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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 28 JANVIER 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. PATRICK OLLIER

1. Plans de prévoyance retraite. - Discussion d'une proposition de loi (p. 539).

M. Jacques Barrot, rapporteur de la commission des finances.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 541)

MM. Philippe Douste-Blazy, Jérôme Cahuzac, Bernard Accoyer, François d'Aubert, Georges Sarre, Pascal Terrasse, Gilbert Gantier, Guy Hascoët, Christian Cuvilliez, Henri Plagnol.

Clôture de la discussion générale.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

VOTE SUR LE PASSAGE À LA DISCUSSION DES ARTICLES (p. 560)

L'Assemblée, consultée, décide de ne pas passer à la discussion des articles ; la proposition de loi n'est pas adoptée.

2. Assurance veuvage. - Discussion d'une proposition de loi (p. 560).

M. François Rochebloine, rapporteur de la commission des affaires culturelles.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 562)

M.

Jean-Luc Préel, Mme Muguette Jacquaint,

M.

Bernard Perrut, Mme Marie-Françoise Clergeau,

MM. Bernard Accoyer, Gérard Terrier.

Clôture de la discussion générale.

MM. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale ; le rapporteur.

VOTE SUR LE PASSAGE À LA DISCUSSION DES ARTICLES (p. 571)

L'Assemblée décide de ne pas passer à la discussion des articles ; la proposition de loi n'est pas adoptée.

3. Ordre du jour des prochaines séances (p. 571).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 28 JANVIER 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. PATRICK OLLIER,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1 PLANS DE PRE

VOYANCE RETRAITE Discussion d'une proposition de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Philippe Douste-Blazy créant les plans de prévoyance retraite (nos 1301, 1333).

La parole est à M. Jacques Barrot, rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

M. Jacques Barrot, rapporteur de la commission des finances, de l'économie générale et du Plan.

Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, la commission des finances m'ayant désigné comme rapporteur de cette proposition de loi, je vais donc essayer, brièvement, d'expliquer en quoi, à mon sens, ce texte offre au Parlement et au Gouvernement une opportunité que nous aurions tort de laisser passer. En effet, tout converge vers la nécessité de légiférer désormais dans les délais les plus rapides possible.

D'abord, après de longues années de débat, la nécessité d'une prévoyance retraite est très largement admise.

Ensuite, la proposition de M. Douste-Blazy permet - j'espère en apporter ici la démonstration - d'arrêter des modalités de mise en oeuvre proposées dans ce texte qui sont susceptibles de recueillir un large accord. Enfin, pourquoi faudrait-il retarder la mise en place de ce dispositif, au risque de retarder pour les salariés français le bénéfice d'une telle réforme ? Premier point : la nécessité d'un régime de prévoyance retraite à la française est désormais largement admise.

L'adaptation de nos régimes de répartition pour assurer leur pérennité entraînera, quelles qu'en soient les modalités, une baisse du taux de remplacement, c'est-à-dire le montant de la retraite rapportée au dernier salaire d'activité, qui constitue l'élément décisif pour les intéressés

Le taux, qui est actuellement de 70 %, pourrait passer à 60 % en 2015 et à 50 % en 2040, sans éviter pour autant une hausse des cotisations. Je n'insisterai pas sur ce point, la presse publie encore ce matin des éléments en provenance du commissariat général du Plan et de son commissaire général, Jean-Michel Charpin. Il faudra bien, de toute façon, atténuer le choc de cette diminution du taux de remplacement, et c'est pourquoi l'idée d'un complément de retraite a fait largement son chemin.

La prévoyance retraite telle qu'elle est prévue par la proposition de loi est une manière d'alléger à l'avenir la charge des jeunes générations qui auront pour mission d'entretenir le dynamisme du pays. Et c'est surtout, selon les termes d'un parlementaire de la majorité, Jean-Claude Boulard, le moyen de prélever sur la croissance externe.

Je le cite : « Un pays développé et démographiquement vieillissant comme la France doit impérativement élargir l'assiette du financement de ses retraites. Telle est la raison du caractère incontournable des fonds de pension. En participant au financement de la croissance d'un pays comme la Chine, les fonds de pension prélèveront sur la production intérieure chinoise. Il est logique que, si l'épargne dégagée par les fonds de pension contribue au financement de la croissance d'un pays, il y ait un retour à travers les revenus du capital. »

M. Bernard Accoyer.

C'est excellent !

M. Jacques Barrot, rapporteur.

En effet, c'est excellent, et c'est pour cette raison, monsieur Accoyer, que je me suis permis de citer notre collègue car je crois que c'est un argument absolument déterminant.

J'ajoute que lors de la discussion de la loi de financement de la sécurité sociale, M. Cahuzac avait, lui aussi, dans son avis, apporté des arguments allant en ce sens.

Enfin, monsieur le ministre - mais vous connaissez parfaitement ce dossier depuis longtemps -, pourquoi priverions-nous 14 millions de salariés du privé d'un dispositif qui est d'ores et déjà ouvert aux personnels de l'éducation nationale à travers le CREF, à ceux de la fonction publique à travers la PREFON, aux chefs d'exploitation agricole dans le cadre du COREVA, aux élus locaux dans le cadre du FONPEL et du CAREL, aux professions i ndépendantes à travers le dispositif de la loi du 11 février 1994 qui fut présentée par Alain Madelin, sans parler des retraites mutualistes aux anciens combattants.

J'ajouterai - et c'est un point très important - que lorsque Claude Evin a présenté la loi du 31 décembre 1989 destinée à remettre un peu d'ordre dans le dispositif de la prévoyance, il a bien prévu le provisionnement de toutes les opérations de prévoyance. D'une certaine manière, il a en quelque sorte fait de la capitalisation la base de tous les régimes de prévoyance.

Dans ces conditions, je suis tenté de conclure qu'il y a vraiment un très large accord sur l'objectif visé par la création de fonds de pension - je n'aime pas beaucoup cette appellation pour avoir moi-même fait voter jadis par la commission des finances une proposition de loi dans laquelle nous avions pris soin de parler d'« épargne retraite » pour bien manifester notre volonté de construire un dispositif à la française et non de reproduire systématiquement un système pratiqué dans les pays anglosaxons.

Deuxième point : la proposition de loi Douste-Blazy propose des modalités susceptibles de recueillir un large accord.

Je ne reviendrai pas sur le fait que la nouvelle majorité ait cru bon de ne pas mettre en oeuvre la loi Thomas, sur les tergiversations dont l'abrogation de ce texte a fait l'objet, car je ne suis pas là pour faire de la polémique.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 28 JANVIER 1999

Toutefois, je tiens tout de même à rappeler que la proposition de loi présentée par M. Douste-Blazy reprend, dans une certaine mesure, l'architecture de la loi Thomas - je ne vois d'ailleurs pas comment on pourrait beaucoup s'en éloigner -, tout en l'amendant sur un certain nombre de points importants.

Il est proposé de s'orienter vers un système de retraite supplémentaire à cotisations définies par capitalisation, débouchant sur une rente viagère.

Le plan d'épargne retraite est créé dans le cadre de l'entreprise ou de la branche, par accord collectif.

Les fonds sont gérés par des structures dédiées.

Les fonds d'épargne retraite sont soumis à un agrément administratif et relèvent du code des assurances et du code de la mutualité.

Les plans de prévoyance retraite font l'objet d'une surveillance par un comité de surveillance et d'un contrôle par la commission de contrôle des assurances et par celle des mutuelles.

Enfin, la loi prévoit une règle de concentration maximale des engagements, pour répondre aux besoins de l'économie.

La proposition de loi de M. Douste-Blazy s'efforce de répondre à un certain nombre d'objections.

D'abord, le texte vise à rechercher une plus grande équité.

La proposition de loi prévoit des conditions d'adhésion telles qu'elles ouvrent l'accès à des conditions identiques à tous les salariés. Il y a des versements facultatifs et des versements obligatoires. Ces derniers sont identiques pour tous les salariés dans le respect d'un plafond national de 4 % et la contribution de l'employeur est identique à celle du salarié. Quant aux versements facultatifs, ils peuvent seulement être doublés par l'employeur.

Cela permet d'éviter l'écueil de la création de fonds d'épargne retraite privilégiant au sein de l'entreprise certaines catégories de salariés au détriment des autres.

Cette proposition permet, grâce à un amendement de votre rapporteur ayant reçu l'accord de l'auteur de la proposition de loi, de marquer fortement l'affirmation d'une complémentarité avec les régimes par répartition.

C ertes, on maintient l'exonération de cotisations sociales dans la limite du fameux plafond de la sécurité sociale de 85 %, mais on assujettit l'abondement de l'employeur aux cotisations d'assurance vieillesse, pour bien manifester qu'il y a une complémentarité et non une concurrence avec la répartition.

La proposition accorde une place accrue aux syndicatsr eprésentatifs dans le comité de surveillance, qui comporte des représentants des employeurs ayant souscrit, des bénéficiaires, mais aussi, pour un quart, des syndicats représentatifs.

Enfin, sur le plan des placements, tout en gardant l'esprit de la loi Thomas, la proposition de loi impose 60 % de placements en produits financiers de l'Union européenne. C'est une formule un peu plus souple qui permet d'orienter tous ces fonds vers des placements plus risqués mais aussi plus intéressants que ne peuvent l'être les actions, tout en laissant aux fonds dédiés une plus grande marge de manoeuvre pour qu'ils soient gérés dans la sécurité.

Troisième point : dans ces conditions, pourquoi faudrait-il retarder la mise en place du dispositif ? Nous savons que plus tôt on commencera, plus tôt les salariés pourront bénéficier de cette épargne retraite, de cette prévoyance retraite, et plus tôt nous aurons des capitaux propres à mettre à la disposition des entreprises, et ainsi plus nous aurons de chances de garder un certain nombre d'entreprises - tout au moins leur siège social dans notre pays.

Or on a l'impression qu'une course de lenteur s'est engagée dont on ne perçoit pas l'issue. Vous-même, monsieur le ministre, le 28 octobre dernier, vous nous avez précisé que le Gouvernement présenterait très rapidement en 1999 un texte spécifique. Puis, le Premier ministre a a ffirmé : « Nous aborderons cette question dans la deuxième partie de l'année 1999. » Enfin, sur LCI, le

secrétaire d'Etat au budget, M. Sautter, a déclaré : « Le Gouvernement réfléchit, et sa réflexion fera l'objet de décisions dans le budget de l'Etat pour 2000, discuté à l'automne 1999, et dans le budget de la sécurité sociale pour l'an 2000. »

N'y a-t-il pas là un problème majeur ? En effet, si le Gouvernement n'entend pas recourir à un texte spécifique et se contente d'inscrire diverses mesures dans la loi de finances ou dans la loi de financement de la sécurité sociale, n'est-ce pas courir le risque d'introduire des

« cavaliers » dans l'un ou l'autre de ces textes ? Deux possibilités doivent être envisagées : soit le Gouvernement présente un dispositif complet, mais alors il court le risque de déborder du champ de la loi de finances ou de la loi de financement de la sécurité sociale ; soit il présente un dispositif fragmentaire et peu lisible, à cheval sur deux textes, mais dont l'ambition et la portée risquent d'être fort limitées.

Enfin, si le Gouvernement optait pour un projet de loi spécifique, qui nous dit qu'il sera inscrit à l'ordre du jour de notre assemblée avant le début de l'année prochaine ? C'est peu probable. N'allons-nous pas de nouveau participer à une course de lenteur ? Franchement, ce serait beaucoup de temps perdu. Les salariés français risqueraient de perdre encore trois ans avant de bénéficier de la faculté d'améliorer leur retraite.

Je ne vois pas pourquoi cette proposition de loi ne serait pas l'occasion inespérée d'ouvrir le débat et de permettre à la France de s'engager sans tarder dans une voie qui, de toute façon, sera pour elle une nécessité et pour laquelle il n'existe pas vraiment d'alternative.

Les raisons avancées pour adopter une certaine attitude dilatoire tiennent d'autant moins que, je crois l'avoir démontré, cette proposition de loi s'efforce de présenter un dispositif équilibré, et, bien entendu, amendable, si le Parlement le souhaite.

Toutefois, je suis bien obligé de rappeler ici, devant son président, M. Bonrepaux, que la commission des finances, tout en ayant procédé à une discussion générale, a estimé qu'elle ne voulait pas se prononcer sur les amendements.

M. Dominique Baert.

A juste titre !

M. Jacques Barrot, rapporteur.

Par conséquent, c'est, à sa majorité, qu'elle a décidé de ne pas donner suite à un débat qui aurait porté sur les articles de la proposition de loi.

C'est donc dans ces conditions que nous abordons ce texte. Mais votre rapporteur, animé de toute sa conviction et qui se souvient avoir autrefois eu avec vous, monsieur le ministre de l'économie, des dialogues fructueux sur ce sujet, estime qu'il est dommage de ne pas profiter de l'occasion qui nous est offerte aujourd'hui d'ouvrir le débat afin d'aboutir.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 28 JANVIER 1999

M. le président.

Merci, monsieur le rapporteur, d'avoir respecté votre temps de parole.

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Philippe Douste-Blazy, pour quinze minutes.

M. Philippe Douste-Blazy.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, entre 1999 et 2010, la fraction de la population française âgée de plus de soixante ans passera de 18 à 27 % et, dans le même temps, le rapport entre cotisants et retraités passera de 2 à 1,3.

Si rien n'est décidé maintenant, le retraité de 2008 ne touchera plus que 55 % de son dernier salaire contre 64 % aujourd'hui. Pis encore : lorsque les jeunes diplômés des années 90 arriveront à l'âge de la retraite, ils ne percevront que 38 % de leur dernier salaire.

Répondre au déséquilibre démographique et au déficit financier par la hausse des cotisations et la diminution du montant des pensions n'est qu'une solution de pis-aller qui remet en cause un droit essentiel dans une démographie avancée, le droit à une retraite digne.

Les années 60 et surtout les années 70 ont complété l'édifice de l'assurance vieillesse né en 1945 en rendant obligatoire les régimes complémentaires. Par ailleurs, l'assurance vieillesse a été rendue plus universelle grâce à l'élargissement du droit au minimum vieillesse.

Les années 80, où le pouvoir d'achat des retraités s'est maintenu tant bien que mal, se traduisirent aussi hélas ! - par une absence de réformes. Pourtant, l'inform ation était connue : elle avait même été rendue publique à cette époque par les travaux de M. StraussKahn. Le tournant de l'an 2000, avec l'arrivée à la retraite des enfants du baby boom , allait déséquilibrer notre système de solidarité entre les générations, de partage du revenu national entre actifs et inactifs.

La question aujourd'hui est d'abord celle des choix politiques.

Acceptons-nous d'entrer dans le

XXIe siècle comme a fini le

XIXe siècle ? A ccepterons-nous de vivre aux côtés de retraités condamnés à survivre en dessous du seuil de pauvreté, comme le prédisent les projections pour 2020 ? Acceptons-nous aujourd'hui d'allumer la mèche d'un conflit entre les générations qui pourrait éclater dans vingt ans ? Acceptons-nous de léguer à nos successeurs de 2020 le soin de gérer une véritable régression sociale ? Il convient aujourd'hui de prendre en compte les difficultés du mode de financement de la branche vieillesse.

La question de l'avenir des retraites touche au plus profond du lien social, celui qui existe entre les générations, entre les actifs et les inactifs - et surtout les retraités.

Le financement du régime d'assurance vieillesse suivant le mode de répartition était adapté à la structure d'une économie financée par une inflation très forte et surtout disposant d'un nombre d'actifs quatre fois supérieur à celui des retraités.

L'assurance vieillesse a su, durant les années 50, trouver les mécanismes pour financer les retraites de tous et même de ceux qui n'avaient pas cotisé. Elle s'est appuyée sur une forte croissance liée à la reconstruction et sur une forte inflation. Or l'inflation n'existe plus. La répartition n'a plus ce recours pour répondre au déséquilibre démographique. Il convient donc de compléter les cotisations vieillesse grâce à la source de profits que constituent les marchés financiers dans une économie où les taux d'intérêt sont supérieurs au taux de croissance.

Les changements économiques et surtout démographiques que connaît la France depuis vingt-cinq ans et dont les effets continueront de se faire sentir à moyen teme, ont entamé les bénéfices escomptés du financement par la répartition. L'absence de garanties financières de l'actuel système a provoqué un intérêt chez les Français pour toutes les formes de placement d'épargne longue et d'épargne retraite.

L'approfondissement de la réflexion sur les systèmes de retraite des pays occidentaux a conduit à des propositions de nature législative. M. Jean-Pierre Thomas a su lancer le débat au Parlement et a réussi, par ses efforts de pédagogie, à faire adopter une proposition de loi visant à créer des fonds de pension en France. Ces fonds devaient constituer l'étage supplémentaire d'une branche vieillesse composée d'un régime général et d'un régime complémentaire.

L'absence de fonds de pension crée aujourd'hui une situation d'inégalité entre les Français qui peuvent prévoir leur avenir en épargnant et ceux qui ne le peuvent pas.

L'absence de fonds de pension entraîne aujourd'hui des utilisations inadaptées des supports d'épargne salariale existants. En effet, les plans d'épargne entreprise, qui visaient à la constitution d'une épargne longue en actions pour les salariés des entreprises, se transforment peu à peu en fonds de prévoyance retraite dotés d'avantages fiscaux, d'exonérations de charges sociales pour les abondements des employeurs, qui pourraient à terme déstabiliser le financement du régime général de l'assurance vieillesse.

Un tabou doit être levé : la retraite par capitalisation existe déjà, mais elle est inégalitaire et réservée aux seuls fonctionnaires ou aux salariés des grandes entreprises.

La gestion par capitalisation est déjà à l'oeuvre, notamment dans la trésorerie de l'assurance vieillesse. Par ailleurs, les fonds de prévoyance étrangers, plus précisément les fonds anglo-saxons, jouent un rôle certain dans la stabilisation et la dynamisation de l'économie mondiale.

La France peut-elle rester à l'écart des nouvelles formes de l'économie de marché ? Peut-elle courir le risque de perdre l'une des sources de financement des entreprises ? Peut-elle renoncer à l'un des supports d'une épargne longue, pourtant nécessaire à l'investissement et au développement de ses entreprises ? La France peut-elle continuer d'opposer le capitalisme financier à l'intérêt des salariés, des futurs retraités et des retraités eux-mêmes ? Pour autant, la répartition n'est pas un système daté ou obsolète. Jamais nous ne remettrons en cause la répartition. Celle-ci consacre en effet la solidarité entre les générations : chaque actif cotise et paie à la fois ; il cotise pour lui et pour plus tard ; il paie en même temps pour les retraités d'aujourd'hui. Cette solidarité est un gage de cohésion sociale.

M. Bernard Accoyer.

Très juste !

M. Philippe Douste-Blazy.

Mais la répartition ne peut plus assurer seule la pérennité des principes fondateurs de la sécurité sociale de 1945.

M. Léonce Deprez.

C'est vrai !

M. Philippe Douste-Blazy.

Les fonds de retraite, dont il faut ici définir la spécificité française, pourront faire marcher l'économie et la finance sur des deux pieds, per-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 28 JANVIER 1999

mettre la croissance et le progrès social. Les fonds de prév oyance n'ont pas vocation à se substituer à la répartition, monsieur Cahuzac : ils ont pour objet d'ajouter un étage supplémentaire à l'assurance vieillesse.

Ce troisième étage doit être financé par des versements et des cotisations obligatoires des employés et des employeurs après des accords d'entreprise ou de branche.

Dès l'instant où ces accords sont passés, ils sont obligatoires pour les salariés.

Je vois là un nouveau champ ouvert au dialogue social et, au-delà, une nouvelle approche de la participation voulue en son temps par le général de Gaulle.

Une part facultative pour les uns et les autres, dans les limites fixées par voie législative, doit être aussi possible : elle permet d'encourager les salariés à se constituer une épargne retraite en fonction de leurs capacités d'épargne, et aux employeurs de les inciter grâce à leurs abondements. Les limites visent à établir un équilibre et une complémentarité entre le régime de retraite géré par répartition et cet étage supplémentaire géré par capitalisation.

Ce que nous souhaitons avant tout avec cette proposition de loi, c'est une généralisation à tous les Français du droit d'accès à l'épargne retraite.

Les fonds de retraite sont une occasion exceptionnelle d'engager une réflexion sur le pouvoir dans l'entreprise.

Aucune raison ne justifie de confier exclusivement aux partenaires sociaux la gestion des fonds de retraite.

Aucune raison ne justifie non plus de les exclure alors que les salariés sont les premiers concernés par la valorisation de leurs cotisations sur les marchés financiers.

La recherche de la sécurité des placements et le souci d'une rentabilité élevée peuvent se conjuguer dans une institution où les partenaires sociaux assurent une fonction de contrôle : je veux parler des comités de surveillance, qu'a évoqués à l'instant le rapporteur.

Quant à la gestion, elle relève de spécialistes responsables devant les salariés et les employeurs.

L'existence des fonds de prévoyance en Suisse prouve que les exigences de performance inhérentes à ce mode de financement des retraites sont compatibles avec la logique sociale. Les fonds de retraite peuvent être un des éléments de consolidation de l'assurance vieillesse et, surtout, un f acteur de refonte des rapports entre salariés et employeurs. Oui, la création de fonds de retraite et de conseils de surveillance de ces fonds conduirait, au sein même des entreprises, à une redistribution du pouvoir entre le facteur capital et le facteur travail, ainsi qu'à une participation accrue dans le gouvernement des entreprises.

Notre objectif de progrès social ne sera possible qu'à la condition de tirer toutes les conséquences de la nouvelle économie-monde. Nous devons jouer de la mondialisation et exploiter toutes les sources de richesses et de revenus pour affermir, consolider et continuer de faire vivre les principes de notre République, qui, aux termes de notre Constitution, est démocratique, laïque et sociale.

La proposition de loi dont nous débattons répond aux nécessités des futurs retraités et s'inscrit dans le contexte nouveau de l'économie mondiale.

Nous ne pouvons pas accepter de reculer encore une fois les échéances pour des raisons idéologiques ou partisanes, monsieur le ministre. Nous ne pouvons pas non plus nous contenter d'un fonds de 2 milliards gérés par l'Etat pour consolider les retraites : il est bien en deçà des 300 milliards annuels qu'il faudra trouver chaque année à partir de 2020. C'est dès maintenant que le Gouvernement doit garantir les retraites des prochaines décennies.

Nous connaissons le problème, nous connaissons les solutions.

D'un côté, l'opposition propose un texte raisonnable, équilibré et rendu parfaitement acceptable grâce aux modifications apportées en commission des finances. A cet égard, je remercie mes collègues de l'opposition d'avoir participé à ce travail. Je remercie tout particulièrement mon ami Jacques Barrot d'avoir bien voulu accepter d'être le rapporteur de la proposition de loi, qui s'inspire d'une philosophie politique qui nous est commune.

M. Jean-Louis Debré.

M. Barrot a été excellent !

M. Didier Migaud.

Voilà l'Alliance retrouvée !

M. Philippe Douste-Blazy.

De l'autre côté, le Gouvernement dit vouloir régler le problème du financement des retraites, mais il réclame toujour plus de temps.

Pourquoi attendre les conclusions du rapport Charpin, qui recommanderont, n'en doutons pas, les mêmes solutions ? Pourquoi attendre la loi de finances pour 2000, comme certains le préconisent déjà, alors que le texte que nous proposons aujourd'hui à votre vote permettrait de répondre dès maintenant à l'attente des Français ? L'intérêt général commande à chacun, dans l'opposition comme dans la majorité, d'assumer ses responsabilités politiques.

Le débat est aujourd'hui ouvert.

J'espère, monsieur le ministre, qu'à l'issue de la discussion générale nous aurons la possibilité de passer à l'examen du dispositif de la proposition de loi. Si la majorité refusait l'examen des articles, ce serait une erreur pour les retraités, ce serait une erreur pour les Français, ce serait une erreur pour ce gouvernement et sa majorité ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Jérôme Cahuzac, pour quinze minutes.

M. Jérôme Cahuzac.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est la deuxième fois que cette asemblée examine un texte relatif aux fonds de pension. On aurait pu penser que les choses étaient claires sur ces bancs-là - elles l'ont toujours été sur ceux-ci. Mais il semble que les choses soient un tout petit peu compliquées aujourd'hui.

M. Jean-Louis Debré.

N'importe quoi !

M. Bernard Accoyer.

Ça commence mal !

M. Jean-Louis Debré.

Et il le dit sans rire !

M. Jérôme Cahuzac.

Il y a deux ans, cette assemblée a adopté une loi la « loi Thomas » - qui fut elle-même le résultat du plan Millon-Thomas et des propositions évoquées par notre rapporteur, M. Jacques Barrot. De cette synthèse est sorti un texte d'incitation très forte à l'épargne individuelle en actions. L'incitation était très forte car les avantages fiscaux et sociaux consentis à ceux qui adhéreraient à ces fonds étaient tout à fait attractifs.

Dire ce que fut cette loi, c'est dire aussi le critiques qui peuvent y être apportées.

En effet, un plan d'épargne individuel, c'est un plan d'épargne qui méconnaît la tradition sociale de notre pays en matière de retraites puisque le texte écartait les partenaires sociaux du rôle essentiel qu'ils ont toujours joué.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 28 JANVIER 1999

Rappelez-vous, concernant les régimes de base complémentaires, le rôle essentiel qu'ils ont pu jouer lors des accords de 1993, de 1994 et de 1997. Autrement dit, ces régimes n'ont pas démérité, contrairement à ce que certains ont pu dire à cette tribune à l'époque, et je ne vois pas au nom de quoi la confiance qui leur avait été accordée par les salariés pourrait leur être retirée au motif qu'elle pouvait gêner certains.

Ce plan d'épargne individuel, en écartant les partenaires sociaux, a commis une erreur, et ce ne fut pas la seule. Deux autres ont été commises. La première a consisté à imposer un plancher d'investissement en actions, tant il est vrai que, si l'on peut estimer que, sur le très long terme, ces investisements en actions peuvent générer un rendement supérieur à celui de la répartition, on sait bien en revanche que tous les salariés n'ont pas devant eux vingt-cinq, trente ou quarante années de cotisation et que, dès lors, leur imposer un plancher d'investissement en actions revenait à l'évidence à faire courir un risque à l'épargne qu'ils auraient eu la naïveté ou l'espoir de confier à certains gestionnaires.

Ces erreurs ont été reconnues, dénoncées, et les risques que faisaient courir ces investissements en actions par les risques de fluctuation boursière qu'ils comportaient implicitement expliquent les raisons pour lesquelles le gouvernement précédent a tant peiné - sans y arriver d'ailleurs à sortir les décrets d'application qui étaient censés faire vivre cette loi. Cela explique pourquoi ce gouvernement-ci n'a, quant à lui, même pas essayé de sortir les décrets d'application.

Comme le ministre de l'économie et des finances le dira sans doute tout à l'heure, nous sommes donc en présence d'une loi virtuelle, qui a eu le mérite de lancer un débat, de permettre aux uns et aux autres d'échanger des idées et qui aura peut-être le mérite de conclure en espérant dépasser un certain nombre de clivages politiques.

Aujourd'hui, quelle est la situation ? Elle est beaucoup moins simple qu'il y a deux ans : nous sommes en présence d'une première proposition de loi, celle qu'a écrite M. Philippe Douste-Blazy, d'une deuxième, que celui-ci vient de présenter, et d'une troisième, qui est celle que nous a proposée le rapporteur. Et il y a probablement ceux qui ne veulent que la loi Thomas, toute la loi Thomas, rien que la loi Thomas.

A tout seigneur, tout honneur : commençons par Philippe Douste-Blazy qui a prévu dans sa proposition de loi un article 3 qui, semble-t-il, le gêne un peu aujourd'hui.

Si l'on prend la peine de lire cet article, on s'aperçoit qu'il comporte un mot qui, manifestement, trouve peu de défenseurs aujourd'hui sur ces bancs : le mot « doivent ».

En effet, mon cher collègue, vous imaginez, grâce à cet article, des fonds de pension par capitalisation obligatoire.

Vous nous demandez donc d'avaliser des prélèvements obligatoires supplémentaires, non pour consolider ou sauver les régimes par répartition, mais pour instaurer les régimes par capitalisation. Il s'agit là d'une avancée conceptuelle tout à fait originale,...

M. Pascal Terrasse.

Contradictoire !

M. Jérôme Cahuzac.

... mais que vous semblez malheureusement être le seul à vouloir défendre, à supposer d'ailleurs que vous continuiez à la défendre car, à vous entendre, je n'ai pas eu le sentiment que c'était le cas.

Vous avez eu raison, après l'avoir écrite, de ne pas la défendre. (Sourires et applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous avez eu raison parce qu'augmenter les prélèvements obligatoires pour instaurer un autre système et non pour consolider celui qui existe déjà, c'est quelque chose d'un peu original. Et après tout, puisque vous nous affirmez - nous en sommes d'accord - que les régimes par répartition risquent de souffrir d'un manque de financement, au nom de quoi faudrait-il instaurer des prélèvements obligatoires supplémentaires pour mettre en place un nouveau régime et non pour financer celui qui existe ?

M. Pascal Terrasse.

Absolument !

M. Jérôme Cahuzac.

Je comprends votre gêne, dont nous prenons acte.

C'est avec un grand plaisir que je constate que vous vous placez sur une ligne qui me semble la seule qui soitr aisonnable : celle des adhésions que l'on appelle

« facultatives-obligatoires » - facultatives car elles seraient subordonnées à l'accord des partenaires sociaux, et obligatoires car, à partir du moment où les partenaires sociaux les accepteraient, elles seraient obligatoires pour tous.

Il s'agit là de quelque chose de tout à fait différent de ce que vous avez écrit et également de ce que vous aviez soutenu et de ce que certains de vos amis avaient voté.

Passer à un système de capitalisation obligatoire, c'est changer radicalement la philosophie de nos systèmes de retraites, que vous venez pourtant, et si brillamment, de défendre. Ce passage, je crois qu'il est bon de le rappeler à cette tribune, est impossible, à supposer même que certains veuillent le tenter.

Ce passage supposerait deux conditions alternatives : ou bien sacrifier une génération, la dernière qui aurait cotisé, puisque les générations suivantes ne le feraient plus ; ou bien faire en sorte que la collectivité contracte un emprunt pour une dotation en capital, le rendement de celui-ci permettant d'assurer les retraites. Mais si l'on accepte un certain nombre de paramètres, tels que 15 % de la population à la retraite, un rendement du capital de 5 % et des retraites versées qui ne soient pas en diminution, l'emprunt à consentir équivaudrait à trois années de PIB, ce qui obligerait ultérieurement la collectivité, pour le rembourser, principal et intérêts, à augmenter les prélèvements obligatoires.

Vous voyez donc comment, par la seule magie du mot

« doivent », que vous avez écrit, on arrive à un système qui est en totale contradiction avec celui que vous venez pourtant de défendre. Mais, je le répète, je prends acte de votre évolution.

J'ajouterai d'autres arguments comme le fait, par exemple, et vous l'avez signalé vous-même, que les taux d'intérêt étaient supérieurs à la croissance, ce qui tendrai t à prouver que nous vivons dans une économie souscapitalisée. Or l'Europe n'est pas sous-capitalisée. Nous n e souffrons pas en Europe d'une insuffisance d'épargne : c'est le monde qui souffre d'une insuffisance d'épargne. Et si les capitaux étaient ainsi collectés, où iraient-ils s'investir ? Voudriez-vous qu'ils le soient en Asie, monsieur Douste-Blazy ? En Russie ? Ou encore au Brésil, quand on voit les événements récents qui s'y sont produits ? On ne peut pas passer comme cela brutalement d'un système par répartition à un système par capitalisation, à moins de vouloir jouer avec l'épargne, avec les retraites, c'est-à-dire avec l'espoir de nos concitoyens ! J'en viens à des arguments d'équité ou d'égalité.

Passer à un régime par capitalisation, c'est introduire un système profondément inégalitaire non seulement entre les générations, mais également au sein d'une même génération. Pourquoi ? Tout simplement parce qu'à reve-


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nus faibles correspondent des cotisations pour une répartition faible, le reste n'étant pas épargné mais bien évidemment consommé, faute de pouvoir faire autrement.

Je ne crois donc pas qu'il s'agisse d'un bon système.

Mais je vous donne une nouvelle fois acte de la modification qu'implicitement vous souhaitez voir apportée à votre texte : il ne s'agit pas d'un système par capitalisation obligatoire, mais d'un système facultatif obligatoire.

Je regrette simplement que la rédaction que vous avez choisie ne permette pas de comprendre les choses de la sorte.

M. Jean-Louis Debré.

C'est la raison du débat !

M. Bernard Accoyer.

Une question aussi grave mérite discussion !

M. Jérôme Cahuzac.

Notre rapporteur modifie donc très sensiblement votre proposition, et je lui en donne acte, tant il a compris, en ce qui le concerne, qu'il fallait effectivement modifier un certain nombre de choses. Je lui en donne acte car, pour avoir été à la genèse d'une partie de la rédaction de la loi Thomas, Jacques Barrot a compris qu'il y avait une erreur à vouloir constituer des fonds par capitalisation en faisant courir un risque de

« siphonnage », si je puis dire, aux régimes par répartition.

C'est la raison pour laquelle il a nous a proposé en commission, tant lors de la discussion générale que par le biais d'amendement, de ne plus désocialiser, du moins pour les cotisations vieillesse, les sommes qui pourraient être consacrées à cette épargne.

Il s'agit là d'un geste qui ne correspond pas du tout à la philosophie de la loi Thomas. Je ne désespère pas, du fait de l'autorité et de la compétence qui lui sont reconnues sur tous ces bancs, que Jacques Barrot arrive à convaincre d'autres de ses amis, car c'est bien comme cela qu'il faudra procéder.

Cela dit, le texte reste inéquitable dans la mesure où la défiscalisation qu'il propose n'est finalement réservée qu'aux salariés soumis à l'impôt sur le revenu. Mais quid des autres ? A partir du moment où l'on veut s'adresser à tous les salariés, on ne peut faire comme s'ils étaient tous soumis à l'impôt sur le revenu.

M. Guy-Michel Chauveau.

C'est vrai !

M. Jérôme Cahuzac.

Ce texte est incomplet.

Qu'est-il prévu en cas d'accident de la vie ? Pourquoi ne pas s'inspirer du dispositif de l'épargne-retraite, qui prévoit qu'en cas d'accident grave de la vie les salariés qui ont confié leur épargne pour un temps défini puissent la récupérer ? Le texte qui nous est proposé est rigide. Même si la sortie en rente est privilégiée, on ne voit pas pourquoi il n'y aurait pas aussi, pour partie, une sortie en capital. A cet égard, j'ai été surpris mais très heureux de constater, lors de la discussion générale en commission, que certains de nos collègues du groupe Démocratie libérale n'excluaient absolument pas la possibilité d'une sortie en capital, certes minoritaire, lors du dénouement des contrats.

C'est un système qui reste injuste, car en dépit des amendements, très intéressants, de notre rapporteur, il n'est pas dégressif, mais demeure en partie proportionnel par l'abondement que les entreprises peuvent consentir aux salariés adhérents de ces fonds.

Vous le voyez, les critiques sont nombreuses et viennent notamment de ceux qui, je le crains, sont majoritaires à droite de l'hémicycle et ne souhaitent qu'une chose : la loi Thomas, toute la loi Thomas, rien que la loi Thomas ! Vous le savez, la décision a été prise d'abroger cette loi et elle sera très prochainement mise en oeuvre, j'en suis certain. Cette proposition de loi aura néanmoins eu le mérite de démontrer que le débat est beaucoup moins sulfureux que certains avaient pu l'imaginer.

Ce débat aura aussi permis de montrer que l'on ne peut instaurer ce type de système indépendamment de toute réforme concernant la répartition. En effet, le défaut majeur que je relève dans les trois systèmes, qu'il s'agisse des propositions de M. Philippe Douste-Blazy, la première comme la seconde, ou de la version que nous soumet M. le rapporteur, tant elle est différente de la proposition de loi initiale, c'est qu'ils sont déconnectés de la réforme des régimes par répartition. Il nous faut élaborer un système global si nous voulons qu'un texte sur l'épargne retraite voie le jour, soit admis et surtout accepté par les salariés du privé pour lesquels il est manifestement souhaitable.

Ce système global reste à élaborer et, pour cela, deux méthodes sont possibles. La première consiste à réduire les droits des salariés du régime général. C'est ce qui a ét é fait en 1993. Cette réforme, dont certains avaient eu l'idée - ils l'avaient même écrit, je pense en particulier au Livre blanc -, d'autres l'ont mise en oeuvre. Mais il est regrettable que, deux ans après, un texte sur les fonds de pension par capitalisation ait été soumis à l'Assemblée.

Cela a en effet ôté toute cohérence à cette réforme, qui aurait pu en avoir une si les deux textes avaient été liés.

M. Bernard Accoyer.

Et vous, vous n'avez jamais rien fait pour les retraites ! C'est un déshonneur politique !

M. Jérôme Cahuzac.

Notre démarche à nous est différente, au moins formellement. Après avoir constitué un fonds de réserve pour garantir les retraites par répartition, elle consiste à prévoir comment ce fonds sera abondé et, dans la même réforme, à proposer ce type de produit dont les salariés du privé ont évidemment besoin, en tout cas certains d'entre eux.

Autrement dit, il y a ceux qui ont réduit les droits pour tous,...

M. Jean-Louis Debré et

M. Bernard Accoyer.

Et il y a ceux qui n'ont jamais rien fait !

M. Jérôme Cahuzac.

... puis, deux ans plus tard, ont demandé un effort à l'ensemble de la collectivité, via la défiscalisation et la désocialisation, afin de créer des droits nouveaux pour certains seulement.

Et il y a ceux qui, comme nous, souhaitent garantir, autant que faire se peut, les droits de tous,...

M. Philippe Douste-Blazy.

Vous ne faites rien !

M. Jérôme Cahuzac.

... et, parallèlement, créer des droits nouveaux dans le respect de nos traditions sociales, de notre droit du travail, sous le contrôle des partenaires sociaux dont la légitimité en la matière est totale et entière. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste. - Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Philippe Douste-Blazy.

Vous ne faites rien !

M. le président.

La parole est à M. Bernard Accoyer, pour vingt minutes.

M. Bernard Accoyer.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, aucun argument ne peut justifier que la France reste plus longtemps le seul pays à


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n'avoir pas provisionné ses retraites. De tous les pays économiquement développés, nous sommes le seul à persister dans une erreur aussi grave et la responsabilité de certains, prompts à donner des leçons, est particulièrement lourde en la matière.

M. Philippe Douste-Blazy.

Très bien !

M. Bernard Accoyer.

Force est en effet de reconnaître que, jusqu'à présent, pour l'avenir des retraites, seules trois initiatives courageuses ont été prises. La première en 1993, sous le gouvernement d'Edouard Balladur, avec la courageuse, forte et salvatrice réforme de la retraite des salariés du secteur privé. M. Cahuzac vient d'en parler et il eût été son honneur d'évoquer en d'autres termes ce qui a été fait par d'autres, au prix de sacrifices importants pour les retraités. Si cette réforme de 1993 n'avait pas été opérée, les déficits de la branche vieillesse seraient en effet d'une tout autre ampleur aujourd'hui.

M. Jean-Louis Debré.

Très bien !

M. Jérôme Cahuzac.

De combien ?

M. Bernard Accoyer.

En 1995, deuxième initiative courageuse : la tentative d'évaluation et de réforme des régimes spéciaux par le gouvernement d'Alain Juppé.

Troisième initiative pour garantir l'avenir des retraites, t oujours à l'instigation d'Alain Juppé : la loi du 25 mars 1997, dite loi Thomas.

Depuis dix ans, les gouvernements socialistes ont fait preuve d'absence de courage politique et de passivité face à l'avenir des retraites. Leur responsabilité est considérable en la matière. Depuis bien longtemps, les projections démographiques sont connues. Depuis bien longtemps, on sait que le déficit de la branche vieillesse de la sécurité sociale est structurel et, de surcroît, à la hausse. Depuis bien longtemps, on sait que les régimes spéciaux, les régimes particuliers, les régimes de fonctionnaires sont en grand danger.

La population française vieillit. Son espérance de vie s'allonge sensiblement tandis que la natalité baisse depuis un siècle. Elle baisse à l'exception des deux poussées remarquables qui ont suivi les deux conflagrations mondiales, dont le fameux baby boom après la Seconde Guerre mondiale. Ce phénomène, qui a déformé le flux des cotisations, plombe très sérieusement l'avenir des retraites.

Pour connaître la date critique à laquelle les régimes de retraites, essentiellement le régime général, connaîtront de graves difficultés, il suffit d'additionner la date du baby boom - 1945 - et l'âge de départ à la retraite - soixante ans. On obtient 2005. Qu'ont fait les gouvernements successifs de gauche, chers collègues de la majorité, face au résultat de cette addition à la portée d'un enfant de classe de classe primaire ?

M. Jean-Louis Debré et M. Bernard Accoyer.

Rien !

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

C'est ridicule !

M. Pascal Terrasse.

Extrême démagogie !

M. Georges Sarre.

Quelle hypocrisie surtout !

M. Bernard Accoyer.

Bien que les données de ce problème soient d'une simplicité déconcertante, tout a été fait pour retarder les décisions. Pourtant, qu'il s'agisse des conclusions des travaux de la commission de protection sociale du Plan de M. Teulade, en 1989 ou du Livre blanc remis en 1991 à Michel Rocard, les projections inquiétantes ont toujours été confirmées.

Malgré cela, les socialistes, tant au pouvoir que dans l'opposition, ont constamment refusé d'ouvrir les yeux, à moins que, par calcul politique, ils aient sciemment refusé d'agir. C'est ainsi que s'est comporté le parti socialiste dans l'opposition, avec M. Jospin, premier secrétaire en 1995, quand le gouvernement d'Alain Juppé a voulu, avec la commission Le Vert, évaluer l'état des régimes spéciaux. M. Jospin a alors soutenu la grève de la SNCF, refusant le simple examen de la situation, élément d'équité mais aussi de garantie d'avenir de ces régimes, régimes très spéciaux qui confirment véritablement à ce qu'il faut bien désormais appeler la fracture sociologique séparant chaque jour un peu plus deux mondes : celui des salariés protégés et celui des salariés en situation précaire exposés à la concurrence internationale. Qu'avez-vous fait pour ces derniers ?

M. Pierre Méhaignerie.

Rien !

M. Bernard Accoyer.

Pourtant, ce sont eux qui financent la protection sociale.

En 1997, le parti socialiste s'est opposé, ici même, avec quelle véhémence, à l'adoption de la loi dite Thomas.

M. Pascal Terrasse.

Nous ferions la même chose aujourd'hui !

M. Bernard Accoyer.

En 1998, au cours de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, le Gouvernement a une nouvelle fois refusé d'agir en repoussant la proposition du groupe RPR visant à étendre aux salariés du secteur privé le bénéfice desr etraites supplémentaires par capitalisation réservées depuis plusieurs décennies aux seuls agents et anciens agents des collectivités publiques.

Il est vrai que l'histoire peut expliquer en partie cette situation particulièrement surprenante, ce monopole qui devient chaque jour plus choquant. Jadis, en effet, les salariés du secteur privé pouvaient espérer des rémunérations plus importantes, des progressions de salaire plus rapides que dans le secteur public. Jadis, la garantie de l'emploi n'était pas un élément considérable de sécurité.

Mais aujourd'hui, et depuis une quinzaine d'années, hélas ! qui oserait soutenir que tout n'a pas changé ? Qui pourrait justifier le refus du Gouvernement d'offrir aux salariés du privé les mêmes droits qu'aux agents et anciens agents des collectivités publiques ? C'est bien là une forme de sectarisme, à moins que ce soit du clientélisme électoral.

(Protestation sur les bancs du groupe socialiste), ce qui est plus grave encore.

Encore aujourd'hui, monsieur le ministre, pouvez-vous sérieusement avancer que la mission sur les retraites qui a été confiée à M. Charpin apportera quelque chose de nouveau, quelque chose que nous ne connaissions déjà ? En outre, ce énième rapport, dont, soit dit en passant, l'essentiel est déjà officieusement connu, ne justifie pas que soit repousssé à la fin de l'année l'examen d'un texte instituant ce que vous avez baptisé « l'épargne retraite », c'est-à-dire des fonds de pension que d'éminentes personnalités socialistes appellent de leurs voeux en les justifiant pertinemment comme le moyen d'étendre à l'international l'assiette de la croissance sur laquelle se financent nos pensions de vieillesse.

Si, finalement - et nous nous en réjouissons, monsieur le ministre -, vous avez, et le parti socialiste avec vous, radicalement changé d'opinion, si, finalement, vous vous êtes renié en quelque sorte, si vous êtes enfin convaincu du caractère impératif de l'introduction, aux côtés de la retraite par répartition, du système par capitalisation, alors rien ne justifie d'attendre encore plus longtemps.

Alors que quinze années sont nécessaires pour consolider un système par capitalisation, alors que de graves difficultés s'annoncent pour la répartition dès 2005, les ter-


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giversations de la gauche nous occupent depuis bientôt dix ans. Dix ans de perdus au mépris des jeunes, des futurs retraités et des retraités eux-mêmes, dix ans de perdus aussi, paradoxalement, au détriment du régime par répartition, qui doit supporter seul une charge écrasante pour ses cotisants, ses retraités présents et à venir.

M. Pascal Terrasse.

C'est pour cela qu'il faut augmenter les cotisations !

M. Bernard Accoyer.

Il serait en effet bien imprudent de croire que la création in extremis , avant la dernière réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale, du fallacieusement nommé fonds de réserve de la retraite par répartition garantirait quoi que ce soit pour l'avenir du régime général, et cela pour de nombreuses raisons.

D'abord, parce que les deux milliards de francs qui sont supposés doter ce fonds sont dérisoires au regard des besoins de financement du régime par répartition qui, dès 2005 - dans cinq ans, mes chers collègues ! - aura besoin de dizaines puis de centaines de milliards chaque année.

Ensuite, parce que deux milliards n'équivalent qu'à trois semaines de remboursement de la dette sociale que votre gouvernement a allongé de cinq ans en 1997, bien au-delà de l'année fatidique 2005 et jusqu'en 2014.

Enfin, parce que les hypothétiques recettes de ce fonds de réserve de la retraite par répartition reposant sur des excédents illusoires sont sans commune mesure avec les besoins de financement.

La réalité des comptes de la branche vieillesse réside dans un déficit structurel qui tend à s'aggraver sous l'effet de tendances lourdes. Tout cela est particulièrement grave et préoccupant. Ne voulant pas croire que votre attentisme soit de nature politique, nous espérons que sans plus attendre, aujourd'hui même, le Gouvernement prendra enfin ses responsabilités. Chaque jour qui passe ne fait qu'aggraver la situation. C'est pourquoi le groupe RPR soutient totalement la proposition de loi de Philippe Douste-Blazy et du groupe UDF-Alliance visant à créer les plans de prévoyance retraite.

Pour les gaullistes, la sauvegarde du régime par répartition est essentielle. C'est sur ce régime que repose la totalité des pensions des retraités et de très nombreux futurs retraités. C'est ce même régime par répartition qui constituera le socle de la retraite des générations plus jeunes, mais pour ces dernières, quoi qu'il advienne, il ne sera pas suffisant. Notre devoir est donc de leur apporter un système supplémentaire de retraite fondé sur une autre logique, la capitalisation, que l'on appellera volontiers

« épargne » si cela est la condition de son acceptation par la majorité et le Gouvernement.

Depuis toujours le RPR est attaché au paritarisme, au partenariat, à l'intéressement et à la participation. Par plusieurs aspects, la proposition de loi va dans ce sens, n otamment puisque les versements des employeurs doivent augmenter ceux des salariés. Les plans de prévoyance viendront donc abonder les pensions servies par le régime par répartition. En outre, ils constitueront un outil de financement très utile pour la pérennité et le développement des entreprises françaises.

Le retard que la France a pris en ce domaine, en raison de la carence des gouvernements de gauche, est la première cause des prises de contrôle par des fonds étrangers de nos entreprises, souvent hélas les plus belles ! Les centres de décision partent, puis les productions se délocalisent, fuyant de trop lourdes charges, laissant des coquilles vides ainsi que le drame du chômage. Faut-il rappeler que ce sont bien souvent précisément des fonds de pension britanniques, hollandais, scandinaves ou américains qui acquièrent nos entreprises, si bien que les salariés français travaillent désormais de plus en plus pour financer les pensions de vieillesse des ressortissants de ces pays ! On le voit bien, la création de ce nouvel outil social et financier est urgente. Comment, monsieur le ministre, pourriez-vous ne pas répondre à cette urgence ? Pourquoi prolonger encore un attentisme qui coûte et coûtera si cher à nos concitoyens, à nos entreprises, à la France ? La gestion partenariale de ces fonds alimentera à la fois le dialogue social et la participation tout en faisant profiter leur financement de la croissance internationale. Le caractère facultatif des plans de prévoyance retraite, évoqué tout à l'heure sur le mode polémique, et d'une manière que je trouve très déplacée, par M. Cahuzac...

M. Jérôme Cahuzac.

Ça vous va bien !

M. Pascal Terrasse.

Parlons-en, de la polémique !

M. Bernard Accoyer.

... est un élément de débat particulièrement important. Pour sa part, le RPR y est favorable, car il présenterait l'avantage de ne pas alourdir encore des charges qui sont devenues insupportables pour nos entreprises et nos concitoyens. Le régime fiscal et social des cotisations, les plafonds prévus pour les cotisations salariales et patronales garantissent la pérennité de la retraite par répartition. En quelque sorte, ils renforcent ce régime en le complétant.

Monsieur le ministre, en acceptant cette proposition de loi de l'UDF, soutenue par le RPR, vous pourriez atténuer, au regard de l'histoire sociale de notre pays, les conséquences dommageables des atermoiements de la gauche face à l'avenir des retraites, qui inquiète à juste titre nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. François d'Aubert, pour dix minutes.

M. François d'Aubert.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une fois de plus, l'Assemblée nationale est amenée à examiner un texte sur les fonds de pension. En nous remettant à l'ouvrage, un an et demi après la discussion et l'adoption de la loi Thomas, j'ai l'impression que nous sommes un peu comme Sisyphe, perpétuellement condamnés à refaire la même chose sans pour autant régler le problème.

Cette énième discussion pose d'abord le problème du respect de la loi et des droits du Parlement. En effet, sous la précédente législature, une proposition de loi due à M. Thomas et à d'autres parlementaires, après plus de trois ans de discussion, avait été finalement adoptée et était devenue une loi de la République. Elle a été jugée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel et promulguée au Journal officiel le 25 mars 1997. Nul n'est censé ignorer la loi. Et, jusqu'à plus ample informé, la France n'est pas une république bananière. Or force est de constater que le Gouvernement ignore la loi. Celle-ci a été votée, et il n'y a toujours pas de texte d'application.

Certes, une majorité peut défaire ce qu'une autre majorité a fait. Mais elle se doit d'abord de respecter les lois. En un an et demi, le gouvernement de M. Jospin a eu le temps nécessaire pour abroger, comme il l'avait promis, la loi Thomas ; il a eu le temps nécessaire pour la modifier. Mais à défaut de l'avoir abrogée, à défaut de


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l'avoir modifiée, le Gouvernement est dans l'obligation d'appliquer cette loi. Sinon, quelle valeur donner de façon générale à la loi ? En laissant passer près de deux ans, le Gouvernement a dépassé un délai qualifiable de « raisonnable » pour publier les décrets d'application. De ce fait, nous sommes en droit de faire un recours devant le Conseil d'Etat pour non-application de la loi Thomas.

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Faites !

M. François d'Aubert.

En tant que futurs retraités vous aussi, monsieur le ministre -, nous avons tous intérêt pour agir et saisir la justice administrative face à ce qui constitue un abus de pouvoir.

Ce refus du Gouvernement d'appliquer la loi Thomas est d'autant plus condamnable que cette loi concerne la retraite.

Le Gouvernement, en refusant d'admettre les réalités, joue avec l'avenir de dizaines de millions de Français.

Les faits sont connus et ne datent pas d'hier. Du fait du vieillissement de notre population, occasionné par l'allongement de la durée de la vie et par la dénatalité constatée depuis 1965, nos régimes par répartition seront dans l'impossibilité de maintenir le pouvoir d'achat des futurs retraités d'ici une dizaine d'années.

M. Bernard Accoyer.

Cela n'a jamais ému les gouvernements socialistes !

M. François d'Aubert.

Les données sont pourtant simples. En 2040, les dépenses de retraite auront augmenté de plus de 300 milliards de francs.

Si le Gouvernement n'adapte pas la législation, le montant des pensions baissera de près de 30 %.

Cette bombe à retardement touchera le régime général, les régimes complémentaires et bien évidemment les régimes spéciaux, à commencer par celui de la fonction publique.

Le Gouvernement, en commandant rapport sur rapport, quatre en un an et demi, semble découvrir le problème.

Or, dès 1982, monsieur le ministre, dans un livre sur l'épargne retraite écrit avec Denis Kessler - à l'époque, vous faisiez équipe -, vous souligniez avec clairvoyance (Sourires) et un vrai don d'anticipation qu'à terme notre système de retraite devrait évoluer.

Il y a près de dix ans, le Livre blanc sur la retraite a été publié.

Tout y était : l'évolution de notre démographie et les problèmes de financement.

A l'occasion de la sortie de ce rapport, Michel Rocard, qui était alors Premier ministre, affirmait : « Dans vingt ans, le système de retraite va exploser, il y a de quoi faire sauter les cinq ou six gouvernements qui seront amenés à s'en charger. » Faudra-t-il attendre encore dix ans

? En effet, dix ans ont déjà passé - et des gouvernements sont tombés, même si c'est plutôt pour d'autres raisons. (Sourires.) Depuis, un second Livre blanc a été publié, et une série de rapports, français, européens ou internationaux ont été réalisés.

Dans ces conditions, il est surprenant que le Premier ministre, pour prendre des mesures sur les retraites, attende la publication d'un nouveau rapport, le rapport Charpin, paraît-il pour le mois d'avril. Mais il faudra probablement six mois pour le lire. Il ne sera donc discuté qu'à la fin de l'année. Et encore ! En fait, cet attentisme n'a qu'un objectif : gagner du temps pour masquer les divisions de la majorité sur la question ; et celles-ci ne sont pas seulement sémantiques ou grammaticales.

La gauche a été élue en affirmant haut et fort qu'il n'y avait pas de problème...

M. Bernard Accoyer.

C'était une campagne mensongère !

M. François d'Aubert.

... - à part vous, monsieur le ministre - mais vous n'étiez pas alors à un courant majoritaire à l'intérieur de la gauche. Le Premier ministre avait même promis de revenir à l'indexation des pensions sur les salaires et non sur les prix.

M. le ministre ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Ce n'est pas vrai !

M. François d'Aubert.

Absolument, monsieur le ministre : c'était dans le programme du parti socialiste aux dernières élections législatives. Mais enfin, on peut se tromper, on peut mélanger les indices...

Je n'aurai pas la cruauté de dire : où est cette indexation ? L'immobilisme règne et ce sont les retraités qui, depuis le mois de juin 1997, sont les grands perdants de la politique du Gouvernement. Ils ont dû supporter l'augmentation des taxes sur l'épargne, en particulier sur l'assurance-vie, le relèvement de la CSG, la diminution de l'abattement de 10 % pour le calcul de l'impôt sur le revenu - j'en passe et quelques autres.

Par cette politique « anti-retraités » et cette politique de l'autruche, la gauche nous prépare une guerre des générations.

Certains partisans de la terre brûlée affirment fièrement qu'il est trop tard pour instaurer des fonds de pension.

Premièrement, à qui la faute ? Certainement pas aux partis de l'opposition.

Deuxièmement, il ne faut pas perdre de vue que le problème du financement des retraites se posera à compter de 2015 et durera pendant près de quarante ans.

Il est donc urgent d'agir, mais on peut encore le faire. Il faut vingt à trente ans pour la montée en puissance des fonds de pension.

D'autres considèrent que la croissance et le retour du plein emploi suffiront pour résoudre le papy boom . Les derniers travaux du Commissariat du Plan prouvent exactement le contraire ; il faut se méfier de M. Charpin, monsieur le ministre. Même avec un taux de chômage inférieur à 6 %, nos régimes de retraite seront profondément déséquilibrés.

Il y a une solution, et la majorité le sait : c'est l'instauration de fonds de pension. Mais cette majorité - ou une partie d'entre elle - est incapable de rompre avec ses archaïsmes idéologiques et sémantiques. Le Gouvernement, pour repousser l'indispensable réforme, trouve toujours une bonne raison : un rapport, une élection, un congrès syndical, M. Untel, M. Trucmachin qui sont contre, qui font des réserves... Les plus extrémistes n'admettent même pas qu'il y ait un problème de retraite - même si je reconnais, monsieur le ministre, que vous n'en faites pas partie.

Le groupe Démocratie libérale considère que l'on ne peut pas gouverner en pratiquant l'art des contorsions.

Sur le sujet des retraites, ses députés peuvent s'enorgueillir d'avoir été fidèles à leurs convictions. Ils ont un objectif : maintenir et renforcer notre régime par répartition en instaurant des compléments par capitalisation. Ce


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sont des députés membres de Démocratie libérale qui ont, en 1992, déposé la première proposition de loi sur les fonds de pension.

M. François Rochebloine.

C'était l'UDF ! (Sourires.)

M. François d'Aubert.

Les fonds de pension ne sont pas une recette miracle pour surmonter le papy boom , mais c'est sans nul doute la meilleure, la plus rationnelle sur le plan économique. Par rapport à la répartition, système dans lequel les cotisations prélevées sur les actifs sont directement versées aux retraités, la capitalisation est moins dépendante des facteurs démographiques.

Les contributions des salariés et des employeurs servent à financer l'économie productive dont les revenus financeront la future retraite des actuels contributeurs.

La retraite par répartition fonctionne avec deux moteurs - les cotisations des salariés et celles des employeurs - et un booster fiscal, voire social du fait de la déductibilité de ces cotisations.

La capitalisation a un moteur de plus : l'économie productive.

Les fonds de pension ont en plus trois grands avantages.

Ils permettent d'abord à des millions de salariés d'être des actionnaires. Et, à ce titre, pourquoi laisser aux retraités des Etats-Unis ou du Royaume-Uni la possibilité de s'enrichir grâce au travail des salariés français en empochant une partie des dividendes de nos entreprises ? Ne serait-il pas logique que les retraités français profitent également de ces dividendes et des dividendes des entreprises étrangères ? Les fonds de pension amènent ensuite plus de transparence dans la gestion des entreprises. Leurs représentants ont imposé le gouvernement d'entreprise.

Enfin, les fonds de pension irriguent le tissu économique boursier et financier. A la différence des produits classiques d'épargne qui financent les déficits publics, les fonds de pension alimentent en fonds propres les entreprises et contribuent ainsi à la croissance et à l'emploi.

Pour ma part, comme M. Accoyer, je préférerais que ce soit des fonds de pension français qui investissent dans les entreprises françaises...

M. Bernard Accoyer.

Eh oui !

M. François d'Aubert.

... de façon à éviter quelques OPA.

M. Bernard Accoyer.

Ce n'est pas l'avis des socialistes !

M. François d'Aubert.

Certes, il ne faut pas faire de protectionnisme. Mais mieux vaut qu'une OPA soit faite par des entreprises françaises sur une entreprise française plutôt que par des Américains ou des fonds d'autres nations, y compris européennes.

Pour la Bourse, les fonds de pension sont également nécessaires, et je récuse les experts qui expliquent que les fonds de pension ne permettent pas à la fois de préparer les retraites et de faire en sorte que la Bourse se porte mieux. En réalité, il est indispensable - c'est évident que les fonds de pension investissent le maximum en actions. Certes, il faut des limites, mais ce sont les actions qui ont offert, sur la longue période, le meilleur rendement financier, bien devant les fonds d'Etat.

La discussion d'aujourd'hui sur la proposition de loi faite par M. Barrot et les membres du groupe UDF proposition que nous approuvons - montre que la gauche refuse de traiter en profondeur le problème des retraites.

Celle-ci se contente de poser des rustines en constituant, par exemple, un fonds de réserve. Certains envisagent même une « usine à gaz » où le fonds de réserve serait lui-même garanti par les actifs de l'Etat, les gares de la SNCF, et je ne sais quels autres actifs probablement de peu de valeur.

Dans les années 70, la situation des retraités s'est considérablement améliorée du fait d'un volontarisme politique. Du fait de son immobilisme, le Gouvernement de Lionel Jospin sera responsable de la paupérisation des futurs retraités.

Gouverner, c'est agir et c'est prévoir. La majorité, hélas ! refuse de préparer l'avenir et d'agir.

L'opposition vous engage à prendre des mesures rapides en faveur des fonds de pension grâce à la proposition de loi qui est discutée aujourd'hui, tout en rappelant qu'il existe déjà une loi, la loi Thomas, qui doit d'abord être appliquée. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Georges Sarre, pour cinq minutes.

M. Georges Sarre.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, on voudrait nous faire croire qu'il n'y a rien de plus urgent que d'instaurer en France un système de fonds de pension.

Toute précipitation dans ce domaine, monsieur d'Aubert, est inutile et dangereuse. Ce débat doit être au contraire l'occasion de replacer le problème dans une perspective longue.

Elle est inutile car c'est déjà se tromper que de postuler le caractère inéluctable d'un système de fonds de pension.

Elle est dangereuse, car on évite soigneusement d'évoquer les risques de la retraite par capitalisation.

Ce qui importe, ce sont des solutions raisonnables.

Le lobby de l'intermédiation financière instrumentalise la prétendue catastrophe des régimes de retraites...

M. Bernard Accoyer.

C'est de l'arithmétique du niveau du cours préparatoire !

M. Georges Sarre.

... liée à la diminution du nombre des cotisants par rapport à celui des allocataires. Le ratio p asserait mécaniquement de 1,7 aujourd'hui à 0,8 en 2040.

Pour assurer le financement requis à cette échéance, les cotisations devraient avoir été augmentées de 60 %, à moins que les prestations n'aient été réduites de moitié.

Posons le problème autrement : la prise en compte d'un

« ratio de dépendance » qui rapporte l'ensemble des inactifs aux actifs occupés, nous montre que l'augmentation du nombre des plus âgés est strictement compensée par la diminution de la part des plus jeunes jusqu'en 2020.

Ce même raisonnement spécieux part du principe que à l'horizon 2040, notre triste exception française, je veux parler du chômage de masse, n'aura pas régressé. Et pourtant, la baisse du chômage de 6 points d'ici à 2040 permettrait finalement, monsieur le ministre, d'absorber la dégradation du ratio de dépendance à l'horizon 2040.

M. Alfred Recours et M. Pascal Terrasse.

Tout à fait !

M. Georges Sarre.

Et que dire du prétendu manque d'épargne quand l'excédent d'épargne est au contraire de 200 milliards ? C'est bien plutôt la faiblesse de l'émission d'actions par nos entreprises qui est en cause...


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M. Pascal Terrasse.

Eh oui !

M. Georges Sarre.

... en raison du mécanisme sclérosant des noyaux durs et autres participations croisées chères à M. Balladur ! En revanche, quelles seraient les conséquences de l'introduction des fonds de pension dans notre système ? Ce sont les mouvements erratiques de capitaux qui mettent en danger les entreprises par leur recherche aveugle du profit maximum.

M. Alfred Recours.

Et immédiat !

M. Georges Sarre.

Le récent exemple d'Alcatel le montre bien. C'est aussi toujours plus de commissions et de plus-values pour les intermédiaires financiers.

Ce sont enfin les conséquences du choc démographique sur les marchés : les jeunes épargnent en achetant des actifs, alors que les plus âgés désépargnent en les cédant. Le risque est réel, à terme, d'un effondrement des cours. En avons-nous vraiment besoin ? La solution, c'est la mise en place d'un produit d'épargne salarial attractif et l'association des partenaires sociaux à la gestion des fonds ainsi constitués. Il s'agit de systématiser ce qui existe déjà : les « plans d'épargne entreprise » dans le secteur privé, la Préfon dans le secteur public qui privilégient l'épargne salariale assise sur la rémunération du travail.

M. Bernard Accoyer.

En l'ouvrant au secteur privé !

M. Georges Sarre.

L'effort de financement des retraites venant des entreprises doit porter davantage sur la valeur ajoutée et moins sur la masse salariale. Enfin, le financement des ménages doit évoluer au moyen d'un transfert des cotisations vers la contribution sociale généralisée assise sur l'ensemble des revenus.

Il n'y a donc, mes chers collègues de l'opposition, aucune fatalité à l'instauration de fonds de pension. Il existe au contraire des mesures solides, sérieuses et raisonnables qui concilient solidarité et efficacité.

Le débat gagnerait en clarté, monsieur Accoyer, si ceux qui sont pour les fonds de pension - et pourquoi pas, puisque c'est votre orientation politique, votre philosophie ? - disaient plus franchement que c'est un problème de recomposition du capitalisme français qui est posé ? Si vous vous exprimiez en ces termes, on pourrait réellement débattre, car c'est cela la vraie quesition. Je ne dis pas qu'il n'y a pas de difficultés, qu'il n'y a pas de problèmes. Avec plus de croissance, avec une plus forte natalité meilleure, ce serait naturellement mieux...

M. Germain Gengenwin.

Eh oui !

M. Georges Sarre.

Mais posez la vraie question : celle du capitalisme français tel qu'il est aujourd'hui.

M. le président.

La parole est à M. Pascal Terrasse, pour dix minutes.

M. Pascal Terrasse.

Vous nous invitez, monsieur Douste-Blazy, à examiner une proposition de loi portant création de plans de prévoyance retraite, alors même qu'il y a quelques jours, dans cette enceinte, le Gouvernement s'est engagé, lors du débat sur le financement de la sécurité sociale, à abroger la loi no 97-277 créant les plans d'épargne retraite.

La question que nous sommes légitimement en droit de nous poser réside plus dans la comparaison entre les plans de prévoyance retraite et le défunt plan d'épargne retraite que dans l'opportunité de cette initiative.

Alors que, depuis une quinzaine d'années, les fonds de pension sont source de débats, de contradictions et quelquefois d'échecs sociaux constatés dans certains pays anglo-saxons, vous nous proposez d'adopter un texte dont l'ambition, plus ou moins avouée, est de doter notre pays d'un étage complémentaire de retraite par capitalisation.

Ainsi présentée, votre proposition n'a, en elle-même, rien d'effrayant. Il s'agit d'une mesure qui viendrait très p rogressivement rééquilibrer le système français des retraites, lequel pendant trop longtemps, a presque tout misé sur la répartition.

M. Bernard Accoyer.

A qui la faute ?

M. Pascal Terrasse.

Bien plus, selon son exposé des motifs, votre proposition de loi serait de nature à mettre un terme à la mauvaise querelle qui, en occultant les vraies questions, a opposé les partisans de la répartition et ceux de la capitalisation.

M. Bernard Accoyer.

Où étaient les sectaires ?

M. Pascal Terrasse.

Malheureusement, votre texte est bien loin de cette vaste ambition. Equivoque, parfois contradictoire, répondant aux souhaits des différents lobbies, c'est-à-dire des offreurs, il constitue une sérieuse remise en cause de la protection sociale et, naturellement, du lien social.

Parmi les multiples questions qu'il soulève, il me semble nécessaire de rappeler, même sommairement, en quoi la retraite se distingue de l'épargne, avant de tenter de situer votre proposition dans le champ social.

Distinguer l'épargne de la retraite n'est pas chose aisée.

Economiser pour ses vieux jours, selon le sens commun, c'est préparer sa retraite. On ne peut, cependant, se satisfaire d'une définition aussi large, qui englobe, pêle-mêle, l'acquisition d'un logement, la souscription d'un contrat d'assurance vie, l'ouverture d'un livret A, l'achat de valeurs mobilières ou de parts de SICAV, etc.

Le plus simple est sans doute de partir de l'objectif poursuivi.

Le but d'une opération de retraite est d'assurer, à partir de la demande de liquidation de la pension, le service d'un revenu de remplacement qui fera l'objet d'une revalorisation régulière.

Dès lors, l'opération de retraite se caractérise par les éléments suivants. Elle se décompose en deux parties : une première phase d'acquisition de droits, suivie d'une seconde phase de versement de la prestation après liquidation des droits constitués. Les cotisations acquittées sont aussitôt converties en droits personnels à retraite ; elles sont totalement indisponibles, l'assuré ne pouvant en disposer au cours de la période de constitution des droits.

Si son décès intervient avant la liquidation, aucun droit n'est ouvert au profit de ses héritiers ou de tiers désignés, sauf réversion. Un système de retraite par répartition implique l'existence d'un groupe d'assurés. La gestion du régime est collective, c'est-à-dire qu'il y a mutualisation intégrale des opérations entre salariés cotisants et retraités.

La revalorisation des droits et des prestations doit être conjointe.

L'opération de capitalisation obéit à des règles totalement différentes. Epargner est un acte essentiellement personnel. De fait, si la gestion de l'épargne, telle qu'elle est prévue dans votre proposition, est collective, les résultats de cette gestion seront attribués individuellement à chaque épargnant. Et l'épargne, aux termes de l'article 8, sera transmissible aux héritiers. Cependant, nul ne pouvant être contraint à épargner contre sa volonté, on doit


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toujours pouvoir mettre fin à une opération d'épargne : un système d'épargne, comme le rappelait M. Cahuzac, ne peut être que réversible. Or tel n'est pas le cas de votre proposition.

J'ajouterai, au terme de cette rapide présentation, qu'il n'y a pas de lien entre l'organisation de notre système de retraite et l'évolution démographique. De ce fait, le raisonnement consistant à dire qu'en raison du vieillissement de la population, il faut faire de la capitalisation est absolument faux. Ceux qui le tiennent le savent bien.

Ce raisonnement est faux, car ce qui compte, c'est la façon dont on partage, à un instant donné, le revenu national, le produit intérieur brut, entre les actifs et les inactifs. Il y a donc un choix social qui consiste à déterminer le montant du PIB à attribuer aux actifs et aux inactifs.

S'agissant du système par répartition, l'opération consiste à partager le revenu du travail à travers les cotisations sociales prélevées sur le seul travail. S'agissant du système par capitalisation, l'opération consiste, à partir du revenu du capital, à rémunérer l'épargnant à un niveau plus ou moins élevé en fonction des prélèvements fiscaux.

Comme vous le précisez fort justement, monsieur D ouste-Blazy, dans votre livre Sauver les retraites , page 109 : « Créer un troisième étage de retraite obligatoire revient à accroître les prélèvements qui pèsent sur les entreprises. » J'ajouterai les salariés. «

Il ne faut pas mentir : ...

M. Philippe Douste-Blazy.

Eh non !

M. Pascal Terrasse.

... quoi qu'on fasse, les prélèvements augmenteront pour financer les retraites. »

M. Philippe Douste-Blazy.

Eh oui !

M. Pascal Terrasse.

Dans les deux cas, il s'agit donc d'un prélèvement à caractère obligatoire. La différence est que votre proposition est de nature à pénaliser les salariés à revenus modestes, puisqu'ils ne bénéficient pas des mêmes avantages fiscaux que les catégories plus aisées.

Certains voient dans les fonds de pension le moyen d'établir un lien entre le financement de l'économie et nos systèmes de retraite. On sait que 45 % du capital des sociétés françaises sont détenus par des investisseurs étran gers. Denis Kessler, comme Jean Arvis, président de la Fédération française d'assurance, sont d'ailleurs clairs.

Comme ils l'ont récemment rappelé lors des septièmes rencontres parlementaires sur l'épargne : « Faute de fonds de pension français, les Anglo-Saxons possèdent plus de 30 % de la capitalisation boursière française. » Et Jacques

Barrot de souligner : « Il faut reprendre le chemin de l'épargne retraite. »

On voit ici toute la complexité du débat et surtout, mon cher collègue, les raisons inavouées de votre proposition de loi.

A ce stade de la réflexion, je rappellerai que le taux d'épargne dans notre pays est déjà très élevé. On sait que si les Français accumulent, c'est précisément parce qu'ils s'inquiètent de leur retraite. Ils se sont déjà organisés pour faire face au problème : les deux tiers des contrats d'assurance vie sont renouvelés. Par conséquent, favoriser la création d'un tel fonds de prévoyance aurait seulement pour effet de diriger l'épargne vers les actions au lieu de la canaliser vers les obligations. Ainsi, l'introduction d'un mécanisme de capitalisation complémentaire du système par répartition nous paraît une solution bien fragile, puisqu'elle ne permettrait pas d'accroître de manière substantielle l'effort d'épargne des Français en vue de leur retraite.

Un tel système ne saurait résoudre à lui tout seul les problèmes des régimes par répartition. Au contraire, la comparaison entre les rendements offerts sur les marchés financiers et ceux du régime par répartition pourrait conduire à remettre en cause le contrat implicite entre les générations, contrat sur lequel est fondée la répartition, avec comme conséquence le retour à la situation antérieure de misère pour la plupart des retraités.

Enfin, comme le montre l'exemple des fonds anglosaxons, la capitalisation donne aux intermédiaires financiers un rôle trop important. Par le comportement qu'ils adoptent en matière d'offre de produits d'épargne comme en matière de placement, ils vont jusqu'à mettre en difficulté des entreprises, et par voie de conséquence les salariés qui ont eux-mêmes souscrit un contrat d'épargne de retraite. Cela s'appelle scier la branche sur laquelle on est assis ! Dans la conclusion de votre ouvrage, vous indiquez, monsieur Douste-Blazy : « La question des retraites, de leur avenir et de leur rôle dans la cohésion nationale paraît parfaitement révélatrice de notre difficulté à envisa ger collectivement l'avenir. Le débat n'a jamais eu lieu. »

Vous êtes pourtant resté ministre pendant quatre ans ! Et vous ajoutez : « La situation nous incite à lever les tabous, à parler, à écouter et à proposer. »

Le paradoxe de cette proposition, c'est qu'elle vient devant la représentation nationale un peu tard, ou encore trop tôt.

Trop tard, car la perte de temps occasionnée par le débat sur la loi Thomas n'a pas permis de prendre en compte réellement la nature des problèmes, malgré le livre blanc et le rapport Briet.

Trop tôt, car cette proposition - pardonnez-moi vient comme un cheveu sur la soupe ! Elle ne s'intègre dans aucune vision d'ensemble du problème des retraites.

M. Alfred Recours.

C'est exact !

M. Pascal Terrasse.

Afin de préparer les évolutions nécessaires, M. le Premier ministre a demandé au Commissariat général du plan, dans le cadre d'une mission confiée à Jean-Michel Charpin, d'élaborer un diagnostic partagé sur l'ensemble des régimes de retraite, y compris les régimes spéciaux.

La priorité des priorités exprimée par Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité à l'occasion du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale, est d'abord de conforter et de consolider nos régimes de retraite par répartition. C'est une exigence fondamentale de justice et de solidarité.

J'insisterai, quant à moi, sur la méthode qui devrait présider à la mise en oeuvre de l'évolution de notre système de retraite. Cette méthode pourrait s'énoncer en trois principes : l'ajustement des régimes de retraite durera plusieurs décennies et il s'agira d'un processus continu ; les efforts devront être partagés équitablement entre actifs et inactifs, entre catégories sociales et entre générations ; enfin, les régimes de base et complémentaires légaux devront être le pilier, le socle sur lequel reposera l'essentiel des revenus de remplacement.

Il nous paraît important d'instaurer un véritable débat démocratique sur l'avenir des régimes de retraites et sur la place des retraites dans la société à venir, car c'est une question clé de notre temps. Demain aura lieu à l'Assemblée nationale le premier colloque international sur le vieillissement, organisé dans le cadre de l'année internationale des personnes âgées. Le débat est d'autant plus


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nécessaire que des présupposés sont présentés comme des vérités universelles évidentes, alors qu'ils sont pour le moins largement discutables.

Alexis de Tocqueville nous rappelle qu'un gouvernement, aussi savant et puissant qu'on l'imagine, ne saurait agir sans le concours de la population. Tous les citoyens doivent donc se saisir du problème des retraites, des réponses à lui apporter, des perspectives à préciser, à l'oc casion d'un débat démocratique qui ait la même ampleur et qui rassemble autant d'énergie que les débats en cours sur le passage à l'euro ou sur les 35 heures. Les Français devront faire des choix, s'engager dans les chemins toujours actuels du progrès et de la justice sociale.

Ils devront aussi s'y engager dans la perspective de l'Europe. A cet égard, la réforme mise en oeuvre en Italie est un bon exemple, car elle est issue d'un accord général entre les partenaires sociaux et non plus entre les seuls représentants des partis politiques.

C'est en refusant les fausses bonnes idées, les peurs, les replis, les prévisions catastrophiques, qu'ensemble, collectivement, nous pourrons faire prévaloir la conviction que oui, décidément, les retraites ont un avenir. Mais cet avenir, monsieur Douste-Blazy, ne passe pas par le système que vous nous proposez. Les socialistes ne s'associent pas à votre analyse. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Gilbert Gantier, pour dix minutes.

M. Gilbert Gantier.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au moment où nous examinons une nouvelle proposition de loi sur les fonds de pension, nous pouvons constater que le Parlement et la France font, une fois de plus, du surplace. Pour ma part, je le regrette vivement.

Depuis dix ans, il ne se passe pas une année, pas même un semestre, sans que l'on évoque l'indispensable nécessité de se préparer au choc des retraites prévu pour les années 2015-2040.

En 1997, en adoptant la loi Thomas après de longs débats tant en commission qu'en séance publique, nous avions cru avoir réglé une bonne partie du problème.

Mais la nouvelle majorité a décidé de considérer comme nulle et non avenue, une loi de la République résultant d'un vote intervenu sous la précédente législature. Cette décision ne grandit pas notre démocratie, surtout quand il s'agit de retraites, sujet par excellence où l'idéologie ne devrait pas avoir de place.

En refusant d'appliquer la loi Thomas, en reportant la réforme de semestre en semestre, le Gouvernement et la majorité plurielle font preuve d'irresponsabilité. Lorsque le Premier ministre, lors de sa dernière intervention audiovisuelle, affirme qu'il n'y pas d'urgence en matière de retraites, il refuse de voir les réalités. Car il y a péril en la demeure, et les faits sont têtus.

L'allongement de la durée de la vie, associé à un processus général de dénatalité, modifie en profondeur les structures démographiques, dans notre pays comme chez nos partenaires. En 1750, l'espérance de vie d'un homme ne dépassait guère vingt-sept ans. Aujourd'hui, elle est de soixante-quinze ans. En moins de quarante ans, la longévité humaine s'est accrue de 20 %. Et chaque année, l'espérance de vie augmente d'un trimestre. Nous faisons donc face à une véritable révolution biologique et démographique, dont les effets se font d'autant plus sentir qu'on ne fait pas beaucoup pour la famille - et je le regrette vivement -, que la natalité n'est pas encouragée et qu'elle ne fait que diminuer.

Davantage de personnes âgées, moins de jeunes, cela pose à l'évidence des problèmes pour le financement des retraites. En 2020, la France comptera moins de 20 % de jeunes et près de 30 % de personnes de plus de soixante ans. Le Premier ministre veut-il nous faire croire que cette évolution est sans conséquences pour notre régime de retraite ? A la sortie de la Seconce Guerre mondiale, il était économiquement rationnel d'instituer la retraite par répartition. Il y avait alors peu de retraités, pas de chômage et un véritable essor démographique. Nous pouvons d'ailleurs regretter que, par facilité, les gouvernements de l'époque n'aient pas déjà obligé les caisses de retraite à constituer des réserves pour les mauvais jours et n'aient pas favorisé le développement de fonds de pension, par nature moins sensibles aux aléas démographiques.

Aujourd'hui, le Gouvernement tergiverse. Les nombreuses études concluent toutes dans le même sens. Du Livre blanc aux rapports du Conseil d'analyse économique, il faut retenir une chose : l'instauration de compléments de retraite par capitalisation est devenue indispensable.

L'immobilisme du Gouvernement est d'autant plus criant que tous les autres pays ont, ces dernières années, adapté leur législation à la nouvelle donne démographique. Des exemples étrangers, il faut retenir, premièrement, que tous nos partenaires disposent d'un régime de base par répartition et de régimes complémentaires par c apitalisation dont ils favorisent le développement ; deuxièmement, qu'un grand nombre de pays ont déjà décidé de reculer l'âge de la retraite obligatoire.

M. Christian Cuvilliez.

Il ne faut pas exagérer !

M. Gilbert Gantier.

Pour limiter les risques et pour associer les avantages de la répartition à ceux de la capitalisation, nos partenaires ont conjugué les deux systèmes.

La France, elle, fait bande à part en optant pour la seule technique de la répartition. A très court terme, la fameuse exception française pourrait coûter très cher aux futurs retraités.

Les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Suisse, les pays scandinaves ont décidé, afin de pérenniser leurs régimes de retraite, de les réformer. Aux Etats-Unis, Bill Clinton a placé les retraites au coeur de son programme lors de son récent discours sur l'état de l'Union.

M. Jérôme Cahuzac.

Mais que fait-il ? Il mutualise.

M. Gilbert Gantier.

Il a décidé de consacrer les excédents budgétaires - heureux pays ! - au financement des retraites.

En Espagne, il a été décidé de créer un fonds de réserve alimenté par des recettes obtenues en période de conjoncture favorable.

Les Italiens ont profondément réformé leur système de retraite dans le même sens.

Même les Etats d'Amérique latine, qui, du fait de la jeunesse de leur population, seront confrontés à un moindre problème de vieillissement que l'Europe, ont engagé de vastes réformes. C'est vrai au Chili, au Pérou, en Colombie, en Argentine, en Uruguay, au Mexique et en Bolivie.

Au sein de l'économie mondiale, la France fait donc cavalier seul en matière de retraite. Malheureusement, rien ne prouve que nous serons les seuls à avoir raison.

En 1982, pour tenir une promesse électorale, François Mitterrand a décidé d'abaisser l'âge de la retraite à soixante ans. Il savait pertinemment que cette décision était à terme impossible à respecter, mais peu importe.


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La France est le seul pays occidental à maintenir l'âge de la retraite à soixante ans. Il y a quelques années, des syndicats relayés par certains de nos collègues socialistes souhaitaient même instaurer la retraite à cinquante-cinq ans !

Mme Muguette Jacquaint.

Et les salariés qu'on met en préretraite à cinquante-deux ans, cela ne vous choque pas ?

M. Gilbert Gantier.

Or un grand nombre de nos partenaires ont programmé le recul de l'âge de départ à la retraite dans les prochaines années. Ainsi l'âge légal passera de soixante-cinq ans à soixante-six ansen 2006 aux

Etats-Unis ; le Japon a prévu de passer à soixante-cinq ans en 2013, l'Allemagne en 2002, de même que l'Italie.

En Norvège et au Danemark, l'âge légal est déjà fixé à soixante-sept ans.

En effet, l'espérance de vie à l'âge de la retraite est passée à près de deux dizaines d'années, pendant lesquelles devront être versées des pensions.

Par ailleurs, la pénibilité du travail ayant fort heureusement diminué, il serait logique, d'une part, de supprimer les régimes spéciaux qui se caractérisent par des cessations d'activité à cinquante-cinq voire cinquante ans et, d'autre part, de programmer un recul progressif de l'âge légal de départ à la retraite pour l'ensemble des salariés.

Certains, il est vrai, considèrent, qu'en période de fort chômage, il serait irrationnel de reculer l'âge de la retraite. Mais, mes chers colègues, c'est tout le contraire ! Ce sont les pays qui ont le plus fort taux d'activité entre cinquante-cinq et soixante-cinq ans qui ont le plus faible taux de chômage. Les chiffres le prouvent.

M. Bernard Accoyer.

Eh oui !

M. Christian Cuvilliez.

Non, les chiffres n'ont jamais rien prouvé !

M. Gilbert Gantier.

Les gouvernements, en favorisant le départ en retraite à cinquante-cinq ans de très nombreux salariés, ont donc privé l'économie du savoir-faire de ces salariés expérimentés et n'ont en aucun cas amélioré la situation de l'emploi et de l'économie.

Mme Muguette Jacquaint.

Et quand on les met au chômage à cinquante ans ?

M. Gilbert Gantier.

Madame, si vous avez quelque chose d'intelligent à dire, demandez à m'interrompre mais n'intervenez pas ainsi ! C'est insupportable !

M. Christian Cuvilliez.

Nous réagissons parce que ce que vous dites est trop difficile à entendre, monsieur Gantier !

M. le président.

Chers collègues, laissez poursuivre

M. Gantier.

M. Gilbert Gantier.

C'est pourquoi nous devons mettre un terme à la retraite guillotine et favoriser la cessation progressive d'activité.

Pour donner de la souplesse à notre système de retraite et en assurer la pérennité, l'instauration de fonds de pension est obligatoire. Le refus de la gauche d'admettre cette obligation me paraît incompréhensible.

En effet, l'absence de fonds de pension entraîne pour la France la prise de contrôle de nos meilleures entreprises par des capitaux d'origine étrangère - c'est prouvé, un de nos collègues l'a rappelé - qui peuvent du jour au lendemain décider de changer le lieu d'implantation des sièges sociaux, donc des centres de décision et de recherche. L'absence de fonds de pension asphyxie, par ailleurs, nos entreprises en les privant de ressources. Elle condamne également notre marché financier parisien à être un marché de seconde catégorie.

Enfin, il est inadmissible d'empêcher le retraité français de bénéficier, comme il pourrait aspirer à le faire, des réussites des entreprises françaises ou étrangères.

Au lieu de subir ou de récuser la mondialisation, nous devons l'apprivoiser et essayer d'en tirer le maximum d'avantages. Nous devons passer de la mondialisation subie à la mondialisation partagée.

Il y a deux ans, les partis de gauche ont refusé les fonds de pension version Thomas. Aujourd'hui, la majorité refuse la version Douste-Blazy, peut-être pour mieux nous présenter son propre projet. Mais quand ? Dans six mois, dans un an ou jamais ?

M. Christian Cuvilliez.

Jamais !

M. Gilbert Gantier.

Mes chers collègues, la retraite est un sujet trop sérieux pour donner lieu à des polémiques et être un terrain d'affrontements idéologiques. En refusant le débat aujourd'hui, la gauche prouve que, malheureusement, elle n'a pas évolué dans le bon sens.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Pascal Terrasse.

Vous voulez dire dans votre sens !

M. le président.

La parole est à M. Guy Hascoët, pour cinq minutes.

M. Guy Hascoët.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'aurai l'occasion, dans mon propos, de remercier M. Douste-Blazy de son initiative parlementaire, mais je commencerai par lui expliquer pourquoi nous ne voterons pas son texte.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Ça commence mal !

M. Guy Hascoët.

Le débat pose clairement la question de la prise en charge de ce que l'on appelle le choc démographique. Mais en quoi le fait de mettre en place un système d'épargne de capital à côté du système par répartition constituerait une solution à la crise démographique elle-même ? (« Très bien ! » sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et du groupe socialiste.)

M. Christian Cuvilliez.

Exact !

M. Bernard Accoyer.

C'est de la crise des retraites que nous parlons !

M. Guy Hascoët.

Celle-ci persistera dans tous les cas de figure. Il est important de souligner ce point.

Quel est donc l'intérêt de prévoir un nouveau système si l'intention n'est pas de résoudre la crise démographique ? Peut-être les objectifs visés ne sont-ils pas forcément clairement énoncés et procèdent-ils d'un certain nombre de contraintes qu'il faut examiner ? Pour notre part, nous nous y livrons sans a priori idéologique, même si j'ai quelques mots à dire sur ce qui est sous-tendu, en termes d'idéologie, par les fonds de pension à l'anglosaxonne. En effet, ne rien décider, c'est accepter le chaos social à moyen ou long terme, mais mettre en place les fonds de pension revient, pour pérenniser notre confort, à piller une partie de la valeur ajoutée des économies en général et des économies émergentes en particulier. Choisir entre le chaos social ou l'égoïsme occidental, cruel dilemme !

M. Yves Cochet.

Quelle belle formule !


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M. Guy Hascoët.

Sur le fond, quels objectifs doivent conduire notre réflexion ?

Il y a d'abord une réalité sociale que l'on ne peut pas ne pas intégrer dans la réflexion et qui, pourtant, n'est pas prise en compte dans la proposition de loi, ce que je regrettre. Aujourd'hui, une partie de la population française n'accédera pas à une retraite, compte tenu de la situation qui leur est faite depuis dix ou quinze ans et de leur incapacité à remplir un jour l'objectif lointain des quarante années de cotisation. Toute proposition de modification doit donc prévoir un mécanisme visant à offrir une retraite minimale aux exlus d'aujourd'hui, et notamment aux plus jeunes d'entre eux. Ensuite, il faut revenir à la philosophie qui soustendait, à l'origine, le système par répartition : l'organisation des solidarités entre les générations. Il ne s'agit pas simplement de s'arrêter à la situation de ceux qui, sans être des nantis, ont un droit qu'ils cherchent à pérennisent sans voir l'ensemble des paramètres. Il faut renouer le lien qui unit solidairement toutes les générations au sein d'une société.

M. Jérôme Cahuzac.

Très bien !

M. Guy Hascoët.

De ce point de vue, notre réflexion pourrait englober plusieurs objectifs.

Bien sûr, nous devons trouver les conditions d'une pérennisation de l'ensemble des systèmes de retraite, en réaffirmant notre attachement au système par répartition.

Au-delà, si nous sommes capables de mettre en place un système qui prétend mobiliser plusieurs centaines de milliards de francs d'épargne dans les quelques décennies à venir, pourquoi ne serions-nous pas en mesure d'offrir aux actifs, auxquels nous allons demander un effort supplémentaire compte tenu du vieillissement de la population, un mécanisme qui leur faciliterait la vie ? Il pourrait s'agir de prévoir dans le mécanisme de financement le droit d'utiliser un chèque-formation de quelques années au cours de la vie active. Ainsi, les actifs pourraient mieux assumer les mutations qu'on leur conseille d'avoir au cours de la vie professionnelle.

Pourquoi serions-nous capables de verser quinze ou vingt années de retraites de plus à des millions de gens et incapables de prendre en charge trois, quatre ou cinq ans de chèque-formation au cours de quarante ans de vie active ? Ce mécanisme aurait l'avantage, en permettant à un pourcentage significatif des actifs de faire une pause dans leur vie professionnelle, de créer automatiquement un appel d'air qui permettrait à l'ensemble des jeunes diplômés d'intégrer plus vite et mieux le monde du travail.

Rien de plus terrible, en effet, que le gâchis auquel nous assistons aujourd'hui. La collectivité dépense en moyenne 250 000 francs par jeune et par an pour donner un n iveau de formation générale très élevé, mais cela débouche sur le vide et le néant.

En recouvrant les trois types de situation, un tel mécanisme relierait les générations. Ainsi, l'effort exigé permettrait de reconstruire le lien social et, finalement, de rebâtir le nouveau contrat social que beaucoup d'entre nous espèrent voir redéfini dans l'esprit des fondateurs des caisses de retraite.

Le deuxième point qui mérite toute notre attention porte sur la logique des placements. Certes, je suis un peu néophyte en finances, et vous voudrez bien m'en excuser, mais je n'arrive pas à comprendre pourquoi des masses d'argent considérables déjà épargnées ou déjà mobilisées par la répartition...

M. Jérôme Cahuzac.

Pas épargnées, consommées !

M. Guy Hascoët.

... ne pourraient pas, elles aussi, obtenir une valeur ajoutée. Si ce n'est pas possible, il me semble nécessaire, au-delà de l'objectif visant à enrichir les caisses de retraite pour mieux servir les ayants-droit, de prévoir un espace qui se définirait comme celui des placements éthiques. Le citoyen, qui se verra obliger d'épargner, pourra ainsi orienter une partie de son épargne et en faire - pourquoi pas ? - l'outil de levier du financement de l'économie solidaire ou du tiers secteur dont nous aurons, j'espère, à débattre d'ici à quelques mois.

M. Yves Cochet.

Comme à la Caisse solidaire du Nord Pas-de-Calais. Très bonne banque !

M. Guy Hascoët.

Il y aurait là un ensemble tout à fait cohérent qui ouvrirait une perspective et tendrait à faire reculer la crise et toutes les désagrégations qui y sont liées.

M. Yves Cochet.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Christian Cuvilliez, pour quinze minutes.

M. Christian Cuvilliez.

Monsieur le président, monsieur le ministre, chers collègues, nous discutons aujourd'hui d'un sujet qui relève, à l'évidence, d'un choix politique constituant un enjeu de société et de civilisation.

Enjeu de société et de civilisation puisqu'il s'agit du sort que nous entendons réserver aux retraités et personnes âgées du siècle prochain, des moyens d'existence que nous proposons de leur assurer, et des rapports sociaux que nous voulons entretenir avec eux et établir entre eux. Choix politique aussi, puisque, sur les données d'une situation démographique constatée aujourd'hui, dans un contexte économique et social difficile, nous explorons les voies du futur.

Certains, et les auteurs de la proposition de loi que nous examinons sont de ceux-là, tirent argument de cette situation et des tendances lourdes qu'elle fait apparaître pour considérer le déséquilibre démographique comme une fatalité, un destin funeste qu'il faudrait conjurer. Et ils s'engouffrent dans ce mouvement actuel des rapports économiques et sociaux, qui consiste à échafauder des projets néomalthusiens - conformes aux dogmes néolibéraux - qui nous ramènent, dans la philosophie sinon dans les conditions de vie réelle, aux schémas du siècle passé.

Quelle est la véritable question ? Quel est le problème que l'on cherche à résoudre ? S'agit-il, selon les critères actuellement dominants, d'ajuster la gestion de la protection sociale aux exigences du marché, ou, plus précisément, des marchés financiers ? Ou s'agit-il, selon les critères de la justice, de la solidarité, de la cohésion sociale - de l'humanité, en un mot -, de trouver des ressources nouvelles pour notre système de protection sociale, adaptées aux exigences de soins, de santé, aux exigences de vie, d'une partie croissante de notre population ? Là est le choix politique - de société et de civilisation.

Vouloir introduire l'implacable mécanique des fonds de pension dans le réseau de l'épargne existentielle, vouloir substituer un mode pervers de capitalisation au mode vertueux, même s'il est perfectible, de la répartition, c'est revenir aux déplorables pratiques aléatoires, et même quelquefois délibérément spoliatrices, qui avaient cours avant l'instauration des assurances sociales de 1928, et qui, sous nos yeux, se déploient sans vergogne à partir des places boursières anglo-saxonnes.


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M. Bernard Accoyer.

C'est tout en nuance !

M. Christian Cuvilliez.

C'est exactement ça, monsieur Accoyer ! C'est substituer à la garantie d'un salaire différé, que vous n'aimez pas, messieurs, ou d'une épargne collégiale sans risque, susceptible d'assurer, comme on dit, la tranquillité des vieux jours, une loterie où les plus chanceux seraient ceux qui pourraient le mieux assurer les mises ou ceux qui pourraient le mieux capter les mises.

Ce serait - et c'est la nature profonde du projet et de toutes les idées, de toutes les idéologies qui le portent obéir dorénavant en matière de pensions de retraites à la logique parasitaire des actionnaires en mal de dividendes, en la substituant à la logique de coopération intergénérationnelle, à la logique de solidarité et de cohésion sociale.

Ce choix, vous l'avez compris, est inacceptable pour les communistes. Nous l'avons dit assez haut et assez fort pour être entendus quand, lors du débat sur le financement de la sécurité sociale, nous avons fait de l'abrogation de la loi Thomas un des préalables de notre abstention, qui, sans cela, eût été opposition.

J'en viens à l'examen des considérations qui soustendent ce choix.

En premier lieu, il y a ce constat que le système de répartition actuel, même vertueux, est perfectible. Comment se satisfaire en effet - j'emprunte ces éléments d'analyse à l'INSEE - de ce que, dans un couple de retraités, l'homme perçoive, en moyenne, une retraite de 8 600 francs par mois, et la femme de 3 600 francs ? Cela nous ramène d'ailleurs à un autre problème très actuel.

Comment se satisfaire que les retraités isolés touchent, réversion comprise, une moyenne de 6 300 francs mensuels, grâce auxquels d'ailleurs, bon nombre d'entre euxs ubviennent aux besoins de leurs enfants et petits enfants ? Comment se satisfaire de ce que 20 % des retraités et personnes âgées vivent avec moins de 3 000 francs par mois ? Comment se satisfaire de ce que ces retraités, comme l'ensemble de la population active, soient aveuglément assujettis au CRDS et à la CSG ? En second lieu, il y a la prévision, et tous les scénarios catastrophes qu'elle nourrit. L'allongement de la durée de la vie, fruit du progrès général des sciences et techniques, notamment de la médecine, avec l'amélioration des conditions d'existence qui en résultent et que l'on ne constate, malheureusement, que dans les pays dits « développés » - c'est même l'un des indicateurs du développement des pays -, et le vieillissement de la population créent un déséquilibre croissant dans notre pyramide des âges.

Les personnes de plus de soixante ans forment une catégorie de plus en plus nombreuse et appelée à s'accroître prochainement de la génération du baby boom d'après-guerre. Chacun observe que, pour ce quatrième âge, les conditions et les coûts sociaux de l'accompagnement et de la prise en charge s'alourdissent régulièrement.

Il ne vient à l'esprit de personne ici - en tout cas, je l'espère - de juguler cette évolution humainement souhaitable, si elle ne consiste pas à prolonger les souffrances de la maladie ou de la pénurie, de la juguler précisément en recourant à l'euthanasie sociale, c'est-à-dire en organisant la réduction drastique des soins et des allocations.

Les tribulations que connaissent, depuis sa mise en oeuvre par les conseils généraux, les bénéficiaires de la prestation sociale dépendance, la PSD, montrent que, s'il ne vient à l'esprit de personne d'interrompre le processus d'allongement de la vie, il ne manque pas de beaux esprits et d'esprits forts pour réclamer et obtenir la réduction des budgets sociaux départementaux. L'allocation auparavant servie selon des critères et des barèmes agréés nationalement, devient aujourd'hui le jouet de majorités changeantes et fait l'objet dans la plupart des départements, parce qu'ils sont gérés par la droite, de toutes sortes de tracasseries pour l'établissement des droits et de réductions pour le paiement des droits...

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Quelle caricature !

M. Christian Cuvilliez.

... avec, selon qu'on est au Nord ou au Sud, une inégalité institutionnalisée des droits.

Quant aux moins de vingt ans, qui forment la base de la pyramide, leur nombre, de classe d'âge en classe d'âge, tend à décroître. Cette tendance à la baisse du taux de natalité ne se traduit pas toujours par une baisse corrélative des dépenses sociales, d'éducation et de formation, ou de santé en faveur de la jeunesse. Et c'est tant mieux ! L'exemple de l'évolution des effectifs scolaires et les batailles menées par les enseignants et les parents pour empêcher les fermetures de classes est présent à tous les esprits et illustre mon propos.

D'ailleurs, le risque majeur n'est pas dans l'écart qui se creuse lentement entre dénatalité et baisse démographique des populations jeunes et la part du PIB consacrée aux besoins de cette jeunesse. Le risque majeur serait, nous dit-on, le déficit démographique qui engendre aujourd'hui et engendrera plus encore demain dans la catégorie des citoyens en âge de produire - les vingt-soixante ans, grosso modo - la diminuation de la population active.

Les conclusions du commissaire au Plan, nommé par le Gouvernement pour instruire cette question des retraites, seront connues fin mars, même si la presse en dévoile déjà par avance quelques-unes.

On peut d'ores et déjà considérer qu'il convient d'en attendre la publication avant d'envisager quelque décision que ce soit, donc avant de souscrire en quoi que ce soit au projet présenté par M. Douste-Blazy et soutenu par le rapporteur M. Barrot.

Mais, compte tenu des innombrables études qui ont été réalisées sur le sujet depuis plus de vingt ans, et des réalités humaines que la plupart d'entre nous connaissons, nous savons bien que, pour répondre aux besoins des jeunes et des aînés, la capacité des hommes et des femmes en puissance d'activité - les vingt à soixante ans - doit pouvoir s'exercer pleinement, et comme acteurs de la croissance économique et comme acteurs de la redistribution sociale. C'est seulement ainsi que notre système de répartition peut fonctionner normalement.

Là où le bât blesse - nul de l'ignore, mais tout le monde a l'air de s'en accommoder - c'est que cette catégorie de population supposée fournir les ressources de la nation connaît, depuis bientôt trente ans, l'érosion de sa capacité et de son énergie, l'exclusion d'un nombre croissant de ses membres. Bref, le chômage, puisqu'il faut l'appeler par son nom, est la cause principale, en dehors de toute pyramide des âges, des déficits de création, de production, de tous les déficits sociaux et de la pyramide de problèmes qui en découle.

C'est donc de la persistance d'un chômage endémique et d'une précarité de masse qui creusent les déficits sociaux et réduisent les recettes de notre protection sociale qu'il faut se préoccuper. Il s'agit maintenant d'imaginer de nouvelles formes de financement plus favo-


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rables à l'emploi et aux salaires. Nous en avons déjà fait la proposition lors du débat sur le financement de la sécurité sociale.

Il faut agir contre la crise sociale qui mine nos régimes de retraite, et notre économie. La mojorité en a compris la nécessité et a mis en oeuvre de grands chantiers destinés à réduire, voire à résorber le chômage, notamment des jeunes. La loi emploi-jeune, qui vous pose un problème, chers collègues de l'opposition, a posé les premiers jalons d'une politique de l'emploi plus efficace en direction des jeunes. Cette loi a été une bouffée d'oxygène pour eux et contribue efficacement à leur insertion sociale, bien plus que les SIVP, Smic-jeunes et autres Tuc.

Le deuxième grand chantier ouvert - et il vous déplaît - est celui des 35 heures. Cette loi devrait montrer ses effets dans quelque temps, si elle est utilement complétée par une seconde loi.

Mais le Gouvernement ne devra pas relâcher ses efforts en ce domaine, car ce qui sape aujourd'hui les ressources des régimes de retraites par répartition, c'est - j'y insiste la dégradation considérable de l'emploi et des salaires, sur lesquels sont assises les cotisations.

D'ailleurs, les plans de prévoyance retraite que vous proposez n'échapperaient pas à cet écueil-là, car les fonds de pension ne favorisent pas l'égal accès de tous à la retraite, ils s'appuient aussi sur des ressources avérées.

Comment des personnes subvenant à peine à leurs besoins pourraient-elles épargner pour leurs retraites, sinon au prix de sacrifices impossibles à imaginer ? Vous me permettrez, au nom du groupe communiste, de réfuter en bloc les fonds de pensions ou leurs dérivés, comme les fonds de prévoyance que propose aujourd'hui la droite, comme condition sine qua non de la sauvegarde du système par répartition. C'est complètement antinomique.

De même, nous récusons les préconisations du rapport Charpin publiées récemment dans la presse visant - prétendument - à consolider le système par répartition. En effet, les solutions évoquées pour remédier au problème de financement sont injustes et inacceptables pour l'avenir des retraites.

Inacceptables car le recours à la capitalisation accentue la spéculation financière et la guerre économique, au lieu de préconiser, comme nous le faisons, une redistribution plus juste des richesses. Bon nombre de chefs d'entreprise voient surtout dans les plans de prévoyance un moyen de stabiliser leur actionnariat tout en renforçant leurs fonds propres. D'ailleurs, l'article 17 de la proposition de loi ne le précise-t-il pas en parlant d'instrument financier ? Inacceptables et injustes car l'idée développe par l'orateur précédent de reculer l'âge de la retraite ne fera qu'augmenter le nombre des chômeurs de plus de cinquante-cinq ans.

M. Gilbert Gantier.

Ce n'est pas vrai !

M. Christian Cuvilliez.

En effet, un Français sur deux âgé de cinquante-cinq à cinquante-neuf ans travaille et un jeune sur quatre est au chômage. L'allongement de la durée du travail est donc inopportun, d'autant que 60 % des salariés qui liquident actuellement leur retraite ne sont plus en activité.

Inacceptables enfin car ce système induit la remise en cause des régimes spéciaux, fruits des luttes des travailleurs, de leur épargne garantie.

Je suis convaincu qu'il n'y a pas de solution solide et durable en dehors d'une politique de l'emploi plus offensive et d'une réforme des cotisations patronales. D'une façon un peu caricaturale, on peut dire : « Vous avez remplacé les travailleurs par la machine. Alors, faites cotiser la machine ! » Ce problème est loin d'être insurmontable. Sa solution passe par une modification du financement de la sécurité sociale, afin de sortir du cercle vicieux dans lequel plus l'entreprise augmente ses profits en diminuant sa masse salariale, moins elle contribue au financement de la protection sociale alors même qu'elle en augmente le coût.

A l'inverse, les communistes veulent enclencher un cercle dynamique, dans lequel, grâce à la modulation des cotisations patronales, soit favorisée l'entreprise qui crée des emplois stables et bien rémunérés et, au contraire, pénalisée celle qui fait du profit en supprimant de l'emploi et du salaire. Cette proposition n'a rien d'irréalisable, sauf à en faire un choix politique.

Le rapport Chadelat a montré que cela permettrait une modification progressive et en profondeur du financement de la protection sociale. Cette modulation porterait ses effets sur le long terme. Et, dans le domaine des retraites, c'est sur le long terme qu'il faut intervenir.

Dans l'immédiat, l'élargissement de l'assiette de la cotisation patronale aux revenus financiers des entreprises et des institutions financières reste la mesure la plus productive en matière de protection sociale et en termes de freinage de la spéculation, qui est plus que jamais la plaie de l'économie mondiale. Un prélèvement de 14,6 %, c'est-àdire au même taux que les salaires, sur les revenus des ménages et des entreprises, hors épargne populaire, rapporterait près de 51 milliards.

Un moratoire sur les licenciements contribuerait à régler le problème du chômage. Nous avons fait une prop osition en novembre dernier visant à pénaliser l'employeur pour toute rupture de contrat de travail d'un salarié âgé de plus de cinquante ans.

M. Pierre-André Wiltzer.

Et les ateliers nationaux !

M. Christian Cuvilliez.

Il convient d'aller plus loin.

Rien n'empêche d'accorder le droit à la retraite dès trente-sept années et demie de cotisations.

M. Jean-Luc Préel.

Trente-cinq années !

M. Christian Cuvilliez.

Cela permettrait de vivifier l'emploi et d'accorder un repos bien mérité surtout à ceux qui exercent des professions pénibles.

E n conclusion, mes chers collègues, monsieur le ministre, les propositions du groupe communiste sont à v otre disposition. Elles constituent une alternative sérieuse. Elles sont la raison pour laquelle nous voterons contre cette proposition de loi de la droite.

Mme Muguette Jacquaint.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Henri Plagnol, dernier orateur inscrit, qui dispose de cinq minutes.

M. Henri Plagnol.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme je ne dispose que de quelques minutes, je ne développerai qu'un seul point, essentiel aux yeux du groupe UDF : toute réflexion sur l'épargne retraite par capitalisation et sur les fonds de pension doit aujourd'hui s'inscrire dans un contexte européen. Et la proposition de Philippe Douste-Blazy, excellemment amendée par Jacques Barrot, apporte une c ontribution importante à l'édification de l'Europe économique et sociale.

La constitution de fonds de retraite par capitalisation, est une nécessité pour l'Europe économique et une chance pour l'Europe sociale.


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C'est une nécessité, d'abord. Monsieur le ministre, chaque fois que vous vous efforcez d'encourager la constitution de grands groupes européens, que ce soit dans le secteur des banques, dans celui des assurances, des transports ou encore de la défense, vous rencontrez des difficultés liées au retard français en matière de constitution de capitaux propres pour les entreprises. Cela pénalise gravement nos intérêts économiques à un moment décisif pour la constitution de champions européens.

Ne serait-ce que pour ce motif, la constitution de fonds de capitalisation devient une nécessité absolue.

M. François Léotard.

Très bien !

M. Christian Cuvilliez.

Voilà la logique financière !

M. Henri Plagnol.

Nous ne pouvons plus demeurer les derniers en Europe à nous priver d'une arme essentielle pour renforcer nos entreprises.

Mais il y a plus : le lancement de l'euro que vous avez célébré avec nous, marque une formidable accélération des transferts de capitaux d'un pays à l'autre, des fusionsacquisitions. La transférabilité des actifs et des capitaux, que, je le comprends, l'orateur communiste regrette, est devenue irréversible.

M. Christian Cuvilliez.

Il n'y a jamais rien d'irréversible.

M. Henri Plagnol.

Dans ce contexte, peut-on imaginer sérieusement que nous soyons les seuls à priver les salariés et les entreprises françaises de ce mode d'épargne et de capitalisation ? Peut-on imaginer, dans un avenir très proche, que les salariés français d'un grand groupe européen de la défense soient les seuls privés de la possibilité de participer au capital de leur groupe ? Est-ce juste ? Est-ce efficace ? C'est donc, de toute évidence, une nécessité pour l'Europe économique, mais c'est aussi une chance pour l'Europe sociale.

Tous les pays de la Communauté sont en effet confrontés aux mêmes problèmes pour équilibrer leur régime de retraite. L'Europe a la chance de jouir d'un modèle social original, très éloigné du modèle américain.

C'est pourquoi les pays de la Communauté souhaitent consolider leur régime de retraite par répartition et l'enrichir, comme l'ont excellemment démontré les orateurs précédents du groupe UDF, d'un étage supplémentaire, en offrant à tous les salariés la possibilité de bénéficier d'une épargne qui leur permette de compléter la retraite par répartition.

Les pays européens sont tous confrontés aux mêmes problèmes structurels : problème démographique, détérioration du ratio actifs-inactifs, poids du chômage.

Or, avec cette proposition, nous ouvrons la voie à un modèle authentiquement européen, qui préserve un équilibre auquel nous sommes très attachés tout en donnant à nos entreprises et à nos économies la possibilité de faire face dans de bonnes conditions à la mondialisation.

Le système que nous vous proposons ouvre un très vaste champ de négociations entre les partenaires sociaux.

En amont, avec la nécessité de souscrire des accords collectifs par entreprise ou par branche, dans lesquels les syndicats auront un rôle essentiel à jouer. Je serai favorable, comme vous l'avez fait pour les 35 heures, à la mise en place d'incitations telles que - pourquoi pas, des primes à la négociation. En aval, les comités paritaires donneront aux salariés la garantie que l'emploi sera au coeur des préoccupations pour la gestion des entreprises.

J'attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait qu'aux Etats-Unis l'essor des fonds de pension, gérés pour certains d'entre eux - pas tous - par les partenaires sociaux, a remis l'emploi et le long terme au coeur des stratégies des entreprises américaines.

M. Yves Cochet.

Et la spéculation !

M. Henri Plagnol.

Là aussi, nous devons raisonner à l'échelle européenne. Vous vous êtes souvent fait l'avocat d'un droit du travail européen qui vienne équilibrer l'Europe marchande. La proposition de Philippe DousteBlazy et du groupe UDF vous offre une occasion extraordinaire de relancer la négociation sociale à l'échelle européenne et même de compléter très largement la législation européenne en matière de droit du travail.

M. le président.

Monsieur Plagnol, veuillez conclure.

M. Henri Plagnol.

Je conclus, monsieur le président.

Nous avons obtenu des comités d'entreprise européens, en particulier en cas de fermeture d'un établissement dans un des pays d'Europe. Je souhaite que nous voyions très vite la mise en place de comités paritaires européens qui apporteront une contribution originale...

M. Philippe Douste-Blazy.

Très bien !

M. Henri Plagnol.

... au problème des retraites et à l'édification de l'Europe sociale que nous appelons de nos voeux. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La discussion générale est close.

La parole est à M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

M. Dominique Strauss-Kahn, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Monsieur le président, mesdames, messieurs des députés, j'ai trouvé, comme chacun ici sans doute, ce débat intéressant.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Merci ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Il s'engage, au-delà de quelques formules de réthorique, sur des questions de fond. Le texte issu de la réflexion de Philippe Douste-Blazy, auteur sur ce sujet d'un ouvrage récent, permet aujourd'hui de définir et d'estimer les positions des différentes forces politiques.

C'est un sujet très important, auquel nos compatriotes sont très attachés, que celui de la retraite en général. Il est bon qu'un débat, fût-ce d'une matinée - il sera, je l'espère, suivi d'autres -, soit organisé.

Je tiens à rendre hommage à votre rapporteur, M. Barrot, et à la plupart des orateurs qui ont su tenir des propos parfois passionnés, mais toujours raisonnables.

Pour ma part, je voudrais résister à plusieurs tentations. La première serait d'abord de me moquer de l'opposition qui, après avoir produit il y a peu un texte sur ce sujet, en présente un second, ce qui semble montrer que le premier n'était pas si satisfaisant.

M. Pierre-André Wiltzer.

Vous n'appliquez pas le premier ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

La deuxième de souligner point par point les différences entre les deux textes. Enfin, la troisième de pointer la division de l'opposition, notamment telle qu'elle est apparue en commission, comme le montrent les nombreux amendements qui ont été apportés. Tout cela ne présente pas beaucoup d'intérêt ; je le laisse de côté.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 28 JANVIER 1999

Le cadre historique dans lequel se situe notre débat remonte au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Beaucoup, probablement tous sur ces bancs, peuvent revendiquer le choix de la répartition qui a été fait alors.

Choix juste dans son principe puisqu'il repose sur la solidarité et qu'il est devenu un des éléments centraux du pacte social dans notre pays. Choix juste dans ses modalités puisqu'il a permis d'associer les partenaires sociaux à un débat sur une des questions majeures et de mettre en oeuvre les modalités de gestion paritaire d'une question aussi centrale. Choix juste dans ses résultats, car force est de constater aujourd'hui le revenu moyen des retraités est à peu près égal, voire, certaines années, supérieur aux revenus moyens d'actifs, même si chez les actifs, comme chez les retraités, la moyenne ne reflète pas l'exacte réalité et s'il existe évidemment de grandes inégalités. C'est un premier élément du paysage dans lequel nous devons travailler.

Le second est évidemment plus récent et plus circonstanciel. C'est une « loi virtuelle » - pour reprendre l'expression que Jérôme Cahuzac m'attribuait d'avance tout à l'heure -, loi virtuelle que nous récusons. Honnêtement, ma conviction est que la loi Thomas menaçait la répartition. D'abord en exonérant de cotisations vieillesse l'ensemble des flux concernés. Ensuite par une tentative de contournement des partenaires sociaux. Et enfin en mettant en place un système. Somme toute assez inégalitaire puisqu'il favorisait indûment les plus hauts revenus.

C'est une loi si difficile à mettre en oeuvre que la précédente majorité, même si, soyons honnêtes, elle n'a pas eu beaucoup de temps pour cela, n'a pas réussi à écrire les décrets d'application permettant de faire entrer cette loi dans les faits. Nous-mêmes, bien entendu, étant opposés à ce texte, ne l'avons pas fait.

En 1998, à l'occasion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, Martine Aubry et moi-même, nous nous sommes engagés à abroger la loi Thomas. En 1999, elle le sera effectivement.

Alors, pourquoi s'opposer aujourd'hui à la proposition de loi de l'UDF ? Il y aurait d'abord un certain nombre de mauvaises raisons. La première consisterait à dire que c'est parce qu'il s'agit d'une proposition de loi présentée par l'opposition - mais ce n'est pas notre genre ! (Rires et exclamations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Bernard Accoyer.

C'est vrai ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Donc, on ne pourrait pas s'arrêter à un argument de ce type.

M. Jean-Luc Préel.

Quel hypocrisie ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Ensuite, il y aurait d'autres mauvaises raisons, telles que de ressentir une sorte d'irritation, de voir comme une manoeuvre dans la proposition de l'UDF, qui, sachant que le Gouvernement travaille sur cette question, tenterait de le doubler sur la corde.

Ce serait un argument mesquin, et ce n'est pas notre genre non plus.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

Oh non ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Une autre mauvaise raison encore serait de pointer l'incertitude même qu'il y a dans ce texte, les oppositions entre plusieurs composantes de l'opposition, l'UDF et Démocratie libérale, notamment, que Jérôme Cahuzac a excellemment soulignées tout à l'heure. Mais ce n'est évidemment pas un argument suffisant.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Non ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Passons donc aux bonnes raisons.

(« Ah ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Il y a d'abord un problème de calendrier. Notre priorité doit être de consolider la répartition et de traiter le problème des retraites tel qu'il se pose aux Français, qui souhaitent que soient d'abord apportées des réponses au problème de la répartition.

M. Alfred Recours.

Bravo ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Il y a ensuite un problème de méthode.

La concertation sur ce sujet avec l'ensemble des forces sociales n'est pas terminée. La concertation - y a-t-il là peut-être une différence entre l'opposition et la majorité n'est jamais pour nous du temps perdu ; c'est au contraire toujours du temps gagné pour arriver au bout d'un texte qui s'inscrira dans les faits et sera accepté par la population.

Dans de nombreux domaines, depuis vingt mois, le Gouvernement l'a montré, notamment sur des sujets que la majorité précédente n'avait pas pu faire aboutir - je pense au GAN, au CIC, par exemple.

M. Jean-Luc Préel.

Aux médecins ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Cette concertation doit être menée à son terme pour que nous parvenions à présenter, devant l'Assemblée et le Sénat, un texte qui non seulement sera voté par la majorité, peut-être, à l'unanimité, mais qui ensuite sera accepté par les Françaises et les Français.

D'autres bonnes raisons de ne pas reprendre le texte qui nous est proposé aujourd'hui tiennent évidemment à son contenu.

Tout d'abord, ce texte, tel qu'il a été présenté par M. Douste-Blazy, continue à menacer la répartition par l'exonération de cotisations sociales qu'il prévoit. Je me permets de citer une phrase du livre qu'il vient de publier. M. Douste-Blazy écrit : « La question de l'exonération sociale est difficile à trancher. » Soit

! Quelques lignes plus loin il ajoute : « Une telle exonération pourrait entraîner un manque à gagner non négligeable pour le régime de retraites par répartition. La capitalisation ne doit pas vampiriser la répartition. » Le constat, monsieur

le député, est juste, mais le texte n'en tient pas suffisamment compte. Il fait le mauvaix choix.

De ce point de vue, il n'y a aucune avancée par rapport à la loi Thomas.

Autre raison de désaccord portant sur le contenu : le texte qui nous est proposé met en cause, de mon point de vue et je pense aussi de celui de la majorité, les droits collectifs des salariés, à l'instar, d'ailleurs, de la loi Thomas. La possibilité d'une mise en place automatique du dispositif après six mois de négociation par l'employeur en cas de désaccord des salariés touche au fond du problème. Si l'on est convaincu que les salariés souhaitent ce processus, il n'est pas besoin de la prévoir. On n'introduit une clause de ce type que si l'on pense que, pour toutes sortes de raisons, les salariés n'y seront pas favorables.

M. Jean-Luc Préel.

Comme pour les 35 heures !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 28 JANVIER 1999

M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Il s'agit donc d'un mauvais texte.

Ce qu'il faut, sur un sujet aussi crucial pour notre société et aussi préoccupant pour nos compatriotes, c'est mettre au point un texte qui soit accepté, voulu par les salariés. Il n'y a pas que des salariés dans notre pays, mais ils constituent cependant la plus grande masse de la population. Il n'y aurait alors nul besoin de chercher à contourner les procédures de la concertation sociale.

Enfin, la proposition de loi est incomplète. De nombreux exemples pourraient illustrer ce point. Je n'en citerai qu'un. Le texte ne prévoit pas de sortie anticipée en cas d'accident de la vie. C'est une omission qu'il faut, à n'en pas douter, corriger.

Vous me direz que le débat parlementaire est fait pour cela.

M. Jacques Barrot, rapporteur.

Absolument ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

C'est vrai, mais cet oubli montre, de manière évidente, éclatante, que le texte a été rédigé un peu rap idement et qu'il est inachevé, ce qui nous renvoie au problème de calendrier que j'évoquais tout à l'heure.

Quels sont, quant à nous, les choix que nous défendons ? D'abord, nous refusons un étage supplémentaire dont l'objet annoncé est de sauver le système de retraites, mais dont le résultat serait de le fragiliser.

M. Bernard Accoyer.

Vous ne pouvez pas dire cela, monsieur le ministre ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Il importe, en priorité, de consolider la répartition. Pour autant, nous souhaitons - et j'ai compris que de nombreux députés, sur tous les bancs, n'y étaient pas hostiles - mettre en place ce que le Premier ministre a appelé des « fonds d'épargne salariaux », c'est-à-dire des procédures permettant de fournir aux salariés des instrum ents d'épargne adaptés à un légitime souci de complément de retraite.

La consolidation de la répartition est, je le répète, la première des priorités. Permettez-moi de m'exprimer à mon tour sur le fond et de profiter de ce débat pour clarifier les choses afin que l'on se comprenne bien.

Comme beaucoup d'entre vous l'ont rappelé, le problème est ancien mais il n'est pas uniquement démographique. S'il l'était, il ne fait pas de doute qu'il aurait été traité beaucoup plus tôt.

M. Accoyer, avec une petite outrance de langage qui a fait sourire l'Assemblée, a fait un calcul simple. Il a dit :

« Baby boom plus soixante ans, cela fait 2005-2010. »

M. Pascal Terrasse.

C'est simpliste ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

C'est peut-être simpliste. En tout cas, si c'est ainsi qu'il fallait raisonner, ce calcul pouvait être fait dans les années 60. Il n'y a pas de secret dans l'addition !

Mme Nicole Bricq.

Bien sûr !

M. Bernard Accoyer.

Il faut quinze ans pour consolider un régime par capitalisation. Cela fait dix ans que vous ne faites rien ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Si c'était aussi simple et s'il ne s'agissait que d'un problème démographique, comment se fait-il que, dans les années 60 ou 70, personne, dans une majorité qui n'était pas celle qui est aujourd'hui au pouvoir en France, ne se soit saisi du problème ?

M. Bernard Accoyer.

Vous en portez la responsabilité ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Autant que je sache, depuis les débuts de la Ve République, la droite a été au pouvoir pendant vingtneuf ans et la gauche pendant douze ans. Si les choses étaient aussi simples qu'elles pouvaient se résumer au calcul sur le Baby boom que vous avez fait, on voit quelle serait la répartition des responsabilités : un tiers pour nous, deux tiers pour vous ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Pascal Terrasse.

Absolument.

M. Bernard Accoyer.

Votre calcul n'est pas très rigoureux, monsieur le ministre ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Mais la réalité est évidemment différente. Le problème n'est pas seulement démographique. Une foule de rapports publiés dans les années 70 mettaient déjà en avant que, s'il y avait un problème démographique reconnu par tous, il n'était pas le seul en cause.

M onsieur d'Aubert, qui nous donnez des leçons aujourd'hui, où étiez-vous à cette époque ? Je ne vous ai pas entendu dans les années 1970 dire, comme vous le faisiez tout à l'heure, qu'il y avait un problème démog raphique massif dont il fallait de toute urgence s'occuper !

M. Bernard Accoyer.

C'est quand même un peu fort d'entendre ça. Quel aplomb ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Aucun d'entre vous, mesdames, messieurs de l'opposition, n'a dit cela dans les années 70. Un intervenant à même eu la gentillesse de rappeler tout à l'heure que ceux qui avaient à l'époque écrit des livres sur le sujet se retrouvaient aujourd'hui plutôt du côté de la majorité que de l'opposition.

Le problème est beaucoup plus complexe. Il est à la fois démographique et économique. M. Accoyer a très justement rappelé que la France connaissait une situation démographique défavorable depuis le début du siècle.

C'est vrai ! Mais, pendant de longues périodes, notamment les années 50 et les années 60, la croissance économique a suffi à compenser la situation démographique, et c'est pour cela que le problème n'a pas été posé.

M. Bernard Accoyer.

C'est la réponse à la question que vous posiez vous-même, monsieur le ministre ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Oui, mais c'est aussi un démenti de ce que vous disiez car cela montre bien que le problème n'est pas seulement démographique et que la variable économique peut facilement, lorsque la croissance le permet, contrecarrer le handicap démographique. En d'autres termes, c'est plus fondamentalement un problème économique, auquel la démographie vient apporter des éléments, en l'occurrence négatifs. Mais on ne peut pas faire croire, comme la publicité d'une grande banque française du début des années 80 qui montrait sur une page des bébés et en regard, sur l'autre page, un seul individu, qu'il s'agit seulement d'un problème démographique.

Sinon, votre responsabilité dans les années 60 et 70 serait...

Mme Nicole Bricq.

Terrible ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

... écrasante.

Ceux qui, aujourd'hui, voient dans la capitalisation une solution miracle pour sauver notre système de retraites passent, de mon point de vue, à côté du pro-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 28 JANVIER 1999

blème. Non seulement, comme l'a rappelé Jérôme Cahuzac tout à l'heure, la substitution d'un système à un autre est impossible d'ailleurs, personne ne le propose, mais, même si elle était possible, la substitution, fût-ce partielle, d'un système de capitalisation à un système de répartition ne résoudrait pas le problème, comme l'a fort justement fait remarquer M. Terrasse. En effet, le problème des retraites tel qu'il se posera à notre pays en 2010, 2015, 2020 sera fondamentalement lié au nombre de salariés, à la productivité du travail et au nombre de consommateurs. Et, quelle que soit la mécanique mise en place, ces trois éléments pèseront toujours dans la balance.

Lorsqu'un salarié achète, par un système conventionnel, des droits dans un système de retraite - c'est-à-dire cotise au système de répartition - ou achète une obligation d'Etat ou une obligation d'entreprise, afin de la revendre trente ans après pour financer sa consommation, même si la mécanique mise en place est différente - la première est conventionnelle, l'autre passe par les marchés -, le fondement, lui, est le même : le salarié renonce à une part de la consommation à laquelle lui donne droit son salaire pour en disposer plus tard.

En matière de retraite, nous devons nous poser les questions suivantes : Quel sera le nombre des salariés en 2005, 2010, 2020 ? Quelle croissance économique connaîtra notre pays et quelle sera sa productivité ? Enfin, quel sera le nombre total des consommateurs et quel transfert de production sera-t-il possible d'effectuer des salariés vers les retraités ? Là est le vrai problème et vous n'en sortirez pas, quelle que soit la mécanique - de capitalisation ou de répartition - que vous pourrez inventer.

Donc il est faux de dire que la mise en place en urgence d'un système de capitalisation permettrait de résoudre le problème qui se pose à nous. La réponse est à la fois économique - elle dépend, je viens de le dire, de la croissance et de la productivité du travail et, politique, elle consiste à déterminer quel est le degré de transfert de la production acquise par les salariés vers la population retraitée que l'on peut accepter.

Il y a donc une sorte d'imposture intellectuelle, dont je n'accuse aucun d'entre vous,...

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

Non ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

... à présenter la capitalisation comme le moyen de sauver les retraites, sauf à vouloir traiter par là même le problème de l'accumulation du capital dans notre pays en liaison avec la productivité du travail. Mais c'est un sujet beaucoup plus compliqué auquel aucun d'entre vous ne s'est risqué. Tous ceux que cela intéresse pourront se reporter aux travaux bien connus de Martin Feldstein et de Robert Barro. C'est un sujet autrement plus compliqué que le calcul « Baby boom plus 60 ».

M. Jacques Barrot, rapporteur.

C'est vrai ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

On ne peut prétendre, que s'il y avait plus d'accumulation de capital dans notre pays, la productivité du travail dans trente ans serait supérieure. Même si nous nous engagions sur cette piste, où cela nous mènerait-il ? Voulez-vous que nous augmentions aujourd'hui le taux d'épargne dans notre pays au risque de porter atteinte à la croissance ? Ce serait une politique de Gribouille qui nuirait à la croissance pour mettre de côté des ressources.

Elle n'a pas de sens.

M. Jacques Barrot, rapporteur.

Et elle nuirait à l'investissement ? M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Elle ressemble d'ailleurs dans une certaine mesure - ce sera la seule pointe un peu polémique que je me permettrai - à la politique suivie par le gouvernement précédent, lequel, pour résoudre un problème de financement, a réduit la consommation en augmentant la TVA, ce qui a tué la croissance.

Réduire la consommation en augmentant la TVA ou en augmentant le taux d'épargne a les mêmes effets sur la croissance. Ce dont nous avons besoin, c'est de plus de croissance. Et il n'y a pas de bonne politique aujourd'hui dans notre pays qui passe par l'augmentation du taux d'épargne, lequel est déjà fort élevé.

Cherchons l'équilibre non vers le bas mais vers le haut ! Et l'équilibre vers le haut passe par la croissance.

Quid de la répartition ? me direz-vous. Ce sujet devra être traité. Il a commencé de l'être par plusieurs majorités.

M. François Léotard.

Comment ? M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Il a commencé de l'être par la mise en place du fonds de réserve dont certains se gaussaient tout à l'heure.

M. Bernard Accoyer.

C'est scandaleux ! Ce fonds de réserve est une imposture !

M. Pascal Terrasse.

Pas plus que la réforme Balladur ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

A votre place, je serais plus prudent, monsieur le député Accoyer, car la tradition de cette assemblée veut que les propos tenus en séance publique soient publiés au Journal officiel . On risque de vous « ressortir » les vôtres.

Les 2 milliards de ce fonds ne font bien évidemment pas l'affaire. Ils n'avaient d'autre but que d'initier le processus.

Au cours des prochaines années, plusieurs dizaines de milliards seront versées au fonds de retraite. Cela ne suffira cependant pas à résoudre le problème. Ce ne sera seulement qu'un élément de solution mais, si un tel fonds avait été mis en place plus tôt, si, par exemple, après la frénésie de privatisations qui a sévi dans les années 1986 à 1988 ou 1993 à 1997, les ressources qui en ont été tirées avaient été placées dans un fonds de retraite, celui-ci serait déjà doté des dizaines de milliards nécessaires. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.) Il va sans dire que les deux milliards dont dispose actuellement le fonds de retraite représentent le dixième des sommes nécessaires. Rendez au moins hommage à la majorité d'avoir mis en place ce fonds et faisons en sorte c'est l'objectif du Gouvernement - qu'il se dote, par différents canaux, dans les années qui viennent, des ressources dont nous avons besoin. Elles ne résoudront pas le problème, je le répète, mais elles seront un élément de réponse.

Cela dit, il faut offrir aux salariés qui souhaitent épargner et qui le peuvent un instrument adapté pour le faire.

M. Bernard Accoyer.

Les salariés du privé ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Une vraie concertation a été engagée à cette fin. Didier Migaud et Jérôme Cahuzac ont travaillé sur le sujet et leur rapport que vous avez tous lu, je suppose, est très intéressant. Les travaux conduits par Jean-Michel Charpin, commissaire au Plan, sont sur le point de s'achever et un texte d'ensemble vous sera présenté en 1999. Martine Aubry et moi-même y travaillons actuellement.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 28 JANVIER 1999

Les caractéristiques du nouveau dispositif, qui ont déjà été évoquées dans cette assemblée à l'occasion de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, sont les suivantes.

Le système doit être plus collectif que ce qui a été décrit jusqu'à maintenant. Sa mise en place sera obligatoirement liée à un accord des partenaires sociaux et il sera accessible à l'ensemble des salariés.

Il doit être plus solidaire. Nous ferons en sorte que les avantages fiscaux et sociaux qui y seront attachés profitent à l'ensemble des salariés et ne fragilisent pas les régimes de retraite actuels.

Il doit être plus centré sur la protection des adhérents en associant les partenaires sociaux au contrôle du système.

Enfin, il doit être plus innovant. Il sera tenu compte des réflexions de M. Guy Hascoët sur l'épargne-temps et la possibilité sera donnée aux salariés qui le souhaitent, puisqu'il s'agit d'un système financier d'épargne, donc beaucoup plus souple qu'un dispositif faisant intervenir des cotisations, d'utiliser, avant l'âge de la retraite, pour des périodes de formation, par exemple, une part des ressources qu'ils auront mises de côté.

Je me résume. La loi Thomas n'était pas bonne. S'il en fallait une preuve, je la vois dans le fait que vous en proposez une autre. Aucune loi sur l'épargne-retraite, pas p lus celle de M. Thomas que celle proposée par M. Douste-Blazy ou que n'importe quelle autre, ne règle le problème des retraites par répartition. Ce qu'il faut, c'est s'en occuper parallèlement et ne pas faire croire aux Français que le problème des retraites peut être réglé par une loi de cette nature.

M. François Léotard.

On n'a jamais dit ça ! M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

Un texte sur l'épargne retraite est néanmoins utile. Il doit adapter les instruments d'épargne que nous avons aux capacités d'épargne. Contrairement à ce que disaient tout à l'heure M. d'Aubert et M. Accoyer, le Gouvernement est en train de le mettre en place. Vous avez fait beaucoup de bruit autour de cette question, messieurs de l'opposition, mais on s'aperçoit finalement que vous n'avez pas fait grand-chose au cours des années qui viennent de s'écouler.

La majorité fera le nécessaire. J'ai compris, aux déclarations des uns et des autres, que, lorsque le texte actuellement en préparation viendra en discussion, il bénéficiera de votre soutien, ce dont je vous remercie à l'avance.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Vote sur le passage à la discussion des articles

M. le président.

La commission des finances, de l'économie générale et du Plan n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi.

Je vous précise que si, conformément aux dispositions du même article du règlement, l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

Je mets aux voix le passage à la discussion des articles de la proposition de loi.

(Le passage à la discussion des articles n'est pas adopté.)

M. le président.

L'Assemblée ayant décidé de ne pas passer à la discussion des articles, la proposition de loi n'est pas adoptée.

2 ASSURANCE VEUVAGE Discussion d'une proposition de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. François Rochebloine et plusieurs de ses collègues relative à l'assurance veuvage (nos 800, 1329).

La parole est à M. François Rochebloine, rapporteur de l a commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. François Rochebloine, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale, mes chers collègues, l'assurance veuvage a été instituée par la loi du 17 juillet 1980 pour répondre aux difficultés du conjoint survivant en attendant qu'il puisse se réinsérer dans la vie active.

En effet, si le décès précoce d'un conjoint constitue d'abord un drame intime, il peut également déboucher sur un drame social, dans la mesure où il entraîne souvent une réduction importante des ressources de l'époux survivant, particulièrement lorsque celui-ci est une femme chargée de famille n'ayant jamais travaillé ou ayant cessé son activité professionnelle.

Le veuvage constitue un risque social, mais son traitement contraste fortement avec le développement des garanties offertes aux assurés sociaux contre les autres risques que sont la maladie, la vieillesse ou l'invalidité.

Depuis 1980, force est de constater que le dispositif n'a que très peu évolué et qu'il ne semble pas en mesure d'atteindre les objectifs fixés par le législateur, à savoir : contre les aléas du veuvage assurer une protection aussi complète que celle afférente aux risques « traditionnels » précités.

Si la couverture dont bénéficient les veuves ayant atteint l'âge - souvent fixé à cinquante-cinq ans - leur permettant de prétendre à une pension de réversion est relativement satisfaisante, il n'en va pas de même pour les veuves qui ne satisfont pas à cette condition.

Les intéressés dont le conjoint relevait du régime général ou du régime agricole bénéficient certes d'une assurance veuvage créée en 1980, et étendue en 1990 aux non-salariés de l'agriculture, mais l'allocation servie à ce titre se caractérise par des conditions d'attributions restrictives, une durée de versement très limitée et un montant modeste.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 a certes prévu, à compter du 1er mars 1999, une amélioration sensible du régime financier de l'assurance veuvage, mais celle-ci reste toutefois très limitée : 15 millions de francs pour dix mois en 1999, soit 18 millions de francs en année pleine. De plus, il est regrettable qu'elle s'accompagne de plusieurs régressions par rapport au droit existant, de sorte qu'elle appelle un jugement très mitigé.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 28 JANVIER 1999

Pourtant, les dépenses annuelles d'allocation de veuvage représentent moins du quart du produit de la cotisation correspondante, le reste étant consacré à limiter le déficit de l'assurance vieillesse.

Pour mettre fin à cette évaporation des excédents de l'assurance veuvage, qui est contraire à une règle d'affectation prioritaire - laquelle n'a malheureusement qu'une valeur indicative - la présente proposition de loi prévoit d'affecter la totalité de ces excédents à la couverture sociale du risque veuvage, les ressources ainsi mobilisées pouvant être ensuite utilisées pour améliorer les conditions d'attribution et de calcul de l'allocation veuvage.

Ainsi que le soulignent à juste titre, et depuis de nombreuses années, les associations de veuves, en particulier la FAVEC, la fédération des associations de veuves civiles, les conditions actuelles d'attribution et de service de l'allocation veuvage sont trop restrictives.

Je rappellerai que le plafond de ressources applicable à cette prestation est fixé à un niveau très bas, puisque la somme de la prestation et des ressources personnelles de l'intéressé ne doit pas dépasser 11 790 francs par trimestre, soit seulement 3 930 francs par mois.

En l'état actuel du droit, et ce jusqu'au 1er mars 1999, date d'entrée en vigueur des modifications prévues par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, le montant de l'allocation est fixé à 3 144 francs par mois la première année, 2 065 francs par mois la deuxième année et 1 573 francs par mois la troisième année et les éventuelles années suivantes. Il est frappant de constater que le montant de l'allocation de veuvage devient inférieur à celui du revenu minimum d'insertion pour une personne seule, soit 2 502 francs par mois, dès la deuxième année.

Le fait qu'une prestation d'assurance soit inférieure à une prestation de solidarité, dont le montant correspond en principe au minimum vital dont toute personne doit pouvoir disposer, illustre l'état de déshérence dans lequel a été laissée l'assurance veuvage.

M. Christian Cuvilliez.

Absolument !

M. François Rochebloine, rapporteur.

L'absence de modulation du montant de l'allocation veuvage en fonction du nombre d'enfants à charge constitue également une anomalie injustifiable, à laquelle la loi de financement pour 1999 ne met pas fin. Ainsi, le RMI servi à une mère isolée ayant deux enfants atteint 4 504 francs par mois, alors qu'une bénéficiaire de l'assurance veuvage se trouvant dans la même situation ne pourra percevoir, à ce titre, plus de 3 144 francs par mois.

L'article 38 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 apporte trois modifications au régime de l'assurance veuvage : Premièrement, le bénéfice de l'allocation est réservé aux conjoints des assurés qui satisfont à une condition de durée d'affiliation préalable ; Deuxièmement, l'allocation perd son caractère dégressif ; Troisièmement, en contrepartie de l'unification de son taux, la durée normale de service de l'allocation est réduite de trois ans à deux ans.

Au cours des débats parlementaires, le Gouvernement a indiqué que la première modification avait simplement pour objet d'inscrire dans la loi une condition qui figurait auparavant dans un texte réglementaire, conformément à ce qu'aurait souhaité le législateur lors de la création de l'allocation veuvage. Cette présentation lénifiante n'est guère convaincante, le Conseil d'Etat n'ayant décelé aucune trace de cette volonté supposée du législateur lorsqu'il a jugé illégale la condition précitée.

L'unification du taux de l'allocation veuvage sur la base du montant actuellement servi au cours de la première année d'indemnisation est, en revanche, une mesure très positive qui était demandée de longue date par les associations de veuves civiles. Il est cependant regrettable qu'elle ait été partiellement gagée par la suppression de la troisième année de service de l'allocation pour les veuves ou veufs âgés de moins de cinquante ans au moment du décès de leur conjoint.

Pour défendre cette suppression, le Gouvernement a fait valoir que le troisième taux de l'allocation était sensiblement inférieur au montant du RMI pour une personne seule et que les intéressés étaient en tout état de cause déjà amenés à demander le bénéfice de cette dernière prestation.

Il est pourtant clair que ces deux prestations ne sont pas équivalentes aux yeux des veuves et veufs concernés.

En termes de dignité personnelle, la perception d'une allocation d'assurance du chef de son conjoint décédé a une autre signification que celle d'un revenu d'assistance financé par la solidarité nationale et qui reste empreint du caractère d'aide sociale, illustré par le fait qu'il comporte une contrepartie d'insertion et qu'il peut être subordonné à la mise en oeuvre de l'obligation alimentaire pesant sur les parents des bénéficiaires.

Cette différence est d'autant plus douloureusement ressentie que les personnes concernées n'ignorent pas que les cotisations versées par leur conjoint au titre de l'assurance veuvage permettraient d'améliorer très sensiblement les prestations de cette assurance. C'est précisément cet état de fait qui justifie la gestion séparée du risque veuvage prévue par la proposition de loi.

Il est clair que les excédents de l'assurance veuvage ont un caractère structurel, ainsi que le montrent bien les comptes du Fonds national de l'assurance veuvage depuis sa création en 1980. En moyenne, au cours de la période récente, les dépenses annuelles de l'assurance veuvage ont représenté moins du quart de ses recettes - 23 % des recettes sur la période 1990-1997 -, l'excédent étant actuellement de l'ordre de 1,6 milliard de francs.

Pourtant, le deuxième alinéa de l'article L.

251-6 du code de la sécurité sociale dispose que « les excédents du Fonds national d'assurance veuvage constatés à l'issue de chaque exercice sont affectés en priorité à la couverture sociale du risque de veuvage ».

Cet alinéa a été introduit en 1987 dans le code de la sécurité sociale, suite à un amendement du Gouvernement reprenant l'amendement d'un député ayant été déclaré irrecevable en application de l'article 40 de notre Constitution.

Philippe Séguin, alors ministre des affaires sociales, avait déclaré : « Il est vrai que [...] le Fonds national d'assurance veuvage a connu, peu après sa création, des excédents croissants. Ces derniers, je le précise, ne tiennent pas à une volonté délibérée, mais au caractère sans doute trop rigoureux des dispositions qui avaient été adoptées en 1980, et dont la portée avait vraisemblablement été mal apprécié.

[...] L'interprétation que le Gouvernement souhaite voir retenue pour son amendement est celle d'une invitation à lui, adressée par lui-même, à une réflexion urgente sur les mesures qui s'imposent, et dont chacun reconnaît la nécessité, pour remédier à certaines


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 28 JANVIER 1999

situations particulièrement difficiles que connaissent les veuves, notamment dans les années précédant la liquidation de leur droit. »

Aussi, l'on peut s'interroger sur la pratique consistant à transférer à l'assurance vieillesse la totalité des excédents à droit constant du Fonds national d'assurance veuvage ou, selon une autre approche, à ne consacrer à l'allocation veuvage que moins du quart du produit de la cotisation d'assurance veuvage, qui n'est conforme ni à l'esprit ni à la lettre de leur définition.

Les gouvernements successifs s'étant révélés incapables de respecter une règle indicative d'affectation prioritaire des excédents de l'assurance veuvage, la présente proposition de loi vise à garantir une affectation intégrale de ces excédents à la couverture sociale du risque veuvage.

Pour ce faire, il est simplement proposé de supprimer les mots « en priorité » dans le texte de l'alinéa précité.

Cette suppression aurait pour effet d'imposer une gestion financière séparée de l'assurance veuvage et de l'assurance vieillesse et, partant, d'interdire l'absorption par la seconde des excédents de la première.

Il faut cependant souligner que cette modification n'entraînerait pas la création d'une « branche » veuvage, au sens organique que revêt ce terme depuis la réforme de 1994.

La mesure proposée permettrait d'augmenter très substantiellement les ressources susceptibles d'être affectées à la protection contre le risque de veuvage. Si les règles limitant le droit d'initiative financière des parlementaires ne permettent pas d'inclure utilement dans une proposition de loi des dispositions augmentant les dépenses de l'assurance veuvage, il est néanmoins possible d'indiquer les améliorations qu'il serait souhaitable d'apporter aux règles régissant l'allocation veuvage.

Afin de ne pas créer de disparités trop importantes entre les veuves selon leur âge au moment du décès de leur conjoint, j'estime d'abord indispensable de rétablir la troisième année du service de l'allocation pour les veuves ayant droit à l'assurance veuvage avant leur cinquantième anniversaire. Si les ressources disponibles après la mise en oeuvre des autres mesures suggérées ci-dessous le permettent, il serait souhaitable de prévoir une durée unique de service de l'allocation, fixée à cinq ans avant le cinquante-cinquième anniversaire des bénéficiaires.

Il est également prioritaire de mettre en place une modulation du montant de l'allocation en fonction du nombre d'enfants encore à charge, qui pourrait être calquée sur ce qui existe pour le RMI.

Un assouplissement de la condition de ressources applicable à l'allocation veuvage paraît également souhaitable. Outre que le plafond de cumul entre les ressources personnelles du bénéficiaire et l'allocation devra, en cohérence avec la mesure précédente, être modulé en fonction du nombre d'enfants à charge, un relèvement du niveau relatif de ce plafond semble justifié. Celui-ci étant actuellement égal à 3 930 francs par mois et le montant maximum de l'allocation s'élevant à 3 144 francs par mois, l'allocation effectivement servie est réduite dès lors que les ressources personnelles de l'intéressé dépassent un quart du montant de l'allocation, soit 786 francs par mois.

Cette règle très rigoureuse devrait être révisée, afin que le mécanisme de calcul différentiel de l'allocation servie ne joue qu'au-delà d'un montant de ressources personnelles égal au tiers de celui de l'allocation.

Enfin, on notera que le libellé du deuxième alinéa de l'article L. 251-6 du code de la sécurité sociale résultant de la proposition de loi impose d'affecter les excédents de l'assurance veuvage à la « couverture sociale du risque de veuvage » et non à la seule amélioration de l'allocation veuvage, ce qui permet, par exemple, d'envisager l'utilisation desdits excédents au financement du relèvement progressif du taux des pensions de réversion, actuellement fixé à 54 %, et qu'il serait souhaitable de porter, par étapes, à 60 %. En conclusion, la mesure qui est proposée est pleinement une mesure de solidarité et de justice sociale. Il y a nécessité de légiférer, pour retrouver l'esprit du dispositif créé en 1980 et ainsi rendre l'assurance veuvage socialement plus efficace, et financièrement plus transparente.

Une telle réforme devrait faire l'objet d'un véritable consensus dépassant largement les clivages politiques car il en va de l'amélioration de la situation de plusieurs milliers de personnes placées souvent en grande précarité et que le législateur a trop souvent oubliées. Réparons donc cet oubli. J'ose espérer qu'il en sera ainsi.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Jean-Luc Préel, pour dix minutes.

M. Jean-Luc Préel.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je suis très heureux de pouvoir m'exprimer au sujet des conjoints survivants, à l'occasion de l'examen de cette proposition de loi UDF qui va dans le bon sens et qui me semble indispensable.

En effet, les veufs et veuves de notre pays, qui sont plus de trois millions actuellement, sont trop souvent oubliés, malgré les problèmes multiples qu'ils rencontrent.

Le veuvage est un état dramatique psychologiquement en raison de la rupture avec l'être aimé, et souvent difficile financièrement, le survivant ayant des charges inchangées comme chef de famille mais avec des moyens financiers réduits.

L'assurance veuvage, financée par une cotisation de 0,1 % sur tous les salaires, a été instituée par la loi du 17 juillet 1980, le législateur ayant, enfin, reconnu le veuvage comme un risque social, au même titre que d'autres, comme la maladie, la maternité et l'invalidité.

Le but était de procurer au conjoint survivant une aide financière temporaire pour franchir le cap le plus difficile, dans l'attente d'une amélioration de sa situation.

Malheureusement, et là est toute la problématique, l'assurance veuvage, telle qu'elle fonctionne aujourd'hui, n'est plus adaptée aux besoins urgents du conjoint survivant, en raison essentiellement des conditions de res-s ources très restrictives, actuellement inférieures à 786 francs par mois pour la percevoir à taux plein - j'insiste sur ce chiffre - et du montant souvent dérisoire de cette allocation : 3 144 francs au taux maximum.

Pourtant, le fonds créé est largement excédentaire, puisqu'on n'utilise qu'un quart de la cotisation recouvrée annuellement.

L'assurance veuvage concerne en majorité des femmes au foyer de moins de cinquante-cinq ans sans qualification professionnelle. Mais le système actuel ne permet pas d'atteindre l'objectif fixé : l'insertion de la veuve dans la vie active. Du fait des conditions d'attribution très restrictives, de la dégressivité rapide de la prestation, les conjoints survivants de moins de cinquante-cinq ans connaissent de graves difficultés financières et leur réinsertion est quasiment impossible.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 28 JANVIER 1999

Etant donné la modicité des prestations et du faible nombre de bénéficiaires, en raison du plafond de ressources, des excédents très importants se sont constitués régulièrement depuis la création du fonds national d'assurance veuvage. Chaque année, le fonds dégage un peu plus de 1,5 milliard de francs. L'excédent cumulé depuis 1981, en tenant compte des dernières prévisions de 1998 et 1999, est de l'ordre de 25 milliards de francs. Pourtant, chacun continue à se voir prélever 0,10 % sur son salaire.

En application de la loi du 25 juillet 1994, qui a regroupé l'assurance veuvage et l'assurance vieillesse au sein d'une branche unique, l'excédent du fonds d'assurance veuvage est affecté au fonds d'assurance vieillesse.

C'est pourquoi cette proposition de loi prévoit une affectation exclusive de l'excédent du fonds d'assurance veuvage, qui me semble nécessaire afin d'améliorer la couverture sociale du risque veuvage. C'est là tout l'intérêt de la proposition de loi UDF présentée par M. Rochebloine et dont nous discutons aujourd'hui. A cet égard, cette proposition devrait recevoir un consensus large et l'appui de tout le monde, sur tous les bancs.

Nous ne comprenons donc pas bien les deux arguments avancés par la majorité sur ce point en commission.

Premièrement, il n'y aura pas de déficit de la CNAV, puisque les diminutions de recettes seront intégralement compensées par une taxe additionnelle sur le tabac. De plus, monsieur le secrétaire d'Etat, comme la politique de votre ministère est aujourd'hui de limiter la consommation du tabac par le prix...

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Pas seulement !

M. Jean-Luc Préel.

... vous devriez être enthousiaste devant cette proposition de compensation.

Et même, si j'osais...

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Osez !

M. Jean-Luc Préel.

... on pourrait même penser qu'en augmentant le prix du tabac et en diminuant, par conséquent, sa consommation, on aurait demain moins de veufs et moins de veuves.

M. Christian Cuvilliez.

Et plus de chômeurs dans l'industrie du tabac !

M. Jean-Luc Préel.

Deuxièmement, en commission, certains députés socialistes nous ont dit que, depuis plusieurs années, rien n'avait été fait, et qu'il n'y avait donc aucune raison de légiférer aujourd'hui.

Cet argument est stupide. S'il était retenu, il devrait conduire notre assemblée à la dissolution...

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Cela a déjà été fait !

M. Jean-Luc Préel.

... puisque toute nouvelle loi vise effectivement à corriger une lacune non traitée antérieurement. Selon nous, quand il y a un problème, il faut essayer de le résoudre.

Cette proposition de loi demandant une affectation exclusive de la cotisation spécifique est donc conforme à l'esrit de la loi de 1980 instituant l'assurance veuvage. De plus, elle est conforme à un amendement, devenu, lors du DDOS de 1987, le deuxième alinéa de l'article 251-6 du code de la sécurité sociale - loi du 27 janvier 1987 prévoyant bien une affectation prioritaire à la couverture sociale du risque veuvage des excédents du fonds national d'assurance veuvage. La volonté du législateur doit être respectée.

Comme ce fonds est excédentaire, il est logique qu'il serve à améliorer prioritairement la situation des conjoints survivants, en relevant le plafond de ressources, en augmentant son montant sur les trois années et en tenant compte, comme l'a si bien dit M. Rochebloine, du nombre d'enfants à charge.

Nous en avions déjà discuté lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 : non seulement le Gouvernement n'a pas amélioré la situation des veuves, comme elles le mériteraient, mais les pénalise doublement.

Il a, en effet, présenté un amendement limitant à deux ans l'allocation veuvage et il a refusé deux amendements que j'avais déposés, au nom de l'UDF, destinés à prendre en compte la jurisprudence de la Cour de cassation sur deux sujets importants : la majoration pour enfants et les polypensionnés.

Qu'en est-il exactement ? L'amendement présenté par le Gouvernement et adopté par l'Assemblée nationale lors du débat sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale a introduit dans le texte un article additionnel, comportant deux catégories de dispositions.

La première précise le cadre de la réforme de l'assurance veuvage. La dégressivité de l'allocation est supprimée ; par contre, le Gouvernement reprend d'une main ce qu'il donne de l'autre : par mesure réglementaire, la durée de perception sera réduite à deux ans.

Brutalement, par conséquent, l'assurance veuvage a été réduite à deux ans ; la troisième année, les veuves devront se contenter du RMI, alors que le régime d'assurance veuvage est excédentaire ! Il en résulte un problème psychologique. Elles seront soumises à l'assistance, et non à une prise en charge par l'assurance. Psychologiquement, ce n'est pas la même chose.

La deuxième série de dispositions, ou plutôt de nondispositions, concerne les majorations de pensions de retraite pour enfants, afin de régler le situation de ces majorations au regard des règles de cumul.

J'avais déposé un amendement, que vous n'avez pas eu la sagesse d'adopter, qui tendait à exclure la majoration pour enfants du calcul du cumul de la pension de réversion et de l'avantage personnel de retraite conformément à la jurisprudence de la Cour de cassation. Or Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité, a voulu revenir sur cette jurisprudence constante de la Cour de cassation, ce que nous ne pouvons que regretter.

J'avais déposé un deuxième amendement qui visait, lorsque le conjoint survivant perçoit une pension de réversion au titre de plusieurs régimes de base, à ne tenir compte que d'une fraction des avantages personnels du conjoint survivant pour déterminer les limites du cumul.

Curieusement, le Gouvernement ne l'a pas adopté, là encore en contradiction avec la jurisprudence de la Cour de cassation.

A cet égard, le Gouvernement a annoncé son intention de présenter une réforme d'ensemble des règles de cumul pour les polypensionnés à la faveur de la discussion d'un projet de loi portant diverses mesures d'ordre social. Bien sûr, l'esprit et les modalités de cette réforme ne sont pas encore connues.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 28 JANVIER 1999

Ces deux amendements, que le Gouvernement n'a pas voulu adopter, avaient pour but de clarifier la situation et de conforter la jurisprudence de la Cour de cassation, pour améliorer le sort des veuves ayant eu des enfants ou des veuves polypensionnées.

Selon nous, il est urgent de légiférer pour les veuves et les veufs. En effet, dans la mesure où il existe une cotisation veuvage spécifique de 0,10 % sur tous les salaires, il est logique que les sommes ainsi récoltées fassent l'objet d'une gestion séparée et que les excédents du fonds soient affectés à l'amélioration des prestations servies aux veuves.

Il faut également souligner que cette proposition de loi comporte un gage et qu'en conséquence elle n'entraînera aucune perte de recettes pour l'assurance vieillesse. Son adoption est d'autant plus nécessaire que le Gouvernement a réduit à deux ans l'assurance veuvage et a exclu la majoration pour enfant du plafond du cumul entre un avantage propre et un avantage de réversion.

C'est pourquoi, très attaché à la loi et à la défense des droits des conjoints survivants, je ne peux que me féliciter d'une proposition qui permet d'affecter la totalité des excédents du fonds national d'assurance veuvage constatés à l'issue de chaque exercice, à la couverture sociale du risque veuvage.

L'UDF votera donc cette excellente proposition de loi de François Rochebloine : elle entérine la volonté du législateur, elle est une mesure de pure justice sociale et permet enfin de ne plus oublier les veufs et veuves de notre pays. Une telle proposition de loi devrait recevoir l'assentiment de tous, ce dont je ne doute pas. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme Muguette Jacquaint, pour dix minutes.

Mme Muguette Jacquaint.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues. Nous discutons aujourd'hui d'un sujet qui, me semble-t-il, devrait faire l'objet d'un consensus dépassant les clivages politiques.

La France est, après le Canada, le deuxième pays au monde pour ce qui est de l'importance du nombre des veuves par rapport à la population : on en compte près de 3 millions. Quant au nombre d'allocataires de l'assurance veuvage, il s'élève à près de 16 000.

L'assurance veuvage, qui a été créée en 1980, et étendue en 1991 aux régimes agricoles, partait d'une bonne intention et était destinée à répondre à un souci toujours d'actualité. Comme l'indiquait l'exposé des motifs du texte de la loi, cette assurance a été « instituée dans le cadre des différents régimes obligatoires d'assurance décès pour garantir aux conjoints survivants sans ressources, moyennant une charge supplémentaire minime car répartie sur l'ensemble des actifs, une rente de survie ».

Aujourd'hui encore, des veuves sont menacées ou touchées par la précarité et l'exclusion, en particulier celles qui ont cessé de travailler durant une longue période ou qui n'ont jamais travaillé, lesquelles rencontrent beaucoup de difficultés.

La volonté du législateur était donc d'instituer dans notre système de protection sociale un risque veuvage pour aider à l'insertion des veufs et veuves. Cependant, cette allocation a très peu évolué, ce qui nous pousse aujourd'hui à la réformer.

L'assurance veuvage est financée par une cotisation de 0,1 % sur les salaires. Malgré cette unique et faible participation au financement de cette branche - il n'y a aucune intervention du Gouvernement -, le fonds national d'asurance veuvage est excédentaire depuis sa création.

Sur la période 1990-1997, les dépenses engagées au titre des prestations veuvage n'ont représenté en moyenne que 23 % des recettes. Le total des excédents cumulés s'élève à 12,4 milliards de francs. Toutefois, les excédents sont pour la plupart du temps utilisés pour combler les déficits de la branche vieillesse comme le prévoient les dispositions de la loi de 1994 qui a créé une branche unique vieillesse-veuvage. Une réforme de cette branche doit donc être engagée en retenant les mêmes principes que ceux qui ont été appliqués à la réforme de la branche accidents du travail-maladies professionnelles qui est intervenue lors de l'adoption du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999.

La présente proposition de loi vise donc à faire en sorte que les excédents du fonds national de l'assurance veuvage soient effectivement alloués pour ce à quoi ils sont destinés. Nous ne pouvons que partager un tel souci.

Cependant, c'est loin d'être suffisant pour satisfaire aux attentes des bénéficiaires de cette allocation.

D'autres dispositions complémentaires doivent accompagner cette modification. Je pense en particulier aux critères d'attribution de cette allocation, qui imposent de résider en France, d'être âgé de moins de cinquante-cinq ans car au-delà la personne peut prétendre à la pension de réversion, d'avoir assumé ou assumer la charge d'un enfant, de ne pas être remarié ou vivre maritalement et de ne pas percevoir plus de 3 930 francs par mois.

A l'énoncé de ces critères d'attribution, vous conviendrez que des modifications sont nécessaires, et ce dans l'intérêt même des personnes qui peuvent ou pourront y prétendre.

Au reste, le critère parental soulève un problème majeur. Pour bénéficier de l'allocation, il faut avoir un enfant ou en avoir eu un. Mais que fait-on pour les hommes et les femmes qui n'ont pu avoir d'enfant pour des raisons de santé ou autre ? Ces personnes doivent tout de même pouvoir, pour des raisons d'égalité et de justice sociales, bénéficier de celle allocation.

De même, quid des hommes et des femmes qui ont eu plusieurs enfants ? Là encore, des inégalités surgissent.

L'allocation devrait être majorée en fonction du nombre d'enfants. Par conséquent, ce critère mériterait d'être revu.

Le second point qui mériterait d'être révisé est celui du plafond de ressources retenu pour prétendre à l'allocation : 3 930 francs par mois. Une telle somme est trop faible. Ainsi, une veuve, employée à temps partiel, ne peut bénéficier de cette allocation, alors qu'elle la soulagerait certainement d'une partie de ses problèmes. Cela ne fait que l'enfoncer un peu plus profondément dans la précarité.

Ces insuffisances avaient conduit le Gouvernement à apporter quelques éléments de réponse.

Lors du débat sur le projet de loi de lutte contre les exclusions, nous avions déjà alerté la représentation nationale et le Gouvernement sur le fait que les veuves rencontraient de réelles difficultés pour accéder à un emploi et ne pas se faire aspirer par la spirale infernale de la précarité. Le Gouvernement a donc mis en place un dispositif qui permettra de cumuler pendant un an l'allocation veuvage et un revenu d'une activité professionnelle, comme c'est le cas pour les bénéficiaires du RMI, de


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l'allocation spécifique de solidarité ou de l'allocation parent isolé. Ce mécanisme permettra aux personnes concernées de cumuler les deux allocations à hauteur de 100 % pendant les trois premiers mois, 50 % pendant les six mois suivants et 25 % pendant les trois derniers mois.

Lors de l'examen de la loi de financement de la sécurité sociale, une autre disposition a été adoptée. C'est ainsi que, à partir du 1er mars 1999, l'allocation veuvage sera versée pendant deux ans au taux le plus intéressant, soit 3 144 francs. Cette mesure procurera aux veuves et aux veufs un gain de plus de 1 000 francs par mois lors de la deuxième année de perception de l'allocation. En outre, celles et ceux qui ont entre cinquante et cinquantecinq ans lors du décès de leur conjoint bénéficieront d'un gain de plus de 1 500 francs par mois à compter de la troisième année de perception.

Toutes ces dispositions tendent à améliorer les conditions des veuves et des veufs.

Les propositions que je viens de formuler - et qui, je le pense, sont partagées - ne peuvent être concrétisées que grâce à votre intervention, monsieur le secrétaire d'Etat. En effet, vous seul échappez à l'arbitraire de l'article 40. Et si tout cela ne peut se faire par voie réglementaire, peut-être qu'un DMOS ou le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale peuvent servir de supports législatifs.

Mais se posera le problème du financement. Pour apporter ces modifications et répondre aux attentes, il faut, j'en conviens, des moyens. Nous ne pouvons pas y échapper. Une nouvelle fois, la question de réforme du financement de notre protection sociale se pose. Si nous voulons répondre aux besoins, apporter plus de justice sociale dans notre pays et rompre avec les politiques d'austérité de nos prédécesseurs - autant de principes qui, comme le montrent les premières mesures déjà prises, animent la gauche plurielle et le Gouvernement -, des moyens supplémentaires devront être dégagés.

Ainsi, une réforme des cotisations patronales s'impose.

Celles-ci pourraient être modulées en fonction de la politique de l'emploi et des salaires de l'entreprise. De même, on pourrait élargir l'assiette des cotisations aux revenus financiers. Faisons jouer la solidarité nationale jusqu'au bout.

C'est pourquoi nous considérons que refuser cette proposition de loi au motif qu'elle entraînerait un déséquilibre de la branche vieillesse n'est pas un argument recevable.

Certes, cette proposition de loi ne règle pas tout et elle présente peut-être l'inconvénient de ne pas réviser les critères d'attribution. Certes, la situation des veuves et des veufs appelle à une réflexion beaucoup plus globale.

Certes, la paternité de cette proposition de loi peut surprendre : ce sont les mêmes qui, hier, voulaient mettre en place une protection sociale privée, soutenaient le plan J uppé avec toutes les restrictions budgétaires qui l'accompagnaient - plan qui, au demeurant, s'applique toujours - qui aujourd'hui s'inquiètent du sort des veuves et des veufs. Mais les députés communistes ont toujours eu une démarche sereine et objective dans le cadre des

« fenêtres » ou des « niches » parlementaires.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Ah !

Mme Muguette Jacquaint.

Et ce qui nous importe principalement, ce sont les conditions d'existence de nos concitoyens. C'est pourquoi nous n'hésitons pas à participer positivement à toutes les dispositions qui permettent aux Françaises et aux Français de vivre mieux.

Dans l'attente de voir se mettre en place toutes les réformes nécessaires à la protection sociale des veuves et des veufs, les députés communistes voteront cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Bernard Perrut, pour dix minutes.

M. Bernard Perrut.

La proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui aurait pu faire l'objet d'un consensus dépassant les clivages politiques. Elle aurait pu être le premier texte social de l'année 1999, mais vous ne le souhaitez pas, monsieur le secrétaire d'Etat, pas plus que vous, monsieur le président de la commission. Je regrette, comme nombre de parlementaires sur ces bancs, que ce texte ne soit pas discuté...

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Mais si, puisque vous intervenez !

M. Bernard Perrut.

... et que la majorité plurielle refuse tout débat sur un sujet aussi important.

M. Christian Cuvilliez.

Vous n'avez pas écouté ce qui vient d'être dit !

M. Bernard Perrut.

Le veuvage n'est pas seulement un drame individuel particulièrement éprouvant, il constitue aussi un risque social comparable à la maladie, à l'invalidité ou à la vieillesse. Il concerne un nombre important de personnes et plus particulièrement les femmes, avec plus de trois millions de veuves en France. Il s'agit d'un véritable problème de société.

Si la couverture dont bénéficient les veuves ayant atteint l'âge de cinquante-cinq ans leur permet de bénéficier d'une pension de réversion, qui n'est toutefois pas encore assez satisfaisante, il n'en va pas de même pour celles et ceux qui ne satisfont pas à cette condition d'âge.

Je pense à ces femmes de trente, quarante ou quarantecinq ans, ayant un ou plusieurs enfants à charge, que nous rencontrons dans nos permanences. Un mari brutalement décédé, des enfants à élever, un loyer à payer, une activité professionnelle introuvable alors qu'elle est nécessaire : voilà autant de situations difficiles auxquelles elles sont confrontées.

Le portrait de l'une de ces femmes, conçu avec lucidité et sensibilité par Baudelaire dans Le Spleen de Paris, est toujours d'actualité, quand il écrit : « Sans mari tu es exclue, sans argent tu n'es rien. » Une vision pessimiste

certes, mais souvent réelle, car la veuve est désormais seule pour continuer la route commencée à deux. Elle doit affronter les difficultés financières et combler le vide laissé tant par le mari que par le père.

C'est pourquoi la solution au problème du veuvage dans tous les domaines - psychologique, affectif ou matériel - exige une solidarité élargie et forte. Cela d'autant plus que la disparition ou l'effacement de l'organisation familiale traditionnelle a accru l'isolement des veuves.

Les veuves - et les associations qui les représentent le disent souvent - ne demandent pas l'assistance mais leur juste part de solidarité nationale et les moyens de se réinsérer dans la société. Mais aujourd'hui vous ne voulez pas les entendre, monsieur le secrétaire d'Etat, et c'est regrettable.

La politique entreprise dans ce domaine il y a déjà un certain nombre d'années s'est d'abord préoccupée, et c'était normal, de la situation des veuves et veufs âgés, puis, plus récemment, des veuves et veufs les plus jeunes.

Chacun a en mémoire les réformes menées en 1975, à travers la filiation, l'assurance maladie et l'allocation de


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 28 JANVIER 1999

parent isolé, avant que la loi du 17 juillet 1980 n'institue l'assurance veuvage, financée par une cotisation sur les salaires, qui alimente aujourd'hui le fonds national de l'assurance veuvage.

Les restrictions qui existent à l'attribution de cette allocation veuvage, qu'il s'agisse des conditions d'affiliation ou de ressources, sont incontestablement trop rigoureuses et méritent d'être revues. D'ailleurs, des élus se sont exprimés sur cette question depuis un certain nombre d'années.

Les modifications opérées dans la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 n'apportent pas de vraies améliorations. Dégressive et versée sur trois ans, l'allocation veuvage sera désormais unique et versée sur deux ans seulement ; limitée à 3 144 francs par mois, elle laisse place dès la fin de la deuxième année au RMI. En termes de dignité personnelle, les veufs et les veuves n'apprécient pas qu'une seule aide sociale se substitue à la prestation de sécurité sociale qu'ils sont en droit d'attendre car leurs conjoints ont payé des cotisations.

Quant à la majoration pour enfant, vous l'avez repoussée ici même, lors de la discussion de la loi de financement de la sécurité sociale.

Vous avez par ailleurs modifié le calcul du plafond de cumul des avantages personnels de vieillesse et d'une pension de réversion et vous avez ainsi inclus dans le calcul de cette dernière la majoration pour enfant. Je rappelle que tous les groupes de l'opposition se sont opposés à une telle disposition.

Ainsi, l'effort financier global reste vraiment modeste - 544 millions de francs en 1998 - , alors que le produit de la cotisation veuvage est largement excédentaire : 1,6 milliard de francs. L'affectation prioritaire définie en 1997 par l'article L.

251-6 du code de la sécurité sociale n'est donc absolument pas respectée puisque les sommes non utilisées sont transférées à l'assurance vieillesse.

C'est pourquoi, mes chers collègues, la proposition de loi de François Rochebloine est digne du plus grand intérêt : elle entend affecter la totalité des excédents de l'allocation veuvage au risque veuvage dans sa globalité afin d'améliorer la situation des veuves et des veufs, qui vivent, nous le savons tous, des moments difficiles.

Si nous acceptions cette proposition de loi - elle pourrait en effet nous réunir, si j'en crois certains propos tenus il y a quelques instants -,...

M. Pascal Terrasse.

L'arc républicain !

M. Bernard Perrut.

... nous pourrions ainsi prévoir, d'une part, une modulation de l'allocation en fonction des enfants à charge, car l'enfant doit justement être au centre du débat, et, d'autre part, un assouplissement des conditions de cumul de l'allocation veuvage et des ressources personnelles. Nous pourrions encore prévoir pour les veuves et les veufs les plus âgés un relèvement du montant des pensions de réversion qu'il est souhaitable de porter par étapes à 60 % ; une telle mesure nous paraît indispensable.

J'avoue ne pas comprendre, monsieur le secrétaire d'Etat, pourquoi vous ne voulez pas tout mettre en oeuvre pour que les veuves puissent assurer pleinement, avec l'aide de la solidarité nationale, le rôle qui leur revient dans une société où les responsabilités dans le domaine essentiel de la vie familiale sont importantes.

Sans doute préférez-vous privilégier le PACS (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste) plutôt que de légiférer en faveur des droits des conjoints survivants !

M. Pascal Terrasse.

Quelle démagogie !

M. Louis Mexandeau.

Que vient faire ici le PACS ?

M. Bernard Perrut.

Je vous en prie, je crois qu'on peut s'exprimer à cette tribune.

M. le président.

Poursuivez, monsieur Perrut.

M. Bernard Perrut.

Je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'au-delà même de cette proposition de loi, que certains membres de la majorité ne veulent pas discuter, vous preniez de nouvelles mesures et des engagements clairs afin de faciliter l'insertion professionnelle des veuves et de les aider à rompre leur isolement.

M. Pascal Terrasse.

Sur ce point, nous sommes d'accord !

M. Bernard Perrut.

Les veuves ont pour elles leur expérience, toujours douloureuse,...

M. Pascal Terrasse.

Il y a des veufs aussi !

M. Bernard Perrut.

... et leur courage, forgé dans la détresse. Dans la diversité de leurs situations, elles font partie de la communauté fraternelle des Françaises et des Français.

Le veuvage, s'il est une rupture dans la vie personnelle, ne doit pas constituer une coupure dans la vie sociale.

C'est pourquoi la cause des veufs et des veuves doit être pour nous tous - elle l'est en tout cas pour le groupe Démocratie libérale - une grande cause nationale.

Nous soutenons bien évidemment la proposition de notre collègue François Rochebloine et du groupe de l'UDF.

(M. Jean-Luc Préel applaudit.)

M. le président.

La parole est à Mme Marie-Françoise Clergeau, pour cinq minutes.

Mme Marie-Françoise Clergeau.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, chers collègues, c'est avec un intérêt certain et une grande détermination que j'interviens dans ce débat.

Avec un intérêt certain car la question de la reconnaissance sociale des personnes qui ont eu à subir la perte d'un époux ou d'une épouse constitue pour moi un terrain de réflexion et d'action depuis de nombreuses années.

Avec détermination car il s'agit d'un vaste chantier relevant de multiples champs d'intervention, qui doivent être coordonnés dans un souci d'efficacité et de solidarité.

Le texte qui nous est présenté affirme a contratio une vision extrêmement restrictive et cloisonnée des politiques publiques à l'égard de la situation des conjoints survivants et reste peu précis dans l'utilisation des excédents. Je veux y opposer une volonté de plus grande complémentarité des différents outils afin d'aller vers une solidarité renforcée profitant aux personnes les plus modestes.

Des décisions ont déjà été prises par notre majorité.

D'abord, l'allocation veuvage sera versée pendant deux ans au taux le plus intéressant au lieu d'un an. Cette disposition pourra, dans certains cas, être prolongée de trois ans supplémentaires, ce qui peut représenter jusqu'à 66 000 francs de plus avec la possibilité de recevoir les prestations familiales.

Ensuite, des mesures d'incitation à la reprise d'un emploi permettront d'autoriser le cumul pendant un an de l'allocation avec les revenus tirés d'une activité.

Je mentionnerai, enfin, la revalorisation de 2 % du minimum de la pension de réversion, qui concerne plus de 600 000 conjoints survivants.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 28 JANVIER 1999

La volonté et l'action de la majorité en faveur d'une amélioration de la situation des conjoints survivants ne sont donc plus à démontrer.

Les mesures que je viens d'évoquer ne constituent que les premiers éléments d'une réflexion plus vaste que vous menez actuellement, monsieur le secrétaire d'Etat, en concertation avec les associations représentatives.

Une dynamique est née, mais l'adoption de la proposition de loi annihilerait un débat qui existe aujourd'hui et qui dépasse très largement la simple question de l'assurance veuvage. Il convient donc de refuser des choix dont les conséquences budgétaires pourraient compromettre la réalisation d'objectifs concertés...

M. François Rochebloine, rapporteur.

C'est faux !

Mme Marie-Françoise Clergeau.

... issus de ce processus de discussion et d'évaluation.

M. François Rochebloine, rapporteur.

C'est faux ! La mesure proposée est gagée sur les droits sur le tabac !

Mme Marie-Françoise Clergeau.

Je souhaite quant à moi m'inscrire dans ce processus en défendant quatre axes, dont certains sont déjà en discussion : la nécessité d'orienter nos efforts vers l'emploi, l'adaptation de certaines dispositions fiscales, la situation des polypensionnés...

M. Pascal Terrasse.

Très bien ! Voilà quelqu'un qui connaît le problème !

Mme Marie-Françoise Clergeau.

... et l'aménagement des droits successoraux.

La possibilité de cumul de l'allocation avec des revenus d'une activité est un premier pas qu'il conviendra de prolonger par des mesures spécifiques. Par exemple, la prestation dépendance prévoit l'emploi d'aide à domicile dont sont actuellement exclues les personnes bénéficiant d'un avantage vieillesse. Or les conjoints survivants qui bénéficient à cinquante-cinq ans de la pension de réversion ne peuvent prétendre à ces emplois alors que, par leur expérience et leur grande disponibilité, elles peuvent répondre avec efficacité aux exigences d'une telle activité. Il conviendrait de remédier à cette situation.

M. François Rochebloine, rapporteur.

Cela n'a rien à voir avec la proposition de loi. Et vous dites connaître le dossier !

Mme Marie-Françoise Clergeau.

Plus largement, des mesures me semblent nécessaire afin de promouvoir l'embauche des femmes isolées, notamment en les intégrant davantage dans les dispositifs d'insertion professionnelle.

S'agissant de l'adaptation de notre fiscalité à la situation des conjoints survivants, je ne citerai qu'un point : les réductions d'impôts accordées à un conjoint survivant au titre de gros travaux et de travaux d'entretien de sa résidence principale...

M. François Rochebloine, rapporteur.

Hors sujet !

Mme Marie-Françoise Clergeau.

Puis-je m'exprimer sans être interrompue, monsieur le président ?

M. le président.

Poursuivez, madame.

M. Alfred Recours.

Ce n'est pas le rôle du rapporteur que d'interrompre !

M. François Rochebloine, rapporteur.

Le rapporteur s'en tient quant à lui au sujet !

Mme Marie-Françoise Clergeau.

Les réductions d'impôts accordées à un conjoint survivant au titre de gros travaux et de travaux d'entretien de la résidence principale, disais-je, sont réduites de moitié par rapport à ce dont un couple peut bénéficier. D'où mon amendement à la loi de finances pour 1999, visant à remplacer les mots : « célibataire » et « couple marié » par les mots :

« foyer fiscal ».

Il faut également trouver une solution au problème des conjoints survivants polypensionnés, qui peuvent se trouver défavorisés par la règle de cumul des pensions.

M. Bernard Accoyer.

En effet !

M. Alfred Recours.

C'est capital !

Mme Marie-Françoise Clergeau.

Il convient, à cet égard, que le conjoint survivant ne soit ni lésé ni avantagé par rapport à celui qui ne dépend que d'un seul régime.

M. Jean-Luc Préel.

Vous avez refusé de voter un amendement à ce sujet lors de la discusssion du projet de loi de financement de la sécurité sociale !

M. le président.

N'interrompez pas l'orateur, je vous prie !

Mme Marie-Françoise Clergeau.

Enfin, un aménagement des droits successoraux doit être envisagé. En effet, en droit français, contrairement aux règles successorales en vigueur dans la plupart des pays européens, le conjoint survivant n'est pas l'héritier de l'époux décédé. Seule une minorité de couples, ayant une bonne connaissance de leurs droits, pensent à effectuer une donation au dernier vivant. Cela doit passer par une modification du code civil tendant à une amélioration des droits successoraux.

Ces questions, comme bien d'autres, ne méritent pas d'être éludées à la faveur d'une démarche trop hâtive et mal adaptée à la diversité des situations. C'est pourquoi, avec mes collègues du groupe socialiste, je me prononce en faveur du rejet de la proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Bernard Accoyer, pour dix minutes.

M. Bernard Accoyer.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, ce texte est somme toute consensuel car, au-delà des différences qui sont les nôtres, il est certaines causes qui ne peuvent que nous rassembler. La cause des conjoints survivants, en particulier de ceux qui ont charge de famille, est l'une de celles-ci.

Aussi, sans revenir sur ce qui a été déjà dit par ceux qui se sont exprimés à cette tribune avant moi, je voudrais évoquer plus précisément les injustices qui frappent de manière inacceptable ceux et celles qui, dans notre société, ont connu, connaissent ou connaîtront le drame du veuvage.

C'est pour cette raison que le Parlement a adopté en 1980 une disposition instaurant l'assurance veuvage.

Malheureusement, les choses se sont depuis lors dégradées et l'attention du législateur de l'époque n'a pas été maintenue comme il l'aurait fallu. Mais il n'est jamais trop tard pour bien faire, monsieur le secrétaire d'Etat, et nous espérons que, sur cette question sensible et douloureuse, vous vous montrerez ouvert, en tout cas davantage que M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie...

M. Alfred Recours.

Très bon ministre !

M. Bernard Accoyer.

... qui a tout à l'heure refusé que l'urgence pressante de la situation dramatique des retraites soit prise en compte.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 28 JANVIER 1999

L'assurance veuvage, qui s'adresse aux conjoints survivants de moins de cinquante-cinq ans ayant au moins un enfant à charge ou ayant élevé un enfant pendant neuf ans avant son seizième anniversaire est un dispositif qui devrait avoir une place plus importante dans notre système de protection sociale. Je parle bien de « protection social » car il convient de distinguer l'attitude de notre société en direction des veufs et des veuves de celle qu'elle adopte en direction des plus déshérités.

Dès lors que notre système de protection sociale, par l'assurance maladie, couvre le risque maladie, comment interrompre le versement de prestations correctes à compter du jour où la maladie entraîne le décès de l'assuré ou de son conjoint ? Il y a là une rupture dans le travail d'assistance et de solidarité que nous avons ensemble réalisé depuis bien longtemps.

Les conditions de ressources pour l'attribution des prestations sont, vous le savez, tout à fait dérisoires. Le seuil de 3 930 francs approche celui des minima sociaux, en tout cas celui du plus tristement célèbre d'entre eux, le RMI. Et ce seuil était atteint dès la deuxième année dans le précédent dispositif, modifié à l'occasion du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale.

Ce seuil est indécent. Non revalorisé, il ne tient pas compte de la charge supplémentaire que représente les enfants, ni des conditions de vie précaires et des charges, souvent lourdes, que doit supporter le conjoint survivant.

Il n'est pas acceptable que notre assemblée reste passive devant une telle situation. Je veux espérer que le Gouvernement y sera, lui aussi, sensible.

Il serait difficilement compréhensible que votre gouvernement, monsieur le secrétaire d'Etat, ne saisisse pas l'occasion qui lui est fournie de faire un signe en direction des veufs et des veuves. Vous connaissez l'acuité des débats qui ont eu lieu ici même depuis quelques mois, notamment sur la situation des veufs et des veuves que, sur le plan fiscal, votre gouvernement a quelque peu malmenés. Un certain nombre de dispositions qui ont été prises, en particulier la réforme engagée sur l'assurance veuvage, ne changent pratiquement rien au fait que moins du quart des recettes de l'assurance veuvage seulement, pourtant clairement identifiées, est affecté à la couverture des prestations de cette assurance. J'ajoute que le maintien du taux de la première année pendant la deuxième année, sans pour autant que soit relevé le seuil maximum de ressources, ne mobilisera qu'une somme infime par rapport aux recettes considérables de l'assurance veuvage - 1,6 milliard - qui, vous ne l'ignorez pas, sont détournées de leur objet en direction de la CNAV.

Ce n'est pas parce que nos régime vieillesse sont dans une situation précaire,...

M. Pascal Terrasse.

Très précaire !

M. Bernard Accoyer.

... et je rappelle que les gouvernements de gauche n'ont strictement rien fait depuis plus de quinze ans pour en assurer la prévention, que les veuves et les veufs de ce pays doivent être privés de ce qui leur est dû.

En dépit des souhaits exprimés dès 1987 par Philippe Séguin, alors ministre des affaires sociales,...

M. Daniel Marcovitch.

J'avais cru, à vous entendre, qu'il n'y avait eu que des gouvernements de gauche pendant quinze ans !

M. Bernard Accoyer.

... le code de la sécurité sociale, qui dispose en son article L. 251-6, que « les excédents du fonds national l'assurance veuvage constatés à l'issue de chaque exercice sont affectés en priorité à la couverture sociale du risque veuvage », ne s'est pas traduit par l'affectation de la totalité des excédents.

C'est cela que la proposition de loi qui est aujourd'hui présentée tend à concrétiser.

M. Daniel Marcovitch.

Dix ans plus tard ?

M. Alfred Recours.

Qui se souvient de ce ministre des affaires sociales ?

M. Bernard Accoyer.

Il nous semble qu'il serait particulièrement heureux que nous nous retrouvions tous ensemble sur cette question.

Le groupe du Rassemblement pour la République considère que la proposition de loi est essentielle pour marquer notre solidarité en faveur des conjoints survivants. Nous ne doutons pas, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement sera sensible au drame qu'ils vivent.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Gérard Terrier, dernier orateur inscrit, qui dispose de cinq minutes.

M. Gérard Terrier.

Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, qui sur ces bancs n'est pas préoccupé par la situation des veuves et des veufs ? Qui n'est pas disposé à porter une attention toute particulière à ces personnes ?

On ne peut suspecter le Gouvernement et sa majorité parlementaire d'être indifférents aux problèmes rencontrés par cette catégorie de nos concitoyens.

M. Alfred Recours.

C'est vrai !

M. Gérard Terrier.

J'en veux pour preuves les dernières dispositions du projet de loi de financement de la sécurité sociale, notamment son article 38, ainsi que l'article 9 de la loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions.

Nul ne peut contester l'avancée que constituent ces dispositions législatives, à moins de vouloir faire preuve d'une mauvaise foi manifeste.

M. Alfred Recours.

C'est le cas !

M. Gérard Terrier.

En effet, l'allocation veuvage sera versée pendant deux ans au taux le plus intéressant, soit 3 144 francs au lieu des 2 065 francs actuellement versés la seconde année, et cela dès le 1er mars 1999, ce qui procurera un gain de plus de 1 000 francs par mois lors de la deuxième année.

M. Alfred Recours.

Soit 50 % d'augmentation !

M. Bernard Accoyer.

Mais toujours avec le même plafond !

M. Gérard Terrier.

Mieux : pour les veufs et veuves qui ont entre cinquante et cinquante-cinq ans, cet avantage pourra être maintenu pendant trois ans, ce qui induira un gain de 1 500 francs par mois pour cette classe.

Je comprends, monsieur Accoyer, que cela puisse vous gêner en comparaison du laxisme du gouvernement précédent, mais les chiffres sont têtus ! Le Gouvernement a par ailleurs revalorisé de 2 % le minimum de pension de réversion, mesure qui concerne 600 000 veuves. Dans le cadre de la loi de la lutte contre les exclusions, il est de plus permis de cumuler avec ces allocations des revenus tirés d'une activité dans les mêmes conditions qu'avec le RMI, l'API ou l'ASS.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 28 JANVIER 1999

Certes, il reste des attentes non encore satisfaites. Je pense en particulier à la situation des polypensionnés, qui pourrait être traitée dans le prochain DMOS dans un souci d'égalité de traitement entre les différentes catégories de veuves.

M. Pascal Terrasse.

Absolument, et c'est urgent !

M. Gérard Terrier.

Alors, me direz-vous, pourquoi ne pas voter la proposition de loi ? Tout simplement parce qu'elle ne répond pas aux attentes et qu'elle présente des défauts.

Elle ne répond pas aux attentes car rien n'y est explicité quant à l'utilisation des sommes qui seraient exclusivement réservées aux veufs et aux veuves.

Elle présente plusieurs défauts : des défauts d'ordre social et des défauts d'ordre économique.

Des défauts d'ordre social : outre qu'elle annule le choix fait en 1994 par vos amis, monsieur Accoyer, de ne pas créer une branche veuvage, elle consiste à ne plus faire appel à la solidarité entre les branches, solidarité pourtant nécessaire à la préservation des droits des assurés sociaux.

Des défauts d'ordre économique : son adoption dégraderait de plus de 1,5 milliard le solde de la branche vieillesse, alors même que cette branche est la seule à rester déficitaire en dépit des mesures de rééquilibrage déjà pr évues.

L'opposition démontre, une fois de plus, son manque de cohérence. Comment expliquer la proposition de loi de M. Douste-Blazy, qui aurait pour objectif de sauver les retraites, alors que celle dont nous discutons en ce moment même contribuerait à les menacer davantage ?

M. Pascal Terrasse.

Quelle incohérence !

M. François Rochebloine, rapporteur.

Vous savez très bien que la mesure est gagée !

M. Gérard Terrier.

La majorité soutiendra et développera toutes les améliorations de la condition des veuves et des veufs. Elle enrichira sa réflexion des conclusions de la mission d'analyse du système des retraites confiée au commissaire général au Plan.

Ne faut-il pas aussi intégrer dans nos réflexions - je parle bien de réflexions et non pas de décisions - le cas d es couples qui vivent en concubinage ? Personne n'aborde le sujet. Pourtant, les statistiques nous prouvent qu'il deviendra patent et qu'il conviendra, dans un souci de réelle solidarité, de le prendre en compte.

C'est donc pour répondre réellement et efficacement, et non d'une manière démagogique, aux légitimes préoccupations des veuves et les veufs que nous demandons à l'Assemblée de rejeter la proposition de loi.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La discussion générale est close.

La parole est à M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les députés, comme vous le savez, l'assurance veuvage permet aux veuves et veufs de bénéficier, sous condition de ressources, d'une allocation mensuelle pendant une période de quelques années après le décès de leur conjoint, afin de faire face aux conséquences immédiates du veuvage. J'ajoute que le financement de l'allocation veuvage est assurée par une cotisation de 0,10 % acquittée par les salariés en plus de leur cotisation d'assurance vieillesse. Cette cotisation rapporte annuellement un peu plus de 2 milliards de francs, alors que les dépenses d'allocation veuvage s'élèvent à environ 500 millions. Il y a donc en théorie un excédent de plus de 1,5 milliard sur le fonds national de l'assurance veuvage.

L'auteur de la proposition de loi qui vous est aujourd'hui soumise considère que l'assurance veuvage devrait être améliorée et que, pour y parvenir, il conviendrait de faire appel en totalité à l'excédent du fonds national de cette même assurance veuvage. Avant de vous répondre sur le fond, monsieur le rapporteur, et par là même d'exprimer la position du Gouvernement, permettez-moi de vous rappeler tout d'abord qu'une loi portant diverses dispositions d'ordre social avait, en 1987, avec l'accord du gouvernement de l'époque, comme cela vient d'être rappelé, modifié l'article L.

251-6 du code de la sécurité sociale qui porte sur l'assurance veuvage pour y ajouter les mots : « en priorité ».

M. François Rochebloine, rapporteur.

Je l'ai dit !

M. Pascal Terrasse.

Qui était ministre des affaires sociales à l'époque !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Juste question, mais vous y répondez ! L e Parlement invitait donc le gouvernement de l'époque à mener « une réflexion urgente sur les mesures qui s'imposent, et dont chacun reconnaît la nécessité, p our remédier à certaines situations difficiles que connaissent les veuves... ». Le Sénat prenait acte de cette

modification qui constituait « un engagement du Gouvernement à améliorer la couverture sociale des veuves et à lui consacrer l'ensemble des fonds lui étant théoriquement affectés. » La loi de 1994, qui a mis en place les

quatre branches de la sécurité sociale, n'a pas modifié l'ajout de la loi de 1987. La mise en place d'une branche vieillesse-veuvage ne supprimait pas l'utilité de rappeler à l'attention du Gouvernement la situation des veuves.

Vous proposez donc, monsieur le rapporteur, de revenir sur la loi de 1987.

M. François Rochebloine, rapporteur.

Non !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Et pour défaire ce que vos amis ont fait en 1987, vous utilisez les mêmes arguments, à savoir la nécessité d'améliorer la situation des veuves. J'avoue avoir du mal à suivre votre logique.

M. Alfred Recours.

Il n'y en a pas !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Peut-être ces revirements (Protestations sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance) trouvent-ils explication dans le fait que ni la modification apportée par la loi de 1987 ni la rédaction initiale du code de la sécurité sociale, reprise par cette proposition de loi, n'ont de portée juridique et pratique quant à la protection sociale des veuves.

Le Fonds national de l'assurance veuvage coexiste avec le Fonds national de l'assurance vieillesse au sein de la branche vieillesse du régime général et ces deux fonds couvrent chacun une partie du risque veuvage. Le fonds national de l'assurance veuvage prend en charge les veuves de moins de cinquante-cinq ans, en leur versant une allocation temporaire pour leur permettre de faire face aux conséquences immédiates du veuvage. Le fonds national de l'assurance vieillesse, lui, prend en charge les veuves de plus de cinquante-cinq ans en versant les avantages de réversion. Ceux-ci, qui ne sont financés par aucune cotisation spécifique,...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 28 JANVIER 1999

M. Pascal Terrasse.

C'est juste !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

... représentent un montant de plus de 15 milliards de francs, soit dix fois l'excédent du fonds assurance veuvage. Il me paraît donc justifié que des transferts financiers aient lieu à l'intérieur de la branche vieillesseveuvage. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Très bonne argumentation !

M. Alfred Recours.

C'est limpide !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Cet argument pèse d'un poids différent avec les chiffres que je vous ai cités, mesdames, messieurs les députés.

La question de l'affectation de l'excédent de l'assurance veuvage doit être relativisée, également au vu de la situation déficitaire de la branche vieillesse qui est, comme vous le savez, une préoccupation majeure du Gouvernement, M. Accoyer nous l'a fortement rappelé. En vérité, la vraie question pour vous, mesdames, messieurs les députés, - et je sais votre attachement à la situation des veuves et des veufs, notamment des plus modestes - est de savoir quelle a été l'action du Gouvernement en ce domaine depuis juin 1997 ? M. Gérard Terrier l'a en partie évoquée, mais je vous rappelle les différentes mesures prises : Augmentation, à compter du 1er juillet 1998, du taux de liquidation de la pension de réversion des veuves de mineurs de 52 % à 54%, mesure tout à fait légitime quant on sait que la quasi-totalité de ces veuves n'ont pas de pension personnelle et sont en majeure partie non imposables, mais qui, dois-je le rappeler, avait été refusée aux travailleurs de la mine par le précédent gouvernement.

M. Alfred Recours.

Voilà !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

Revalorisation à hauteur de 2 %, au 1er janvier 1999, du minimum de pension de réversion du régime général et d es régimes alignés. Cette revalorisation concerne 600 000 veuves. Là encore, dois-je rappeler que le Gouvernement a fait un geste significatif, car la loi de 1993 sur la revalorisation des retraites prévoyait une revalorisation de 0,6 % seulement ! Réforme de l'allocation de veuvage mise en place par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999. Cette allocation sera versée pendant deux ans au taux le plus intéressant, celui versé pendant la seule première année.

Les veuves bénéficieront ainsi, pendant deux ans, d'une allocation de 3 144 francs alors que le montant actuel est de 2 041 francs. Cela permettra d'éviter la double inscription, dont parlait M. Accoyer, au RMI et à l'assurance veuvage la deuxième année. Les veuves bénéficieront pendant deux ans d'un traitement spécifique lié à leur situation particulière. Cette mesure procurera un gain mensuel de plus de 1 000 francs par mois au titre de l'assurance veuvage, soit plus de 12 000 francs par an lors de la deuxième année de perception de l'allocation. Pour les veuves ou les veufs ayant entre cinquante et cinquantecinq ans lors du décès de leur conjoint, cet avantage pourra même être maintenu pendant trois ans, ce qui représentera, au titre de l'assurance veuvage, un gain de 1 500 francs par mois, soit en cumulé sur trois ans de 54 000 francs.

L'allocation veuvage a donc fait l'objet d'améliorations très nettes. Vous demandez, monsieur le rapporteur et madame Jacquaint, que l'allocation soit modulée en fonction du nombre d'enfants. Mais les prestations familiales étant intégralement cumulables avec l'allocation veuvage, cela permet la modulation que vous souhaitez. Une veuve ayant trois enfants à charge, dont un âgé de moins de trois ans, peut ainsi percevoir près de 8 000 francs, alors que le montant de base de l'allocation veuvage est de 3 100 francs.

La loi d'orientation relative à la lutte contre les exclusions aide les personnes qui viennent d'être touchées par le décès de leur conjoint à retrouver un emploi. Comment ? En autorisant le cumul pendant un an de l'allocation de veuvage avec les revenus tirés d'une activité, soit 100 % pendant les trois premiers mois d'exercice de l'activité et 50 % pendant les neuf mois suivants.

Le Gouvernement continue par ailleurs de travailler, en concertation avec la FAVEC - fédération des associations de veuves civiles chefs de famille -,...

M. Pascal Terrasse.

Excellente association !

M. le secrétaire d'Etat à la santé et à l'action sociale.

... sur d'autres sujets qui concernent les veuves. Mme la ministre de l'emploi et de la solidarité a notamment annoncé, lors de l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, qu'une réflexion était engagée sur le problème de la limite de cumul entre pension de réversion et pension personnelle dans le cas où la veuve bénéficie de pensions de réversion dans plusieurs régimes.

Nous espérons, ainsi que Marie-Françoise Clergeau et Gérard Terrier l'ont annoncé, être en mesure de vous présenter un nouveau dispositif dans les prochains mois.

Comme vous pouvez le constater, mesdames, messieurs les députés, il ne me paraît pas opportun d'aller plus avant dans l'examen de cette proposition de loi qui pose un problème de fond, celui de la solidarité au sein de la branche vieillesse-veuvage, de la solidarité au sein de l'ensemble des assurés. En effet, si cette proposition de loi était adoptée, cela fragiliserait l'avenir du régime général de retraite en aggravant son déficit de 1,5 milliard de francs. Ce texte pose aussi un problème de solidarité au sein de l'ensemble des veuves puisqu'il ne concerne que les veuves de moins de cinquante-cinq ans.

Le Gouvernement entend aborder de manière globale la situation des veuves. Celle-ci ne manquera pas d'être examinée dans le cadre du débat général sur les retraites qui interviendra avant la fin de l'année, conformément à l'engagement de M. le Premier ministre. Je vous demande donc de rejeter cette proposition de loi.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur.

M. François Rochebloine, rapporteur.

Je suis quelque peu surpris et je regrette l'absence de consensus que je pensais pouvoir trouver sur cette proposition de loi. Je remercie d'ailleurs le groupe communiste qui lui a apporté son soutien par la voix de Mme Jacquaint.

M. Bernard Accoyer.

Les Verts étaient pour aussi, mais ils ne sont pas là !

Mme Catherine Génisson.

Vous, vous n'êtes pas nombreux !

M. François Rochebloine, rapporteur.

Vous avez dit très justement, monsieur le secrétaire d'Etat, et les orateurs socialistes l'ont rappelé à plusieurs reprises, que la loi de financement de la sécurité sociale avait apporté des améliorations en matière d'assurance veuvage. Je souhaite toutefois relativiser ces propos, car je vous rappelle que la somme en jeu s'élève à 18 millions de francs seulement.

C'est un chiffre qui m'a été communiqué par la CNAM.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 28 JANVIER 1999

M. Alfred Recours.

Pourquoi ne l'avez-vous pas fait si c'était si simple ?

M. François Rochebloine, rapporteur.

Mon cher collègue, je n'ai pas hésité à m'opposer au Gouvernement lorsque j'étais dans la majorité.

M. Bernard Accoyer.

Ça c'est vrai !

M. François Rochebloin, rapporteur.

Je crois que lorsqu'une mesure est bonne, il faut la voter, quel que soit celui qui la propose, et lorsqu'elle est mauvaise, il ne faut pas hésiter à s'y opposer, que l'on soit dans la majorité ou dans l'opposition. Je l'ai d'ailleurs fait à plusieurs reprises, mais vous n'étiez pas présents, donc vous ne pouvez pas témoigner.

M. Alain Néri.

Nous avons suivi les débats et je constate que l'imagination vous vient quand vous êtes dans l'opposition !

M. le président.

Laissez le rapporteur s'exprimer, je vous prie !

M. François Rochebloine, rapporteur.

Vous prétendez, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette proposition accentuerait le déficit de l'assurance vieillesse. Je ne peux accepter un tel propos puisque, comme vous le savez, ma proposition de loi est gagée par une taxe sur les tabacs.

Elle n'aggraverait donc aucun déficit et vous le savez très bien. Mme Clergeau, entre autres, a parlé de réflexions en cours. Quant à moi, c'est du concret que je vous propose, et je regrette très sincèrement que le Gouvernement ne me suive pas dans cette voie.

Cela dit, en dehors de toute préoccupation partisane, dans le but d'améliorer le sort des veuves, qui sont un peu les oubliées de notre système de protection sociale, dans un esprit de conciliation et de réalisme, je veux vous faire une proposition de compromis qui devrait, me semble-t-il, recueillir l'assentiment général. Puisque vous refusez l'affectation intégrale des excédents annuels de l'assurance veuvage à la couverture du risque correspondant, j'ai préparé un amendement de repli, proposant qu'au moins 50 % de ces excédents soient consacrés à la protection sociale des veuves. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Bernard Accoyer et M. Henri Plagnol.

Très bien !

M. François Rochebloine, rapporteur.

Une telle règle représenterait malgré tout un progrès significatif par rapport à la pratique actuelle. Je rappelle en effet que la totalité des excédents du fond veuvage est absorbée par le déficit de l'assurance vieillesse et que seuls moins de 25 % du produit de la cotisation veuvage sont utilisés pour financer l'allocation veuvage.

Ma proposition consiste en fait à donner une portée juridique contraignante aux dispositions déjà en vigueur et qui prévoient l'affectation prioritaire des excédents à la couverture du risque veuvage, dispositions qui ne sont absolument pas respectées aujourd'hui. Il me semble en effet conforme aux intentions du législateur de 1987 de traduire la notion d'« excédents affectés en priorité aux veuves » par celle d'« excédents majoritairement affectés aux veuves ».

Je vous demande de bien vouloir voter le passage à la discussion des articles. A mon sens, les veuves comprendraient très mal que cette proposition alternative et raisonnable soit repoussée, alors même que l'on a beaucoup parlé de solidarité. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Vote sur le passage à la discussion des articles

M. le président.

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales n'ayant pas présenté de conclusions,...

M. Bernard Accoyer.

C'est lamentable !

M. le président.

... l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi.

Je vous précise que, si conformément aux dispositions du même article du règlement, l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

Je mets aux voix le passage à la discussion des articles de la proposition de loi.

(Le passage à la discussion des articles n'est pas adopté.)

M. le président.

L'assemblée ayant décidé de ne pas passer à la discussion des articles, la proposition de loi n'est pas adoptée.

M. François Rochebloine, rapporteur.

Les veuves apprécieront ! 3

ORDRE DU JOUR DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique : Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, no 1321, autorisant l'approbation du cinquième protocole (services financiers) annexé à l'accord général sur le commerce des services : M. François Loncle, rapporteur au nom de la commission des affaires étrangères (rapport no 1327).

(Procédure d'examen simplifiée) ; Discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, no 1324, relatif à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage : M. Alain Néri, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport no 1330) ; Discussion, en deuxième lecture, du projet de loi, no 960, relatif aux polices municipales : M. Jacky Darne, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 1335).

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite à l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à treize heures.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT