteur spécial au sein de la commission des finances - les commissaires aux finances le regrettent beaucoup.

On sait que pour financer le déficit structurel de la branche postale du budget annexe des PTT, des prélèvements étaient opérés sur les CCP. Lorsque La Poste est devenue autonome, on a découvert un écart d'un peu plus de 18 milliards entre le montant crédité dans les écritures du Trésor et celui mentionné dans les écritures de La Poste.

Dans son rapport sur l'exécution de la loi de finances de 1994, la Cour des comptes a donc révélé l'existence d'un sous-compte 427-9 « Ecart d'intégration des dépôts des CCP de l'ex-budget annexe des PTT » justement débité de ces 18,16 milliards.

L'article 15 de ce projet de loi avait donc pour but d'apurer ce sous-compte en transportant aux découverts du Trésor le montant du sous-compte 427-9. Cette opé-


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ration revient plus simplement à transformer l'avance de trésorerie en dépense définitive ou, plus précisément, en subvention de l'Etat à La Poste.

Or ce compte portait intérêt - et cela n'est pas inintéressant, monsieur le secrétaire d'Etat - à 4,75 % l'an.

Voilà de quoi faire dresser l'oreille aux marchés financiers dont je vous parlerai pour terminer.

Vous nous proposez donc, monsieur le secrétaire d'Etat, non seulement de voter une subvention à La Poste mais également de la rémunérer. Tout cela est assez surprenant. Du reste, suite à l'amendement de M. Fréville et a ux interventions du rapporteur général du Sénat, M. Marini, M. Charasse, qui connaît également bien ces questions, a déclaré : « A partir du moment où cette somme est transformée en subvention, les intérêts ne peuvent plus être versés. » Tel était finalement l'objet de

l'amendement de M. Fréville, dont il ne faut pas dénaturer les intentions.

Il conviendrait donc, mes chers collègues, que l'Assemblée soutienne cet amendement.

Monsieur le secrétaire d'Etat, profitant de cette intervention, je voudrais faire allusion à une dépêche de l'AFP portant sur la baisse des taux.

M. Christian Cuvilliez.

Exact !

M. Jean-Jacques Jégou.

Dans les fonctions qui m'ont été confiées par la commission des finances, entre autres à la Caisse des dépôts, j'ai toujours été surpris de constater l'importance des taux administrés au cours des périodes de baisse des taux. Il s'agit de faire faire des économies à l'Etat. Monsieur le secrétaire d'Etat, l'Etat va-t-il longtemps continuer à rémunérer La Poste à un taux supérieur à celui du livret jeunes - 4,75 % ? Selon la dépêche AFP, la baisse surprise des taux d'intérêt en Europe initiée jeudi par la Banque de France et la Bundesbank apporte une bouffée d'oxygène aux marchés des actions. A Paris, l'indice CAC 40 - et chacun s'en réjouira sur ces bancs - est en hausse de 2,6 %, après une perte de 1,5 %. La Bundesbank a réduit son temps de prise en pension de 3,30 % à 3 %, et la Banque de France a fait de même en ramenant son taux d'appel d'offres de 3,30 à 3 %. Alors, monsieur le secrétaire d'Etat, quand allons-nous nous occuper des taux administrés ? Quand allez-vous baisser le taux de rémunération de 4,75 % que nous versons à La Poste sur des sommes considérables ? (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Desallangre.

M. Jacques Desallangre.

L'examen en deuxième lecture du projet de loi portant règlement définitif du budget de 1995 présente comme seul intérêt l'examen de la disposition introduite par le Sénat, relative aux fameux milliards fantômes de La Poste ! Contrairement à l'orateur qui m'a précédé à cette tribune, je considère qu'il faut mettre un terme à ce qui n'est qu'un coup médiatique qui fait un flop. Il s'agissait d'embarrasser le Gouvernement alors que celui-ci a été le premier depuis 1992 à régulariser le compte « écart d'intégration des dépôts des comptes chèques postaux de l'ex-budget annexe des

PTT ».

Cette manoeuvre politicienne de l'opposition a-t-elle pour second objectif de porter préjudice à La Poste à l'heure où celle-ci doit continuer à remplir ses missions de service public tout en s'adaptant à la concurrence européenne et à l'introduction sur le marché national de nouveaux opérateurs ? Un rapide historique de la situation, retraçant succinctement le passage du budget annexe des PTT à la création des deux établissements publics La Poste et France Télécom -, doit mettre en exergue l'impéritie de nos collègues sénateurs.

Avant la création de ces deux personnalités juridiques distinctes, La Poste, comme France Télécom, relevait du budget de l'Etat et bénéficiait depuis 1923 d'un budget annexe.

Le poids des sujétions de service public pesant sur La Poste, notamment la présence postale en tout point du territoire, impliquait un déficit d'exploitation structurel. La politique de La Poste était alors directement dictée par le Gouvernement. Ce dernier imposant un certain nombre d'obligations découlant de l'application du principe d'égalité d'accès des administrés au service public, La Poste - donc l'Etat - a mis en place un réseau permettant l'acheminement du courrier en tout point du territoire. Cette présence postale, avec 14 000 bureaux de poste, a largement participé à l'aménagement du territoire.

Cependant, le coût de ces sujétions n'était pas intégralement couvert par les recettes provenant de l'exploitation. Il y avait donc un déficit bien que les ressources de La Poste ne comprennent pas uniquement des recettes d'exploitation. Le budget général de l'Etat participait directement au financement de ce service public, étant précisé que le budget général bénéficiait également des excédents d'exploitation générés par l'activité de télé communication.

Cependant, cette participation du budget général au budget annexe était insuffisante et elle ne permettait pas d e couvrir l'intégralité du déficit d'exploitation de La Poste. Ce déficit structurel connu de tous s'est élevé à plus de 13 milliards de francs pour la période comprise entre 1970 et 1979 et à plus de 7 milliards de francs entre 1980 et 1990. Les budgets que le Parlement votait faisaient clairement apparaître ce déficit, qui devait être partiellement couvert par des emprunts, mais, certaines années, le budget ne prévoyait aucun recours à l'emprunt.

L'équilibre budgétaire était alors tributaire d'un financement non déterminé.

Bien que ce soit dans une moindre mesure que les gouvernements, le Parlement a une part de responsabilité dans cet imbroglio comptable. Il y avait donc carence de l'Etat qui ne permettait pas à son service de mener à bien les obligations qu'il lui avait lui-même imposées.

Dans ces conditions, La Poste devait-elle ne plus remplir les missions auxquelles elle était astreinte, c'est-à-dire ne plus respecter le principe d'égalité des usagers et diminuer la qualité de son service, ou bien devait-elle pallier la carence en trouvant les fonds nécessaires à son fonctionnement ? Il fut fort judicieusement décidé et accepté par les gouvernements de droite et de gauche que la régie Poste et télécommunications devait remplir ses missions.

Mais alors, où trouver ces fonds qui auraient dû faire l'objet d'une participation du budget général ? Les importants besoins de financement de l'Etat impliquant un transfert des bénéfices de la branche télécommunication vers le budget général, cela ne permettait pas d'opérer une compensation du déficit de La Poste à l'intérieur du budget annexe. La Poste, c'est-à-dire l'Etat, a donc opéré des prélèvements sur les avoirs des CCP pour couvrir les besoins de financement courant de ses services. Cela fut rendu possible en raison de l'unicité de circuit de trésorerie du budget annexe.


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Cette pratique, dont on peut considérer qu'elle est contestable et ne répond pas au principe de présentation sincère du budget, n'a pour autant, il est bon de le préciser, jamais fait courir le moindre risque aux épargnants ayant déposé leurs fonds auprès de La Poste. En effet, La Poste ne possédant pas de personnalité juridique propre, l'Etat était directement responsable des avoirs déposés par les particuliers et les entreprises.

Lors de la réforme du statut opéré par la loi du 2 juillet 1990, La Poste est devenue un établissement public industriel et commercial bénéficiant désormais d'une personnalité juridique propre. Elle a donc disposé d'une plus grande autonomie, notamment financière, et d'un patrimoine. Cette réforme impliquait nécessairement une évaluation des éléments d'actif et de passif composant le patrimoine de cette nouvelle entité et une commission fut constituée à cet effet.

Lors de la clôture du budget annexe des postes et télécommunications, un écart de 18 milliards de francs environ apparut entre le montant des avoirs des CCP et celui effectivement mis à la disposition du Trésor. Cet écart correspondait à la défaillance de l'Etat, qui n'avait pas couvert avec le budget général le déficit structurel d'exploitation de son administration. Le Gouvernement se trouvait alors face à ses responsabilités et devait choisir entre deux solutions.

La première était de considérer ces 18 milliards comme une dette de l'entité juridique nouvellement créée. Cela semblait peu justifié, car cette somme correspondait précisément à l'attitude de l'Etat, qui n'avait pas suffisamment financé sa propre administration. De plus, la conséquence directe aurait été la création d'une institution non viable. En effet, avec 18 milliards de dette, le nouvel établissement aurait dû supporter un patrimoine négatif avec 37 milliards de francs d'immobilisations et 53 milliards de dettes à moyen et long terme. L'Etat et le Gouvernement n'auraient-ils pas alors été accusés d'abandonner La Poste et le service public ? La seconde solution envisageable était d'estimer que le nouvel établissement public devait certes reprendre l'actif et le passif mais sans être tenu responsable des problèmes de financement de l'Etat, car une nouvelle personne juridique n'a pas à être tenue par les pratiques comptables contestables de celle qui l'a précédé. Dans cette hypothèse, l'écart de 18,2 milliards doit être assimilé à une avance faite par le Trésor sur des fonds que La Poste doit légitimement recevoir pour couvrir son fonctionnement avant 1991.

C'est cette seconde solution qui fut retenue par le gouvernement en 1992 car elle était la seule légitime et de nature à y assurer la pérennité du service public. Depuis la clôture du budget annexe, le montant des fonds des CCP reçus de La Poste par le Trésor correspond exactement à ce qui figure au bilan de La Poste. Néanmoins, il aurait alors été nécessaire que le Gouvernement clarifie et régularise, comme il le fait aujourd'hui, cet écart d'intégration. La décision d'apurement ne fut pas prise en 1992 car se posait alors la question des critères de convergence imposés par le traité signé à Maastricht.

Les impératifs de la construction européenne ont en effet poussé le Gouvernement à surseoir à statuer jusqu'à ce qu'il sache si cette opération aurait une incidence sur le calcul de la dette publique selon les règles définies par le traité et interprétées par la Commission européenne.

Les conséquences comptables de la décision n'ont pas été prises immédiatement pour satisfaire le critère de la dette publique. Ce retard fut fort justement relevé par la Cour des comptes, qui, dans son rapport sur l'exécution de la loi de finances pour 1994, qualifiait cet écart de perte et précisait que la non-inscription de cette perte dans les comptes de l'Etat portait atteinte au principe de présentation sincère et cohérente des comptes de l'Etat. Ces observations ont conduit le présent gouvernement à prendre ses responsabilités et à régulariser une situation léguée par ses prédécessurs.

L'opposition choisit donc la facilité en dénonçant aujourd'hui une hypothétique dissimulation de la part du Gouvernement, qui s'attache à résoudre ce décalage. Il semble donc nécessaire de rappeler à certains de nos collègues que la Commission supérieure du service public de la poste et des télécommunications, la CSSPPT, composée essentiellement de parlementaires ainsi que les divers gouvernements de 1970 à 1995, avaient une connaissance précise de ces pratiques. Cet écart se retrouvait dans les rapports sur la gestion financière et la marche des services du budget annexe tel qu'ils étaient réglementairement publiés au Journal officiel.

Les dispositions introduites par l'opposition au Sénat visant à ne plus rémunérer les fonds des CCP déposés à hauteur de 18,2 milliards de francs par La Poste auprès du Trésor se fondent sur une interprétation erronée. En effet, cela suppose que le montant des fonds rémunérés et celui des fonds effectivement déposés fassent toujours l'objet d'un écart. Or cela est inexact puisque la carence en trésorerie imputable aux gestions des années 1970 à 1991 fut intégralement transférée sur un compte séparé, rétablissant ainsi l'identité des comptes des CCP entre La Poste et le Trésor. La rupture préconisée par le Sénat est d onc fondée sur une appréciation matériellement inexacte.

De plus, cette proposition est incohérente car les sénateurs ont adopté le premier alinéa de l'article 15, qui révèle que l'écart de 18 milliards était, depuis 1992, transféré sur un compte distinct, admettant qu'il y a bien, depuis cette date, identité des écritures comptables entre La Poste et le Trésor. Il m'apparaît donc impossible que l'Assemblée nationale vote cet article 15 en l'état, car ce serait, d'une part, accepter d'avaliser une mesure injustifiée et, d'autre part, adopter un dispositif affirmant une chose et son contraire.

De plus, les conséquences directes de cette disposition seraient désastreuses pour La Poste. En effet, d'après les évaluations de M. le secrétaire d'Etat, La Poste aurait à reverser, dès 1998, 2,6 milliards de francs et verrait ensuite ses ressources amputées de 860 millions de francs par an. Cette mesure replongerait l'établissement public dans les déficits structurels.

Le bilan de La Poste est en effet fragile. Après de nombreuses années déficitaires, 1997 marque le retour à l'équilibre avec un bénéfice de 58 millions pour un chiffre d'affaires de 90 milliards. Cet effort de tous les postiers ne doit pas être anéanti par un amendement injustifié et irresponsable, qui provoquerait la fin d'un service public auquel tous les citoyens sont attachés.

L'amputation que subirait La Poste correspondrait à las uppression de 2 000 bureaux ruraux ou de 6 000 emplois.

Nous aurons, dans les prochains mois, à transposer la directive postale européenne dont l'objet est l'ouverture à la concurrence. Demain, plus encore qu'aujourd'hui, La Poste sera confrontée à une concurrence extrêmement vive de la part des autres postes européennes, mais aussi de groupes privés. Le moment est-il bien choisi pour porter un coup qui pourrait être fatal au seul établissement qui puisse garantir un service public de qualité sur tout notre territoire ?


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Je n'arrive pas à croire en l'inconséquence dont ont fait preuve nos collègues sénateurs en déposant cet amendement. Je m'interroge donc sur leurs motivations et sur leurs intentions profondes au moment où La Poste va devoir affronter résolument une concurrence de plus en plus vive.

M. le président.

La parole est à M. Gilles Carrez.

M. Gilles Carrez.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je veux d'abord rassurer M. Desallangre.

Mon cher collègue, si vous aviez connu, ici même, M. Yves Fréville, vous vous seriez abstenu d'employer les mots « coup médiatique » ou « impéritie ». Notre ancien collègue, aujourd'hui sénateur, est en effet un spécialiste reconnu des finances publiques, animé par le seul souci de la sauvegarde des intérêts financiers de l'Etat.

M. Gilbert Gantier.

Absolument !

M. Jean-Louis Idiart.

Tout comme nous !

M. Gilles Carrez.

Son audience est telle que tous les ministres, quelle que soit leur appartenance politique, de droite comme de gauche, ont toujours écouté avec la plus grande attention ses interventions. Je suis sûr, monsieur le secrétaire d'Etat au budget, qu'il en va de même aujourd'hui au Sénat.

M. Jean-Jacques Jégou et M. Germain Gengenwin.

Très bien !

M. Gilles Carrez.

En tout cas, le Sénat n'a certainement pas été inspiré par la volonté de polémiquer ou de faire de la politique politicienne. Il est intervenu pour assurer la défense des contribuables, qui sont trop souvent appelés à la rescousse pour couvrir des dépenses qu'ils ne devraient pas financer. Nous l'avons déjà vu avec le problème du Crédit lyonnais et il en sera encore question au cours de l'examen du collectif, notamment à propos de la Société marseillaise de crédit. Tous les parlementaires devraient avoir constamment cette préoccupation présente à l'esprit. Monsieur Desallangre, l'opposition est évidemment consciente des difficultés que rencontre l'établissement public La Poste, dont l'équilibre est précaire, et elle sait que la nécessité de lui faire remplir une mission de service public en matière d'aménagement du territoire a un coût. A cet égard, nous sommes d'aussi bons défenseurs de La Poste que vous.

Je me permets d'ailleurs de vous faire remarquer que vous avez fait une confusion, peut-être involontaire, à propos des 18 milliards. En effet, nous ne proposons pas que l'établissement public les rembourse purement et simplement à l'Etat. Notre démarche porte sur le traitement comptable de cette somme, qui doit être considérée comme une avance et non comme une subvention définitive, afin que l'Etat puisse percevoir des intérêts. Cela correspond d'ailleurs aux propos que tenait récemment un autre sénateur, également averti en matière de finances publiques, puisqu'il a été ministre du budget, Michel Charasse.

Sur ce problème, M. le secrétaire d'Etat et M. le rapporteur général du budget nous ont donné des réponses techniques. Il ne faut pas voir la moindre intervention politique dans cette affaire. Notre démarche, purement technique, traduit notre souci d'avoir un traitement comptable qui préserve le mieux possible les intérêts de l'Etat, tout en prenant bien en considération la nécessité d'assurer l'équilibre financier de La Poste.

Il est vrai qu'un tel débat n'est pas habituel puisqu'il est rare qu'une loi de règlement fasse l'objet d'une deuxième lecture. Cela nous fait d'ailleurs perdre un peu de vue les éléments essentiels de cette loi de règlement sur 1995, dont je vais néanmoins traiter très rapidement.

En effet, 1995 a été une année au cours de laquelle le déficit budgétaire a été considérablement réduit - de plus de 25 milliards de francs - par rapport à ces deux années précédentes puisqu'il a été ramené à 323 milliards, contre plus de 350 milliards auparavant. Cela est d'autant plus nécessaire que le contexte de croissance était alors difficile.

M. Christian Cuvilliez.

Avec deux points de TVA supplémentaires !

M. Gilles Carrez.

Ce résultat a été obtenu grâce à une meilleure maîtrise de la dépense publique, dont la progression a été limitée à 2,3 %, avec une inflation à 1,2 ou 1,3 %. Bien que ce taux soit le même dans le projet de budget pour 1999, les données étaient bien différentes.

En 1995 ont donc été annoncés une réduction du déficit et un ralentissement de la progression de la dette. Cet effort, qui avait été entrepris à partir d'une base de départ, celle de 1993, qui était extrêmement difficile, vous a permis de trouver en 1997 des comptes publics assainis.

M. Christian Cuvilliez.

Ce sont les consommateurs qui ont payé !

M. Jean-Louis Idiart.

Monsieur Carrez, n'exagérez pas !

M. le président.

La parole est à M. Gilbert Gantier.

M. Gilbert Gantier.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'examen de la loi portant règlement du budget de 1995 nous donne l'occasion de revenir sur l'exécution des budgets passés mais aussi, et c'est important, de tirer du passé des enseignements pour l'avenir.

Deux constats rapides peuvent d'abord être dégagés quant à l'évolution de la conjoncture économique et à l'exécution du budget qui en découle.

Le premier est le fait que l'exercice qui consiste à tabler sur des prévisions économiques pour afficher des objectifs budgétaires est relativement difficile. Le gouvernement actuel devrait en tirer les leçons.

Le deuxième constat réside dans le fait que le Gouvernement n'a pas su poursuivre la politique du gouvernement précédent en ce qui concerne la réduction du déficit public. Je tenais à le souligner parce que l'on ne peut que le regretter.

Ces deux rapides constats d'ordre macro-économique effectués, je tiens à souligner, pour entrer dans le détail du présent projet de loi, que son article 15 comporte une disposition tout à fait contestable. Les orateurs précédents en ont parlé.

Cet article est le parfait reflet de l'art du Gouvernement de faire passer en catimini des dispositions dont il ne cherche pas à se vanter par ailleurs. Il use et abuse de ce procédé. En effet, cet article, dont la suppression a été votée au Sénat, tend à apurer une distorsion comptable constatée entre le budget de La Poste et les dépôts de l'exploitant de droit public au Trésor. Cette mesure, qui aurait pu être instaurée très discrètement par le Gouvernement sans la vigilance des parlementaires auxquels il vient d'être rendu hommage, tend en fait à masquer une subvention implicite à deux étages, tout à fait contestable, de l'Etat à La Poste.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

L'article 15 cherche à régler définitivement le problème soulevé en son temps par la Cour des comptes en transformant une dette que l'exploitant public avait vis-à-vis du Trésor en dépense définitive effectuée par l'Etat à son profit. Cette mesure prend donc bien le caractère d'une subvention déguisée.

On peut constater un écart entre le montant inscrit au bilan de La Poste au titre des comptes chèques postaux et celui effectivement déposé au Trésor, qui reçoit en dépôt les comptes courants postaux. Le montant qui figure ainsi au bilan de La Poste est de 168 milliards de francs. Celui qui est effectivement constaté au Trésor est de 150 milliards de francs seulement. L'écart porte donc sur environ 18 milliards de francs. Or l'article 15, qui a le mérite de vouloir régler la situation, ne tend qu'à entériner un état de fait passé en éliminant tout simplement cet écart constaté.

Pourtant, un problème majeur se pose. La rémunération que l'Etat effectue envers La Poste au titre de ses dépôts au Trésor porte bien sur les 168 milliards constatés au bilan de La Poste. N'ont été cependant effectivement déposés que 150 milliards de francs. Une incohérence majeure peut alors être établie compte tenu du fait que 18 milliards de francs ont été rémunérés par l'Etat à La Poste, qui plus est au taux très avantageux de 4,75 %. La somme ainsi versée par l'Etat au titre de ces intérêts versés peut donc être évaluée à environ 800 m illions de francs.

On peut ainsi constater qu'une somme dont l'Etat n'a jamais vu la couleur a fait l'objet d'une rémunération qui, elle, a été bien réelle. On peut ainsi légitimement considérer que La Poste a bénéficié de largesses que seul l'Etat peut accorder. Dernier avatar de la politique de l'Etat en matière d'établissement public, cela constitue le premier étage de ce qui apparaît comme étant une subvention déguisée accordée par l'Etat, décidément fort généreux

Par ailleurs, le taux de rémunération des comptes courants spéciaux est fixé, comme je l'ai déjà rappelé, à 4,75 %. Or le taux d'intérêt au jour le jour se situe aux alentours de 3 % seulement. L'Etat verse donc de façon manifeste une surprime à La Poste qui n'a aucune justification économique. C'est le deuxième étage d'une subvention déguisée apportée par l'Etat à l'établissement public.

La Cour des comptes, dans son rapport sur l'exécution de la loi de finances en vue du règlement du budget de l'exercice 1994, avait d'ailleurs déjà relevé l'anomalie en précisant que l'écart de 18 milliards constaté provenait des pertes cumulées de La Poste, dans le cadre du budget annexe des postes et télécommunications.

Par l'article 15, le Gouvernement cherche à régler définitivement une situation anormale sans pour autant donner de justifications quant aux agissements qui ont pu être constatés.

M. Christian Cuvilliez.

Qui gouvernait en 1995 ?

M. Gilbert Gantier.

S'il semble en effet légitime de vouloir régler une anomalie constatée par la Cour des comptes, il est cependant très contestable de fermer les yeux sur le passé en « blanchissant » en quelque sorte les opérations de paiement d'intérêts. Ces blanchiments portent, je le rappelle, sur la somme de 18 milliards, somme qui n'a jamais été déposée au Trésor. La Poste, qui bénéficie du statut particulier d'exploitant public autonome depuis la loi du 2 juillet 1990, a continué ainsi à profiter des largesses de l'Etat,...

M. Christian Cuvilliez.

Quel Etat ? Qui gouvernait alors ?

M. Gilbert Gantier.

... alors même qu'elle ne faisait plus partie officiellement de l'administration publique.

Cette situation reflète en fait l'échec de l'Etat actionnaire dans la gestion des entreprises publiques ou de celles à statut équivalent comme c'est la cas de La Poste.

Les anomalies constatées dans le bilan de cette dernière témoignent de la limite de l'intervention de l'Etat dans la gestion des services publics.

Une plus grande transparence financière serait dès lors nécessaire pour éviter que des situations anormales ne soient entérinées de fait par une loi de règlement, comme cela nous est proposé aujourd'hui.

Le présent projet de loi portant règlement définitif du budget 1995 permet de montrer les travers dans lesquels le Gouvernement ne manque pas de tomber dès qu'il en a l'occasion.

M. Jean-Louis Idiart.

Quel gouvernement ?

M. Raymond Douyère.

C'était avant, en 1995 !

M. Christian Cuvilliez.

C'était le vôtre : le gouvernement Balladur.

M. Gilbert Gantier.

L'excès de confiance et le gaspillage systématique des efforts effectués par des gouvernements précédents constituent, mes chers collègues, le premier de ses travers. La discussion nous a en effet donné l'occasion de pouvoir faire des comparaisons entre les différentes politiques budgétaires menées ces dernières années. Manifestement, il semble que le Gouvernement, hélas, ne compte pas tirer la leçon des enseignements, pourtant précieux, de ce débat.

M. Christian Cuvilliez.

Le Gouvernement d'aujourd'hui fait au contraire preuve de mansuétude vis-à-vis du gouvernement d'hier !

M. Gilbert Gantier.

Le recours est presque rituel à des opérations en catimini pour régler des situations souvent très contestables ou pour bénéficier de rallonges budgétaires, comme cela a été le cas lors de la présentation du projet de loi de finances pour 1999, avec le prélèvement de 5 milliards sur les caisses d'épargne.

Cela étant dit, mes chers collègues, et sous cette réserve, le groupe Démocratie libérale et Indépendants votera pour la loi de règlement pour 1995.

M. Jean-Pierre Dufau.

Et pour cause ! Plusieurs députés du groupe socialiste et du groupe communiste.

Nous sommes soulagés.

M. le président.

La discussion générale est close.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Je ne vais pas, après ces quatre interventions, reprendre le débat général. Permettez-moi cependant de me féliciter, comme M. Jégou, de ce que les banques centrales de France et d'Allemagne ont diminué de 0,3 % leurs taux d'intérêt. Ces décisions prises en toute indépendance vont contribuer à renforcer la croissance en Europe, et en France en particulier. Les pronostics de M. Gantier s'en trouveront, je l'espère, infirmés.

En ce qui concerne La Poste, la bonne foi de M. Fréville n'est pas en cause, mais il a confondu deux questions.

Il y a d'un côté la rémunération des comptes chèques postaux. Les avoirs CCP de La Poste s'élevaient à 140 milliards de comptes chèques postaux en 1990, à 148 milliards en 1995, et à 160 milliards en 1997. Ces fonds sont confiés par La Poste à l'Etat qui les rémunère à un taux sur lequel je reviendrai dans un instant.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

Cette question, contrairement à ce qu'a pu penser

M. Fréville, ne fait pas l'objet du débat d'aujourd'hui.

Il y a, de l'autre côté, les déficits accumulés par La Poste : au total 18 milliards de francs. Il a été décidé en 1990 que l'Etat les prendrait à sa charge, non pas en les annulant mais, selon une opération comptable pas très claire puisque la Cour des comptes l'a dénoncée, en mettant cette créance de 18 milliards de francs sur un compte particulier.

La Cour des comptes a jugé en 1993 que cette procédure comptable n'était pas correcte. Nous sommes maintenant en 1998. Comme l'a dit M. Desallangre, le gouvernement actuel apure une opération comptable qui manquait de transparence.

Nous annulons donc la créance de 18 milliards que l'Etat avait sur La Poste. C'est l'objet de l'article 15. Les comptes chèques postaux ne sont absolument pas concernés. L'erreur qui a été faite, et qui a pu créer une confusion, c'est que les comptes chèques postaux et les avances du Trésor étaient inscrits sur la même ligne. S'ils l'avaient été sur deux lignes séparées, ils n'auraient pas donné lieu à débat. Il s'agit donc d'une question de présentation et non d'une question de fond.

J'en viens maintenant au taux de 4,75 %. L'Etat rémunère évidemment les sommes que La Poste lui confie et la rémunération normale est celle des bons du Trésor à treize semaines avec un taux plancher qui a été défini, je vous le rappelle, dans le contrat de plan 1995-1997, à 4,75 %. Ce n'est donc pas à nous qu'il faut adresser des reproches si on le trouve trop élevé. Ce taux a été reconduit pour le prochain contrat de plan et a été, comme M. Desallangre l'a dit, approuvé par la commission supérieure du service public de La Poste.

Ce taux de 4,75 % fait donc partie d'un ensemble, qui est le contrat de plan entre l'Etat et La Poste. La Poste n'est pas une entreprise comme les autres. C'est un service public qui a des charges particulières et les relations entre l'Etat et ce grand service public auquel M. Desallangre a, à juste titre, rendu hommage - mais personne sur les bancs de l'opposition n'en a, à ma connaissance, dit du mal - sont complexes. Ce taux d'intérêt de 4,75 % est un élément de ces relations complexes.

Après ces précisions, je propose donc de revenir au texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture.

M. le président.

En application de l'article 91, alinéa 9, du règlement, j'appelle maintenant, dans le texte du Sénat, l'article du projet de loi sur lequel les deux assemblées du Parlement n'ont pu parvenir à un texte identique.

Article 15

M. le président.

« Art. 15. - Le compte "Ecart d'intégration des dépôts des comptes chèques postaux de l'exbudget annexe des PTT" figurant dans les comptes de l'Etat pour un montant de 18 158 839 668,85 francs au 31 décembre 1995 est définitivement apuré par transport en augmentation des découverts du Trésor.

« A compter du 1er janvier 1996, les avoirs des particuliers et entreprises aux comptes chèques postaux auprès d u Trésor ne sont pas rémunérés à hauteur de 18 158 839 668,85 francs. »

Je suis saisi de deux amendements identiques, nos 1 et 2.

L'amendement no 1 est présenté par M. Migaud, rapporteur général ; l'amendement no 2 est présenté par

M. Desallangre.

Ces amendements sont ainsi rédigés :

« Supprimer le dernier alinéa de l'article 15. »

Monsieur le rapporteur général, puis-je considérer que vous avez déjà défendu l'amendement no 1 ?

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Oui, monsieur le président, puisque j'ai apporté un certain nombre de précisions tout à l'heure.

Je veux juste préciser à l'intention de mes collègues que le maintien de la disposition proposée par M. Fréville représentait une perte de l'ordre de 860 millions de francs par an pour La Poste. Je crois que personne ne peut prendre cette responsabilité.

M. le président.

Monsieur Desallangre, souhaitez-vous à nouveau défendre votre amendement no 2 ?

M. Jacques Desallangre.

Non, monsieur le président.

J'ai largement explicité ma position et mon amendement.

M. le président.

La parole est à M. Jean-Jacques Jégou, contre l'amendement.

M. Jean-Jacques Jégou.

Monsieur le secrétaire d'Etat, je le dis tranquillement car notre débat doit avoir de la tenue : je ne suis pas, pour ma part, impressionné par le contrat de plan entre l'Etat et La Poste. En tant que parlementaire, je n'en connais pas les arcanes, mais cette haute instance doit comporter un ou deux parlementaires qui participent à son élaboration. Compte tenu du niveau des dépôts de La Poste au Trésor - vous parliez de 160 milliards -, les sommes en jeu - je fais un rapide calcul, d'autant que j'ai la chance d'avoir un spécialiste à côté de moi, en la personne de M. Hériaud - doivent s'élever à rien moins que 7,6 milliards de francs sur la totalité de l'année. Ce n'est pas une mince affaire pour les dépenses de l'Etat. Il est important de le savoir.

La Poste est un service public très noble. Pour aller dans le sens de ce que vous avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, nous avons sans doute le meilleur service public dans ce domaine. Si nous comparons avec les autres services en Europe, effectivement, La Poste n'a pas à rougir, si j'ose dire. Il n'empêche que La Poste a été chargée, lors de son changement de statut, d'améliorer son fonctionnement. Le taux de rémunération du service qu'elle rend à l'Etat me paraît excessif, surtout dans le contexte actuel, où nous nous félicitons tous de constater une baisse des taux que nous n'avions jamais connue auparavant. Il serait bon de reprendre cette discussion.

J'ajoute qu'il ne s'agit pas, comme l'a dit M. Desallangre - dont les propos ont été confirmés par Gilles Carrez - de restituer 18 milliards. M. le rapporteur général vient lui-même d'avancer la somme de 875 millions.

Nous, nous avions calculé 900 millions. Sur ce point, nous sommes bien d'accord. Dans cette opération, au demeurant demandée par la Cour des comptes, il convient de donner un certain nombre de signaux, afin d'inciter La Poste à améliorer sa productivité. C'est pourquoi nous demandons le maintien de l'article du Sénat et nous voterons contre les amendements de suppression.

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Le Gouvernement est favorable aux amendements de suppression.

M. le président.

Je mets aux voix par un seul vote les amendements nos 1 et 2.

(Ces amendements sont adoptés.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

M. le président.

En conséquence, l'article 15 est supprimé.

Vote sur l'ensemble

M. le président.

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.

(L'ensemble du projet de loi est adopté.)

2 LOI DE FINANCES RECTIFICATIVE POUR 1998 Dicussion d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 1998 (nos 1210, 1224).

La parole est à M. le secrétaire d'Etat au budget.

M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat au budget.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, je vous présente le projet de loi de finances rectificative pour l'année 1998 au nom du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Dominique StraussKahn, retenu par le sommet franco-britannique qui se tient à Saint-Malo, et en mon nom propre.

Ce projet est, comme celui de l'an dernier, et à la différence de nombreux collectifs antérieurs, organisé selon trois principes clairs.

Premier principe : le déficit annoncé dans la loi de finances pour 1998 a été non seulement tenu, mais réduit de 3 milliards de francs.

Deuxième principe : les surcroîts de dépenses courantes apparus en cours d'années sont entièrement financés par des économies, et ce à hauteur de 20 milliards de francs.

C'est, en particulier, le cas pour les deux décrets d'avances sur lesquels je reviendrai.

Troisième principe : la croissance ayant été bonne en 1998 - supérieure à 3 % - grâce notamment à la mise en oeuvre d'une politique de soutien à la demande intérieure - on sait que la demande intérieure rapporte plus d'impôts que l'exportation, qui est détaxée de TVA - les plusvalues de recettes sont pour l'essentiel affectées à apurer des retards de paiement que l'Etat avait accumulés au fil du temps.

Croissance stimulée, dépenses publiques bien maîtrisées et réorientées, déficit réduit, tels sont les trois principes sur lesquels repose la politique budgétaire du Gouvernement. J'y ajoute, sans insister, une volonté de transparence, puisque le présent collectif prouve a posteriori que les dépenses et les recettes que vous avez examinées il y a un an avaient été calibrées du mieux possible.

Avant d'entrer dans le détail des chiffres, je tiens à souligner que ce collectif budgétaire accentue l'orientation sociale du budget de 1998.

Premièrement, le décret d'avances du 16 janvier a ouvert un milliard de francs de crédits pour venir en aide aux chômeurs en situation de grande détresse.

Deuxièmement, le décret d'avances du 21 août, d'un montant de 5 milliards de francs, a permis d'accroître les moyens des contrats de qualification, ainsi que d'abonder les crédits de rémunération de la défense.

Troisièmement, dans les dépenses qui sont financées par redéploiement, je distinguerai deux groupes.

D'abord, 5,7 milliards de francs sont prévus au titre de la prise en charge par l'Etat de la majoration de l'allocation de rentrée scolaire décidée et versée à l'automne dernier. Je rappelle que le Gouvernement a en 1998 comme en 1997 quadruplé l'allocation de rentrée scolaire. C'est un volet important de la politique familiale du Gouvernement auquel j'appartiens.

M. Germain Gengenwin.

Dans le même temps, vous soumettiez les allocations familiales à condition de ressources !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Ensuite, concernant les prestations sociales, 1 milliard de francs est inscrit pour la mesure de revalorisation des allocations servies aux chômeurs en fin de droit, décidée par le Gouvernement en début d'année, et la création de la nouvelle allocation pour les chômeurs âgés. Ce milliard au profit des personnes les plus modestes s'ajoute au milliard ouvert en décret d'avances pour financer les mesures d'urgence décidées le 16 janvier dernier. Ce dispositif montre bien que l'action du Gouvernement est tournée vers les citoyens en grande difficulté.

J'ajoute que 900 millions de francs ont été inscrits en dépenses supplémentaires au titre du RMI.

J'en viens maintenant à une présentation plus précise du budget rectificatif. Comme le souligne justement le rapporteur général de la commission des finances dans son remarquable rapport, le montant des ouvertures proposées dans ce collectif est équivalent à ce qui est traditionnellement constaté, et même inférieur si l'on prend pour référence la période 1994-1996. Les tableaux tout à fait instructifs figurant dans le rapport le montrent clairement.

Cette remarque est importante. Elle montre que, si le Gouvernement n'est pas opposé par principe à la dépense publique - certaines dépenses publiques sont bonnes car elles renforcent les services publics -, il maîtrise sa gestion une fois les grands équilibres fixés et les priorités clairement précisées.

L'attitude et l'action du Gouvernement contrastent avec les discours de rigueur prônés dans le passé par certains qui ont dû, en fin d'année, présenter des collectifs avec des dépenses supplémentaires. Cela va montrer d'ailleurs qu'entre l'acte et le discours, le fossé est grand.

Après ces remarques de principe, j'en viens aux chiffres, que vous connaissez déjà pour la plupart.

Les recettes de l'Etat sont améliorées de 13,9 milliards de francs par rapport à la loi de finances initiale, dont 600 millions ont servi à financer en partie le décret d'avances du 21 août dernier.

A l'intérieur de ces recettes d'ensemble, les recettes fiscales sont révisées à la hausse de 11 milliards de francs.

Cela traduit, comme je viens de le dire, l'impact de la conjoncture économique, en particulier la croissance de la demande intérieure. Le supplément observé provient, en effet, principalement de la TVA.

Les recettes non fiscales progressent, quant à elles, de 1,6 milliard de francs par rapport à la loi de finances initiale. Elles sont toutefois inférieures de 2 milliards de francs aux prévisions affichées lors de la présentation du


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

projet de loi de finances pour 1999 en raison essentiellement de la révision à la baisse des recettes provenant de la COFACE, compte tenu du contexte international.

Le Gouvernement prend en compte les incertitudes internationales. Cet élément de prudence augure bien de l'exécution des recettes et des dépenses que nous avons prévue pour l'an prochain.

M. Philippe Auberger.

On veut le croire !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Enfin, les prélèvements sur recettes sont revus à la baisse de 1,3 milliard de francs en raison du moindre dynamisme du fonds de compensation de la TVA.

Voilà pour les recettes de ce collectif. J'en viens maintenant aux dépenses.

Les ouvertures de ce collectif s'élèvent à 30,8 milliards de francs. Elles correspondent, pour une part, soit 20,5 milliards de francs, à des dépenses courantes, pour le reste, soit 10,3 milliards de francs, à l'apurement de dettes héritées de gestions passées, ainsi qu'au financement de la mise en oeuvre anticipée au 1er septembre 1998 d'allégements de certains impôts locaux.

La ligne du Gouvernement, je le répète, est claire : les dépenses courantes sont financées par redéploiement et les plus-values de recettes sont consacrées à l'apurement des dettes anciennes et au financement des allégements d'impôts.

Les ouvertures de crédits correspondant à des dépenses courantes s'élèvent donc à 20,5 milliards de francs.

J'ai déjà mentionné un certain nombre de dépenses à caractère social, sur lesquelles je reviens brièvement : 5,7 milliards de francs pour l'allocation de rentrée scolaire, 1 milliard de francs pour la revalorisation des allocations versées des chômeurs en fin de droits et pour la nouvelle allocation aux chômeurs âgés, 900 millions pour le RMI.

S'y ajoutent 2,5 milliards au titre de la recapitalisation et de l'accompagnement de la restructuration en cours du GIAT. Sont également ouverts 2,2 milliards de francs pour assurer la participation de la France à divers fonds internationaux de développement et de garantie.

Les ouvertures de crédits correspondant au financement de dettes anciennes et d'allégements d'impôts mises en oeuvre par anticipation s'élèvent, je l'ai dit, à 10,3 milliards de francs. Au titre de l'apurement du passé, 5,6 milliards de francs sont ouverts au titre des exonérations de charges sociales en faveur des bas salaires, 2,4 milliards au titre de la construction navale et 700 millions de francs au titre des retards de paiement sur certains budgets, les routes et l'intérieur notamment.

Par ailleurs, 1,6 milliard de francs sont prévus pour compenser vis-à-vis des régions les conséquences financières de la baisse des droits de mutation sur les immeubles d'habitation, prévue dans le projet de loi de finances pour 1999, tel que voté par l'Assemblée en première lecture, et anticipée au 1er septembre 1998. Je vous rappelle qu'avec la suppression des droits sur les cartes d'identité et les permis de conduire, l'encouragement sur les transmissions anticipées de patrimoine et l'exonération de TVA sur les terrains à bâtir, les allégements d'impôts anticipés sur 1998 représentent au total un montant de près de 2,5 milliards de francs dès cette année.

Les annulations de crédits permettant de financer les dépenses courantes atteignent 20,5 milliards de francs.

Elles ont été réalisées dans le cadre d'un arrêté d'annul ation en date du 18 novembre 1998, annexé comme il est normal au présent projet de loi. Ces annulations portent pour 11,6 milliards sur les budgets civils, pour 3,2 milliards sur les crédits d'équipement militaire et pour 5,7 milliards sur les charges nettes de la dette. Cette réduction en cours d'exercice, pour la deuxième année consécutive, du service de la dette est le résultat de notre politique de réduction des déficits, de l'évolution très favorable des taux d'intérêt - ils viennent encore de baisser aujourd'hui - et d'une gestion active de la dette.

En ce qui concerne les comptes spéciaux du Trésor, les recettes et les dépenses du compte no 902-24 d'affectation des produits de cessions de titres, parts et droits de sociétés, sont majorées de 15 milliards de francs, afin de tenir compte des cessions d'actifs réalisées en fin d'année, notamment la seconde opération France Télécom qui connaît un très grand succès auprès du public.

Cette révision permet d'atteindre le montant total de 64 milliards de francs de recettes sur les deux années 1998 et 1999, comme nous vous l'avions déjà annoncé.

Enfin, le déficit de l'Etat est ramené de 257,9 milliards de francs en loi de finances initiale à 254,6 milliards de francs, soit une amélioration de 3 milliards de francs, cohérente avec l'objectif que le Gouvernement français a notifié en septembre dernier à nos partenaires européens d'un déficit de l'ensemble des administrations publiques de 2,9 % du PIB, contre 3 % dans la loi de finances initiale.

En conclusion, mesdames et messieurs les députés, pour la seconde année consécutive, le Gouvernement se met en situation de respecter, dès le collectif budgétaire, les équilibres prévus par la loi de finances initiale, et même de les améliorer en exécution. Il consolide également l'avenir en procédant à l'apurement des dettes passées et en faisant preuve de prudence sur certaines recettes dépendantes du contexte international.

Telles sont les grandes lignes du projet de loi de finances rectificative dont vous allez débattre et que je d emande à l'Assemblée de bien vouloir approuver (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Didier Migaud, rapporteur général de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après la correction de trajectoire qu'a imposée, à l'automne 1997, la situation de nos finances publiques dans la perspective de la qualification de la France pour l'euro, le présent projet de loi de finances rectificative offre une physionomie plus habituelle.

Il s'agit en effet cette année, plus classiquement, de corriger les prévisions initiales, compte tenu des évolutions constatées et de procéder aux inévitables ajustements des crédits aux besoins.

C'est ainsi d'ailleurs que la première partie, souvent porteuse de mesures nouvelles destinées à procurer des recettes pour boucler l'exercice, se voit réduite cette année à sa plus simple - mais néanmoins essentielle - expression : un tableau d'équilibre retraçant l'évolution des recettes et fixant de nouveaux plafonds de charges.

Les dépenses de la loi de finances pour 1998 ont été affectées en cours d'exercice par deux décrets d'avance : le 16 janvier 1998, le Gouvernement a débloqué 1 milliard de francs à destination des chômeurs en situation difficile, dotation entièrement gagée par des économies réparties sur la quasi-totalité des fascicules budgétaires ; le 21 août


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

1998, il a fallu ouvrir 5 milliards de francs de crédits, dont 3,8 milliards de francs pour les rémunérations de personnels militaires et 500 millions de francs pour le financement de la formation professionnelle.

Le collectif 1998 propose d'ouvrir 50,4 milliards de francs de crédits nets, dont une grande partie correspond à des ajustements classiques en fin d'année : 5,8 milliards de francs pour l'allocation de rentrée scolaire, 5,6 milliards de francs pour le financement des allégements de cotisations sur les bas salaires, 2,3 milliards de francs pour ajustement de la charge brute de la dette, 530 millions de francs pour un apurement de dépenses FEOGA, etc. Il convient de ranger dans cette catégorie les 15 milliards de francs de crédits demandés sur le compte d'affectation spéciale no 902-24, qui ont une contrepartie exacte en recettes nouvelles.

Un certain nombre de dépenses résultent d'opérations exceptionnelles à caractère essentiellement non reconductible : une recapitalisation de GIAT Industrie, la participation de la France au capital de divers organismes et fonds internationaux, la compensation aux collectivités locales de la réduction des droits de mutation, intervenue par anticipation au début du mois de septembre 1998, le règlement d'un contentieux concernant l'EPAD, le financement du recensement général de la population, le remboursement des dettes de l'Etat vis-à-vis de France Télécom, le plan d'urgence en faveur des lycées, etc. Vous trouvez tous ces chiffres dans le rapport écrit. Par ailleurs, 300 millions de francs sont demandés pour aider la SNCF à financer l'augmentation des péages dus à Réseau ferré de France et 230 millions de francs pour résorber une partie des retards dans les crédits de paiement des routes, générés par les régulations budgétaires quelque peu aveugles pratiquées par le précédent gouvernement.

Ces demandes d'ouverture de crédits sont tout à fait comparables à celles effectuées dans le projet de loi de finances rectificative pour 1994 - 37,3 milliards de francs -, pour 1996 - 34,3 milliards de francs de crédits nets - ou pour 1997 - 46,3 milliards de francs.

Les annulations de crédits associées au collectif, qui représentent 15,7 milliards de francs, sont moins élevées qu'en 1997 ou 1996, mais plus qu'en 1994.

La principale annulation, soit 7,5 milliards de francs, porte sur le budget de l'emploi, l'amélioration de la c onjoncture économique et les premiers effets sur l'emploi de la politique définie par le Gouvernement permettant de réduire les entrées dans un certain nombre de dispositifs.

L'incidence sur le niveau de la dépense des annulations opérées dans le budget d'équipement de la défense, soit 3,2 milliards de francs, devrait être nulle en raison de l'absence de tensions constatée sur les besoins en paiement du ministère, qui a été soulignée lors du débat sur le budget 1999 de la défense. L'impact des annulations se fera cependant sentir sur les reports de crédits de l'exercice 1998 vers l'exercice 1999.

Un examen serein et objectif du collectif qui nous est proposé ne permet donc pas de conclure sans un brin de mauvaise foi à ce prétendu dérapage des dépenses, stigmatisé par certains.

S'agissant des ressources, la qualité de la conjoncture économique ainsi que le recentrage de la croissance autour de la demande intérieure conduisent à une progression des recettes nettes du budget général de 1,6 % par rapport à la loi de finances initiale. Cette situation est connue depuis le dépôt du projet de loi de finances pour 1999, car les prévisions figurant dans le présent projet de loi s'écartent peu des prévisions révisées élaborées en s eptembre dernier.

Les plus-values ne sont pas négligeables, mais elles sont loin de représenter le pactole que d'aucuns soupçonnaient le Gouvernement de dissimuler.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Absolument !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Au total, lesr ecettes nettes du budget général s'élèveraient à 1 368,2 milliards de francs.

Les recettes fiscales nettes ont été très marginalement modifiées par rapport à la révision précitée. Leur recul de 656 millions de francs s'explique essentiellement par une coordination avec certaines décisions d'application anticipée de mesures adoptées lors de la discussion de la première partie du projet de loi de finances pour 1999, dont 330 millions de francs pour l'exonération de TVA pour les acquisitions de terrains à bâtir réalisées par les particuliers dans le cadre d'opérations réalisées par un acte authentique signé à compter du 22 octobre 1998.

Je ne reviendrai pas sur les plus-values constatées au titre de l'impôt sur le revenu - 4,8 milliards de francs ni sur les moins-values d'impôt sur les sociétés - moins 8 milliards de francs -, déjà étudiées lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1999. Il est toutefois possible de constater que l'évaluation révisée table sur une croissance des recettes de TVA nette de 3,9 % contre 5,5 % en « glissement annuel », de septembre à septembre.

Pourquoi avoir maintenu une prévision de recettes aussi prudente pour 1998 au regard du dynamisme des encaissements constatés ? Il semble que certains remboursements et dégrèvements importants attendus ne sont pas encore intervenus et devraient réduire la progression observée jusqu'ici de la TVA nette. Par ailleurs, la baisse notable des importations induit mécaniquement une b aisse de la TVA correspondante. Ce phénomène, constaté sur les recouvrements de septembre, pourrait avoir une incidence notable jusqu'à la fin de l'année.

Notre commission suivra avec attention cette situation en liaison avec le secrétariat d'Etat au budget.

Comme il est d'usage, les principaux ajustements de recettes par rapport à la précédente évaluation réviséee concernent les recettes non fiscales. Le présent projet en prévoit une diminution, relativement limitée il est vrai, de 2,52 milliards de francs, dont 2 milliards du fait d'une réduction des prélèvements sur la COFACE. Au total, les recettes non fiscales progresseraient de 5,6 % par rapport aux prévisions initiales, contre 7,3 % prévus dans l'évaluation révisée associée au projet de loi de finances pour 1999.

L'évaluation des prélèvements sur recettes n'a été que très légèrement modifiée, tout comme les remboursements et dégrèvements.

Au total, les recettes nettes du budget général progressent de 1,6 % par rapport à la loi de finances initiale.

Si l'on raisonne hors recettes d'ordre, cette croissance est de 1 %, soit une plus-value de 13,92 milliards de francs.

E n définitive, le déficit général est ramené de 257,88 milliards de francs à 254,62 milliards de francs, pour l'essentiel en raison de l'amélioration du solde des opérations à caractère définitif. La part du déficit de l'Etat dans le PIB est ramenée de 3,1 % à 3,05 %.

Les dispositions permanentes proposées dans le présent projet se caractérisent par une extrême hétérogénéité et, pour la plupart d'entre elles, par une portée toute rela-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

tive. Nous reviendrons sur ces dispositions à l'occasion de l'examen des articles. Je n'évoquerai, à ce stade, que deux dossiers qui, l'un et l'autre, posent la question de l'information du Parlement.

En premier lieu, la commission des finances a longuement débattu des conditions d'intervention du Fonds monétaire international dans la crise financière qui, par vagues successives depuis l'été 1997, a frappé l'Asie du Sud-Est, puis la Corée du Sud, puis la Russie, ensuite le Brésil et, à un moindre degré, l'ensemble de l'Amérique latine. L'action du FMI a pu être contestée et des réflexions sont d'ailleurs en cours qui visent à renforcer la solidité du système monétaire et financier international et à remodeler son architecture. Dans ce contexte, avec l'article 18 du présent projet, le Parlement est amené à autoriser l'augmentation de la quote-part de la France au FMI. Il est souhaitable que, à cette occasion, notre capacité à évaluer la politique du FMI et l'action de la France au sein de ses instances dirigeantes soit renforcée.

M. Christian Cuvilliez.

Tout à fait !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

En second lieu, la commission des finances a rejeté l'article 21 du projet de loi, qui vise à autoriser le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie à accorder à la banque Chaix, repreneur de la Société marseillaise de crédit, la garantie de l'Etat contre certains risques potentiels, dans la limite de 435 millions de francs.

La décision de la commission des finances n'a pas été motivée - je vous renvoie à mon rapport écrit - par la contestation du bien-fondé de cette garantie. Elle traduit surtout son irritation quant à la façon dont a été assurée l'information du Parlement sur le dossier de la SMC en général et sur cet article en particulier.

M. Jean-Louis Idiart.

Très bien !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Nous avons, en effet, éprouvé quelques difficultés à obtenir les précisions que nous souhaitions sur les circonstances qui ont conduit à cette situation de faillite virtuelle de la SMC, sur l'action des diverses autorités de contrôle et sur la façon dont les responsables de cette situation seront appelés à en rendre compte. Mais la lenteur de certaines administrations à répondre aux interrogations du Parlement...

M. Jean-Louis Idiart.

Des noms !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

... résulte-t-elle sûrement d'une ardeur nouvelle à renforcer leur action comme autorité de tutelle et de contrôle.

M. Christian Cuvilliez.

Sûrement !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

C'est en tout cas ainsi que nous le percevons.

Nous ne pourrions, bien évidemment, que nous féliciter d'une telle démarche, d'autant que l'actuel gouvernement, je tiens à le souligner, a su saisir à bras-le-corps un dossier que les précédents avaient malheureusement laissé pourrir.

M. Germain Gengenwin.

Vraiment, il serait temps d'apprendre à tourner la page !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

En outre, il y a lieu de se féliciter de l'adoption, par le conseil des ministres d'hier, du projet de loi relatif à l'épargne et à la sécurité financière, dont l'un des volets propose un renforcement des moyens d'action des autorités de contrôle d u secteur financier. Nous aurons l'occasion d'en débattre ; il s'agit là aussi d'une clause positive.

En définitive, et ce collectif en fait foi, l'année 1998 aura permis de franchir une première étape de la concrétisation des objectifs définis par la nouvelle majorité issue des élections de mai-juin 1997 et que M. le secrétaire d'Etat vient de rappeler : réduire les déficits publics, impératif de bon sens plus que contrainte subie, amorcer la décrue des prélèvements obligatoires et financer les priorités choisies par les Français, au service de la croissance, de l'emploi et de la solidarité.

Dans ces conditions, votre commission des finances, sous réserve de l'adoption des amendements, en demeurant peu nombreux,...

M. Gérard Bapt.

Mais importants !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

... qu'elle vous propose, a adopté le projet de loi de finances rectificative pour 1998 et invite l'Assemblée à faire de même.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. François Lamy, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées.

M. François Lamy, rapporteur pour avis de la commission de la défense nationale et des forces armées.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme chaque année, la commission de la défense et des forces armées s'est saisie pour avis du projet de loi de finances rectificative.

Cette discussion offre souvent l'occasion de constater que le budget du ministère de la défense sert de variable d'ajustement du budget de la nation. De gels en annulations, les crédits votés en loi de finances initiale ont permis de contribuer très fortement à la maîtrise des dépenses publiques.

Une lecture partielle, voire partiale, de cette loi de finances rectificative permettrait de penser qu'il en est de même cette année. Ainsi, en 1998, le ministère de la défense subit un niveau d'annulations brutes de 7,4 milliards de francs sur les crédits d'équipement.

M. Christian Cuvilliez.

C'est une manière de nous défendre !

M. François Lamy, rapporteur pour avis.

Les ouvertures de crédits s'élèvent à 4,5 milliards de francs. Une comparaison hâtive donnerait donc à penser que, une fois de plus, après la forte entaille de la loi de finances initiale, le ministère de la défense a été fortement mis à contribution, alors que nous nous situons dans un contexte favorable, marqué par des rentrées fiscales supplémentaires.

En fait, nous devons adopter cette année une autre grille de lecture. D'une part, une partie des annulations effectuées lors du décret d'avance ont été gagées sur des reports de crédits de 1997 sur 1998 pour un montant de 3,8 milliards. D'autre part, les annulations de crédits ne sont pas, cette fois-ci, le fruit de la régulation budgétaire habituelle, mais ont pour une large part des origines internes. Les 2,8 milliards d'annulations nettes ont porté sur des crédits qui de toute façon n'auraient pas pu être consommés. En effet, la réforme de la comptabilité d'investissement engagée par le ministère de la défense a empêché la consommation de crédits lors des premiers mois de l'année. Malgré un effort sur les mois suivants, il n'a pas été possible de rattraper ce retard.

Cette ambitieuse réforme a donc un prix à court terme. A moyen terme, elle permettra d'accroître l'efficacité de la dépense d'investissement militaire, ce dont nous devons tous nous réjouir.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

Et s'il reste des esprits chagrins, un bref rappel du solde entre annulations et ouvertures de crédits des années précédentes - 7 milliards en 1995, 4,6 milliards en 1996 et un peu plus de 3 milliards en 1997 - permettra de leur montrer que le niveau d'annulation de cette année reste, globalement, je n'ose dire positif, mais tout au moins correct.

L'ouverture de crédits pour le titre III de 700 millions de francs est une mesure positive qui permettra de réduire les reports de charges pour l'an prochain et de régler les insuffisances de la dotation initiale en matière de fonctionnement ou de rémunérations. Des crédits de 225 millions de francs sont ouverts pour la gendarmerie, de 185 millions de francs pour l'armée de terre, de 75 millions de francs pour l'armée de l'air, et, enfin, 215 millions de francs permettront d'abonder les subventions de la France à l'OTAN. Il faut noter à ce propos que ces crédits permettront, par voie de conséquence, aux entreprises françaises de ne plus être pénalisées dans les choix de l'alliance pour la réalisation de ses travaux d'infrastructure.

La loi de finances rectificative est également traditionnellement l'occasion de régler les surcoûts liés aux opérations extérieures. Pour 1998, le surcoût lié à ces opérations extérieures, dites OPEX, s'élève à 2,1 milliards de francs. Ce chiffre, en fait, recouvre des réalités très diverses : 160 millions pour huit opérations menées sous la bannière des Nations unies ; 1,28 milliard pour cinq opérations menées sous commandement international, comme par exemple dans l'ex-Yougoslavie ; enfin, les opérations extérieures menées sous commandement national, principalement en Afrique, représentent près de 270 millions de surcoûts.

Ces chiffres sont en nette diminution par rapport aux années précédentes. Pour mémoire, ils étaient de près de 3,5 milliards l'an dernier.

Il y a deux raisons à cela : premièrement, le redimensionnement de notre dispositif en Afrique, avec la suppression du prépositionnement en Centrafrique ; deuxièm ement, une réforme du régime indemnitaire des personnels engagés dans les opérations extérieures qui met fin à un système injuste et inadapaté puisqu'il était calqué sur le mode de rémunération des agents en poste à l'étranger et pénalisait fortement les célibataires.

Ce tour d'horizon du financement des opérations extérieures ne serait pas complet si je n'abordais pas la question de la définition de ces fameuses OPEX et celle d'une meilleure évaluation de leur coût en loi de finances initiale.

Concernant le premier point, je me dois de souligner qu'il existe toujours une différence entre le montant global du surcoût des opérations extérieures, 2,1 milliards de francs, et l'addition des opérations que j'ai citées plus haut. Cette différence s'explique par le fait que certaines opérations sont financées comme des opéarations extérieures, alors que leur nature mériterait une autre définition. C'est le cas de l'opération Epervier au Tchad, pour 350 millions de francs, qui, au fil des années, est devenue un véritable dispositif prépositionné et qui devrait donc être financée en loi de finances initiale, ou de l'envoi d'escadrons de gendarmerie dans les DOM-TOM pour 54 millions de francs. Pour le Tchad, je crois savoir que la situation devrait s'éclaircir l'an prochain. En ce qui concerne les surcoûts des opérations de maintien de l'ordre dans les DOM-TOM, il conviendrait certainement de trouver les règles pour que l'ordonnateur, à savoir le ministère de l'intérieur, soit également le payeur.

Cela permettrait également de considérer ces opérations comme des missions internes à notre territoire, ce qui, vous en conviendrez, serait moins choquant.

M. Christian Cuvilliez.

Et plus juste !

M. François Lamy, rapporteur pour avis.

Plus globalement, il conviendrait que, dans la mesure où elles sont prévisibles, les dépenses liées aux opérations extérieures fassent l'objet d'un financement en loi de finances initiale. Cela suppose bien évidemment - et là, je m'adresse plus particulièrement à vous, monsieur le secrétaire d'Etat - que cela ne se fasse pas au détriment des crédits prévus par la loi de programmation et par la revue de programmes.

La projection est une des missions essentielles de nos armées dans le nouveau système de défense. Les opérations extérieures menées par la France permettent à notre pays de garder son rang et de peser au niveau international. Il faut donc assurer le financement de ces missions sans retirer aux armées les moyens leur permettant de les exercer effectivement.

Je conclurai ce rapport en soulignant que la commission de la défense a pris acte avec satisfaction de l'absence de lien entre les annulations du budget de la défense et les 2,5 milliards prévus dans ce collectif pour la recapitalisation du GIAT. Chacun sait la situation difficile de cette entreprise et nous nous félicitons du respect de ses engagements par le Gouvernement. Il aurait été en même temps assez paradoxal d'augmenter la trésorerie de GIAT Industries tout en diminuant les capacités du ministère de la défense à effectuer des commandes auprès de cette même entreprise. Cela aurait constitué une première, puisque la dernière opération de cet ordre effectuée en février 1998 s'est opérée sans annulation correspondante sur le budget de la défense.

Sous réserve des remarques que j'ai pu faire, le collectif qui nous est soumis aujourd'hui est donc globalement bon et c'est pourquoi la commission de la défense a voté majoritairement l'adoption des crédits proposés. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Mesdames, messieurs les députés, après l'excellent rapport de M. Lamy, rapporteur pour avis de la commission de la défense, je voudrais apporter à l'Assemblée une information plus précise sur les opérations extérieures, sachant que mon collègue Alain Richard, ministre de la défense, l'a déjà fait devant la commission de la défense. Il aurait aimé le faire aujourd'hui ici, mais il est retenu par le sommet francobritannique de Saint-Malo.

Au nom du Gouvernement, je voudrais souligner le rôle important joué par notre pays comme agent de paix, monsieur Idiart, et de sécurité au service du droit. La plupart de nos opérations ont en effet pour cadre celui fixé par les Nations unies, et apportent dans des régions troublées l'apaisement et la stabilité, dont les populations sont les premières bénéficiaires.

Après ce rappel, j'en viens aux questions budgétaires.

Les surcoûts liés aux opérations extérieures diminuent sensiblement en 1998. Leur montant est de 2,1 milliards, contre 3,45 milliards en 1997. Il faut noter que les quatre cinquièmes de ces surcoûts sont constitués de dépenses de rémunération et de fonctionnement.

Pour quelles raisons ces surcoûts se trouvent-ils ainsi orientés à la baisse ? M. Lamy l'a dit, je n'y reviendrai pas.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

Le premier facteur de réduction est la modification du dispositif militaire extérieur -, en particulier la suppression de la force prépositionnée en République centrafricaine ; le second est la réforme, conduite par les services du ministère de la défense, du régime indemnitaire des personnels participant aux opérations.

La France est actuellement engagée dans huit opérations de maintien de la paix. Cette expression désigne les opérations expressément décidées par une résolution du Conseil de sécurité de l'ONU et qui relèvent du département des opérations de maintien de la paix de cette organisation.

Ces opérations sont les suivantes : La FINUL, force intérimaire des Nations unies au Liban, créée en application d'une résolution de mars 1978, dont le mandat est régulièrement renouvelé et au sein de laquelle figurent 257 militaires français.

M. Gérard Bapt.

Auxquels il faut rendre hommage !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

C'est vrai, monsieur Bapt, comme aux autres militaires ! L a MINURCA, mission des Nations unies en République centrafricaine, instituée en 1998 dans le but de fournir des conseils et un appui technique aux pourvoirs publics centrafricains en vue de l'organisation des élections législatives, dont le mandat a été reconduit jusqu'en 1999 et à laquelle 240 militaires français participent ; La MINUBH, mission des Nations unies en BosnieHerzégovine, créée par la résolution de décembre 1995 instituant un groupe international de police chargé de former et d'assister les forces de police locale, qui compte 119 gendarmes français ; La MINURSO, au Sahara occidental, décidée en avril 1991 après l'entrée en vigueur du cessez-le-feu afin d'en contrôler la mise en oeuvre, et à laquelle la France fournit vingt-cinq observateurs ; La MIPONUH, mission de police civile des Nations unies en Haïti, chargée pour une période d'une année, par une résolution du 28 novembre 1997, d'aider le gouvernement haïtien à créer une force de police, à laquelle participent vingt-quatre gendarmes français ; La MONUA, en Angola, déployée en application de la résolution de juin 1997, avec pour mandat d'observer le cessez-le-feu et de consolider la paix et la réconciliation nationale, qui comprend treize observateurs français ; La MONUIK, pour l'Irak et le Koweit, soumise à réexamen tous les six mois, dont le mandat, défini par la résolution d'avril 1991 et élargi par la résolution de février 1993, est d'assurer le contrôle de la zone démilitarisée entre l'Irak et le Koweit et à laquelle la France fournit onze militaires ; Enfin, la MONUG, en Géorgie, créée en 1993, chargée d'observer l'accord de cessez-le-feu conclu entre les Abkhazes, la Géorgie et la Russie, à laquelle participent cinq observateurs français.

Les charges supportées à l'occasion de ces opérations font l'objet de remboursements partiels de la part des Nations unies, mais ceux-ci interviennent généralement avec un décalage de deux années.

M. Yves Cochet.

Les Américains ne paient pas !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

La France est également engagée dans cinq opérations dont la conduite est déléguée à des commandements internationaux par le Conseil de sécurité des Nations unies, parmi lesquelles on peut citer : l'action menée par la SFOR pour mettre en oeuvre les aspects militaires de l'accord de paix en BosnieHerzégovine et y favoriser un retour à la normale des activités politiques et économiques - cette mission fait l'objet d'un réexamen semestriel - et un détachement français de 3 714 hommes y participe ; l'opération Southern Watch, qui vise à interdire à l'Irak l'utilisation de ses moyens aériens et antiaériens au sud du 32e parallèle et à laquelle contribuent 174 militaires français ; la mission d'observation de la Communauté européenne et de l'OSCE en ex-Yougoslavie, qui a un triple rôle d'observation, de médiation et de compte rendu, et à laquelle participent 46 militaires français.

Enfin, la France a conduit en 1998, jusqu'au mois d'août, diverses opérations sous commandement national, notamment en Afrique, en vue d'assurer le maintien de la paix, la sécurité des ressortissants français, le respect des accords de défense ou le désengagement des forces françaises.

Parmi ces opérations, je citerai la protection de l'ambassade de France en Algérie, la sécurisation d'une zone frontalière du Cameroun revendiquée par le Nigéria, l'accompagnement du désengagement des éléments français d'assistance opérationnelle en République Centrafricaine, l'évacuation des ressortissants français au Congo, ou encore la mission Epervier au Tchad, qui a pris en réalité le caractère d'un prépositionnement permanent, mais a gardé la forme d'une opération extérieure.

Tels sont, mesdames et messieurs les députés, les éléments d'information que je souhaitais apporter aujourd'hui à la représentation nationale.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

J'ai reçu de M. José Rossi et des membres du groupe Démocratie libérale et Indépendants une exception d'irrecevabilité, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Francis Delattre.

M. Francis Delattre.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous allons débattre c et après-midi d'une exception d'irrecevabilité qui concerne le projet de loi de finances rectificative pour 1998. D'emblée, une première question vient à l'esprit, monsieur le secrétaire d'Etat : pourquoi défendre une motion de procédure sur un texte habituellement technique, qui ne comporte que peu de dispositions fiscales...

M. Gérard Bapt.

Et de bonnes mesures !

M. Francis Delattre.

... et qui n'est pour beaucoup qu'une simple formalité ?

M. Gérard Bapt.

Pas celui-là !

M. Francis Delattre.

Les collectifs budgétaires sont effectivement des textes pratiques - et que tous les gouvernements pratiquent - puisqu'ils sont complètement en marge de la scène médiatique et permettent de faire pas-s er, plus ou moins en catimini, des mesures qui concernent bien des secteurs de l'activité de notre pays.

Ce texte ne déroge pas à ces habitudes fort regrettables.

Autant la loi de finances initiale est propice aux effets d'annonce, autant le malheureux collectif budgétaire de fin d'année doit normalement passer « comme une lettre à la poste ».

La présente motion d'irrecevabilité a justement pour objectif d'empêcher que celui de cette année ne passe comme une lettre à la poste. Il est toujours facile à tous les gouvernements d'afficher, lors d'un débat budgétaire


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

médiatisé, des objectifs souvent louables et valorisants.

Mais dès le mois de février ou de mars on s'aperçoit que des mesures techniques, dites de régulation, les mettent à mal.

Or il est deux objectifs, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous vous étiez proposé d'atteindre lors de la discussion du budget 1998 : la réduction du déficit budgétaire et la baisse des prélèvements obligatoires. Je suis bien obligé de constater que la loi de finances rectificative les a bien évidemment oubliés.

Selon vos propres termes, le collectif budgétaire permettra de finir « l'année comme elle a été prévue ». Vous avez effectivement, dans un communiqué de presse, fait allusion au respect des équilibres déterminés dans la loi de finances initiale. Une première question me vient alors à l'esprit : si c'était vraiment le cas, est-ce que ce texte serait aujourd'hui vraiment justifié ? C'est que, justement, l'année ne finit pas comme elle avait commencé, mais, grâce au ciel ! beaucoup mieux. Le Gouvernement dégage un bonus fiscal de 11,6 milliards de francs, avec un petit « plus » de 1,6 milliard de recettes non fiscales. Comment seront utilisées ces nouvelles marges ? Le Gouvernement va opter pour des dépenses nouvelles à hauteur de 10,3 milliards. Ces dépenses, bien souvent en saupoudrage, constituent une sorte de patchwork difficilement compréhensible, où nous venons d'ailleurs d'intégrer tout à l'heure, en quelques minutes, cinq ou six directives européennes.

Ces mesures ne concernent que des secteurs d'activités fort limités mais elles seront subies par tous nos concitoyens.

Nous soulevons donc l'exception d'irrecevabilité parce que cette loi donne des signaux extrêmement négatifs pour le pays. La croissance est fragile puisque les répercussions de la crise mondiale affectent déjà le taux de croissance prévu pour l'an prochain. Or votre projet profite d'une croissance fragile pour financer des dépenses nouvelles alors qu'il eût été plus sage de réserver ce bonus fiscal inespéré à la réduction du déficit.

Votre projet de loi de finances rectificative ne réalise aucun effort vraiment structurant pour le pays. Ainsi on n'y relève aucune dépense orientée vers les grands investissements publics, autoroutes, TGV, etc., qui apportent une réelle amélioration à la logistique du pays. Les plusvalues fiscales et les redéploiements de crédits iront pour la plupart aux dépenses d'assistance. Or tout le monde sait que depuis vingt ans ces politiques ont conduit directement à ce qu'on appelle « la fracture sociale » et à la précarisation constante de la société française.

L'équilibre financier de la loi de finances initiale pour 1998 tablait sur des perspectives de croissance de 2,5 %.

Il est aujourd'hui avéré que la croissance effective sera de 3 %.

Or tout dans ce projet de loi de finances rectificative s'efforce d'ignorer le retour de la croissance. Le dynamisme de la consommation intérieure a même surpris votre ministère. L'INSEE revoit plutôt le taux à la hausse avec 3,7 %. Ceci aura donc une incidence mécanique à la hausse sur l'impôt le plus tributaire des variations de conjoncture : la TVA. Les plus-values fiscales, constituées essentiellement par la TVA représentent 11,5 milliards de francs.

Vous ne pouvez donc pas, monsieur le secrétaire d'Etat, vous targuer dans la presse, de cette croissance à 3 % et ne pas en faire profiter nos concitoyens par des baisses d'impôt équivalentes. Cette croissance plus forte que prévu, dont vous revendiquez la paternité, nous, nous l'estimons purement conjoncturelle et due au retour d'un cycle plus favorable.

Deux choix s'offraient à vous face à ces rentrées fiscales.

Pour notre part, nous pensons qu'en gestionnaire avisé, vous auriez dû affecter l'essentiel de ce bonus à la réduction du déficit, afin de ne pas alourdir la charge de la dette pour l'an prochain et de ne pas accroître le stock de la dette, qui ne cesse d'augmenter depuis 1993. On est passé en volume de dette de 45,6 % du produit intérieur brut en 1993 à 58,2 % cette année. L'évolution du stock de dette est préoccupante puisqu'il n'a jamais diminué depuis cinq à six ans et le stock total de la dette constituera même 58,7 % du PIB en 1999.

Ou bien, soucieux d'épargner le contribuable et de ne pas donner des signes de rigueur précoces à l'ensemble des agents économiques, vous auriez pu affecter le surplus de recettes à des réductions d'impôts, notamment ceux qui touchent particulièrement le revenu des ménages, tels que l'impôt sur le revenu. C'eût été logique, étant donné que vous tablez sur le dynamisme de la consommation intérieure pour tirer la croissance l'an prochain.

Que faites-vous, monsieur le sécrétaire d'Etat, face à ce constat ? Vous augmentez les dépenses de 10,3 milliards de francs.

Il est vrai que, contrairement à l'an dernier, le Premier ministre et le Gouvernement n'ont pas l'ardente obligation de réduire les déficits en deçà des 3 % du PIB, seuil de qualification pour l'euro. C'est même la démarche inverse qui a été choisie.

Il s'agit, en effet, pour le Gouvernement de ralentir le rythme de baisse du déficit budgétaire afin d'éviter que celui-ci ne paraisse trop proche de celui prévu pour l'an prochain. Avec un déficit ramené à 254,6 milliards de francs pour 1998 et un déficit prévu pour 1999 à 237 milliards de francs, le déficit sera réduit sur une année de presque 7 %. C'est habile parce que vous pouvez mettre en avant ces deux chiffres et montrer votre pragmatisme et votre bonne volonté. Mais si les 14 milliards de surplus fiscal avaient été affectés au déficit de 1998, celui-ci n'aurait été que de 243,9 milliards et, de 1998 à 1999, le déficit ne serait plus réduit que de 3 %, chiffre beaucoup moins convaincant comme critère de bonne gestion.

Cette habileté, monsieur le secrétaire d'Etat, pourrait se révéler redoutable si les prévisions de croissance pour 1999, prévisions qui ont servi à établir un déficit de 237 milliards, s'avéraient inférieures à 2,7%. A 2,4% de taux de croissance, taux prévu par tous les instituts de conjoncture, le déficit pour 1999 se creusera bien au-delà des 237 milliards. Pour les conjoncturistes d'entreprise, la croissance pour 1998 pourrait même ne pas excéder 2,1 %. L'effet d'optique serait alors inversé : le déficit sur l'année 1998 s'élèverait à 243,9 milliards et le déficit pour 1999 pourrait être supérieur à 250 milliards. Vous voyez, monsieur le secrétaire d'Etat, comme il est aisé de faire dire aux chiffres ce que l'on veut leur faire dire.

Cette baisse tendancielle du déficit budgétaire est largement artificielle et n'est le résultat que de la présentation de chiffres en trompe-l'oeil.

Avec 0,5 % de taux de croissance en plus, par rapport aux 2,5 % prévus par la loi de finances initiale, notre pays a retiré 13,9 milliards de recettes supplémentaires.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

Qu'allait donc faire le Gouvernement de cette nouvelle marge ? L'affecter à la réduction à due concurence du déficit budgétaire ? Ce n'est pas la voie qui a été choisie ; c'eût été un mauvais signe pour la gauche plurielle et surtout un avant-goût de rigueur difficile à assumer.

La loi de finances initiale prévoyait 257,9 milliards de francs de déficit. En fin d'année, 14 milliards de francs supplémentaires sont engrangés alors qu'ils n'étaient pas prévus. Or, 3,3 milliards de francs seulement seront consacrés à la réduction du déficit budgétaire, à peine 20 % du bonus. Le déficit pour 1998 s'élévera donc à 254,6 milliards. Nous ne considérons pas raisonnable, monsieur le secrétaire d'Etat, l'attitude qui consiste à ne pas continuer à réduire le déficit alors que nous avons été les derniers à nous qualifier pour l'euro l'année dernière.

E n fait, le Gouvernement saupoudre, autant de dépenses qui constituent à chaque fois un geste pour les composantes de la majorité. A côté des 3,3 milliards de francs affectés à la réduction du déficit pour faire sérieux , et surtout parce que l'on ne peut pas faire moins, le Gouvernement se livre à ce que l'on pourrait appeler du

« politiquement correct budgétaire », c'est-à-dire qu'il dépense dès que la croissance permet d'engranger un surplus de recettes fiscales et qu'il taxe dès que les déficits se creusent.

M. Gérard Bapt.

Vous avez fait pareil !

M. Francis Delattre.

La logique voudrait qu'on fasse l'inverse. Il faudrait encourager une politique globale de réduction des déficits et d'assainissement des finances publiques, la plupart des gouvernements sociaux démocrates actuellement au pouvoir dans les différents pays européens se sont engagés dans cette voie.

M. Jean-Louis Idiart.

Les libéraux admirent les sociaux démocrates !

M. Francis Delattre.

Le gouvernement de M. Schrder a considéré comme prioritaire, dans l'une de ses premières déclarations, la baisse des prélèvements en Allemagne.

Le saupoudrage sera vain, puisque les milliards nouveaux affectés aux dépenses sociales ne permettront même pas de relever sérieusement les minima sociaux, et seront donc sans effet vis-à-vis de la précarisation vécue par une partie de nos concitoyens.

M. Gérard Bapt.

Vous, vous aviez laissé s'effondrer le pouvoir d'achat !

M. Francis Delattre.

Si l'efficacité de la dépense n'est pas prouvée, la réduction du déficit budgétaire, puis l'abaissement des prélèvements sont les meilleurs soutiens à une saine croissance, donc à l'emploi.

Or la réduction du déficit budgétaire qui a été annoncée nous semble artificielle, puisqu'elle ne résulte absolument pas d'une politique volontariste. En effet, elle ne provient que du jeu des stabilisateurs automatiques : la croissance gonfle le rendement des impôts.

Si l'on sort du cadre annuel pour se placer dans une p erspective cyclique, ce solde conjoncturel s'annule puisque les périodes d'excédent conjoncturel seront largement compensées par les périodes de déficit conjoncturel.

En vérité, l'annualité biaise le raisonnement, car c'est seulement à l'échelle de la durée du cycle qu'on peut se rendre compte de la réduction effective du déficit.

M. Christian Cuvilliez.

C'est quand, la fin du cycle ?

M. Francis Delattre.

Or, à niveau de PIB constant, le déficit ne se réduit pas ; au contraire, il augmente.

Alors que le déficit ne diminue pas sur le moyen terme, vous optez pour des choix que nous paierons, plus tard, lorsque la croissance ne sera plus aussi dynamique, et malheureusement ce jour n'est peut-être pas si loin.

S l'on compare la loi de finances rectificative pour 1997 et le collectif budgétaire de 1998, l'ouverture de 30 milliards de crédits n'est pas nouvelle. Le collectif de 1997 comportait un montant de dépenses équivalent, mais les critères de Maastricht pour la qualification de la France pour l'euro avaient obligé à opérer un financement par redéploiement de crédits. Certes, pour cette année, vous dépensez 20,5 milliards en dépenses nouvelles, que vous économisez de façon équivalente, mais 10,3 milliards sont des dépenses nouvelles nettes, c'est-à-dire sans économies en contrepartie.

Troisième question : où portent les économies que vous proposez ? Elles sont toujours réalisées sur les mêmes postes. Comme l'a souligné un de nos collègues précédemment, c'est essentiellement le budget de la défense qui, comme chaque année, subira les principales mesures de restrictions budgétaires : 3,2 milliards de francs seront économisés sur le budget de la défense en 1998. On dirait que ces malheureux crédits de la défense sont une éternelle variable d'ajustement pour l'exercice fiscal, véritable exercice de style, devrait-on dire, des gouvernements.

M. François Lamy, rapporteur pour avis.

Surtout des gouvernements précédents !

M. Francis Delattre.

Les études menées par la Délégation générale pour l'armement sont amputées de 1,35 milliard de francs, 985 millions de francs sont annulés au titre des fabrications de matériel pour les trois armées, mettant ainsi en cause des séries de programmes d'armement, et 120 millions de francs sont amputés pour les services communs et la gendarmerie.

Le nucléaire militaire verra 83,7 millions de francs annulés, l'espace connaîtra le même sort avec 147 millions de francs et idem pour les infrastructures, pour 431 millions de francs.

Ce sont, sans le dire, des mesures de régulation budgétaire tout à fait contraires aux lois de programmation militaire. Ces lois sont votées par le Parlement, mais les gouvernements, chaque année, grignotent un peu plus les crédits d'équipement du titre V. Ainsi 3,9 milliards de francs ont été annulés en 1997, 3,2 milliards le seront cette année. Au total, en évolution cumulée, il y aura 7 milliards de coupes sombres par rapport à la loi de programmation initialement prévue.

Que nous proposez-vous en contrepartie ? Une énorme dotation en capital à GIAT Industries à hauteur de 2,5 milliards de francs. Cette dotation à une entreprise dont les pertes endémiques sont chaque année considérables ne constitue pas à nos yeux une dépense productive. GIAT a perdu en 1997 2,85 milliards de francs ; elle se retrouve cette année avec une « ardoise » de 5,5 milliards. Cette politique de rebouchage des trous, au jour le jour, sans remise à plat des vrais problèmes, ne peut plus durer, d'autant que des secteurs stratégiques de pointe, comme le nucléaire militaire ou la recherche spatiale, sont laissés de côté.

Des corps comme la gendarmerie en sont arrivés à la plus extrême indigence. Nous le constatons pour les cotoyer au quotidien. Les moyens accordées à la gendarmerie arrivent à une limite au-delà de laquelle elle ne pourra plus assurer ses missions, alors que, parallèlement, ses missions n'ont cessé de croître.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

Est-ce cela une politique volontariste en matière de défense ? Peut-on encore prétendre à une priorité dans nos dépenses de défense ? Cette politique constante, qui consiste à privilégier les dépenses a priori à rendement électoral et médiatiquement correctes, et à saupoudrer des crédits au détriment de l'utilité de la dépense, n'assure que bien médiocrement notre avenir.

Vous avez économisé également 7,7 milliards de francs sur le budget de l'emploi. Il est un peu paradoxal d'afficher une politique de l'emploi qui s'attaque aux vrais problèmes, et de réduire d'autant les crédits destinés à financer cette politique. Vous affirmez que vous avez réalisé des économies sur les aides à l'emploi. Effectivement, certains objectifs, comme les contrats emploi-solidarité, sont atteints. On peut expliquer partiellement cette situation par le recul du chômage, mais, sur le terrain, ils sont remis en cause.

Ces contrats permettaient un premier ou un ultime contact avec le marché du travail. Le recentrage des créd its précédemment affectés aux CES vers d'autres dépenses, vers d'autres publics, s'est confirmé en 1997 et s'est porté vers les allocataires du RMI, les travailleurs handicapés, les bénéficiaires de l'allocation spécifique de solidarité et quelques autres allocations.

Or le projet de loi de finances rectificative pour 1998 continue à aller dans ce sens, puisqu'il accorde 900 millions de francs supplémentaires aux allocataires du RMI, et 1 milliard de francs pour une nouvelle allocation pour les chômeurs âgés. Ce recentrage vers une politique sociale d'assistance, qui consiste à salarier l'exclusion, revient à enfermer les exclus, à pérenniser l'exclusion.

J'en viens maintenant au quatrième et dernier point : la Société marseillaise de crédit.

La garantie du Gouvernement pour cette opération, obscure pour beaucoup d'entre nous, témoigne assez bien du mépris, relativement habituel, pour le sens des autorisations parlementaires. Nous devrions tous nous sentir concernés.

Je rappelais au début de mon propos les dispositions qui sont prises par le Gouvernement - et par tous les gouvernements - souvent en catimini, à l'occasion des collectifs budgétaires. Le dispositif de garantie prévu pour la cession de la Société marseillaise de crédit fait partie de ce train de mesures.

Les conditions de sortie de l'Etat du capital des entreprises du secteur financier public continuent de faire l'objet du moins de publicité possible. L'an dernier, les p arlementaires, toutes tendances confondues, avaient réussi à poser un plafond pour garantir les pertes futures du GAN. Aujourd'hui, malgré cet exemple, le projet explique en un peu moins de huit lignes comment l'Etat va garantir à une filiale du CCF, la banque Chaix, une garantie de cession à hauteur de 435 millions de francs.

C'est un peu laconique, autant dire que l'on prie simplement le Parlement d'enregistrer.

Le rapporteur général, M. Migaud, avait même rejeté l'article 21 en commission des finances afin que le Gouvernement indique exactement ce qu'il nous demande de garantir. La situation financière de la Société marseillaise de crédit ne nous fait pas déborder d'optimisme quand on sait que la banque publique a déjà englouti 6,3 milliards de francs d'aides de l'Etat.

Je rappelle, pour mémoire, l'achat de la banque par l'Etat, en 1982, à l'époque des nationalisations, pour 400 millions de francs, l'injection de 6,3 milliards de francs et la vente pour 10 millions de francs. C'est un petit « Crédit lyonnais ». Malgré les explications que nous apporte le rapport de M. Migaud, qui dépassent les huit lignes du projet, la méthode utilisée manque un peu d'élégance à l'égard du Parlement.

Or, ironie du sort, vous justifiez un tel dispositif de garantie par la sauvegarde, pour une fois, des deniers du contribuable. Cette cession dite de la dernière chance à 10 millions de francs devrait épargner aux contribuables français « quelques milliards de francs de plus ». En leur nom, je vous en remercie.

En effet, dans le cas d'échec d'une cession, la banque devrait entrer en liquidation, et reverser à l'Etat les 6 milliards déjà versés. Devons-nous préciser au passage que ces dotations en capital n'ont jamais reçu, à notre connaissance, de feu vert exprès de la Commission européenne ? Par ailleurs, le plan de restructuration de la banque pose un problème de crédibilité pour le commissaire européen. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez eu des contacts répétés avec ledit commissaire. Il aurait été sensi ble à vos arguments. En raison du changement de direction à la SMC et de la nécessité de procéder à un examen complet du groupe, la Commission a accordé un délai supplémentaire. Mais ce n'est pas pour autant qu'elle se montrera conciliante. La France a accumulé un tel nombre de sinistres d'entreprises publiques que les services de Bruxelles sont plus que perplexes sur le fonctionnement du secteur public bancaire français.

Cette fois encore, vous êtes pressé de vous débarrasser d'une banque publique, et dans votre empressement, vous oubliez d'éclairer les parlementaires que nous sommes sur la situation financière de la SMC, sur le dispositif précis, et sur les conditions de la garantie ainsi octroyée.

Le rapporteur général avait donc eu raison, dans cette optique, de rejeter l'article 21, afin de demander de plus amples éclaircissements sur une opération qui fait suite à de nombreuses autres, le tout dans l'opacité la plus complète. Celle-ci n'est d'ailleurs pas dissipée, monsieur le secrétaire d'Etat, par le courrier express que la commission des finances a reçu à quinze heures, même s'il a réussi à convaincre M. Migaud.

En résumé, nous sommes en présence d'une loi de finances qui joue passablement sur les effets d'optique pour nous faire croire qu'avec des marges de manoeuvre budgétaires étroites, on peut dépenser plus et réduire du même coup le déficit.

Nous estimons que vous gâchez, monsieur le secrétaire d'Etat, les marges de manoeuvre que la croissance vous offre. Vous hypothéquez l'avenir, qui pourrait s'assombrir beaucoup plus rapidement de par vos imprévoyances.

Pour toutes ces raisons, je vous demande, mes chers collègues, de bien vouloir voter cette exception d'irrecevabilité.

M. Germain Gengenwin et M. Gilles Carraz.

Très bien !

M. Christian Cuvilliez.

On ne voit vraiment pas pourquoi.

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

J'ai écouté M. Delattre avec une grande attention et, à moins d'avoir été défaillant, je n'ai pas entendu une seule référence à la Constitution. Or, il était censé défendre une motion d'irrecevabilité.

M. Gérard Bapt.

C'est un détournement de procédure !

M. Christian Cuvilliez.

Absolument !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Au fond, monsieur Delattre, vous avez fait un commentaire. C'est votre droit, mais la procédure employée est inappropriée sur le collectif qui vous est proposé.

Cela dit, ayant le sens du dialogue républicain, je souhaite répondre à quelques-unes de vos remarques.

Premièrement, vous avez dit que la croissance était passée de 2,5 % à 3 %. C'est faux : 2,5 %, c'était la prévision que faisait l'opposition sur la croissance française pour 1998. La prévision du Gouvernement était de 3 %, et elle se situera un peu au-dessus de ce chiffre. Nous n'avons donc pas fait l'erreur que vous nous prêtez. C'est plutôt le contraire.

M. Francis Delattre.

Il suffit de regarder les chiffres du budget primitif !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Vous dites que les plus-values de recettes devraient être affectées à la réduction du déficit. Le Gouvernement, monsieur Delattre, a profité de ces plus-values pour raccourcir certains délais de paiement, apurer des dettes de trésorerie héritées du passé. Or, je pense que personne ne jugera qu'il est de mauvaise gestion de faire en sorte que l'Etat paie plus vite ses fournisseurs.

M. Jean-Jacques Jégou.

C'est de la mauvaise gestion si on n'a pas l'argent !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Je voudrais ensuite relever trois termes de votre intervention.

Tout d'abord, vous avez dit que le GIAT était

« improductif ». Les salariés et les élus apprécieront une déclaration qui me semble pour le moins peu responsable.

M. François Lamy, rapporteur pour avis.

Tout à fait ! On le fera savoir !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Et si encore vous le pensiez vraiment, pourquoi ne pas avoir fermé le GIAT entre 1993 et 1997 ?

Mme Nicole Bricq.

En effet !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

S'agissant d'une entreprise dont les salariés, qui sont qualifiés, s'inquiètent p our leur avenir, de tels propos à l'emporte-pièce devraient, me semble-t-il, être évités.

M. Gérard Bapt.

Ils sont fort regrettables.

M. Francis Delattre.

On a le droit de dire ce qu'on pense ! Et je l'assume !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Tout à fait ! Mais, moi, j'ai le droit de dire, monsieur Delattre, que je ne pense pas la même chose que vous.

En second lieu, vous avez dit que le RMI créait la fracture sociale.

M. Francis Delattre.

Je n'ai jamais dit cela !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Vous avez dit qu'il la renforçait. Vous inversez la relation de cause à effet.

Le RMI a été créé parce qu'il y avait, il y a dix ans, des personnes en situation d'exclusion.

Vous vous inscrivez dans une logique qui n'est pas celle du Gouvernement, mais celle de la majorité sénatoriale, qui a décidé de réduire de 5 % les crédits du RMI dans le budget de l'an prochain. Le Gouvernement et la majorité qui le soutient pensent au contraire que la nation doit soutenir ses membres les plus faibles, ceux dont la situation est la plus précaire.

M. Gérard Bapt et M. Jean-Louis Idiart.

Tout à fait !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Votre appréciation relevait, me semble-t-il, d'une certaine sécheresse sociale.

En ce qui concerne la Société marseillaise de crédit, vous avez fait preuve de peu d'esprit de responsabilité financière.

Quelle était la situation au mois de juillet 1997, lorsque nous sommes arrivés au gouvernement ? Le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a aussitôt demandé à la commission bancaire - ce qui aurait dû être fait antérieurement - de procéder à un audit de cette banque.

M. Francis Delattre.

Il était déjà commencé !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Celui-ci a montré qu'une perte de 3,1 milliards de francs était prévisible pour l'année 1997. Le Gouvernement a remplacé les responsables de cette banque et l'a recapitalisée à hauteur 2,9 milliards de francs. Au total - il faut que chacun le sache -, cet établissement pourrait coûter au contribuable 6 milliards de francs, soit en recapitalisation soit en garantie de dettes.

Le Gouvernement a d'abord fait le choix de la transparence, puis il a cherché à adosser la Marseillaise de crédit à un partenaire solide. La banque Chaix a proposé 10 millions de francs ; cette somme modeste montre que la Marseillaise du crédit n'avait pas la valeur mirifique que d'aucuns lui prêtaient.

M. Jean-Jacques Jégou.

Vous l'avez achetée 400 millions de francs en 1982 alors qu'elle ne valait rien !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Le Gouvernement, grâce à sa gestion de ce dossier très difficile, a évité, en mettant un terme à la situation, que le contribuable, audelà des 6 milliards de francs qu'il doit déjà payer, ne supporte une charge supplémentaire de plusieurs milliards de francs.

M. Jean-Jacques Jégou.

L'Etat ne devait pas acheter cette banque !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

J'ajouterai un autre argument. Si la Société marseillaise de crédit avait poursuivi son déclin catastrophique, des milliers de petites et moyennes entreprises de la Côte d'Azur auraient été menacées.

Du point de vue économique et financier, le Gouvernement a donc bien agi, mais nous aurons l'occasion de reparler de ce sujet dans la suite du débat budgétaire.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur général.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

J'invite l'Assemblée à rejeter cette exception d'irrecevabilité car notre collègue n'a soulevé aucune difficulté d'ordre constitutionnel.

En ce qui concerne la SMC, je rappelle que la commission des finances a, dans un premier temps, repoussé l'article 21, et nous aurons l'occasion de nous expliquer sur ce point lors de la discussion de cet article.

Depuis, M. le secrétaire d'Etat nous fait part d'informations complémentaires. La proposition qui nous est soumise est raisonnable et les informations qui ont été transmises à la commission des finances doivent lui permettre de statuer sur ce dossier en toute connaissance de cause.

M. le président.

Personne ne demande plus la parole ?...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

Je mets aux voix l'exception d'irrecevabilité.

(L'exception d'irrecevabilité n'est pas adoptée.)

Question préalable

M. le président.

J'ai reçu de M. Jean-Louis Debré et des membres du groupe RPR une question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Gilles Carrez.

M. Gilles Carrez.

Monsieur le secrétaire d'Etat, il y a un mois et demi, nous étions réunis pour discuter du projet de loi de finances pour 1999 et, déjà, des doutes sérieux pesaient sur les hypothèses économiques retenues par le Gouvernement pour l'année prochaine.

Aujourd'hui, ces doutes ne font malheureusement que se confirmer. Or, de même qu'il y a quelques semaines, le Gouvernement n'en tient aucun compte dans le projet de loi de finances rectificative pour 1998. La dépense publique continue sa course, l'impôt ne baisse pas et le déficit public reste à un niveau tel que la dette de l'Etat continue d'enfler.

Pourtant, depuis la mi-octobre, les signaux qui vous ont été adressés sont extrêmement nombreux. Ne faut-il pas s'interroger sur la diminution de la consommation de 0,7 % enregistrée au mois d'octobre ? Ne faut-il pas s'interroger sur les intentions d'investissement des chefs d'entreprise ? Les enquêtes montrent que ceux-ci n'envisagent pas une progression de leurs investissements en 1999, alors que l'hypothèse retenue par le budget est une augmentation de 5 %. Quant aux exportations, le dernier mois connu, celui de septembre, est bon. Mais, quand on y regarde de plus près, on s'aperçoit que ce résultat est lié exclusivement ou presque à des ventes d'Airbus et de matériels militaires. Et cette progression ne doit pas masquer le fait que, depuis le mois de juin dernier, on enregistre pour la première fois depuis 1990 une inflexion dans l'évolution de nos exportations, un début de diminution.

D'ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez vous-même souligné tout à l'heure que vous teniez compte de cette dégradation de la conjoncture internationale dans le collectif, en réduisant de deux milliards de francs le remboursement de la COFACE à l'Etat.

Soyez cohérent en ce qui concerne le budget de 1999.

Dans la loi de finances de 1998, nous avions prévu six milliards de francs de remboursement COFACE, et vous les réduisez maintenant à 4 milliards de francs. Or je rappelle que, pour 1999, ce sont sept milliards de francs qui sont prévus à ce titre.

Il faut également être attentif à l'évolution de la croissance au cours du troisième trimestre 1998, laquelle n'a été que de 0,5 %.

Il y a manifestement une décélération que traduisent tous les indicateurs économiques : consommation en ralentissement, investissement aléatoire, demande extérieure en chute. Et ce n'est pas là l'expression d'un pessimisme systématique de ma part. Je reconnais volontiers que, au cours des années 1997 et 1998, il y a eu un retour de la croissance, que le moteur de la consommation intérieure a bien fonctionné et que les effets dus à l'alourdissement de la fiscalité décidé l'an dernier dans le cadre du MURFF sont jusqu'à présent limités, contrairement à ce que nous redoutions.

Mais il y a un chiffre inquiétant dans ce collectif : la diminution nette de 8 milliards de francs des recettes liées à l'impôt sur les sociétés. Vous expliquez qu'elle est due à des raisons techniques, à un décalage, mais vous laissez entendre, monsieur le rapporteur général, qu'elle pourrait être également due à une rétraction de l'assiette ; et je me demande si nous ne sommes pas arrivés dans une zone de rendement décroissant de l'impôt, son taux étant très élevé. Je rappelle que celui-ci est de 42 %, ce qui est le taux le plus élevé d'Europe.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Il va baisser !

M. Gilles Carrez.

Je l'espère.

L'environnement international se dégrade, et cette dégradation touche nos partenaires les plus importants, c'est-à-dire nos voisins européens. Nous réalisons 60 % de nos exportations avec l'Union européenne et nos exportations au Royaume-Uni stagnent, alors que ce pays représente notre deuxième marché. Mais cette dégradation concerne également l'Italie, et on ne sait pas comment les choses vont se passer en Allemagne.

Par ailleurs, il faut signaler un phénomène nouveau qui est apparu ces dernières semaines et qui explique largement la baisse de la consommation intérieure, je veux parler de la prise de conscience par nos concitoyens des effets très négatifs des différentes mesures d'alourdissement fiscal...

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Mais non !

M. Gilles Carrez.

... que vous avez décidées dans la loi de financement de la sécurité sociale de 1998.

Il suffit de demander à nos concitoyens comment ils ressentent les choses.

M. Robert Pandraud.

Tout à fait !

M. Gilles Carrez.

Le désabusement et même la colère les gagnent.

M. Michel Bouvard.

Absolument !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Pas du tout !

M. François Lamy, rapporteur pour avis.

Nous ne rencontrons pas les mêmes personnes !

M. Gilles Carrez.

L'explication est toute simple. Des millions de Français ont été stupéfaits devant l'extravagante envolée de la CSG...

M. Michel Bouvard.

Eh oui !

M. Gilles Carrez.

... qu'ils ont constatée il y a quelques semaines. Bien sûr, ils étaient un peu naïfs ou crédules, et ils avaient cru comprendre l'an dernier, en écoutant le discours du Gouvernement, que seules les très grandes entreprises, seuls les Français immensément riches seraient pénalisés fiscalement.

M. Jean-Louis Idiart.

Comme Mme Bettencourt !

M. Gilles Carrez.

Et voilà que le couple de petits retraités, que le ménage de la classe moyenne qui a mis de côté quelque épargne, reçoit en même temps que les trad itionnelles feuilles d'impôts locaux de l'automne - impôts eux aussi généralement en hausse - un montant de CSG multiplié par deux ou trois, et parfois plus. Et, bien entendu, ils tombent de l'armoire ! Vous vous étiez bien gardé de leur expliquer l'année dernière les conséquences du doublement du taux de la CSG et de l'extension de celle-ci à l'épargne.

Aujourd'hui, enfin, les Français comprennent, et ils sont absolument furieux de ce qui est en train de se passer. La sanction a d'ailleurs été immédiate et je pense


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

qu'il y a une relation de cause à effet directe entre cette augmentation et le mauvais résultat de la consommation intérieure au mois d'octobre. Nous attendons avec impatience le chiffre du mois de novembre mais il devrait malheureusement confirmer la tendance.

Oui, le contexte économique et psychologique est en train de se détériorer. Or, dans ce climat qui change rapidement, vous nous présentez une loi de finances rectificative qui, au lieu d'anticiper sur les difficultés qui nous attendent probablement, gaspille les fruits de la croissance réelle de 1998.

Le rapporteur général qualifie ce budget de « banal », de « non singulier », d'« ordinaire », et il veut nous faire croire qu'il n'y a rien à en dire.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Si : du bien !

M. Gilles Carrez.

Au contraire : ce collectif illustre à l'extrême l'emprise qu'exerce sur vous une dépense publique que vous ne savez pas ou, tout simplement, que vous ne voulez pas maîtriser.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Mais non !

M. Gilles Carrez.

Un seul chiffre en témoigne : alors que nous dégageons 14 milliards de francs de recettes supplémentaires, et que l'excédent en exécution sera sans doute supérieur parce que le produit de la TVA est sousestimé, 3 milliards de francs seulement seront affectés à la diminution du déficit ! Ainsi, la dépense publique engloutit l'essentiel des fruits de la croissance, avec des ouvertures de crédits de 31 milliards de francs. Et face à ces 31 milliards de francs - j'ai lu attentivement l'excellent rapport du rapporteur général -, il n'y a que 15 milliards de francs d'annulations véritables. On constate donc un déséquilibre entre les recettes supplémentaires et les dépenses supplémentaires.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Il y a des apurements de dettes !

M. Gilles Carrez.

Comme M. le rapporteur général, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez établi une comparaison avec les exercices antérieurs,...

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Absolument !

M. Gilles Carrez.

... en particulier l'exercice 1994.

Mais, en 1994, il était absolument indispensable de relancer l'économie, et il était donc tout à fait normal que le collectif prévoie des dépenses supplémentaires, parce que nous avions connu en 1993, pour la première fois depuis la Libération, une croissance négative.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

M. Carrez est keynésien !

M. Gilles Carrez.

Je suis keynésien quand il faut l'être, mais pas en ce moment ! Aujourd'hui, il faut concentrer tous nos efforts afin de faire refluer la dépense publique.

En effet, la dépense publique et sociale absorbe chaque année 54 % de la richesse produite dans notre pays et, si l'on regarde les comparaisons établies par l'OCDE, on constate que seuls deux pays développés nous dépassent en ce qui concerne le pourcentage des dépenses publiques par rapport au PIB : la Suède et la Finlande ; et encore, ce dernier pays, qui a diminué ses dépenses, est pratiquement au même niveau que nous maintenant.

Il est également intéressant de noter dans ces études qu'il existe une sorte de corrélation entre le niveau des dépenses publiques et le taux de chômage, ce qui devrait nous interpeller tous. La raison en est simple : à partir d'un certain niveau, les prélèvements obligatoires deviennent excessifs, entravent l'initiative, favorisent les délocalisations de richesses et découragent les agents économiques les plus dynamiques.

Malgré ces évidences, que faisons-nous en France ? Dans quelques jours, la majorité plurielle va voter - du moins, je le suppose -, en deuxième lecture, un budget pour 1999 qui accroît la dépense publique de 2,3 %. Il y a un mois et demi, vous nous avez dit, monsieur le secrétaire d'Etat, que ce n'était pas grand-chose, que ce pourcentage ne représentait que 1 % en volume - l'inflation étant de 1,3 %. Un mois et demi plus tard, vous ne pouvez plus tenir ce type de raisonnement. Vous savez bien, les chiffres de Bercy le montrent, que l'inflation est en réalité maîtrisée entre 0,5 % et 0,8 %. Et si la dépense publique augmente de 2,3 % en 1999, cela veut dire que vous proposez en fait un quadruplement du rythme de la dépense publique par rapport à celui de l'inflation. Nous sommes les seuls à avoir fait un tel choix : aucun de nos partenaires européens n'a retenu une telle option dans son budget pour 1999. Cette orientation est dangereuse pour l'avenir car elle est une source d'inégalités entre les Français, des inégalités devenant de plus en plus criantes.

Cette dynamique de la dépense publique est entretenue avant tout par les rémunérations de personnel, et on le voit dès à présent dans les réajustements de crédits qui sont pratiqués dans ce collectif au titre des différents ministères.

Je vais donc vous poser une question, monsieur le secrétaire d'Etat. Comment avez-vous pu laisser passer un accord salarial comme celui de février dernier, fondé sur une prévision d'inflation de 1,3 % - laquelle s'est révélée complètement fausse -, qui accorde une revalorisation indiciaire de 1,3 % en 1998, plus une autre revalorisation de 1,3 % en 1999, que l'on doit multiplier par deux à cause de l'effet GVT, ce qui fait que, si l'on compare leur situation à celle des autres Français, les fonctionnaires, en prenant en compte l'ensemble des rémunérations, y compris l'effet GVT, voient leur pouvoir d'achat augmenter depuis quelques années de 2 % plus vite que le pouvoir d'achat des salariés du secteur privé ? Le revenu médian des fonctionnaires est maintenant supérieur de plus de 12 % à celui des salariés du secteur privé, ce qui représente un véritable fardeau pour l'économie.

Nous sommes tout à fait d'accord pour que les fonctionnaires soient convenablement rémunérés, pour que leur mérite soit reconnu, qu'ils soient intéressés au résultat de leur action, et beaucoup d'entre eux, d'ailleurs, les ouhaitent, mais, comme chaque année, vous vous contentez d'augmenter leur nombre, tout en cachant cette évolution aux Français. Ainsi, dans le budget de 1999, on note 3 000 à 4 000 recrutements supplémentaires à l'éducation nationale, sans compter les emplois-jeunes, qui ne sont pas financés sur un poste budgétaire spécifique, et donc n'apparaissent pas dans le budget. Cette pratique est extrêmement contestable.

Une politique dynamique de gestion des moyens humains de la fonction publique devrait au contraire consister à redéployer les effectifs vers des missions que l'Etat assure mal, comme la sécurité, mais vous refusez, pour différentes raisons - peut-être tout simplement par manque d'audace -, de pratiquer une telle politique. Je rappelle qu'on constate depuis un certain nombre d'années, dans l'ensemble des pays de l'Union européenne, une baisse régulière du nombre des fonctionnaires, et ce n'est pas un hasard si les deux pays qui ont fait le plus gros effort au cours des quinze dernières années pour


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

réduire le nombre de leurs fonctionnaires de 25 %, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne, sont ceux où le taux de chômage est le plus faible.

Manifestement, vous privilégiez, dans ce projet de loi de finances rectificative, les dépenses rigides, récurrentes, les dépenses de fonctionnement, qui seront extrêmement difficiles à adapter, à maîtriser, dès lors que la conjoncture va changer. L'investissement, quant à lui, est sacrifié.

M. Michel Bouvard.

Eh oui ! Les routes !

M. Gilles Carrez.

C'est vrai de l'investissement militaire. La mise en pièces de la loi de programmation militaire a été engagée dès la formation de ce gouvernement.

M. François Lamy, rapporteur pour avis.

Bien avant !

M. Gilles Carrez.

Mais vous faites très fort en 1998 ! En effet, si l'on totalise l'ensemble des annulations de crédits sur le budget d'investissement militaire - par des arrêtés de janvier, d'août et de novembre -, on obtient un total de 12,5 milliards. Par rapport à un budget d'un peu plus de 80 milliards, c'est une somme absolument colossale ! Mais, plus grave encore, l'investissement civil a subi environ 5 milliards de francs d'annulations de crédits :...

M. Michel Bouvard.

Eh oui !

M. Gilles Carrez.

... 1 milliard par arrêté de janvier dernier et 4 milliards dans le présent collectif budgétaire.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Mais il y a eu des ouvertures !

M. Gilles Carrez.

Certes, en contrepartie de ces annulations, on trouve des ouvertures de crédits. Mais je vous invite à les examiner : elles ne correspondent absolument pas à de l'équipement ou à de l'investissement en termes d'infrastructures ou de travaux. Elles concernent, pare xemple, la recapitalisation de GIAT Industries, la construction navale et surtout les engagements internationaux de la France. Autrement dit, on supprime des routes, des infrastructures ferroviaires,...

M. Michel Bouvard.

Voilà !

M. Gilles Carrez.

... pour alimenter des aides à l'étranger qui sont également traitées en capital.

M. Jean-Louis Idiart.

N'importe quoi !

M. Gilles Carrez.

Donc je le maintiens : dans ce projet de loi de finances rectificative, c'est d'abord l'investissement militaire, puis l'investissement civil qui sont sacrifiés.

M. Jean-Louis Idiart.

C'est du délire !

M. Eric Doligé.

Sur le terrain, vous ne dites pas la même chose !

M. Gilles Carrez.

Or vous savez que les collectivités locales réalisent d'ores et déjà, à elles seules, 75 % de l'investissement civil du pays chaque année, compte tenu de la défaillance totale et grandissante de l'Etat en ce domaine.

M. Jean-Louis Idiart.

Il faut payer votre réforme de la

SNCF !

M. Eric Doligé.

Parlons-en de la SNCF !

M. Jean-Louis Idiart.

Il faut payer la réforme !

M. Philippe Auberger.

Mais non, c'est un compte d'affectation spéciale !

M. Gilles Carrez.

Un autre aspect doit être souligné : ce collectif anticipe sur les dépenses de 1999, Francis Delattre l'a excellemment démontré tout à l'heure. C'est totalement lié à une présentation politique de l'ensemble des déficits 1998-1999. Mais, monsieur le secrétaire d'Etat, il ne faut pas exagérer ! Comment pouvez-vous abonder de 400 millions de francs le fonds d'études et d'aide au secteur privé - FASEP - en prétendant que cet abondement est rendu nécessaire par la mise en place du fonds de garantie qui va remplacer le CODEX, alors qu'à la date d'aujourd'hui ce fonds n'est toujours pas créé ? Est-il sérieux de penser que ces 400 millions vont être dépensés entre Noël et le Jour de l'an ? Je ne le pense pas. Il s'agit manifestement d'une anticipation sur les dépenses de 1999. Les bras m'en tombent ! Avec une dépense qui va galoper quatre fois plus vite que l'inflation en 1999, quel besoin d'en ajouter encore par anticipation sur le collectif de 1998 ? Je reprends l'argumentation très judicieuse développée par Francis Delattre. Le problème sur lequel vous vous êtes polarisé est le suivant : vous ne vouliez en aucun cas faire apparaître un déficit pour 1998 trop en baisse, car il aurait réjoint le déficit annoncé pour 1999 et, ce faisant, le Gouvernement aurait fait la démonstration que son effort de réduction des déficits de 1999, dont se targue tant Dominique Strauss-Kahn, est extraordinairement limité et purement artificiel.

M. Francis Delattre.

Totalement !

M. Gilles Carrez.

C'est pourquoi vous ne faites baisser le déficit que de 3 milliards de francs. Si les 14 milliards de recettes excédentaires avaient totalement été affectés à la réduction du déficit prévu pour 1998, on aurait trouvé à peu de chose près le montant du déficit prévu pour 1999, c'est-à-dire 237 ou 238 milliards de francs.

Cela ne vous ressemble pas, monsieur le secrétaire, mais c'est l'approche politique qui a triomphé sur l'approche du gestionnaire dans la présentation de ce collectif.

M. Philippe Auberger.

C'est l'approche politicienne !

M. Gilles Carrez.

D'ailleurs, le rapporteur général en est tellement conscient qu'il a le scrupule de nous donner un tableau comparatif de l'évolution des déficits et de l'endettement dans les pays de l'Union européenne. On y constate qu'il n'y a qu'en France que la dette publique continue d'augmenter.

M. Francis Delattre.

Eh oui !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Vous y êtes pour quelque chose !

M. Gilles Carrez.

Même la Grèce et l'Italie font mieux que nous.

M. Michel Bouvard.

L'Italie fait mieux que nous dans bien des domaines !

M. Gilles Carrez.

Et si l'on corrigeait ces chiffres de l'effet de structure, lié à la forte croissance de 1998, le constat serait encore plus accablant. Selon le tableau du rapporteur général - ce n'est pas moi qui l'invente -, nous sommes en tendance le plus mauvais élève de la classe des quinze pays européens.

La dette publique, qui représentait, au Royaume-Uni, 53,5 % du PIB en 1997, n'est plus estimée qu'à 49,9 % pour 1999. En Espagne, elle représentait 68,9 % du PIB en 1997 et ne devrait plus être que de 66 % en 1999, alors que chez nous elle devrait passer de 58,1 % en 1997 à 58,6 % en 1999 !

M. Eric Doligé.

C'est honteux !


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M. Gilles Carrez.

J'insiste sur ces points, car Dominique Strauss-Kahn s'est employé à essayer de nous démontrer pendant une demi-heure, lors du débat budgétaire, que la dette publique allait baisser et que les prélèvements obligatoires par rapport au PIB diminuaient.

M. Jean-Jacques Jégou.

Absolument !

M. Gilles Carrez.

C'est complètement faux et je souhaiterais que le rapporteur général et M. Strauss-Kahn se retrouvent lors d'un colloque pour vérifier leurs chiffres.

Vos chiffres, monsieur le rapporteur général, ce sont les miens. La dette publique augmente en France et les prélèvements obligatoires aussi. Nous sommes le seul pays européen dans ce cas.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Vous interprétez !

M. Philippe Auberger.

C'est même dans le rapport économique et financier !

M. Gilles Carrez.

J'en arrive aux prélèvements obligatoires.

M. Eric Doligé.

C'est pis encore !

M. Gilles Carrez.

Je vous donnerai deux chiffres : les recettes fiscales nettes de l'Etat étaient de 1 359 milliards de francs en 1996. En 1999, elles devraient être de 1 533 milliards de francs, auxquels il faut ajouter la CSG qui n'a pas eu comme contrepartie le basculement des cotisations d'assurance maladie. La CSG est un impôt, les Français l'ont ressentie comme telle. D'ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, si vous regardez votre propre feuille de CSG, vous verrez qu'elle porte bien le timbre du ministère de l'économie et des finances.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Les impôts locaux aussi !

M. Gilles Carrez.

Quand on fait ce rapprochement, qui est tout à fait normal,...

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Ce n'est pas très cohérent !

M. Gilles Carrez.

... on se rend compte que les impôts d'Etat auront augmenté de 14,1 % entre 1996 et 1999, a lors que le PIB en valeur n'aura augmenté que de 11,6 %. Je ne suis pas polytechnicien, mais il me semble que la mesure de la pression fiscale, c'est le rapport entre les prélèvements de l'Etat et la production. Si les prélèvements de l'Etat augmentent plus vite que la production, c'est que la pression fiscale augmente - c'est de l'arithmétique élémentaire. Je suis prêt à débattre av ec vous de ces chiffres, monsieur le secrétaire d'Etat, parce que je les tire de vos propres documents.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Vous additionnez des choux et des carottes !

M. Gilles Carrez.

Pas du tout !

M. Eric Doligé.

Des socialistes et des Verts, c'est encore plus facile !

M. Philippe Auberger.

Ce n'est pas l'addition plurielle, monsieur le président de la commission !

M. Gilles Carrez.

D'ailleurs, je parlais tout à l'heure de la CSG, mais les chiffres en la matière donnent le vertige.

Sachez, mes chers collègues, que la CSG acquittée par les Français en 1996 s'élevait à un total de 43 milliards de francs. En 1999, elle atteindra 352 milliards de francs, c'est-à-dire qu'elle a presque été multipliée par neuf. C'est un peu moins quand on enlève l'effet basculement des cotisations d'assurance maladie, mais ce sont néanmoins des sommes colossales qui expliquent que les Français ressentent assez mal ce qui leur est arrivé ces dernières semaines.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Cela n'explique rien du tout !

M. Philippe Auberger.

Les prélèvements obligatoires augmentent ! Voilà ce qu'il faut dire !

M. Gilles Carrez.

D'ailleurs, j'ai apprécié ce qu'a écrit un hebdomadaire la semaine dernière sur la CSG - peutêtre l'avez-vous lu, monsieur le secrétaire d'Etat. Selon lui, la CSG est devenue « l'arme fatale », fatale pour le contribuable, c'est sûr, mais elle risque peut-être aussi de le devenir pour le Gouvernement et sa majorité.

M. Jean-Louis Idiart.

Ne parlez pas de fatalité !

M. Gilles Carrez.

A l'exception donc de 1,6 milliard de francs de diminution des droits de mutation à compter du 1er septembre, il n'y a aucune baisse d'impôt dans ce collectif. Encore cette diminution de 1,6 milliard de francs apparaît-elle par ailleurs comme une dépense dans le budget de l'Etat. Qu'il soit national ou local, c'est donc toujours le contribuable qui paie. Cela revient au même. Il n'y a donc aucune baisse d'impôt dans ce projet de loi de finances rectificative. Quel contraste avec ce qu'a annoncé le nouveau chancelier allemand. (« Ah ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Idiart.

Enfin des sociaux-démocrates valables !

M. Gilles Carrez.

Au cours de sa deuxième réunion publique, il a en effet annoncé une baisse de l'impôt sur le revenu de 50 milliards de francs. A croire qu'il s'est totalement inspiré du plan Juppé (Rires sur les bancs du groupe socialiste) que vous avez annulé !

M. Philippe Auberger.

Juppé ist ein guter Lehrer !

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Ce n'est pas sérieux ! Racontez cela à vos électeurs, mais pas à nous !

M. Gilles Carrez.

Mais je suis tout à fait sérieux !

M. Eric Doligé.

Il y avait déjà Tony Blair, maintenant il y a Gerhard Schrder !

M. Gilles Carrez.

Si vous voulez dire que M. Schrder a été un peu moins ambitieux qu'Alain Juppé, je suis d'accord avec vous, parce qu'Alain Juppé nous avait fait voter une baisse de 75 milliards de francs, alors que

M. Schrder se contente de 50 milliards.

Mais M. Schrder n'est pas le seul ! L'examen des comptes du Royaume-Uni, que ce soit sous les premiers ministres conservateurs ou sous l'actuel premier ministre Tony Blair, révèle une baisse constante et importante des impôts, des prélèvements obligatoires. Nous sommes les seuls à suivre une voie inverse. Avec de telles divergences de politique fiscale et budgétaire avec nos partenaires européens, comment pourrons-nous coordonner nos politiques à la veille de la mise en place de l'euro ? Ne comptez-vous finalement pas sur la discipline européenne pour vous faire revenir à la vertu ? Si tel était le cas, ce serait véritablement un abandon de responsabilité, et même de souveraineté, que de s'en remettre à la pression de l'Europe pour mener une politique économique vertueuse.

M. Michel Bouvard.

Ce ne serait pas le premier abandon de souveraineté que nous consentirions !

M. Gilles Carrez.

J'en viens aux dispositions fiscales et diverses du collectif. Je voudrais d'ailleurs me joindre à nouveau au rapporteur général pour souligner que le


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

Gouvernement devrait avoir plus de considération pour la représentation nationale s'agissant de certaines informations. En particulier, il n'est pas normal de découvrir avec ce collectif, sans une information synthétique préalable du Gouvernement, un certain nombre d'engagements extérieurs de la France, et pour des montants importants.

Ainsi en est-il de l'article 7, qui concerne les prêts du Trésor en consolidation de dettes de pays étrangers, ou de l'article 18, qui majore de la bagatelle de 27 milliards de francs la quote-part de la France au FMI sans que nous ayons reçu la moindre information préalable.

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Mais lisez le rapport !

M. Gilles Carrez.

Je vous rappelle, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Congrès américain, par exemple, a longuement débattu de l'augmentation des quotes-parts des Etats-Unis au FMI, compte tenu de la politique à bien des égards discutable de celui-ci, avant d'autoriser l'exécutif américain à voter cette majoration. Notre collègue Auberger présentera d'ailleurs un excellent amendement, qui, je l'espère, sera voté, pour que la représentat ion nationale soit au minimum informée de ces différents engagements de notre pays.

M. Jean-Louis Idiart.

Il fallait venir en commission des finances !

M. Gilles Carrez.

C'est aussi ce que souhaite le rapporteur général,...

M. Jean-Louis Idiart.

Exactement !

M. Gilles Carrez.

... il nous l'a dit en commission des finances. J'espère donc qu'à l'avenir le Gouvernement nous présentera, à tout le moins en commission des finances, les engagements financiers de la France et leur programmation sur plusieurs années. Cela nous permettrait d'y voir plus clair et de ne pas découvrir les choses au dernier moment.

Le compte d'affectation spéciale concernant les produits de cessions de titres et parts de sociétés détenus par l'Etat mérite que l'on s'y attarde comme chaque année.

L'an dernier, il était majoré en collectif de 29 milliards de francs. Cette année, il l'est de 15 milliards de francs.

On ne peut donc que féliciter le Gouvernement pour le dynamisme de sa politique de privatisation. Mais, car il y a un « mais », lorsque l'on examine l'utilisation de ces recettes de privatisation, on ne peut vous demander qu'une seule chose,...

M. Gilbert Mitterrand.

Ne pas copier Juppé !

M. Gilles Carrez.

... c'est de poursuivre dans cette voie, et le plus rapidement possible. Je prendrai pour exemple la Société marseillaise de crédit et la Société française de production - la SFP.

M. Yves Cochet.

Surtout pas !

M. Gilles Carrez.

La Société marseillaise de crédit est u n véritable concentré de Crédit lyonnais. Depuis six ans,...

M. Raymond Douyère.

Lorsque vous étiez au pouvoir !

M. Gilles Carrez.

... en quatre ou cinq recapitalisations par l'Etat, la SMC a reçu - tenez-vous bien ! - l'équivalent de son produit net bancaire pour la même période, c'est-à-dire 6 milliards !

M. Michel Bouvard.

Avec ça, on pourrait boucler le TGV-Est !

M. Gilles Carrez.

Cela illustre malheureusement l'incapacité de l'Etat à exercer des métiers qui ne sont pas les siens.

M. Raymond Douyère.

Qui dirigeait l'Etat à cette époque ?

M. Gilbert Mitterrand.

C'est l'échec de qui ?

M. Gilles Carrez.

Mon cher collègue Douyère, il faut rappeler qu'en 1982 - vous étiez alors présent sur ces bancs -, par idéologie, il y a eu ce que l'on a appelé la

« nationalisation du crédit »...

M. Raymond Douyère.

En 1986, il y a eu la privatisation !

M. Gilles Carrez.

L'Etat a acheté des banques pour des montants astronomiques. En 1982, la Société marseillaise de crédit valait, je ne dirai pas le franc symbolique parce que ce sont des choses qui fâchent, en tout cas elle ne valait pas grand-chose, car elle était d'ores et déjà en difficulté. Or vous, messieurs les socialistes, vous l'avez achetée 400 millions de francs. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.) Cela a été une aubaine fantastique pour les actionnaires, qui n'en revenaient pas. C'était la manne tombée du ciel !

M. Daniel Marcovitch.

Il fallait vous y opposer !

M. Francis Delattre.

C'est ce qu'on a fait !

M. Gilles Carrez.

D'ailleurs, vous ne le savez peut-être pas, mes chers collègues, mais certains de ces actionnaires sont même restés dans l'entreprise pendant dix ou quinze ans, avec un salaire à la clé.

M. Jean-Jacques Jégou.

Oui, le patron est resté !

M. Francis Delattre.

Ce sont des emplois fictifs !

M. Gilles Carrez.

Bref, ils ont été bien traités. Sauf que ce que vous avez acheté 400 millions en 1982, messieurs, vous nous demandez de le vendre 10 millions aujourd'hui. Et comme 10 millions, c'est encore trop cher, vous nous demandez d'approuver une clause de garantie de l'Etat pour 435 millions.

M. Jean-Louis Idiart.

Allez voir votre collègue Juppé, il vous expliquera !

M. Gilles Carrez.

Autrement dit, vous avez acheté une entreprise 400 millions. Le contribuable a payé 6 milliards de francs de recapitalisation. Et après avoir dépensé 6,4 milliards, l'entreprise est revendue 10 millions. Et, en plus, il nous faut approuver une clause de garantie de 435 millions ! Il y a de quoi être très amer.

M. Raymond Douyère.

Monsieur Carrez, puis-je vous interrompre ?

M. Gilles Carrez.

Bien sûr, mon cher collègue, si le président le permet.

M. le président.

Monsieur Carrez, poursuivez votre exposé et essayez de ne pas vous laisser interrompre par les uns et par les autres.

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gilles Carrez.

J'étais prêt à écouter notre collègue Douyère, qui est très compétent en ces matières. (Exclamations sur les mêmes bancs.)

M. le président.

M. Carrez a seul la parole !

M. Gilles Carrez.

Ce n'est pas moi qui refuse, mes chers collègues, vous l'observerez.

M. Raymond Douyère.

Le président sait ce que je veux dire !

M. Gilles Carrez.

Nous aurons englouti, aux frais du contribuable...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

M. le secrétaire d'Etat au budget.

« Nous » ?

M. Gilles Carrez.

Le « nous » est collectif, parce que je crois que la nationalisation et la privatisation d'entreprises sont des questions sérieuses, qui appellent une démarche commune, et, encore une fois, je me félicite que l'actuel gouvernement s'engage dans une démarche de privatisation.

M. Yves Cochet.

Il n'y a pourtant pas de quoi s'en féliciter !

M. Gilles Carrez.

Mais, comme pour le Crédit Lyonnais, il faut se souvenir que l'ensemble de la chaîne de responsabilité a été défaillante (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), de la commission bancaire à la direction du Trésor, en passant par les commissaires aux comptes, et bien entendu, les dirigeants successifs de cette banque à compter de 1982.

Et quand vous nous disiez, monsieur le secrétaire d'Etat, en réponse à l'un de nos collègues - M. Gantier, je crois -, que la commission bancaire était passée, à votre demande, en 1998, je vous ferai observer qu'elle était déjà passée en 1996, en 1994 et en 1992 ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Qu'est-ce qu'elle a fait ?

M. Gilles Carrez.

Et je vous rappellerai que la commission bancaire, en août 1993...

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Qu'est-ce que vous avez fait en 1993 ?

M. Gilles Carrez.

... évaluait l'insuffisance de provisions du Crédit Lyonnais à 3,7 milliards ; deux ans après, c'était 50 milliards de francs ! Ce que je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, c'est que, suite à cette recapitalisation massive que vous venez d'accorder : 3 milliards de francs en quelques mois, vous fassiez faire par la Cour des comptes un examen des comptes de la SMC au cours de l'année qui vient de s'écouler. J'estime qu'on n'a pas le droit de recapitaliser à hauteur de 3 milliards de francs, de demander une garantie de l'Etat de 435 millions si on n'a pas pris l'avis d'un organisme indépendant susceptible de faire une expertise c omplémentaire à celle de la commission bancaire, laquelle, en l'occurrence, n'inspire qu'une confiance limitée.

M. Robert Pandraud.

Aucune confiance !

M. Gilles Carrez.

De surcroît, et je m'adresse à monsieur le secrétaire d'Etat ou à nos collègues rapporteurs et p résident de la commission des finances : je ne comprends pas très bien l'articulation entre le mécanisme de garantie que vous nous demandez - garantie donnée par l'Etat et qui va durer trois ans, jusqu'en 2001 - et ce qu'a demandé la commission de privatisation, à savoir une clause de retour à meilleure fortune, qui ne joue que sur un seul exercice.

Lorsque vous étiez dans l'opposition, et nous nous en souvenons tous, vous étiez extrêmement scrupuleux pour défendre les intérêts du contribuable. Votre expression favorite était de dire, à l'occasion des privatisations, qu'il ne fallait pas « brader le patrimoine de l'Etat ».

M. Michel Bouvard.

Ils étaient meilleurs dans l'opposition !

M. Gilles Carrez.

Je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, aujourd'hui que vous êtes dans la majorité, d'avoir les mêmes scrupules ! Vous venez de faire une privatisation « à la hussarde ».

D'ailleurs, je me retourne vers mes collègues d'extrêmegauche. Personnellement, je me félicite que la privatisation intervienne rapidement, car cela démontre un certain savoir-faire. Mais je voudrais être sûr que la bonne affaire, ce n'est pas le CCF qui la fait, au détriment du contribuable.

M. Jean-Jacques Jégou.

Avec la SMC, ça m'étonnerait. Il serait incroyable qu'elle se mette à gagner de l'argent !

M. Gilles Carrez.

Pour ma part, quels que soient les éléments complémentaires qui nous ont été apportés tout à l'heure en commission des finances par le rapporteur général et je reste sur la position précédente du rapporteur général et du président de la commission des finances, qui nous ont proposé, il y a quelques jours, de ne pas voter cet article autorisant l'Etat à apporter sa garantie.

Quant à la Société française de production, elle illustre un autre exemple de l'incapacité des entreprises publiques à s'adapter au monde de la concurrence. La SFP bénéficiera, dans ce collectif, d'une recapitalisation de plus de 1 milliard de francs.

M. Michel Bouvard.

C'est un montant supérieur à la diminution du budget des routes !

M. Gilles Carrez.

Cette recapitalisation représente trois années de chiffre d'affaires. Le contribuable, que les parlementaires sont chargés de défendre, serait en droit de connaître ce que projette l'Etat pour cette entreprise.

Avec ce milliard de francs, la pérennité de l'entreprise estelle assurée ? Cette entreprise fera-t-elle l'objet de programmes de modernisation ou d'investissements ? Les relations de la SFP avec les chaînes publiques seront-elles enfin clarifiées ?

M. Yves Cochet.

C'est un problème !

M. Gilles Carrez.

Or il n'y a rien de tout cela. Quand on examine le dossier de plus près, on constate que ce milliard de francs se bornera à financer un plan social pour diviser l'effectif de plus de moitié.

On a vraiment le sentiment, monsieur le secrétaire d'Etat, que les subventions de l'Etat ne sont qu'une sorte d'anesthésiant préparant la disparition programmée de l'entreprise.

M. Michel Bouvard.

Pour payer les licenciements !

M. Gilles Carrez.

Notre honorable collègue Michel Bouvard a bien raison de dire qu'il y a de quoi s'inquiéter. Ce sont, en effet, les mêmes raisons qui font que l'Etat est incapable de trouver un avenir à la SFP et qui expliquent le renvoi sine die de la loi sur l'audiovisuel public.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Michel Bouvard.

Tout à fait !

M. Gilles Carrez.

Une fois de plus, l'Etat se trouve écartelé entre des considérations et des objectifs contradictoires.

Parmi les entreprises publiques que nous dotons à partir d'un compte d'affectation spéciale, il y a l'ensemble SNCF-Réseau ferré de France. Celui-ci sera affectataire, sur les exercices 1998-1999, de 23 milliards de francs.

Ces chiffres donnent le vertige ! Quand on analyse, mes chers collègues, l'ensemble des crédits publics qui, chaque


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

année, bénéficient à la SNCF, on constate que, entre les fonds d'investissement - qui, eux, vont aux infrastructures RFF -, les déficits d'exploitation et le financement des régimes de retraite, ils représentent chaque année 55 milliards de francs.

Autrement dit, chaque année, chaque Français paie 1 000 francs pour permettre à la SNCF de fonctionner.

J'engage donc tous les Français à prendre le train le plus souvent possible pour en récupérer une partie. Mais combien de temps pourrons-nous encore supporter de telles charges ?

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Soyez sérieux ! Il fallait le dire il y a deux ans quand vous avez fait voter la réforme !

M. Gilles Carrez.

On pourrait faire les mêmes observations à propos des structures de défaisance qui ont été mises en place pour réparer les erreurs de banques ou de compagnies d'assurances publiques mal gérées : 22 milliards de francs ! Nous découvrons, au mois de décembre 1998, quelle est l'affectation précise, pour l'année 1998, des crédits destinés à ces différents établissements. Cela n'est pas normal. Je souhaiterais donc que soit communiquée chaque année aux parlementaires une programmation, sur deux à trois ans, de l'ensemble des aides publiques que l'Etat verse à ces entreprises publiques.

Monsieur le secrétaire d'Etat, lorsque les administrations de tutelle protègent aussi mal le contribuable français, il est tout à fait logique que les parlementaires disposent de tous les moyens de contrôle possibles.

M. le président.

Monsieur Carrez, puis-je vous demander de conclure, conformément aux accords qui avaient été pris ?

M. Gilles Carrez.

Je termine, monsieur le président ; je suis extrêmement discipliné.

Avec ce collectif de fin d'année, notre inquiétude pour l'avenir s'accroît. Nous avions dénoncé, par anticipation, le gaspillage des fruits de la croissance au titre du projet de budget pour 1999.

Avec cette loi de finances rectificative, nous avons la parfaite illustration des occasions perdues.

Occasion perdue de baisser les impôts, par exemple la TVA. Ces 14 milliards de francs, c'est à peu près l'équivalant de la baisse de TVA sur les travaux d'entretien dans les logements dont nous avons parlé voilà un mois et demi.

M. Gilbert Mitterrand.

Il ne fallait pas l'augmenter, c'était plus simple !

M. Gilles Carrez.

Occasion perdue de réduire fortement le déficit et permettre à la France de rejoindre tous ses partenaires européens qui se sont engagés dans la baisse de la dette publique.

Tout compte fait, monsieur le rapporteur général, ce collectif est finalement assez banal. C'est un budget ordinaire, dans la mesure où il s'inscrit dans la routine d'une dépense publique qui n'est toujours pas maîtrisée.

C'est donc un budget contraire aux intérêts de notre pays et il faut donc voter cette question préalable que j'ai défendue au nom du groupe RPR.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Monsieur le président, M. Carrez a dit des choses inexactes et il a fait parfois preuve d'une amnésie qui m'étonne de la part d'un parlementaire aussi talentueux.

La question préalable qu'il vient de défendre s'appliquerait à la deuxième lecture du budget pour l'an prochain. Beaucoup des propos qu'il a tenus n'ont qu'un rapport très éloigné avec le budget rectificatif pour 1998.

Mais par courtoisie et pour dissiper les mauvaises impressions nées des propos qu'il a tenus, je vais lui répondre.

En ce qui concerne la conjoncture et la croissance, les derniers comptes solides dont nous disposons, c'est-à-dire les comptes du troisième trimestre de l'économie française pour cette année, font apparaître que la consommation est sur une bonne pente : 3,7 %. Mais prenons un indicateur beaucoup plus familier : les achats d'automobile enregistrent une hausse de 17 % par rapport à l'an dernier. Cela prouve que les consommateurs n'ont pas ce comportement timoré que vous leur prêtez.

L'exportation, vous l'avez dit, témoigne d'un bon niveau de compétitivité. Mais le fait que le Gouvernement ait été prudent en ce qui concerne les risques financiers à l'étranger mérite davantage les compliments que la critique.

L'investissement des entreprises sera fort cette année.

Enfin, chacun connaît l'adage « Quand le bâtiment va, tout va ». Or les mises en chantier ont progressé de près de 9 % par rapport à l'année dernière.

Malgré tout, on a observé une attitude attentiste de la part des entreprises. Durant ce troisième trimestre, plutôt que de produire davantage pour satisfaire une demande qui est là - et dont je vous ai dit quels étaient les principaux moteurs -, elles ont puisé dans leurs stocks. Mais, évidemment, on ne peut pas le faire éternellement. Ce phénomène de déstockage est, par définition, passager.

Peut-être ont-elles été aussi impressionnées par la crise financière qui a frappé le monde en septembre et en octobre. Mais sans qu'il soit nécessaire d'ouvrir un débat sur ce sujet, je crois que des solutions, qu'on espère durables, ont été trouvées à de nombreux problèmes.

Bref, la prévision croissance de 2,7 %, que s'est fixée le Gouvernement est une bonne cible.

M. Philippe Auberger.

Ce n'est pas ce que disait M. Strauss-Kahn hier !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Seulement, pour l'atteindre, la volonté du Gouvernement ne suffit pas. Il faut que les consommateurs gardent confiance, comme ils en témoignent actuellement par leurs achats, et que les entreprises, notamment les PME, soutenues par les mesures prévues dans le projet de budget pour 1999, retrouvent le dynamisme d'investissement dont elles ont fait preuve en 1998 et qui contrastait avec la langueur qui a caractérisé la période 1991-1997.

Par ailleurs, monsieur Carrez, vous avez, critiqué le collectif - et c'était le seul moment où vous étiez à peu près dans le sujet - sur le choix opéré dans l'utilisation des plus-values fiscales. Celles-ci résultent non pas d'une accélération de la croissance, puisqu'on passera peut-être de 3 % à 3,1 %, mais du fait que cette croissance doit plus à la demande intérieure - qui paie de la TVA - qu'à la demande extérieure, qui n'en paie pas.

Vous nous avez reproché d'introduire des dépenses rigides. Je répondrai par un seul exemple : le point le plus important, ce sont les 5,6 milliards destinés à rattraper des dettes de l'Etat envers la sécurité sociale, au titre des exonérations de charges sociales. Etant donné que les réa-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

lisations de 1998, soit 39,5 milliards, seront très proches du chiffre qui avait été défini il y a un an, soit 39,3 milliards, si nous remboursons 5,6 milliards, c'est bien parce que, auparavant, l'Etat avait accumulé de retards de paiement. Et avant 1998, il y avait la période 1993-1997... Ile st clair que si nous, rattrapons ces retards en décembre 1998, nous n'aurons plus à le faire dans les années à venir.

Monsieur le député, vous avez parlé de l'inflation. Je soulignerai un fait d'évidence : moins d'inflation, c'est davantage de pouvoir d'achat pour les retraités et pour les salariés - ceux du privé comme ceux du public - et donc plus de consommation et plus de croissance.

Trois points méritent d'être évoqués, car vous avez fait preuve, si vous me permettez d'employer ce terme, de quelque amnésie.

D'abord, vous avez tenu sur la dette de l'Etat des propos alarmistes. Celle-ci passerait de 58,1 % du PIB à 58,6 %, soit, chacun peut faire le calcul, une hausse de 0,5 %. Pourrai-je vous rappeler que, entre 1994 et 1995,...

M. Gilles Carrez.

Prenez 1993 !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Non ! Je choisis deux années pour lesquelles il est facile d'établir les responsabilités.

Entre 1994 - 48,5 % - et 1995 - 55,7 % -, le poids de la dette a donc crû de sept points de PIB.

M. Gilles Carrez.

C'était la conséquence du déficit de 1993 !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Les responsabilités sont claires et on ne peut en imputer la faute ni à ceux qui étaient avant ni à ceux qui sont venus après. En la matière, la politique du Gouvernement est sans ambiguïté. Elle vise à stabiliser la dette publique en l'an 2000 et à la faire décroître. Vous l'avez promis, nous le ferons.

Venons-en aux prélèvements obligatoires. Vous vous êtes permis de donner des leçons à propos de la contribution sociale généralisée. Dois-je vous rappeler que celle-ci a été relevée de 1,3 % par le gouvernement de M. Balladur ? Et qu'elle a été augmentée à nouveau de 0,5 % par le gouvernement de M. Juppé, avec la contribution au remboursement de la dette sociale ? Ce sont des augmentations très fortes.

Certes, il y a eu, en 1998, une hausse de la CSG. Mais c'est la contrepartie d'un allégement de cotisations sociales des salariés, ce que vous avez oublié de rappeler.

M. Michel Bouvard.

Demandez aux Français leur avis.

Ils ne s'en sont pas aperçus !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Dernier sujet sur lequel vous avez fait preuve d'amnésie, monsieur Carrez, mais je ne veux pas trop prolonger ce débat général par respect pour la représentation parlementaire : la Société marseillaise de crédit.

Lorsque le Gouvernement a pris ce dossier, la Société marseillaise de crédit connaissait une chute abyssale.

M. Michel Bouvard.

Qui l'a achetée ?

M. le secrétaire d'Etat au budget.

On peut observer deux comportements. Face à cette situation, il y a d'un côté les spectateurs vociférants. Il ne s'est rien passé entre 1993 et 1997, malgré les rapports de la commission bancaire, dont vous avez souligné l'existence.

M. Jean-Jacques Jégou.

Quelle amnésie !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Et, de l'autre côté, il y a les acteurs clairvoyants. (Exclamations et rires sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Francis Delattre.

En 1982, vous n'avez pas été clairvoyants !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

En la matière, le Gouvernement ne cherche pas à brader le patrimoine de l'Etat ; il cherche à ne pas aggraver son passif, qui, sur ce dossier précis, s'est profondément creusé entre 1993 et 1997.

M. Philippe Auberger.

C'est vous qui avez créé ce passif !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Pour toutes ces raisons, je demande le rejet de la question préalable qui a été défendue par M. Gilles Carrez. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur général.

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Monsieur le président, la question préalable a pour objet de dire qu'il n'y a pas lieu de débattre. Or notre collègue Carrez nous a expliqué que les quelques articles de ce collectif justifiaient de nombreux débats. C'est une bonne raison pour repousser cette question préalable.

Je souhaiterais apporter deux ou trois précisions, notamment dans le domaine de l'investissement. Notre collègue a dit qu'il était toujours regrettable que les dépenses d'investissement soient sacrifiées par rapport aux dépenses de fonctionnement.

M. Gilles Carrez.

C'est exact !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

C'est malheureusement vrai. Mais, en poussant le raisonnement, il faut reconnaître que ce gouvernement fait beaucoup mieux que ses prédécesseurs (Exclamations sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants), à partir du moment où il sacrifie beaucoup moins qu'eux les dépenses d'investissement.

Il n'y a pas de mesure de régulation sur l'année 1998.

Il n'y a donc pas eu de mesure prise au détriment de l'investissement dans ce budget tout au long de l'année 1998.

Et lorsque l'on examine les chiffres, on s'aperçoit que les arbitrages rendus privilégient d'abord les dépenses d'investissement.

M. Michel Bouvard.

Les emplois-jeunes, par exemple ?

M. Didier Migaud, rapporteur général.

C'est à porter au crédit de ce Gouvernement, et la Cour des comptes a d'ailleurs eu l'occasion de nous le faire observer l'année dernière.

M. Philippe Auberger.

Les investissements baissent d'année en année !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Je pourrais citer le fait que les dépenses civiles en capital sur la loi de finances rectificative augmentent beaucoup plus en pourcentage que les dépenses civiles ordinaires. Ce résultat traduit là encore le souci du Gouvernement de privilégier les dépenses d'investissement.

S'agissant de la réduction des déficits et de l'endettement, vous vous êtes appuyé sur un tableau figurant à la page 54 de mon rapport. Mais il semblerait que vous


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

n'ayez pas été très objectif dans la lecture de ce tableau. A moins que vous ne souffriez d'amnésie. La réduction des déficits publics doit être la résultante d'une politique équilibrée. C'est ce que nous propose le Gouvernement en la matière. Imposer un rythme trop rapide de diminution des déficits publics serait, en effet, incompatible avec notre volonté de financer un certain nombre d'actions prioritaires et de diminuer les prélèvements obligatoires, qui détermine notre action budgétaire depuis juin 1997.

Quand je dis que vous n'êtes pas objectif dans la lecture du tableau de la page 54, c'est que vous oubliez de préciser que l'augmentation est due au fait que la dette n'a absolument pas été maîtrisée en 1994, 1995 et 1996.

M. Jérôme Cahuzac.

Absolument !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

A cet égard, la lecture du tableau de la page 29 du rapport sur les charges communes est particulièrement édifiante lorsque nous ajoutons le surcroît de dettes en 1994, 1995 et 1996, donc sous les gouvernements de M. Balladur et de M. Juppé : nous arrivons à 1 100 milliards de francs de dettes supplémentaires.

M. Raymond Douyère.

Eh oui !

M. Gilles Carrez.

C'est l'héritage de 1993 ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Nicole Bricq.

Pourquoi ne pas remonter à 1946 ?

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Pas du tout, monsieur Carrez ! Je ne prends pas les chiffres de 1993, que vous pourriez nous imputer en partie, même si le Premier ministre de l'époque avait déclaré qu'il se sentait responsable à compter du collectif pour 1993...

M. Philippe Auberger.

Responsable mais pas coupable !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Je constate donc un écart de 442 milliards de francs en 1994 par rapport à l'année précédente, puis de 349 milliards en 1995 et de 287 milliards en 1996.

M. Gilbert Mitterrand.

M. Juppé a dit que c'était épouvantable sous Balladur !

Mme Nicole Bricq.

Quel bilan !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Avec nous, la courbe suivie par l'endettement est décroissante : 248 milliards en 1997, 240 milliards en 1999. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Francis Delattre.

Parce que nous avons amélioré la situation !

M. Philippe Douste-Blazy.

Parce que nous sommes passés par là !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Nous nous efforçons de limiter l'endettement. Cela nous évite d'atteindre la barre de 60 %, pente naturelle sur laquelle votre action aurait vraisemblablement conduit le pays.

M. Jérôme Cahuzac.

Quelle lucidité, la dissolution !

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Il fallait le dire.

Les résultats rapportés par la Commission européenne sont conformes aux prévisions qui avaient été annoncées par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie au printemps dernier.

Enfin, sur la SMC, le secrétaire d'Etat a déjà répondu.

Je dirai simplement que votre intervention ne manquait pas de culot, monsieur Carrez - il n'y a pas d'autre mot puisque la procédure de privatisation a été engagée dès le 26 octobre 1995. Vos amis ne sont pas parvenus à la conduire parce qu'ils ont laissé faire. Ce gouvernement nous propose la moins mauvaise des solutions. Celle-ci, au moins, a le mérite d'exister et de sauver une entreprise et un certain nombre d'emplois. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Francis Delattre.

Quel double langage !

M. le président.

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue pour quinze minutes.

(La séance, suspendue à dix-huit heures cinq, est reprise à dix-huit heures vingt.)

M. le président.

La séance est reprise.

Discussion générale

M. le président.

Nous en arrivons à la discussion générale.

Je rappelle que, à la demande du président de la commission des finances et du rapporteur général, un accord est intervenu en conférence des présidents pour que l'on essaie de terminer l'examen de ce texte ce soir.

M. Michel Bouvard.

Très bien !

M. Jean-Louis Idiart.

C'est mal parti !

M. le président.

Je souhaite donc que chacun des intervenants respecte son temps de parole.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Gilbert Gantier, pour vingt minutes.

M. Gilbert Gantier.

Je vais essayer de respecter mon temps de parole, monsieur le président, et même de le raccourcir un peu.

Monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce projet de collectif budgétaire me paraît a priori sans grand relief. Je dirai même qu'il traduit clairement un certain manque d'imagination du Gouvernement, peutêtre un peu paralysé par les soubresauts de sa majorité.

Alors que le ministère de l'économie nous promettait, il y encore quelques semaines, pour le projet de loi de finances rectificative une grande réforme de la taxe d'habitation, nous n'avons droit qu'à un petit collectif de vingt et un articles essentiellement techniques. Cela est assez peu pour qu'on le relève. Néanmoins, peut-être le Gouvernement va-t-il nous faire la surprise de sortir de son chapeau quelques articles additionnels !

M. Michel Bouvard.

Le texte est déjà assez médiocre !

M. Gilbert Gantier.

Nous verrons ce qu'il en sera au cours de la discussion.

Malgré sa taille réduite, le projet de loi de finances rectificative pour 1998 n'en est pas moins pernicieux. En effet, il montre clairement que le Gouvernement a opté pour le laxisme en matière budgétaire. Nous assistons ainsi à un gaspillage volontaire des fruits de la croissance : sur près de 14 milliards de francs de recettes supplé-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

m entaires, seulement 3,3 milliards seulement seront consacrés à la réduction du déficit, qui sera ramené de 257,9 milliards en loi de finances initiale à 254,6 milliards. La majeure partie des plus-values fiscales résultant de la reprise économique est utilisée pour financer des dépenses nouvelles et pour colmater quelques dettes.

Le Gouvernement prévoit 31 milliards de francs de dépenses nouvelles. Certes, il y a aussi 20 milliards de francs d'annulations de crédits. Il n'en demeure pas moins que le total net des dépenses supplémentaires est c'est de l'algèbre, monsieur le secrétaire d'Etat - de quelque 10 milliards de francs.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

C'est même de l'arithmétique ! (Sourires.)

M. Gilbert Gantier.

Si l'on avait affecté l'ensemble des recettes supplémentaires et des annulations de crédits à la réduction du déficit, celui-ci aurait été diminué de 34 milliards de francs. Il n'aurait alors atteint que 223 milliards et représenté 2,5 % du PIB, ce qui nous aurait placés dans la moyenne européenne. En décidant de ne pratiquer qu'une baisse homéopathique du déficit, le gouvernement de Lionel Jospin maintient la France au dernier rang des pays qualifiés pour l'euro.

Ce projet de collectif, je le regrette, nous le regrettons, ne prévoit aucune réduction d'impôts. A défaut d'avoir une diminution structurelle du déficit, nous aurions pu, au moins, espérer des mesures allégeant la pression fiscale, en particulier de celle qui pèse sur les ménages.

Tel n'est pas le cas. Les Français ne profiteront en rien du retour de la croissance et des plus-values fiscales qu'elle a dégagées. Le Gouvernement fait ainsi un véritable hold-up sur la croissance et sur les recettes supplémentaires. Il n'y a dans ce projet de loi de finances rectificative, ni baisse de la TVA, ni diminution de l'impôt sur le revenu, ni baisse des impôts locaux, ni suppression de la redevance télé que nous avions demandée.

Face à la grogne anti-impôt qui s'amplifie, monsieur le secrétaire d'Etat, dans le pays, et qui est clairement soulignée dans un article publié la semaine dernière dans un hebdomadaire, vous auriez au moins pu faire un geste.

Les Français comprennent, cet automne, que la réduction des prélèvements obligatoires que vous annoncez depuis des mois est une illusion. Ils croulent sous le poids des feuilles d'impôt puisqu'ils ont dû acquitter, ces dernières semaines, leur troisième tiers au titre de l'impôt sur le revenu, la CSG, dont le produit est passé d'une centaine de milliards à plus de 350 milliards en un an...

M. André Vauchez.

Vous mélangez tout !

M. Gilbert Gantier.

... les impôts locaux...

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Ah, les impôts locaux !

M. Gilbert Gantier.

... et la vignette.

M. Jean-Louis Idiart.

La vignette relève des départements !

M. Gilbert Gantier.

Il n'y aura pas eu de baisses, mais seulement des augmentations.

IL apparaît donc que l'année 1998 sera celle des occasions manquées. Avec un taux de croissance de plus de 3 %, le plus élevé depuis le début de la décennie, le Gouvernement aurait dû mettre en oeuvre des réformes de structures et mieux préparer la France à l'euro. Il a opté pour la facilité en choisissant les dépenses plutôt que les réductions d'impôt.

Au lieu de se projeter dans l'avenir, le Gouvernement tente de colmater la sphère publique. Ainsi, 8,7 milliards de recettes nouvelles sont affectés dans ce collectif à des apurements de dettes : 5,6 milliards de francs pour la sécurité sociale ; 2,4 milliards de francs pour la construction navale, 700 millions de francs pour compenser des retards de paiement de l'Etat. Pour financer les dépenses supplémentaires, le Gouvernement de Lionel Jospin a eu recours, une fois de plus, à des annulations de crédits d'équipement militaire. Cela mérite d'être souligné.

Ce projet de loi est aussi celui des occasions manquées pour le Gouvernement parce qu'il aura mangé son pain blanc. En effet, malgré l'optimisme de façade conservé par le ministre de l'économie, malgré l'obstination du Gouvernement de ne pas revoir ses prévisions, les faits sont têtus : les indicateurs économiques traduisent - on peut le regretter - un ralentissement de l'économie.

Ainsi, au cours du troisième trimestre, la croissance du PIB s'est ralentie. Le taux de croissance trimestrielle est passé de 0,8 % à 0,5 % et pourrait s'affaisser à 0,2 %.

Nous ne le souhaitons pas, mais ce sont des prévisions qu'il ne faut pas oublier. Au mois d'octobre, la consommation a reculé de 0,7 %. Au mois de septembre dernier, la production industrielle a diminué de 1 %.

Les entreprises constatent aussi avec regret que leurs carnets de commande se dégarnissent. De ce fait, elles resserrent leurs programmes d'investissement. Selon une étude de l'INSEE, l'investissement stagnerait l'année prochaine, alors que le Gouvernement table sur une progression de 8 %.

Il est donc malheureusement de plus en plus improbable que le taux de croissance atteigne les 2,7 % prévus.

Or moins de croissance signifie davantage de dépenses et moins de recettes pour l'Etat.

De ce fait, vous devriez vous mettre dès maintenant à revoir de fond en comble le projet de loi de finances pour 1999 ou, du moins, préparer un collectif budgétaire pour l'année prochaine. Cette révision s'impose d'autant plus que l'inflation prévue se situe non pas à 1,3 % mais à 0,5 %. De ce fait, les dépenses de l'Etat en francs constants n'augmenteront pas de 1 % mais de 1,8 %. En conséquence, pour respecter la norme de progression des dépenses de 1 % qu'il s'est fixée, le Gouvernement devrait réduire de 0,8 point le montant des dépenses pour 1999.

Vous allez me répondre, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il s'agit d'un autre débat. Je le sais, mais cela méritait d'être souligné.

Votre politique budgétaire et économique est donc mal orientée. Les Français commencent à le comprendre p uisque, selon un sondage BVA réalisé les 20 et 21 novembre dernier, 47 % d'entre eux jugent la politique du Gouvernement mauvaise contre 42 % qui la jugent bonne. C'est un infléchissement qu'il faut prendre en compte.

Votre politique est archaïque. Elle se situe dans le prolongement de celles que vous avez mises en oeuvre depuis fort longtemps, en tout cas depuis 1981.

M. Jean-Louis Idiart.

Pourquoi pas depuis 1789 !

M. Gilbert Gantier.

Je m'arrêterai un instant sur l'article 21 relatif à la Société marseillaise de crédit, dont il a déjà été beaucoup question tout à l'heure, car il illustre parfaitement la situation et nous permet de faire un utile retour en arrière.

En effet, la SMC a été intégrée au secteur public par l'article 12 de la fameuse loi sur les nationalisations du 11 février 1982. Certains d'entre vous étaient là, mes


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

chers collègues ; j'y étais aussi. Il nous a été dit tout à l'heure que nous aurions dû nous y opposer. Nous l'avons fait, mais en vain, car vous étiez plus nombreux que nous. C'est la loi de la démocratie.

A l'époque, Pierre Mauroy déclarait que la nationalisation était « le moyen d'échapper à la grisaille quotidienne » et qu'elle était « l'une des formes du génie français ».

M. Philippe Auberger.

Quel poète !

M. Gilbert Gantier.

André Labarrère, à la tribune de cette assemblée, affirmait qu'il s'agissait d'un cadeau à notre pays.

M. Michel Bouvard.

Ce n'était pas un cadeau pour les contribuables !

M. Gilbert Gantier.

Quant à François Mitterand, il soulignait que « les entreprises nationalisées étaient les outils du monde prochain ».

M. Christian Cuvilliez.

Belle formule !

M. Yves Cochet.

C'est ce que fait le Japon !

M. Gilbert Gantier.

Dix-sept ans après, le bilan est lourd. Il était pourtant prévisible.

Je ne résiste pas - vous me le pardonnerez, mes chers collègues - à la tentation de me citer et de reprendre une partie de l'intervention que j'avais prononcée à cette tribune le 14 octobre 1981. Je sais que cela peut gêner certains d'entre vous, mais je me permets cette petite faveur.

Je disais donc : « Les nationalisations, c'est du passé, elles ne sauraient constituer l'axe d'une bonne politique.

Vous serez en mal de me citer deux ou trois cas où elles furent bénéfiques ».

M. Christian Cuvilliez.

EDF, Gaz de France, en voilà au moins deux !

M. Yves Cochet.

Et France Télécom !

M. Michel Bouvard.

Ce n'est pas celles que vous avez nationalisées en 1982 !

M. Philippe Auberger.

Elles ont été faites par le général de Gaulle !

M. le président.

Ne commençons pas à déraper.

Continuez, monsieur Gantier.

M. Gilbert Gantier.

Il s'agit d'un autre débat, que je suis prêt à avoir, y compris pour EDF et Gaz de France.

Nous en reparlerons.

En 1981, je vous annonçais donc que « le secteur public ne serait en aucun cas une source de croissance, en aucun cas une source d'emplois ». Je crois que j'avais raison.

M. Christian Cuvilliez.

Mais non !

M. Gilbert Gantier.

En effet, les entreprises publiques n'ont pas été les vitrines sociales que l'on attendait.

M. Christian Cuvilliez.

Mais si !

M. Gilbert Gantier.

Elles n'ont pas été les pôles de croissance dont vous rêviez.

M. Christian Cuvilliez.

Mais si !

M. Gilbert Gantier.

Bien au contraire, elles ont conduit, du fait des dysfonctionnements du processus de la sphère publique, à licencier davantage que dans le privé.

M. Christian Cuvilliez.

Mais non !

M. Gilbert Gantier.

Elles ont coûté très cher aux contribuables, tant en raison du coût de leur acquisition - mon collègue Gilles Carrez a rappelé à quel prix le contribuable avait acheté la Société marseillaise de crédit, combien elle avait coûté et combien il fallait encore donner pour s'en débarrasser - qu'au travers des dotations en capital.

M. Christian Cuvilliez.

Il vaut mieux entendre ça que d'être sourd !

M. Gilbert Gantier.

Ce qui était vrai en 1981 l'a été également depuis 1991. Ainsi, lors des sept dernières années, les entreprises publiques ont été déficitaires et l'excédent enregistré en 1997 est presque exclusivement dû à France Télécom, seule compagnie, d'ailleurs partiellement privatisée, qui ait réalisé des bénéfices substan tiels.

Durant la même période, 100 000 emplois ont été supprimés dans le secteur public, dont plus de 15 000 dans le secteur bancaire.

Le Crédit lyonnais est, on le sait, le symbole le plus médiatique de l'échec des nationalisations.

M. Christian Cuvilliez.

Du dévoiement des nationalisations !

M. Gilbert Gantier.

Pourtant, la petite Société marseillaise de crédit mériterait de figurer également au panthéon de la faillite du secteur public. En effet, si l'on prend en compte sa petite taille, la SMC bat à plates coutures le Crédit lyonnais.

M. Gilles Carrez.

C'est vrai !

M. Gilbert Gantier.

Mon collègue Gilles Carrez l'a bien démontré tout à l'heure.

M. Michel Bouvard.

Excellente démonstration !

M. Gilbert Gantier.

La SMC, qui compte 2 000 salariés, 162 agences, et qui a 17 milliards de francs de dépôts, a perdu plus de 3 milliards de francs en 1997. Lors des cinq dernières années, l'Etat a recapitalisé à hauteur de 6 milliards de francs cette banque, dont le produit net bancaire s'élève à peine à 1,3 milliard de francs.

Le 22 octobre dernier, le ministre de l'économie a décidé la cession de la SMC à une filiale du Crédit commercial de France pour 10 millions de francs, ce qui correspond à peu près au franc symbolique, toutes proportions fondées, d'autant que nous avons appris, à travers l'article 21 du projet de loi de finances rectificative, l'octroi par l'Etat d'une garantie de plus de 400 millions de francs. Par voie de conséquence, la SMC n'a pas fini de coûter de l'argent aux contribuables. Le Gouvernement fait ainsi payer aux Français la facture d'une mauvaise gestion publique et l'incapacité des autorités de tutelle de contrôler les entreprises publiques.

A ce titre, le rapporteur général dénonce dans son rapport sur le projet de loi de finances rectificative « les insupportables insuffisances du contrôle tant des entreprises publiques que des activités bancaires ». Il met en cause « le rôle de la direction du Trésor, de la commission bancaire, de la Cour des comptes et des commissaires aux comptes ».

Si son analyse est juste, il se trompe néanmoins de cibles. Le problème n'est pas le contrôle des entreprises publiques, mais leur possession par l'Etat. Par définition, en effet, l'Etat est incapable de jouer le rôle traditionnel d'un actionnaire, c'est-à-dire veiller au bon développement et à la bonne gestion d'une entreprise.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

Puisque nous parlons de l'article 21, je veux rappeler, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'en commission des finances j'avais déposé un amendement de suppression de cet article. Or, après s'être opposé à cet amendement, M. le rapporteur général a fait voter la suppression de l'article 21. Il s'agit d'une mécanique que je ne comprends pas, mais je suis sans doute encore un peu jeune dans le métier, n'étant député que depuis un quart de siècle. (Sourires.)

Les mécanismes de contrôle, aussi bons soient-ils, ne peuvent pas fonctionner pour les entreprises publiques.

Nous avons pu le constater avec le Crédit lyonnais, avec le GAN, avec le Crédit foncier, et maintenant avec la SMC. Les Français ne s'y trompent pas. Ils sont majoritairement favorables, selon le sondage de BVA, à la privatisation du Crédit lyonnais, d'Air France et de la SNCF, afin que cela coûte moins cher aux contribuables.

Le Parti socialiste est, une fois de plus, en retard par rapport aux évolutions de notre économie. Pour s'en convaincre, il suffit de lire la déclaration finale de la convention sur l'entreprise des 21 et 22 novembre dernier. Le Parti socialiste français se prononce en faveur de l'autorisation administrative de licenciement, pour la restriction des contrats à durée déterminée, pour le durcissement de la loi sur les 35 heures. Il se prononce aussi contre les fonds de pensions.

A la différence d'un certain nombre de partis socialistes européens,...

M. Michel Bouvard.

Il est marxiste ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gilbert Gantier.

... le Parti socialiste français n'est pas entré dans une phase de modernisation et d'acceptation des lois du marché qu'exige l'économie de notre temps. Il demeure profondément étatiste et archaïque.

Ce retard est d'autant plus criant que nous sommes entrés dans un processus de concentration à l'échelle mondiale, qui suscite d'ailleurs quelques inquiétudes.

M. Yves Cochet.

C'est le libéralisme !

M. Gilbert Gantier.

En quelques semaines, nous avons assisté au mariage de Daimler-Benz avec le groupe américain Chrysler, au rachat de la Bankers Trust par la Deutsche Bank et, pour 450 milliards de francs, au rachat de Mobil par Exxon. Cette valse mondiale préfigure la course féroce à l'innovation et à la productivité qui concernera les principales firmes mondiales. Or, dans ce combat de titans, la France ne semble pas très bien placée.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Quel misérabilisme ! M. Gilbert Gantier Je tiens à vous rappeler que le premier groupe français au plan mondial n'occupe que la dix-huitième place parmi les groupes internationaux, le deuxième n'étant que trente-septième. A force de nous enfermer dans nos exceptions, qui ne sont que des archaïsmes, nous risquons d'être définitivement exclus de la compétition mondiale.

C'est la raison pour laquelle, mes chers collègues, le groupe Démocratie libérale votera contre l'ensemble du projet de loi de finances rectificative, car il met en musique le gaspillage des fruits de la croissance. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Louis Idiart, pour dix minutes - ou moins si possible.

M. Jean-Louis Idiart.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, la discussion de ce projet de loi de finances rectificative s'inscrit très clairement dans les orientations définies par le Premier ministre dès son entrée en fonctions et sont conformes aux souhaits de la majorité des Français exprimés lors de l'élection de 1997 : à savoir réduire les déficits publics, engager la décrue des prélèvements obligatoires et servir la croissance, l'emploi et la solidarité.

C'est une politique frappée du bon sens, opposée au dogme du tout-libéralisme prôné par les gouvernements précédents - nous venons encore, il y a quelques secondes, d'entendre l'un des chantres de ce dogme - et en harmonie avec les nouveaux souhaits exprimés par la quasi-totalité des peuples européens.

C'est une politique dont les effets se font immédiatement sentir, ce dont témoigne la présentation de cette loi de finances rectificative.

Notre rapporteur général souligne dans son rapport que la partie recettes, souvent porteuse de mesures nouvelles qui pèsent sur le portefeuille de nos concitoyens, est cette année réduite à sa plus simple expression. L'opposition cherchera, bien sûr, à minorer ce fait, mais elle ne nous y avait pas habitués dans le passé.

L'année 1998 sera celle d'une croissance de 3,1 %, supérieure à celle prévue dans la loi de finances initiale, et d'un déficit budgétaire passant en dessous des 3 % du PIB. C'est la marque d'une confiance retrouvée, mais cela témoigne aussi de l'esprit de responsabilité manifesté par le Gouvernement dans la gestion du budget de l'Etat, lequel tient compte de la nécessaire solidarité dans une société en convalescence.

Les 30,8 milliards de dépenses nouvelles portent essentiellement sur la solidarité - majoration de l'allocation de rentrée scolaire, allégement des cotisations sur les bas salaires, revalorisation des allocations chômage et de solidarité et du RMI - sur la sécurité, car elle concerne les plus modestes d'entre nous - augmentation des moyens de fonctionnement de la police, financement du programme ACROPOL, travaux de rénovation des commissariats et maintenance des aéronefs de la sécurité civile mais également sur la recapitalisation de GIAT industrie, sur l'aide à la construction navale, sur la revalorisation des péages dus à RFF par la SNCF et, bien sûr, sur la compensation de la réduction des droits de mutations, en somme sur toutes une série de mesures et de dispositions concrètes, simples, attendues par nos concitoyens et auxquelles nous adhérons.

Je voudrais cependant attirer votre attention, monsieur le secrétaire d'Etat, sur trois dispositions du projet de loi de finances rectificative pour lesquelles nous souhaitons obtenir un certain nombre d'éclaircissements : l'affectation de la redevance pour la télévision, la garantie de l'Etat sur la cession de la Société marseillaise de crédit et la réforme du droit de bail, et, plus précisément, ses incidences sur le fonctionnement des administrations financières.

Dans vos propositions, vous n'affectez pas les 71,5 millions de francs issus de la redevance télévision. La redevance est une recette importante pour la télévision publique. Créée pour cela, elle est perçue pour cela.

Le devoir de la représentation nationale, monsieur le secrétaire d'Etat, est de ne faire aucune concession sur la transparence de son affectation. Nous ne pouvons et ne devons pas rester dans l'imprécision. Voilà pourquoi nous avons déposé un amendement pour affecter ces montants supplémentaires aux trois chaînes publiques.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

De même, nous demandons des précisions sur la garantie de l'Etat accordée, pour une période limitée, à hauteur de 435 millions à la banque Chaix pour la couvrir des préjudices résultant des pertes et charges qu'elle subirait du fait de la cession de la Société marseillaise de crédit et dont l'origine serait antérieure à cette cession.

Nous avons voté en commission des finances, dans un premier temps, contre l'article 21 et ce n'était pas pour des raisons de fond car tous les Gouvernements n'ont que trop tardé à régler ce problème.

M. Michel Bouvard.

Il n'y avait qu'à ne pas l'acheter !

M. Jean-Louis Idiart.

Ceux qui sont dans l'opposition aujourd'hui et qui se mêlent de nous donner des leçons oublient que, pendant quatre ans, ils ont été dans la majorité. Qu'ont-il fait sinon laisser dégénérer les choses ? Il fallait prendre vos responsabilités, mesdames, messieurs de l'opposition ! Vous ne l'avez pas fait ! Le Gouvernement aujourd'hui le fait, avec le soutien de la majorité.

M. Raymond Douyère.

Exactement !

M. Jean-Louis Idiart.

Cela mérite d'être souligné. Les Français, d'ailleurs, savent le reconnaître. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Très bien !

M. Jean-Louis Idiart.

Nous adhérons à votre position de principe, monsieur le secrétaire d'Etat, mais nous ne pouvons et ne pourrons jamais accepter que l'administration traîne les pieds pour fournir l'information aux députés dans le cadre de la préparation du débat parlementaire.

M. Michel Bouvard et M. Gilles Carrez.

Très bien !

M. Jean-Louis Idiart.

Nous voulions rappeler cela de façon claire mais les éclaircissements que vous avez apportés ont été convaincants et je suppose que vous irez encore plus loin dans la fourniture de ces informations.

Enfin, l'article 11 du projet de loi de finances rectificative porte sur la réforme du droit de bail de la taxe additionnelle. A première vue, il s'agit d'une simplification administrative puisque la taxe calculée à partir des revenus retirés de la location immobilière est portée sur la déclaration annuelle des revenus et non plus, comme avant, sur une déclaration spécifique.

Je ne ferai pas de commentaires sur l'adaptation de cette taxe, mais, venant après la simplification sur la TVA des micro-entreprises, elle entraîne des incidences sur l'organisation de l'administration fiscale.

Monsieur le secrétaire d'Etat, la « modernisation » des services des impôts, du Trésor et des douanes se fait de façon très classique, très verticale, et trop souvent sans un approfondissement réel en interne et sans concertation externe permettant d'en mesurer les conséquences sur les territoires.

M. Michel Bouvard.

C'est exact !

M. Jean-Louis Idiart.

L'administration s'éloigne trop des contribuables, des redevables, de ses partenaires, et se replie sur elle-même.

M. Michel Bouvard.

Tout à fait !

M. André Vauchez.

Absolument !

M. Jean-Louis Idiart.

Cela constitue un grave danger, car l'essentiel est bien de chercher l'adhésion du contributeur, plutôt que de le soumettre.

Les hauts fonctionnaires qui sont placés sous votre autorité, à Paris comme dans les départements, ne s'ouvrent pas suffisamment aux réalités humaines. Leur prise en compte est pourtant indispensable à la construction d'une administration moderne. Les réformes fiscales, les simplifications que nous votons ici ne doivent pas aboutir à des transformations qui n'iraient pas dans le sens souhaité.

Ces trois remarques faites, je rappelle que les propositions de ce projet de loi de finances rectificative sont conformes à l'engagement pris devant les Français et pour lequel ils nous ont élus en juin 1997.

Voilà pourquoi le groupe socialiste votera le projet de loi de finances rectificative. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Augustin Bonrepaux, président de la commission.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Philippe Auberger, pour quinze minutes.

M. Philippe Auberger.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'examen de ce collectif budgétaire nous fournit d'abord l'occasion de faire le point sur la conjoncture économique en cette fin d'année et d'apprécier si les prémisses affichées il y a deux mois, lors du débat budgétaire, à savoir la poursuite de la croissance à un rythme soutenu, ont quelque chance de se réaliser.

Contrairement à ce que vous avez dit tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, savoir ce qui se passe en cette fin d'année 1998 n'est pas hors sujet. C'est même au coeur de notre débat d'aujourd'hui, car le point où l'on arrivera à la fin de 1998 constituera le point de départ pour l'année 1999.

Or force est de constater que ce que M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie avait fort aimablement qualifié il y a quelques semaines de sornettes est m alheureusement devenu une réalité : la croissance connaît un infléchissement net.

Sornettes hier, réalité aujourd'hui ! Il est vrai que le Gouvernement n'est plus à un cafouillage près, après tout ce qui s'est passé ces derniers jours.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Oh !

M. Philippe Auberger.

A défaut d'aller à Canossa, le ministre de l'économie est au moins allé hier à repentance, puisqu'il a reconnu que nous n'étions plus sur une trajectoire de 2,7 % de croissance pour l'année 1999.

C'est bien le signe que, comme nous le prévoyions en septembre et en octobre, la conjoncture s'est retournée.

M. Jean-Louis Idiart.

En voilà des sornettes !

M. Philippe Auberger.

D'ailleurs, les chiffres qui viennent d'être publiés par la comptabilité nationale pour le troisième trimestre attestent ce fait. Contrairement à ce que vous avez dit tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat, ils ne sont pas bons.

Après avoir connu un taux de croissance de 0,7 % au premier trimestre et de 0,8 % au deuxième, la croissance a été ramenée à 0,5 % au cours du troisième trimestre, alors que vous la prévoyiez encore au mois d'octobre pour ce trimestre à 0,9 %. C'est simplement une erreur du double au simple. Si l'on tient compte des jours ouvrables, on arrive même à un rythme de croissance de 0,2 à 0,3 %.

C'est dire si l'infléchissement de la croissance, contrairement à ce que vous avez bien voulu dire tout à l'heure, est sérieux et prononcé. Les perspectives concernant les


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

investissements des entreprises en particulier sont très inquiétantes. La progression des investissements s'est sensiblement ralentie au fil des trimestres : elle a chuté de 2,5 % au premier trimestre, à 1,6 % au deuxième et à 0,9 % au troisième. Et la dernière enquête montre que l'investissement pourrait être étal l'an prochain, alors que, il y a trois mois, vous avez prévu une croissance de 9 % à ce titre. Si c'est vrai, le Gouvernement se trouve à peu près assuré d'avoir un taux de croissance, si ce n'est de 3,1 %, comme il l'annonçait il y a quelques semaines, au moins de 3 %. En revanche, compte tenu de ces prémisses, les prévisions pour 1999 doivent être complètement revues. Elles sont, en effet, actuellement très aléatoires. D'ailleurs, je constate que le Gouvernement ne se hasarde plus à un véritable pronostic, car celui-ci est trop risqué.

Enfin, il apparaît peu réaliste d'espérer que l'inflation compensera ce que la croissance ne va pas amener. Elle était prévue à 1,3 % en 1998 et on constate que l'évolution du PIB en valeur sera en fait très inférieure à ce qui était prévu.

Si l'on peut se réjouir que, sur le plan de l'équilibre budgétaire, la réalisation des recettes fiscales dépassera les prévisions, cela est essentiellement dû au fait que la consommation se tient mieux qu'on ne le pensait. Elle a en effet progressé de 3 % au lieu des 2 % attendus. En conséquence, les recettes de TVA sont plus abondantes.

D'ailleurs, il est prévu 12 milliards de francs de plusvalues fiscales à ce titre et ce chiffre semble une évaluation un peu prudente.

Mais, si ce chiffre n'est pas mauvais, il faut reconnaître néanmoins qu'il conduit à majorer sensiblement la pression fiscale de l'Etat en 1998. Or cela est nié dans tous les documents. Il n'y a eu aucune révision du niveau des prélèvements obligatoires à ce titre, alors que ceux-ci ne sont plus ceux qui étaient prévus il y a un an. Contrairement à tous les engagements qui ont été pris et les promesses qui ont été faites, le niveau des prélèvements obligatoires ne diminuera pas en 1998.

M. Jean de Gaulle.

Hélas !

M. Philippe Auberger.

Les prévisions annoncées à l'automne 1997 et réitérées lors de la présentation du projet de budget pour 1999 faisaient état d'une stabilisation des prélèvements sociaux à 22,3 %, d'une baisse des prélèvements de l'Etat de 15,2 à 15 % et d'une diminution des prélèvements locaux de 7,2 à 7,1 %. On m'a même affirmé il y a deux mois que cette évaluation de l'automne 1997 était maintenue.

Les prélèvements sociaux seront plus élevés que prévu.

En effet, les majorations et l'extension de la CSG étaient notoirement sous-estimées dans les évaluations du Gouvernement.

La fiscalité de l'Etat devait baisser de deux dixièmes de points en 1998, mais, avec des plus-values de plus de 12 milliards de francs et une moindre progression du PIB en valeur, elle devrait être, au mieux, étale et sera même, sans doute, très légèrement en hausse.

Quant à la fiscalité locale, une baisse d'un dixième de point avait été prévue pour 1998. Or la dernière note de conjoncture du ministère de l'intérieur, provenant de la DGCL, la Direction générale des collectivités locales, fait état d'une progression du produit fiscal de 3,9 %, que l'on doit comparer à l'augmentation prévisible du PIB de 4 à 4,1 %.

Cela signifie qu'il n'y aura pas de baisse du poids relatif de la fiscalité locale dans les prélèvements obligatoires en 1998.

Au total, on aura, une nouvelle fois, trompé les Français en 1998. En 1997, on avait assuré que le prélèvement fiscal et social serait stabilisé alors qu'il a été porté à 46,3 %. C'est le chiffre le plus élevé jamais atteint. En 1998, il va donc être encore augmenté et il en sera de même, en dépit de toutes les affirmations contraires du Gouvernement, en 1999, puisque les recettes de l'Etat augmentent de 62 milliards de francs, soit de 4,3 %, alors que l'augmentation du PIB risque de ne pas dépasser 3,5 % à 3,6 %. Donc, sur trois années consécutives - 1997, 1998 et 1999 - les prélèvements obligatoires auront enregistré une augmentation.

Il est vrai que, dans ce collectif budgétaire de fin d'année, l'essentiel des 14 milliards de francs de recettes supplémentaires est utilisé à financer des dépenses nouvelles.

En effet, 3,3 milliards de francs seulement sont consacrés à la diminution du déficit. Une fois de plus on constate que la dépense est privilégiée par rapport à la réduction du déficit. Or celui-ci demeure encore beaucoup trop élevé. En dépit de toutes les affirmations à ce sujet, le taux de l'endettement public par rapport au PIB continue inexorablement à augmenter. Il était de 58,1 % en 1997, il sera de 58,2 % en 1998 et de 58,7 % en 1999. Nous sommes toujours sur une pente ascendante et nous risquons d'atteindre rapidement le seuil fatidique des 60 %.

La promesse qui est faite de stabiliser le poids de la dette publique par rapport au PIB paraît donc toujours aussi lointaine.

En outre, le fait de dégager plus de 10 milliards de francs dans ce collectif pour des dépenses nouvelles revient à remettre en cause assez profondément les arbitrages intervenus lors de l'examen de la loi de finances initiale pour 1998. Il avait été alors indiqué que les dépenses de l'Etat n'augmenteraient pas de plus de 21 milliards de francs, soit 1,36 %. Or, dans ce collectif, elles augmentent de près de 50 % par rapport à ce qui avait été annoncé puisqu'il y a 10 milliards de dépenses supplémentaires. Le taux de progression de ces dépenses passe à plus de 2 %. La gestion est donc nettement plus laxiste que celle qui a été annoncée au départ.

En outre, on constate que beaucoup de ces dépenses nouvelles n'ont pas vraiment leur place dans un collectif de fin d'année.

D'abord, la fameuse majoration de rentrée scolaire, de 5,7 milliards de francs, dont vous vous flattez chaque année, monsieur le secrétaire d'Etat, était prévisible puisque vous nous l'aviez annoncée à l'automne dernier.

Elle aurait donc dû figurer dans la loi de finances initiale.

Elle n'a pas sa place dans une loi de finances rectificative.

C'est contraire à l'ordonnance du 2 janvier 1959.

M. Bernard Pons.

Très bien !

M. Philippe Auberger.

Ensuite, vous prévoyez pour le recensement général de la population qui aura lieu en 1999, un milliard de francs supplémentaire. Cela devrait figurer dans la loi de finances pour 1999 et non dans le collectif de fin d'année.

Il en est de même du contentieux de l'EPAD. Il n'est pas nouveau.

M. Michel Bouvard.

Eh oui !

M. Philippe Auberger.

L'indemnisation des commissaires-priseurs est inscrite pour 450 millions de francs, alors que le texte prévoyant cette indemnisation n'a même pas été étudié par notre assemblée.

M. Michel Bouvard.

Tout à fait !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

M. Philippe Auberger.

Un supplément de crédits de 161 millions de francs est prévu pour la célébration de l'an 2000. Est-ce si urgent qu'il faille l'inscrire dans le collectif de fin d'année de 1998 ?

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Ça se prépare !

M. Philippe Auberger.

Les investissements que vous prévoyez sur des immeubles diplomatiques sont-ils également si urgents qu'ils doivent figurer dans le collectif ? C'est le cas de bien d'autres dépenses encore. Bref, il y a 10 milliards de francs de dépenses qui n'ont pas leur place dans un collectif de fin d'année.

Les plus-values fiscales servent, en fait, à financer des dépenses qui auraient dû figurer soit dans la loi de finances initiale pour 1998, soit dans celle pour 1999.

Ce collectif budgétaire témoigne d'une gestion bien p eu rigoureuse et exagérément laxiste des finances publiques, alors que nos concitoyens ont tant de mal à s'acquitter de leurs impôts.

Par ailleurs, à l'occasion de l'examen de ce collectif budgétaire, le Parlement est, mes chers collègues, traité de façon extrêmement désinvolte en ce qui concerne la crise financière internationale et le problème de l'endettement des pays en voie de développement.

Alors que le Fonds monétaire international engage des sommes de plus en plus importantes pour faire face aux crises de paiement de l'Asie du Sud-Est, de l'Amérique latine, de la Russie, notamment, et que son action, en particulier les prescriptions à caractère structurel dont il accompagne ses interventions, font l'objet de contestations de plus en plus vives et parfois justifiées, voilà qu'on nous demande, au détour d'un collectif budgétaire, d'accroître sensiblement la contribution de la France, sans aucune garantie quant à l'utilisation des crédits correspondants ni aucun engagement sur une réforme pourtant attendue des institutions du FMI. Alors que le Congrès américain a discuté pendant une dizaine de mois, en l'assortissant de conditions draconiennes, de l'acceptation de l'augmentation des ressources du FMI, c'est au détour de l'article 18 du collectif de fin d'année que l'on prend ce genre d'engagement en France ! On mesure le fossé qui sépare la démocratie américaine de la démocratie française sur ce point.

M. Yves Cochet.

La démocratie américaine, on peut en parler !

M. Philippe Auberger.

De même, l'habitude a été prise de remettre ici ou là les dettes de pays surendettés. Mais le P arlement, quand il en est informé, l'est toujours a posteriori, sans aucune possibilité de contrôle de l'action du Gouvernement. Une fois de plus, on nous demande d'accroître la dotation des prêts sans nous en faire connaître les pays bénéficiaires ni leurs situations financières pour justifier les opérations correspondantes.

Quant aux reversements sur provision de la COFACE, ils ont brusquement fondu entre le mois de septembre et le mois de novembre, sans qu'on nous donne d'explications claires et précises. Dans le passé, les gouvernements socialistes étaient pourtant prompts à nous demander, lors des collectifs de fin d'année, des augmentations (parfois fort substantielles) des dotations pour risque de la COFACE.

Bref, tout le secteur de l'intervention financière extérieure est traité dans ce collectif avec une désinvolture qui frise l'irresponsabilité.

Pour toutes ces raisons, le groupe du Rassemblement pour la République ne peut approuver les dispositions qui figurent dans ce collectif et votera résolument contre.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean-Louis Idiart.

Quelle déception !

M. le président.

Mes chers collègues, avant de donner la parole à M. Christian Cuvilliez, je voudrais vous soumettre une proposition.

Pour terminer la discussion générale, nous en avons approximativement jusqu'à vingt heures, si chacun respecte son temps de parole.

Je vous propose donc de siéger jusqu'à vingt heures, afin d'achever la discussion générale de ce collectif et de reprendre nos travaux à vingt et une heures trente avec le texte de Mme Aubry.

M. Cuvilliez, vous avez la parole, pour quinze minutes.

M. Christian Cuvilliez.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je suis sidéré et perplexe quand je mesure que ce collectif budgétaire porte sur quelque 30 milliards de francs de crédits, ce qui n'est pas rien, alors que la marge de manoeuvre dans laquelle vous nous proposez de faire évoluer le projet de loi de finances pour 1999, du reste toujours en discussion, portait sur environ 75 milliards de francs, dont presque le tiers - 21,3 milliards de francs - était intangible puisque destiné à réduire le déficit à 2,3 % pour nous conformer aux critères de convergence de l'Union européenne. Trente milliards de francs d'un côté, 50 milliards de francs de l'autre. Mais ma surprise a été grande - même si ce n'est en fait qu'une demi-surprise, car cela me semble une habitude, à entendre d'autres orateurs en découvrant que ces 30 milliards de francs ont été gagés ou dégagés par le Gouvernement en cours d'exercice sans que le Parlement ait eu à en dire.

Ce n'est pourtant pas nous, communistes, qui vous aurions fait grief de consacrer 8 milliards de francs à des interventions sociales aussi nécessaires que le renouvellement de l'allocation de rentrée scolaire pour les familles - 5,7 milliards de francs -, la nouvelle allocation pour les chômeurs âgés - 1 milliard de francs - ou encore l'abondement de 900 millions de francs de l'enveloppe consacrée au RMI. Tout au plus aurions-nous demandé, si nous avions été consultés, à ce que ces dotations soient majorées. L'opposition en aurait fait des gorges chaudes et, du même coup, vous y auriez peut-être souscrit. Au lieu de cela, il nous est demandé de constater et d'entériner les décisions déjà prises.

Quand je songe au tintamarre de certains parlementaires à propos de la révision constitutionnelle et de l'article 88-4, qui se poseraient en parangons de la démocratie en exigeant un droit de contrôle amélioré du Parlement sur les directives européennes, je me dis qu'il y aurait peut-être lieu de regarder d'abord dans notre propre maison : la plupart des dépenses enregistrées dans ce collectif n'auraient pas démérité d'être débattues ici.

Malheureusement, il n'en va pas ainsi, pour cause de dépenses obligées, de l'apurement des dettes de l'Etat visà-vis de la sécurité sociale - 5,6 milliards de francs -, du remboursement aux régions de la baisse des droits de mutation - 1,6 milliard de francs - et de ce que vous appelez l'apurement du passé - 10,3 milliards de francs.

En revanche, on peut s'interroger sur le double mouvement qui affecte les dotations de plusieurs ministères en cours d'exercice. Dix milliards de francs d'abondement dont 7,72 milliards de francs pour l'emploi, très bien, mais sur quels critères ? Vingt milliards d'économies, certes, mais lesquelles et pourquoi ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

Quand on sait combien les redéploiements ont été douloureusement ressentis à la culture et à la défense, pour ne citer que deux postes sensibles, n'y avait-il pas là matière à nous consulter avant de rendre les arbitrages, et plus encore quand il s'est agi de geler 3,3 milliards de francs au nom de la lutte contre les déficits ? Nous avons déjà donné notre point de vue sur cette manière peu contraignante pour les marchés financiers de lutter contre l'endettement de l'Etat. Nous préférerions dégager des ressources nouvelles en approfondissant la réforme fiscale et en faisant davantage peser l'effort sur la détention et surtout sur l'accumulation du capital, plutôt que sur le revenu des salaires ou des ménages. Ou bien encore en levant un emprunt obligatoire mettant à contribution ceux qui tirent profit de l'endettement de l'Etat.

Vous me direz qu'en ne rouvrant pas le débat sur ces questions que nous ne sommes pas encore parvenus à résoudre, vous nous épargnez un discours incantatoire et, somme toute, dénué de portée. Il suffirait pourtant que la majorité plurielle s'y décide pour que l'incantation ait prise sur la réalité...

M. Michel Bouvard.

Majorité incantatoire ?

M. Christian Cuvilliez.

... et, du même coup, ne soit plus dénuée de portée.

Puisque la bonne tenue des rentrées fiscales a généré un excédent, n'aurait-il pas mieux valu en affecter le produit au soutien de l'activité de la croissance au lieu de geler ces 3,3 milliards de francs ? Je m'étonne par exemple que, d'ores et déjà, la proposition de loi, que le groupe communiste entendrait faire examiner prochainement, profitant de la « fenêtre parlementaire », sur l'aide à l'entrée en retraite et les conditions d'admission à la retraite, ait fait a priori l'objet d'un rejet au nom de l'article 40, ce qui n'est pas dans les usages du Parlement.

Pourtant, le montant de nos propositions, qui avaient d'ailleurs rencontré l'approbation du groupe ami, s'élevait pour 1999 à environ 2 milliards ou 2,5 milliards de francs.

M. Jean-Jacques Jégou.

Qui est-ce, ce groupe ami ?

M. Christian Cuvilliez.

D'une manière générale, je me permets d'y insister, le gel en début d'année de dépenses programmées et votées par le Parlement, de même que les annulations de crédits en cours d'exercice sont des pratiques détestables et à proscrire. Il y va du respect des engagements pris et du vote du Parlement. Il y va même de la crédibilité de certains membres du Gouvernement, mis en difficulté sur des décisions qui emportent d'autant moins leur agrément qu'eux non plus n'ont pas toujours été consultés ; ou, si on leur a demandé leur avis, on n'en a pas tenu compte.

J'entends en langage clair et parfois en langage codé : Bercy met son veto, Bercy ne l'entend pas de cette oreille, Bercy ceci, Bercy cela.

M. Michel Bouvard.

Ou que ce n'est pas « eurocompatible » !

M. Christian Cuvilliez.

Je vous pose donc la question en passant, monsieur le secrétaire d'Etat : Bercy est-il un lieu d'excellence, l'arbitre des élégances ou une école de lycanthropie ? (Rires.)

M. Michel Bouvard.

Très bien !

M. Christian Cuvilliez.

Retenez la formule !

M. Gérard Bapt.

On ne prête qu'aux riches !

M. Christian Cuvilliez.

J'imagine assez bien la discussion que nous aurions pu avoir en janvier dernier, quand les associations de chômeurs demandaient l'augmentation des minima sociaux ; un milliard leur a été accordé par redéploiement, mais elles n'en ont pas moins poursuivi leur action et s'apprêtent à renouveler avec force cette demande à l'approche des fêtes de fin d'année.

J'imagine assez bien l'arbitrage que nous aurions pu rendre entre annulations et réaffectations de crédits.

En tout cas, je souhaite, monsieur le secrétaire d'Etat, et je suis sûr d'exprimer un voeu largement partagé, que 1999, toute nécessité impérieuse et déclarée mise à part, ne connaisse aucun gel de crédits qui ne soit d'abord soumis à l'appréciation de l'Assemblée.

Cette demande me paraît d'autant plus justifiée que, de toutes parts, on voit se modifier les comportements et les pronostics face à l'évolution de la crise financière planétaire. La propagation serait pour le moment contrôlée dans les pays du G 7, mais ses ravages économiques et surtout sociaux, en Russie, en Asie du Sud-Est et en Amérique latine, avec les conflits et les déstabilisations politiques qui les accompagnent, sont considérables et peut-être, hélas ! contagieux.

J'ai cru comprendre d'ailleurs que, dans une de ses réponses aux questions d'actualités d'hier, M. Dominique Strauss-Kahn a confirmé ces craintes en avançant l'idée que l'année 1998 serait la meilleure année budgétaire de la mandature.

M. Michel Bouvard.

Ça promet !

M. Christian Cuvilliez.

Il serait dangereux, au motif de prévenir ou de réduire les effets de la crise dont nous ignorons quelles formes de développement elle peut prendre, d'envisager de rompre les fragiles équilibres que nous sommes en train de mettre au point dans la loi de finances pour 1999 et d'admettre que, par gel, redéploiements, restrictions de crédits, on puisse bloquer des espaces budgétaires encore ouverts pour soutenir la croissance et la consommation intérieure.

Ce serait revenir aux politiques d'austérité rejetées par nos concitoyens en 1997. Ce serait donner satisfaction à la droite et à tous les néolibéraux qui nient et sapent l'autorité des Etats pour rétablir à l'échelle mondiale le

« laisser faire, laisser passer » archaïque, ce serait cautionner le paradoxe scandaleux des instances suprêmes, FMI et Banque mondiale, qui jugent la dépense publique - globalement assimilable à la dépense sociale - excessive au regard de la dette publique et poussent du même coup à la comprimer, comme c'est le cas dans ce collectif pour un montant de 3,3 milliards.

S'agissant du FMI, il nous est demandé d'abonder la contribution de la France de 27 milliards de francs, en nous expliquant doctement qu'il s'agit là d'une opération blanche, ou plutôt financièrement neutre, puisque la France récupérera en droits de tirage spéciaux le montant de sa contribution. J'observe cependant que les 27 milliards de francs d'abondement sont inscrits en dépenses, mais que les DTS font l'objet d'une créance. Dans ces conditions, je ne suis pas certain que l'opération soit financièrement aussi neutre qu'on veut bien le dire.

Mais là n'est pas le fond de la question. Pouvons-nous, par les DTS dont nous disposons, contrarier l'allégeance du FMI aux mécanismes des marchés financiers ? Pouvons-nous soustraire le FMI à la prédominance des intérêts des Etats-Unis ? A l'heure où d'aucuns mettent en cause la légitimité et la nécessité d'existence du FMI, quelle influence, quelle autorité pouvons-nous exercer pour que, les pays du tiers ou du quart monde, comme


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

dans les pays riches, comme le nôtre, la coopération financière soit repensée, renforcée, orientée vers le développement de l'économie réelle et de l'emploi ? Parallèlement - je ne dis pas « accessoirement » -, quel rôle, quelle part le Parlement peut-il espérer obtenir dans la détermination de l'utilisation des DTS et de la stratégie générale de notre pays à l'égard du FMI ? L'amendement que nous examinerons tout à l'heure, qui propose un rapport annuel sur l'utilisation des fonds, constitue un progrès. Peut-être pouvons-nous aller plus loin.

Nous apprenons ce matin, monsieur le secrétaire d'Etat, que vos tentatives et celles du chancelier Schrder auraient abouti, puisque nous venons d'obtenir une baisse des taux d'intérêts auprès de la toute nouvelle et puissante Banque centrale européenne, gardienne de l'orthodoxie monétariste et chargée de veiller à ce que l'euro entre bien en lice au 1er janvier prochain, avec ou sans ses cinq décimales. Est-ce dû à votre influence ?

M. Michel Bouvard.

Non !

M. Christian Cuvilliez.

Est-ce la nécessité ?

M. Jean-Jacques Jégou.

Oui, certainement !

M. Michel Bouvard.

Bien sur ! Sans doute un éclair de lucidité !

M. Jean-Louis Idiart.

Ce n'est pas le hasard en tout cas !

M. Christian Cuvilliez.

En tout cas, dans un cheminement de crise, la baisse des taux d'intérêt peut servir à soutenir la croissance.

C'est Jacques Delors qui, évoquant la persistance de facteurs explosifs comme le rétrécissement du crédit ou l'effondrement des cours des matières premières, estime que seule une croissance forte en Europe peut éviter un nouveau krach.

Quand nous proposons, monsieur le secrétaire d'Etat, que soient étudiées et mises en oeuvre des mesures visant à donner à la monnaie, et même à la monnaie unique telle qu'elle est instaurée, un rôle plus dynamique, son rôle fondateur d'instrument d'échange et de flux, plutôt que ce caractère mythique et source de prédation qui est le sien comme quand nous proposons, dans le même temps, de concevoir le crédit comme un autre instrument de la dynamique de la croissance plutôt que le jouet de la spéculation, cela ne mérite-t-il pas au moins d'être mis enr egard des schémas conformistes sur lesquels sont construits les réseaux multiplex de la finance et de nos budgets ? Le projet de marché paneuropéen des actions, cette

« super-bourse » dont les linéaments apparaissent dans un axe paradoxal Francfort-Londres, doit nous inciter non pas à observer le marché pour mieux nous soumettre à ses exigences, à ses caprices, à ses écarts, mais, au contraire, à renforcer le pôle public bancaire - européen, pourquoi pas ? - à partir duquel la monnaie et le crédit joueraient leurs véritables fonctions d'outils de développement et de progrès social.

Est-ce bien le moment pour les banques centrales françaises et allemandes de ne chercher qu'à harmoniser les taux, alors que l'urgence commande de les baisser - ce que vous avez obtenu, monsieur le secrétaire d'Etat, pour 0,3 % - et d'orienter le crédit vers la formation, l'emploi, la création et le développement d'activités de production et de services ? A ce propos, je déplore sincèrement de découvrir - et singulièrement par la presse, dont le rôle est d'être bien informée, si bien informée d'ailleurs que c'est en la consultant que bon nombre de parlementaires apprennent des nouvelles dont ils devraient être les premiers dépositaires - que le projet de restructuration des caisses d'épargne, sur lequel nous avons formulé plus que des réserves, des désaccords, a été déposé hier 2 décembre 1998 devant le Conseil des ministres.

Que devient dans ces conditions votre engagement de tenir un débat sur la constitution d'un pôle public bancaire, sur la foi duquel nous avions renoncé à engager, à l'occasion de l'article 36 de la loi de finances 1999 proposant un prélèvement de 5 milliards de francs sur les réserves des caisses d'épargne, une bataille de procédure, qui aurait même pu prendre la forme d'une exception d'irrecevabilité ?

M. Jean-Jacques Jégou.

Vous ne pouvez pas voter ce collectif !

M. Christian Cuvilliez.

Et surtout, que devient la perspective ou l'hypothèse de ce pôle public réunissant dans des fonctions et des missions refondatrices, les caisses d'épargne, le CCF, le Crédit lyonnais et les autres éléments épars du système bancaire national ?

M. Michel Bouvard.

Il faut renvoyer en commission !

M. Christian Cuvilliez.

Faute de temps, je passe sur l'audiovisuel...

M. Jean-Jacques Jégou.

Vous l'avez même dépassé !

M. Christian Cuvilliez.

D'une manière générale, notre examen du projet de loi de finances rectificative pour 1998 fait apparaître les mêmes insuffisances, les mêmes défauts que l'examen du projet de loi de finances pour 1999 qui doit nous être présenté pour une deuxième lecture.

Dans un cas comme dans l'autre, l'essentiel est gagé - je veux dire engagé ; et même si nous en discutons librement, cette discussion reste plus formelle qu'efficiente et ne modifiera en rien les structures profondes des arcanes budgétaires.

Des améliorations significatives pourraient toutefois être apportées dès la deuxième lecture ; c'est pourquoi le groupe communiste ne fera pas de ce collectif budgétaire un ferment de division dans la majorité plurielle.

M. Jean-Jacques Jégou.

On aurait pu le croire !

M. Christian Cuvilliez.

Mais notre vote est assorti de tant de questions qu'il ne peut rester sans réponse.

Contrairement à ce que vous pouvez croire, messieurs, ce n'est pas par simple souci identitaire que nous réitérons notre revendication d'être mieux entendus, mais bien parce que journalistes, professionnels des médias, cheminots, enseignants, lycéens, employés de banques, ouvriers menacés de licenciement, ouvriers licenciés et chômeurs attendent des réponses aux questions que nous vous posons. Pour éviter le retour des rejets, monsieur le secrétaire d'Etat, donnons de la consistance à nos projets !

M. Gérard Bapt et M. Yves Cochet.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.

M. Jean-Jacques Jégou.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, j'avais cru être précédé à cette tribune par un orateur de la majorité plurielle. Pourtant, je n'ai rien entendu qui ait trouvé grâce à ses yeux dans ce collectif...

M. Didier Migaud, rapporteur général.

Vous avez mal entendu !

M. Jean-Jacques Jégou.

... et la chute était un peu à contre-emploi, car je ne vois pas comment vos alliés du parti communiste pourront le voter. Quoi qu'il en soit, attendons de voir...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

M. Jean-Louis Idiart.

Espérez !

M. Germain Gengenwin.

On verra !

M. Jean-Jacques Jégou.

Il nous faudra encore un peu de patience ; mais nous pourrions avoir des surprises.

Monsieur le secrétaire d'Etat, une croissance qui, malheureusement, s'essouffle, des dépenses qui progressent sans cesse, un déficit qui ne se réduit guère malgré les excédents de rentrées fiscales des deux premiers trimestres de l'année, voilà le contexte dans lequel nous venons d'examiner la loi de finances pour 1999 et dans lequel nous abordons aujourd'hui le collectif de fin d'année.

Pour la loi de finances, vous aviez quelques excuses : lors des arbitrages budgétaires de juillet 1998, la croissance était forte. Hélas, on le sait chaque jour un peu plus, elle se ralentit, et si l'on peut se mettre d'accord sur un chiffre de 3 %, voire 3,1 % pour 1998, nous risquons malheureusement d'être en deçà des 2,7 % que vous avez inscrits pour 1999.

Et pourtant monsieur le secrétaire d'Etat, vous gardez le moral... Ce faisant, vous êtes dans votre rôle. Ce collectif a essentiellement pour objet de poursuivre la progression des dépenses, vous ne pourrez dire le contraire.

Néanmoins, d'autres choix auraient été plus judicieux.

En effet, si la tendance, monsieur le secrétaire d'Etat, que nous constatons en cette fin d'année persistait ou s'aggravait, les Français pourraient vous dire :

« Que faisiez-vous au temps chaud ? »

« Je dépensais. »

« Eh bien, taxez maintenant. »

(Sourires.)

Je pourrais aussi...

M. le secrétaire d'Etat au budget.

... réciter Le Loup et l'Agneau ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Jégou.

... utiliser une métaphore marine : lorsqu'on attend un grain, il faut réduire la toile ! Or ce grain, nous risquons de le traverser au début de 1999.

M. Michel Bouvard.

Il aurait déjà dû prendre les ris !

M. Jean-Jacques Jégou.

Tous les chiffres - pas seulement ceux des conjoncturistes - qu'on trouve dans des journaux financiers sont clairs. Je vous invite à lire Les Echos du 2 décembre qui nous donne des prévisions sectorielles concernant les biens intermédiaires, les biens d'équipement. Peut-être la construction gardera-t-elle un peu de dynamisme, surtout en cette fin d'année, où nous voyons les acquéreurs se bousculer avant la fin du dispositif Périssol.

M. Gérard Bapt.

Ça, c'est vrai !

M. Jean-Jacques Jégou.

Il est dommage, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'on ne prolonge pas ce dispositif qui s'est révélé un véritable booster pour nos travaux publics.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Pour les résidences secondaires de luxe, oui !

M. Jean-Jacques Jégou.

Vous avez tort ! Dans ma ville, qui est loin d'être une ville de luxe, des jeunes couples peuvent, grâce à la loi Périssol, acheter dans des conditions tout à fait intéressantes.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

M. Besson a proposé un autre dispositif.

M. Jean-Jacques Jégou.

On verra ! Mais je crains que M. Besson n'ait pas eu les moyens de ce qu'il voulait faire.

Nous sommes donc sur la tangente des critères de Maastricht. Et c'est bien le moins à vingt-neuf jours de l'euro. Mais nous restons les bons derniers de la classe, et, vous l'avouerez, indépendamment de questions idéologiques droite-gauche, le constat est rude : avec 2,9 % de déficit, nous sommes loin derrière l'Espagne ou l'Allemagne, et plus loin encore des efforts faits par l'Italie.

N'est-ce pas contradictoire avec notre volonté, la volonté du Gouvernement, d'être le moteur de l'Europe ? Pour revenir au collectif, il est nécessaire de planter le décor. Je ne reviendrai pas sur tous les chiffres. Je me contente de rappeler les 11 milliards de francs de recettes fiscales supplémentaires, auxquelles il faut ajouter 1,6 milliard de recettes non fiscales, et je m'arrêterai un instant sur les 1,3 milliard de baisse des prélèvements sur recettes des collectivités locales. Quand le Gouvernement parle du manque de dynamisme du fonds de compensation de TVA, c'est pour le moins un euphémisme. Devant les quelques maires qui restent encore ici à discuter de ce collectif qui ne passionne pas les foules, je me permets de relever pour vous ne manquez pas de cynisme. En effet, l'Etat s'acharne depuis des années - je ne dis pas que c'est vous qui avez commencé - à chipoter sur toutes les dépenses d'investissement qui génèrent le remboursement de la TVA et à les contester. S'il y a aujourd'hui un ralentissement du fonds de compensation de la TVA, c'est bien parce que l'Etat a décidé d'en rembourser de moins en moins, ce qui pose un vrai problème dont nous pourrions discuter ici.

Il faut que les collectivités locales continuent à être dynamiques. Heureusement qu'elles sont là pour réaliser les équipements civils de notre pays. Mais on va finir par les décourager à force de les obliger à inscrire en fonctionnement des dépenses d'investissement.

Il fallait que ce soit dit. Le sujet me paraît particulièrement important, non seulement en raison d'éventuelles marges supplémentaires pour le budget de l'Etat, mais parce qu'il aura rapidement des incidences sur les dépenses d'investissement des collectivités locales.

Je n'oublie pas - mais certains membres de la majorité plurielle se sont déjà chargés de les dénoncer - les 14,8 milliards de francs d'annulations de crédits que vous avez opérées, méconnaissant les décisions du Parlement.

Je ne vous en veux pas plus qu'à d'autres gouvernements : c'est l'habitude ; je le regrette.

M. Christian Cuvilliez.

Mauvaise habitude !

M. Jean-Jacques Jégou.

Ce qui prouve bien, soit dit entre nous, que vous avez des marges de manoeuvre. Que dire des pyschodrames, sous toutes les majorités - j'en ai connu en tant que député de la majorité -, auxquels donnent lieu les propositions de députés pour diminuer les dépenses ! Lorsqu'ils en trouvent, on les leur refuse.

Ce sont souvent les ministres eux-mêmes qui veulent maintenir le niveau de leur budget. Elles s'élèvent à moins d'un milliard cette année, nous vous l'avons dit dans les explications de vote sur le projet de budget pour 1999.

Le Gouvernement considère en fait - c'est peut-être un des travers de la Ve République - le Parlement comme un incapable majeur dont les décisions sont sans poids, face à un Gouvernement qui a toujours raison et qui peut tout. Et non seulement celui-ci ne respecte même pas nos décisions, mais notre pouvoir de contrôle est inexistant et réduit à un simple rôle d'enregistrement.

Revenons, monsieur le secrétaire d'Etat, à nos recettes supplémentaires qui ne serviront pas, comme l'ont dit plusieurs de mes collègues, à la baisse du déficit, puisque


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

celui-ci baisse de 3,3 milliards, passant de 257,9 milliards à 254,6 milliards. Nous sommes décidément loin de la politique volontariste de baisse des déficits.

On aurait pu imaginer que ces recettes supplémentaires génèrent une baisse d'impôts des ménages, des entreprises. Mais pour ceux-là, point de salut. Sans doute croyez-vous que les Français qui paient des impôts ne font pas partie de votre électorat. Je crois que vous vous trompez.

Dans ce collectif, il y a pourtant un exemple flagrant d u traditionnel « trop d'impôt tue l'impôt ». Nous l'avions d'ailleurs abordé en commission des finances. Je veux parler de l'impôt sur les sociétés, auquel vous avez ajouté une contribution temporaire de 15 % l'an dernier.

Vous pouvez aujourd'hui constater vous-même le bienfondé de nos propos : c'est un manque à gagner de 8 milliards de francs que vous enregistrez.

En fait, les bonnes rentrées fiscales, vous l'avez dit vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, viennent de la TVA liée à l'augmentation de la consommation des ménages. Les entreprises ont « réduit la toile », si vous me permettez de poursuivre dans la métaphore, sachant qu'elles auraient à payer beaucoup plus d'impôts.

L'aboutissement d'une politique budgétaire de dépenses et de cocooning de la fonction publique et les rattrapages successifs, même s'ils étaient nécessaires à une époque, ont divisé les Français en deux catégories, mais pas une catégorie de riches et une catégorie de pauvres.

Je m'explique. Il y a un certain nombre d'années, être fonctionnaire n'était pas la panacée, surtout du point de vue du salaire ; mais cela avait pour double avantage de permettre d'échapper, de façon certaine, au chômage, ce qui est loin d'être négligeable, et, ce qui ne l'est pas moins, cela permettait d'avoir la garantie d'une bonne retraite, quel que soit l'état des régimes de retraites.

Aujourd'hui, les choses ont changé : être salarié dans le privé, sauf en termes de salaires pour quelques catégories de cadres supérieurs, ne veut même plus dire « gagner de l'argent » par rapport aux fonctionnaires. Les chiffres viennent de chez vous, monsieur le secrétaire d'Etat. Je les cite : « Le salaire net médian des fonctionnaires est supérieur de 32 % à celui des salariés du privé. »

11 330 francs pour les fonctionnaires contre 8 600 francs pour les salariés du privé.

M. Yves Cochet.

C'est vrai, ceux-ci ne sont pas assez payés !

M. Jean-Jacques Jégou.

En clair, aujourd'hui, les fonctionnaires sont mieux rémunérés, ils ont un emploi plus sûr, et ils ont la garantie d'une bonne retraite. Je ne parle même pas du système de retraites PREFON dont ils sont les seuls à pouvoir bénéficier. Certes, il ne concerne pour l'instant que 10 % des fonctionnaires, mais on peut sans doute considérer cela comme un premier succès, et un surcroît d'information serait peut-être nécessaire pour que le système profite à un plus grand nombre de fonctionnaires.

Il reste pour les salariés du privé à subir la précarité de l'emploi, un pouvoir d'achat qui ne cesse de s'amoindrir avec les prélèvements toujours plus importants auxquels l'Etat se voit contraint pour financer une fonction publique pléthorique et exigeante, et un système de retraite qui s'écroule. Le Gouvernement ne veut pas réellement s'occuper de ce problème. Les salariés du privé n'ont même pas accès à un système de retraite par capitalisation dont les fonctionnaires bénéficient depuis longtemps, parce que le Gouvernement n'arrive pas à se mettre d'accord avec sa majorité plurielle.

Les prélèvements sur les particuliers ne peuvent qu'augmenter quand on voit le poids de plus en plus grand des dépenses induites par la fonction publique.

Quel est le poids de la fonction publique aujourd'hui ? 41 % du budget de l'Etat - excusez du peu ! -, 18 milliards de francs de plus que l'année dernière ; l'accord salarial du 10 février dernier coûte 5,3 milliards en 1998, coûtera 9,5 milliards en 1999 et 23,3 milliards en 2000.

Comment ferez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, pour le financer ? Ces chiffres s'expliquent bien sûr par l'augmentation d es rémunérations des fonctionnaires 3,4 % en 1999 -...

M. Christian Cuvilliez.

Haro sur le baudet !

M. Jean-Jacques Jégou.

... mais aussi parce que l'Etat ne compte aujourd'hui pas moins de 40 000 fonctionnaires supplémentaires depuis 1990.

Vous avez un moral d'acier, je le disais tout à l'heure, monsieur le secrétaire d'Etat. Comment expliquerez-vous cela aux contribuables français, dans quelques années, alors qu'ils seront passés par plusieurs périodes de chômage, et qu'ils auront l'obligation de payer l'addition ? Je crois savoir d'ailleurs que nous aurons droit, l'an prochain, à un rapport faisant état d'une déferlante sur le coût de la fonction publique et des dettes de l'Etat hors budget - je ne dis pas que c'est le Gouvernement qui nous le fournira ! Mais, me direz-vous, il sera toujours temps de réagir.

La seule politique responsable consisterait d'abord à baisser les déficits et à faire partager par tous les fruits de la croissance, et pas seulement à une catégorie de Français, en essayant de redonner du pouvoir d'achat aux salariés du privé, en diminuant leurs prélèvements et en leur construisant le plus tôt possible un système de retraite complémentaire qui leur permettrait de conserver un niveau de vie correct lorsqu'ils cesseront leur activité.

La seule visibilité de ce collectif est l'augmentation des dépenses. Sur ce point, vous n'êtes pas en reste et il faut bien payer au moins une partie des promesses que vous avez faites tout au long de l'année, et elles ont été plutôt nombreuses ces derniers mois.

N éanmoins, monsieur le secrétaire d'Etat, le groupe UDF ne conteste pas toutes les dépenses, en particulier celles qui sont productives ou créatrices d'emplois, donc d'économies pour l'Etat. Je pense en particulier aux 5,6 milliards de francs de la ristourne dégressive sur les bas salaires. Le groupe UDF se bat depuis très longtemps, ce n'est pas une surprise, sur ce thème. Vous qui avez fait de l'emploi une priorité, vous n'avez quasiment pas encore touché à la baisse des charges patronales, qui est pourtant, nous en sommes convaincus, la seule base valable d'une véritable reprise de l'embauche. Ce ne sont pas 5 malheureux milliards qu'il aurait fallu consacrer à la baisse des charges, mais bien 15 à 20 milliards pour que la mesure soit vraiment porteuse d'espoir chez les chefs d'entreprise comme chez les salariés. Cette démarche est donc insuffisante, mais peut-être pouvons-nous la considérer comme le début d'un changement dans vos mentalités. Mme Martine Aubry n'est-elle pas en train de nous concocter un projet allant dans ce sens ? Mais comme elle pourrait en profiter pour taxer les employeurs usant de CDD, peut-être vaudrait-il mieux ne rien faire.

M. Christian Cuvilliez.

C'est un aveu !

M. Jean-Jacques Jégou.

Quelques autres dépenses nous paraissent peu contestables, mais vous devez sûrement penser en votre for intérieur : « Dieu merci ! la


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

croissance était au rendez-vous. » Les 5,7 milliards, finan-

cés à crédit, de l'allocation de rentrée scolaire ou les compensations aux collectivités locales de la réduction des droits de mutation, les 360 millions de francs - qui n'en font pas 400 comme annoncé - pour le plan d'urgence, qui correspondent en fait aux agios de l'emprunt que vont contracter les régions, nous semblent être une bonne chose, d'autant plus que l'allocation de rentrée scolaire engagée par vos prédécesseurs est reconduite.

M. Christian Cuvilliez.

Le gouvernement précédent l'avait réduite !

M. Jean-Jacques Jégou.

Toutes les autres dépenses, à quelques rares exceptions près, nous paraissent superflues.

Je ne reviendrai pas sur la Société marseillaise de crédits, qui a fait l'objet d'échanges suffisants. Les contribuables vont donc, un peu plus de quinze ans après une nationalisation désastreuse, payer le prix fort. Aujourd'hui, nous bradons cet établissement à 10 millions de francs. On pourrait en rire si ce n'était pas aussi triste.

Comme le dit très justement notre rapporteur, que je me fais un plaisir de citer : « le dossier de la SMC illustre de nouveau les insuffisances insupportables du contrôle tant des entreprises publiques que des activités bancaires dans notre pays ». En fait, c'est tout le contrôle de la dépense publique qui est nettement insuffisant.

Il s'agit, dans ce collectif, d'apporter la garantie de l'Etat à hauteur de 435 millions. L'avantage est que cette très mauvaise affaire va enfin trouver une conclusion, et c'est votre mérite.

M. Jean-Louis Idiart.

Vous n'avez pas osé le faire !

M. Jean-Jacques Jégou.

L'inconvénient est que l'article du projet de loi est fort imprécis quant à la portée et au champ de cette garantie. Mais je pense que vous allez nous éclairer.

En conclusion, je ne peux qu'émettre un voeu, celui que le Gouvernement revienne le plus rapidement possible - l'Europe, certainement, le rappellera - à la réalité : celle du déficit de l'Etat qu'il est temps de réduire, celle aussi du manque d'énergie de notre pays du fait de prélèvements beaucoup trop importants pour décider les employeurs à embaucher.

En attendant que ce voeu se réalise en cette fin d'année, le groupe UDF se prononcera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Yves Cochet.

M. Yves Cochet.

Monsieur le président, je serai bref, comme vous le souhaitez, d'autant que je me retrouve partiellement dans les propos de M. Cuvilliez. D'abord un commentaire. Que l'augmentation traditionnelle de la quote-part de la France au FMI se trouve inscrite dans un collectif budgétaire est assez inhabituel.

D'ordinaire, cette procédure fait l'objet d'un projet de loi à part entière dont le rapporteur est généralement le président de la commission des finances lui-même. Notre rapporteur général a d'ailleurs cru bon, et je l'en félicite, de consacrer près de quarante pages de son rapport pour compenser cette absence de débat.

Le FMI mérite, à notre avis, un vrai débat de fond une fois par an sur la base d'un rapport du Parlement. Le fait qu'il ne fasse l'objet que d'un simple article dans un collectif budgétaire limite forcément le temps et l'ampleur de la discussion. Notre pays ne peut pas continuer à contribuer à hauteur de 27 milliards de francs sans que nous en débattions entre nous.

Je voudrais maintenant poser quelques questions.

Quels sont les rapports entre le FMI, la spéculation et l'économie réelle ? J'ai entendu tout à l'heure M. Auberger citer la démocratie américaine en exemple. Il se trouve que, par un h asard du calendrier, j'étais la semaine dernière à New York pour visiter l'ONU et participer à son assemblée générale. J'ai pris également quelques contacts avec des gens dont il est patent que ce sont de bons économistes - en tout cas, ils se considèrent comme tels : le directeur général de Soros Fond Management, le senior vice-président de la FED, un gestionnaire du CREF, qui est un fonds de pension pour le personnel universitaire américain qui brasse tout de même quelque 250 milliards de dollars, et M. Nitim Desaï, secrétaire général adjoint aux affaires économiques et sociales pour l'ONU.

Qu'est-ce que je retire de ces contacts, comme d'ailleurs de l'article que j'ai lu hier encore à ce propos dans Libération ? Qu'il y a vraiment un total découplage entre la sphère financière et l'économie réelle. L'inflation spéculative n'a plus rien à voir avec les bases fondamentales de l'économie et elle n'a évidemment contribué en rien à la croissance de l'économie réelle. Il faut le dire et le répéter, les investisseurs ne sont pas rationnels, monsieur Auberger. Les marchés ne reflètent pas en permanence l'état de l'économie réelle, comme voudrait nous le faire croire cette théorie néolibérale qui n'est, en fait, qu'une immense fable idéologique, laquelle montre d'ailleurs sa faillite aussi bien au sens propre - on voit le yo-yo des bourses - qu'au sens figuré.

Que pourrait proposer la France pour réformer en profondeur les statuts et le fonctionnement du FMI ? Je suggère trois directions.

La première, qui est peut-être la plus radicale, consisterait en une réforme de l'éligibilité au FMI qui soit corrélée à l'application de la taxe Tobin. Pour adhérer, en tant que bénéficiaire on en tant que donateur au FMI, chaque

Etat devrait avoir mis en oeuvre la taxe Tobin.

M. Philippe Auberger.

Voilà une bonne idée !

M. Yves Cochet.

Le FMI doit, en effet, cesser de collaborer avec ce que M. Jacques Attali, qui fut banquier un temps, appelle « l'économie de la panique ».

M. Philippe Auberger.

Un instant de déraison !

M. Yves Cochet.

Il dirigeait tout de même une banque européenne, monsieur Auberger, tournée vers l'Est.

M. Philippe Auberger.

Il a manqué la conduire à la faillite !

M. Yves Cochet.

Les Etats-Unis se sont, en fait, servi du FMI pour forcer les pays asiatiques, en particulier la Corée du Sud, à ouvrir leurs frontières au moyen de ce que l'on appelle l'ajustement structurel. On a vu ce que cela a donné ! Monsieur Auberger, vous parliez de la démocratie américaine, je ne citerai que deux chiffres : les Etats-Unis comptent tout de même 50 millions d'illettrés, soit 20 % de la population.

M. Jean-Louis Idiart.

Eh oui !

M. Yves Cochet.

Et 90 millions d'Américains n'atteignent pas la fin du niveau des études primaires.

Qualifier les Etats-Unis de pays riche, en pleine expansion, où tout va bien, me paraît excessif.


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M. Christian Cuvilliez.

C'est le pays du fax service !

M. Yves Cochet.

Il faut considérer non seulement l'économie réelle du pays mais également la façon dont les habitants y vivent.

M. Jean-Louis Idiart.

C'est cela la droite américaine !

M. Yves Cochet.

Il faut introduire une conditionnalité à l'éligibilité au FMI pour mettre fin à la folie des marchés boursiers, il faut opérer une régulation par la taxe Tobin.

Monsieur le rapporteur général, vous évoquez pudiquement « l'aléa moral du FMI ».

M. le secrétaire d'Etat au budget.

C'est en effet un terme très pudique.

M. Yves Cochet.

Vous parlez en fait des défaillances du FMI en matière de prévention, de transparence et d'expertise.

Vous proposez, à juste titre, pour les corriger un renforcement de la présence du politique par la création d'un organe collégial de décision, une plus grande fréquence des réunions, une gestion préventive des crises et une amélioration des règles prudentielles nationales. Nous vous soutenons entièrement sur ces points.

Selon les gens du PNUD, que j'ai rencontrés, il faut proposer une nouvelle forme d'action du FMI. Au-delà, et même en dehors de l'ajustement structurel à l'échelon des Etats qui a montré sa faillite, du moins ses faiblesses, il faut encourager ce que l'on peut appeler le microcrédit.

M. Attali, d'ailleurs, fait du micro-crédit en Afrique.

Grand bien lui fasse ! A la place d'une aide qui déstabilise les pays du Sud, le micro-crédit apporte une aide au développement local pour aller vers l'autonomie et vers l'économie réelle.

J'en reviens plus précisément au collectif budgétaire.

Plus de 50 % des économies budgétaires réalisées en 1998 portent sur le budget de l'emploi et de la solidarité : 7,5 milliards de francs sur 13,9 milliards de francs.

On pourrait appeler cela le paradoxe de l'emploi des recettes - et non des recettes de l'emploi -, réalisé dans un secteur de l'économie réelle, car ce sont des chômeurs qui sont concernés.

Le fait que le budget de Mme Aubry diminue de 5,56 % par rapport à sa dotation initiale, s'il répond au souci légitime de la part du Gouvernement de réaliser des économies budgétaires, n'en est pas moins critiquable sur un budget aussi sensible.

Première question : d'où viennent ces économies de 7,5 milliards de francs, dont 5,62 millards sont redéployés ? Essentiellement sur le fonds national pour l'emploi, sur les contrats emplois-solidarité, qui enregistrent un volume d'entrée inférieur aux prévisions - 350 000 au lieu de 500 000 attendus pour 1998 -, sur les contrats initiativeemploi, qui enregistrent un taux de sortie anticipée supérieur aux prévisions, enfin sur les mesures d'âge, qui dégagent une marge de plus de 2,5 milliards.

A cet égard, nous ne cessons de proposer la suppression, en tout cas la diminution, à terme, des CES, qui ont montré malheureusement leur inefficacité, pour en revenir, dans les collectivités territoriales et les établissem ents publics, aux fonctionnaires titulaires et aux contractuels standards, et pour créer - ce qui a été peutêtre partiellement initialisé par les emplois-jeunes, c'est-àdire la loi Aubry - un tiers secteur d'utilité sociale et écologique. Ce secteur, que nous appelons de nos voeux, serait subventionné par l'Etat à hauteur du RMI, il serait dispensé de cotisations sociales employeurs - soit une baisse très importante de charges - et serait réservé aux organisations à but non lucratif. Dans l'idéal, les personnes en CES devraient être transférées vers des postes de contractuels ou vers ce statut de tiers secteur qui reste à créer.

Deuxième question : comment les 5,62 milliards sontils redéployés ? Par l'intermédiaire de la dotation du budget des charges communes destinée à la politique de l'emploi, c'est-à-dire par des allégements de charges sociales pour les entreprises, que l'Etat compense à hauteur de 5,62 milliards. Mais, monsieur le secrétaire d'Etat, je m'interroge : combien de créations d'emplois correspondront à ces allégements ? C'est votre ministère qui contrôle ce chapitre réservoir et non pas celui de Mme Aubry. Quelle est donc exactement la création d'emplois qui sera engendrée par ces allégements de charges ? Dernier point : ces exonérations de charges ont été fortement augmentées en 1993 par M. Balladur, jusqu'à atteindre à peu près 50 milliards de francs par an.

D'après les experts du CSERC, en 1996, ces 50 milliards ont permis entre 40 000 et 200 000 créations d'emplois.

Admettez que la fourchette est tout à fait imprécise.

Peut-être pourrez-vous nous informer tout à l'heure.

Ces emplois devraient être réels et nous proposons d'utiliser ces exonérations de charges non pour créer des emplois, incertains, mais pour augmenter les minima sociaux. Une telle mesure relancerait à la fois la création d'emplois et la consommation des ménages, qui pourrait augmenter immédiatement de 1 %. Du coup, les entreprises - c'est un cercle vertueux - auraient immédiatement besoin de 170 000 embauches supplémentaires pour satisfaire la demande ainsi rendue solvable. Ces emplois seraient de réels emplois et non pas des emplois virtuels créés par les abaissements de charges.

M. Jean-Jacques Jégou.

Ce sont des abaissements de charges virtuels !

M. Yves Cochet.

L'augmentation significative des minima sociaux destinés aux chômeurs et aux précaires soutiendrait fortement la demande interne. L'efficacité économique et la justice sociale iraient enfin de pair.

Si le déficit est réduit, ce qui est bien, si le budget 1998 a été bien exécuté car la croissance fut bonne, nous regrettons que les marges de manoeuvre ainsi dégagées n'aient pas permis d'accroître l'effort consenti en faveur des minima sociaux. Ce n'est pas un point de vue idéologique, c'est une question de philosophie sociale.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

C'est très différent.

(Sourires.)

M. Yves Cochet.

Nous souhaitons aller vers un revenu social universel plutôt que d'insertion. En fait, l'insertion ne concerne que 15 à 20 % peut-être des bénéficiaires du RMI. Nous souhaitons étendre ce futur revenu social universel aux dix-huit vingt-cinq ans, nous souhaitons la gratuité des transports publics pour les personnes en situation de précarité, la simplification des démarches, l'attribution de l'allocation logement, etc. Tout cela va bien au-delà du salariat.

Pour terminer, j'évoquerai deux points qui touchent un dysfonctionnement de l'Etat.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

D'une part, le surendettement, qui a été longuement traité dans la loi contre l'exclusion. Le nombre de dossiers de surendettement ne cesse d'augmenter, mais les moyens humains consacrés sont largement insuffisants, d'où un délai de traitement des dossiers bien trop long.

D'autre part, les demandes de naturalisation. M. le député-maire de Nantes, président du groupe socialiste,...

M. Jean-Jacques Jégou.

Il n'est pas là !

M. Yves Cochet.

... sait très bien que, du côté de Rezé, parce que les moyens humains ne sont pas suffisants, le délai de traitement des dossiers est tout à fait défavorable.

Les services sont submergés.

En conclusion, les députés Verts, avec les remarques que je viens de formuler, voteront ce collectif budgétaire pour 1998.

M. Christian Cuvilliez.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Gérard Bapt, dernier orateur inscrit.

M. Gérard Bapt.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le collectif budgétaire de fin d'année permet le financement de dépenses qui n'étaient pas contenues dans la loi de finances initiale, ainsi que des ajustements et des redéploiements de crédits.

Cette année, les dépenses nouvelles atteignent 30,8 milliards de francs. Elles sont financées pour moitié par des annulations-redéploiements et pour moitié par une diminution de la charge de la dette et par le surplus de recettes, qui reflète l'amélioration de l'activité économique.

La loi de finances initiale avait été construite avec une hypothèse de croissance, en volume, de 3 %. Le résultat final sera de l'ordre de 3,1 %, les recettes de l'Etat augmentant donc de 13,9 milliards de francs par rapport à la loi de finances initiale.

Sur ces crédits, je limiterai mon intervention aux mesures concernant le budget de l'emploi et de la solidarité et dirai un mot du problème des rapatriés.

Concernant l'emploi et la solidarité, les dépenses nouvelles sont consacrées au RMI pour 900 millions de francs, mais elles concernent aussi des engagements sociaux importants, notamment la majoration de l'allocation de rentrée scolaire pour 5,7 milliards de francs, la revalorisation des allocations de chômage et de solidarité, souhaitée par M. Cochet, pour 960 millions de francs, ce qui correspond à l'engagement d'indexation des minima sociaux qu'avait pris M. le Premier ministre.

M. Christian Cuvilliez.

Ce n'est pas assez !

M. Gérard Bapt.

Je voudrais aussi insister sur les dépenses nouvelles inscrites au titre de la ristourne dégressive qui viennent de donner lieu à un débat contradictoire entre M. Cochet et M. Jégou. Ces dépenses nouvelles s'élèvent à 5,620 milliards de francs. La loi de finances initiale pour 1998 avait prévu 38,77 milliards de francs au titre de la ristourne. Les besoins sont, en réalité, de 41,5 milliards de francs, soit 2,7 milliards de francs supplémentaires.

Par ailleurs, il s'avère que cette somme permet d'apurer pour 3 milliards de francs des arriérés auprès de l'ACOSS datant de la gestion du gouvernement précédent de M. Juppé. Le gouvernement précédent allégeait des charges, mais n'en prévoyait pas la budgétisation.

Il faut souligner, sur une question à propos de laquelle l'opposition reproche sans arrêt au Gouvernement de ne pas faire assez, comme vient de le faire M. Jégou, l'allégement des charges sociales patronales pesant sur les bas salaires, que ce collectif ajuste les dépenses aux besoins de l'exercice 1998 et prend, en même temps, celles que le gouvernement Juppé n'avait pas financées.

A propos de l'allégement des charges sociales patronales, une réforme de leur assiette est nécessaire pour aller dans un sens plus favorable à l'emploi et pour corriger l'effet pervers de « trappe à bas salaires » que représente l'effet de seuil se manifestant à 1,3 fois le SMIC. Toutes les pistes de réforme doivent être explorées, y compris celle d'un transfert de tout ou partie de ces cotisations sur une assiette constituée par la valeur ajoutée par l'entreprise.

M. Yves Cochet.

Très bien !

M. Gérard Bapt.

La piste « valeur ajoutée » semblait, ces dernières semaines, devoir être abandonnée au profit d'une modulation des taux. Mais celle-ci peut aussi présenter des effets pervers, alors que le rapport Malinvaud lui-même n'exclut pas totalement la piste « valeur ajoutée », qui doit donc rester une hypothèse de travail solide.

Dans le budget de l'emploi, 7,720 milliards de francs concernent des annulations de crédits au titre du CIE et du chapitre préretraites.

Concernant le CIE, la baisse de consommation des crédits est due à son recentrage vers les publics les plus en difficulté.

Le chapitre préretraites - notamment les allocations spéciales du FNE et les préretraites progressives - permet des annulations de crédits en rapport à la fois avec l'amélioration de la situation économique et avec la volonté du Gouvernement de mieux gérer la gestion des effectifs lorsqu'elle est financée sur fonds publics. Ainsi est confirmé le fait qu'a été bien étonnante et artificielle la polémique sur la diminution des crédits inscrits aux mêmes chapitres de la loi de finances initiale pour 1999.

Au total, je le fais remarquer à M. Cochet, la balance du collectif pour le budget emploi-solidarité est positive.

En effet, les mesures nouvelles l'emportent de 500 millions de francs sur les annulations. C'est la traduction budgétaire du respect des priorités affichées par le Gouvernement que sont l'emploi et la solidarité.

Un mot, enfin, concernant la dépense nouvelle de 100 millions de francs inscrite au chapitre « rapatriés ».

Elle s'ajoute aux 135 millions de francs déjà inscrits sur l'article 46-03 de la loi de finances initiale au titre des prestations en faveur des rapatriés. Ces crédits feront l'objet de reports, puisque la liquidation des derniers dossiers en instance ne se fera pas en 1998, ne serait-ce que parce que la Commission nationale qui doit prendre le relais des commissions départementales, les Codair, n'est pas encore créée. Les crédits pourront donc être réexaminés au vu de leur consommation au cours du prochain exercice.

Aujourd'hui, il faut retenir la signification politique de cet abondement, qui avait d'ailleurs été réclamé dans son rapport par le rapporteur spécial de la commission des finances, qui n'est autre que l'orateur qui a défendu tout à l'heure l'exception d'irrecevabilité. A ce propos, j'ai trouvé étonnant que le rapporteur du budget des rapatriés, qui appartient à l'opposition, réclame le renvoi de ce budget, alors même que ce collectif contient les mesures réclamées par ce même rapporteur au profit des rapatriés.

Il s'agit de donner une traduction budgétaire à l'engagement pris le 9 novembre, dans cet hémicycle, par Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité, de solder


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

définitivement les derniers dossiers de désendettement des quelque 300 dossiers en instance de rapatriés réinstallés dans une profession non salariée. Des amendements seront présentés ce soir dans le même esprit que celui qui anime le Gouvernement aujourd'hui pour améliorer la législation.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Très bien !

M. Gérard Bapt.

Je ne doute pas qu'ils recevront un accueil favorable du Gouvernement.

C'est d'ailleurs dans le même esprit constructif que le groupe socialiste soutiendra ce collectif budgétaire pour 1998. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La discussion générale est close.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Monsieur le président, je répondrai rapidement et précisément aux intervenants de cette discussion générale.

M. Gantier, répétant « déficit, déficit », me rappelait ce personnage d'une comédie de Molière qui disait « la saignée, la saignée » ! (Sourires.)

M. Jean-Jacques Jégou.

Ou celui qui réclamait : « Ma cassette, ma cassette » ! (Sourires.)

M. Philippe Auberger.

Les socialistes sont devenus des

« Trissotin » !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

La médecine est de nos jours moins primitive et la proposition du Gouvernement, qui recherche un équilibre entre la croissance, la baisse des impôts et la réduction du déficit, me semble plus adaptée à la France d'aujourd'hui.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Très bien !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

J'ajouterai qu'en matière de crédits militaires, le raport de M. Lamy est parfaitement rassurant. En 1998, les investissements militaires ne connaîtront aucune difficulté.

M. Idiart a employé des termes excellents. Il a parlé d'un « texte concret, simple, attendu par nos concitoyens ». Je n'ai rien à rajouter à ces qualificatifs.

M. Jean-Jacques Jégou.

C'est caricatural !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Il a posé trois questions.

La première concerne l'affectation de la redevance TV.

Nous en reparlerons d'une façon positive dans le débat.

Il a évoqué aussi le fait que la commission des finances n'avait peut-être pas été informée assez rapidement à propos de la Société marseillaise de crédit. Je reconnais que nous aurions pu être plus prompts.

Enfin, en matière d'évolution de la fiscalité, il a souligné l'importance de l'effort du Gouvernement pour réduire les formulaires remplis tant par les entreprises que par les particuliers. Il a indiqué qu'il fallait, en matière de gestion des personnels du ministère des finances, tenir davantage compte du point de vue des citoyens et, je l'ai bien compris, des élus. Dans le programme de modernisation du ministère que Dominique Strauss-Khan et les secrétaires d'Etat, dont moi-même, avons décidé la mise en oeuvre, priorité est donnée à l'usager.

M. Auberger s'est exprimé sur la croissance. Dominique Strauss-Kahn a reconnu que la pente actuelle de la courbe de croissance n'est pas de 2,7 %. Mais, monsieur Auberger, vous savez, compte tenu de votre grande expérience, que l'économie ne progresse pas de façon rectiligne. Un sursaut est possible, il est même probable, tant en ce qui concerne la consommation, qui fonctionne bien, qu'en ce qui concerne l'investissement productif, qui devrait redémarrer. Et je maintiens qu'il est possible d'atteindre la cible de 2,7 %, non pas pour tel ou tel trimestre, mais pour l'ensemble de l'année 1999.

M. Philippe Auberger.

La question n'est pas de savoir si c'est possible, elle est de savoir si c'est probable !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Vous avez souligné le blocage du Congrès américain par une majorité républicaine - et vous ne la reniez probablement pas -, isolationniste à l'égard du Fonds monétaire international. La France - c'est-à-dire le Président de la République, le Gouvernement et, je pense, la grande majorité de l'Assemblée nationale - souhaite continuer à stabiliser le système financier international. Pour ce faire, il faut que la France tienne toute sa place au FMI. Je vous rappelle que les droits de vote sont proportionnels aux quotas des différents pays.

M. Cuvilliez a attiré l'attention sur des pratiques budgétaires dont je me permets de rappeler avec courtoisie qu'elles étaient davantage celles du gouvernement précédent que du gouvernement actuel.

M. Christian Cuvilliez.

Je n'en doute pas !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

En 1998, il n'y a pas eu de régulation, ce qui était une innovation, mais deux décrets d'avance, l'un de 1 milliard de francs, au mois de janvier, en faveur des chômeurs en détresse, et l'autre de 5 milliards de francs, au mois d'août ; comme tout décret d'avance, ils ont été gagés. Un plus cinq égale six, reste quatorze. Les 14 milliards de francs d'économies ne sont pas des économies brutales faites par telle ou telle administration, mais des économies de constatation, y compris dans le domaine de l'emploi ; c'est à partir de ces économies de constatation que les fonds correspondants ont été redéployés.

Ainsi, en ce qui concerne l'emploi, dont M. Cochet a parlé, il y a eu des économies de constatation sur certains dispositifs,...

M. Yves Cochet.

Sur le RMI, par exemple.

M. le secrétaire d'Etat au budget.

... qui ont permis de rattraper des retards de versements dus par l'Etat à la sécurité sociale ; il n'y a donc pas en la matière de pratiques surprenantes.

J'ai relevé au passage que vous aviez salué la baisse des taux d'intérêt qui a été opérée aujourd'hui par les banques centrales, en toute indépendance, chacun le sait.

Je crois que c'est une contribution positive à la croissance européenne et à la croissance française en particulier.

Le point sur lequel vous avez le plus insisté, monsieur Cuvilliez, c'est le débat sur l'avenir du système financier français, privé et public. Il s'agit d'une promesse que le Gouvernement a faite à l'Assemblée nationale à la demande de votre groupe. Cette promesse sera tenue, c'est-à-dire que le débat sur l'avenir du système financier aura lieu avant l'examen du texte sur la sécurité financière, sécurité financière dont on a beaucoup parlé.

M. Auberger a fait un rapport remarquable sur ce sujet en 1996,...

M. Gérard Bapt.

Bravo !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

... mais il ne lui a été donné aucune suite. C'est nous qui donnons suite à ces travaux.

M. Philippe Auberger.

J'avais déposé une proposition de loi ! Je pourrais demander des droits d'auteur !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

M. le secrétaire d'Etat au budget.

Je vous promets donc que ce débat aura lieu, monsieur Cuvilliez. Le texte doit être adopté en conseil des ministres avant d'être soumis à l'Assemblée nationale.

M. Jégou a dit que le Gouvernement considérait le Parlement comme un incapable majeur. Son expression est d'habitude modérée et je crois que, cette fois, il est allé un peu loin. Je lui confirme que nous ne pouvions pas deviner au mois de janvier que 14 milliards de francs d'économies seraient constatées, il a suffisamment d'expérience pour le savoir. De même, les recettes supplémentaires ne sont pas dues à la croissance mais, comme l'a souligné M. Auberger, au fait que la consommation des ménages a été plus dynamique que prévu. C'est maintenant que ces éléments positifs sont constatés et maintenant que le Parlement assure l'affectation des crédits correspondants.

Monsieur Jégou, vous n'aimez pas les fonctionnaires,...

M. Jean-Jacques Jégou.

Non ! C'est un peu facile, monsieur le secrétaire d'Etat !

M. le secrétaire d'Etat au budget.

... c'est votre droit.

Vous n'aimez pas les entreprises publiques, c'est également votre droit.

Je vous répondrai courtoisement que la Société marseillaise de crédit est l'exception dans un secteur public dont le récent rapport de M. Dominique Baert sur les comptes spéciaux du Trésor montre qu'il paie des dividendes et que sa situation financière est convenable.

Quant aux nationalisations de 1981 - mais ce point exigerait un trop long débat -, de nombreuses entreprises ont été sauvées alors, notamment dans la sidérurgie, et la plupart ont été revendues ensuite beaucoup plus cher qu'elles n'avaient été achetées ; regardez les chiffres pour Paribas et Suez, par exemple.

M. Cochet a, selon son habitude, ouvert de vastes débats, qui n'ont peut-être pas leur place dans la discussion d'un collectif budgétaire, mais chacune de ses contributions est un apport à la réflexion du Gouvernement, et je ne doute pas que nous aurons l'occasion de débattre à nouveau prochainement de ces sujets.

M. Bapt a versé au débat des réflexions intéressantes sur les cotisations patronales, dont le Gouvernement tirera tous les fruits.

Telles sont les réponses que je voulais faire aux parlementaires qui se sont exprimés dans la discussion générale.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La suite de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 1998 est renvoyée à la prochaine séance.

3

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR PRIORITAIRE

M. le président.

Il résulte d'une lettre de M. le ministre des relations avec le Parlement, en date du 3 décembre, que l'ordre du jour prioritaire des mardi 8, mardi 15, jeudi 17 et vendredi 18 décembre est ainsi modifié : Mardi 8 décembre, à dix-sept heures et vingt et une heures : Suite de la proposition de loi relative au pacte civil de solidarité.

J'indique à mes collègues de la majorité qu'ils n'ont pas à s'inquiéter : je ne présiderai aucune de ces deux séances...

Mardi 15 décembre, à quinze heures, après les questions au Gouvernement, et vingt et une heures : Lecture définitive du projet sur les conseils régionaux ; Projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes.

Jeudi 17 décembre, à quinze heures et vingt et une heures : Projet sur le Conseil national des communes « Compagnons de la Libération » ; Trois conventions internationales ; Commission d'enquête sur le « Département protection sécurité ».

Vendredi 18 décembre, à quinze heures : Lecture définitive du budget pour 1999.

L'ordre du jour des mercredi 9, jeudi 10 et mercredi 16 décembre reste inchangé.

4 DÉCLARATIONS DE L'URGENCE DE PROJETS DE LOI ET D'UN PROJET DE LOI ORGANIQUE

M. le président.

J'ai reçu de M. le Premier ministre des lettres m'informant que le Gouvernement déclare l'urgence : du projet de loi d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire et portant modification de la loi no 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire (no 1071) ; du projet de loi relatif à l'organisation urbaine et à l a simplification de la coopération intercommunale (no 1155) ; du projet de loi organique et du projet de loi relatifs à la Nouvelle-Calédonie (nos 1229 et 1228).

Acte est donné de ces communications.

5 DÉSIGNATION DE CANDIDATS À UN ORGANISME EXTRAPARLEMENTAIRE

M. le président.

J'ai reçu de M. le Premier ministre u ne demande de renouvellement du mandat des deux membres de l'Assemblée nationale au sein de la commission centrale de classement des débits de tabac.

Conformément aux décisions antérieures, le soin de présenter les candidats a été confié à la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Les candidatures devront être remises à la présidence avant le 18 décembre 1998, à dix-sept heures.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1998

6

ORDRE DU JOUR DE LA PROCHAINE SÉANCE

M. le président.

Ce soir, à vingt et une heures quarante-cinq, deuxième séance publique : Discussion, en lecture définitive, du projet de loi (no 1245) de financement de la sécurité sociale pour 1999 ; Suite de la discussion du projet de loi de finances rectificative pour 1998 (no 1210) : M. Didier Migaud, rapporteur général au nom de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan (rapport no 1224) ; M. François Lamy, rapporteur pour avis au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées (avis no 1230).

La séance est levée.

(La séance est levée à vingt heures cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR PRIORITAIRE Il résulte d'une lettre de M. le ministre des relations avec le Parlement, communiquée à l'Assemblée au cours de la première séance du jeudi 3 décembre 1998, que l'ordre du jour des séances des mardi 8, mardi 15, jeudi 17 et vendredi 18 décembre est ainsi modifié : Mardi 8 décembre 1998 : Le matin, à dix heures trente : Questions orales sans débat.

L'après-midi, à dix-sept heures, et le soir, à vingt et une heures : Suite de la discussion des propositions de loi relatives au pacte civil de solidarité (nos 1118-1119-1120-1121-1122-1138-1143).

Le mardi 8 décembre 1998, à quinze heures, M. Kofi Annan, secrétaire général de l'O.N.U., sera reçu dans l'hémi cycle.

Mardi 15 décembre 1998 : Le matin, à dix heures trente : Questions orales sans débat.

L'après-midi, à quinze heures, après les questions au Gouvernement, et le soir, à vingt et une heures : Discussion, en lecture définitive, du projet de loi relatif au mode d'élection des conseillers régionaux et des conseillers à l'assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux ; Discussion du projet de loi constitutionnelle relatif à l'égalité entre les femmes et les hommes (nos 985-1240).

Jeudi 17 décembre 1998 : L'après-midi, à quinze heures, et le soir, à vingt et une heures : Discussion du projet de loi créant le Conseil national des communes « Compagnon de la Libération » (no 11) ; Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, autorisant la ratification de la convention européenne sur la reconnaissance de la personnalité juridique des organisations internationales non gouvernementales (nos 320-1222) ; Discussion des projets de loi : autorisant l'approbation de la charte sociale européenne (révisée) (nos 678-1223) ; autorisant l'approbation du protocole additionnel à la charte sociale européenne prévoyant un système de réclamations collectives (nos 676-1223) ; Discussion de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les agissements, l'organisation, le fonctionnement, les objectifs du groupement de fait dit

« Département protection sécurité » et les soutiens dont il bénéficierait (nos 770-879-902).

Vendredi 18 décembre 1998 : L'après-midi, à quinze heures : Discussion, en lecture définitive, du projet de loi de finances pour 1999.