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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE

DE

M.

ARTHUR PAECHT

1. Ratification du traité d'Amsterdam. - Suite de la discussion d'un projet de loi (p. 1899).

QUESTION PRÉALABLE (p. 1899)

Question préalable de M. de Villiers : MM. Philippe de Villiers, Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes ; Yves Bur, Alain Barrau, Richard Cazenave. - Rejet.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 1908)

MM. Pierre Lequiller, François Loncle, Edouard Balladur, Jean-Claude Lefort, François Bayrou, Gérard Charasse.

Suspension et reprise de la séance (p. 1923)

Mmes Nicole Ameline, Monique Collange,

MM. Guy Hermier, Michel Suchod,

M.

Alain Barrau, Mme Marie-Hélène Aubert,

M.

Julien Dray, Mme Béatrice Marre,

MM. Paul Dhaille, Gérard Fuchs.

Clôture de la discussion générale.

MOTION D'AJOURNEMENT (p. 1933)

Motion d'ajournement de M. Sarre : MM. Georges Sarre, Gérard Fuchs, René André, Pierre Lequiller. - Rejet.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

2. Dépôt d'un rapport (p. 1939).

3. Dépôt de rapports en application de lois (p. 1939).

4. Dépôt d'un projet de loi adopté par le Sénat (p. 1939).

5. Dépôt d'un projet de loi modifié par le Sénat (p. 1939).

6. Ordre du jour des prochaines séances (p. 1939).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. ARTHUR PAECHT,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures trente.)

1 RATIFICATION DU TRAITÉ D'AMSTERDAM Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam modifiant le traité sur l'Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes (nos 1365 rectifié, 1402).

Question préalable

M. le président.

J'ai reçu de M. Philippe de Villiers u ne question préalable, déposée en application de l'article 91, alinéa 4, du règlement.

La parole est à M. Philippe de Villiers.

M. Philippe de Villiers.

Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des affaires européennes, mes chers collègues, le projet de ratification du traité d'Amsterdam, dont le débat s'est ouvert cet après-midi, m'apparaît inacceptable, pour au moins deux raisons.

Au-delà de la multiplicité des dispositions techniques, du reste incompréhensibles comme cela a été souligné par les uns et par les autres - n'est-ce pas volontaire d'ailleurs, pour que personne n'y comprenne rien, de faire un traité illisible ? En comparaison, le traité de Maastricht, c'est presque du Baudelaire, de la poésie, tellement c'est simple ! Là, ce ne sont que renvois et contre-renvois -, il y a un fil conducteur qui n'est pas visible à l'oeil nu, mais qui est là, présent, et qui n'a pas échappé à ceux qui ont préparé ce traité, à ceux qui l'ont rédigé et, oserai-je dire, à ceux qui l'ont signé : c'est la construction progressive d'un super Etat européen qui implique la marginalisation des démocraties nationales et donc des parlements nationaux.

Il est d'ailleurs stupéfiant de voir avec quel enthousiasme le Parlement s'apprête à abolir ses propres pouvoirs, et la question que je pose ce soir à l'Assemblée nationale est la suivante : croyez-vous vraiment, mesdames, messieurs que les citoyens français, quand ils sauront ce que nous sommes en train de faire, seront d'accord rétrospectivement ? Croyez-vous que les citoyens français seront satisfaits d'apprendre, par exemple, que le Parlement français n'a plus rien à dire en matière d'immigration, qu'il n'a plus aucun droit de contrôle, aucun droit de décision et même, à partir de 2003, aucun droit de proposition ? On a omis, en effet, de dire aux Français et à la représentation nationale qu'à travers les articles 60, 61, 62 et 63, on accordera dans cinq ans le monopole de l'initiative à la commission de Bruxelles.

Les Français veulent une politique de coopération en matière d'immigration et de sécurité. Il n'est pas question d'un repli de la France sur elle-même. C'est le fantasme de ceux qui voudraient voir dans tous les patriotes de France, quelle que soit leur sensibilité, des tenants de « la France moisie » chère à M. Sollers. Non, personne dans cette assemblée ne pense à une France repliée sur ellemême. Tout le monde pense à une Europe de la coopération, en matière d'immigration et de sécurité notamment.

Mais c'est une erreur fondamentale de croire qu'on peut passer de la coopération à l'intégration pour être plus efficace et qu'on ne peut travailler avec efficacité au niveau européen que si chaque pays abandonne toute capacité de décision autonome. Or c'est bien cela qui est au coeur du traité d'Amsterdam.

En d'autres termes, cette méthode est mauvaise. Nous ne pouvons pas l'approuver et nous pensons que les Français, lorsqu'ils sauront ce qu'il y a dans le traité d'Amsterdam, se tourneront vers la représentation nationale pour nous demander ce que nous avons fait de nos pouvoirs, c'est-à-dire de leurs libertés.

Il y a une seconde raison pour laquelle ce débat me paraît inacceptable, M. Hue y a fait allusion tout à l'heure, c'est la question du référendum.

On peut être pour ou contre Amsterdam, mais dissimuler à ce point la vérité et expliquer aux Français qu'il n'y a pas besoin de les consulter parce qu'il s'agit de questions mineures, cela dépasse l'entendement.

On entend depuis quelques jours, spécialement du côté des listes fédéralistes qui se préparent pour les élections européennes, des responsables politiques déclarer que l'Europe s'est construite, à tort, dans le secret, hors de la volonté et du contrôle des peuples. Alors nous sommes en train de poursuivre dans une voie qui est une impasse.

Contrairement à l'esprit de nos institutions et à la lettre de l'article 89 de la Constitution, les Français n'auront pas été consultés sur le traité d'Amsterdam. Ils n'auront pas été consultés sur la révision constitutionnelle et ils n'auront pas été consultés sur la ratification du traité lui-même, et il y a à cet égard une différence entre l'actuel Président de la République et son prédécesseur, qui avait finalement choisi de consulter les Français, non pas sur la révision constitutionnelle, mais sur le traité de Maastricht lui-même. Nous n'avons eu cet après-midi qu'un simple message écrit, dont une ligne et demie faisait référence au traité d'Amsterdam.

Je vous ai tout à l'heure écouté avec attention, monsieur le ministre, dans votre dialogue, du reste intéressant, avec M. Robert Hue.

Mme Christine Boutin.

Surréaliste !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

M. Philippe de Villiers.

Il n'y a pas besoin de faire un référendum : vous avez répondu en opposant l'article 3 à l'article 89 de la Constitution.

Le problème est double.

Premièrement, l'article 89 est sans ambiguïté. Le général de Gaulle l'a dit à plusieurs reprises : le Congrès, pour les réformettes ; pour les vraies réformes, c'est le peuple.

Deuxièmement et surtout, il y a tout de même un paradoxe. Vous avez eu tout à l'heure l'audace de dire aux députés qui étaient présents : « C'est extraordinaire, c'est vous qui délibérez sur le traité d'Amsterdam. » Vous

auriez dû ajouter que nous délibérons pour abolir nos propres pouvoirs. C'est un sacré paradoxe ! Si le Parlement veut abolir ses propres pouvoirs, c'est au peuple de le faire, pas au Parlement lui-même. Si le Parlement veut remettre les pleins pouvoirs à des commissaires, à des juges, à des banquiers, ce n'est pas à lui de le décider, c'est au peuple français tout entier.

Je sais bien que la mode, depuis plusieurs années, est de dire que la question européenne est une affaire trop importante pour être confiée au peuple français luimême. M. Claude Cheysson a dit un jour, ce que, sans doute, il a regretté depuis, que la construction européenne devait se faire à l'abri des peuples. Sous-entendu, le peuple ne comprend rien à ces affaires, trop complexes.

Et, récemment, un ancien président de l'Assemblée nationale a déclaré que ce n'était pas à l'occasion d'une élection au Parlement européen que l'on exprimait un choix sur les grandes orientations de l'Europe. C'est Philippe Séguin, pour ne pas le citer. Si ce n'est pas au moment des élections européennes, si ce n'est pas au moment du débat sur un traité de l'importance du traité d'Amsterdam, quand parle-t-on des vrais sujets qui concernent notre avenir ? La grande question qui est devant nous est simple : Europe intégrée ou souveraineté nationale, deux types d'Europe tout à fait contraires. Ou bien l'on continue la dérive actuelle, ou bien l'on se reprend, tous ensemble, pour mettre l'Europe à l'endroit.

Le processus d'Amsterdam, on a trouvé à chaque étape de bonnes raisons pour ne pas en parler, et je vous fais ce soir une proposition, monsieur le ministre, une proposition sage : suspendre le débat parlementaire de ratification et le reporter à une date postérieure aux élections européennes. De cette manière, la campagne électorale qui va s'ouvrir donnera une tonalité sur l'état d'esprit des Français par rapport à l'actuelle construction de l'Europe. A partir de ce que vous appelleriez une indication sur leur état d'esprit, nous pourrions reprendre notre débat après une suspension de deux ou trois mois. Rien ne sera tardif en l'occurrence.

A ces raisons de politique et d'opportunité générales, j'ajouterai, pour étayer ma question préalable, des raisons juridiques plus précises, qui concernent l'article qui nous est soumis et l'amendement qui est proposé.

Sur l'article lui-même, vous ne serez pas surpris, mes chers collègues, si je vous dis que je ne vois pas de raison de délibérer car ce texte est toujours contraire à la Constitution et aux intérêts de la France.

Il est toujours contraire à la Constitution, parce qu'il contredit frontalement l'idée de la souveraineté nationale, qui est le fondement de nos institutions. Nous savons maintenant que le peuple français ne prendra plus ses décisions de manière autonome, s'il devient prisonnier de procédures de décision à la majorité qualifiée au Conseil des ministres européens.

On pourra multiplier les acrobaties verbales du type

« souveraineté partagée », on ne pourra pas faire disparaître cette évidence qu'avec le traité d'Amsterdam, nous ne prendrons plus nos décisions en pleine indépendance juridique.

Le Conseil constitutionnel n'a pas vu l'ensemble de ce problème, mais il a tout de même soulevé, dans sa décision du 31 décembre 1997, un point très important de non-conformité du traité concernant la libre circulation des personnes. C'est pour réduire cette divergence qu'est intervenue la révision du 18 janvier dernier en Congrès à Versailles.

Je soutiens ce soir que cette révision est insuffisante pour répondre à l'objection du Conseil et que, aujourd'hui, le travail reste à faire.

En effet, quand le Conseil constitutionnel a estimé que le basculement des décisions européennes à la majorité sur les questions de circulation des personnes « pouvait conduire à ce que se trouvent affectées les conditions essentielles d'exercice de la souveraineté nationale », trois possibilités s'offraient au Président de la République et au Premier ministre : abandonner la ratification et renégocier le traité ; admettre clairement dans la Constitution qu'avec le traité d'Amsterdam on abandonnait une part de la souveraineté française ; conserver l'intégralité de la souveraineté nationale dans la Constitution et trouver les moyens d'éviter que le traité d'Amsterdam ne puisse affecter son exercice.

La première solution, celle de la renégociation, qui me paraissait, comme à beaucoup d'autres, la plus claire, la plus simple, la plus efficace, a été écartée d'emblée.

La deuxième solution impliquait un abandon formel de la souveraineté nationale. Il suffisait d'un peu de franchise pour le dire. Cela aurait eu le mérite de faire coïncider franchement la Constitution avec la réalité du traité d'Amsterdam. Selon le principe de non-contradiction d'Aristote, ou bien c'est, ou bien ça n'est pas. Les deux à la fois, ce n'est pas possible. On ne peut pas dire que le cheval blanc d'Henri IV est noir. Mais, par pudeur, ou pour ne pas effrayer les citoyens, on n'a pas retenu cette solution.

L'article 3 de la Constitution, qui proclame que la souv eraineté nationale appartient au peuple, est donc demeuré inchangé à l'issue de la révision du 18 janvier.

Devant cette assemblée, le 24 novembre dernier, Mme la garde des sceaux a même déclaré : « Je rejette toute analyse présentant ces transferts comme des abandons de souveraineté. La souveraineté de la France est inaliénable, imprescriptible, incessible et indivisible ».

M. Michel Vauzelle, rapporteur de la commission des affaires étrangères.

Très bien !

M. Philippe de Villiers.

Merci de ponctuer mon intervention et de souligner nos points d'accord.

M. Michel Vauzelle, rapporteur.

Je suis d'accord avec Mme Guigou !

M. Philippe de Villiers.

Mais allons plus loin, monsieur Vauzelle.

Admettons un instant que Mme la garde des sceaux ait eu raison. Dans ce cas, il fallait rechercher la solution dans une troisième direction : la conciliation de la souveraineté nationale maintenue dans la Constitution avec l'abolition des contrôles de personnes aux frontières intérieures de l'Union.

Or, comment y arriver alors que la révision constitutionnelle porte en elle trois concepts de signes contraires - d'abord la souveraineté nationale, incessible, inaliénable,


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imprescriptible et indivisible, dixit Mme la garde des sceaux ; ensuite, l'abolition des contrôles de personnes ; enfin, la communautarisation des domaines liés à la circulation des personnes - sans établir la moindre passerelle susceptible de les rendre compatibles.

Le Conseil constitutionnel, lorsqu'il a rendu sa décision au mois de décembre 1997, entre la dinde et les marrons glacés, a livré à ses interlocuteurs - le Premier ministre et le Président de la République - un texte à la limite de la gêne parce qu'il s'est souvenu que dans sa décision du 25 juillet 1991 relative aux accords de Schengen, il avait eu à résoudre le problème que nous venons de souligner. Il y était parvenu en introduisant une clause de sauvegarde qui est une sorte de compromis de Luxembourg appliqué aux questions de frontières, clause ainsi rédigée : « Toutefois... si l'ordre public ou la sécurité nationale exige une action immédiate, la partie contractante concernée prend les mesures nécessaires et en informe le plus rapidement possible les autres parties contractantes. » Le Conseil constitutionnel a par là estimé

que cette clause permettait de concilier la souveraineté avec la suspension de certains contrôles aux frontières.

Il a d'ailleurs appliqué une jurisprudence semblable, lors de la révision constitutionnelle du 25 novembre 1993, en précisant qu'il était possible de concilier la souveraineté nationale dans son intégrité avec les abandons de souveraineté à la condition qu'une clause de sauvegarde puisse jouer.

Or, dans le traité d'Amsterdam, toute clause de ce type a disparu. C'est toute la différence avec les accords de Schengen. Certains députés qui ont voté pour leur ratification - ce ne fut pas mon cas - avaient justement invoqué la présence d'une clause de sauvegarde pour expliquer leur vote. Et le Président de la République lui-même dans sa grande sagesse a, dès le lendemain de son élection, fait jouer cette clause pour éviter que la France ne soit envahie par la drogue en provenance des Pays-Bas par sa frontière Nord. Monsieur le ministre, qu'en sera-t-il demain de cette frontière ? Le Président de la République aura-t-il le droit de maintenir les contrôles avec comme seul fondement juridique la clause de sauvegarde du traité de Schengen ? La réponse est pour moi évidente et je suis prêt à aller plus loin dans ma démonstration : c'est non ! En fait, il manque deux éléments essentiels dans le traité d'Amsterdam par-delà les abandons de souveraineté qui sont nommés, prévus ou sous-entendus. Il manque la clause de sauvegarde portant sur les questions de frontières - nous venons de l'évoquer. Et il manque un rappel du compromis de Luxembourg cher à tous ceux qui ont de l'Europe une conception fondée sur la coopération, y compris sur des décisions prises à la majorité qualifiée à condition qu'il existe un droit de veto sur ce qu'on appelle encore aujourd'hui « les intérêts vitaux ». Et ce qu'est un intérêt vital, c'est à la nation, c'est à l'Etat, c'est au peuple de le dire.

C'est pourquoi nous estimons que cette révision n'est pas susceptible de lever les objections émises par le Conseil constitutionnel.

Certes nous pourrions considérer qu'après tout, bon an, mal an, la Constitution est une chose secondaire par rapport à la marche de l'Europe. Et c'est le cas, finalement, puisque la Constitution, on en change comme de liquette. On prépare ses cartes postales tous les six mois à Versailles et on y retournera d'ailleurs bientôt. Mais quand bien même la Constitution serait secondaire, il reste les intérêts de la France. Or, le traité d'Amsterdam n'y est pas conforme.

Il me paraît vital, sans doute comme à beaucoup d'entre vous, que pour la défense de notre identité nous gardions, en tous points, le dernier mot sur le franchissement de nos frontières, sur les questions de circulation de personnes à l'intérieur de notre territoire. Et ce pouvoir, le traité nous l'enlève.

Je suis convaincu - j'y pensais tout à l'heure en entendant certains orateurs, spécialement de l'opposition - que ceux qui, d'un coeur léger, s'apprêtent à voter la ratification ne sont pas sincères. Ils sont emportés par un mouvement quasi religieux, en tout cas, idéologique. Qui peut croire qu'en abolissant nos frontières, nous allons mieux contrôler nos problèmes de sécurité et d'immigration ? Peut-être des intellectuels ou des parlementaires mais pas le peuple français, pas nous tous les jours dans la rue.

M. Richard Cazenave.

Mais que faites-vous des 250 000 personnes régularisées en Italie ?

M. Philippe de Villiers.

Quand on voit, monsieur Cazenave, ce qu'est aujourd'hui la politique allemande en matière de code de la nationalité, quand on voit la politique italienne de régularisation systématique des immigrés...

M. Richard Cazenave.

Justement, qu'en faites-vous ?

M. Philippe de Villiers.

... nous ne pouvons pas, nous, la France, faire le pari d'une Europe dirigée par les commissaires de Bruxelles qui viendraient faire chez nous ce que nous n'avons pas été capables de faire tout seuls.

C'est une fuite par rapport à nos responsabilités. Et vous le savez très bien, monsieur Cazenave, elle nous conduira aux plus grands déboires. A partir de 2003, ce n'est plus vous, ce n'est plus nous, ce n'est plus le Gouvernement qui aura à régler les problèmes de nationalité, d'asile, de franchissement de frontière, d'immigration, de sanspapiers, ce sont les commissaires de Bruxelles ! Et pour les contrer, il faudra, M. le ministre des affaires européennes le sait bien, l'unanimité au Conseil.

C'est une folie ! La France sans territoire n'est plus la France. Expliquez-moi, en effet, comment une nation peut survivre quand elle n'a plus de territoire ? On voit bien à quelle marche nous sommes confrontés : après le marché unique, la monnaie unique, le territoire unique et l'impôt unique viendra l'heure de la langue unique, qui sera naturellement l'anglais, c'est-à-dire l'américain. Je n'accepte pas, je condamne cette évolution.

Mais il n'y a pas que cela dans le traité d'Amsterdam, même si c'est déjà beaucoup. Il comporte d'autres éléments inacceptables.

D'abord, il subordonne nos lois et même notre constitution au droit communautaire.

Il faut relire le fameux protocole sur la subsidiarité pour déjouer cette Europe du mensonge qui arrive à faire croire aux gens le contraire de ce que prévoient les textes.

Subsidiarité, cela signifie : en bas, tout ce qui est possible, en haut, seulement ce qui est nécessaire. Or le protocole sur la subsidiarité dit très exactement le contraire, puisqu'il solennise et pérennise dans un traité la jurisprudence dangereuse et critiquable de la Cour de justice.

En d'autres termes, dans le traité d'Amsterdam, il est confirmé que le droit communautaire, même dérivé, serait désormais supérieur à toute forme de droit national, même constitutionnel. Ainsi, on entre dans l'engrenage d'un Etat fédéral européen, dont ce principe constitue la clé de voûte.

Mme Christine Boutin.

Absolument !


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M. Philippe de Villiers.

Je sais bien que les partisans de cette formule ne sont pas majoritaires dans cette assemblée. Pourtant, on demande aux représentants de la nation d'approuver un texte contraire à leurs convictions.

Et jusqu'à présent, monsieur le ministre, je n'ai pas entendu de votre part, malgré votre verve et votre talent, de réponse à la question du protocole no 7 sur la subsidiarité.

Second aspect hautement contestable de la jurisprudence de la Cour de justice, c'est l'idée que le droit communautaire, même dérivé, devrait l'emporter sur toute loi nationale, même postérieure.

Qu'on ne vienne pas me dire ce soir que c'est une affabulation car il me suffira d'évoquer la législation concernant la chasse. Nous sommes aujourd'hui dans une situat ion extraordinaire : certains tribunaux administratifs veulent appliquer à tout prix dans certains départements français une directive qui date de 1979, alors que le Parlement a voté une loi, le 3 juillet 1998, qui est en contradiction formelle avec celle-ci. Moi, je pars d'un principe simple, qui devrait être la règle sous cette verrière, comme dirait M. Giscard d'Estaing : « Charbonnier, maître chez soi ». Si le Parlement français, lorsqu'il vote une loi, est démenti par les tribunaux administratifs au nom d'une directive ancienne, à quoi sert-il ? J'ai peur, mes chers collègues, que, de plus en plus, notre assemblée ressemble à un conseil général - et j'en ai l'expérience. Dans un conseil général, il y a une majorité et une opposition, on parle de choses souvent importantes, une droite gestionnaire succède à une gauche gestionnaire, qui succède à une droite gestionnaire. Mais tous les problèmes essentiels sont évacués et sont traités ailleurs. Voilà bien la situation devant laquelle nous nous trouvons.

Je n'accepte pas, quant à moi, pour avoir voté la loi sur la chasse que les tribunaux administratifs et, demain, la Cour de justice de Luxembourg, viennent, au nom du traité d'Amsterdam, condamner la France ! Qu'est-ce que cette Europe qui nous brime, qui nous piétine, qui nous condamne ? Que sont ces robins appointés et cooptés, supplétifs des commissaires de Bruxelles ? Mais on a changé de régime ! On est là dans une oligarchie que même les Grecs n'avaient pas prévue, une oligarchie incontrôlable et, pour tout dire, totalitaire, parce que notre vie quotidienne, ce sont nos libertés ! Elles sont anciennes ! Elles nous appartiennent ! Que l'on discute entre nous, que l'on se chamaille, que l'on se divise, c'est notre affaire, surtout lorsqu'il s'agit de questions qui touchent à nos traditions, à notre culture, bref, à ce que Jack Lang appelait, tout à l'heure, « l'âme de la nation ».

Mme Christine Boutin.

Eh oui !

M. Philippe de Villiers.

Or, mes chers collègues, le traité d'Amsterdam nous invite à ratifier de manière détournée cette jurisprudence scandaleuse, confirmée, hélas ! par le Conseil d'Etat et la Cour de cassation ! En outre, il remet en cause le principe traditionnel selon lequel la Communauté ne détient que des compétences d'attribution limitativement énumérées.

Depuis le traité de Rome, il est un principe bien établi en Europe, celui des compétences d'attribution, qui sont déléguées par les Etats à la Communauté européenne, de manière précise, limitative et contrôlable. Avec le traité d'Amsterdam - et j'attends avec impatience la réponse du ministre sur ce point - on a basculé dans un tout autre système. Je ne prendrai que trois exemples.

Le premier exemple, c'est l'article 13 qu'on appelle clause anti-discrimination. Il donne à la Communauté un blanc-seing pour lutter contre toutes sortes de discriminations ou supposées telles, sans que nul ne connaisse les limites de cette nouvelle mission. J'ouvre une petite parenthèse : c'est sur la base de cet article que l'adoption des enfants par les couples homosexuels deviendra la loi commune en Europe. En effet, le texte de l'article le prévoit expressément en référence aux travaux préparatoires.

M. Alain Barrau.

En êtes-vous bien sûr ?

M. Philippe de Villiers.

Deuxième exemple, l'article 2 du protocle sur Schengen qui donne au Conseil l'écrasante mission de faire le tri entre les dispositions de l'acquis de Schengen qui seront affectées en premier pilier, et celles qui relèveront du troisième. Cela revient à donner au Conseil le droit de désigner de manière discrétionnaire de nouvelles compétences communautaires.

J'en viens au troisième exemple sur lequel je m'étonne que nous n'ayons pas passé plus de temps, parce qu'il est extraordinaire - et je suis persuadé que même M. Barrau n'en est pas revenu - je veux parler du fameux article 7.

Cet article prévoit une procédure inédite qui permet au Conseil de...

M. Alain Barrau.

Il garantit les droits de l'homme en Europe !

M. Philippe de Villiers.

... suspendre les droits d'un

Etat membre. Vous parlez de garantie de droits de l'homme en Europe. C'est très intéressant, mais complétez votre réplique : garantie des droits de l'homme en Europe et principes de la Communauté européenne tels qu'ils sont entendus par la Cour de justice. Et parmi ces principes figure la liberté de circulation, dont vous savez très bien - mais si ce n'est pas le cas, vos collègues et amis communistes vous l'expliqueront - qu'elle est mise au service d'un principe et d'une philosophie libre-échangiste.

Faisons de la fiction, monsieur Barrau. La France interdit demain l'entrée du poulet à l'eau de Javel en provenance des Etats-Unis, à propos duquel vous savez qu'il y a un début de contentieux.

M. Alain Barrau.

Ce ne sont plus les droits de l'homme, ce sont les droits du poulet !

M. Philippe de Villiers.

Comme cette mesure est contraire à la liberté de circulation, la France se retrouverait dans une situation fort délicate. Pensons beaucoup plus concrètement aux marges de manoeuvre du successeur de Mme Voynet. Ce ministre qui, soit dit en passant, restera dans l'histoire pour n'avoir pas su s'opposer à la libre commercialisation du maïs transgénique en Europe, alors que le simple principe de précaution le lui dictait.

Enfin, si demain la France veut rétablir des contrôles aux frontières - au nord, par exemple, pour lutter contre la drogue en provenance des Pays-Bas - elle se trouvera aussi en difficulté. Et tout cela à cause de l'article 7, en vertu duquel le Conseil peut suspendre les droits d'un

Etat membre, y compris ses droits de vote, lorsqu'il ne respecte pas certains principes dont les rédacteurs du traité disent eux-mêmes qu'ils ont été volontairement vaguement définis. Une telle clause peut pervertir l'esprit de tous les votes à l'unanimité prévus par les traités.

Il existait jusqu'à présent une compétence générale pour les Etats et des compétences d'attribution pour la Communauté. Il existe aujourd'hui une compétence


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générale pour la Communauté et ce que j'appellerai des compétences résiduelles pour les Etats. Et à partir du moment où sur la base de l'article 7, n'importe quelle directive, n'importe quel règlement, est désormais considéré comme supérieur à une décision nationale, fût-elle d'origine et de source constitutionnelles, on ne peut que constater qu'on a basculé dans un autre monde.

Je voudrais souligner un autre point, qui concerne la liberté de choix du peuple français pour ce qui est des actions extérieures. Le traité d'Amsterdam est à cet égard extrêmement dangereux. Le budget de la politique étrangère et de sécurité commune sera en effet soumis à la codécision du Parlement européen. On en tremble d'avance quand on connaît le Parlement européen ! Et le Conseil pourra, de son propre chef, conclure des accords internationaux de toute nature sans que soit précisé le sort réservé aux ratifications habituelles par les parlements nationaux. Si je parle de cela, ce n'est pas pour m'appesantir sur ce point, mais pour souligner un aspect méconnu et pourtant très dangereux du traité d'Amsterdam : la communautarisation potentielle de certaines négociations commerciales internationales jusqu'à présent intergouvernementales.

En effet, l'article 133 du nouveau traité prévoit que

« le Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission, et après consultation du Parlement européen, peut étendre l'application de la politique commerciale commune aux négociations et accords internationaux concernant les services et la propriété intellectuelle ». Cet a rticle est purement et simplement décalqué de l'article 67-2, qui concerne la circulation des personnes.

Quelles qu'en soient les raisons - et elles me paraissent obscures -, il est clair qu'il n'est pas dans l'intérêt de la France d'ouvrir la possibilité d'inclure les services et la propriété intellectuelle dans le champ de la politique commerciale commune,...

Mme Christine Boutin.

Tout à fait !

M. Philippe de Villiers.

... qui implique à la fois des décisions prises à la majorité du Conseil et la suppression des pouvoirs de ratification des parlements nationaux.

Un orateur a parlé tout à l'heure de l'AMI, le fameux accord multilatéral sur l'investissement. Vous vous souvenez que la négociation de cet accord a été interrompue à l'initiative du gouvernement français. Et beaucoup de parlementaires, à l'époque, à l'exception des idéologues de l'ultralibéralisme libre-échangiste,...

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Des noms ! Des noms !

M. Michel Vauzelle, rapporteur.

Ça existe encore ?

M. Alain Barrau.

C'est plutôt une bonne nouvelle de ne pas vous compter dans leurs rangs !

M. Philippe de Villiers.

Merci, monsieur Barrau ! Vous savez que vous me touchez chaque fois que vous intervenez.

M. Alain Barrau.

Je sais ! J'essaie !

M. Jean-Claude Lenoir.

N'exagérons rien !

M. Philippe de Villiers.

L'AMI est en quelque sorte la déclaration universelle des droits des capitaux, c'est la possibilité pour les grandes entreprises multinationales de dominer les Etats et de passer par-dessus le droit des peuples.

J'ai entendu quelques murmures à gauche...

M. François Loncle.

Pas du tout !

M. Philippe de Villiers.

... et j'ose espérer qu'il n'y a pas, d'un côté, les pourfendeurs des multinationales, et, de l'autre, leurs défenseurs.

M. Michel Vauzelle, rapporteur.

Il y a un peu de ça quand même !

M. Philippe de Villiers.

Je crois qu'il y a sur ces bancs des gens sensés et raisonnables, qui ne croient pas à l'avenir de l'acccord multilatéral sur l'investissement, lequel est très dangereux pour toutes nos sociétés et nos nations.

M. Alain Barrau.

Très bien !

M. Philippe de Villiers.

Cet accord, disais-je, a été stoppé. Mais supposez que l'on applique le traité d'Amsterdam. Alors là, tout change !

Mme Christine Boutin.

Absolument !

M. Philippe de Villiers.

Car la réaction du gouvernement français n'a été possible que parce que nous étions dans le cadre d'une négociation intergouvernementale, où notre pays gardait donc les mains libres.

C omment pourrions-nous, après cette expérience, accepter de nous lier les mains dans les domaines vitaux des services et de la propriété intellectuelle, alors que nous sommes à l'orée d'un nouveau cycle de négociations, extrêmement dangereux, de l'Organisation mondiale du commerce, qui, comme chacun le sait, est le cheval de Troie des Etats-Unis ? Certains juristes diront peut-être qu'il faudra encore une décision prise à l'unanimité. Je répondrai que la procédure proposée reste malgré tout inacceptable, car elle pourrait être mise en oeuvre en catimini, comme l'a très b ien remarqué le Conseil constitutionnel dans sa condamnation de l'article 67-2. Nous ne pouvons pas prendre un tel risque, alors que des négociations internationales très dures se profilent à l'horizon, vers la fin de l'année. Le Parlement français doit absolument conserver la maîtrise totale du processus et ne laisser ouverte aucune brèche dans laquelle pourrait s'infiltrer le libreéchangisme de la Commission de Bruxelles.

Il faut donc, pour cette raison aussi, s'abstenir de ratifier le traité d'Amsterdam. Sinon, il ne faudra pas s'étonner demain de retrouver à nouveau la France en position de faiblesse.

Je dirai maintenant un mot du fameux amendement gouvernemental au projet de loi de ratification. Il paraît au premier abord vague et donc bien intentionné, puisqu'il se borne à réclamer des progrès substantiels dans la voie de la réforme des institutions. Tout montre que l'élargissement de l'Union à l'Est va faire franchir à l'Europe une étape décisive, non seulement sur le plan quantitatif, mais également sur le plan qualitatif. Cette étape a peut-être déjà été amorcée avec les derniers é largissements nordiques et l'Union va être composée de pays de plus en plus différents, même s'ils possèdent un fonds culturel ancien commun. Il faudrait donc adapter les institutions à la gestion d'un ensemble beaucoup plus hétérogène qu'hier.

Face à cet élargissement, deux solutions sont possibles.

La première est de comprendre que le bon sens nous oriente vers une architecture de type confédéral, avec des cercles concentriques, pour reprendre l'expression utilisée pour la première fois par M. Edouard Balladur, permettant à l'Europe de marcher à son pas sur le mode de la coopération renforcée. Quant un ingénieur anglais rencontre un ingénieur français et qu'ils font Airbus, quand un chercheur allemand rencontre un chercheur français et qu'ils font Ariane, c'est l'Europe de la coopération, qui


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

ne se fait jamais grâce à l'intervention des commissaires de Bruxelles. On pourrait ainsi passer peu à peu à une Europe à vingt, vingt-cinq, voire plus. Mais ce n'est pas du tout cette solution que choisit l'amendement gouvernemental, ou plutôt ce n'est pas ce que disent les sousentendus de cet amendement. Car s'il se bornait à souhaiter une réforme en termes généraux, j'y souscrirais, comme beaucoup.

Mais ce n'est pas le cas. Il faut interpréter cet amendement à la lumière de l'article qui autorise la ratification du traité d'Amsterdam. J'ai lu avec attention, monsieur le ministre, le protocole no 11 qui est joint au traité. Il est très clair. Il prévoit que, à la date d'entrée en vigueur du prochain élargissement de l'Union, la Commission devra être composée d'un national de chaque Etat membre, à condition que, parallèlement, la pondération des voix au Conseil ait été corrigée. Mais une déclaration annexée, signée par la France, la Belgique et l'Italie, va beaucoup plus loin puisqu'elle appelle à un renforcement des institutions préalable à l'élargissement, et que ce renforcement doit être entendu comme « une extension significative du recours au vote à la majorité qualifiée ».

En d'autres termes, l'amendement gouvernemental, lu dans le contexte du traité d'Amsterdam, revient à prendre le parti d'une extension des votes à la majorité qualifiée.

M. Gérard Fuchs.

Très bien !

M. Philippe de Villiers.

Sur le papier, c'est très bien, mais cela ne fonctionnera pas concrètement parce que c'est la politique de la main forcée et qu'une Europe qui veut utiliser systématiquement le couperet aboutira à créer des poches d'amertume qui ne feront que croître.

Mme Christine Boutin.

C'est sûr !

M. Philippe de Villiers.

Il faut savoir que, pour notre pays, les choses vont changer avec le système de la majorité qualifiée.

En 1958, la France avait 25 % des voix au Conseil des ministres européen. Aujourd'hui, elle en a 11,5 %. Demain, après l'élargissement, dans une Europe de vingtsix membres, elle en aura 8 %, selon les règles actuelles.

Il s'agit donc d'un enjeu majeur, et ceux qui poussent à la broyeuse de la majorité qualifiée doivent anticiper ce que sera l'Europe dans la décennie qui vient.

M. Gérard Fuchs.

Et toute seule, combien pèse la France ?

M. Philippe de Villiers.

Il n'est pas question d'isoler la France, de sortir de l'Europe, mais il n'est pas non plus question d'accepter une Europe qui cherche à se faire sans les nations et sans les peuples. C'est le bon sens même.

Il y a deux manières de construire l'Europe : celle du traité de Rome et l'actuelle. Celle du traité de Rome est fondée sur la coopération, la préférence communautaire et la démocratie. La construction actuelle, depuis les dérives de Maastricht, du GATT, du pacte de stabilité et d'Amsterdam, tourne le dos au bon sens. Ce n'est plus une Europe de la coopération, c'est une Europe de l'intégration, c'est-à-dire de la main forcée. Ce n'est plus une Europe de la préférence communautaire, on le voit bien avec l'immense problème de la PAC, mais une Europe l ibre-échangiste. On demande aujourd'hui aux agriculteurs français et aux agriculteurs européens de s'aligner sur les cours mondiaux, et on accepte donc de se nourrir sur le marché mondial. C'est ce que veulent les Allemands et c'est ce que veut le pouvoir vert américain.

Quant à la démocratie, nous sommes tous d'accord, au-delà de nos clivages et de nos sensibilités, pour reconnaître qu'il n'est pas sain qu'un pouvoir comme celui de l'Europe ne cesse de s'éloigner.

Mme Christine Boutin.

Bien sûr !

M. Philippe de Villiers.

Car chaque fois qu'il y a un pouvoir lointain disposant de beaucoup d'argent et peu contrôlé, il arrive ce qu'on constate aujourd'hui à la Commission de Bruxelles : la fraude et la corruption.

Bientôt, les Français prendront conscience de la dérive de l'Europe actuelle par rapport à l'esprit du traité de Rome. Si ce traité n'avait pas contenu les principes que je viens d'énoncer, jamais en 1958, au moment où il est arrivé au pouvoir, le général de Gaulle ne lui aurait donné suite. Souvenez-vous de la politique de la chaise vide sur les problèmes agricoles. Il faut bien reconnaître que, depuis quelques années, on construit l'Europe en faisant l'impasse sur la protection, la coopération et la démocratie, c'est-à-dire sur le contrôle. Et quand nous aurons cessé de contrôler la législation européenne, c'està-dire les directives et les règlements, parce que nous n'en aurons plus le pouvoir, qui le fera à notre place ? Personne ! Certainement pas la Commission : elle ne se contrôle pas elle-même ! Certainement pas le Conseil, puisqu'il y aura des minorités de blocage. Pour dire les choses comme je les sens, dussé-je vous choquer, j'avancerai qu'une minorité de blocage se constituera autour de l'Allemagne ; elle est d'ailleurs déjà en train de se constituer. Ainsi, la France sera sur les problèmes agricoles, demain sur l'Agenda 2000, après-demain sur la politique commerciale, et, peut-être, dans quelques années, sur les problèmes nucléaires et le nucléaire militaire, en situation de minorité instituée.

M. Gérard Fuchs.

C'est du défaitisme !

M. Philippe de Villiers.

Nous n'aurons donc plus qu'une solution : faire du lobbying auprès des petits pays pour constituer notre propre glacis. Mais ce n'est pas ça, l'Europe ! Cela consiste à essayer de se mettre tous d'accord, même si cela prend du temps, à avancer du même pas pour éviter l'amertune, les regrets et les rancoeurs.

Pour gagner quelques points de droits de vote, on risque d'ouvrir la boîte de Pandore. L'Allemagne, qui dispose aujourd'hui de dix voix au Conseil, demandera une augmentation de son nombre de voix, et il y aura une minorité de blocage. Aujourd'hui, celle-ci est de 26 voix sur 87 dans une Europe à 26, elle représente 39 voix sur 132. C'est là une vraie question qu'il faut avoir présente à l'esprit.

Pour que ce traité soit acceptable et pour que ce débat ait un sens, il faut, plutôt qu'adopter cet amendement qui est en fait un exercice de camouflage, établir un principe de sauvegarde pour chaque Etat, pour le cas où une majorité adverse au Conseil voudrait contrarier ses intérêts vitaux. On peut laisser l'Italie, l'Allemagne ou tel autre pays faire ce qu'ils veulent en matière d'immigration, on peut laisser les Pays-Bas faire ce qu'ils veulent en ce qui concerne la politique de la drogue, ce sont des nations libres, mais il apparaît difficilement acceptable que le peuple français se voie imposer des choses contraires à son souhait, souhait qu'il ne peut d'ailleurs même pas exprimer. On pourrait au moins rétablir le compromis de Luxembourg, c'est-à-dire une clause de sauvegarde et la possibilité de dire, à un moment donné de la négociation : ça, ce n'est pas possible.


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J'ai lu ce matin que le ministre de l'agriculture allemand disait, plus ou moins en privé, plus ou moins en public : « Laissons la discussion se développer sur les problèmes agricoles, il y aura toujours moyen de trouver une majorité ». Ce n'est pas acceptable parce que, pour nous, du point de vue de l'équilibre du territoire, de l'emploi, de l'environnement et du mode de vie, l'agriculture est un intérêt vital.

Je ne suis, quant à moi, pas prêt à me laisser broyer par cette machine, par ce couperet de la majorité qualifiée. Il faut donc introduire en tête du traité la clause de sauvegarde prévue par le compromis de Luxembourg et préserver notre souveraineté dans une Union en voie d'élargissement.

Le traité d'Amsterdam est un mauvais traité, je crois que nous sommes tous d'accord sur ce point.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Béatrice Marre.

Nous avons dit qu'il n'était pas satisfaisant !

M. Philippe de Villiers.

M. Vauzelle, avec son talent habituel, n'a pas parlé d'un monument de littérature.

M. Michel Vauzelle, rapporteur.

C'est vrai !

M. Robert Galley.

Il a même évoqué un désastre institutionnel !

M. Philippe de Villiers.

M. Jack Lang a exprimé la même idée, avec le style qui est le sien, en indiquant à la une du Monde qu'il ne voterait pas ce traité. Bref, nous sommes tous d'accord pour reconnaître qu'il est mauvais.

Certains, c'est vrai, pensent qu'il est mauvais parce qu'il ne va pas assez loin dans le sens du fédéralisme. Mais, pour moi, il est mauvais parce qu'il continue sur la lancée de la construction d'un super-Etat européen monolithique qui est radicalement inadapté à la perspective de l'élargissement. Il faut une conception de l'Europe beaucoup plus souple, ouverte, différenciée, respectueuse de l'identité et de la liberté de choix des peuples. C'est pourquoi je pense que le traité d'Amsterdam est totalement hors sujet et qu'il n'y a pas lieu d'en délibérer.

L'Europe que nous avons à construire n'est plus l'Europe d'avant la chute du mur de Berlin.

Mme Christine Boutin.

Absolument !

M. Philippe de Villiers.

Je suis persuadé que les historiens jugeront cette grande période de flottement et de doute avec étonnement car, du fait que le mur de Berlin est tombé, l'architecture de Maastricht est anachronique et totalement dépassée.

M. François Bayrou.

Mais la super-puissance américaine reste ce qu'elle est !

M. Philippe de Villiers.

Monsieur Bayrou, je compter ester pour écouter votre intervention. Soyez donc patient ! Nous aurons certainement l'occasion de nous trouver face à face prochainement.

M. François Bayrou.

Il ne faut pas oublier cet argument !

M. Philippe de Villiers.

Je vais y répondre. Que découvrons-nous aujourd'hui ? Qu'on envoie des soldats français risquer leur vie pour l'autonomie du Kosovo. Que 25 millions de Kurdes ont une revendication nationale qui paraît légitime.

M. Gérard Fuchs.

Qui découvre ça ?

M. Philippe de Villiers.

Comme d'habitude, les médias, car les gens aussi cultivés que vous le savaient depuis fort longtemps, je vous l'accorde bien volontiers.

M. Gérard Fuchs.

Je vous remercie !

M. Philippe de Villiers.

On voit que naguère les Tchétchènes, les Bosniaques et les Koweïtis, aujourd'hui les Kosovars et les Kurdes ont droit à une nation, peu ou prou. Et les seuls qui n'auraient plus droit à leur nation, ce seraient les Français ? Nous enverrions des soldats pour défendre la liberté et l'indépendance du Koweït, mais notre seul avenir serait de nous fondre dans un magma où nous n'aurions plus droit à notre indépendance ?

Mme Christine Boutin.

Incroyable !

M. Philipppe de Villiers.

C'est une aberration que de ne pas voir que l'on assiste aujourd'hui dans le monde entier, au réveil des nations. Il y en avait un peu moins de 100 au sortir de la guerre ; il y en a aujourd'hui 192 et il y en aura 400 en 2020 ou 2030. C'est ainsi parce que les hommes de notre temps veulent avoir droit à leurs affections, à leur mémoire, à leur culture. C'est cela une nation. Et ce n'est pas parce qu'il y a des nations qu'il y a des guerres. C'est quand il y a un déséquilibre entre les nations ou quand on veut frustrer les gens en leur disant qu'ils n'ont plus droit à leur nation qu'elles arrivent. De la même manière que le vol c'est le contraire de la propriété, mais que la propriété, c'est une chose saine en soi, l'impérialisme, l'empire, c'est le contraire de la nation, mais la nation, c'est une chose saine en soi.

Pour cette raison, l'Europe à construire, surtout à vingtcinq, doit être une Europe des nations où l'on concilie à la fois les intérêts des uns et des autres, les cultures, les mémoires et les rythmes, car chacun a son rythme et sa propre culture. Si l'on ne fait pas cela et si l'on garde le même type d'institutions qu'il y a dix ou vingt ans, alors l'Europe courra à l'échec.

Avec Amsterdam, dans le droit-fil de Maastricht, nous sommes en train de fabriquer l'ultime fédération artificielle du XXe siècle alors que toutes les fédérations artificielles sont mortes, ont disparu.

Mme Christine Boutin.

Absolument !

M. Philippe de Villiers.

C'est un formidable contresens historique. Il faut que l'Europe de demain soit démocratique, qu'elle nous protège. Je pense, par exemple, à la santé publique. Les gens n'accepteront pas longtemps, après le procès du sang contaminé, l'affaire de la vache folle et le maïs transgénique que Bruxelles à partir de principe de précaution ne tire pas les leçons des erreurs passées. J'aime autant l'Europe que vous, monsieur Bayrou, mais j'entends la défendre sur la base de la nation.

Selon moi, il n'y a pas de contradiction entre l'idée de nation et celle d'Europe. Je ne veux pas que la France abandonne son identité, sa souveraineté, qu'elle perde sa substance sous prétexte d'Europe et je ne veux pas que l'Europe soit, comme aujourd'hui, une espérance dévoyée.

(Applaudissements sur divers bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mme Christine Boutin.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

M. Pierre Moscovici, ministre délégué chargé des affaires européennes.

Jack Lang avait prédit une superproduction de science-fiction. Vous avez répondu, monsieur de Villiers, à ses attentes et beaucoup gâté l'Assemblée.

Vous vous êtes lancé dans un exercice très brillant, d'une nature un peu particulière, et vous m'avez en quelque sorte soumis à une interrogation orale de droit, mais certains de vos arguments juridiques m'ont quelque peu


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échappé. N'ayant pas votre imagination en la matière, je ne pourrai répondre à l'intégralité d'entre eux, mais je m'essaierai à en cerner les principaux.

Il me semble qu'il y a, dans votre démonstration, beaucoup d'excès et quelques imprécisions. D'abord, vous vous êtes interrogé sur la forme de ce traité, que vous avez qualifié d'illisible, comme si Maastricht ou d'autres étaient au contraire des chefs-d'oeuvre de clarté.

Mme Christine Boutin.

Ce n'est pas ce qu'il a dit ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Mais vous savez fort bien, parce que vous êtes de ceux qui vont et qui retournent au texte, que la logique des traités est un peu toujours la même, qu'ils procèdent tous par amendements successifs aux traités initiaux, aux traités centraux, au traité de l'Union européenne et que nous devons tous faire un effort de codification, de recherche de la cohérence. La délégation de l'Assemblée nationale pour l'Union européenne s'y est d'ailleurs essayée avec beaucoup de succès et l'on voit à partir de son travail émerger des lignes de force.

Vous avez cherché un fil conducteur et, si j'ai bien compris votre raisonnement, à travers Amsterdam, on cherche une fois de plus à détruire la nation française. Je vois là une sorte de fantasme qui m'inquiète un peu.

Vous voyez des commissaires partout et je me demande s'il n'y a pas là une sorte d'obsession textuelle.

(Exclamations sur quelques bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Mme Christine Boutin.

Cela n'a rien de drôle ! C'est même très mauvais !

M. Thierry Mariani.

C'est nul ! Pitoyable ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Il ne faut pas que vous vous sentiez gênés de la sorte dès qu'il est question d'obsessions. Tout le monde peut en avoir ! J'en viens au fond. En novembre dernier, monsieur de Villiers, vous aviez défendu une exception d'irrecevabilité contre la révision constitutionnelle, ce qui était un peu curieux puisqu'il s'agissait précisément pour le constituant de réviser la Constitution. Aujourd'hui, vous défendez une question préalable qui ressemble fort à une exception d'irrecevabilité. Le débat constitutionnel que vous nous proposez est, me semble-t-il, sinon vain, parce qu'il est toujours pertinent, du moins quelque peu tranché.

Conformément au souhait du Conseil constitutionnel, le Parlement réuni en Congrès a en effet révisé notre Constitution pour répondre à certains problèmes qui avaient été soulevés par le Conseil concernant les visas, l'asile, l'immigration. Pour mesurer la force de cette révision, il suffit de rappeler qu'elle a été adoptée à une majorité de l'ordre de 80 % des parlementaires.

En outre, je veux vous rassurer : le Conseil constitutionnel pourrait être amené à se prononcer après la ratification sur sa conformité à la Constitution révisée. Je ne vais pas redire ici ce que j'ai expliqué tout à l'heure en réponse à M. Hue, à savoir qu'une révision par le Congrès est manifestement conforme à l'article 89 de notre constitution ; il suffit pour cela de le lire. Je ne répéterai pas non plus ce que j'ai pu dire sur l'article 3 selon lequel « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Cela pourrait d'ailleurs donner lieu à une petite discussion sur le point de savoir quelle est la voie normale pour réviser la Constitution : le référendum ou la représentation nationale.

Je ne reviens pas sur les modifications apportées par Amsterdam dans les domaines de la justice et des affaires intérieures. J'ai déjà répondu en novembre sur la majorité qualifiée et le rôle de proposition reconnu à la Commission.

J'ai déjà aussi répondu, mais je suis tout prêt à recommencer ici parce que c'est un débat important, sur le maintien du compromis de Luxembourg. Vous souhaitez le voir codifié, affirmé. Vous faites comme s'il n'existait plus ou comme si le traité visait à le faire disparaître, ce qui n'est absolument pas le cas. Je veux vous répéter très clairement ce que je disais déjà à l'époque, à savoir que le compromis de Luxembourg demeure, mais que l'on ne doit pas s'illusionner ou se tromper sur son sens ou sa nature. Il s'agit bien d'un accord sur un désaccord.

Ma conviction très profonde est que le codifier serait l'affaiblir, car c'est une arme de dissuasion que l'on doit conserver pour les cas les plus importants, que l'on ne doit donc pas banaliser ou galvauder. Ce serait donc un contresens que de vouloir inscrire le compromis de Luxembourg dans un traité ou dans la Constitution.

S'agissant de la clause de sauvegarde, les textes et les pratiques nous départageront. Je veux néanmoins vous affirmer qu'elle demeure et qu'elle devient même double par rapport à Schengen, puisque, après la ratification d'Amsterdam, nous aurons une clause de sauvegarde non seulement dans le troisème pilier, mais aussi dans le premier pilier. Sur ces questions-là nous avons une divergence fondamentale. Je crois, moi, que les Français ont du bon sens. Ils savent que tous les Européens sont confrontés aux mêmes problèmes d'immigration, que la situation actuelle, encore caractérisée par le « chacun pour soi » - on l'a vu avec ce qui s'est passé en Italie -, n'est pas satisfaisante. Mais c'est justement parce que les pays européens ne maîtrisent pas correctement ces phénomènes au niveau national, qu'ils doivent agir ensemble dans le cadre de coopérations policières et judiciaires renforcées, celles-là mêmes que permet davantage Amsterdam.

Il s'agit d'aller vers plus d'efficacité dans ces domaines auxquels nous accordons tous beaucoup d'importance.

C'est une raison supplémentaire pour ratifier le traité d'Amsterdam.

M. Thierry Mariani.

Et pour expulser les sans-papiers ! M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Vous avez parlé du protocole sur la subsidiarité et, à partir de là, vous avez essayé de montrer à l'Assemblée comment nous serions en train de placer la totalité de notre droit, de notre action sous la coupe de la Cour de justice des Communautés européennes. Mais, en l'occurrence, vous présentez comme une innovation ce qui est une constante de notre ordre juridique depuis 1957, donc dès avant l'adoption de la Constitution de la Ve République. La Cour de justice des Communautés européennes chargée de défendre le traité est bien le sommet de l'ordre juridique européen, je le confirme ici comme une tautologie. C'est le cas depuis 1957, date de la signature du traité de Rome. Le protocole sur la subsidiarité qui reprend l'accord en vigueur depuis Edimbourg, en 1992, ne change absolument rien à l'affaire. La Cour peut d'ores et déjà condamner les Etats pour violation des lois européennes adoptées par les institutions compétentes, le Conseil et le Parlement européens. Vous avez choisi l'exemple de la chasse. Il est bien sûr tout à fait pertinent, mais le protocole sur la subsidiarité n'apporte abolument rien de nouveau en la matière. Ce que vous voulez au fond, c'est mettre à bas tout l'édifice construit depuis le traité de Rome et, bien que vous vous


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en défendiez, je crois que vous vivez dans la nostalgie d'une France un peu solitaire que vous évoquez avec des trémolos, avec une poésie digne d'un Baudelaire puisque vous avez apprécié la sienne au point de la comparer à celle du traité de Maastricht : « C'est là que j'ai vécu dans les voluptés calmes, au milieu de l'azur, des vagues, des splendeurs... » Je ne vous dis pas la suite, car vous la

connaissez.

Monsieur de Villiers, je ne veux pas être plus long. Je ne reprendrai pas la proposition que vous avez faite de mettre entre parenthèses le débat sur Amsterdam pendant la période qui nous sépare des élections européennes, proposition qui me paraît irréaliste, pour ne pas dire fantaisiste. Il serait grave de procéder ainsi parce que nous sommes déjà les derniers à ratifier ce traité. Nous avons été obligés de procéder à une révision constitutionnelle préalable et nous sommes maintenant très attendus pour la mise en oeuvre du traité d'Amsterdam.

Il est donc important que l'Assemblée nationale et le Sénat procèdent maintenant à la ratification pour que la totalité des dispositions concernant l'emploi, le social, la liberté et les sécurités puissent être appliquées immédia tement.

Nous avons entendu cet après-midi le message du Président de la République, qui intervenait préalablement à la ratification du traité d'Amsterdam. Vous avez dit qu'il avait abordé cette ratification en une ligne et demie. Si ma mémoire est bonne, c'était la première de son texte.

J'en déduis que le reste en découlait quelque peu, et vous n'êtes pas en désaccord là-dessus. Le Président de la République a exposé ce qu'était la politique européenne de la France. Il l'a lui-même située dans la continuité de tous ses prédécesseurs et a cité l'action de tous les gouvernements. Bien sûr, sur ce point comme sur d'autres, nous pouvons avoir des options, des visions différentes, mais cette politique, c'est la politique européenne de la France, celle que le Gouvernement met en application en coordination étroite avec le Président de la République. Or, dans votre discours, c'est bien cette politique qu'en creux vous avez critiquée, que vous avez rejetée. Ce n'est pas en votant la question préalable que l'Assemblée nationale montrera qu'elle souhaite avancer.

Monsieur de Villiers, vous avez expliqué au début de votre discours que la voie c'était le référendum parce que les parlementaires ne pouvaient pas abdiquer par un vote leur propre compétence. Mais nous sommes ici dans l'enceinte du Parlement. Les parlementaires savent ce qu'ils font. Ce ne sont pas des assistés, ce ne sont pas des incapables. Ce sont les législateurs, les constituants et ils vont à nouveau, sereinement, débattre du traité d'Amsterdam. Je souhaite que la discussion en vienne au fond, après que l'Assemblée nationale aura rejeté la question préalable.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Nous en venons aux explications de vote. Je vous rappelle qu'un orateur par groupe peut s'exprimer pour une durée de cinq minutes.

La parole est à M. Yves Bur, pour le groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

M. Yves Bur.

Naturellement, le groupe UDF ne partage pas du tout la phobie européenne de M. de Villiers.

Nous sommes profondément convaincus que le projet européen constitue l'unique voie pour que la France continue à peser dans l'organisation mondiale qui se met en place. Même si le traité d'Amsterdam ne répond pas à toutes nos ambitions, il permet des avancées en matière de sécurité et de justice, notamment avec l'intégration de l'acquis de Schengen et de la coopération policière et judiciaire. Je peux vous assurer que, dans la pratique, les services de police ont déjà largement intégré les avantages d'une collaboration européenne et transfrontalière bien plus efficace que le cloisonnement des services nationaux.

Comme tous les Français, nous sommes convaincus que la construction européenne doit s'orienter vers davantage de démocratie et de clarté et il nous appartient de mettre en oeuvre, dans les prochains mois, les conditions nécessaires pour une réforme institutionnelle, préalable indispensable à tout nouvel élargissement. Il nous appartient tout autant, et c'est important, de donner plus de sens au principe de subsidiarité en indiquant clairement à nos concitoyens ce qui relève respectivement des compétences européennes, nationales ou locales.

Enfin, au delà de ces principes de bonne gouvernance européenne, l'UDF pense qu'il est important de donner du sens à ce projet européen, qui doit rester un projet de civilisation. Comme l'a rappelé aujourd'hui le Président de la République, ce projet est fondé sur l'ouverture, les échanges, la coopération qui ont toujours été à la base des progrès ayant marqué notre civilisation. Avec le Président de la République nous sommes donc bien loin de l'Europe frileuse. Même si l'aventure européenne a connu des difficultés, notre foi dans l'idéal européen n'a jamais été démentie par les progrès continus qui ont permis la mise en place de l'Europe. Pour toutes ces raisons, le groupe UDF ne votera pas la question préalable. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

Pour le groupe socialiste, la parole est à M. Alain Barrau.

M. Alain Barrau.

Le groupe socialiste ne votera pas non plus la question préalable déposée par M. de Villiers. Les arguments qu'il a utilisés ce soir sont grosso modo les mêmes que ceux qu'il avait développés lors du débat sur la révision constitutionnelle.

Mme Christine Boutin.

C'est faux !

M. Alain Barrau.

Il essaie de faire peur aux Français en évoquant des fantasmes ou des craintes : l'adoption des enfants par les homosexuels, les problèmes de l'immigration, au passage la chasse, etc.

Ces arguments sont fondamentalement ceux de gens qui ne croient pas aux capacités et au génie de notre pays. La grande différence entre nous, monsieur de Villiers, c'est qu'au fond vous avez peur à la fois de la discussion, de l'argumentation et de la construction. Vous n'avez justement pas confiance dans les capacités du génie français à réussir avec nous, autour de nous, la construction européenne.

Il est par ailleurs un argument que vous utilisez souvent, et j'ai bien étudié le texte pour savoir si vous aviez ou non raison sur ce point. Vous nous avez dit à plusieurs reprises, concernant l'une des dispositions du traité : « Attention, cela va être terrible, quand d'autres - vous êtes parfois gentil avec nous - viendront, ils devront subir les décisions prises par la Commission ! » Je me suis donc reporté à la page 32 du projet de loi qui nous est soumis et je propose à tous mes collègues de faire de même. Voici ce qu'on y lit :

« 8. L'article F est modifié comme suit :

« a) Le paragraphe 1 est remplacé par le texte suivant :

« 1. L'Union est fondée sur les principes de la liberté, de la démocratie - j'imagine que ce n'est pas ce que vous


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mettez en cause -, du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que de l'Etat de droit, principes qui sont communs aux Etats membres. »

C'est un paragraphe clair, limpide, tout à fait conforme à notre constitution et à l'apport de la France à la construction européenne.

Puis vient l'article F 1, qui est apparemment celui qui vous fait monter au rideau :

«

1. Le Conseil, réuni au niveau des chefs d'Etat ou de gouvernement et statuant à l'unanimité sur proposition d'un tiers des Etats membres ou de la Commission et après avis conforme du Parlement européen, peut constater l'existence d'une violation grave et persistante par un

Etat membre de principes énoncés à l'article F, paragraphe 1 - celui que je viens de lire - après avoir invité le gouvernement de cet Etat membre à présenter toute observation en la matière. » Est-ce là un danger

?

M. Philippe de Villiers.

Oui.

M. Alain Barrau.

Je suis content que vous me donniez acte que c'est bien cet article F 1 qui vous met dans cet état. Mais quelle phrase, quel paragraphe, quelle idée sous-jacente visez-vous ? En quoi cet article peut-il faire obstacle à la mise en oeuvre des principes fondamentaux qui régissent notre Constitution et notre démocratie ? Je ne comprends pas du tout ce qui vous inquiète puisque, précisément, la liberté, la démocratie, le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'Etat de droit sont des forces que nous pouvons apporter à l'ensemble de la construction européenne. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur plusieurs bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Richard Cazenave, pour le groupe du Rassemblement pour la République.

M. Richard Cazenave.

Philippe de Villiers nous a dit qu'il n'y avait pas de contradiction entre l'idée de nation et l'idée d'Europe. Il est éminemment respectable de s'interroger à ce sujet et je pense que, sur ces bancs, tous c eux qui imagineraient que l'Europe pourrait se construire en défaisant la nation s'y opposeraient de toutes leurs forces et avec toute leur énergie. Reste à savoir si le traité d'Amsterdam pose les vraies questions.

Les problèmes relatifs à l'application des règles communautaires dans notre droit, et relatifs au contrôle, par notre parlement, des règles communautaires ne tiennent pas à Amsterdam. C'est depuis 1957, depuis l'origine que se posent ces questions. Cela ne signifie d'ailleurs pas qu'il ne faut pas chercher à les résoudre.

La question de la régularisation des 250 000 immigrés clandestins en Italie n'est pas posée par Amsterdam. Peutêtre même pourra-t-elle être mieux gérée dans l'avenir grâce à Amsterdam. Lorsque nous avons débattu des textes que le Gouvernement nous avait présentés sur l'immigration, j'avais regretté que nous n'ayons pas mené une réflexion européenne sur le sujet. Car on aurait vu alors que la France s'engageait dans une mauvaise voie par rapport à la problématique européenne et à la maîtrise globale de l'immigration.

Le vrai problème est le suivant : ce qu'il y a dans le traité d'Amsterdam doit-il nous inquiéter ? Nous pensons sincèrement que non. Car en matière judiciaire, en matière de sécurité, la France a voulu que l'Europe fasse de nouveaux projets, le président Jacques Chirac a voulu que la France fasse de nouveaux progrès.

A une Europe qui regarde dans la passivité et l'impuissance, les Américains régler toutes les questions, la France a préféré une Europe qui peut construire, non pas un outil commun unique, mais des éléments communs de politique extérieure et de sécurité.

L a France veut aujourd'hui que nous disposions ensemble des outils qui nous permettent de mieux cerner certains phénomènes que nous ne sommes plus en mesure de maîtriser à l'intérieur de nos frontières : immigration, criminalité, drogue...

Il y va de l'intérêt national. Personne sur ces bancs n'a envie de brader la moindre parcelle d'intérêt national sur ces questions ; il s'agit de trouver dans la coopération européenne les moyens de les régler.

Voilà ce qu'il y a dans le traité d'Amsterdam, pas autre chose. Nous aurons à nous prononcer le moment venu.

Peut-être y aura-t-il alors débat et vote solennel. Nous verrons la forme qu'il prendra lorsqu'il faudra décider de la majorité qualifiée concernant certains sujets.

Aujourd'hui, ce que l'on pourrait regretter du traité d'Amsterdam, c'est qu'il n'ait pas traité les questions institutionnelles qui étaient à l'ordre du jour de la réflexion communautaire. Or ce sont là des questions vitales.

C omment, demain, fonctionnera l'Europe ? Quels seront les processus de décision ? Comment le politique en Europe aura-t-il le pas sur le technocratique et le bureaucratique ? Comment l'Europe pourra-t-elle être plus démocratique, les peuples y ayant davantage de poids ? Ces questions ont été éludées.

On pourrait reprocher à ce traité d'être insuffisant, mais on ne peut pas lui reprocher d'être dangereux.

Cela ne justifie pas le renvoi de ce texte. Il faut honorer l'engagement de la France et l'engagement européen du Président de la République qui incarne la volonté nationale.

La France entend insuffler à ses partenaires une réelle volonté politique dans cette Europe qui, aujourd'hui, dans bien des domaines, est un peu trop à la traîne des

Etats-Unis. Tel est l'objectif recherché. Ce n'est pas autre chose. Il n'y a aucun abandon dans cette affaire. C'est pourquoi nous rejetterons la question préalable.

(Applaudissementss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

Je mets aux voix la question préalable.

(La question préalable n'est pas adoptée.)

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Lequiller.

M. Pierre Lequiller.

Monsieur le président, monsieur le ministre délégué chargé des affaires européennes, mesdames et messieurs les députés, le traité d'Amsterdam constitue pour le groupe Démocratie libérale un progrès de la construction européenne, même s'il est imparfait, notamment pour ce qui est de la réforme des institutions indispensable à l'élargissement.

Notre groupe considère qu'il est urgent, essentiel, d'ouvrir les portes de l'Union aux pays d'Europe centrale et l'Est. C'est un devoir politique, historique et culturel que le président de la République a, à maintes reprises et encore cet après-midi, justement souligné. Ces pays, grâce à l'inflexibilité de leurs héros et au courage de leurs


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

peuples, ont fait triompher la liberté, brisé la chape du communisme totalitaire et abattu le mur de Berlin. Ceux qui ont ainsi changé le cours de l'histoire du monde ne méritent ni notre frilosité ni notre égoïsme.

Fidèles au projet politique des fondateurs de l'Europe, par cet élargissement, nous consoliderons la paix sur notre continent.

C'est aussi l'intérêt de la France, qui, fait mal connu, développe avec cette partie de l'Europe un commerce double de celui avec la Chine, sextuple de celui avec l'Amérique latine et qui va sans cesse croissant.

Paradoxalement, les Etats-Unis d'Amérique, déjà premiers investisseurs dans cette région, y apparaissent plus ouverts que les Européens. Et même si, bien sûr, nous y sommes partie prenante, ce sont les Américains qui tirent les principaux bénéfices politiques de l'accueil dans l'OTAN, d'ici à quelques semaines, de la Pologne, de la Hongrie et de la République tchèque.

La déclaration du Président François Mitterrand : « pas d'adhésion avant des dizaines et des dizaines d'années » sonne encore à leurs oreilles comme une honteuse trahison...

M. François Loncle.

Vous sortez la phrase de son contexte !

M. Pierre Lequiller.

... et a porté un tort considérable à l'image de la France.

Il est donc grand temps que les Européens fixent un calendrier impératif et rapide pour la réforme des institutions comme pour l'unification de l'Europe. L'Europe a toujours avancé ainsi. S'il n'y avait pas eu de date butoir à la réalisation de l'euro au 1er janvier 1999, celui-ci n'existerait pas aujourd'hui. Cela fait maintenant treize ans qu'à douze pays, puis à quinze, l'Union fonctionne difficilement avec des institutions prévues pour six pays. C'est dans ce sens que nous voterons l'article additionnel proposé, qui reprend d'ailleurs opportunément les propositions du président Valéry Giscard d'Estaing.

Le point étant fait sur cette lacune majeure du traité d'Amsterdam et sur la nécessité et l'urgence d'y remédier, le groupe Démocratie libérale votera la ratification.

Comme Alain Madelin l'avait annoncé lors du débat constitutionnel, notre « oui » est clair et sans ambiguïté.

Ce traité est dans la continuité du traité de Rome, de l'Acte unique et de Maastricht, que nous avons activement soutenus.

Son apport principal est de faire avancer l'Europe en matière de sécurité intérieure, contrepartie indispensable de la libre circulation des personnes. Il nous faut, pour pouvoir effacer les frontières intérieures de l'Union, contrôler efficacement et conjointement ses frontières extérieures. Il n'est nul besoin de crier au loup, à la perte de souveraineté quand l'exigence de coopération est évidente pour lutter contre l'immigration clandestine, le terrorisme, le trafic de drogue, le blanchiment d'argent sale et la délinquance sexuelle.

Deuxième apport : la politique étrangère et de sécurité communes. La création de la fonction de haut représentant de la PESC et les moyens mis à sa disposition pour définir la stratégie commune sont des avancées insuffisantes - j'y reviendrai - mais concrètes sur la voie de l'Europe politique.

Amsterdam renforce aussi la citoyenneté et la défense de la personne. Il pose en effet, fait majeur et pourtant insuffisamment souligné dans ce débat - que je ne crois même pas avoir entendu évoquer - le principe de l'Etat de droit.

Il affirme par là que l'autorité publique ne fait pas le droit, mais qu'elle est soumise au règne du droit ; il consacre ainsi au niveau européen l'un des principes fondamentaux du libéralisme politique.

Ce traité met enfin l'accent sur la dimension sociale de l'Europe. Une Union avec vingt millions de chômeurs est une Union en péril. Il est évidemment positif que le traité assigne à l'Europe l'objectif de l'emploi.

Voilà les quatre principales raisons, avec les progrès en matière d'environnement et de santé, pour lesquelles nous approuvons ce traité.

Le groupe Démocratie libérale en perçoit pourtant les insuffisances.

Sur l'Europe politique, les avancées d'Amsterdam sont trop timides.

L'Union se montre, par ses divisions comme par son manque de cohésion militaire, incapable de proposer et d'imposer des solutions quand, sur le continent, guerres et massacres se perpétuent sous nos yeux.

Doit-on se résigner à ce que l'OTAN soit le seul endroit où l'on fasse de la politique en Europe et que l'Union soit confinée à un rôle commercial ? Doit-on accepter qu'elle soit un géant économique, mais un nain politique ? Doit-on accepter que les Américains décident de tout sur notre continent comme sur le pourtour méditerranéen, au Moyen-Orient comme bientôt en Afrique, quand c'est nous qui payons ? Jamais les Etats-Unis n'ont eu une telle suprématie, jamais il n'ont fait preuve d'autant de désinvolture à l'égard de leurs alliés. Toutefois, rien ne sert de le leur reprocher, si nous ne prenons pas les moyens d'être forts.

M. Yves Nicolin.

En effet !

M. Pierre Lequiller.

Il est grand temps d'établir au sein de l'OTAN un pilier européen de défense capable d'agir éventuellement de façon autonome et de travailler à l'émergence d'une véritable industrie militaire européenne.

M. Jean Michel.

Quelle ambition !

M. Pierre Lequiller.

Deuxième insuffisance : le principe de subsidiarité en vigueur depuis 1993 n'est toujours pas respecté, puisqu'il est laissé à la discrétion de ceux-là mêmes dont il est censé encadrer le pouvoir : la Commission et la Cour de justice. Il est essentiel que son contrôle soit effectué à tous les niveaux de l'Union et qu'en particulier les parlements nationaux y soient associés.

Par ailleurs, Amsterdam pose le principe de l'Etat de droit - je l'ai dit tout à l'heure - sans pour autant prévoir son contrôle. Compte tenu du fait que la Cour de justice des communautés européennes n'est pas compétente en la matière et que la Cour européenne des Droits de l'homme est rattachée au Conseil de l'Europe et non à l'Union, ne faudrait-il pas réfléchir à un contrôle européen effectif de ce principe ? Cela dit, ces considérations techniques, certes importantes, échappent à nos concitoyens. Pour eux, l'Europe est une source d'espoir et d'enthousiasme, qui mérite un débat politique digne des ambitions qu'ils lui assignent.

On sent bien déjà que certains vont soulever des problèmes d'un autre âge, des débats sémantiques sur la forme que prendra l'Europe.

C hacun perçoit, pourtant, que l'Europe est une construction sui generis et pareille à nulle autre. Comme le dit Alain Madelin, le vieux débat qui oppose ceux qui n'imaginent l'Europe que comme un cartel d'Etats


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

nations et ceux qui la rêvent comme un futur grand Etat nation agrandi est un faux débat. La vérité est qu'elle ne sera ni l'un ni l'autre.

Jacques Chirac et Helmut Kohl, en juin 1998, en ont défini les contours. L'objectif n'est pas d'édifier un Etat central européen, mais une Union européenne forte et capable d'agir tout en préservant la diversité des traditions politiques, culturelles et régionales.

Il faut éviter les faux débats qui occultent le véritable enjeu : Maastricht ou non, quand le peuple a déjà tranché ; euro ou non, quand il est réalisé ; référendum sur Amsterdam ou non, quand la Constitution est parfaitement respectée par le Président de la République ; traité d'Amsterdam ou non, quand le Parlement se sera déjà prononcé.

L'Europe est aujourd'hui en marche et l'enjeu est de savoir quelle politique va lui être appliquée.

Une fois encore, le président Giscard d'Estaing, qui a tant fait pour l'Europe, a eu raison de recentrer le futur débat européen sur son véritable enjeu, c'est-à-dire sur le contrat de législature des cinq ans à venir : le budget, les politiques communes, l'activité interventionniste de la réglementation communautaire, les limites de l'harmonisation fiscale et sociale.

Monsieur le ministre, si nous sommes favorables à ce traité, nous différons totalement sur l'utilisation que vous voulez faire des institutions européennes.

Le vrai clivage passe entre deux conceptions opposées.

L'une consiste à transposer, au niveau européen, la conception socialiste de l'Etat interventionniste. Nous ne voulons pas du super Etat dirigiste et centralisateur. Nous ne voulons pas du gouvernement économique européen que Lionel Jospin prônait hier à Milan au congrès du parti socialiste européen.

M. Gérard Fuchs.

Dommage !

M. Pierre Lequiller.

Nous ne voulons pas de l'impôt européen.

Nous ne voulons pas de l'objectif, assigné par Jacques Delors, qui consiste à ce que 80 % des lois applicables aux Français soient décidées à Bruxelles.

Nous ne voulons pas non plus, comme l'ont proposé vos amis socialistes, que les élections européennes servent à désigner le président de la Commission de Bruxelles, en renforçant encore son pouvoir au détriment du Conseil européen.

Nous ne voulons pas de l'unification des politiques fiscales, économiques et sociales. Pas plus que de la conférence économique et sociale annuelle réunissant les gouvernements, les partenaires sociaux et la Banque centrale que Lionel Jospin a proposée hier à Milan - proposition qui hérisse d'ailleurs ses partenaires Schrder et Blair.

De toutes ces dérives, nous ne voulons pas.

Nous voulons au contraire une Europe de la modernité, une Union qui assume pleinement les responsabilités qui sont les siennes, sans déborder sur celles des Etats membres ; où le principe de subsidiarité soit enfin appliqué, où la Commission, dont nous reconnaissons le rôle précieux qu'elle a joué, reste néanmoins à la place que le traité de Rome lui a assignée ; où le maître d'oeuvre de l'Europe politique, le lieu d'impulsion et de légitimité doit rester le Conseil européen. Nous avons d'ailleurs eu un exemple concret de l'importance de cette suprématie lors des dernières négociations sur le GATT.

Nous voulons une Europe où l'on respecte l'identité des Etats, des traditions, des langues, mais aussi des politiques fiscales, sociales et économiques. Nous dénonçons à cet égard l'unification, la régulation voulue par Lionel Jospin ou Oskar Lafontaine qui aboutirait à une politique moyenne applicable à tous et, somme toute, médiocre.

Faisons de l'Europe un formidable laboratoire de politique comparative et d'émulation, mettant en exergue la diversité des solutions adoptées, et incitant les Etats membres à choisir les meilleures. Que de leçons, monsieur le ministre, à retenir, par exemple, de la pratique du dialogue social et de l'abaissement des charges pour favoriser l'emploi aux Pays-Bas, de la lutte contre l'insécurité ou de l'évaluation des établissements scolaires en GrandeBretagne, de la décentralisation de l'enseignement en Espagne ou de la formation professionnelle en Allemagne ! J'ai suivi, en République fédérale d'Allemagne, des élections de Lnder, et ai pu mesurer combien, au cours de ces campagnes, le débat portait en permanence sur les comparaisons entre Lnder en matière de développement économique, d'emploi, de sécurité, de qualité du système scolaire, de fiscalité. Seule une émulation de ce type au niveau de l'Union permettra d'atteindre l'Europe de l'excellence ! Il est vrai qu'elle ne tournera pas en la faveur ni des 35 heures autoritaires, ni des emplois-jeunes dont vos partenaires européens, Tony Blair ou Gerhard Schrder ne veulent surtout pas. Mais alors peut-être cette émulation vous conduirait-elle à corriger vos propres erreurs ! Voilà le véritable enjeu. Une fois sa construction largement avancée, veut-on une Europe libérale ou socialiste ? Là se trouve le seul clivage qui vaille entre partisans de l'une et ceux de l'autre.

M. Gérard Fuchs.

Très bien !

M. Pierre Lequiller.

Que n'a-t-on entendu sur l'Europe socialiste en marche, sur la main basse que les socialistes européens entendaient faire sur l'ensemble des institutions européennes ? Sur la nouvelle ère et la cohérence qui s'ouvraient avec l'arrivée au pouvoir « d'amis » dans les gouvernements de pays voisins ? Pour dire vrai, jamais les malentendus entre Bonn et Paris n'ont été aussi nombreux que depuis que Lionel Jospin et Gerhard Schrder sont à la tête de leur gouvernement.

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Guy-Michel Chauveau.

C'est un peu plus ancien ! Vous pouvez remonter à 1994 !

M. Pierre Lequiller.

Nucléaire, politique agricole commune, Agenda 2000, tous les litiges qui surgissent montrent autant l'insuffisante concertation et préparation de ces gouvernements que le manque de lisibilité de votre message européen.

Ces malentendus ne peuvent que semer le doute chez les peuples d'Europe alors qu'ils attendent un projet européen mobilisateur et prometteur. Ce projet ne se fera pas sans une France exemplaire qui sache se réformer ellemême, une France qui aborde les réalités du

XXIe siècle avec courage et détermination. Vous lui faites perdre du crédit avec vos solutions archaïques, avec votre refus d'adapter notre pays au monde et à ses transformations, plus rapides que jamais.

L'Europe est une immense ambition, elle soulève des espoirs et des attentes considérables. Rêve de nombre de nos illustres prédécesseurs, politiques, écrivains, philosophes, elle est la réponse pacifique et humaniste aux nationalismes exacerbés. La jeunesse d'aujourd'hui vit déjà dans la réalité européenne. Pour elle, l'Europe, ce ne sont pas les débats techniques, c'est le passeport européen, la libre circulation, celle d'Eurostar et de Thalys, c'est celle


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des échanges culturels et universitaires, celle des équivalences de diplômes et de la mobilité professionnelle, de la découverte des traditions et cultures voisines. Les plus jeunes d'entre eux ne connaîtront jamais que l'euro.

Nous avons la chance historique d'être ceux qui doivent faire passer l'Europe de ce rêve séculaire à la réal ité du prochain millénaire. Nous pouvons réussir l'Europe de tous les Européens, c'est-à-dire celle d'un continent pacifié et unifié. Nous devons aussi défendre de par le monde notre modèle de civilisation et nos valeurs, qui placent l'homme au coeur de nos préoccupations.

Amsterdam n'est pas la pierre angulaire de cet édifice, mais il contribue à l'élever un peu plus. Conscients de notre responsabilité par rapport aux générations futures, convaincus que l'Europe peut être porteuse d'un humanisme libéral et solidaire, le groupe démocratie libérale votera Amsterdam. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants et sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. François Loncle.

M. François Loncle.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il peut paraître paradoxal de considérer que la page d'Amsterdam est en quelque sort déjà tournée, malgré les fantasmes exprimés dans la question préalable. C'est pourtant ce qu'a montré fort justement notre rapporteur en évoquant les débats et la conclusion de la révision constitutionnelle à laquelle nous avons procédé le 18 janvier dernier, et en soulignant le fait que nous étions le dernier des quinze pays de l'Union à ratifier le traité.

1999 est pourtant, en raison même de la richesse du calendrier européen qui est devant nous, l'année qui nous permet de faire le point et de poser quelques vraies questions. Qu'est-ce qui distingue l'Europe du reste du monde ? La géographie de l'Europe fera-t-elle son histoire ? Que motive l'invention d'une communauté d'Etats partageant un destin commun et exerçant ensemble, à cette fin, une part de leur souveraineté ? En quoi l'Europe offre-t-elle un grand projet politique pour chacun de ses habitants, pour chacun de ses Etats et aussi pour le monde ? La réponse tient en trois mots : la paix, la liberté, la justice.

La justice, c'est la protection sociale, la solidarité, les droits sociaux, la sécurité, l'universalité des droits, l'indivisibilité entre droits politiques et droits sociaux, la lutte contre les exclusions.

La liberté, c'est consolider la démocratie. Quel plus bel hommage à l'Europe que la volonté des jeunes démocraties de l'Est de venir la rejoindre ! Quant à la paix, c'est la motivation première de la construction européenne. Nous l'oublions aujourd'hui par habitude, nous semblons la négliger, alors que la guerre, enfant du nationalisme, est encore à nos portes, dans l'exYougoslavie. Mais pour ce qui nous concerne, nous savons bien que, de Jaurès à Mitterrand, en passant par Blum et Briand, nous avons toujours voulu l'Europe pour étouffer le nationalisme et empêcher la guerre. On ne dira jamais assez ce que nous devons collectivement aux pères fondateurs de l'Europe, Jean Monnet et Robert Schuman, au sortir du dernier conflit mondial. En réalité, on ne peut aborder ce débat de ratification d'un traité continuateur sans avoir à l'esprit le dessein que nous nous sommes choisi.

Le traité d'Amsterdam devait initialement assurer les meilleures conditions possibles pour l'élargissement de l'Europe aux pays de l'Est. Il était et il demeure pour cela essentiel de réformer les institutions. Ce résultat n'a pas été atteint. Ce progrès politique est indispensable. Il justifie l'article 2 du projet de loi que notre assemblée est appelée à voter.

Mais le traité d'Amsterdam comporte des avancées que notre rapporteur a excellemment soulignées. A compter d'Amsterdam et au terme de cette année 1999, à condition que les responsables politiques en manifestent la volonté et que les peuples d'Europe soient enfin acteurs de ce qui ne peut se construire sans eux, l'Europe, ce ne sera pas seulement la PAC, les politiques régionales, des directives multiples et éparses. Ce sera aussi la priorité à l'emploi, la politique sociale, le développement durable, les services d'intérêt général, c'est-à-dire les services publics, la politique de santé et la protection des consommateurs, la lutte contre toute forme de discrimination, un espace de liberté, de sécurité, de justice. Peut-on imaginer meilleur dessein ? Si je dis « imaginer », c'est que nous en sommes loin et qu'il y a là largement de quoi mobiliser la jeunesse.

Les responsables politiques, les dirigeants politiques européens, les militants politiques de l'Europe auront acc ompli leur mission seulement lorsque les citoyens d'Europe, les citoyens de chacun de nos Etats européens, se seront appropriés cette grande idée.

Or nous sommes à cet égard loin du compte, malgré les échanges et les progrès incontestables dans certains domaines de la vie quotidienne. Loin du compte parce que l'horizon politique n'est pas complètement éclairci.

Nous butons sur le double défi de la réforme institutionnelle et de l'élargissement. Un élargissement qui a pparaît comme une nécessité historique mais qui comporte un risque de dénaturation de l'idée européenne si l'on n'y prend garde, c'est-à-dire si nous ne réformons pas les institutions européennes.

Pour rejoindre l'Union, il faut dire franchement aux pays candidats qu'il convient de le faire sur des bases politiques et non sur de partielles et immédiates motivations économiques et financières. Il y a ce qu'ont su faire, au sortir des dictatures qu'ils avaient subies, l'Espagne, le Portugal et la Grèce.

M. Jean Michel.

Eh oui !

M. François Loncle.

Il y a aussi ce que l'on n'aperçoit pas toujours chez certains de nos partenaires, nos amis anglais ou suédois, même si l'attitude du nouveau gouvernement britannique semble heureusement tourner le dos au repli frileux des conservateurs. Il est à cet égard probablement décisif que M. Tony Blair ait pu récemment déclarer à Prtschach : « Si nous voulons que l'Europe puisse égaler l'influence des Américains, il doit y avoir, de notre part, un engagement et une capacité à agir dans des situations militaires. »

Mes chers collègues, 1999 doit être l'année des i nflexions, des décisions européennes. A l'aube du

XXIe siècle, nous serons très probablement en mesure de savoir si l'Europe est devenue ou non l'affaire des citoyens d'Europe, ce qui est un enjeu majeur, ou si elle reste celle de spécialistes. Pour le moment, du fait notamment de la complexité du processus de décision, du peu d'intérêt des médias, de la pression technocratique jusq u'au vocabulaire employé, pour que tout ce qui concerne l'Europe se limite à un cercle d'initiés, il faut bien constater, en le regrettant, que la construction européenne, en tout cas ses aspects les plus positifs, reste largement méconnue des citoyens. Il faut changer cela, changer l'information, changer les procédures de décision, changer l'enseignement, changer les mentalités dans une


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approche nouvelle de l'idée européenne. Car l'Europe, c'est déjà la vie quotidienne de nos concitoyens. Simplement, ils n'en ont pas la perception parce que les médias et responsables politiques n'ont pas su la leur donner.

Avec l'Europe, on circule librement d'un pays à l'autre, on fait ses études et on travaille à l'étranger. L'Europe des consommateurs, des services publics, de l'environnement, de la solidarité entre régions riches et pauvres, l'Europe sociale - notre priorité - la monnaie unique, l'espace de liberté, de sécurité et de justice, prévus par le traité qui est soumis à ratification, la coopération renforcée exigée par la création et le bon fonctionnement de cet espace, ce qui nécessite une harmonisation progressive et par le haut du droit d'asile et des politiques d'immigration, sont des réalités qui concernent chacune et chacun d'entre nous, l'ensemble des citoyens de notre Europe.

Je voudrais insister sur la coopération judiciaire qui doit progresser plus rapidement afin que se réalise l'espace judiciaire, civil et pénal nécessaire pour assurer la liberté et la sécurité que sont en droit d'attendre les citoyens de l'Union dans une Europe élargie. Il est de la responsabilité des gouvernements et des parlements de veiller à ce que disparaissent les entraves à la coopération judiciaire.

Puisque nous sommes à quelques jours de la concrétisation du « Printemps des poètes », initiative du président de notre commission des affaires étrangères, je terminerai mon propos en citant un grand diplomate imprégné de poésie, Alexis Léger, Saint-John Perse, qui évoquait, il y a près de soixante-dix ans « l'heure décisive où l'Europe attentive peut disposer elle-même de son propre destin.

S'unir pour vivre et prospérer : telle est la stricte nécessité d evant laquelle se trouvent désormais les nations d'Europe ».

Face à la seule hyperpuissance mondiale issue du bouleversement de novembre 1989, profitons de cette étape bien modeste - la ratification d'un traité insuffisant pour aller de l'avant, au risque sinon pour les Quinze des e condamner à demeurer un club de puissances moyennes. S'agissant de l'Europe, mes chers collègues, on ne peut pas être optimiste, réaliste ou sceptique. Il n'y a qu'une attitude possible : il faut être déterminé pour bâtir ce que François Mitterrand et Jacques Delors nommaient l'Europe-puissance. Cela s'appelle la volonté politique.

Elle anime notre groupe qui ratifiera le traité d'Amsterdam. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Edouard Balladur.

M. Edouard Balladur.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis un demi-siècle, l'histoire de la construction européenne en France présente une grande continuité : chacune à leur tour, les deux grandes tendances de l'opinion publique ont fait avancer l'Europe, souvent en menant à bonne fin des projets entrepris par l'autre.

Est-ce à dire qu'il y a dans notre pays une politique européenne unique à laquelle nul n'échapperait et que chacun, à tour de rôle, est, quoi qu'il ait dit antérieurement, comme obligé d'avaliser afin de répondre aux aspirations de notre pays ? Je ne le crois pas.

Qu'il me suffise de rappeler l'échec de la Communauté européenne de défense en 1954, négocié par un gouvernement et rejeté par l'Assemblée. De rappeler aussi les craintes que suscita la politique dite de la chaise vide du général de Gaulle, nécessaire pour mettre en oeuvre la politique agricole commune. De rappeler encore la critique largement répandue de la politique monétaire menée depuis une douzaine d'années et rendue à tort responsable d'une moindre croissance. De rappeler enfin les débats actuels sur l'avenir des institutions européennes.

Non, la politique européenne n'est pas le domaine de l'unanimité, il y a des courants divers qui traversent d'ailleurs les deux grandes tendances de l'opinion.

Aujourd'hui, nous est soumise la ratification du traité d'Amsterdam. De grands espoirs avaient été placés dans sa négociation. Je les cite très rapidement : réforme des institutions européennes, révision des modalités de la politique étrangère et de sécurité commune, extension du champ des politiques communes, examen approfondi de la question de la hiérarchie des actes communautaires, refonte de la procédure budgétaire et, plus généralement, de la prise de décision au sein de l'Union européenne.

Comme il était prévisible - on s'était montré tellement ambitieux -, un certain nombre de ces espoirs ont été déçus.

Que contient finalement le traité ? Je ne m'apesantirai pas là-dessus ; il en a suffisament été question. Il constitue un ensemble composite, avec beaucoup de protocoles et de déclarations diverses.

Il a deux mérites principaux : d'abord renforcer la coopération des Etats membres dans le domaine de la politique étrangère et de sécurité commune, ensuite, en matière de libre circulation des personnes, ouvrir la voie à une politique commune où les décisions pourront être prises un jour à la majorité si, au bout de cinq ans, il en est décidé ainsi à l'unanimité.

De même, et quoi qu'il ait été dit dans une intervention antérieure, une importance plus grande est reconnue au principe de subsidiarité et les signataires de l'accord du 2 octobre 1997 ont expressément souhaité que les normes européennes prennent davantage la forme de directives que de règlements, ce qui, comme chacun le sait, préserve mieux le rôle et la place des Etats membres.

Enfin, il faut se réjouir que le traité consacre, implic itement peut-être, mais consacre quand même, le compromis de Luxembourg sur la défense des intérêts vitaux.

C'est donc un bilan substantiel. En somme, les lacunes du traité sont moins frappantes par elles-mêmes que par rapport aux attentes que la négociation avait suscitées.

Mais ces lacunes existent. La première d'entre elles est relative aux problèmes institutionnels. C'est là, pourquoi le cacher, une grande déception. Elle tient, bien sûr, à la difficulté qu'il y a à réformer profondément des procédures qui se caractérisent par leur lourdeur et leur complexité. Elle tient d'abord et avant tout en réalité au fait que les Etats membres ne sont pas d'accord entre eux sur l'Europe qu'ils veulent.

Observons en premier lieu que le traité ne tranche pas entre les trois options autour desquelles pourrait se dessiner l'avenir de l'Europe : le fédéralisme, la coopération intergouvernementale, l'Europe « à la carte ». Il ne prend pas parti pour le fédéralisme.

Pour faire litière d'arguments que je trouve un peu polémiques parfois, je ferai remarquer que rien dans le traité ni dans les textes qui lui sont annexés ne prévoit une prétendue supériorité du droit communautaire sur la Constitution des Etats. Le traité n'engage pas davantage l'Union dans la voie d'une protection renforcée de la souveraineté des Etats membres ni dans celle d'une Europe à la carte. Autrement dit, le traité ne tranche pas les options constitutionnelles, institutionnelles, sur l'avenir de l'Europe. Il ne compromet pas l'avenir, mais il ne le dessine pas non plus. Sur bien des points, il le laisse ouvert.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

Deuxième lacune : les améliorations apportées à la politique étrangère et de sécurité commune sont modestes.

La défense commune, j'aurai l'occasion d'y revenir longuement, reste un objectif lointain, comme l'intégration de l'UEO.

Enfin, troisième lacune : ni le traité ni les protocoles et déclarations qui lui sont joints ne tirent la moindre conséquence de la mise en place de l'euro. Les textes ne comportent aucun éclaircissement sur les responsabilités des gouvernements à l'égard de la Banque centrale européenne. Surtout, alors que le taux de change entre les monnaies, méthode d'ajustement pratiquée depuis l'origine au sein de l'Union, a disparu, les modifications nécessaires des législations nationales en matière fiscale et sociale ne sont pas évoquées.

S'il fallait résumer d'un mot la portée exacte du traité qui nous est soumis, je dirais qu'il marque une étape, mais seulement une étape, vers un avenir sur lequel continuent à peser des incertitudes.

Serait-ce que les gouvernements français ont eu tort, sous l'autorité du Président de la République, de négocier et de signer ce traité, comme on l'entend dire parfois chez ceux ou par ceux qui voudraient pour l'Europe des progrès plus rapides ? En aucune sorte. En effet, une négociation à quinze ne permet à aucun grouvernement d'imposer son point de vue à tous les autres. Ce traité est un compromis comme le sont tous les traités. La France a eu raison de le signer. Il marque une étape, mais il n'est qu'une étape et pas un point final.

Tel qu'il est, il va dans la bonne direction : déjà espace économique et monétaire, l'Europe devient un espace humain avec une politique commune en matière d'immigration, de contrôle aux frontières et de droit d'asile. Il était, à mes yeux, difficile que l'un aille sans l'autre.

Aussi le groupe du Rassemblement pour la République, cohérent avec lui-même et solidaire de l'action du Président de la République, qui a d'ailleurs rappelé les grandes lignes de cette action cet après-midi même, votera-t-il sa ratification.

Est-ce à dire que nous nous satisfaisons de ce qui a été accompli, que nous sommes sans inquiétude pour le présent et sans espérance nouvelle pour l'avenir ? Certainement pas.

Vous ne serez pas surpris, monsieur le ministre, que, s'agissant tout d'abord des mesures nécessaires à la mise en oeuvre de ce qui a d'ores et déjà été décidé, j'é voque ici, sans m'y appesantir - ce n'est pas le lieu - votre politique intérieure aussi bien économique que sociale.

En premier lieu, l'Europe monétaire suppose un certain degré d'harmonisation fiscale dont nous sommes très loin. La France est l'un des pays d'Europe et du monde aux charges collectives les plus lourdes et aux prélèvements publics rapportés à la richesse nationale les plus importants. La Commission de Bruxelles vient de constater que la consolidation des finances publiques de notre pays reste médiocre comparée aux résultats obtenus par nos partenaires. Toute la presse s'en est fait l'écho il y a une huitaine de jours.

En 1998, le déficit français a été le plus élevé de l'Union et il a toutes les chances de le rester en 1999.

M. Gérard Fuchs.

Et en 1995 ?

M. Edouard Balladur.

Nous ne pensons pas que ce que vous avez entrepris à ce jour en la matière soit suffisant.

Les indispensables réformes de structure tardent à venir, quand elles ne vont pas à contre-courant. Je pense notamment à la réduction autoritaire de la durée du travail.

En deuxième lieu, qui dit contrôle commun aux frontières dit nécessairement - c'est aussi la conséquence du grand marché - harmonisation de la politique sociale, de la structure de la protection sociale et de son financement, faute de quoi il existerait entre les Quinze des écarts de productivité et des mouvements de population qui risqueraient de déséquilibrer l'une ou l'autre des sociétés européennes.

En troisième lieu, l'euro n'est pas une fin en soi, même s'il est un puissant moteur de croissance et de compétitivité. Il est vrai qu'après avoir soulevé l'enthousiasme il y a quelques semaines, il suscite maintenant des interrogations car, contrairement aux avis des spécialistes, une fois de plus d'ailleurs, il est moins fort qu'on ne le prédisait.

La raison essentielle tient au doute sur la croissance en Europe et à l'euphorie américaine.

La monnaie européenne doit impérativement être acc ompagnée d'une politique économique décidée en commun et permettant de développer la croissance et l'emploi par tous les moyens disponibles, qu'ils soient monétaires, budgétaires ou réglementaires. Je pense à l'assouplissement des conditions de travail.

Il est impérieux que, sans tarder, la politique économique de l'Europe cesse de donner une impression d'impuissance face à l'actuel ralentissement de l'activité. Nous devons sortir de la confusion et nous montrer capables d'élaborer en commun une politique économique qui réponde à l'attente des peuples.

Nous ne débattons que trop entre libéralisme et keynésianisme, entre orthodoxes de la gestion monétaire et partisans de la relance budgétaire, entre baisse des impôts et augmentation des dépenses publiques. Il faut regarder les réalités, sortir des tergiversations et montrer que, après le grand marché, après la monnaie commune, l'Europe est capable de mettre en place une politique économique commune fondée sur la baisse des dépenses publiques et des prélèvements obligatoires, et sur l'assouplissement des réglementations. C'est ce qu'attendent les peuples. La réduction durable du chômage est à ce prix.

Il appartient donc aux gouvernements de prendre, de façon concertée, leurs responsabilités, de décider, notamment, qui a le pouvoir économique en Europe et quel est le rôle exact du conseil de l'euro face à la Banque centrale européenne. Sur ce point, nous ne sommes pas éclairés.

En quatrième lieu, la discussion sur l'Agenda 2000 oblige l'Europe à arrêter son programme de recettes et de dépenses pour les cinq années qui viennent. Elle doit le faire sans instituer de charges supplémentaires et sans augmenter la pression fiscale européenne, alors que les pressions fiscales nationales sont, pour la plupart d'entre elles, trop lourdes. C'est dire notre hostilité à un nouvel impôt baptisé européen, alors qu'il en existe déjà d'autres.

L'Europe doit aussi préserver les politiques communes, notamment la politique agricole à laquelle nous sommes attachés. Certes, des réformes sont possibles en la matière, mais elles ne doivent pas en remettre en cause les principes.

Mes chers collègues, nos efforts ne doivent pas viser seulement à tirer les conséquences de ce que nous avons déjà décidé en matière monétaire et sociale. Il nous faut aller plus loin. Nous ne pouvons nous contenter d'une Europe qui serait simplement un grand marché commercial sans frontières, à monnaie unique et aux mouvements de population aux frontières mieux contrôlés.

Il y va de notre intérêt, car notre association démultiplie nos puissances nationales respectives et nous permet de tirer tout le fruit de notre coopération. Il y va aussi de


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

notre dignité : l'Europe doit cesser de se faire imposer par d'autres le sens de sa politique économique, diplomatique ou militaire.

M. Jean Michel.

Très bien !

M. Edouard Balladur.

Elle doit devenir plus responsable d'elle-même, alors qu'elle est l'un des ensembles géographiques au monde le plus peuplé, le plus riche, économiquement, commercialement et financièrement.

Bref, il faut qu'à sa puissance économique et monétaire retrouvée corresponde sa puissance politique. Je le répète, il y va à la fois de notre intérêt et de notre dignité.

Cela implique toute une série de conséquences.

Premier effort : nous devons commencer sans tarder les négociations sur la réforme des institutions. Aujourd'hui, celles-ci sont d'une complexité et d'une lourdeur sans précédent et, j'ose le dire, sans équivalent dans le monde.

Nous devons simplifier et clarifier, rendre plus efficace et plus démocratique.

Il faut d'abord que l'on décide en toute clarté de la façon dont seront prises les décisions. Ne nous enfermons pas dans un débat entre fédération et confédération, débat théorique et, dans une large mesure, dépassé. Comment faire entrer à toute force l'Union européenne dans des schémas anciens ? Elle est, à bien des égards, une création institutionnelle originale.

Depuis quarante ans, coopération intergouvernementale et supranationalité se combinent en un modèle très particulier, qui a jusqu'alors permis de répondre aux problèmes concrets qui se posaient. Qui imagine sérieusement qu'on puisse fondre nos vieilles nations dotées d'une si forte identité dans un ensemble où régnerait en tous domaines et sans aucune restriction la règle de la majorité, qui - laquelle à mes yeux, est le critère même du fédéralisme ? L'Union européenne de demain ne reproduira ni le fédéralisme américain, ni la confédération suisse ou germanique et encore moins l'ancien empire austro-hongrois.

(Sourires.)

Aujourd'hui, je le rappelle, les décisions sont prises à la majorité - ce qui est un élément de fédéralisme - au P arlement européen, à la Commission, au conseil de la Banque centrale européenne et, pour bien des questions, au conseil des ministres ; dans quelques domaines, elles sont prises à l'unanimité au conseil des ministres, ainsi que, généralement, au Conseil européen. Telle est la situation institutionnelle actuelle.

Demain - me semble-t-il - les décisions devront être prises à la majorité qualifiée le plus souvent possible dans le domaine économique et social, et, à l'unanimité, dans le domaine diplomatique et militaire. Cela correspondrait à la réalité des choses. En effet, nul Etat n'acceptera d'être, contre sa volonté, engagé dans une guerre, fût-elle décidée par tous ses partenaires réunis. Nul n'acceptera d'être contraint, par une majorité, d'envoyer ses soldats là où il estimerait qu'ils n'ont que faire. Imaginerait-on la France obligée par la majorité de ses partenaires à participer aux récentes frappes aériennes contre l'Irak ? (« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Les institutions de l'Europe doivent être plus démocratiques. Pour cela, le système actuel de pondération des voix, exagérément défavorable aux nations les plus peuplées, doit être revu au sein du conseil des ministres qui est, avec le Conseil européen, la clé de voûte institutionnelle de l'Union. Le président du Conseil européen devrait être élu par ses pairs pour une durée fixe, par exemple de deux ans. Nous n'acceptons pas que le président de la Commission soit, à l'occasion des élections européennes, désigné en fait par l'ensemble des peuples européens.

(« Très bien ! » sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

Ce serait un basculement institutionnel qui remettrait en cause tout l'équilibre de l'Union.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et sur quelques bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

La Commission devrait avoir une composition plus ramassée et comporter au maximum vingt membres, les pays qui n'y seraient pas représentés ayant, par exemple, le droit de désigner un commissaire adjoint.

Les Parlements nationaux devraient utiliser pleinement les pouvoirs qui, d'ores et déjà, leur sont reconnus en matière de décisions exécutives comme législatives.

Pour bien assurer le respect du principe de subsidiarité, il serait utile d'élaborer un code des réglementations européennes afin que chacun sache clairement quels sont ses droits, ses devoirs et ses compétences. Le principe de subsidiarité s'appuierait ainsi sur des données précises permettant, en toute sécurité juridique, l'action à la fois des administrations, des gouvernements et des juridictions.

Enfin, les institutions de l'Europe pourraient être, dans une période de transition - qui risque d'ailleurs d'être longue - à géométrie variable. Je veux dire par là, et j'approuve les propos tenus à cet égard par M. le ministre des affaires étrangères cet après-midi, que l'on peut parfaitement concevoir, comme je l'avais proposé en son temps, que ces institutions soient organisées en cercles de composition et de compétences variables, comme cela est d'ailleurs le cas aujourd'hui.

Je rappelle en effet que les Quinze n'ont souscrit aux mêmes obligations, ni en matière monétaire, ni en matière militaire, ni en matière de circulation des ressortissants des pays tiers. Il est même peu vraisemblable qu'ils y parviennent rapidement.

Deuxième effort : il faut réaliser cette réforme des institutions politiques pour que l'Union fonctionne mieux, surtout lorsqu'elle sera élargie, et pour que l'on franchisse de nouvelles étapes, essentiellement celle de l'Europe de la défense. Nous en avons les moyens et le souhaiter n'est pas remettre en cause la vitalité du lien militaire euroaméricain. C'est vouloir, pour l'Europe, une autonomie stratégique dont elle est aujourd'hui dépourvue.

N ous participons à une alliance militaire sous commandement américain avec des mécanismes intégrés assurant théoriquement, face à toute menace, une riposte rapide et automatique. Cette intégration doit-elle rester la seule garantie de l'équilibre européen ? Ce serait continuer à appliquer les règles d'un jeu aujourd'hui disparu et qui ne correspond plus aux réalités. Il nous faut à la fois maintenir l'Alliance atlantique et vouloir l'émergence d'une Europe de la défense. Le choix n'est pas entre l'Alliance et l'Europe ; il est celui d'une Europe forte dans une Alliance rénovée.

Il est temps pour l'Europe de prendre l'initiative. Rester sous l'aile américaine, s'y complaire et s'en contenter, serait, pour les Européens, se replier sur eux-mêmes, se provincialiser, alors qu'il leur faut au contraire se tourner vers l'extérieur et résoudre eux-mêmes leur problèmes, qu'il s'agisse de l'ex-Yougoslavie, aujourd'hui, ou peutêtre demain des Balkans.

On imagine mal que l'Europe puisse défendre sa position et ses valeurs si elle n'a pas la volonté politique de s'affirmer, si elle ne dispose pas de la puissance militaire sans laquelle, en dernier ressort, personne ne compte.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

Cessons de tabler exclusivement sur autrui et sachons prévoir : l'impréparation a toujours coûté beaucoup plus cher que l'effort militaire que l'on a voulu éviter.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe du Rassemblement pour la République.) Je sais bien que la voie est difficile et que tous nos partenaires n'ont pas la même exigence que nous en matière d'indépendance de l'Europe. Cependant, il ne faut pas renoncer. Nous pouvons parfaitement instituer entre ceux des pays européens qui le désireraient un cercle de défense ouvert à tous et dont l'objectif serait de mettre en commun nos moyens militaires et nos organisations.

Il va de soi que cela ne pourrait être à nos yeux que dans le cadre intergouvernemental. Il va de soi également que cela suppose de progresser dans la définition de positions communes en matière de politique étrangère.

N'ayons pas peur, mes chers collègues, de ne pas toujours progresser unanimement. L'accord de Schengen, institué entre quelques-uns d'entre nous à l'origine, puis étendu à presque tous, justement par le traité d'Amsterdam, que nous voulons ratifier aujourd'hui, nous montre la voie. Nous pouvons, dans un premier temps, créer ce

« Schengen de la défense » réunissant les pays qui veulent résolument que l'Union ait une compétence de défense et une véritable identité en la matière.

Cela suppose, bien évidemment, que l'on aboutisse sur la fusion entre l'EUO et l'Union européenne, dont on parle depuis de nombreuses années sans parvenir à la réaliser. Cela suppose également l'institution d'une agence européenne d'armement et d'une cellule de planification qui puisse pleinement jouer son rôle au sein de l'OTAN.

En effet, l'objectif doit être de doter l'Europe de moyens techniques, industriels ou logistiques permettant d'avoir une action indépendante et de mener ses propres opérations, en fonction de ses propres décisions sans dépendre d'une volonté extérieure.

Troisième effort : on l'a dit souvent, et je le répète après bien d'autres, l'Europe ne doit pas avoir uniquement un contenu économique et financier ; elle doit avoir aussi un contenu social.

En ce domaine les choses sont difficiles, étant donné la mondialisation des marchés et de la circulation des produits, étant donné la généralisation de la concurrence.

Nous vivons en effet dans les sociétés, certes les plus protectrices, mais aux coûts collectifs extrêmement élevés.

C'est pourquoi nous approuvons l'idée d'un pacte européen pour l'emploi, à condition, bien entendu, qu'il ait un contenu réaliste et ne consiste pas à prétendre étendre à d'autres des mesures autoritaires de réduction de la durée du travail, dont on fait aujourd'hui application dans notre pays, mais dont les autres ne veulent pas.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. Alain Barrau.

Ce n'est pas ce qu'ils disent !

M. Edouard Balladur.

Certes, la France doit préserver l'originalité de sa politique et de son message. Pour autant, nous n'avons pas toujours nécessairement raison contre le reste du monde.

M. Hervé de Charette.

Très bien !

M. Edouard Balladur.

Cela étant, la recherche de la compétitivité ne justifie pas tout. Il faut sauvegarder un modèle européen, celui qui fait justement de l'homme la finalité de toute chose. N'oublions jamais ce principe de base de la philosophie humaniste : l'homme n'est pas une matière première qui devrait coûter un prix minimum.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Quatrième effort : l'élargissement qui est pour nous une nécessité à la fois morale et politique. C'est le généra l de Gaulle qui, le premier, il y a plus de trente ans maintenant, avait parlé d'une Europe de l'Atlantique à l'Oural.

Que de critiques et que de dérision avaient alors accueilli ses propos tandis que le rideau de fer divisait l'Europe en deux, situation que l'on croyait éternelle ! Vingt ans après, le système soviétique s'effondrait et le rideau de fer était abattu. Des peuples - 100 millions d'Européens - se sont tournés vers nous, confiants dans nos recettes de prospérité et adhérant à nos valeurs de civilisation.

Allons-nous les décevoir, les laisser dans le doute, la pauvreté, l'inquiétude du lendemain, alors que la situation intérieure de la Russie est loin d'être stabilisée et que cette incertitude fait peser des risques immenses sur la sécurité de l'Europe ? Allons-nous tenir à l'écart plus longtemps ces peuples pour lesquels, pendant un demi-siècle, l'adhésion aux principes fondateurs de notre civilisation, tenue secrète en raison de la répression, a été une puissante raison de vivre ? Allons-nous ignorer plus longtemps de quels trésors intellectuels, spirituels et moraux ces peuples sont dépositaires, au nom des valeurs qui nous sont communes ? Ce serait, à tous égards, irresponsable. Pire, ce serait immoral. C'est pourquoi l'élargissement ne doit pas être retardé, même s'il a un prix, et il en a un ; tout le monde doit être prêt à faire les concessions indispensables. Nous n'aurons réussi vraiment que lorsque nous aurons unifié l'Europe.

A quelle date y procéder ? On fixe souvent comme préalable la réforme des institutions, motif pris que cette Union européenne, déjà tellement complexe à gouverner,s erait ingérable si de nouvelles adhésions devaient accroître le nombre de ses membres.

Certes, l'argument est loin d'être dépourvu de portée.

Mais, si les Quinze ne parvenaient pas à s'accorder sur la réforme des institutions pendant de longues années, il me semble que l'élargissement ne pourrait pas être, pour ce motif, indéfiniment retardé et nous serions sans doute amenés à en débattre à nouveau.

M. Alain Tourret.

C'est vrai !

M. Edouard Balladur.

C'est dans cet esprit que nous acceptons l'amendement du Gouvernement ajoutant un article 2 au projet de loi de ratification.

Depuis un demi-siècle, la construction de l'Europe avance. Les structures intérieures de chacun de ses membres sont modifiées en conséquence et puis l'Europe avance à nouveau. Chacun de ses progrès est une puissante incitation au changement et à la réforme intérieure.

L'étape d'aujourd'hui franchie, il nous faudra aller plus loin. Mesurons bien notre responsabilité.

L'Europe est à la croisée des chemins. Avec 350 millions d'habitants sur les 6 milliards que compte notre planète, l'Union conserve un poids considérable, mais qui est appelé à diminuer, relativement, dans les années qui viennent. Dès lors, elle ne peut rester au premier rang sans conjuguer les forces de toutes les vieilles nations européennes qui ont tant de mal à soutenir la compétition des Etats-Unis et de l'Asie.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

On a voulu qu'elle recherche la prospérité, d'abord grâce à un grand marché sans frontières, où les impératifs de la concurrence ont conduit au rapprochement des législations nationales, puis grâce à une stabilité monétaire dont la monnaie européenne est l'étape ultime. Cela ne suffit pas. Il lui faut également non seulement assurer sa défense, mais aussi viser à la puissance, quels que soient les réserves et les doutes.

L'Europe ne sera véritablement indépendante que si elle l'est non seulement sur le plan économique et monétaire, mais aussi sur le plan politique et militaire.

Les Etats européens le voudront-ils ? Les Etats-Unis d'Amérique le voudront-ils ? A la France de s'y employer.

Elle peut et doit prendre l'initiative de proposer des solutions nouvelles.

La situation actuelle en tout cas ne saurait durer longtemps sans danger pour l'avenir. La modifier demandera, il est vrai, du temps et beaucoup de volonté, et ce sera beaucoup plus difficile que dans le domaine monétaire, car la défense touche davantage encore à la mission fondamentale des Etats qui est d'assurer la sauvegarde des nations. Mais, dans un cas comme dans l'autre, l'enjeu est le même : il s'agit pour l'Europe d'exister et pour les nations de se renforcer en coopérant davantage.

L'ordre consacré à Yalta, qui s'est traduit par la division de l'Europe, a été abattu. Nous devons tout faire pour éviter que cela ne nous fasse revenir à l'ordre qui avait été consacré à Versailles, vingt-cinq ans plus tôt, et qui renfermait tous les germes de la Seconde Guerre m ondiale. Aujourd'hui, nous voyons quels sont les risques, dans les Balkans, par exemple. L'oppression soviétique avait étouffé par la violence un grand nombre de conflits nationaux, raciaux et sociaux. Voici qu'ils renaissent, nombreux. Si nous ne trouvons pas aujourd'hui la solution à ces conflits, si l'on n'instaure pas un nouvel ordre européen fondé sur la paix et le respect mutuel, alors un jour, n'en doutons pas, il y aura une nouvelle explosion. Pour l'éviter, quelle meilleure garantie qu'une Union européenne forte, qu'un engagement de tous de régler par la négociation, comme le prévoyait le pacte de stabilité signé en 1995, les litiges relatifs aux frontières et aux minorités ? Les nations d'Europe préfèrent-elles se voir imposer leurs décisions par une tutelle extérieure ou veulent-elles, en s'unissant étroitement, décider elles-mêmes pour ellesmêmes ? Telle est la seule question qu'il faille se poser.

Les avantages de l'Union sont évidents et nous ne devons pas hésiter, car chacune de nos nations, loin d'être amoindrie par l'Europe, verra sa force et sa solidité démultipliées. Ne restons pas prisonniers d'une conception archaïque de la souveraineté.

M. Hervé de Charette.

Très bien !

M. Edouard Balladur.

Grâce à l'euro, en partageant nos souverainetés, nous comptons désormais davantage sur la scène monétaire du monde.

Grâce au grand marché, en partageant nos souverainetés, nous comptons davantage sur la scène commerciale et nous pouvons mieux défendre nos intérêts.

M. Hervé de Charette.

Excellent !

M. Edouard Balladur.

Grâce à la politique étrangère et militaire commune, nous serons plus forts, mieux écoutés, plus influents et nous ne dépendrons de personne d'autre que de nous-mêmes pour décider.

M. Hervé de Charette.

Espérons-le !

M. Edouard Balladur.

Voilà pourquoi, en approuvant la ratification du traité d'Amsterdam, nous exprimons le souhait que, sans tarder, le Gouvernement s'engage à définir le visage d'une Europe indépendante qui préserve et renforce nos nations et qui leur permette de s'affirmer davantage. Nous savons que c'est le voeu du Président de la République, voeu réaffirmé cet après-midi même. Nous souhaitons que ce soit aussi celui du Gouvernement.

Nous attendons maintenant que vous le démontriez, monsieur le ministre.

Malgré la prospérité, que nous connaissons aujourd'hui à l'Ouest, depuis quelques dizaines d'années...

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Pas pour tout le monde !

M. Edouard Balladur.

... le XXe siècle a été terrible pour l'Europe. Elle dominait le monde au

XIXe siècle, au prix, il est vrai, de bien des injustices et de bien des violences.

La Première Guerre mondiale, véritable guerre civile, comme le disait Valéry, a mis fin à sa domination universelle.

La Seconde Guerre mondiale l'a divisée et l'a fait passer sous la tutelle de deux superpuissances, certes issues de sa civilisation et de ses idéologies contradictoires, mais étrangères, l'une comme l'autre, à ses intérêts véritable s et durables.

Il ne s'agit pas bien entendu pour l'Europe du

XXIe siècle de retrouver celle du

XIXe siècle, mais de faire qu'elle s'organise, qu'elle s'unisse, qu'elle décide ellemême de son destin et qu'elle pèse sur les affaires du monde, en somme, qu'elle soit indépendante. Telle est l'ambition que nous devons nous assigner pour la prochaine décennie. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Claude Lefort.

M. Jean-Claude Lefort.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, puisque la voie référendaire n'a pas été retenue alors qu'elle correspondait le mieux à nos institutions...

M. Hervé de Charette.

Mais non !

M. Jean-Claude Lefort.

... et au besoin politique essentiel de rapprocher notre peuple de la construction européenne, nous voici donc réunis pour ratifier, ou non, le traité d'Amsterdam.

Notons, tout d'abord, que ce débat ne manque pas d'être paradoxal.

Il survient, en effet, alors que cette ratification ne suscite qu'indifférence dans notre peuple tandis que le débat sur la politique agricole commune porte sur le fait de savoir si la seule politique européenne existante doit subsister ou non ! Il survient également à un moment où des déclarations se font jour sur le besoin d'une politique de gauche en Europe tandis que, par ailleurs, des voix s'élèvent contre une Europe qui déciderait à 80 % des lois à appliquer dans l'ensemble des Etats membres.

Dans ces conditions, mes chers collègues, si les mots ont un sens et si les volontés manifestées sont à prendre au pied de la lettre, la question suivante se pose : comment peut-on affirmer cela et, dans le même temps, ratifier le traité d'Amsterdam ? Une Europe de gauche ? D'accord ! Mais alors, comment accepter ce traité, qui ne modifie pas mais au contraire consolide le traité de Maastricht, lequel prolongeait l'Acte unique ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

Et que nous valent les politiques suivies sous ces auspices ? On sait que l'Europe compte, officiellement, 18 millions de chômeurs et 50 millions de pauvres. Cela mérite au moins de regarder en arrière afin de voir si le type de construction européenne résultant de ces traités successifs n'a pas sa part de responsabilité dans cette situation.

A-t-on procédé à cette analyse avant de proposer d'aller plus avant sur le même chemin ? Nullement ! Pourtant, à tout le moins, l'exercice est nécessaire, d'autant qu'une étude de l'OCDE vient confirmer le bien-fondé de la démarche que nous proposons : avancer en établissant un bilan, afin de modifier ce qui doit l'être.

Que nous montre cette analyse de l'OCDE intitulée

« perspectives économiques » ? Trois aspects majeurs qui militent précisément pour une réorientation progressiste de l'Europe.

Elle montre, tout d'abord, que, alors que l'Union européenne devrait apporter un plus, la croissance moyenne des pays membres de l'Union est restée inférieure à celle du Japon et des Etats-Unis sur vingt ans, durant la période 1977-1997. Il en va de même pour les investissements.

Deuxièmement, les tendances relevées de 1985 à 1997 montrent que l'emploi total dans l'Union européenne a augmenté trois fois moins que dans la moyenne des Etats de l'OCDE et quasiment deux fois moins qu'aux EtatsUnis. Le chômage, quant à lui, y est deux fois plus élevé qu'aux Etats-Unis et trois fois plus qu'au Japon.

M. Guy Hermier.

C'est objectif !

M. Jean-Claude Lefort.

S'agissant, enfin, de l'inflation, dont la maîtrise a pourtant été drastiquement recherchée, l'Union européenne se situe dans la moyenne des pays OCDE, sans plus.

Tout cela, mes chers collègues, mériterait d'être pris en compte, car que vaut une politique européenne où il n'y a pas de corrélation positive entre intégration et performances économiques et sociales ? Sur cette pente où l'Europe n'apporte pas le mieux-être promis et escompté, c'est l'idée européenne elle-même qui se trouve atteinte.

Le traité d'Amsterdam porte-t-il remède à ces réalités incontestables ? Nous propose-t-il de revoir les critères de convergence à la base du pacte de stabilité, le statut et les missions de la Banque centrale européenne ? Pourtant, sur tous les bancs, il ne manque pas de voix pour s'élever contre tel ou tel de ces aspects.

N'est-ce pas, d'ailleurs, une résolution de notre assemblée qui, au moment du passage à l'euro, préconisait à tout le moins la mise en place d'un contrepoids politique face à la Banque centrale européenne à laquelle le traité de Maastricht impose une stricte indépendance et fixe comme objectif premier la maîtrise de l'inflation et non pas la croissance et l'emploi ? C'est un véritable retournement de la pensée auquel nous assistons : la monnaie, en effet, n'est qu'un moyen et ne saurait, en aucune façon, être une fin en soi.

D'ailleurs, à gauche, justement, n'a-t-on pas entendu d'autres voix que la nôtre s'élever contre le pacte de stabilité considéré comme un « super-Maastricht II » ? Vousmêmes, monsieur le ministre délégué chargé des affaires européennes,...

M. Maurice Leroy.

Qui nous fait l'honneur d'être là !

M. Jean-Claude Lefort.

... avez écrit, à propos de ce pacte, que son adoption « sans ratification populaire et toujours sans mettre en place un gouvernement économique, donc sans aucune légitimité démocratique » était parfaitement critiquable ! Cela figure dans votre livre.

Que retrouve-t-on de ces bonnes résolutions et déclarations dans le traité d'Amsterdam ? Malheureusement rien ! Certes, un volet emploi - et c'est très positif - a été introduit in extremis sous l'impulsion du Gouvernement français actuel.

M. Alain Barrau et M. Jean-Louis Idiart.

Très bien !

M. Jean-Claude Lefort.

Pour devenir un pacte de croissance et d'emploi, il doit, toutefois, ne pas éluder les questions précédentes et donner lieu à de vraies initiatives européennes en la matière, qu'il s'agisse des financements, des taux d'intérêt différenciés pour favoriser l'emploi, du lancement de grands travaux dont on ne parle plus guère aujourd'hui...

M. le ministre délégué chargé des affaires européennes.

Oh !

M. Jean-Claude Lefort.

... ou bien encore d'un emprunt européen pour favoriser l'emploi.

M. Alain Barrau.

Très bien !

M. Jean-Claude Lefort.

Au lieu de cela, au nom de la

« bonne gestion financière », la Commission - toujours elle - demande, par exemple, à l'Italie de revoir son budget parce qu'il repose sur des prévisions de croissance jugées trop optimistes.

Quant à la France et à l'Allemagne, qui prévoient la réduction de leurs déficits à environ 1 % - et non pas 3 % - pour 2002, elles sont considérées comme les mauvaises élèves de la classe européenne, parce qu'elles ne parviennent pas, non plus simplement à réduire leur déficit, mais à l'équilibre budgétaire.

L'équilibre budgétaire, voilà un nouveau dogme mis en avant par la Commission.

Au lieu de cela, l'emploi est corseté par les dogmes libéraux de « compétitivité », « d'employabilité » ou bien encore de « modération salariale ».

J'arrête là ce premier volet pour reformuler ma question : comment peut-on se prononcer pour une Europe de gauche et en même temps se prononcer pour Amsterdam ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Quittez ce gouvernement !

M. Jean-Claude Lefort.

Les propos de M. Balladur, qui a lui-même distingué les propositions, m'encouragent du reste vivement à insister sur cette question.

M. Hervé de Charette.

Elle est du reste excellente et j'aimerais connaître votre propre réponse !

M. Jean-Claude Lefort.

Le même raisonnement prévaut à propos de l'idée européenne en tant que telle. Et, à franchement parler, ce n'est pas l'article 2 rajouté à ce projet de loi portant ratification qui donnera le change.

Pourquoi d'ailleurs reste-t-il si vague ? Qui pourrait être contre une « union plus efficace et plus démocratique » ? Evidemment personne !

M. Alain Barrau.

Sauf M. de Villiers !

M. Jean-Claude Lefort.

Que cache cette formule alors que la France, avec la Belgique et l'Italie, a ajouté un protocole au traité d'Amsterdam indiquant que la majo-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

rité qualifiée doit devenir la règle sur un maximum de sujets ! Pourquoi se cacher de la sorte derrière son petit doigt ? Quel est donc le dessein que nous ne saurions laisser voir à notre peuple ? Si la question de la majorité qualifiée peut en soi donner l'occasion d'un débat intellectuel intéressant, il reste que cette demande s'applique à une réalité concrète qui, elle, s'impose. Et la ligne de force de cette réalité est claire : elle est bel et bien fédéraliste.

Or si le fédéralisme est l'exact contraire du nationalisme, ils se nourrissent mutuellement. Ils sont aussi dangereux, l'un et l'autre, pour l'Europe. Refuser le moindre partage de compétence ou demander un partage de toutes les compétences revient au même : c'est l'Europe impossible qui est au bout de ces deux logiques.

A quand un traité qui donnera au principe de subsidiarité, aujourd'hui vidé de son sens, toute sa valeur réelle ? C'est en son nom qu'on dépouille la nation de ses compétences, favorisant, du même coup, le repli nationaliste. Il y a deux façons de défaire l'Europe : d'un côté, par l'explosion du refus, de l'autre, par l'implosion des contradictions internes.

M. Maurice Leroy.

Et le refus de l'explosion ? (Sourires.)

M. Jean-Claude Lefort.

Cette double pente porte en elle un autre risque : l'impossibilité pour l'Europe de s'élargir à l'Est.

Si l'on entend, ainsi que nous l'affirmons, exprimer que l'Europe est un bien nécessaire, il convient de repousser aussi bien l'un que l'autre de ces termes, et de faire en sorte que la politique retrouve sa place en Europe au lieu de laisser libre cours au seul facteur économique, financier et monétaire.

Pour que l'Europe reste une idée neuve en Europe, il faut exprimer une tout autre exigence, celle d'une Europe sociale, démocratique et pacifique, qui associe, sans les fusionner, les nations européennes autour de grands projets communs et acceptés. Face au monde globalisé d'aujourd'hui, il faut que l'Europe apparaisse comme une entité positive, capable de réaliser l'union dans le respect des diversités afin de préserver son modèle social. Bref, il faut l'Union européenne et non la fusion.

L'Europe a besoin de toute évidence d'un nouveau traité, porteur de l'ensemble de ces exigences de gauche.

Pour aller dans cette voie, il faut s'opposer à tout ce qui en trouble le sens ou le dessein - et le traité d'Amsterdam est justement de cette espèce.

En conséquence, notre démarche est claire...

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Nous quittons le Gouvernement !

M. Jean-Claude Lefort.

Nous considérons que refuser Amsterdam, c'est faire oeuvre utile pour une Europe de g auche comme pour l'idée européenne elle-même.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. Maurice Leroy.

Et cela s'appelle une majorité !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Très plurielle !

M. le président.

La parole est à M. François Bayrou.

M. François Bayrou.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il fut un temps, pas si lointain, où la ratification du traité d'Amsterdam faisait flotter comme un parfum de suspense dans cette assemblée. Aujourd'hui, ce suspense est levé : c'est à une large majorité que l'Assemblée nationale adoptera le projet de loi de ratification, le vote ayant été rendu possible par la modification constitutionnelle acquise à Versailles le 18 janvier dernier.

Ce texte sera donc voté. Et pourtant, à cette tribune, il a donné lieu à une véritable cascade de qualificatifs. Je n'en relèverai que trois : le traité « le plus pauvre » selon la commission des affaires étrangères, « le plus mauvais » selon M. Vauzelle, « le pire » selon M. Lang, que cette assemblée aura jamais eu à examiner en matière de construction de l'Europe.

M. Jean-Louis Idiart.

A vous entendre, moins c'est bon, plus on vote !

M. François Bayrou.

Ce paradoxe mérite que nous y réfléchissions une minute : pourquoi un texte si peu apprécié devrait-il être largement approuvé dans quelques heures ? La première raison tient, me semble-t-il, au fait que les deux majorités possibles de cette assemblée ont été toutes deux, d'une manière ou d'une autre, engagées dans cette négociation. Le traité est en effet issu d'une disposition de l'article N du traité de Maastricht, préparé par une majorité de gauche sous l'autorité du Président Mitterrand ; il a été négocié par le gouvernement d'Alain Juppé, alors qu'Hervé de Charrette exerçait les responsabilités de ministre des affaires étrangères, sous l'autorité du Président de la République, Jacques Chirac. Et c'est le Conseil européen d'Amsterdam qui décida, au mois de juin 1997, d'en adopter le texte,...

M. Jean-Louis Idiart.

On ne parle plus de Barnier ?

M. François Bayrou.

... associant, à l'étape ultime de cette négociation, le nouveau gouvernement de M. Jospin au Président Chirac.

C'est une illustration de plus, à nos yeux, de ce qu'il est vain de vouloir regarder la construction européenne avec les lunettes de notre seule politique intérieure.

Mme Monique Collange.

Très bien !

M. François Bayrou.

Le Président Jacques Chirac luimême, dans son message de cet après-midi, l'a rappelé de manière très éloquente et très juste en associant les géné rations gouvernementales successives à la définition et à l'application de la politique européenne de la France : l'Europe n'est pas affaire d'un camp contre l'autre, ce n'est pas une affaire de droite contre gauche...

M. Hervé de Charette.

Très bien !

M. François Bayrou.

C'est une grande affaire nationale, comme cela a été surabondamment démontré lors du référendum sur le traité de Maastricht.

M. Hervé de Charette.

C'est parfaitement vrai !

M. François Bayrou.

L'Europe est même la seule grande question politique qui a su nous obliger à dépasser nos frontières habituelles ; et il est bien que soit ainsi créée une solidarité à travers le temps entre les bâtisseurs d'Europe, à quelque camp qu'ils appartiennent et quels que soient les désaccords qui peuvent par ailleurs les opposer. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l 'Union pour la démocratie française-Alliance.)

C'est comme cela que l'Europe s'est faite et c'est ainsi qu'elle devra se faire.

La deuxième raison, c'est qu'aucun des principaux responsables publics attachés ou ralliés à l'idée européenne n'a voulu prendre la responsabilité d'un coup d'arrêt au processus de construction de l'Europe. En analysant le texte du traité, d'accès toujours difficile, on l'a rappelé,


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pour le citoyen même averti, les experts parlementaires ou de la construction européenne en ont noté les progrès. Ils les ont trouvés, sur beaucoup de points, dignes de considération, utiles ; mais la véritable raison du vote favorable que nous émettrons tient d'abord au fait que ce texte prend sa part, même modeste, dans ce qui constitue finalement la seule grande aventure humaine de ce siècle.

Le premier et principal progrès de ce traité réside dans la communautarisation partielle du troisième pilier relatif à la sécurité et aux affaires intérieures. C'est l'efficacité et la cohérence qui justifient la perspective de définition à la majorité qualifiée des politiques d'immigration, d'asile et de contrôle aux frontières. Il faudra, à notre sens, que cette évolution se poursuive en matière policière et en matière pénale. Aujourd'hui, la lutte contre la criminalité organisée relève de la compétence des Etats. Cette situation est absurde : dès lors que le crime international ignore par définition les frontières qui ne sont finalement des handicaps que pour les polices, il faut que l'Union européenne se dote des armes nécessaires à la lutte contre les mafias. C'est pourquoi nous souhaitons en particulier la transformation d'Europol en véritable police fédérale européenne, une sorte de FBI pour l'Union. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Il faut également relever le titre sur l'emploi, plus symbolique, qui repose et appelle à la coordination des politiques nationales, même s'il ne traduit pas le grand mouvement en avant que nous souhaitons.

Le traité d'Amsterdam, en marquant ainsi son intérêt pour les domaines de la sécurité et de l'emploi, répond au souci de réorienter l'Union vers les préoccupations des peuples.

La majorité des parlementaires jugera donc que, en vertu de ces progrès, il convient de ratifier le traité. Mais ils ont surtout eu conscience de l'impact négatif qu'aurait sur l'opinion européenne le rejet d'un texte difficilement négocié et considéré comme une étape, une de plus, dans une longue marche. Si c'est la marche qui compte le plus, on ne l'interrompt pas, même si l'on est en droit de considérer cette étape moins fructueuse qu'on ne l'aurait espéré.

Il fallait cependant un signe pour marquer cette insatisfaction en matière institutionnelle. Le président Valéry Giscard d'Estaing a proposé l'adjonction d'un article additionnel au projet de loi de ratification, indiquant que l'élargissement ne pourrait être décidé que lorsque serait intervenue une étape supplémentaire et décisive de profonds changements institutionnels. La France avait officiellement manifesté cette volonté au moment de la négociation du protocole sur les institutions.

M. Hervé de Charette.

Absolument !

M. François Bayrou.

Avec la Belgique et l'Italie, la délégation française a signé une déclaration regrettant que le traité n'aille pas plus loin dans la réforme institutionnelle. C'est pourquoi nous nous réjouissons que le Gouvernement ait repris l'idée de l'article proposé par le président Giscard d'Estaing.

M. François Loncle.

Il n'était pas tout seul !

M. François Bayrou.

L'article 2 est ainsi devenu un signe clair et contraignant de la volonté de la République française et de son insatisfaction.

Quoi qu'il en soit, il importe que nous nous expliquions sur la vision de l'Europe qui nous porte à l'occasion de ce débat sur le traité d'Amsterdam. Et d'abord sur le moment que nous sommes en train de vivre.

Pour beaucoup de Français, l'Europe est une construction obscure. C'est de notre faute. Nous avons fait de la construction de l'Europe un débat pour initiés.

M. François Loncle.

Exact !

M. François Bayrou.

Et nous l'avons fait par facilité.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

C'est vrai.

M. François Bayrou.

Les uns parce que cela les arrangeait que n'apparaisse pas trop la contradiction entre les discours nationaux et la pratique communautaire,...

M. Alain Barrau.

De qui s'agit-il ?

M. Jean-Louis Idiart.

Des noms !

M. François Bayrou.

Les autres parce qu'il était commode de disposer d'un bouc émissaire bruxellois toujours prêt à se laisser lier sur le bûcher du sacrifice pourvu que les choses avancent.

M. Jean-Louis Idiart.

C'est vrai !

M. François Bayrou.

On pouvait ainsi être raisonnable à Bruxelles et démagogue en France sans grand inconvénient.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. Maurice Leroy.

C'est tout à fait vrai !

M. François Bayrou.

Ce sont ainsi parfois les mêmes qui ont exigé de Bruxelles des réglementations sur le fromage afin de rendre exportables nos chefs-d'oeuvre gastronomiques, ou sur la chasse dans le but de promouvoir une politique cohérente de l'environnement...

M. Charles de Courson.

Hélas !

M. François Bayrou.

... et qui dénonçaient à grands cris sur nos tréteaux électoraux des décisions qu'ils avaient pourtant appelées de leur voeux. Aucune politique n'aura autant que la politique européenne donné libre cours au double langage.

Mais, pour être tout à fait sincères, ne nions pas que même les partisans de la construction européenne se sont pendant longtemps accommodés de ce clair-obscur. Ils redoutaient la rude simplification de l'opinion publique sur les sujets européens et s'inquiétaient de voir remise en cause et fragilisée la délicate horlogerie de la matière communautaire.

Mais le moment vient, c'est en tout cas notre conviction, où il nous faut sortir de l'ambiguïté sur notre vision de l'avenir de l'Europe.

N ous sommes nombreux à penser en effet que l'Europe ne peut pas rester au milieu du gué. Jamais nous n'avons été aussi proches de donner à l'Europe les armes de la puissance et pourtant jamais nous n'avons été aussi près de la voir échouer, choisir le statu quo et se dissoudre dans le contraire de ce que nous voudrions qu'elle fût.

Le statu quo est mortel pour l'idée que nous nous formons de l'avenir de l'Europe.

La monnaie unique, il est vrai, était une des deux conditions nécessaires à l'avènement de l'Europe. Mais la deuxième condition, c'est l'union politique construite, ainsi que le dit le président Giscard d'Estaing reprenant le mot de Montesquieu, selon une démarche fédérative, c'est-à-dire selon la vision d'une vraie fédération en train de s'édifier.

En France, on n'ose pas employer les adjectifs « fédératif » ou « fédéral », ni le mot de « fédération » - lointain souvenir de 1793, sans doute. Pourtant, ces mots ne sont


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pas vides. Ils ouvrent sur des débats, sur des options également estimables, mais qui présentent des choix différents pour l'avenir et sur lesquels le peuple français a le droit d'être informé et de faire entendre sa voix.

Est fédérale pour nous, sur les sujets communautaires, toute démarche qui donne à une autorité commune, légitime, c'est-à-dire procédant de la démocratie des peuples de l'Europe, un rôle d'expression et d'entraînement qui permet de dépasser les divergences naturelles entre les intérêts contradictoires des Etats.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Très bien !

M. François Bayrou.

J'ai été heureux d'entendre M. Balladur rappeler que l'Europe était déjà fédérale : elle l'est effectivement depuis la CECA, elle l'est parce que la Commission est d'inspiration fédérale, elle l'est parce que le Parlement européen est nécessairement une institution fédérale, elle l'est évidemment depuis que l'on a défini l'autorité de la banque centrale sur notre monnaie unique, l'euro.

M. Hervé de Charette.

Très juste !

M. François Bayrou.

Et c'est également dans cet esprit qu'il apparaît, aux yeux de tous, que dans cette Europe fédérale-là manque un contrepoids politique, économique essentiel à ce que l'euro représente pour l'Union européenne.

D ans les matières qui concernent notre avenir commun, cette autorité commune n'aura de véritable légitimité qu'à partir du moment où elle agira sous le contrôle des citoyens européens.

Pour que ce fédéralisme soit démocratique, il faut d'abord que les citoyens soient informés de la nature exacte des pouvoirs qui les gouvernent. La règle de la démocratie, sa loi, son impératif, c'est un visage, un pouvoir, un contrôle. Les citoyens doivent identifier celui qui dirige, connaître l'étendue des pouvoirs qu'il exerce et pouvoir influer sur sa désignation, soit directement, soit par élus interposés. Or les Français, comme les autres citoyens européens, ne connaissent ni l'étendue des pouvoirs, ni les personnalités, ni les modes de désignation de ceux qui exercent en leur nom les pouvoirs européens.

Voilà pourquoi l'époque des traités pour construire l'Europe devrait s'achever avec Amsterdam. Nous ne sommes plus des peuples étrangers les uns aux autres.

Nous sommes désormais concitoyens de la même Union.

Nos destins sont intimement mêlés. Les peuples doivent avoir le moyen de comprendre et de connaître les règles et les fonctions de notre vie commune. Au lieu de traités, il faut une constitution de l'Union européenne, lisible par tous, commune à tous, simple pour le citoyen, une loi f ondamentale qui fixe l'architecture de la maison commune, et non l'obscurité d'un traité illisible dans les strates successives où se perdent même les professeurs de droit. (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.) Les arcanes d'un traité, c'est bon pour les juristes. Une constitution, c'est une loi commune pour les citoyens et pour les peuples.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Très bien !

M. François Bayrou.

Ce traité devrait être le dernier de l'époque où se construisait l'Europe des Etats par les

Etats, pour les Etats.

M. Maurice Leroy.

Très bien !

M. Hervé de Charette.

Excellent !

M. François Bayrou.

Le temps est venu d'ajouter à l'Europe des Etats l'Europe des peuples, par les peuples et pour les peuples. Les traités sont affaire de diplomates.

Les citoyens ont besoin d'une constitution.

Une constitution, c'est aussi le moyen de fixer aux yeux des citoyens la notion trop lointaine de subsidiarité.

Notre temps requiert à la fois la proximité et la puissance, la proximité pour tout ce qui touche à la vie de tous les jours, à l'administration, au respect des traditions, des cultures et des langues, et la puissance exercée en commun pour la monnaie, les grands traits de la politique économique, industrielle, de recherche, pour peser sur la scène du monde, pour construire une défense forte, opérationnelle et respectée. Le partage entre le domaine de la puissance qui doit être d'exercice fédéral et la proximité de la décision n'est ni clair ni construit.

M. Hervé de Charette.

En effet !

M. François Bayrou.

Une constitution européenne, le jour où nous aurons la volonté de l'écrire, devra fixer les règles de la subsidiarité, de la décentralisation européenne, qui est, à nos yeux, la conséquence même de son avenir fédéral.

Pour aller un peu plus loin, puisqu'il nous semble que nous avons droit à l'utopie, à la vision qui oriente une démarche, même si c'est une démarche de long terme, je ferai une ou deux réflexions sur l'identification des pouvoirs.

Le vote à la majorité qualifiée, chacun le sait, est indispensable. Une nouvelle pondération des voix en est la condition. Pourtant, cela ne suffira pas tant qu'il n'y aura pas, comme dans toute démocratie, des visages procédant du suffrage pour porter une volonté politique et en répondre devant les opinions. La présidence épisodique à durée de six mois, revenant tous les sept ans et demi tant que nous serons quinze, moins souvent encore si l'élargissement se réalise, ce n'est pas la démocratie. Il faut une autorité européenne élue pour être la voix et le visage de l'Europe.

On peut hésiter, c'est légitime, entre une présidence du Conseil et une présidence de la Commission. Dans ce débat, chacun défend ses idées, mais, je le répète, ce sont des idées de long terme. Le choix que nous avons fait, c'est d'essayer de démocratiser la Commission qui est le plus souvent accusée en France d'être une bureaucratie anonyme et lointaine.

En tout état de cause, ce qu'il faut retenir, c'est que le président de l'Union devra d'une manière ou d'une autre recevoir l'onction du suffrage. La garantie de sa légitimité, la condition de sa responsabilité, c'est son élection par les représentants des peuples, par un congrès européen où seront représentés à parité le Parlement europé en et les parlements nationaux dans une première étape, et, un jour peut-être, les peuples eux-mêmes. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

L e préalable démocratique étant assuré, l'Europe pourra enfin devenir solidaire au sein de l'Union et puissante à l'extérieur.

Nous avons besoin, cela a déjà été rappelé à cette tribune, d'un modèle social européen. Nous connaissons tous la diversité des pratiques et des habitudes, regroupées autour des modèles scandinave, anglo-saxon et latin, maise lle ne saurait effacer l'existence de préoccupations sociales communes à l'ensemble des Etats membres. C'est en Europe que l'on reconnaît des droits et des protections aux salariés. C'est en Europe que l'intermédiation syndi-


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cale est reconnue comme une des sources principales du droit du travail. C'est en Europe que la protection sociale assure à ses bénéficiaires une protection sans équivalent dans le monde.

Au-delà des différences, et quelquefois des divergences qui peuvent exister entre ces trois modèles, c'est au fond une même conception de la personne que nous partageons : l'idée que la personne humaine n'est pas réduct ible aux seuls intérêts du marché ni aux seules contraintes de l'Etat. Partons de cette vision commune pour aller vers le mieux disant social communautaire.

Comparons les mérites respectifs de nos systèmes de protection sociale ou de nos législations du travail. L'Europe devrait devenir ce champ d'expérimentations que les cadres trop rigides des Etats interdisent.

La vocation fédérale de l'Union ouvre nécessairement la voie de la contractualisation, de l'expérimentation et de la souplesse. De ce point de vue, elle ne saurait durer sans s'accompagner dans le même temps d'un profond mouvement de décentralisation. Le principe de subsidiarité est un principe d'efficacité, c'est le pari du terrain et de la proximité. Nous y reconnaissons le rôle que les collectivités locales entreprenantes et imaginatives devront jouer dans l'avenir européen.

A côté de l'Europe solidaire, l'Europe puissante dans le monde. Le renforcement de la politique étrangère et de la sécurité commune, c'est une nécessité née d'un refus, de voir les seuls Etats-Unis assurer le rôle de gendarmes du monde, selon les règles et les intérêts des Américains.

Un grand nombre d'entre nous ont vécu comme une humiliation le nouvel épisode du Kosovo, les puissances européennes ayant semblé incapables de faire entendre une voix en l'absence de Mme Allbright.

M. François Loncle.

C'est injuste.

M. Alain Barrau.

C'est un peu excessif.

M. Hervé de Charette.

Non, c'est tout à fait juste.

Plusieurs députés du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.

Il a raison.

M. François Bayrou.

C'est ce que les citoyens européens ont ressenti, les citoyens français en tout cas. Les conflits régionaux qui se déroulent sur le sol du continent européen devraient relever de l'autorité de l'Europe...

M. Hervé de Charette.

Très bien !

M. François Bayrou.

... de la même manière que le système de sécurité devrait être construit autour du pilier européen.

M. Hervé de Charette.

Bravo !

M. François Bayrou.

L'absence de l'Union, difficile à comprendre sur la scène du monde, est inacceptable sur le sol européen. L'Europe ne pourra indéfiniment assumer, seule, le coût financier des décisions prises par d'autres. Inexistante du fait de l'orgueil des Etats à ne pouvoir se résoudre à leur statut de puissance moyenne, la politique étrangère et de sécurité européenne devra naître de l'orgueil de ces mêmes Etats à vouloir peser à nouveau sur le destin du monde.

Cet effort est urgent.

L'Europe est au milieu du gué. Certains proposent qu'elle revienne sur la rive qu'elle a quittée, vers l'Europe des Etats. Je crois qu'ils se trompent, même si je reconnais que leur logique a un sens. D'autres se satisfont du chemin parcouru et se proposent de ne plus guère bouger. Je crois qu'ils se trompent et qu'ils sous-estiment les dangers. Nous, nous croyons qu'il faut aller de l'avant et atteindre l'autre rive, celle d'une Europe enfin créée, entendue, respectée et solidaire.

Non, monsieur de Villiers, cette Europe révélée à ellemême n'est pas la négation des nations, de leur culture et de leur langue nationale. Elle est le seul moyen, au contraire, dont disposent les nations pour retrouver les attributs de la puissance confisquée, de la puissance interdite, de la puissance hors de portée désormais des Etats.

M. René André.

Très bien !

M. François Bayrou.

Et nous ne confondons pas la réalité nationale et la solitude impuissante de l'Etat-nation.

Si nous manquions à cette obligation, nous verrions s'exprimer des forces qui sont jusque-là muselées, mais dont on voit la résurgence et qui finiraient par avoir raison du projet européen.

C es forces de décomposition, j'en vois quatre : l'absence de réforme de nos institutions ; une pratique budgétaire contraire à l'esprit européen ;...

M. Charles de Courson.

Hélas !

M. François Bayrou.

... le triomphe du modèle de concurrence sauvage, notamment sur le plan fiscal et social, entre les Etats ; un élargissement mal maîtrisé.

Nos institutions ne supporteront pas longtemps le statu quo , que chacun ici a dénoncé comme impossible. Le maquis institutionnel des droits de vote tels qu'ils sont et de la composition de la commission telle qu'elle est fait courir un risque de dérive très important. Je n'ai pas besoin d'insister sur ce point.

La pratique budgétaire dans laquelle nous sommes entrés condamne l'Europe, et elle est à courte vue. La politique inaugurée par Mme Thatcher du « juste retour » par rapport aux contributions nationales devient maintenant une règle quasi générale. « A chacun son chèque ! »,

« Tout ce que j'ai donné, il est normal que je le retrouve ! », ce n'est pas une pratique communautaire, c'est au contraire la fin de la solidarité communautaire, notamment en direction des régions en crise et des agriculteurs européens, M. Aznar a raison de le dire avec force.

C'est une politique à courte vue. Bien entendu, c'est le budget européen qui a payé l'essentiel du pont Vasco-deGama à Lisbonne, mais ce sont des entreprises françaises qui l'ont réalisé. Nous ne sommes pas étrangers au rattrapage de solidarité des pays les moins avancés en niveau de vie de l'Europe. Au contraire, plus leur niveau de vie augmentera, plus nous serons à l'abri du dumping social qui entraîne trop souvent le déménagement de nos entreprises et de nos emplois.

Cette politique empêche que l'Europe envisage avec lucidité la lutte contre les chocs prévisibles, « asymétriques » comme disent les économistes, dont nous risquons tous, un jour ou l'autre, de faire les frais. La réunification de l'Allemagne fut-elle un gain ou une perte pour le reste de l'Europe ? Pour nous, ce fut un gain.

La dénationalisation des contributions au budget européen s'imposera à tous, un jour ou l'autre, quoi qu'on en dise, par transfert d'une ressource qui deviendra propre à l'Union, sans augmenter la dépense publique, mais unifiée, sans que chacun puisse y trouver prétexte pour réclamer son chèque en retour.

L'Europe a besoin de prospérité, de création de richesse, d'assouplissement, mais elle a besoin aussi d'un modèle social qu'elle défende et qui s'oppose à tant de dérives que les citoyens ressentent :...


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M. Hervé de Charette.

Tout à fait !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Bravo !

M. François Bayrou.

... dérive de l'assistance qui marginalise et laisse sur le bord de la route des citoyens nombreux ; modèle social fondé sur le travail, sa reconnais-s ance et sa multiplication ; et dérive ultra-libérale d'arbitrages toujours rendus, aux yeux des citoyens de base, en faveur des forces financières et non pas en faveur de la solidarité, de l'insertion, du travail et de sa sauvegarde.

Ce modèle social, cette authentique troisième voie européenne, c'est le but et la justification de la construction européenne. C'est parce que l'Europe est la seule puissance dont la dimension lui permet de dialoguer avec les marchés sans être soumise forcément, aveuglément et définitivement à leur arbitrage que nous avons voulu la construire. Ce qui se passe dans le monde du sport et notamment du football n'est qu'une illustration des dérives que l'Europe devrait permettre d'éviter si elle portait un modèle de société et ne voulait pas le laisser pervertir par la seule loi de l'argent. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Enfin, il y a un risque immense si l'élargissement n'est pas maîtrisé. Je veux le dire clairement, l'élargissement aux pays victimes du communisme, ce n'est pas un sujet de discussion, c'est un dû des chanceux de l'histoire à leurs frères malchanceux. Ces pays n'ont pas été communistes parce qu'ils ont choisi de l'être, mais parce qu'un inique partage du monde les a abandonnés à la puissance soviétique. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

Ils ont des droits sur nous, mais nous avons un devoir : que ce droit ne s'exerce pas dans des conditions qui ruinent définitivement la maison dans laquelle ils souhaitent entrer.

La réforme, ce n'est donc pas la condition de l'élargissement, c'est la condition de la survie de l'Europe sur laquelle ces pays, nos frères, ont des droits égaux aux nôtres.

Si nous demeurons au milieu du gué, si nous ne fai-s ons rien, alors le scénario du pire est probable.

L'Europe, dotée d'une monnaie mais privée des conditions qui permettent l'exercice d'une authentique volonté politique, risque de devenir en quelques années ce que ses ennemis voulaient qu'elle soit : une zone de libreéchange, où se donneront libre cours les concurrences nationales.

M. René André.

Très bien !

M. François Bayrou.

Le destin de l'Europe va se jouer dans les mois qui viennent. Puisse la ratification du traité d'Amsterdam être retenue dans l'histoire comme le dernier des prolégomènes à la naissance de l'Europe unie, dotée de volonté et de raison, protectrice de la réalité nationale, défenseur d'un modèle de société qui fasse du siècle qui vient le siècle de l'Europe ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et sur de nombreux bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Gérard Charasse.

M. Gérard Charasse.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le traité d'Amsterdam représente, pour nous, radicaux de gauche, une étape supplémentaire vers la construction d'une Europe politique, d'une Europe fédérale, que nous appelons de nos voeux depuis bien longtemps avec notamment Pierre Mendès France et Maurice Faure. Certains Européens convaincus ont néanmoins souvent raillé ces textes qui semblaient, depuis le début de la construction européenne, mettre en oeuvre une Europe trop éloignée des citoyens. Le traité Amsterdam, mes chers collègues, mérite, à cet égard, toute notre attention. Et à l'avoir lu, chacun peut comprendre que, par les sujets qu'il traite, cette Europe est en marche et qu'elle sera d'abord, et avant tout, construite pour ses enfants.

Je ne vais pas énumérer la totalité des points abordés mais me concentrer sur trois questions qui me tiennent p articulièrement à coeur : l'emploi, les dispositions sociales et la sécurité de nos concitoyens.

L'emploi, mes chers collègues, restera, à l'évidence, du domaine des Etats puisque ce sont eux, qui, au final, disposeront des leviers nécessaires. Sur cette voie donc, nous continuerons, au sein de la majorité plurielle, à soutenir un Gouvernement qui a déployé des efforts considérables dont chacun sait, ici, qu'ils sont suivis de résultats. Mais le traité encadre les politiques de l'emploi des Etats. Et si, bien sûr, on ne crée pas d'emplois par décret, il n'est pas inutile de rappeler qu'il est indispensable d'atteindre un niveau d'emploi élevé comme le précise le texte.

Nous avons entendu, sur ces bancs, des protestations contre les dispositions économiques et monétaires du traité de Maastricht. Amsterdam est, avec ses six mécanismes précis, un contrepoids à ces dispositions qui font que l'Europe et ses institutions deviennent les gardiens d'une politique globale de l'emploi. Je veux ici les rappeler : Le traité définit l'emploi comme une matière d'intérêt commun, cela peut paraître évident mais l'écrire a un sens ; Le traité vérifie que l'objectif emploi est atteint lors de l a mise en oeuvre de toutes les autres politiques communes ; Il est aussi prévu un suivi constant de cet objectif ; De plus, ces aspects sont rendus publics annuellement sur la base d'un rapport adopté au plus haut niveau, Commission, conseil des ministres et Conseil européen des chefs d'Etat et de gouvernement.

Enfin, un examen en conseil des ministres des actions en faveur de l'emploi serait fait et l'Europe pourra désormais adopter des mesures incitatives pour le financement d'actions pilotes allant en ce sens. Qui pourrait désormais dire que l'Union est uniquement celle des marchés ? Au-delà de l'emploi, c'est bien sûr aussi l'Europe sociale qu'Amsterdam continue de construire. Je rappelle que l'accord sur la politique sociale européenne n'engageait que onze Etats. L'élargissement en a porté le nombre à quatorze. L'arrivée au pouvoir de nos amis travaillistes a ensuite fait que tous les Etats membres y souscrivent désormais.

Le texte, déjà très complet, peut d'ores et déjà être mis en oeuvre. Ses directions sont confirmées sur les aspects liés à la sécurité sociale, à la protection des demandeurs d'emploi, au dialogue social, à l'immigration et aux charges.

Deux points sont particulièrement présents dans le traité, il convient - l'actualité aidant - de les rappeler : d'une part, le renforcement de l'égalité entre hommes et femmes au travail ; d'autre part, l'insertion d'une clause concernant la non-discrimination, que l'un de nos collègues défend depuis fort longtemps avec pugnacité. Il s'agit aujourd'hui d'un succès qu'il convient de saluer.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

Une grande considération pour l'emploi, des clauses sociales renforcées, le traité est également marqué par un nouvel élan donné à la sécurité quotidienne et à la lutte contre la criminalité.

Avec mes amis radicaux, nous n'avons jamais cru à la sécurité par le morcellement des territoires ou les entraves à la liberté de circulation. En revanche, le défi qui consiste à créer un grand espace, marqué à la fois par la capacité à circuler librement et par l'assurance de le faire en toute sécurité, défi qui relève seulement de la propension des Etats membres à coopérer, nous a toujours semblé abordable. Le traité d'Amsterdam y contribue de manière significative d'abord en renforçant Europol et sa capacité de liaison avec les polices des Etats membres, ensuite, en facilitant les modalités d'extradition de criminels entre Etats, enfin, en prévoyant l'adoption de normes minimales communes de sanctions applicables aux délits les plus graves comme la criminalité organisée, le terrorisme ou le trafic de drogue.

Qui peut encore dire que l'Europe n'avance pas ? Quoi d'autre qu'un sentiment banalement anti-européen peut présider aux caricatures d'une Union vue sous la forme d'une hydre voulant en découdre avec les Etats et les citoyens ? Car enfin, et au-delà des trois aspects que, parmi d'autres, j'ai cités, le traité confirme l'Union comme un partenaire de premier plan en matière de politique étrangère.

Je veux, avant tout, évoquer les avancées du traité en rappelant un de ses aspects, qui n'est malheureusement pas toujours au centre des préoccupations, celui qui, simplement, garantit la paix.

Le traité introduit une nouvelle dimension dans la politique étrangère et de sécurité commune puisque, conformément à la Charte des Nations unies, elle est désormais inspirée par le principe d'intégrité territoriale.

Ensuite, nous allons pouvoir mener - à quinze, donc avec les pays traditionnellement neutres - des missions de secours humanitaire et de maintien de la paix, celles que l'on appelle les missions de Petersberg.

La méthode de décision a été revue, je n'y reviendrai pas. J'ajouterai seulement qu'une cohérence, une visibilité et une crédibilité nouvelle ont été données à la PESC, à la fois à travers sa présidence qui sera désormais confiée à l'Etat membre exerçant la présidence de l'Union, par l'existence également d'un haut représentant, et par la création d'une cellule de planification de la politique et d'alerte rapide.

C'est donc un deuxième pilier renforcé qui découlera de l'adoption de ce traité. Au moment où nous nous interrogeons avec d'autres partenaires sur l'avenir de l'OTAN, sur notre capacité de coopération avec d'autres forces, cette position offensive de l'Union ne peut être que bénéfique à la paix. A cet égard, il nous faudra encore travailler sur des sujets qu'Amsterdam ne règle pas.

Je pense, en particulier, à l'intégration de l'UEO qui a été renvoyée à plus tard alors qu'il convient d'élaborer une politique de défense commune équilibrée. Je pense également aux trop nombreuses décisions qui seront sacrifiées sur l'autel de l'unanimité, en particulier, la clause de flexibilité, que la condition d'adoption vide, en grande partie, de son contenu.

Voilà, mes chers collègues, pourquoi les radicaux considèrent que ce traité, même s'il est loin d'être totalement satisfaisant pour les adeptes d'une vraie Europe sociale, d'une Europe politique fédérale, d'une Europe ouverte et citoyenne, est un pas important sur le long mais beau et bon chemin de l'Union européenne, d'une Europe humaniste. C'est la raison pour laquelle ils voteront le texte.

M. Jean-Louis Idiart.

Très bien ! Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue le mercredi 3 mars 1999 à une heure, est reprise à une heure dix.)

M. le président.

La séance est reprise.

La parole est à Mme Nicole Ameline.

Mme Nicole Ameline.

Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, depuis 1989, avec la chute du mur de Berlin, nous avons véritablement changé de siècle. Le temps n'est plus, en effet, où le continent européen, partagé entre deux mondes, était avant tout le théâtre de l'affrontement entre l'Est et l'Ouest.

L'histoire résonne de ces conflits incessants qui, au cours des siècles, ont vu l'Europe unie, mais jamais durablement, et toujours par la force. La transition historique que nous vivons aujourd'hui, avec l'émergence de nouvelles démocraties désireuses de participer à part entière à l'évolution économique et politique de l'Europe, est donc sans précédent. Plus qu'un élargissement, c'est l'unité retrouvée d'un continent, dans un esprit de démocratie et de volonté politique.

Cet événement va déterminer, on le sait, l'Europe des années 2000. C'est dire, face à cet enjeu, à quel point le traité d'Amsterdam est en formidable décalage, malgré les progrès enregistrés, notamment dans le domaine de la PESC, de la communautarisation du troisième pilier ou de l'efficacité renforcée des processus de décision.

Mais c'est en pensant à Jean Monnet que nous ratifierons ce projet de loi, lui qui disait : « Peut-on vraiment s'arrêter lorsque le monde entier, autour de nous, est en plein mouvement ? » Certes non ! Et nous approuverons ce pas, faible et limité, mais néanmoins concret, dans la poursuite de la construction de l'Europe.

Car ce qui est vraiment en jeu aujourd'hui, c'est la restructuration interne de l'Union européenne, ainsi que le renforcement de sa place et de son rôle dans le monde.

La restructuration interne de l'Europe passe par la réforme des institutions, qui est une réforme d'ampleur.

Chacun sait que la loi du nombre est devenue totalement contre-productive et que les dysfonctionnements actuels, aggravés au fil des élargissements successifs, de l'inflation législative et réglementaire, de la complexité croissante des procédures, risquent vraiment d'enrayer la procédure et la mécanique communautaires.

Cette réforme s'impose donc, mais elle change de dimension si on la replace dans la perspective de l'élargissement. Si elle est nécessaire à la réussite de celui-ci, elle ne doit en effet pas en retarder la réalisation. Nous sommes donc très favorables à l'amendement gouvernemental, dont l'origine est parlementaire, et à l'initiative duquel on trouve en particulier le président Giscard d'Estaing. Il est de l'intérêt de tous les pays européens, membres actuels et membres futurs de l'Union, que, lors des prochaines adhésions, le cadre de l'Union européenne soit parfaitement établi et que les règles du jeu soient connues. Cette réflexion ne peut que précéder l'élargissement, même si rien n'exclut d'y associer ceux qui,


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

demain, partageront notre destin. Je pense, monsieur le ministre, qu'il conviendrait d'approfondir ce point, car préparer cette réforme n'exclut pas d'y associer ceux qui en bénéficieront. Cette réflexion est urgente et, au-delà des voeux, il faut prévoir une méthode et un calendrier.

J'ai noté les initiatives qui devraient être prises dans les semaines et les mois qui viennent, mais il est essentiel que la France, aux côtés de la Belgique et de l'Italie, reste très en pointe, à l'avant-garde de cette procédure.

Si la France s'est toujours inscrite dans la continuité en ce qui concerne les grandes lignes de la construction européenne, ainsi que vient de le rappeler avec force et de manière très explicite le Président Jacques Chirac, il est clair que la question centrale, pour les années à venir, est de savoir quelle Europe nous voulons.

Ce projet européen est d'abord politique. Il répond à quatre exigences : réussir l'élargissement et la réunification du continent ; créer un espace de prospérité économique, mais aussi de liberté, de sécurité, de stabilité et de paix ; rendre plus efficaces et plus démocratiques nos institutions ; concevoir l'Europe comme un ensemble hétérogène de vingt à vingt-cinq Etats, préservant autant que possible la diversité des traditions de leurs peuples et de leurs cultures.

Ce qui nous sépare, monsieur le ministre, c'est le fait que, pour nous, le renforcement de l'union politique nécessaire - car on ne peut durablement rêver d'une Europe forte dotée d'institutions faibles - ne peut se résumer à la transposition de nos modèles nationaux.

Nous refusons, vous le savez, toute dérive vers un super-

Etat européen, puisque, au niveau national, notre souci est d'en voir réduire le poids.

De la même façon, nous refusons tout super-impôt, alors que vous semblez favorable à cette idée. Nous plaidons, bien au contraire, pour la stabilisation des dépenses publiques au niveau européen, de même que nous considérons que le poids des charges et des prélèvements obligatoires doit être réduit en priorité dans notre pays. Là où vous préconisez un élargissement des compétences européennes, nous condamnons l'interventionnisme croissant, et souvent démesuré, des institutions. Quand vous prônez une Europe de l'emploi, idée que nous partageons, nous déplorons que nos entreprises soient, dans notre pays, insuffisamment soutenues dans leur effort de compétitivité vis-à-vis du reste du monde.

Notre vision est claire : nous voulons une Europe recentrée sur des compétences essentielles qui lui donnent une autorité réelle et efficace sur les plans tant de la politique de défense et de sécurité que de la sécurité alimentaire, en refusant ce qui la guette en réalité, c'est-àdire de n'être plus capable de rien à force de vouloir s'occuper de tout. Je crains qu'à l'inverse de la philosophie de Condillac, qui visait à animer les statues, cette logique ne conduise à la paralysie. Nous prônons une Europe qui tienne compte de la structure hétérogène des Etats membres et de l'aspiration à la décentralisation, largement partagée par l'ensemble des citoyens de l'Europe. C'est l'Europe de la diversité, des différences, de la subsidiarité et de la liberté.

Cette conception s'appuie sur une architecture souple et flexible de l'Union européenne, sur une redéfinition du partage des compétences ainsi que sur une pondération nouvelle des voix au sein duConseil et sur une implication plus forte des parlements nationaux. Mais elle s'appuie également sur un rôle international de l'Europe accentué.

L'Europe a autant à gagner au renforcement de sa présence et de son rôle dans le monde qu'à celui de sa réorganisation interne. Cette présence s'inscrit d'abord dans le cadre de la PESC. Le traité d'Amsterdam renforce, par la mise en place de nouveaux instruments et processus de décisions, le rôle de l'Union dans ce domaine. Nous ne pouvons plus nous contenter de nous exprimer d'une seule voix et, le plus souvent, de nous taire d'une seule voix, d'être totalement absents, militairement et politiquement, en ce qui concerne la prévention ou la répression des conflits. C'est un point tout à fait essentiel sur lequel il faut insister car, s'il n'y avait qu'un acquis européen à souligner, ce serait celui de la plus longue période de paix de notre histoire, et je célébrerai dans quelques mois sur les plages de Normandie l'anniversaire de la Libération.

Mais l'Europe ne doit pas seulement être politique, économique et sociale, elle doit avoir une dimension culturelle et spirituelle. Sans être un modèle, comme le rappelle Vaclav Havel, l'Europe a des valeurs à exporter, celles de liberté, de responsabilité et de démocratie. Il n'existe pas de culture européenne mais notre continent a été depuis toujours fortement marqué par des courants religieux et culturels, ceux des moines français et italiens du Moyen-Age, ceux de la Renaissance italienne, de la réforme luthérienne, des jésuites, des Lumières, du choc des nationalités au

XIXe siècle.

C'est cet esprit qui devra nous guider dans la poursuite de la construction de l'Europe. Nous sommes loin de ce pas faible et limité que constitue Amsterdam, mais il faut être humble et pragmatique sur le chemin ardu de la construction de l'Europe.

Je conclurai en rappelant ce propos du général de Gaulle : « Il n'y a pas de formule magique qui permette de construire quelque chose d'aussi difficile que l'Europe unie ». Mettons donc la réalité à la base de l'édifice et, quand nous aurons fait le travail, nous aurons le temps de nous bercer aux contes des Mille et Une Nuits.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à Mme Monique Collange.

Mme Monique Collange.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Union européenne est née pour assurer paix, sécurité et prospérité à tous les citoyens. Elle a à son actif des résultats importants, en particulier le lancement de l'euro.

Cependant, les objectifs qu'elle vise sont encore loin des attentes de nos concitoyens. L'Europe a besoin d'un lifting, d'une réforme radicale.

Je ne développerai pas ce que doit être l'Europe restant dans le cadre de ce qui nous réunit ce soir : le projet de loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam.

Déjà, le 18 janvier dernier, à une très grande majorité, nous nous sommes exprimés pour la modification de notre Constitution en vue de ratifier ce traité. Même si le résultat du scrutin n'est pas une grande surprise, je souhaite, m'appuyant sur le volet social de ce traité, exposer les raisons pour lesquelles nous devons voter pour cette ratification.

Nous savons tous ici que le lien entre progrès économique et progrès social est un élément de l'identité européenne. On en trouve trace dans les traités communautaires depuis l'origine. Le traité relatif à la CECA, par exemple, fait une large place à la consultation des organi-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

sations syndicales. Le traité de Rome pose le principe de l'égalité entre hommes et femmes et institue un fonds social destiné à financer des programmes de formation professionnelle et d'échanges de jeunes travailleurs.

De même, nous pouvons affirmer que la politique sociale, au-delà des oppositions traditionnelles entre syndicats de salariés et organisations patronales, a toujours fait l'objet d'un consensus, hormis dans les débats sur le projet de charte sociale, adopté en 1989, et plus encore sur le chapitre social du traité de Maastricht, qui, à l'époque, avaient fait apparaître une divergence philosophique entre le Royaume-Uni et ses onze partenaires.

Ce fut la première fois dans l'histoire de la communauté que la politique sociale provoquait une crise majeure.

Aujourd'hui, les choses ont considérablement changé.

L'attitude de nos partenaires à l'égard de la volonté de la France de voir mise en place une politique sociale et d'incorporer un chapitre sur l'emploi dans le traité d'Amsterdam démontre que le débat sur la construction de l'Europe se situe désormais à une autre échelle.

Pourtant, force est de constater que la ratification suscite encore de nombreuses interrogations, somme toute légitimes puisque ce traité reste imparfait. Mais, ne nous y trompons pas, cette ratification est nécessaire et la refuser serait suicidaire.

La France ne peut et ne doit pas rester au bord du chemin. Elle est un des moteurs principaux de la construction européenne et abandonner celle-ci aujourd'hui reviendrait à faire une croix sur les innombrables progrès réalisés depuis cinquante ans et à l'origine desquels la France a souvent été, il faut bien le reconnaître.

Aussi faut-il rappeler que la ratification de ce traité se situe à la croisée des chemins, entre le lancement de l'euro et les prochaines élections européennes de juin 1999.

Cette ratification marquera une étape importante, par laquelle nous certifierons que l'Europe ne se résume pas à l'euro, et que nous avons maintenant les moyens d'affirmer une volonté politique face aux marchés financiers.

N'oublions pas que, dès son arrivée, le gouvernement de Lionel Jospin a su, avec intelligence, réaffirmer ce que devait être la construction européenne. Sa vision a été écoutée et partagée. C'est ainsi qu'ont pu être mises en valeur certaines dispositions du traité, notamment celles concernant les droits des citoyens, l'emploi et les questions sociales. En définitive, l'Europe se recentre sur sa v ocation première, celle d'un vrai projet politique.

Aujourd'hui, des marges de manoeuvre existent.

Le traité comporte des avancées non négligeables, certes insuffisantes, mais qui offrent un espoir, et surtout la possibilité de faire plus et mieux.

Il comprend un ensemble de mesures et d'orientations qui doivent nous permettre de faire avancer l'Europe sociale, tant attendue par nos concitoyens.

Dix-huit millions de chômeurs : nous ne pouvons plus accepter une telle situation. L'Europe n'a vraiment pas de quoi pavoiser mais, je le répète, nous avons des raisons d'espérer, et celles-ci se trouvent dans le traité.

Des orientations politiques communes et des lignes directrices par pays en ce qui concerne l'emploi seront tracées. Ce chapitre, incorporé au traité, marque un nouveau départ. Chaque Etat membre reste maître de sa politique mais, désormais, il l'inscrira dans une stratégie européenne coordonnée. Le social rejoint ainsi l'économique : les voilà placés sur un pied d'égalité. La recherche d'un haut niveau d'emploi s'inscrit enfin parmi les grands objectifs de l'Union.

Bien sûr, ce ne sont pas quelques articles nouveaux dans les textes juridiques qui suffiront à résoudre le problème du chômage et à créer des emplois, mais je suis convaincue que définir les meilleures politiques, les coordonner à chaque niveau et favoriser le débat à l'échelle européenne entre les partenaires sociaux constituera ce

« plus » qui nous permettra d'améliorer durablement la situation de l'emploi.

L'autre priorité dont nous pourrions dire qu'elle est indissociable de celle de l'emploi concerne les droits sociaux.

En effet, les droits sociaux fondamentaux tels que les définissent la charte sociale de Turin de 1961 et la charte communautaire des droits sociaux des travailleurs de 1989 figurent désormais dans le préambule du nouveau traité.

Nous pouvons nous en féliciter, mais plus significative encore est l'intégration dans le corps du traité du protocole sur la politique sociale issue de Maastricht, qui traduisait, à l'époque, la volonté d'une majorité des Etats membres de faire un pas en avant dans le domaine de la politique sociale. Son contenu est aujourd'hui intégré, comme il se doit, au traité.

D es questions fondamentales sont posées sur les horaires de travail, les systèmes salariaux, la protection sociale. Elles doivent maintenant être abordées par les partenaires sociaux et par les autorités publiques, à tous les niveaux.

La lutte contre l'exclusion et la pauvreté, qui concerne des dizaines de millions de personnes, doit nécessairement compléter les efforts menés pour relever ces défis. Le traité d'Amsterdam donne des gages sur ces enjeux. La lutte contre l'exclusion sociale trouve enfin une base juridique grâce à laquelle des mesures incitatives pourront se concrétiser.

Ainsi, des mesures visant à faire respecter le principe de l'égalité des chances et de traitement entre les hommes et les femmes, en matière d'emploi et de travail, pourront être adoptées.

Tout individu pourra saisir la Cour de justice s'il considère qu'un Etat membre viole les droits fondamentaux de l'Union.

Le précepte selon lequel « l'Union est fondée sur les principes de liberté, de démocratie, du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales » sera alors affirmé et renforcé.

Le traité de Maastricht a conféré à chaque citoyen ayant la nationalité d'un Etat membre des droits européens précis : vote, éligibilité, questions au Parlement, etc.

Le traité d'Amsterdam renforce les droits individuels par de nouvelles dispositions. Par exemple, l'introduction d'une clause générale visant à combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race, l'origine ethnique, la religion ou les croyances, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle.

En fait, il nous permet de repenser les moyens de l'égalité sociale. L'éducation, la santé, l'environnement et la protection sociale pourront désormais s'inscrire dans un projet commun.

Le rôle des services publics, synonymes de cohésion sociale et territoriale, est reconnu. Ils s'inscrivent dorénavant dans le cadre des « valeurs communes de l'Union ».


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

L'idée européenne ne doit plus être synonyme de réduction des déficits au seul prix du chômage. Il faut avoir une approche progressiste sur le plan social pour assurer la pérennité européenne. Amsterdam nous offre cette possibilité.

Même s'il ne faut pas se méprendre sur la signification des dispositifs sociaux européens élaborés jusqu'à présent, et s'il est vrai que, jusqu'à maintenant, nous nous sommes seulement efforcés d'atténuer les effets déstabilisateurs de la construction européenne sur les mécanismes nationaux de régulation, il est grand temps de travailler autrement.

J'ai la réelle conviction que ce traité nous le permettra puisqu'il donne de véritables garanties.

Nous avons beaucoup à apporter et beaucoup à recevoir pour améliorer cet outil. Nous devrons élaborer en commun un nouveau modèle de développement. A nous de le conquérir, à nous, demain, de le faire vivre.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et sur quelques bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Guy Hermier.

M. Guy Hermier.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après Jean-Claude Lefort, je tiens à insister sur les raisons qu'a le groupe communiste, dans sa diversité, de voter contre la ratification du traité d'Amsterdam.

Le Gouvernement a commis une erreur lourde de conséquences en signant, à l'été 1997, le projet de traité qu'il soumet aujourd'hui pour ratification à notre assemblée. Cette décision allait à l'encontre des engagements pris pendant la campagne électorale, engagements que la situation politique nouvelle qui s'est créée en France et en Europe aurait dû conforter.

La question n'est évidemment pas de savoir si l'on est pour ou contre la construction européenne. J'ai, pour ma part, la conviction que l'Europe est une nécessité, non seulement parce qu'elle est une réalité irréversible, mais parce qu'elle répond à un besoin majeur. Les nations européennes restent un lieu central d'expression et d'exercice de la citoyenneté mais, face à la concentration du capital et à la mondialisation, elles sont confrontées à une é rosion de l'indépendance des politiques nationales.

L'Europe peut être, pour les peuples qui la composent, un moyen de retrouver cette part de souveraineté qui leur échappe, un facteur de réappropriation démocratique des choix dont dépend leur destin. Encore faut-il, face aux désastres sociaux et aux fragilités financières de l'Europe libérale, faire prévaloir le choix d'une avancée sociale et démocratique de l'Europe. Tel n'est pas le sens du traité d'Amsterdam.

Le traité comporte, certes, quelques timides et parfois discutables dispositions en matière d'emploi, de politique sociale et étrangère. Il étend le pouvoir de codécision du Parlement européen. Il engage un processus de transfert de compétences dans le domaine de la circulation des personnes au sein de la Communauté dont plusieurs d'entre nous ne récusent pas le principe.

Mais son adoption est indissociable du pacte de stabilité qui visait à pérenniser les critères de convergence édictés par le traité de Maastricht pour le passage à la monnaie unique, avec les conséquences que l'on sait en matière de rigueur budgétaire, de discipline monétaire et leurs corollaires : le chômage, la précarité, la flexibilité sociale.

Cette sorte de « constitutionnalisation » de la politique économique libérale qui prévaut en Europe est d'autant plus grave que le traité d'Amsterdam fait l'impasse sur la réforme des institutions qui était pourtant son objet. Au moment où se met en place l'euro, il laisse le champ libre à une banque centrale européenne sans aucune légitimité démocratique. Enfin, il comporte le risque qu'avec l'élargissement de l'Union européenne celle-ci ne se transforme en une simple zone de libre-échange.

Le traité d'Amsterdam s'inscrit donc dans le droit-fil d'une construction européenne profondément marquée par les choix libéraux et de ce fait génératrice d'un véritable déficit social et démocratique. Monsieur le ministre, il ne fallait pas signer ce traité. Il ne faut pas le ratifier aujourd'hui. Cela pose en effet une question décisive pour l'avenir.

La poussée social-démocrate, le désarroi de la droite libérale et le regain du mouvement social ont sensiblement changé la donne politique en Europe. Cela vat-il se traduire par un social-libéralisme prônant la poursuite de la logique du marché, de la libre concurrence, du recul de l'espace public et limitant l'intervention publique à la régulation a minima des relations sociales afin d'éviter les réactions les plus explosives ? Ou bien s'engagerat-on dans une voie plus radicalement transformatrice de la construction européenne ? Va-t-on, par exemple, puisque cela aurait dû être le thème essentiel du traité d'Amsterdam, continuer d'accepter le découplage meurtrier entre l'économique et le monétaire d'une part, le social et le politique de l'autre ? Ou bien va-t-on affirmer, dans le respect des identités nationales, un pôle politique européen profondément démocratisé, sans lequel il n'y a pas d'efficacité et de contrôle possible de la Banque centrale européenne ? Monsieur le ministre, en refusant de ratifier le traité d'Amsterdam, nous faisons le choix d'une réorientation progressiste de la construction européenne qui exige des actes, le choix d'une Europe sociale, démocratique et solidaire. Un choix d'importance car, chacun le sent bien, ce qui vaut pour l'Europe vaut pour la France. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste.)

M. Georges Sarre.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Michel Suchod.

M. Michel Suchod.

Monsieur le ministre, nous avons eu le débat sur la souveraineté à Versailles le 18 janvier.

Nous abordons maintenant le débat de fond sur la ratification du traité lui-même. Ce qui me fascine, c'est que ce traité puisse avoir encore d'aussi chauds partisans, des zélotes, des grands prêtres - nous en avons entendu un tout à l'heure - qui, en l'encensant de la sorte, le desservent comme jadis Maastricht. Excès d'honneur... Je ne tomberai pas à l'inverse dans un excès d'indignité, même si un membre du Gouvernement, un ministre ami, c omme on dit, a pu déclarer à Perpignan, le 24 août 1998 : « Ce traité n'est-il pas trop nul pour qu'on le combatte ? » La tare majeure de ce document, son péché d'origine, reste de s'être absolument détourné des objectifs fixés à la négociation par le Conseil de Florence des 21-22 juin 1996. Je vous rappelle qu'il y en avait trois : rendre l'Union proche de ses citoyens ; renforcer et élargir la portée de la politique étrangère et de sécurité commune ; réformer les institutions dans la perspective de l'élargissement.

Pour ce qui est du premier objectif - rendre l'Union proche de ses citoyens - je ne parlerai pas de la renumérotation des articles du traité qui permettra en effet qu'il soit mieux lu par le citoyen ordinaire, mais l'exercice apparaît bien formel : La construction d'un catalogue de grands principes réaffirmant l'attachement de l'Union à des droits fondamentaux par ailleurs décrits abondamment et à plusieurs reprises depuis 1789 ;


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

Le juridisme extrême qui doit concevoir l'espace de liberté ; Les dispositions relatives à l'emploi qui pourraient faire sourire parce que, en réalité, elles sont incantatoires et chaque fois que l'on parle de sujets sérieux, c'est-à-dire du financement de grands travaux ou autres, on constate - on l'a encore vu il y a quelques jours à Milan - que la difficulté d'aboutir est forte sur le fond.

La dérive, c'est aussi celle qui a conduit à s'occuper du troisième pilier, puisqu'on ne pouvait pas s'occuper réellement de ce dont on était chargé par le conseil des ministres. Et là, il y a des risques. Des procédures sont en place. Des propositions flottent ici ou là, par exemple, l'affaire des quotas en cas d'afflux massif de population étrangères. Il y a enfin, dans cinq ans, le passage à la majorité qualifiée pour les décisions.

A-t-on une vraie vision commune ? A-t-on réfléchi à une politique d'immigration commune, au droit de la nationalité - j'en profite pour saluer ici la tentative de nos amis allemands d'établir enfin le droit du sol ? Je dois dire que non. En effet, si je regarde l'agenda européen, monsieur le ministre, je m'aperçois que c'est au sommet de Tempere, le 15 octobre prochain en Finlande, que l'on va enfin réfléchir à la justice et aux affaires intérieures. La réflexion est donc repoussée à octobre de cette année et l'on met en place un traité avec des procédures qui seront, ma foi, fort inutiles.

Je serai peu disert sur la PESC. J'entendais M. Lang dimanche à la radio, comme chacun d'entre vous sans doute, qualifier le fameux PESC qui sera désigné avec force difficultés, j'imagine, le moment venu, de « ministre d es affaires étrangères de l'Europe ». Monsieur le ministre, s'il avait été au banc du Gouvernement, j'aurais interrogé votre collègue des affaires étrangères pour savoir ce qu'il en pense. Au lieu de ces balbutiements, ne faudrait-il pas d'abord lancer un véritable projet politique ? En effet, l'absence de soutien politique à une politique commune augure mal de l'avenir de cette affaire.

Faut-il camoufler sous un discours d'apparence européiste un soutien évident à la mise en oeuvre d'une politique de l'Union souvent proche de la politique américaine ? Reste que l'objet essentiel du traité, la réforme des institutions, est encore une fois repoussé. Le mécanisme prévu pour six, neuf, dix, puis douze est usé jusqu'à la corde, et pourtant il est toujours en application. Le traité n'avance sur aucun point important. Pour ces raisons, nous ne le ratifierons pas.

N ous souhaitons cependant voir le cycle négatif amorcé avec le traité de Maastricht s'achever ici-même, si ce n'est ce soir même, en tout cas demain matin. Je suis, parmi les miens, de ceux qui sont partisans de pousser les feux d'une nouvelle politique européenne basée sur la communauté d'Etats-nations. Avec la nouvelle Allemagne nous pourrions établir une vraie politique de croissance et de l'emploi, une politique qui donne à la banque centrale de Francfort la mission de sauvegarder non pas seulement la monnaie, mais aussi l'emploi, une politique qui pourrait permettre de réfléchir aux institutions dont l'Europe aura besoin demain, aux politiques communes qui pourraient être le fondement de l'Union au

XXIe siècle en rapprochant notre construction européenne des citoyens.

Pour un tel nouveau cycle, le Gouvernement doit savoir qu'il pourra compter sur mes amis du mouvement des Citoyens.

(Applaudissements sur divers bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Alain Barrau.

M. Alain Barrau.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis que je travaille sur ces questions européennes, je me suis fixé un objectif simple : que la gauche française, dans sa diversité, contribue à faire avancer l'Europe, mais pas n'importe quelle Europe : une Europe qui se mobilise pour lutter contre le chômage, une Europe qui s'identifie par des caractéristiques propres, une Europe qui ait un modèle social spécifique, distinct du modèle américain.

Le traité d'Amsterdam et ses développements nous permettront-ils d'aller dans ce sens ? Nos amis communistes ont évoqué, tout à l'heure, une première question : lorsque la gauche est arrivée au gouvernement, elle n'avait pas besoin de procéder à la ratification d'un traité négocié par l'équipe de droite précédente et qui reprenait l'accord de Dublin sur le pacte de stabilité. Nous pouvons, je crois, nous accorder sur ce point : la question de la stabilité a été principalement tranchée au conseil de Dublin ; ce fut, vous vous en souvenez, le vieux débat des 3,00 %.

A ce moment-là, nous étions dans l'opposition, mais la France était engagée, et je crois que la gauche a eu raison, en arrivant aux affaires, de considérer que, si l'on ne pouvait revenir sur les engagements du pays, il était en revanche important, à Amsterdam et après Amsterdam, de modifier le cours de la construction européenne. Ainsi, tout l'effort a consisté à faire en sorte que l'énergie qui avait précédemment été consacrée à la construction monétaire soit dorénavant mobilisée sur un objectif qui doit réunir les différents groupes composant la majorité plurielle : que l'Europe fasse de la lutte une priorité contre le chômage.

Y sommes-nous parvenus ? On peut raisonnablement considérer que si la question de l'emploi avait déjà été posée lors de sommets précédents, c'est l'inscription dans le traité d'Amsterdam de la lutte contre le chômage, d'éléments concernant le pacte pour l'emploi sur le plan national qui a ensuite permis le sommet de Luxembourg et d'enclencher une mécanique sur cette priorité de lutte contre le chômage. Nous ne pouvons pas ne pas être sensibles à cette importante dimension, qui a d'ailleurs été mentionnée par Jean-Claude Lefort tout à l'heure. Après la priorité monétaire qui marquait depuis des mois la construction européenne, c'est à partir d'Amsterdam que l'on s'est orienté vers la lutte contre le chômage. Mais des instruments précis sont nécessaires, c'est une opinion partagée sur de nombreux bancs. Et j'invite ceux qui sont intéressés par cette réorientation à examiner ce qui se dit et se fait, pas à pas, à la fois sur le financement de certains grands travaux européens, y compris en ayant recours à un emprunt, sur le problème de la baisse de TVA ciblée sur des produits touchant la consommation des ménages et plus généralement sur la mobilisation de l'ensemble des forces politiques que nous pouvons les uns et les autres représenter à gauche sur cette question de la lutte contre le chômage au niveau européen. Cette réorientation n'est donc pas la question centrale d'Amsterdam, mais elle est permise par l'apport du gouvernement que nous soutenons dans la négociation finale d'Amsterdam. C'est un atout pour le traité que nous allons ratifier.

S'agissant des institutions, il est clair qu'Amsterdam n'a pas apporté l'ensemble des réponses attendues, mais l'on ne peut pas pour autant considérer qu'il ne s'est rien


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passé. En effet, nous avons assisté au renforcement du poids du Parlement européen dans la codécision - cela a été mentionné tout à l'heure - sur des questions concernant la faculté législative du Parlement européen. On a essayé de faire cesser cette opposition entretenue depuis des années entre les parlements nationaux et le Parlement européen. On a montré que le contrôle démocratique pouvait être exercé de plusieurs façons, mais qu'il visait le même objectif : que les questions européennes soient largement débattues dans l'opinion - personnellement, vous le savez, j'y suis favorable -, que l'on ait sur ces questions des débats le plus souvent possible. Tous ces pas en avant ont été rendus possibles par l'acquis d'Amsterdam. Bien sûr, on est encore loin d'une satisfaction démocratique de la vie européenne, mais ce traité à permis de marquer des points importants dans la construction européenne.

La question des institutions, qui est aujourd'hui en suspens, doit être traitée dans les prochains mois. Plus vite elle le sera, mieux cela vaudra. Il faut en effet lever l'ambiguïté suivante, que certains de nos partenaires laissent courir y compris à l'adresse des pays candidats, et selon laquelle la France mettrait en avant la question institutionnelle pour retarder l'élargissement. Or, en réalité, la réforme institutionnelle est nécessaire dès à présent, et c'est tout le mérite de l'article additionnel présenté par le Gouvernement après discussion à la commission des affaires étrangères. La réforme est nécessaire à quinze parce que certaines hypothèses ou hypothèques existent.

V oulons-nous que l'élément dynamique de cette construction européenne soit la Commission, comme cela a été le cas dans différentes phases de la construction européenne ? Ou pensons-nous, au contraire, que la responsabilité principale de faire avancer les choses repose sur le conseil des ministres et le Conseil européen ? C'est un choix clair. Personnellement il me semble qu'à ce stade et pour des raisons conjoncturelles d'affaiblissement de la Commission nous devons renforcer le rôle du Conseil dans ce mécanisme institutionnel. Et si nous arrivons à faire en sorte que le gouvernement européen s'organise d'abord avec des représentants des différents Etats, nous donnerons une actualité nouvelle à cet équilibre qui existe depuis longtemps au niveau du fonctionnement institutionnel pour aller de l'avant et pour traiter la question de l'élargissement, ainsi que les nombreuses autres aujourd'hui en discussion.

Enfin, j'ai du mal à comprendre comment le traité d'Amsterdam, qui, à l'évidence, permet de progresser dans le domaine de l'environnement, n'est pas soutenu aujourd'hui par certains de nos collègues de la majorité plurielle qui sont sensibles à ce sujet.

Si des questions importantes concernant le développement durable, l'environnement, la santé publique et la place des consommateurs ont été traitées pour la première fois et de manière forte dans un traité européen, c'est bien dans le traité d'Amsterdam ! Je ferai donc appel à d'autres composantes de cette majorité plurielle pour prendre en compte cet aspect important du traité d'Amsterdam, dans le cadre de l'Europe dont les frontières nationales ne constituent à l'évidence que des barrages extrêmement faibles.

Tels sont les trois points précis que je voulais souligner, même si je comprends que mon argumentation ne puisse pas concerner tous les membres de cette assemblée.

Après tout, chacun évoque ses problèmes. Ce soir, on a mis à l'encan une tête de liste pour l'Alliance. Donc pourquoi ne pas parler des questions européennes au sein de la majorité plurielle ? Ce fut en tout cas mon intention.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à Mme Marie-Hélène Aubert.

Mme Marie-Hélène Aubert.

Monsieur le président, monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, c'est une spécialité française, à vrai dire peu glorieuse, de ratifier les traités et grandes conventions internationales parmi les derniers -, cette fois-ci les derniers, une fois que la cause est entendue ou quasi obsolète. Comme si la France peinait à mettre au coeur du débat politique l'enjeu majeur que constitue le partenariat avec ses partenaires européens ou mondiaux ! Ainsi donc, nous, parlementaires, sommes appelés à nous prononcer par oui ou par non sur un traité tout aussi jargonnant que celui de Maastricht et que tout le monde s'accorde à trouver bien faible et souhaiterait avoir rapidement derrière soi, pour ne plus en parler.

Faut-il alors considérer encore une fois le niveau de la bouteille européenne, à moitié vide, à moitié pleine, au trois quarts vide, au quart pleine, pour nous déterminer ? A vrai dire, fatigués de ce débat biaisé et de ces simulacres de démocratie, les Verts ont décidé d'exprimer cette fois encore leur refus d'une politique de petits pas, devenue aujourd'hui du surplace, aussi laborieuse qu'inefficace. Et ce n'est pas la démagogique déclaration du Président de la République, qui veut construire un véritable paradis européen sans verser un centime de plus, qui contribuera à relancer le débat.

Citoyens du monde, résolument pro-Européens, les Verts ont voté sans hésitation pour le passage à l'euro et la modification de la Constitution qui permet les transferts de souveraineté. Mais ce ne sont que des outils puissants, certes - qui peuvent être utilisés pour le meilleur comme pour le pire selon que l'intégration européenne se fera ou non au service d'un développement choisi démocratiquement, alliant économie, solidarité et écologie.

Le traité d'Amsterdam répond-il à ces objectifs et à ceux qui étaient assignés à la conférence intergouvernementale, censée réformer les institutions et préparer l'élargissement ? A l'évidence non, malgré quelques débuts de commencement de réforme susceptibles d'aller dans le bon sens.

Issue du choix opéré par quelques précurseurs, au sortir de la Seconde Guerre mondiale, de construire la paix par la coopération économique et la méthode diplomatique des traités, l'Europe s'est en fait toujours construite « par le haut ».

Rencontrant rarement l'enthousiame des populations, elle est le fruit de la volonté de quelques responsables politiques et de quelques hauts fonctionnaires, les technocrates de Bruxelles comme on dit, dont on oublie d'ailleurs qu'ils travaillent sous mandat des gouvernements.

M. René André.

Mandat qu'il leur arrive de dépasser !

M me Marie-Hélène Aubert.

Le développement de l'Europe s'est ainsi fait hors de tout processus démocratique et par une gestion technocratique des dossiers, dont l'opacité et la complexité génèrent à juste titre beaucoup d'inquiétude et d'incompréhension.

Or nous avons besoin d'une véritable Constitution européenne et d'un débat très large sur le projet européen et les champs de compétence que nous voulons organiser, par subsidiarité, vers le fédéralisme.

L'article 2 a été proposé par le Gouvernement, sur la suggestion des parlementaires qui, eux, n'ont aucun droit en la matière, ou très peu. Le Président de la République


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a d'ailleurs quelque audace à en appeler au pouvoir des parlementaires en la matière, lui qui nous fait lever pour nous lire un message, par personne interposée, à savoir le président de notre assemblée.

M. Pierre Lequiller.

C'est tout à fait normal !

M. René André.

Ne soyez pas désagréable !

Mme Marie-Hélène Aubert.

Cet article est à cet égard un peu dérisoire et ne peut en aucun cas compenser l'échec de la CIG sur ce point, même s'il a le mérite de réaffirmer un voeu dont on espère qu'il n'est pas que pieux.

L e traité d'Amsterdam permet-il par ailleurs de construire une Europe sociale, écologique, capable d'affirm er son souci d'un développement « doux », plus humain, face à un libéralisme qui sacralise le marché, la consommation et la compétition acharnée ? L'Europe veut-elle s'adapter par avance aux diktats d'une organisation mondiale du commerce, qui est de plus en plus une organisation commerciale du monde, imposée par les lobbies américains, ou est-elle capable d'imposer des règles sociales et environnementales harmonisées par le haut ? La discussion en cours sur l'Agenda 2000 et la réforme de la PAC ne laissent augurer rien de bien enthousiasmant. Chaque Etat, y compris la France, n'a de cesse de prôner la rigueur budgétaire et le juste retour de sa contribution, tout en s'accrochant « mordicus » à ses propres acquis.

Comment croire qu'une Europe forte, solidaire, développant de politiques communes, pourrait se faire à budget constant, c'est-à-dire à environ 1 % du PNB ? Quand on ne veut pas payer, pas investir, c'est qu'on ne veut pas, tout simplement.

Pourtant, ce n'est qu'en refondant démocratiquement les institutions de l'Union et en lui donnant des objectifs clairs et motivants qu'il sera possible de l'élargir rapidement aux pays candidats qui respectent les droits de l'homme, seule condition, mais d'importance, à poser à nos yeux.

Car il y a en effet urgence. Les menaces de conflits sont nombreuses dans l'Europe de l'Est et l'ex-Union soviétique, en plus de ceux qui se déroulent en ce moment au Kosovo ou ailleurs, sans que les médias s'en émeuvent.

Notre pingrerie et notre aveuglement d'aujourd'hui coûteront encore plus cher demain en argent et en vies humaines. Combien faudra-t-il de Kosovo pour que nous le comprenions ? Le seul élargissement réussi sera-t-il donc celui de l'OTAN, qui consiste à imposer l'achat d'armes américaines à des pays qui ont pourtant bien d'autres priorités à financer ? On le voit, le traité d'Amsterdam ne donne pas non plus de véritable impulsion à une politique étrangère et de sécurité commune digne de ce nom, qui soit à même de peser dans le règlement des conflits internationaux.

Bien sûr, certaines dispositions de ce traité sont plutôt encourageantes et tous les fonctionnaires et politiques qui les ont négociées d'arrache-pied, introduisant les mots

« social » et « durable » partout où c'était possible, nous trouveront sans doute ingrats et injustes.

Mais justement, l'Europe a davantage besoin aujourd'hui de souffle et d'élan, de volonté politique et de générosité, que de textes souvent incompréhensibles.

Il est temps d'écouter les citoyens européens et leurs aspirations, au moment où la nécessité de la construction européenne s'est imposée à tous, hormis quelques irréductibles de droite ou de gauche ; au moment où l'abondance d'informations est telle sur les conflits et tensions chez nos voisins, sur les écarts de niveaux de vie que nous ne pouvons plus échapper à nos responsabilités, non seulement vis-à-vis de l'Est mais aussi du Sud.

Nous avons une chance historique de relever ces défis, alors que treize pays sur quinze sont gouvernés par des majorités socialistes ou social-démocrates, avec le soutien ou la participation des Verts.

Dans le contexte précédent, dominé par une droite néo-libérale, le traité d'Amsterdam, comme celui de Maastricht, pouvait apparaître comme « mieux que rien » et son acceptation résignée évitait de faire la part belle aux replis nationalistes.

Dans le contexte d'aujourd'hui, c'est plutôt un coup pour rien, beaucoup de temps de perdu, mais aussi la faculté de dire « non » parce que nous avons enfin le formidable espoir de faire beaucoup mieux. Pourquoi nous en priver ? A quand un nouveau traité fondateur pour les EtatsUnis des citoyens d'Europe ? Les Verts sont prêts à y travailler, mais dans un autre cadre que celui qui a présidé à l'élaboration de ce mauvais traité. La méthode intergouvernementale a manifestement vécu.

Sachons reconnaître cet échec, laissons tomber Amsterdam et construisons enfin une Europe à visage humain.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert et sur divers bancs du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Julien Dray.

M. Julien Dray.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la festive naissance de l'euro n'y aura rien changé. Pas plus aujourd'hui que lors de la révision constitutionnelle, je ne parviens à me persuader qu'il faut ratifier le traité d'Amsterdam.

Il n'y a d'ailleurs rien de surprenant à cela : la monnaie unique n'est qu'un instrument et non une fin en soi. Ce qui importe, c'est la façon dont l'euro sera utilisé. Or force est de constater que depuis le premier janvier, rien ne différencie sa gestion de celle du mark et du franc lors des dernières années.

Dans ces conditions, comment l'euro aurait-il pu me faire changer d'avis ? Je le répète une fois encore : la politique de change et de taux d'intérêt qui est en vigueur depuis plus de dix ans a fait maintes fois la preuve de son inefficacité face au défi du chômage. Fondée sur la doctrine de l'inflation zéro, version excessive et rejeton illégitime du monétarisme, cet intégrisme monétaire, associé au conservatisme budgétaire du pacte de Dublin, bride les potentialités de croissance du continent.

Or ce qui était jusque-là présenté à tort comme la seule option possible pour parvenir à l'unification monétaire, devient, avec le traité d'Amsterdam, la seule politique possible ad vitam aeternam.

Car c'est bien le traité d'Amsterdam qui fixe des règles indépassables de politique économique ! C'est bien ce traité qui met en place cette constitution économique rigide composée du sacro-saint principe d'indépendance de la Banque centrale et du mécanisme ultracontraignant du pacte de stabilité budgétaire ! C'est encore lui qui ne prévoit rien d'autre qu'un fantomatique et confidentiel « conseil de l'euro » comme seul pouvoir politique entérinant ainsi le vide démocratique européen.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

Ces règles rigides n'ont qu'une finalité : libérer la sphère économique et financière de toute réglementation sociale en interdisant l'utilisation, par des instances politiques, des instruments de politique économique.

Or je suis de ceux qui pensent encore, malgré tout, et je suis conforté en cela par la situation économique des

Etats-Unis, que la croissance et l'emploi dépendent directement de la politique macro-économique qui est menée, c'est-à-dire des orientations monétaires et budgétaires. Ces deux leviers étant paralysés, l'un par le principe même d'indépendance de la Banque centrale, l'autre par le mécanisme des 3 %, il devient illusoire de prétendre faire face au chômage de masse.

Le sommet européen de Luxembourg est l'aveu qui valide ce constat. Car l'élément novateur de ce sommet n'est pas tant qu'on songe enfin à parler d'emploi en Europe ; il tient au fait que, pour la première fois, on aborde la question du chômage comme étant distincte de la politique économique, c'est-à-dire des questions budgétaires et monétaires.

Ainsi, la détermination du niveau des déficits et des taux d'intérêt est de compétence européenne, dans le respect de l'indépendance et du pacte de stabilité, bien entendu, pendant que l'emploi, matière relevant prétendument des politiques sociales, reste de compétence nationale.

En clair, les Etats nations ont la responsabilité de la lutte contre le chômage alors que les traités leur retirent leur souverainté monétaire et budgétaire, laquelle leur permettrait pourtant de mener une politique économique efficace pour l'emploi.

Voilà l'étrange philosophie de cette Union économique et monétaire : il est possible de réduire sensiblement le chômage sans mener de politique macro-économique adaptée à cet objectif...

Nous ferions une erreur en attribuant cet apparent non-sens économique au jeune âge de l'Union économique et monétaire, qui occasionne nécessairement quelques balbutiements bien légitimes. Car il ne s'agit justement pas d'un non-sens économique.

Cette séparation entre l'économie et le politique, d'abord entre l'économie et l'emploi, ensuite, est volontaire. Elle est même l'expression d'un projet de société dont les fondements idéologiques sont clairement libéraux.

En élaborant ce modèle de la séparation, symbolisé par la coexistence d'Amsterdam et de Luxembourg, les forces économiques dominantes sont en mesure de proclamer que le chômage n'est plus la conséquence d'un dysfonctionnement de l'économie mais celle d'un dysfonctionnement du marché du travail ou même d'une inadaptation du salariat. De la sorte, la route est libre pour la mise en place des politiques dites de « réformes structurelles » qui sont l'appellation socialement correcte de la flexibilité.

C'est d'ailleurs précisément ce que prévoient les conclusions du sommet d'Amsterdam et du sommet social de Luxembourg. On y apprend que les Etats devront « renforcer l'adaptabilité de leur main-d'oeuvre » et « moderniser leurs systèmes de protection sociale pour qu'ils pèsent moins sur le coût de travail ».

On encense alors ceux qui, d'ores et déjà, ont opté en Europe pour un tel projet de société. On érige en modèle le système hollandais qui admet de considérer 10 % de sa population active comme handicapée pour faire baisser sa courbe du chômage. On vante la troisième voie du R oyaume-Uni qui tolère que l'on puisse travailler 70 heures par semaine ! C'est cette vision du monde qui aboutit à la constitution d'un marché du travail jetable, que l'on nous propose ni plus ni moins d'avaliser en ratifiant le traité d'Amsterdam. Et c'est cela que je me refuse à faire, car une telle logique se situe aux antipodes de l'idée que je me fais du modèle social européen, protecteur pour les salariés, et bénéfique pour la croissance et l'emploi.

Un tel modèle social ne pourra exister que si émerge enfin un véritable pouvoir politique européen qui aurait autorité sur la sphère économique et sociale.

Parce que ce pouvoir politique disposera de toute sa souveraineté économique et des marges de manoeuvre qui y son liées, il pourra agir pleinement en faveur de l'emploi et de la justice sociale.

Sans doute cela vous paraît-il lointain. Cette Europe-là n'est pourtant pas inacessible. Je vous invite tous à vous poser une seule question : au nom de quelle bizarrerie de l'esprit serait-il plus difficile de construire un pouvoir politique démocratique que de remettre, sans contrôle, à quelques banquiers élus par personne, des pouvoirs équivalents à ceux d'un conseil des ministres ? (Applaudissements sur divers bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à Mme Béatrice Marre.

Mme Béatrice Marre.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, personne ici n'ignore que la majorité est plurielle et que le Parti socialiste est pluraliste. Guy Hermier, tout d'abord, puis Julien Dray, dans son langage direct, viennent de nous le rappeler.

Je crois toutefois qu'une fois de plus sur ce sujet, Julien Dray entretient la confusion en attribuant au traité d'Amsterdam ce qu'il ne comporte pas - le pacte de stabilité - en oubliant au passage que le sommet d'Amsterdam a précisément permis à la majorité nouvellement élue en juin 1997 de rééquilibrer l'Union en faveur de l'emploi, et en stigmatisant l'indépendance monétaire que consacrerait ce traité qu'il refuse de ratifier, alors qu'elle n'est que l'application du traité de Maastricht qu'il avait en revanche - et heureusement - ratifié.

La seule critique pertinente que l'on peut relever dans vos propos, mon cher collègue, concerne le déficit démocratique de l'Europe que ne comble pas le traité, même s'il comporte des avancées dans ce domaine. Nous en avons longuement parlé.

Grâce au complément indispensable au traité que constitue l'amendement gouvernemental sur la nécessaire réforme des institutions de l'Union européenne avant élargissement, deux des trois volets essentiels du traité d'Amsterdam réaffirment la volonté commune d'instituer une Union européenne plus proche des citoyens, et donc plus politique, dans le cadre de la mise en place d'un nouvel espace de liberté et de sécurité ou encore du renforcement considérable des pouvoirs du Parlement européen.

A cette heure tardive, je ne reprendrai pas tous les a rguments qui ont été excellement developpés par nombre de mes collègues sur l'aspect à la fois insuffisant et modeste, mais néanmoins porteur d'avenir, du traité d'Amsterdam. Je me contenterai d'aborder ce dernier, sous un angle encore peu évoqué : celui de la cohérence des domaines nouveaux qu'il prend en compte dans les politiques communautaires avec les préoccupations des citoyens européens.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

Nous avons maintes fois répété aujourd'hui que le traité d'Amsterdam, qui ne constitue en rien un traité fondateur, proposait néanmoins certaines avancées non négligeables. J'en ai mentionné quelques unes - et non des moindres - mais je souhaiterais m'arrêter sur trois exemples qui me semblent tout à fait importants dans le contexte actuel : l'environnement, la santé publique et l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.

S'il est indéniable que les Etats membres de l'Union européenne, ont manifesté, notamment depuis l'Acte unique, un certain intérêt pour les enjeux environnementaux et de santé publique, il aura fallu attendre une douzaine d'années pour que ces enjeux soient élevés au rang d'objectifs de la Communauté européenne, ce que le traité d'Amsterdam consacre explicitement.

Et ce n'est pas un hasard. Cela s'inscrit dans une prise de conscience globale qui traverse tous les débats nationaux et européens actuels.

Ainsi, l'une des raisons - pas la seule, bien évidemment - de la réforme de la politique agricole commune a été la nécessité de rééquilibrer notre principe politique commune en confortant son deuxième pilier qu'est le développement rural et la prise en compte des préoccupations de préservation des ressources naturelles. De même, en France, les récents débats sur le projet de loi d'orientat ion et d'aménagement du territoire présenté par Mme Voynet, ou encore sur le projet de loi d'orientation agricole présenté par M. Glavany, ont pris en compte la même nécessité d'orienter l'aménagement et la préservation de notre territoire vers un développement et une utilisation durables et concertés.

C'est pourquoi, mes chers collègues, mon cher Julien, j e comprends mal comment on peut refuser de reconnaître la place nouvelle réservée, dans ce traité et dans les autres débats communautaires, aux aspirations des citoyens.

Le traité d'Amsterdam entre pleinement dans cette nouvelle logique : il introduit une référence au principe de développement durable dès son préambule et dans le nouvel article 1er du traité sur l'Union européenne ; il amende le traité sur la Communauté européenne - dans ses articles 2 et 6 - pour rendre nécessaire l'intégration de la protection de l'environnement dans toutes les politiques communautaires et, surtout, en faisant entrer ces questions dans le domaine de la codécision avec le Parlement européen.

Dans un second domaine, qui correspond aussi à une préoccupation croissante des citoyens européens, celui de la santé publique et de la protection du consommateur, le traité d'Amsterdam comporte des avancées. Les problèmes graves qui se sont posés, notamment avec l'affaire de la vache folle, ont accéléré la prise de conscience de la n écessité du renforcement des politiques de santé publique et de protection des consommateurs.

Ainsi, les deux chapitres du traité d'Amsterdam « Santé publique » et « Protection des consommateurs » sont complétés. Consacrée comme objectif général des politiques communautaires par l'article 129 nouveau du traité sur la communauté européenne, la protection de la santé publique, grâce à un niveau élevé de santé humaine, devra également être assurée dans la définition et la mise en oeuvre de toutes les politiques et actions de l'Union européenne.

Enfin, troisième et dernier point que je souhaite évoquer ici, le principe de l'égalité des chances et de traitement entre les femmes et les hommes en matière de travail et d'emploi peut désormais, grâce à l'article 141 nouveau du traité d'Amsterdam, faire l'objet, pour sa mise en oeuvre, de l'utilisation de mesures spécifiques, et ce, une fois encore, dans le cadre de la procédure de codécision.

Nous sommes, dans ce troisième domaine également, au coeur d'un débat d'actualité, ici même, au Parlement français. Je tiens d'ailleurs à souligner au passage que le Président de la République a apporté dans ce dernier débat un soutien tout aussi clair que celui qu'il vient de réaffirmer au cours de la déclaration qui nous a été lue cet après-midi pour la construction européenne, dont le traité d'Amsterdam ne constitue qu'une étape.

Pour ces quelques raisons supplémentaires à toutes celles que j'ai été amenée, comme beaucoup d'autres, à développer, je crois que la ratification du traité d'Amsterdam est nécessaire, incontournable et souhaitable pour permettre à l'Union européenne de poursuivre sa marche vers l'Europe sociale et politique que nous souhaitons. Ce traité, modeste, peut-être même médiocre, mais certainement pas néfaste, amorce quelques-uns des tournants qui nous feront aller dans cette voie. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Paul Dhaille.

M. Paul Dhaille.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'Assemblée nationale s'apprête donc à ratifier le traité d'Amsterdam. La ratification des traités européens devient rituelle, même s'il a fallu cette fois-ci faire un détour par Versailles.

Nous pouvons reconnaître que le texte qui nous est soumis est quasiment illisible, voire, pour beaucoup de nos concitoyens, incompréhensible. A partir de cette constatation, le débat se déplace du contenu du texte vers des positions générales de principe sur l'Europe. Entre ceux qui sont fraîchement convertis à l'Europe et pour lesquels un vote favorable est le passage obligé pour les élections de juin, et les cabris de l'Europe, pour qui le doute même n'est pas permis, tout l'éventail des opinions a pu s'exprimer et chacun trouve dans le traité ce qui lui convient.

Pour ce qui me concerne, je propose ma propre grille de lecture du texte. Les socialistes ont toujours été européens, par conviction, mais aussi par réalisme. Répéter une fois de plus que la construction européenne est un gage de paix ne peut être remis en cause, même si, aujourd'hui, l'impuissance de l'Europe à intervenir de manière unie et cohérente dans les conflits qui affectent son territoire ou les autres parties du monde peut faire douter de ses capacités à intervenir dans les relations internationales, même quand elle est directement concernée.

Nous n'avons cessé de dire que l'Europe était le cadre pertinent pour répondre aux effets dévastateurs de la mondialisation. Nous n'avons cessé de plaider pour la construction d'un modèle de société européen aux fondements et aux objectifs radicalement différents du modèle ultra-libéral anglo-saxon. Force est de constater que nous ne sommes pas aujourd'hui engagés sur cette voie.

En Europe comme ailleurs, les mêmes mots d'ordre : a ustérité budgétaire, déréglementation, délocalisations, ouverture à la concurrence des services publics, flexibilité sur le marché du travail, donnent les mêmes effets : précarisation croissante des salariés, augmentation des inégalités, chômage, exclusion. En Europe comme ailleurs, le libéralisme est suivi par son cortège d'injustices sociales.

Le traité d'Amsterdam que l'on nous demande de ratifier s'inscrit peu ou prou dans une perspective libérale.

Lors des négociations, c'est l'ancienne majorité de droite


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

qui a représenté la France. Le résultat de la conférence intergouvernementale n'est donc pas forcément conforme à la vision socialiste de l'Europe, même si c'est le Gouvernement de Lionel Jospin qui est seul chargé, aujourd'hui, de le faire ratifier.

S'il n'y a pas de rupture fondamentale avec la logique des traités précédents, notamment en matière de politique économique, deux nouveaux chapitres ont été insérés sur lesquels s'appuient les défenseurs, surtout de gauche, du traité d'Amsterdam : les dispositions sociales et la politique de l'emploi. Cet ajout a été présenté par le Premier ministre comme un progrès. Il est encourageant, en effet, de constater, notamment après le sommet de Luxembourg, que les pays de l'Union acceptent aujourd'hui de placer l'emploi au coeur des préoccupations communautaires. Reste que la conception du marché du travail qui y est développée et défendue relève d'une idéologie très fo rtement influencée par le libéralisme.

L es dispositions sociales - titre XI, chapitre Ier , articles 136 à 145 - fixent le cadre de l'intervention communautaire dans le domaine social en définissant les compétences et les modalités d'application. Ce chapitre n'est pas en soi négatif dans la mesure où les intentions sont bonnes, quoique vagues : « Améliorations des conditions de vie et de travail ». Il comporte même des points positifs : « Incitation au dialogue social avec possibilité pour les partenaires sociaux de conclure des conventions collectives au niveau européen ».

Le problème principal réside dans le fait que tout ce qui met en concurrence les salariés d'Europe reste exclu du champ communautaire. Il s'agit, notamment, des rémunérations, des cotisations sociales, de la fiscalité et des droits sociaux dont le droit de grève. Mais c'est justement sur ces points que la concurrence s'exerce entre pays européens, concurrence que les patrons ont bien intégrée dans leur stratégie de management. Les délocalisations ou la préférence d'installation ne relèvent pas du fantasme. Il est donc dérisoire de croire que les dispositions sociales du traité ont une efficacité quelconque dans la lutte contre le dumping social et le démantèlement du modèle social en Europe.

Pour l'emploi, c'est la flexibilité qui est au coeur de la p olitique communautaire. Le premier paragraphe - titre VIII, articles 125 à 130 - annonce la couleur :

« Les Etats membres et la Commission s'attachent à élaborer une stratégie coordonnée pour l'emploi et, en particulier, à promouvoir une main-d'oeuvre qualifiée formée et susceptible de s'adapter, ainsi que des marchés du travail aptes à réagir rapidement à l'évolution de l'économie en vue d'atteindre les objectifs énoncés à l'article 2 du présent traité, c'est-à-dire, notamment, la compétitivité. »

Voilà une élégante façon de défendre l'extension de la f lexibilité, synonyme de précarisation croissante des salariés ! La ratification du traité a été anticipée, puisque les lignes directrices de la future politique de l'emploi ont été tracées au sommet de Luxembourg en décembre 1997.

Elles se résument à quatre piliers : l'employabilité, l'esprit d'entreprise, la capacité d'adaptation et l'égalité des chances. Le choix de ces quatre mots d'ordre augure mal de la politique économique que comptent mener les pays membres de l'Union.

Les prescriptions en matière de politique économique et monétaire - titre VII, articles 98 à 124 - se situent dans la droite ligne du traité de Maastricht en termes de convergence économique et d'indépendance de la Banque centrale européenne. Cela prouve bien que les critères de convergence n'ont rien de transitoire, contrairement à ce qu l'on a entendu dire ici ou là. En effet, la rigueur budgétaire et la stabilité des prix figurent non seulement dans le volet budgétaire, mais également dans le volet économique.

C'est là une véritable constitutionnalisation de la politique économique. Le traité de Maastricht non modifié sur ce point à Amsterdam formalise le libéralisme comme vérité indiscutable. Les Etats membres et la communauté agissent dans le respect du principe d'une économie de marché ouverte, où la concurrence est libre, favorisant une allocation efficace des ressources.

En revanche, rien n'est prévu pour faire de l'euro un instrument de relance. A cet égard, il faut noter que le Conseil de l'euro, qui devait pourtant servir de contrepoids politique à l'indépendance de la Banque centrale, n'est pas mentionné dans le traité. Il a donc un caractère purement formel.

Quant au pacte de stabilité qui fixe les 3 % de déficit public comme plafond absolu et prévoit des sanctions financières en cas de non-respect, il revêt un statut juridique assez flou. Sans être directement intégré dans le traité d'Amsterdam, il y est étroitement lié puisqu'il a été adopté dans les conclusions de la présidence. Certains même demande l'intégration juridique du pacte de Dublin dans le traité, ce qui reflète un certain état d'esprit. Cela ne peut que nous inquiéter.

Nous avons donc un volet social plein de bonnes intentions mais qui exclut l'essentiel, un volet sur l'emploi qui ne correspond pas à notre conception du monde du travail et un volet économique et monétaire qui fixe comme horizon indépassable les 3 % des déficits publics. Quant au chapitre institutionnel il est totalement absent.

Devant un tel constat que faire ? Voter contre reviendrait à mêler nos voix à celles des nationalistes et des souverainistes. Or nous avons voté la réforme de la constitution et nous pensons que l'Europe est le cadre pertinent des luttes sociales face à la mondialisation de l'économie.

Voter contre signifierait condamner l'action du Gouvernement alors que celui-ci défend là un traité qu'il n'a ni négocié, ni souhaité, et veut infléchir la politique européenne. Mais voter pour serait laisser penser que nous cautionnons le cours de la construction europpéenne exprimée par le traité d'Amsterdam alors que celui-ci reste fondé sur l'idéologie libérale.

Aujourd'hui les socialistes et les sociaux-démocrates dirigent la plupart des gouvernements de l'Union européenne. Mais les victoires électorales ne sont pas toujours des victoires politiques. Les Européens votent à gauche, mais l'Union européenne reste profondément libérale. Le contenu du traité d'Amsterdam ne nous incite pas à démentir ce constat paradoxal.

Mme Marie-Hélène Aubert.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Gérard Fuchs, dernier orateur inscrit dans la discussion générale.

M. Gérard Fuchs.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout se termine, même un débat de ratification. A cette heure tardive, je ne reviendrai ni sur le contenu du traité, ni sur les raisons pour lesquelles je voterai en sa faveur. Je voudrais plutôt évoquer - rapidement, je vous rassure - ce qui ne figure pas dans le traité d'Amsterdam, c'est-à-dire la réforme institutionnelle qui, théoriquement, était son objet principal mais qui, finalement, est la grande absente du texte. Or cette absence va apparaître comme de plus en plus grave et il me semble donc urgent de voir comment on peut y porter remède.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

P ourquoi construire l'Europe ? Pour exercer en commun nos souverainetés nationales lorsque nous ne parvenons plus à les exercer seuls. C'est le rôle de l'Union européenne. Mais pour faire à plusieurs ce que nous ne pouvons plus faire seuls, encore faut-il qu'il existe une capacité de décision collective. Il ne sert à rien de transférer une décision de Paris à Bruxelles, si Bruxelles est incapable de décider.

J'entends beaucoup parler en ce moment de transparence dans la décision, de contrôle démocratique. C'est bel et bien. Encore faut-il qu'il y ait décision. J'ajouterai même ironiquement que la transparence peut être plus dangereuse qu'utile à l'Union européenne si elle devait simplement révéler son inefficacité et je crains que ce ne soit un peu le cas. Il faut être clair, en effet. Que signifie capacité de décision dans l'Union européenne d'aujourd'hui à quinze et plus encore dans l'Union européenne de demain à plus de quinze ? La capacité de décision implique la règle de la majorité. Car si l'histoire de l'Union européenne a bien apporté un enseignement clair, encore qu'il ait été pour moi sans surprise, c'est que l'unanimité est synonyme de paralysie. Deux exemples rapides.

Les comités d'entreprise européens : j'étais député européen en 1981, à l'époque où était sur la table la directive Vredeling. Elle l'est restée jusqu'en 1993, sans aucun progrès. Pourquoi ? Parce que l'unanimité était à l'époque de règle, pour avancer dans ce domaine social. Puis, il y eut l e traité de Masstricht et le protocole social qui l'accompagnait et permettait au moins à onze des douze

Etats de l'époque de décider à la majorité. Eh bien, en moins de dix-huit mois a été adoptée l'obligation de créer des comités d'entreprise européens, dont tout le monde s'accorde aujourd'hui à reconnaître que le bilan, bien qu'insuffisant, est indiscutablement positif.

D euxième exemple, la taxation des revenus de l'épargne. C'est en 1989 qu'à été déposé un projet de directive concernant une retenue à la source sur les revenus financiers dont j'étais rapporteur au Parlement européen sur les revenus financiers. Rien n'a été fait à ce jour, soit dix ans après. Et je crains fort, bien qu'un nouveau texte soit en discussion, qu'aussi longtemps que la règle de l'unanimité subsistera, il soit très difficile d'aboutir à un résultat intéressant. Celui-ci ne pourra être acquis qu'à la majorité. Une fois de plus, nous constaterons, je le crains, que la règle de l'unanimité conduit à ce que ce soit le moins-disant qui fasse la loi collective.

Je veux donc dire avec force ma conviction qu'un nouveau traité, au-delà du traité d'Amsterdam - pardonnezmoi de vous entraîner déjà aussi loin - est nécessaire et urgent. Un traité instituant le vote systématique à la majorité, même si, bien sûr, des nuances doivent être introduites : une majorité un peu plus qualifiée en matière fiscale, une abstention constructive en matière de dépense - je ne détaille pas.

En conclusion, je souhaite souligner l'importance que j'accorde à l'article 2 du projet de loi de ratification. Bien qu'il ait été déposé par le gouvernement, cet article n'est pas juridiquement contraignant. Mais il est politiquement essentiel, car il exprime notre volonté d'aller, au-delà d'une Europe des marchés, vers une Europe politique, capable de décider, d'exister et de s'affirmer sur la scène mondiale. Sans cette Europe politique, nos souverainetés nationales seront de plus en plus illusoires. Et il est clair qu'alors, ce seraient les financiers, et non les citoyens, qui demain nous gouverneraient. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La discussion générale est close.

Le Gouvernement répondra demain aux orateurs.

Motion d'ajournement

M. le président.

J'ai reçu de M. Georges Sarre et plusieurs de ses collègues une motion d'ajournement déposée en application de l'article 128, alinéa 2, du règlement.

La parole est à M. Georges Sarre.

M. Georges Sarre.

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, le texte présenté aujourd'hui à notre assemblée est le résultat d'un compromis hasardeux. Comme tout texte élaboré par défaut, il va dans la mauvaise direction. Négocié de manière calamiteuse par le gouvernement Juppé, le traité d'Amsterdam est le produit de l'échec de la conférence inter-gouvernementale, ouverte en mars 1996, qui devait travailler à la fois sur l'élargissement de l'Union, et sur son approfondissement via la réforme des institutions.

Poser les termes du débat de façon intelligible, c'est dire aux Français que les marges de manoeuvre de notre pays vont singulièrement se restreindre si ce traité est ratifié.

La logique du traité d'Amsterdam c'est la fuite en avant, agrémentée par la diabolisation de la dépense publique instituée par le pacte de stabilité. Certes, celui-ci ne fait pas partie du traité, mais il a été accepté en même temps que le traité d'Amsterdam. C'est un nouveau pas vers cette dérive qui fait que les instruments traditionnels de la politique économique - politique monétaire puis budgétaire - échappent un à un au Gouvernement, c'està-dire au contrôle des élus.

L'inspiration libérale et la logique fédérale du traité sont aujourd'hui dépassées. Les peuples d'Europe, à commencer par le nôtre, aspirent à plus de cohésion sociale et à la responsabilité des gouvernants. En particulier, il faut rappeler cette évidence, il n'existe pas, à l'heure où nous parlons, de peuple européen, ce qui rend inacceptable toute atteinte à la souveraineté nationale sans contrôle démocratique préalable et toute fuite en avant vers le fédéralisme. Le traité apporte de mauvaises réponses aux défis de l'Europe d'aujourd'hui. La réorientation de la construction européenne vers un renforcement de la coopération entre Etats-nations européens est plus que jamais nécessaire.

Mes chers collègues, en l'absence d'un peuple européen, seul le peuple français est à même de consentir à des abandons de souveraineté.

Le traité d'Amsterdam, dans le droit-fil du traité de Maastricht, ouvre la voie à une Europe fédérale, dont les institutions sont soit sans légitimité pour parler au nom d'un peuple européen mythique - Parlement européen et conseil des ministres -, soit déconnectées du suffrage universel - Commission de Bruxelles, Cour de justice.

Il apparaît illusoire de vouloir renforcer les pouvoirs et les prérogatives de ce type d'institutions, tant qu'il n'existe pas une communauté de citoyens au niveau européen. Le Parlement européen, par exemple, peut voir ses pouvoirs renforcés, sans pour autant que sa légitimité s'en trouve accrue. De même, le conseil des ministres européens, instance de type inter-gouvernemental, ne peut fonctionner à la majorité qualifiée que dans des limites précises et dans un cadre préservant les intérêts vitaux des nations européennes. Que cela plaise ou non, on ne décrète pas l'existence d'un peuple européen en signant des traités, et en les ratifiant sans débat et en catimini par la voie parlementaire. Nous y reviendrons.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

A l'étape historique actuelle, seule la nation offre le cadre légitime de la démocratie et de l'expression des solidarités collectives. C'est dans ce cadre qu'une majorité peut imposer ses orientations à une minorité sans crise majeure. Il n'y a pas de conscience au niveau européen d'appartenir à un même peuple, et c'est particulièrement vrai dans les milieux populaires. C'est ce qui explique la préoccupante coupure entre le peuple français qui adhère spontanément à l'idée de nation et des élites acquises à la mondialisation libérale et à sa variante européenne organisée par les traités de Maastricht et d'Amsterdam.

Oui, mes chers collègues, la démocratie est quelque chose qui tient du miracle. Il peut y avoir une majorité de quelques voix, d'un siège et la minorité accepte cette situation. Mais cela se fait dans le cadre d'une nation parce qu'il y a un peuple animé d'une volonté de vivre ensemble.

Croire qu'un autre choix est possible, c'est se leurrer et vous n'êtes pas réaliste en faisant comme si cela n'avait pas d'importance.

Pour construire une conscience européenne, il faut du temps. Il faudrait surtout que l'Europe apparaisse sous un jour plus positif aux yeux du plus grand nombre. Ce n'est pas cette Europe boutiquière, celle qui s'incarne dans les critères de Maastricht et du pacte de stabilité, dans la remise en cause des services publics, et la mise en concurrence généralisée de tous les secteurs de la vie économique et sociale, même dans les clubs sportifs ; ce n'est pas cette Europe fouettarde dure aux faibles et douce aux puissants qui peut engager les peuples dans une prise de conscience d'un destin commun.

Si l'Europe de la finance avance à grands pas, celle de l'éducation, de la culture et même de la conception de la citoyenneté reste à quai, comme le montre bien ce que je crois être un recul de nos amis allemands sur le droit du sol, ou la régression de l'apprentissage du français en Allemagne et de l'allemand en France.

Il vaut toujours mieux partir du réel, lequel fait du cadre national le seul espace pertinent de débat public aujourd'hui reconnu et admis par les peuples. Contrairement à ce que nous répètent inlassablement les tenants de l'idéologie dominante, la France n'est pas une vieille lune pour vieux nostalgiques. Un récent sondage du magazine Phosphore montre que les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans, dont on parle si souvent à propos de l'Europe, se sentent avant tout Français et qu'ils ne sont que 7 % à se sentir avant tout Européens.

Cette idée, selon laquelle la légitimité réside essentiellement dans la nation, est si vraie que plusieurs des leaders politiques nationaux hésitent à abandonner leur mandat de député français pour un mandat de député européen.

M. Jean-Pierre Michel.

C'est le problème du cumul !

M. Georges Sarre.

On se souvient que, dans le passé, pour n'en citer qu'un, M. Giscard d'Estaing lui-même a quitté Strasbourg pour revenir siéger avec nous à l'Assemblée nationale à Paris.

Le Mouvement des citoyens maintient ainsi entière sa critique sur le processus européen qui consiste à tenter de créer sans le dire une nation européenne, sans que les peuples aient réellement les moyens de peser et de décider.

Nous maintenons aussi notre critique de fond sur l'euro même si nous prenons acte de son existence. Nous n'avons toujours pas entendu, même pas aujourd'hui, d'arguments convaincants contre notre thèse selon laquelle il est risqué de contruire une identité politique sur une monnaie.

La brutalité des rapports économiques et sociaux nés de l'unification monétaire allemande devrait inciter à beaucoup de modestie ceux qui parient avec tant d'arrogance depuis le 1er janvier sur les bienfaits de l'union monétaire à onze. Alors que les Allemands de l'Ouest considèrent qu'ils paient déjà cher pour les Allemands de l'Est, issus pourtant d'un même peuple, comment croire que les futures crises et inévitables contradictions à l'intérieur de la zone euro ne seront qu'un long fleuve tranquille ? Les actuelles contradictions sur la négociation de la PAC, les difficultés futures au sujet des fonds structurels et la renégociation de la contribution de chaque pays au budget communautaire démontrent combien la réalité des nations demeure en Europe. Chaque pays a, en effet, des intérêts légitimes à défendre et si les gouvernements l'oublient, les rues sont là et les citoyens savent les occuper pour manifester.

Le traité d'Amsterdam propose de communautariser la politique d'immigration, sans travail préalable pour rapprocher les législations en vigueur dans chaque pays, sans même étudier sérieusement le dossier. Ce sujet empoisonne depuis trop d'années le débat politique en France.

La double surenchère d'une fraction de la droite courant après les voix du Front national et d'une partie de la gauche, ajoutée aux difficultés économiques, avait fait de l'immigré l'otage de la politique politicienne.

Le gouvernement de Lionel Jospin, par une politique équilibrée, est en voie d'apaiser les passions malsaines autour de ce dossier. Mais qu'en sera-t-il demain, lorsqu'après la période transitoire de cinq ans, les Français s'apercevront que ce n'est plus la loi française qui s'applique en la matière, mais bien des décisions prises ailleurs par d'autres que nous, en dehors de nos traditions historiques et sans tenir compte de notre situation géographique et sociologique ? Qui peut croire que l'Irlance et la France pourraient avoir la même politique d'immigration ? Comment ne pas craindre une flambée nationaliste ? Comment mettre en place des politiques communautaires en matière d'immigration et de droit d'asile avec des traditions d'intégration souvent très différentes d'un Etat à l'autre ? Songeons que notre laïcité n'est pas un principe répandu en Europe, alors qu'il est pour la France, entre autres vertus, un principe fondamental pour l'intégration des étrangers.

Là où la souveraineté nationale est en jeu, le peuple doit pouvoir se prononcer. C'est ce qui justifiait le recours au référendum pour modifier la Constitution. Il n'y a que le peuple qui puisse consentir des abandons de souveraineté aussi majeurs que ceux que prévoit le traité d'Amsterdam. La procédure parlementaire de notre réunion à Versailles n'a été qu'une façon d'escamoter ce qui aurait dû être un grand débat national.

A ujourd'hui, le Président de la République s'est exprimé sur sa conception de l'Europe, conformément à la Constitution. N'aurait-il pas mieux fait de donner la parole au peuple quand il était temps au lieu de la prendre lui-même aujourd'hui ? Existe-t-il une meilleure source d'où tirer la légitimité ? Qui disait autrefois, mes chers collègues - je m'adresse plus particulièrement aux membres du RPR -, que « le Congrès, c'est bon pour les réformettes » ? Le traité d'Amsterdam ne répond pas aux enjeux de l'Europe d'aujourd'hui car il reste pris dans le carcan du pacte de stabilité.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

En effet, il ne résout pas la question cruciale qu'est pour l'Europe la réforme de ses institutions. Celle-ci concerne, en premier lieu, le nombre de commissaires européens et la pondération des voix au sein du conseil des ministres. Pourtant, la vocation de l'Union est de s'ouvrir à de nouveaux pays, en particulier de l'Est européen. Comment croire que les institutions, qui ont déjà du mal à fonctionner à quinze, pourront être efficaces à vingt ? La réforme du financement de l'Union n'est pas moins urgente, mais elle n'est pas davantage résolue par le traité.

Celui-ci organise, en revanche, toujours plus de transferts de souveraineté. Loin de donner un nouveau souffle à l'Europe, il confirme les dogmes du pacte de stabilité et érige en institution l'indépendance de la BCE.

Au lieu de s'attaquer aux difficultés, le traité s'emploie à « communautariser » un certain nombre de prérogatives traditionnelles des Etats. Toute définition élémentaire de l'Etat retient la frontière et sa maîtrise comme un critère déterminant. Toute communauté, qui n'est plus en mesure de déterminer, de façon légitime, qui a le droit de pénétrer sur son sol et, à plus forte raison, de s'y établir, n'est donc plus réputée former un Etat. Voilà encore un a ttribut majeur qui disparaîtrait, après la monnaie.

Avouez, mes chers collègues, qu'en l'espace de quelques années cela commence à faire vraiment beaucoup.

Qu'est la communautarisation sinon le fait de prendre à la majorité du Conseil des décisions qui relevaient auparavant de la règle de l'unanimité ? Cela signifie concrètement qu'un ou plusieurs Etats membres mis en minorité devront appliquer des décisions qu'ils n'ont pas voulues, touchant des domaines essentiels. L'immigration, le droit d'asile sont des sujets de la plus haute importance pour les Etats. Or le traité d'Amsterdam avance masqué sur ces aspects sensibles, en ménageant une période transitoire de cinq ans durant laquelle l'unanimité au sein du Conseil demeurera la règle de la majorité qualifiée.

D'une certaine façon, la charge de la preuve est renversée et la position des Etats membres est passive : ce n'est plus à l'édifice européen de faire les preuves de son aptitude à la gestion de grandes politiques publiques ; c'est à l'Etat membre de prouver et de maintenir sa compétence, en se dressant, seul au besoin, contre le courant dominant. Ce mécanisme pervers alimente la résignation et le conformisme.

Le domaine du droit n'est pas épargné. Le protocole sur l'application des principes de subsidiarité et de proportionnalité réaffirme ainsi l'intangibilité des « principes mis au point par la Cour de justice en ce qui concerne la relation entre le droit national et le droit communautaire ». Cela démontre la prétention du droit communautaire à constituer un ordre juridique autonome dont l'invocation en droit interne est directe et uniforme dans tous les pays membres.

Ne prenons qu'un exemple : dorénavant compétente pour juger d'éventuelles discriminations dont seraient victimes des résidents sur le territoire d'un Etat de l'Union européenne, la Cour de Luxembourg pourrait remettre en cause le principe d'égalité développé par la jurisprudence de notre Conseil d'Etat. Or le juge européen, à l'inverse du juge français, considère que le traitement identique de situations différentes peut constituer une discrimination.

A quand la victoire du principe d'équité sur l'égalité ? Il faudra alors retirer ce mot du fronton de nos hôtels de ville.

On veut nous faire croire qu'il n'est rien de plus urgent que de fonder une politique étrangère et de sécurité commune. Pourtant les derniers raids angloaméricains sur l'Irak ont démontré combien les divergences étaient fortes en matière diplomatique. Entre la participation britannique, le soutien mesuré des Allemands, la désapprobation feutrée des Français et la nette prise de distance des Italiens, les positions pour le moins diverses des pays européens ont montré que, au-delà des majorités politiques au pouvoir, les réalités historiques et géographiques des nations pesaient lourdement.

Alors que la plupart de nos partenaires considèrent que l'OTAN sous commandement américain doit demeurer l'instrument de défense de l'Europe, la France se doit de conserver une capacité diplomatique et militaire indépendante. Notre pays, par exemple, ne pourra évidemment pas s'en remettre à la PESC pour défendre la francophonie.

Selon notre conception, il convient d'aller vers des coopérations renforcées rendant leur rôle aux Etatsnations : or ni le traité d'Amsterdam ni le pacte de stabilité ne permettent de réorienter la construction européenne. Ce ne sont pourtant pas les défis qui manquent.

Ainsi le chômage demeure scandaleusement élevé dans une Europe qui se veut un havre de prospérité et ce n'est pas en prolongeant le dogmatisme maastritchien, comme cela est le cas dans le traité qui nous est soumis, qu'on se donnera les moyens d'inverser fortement et durablement la tendance.

Le traité réaffirme la mise sous tutelle budgétaire des

Etats, qui est le fait du pacte de stabilité. La volonté de maîtriser les investissements publics est devenue un dogme. Rappelons qu'un mécanisme de sanctions automatiques en cas de dépassement vient encadrer la capacité d'intervention et de régulation des Etats. Là encore, il s'agit d'une perte substantielle de souveraineté. De plus, sur le plan économique, l'objectif d'atteindre un strict équilibre budgétaire n'a pas de sens, puisque l'excès de la part des dépenses publiques dans le PIB s'explique géné-r alement par l'insuffisance de croissance, et donc d'emploi. Pourtant il est évident qu'un Etat doit pouvoir emprunter pour financer ses investissements.

Aujourd'hui, les circonstances sont favorables pour réorienter la construction européenne. Onze des quinze pays de l'Union ont un gouvernement de gauche. C'est une chance de relancer le processus dans une perspective nouvelle.

Des accords sont possibles sur les instruments, ainsi que sur les objectifs. Les instruments existent : il s'agit du principe de subsidiarité rendant la primauté aux Etats, ainsi que le compromis de Luxembourg. L'issue au marasme actuel se trouve dans les coopérations renforcées entre les Etats et non dans une Europe fédérale ni même une fédération d'Etats-nations. L'histoire montre que les points d'accord sur des fondements réalistes sont possibles.

Le principe de subsidiarité, qui aurait pu être un outil pour rééquilibrer le processus en limitant les abandons de souveraineté est devenu, par le biais du protocole contenu dans le traité d'Amsterdam, un verrou qui protège les abandons précédents, consacrés sous l'appellation d'acquis communautaires. Nous proposons, au contraire, que le principe de subsidiarité soit renversé et que ce soient les institutions européennes qui deviennent subsidiaires par rapport aux nations. Il devrait revenir au Parlement français de définir la subsidiarité. Il pourrait voter de véritables mandats de négociation impératifs.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

Enfin, le compromis de Luxembourg qui garantir à un

Etat de ne pas être obligé de mettre en oeuvre une décision contraire à l'un de ses intérêts essentiels doit être compris, lui aussi, comme un acquis communautaire.

Loin d'empêcher le fonctionnement de l'Europe, il offre les garanties dont les Etats et les peuples ont besoin.

Le traité d'Amsterdam n'a pas d'ambition profonde.

Comment du reste croire à une fédération sans budget fédéral ? Au lieu de cela, il faut lui substituer le volontarisme des nations, qui sont les seuls cadres d'exercice de la démocratie et de réalisation du lien social. Elles seules sont en mesure de donner un contenu à une Europe qui doit rester ou, plutôt, qui devrait devenir celle des peuples.

La coopération renforcée des Etats a donné, par le passé, de brillants résultats. Le seul exemple d'Ariane montre bien les possibilités d'une coopération intergouvernementale sans lien avec les institutions communautaires.

Le contexte actuel, je le répète, est favorable à une relance sur des fondements réalistes. Quoique difficile, le lien franco-allemand est le moyen privilégié de cette relance. Partir des nations pour fonder l'Europe, dans le respect scrupuleux de la souveraineté nationale, est le seul m oyen crédible pour sortir de l'impasse. Dans ce contexte, d'autres coopérations renforcées peuvent voir le jour, à commencer par l'indispensable lutte pour la croissance et contre le chômage quand près de 17 millions d'Européens sont sans emploi.

C'est pourquoi un dialogue constructif mais sans concession avec la nouvelle équipe dirigeante allemande peut donner le coup d'envoi à la réorientation souhaitée.

Il nous faut, de toute urgence, oeuvrer pour le pilotage des politiques économiques par une instance politique représentative dans le souci de l'intérêt général, adopter un pacte de solidarité et de croissance en lieu et place des critères rigides de l'héritage maastrichien, instaurer une parité réaliste de l'euro vis-à-vis du dollar.

En premier lieu, l'emploi doit être élevé au rang d'une politique macroéconomique. Il faut des objectifs quantifiés, et des engagements contraignants.

En second lieu, le pacte de stabilité doit faire place à un pacte pour la croissance et l'emploi. Concrètement, il s'agit de rendre leur marge de manoeuvre aux budgets nationaux afin de répondre à des chocs sur les niveaux de l'emploi ou de l'économie. Là encore, le contrôle démocratique est indispensable car il ne s'agit ni plus ni moins que de la mise sous tutelle budgétaire des Etats.

Il y a d'ailleurs une profonde contradiction à vouloir encadrer les budgets nationaux en l'absence d'un budget fédéral conséquent. Comment un pays pourrait-il mener à bien une politique de stabilisation en cas de choc sur son économie, alors que le budget fédéral est de 1,2 % du PNB ? D'une part, la relance budgétaire est quasiment interdite ; d'autre part, le budget commun est si dérisoire qu'il rend illusoire tout mécanisme de transfert.

Enfin, il faut bien constater que l'indépendance de la Banque centrale est un frein aux politiques de croissance.

La priorité des priorités demeure que la volonté des peuples pèse démocratiquement sur les orientations de politique monétaire. Permettre au Conseil de formuler, à la majorité qualifiée, des recommandations sur les politiques de l'emploi menées par les Etats est bien dérisoire en face du problème posé. Une politique d'euro fort, menée selon des considérations idéologiques, serait le meilleur moyen de pénaliser nos entreprises.

Il faut placer l'exigence de l'emploi au coeur de la construction européenne. C'est pourquoi il faut inscrire dans les statuts de la Banque centrale européenne le devoir de défendre la croissance et le plein emploi, au moins au même titre que la lutte contre une inflation qui a pratiquement disparu.

Par conséquent, avant de nous en remettre à une c onstruction politico-administrative ayant pour effet immédiat d'entamer la souveraineté nationale sans nous garantir de compensations en retour, je demande le temps de l'examen et de la réflexion. Le traité d'Amsterdam n'est pas utile à l'Europe. Il cristallise une conception aujourd'hui dépassée. La France et ses citoyens ne peuvent demeurer dans un entre-deux imprécis, entre un cadre politique légitime et une sorte d'empire oligarchique qui ne dit pas son nom.

Depuis le temps où ce traité a été négocié, des mois se sont écoulés. L'attente de nos concitoyens est aujourd'hui de « faire retour à la République ». Moins que jamais, il s'agit de persister dans une course inadéquate vers l'Europe fédérale et utopique. L'Europe ne doit plus servir de prétexte à l'expansion sans frein du libéralisme. Au contraire, s'il doit y avoir une Union européenne sans cesse croissante, ce doit être celle des politiques qui réduisent le chômage et qui renforcent la cohésion des sociétés.

C'est pourquoi, mes chers collègues, avec les députés du Mouvement des citoyens, je vous demande d'ajourner l'examen de ce projet de loi de ratification d'un traité inutile et dépassé.

M. Jean-Pierre Michel.

Très bien !

M. le président.

Dans les explications de vote, la parole est à M. Gérard Fuchs, pour le groupe socialiste.

M. Gérard Fuchs.

Je remercie, tout d'abord, M. Georges Sarre de nous avoir rappelé que le pacte de stabilité ne figurait pas dans le traité d'Amsterdam. Une partie de mes collègues qui avaient affirmé l'inverse il y a quelques instants ont malheureusement quitté l'hémicycle mais j'espère que ce propos, dont la garantie politique est des meilleures, leur sera rapporté en temps et lieu utiles.

Cela étant, l'affirmation de la lutte contre le chômage en tant que priorité, nous le savons tous, ne résultera jamais d'un traité. Cela résultera d'une volonté politique et d'affrontements sociaux. Le meilleur traité, quelle que soit la couleur politique des gouvernements et des majorités dans notre pays et en Europe, ne pourra jamais donner que ce qu'il a, c'est-à-dire pas grand-chose. Un traité est un cadre, dans lequel est ensuite conduite une action politique. A nous de faire en sorte que les priorités qui sont les nôtre soient mises en oeuvre ! Je ferai quatre brèves remarques sur le fond.

La première porte sur la notion de souveraineté. Franchement, pouvons-nous dire que la France a une pleine souveraineté en matière sociale quand des entreprises délocalisent de Bourgogne en Ecosse simplement parce que la législation du travail y est moins bonne que chez nous ? N'avons-nous pas intérêt à rapprocher, autant que f aire se peut, les règles des différentes parties de l'Europe ? Pouvons-nous dire que la France jouit actuellement d'une pleine souveraineté fiscale lorsqu'on voit qu'un gouvernement de gauche hésite à prendre la décision de mettre la taxation des revenus du capital au même niveau que celle des revenus du travail, de peur que le capital ne s'en aille ? Ne serait-il pas de notre intérêt de tendre vers un rapprochement - je ne parle même pas d'harmonisa-


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

tion européenne - des politiques fiscales qui permette de prendre des mesures plus efficaces sans craindre que le capital ne s'enfuit chez nos voisins ? Pouvons-nous dire, cher Georges Sarre, que la France est aujourd'hui indépendante en matière de défense ? Nous savons tous dans cet hémicycle que, au moment de la guerre du Golfe - je ne parle même pas du Kosovo une seule puissance avait suffisamment de satellites pour savoir réellement ce qui s'y passait. Elle nous disait ce qu'elle voulait bien nous dire. Si, comme je le crois, ce n'était jamais des mensonges, ce n'était jamais non plus, nous le savons bien - en tout cas, personnellement, je le sais - toute la vérité.

La souveraineté est un principe important. Mais je suis de ceux qui préfèrent une souveraineté collective réelle avec nos voisins à une souveraineté nationale formelle.

C'est un premier élément de réponse à l'intervention de notre collègue.

Deuxième question de fond : existe-t-il un peuple européen ? Je n'ai, pour ma part, jamais employé cette expression. La réponse, aujourd'hui, ne fait pour moi aucun doute : non ! Mais existe-t-il un citoyen européen ? Je pense que la réponse sera bientôt oui. Progressivement, nous construisons un univers où chaque homme peut être à la fois citoyen d'un pays de l'Union et citoyen européen. Ce n'est pas antagoniste ni contraire à l'existence des nations. Je suis même convaincu que la coexistence d'une citoyenneté nationale et d'une citoyenneté européenne évite le nationalisme et que c'est heureux. Qui de nous peut se réjouir de l'exaltation de l'idée de nation que nous avons connue chez nos voisins serbes ou croates ? Personne, car nous en connaissons les conséquences !

M. François Loncle.

Exactement !

M. Gérard Fuchs.

Ma troisième remarque porte sur le référendum. Nous en avons déjà beaucoup parlé.

Soumettre un traité européen à référendum est une bonne idée quand celui-ci comporte ce que j'appellerai une idée centrale.

M. René André.

Bien sûr !

M. Gérard Fuchs.

Dans le traité de Maastricht, nous savions bien quelle était, à tort ou à raison - j'en aurais préféré d'autres - cette idée centrale. C'était celle de la monnaie unique et l'on pouvait demander aux Français s'ils acceptaient de s'engager dans cette direction ? Monsieur Georges Sarre, fallait-il demander par référendum aux Français de se prononcer pour ou contre l'intégration du protocole social dans le corps du traité, pour ou contre la création d'un chapitre sur l'emploi, pour ou contre la reconnaissance de l'existence de la notion de service d'intérêt général, pour ou contre la réfé rence à un développement durable ou pour ou contre une nouvelle politique des consommateurs ? Le rôle, et la légitimité, du Parlement est de s'exprimer sur des sujets complexes, pluriels et divers. Il est mandaté pour cela. Le peuple, quant à lui, reste souverain et peut éventuellement, à une autre étape, manifester son approbation ou sa désapprobation.

Ma quatrième et dernière remarque porte sur le temps de l'examen. Cher collègue, faut-il vous rappeler à cette heure avancée de la nuit, que nous sommes le dernier pays de l'Union européenne à ratifier le traité d'Amsterdam ? Ce faisant - pour présenter les choses positivement - les parlementaires français apparaissent de l'extérieur comme des gens posés qui prennent le temps de la réflexion avant de se prononcer. Si nous demandions un délai supplémentaire, de quelques mois, je craindrais que nous n'apparaissions du coup un peu lents d'esprit.

(Sourires.) Je ne pense pas que cela servirait notre assemblée.

J'en viens à ma conclusion. Notre collègue Georges Sarre ouvre un vrai débat et pose une vraie question : la nation est-elle ou non le cadre ultime de l'organisation du débat politique ? Pour lui, la réponse est oui. Pour les élus du groupe socialiste, elle est non.

Nous parlons, nous, de fédération d'Etats-nations.

Le mot « fédération » est employé, pour désigner non pas un quelconque abandon de souveraineté, mais au contraire un exercice en commun de souveraineté, car nous croyons qu'il est la meilleure - et même la seule réponse à la mondialisation libérale qui, sinon, nous noiera tous.

Pourquoi une fédération d'Etats ? Parce que nous croyons que des Etats sont nécessaires pour assurer et garantir une régulation économique et sociale que le marché n'assure pas seul.

Pourquoi enfin une fédération d'Etats-nations ? Parce que nous sommes Français et que nous pensons qu'il existe une identité française. Nous ne souhaitons pas que l'Union européenne mette en cause cette identité, ni aujourd'hui ni demain.

En résumé, nous sommes favorables à une fédération d'Etats-nations parce que nous sommes et Français et socialistes.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. René André, pour le groupe du Rassemblement pour la République.

M. René André.

Monsieur le président, mes chers collègues, le groupe du Rassemblement pour la République votera contre la motion d'ajournement présentée par

M. Georges Sarre.

J'ai assez peu apprécié que notre collègue mette une nouvelle fois en cause la façon dont le traité d'Amsterdam a été négocié par le gouvernement Juppé. Chacun, je pense, s'accorde à reconnaître que ce traité comporte des zones d'ombre et des zones de lumière. En tout état de cause, l'actuel gouvernement avait la possibilité de le renégocier s'il ne lui convenait pas.

Je pense donc que tout a été dit sur ce sujet. Le débat ne doit pas être obscurci par des considérations de politique intérieure. Une telle observation n'y avait pas sa place. C'est de la construction européenne qu'il s'agit.

J'ai d'ailleurs constaté, mon cher collègue, que c'est autant le procès de l'Europe que celui du traité d'Amsterdam que vous avez fait. Pourquoi le cacher ? Un certain nombre de nos collègues, à un moment donné, ont sinon eu une position semblable à la vôtre, du moins partagé certaines de vos options. Il n'en demeure pas moins que nous avons évolué et nous considérons que, à vous suivre, la France se retrouverait hors jeu sur le terrain européen.

Si l'on peut comprendre l'exaspération, dont vous vous êtes fait l'écho, de certains de nos concitoyens contre la façon dont se construit l'Europe, nous considérons cependant que ce serait baisser les bras, se résigner, se cantonner dans une attitude de pur et simple rejet de la construction européenne que de vous suivre et d'abonder dans votre sens.

Nous devons cesser de paraître subir l'Europe. Nous devons, au contraire, exprimer haut et fort l'Europe que nous voulons, qui n'est d'ailleurs pas nécessairement, selon l'expression employée aujourd'hui, une fédération


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

de nations. Je découvre là un thème qui, à n'en pas douter, sera repris par certains dans les semaines ou les mois qui viennent.

Pour notre part, nous sommes attachés à l'idée d'une Europe qui retienne et mette en valeur la notion de nation à laquelle nous sommes, tout autant que vous, attachés. Mais le Rassemblement pour la République estime que la France ne doit pas être spectatrice de la construction européenne ; elle doit en être l'inspiratrice et nous entendons que notre responsabilité y soit directement engagée.

Vous avez évoqué, mon cher collègue, la nécessité d'un référendum. Comme les arguments développés tout au long de l'après-midi et de la soirée le montrent, il était p ratiquement impossible, convenez-en, de proposer sérieusement un référencum en raison de la multitude des questions posées par le traité d'Amsterdam, duquel ne se dégage aucune idée forte. D'ailleurs, évoquer la question d'un référendum s'apparente, pour moi, à une simple manoeuvre.

Il est tout à fait normal que les citoyens de la République française puissent s'exprimer sur la construction européenne. Ils auront l'occasion, lors des élections européennes qui se dérouleront dans quelques mois, de faire connaître leurs choix et leurs engagements à cet égard.

Vous avez exprimé, enfin, votre attachement, et c'est un sentiment pour lequel j'ai beaucoup de respect, à la France et à la nation. Si nous voulons construire l'Europe, c'est précisément parce que nous voulons à la fois que la France continue à s'exprimer haut et fort au sein de l'Europe en tant que nation et que l'Europe cesse d'être un nain politique.

Concernant les problèmes de l'Irak, que vous avez évoqués, mon engagement européen est motivé par la raison inverse de celle que vous avez exprimée. Si nous vous suivions, nous aboutirions, à coup sûr, à faire de l'Europe, comme le souhaitent nos amis britanniques, une vaste zone de libre-échange et nous laisserions alors les mains libres à nos alliés américains qui feraient de l'Europe ce qu'ils voudraient. Au contraire, l'Europe politique que nous sommes en train de construire, l'Europe dont le traité d'Amsterdam jette les premières bases, est un pas vers l'émergence d'une Europe plus forte.

Mes chers collègues, je ne sais pas si, à trois heures du matin, il est convenable de citer Sieyès, mais je terminerai par là.

M. Georges Sarre.

Allons-y !

M. René André.

« Qu'est-ce que le tiers état ? » demandait-il. « Tout ».

« Qu'a-t-il été jusqu'à présent dans l'ordre politique ? Rien. »

« Que demande-t-il ?... »

M. Jean-Pierre Michel et M. Georges Sarre.

Tout !

M. René André.

« ... A y devenir quelque chose. »

L'Europe n'est pas grand-chose actuellement mais, avec une politique de petits pas comme ceux proposés par le traité d'Amsterdam, elle peut devenir, en tout cas, c'est ce que je souhaite, un acteur majeur sur la scène internationale.

Telles sont les raisons pour lesquelles je ne pourrai pas vous suivre, mon cher collègue, Georges Sarre.

M. le président.

La parole est à M. Pierre Laquiller, pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants.

M. Pierre Lequiller.

Monsieur le président, le groupe Démocratie libérale et Indépendants votera aussi contre la motion d'ajournement. C'est parce que nous sommes Français que nous sommes pro-européens. Il est de l'intérêt de la France que l'Europe se construise et joue un rôle dans le monde.

Nous sommes aujourd'hui dans un monde unipolaire, dominé par les Etats-Unis, Etats-Unis que vous critiquez souvent monsieur Sarre. C'est précisément parce que nous souhaitons que le monde ne soit plus unipolaire et que l'Europe puisse s'exprimer d'une voix forte face aux

Etats-Unis, que nous voulons que la construction européenne progresse.

Sur l'euro, je suis d'accord avec vous : il connaîtra des périodes fastes et des périodes plus difficiles. Mais l'important, là encore, est que l'Europe fasse le poids face aux

Etats-Unis. Qui plus est, la monnaie unique est un fantastique promoteur de paix. On n'insiste pas assez sur ce rôle de l'euro. Je trouve extraordinaire, sur le plan symbolique, que des peuples qui autrefois se sont déchirés à travers des guerres mondiales, aient demain la même monnaie.

M. Jean-Pierre Michel.

Cela n'a aucun sens ! En Yougoslavie, la monnaie unique n'a pas empêché la guerre !

M. Pierre Lequiller.

C'est un facteur de paix à l'intérieur de l'Europe. En tout cas, il consolidera la paix sur notre continent.

En ce qui concerne l'immigration, je rappelle que c'est le Président de la République qui a introduit le délai de cinq ans pour permettre justement, monsieur Sarre, de vérifier que les mesures que nous engageons fonctionneront bien. Vous affirmez que le traité d'Amsterdam ne sert à rien dans ce domaine. Je crois, au contraire, que, dans une Europe de libre circulation, il faut consolider les frontières extérieures pour pouvoir supprimer les frontières intérieures. Et c'est par la concertation, et uniquement par elle, que l'on parviendra à combattre l'immigration clandestine, le terrorisme, le tourisme sexuel et les problèmes de drogue.

J'ai déjà répondu sur la question du référendum et beaucoup d'intervenants également : ce traité, d'une part, est trop compliqué pour qu'un référendum permette de dégager une réponse claire et, d'autre part, il n'a pas l'importance du traité de Maastricht qui, lui, méritait un référendum. La complexité même du texte d'Amsterdam imposait de l'étudier au niveau du Parlement, afin de pouvoir en examiner tous les aspects.

Une remarque en revanche de M. Sarre appelle une observation de ma part. Il a parlé d'un examen sans discussion et en catimini. Ce n'est pas, me semble-t-il, le cas du traité d'Amsterdam, puisqu'il a fait précisément l'objet de deux débats importants tout à la fois dans les deux assemblées et au Congrès.

M. Jean-Pierre Michel.

Le spectacle n'était pas terrible ce soir !

M. Pierre Lequiller.

Cela dit, force est d'admettre que, en général, les sujets européens sont insuffisamment traités dans cet hémicycle. Nous n'en parlons qu'au moment des textes importants comme les ratifications de traité ou le passage à l'euro. J'ai cité tout à l'heure le cas des pays voisins : le Bundestag par exemple, a pris plusieurs mois pour examiner l'entrée de l'Allemagne dans l'euro avec de nombreux débats, des auditions, des motions, des réunions de commissions. Par comparaison, le Parlement français parle beaucoup trop épisodiquement de l'Europe.

Nous devrons, me semble-t-il, trouver des formules qui


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

permettraient d'interroger beaucoup plus régulièrement les ministres sur leur activité au sein du Conseil. J'avais suggéré à la délégation européenne ainsi qu'à M. le ministre, et je réitère cette demande qui s'adresse en fait davantage à la présidence, que l'on organise tous les deux mois une séance de questions au Gouvernement exclusivement consacrée aux questions européennes. Cela permettrait aux ministres de répondre sur leur action au Conseil des ministres, mais également à nos concitoyens qui observent cet hémicycle à la télévision, d'être beaucoup plus régulièrement informés des affaires de l'Europe.

M. René André.

Très bien !

M. le président.

Je mets aux voix la motion d'ajournement.

(La motion d'ajournement n'est pas adoptée.)

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

2 DE PÔT D'UN RAPPORT

M. le président.

J'ai reçu le 2 mars 1999, de M. Michel Vauzelle, un rapport, no 1411, fait au nom de la commission des affaires étrangères sur le projet de loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam modifiant le traité sur l'Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains axes connexes (no 1365).

3 DÉPÔT DE RAPPORTS EN APPLICATION DE LOIS

M. le président.

J'ai reçu, le 22 février 1999, de M. le Premier ministre, en application de l'article 41 de la loi no 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, un rapport sur l'application de cette loi.

J'ai reçu, le 24 février 1999, de M. le Premier ministre, en application de l'article 23-4 de la loi no 75-633 du 15 juillet 1975 relative à l'élimination des déchets et à la récupération des matériaux, un rapport sur les transferts transfrontaliers de déchets en 1995.

4 DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI ADOPTÉ PAR LE SÉNAT

M. le président.

J'ai reçu, le 19 février 1999, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, adopté par le Sénat, sur l'innovation et la recherche.

Ce projet de loi, no 1410, est renvoyé à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, en application de l'article 83 du règlement.

5 DÉPÔT D'UN PROJET DE LOI

MODIFIÉ PAR LE SÉNAT

M. le président.

J'ai reçu, le 2 mars 1999, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi, modifié par le Sénat, portant réforme du code de justice militaire et du code de procédure pénale.

Ce projet de loi, no 1413, est renvoyé à la commission de la défense nationale et des forces armées, en application de l'article 83 du règlement.

6

ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SE ANCES

M. le président.

Mercredi 3 mars 1999, à onze heures quinze, première séance publique : Suite de la discussion du projet de loi, no 1365 rectifié, autorisant la ratification du traité d'Amsterdam modifiant le traité sur l'Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes.

M. Michel Vauzelle, rapporteur, au nom de la commission des affaires étrangères (rapport no 1411 et rapport d'information no 1402), M. Guy-Michel Chauveau, rapporteur pour avis, au nom de la commission de la défense nationale et des forces armées (avis no 1405).

A quinze heures, deuxième séance publique : Questions au Gouvernement ; Explications de vote et vote, par scrutin public, sur l'ensemble du projet de loi autorisant la ratification du traité d'Amsterdam modifiant le traité sur l'Union européenne, les traités instituant les Communautés européennes et certains actes connexes.

Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage : M. Alain Néri, rapporteur (rapport no 1364).

Discussion, en deuxième lecture : Du projet de loi organique, no 1157, relatif aux incompatibilités entre mandats électoraux ; Du projet de loi (no 1158) relatif aux incompatibilités entre mandats électoraux et fonctions électives.

M. Bernard Roman, rapporteur, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 1400).

Discussion générale commune.

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 3 mars, à trois heures quinze.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 2 MARS 1999

TEXTES SOUMIS EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION TRANSMISSION DE PROPOSITIONS D'ACTES COMMUNAUTAIRES

M. le Premier ministre a transmis, en application de l'article 88-4 de la Constitution, à M. le président de l'Assemblée nationale, les textes suivants : COMMUNICATION DU 22 FÉVRIER 1999 E 1215. - Proposition de décision du Conseil relative à l'adhésion de la Communauté européenne au règlement no 67 de la commission économique pour l'Europe des Nations unies concernant l'homologation des équipements spéciaux des automobiles utilisant les gaz de pétrole liquéfiés dans leur systèm e de propulsion (COM [99] 14 FINAL) ; E 1216. - Proposition de décision du Conseil relative à l'acceptation d'amendements à la convention pour la protection de la mer Méditerranée contre la pollution et au protocole relatif à la prévention de la pollution par les opérations d'immersion effectuées par les navires et aéronefs (convention de Barcelone) (COM [99] 29 FINAL) ; E 1217. - Proposition de règlement (CE) du Conseil sur les mesures destinées à favoriser la pleine intégration de la dimension environnementale dans le processus de développement des pays en développement (COM [99] 36 FINAL) ; E 1218 - Proposition de règlement (CE) du Conseil relatif à des mesures visant à promouvoir la conservation et la gestion durable des forêts tropicales et autres forêts dans les pays en développement (COM [99] 41 FINAL).

COMMUNICATION DU 23 FÉVRIER 1999 E 1219. - Projet de décision du Conseil déterminant les bases juridiques pour l'acquis de Schengen qui a été révisé à la suite de la réunion du groupe « Acquis de Schengen » des 14 et 15 mai (SCHENGEN 11/6816/98 REV 4).

COMMUNICATION DU 26 FÉVRIER 1999 E 1220. - Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative aux conditions de détachement des travailleurs salariés ressortissants d'un Etat tiers dans le cadre d'une prestation de services transfrontaliers. Proposition de directive du Parlement européen et du Conseil étendant la libre prestation de services transfrontaliers aux ressortissants d'un Etat tiers établis à l'intérieur de la Communauté (COM [99] 3 FINAL).

NOTIFICATION D'ADOPTION DÉFINITIVE Il résulte d'une lettre de M. le Premier ministre qu'a été adopté définitivement par les instances communautaires le texte suivant : COMMUNICATION DU 1er MARS 1999 E 716. - (COM [96] 466 FINAL) - Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion par la CE de l'accord intérimaire pour le commerce et les mesures d'accompagnement entre la CE, la Communauté européenne du charbon et de l'acier et la Communauté européenne de l'énergie atomique, d'une part, et la République d'Ouzbékistan, d'autre part (Décision du Conseil du 30 avril 1998).

RETRAITS Il résulte d'une lettre de M. le Premier ministre, en date du 1er mars 1999, qu'ont été retirés par les instances communautaires, le 7 février 1998, les textes suivants : E 222. - Proposition de règlement (CECA, CE, Euratom) du Conseil modifiant le règlement financier du 21 décembre 1977 applicable au budget des Communautés européennes ; E 432 - Proposition de règlement du Conseil relatif à l'appui aux programmes de réhabilitation en Afrique australe.