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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 MARS 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. PATRICK OLLIER

1. Droits des usagers. - Discussion d'une proposition de loi (p. 2603).

M. François Goulard, rapporteur de la commission des affaires culturelles.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles.

M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 2607)

MM. Dominique Bussereau, Jean Rouger, Mme Michèle Alliot-Marie,

M.

Jean-Michel Marchand, Mmes Anne-Marie Idrac, Muguette Jacquaint, Claudine Ledoux,

MM. Jacques Pélissard, Jean-Jacques Filleul, Pierre Carassus, Alain Néri.

Clôture de la discussion générale.

L'Assemblée décide de ne pas passer à la discussion des articles.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

2. Aménagement de l'ordre du jour prioritaire (p. 2622).

M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement.

3. Ordre du jour des prochaines séances (p. 2622).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 MARS 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. PATRICK OLLIER,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1

DROITS DES USAGERS Discussion d'une proposition de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Dominique Bussereau et plusieurs de ses collègues visant à protéger les droits des usagers, à améliorer le dialogue social et à assurer la continuité dans les services publics (nos 1404, 1458).

La parole est à M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. François Goulard, rapporteur de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Monsieur le président, monsieur le ministre chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, les grèves dans le service public, en particulier dans les services de transport, touchent un nombre considérable de nos compatriotes.

Elles contribuent à rendre leur vie quotidienne plus difficile, notamment dans les grands villes et tout spécialement en région parisienne. S'y intéresser est donc pour la représentation nationale non seulement un droit, mais un devoir.

Du reste, le Président de la République lui-même nous y invite dans les termes suivants, extraits de son discours prononcé le 4 décembre dernier devant le conseil régional de Bretagne : « Il n'est pas acceptable, dans une démocratie moderne, que les services publics aient le triste monopole de grèves qui paralysent en quelques heures toute l'activité d'une agglomération, quand elles n'affectent pas la France tout entière. C'est le symptôme des défaillances de notre dialogue social. C'est aussi, bien souvent, l'aveu d'une démission de l'Etat. La grève est un droit, mais il est essentiel que les entreprises de service public s'accordent avec leur personnel sur les procédures efficaces de prévention des grèves et sur l'organisation concertée d'uns ervice minimum. A défaut d'entente, des règles communes à tous les services publics devraient pouvoir s'appliquer. »

C'est très précisément à quoi s'attache la présente proposition de loi présentée par notre collègue Dominique Bussereau et cosignée par les présidents des trois groupes de l'opposition : inciter à l'amélioration du dialogue social grâce à la mise en oeuvre de procédures spécifiques et, si aucun accord n'est trouvé entre les partenaires sociaux, définir des règles permettant le respect du principe de continuité du service public.

Ce faisant, le législateur doit respecter scrupuleusement le droit de grève. Celui-ci, vous le savez, a valeur constitutionnelle. Cependant, comme l'indique le Conseil constitutionnel dans une décision du 25 juillet 1979, les constituants ont entendu marquer, certes, que le droit de grève est un principe de valeur constitutionnelle, mais qu'il a des limites, et ils ont habilité le législateur à tracer celles-ci en opérant la conciliation nécessaire entre la défense des intérêts professionnels, dont la grève est un moyen, et la sauvegarde de l'intérêt général auquel la grève est de nature à porter atteinte.

Voilà tracées les grandes lignes de la nécessaire conciliation entre le respect du droit de grève, d'une part, et celui du principe de continuité du service public, d'autre part.

La proposition de loi soumise à notre examen ce matin s'inscrit parfaitement dans cette perspective. Malheureusement, alors que d'une discussion approfondie en commission auraient pu naître des améliorations formelles, voire substantielles, d'un texte incontestablement intéressant, votre commission, dans sa séance du 10 mars 1999, a décidé de suspendre son examen et de ne pas présenter de conclusions. C'est dire si l'issue de notre discussion a peu de chances de lui être favorable. Permettez-moi cependant de vous présenter rapidement l'articulation de la proposition de Dominique Bussereau.

L'article 1er définit le champ d'application par référence à l'article L. 521-2 du code du travail. Cet article, qui définit les personnels soumis à l'obligation du dépôt d'un préavis de grève parce que participant au service public, vise les personnels de l'Etat, des collectivités territoriales, à l'exception des communes de moins de 10 000 habitants, et des entreprises, des organismes et établissements publics ou privés dès lors qu'ils gèrent un service public.

L'article 2 de la proposition de loi tend, à la lumière des expériences déjà menées dans certains services publics, particulièrement à la RATP, à donner une impulsion nouvelle aux procédures permettant l'amélioration du dialogue dans les entreprises, organismes et établissements visés dans l'article 1er

L'obligation de négociation vise bien sûr seulement les organismes de droit privé chargés d'un service public et des établissements publics industriels et commerciaux.

Elle ne touche pas les agents sous statut qui échappent au champ de la négociation collective.

L'article 3 fait obligation aux dirigeants et aux salariés de négocier des conventions visant à améliorer le dialogue social et d'y faire figurer une procédure d'anticipation des conflits à laquelle il serait obligatoire de recourir avant le déclenchement d'un arrêt de travail. Le soin de définir les modalités de ces procédures est confié par le législateur aux partenaires sociaux, ceux-ci étant naturellement les mieux à même de trouver les modalités les plus appropriées à la situation de leur entreprise.

Il faut souligner que cette procédure d'anticipation des conflits, qui interviendrait en amont, en phase « préconflictuelle » va plus loin que la simple obligation de négocier faite aux partenaires sociaux pendant la durée du préavis. Tout d'abord, parce qu'elle oblige à la formula-


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tion d'un accord ou d'un désaccord à l'issue des discussions, au-delà du seul engagement de celle-ci ; ensuite, parce qu'elle sous-entend qu'il soit procédé à une réflexion plus globale sur l'organisation de l'entreprise.

C'est précisément ce qui a été fait dans l'accord à la RATP, que beaucoup d'entre nous considèrent à ce titre comme exemplaire.

Toutefois, il serait souhaitable à mon avis de légèrement modifier la rédaction de cet article, en prévoyant notamment une limite à la durée de la phase pendant l aquelle se déroule la procédure d'anticipation des conflits.

Ce n'est qu'en cas de carence de la négociation collective à l'issue d'un délai d'un an que le recours à une procédure de conciliation pourrait être imposé aux partenaires sociaux. L'article 4, en l'absence d'accord prévoyant une procédure conventionnelle d'anticipation des conflits, rend obligatoire la comparution des parties devant les commissions de conciliation prévue par le code du travail.

Le recours obligatoire aux commissions de conciliation en cas d'absence de procédure conventionnelle dans l'entreprise doit évidemment constituer une puissante incitation à trouver une solution négociée qui sera, par hypothèse, toujours la plus efficace.

Lorsque les procédures de concertation ont échoué et lorsque le recours à la grève paraît inévitable, la proposition de Dominique Bussereau vise à mettre en place des règles dont le but est de préserver aussi bien les droits des personnels que ceux des usagers. C'est ainsi que l'article 5 de la proposition de loi rend obligatoire la consultation des salariés par un vote au scrutin secret sur le déclenchement ou la poursuite de la grève, la décision devant alors être prise à la majorité des voix.

J'ai exprimé en commission ma préférence personnelle pour la solution qu'avait adoptée le Sénat dans une proposition de loi dont le but, sur ce point précis, était analogue. L'article 3 du texte sénatorial rend en effet la consultation des salariés obligatoire uniquement dans un souci de transparence et non pour déterminer une décision quant à la grève.

La proposition de loi instaure enfin ce que l'on peut appeler un service minimum en cas d'échec de la négociation collective. Le but est bien entendu, c'est le point le plus important, de préserver les intérêts et les droits des usagers. Le service minimum reste évidemment une solution palliative, prévue dans un secteur - les transports publics - où la grève est extrêmement pénalisante pour l'usager, et limitée aux heures de grande affluence.

Les articles 6 et 7 de la proposition dispose que la mise en place du service minimum doit d'abord s'effectuer de façon contractuelle, afin d'en définir au mieux les modalités. Toujours selon le même mécanisme, si, dans un délai d'un an suivant la promulgation de la loi, aucun service minimum n'a été établi par voie d'accord, celui-ci sera instauré par décret après consultation des partenaires sociaux.

T elles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les grandes lignes d'une proposition raisonnable, équilibrée, dont l'objet est de répondre à un problème évident. Certes, la majorité de cette assemblée peut repousser ce texte. Elle peut ausi décider de ne pas procéder à l'examen des articles, mais elle ne pourra pas nier l'existence d'un problème auquel notre opinion est très sensible.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe du Rassemblement pour la République.)

M. le président.

La parole est à M. le président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. Jean Le Garrec, président de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

Monsieur le rapporteur, personne ne nie l'importance du sujet : il suffit de regarder les réactions de l'opinion publique et les sondages.

C'est un débat difficile que nous engageons ce matin, tant il est vrai que nous sommes à la croisée de deux problèmes dont la résolution s'apparente à celle de la quadrature du cercle : d'un côté, le respect absolu d'un droit de grève inscrit dans la Constitution, résultat d'un siècle de luttes ouvrières, de l'autre, le principe de la continuité du service public, reconnu comme partie du bloc de constitutionnalité par plusieurs décisions du Conseil constitutionnel.

Ce problème interroge chacun d'entre nous et nous devons le poser sur deux plans. Existe-t-il une possibilité de réponse par une approche législative ? Mon argumentation tendra à prouver que non. N'est-il pas indispensable d'avancer par la voie conventionnelle et la négociation ? La voie législative me paraît non seulement dangereuse, techniquement inapplicable, mais également contraire à l'objectif d'une recherche de solution. Quelques références suffisent pour le démontrer.

Depuis 1988, onze propositions de loi ont été proposées sur ce même sujet, suivant le même principe. Toutes ont échoué et ce n'est pas par hasard : on a bien vu, à chaque fois, la difficulté d'avancer sur le terrain législatif.

Vous-même, monsieur le rapporteur, avez du reste bien senti cette difficulté : vous avouez avoir été fortement tenté de réécrire très profondément le texte de M. Bussereau, sentant bien que le point d'équilibre n'était pas atteint.

En février 1999, le Sénat s'est livré à un travail de fond extrêmement intéressant. j'ai lu avec attention le rapport qui en est issu : il aboutit davantage à des déclarations d'intention, à des présupposés, qu'à de véritables réponses. Pourtant, nul ne peut crier l'intérêt des interrogations de la Haute assemblée qui a procédé à des contacts multiples, tant avec les syndicats qu'avec les responsables des organisations de service public.

C'est que la voie législative est non seulement dangereuse, elle est aussi techniquement difficile. Il est clair, en effet, que la diversité des situations ne peut se résumer en un seul texte législatif. L'essentiel de votre intervention, monsieur Goulard, porte sur les transports particulièrement ferroviaires et je le comprends très bien. Or on ne peut raisonner de la même manière pour la région parisienne, pour les grandes villes ou pour les milieux caractérisés par des transports plus diffus. Du reste, un membre de la majorité sénatoriale, M. Chérioux, a lui-même reconnu que « le service minimum dans les services publics était difficile à mettre en oeuvre en raison des situations et des contraintes techniques ». Cette phrase d'un sénateur de droite me paraît résumer assez clairement les difficultés de l'exercice.

La SNCF a tenu compte de ces contraintes techniques, en mettant en place ses principes de service, G1, G2, dont la portée reste somme toute relativement limitée.

Du reste, si l'on pousse le raisonnement jusqu'au bout, on voit bien qu'un service minimum aboutit, dans le cadre de la région parisienne, dès lors que l'on veut prendre en compte tous les problèmes posés, à un service maximum dans des périodes de temps certes très limitées.

M. Dominique Bussereau.

Tout à fait !


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M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Autrement dit, le sens même de service minimum n'a pas de signification : il s'agit bel et bien, entre cinq et neuf heures et dix-huit et vingt heures, d'un service maximum, avec toutes les contraintes techniques que cela suppose, et particulièrement le problème très important de la sécurité qu'il nous faut absolument prendre en compte.

Chercher à traiter cette question par le biais législatif ne règle donc rien. Et si une telle approche donne l'impression d'aborder le problème, elle éloigne au contraire des solutions possibles, entraînant une crispation des intéressés, une situation conflictuelle qui empêche toute évolution du débat. Voilà, au-delà du débat idéologique que je ne veux pas aborder, les raisons très précises pour lesquelles je ne crois pas que la proposition de M. Bussereau, au demeurant mal construite dès le départ, apporte une solution au problème qu'il pose.

Bien évidemment, il n'en faut pas moins chercher à traiter le problème. Une autre approche me semble possible, car elle correspond à trois principes que je voudrais é voquer très rapidement : la nécessité, la prise de conscience et la contagion de la négociation.

La nécessité : on sent bien, à travers les enquêtes d'opinion, que l'usager, le client - les appellations sont diverses - se trouve pris entre deux pressions très fortes.

D'un côté, un très grand respect du droit de grève, y compris lors de conflits extrêmement durs ; de l'autre, le refus d'une gêne qui parfois devient insupportable.

Le président de la SNCF, Louis Gallois, disait d'ailleurs en parlant de cette grande entreprise qu'il était anormal qu'avec moins de 1 % de la population, la SNCF représente 20 ou 30 % des jours de conflit en France, parfois plus, et que rien ne justifiait cette situation. J'avais d'ailleurs moi-même lancé en 1985 un débat sur le thème « service public, service du public ». Il est plus que jamais d'actualité.

Il est vrai qu'à la SNCF, un certain nombre de raisons expliquent ces tensions très fortes - réductions d'effectifs, pressions sur le personnel - mais une nécessité apparaît.

Est-elle perçue par les agents du service public ? Je crois qu'ils sentent très bien que toute interruption des services publics est perçue d'une manière négative.

Cela implique une grande réflexion sur le modèle social de l'entreprise. Le directeur des relations humaines de la SNCF a dit dans une phrase assez étonnante que le modèle de la SNCF était militaro-hiérarchique. Ça ne s'invente pas ! C'est une entreprise traditionnellement gérée par des ingénieurs qui comprennent difficilement que les avancées techniques ne puissent pallier les insuffisances du management, ajoutait-il. Et ça, on l'a perçu à chaque fois lors des grands conflits.

Il y a donc une situation à prendre en compte, et c'est à l'entreprise de le faire. Comme il est dit d'ailleurs dans le protocole d'accord de la RATP, la grève constitue un échec du dialogue social.

L'allongement de la durée du préavis ne changera rien car les syndicalistes interrogés disent eux-mêmes que, pendant cinq jours, il ne se passe rien, que tout le monde se regarde, sans se parler, sans s'écouter.

J'évoquais la contagion de la négociation. Il est vrai que l'accord obtenu à la RATP est très intéressant et très important. Le nombre de préavis de grève est passé en peu de temps de 800 à 200 en moyenne, ce qui représente une très grande évolution. Le ministre des transports, Jean-Claude Gayssot, souhaitait d'ailleurs que soit généralisé ce principe d'alarme sociale ou de prévenance sociale - peu importe les mots, on voit bien ce qu'ils recouvrent. Je sais que ce travail de négociation est en cours à la SNCF.

C'est ce sur quoi nous devons réfléchir, ce sur quoi l'entreprise doit réfléchir. Cela implique une transformation des rapports sociaux et probablement aussi une déconcentration des espaces de négociation, c'est-à-dire, tout compte fait, la remise en cause d'un modèle pyramidal militaro-hiérarchique, comme le dit lui-même le directeur des relations humaines de la SNCF, en posant le problème de ce thème de campagne que j'avais initié en 1985 « service public, service du public », mais en s'appuyant sur ce qui est très fort parmi les agents de cette grande entreprise, un extraordinaire amour de leur métier, une grande passion pour leur entreprise et la conscience que c'est en prenant en compte cette dimension qu'ils pourront avancer.

Le débat que nous avons ce matin, monsieur le rapporteur, a un intérêt incontestable. Je suis convaincu, et je me suis efforcé de le démontrer, qu'une approche purement législative de ce problème n'aboutit à rien et est même dangereuse et contradictoire avec le but recherché, mais, par ailleurs, je suis totalement convaincu que, pour sauvegarder cette grande notion de service public, il faut remettre en cause tout l'espace social de négociation, transformer les comportements et l'approche hiérarchique des problèmes et déconcentrer les lieux de négociation. Je suis persuadé qu'une telle réflexion est en cours et qu'elle aboutira à des solutions positives tant pour le service public que pour les usagers. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. le ministre des relations avec le Parlement.

M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement.

Monsieur le président, mesdames, messieurs les députés, des voix s'élèvent régulièrement, toujours du même côté, c'est-à-dire de la droite de cet hémicycle - de préférence quand elles sont dans l'opposition -, à chaque fois que des grèves touchent le secteur public, et proposent de légiférer sur le service minimum.

Mme Michèle Alliot-Marie.

On peut essayer d'améliorer les choses.

M. le ministre des relations avec le Parlement.

Je vous épargne la liste des dix propositions intervenues en la matière, qui, il faut le rappeler, n'ont jamais abouti, ainsi que les déclarations beaucoup plus modérées faites sur ce thème par opposition lorsqu'elle était aux responsabilités.

Mme Michèle Alliot-Marie.

Je préférais le ton du président de la commission.

M. le ministre des relations avec le Parlement.

Un texte de loi en ce sens, plus habile que celui qui vous est soumis aujourd'hui, bien qu'il réponde aux mêmes préoccupations politiques, a été adopté par la majorité sénatoriale il y a un mois, contre l'avis du Gouvernement. Mon c ollègue Emile Zucarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, avait à l'époque justement dénoncé son caractère démagogique.

Mme Michèle Alliot-Marie.

Ca y est, on est en pleine polémique ! Le sujet mérite mieux !

M. Dominique Bussereau.

Oui, ça commence mal.

M. le ministre des relations avec le Parlement.

Le texte dont vous débattez aujourd'hui rejoint cette série de propositions. Il me paraît également particulièrement dangereux et largement contradictoire dans ses objectifs, j'y reviendrai.


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En préalable, je rappelle que la grève est l'une des grandes conquêtes du mouvement syndical et qu'elle est un droit reconnu et protégé par la Constitution.

Ce que je souhaite souligner en premier lieu, c'est que la réponse aux difficultés que peut susciter l'usage du droit de grève dans le service public ne réside pas dans une solution législative univoque et contraignante. C'est une évidence et l'opposition elle-même se rangeait à cette analyse lorsqu'elle était au pouvoir. C'est aussi ce qu'a constaté le Sénat lors des auditions auxquelles il a procédé.

Or quel est l'objet de cette proposition ? Encourager la mise en place de mécanismes de prévention des conflits reposant sur un dialogue social constructif ou faire peser la menace d'une intervention unilatérale ultérieure du pouvoir réglementaire en cas de carence du dialogue social et d'échec des solutions négociées ? Que recherchent réellement ceux qui soutiennent cette initiative ? Veulent-ils le développement d'une politique contractuelle confiante ou préfèrent-ils des effets d'annonce résultant d'une intervention législative qui provoquera inévitablement davantage de conflits et bloquera les initiatives en cours ?

M. Dominique Bussereau.

Il ne faut pas fâcher M. Thibault, hein ?

M. le ministre des relations avec le Parlement.

La réponse me semble évidente et c'est pourquoi je ne peux que m'opposer,...

M. Jean-Michel Marchand.

Très bien !

M. le ministre des relations avec le Parlement.

... au nom du Gouvernement, à cette initiative qui repose sur une approche simpliste et imprudente de la question de l'exercice du droit de grève dans les services publics.

M. Alain Néri.

Très bien !

M. le ministre des relations avec le Parlement.

La proposition de loi opère artificiellement une synthèse peu convaincante entre la prise en compte de la réalité des progrès incontestables accomplis depuis quelques années en matière de prévention des conflits et l'objet essentiel de ses auteurs qui est de restreindre le droit de grève des agents publics.

Cette proposition m'apparaît juridiquement très fragile, pratiquement inapplicable et, enfin, tout simplement superflue.

Et je dois vous mettre en garde. Ce texte, parce qu'il repose sur une méconnaissance assez forte des mécanismes du dialogue social et place la négociation de mécanismes de prévention des conflits sous la contrainte d'un cadrage normatif rigide et inadapté, ne pourra que paralyser l'évolution en cours dans la plupart des entreprises publiques.

M. Dominique Bussereau.

Il aurait fallu lire le texte avant.

M. le ministre des relations avec le Parlement.

Il est évidemment hautement souhaitable d'encourager la mise en place de systèmes de prévention des conflits, M. Zuccarelli l'a indiqué déjà devant le Sénat, Mme Aubry et M. Gayssot l'ont également souligné devant vous. Des systèmes d'alerte ont été institués à la RATP il y a deux ans ou à Air France l'été dernier, qui permettent de traiter les litiges en amont par la concertation. La direction de la SNCF et les organisations syndicales semblent prêtes à débattre sur ce thème. Les dispositifs existants fonctionnent bien parce qu'ils ont été mis en place dans le cadre d'une négociation contractuelle, libre et donc responsable, parce qu'ils reposent sur le sens des responsabilités des partenaires sociaux pour préserver les intérêts de l'usager ou du client. Ils fonctionnent bien parce qu'ils ne restreignent pas unilatéralement les droits légitimes des agents et qu'ils ont été consentis dans un climat de transparence et de confiance.

A ce titre, l'article 2, qui institue une simple invitation à négocier, pourrait paraître raisonnable.

L'article 3 l'est déjà nettement moins dès lors qu'il fixe une échéance impérative qui ne permettra pas de prendre en compte les spécificités du dialogue social propres à chaque établissement ou entreprise.

Il révèle également une méconnaissance certaine des relations sociales. Il est bien évident que rallonger de fait la durée du préavis et imposer un constat écrit des désaccords est de nature, contrairement à l'objectif poursuivi, à attiser les conflits, à braquer les partenaires sociaux sur des positions écrites qui ne pourront être amendées qu'après le déclenchement de la grève. C'est risquer, en bref, de conduire à plus de surenchères qu'à un apaisement du conflit.

J'ajoute, mais c'est presque un détail, que l'interdiction faite aux syndicats de déposer un préavis durant la période préconflictuelle s'analyse juridiquement comme une atteinte majeure à l'exercice du droit de grève...

Mme Claudine Ledoux.

Tout à fait !

M. le ministre des relations avec le Parlement.

... et qu'il y a de ce fait un risque certain d'inconstitutionnalité.

Enfin, l'intervention unilatérale du pouvoir réglementaire en cas de carence des partenaires sociaux prévue à l'article 4 me semble tout particulièrement contestable.

Les mécanismes de prévention qui fonctionnent sont le fruit d'une négociation approfondie et d'un consensus large. La contrainte extérieure ne saurait évidemment s'y substituer.

L'article 5 retrace bien l'état d'esprit des auteurs de la proposition de loi qui repose sur une défiance très marquée à l'égard des organisations syndicales considérées comme sources de tous les maux.

Au-delà de son caractère très probablement inconstitutionnel, dans la mesure où il constitue une atteinte manifeste au droit de grève, qui, je le rappelle, est avant tout un droit individuel même s'il s'exerce collectivement, je ne peux que souligner les contradictions inhérentes au dispositif proposé : d'une part, l'on souhaite recourir à la négociation collective en matière de prévention des conflits et de service minimum mais on la place sous contrainte de manière qu'elle ne puisse qu'échouer ; d'autre part, l'on conteste la représentativité des organisations avec lesquelles s'instaurera cette concertation en imposant un vote majoritaire préalable au dépôt du préavis. C'est pour le moins paradoxal même si je crois percevoir une logique qui est celle de la démagogie...

Mme Michèle Alliot-Marie.

Ah, là ça vous va bien, vous êtes effectivement un spécialiste !

M. le ministre des relations avec le Parlement.

... et de la diabolisation des syndicats, logique qui me semble simpliste. (Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste.)

Dans le même sens, les articles 6 et 7 traduisent clairement l'intention réelle des auteurs de cette proposition de loi : il s'agit bel et bien de préparer le terrain d'une intervention du pouvoir réglementaire sur le service minimum.


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M. Dominique Bussereau.

Absolument !

M. le ministre des relations avec le Parlement.

Le Gouvernement ne peut évidemment vous suivre. Il considère, je le rappelle, que le droit de grève est un acquis et un droit constitutionnel qui ne peut être remis en cause, dans ses conséquences, par la loi ou a fortiori le pouvoir réglementaire. Aussi la majorité actuelle, aujourd'hui comme hier, s'est-elle toujours refusée à l'institution par la loi d'un service minimum et s'en tient à cette attitude responsable.

D'ailleurs, je crois que l'opinion a parfaitement compris les difficultés que soulève cette notion de service minimum. Ce n'est pas la solution miracle pour trouver un juste milieu entre principe de continuité et droit de grève. C'est un pis-aller qui ne saurait constituer une réponse adaptée aux besoins des usagers.

Très concrètement, et au-delà des secteurs où, parce que c'était possible, il a d'ores et déjà été mis en oeuvre soit par la loi, soit par des dispositions réglementaires, soit par la concertation, l'institution d'un service minimum soulèverait des difficultés pratiques insurmontables, notamment dans les services de transport en commun, à moins de remettre en cause, avec un risque constitutionnel réel, je le répète, le droit de grève de la grande majorité des agents des services publics.

En toute hypothèse, le législateur ne saurait en la matière déléguer sa compétence au pouvoir réglementaire.

Il lui revient en effet de déterminer la nature des garanties nécessaires à la sauvegarde d'un droit constitutionnellement protégé, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel en 1985.

Je note d'ailleurs que c'est bien ce que pense l'opposition quand elle est aux responsabilités, car elle s'est toujours bien gardée de légiférer en la matière.

Au-delà du texte lui-même, le Gouvernement ne peut souscrire à la logique qui sous-tend l'approche des auteurs de la proposition. C'est le présupposé que les services publics seraient incapables de tenir compte des besoins de l'usager, contrairement au secteur privé, paré de toutes les vertus. C'est l'idée que les agents du service public et leurs représentants, attachés à la seule défense de leurs intérêts catégoriels, feraient volontairement échec à la mise en place de mécanismes de prévention des conflits ou à l'organisation concertée d'un service mininum.

Ces procès d'intention sont caricaturaux. Je puis vous assurer que le Gouvernement n'entend pas donner suite à de telles suggestions, que certains tentent d'ailleurs de réactiver à l'occasion du débat sur le temps de travail dans la fonction publique.

Pour autant, il faut prendre au sérieux les reproches qui peuvent être formulés à nos services publics lorsqu'ils sont fondés, y apporter les réponses adaptées, ce que le Gouvernement s'attache à faire au quotidien à travers la politique de modernisation des services publics qu'il a engagée.

La déconcentration, le développement de l'évaluation et la promotion du dialogue social sont indispensables.

Permettez-moi de rappeler que nombre d'initiatives fortes en matière de modernisation des services publics ont été prises par des majorités de gauche, qu'il s'agisse de la décentralisation en 1982, de la déconcentration en 1992, que plus personne ne conteste, ou de l'évaluation des politiques publiques en 1990, enterrée par le gouvernement de M. Juppé, pourtant si préoccupé d'efficacité managériale, que le Gouvernement vient de relancer et d'améliorer en l'ouvrant aux collectivités locales, ce que vous, les élus locaux, avez approuvé parce que cela correspond à un besoin réel et profond de notre pays.

Le Gouvernement, pour sa part, se refuse à jeter l'anathème sur les agents des services publics et sur les services publics eux-mêmes. Il s'attache à obtenir l'adhésion et la participation des femmes et des hommes qui font le service public à une réforme dont l'objectif premier est de placer l'usager au coeur de notre système administratif et d'organiser les services publics en fonction de ses besoins.

C'est pourquoi je ne peux accepter une approche par trop idéologique, et peut-être parfois quelque peu démagogique, du droit de grève dans les services publics.

M. Jacques Pélissard.

Vous êtes bien placé pour en parler !

M. Dominique Bussereau.

En cette matière, ce sont des spécialistes !

M. le ministre des relations avec le Parlement.

Le Gouvernement est favorable, vous le savez, au fait de laisser aux partenaires sociaux, dans un cadre librement consenti, le soin de définir les régimes pratiques de prévention des conflits. C'est pourquoi il ne peut être que défavorable en tout point au texte examiné aujourd'hui et invite la majorité de l'Assemblée à le suivre.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Alain Néri.

Ce sera fait ! Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Dominique Bussereau.

M. Dominique Bussereau.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais d'abord remercier M. le rapporteur pour la manière très objective et précise avec laquelle il a présenté notre proposition de loi et dire à M. Le Garrec que j'ai apprécié le caractère ouvert de son argumentation, même si je ne partage pas l'ensemble de son point de vue.

Quant à vous, monsieur le ministre, j'ai moins apprécié votre propos, vous vous en doutez. Je m'étonne d'ailleurs, sans remettre en cause votre légitimité à siéger sur ce banc, que, pour un tel sujet, le ministre des transports n'ait pas souhaité se déranger. Le ministre de la fonction publique, lui, n'a pas dû entendre les remarques du Premier ministre sur le non-cumul. Il se trouve sans doute aujourd'hui du côté d'une assemblée corse alors que, légitimement, il aurait dû être au banc du Gouvernement.

M. François d'Aubert et Mme Anne-Marie Idrac.

Très bien !

M. Dominique Bussereau.

Je ne rappelle pas la citation du Président de la République, M. le rapporteur l'a fait.

Elle est importante et le travail de l'intergroupe de l'opposition s'est inspiré des réflexions du Président de la République. Contrairement à ce que vous pensez, nous avons rencontré, avec nos collègues qui ont travaillé sur ce texte comme Mme Alliot-Marie et Mme Idrac, l'ensemble des organisations patronales et syndicales.

Nous ne travaillons pas dans l'improvisation, nous avions procédé à diverses auditions, comme l'ont d'ailleurs fait nos collègues du Sénat lorsqu'ils ont présenté le texte auquel il a été fait allusion.

Le président Gallois a employé un néologisme amusant : la « gréviculture à la française ». Il est en effet incontestable, nous en sommes persuadés sur tous les


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 MARS 1999

bancs, que notre pays souffre d'un déficit de dialogue social. Celui-ci est lié au manque de concertation, à la centralisation excessive des décisions et au poids exagéré de la tutelle, qui sont autant d'obstacles à la bonne gestion des ressources humaines.

Il faut dire également que toutes les procédures légales de prévention des conflits prévues par le code du travail sont tombées en désuétude. Aucun conflit n'a été soumis à la commission nationale de conciliation depuis 1984 et les commissions régionales de conciliation sont au chômage technique.

Au demeurant, en France, le dialogue social recèle de nombreux faux-semblants. Je crois que vous aviez participé, monsieur le ministre, alors que vous étiez député de l'opposition, aux travaux de la commission d'enquête sur la SNCF. Vous vous souvenez sans doute qu'à l'époque, même si tout le monde n'était pas d'accord avec les conclusions proposées par Henry Cuq et moi-même, nous avions constaté de manière quasi unanime que la SNCF disposait de nombreux comités Théodule, qu'on y consacrait beaucoup de temps, mais qu'en réalité le dialogue social était pauvre.

M. Goulard, M. le président Le Garrec et M. le ministre ont cité le contre-exemple de la RATP. Le nombre de préavis y est effectivement tombé de 800 à 200 par an. L'an passé, on a dénombré une centaine d'alarmes sociales et un accord a pu être obtenu dans les deux tiers des cas. Finalement, seulement six ou sept préavis ont été déposés. On voit donc bien quelles sont les bonnes méthodes.

Quels sont les objectifs de notre proposition de loi ? Il s'agit d'abord de protéger les droits des usagers, ou des clients - peu importe le qualificatif - en particulier ceux des plus dépendants. Car qui souffre d'une grève dans le transport public ? Ce n'est pas celui qui a le choix entre Air France et le TGV, ce n'est pas celui qui a le choix entre une voiture de luxe ou celle, plus petite, de son épouse. C'est celui qui n'a pas le choix, qui doit prendre le métro pour aller travailler, ou encore le lycéen ou l'étudiant qui n'a que les transports en commun pour se rendre à ses cours.

Ainsi, en défendant les droits des usagers, nous défendons les droits des plus démunis.

M. François Goulard, rapporteur.

Absolument !

M. Dominique Bussereau.

Mais nous défendons également du même coup nos entreprises, que vous semblez quelquefois oublier. Car la « gréviculture à la française » porte considérablement atteinte à la vie des entreprises, à leur capacité de production, à leur capacité d'exportation et à leur image. Cela ne doit pas être oublié.

Nous pensons également à l'avenir des entreprises de transport. Vous connaissez les difficultés de la SNCF, vous savez que la RATP relève la tête - mais il a fallu bien du temps et bien du talent à son président pour en arriver là. Or les entreprises de transport, surtout les entreprises publiques, sont soumises à la concurrence, et quand la continuité du service n'est pas assurée, elles ne fonctionnent plus.

Les membres des gouvernements précédents, en particulier Mme Idrac, ont cherché à développer le transport combiné. Et cela commençait à marcher. Or votre gouvernement, monsieur le ministre, a réussi le double exploit de restreindre, dans le budget du ministère des transports, les crédits consacrés au combiné - ce qui est parfaitement contraire au discours de Mme Voynet et de M. Gayssot - et de le rendre peu attractif. En effet, quand la circulation ferroviaire est bloquée, comme ce fut le cas il y a quelques mois, la chaîne du combiné ne fonctionne évidemment plus. Dans ce cas-là, que font les entreprises ? Au lieu de choisir le combiné, qui est un mode de transport d'avenir, elles en reviennent à la route.

Les camions remplacent donc les containers.

Le Gouvernement utilise une très belle expression :

« repenser la ville ». Mais repenser la ville, cela signifie justement chasser le plus possible la voiture individuelle du coeur de la ville et privilégier les transports collectifs.

Or la fiabilité des transports collectifs dépend de leur continuité. Quel travailleur changera ses habitudes et arrêtera de prendre sa voiture individuelle pour lui préférer les transports collectifs s'il n'est pas assuré qu'ils fonctionneront régulièrement, douze mois sur douze ? Une bonne politique de la ville, une bonne politique de l'environnement et une bonne politique des services publics - ou des services du public, pour reprendre les termes du président Le Garrec - supposent un fonctionnement continu des transports collectifs.

M. Alain Néri.

Et le respect des droits de leurs salariés !

M. Dominique Bussereau.

Enfin, améliorer la démocratie sociale en France ne me paraît pas un mauvais objectif. Je suis tout à fait favorable à ce qu'il y ait des syndicats puissants, peut-être même plus puissants qu'actuellement, car la France souffre d'un déficit de syndicats responsables et forts, contrairement à d'autres grands pays européens. Donner aux syndicats par un vrai dialogue social, un rôle réel de partenariat est un autre objectif de l'opposition.

Après les objectifs, j'en viens aux moyens.

Il est d'abord nécessaire d'améliorer le dialogue social.

Ne cherchez pas, monsieur le ministre, à caricaturer notre texte. Il porte sur l'amélioration du dialogue social, pas sur le service minimum. Le service minimum est la fin d'un processus. En nous inspirant de l'exemple de la RATP, nous proposons en effet une convention et une procédure d'alerte sociale et d'anticipation des conflits, conduites dans l'entreprise par la voie contractuelle.

Mais il faut bien se donner des limites et c'est le rôle de l'Etat de prendre ses responsabilités. Je vous rappelle à cet égard la formule du Président de la République : « la démission de l'Etat ». Si, au bout d'un certain temps, on constate que cela ne fonctionne pas, il appartient à l'Etat de prendre ses responsabilités et de mettre en oeuvre le processus d'amélioration du dialogue social et d'anticipation des conflits. C'est donc une affaire contractuelle, l'Etat n'intervenant qu'en cas d'échec.

Vous vous êtes d'une certaine manière moqués de notre souci de garantir l'exercice démocratique du droit de grève. Si pour vous, mesdames, messieurs de la majorité, la démocratie peut s'exercer sans bulletins secrets, il ne faut pas siéger dans cette assemblée !

M. Alain Néri.

Revoyez l'histoire du mouvement ouvrier français !

M. Dominique Bussereau.

Une assemblée générale se tient devant les caméras de France 2, on vote au pied du brasero la reconduction de la grève, même si l'on n'est pas d'accord, sans quoi l'on est considéré comme un mal élevé. Telle n'est pas notre conception de la démocratie.

(Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme Muguette Jacquaint.

Remettez-vous à jour !

M. Alain Néri.

Eh oui, il faut réviser, cher ami !


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M. Dominique Bussereau.

Je conçois que certaines formations politiques, même si elles changent la couleur et la maquette de leur journal, ne soient pas habituées à la démocratie. Mais pour l'opposition, la démocratie, c'est le bulletin secret. Nous sommes obligés de vous le rappeler.

Notre proposition de loi prévoit, dans ses articles 6 et 7, un service minimum, sur la base, là aussi, d'une signature, d'une convention négociée au sein de l'entreprise - qu'elle soit publique, ou simplement chargée d'un service public, comme c'est souvent le cas dans les grandes villes de provinces pour les réseaux de transports urbains. Mais là encore, si cela ne marche pas, il faut bien avancer. Notre proposition préconise donc qu'au bout d'un an, si rien n'a pu être mis en place de manière contractuelle, l'Etat prenne ses responsabilités.

J'admets néanmoins que sur ce point notre texte puisse être modifié. Nous pourrions très bien laisser une année pour la négociation portant sur la procédure d'alerte sociale et une année supplémentaire pour la mise en place du service minimum. L'objectif est d'ouvrir le débat. Ce texte sera d'ailleurs réécrit. Quoi qu'il en soit, le service minimum est bien entendu le dernier recours.

Quel type de déplacements doit-il viser ? Non pas les déplacements de confort, mais les déplacements essentiels, c'est-à-dire ceux du matin et du soir, entre le domicile et le travail ou le lieu de formation. On peut y ajouter les déplacements aux dates que je qualifierai d'incontournables dans la vie de la société française, comme celles des grands départs en vacances qui amènent toutes les familles sur la voie des migrations.

Vous soutenez, sans aucune preuve, que la mise en place du service minimum, ou service essentiel, est techniquement impossible. C'est faux ! Les Français ne sont pas plus stupides que les habitants des pays qui les entourent. Or pendant la grande grève européenne des transports, au mois de décembre dernier, le service minimum a parfaitement fonctionné dans plusieurs pays, et notamment en Espagne.

Et, M. Le Garrec et M. le ministre ont soulevé cette question, ce n'est pas un sous-transport. Le service minimum impliquerait la quasi-totalité de la capacité de transport - 75 % à 80 % - aux heures de pointe du matin et du soir ? C'est tout à fait possible ! Il serait certes dangereux, sur le plan de la sécurité, de brasser les usagers ou les clients dans des rames surchargées. Mais je connais suffisamment les entreprises de transport pour savoir que le retour des rames et les remises en service en bout de ligne sont parfaitement réalisables sur une journée. Cela n e leur pose aucun problème technique. Elles en résolvent de bien plus difficiles à chaque instant.

En outre, le service essentiel existe déjà dans notre pays. Ainsi, le service minimum des contrôleurs de l'aviation civile est une réalité. Il permet le maintien d'un certain niveau de trafic aérien, même en cas de grève. De même, dans l'audiovisuel, le téléspectateur et l'auditeur ont heureusement depuis longtemps le choix entre tant de programmes qu'un service public minimum existe de fait et a été mis en oeuvre à plusieurs reprises, quoiqu'il évoque un retour à l'ex-ORTF. (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

Je rappellerai par ailleurs à nos collègues de la majorité, au moment où ils se préparent à repousser notre texte, que 82 % des Français interrogés par le Journal du Dimanche, il y a quelques mois, ont approuvé la notion de service minimum. Il faudra vous expliquer avec ces Français-là ! Je comprends bien que le Gouvernement et la majorité ne veuillent pas légiférer en la matière, M. Le Garrec l'a dit de manière ouverte, M. le ministre d'une manière...

Mme Michèle Alliot-Marie.

Très ferme !

M. Dominique Bussereau.

... plus dure. (Sourires.)

Mme Claudine Ledoux.

Il l'a très bien dit !

M. Dominique Bussereau.

Vous préférez les minorités syndicales à la majorité des Français. Nous en prenons acte, tout comme les Français eux-mêmes.

Vous dites que vous craignez de braquer les syndicats.

Mais en ménageant les syndicats ou du moins certains d'entre eux - car vous savez très bien que leur position a beaucoup évolué en la matière - vous condamnez les clients, les usagers, vous portez atteinte à l'avenir des entreprises de transport et à celui de leur personnel, vous privilégiez la voiture individuelle par rapport au transport collectif.

Voilà en effet une belle attitude politique ! C'est celle-là qui est démagogique et irresponsable.

Ces 82 % de Français, vous ne les entendez pas aujourd'hui, parce que, fort heureusement pour notre pays, on ne déplore pas actuellement de conflits dans les transports. Mais le moment venu, quand il en surviendra - en particulier pour des raisons indépendantes des difficultés d'ordre syndical, peut-être liées, hélas, à des agressions - nous saurons vous rappeler que vous n'avez pas voulu agir.

A moins, monsieur le ministre, que vous n'évoluiez, comme dans d'autres domaines, comme vous finirez peut-être par privatiser Air France, avant même que nous ne retrouvions la majorité dans cette assemblée.

M. Alain Néri.

Sans doute, parce que ça, ce n'est pas pour demain ! (Sourires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Dominique Bussereau.

Peut-être adopterez-vous donc le service minimum avant que nous n'ayons l'occasion de le faire. Avec votre Gouvernement, tout est possible. Nous le constatons depuis quelques mois.

M. Michel Dasseux.

Rien n'est impossible.

M. Dominique Bussereau.

Mais je vous prie, d'ici là, de ne pas dénaturer notre démarche.

Notre démarche, monsieur le ministre, mes chers collègues de la majorité, n'est pas anti-syndicale. Elle est au service des travailleurs, au service des clients, au service des usagers. Elle ne fait pas du service minimum un objectif en soi, car celui-ci n'interviendrait qu'en dernier recours, après l'échec du processus d'alerte sociale.

Je vous le dis, et avec moi tous les signataires de cette proposition de loi, les trois présidents des groupes de l'opposition et l'ensemble des députés de l'opposition, si cette loi n'est pas votée - et je crois comprendre qu'elle ne le sera pas ce matin, mais je me trompe peut-être -, nous la rediscuterons, nous la retravaillerons, nous l'améliorerons. Pour ce faire, nous nous appuierons sur la proposition faite en commission par M. le rapporteur, ainsi que sur le travail fort intéressant accompli par les sénateurs. Et puis nous en discuterons dans le pays au cours des semaines et des mois qui viennent, puisque des échéances électorales nous attendent. Nous verrons bien ce qu'en pense l'opinion publique.

En tout cas, sachez que l'opposition ne relâchera pas sa pression. Et ce d'autant moins qu'en la matière, à défaut d'être soutenus par le Gouvernement, nous sommes soutenus par la grande majorité de nos compatriotes.


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(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. François Goulard, rapporteur.

Très bien !

M. le président.

La parole est à M. Jean Rouger.

M. Jean Rouger.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, légiférer sur le droit de grève, sur la mise en place d'un service minimum dans les services publics est une vieille lune des parlementaires de la droite, qu'ils siègent ici ou au Sénat. Cette demande, qu'ils formulent d'une manière récurrente, au nom de la protection des droits des usagers, au nom du confort de nos habitudes, se fait plus particulièrement incisive lorsqu'ils sont dans l'opposition.

La réponse que vous apportez à la grève dans le service public doit-elle être obligatoirement incluse dans un cadre législatif contraignant et standardisé ? Première question.

L'instauration contrainte du service minimum, destiné à remplacer à l'identique l'offre publique en supprimant l'expression du droit de grève, améliore-t-elle le dialogue dans l'entreprise ? Deuxième question. Si la grève était sans odeur et sans dérangement, quelle serait sa capacité d'alerte ? Quel recours la conflictualité pourrait-elle emprunter ? Troisième question.

Prolongeant sur le ton de la redondance le texte adopté par le Sénat le 11 février dernier, l'objectif de la proposition de loi nous est donc familier. Sa justification se veut subtile. En vous appuyant sur les difficultés réelles du dialogue social, vous vous présentez, mesdames, messieurs comme les défenseurs des droits des usagers. Vous tentez de vous engouffrer entre deux principes constitutionnels solidement établis : le droit de grève et l'obligation de continuité des services publics.

Le groupe socialiste ne peut accepter une telle vision du dialogue social. Est-il nécessaire en effet de renvoyer dos à dos, comme le propose le texte, les droits des usagers et le principe de continuité des services publics ? Est-il utile de diaboliser les désagréments parfois induits par l'exercice de la grève dans les transports publics ? Les droits des citoyens usagers et les obligations dess alariés des entreprises publiques sont compatibles.

Mieux, ils sont complémentaires, solidaires et se renforcent mutuellement.

Le dialogue social dans les services publics n'a à être ni encadré ni réglementé ; il doit avoir au contraire les moyens de s'exprimer clairement. Il convient de lui ménager une place protégée, car son rôle est incontournable dans le bon fonctionnement de notre communauté de travail.

J'en veux pour preuve l'accord d'Air France du 29 octobre 1998, qui s'oppose point par point à ce que vous présentez dans l'exposé des motifs.

L'entreprise a connu l'an dernier une période de contestation sociale importante. Celle-ci a débouché, à l'issue de discussions internes, sur un accord global pluriannuel assorti d'un pacte de respect mutuel, destiné à moderniser les rapports sociaux. Une commission permanente de suivi des accords a ainsi été mise en place.

Elle se réunit tous les deux mois, plus si nécessaire. En contrepartie, les employés de la compagnie se sont engagés à accorder un préavis de trois mois à la direction afin que les deux parties puissent traiter ensemble les sujets conflictuels et désamorcer les grèves éventuelles.

Au vu des auditions, il apparaît, tant du côté patronal que du côté syndical, que nul ne réclame au législateur une quelconque modification de la loi. Votre proposition témoigne donc bel et bien d'une vision quelque peu paternaliste des services publics, où tout doit être encadré réglementairement, où dialogue social rime avec conflits, où l'exercice du droit de grève doit être modéré, édulcor é, restreint et où des systèmes de remplacements « émasculent » le concept et la réalité de la grève.

Le titre I du texte avance donc comme objectif

« l'amélioration du dialogue social ». Une lecture attentive permet de constater que ce remède miracle vise en fait à contraindre le dialogue social par une formalité supplémentaire. La « procédure d'anticipation des conflits » que vous avancez devient de facto une obligation préalable de négociation. Antérieure au dépôt du préavis de grève, qui comporte en lui-même une obligation de négociation, cette nouvelle astreinte conditionne la grève et va manifestement à l'encontre de son objectif.

V éritable provocation, cette surenchère législative n'améliore pas le dialogue social. Elle tente en fait de l'effacer, en rendant la procédure tortueuse et inefficace.

Imposer par la loi ce type de négociation avec obligation de résultat casse la force de la grève, casse sa spontanéité.

En fait, c'est en nier le sens.

Il convient de souligner que tout ce qui est prévu dans le titre I est d'ores et déjà en train d'être mis en place dans les grandes entreprises publiques ou chargées de missions de service public. Il suffit de regarder ce qui de passe.

Prenons un autre cas, celui de la RATP, souvent cité.

Depuis juin 1996, l'entreprise s'est engagée en interne sur la voie de la concertation en signant un protocole d'organisation du dialogue social et de prévention des conflits.

Cette procédure d'alarme sociale est relative au droit syndical et à l'amélioration du dialogue social. C'est l'aboutissement d'un long et patient travail entre les partenaires sociaux et les directions de l'entreprise. Il a permis de résoudre une équation à trois variables : la qualité dans la continuité du service, le respect du droit de grève et la réalité de la négociation collective.

Ce dispositif définit les modalités de l'exercice des droits syndicaux et comporte l'engagement d'offrir un service public de qualité grâce à la mise en oeuvre négociée, délibérée et contractuelle d'une procédure de préve nance des conflits. Il a permis d'aboutir à une nette dimin ution des préavis et des grèves. J'insiste tout particulièrement sur le temps qui a été nécessaire à sa mise en oeuvre : plus de six ans. Une telle durée permet d'évoluer et de prendre en compte les spécificités de l'entreprise.

Comment pouvez-vous, dans ce cas, justifier votre souhait de légiférer d'une façon abrupte et directive ? Le titre II, quant à lui, va plus loin et propose un encadrement spécifique de l'exercice du droit de grève.

L'affichage pourrait paraître démocratique. L'analyse déçoit. Alors que, depuis la loi des 25 et 27 mai 1864, la grève n'est plus réprimée comme un délit pénal et qu'elle est désormais reconnue comme un droit individuel par le préambule de la Constitution de 1946, comment peut-on affirmer que l'on respecte ce droit lorsque l'on veut le contraindre dans un dédale réglementaire préalable ? Quand on veut assujettir sa mise en oeuvre à un vote des personnels à la majorité des voix et à bulletin secret, comment peut-on prétendre dignement que l'on permet au droit de grève de conserver son caractère de liberté individuelle ? Le droit de grève est un droit inaliénable.

Mme Claudine Ledoux.

Très bien !


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M. Jean Rouger.

Fruit d'une longue histoire, il est le résultat du combat continu pour la liberté de ceux qui ont été et seront toujours les moteurs de la société. C'est un signe d'appel opposable à la direction d'un groupe et aux décideurs d'une entreprise. C'est une alarme sociale dont le rôle est d'inciter la collectivité à exercer son devoir d'écoute. Il constitue, enfin, un garde-fou essentiel au maintien de la cohérence de notre société et il est le garant de la qualité de notre démocratie.

Enfin, le titre III propose l'instauration d'un service minimum dans les transports publics, afin notamment d'assurer l'ensemble des moyens de transport pendant les périodes de grande affluence des voyageurs et de permettre aux usagers d'aller et revenir de leur lieu de travail ou d'enseignement. La proposition de l'opposition avance donc la possibilité d'organiser dans les transports publics un système de remplacement dit « service minimum », qui assumerait, ni plus ou moins, la globalité du service.

Mais comment disposer de l'ensemble des moyens de transport pendant les périodes de grande affluence, alors même que les jours ordinaires il est prudent de s'organiser et de retenir sa place ? Vous préconisez en fait un système qui permettrait de pallier intégralement les effets induits par la grève. Ce service minimum est donc un abus de langage, une nouvelle mise en cause du droit de grève.

Le service dit minimum est une « fausse bonne idée ».

Il est préférable, à ce titre, de s'en rapporter à l'expérience, aux traditions, au sens de la responsabilité et aux compétences, autant d'éléments qui ont souvent suffi amplement pour que les prestations du service public soient assurées de façon satisfaisante en cas de conflits sociaux.

M. Dominique Bussereau.

On s'en aperçoit !

M. Jean Rouger.

C'est la raison pour laquelle le législateur est resté en retrait. En effet, la loi ou la jurisprudence ne sont intervenues qu'à la marge de ce type de problème et le plus souvent afin de couronner un dialogue social.

Ce service minimum imposé par la loi risque d'apparaître comme un piètre substitut, car on peut difficilement faire l'économie d'un accord préalablement négocié entre les salariés et la direction de l'entreprise. Le rapport du sénateur Huriet nous rappelle à ce titre que, en cas de rejet massif du dispositif, des sanctions seraient difficiles à prendre.

La mise en oeuvre d'un « service minimum » dans les transports publics soulève aussi des problèmes pratiques.

En effet, nos modes de vie, la concentration des populations et un fonctionnement des services publics proche de la saturation - ils travaillent quasiment à flux tendus sont autant d'éléments qui s'opposent à la mise en place d'un quelconque service réduit, servi par des personnels pas toujours expérimentés. Un tel système impliquerait irrémédiablement une augmentation inconsidérée des risques pour les usagers.

Le service minimum pose bel et bien des problèmes.

S'il n'est pas au maximum, il mécontente tout le monde, et c'est logique, car le service public ne doit pas satisfaire à la seule exigence de la continuité, il doit aussi répondre à l'exigence de sécurité des usagers et à celle de l'égalité d'accès.

M. le président.

Veuillez conclure, monsieur Rouger !

M. Jean Rouger.

Je termine, monsieur le président.

Nous avons vécu, en décembre 1995, une période très riche en grèves dans les services publics, en particulier dans celui des transports.

Mme Michèle Alliot-Marie.

Et maintenant ? Il y en a partout, dans tous les secteurs et tous les jours ! M. le président. Madame Alliot-Marie, n'interrompez pas l'orateur !

M. Jean Rouger.

Un service réduit avait été mis en place à la SNCF, comme le veut la tradition. Mais tout le monde était mécontent : les usagers en raison de l'insuffisance du service ; les grévistes du fait de la mise en oeuvre d'un service de remplacement. Quant à l'entreprise, elle tremblait pour la sécurité. Et la grève s'épanouissait et le Gouvernement attendait !

M. le président.

Monsieur Rouger, il vous faut conclure.

M. Jean Rouger.

En donnant à la notion de service minimum un caractère législatif, on met indéniablement en cause le droit de grève, car l'exercice de la grève ne peut plus jouer son rôle historique et essentiel d'alerte sociale et d'interpellation des pouvoirs.

Ce n'est donc pas en contraignant les conflits sociaux par la loi que nous parviendrons à les résoudre. Les problèmes sont difficiles, changeants, conséquences d'intérêts contraires. L'équilibre de l'entreprise repose donc sur le dialogue social, le respect de l'échange entre les partenaires.

M. le président.

C'est votre conclusion, monsieur Rouger ?

M. Jean Rouger.

Oui, je termine, monsieur le président. L'exemple souvent cité de l'acord passé à la RATP et celui finalement conclu à Air France sont la démonstration que seule la négociation longuement travaillée est susceptible d'apporter pour chaque situation donnée une solution spécifique. Tous les partenaires sociaux interrogés sur ce sujet sont d'accord.

Même la SNCF, qui semble particulièrement « courtisée » par cette proposition de loi, et dont les grèves sont des références symboliques en matière d'affrontements mais aussi de progrès sociaux, s'interroge et se prépare à l'expérimentation. Ainsi, les directions de l'entreprise et les partenaires sociaux s'attachent à construire le dialogue dans quatre des vingt-trois régions de la SNCF.

Le groupe socialiste entend laisser l'initiative à tous les partenaires dans les services publics afin qu'ils parviennent eux-mêmes à des accords négociés et qu'ils participent ainsi à l'amélioration desdits services.

M. le président.

Je vais être obligé de vous interrompre, monsieur Rouger.

M. Jean Rouger.

C'est la raison pour laquelle nous ne pouvons accepter ni la vision partielle du dialogue social, ni la conception réduite d'un service minimum et de l'exercice du droit de grève qui sont proposées, ni les raisonnements émiettés qui s'y attachent. Voilà pourquoi le groupe socialiste affirme qu'il n'est pas utile de débattre de ce texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

Merci de votre concision, monsieur Rouger.

(Sourires.)

La parole est à Mme Michèle Alliot-Marie.

Mme Michèle Alliot-Marie.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est la première fois que nous nous retrouvons un jeudi matin pour discuter d'un texte inscrit dans le cadre d'une « niche parlementaire ». Quelle bonne chose que d'avoir avancé dans la semaine le jour réservé à la séance dont l'ordre du jour


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 MARS 1999

est fixé par l'Assemblée, car cela devrait nous permettre d'être plus nombreux ! C'est une habitude à prendre.

Cette première est importante : elle devrait peut-être contribuer à une revalorisation de la niche parlementaire ou, comme le disait Mme Tasca en d'autres circonstances, nous faire échapper au carcan de l'ordre du jour prioritaire dont le Gouvernement a la maîtrise.

Enfin, elle devrait surtout à offrir à l'opposition les moyens de prendre une part active et entière à l'élaboration de la loi, car tel est bien le sens de l'initiative prise par l'ancienne majorité : permettre à l'opposition, par le biais de propositions de loi, de faire prendre en compte des préoccupations de nos compatriotes, qui ne font pas forcément l'objet de textes inscrits à l'ordre du jour par le Gouvernement.

Cependant, quand je vous entends et vois votre attitude de parti pris et de critique systématique, monsieur le ministre, et ce avant même l'analyse du texte, je doute que telle soit l'intention du Gouvernement actuel. De ce point de vue, l'attitude du président de la commission il s'est exprimé après M. Goulard, qui a rapporté excellemment le texte - me paraît davantage respectueux de l'initiative parlementaire. Son analyse était sérieuse et intéressante, même si je n'en partage pas tous les éléments, notamment son appréciation selon laquelle ce texte serait inutile, voire dangereux.

Si nous devions éliminer, y compris dans l'ordre du jour, tous les textes inutiles et dangereux, voire ne relevant pas du domaine de la loi, je crois que nous aurions beaucoup moins de travail dans cet hémicycle ! Bref, monsieur le ministre, votre attitude et celle de l'orateur précédent font que le sort qui sera réservé à la proposition est un peu connu d'avance. Pour autant, le débat n'est pas inutile. En tout état de cause, cette initiative était nécessaire et constitue une démarche pédagogique.

Il s'agit d'une initiative nécessaire, car la discussion va nous permettre de montrer quelle est l'attitude de l'Assemblée nationale à l'égard des préoccupations, des Français et des grands principes constitutionnels. Elle permettra aussi de montrer quelle est notre vision de la modernité.

A l'égard des Français, nous avons tous, quels que soient les bancs sur lesquels nous siégeons, un devoir d'écoute. Et, s'agissant des grèves dans les services publics, que nous disent-ils ? Qu'ils sont rarement opposés aux grévistes, qu'ils les comprennent, qu'ils estiment que la grève est un moyen naturel d'exprimer des revendications quand il n'est pas possible d'aller plus loin - toutes les études le montrent -, mais aussi qu'ils nous reprochent les inconvénients qu'ils ont à en subir.

De fait, combien de fois avons-nous vu nos collaborateurs et collaboratrices dans l'impossibilité de rentrer chez eux en raison d'une grève impromptue. Ce fut encore le cas il y a quelques semaines.

De même, il y a trois jours, la grève qui a agité l'éducation nationale a perturbé l'accueil des enfants. Est-ce admissible ? L'inconvénient d'une grève dans les services publics est subi non par l'Etat, ni même par ceux qui les dirigent, mais par les usagers, c'est-à-dire par ces Français qui, tous les jours, font des efforts, vont travailler. Et ils ont l'impression que nous ne les écoutons pas.

La proposition de loi répond à la demande d'écoute des Français. Ils veulent que nous soyons à l'écoute des problèmes qu'ils rencontrent dans leur vie quotidienne.

Nous devons répondre à leurs problèmes, sinon nous accentuerons encore plus la fracture politique que nous constatons entre les électeurs et nous, et qui fait qu'à chaque élection le pourcentage des abstentions est de plus en plus élevé, de même que celui de votes en faveur de partis extrémistes ou folkloriques. Les Français ont besoin que nous soyons à l'écoute de leurs préoccupations et de leurs difficultés quotidiennes.

M. Gilbert Gantier.

Exactement !

Mme Michèle Alliot-Marie.

Les conséquences sur eux - qui n'y sont pour rien - des grèves des services publics est une des dimensions du problème. Ne renforçons pas la conviction que nous n'aurions qu'indifférence pour leurs difficultés quotidiennes.

M. Dominique Bussereau.

Très juste !

Mme Michèle Alliot-Marie.

Cette initiative était également nécessaire pour réaffirmer un certain nombre de principes dont on a tendance à faire l'économie depuis quelque temps. Il faut réaffirmer le droit de grève mais également le sens de la grève. Car la grève, ne l'oublions pas, est un moyen de faire pression sur celui qui a un pouvoir de décision pour obtenir la satisfaction d'une revendication - éventuellement en lui faisant supporter une perte économique. Le but de la grève n'est pas de prendre en otage des usagers qui n'ont aucun pouvoir de décision et aucune possibilité de faire pression sur le décideur. Or, depuis un certain nombre d'années, nous constatons une telle dérive.

M. Gilbert Gantier.

Très juste ! Mme Michèle Alliot-Marie Par là même, la grève perd son sens premier. Il faut en revenir au principe même des droits de grève et à sa défintion.

N'oublions pas non plus un deuxième principe essentiel, celui de la continuité du service public. L'usager a en effet le droit, en contrepartie des efforts fiscaux qu'il consents, pour permettre l'existence de ce service public, à ne pas en être privé, surtout dans le cadre d'un conflit où il n'a aucune part.

Il existe bien, selon moi, un droit des usagers à la continuité du service public. Et, pour ma part, j'aurais souhaité aller plus loin encore, en prévoyant dans le texte de la proposition de loi que celui qui est responsable de l'organisation du service public devrait également avoir l'obligation d'en garantir par tous moyens la continuité.

L'usager n'a pas à connaître le conflit, lequel doit rester un problème entre employeurs et salariés. La dérive qui tend à faire supporter les conflits par les usagers doit être condamnée.

Enfin, cette initiative était nécessaire car certains comportements mettent en cause une conception plus moderne de l'économie, de l'environnement ou de l'organisation générale.

Pour illustrer mon propos, je ne prendrai qu'un exemple, celui du transport multimodal et du ferroutage, concepts qui ont beaucoup été évoqués lors de la discussion de la loi relative à l'aménagement du territoire.

Quand vous parlez de ferroutage aux entreprises de transport, elles vous répondent que, au-delà d'un problème de tarif, il y a surtout une absence de garantie quant au respect des délais de transport par le rail. Et c'est la raison pour laquelle beaucoup d'entreprises continuent à faire circuler leurs camions sur les autoroutes et les routes, plutôt que de les mettre sur des trains, ce qui serait préférable sur le plan environnemental.

Telles sont les raisons pour lesquelles la discussion de la présente proposition de loi était nécessaire. Elle était d'autant plus nécessaire qu'il s'agit d'une démarche


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 MARS 1999

pédagogique qui repose sur deux idées : d'une part, que la liberté des uns s'arrête lorsque la liberté des autres est menacée - c'est un vieux principe que l'on oublie un peu trop souvent - d'autre part, qu'il est nécessaire d'apprendre à vivre ensemble.

Mme Muguette Jacquaint.

Et la liberté des salariés d'Alcatel, elle s'arrête où ?

Mme Michèle Alliot-Marie.

Il s'agit, par ce texte, de garantir la liberté de la grève, et c'est la raison pour laquelle le texte ne prévoit ni interdiction de la grève ni mise en place d'une procédure strictement obligatoire. Il est d'abord fait appel au dialogue, à la convention, et ce n'est que dans le cas où ce n'est pas possible qu'il est prévu de mettre en place des procédures.

A cet égard, nous avons pris en compte ce qui se fait à l'étranger : en Allemagne, en Italie, en Espagne, par exemple. Ce que nous proposons a en effet été plus ou moins mis en place dans d'autres services publics.

M. Alain Néri.

En Grande-Bretagne !

Mme Michèle Alliot-Marie.

Je vous ferai remarquer que, justement, je n'ai pas cité ce pays.

M. Dominique Bussereau.

Cela n'existe pas en Grande-Bretagne !

Mme Michèle Alliot-Marie.

Autre élément pédagogique, ce texte montre que nous souhaitons que les Franç ais apprennent davantage à vivre ensemble. Vivre ensemble, en la matière, cela veut dire apprendre à anticiper les conflits dans tous les domaines - ce qui ne se fait pas partout aujourd'hui, et c'est bien l'une des difficultés -, apprendre à introduire une vraie démocratie à tous les niveaux - et c'est la raison pour laquelle nous prévoyons aussi la consultation des salariés.

N'est-il pas étonnant que l'on demande aux Français de se prononcer sur des sujets qui ne les passionnent pas vraiment alors qu'on ne les consulte pas sur leur vie de salariés au quotidien ? C'est une curieuse conception de la démocratie que celle qui consiste à limiter la possibilité de consultation à certains domaines en excluant le plus important pour la vie quotidienne de nos concitoyens, à savoir leur travail.

En conclusion, il n'est ni juste ni digne de réduire cette proposition de loi à une démarche démagogique, car un véritable problème de fond se pose, comme l'a d'ailleurs dit le président de la commission, un problème qui intéresse tous les Français, et qui aura des incidences sur l'avenir de notre pays tout entier.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Michel Marchand.

M. Jean-Michel Marchand.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous débattons d'une proposition de loi présentée par Dominique Bussereau et cosignée par les trois présidents des groupes de l'opposition.

Ainsi les partis de l'actuelle opposition et leurs leaders se retrouvent unis pour restreindre le droit d'expression d es fonctionnaires et des salariés des entreprises publiques, pour limiter ce droit constitutionnel qu'est le droit de grève, pour porter ce mauvais coup. C'est d'ailleurs un brin démagogique de leur part de vouloir le faire alors qu'ils sont dans l'opposition.

Nous comprenons mal cette position unanime de la droite. Ceux qui se disent gaullistes ont manifestement oublié que c'est le général de Gaulle qui a considérablement étendu le service public en France - et tant mieux ! au sortir de la Seconde guerre mondiale. Ils nous proposent de modifier la loi de 1963. Rien de moins ! Quant à l'UDF centriste, elle n'a pas souhaité, sur un tel sujet, se distinguer de la branche la plus conservatrice de la droite française. Aurait-elle perdu son sens de la modération et du juste milieu censé être sa marque de fabrique ?

Avant d'en venir au fond, je voudrais aussi souligner que nos collègues de la droite RPR-UDF-DL, sans doute pris par leur empressement à désigner les fonctionnaires à la vindicte générale, ont rédigé un texte pour le moins imprécis et flou. Je prendrai un seul exemple. Alors que le texte prévoit d'appliquer les mesures qu'il propose à tous les agents du secteur public, incluant les entreprises publiques et les collectivités locales, quand il parle de service minimum il se contente d'évoquer, dans une formule plus littéraire que juridique, « les moyens de transport aux heures de forte affluence ».

M. Gilbert Gantier.

C'est déjà important !

M. Jean-Michel Marchand.

Quelles peuvent être les implifications d'une telle proposition de loi ? Rien de moins qu'une remise en cause de la démocratie et du droit d'expression des salariés que la République se doit de garantir. Il est vrai que la droite n'en est pas à son coup d'essai. C'est même pour elle une vieille tradition que de s'attaquer au droit de grève pour les salariés du secteur public. Ainsi M. Lamassoure, lorsqu'il siégeait sur ces bancs, avait-il déjà fait adopter une mesure visant à restreindre le droit de grève dans le secteur public. Cet amendement Lamassoure...

M. Dominique Bussereau.

Excellent.

M. Jean-Michel Marchand.

... a été adopté entre 1986 et 1998, à une époque ou, déjà, la droite française voulait prendre sa part à ce que M. Reagan et Mme Thatcher appelaient « la révolution conservatrice ».

(Exclamationss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme Michèle Alliot-Marie.

Quel est le pourcentage du chômage aux Etats-Unis ?

M. Jean-Michel Marchand.

Quand le droit de grève n'était pas encore reconnu en France, la droite s'y opposait pour maintenir l'ordre établi de l'époque. C'est la définition même du conservatisme. Maintenant que le droit de grève existe pour tous les salariés, quel que soit leur secteur d'activité, à l'exception des militaires, la droite française voudrait le supprimer et revenir à un ordre ancien.

Mme Michèle Alliot-Marie.

Pour l'instant, le discours ancien c'est le vôtre !

M. Jean-Michel Marchand.

Sous couvert d'amélioration du dialogue social, d'exercice démocratique du droit de grève ou encore de continuité des services publics, vous scandez : « Aucun préavis de grève ne peut être déposé sans la mise en oeuvre de la procédure d'anticipation des conflits ». Croyez-vous vraiment qu'il soit possible de décréter l'anticipation des conflits ? Quant à nous, nous croyons très sincèrement au dialogue social, mais pour dialoguer il faut être au moins deux.

Mme Michèle Alliot-Marie.

Non, trois avec l'usagerotage !

M. Jean-Michel Marchand.

Nous réaffirmons que le droit de grève est un moyen d'expression que tout régime se disant démocrate et républicain se doit de garantir.


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C'est d'autant plus vrai que, pour les salariés du secteur public, c'est le Gouvernement qui est le patron, au moins indirectement. Quel que soit le Gouvernement en place, il est donc fondamental que ce mode d'expression soit garanti.

Cependant, je ne voudrais pas éluder la question de la gêne causée par les arrêts de travail dans le secteur public.

Et j'apprécie que l'on utilise sur tous ces bancs l'expression : usagers des services publics.

M. Gilbert Gantier.

Ce sont des clients !

M. Jean-Michel Marchand.

Je préfère le mot « usager » à celui de « client ». Les désagréments vécus par les usagers et les nuisances environnementales occasionnées sont réels. Mais il convient de rappeler fermement ici que les salariés ne font jamais grève de gaieté de coeur, d'abord parce qu'ils ont l'ambition de rendre un service de qualité, parce qu'ils ont une haute opinion du service public.,

Mme Muguette Jacquaint.

Tout à fait.

M. Jean-Michel Marchand.

... ensuite parce que tout mouvement de grève coûte cher aux salariés et à leur famille.

Je voudrais maintenant souligner un élément qui me paraît particulièrement choquant dans cette proposition de loi. Elle vise à restreindre les droits liés au statut des salariés du secteur public. Si elle était adoptée, cette proposition de loi instaurerait tout simplement un statut moins protecteur pour les salariés du public que pour les salariés du privé. Tout le monde voit bien l'idée qui soustend ce type de mesures : les fonctionnaires seraient des privilégiés.

M. Didier Boulaud.

Ils font de la « mauvaise graisse » ! (Sourires.)

M. Jean-Michel Marchand.

C'est d'ailleurs ce que nous entendons trop souvent dans la bouche de certains de vos amis. Nous refusons tout discours dont l'objectif est de liguer une partie du pays contre une autre. Notre volonté politique, c'est d'abord la recherche de l'intérêt général et le maintien de la cohésion nationale sans remise en cause des droits individuels et collectifs des salariés et de chacun d'entre nous.

M. Dominique Bussereau.

Sans toucher aux intérêts particuliers !

M. Jean-Michel Marchand.

Nous ne méconnaissons pas les difficultés croissantes de certains salariés du secteur privé : incertitude pour l'avenir de leur emploi, précarisation, développement du travail en intérim, pressions patronales pour l'utilisation abusive des heures supplémentaires, baisse ou gel des rémunérations. Mais ce n'est pas en s'en prenant aux fonctionnaires que vous améliorerez le sort de millions de Français.

Il n'est pas rare d'entendre dans la bouche des dirigeants de l'actuelle opposition que les syndicats seraient trop forts, notamment dans le secteur public. (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Nous pensons, au contraire, qu'ils sont trop faibles...

Mme Martine David.

Oui, beaucoup trop ! Nous n'avons pas les mêmes valeurs !

M. Jean-Michel Marchand.

... et que ce n'est pas bon pour notre pays. Il est d'autant plus inadmissible de présenter une telle proposition de loi que les principaux syndicats de France défendent aujourd'hui l'idée d'un syndic alisme de proposition et de négociation. Le déclenchement d'une grève ne résulte que de désaccords profonds entre les partenaires sociaux et d'un manque de volonté pour un vrai dialogue social.

Le dialogue social n'est pas une tradition dans notre pays, contrairement à ce qui se passe chez certains de nos voisins. Mais l'objectif inavoué de cette proposition n'est-il pas de limiter le droit de grève dans le secteur public d'abord, dans le secteur privé ensuite ? Procès d'intention, me direz-vous ! (« Oui ! » sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

Mme Martine David.

Vous êtes seulement réaliste !

M. Didier Boulaud.

Thatcher ! Maggie la sauvage !

M. Jean-Michel Marchand.

Non, légitime inquiétude de l'ensemble des salariés. Oui, les grèves dans les services publics peuvent excéder certains de nos concitoyens, mais la réponse ne peut en aucun cas se trouver dans l'interdiction ou la limitation que vous préconisez. Il faut sortir du paradoxe qui fait que, dans notre pays, la grève précède trop souvent la négociation, que c'est l'action de grève qui déclenche la négociation. C'est dans la promotion et la qualité du dialogue social qu'il nous faut trouver les réponses appropriées. Mais, après les grèves de décembre 1995, vous ne pourrez pas faire croire aux Français que vous êtes les champions de la défense du dialogue social.

M. Didier Boulaud.

Seule la grève des médecins trouve grâce à leurs yeux !

M. Jean-Michel Marchand.

Pour conclure, je tiens à dire à ceux qui font semblant d'en douter, bien entendu hors de ces murs, que cette proposition de loi montre qu'il y a bien, dans ce pays, une gauche et une droite,...

M. Didier Boulaud.

Heureusement !

M. Gilbert Gantier.

C'est une grande découverte ! Bravo !

M. Jean-Michel Marchand.

... une gauche progressiste et une droite conservatrice. Pour toutes ces raisons, les Verts voteront contre cette proposition de loi. (Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à Mme Anne-Marie Idrac.

Mme Anne-Marie Idrac.

Et si nous cessions de caricaturer pour parler sérieusement des vrais problèmes des gens ! (Rires sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Didier Boulaud.

Ce serait bien !

Mme Anne-Marie Idrac.

Après les remarquables exposés de notre rapporteur, principal signataire de la proposition de loi, et du président de la commission, je voudrais revenir sur l'inspiration de cette proposition de loi et sur les logiques dans lesquelles elle s'inscrit.

Une logique de réconciliation d'abord, sans rapport avec les caricatures que les orateurs de la majorité et vous-même, monsieur le ministre, avez été obligés de faire tout à l'heure.

M. Gilbert Gantier.

Tout à fait !

Mme Anne-Marie Idrac.

Réconciliation entre deux principes juridiques. D'une part, le droit de grève, qui fait partie du bloc de constitutionnalité et du modèle


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 MARS 1999

française et européen de société. Il est trop facile de dire que nous voudrions le supprimer. Mieux vaut en rire qu'en pleurer !

Mme Martine David.

C'est pourtant la vérité !

Mme Anne-Marie Idrac.

D'autre part, le principe de continuité du service public, qui est tout aussi constitutionnel, qui est inscrit dans notre droit et même dans le traité d'Amsterdam, grâce au précédent gouvernement.

Nous nous en réjouissons.

Réconciliation ensuite entre les différentes catégories de Français. Je ressens très fortement le risque d'une fracture, qui serait très grave parce que cela ne correspond pas au modèle français, entre le secteur protégé et le secteur privé soumis à davantage de contraintes, nous le savons bien. Il y a en effet un risque de division entre ceux qui se sentent victimes d'injustices dans leur statut en matière de retraites, de salaires...

M. Didier Boulaud.

Cela reste encore à démontrer !

Mme Anne-Marie Idrac.

... et les autres. Cela n'est pas bon et nous devons nous attacher à les réconcilier, à renouer des liens de confiance pour assurer l'unité nationale.

Mme Martine David.

C'est une grande moralisatrice !

Mme Anne-Marie Idrac.

Notre projet est de réconcilier le service public et l'usager, en aucun cas de les diviser et de les opposer.

M. Didier Boulaud.

Qui les oppose ?

Mme Anne-Marie Idrac.

C'est pourquoi nous défendons la notion de service public pour le public, comme M. Le Garrec d'ailleurs, d'après ce que j'ai entendu. Vous êtes décidément très cité, monsieur le président de la commission, par les orateurs de l'opposition qui ont beaucoup apprécié la manière dont vous avez abordé le sujet.

M. Jean Le Garrec, président de la commission.

Ne le dites pas trop, vous allez me mettre en difficulté ! (Sourires.)

M me Anne-Marie Idrac.

Dans le cadre de cette approche de réconciliation nous devons prendre en compte la solidarité réciproque qui existe entre les usagers et les acteurs du secteur public. Lors du Mondial, par exemple, si nous avons été fiers d'être français, c'est bien sûr en raison de la victoire de notre équipe, mais aussi parce que le service public a remarquablement assuré l'efficacité des transports, bien mieux que dans d'autres pays où s'étaient déroulées des épreuves de ce genre.

Dans ces cas, on sent bien une solidarité réciproque. De même, tous les usagers sont solidaires des agents des transports publics lorsqu'ils sont agressés, lorsque se posent des problèmes de sécurité.

M. Michel Bouvard.

Très juste !

Mme Anne-Marie Idrac.

C'est d'ailleurs la raison pour laquelle les groupes de l'opposition sont favorables à la disposition en cours de discussion sur le renforcement du dispositif législatif prévu en la matière. C'est bien de compréhension réciproque, de réconciliation qu'il s'agit.

Cette proposition de loi s'inscrit aussi dans une logique de négociation et de responsabilité. Les orateurs précédents se sont beaucoup expliqués à ce sujet, se référant en particulier à l'accord conclu à la RATP en 1996, à l'époque où j'avais quelques responsabilités dans les transports, et dont on a pu constater l'efficacité. En effet, le nombre de préavis de grève a chuté de façon spectaculaire et l'on a assisté à une amélioration du dialogue social, donc de l'efficacité du dispositif.

Je suis de ceux qui pensent que les syndicats, de patrons comme de salariés, devraient davantage être des acteurs sociaux. Je suis de ceux qui pensent, comme Dominique Bussereau et contrairement à ce que M. Marchand imaginait à l'instant, qu'il faut renforcer le rôle des syndicats. Je me réjouis d'ailleurs de constater que nombre de responsables syndicaux reconnaissent la valeur exemplaire de ce qui a été fait à la RATP...

Mme Martine David.

Vous n'avez jamais rien fait pour cela !

Mme Anne-Marie Idrac.

... et qui est exactement ce que nous proposons avec ce texte. Cela correspond aussi à la proposition de loi déposée par Claude Huriet au Sénat...

Mme Martine David.

Parlons-en du Sénat !

Mme Anne-Marie Idrac.

... dont certaines dispositions devraient être reprises lors du travail de réécriture auquel il sera procédé. Je pense en particulier à la nécessité de produire chaque année un bilan des grèves et négociations collectives après consultation tant des syndicats que des associations de défense des usagers. Il faut en effet faire prévaloir l'esprit de transparence dans ces affaires.

M. Gilbert Gantier.

Excellente remarque !

Mme Anne-Marie Idrac.

Certains orateurs, tout en reconnaissant le bien-fondé de l'accord sur la RATP ou l'utilité de la négociation, considèrent qu'il ne faut pas légiférer. Le Parlement ne devrait pas se mêler d'un sujet qui préoccupe tant les Français - 82 % ou 85 % d'entre eux sont d'accord pour ce dispositif - au motif qu'il ne doit pas intervenir dans les négociations. Mais alors, il y a quelque chose que je n'ai pas bien dû comprendre, car les lois Auroux, adoptées en 1983, concernaient bien les négociations, me semble-t-il : or elles n'ont pas soulevé une telle levée de boucliers sur la gauche de cet hémicycle !

M. Gilbert Gantier.

Eh non !

Mme Anne-Marie Idrac.

Plus récemment encore, je n'ai pas compris non plus la loi Aubry sur les 35 heures.

Mme Martine David.

C'est vrai, il y a sans doute des choses qui vous ont échappé !

Mme Anne-Marie Idrac.

En effet, cette loi dispose qu'il faut négocier avec un bon filet de sécurité législatif. Pourquoi ce qui est bon, pas pour l'emploi mais pour des milliers d'entreprises, ne le serait-il pas pour le service public ?

Mme Véronique Neiertz.

Je vais devenir hostile à la parité si ça continue !

Mme Anne-Marie Idrac.

On nous dit aussi qu'il ne faut pas légiférer sur des problèmes de société. Je ferai le parallèle avec une question qui m'a beaucoup intéressée à titre personnel, celle de la parité. Je me suis engagée personnellement, et pas simplement dans le cadre de mon groupe, en faveur de la parité. Certaines collègues amies de gauche le savent très bien. Sur la parité, comme sur le service minimum, j'aurais préféré que l'on puisse se passer de loi, que la négociation, l'évolution des esprits, la pression de l'opinion publique permettent d'avancer.

M. Didier Boulaud.

Et le Sénat !

Mme Anne-Marie Idrac.

Mais ce n'est pas le cas. Dans certaines situations, la loi doit donc montrer le chemin.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 MARS 1999

M. Jean-Michel Marchand.

Très bien !

Mme Anne-Marie Idrac.

C'est pourquoi nous avons déposé cette proposition de loi !

Mme Martine David.

C'est ce qu'on a fait pour les 35 heures !

Mme Anne-Marie Idrac.

Justement, vous avez bien légiféré, pourquoi ne pourrait-on pas le faire sur le sujet qui nous occupe ?

M. le président.

Ne vous laissez pas interrompre, madame Idrac !

Mme Muguette Jacquaint.

Restez calme !

Mme Anne-Marie Idrac.

Oh, je suis calme !

M. Gilbert Gantier.

Ça les ennuie !

M. Dominique Bussereau.

Ça les ennuie que Mme Idrac ait raison !

Mme Anne-Marie Idrac.

Sortons donc de l'approche décidément bien polémique et caricaturale selon laquelle il s'agirait d'un débat idéologique ! Ce n'est pas un débat idéologique, il s'agit simplement de prendre en compte les vrais problèmes des gens, comme l'a souligné Michèle Alliot-Marie.

Mme Véronique Neiertz.

Ce n'est pas un débat idéologique, c'est un débat social !

Mme Anne-Marie Idrac.

Si l'Assemblée nationale, si les politiques ne s'occupent plus des vrais sujets, alors les citoyens peuvent effectivement se demander à quoi nouss ervons et se révolter contre l'inefficacité publique.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme Muguette Jacquaint.

M. Georges Hage.

La voix du prolo ! (Sourires.)

Mme Muguette Jacquaint.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à plusieurs occasions, nous avons entendu : « il faut le débat », « il faut le dialogue social », « il faut les négociations ». Bien sûr, les syndicats y sont favorables - et le groupe communiste aussi.

Mais, avec ce texte, ce n'est pas de cela qu'il s'agit.

Une fois de plus, par la proposition qu'elle a déposée la droite cherche à porter atteinte aux droits des salariés.

M. Michel Bouvard.

La Droite réactionnaire ! (Souriress ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jean Rouger.

Ou ultra-réactionnaire !

M. Claude Billard.

Revancharde !

M. Didier Boulaud.

Et sectaire...

Mme Muguette Jacquaint.

C'est la onzième proposition tendant à remettre en cause le droit de grève dans les ervice public des transports. Une telle opiniâtreté démontre bien qu'il s'agit d'une vraie bataille de fond.

Nous ne sommes d'ailleurs pas dupes, ce n'est pas un simple problème de forme, d'aménagement, mais bien une tentative de remise en cause du droit de grève.

Celle-ci a échoué en commission, et je m'en félicite.

De tous temps, la droite a souhaité limiter les droits des salariés. Les droits sociaux et leur exercice sont toujours dénoncés comme des freins à la libre entreprise.

Sous prétexte de liberté du travail et du maintien du service public - décrié à d'autres moments comme une atteinte à la concurrence -, cette proposition de loi vise à régir, donc à limiter, le droit de grève des salariés des secteurs publics. Mais ces derniers sont aussi des usagers et c'est à ce double titre qu'ils agissent pour défendre le service public face à la déréglementation et non pour défendre les intérêts catégoriels.

M. Michel Bouvard.

Non ?

Mme Muguette Jacquaint.

Les conditions de travail et de la qualité du service public sont indissociables. Voyons un peu ce qui se passe en Angleterre, où le droit de grève est limité. Les usagers des transports sont-ils pour autant mieux servis ? Certainement pas ! Les agents du service public ont une conscience aige de l'intérêt général. Placés au coeur des services publics , ils mesurent les conséquences des démantèlements, des privatisations, des gestions à flux tendus. Nous pouvons encore être fiers des services publics français, dont nous revendiquons le maintien, même si nous souhaitons leur amélioration et leur modernisation. Nous le devons en partie à la qualité des personnels et des services rendus.

Les grèves de 1995 ont montré avec vigueur la sympathie des usagers à leur égard, en dépit des moyens considérables de propagande, mobilisés pour les présenter comme otages, victimes et les opposer aux salariés des services publics.

Ce sont les orientations choisies, la déréglementation, la dégradation de la qualité des services, les atteintes portées aux droits sociaux des salariés et les méthodes autoritaires et technocratiques suivies par de nombreuses directions qui sont à l'origine des conflits et, parfois, de l'aggravation des situations au cours même des conflits.

Faut-il rappeler que les mouvements sociaux, sous des formes différentes, ont jalonné l'histoire sociale de notre pays ? Ceux qui ont donné naissance aux plus grands acquis sociaux se sont souvent déroulés malgré leur interdiction ou en contradiction avec la réglementation en vigueur à l'époque. Les grèves ont marqué l'évolution du droit du travail et ses acquis sont un élément essentiel du progrès social.

La proposition de loi qui nous est présentée, se fixe l'objectif d'assurer un service minimum aux heures de pointe dans les transports. Mais que signifie un service minimum dans les transports aux heures de pointe, si ce n'est un service normal ?

M. Dominique Bussereau.

C'est sûr !

Mme Muguette Jacquaint.

L'objectif apparaît donc sans ambiguïté. Il s'agit bien d'interdire la grève aux heures de pointes dans les transports.

Et cela ne suffisant pas, la proposition de loi incite les partenaires sociaux à réglementer eux-mêmes leur droit de grève. Celui-ci serait en effet soumis à une autorisation préalable, à un calendrier, à une organisation dont les syndicats concernés seraient les auteurs, les contrôleurs et, bien entendu, les responsables.

Or la grève est inscrite comme un droit fondamental dans la Constitution. Le préambule de la Constitution de 1946, expressément visé par la Constitution de 1958 au même titre que la Déclaration des droits de l'homme de 1789, proclame que : « le droit de grève s'exerce dans le cadre des lois qui le réglementent ».


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 MARS 1999

Le refus de négocier et, parfois, les mesures « antigrève » comme les pressions, les fausses réquisitions, les sanctions, le remplacement illégal des grévistes - sachons que La Poste s'est vu interdire l'emploi de CDD pour remplacer les grévistes - conduisent souvent à prolonger inutilement les mouvements. Ce n'est pas là l'image de la concertation et de la négociation, telles que beaucoup la souhaitent.

Ce n'est donc pas de réglementation du droit de grève que nous avons besoin. Cette réglementation existe. La loi de 1963 a instauré le préavis de cinq jours dans les services publics. De même, la loi du 19 octobre 1982 fait obligation d'ouvrir les négociations en cas de préavis de grève. Mais force est de constater que ce dispositif reste souvent lettre morte.

Ce dont nous avons besoin aujourd'hui, c'est d'une amélioration des conditions de travail, de l'embauche d'emplois statutaires, du maintien et du développement des missions de service public. C'est une question de modernisme et de progrès.

La proposition de loi nie l'apport des mouvements sociaux, leurs causes, leurs richesses, leur complexité, leurs effets bénéfiques sur la vie démocratique et sociale.

Les conditions d'exercice du droit de grève donnent une mesure exacte du caractère plus ou moins démocratique des régimes qui tentent de le réglementer.

Les textes confèrent au droit de grève une valeur constitutionnelle. Le droit de grève se trouve en outre conforté par la charte sociale européenne, conclue au sein du Conseil de l'Europe le 18 octobre 1961 à Turin, et ratifiée par la France en 1974.

L'exercice du droit de grève est une liberté publique.

Cette reconnaissance implique nécessairement le rejet des clauses conventionnelles restrictives du droit de grève.

D'ailleurs, la jurisprudence rejette clairement ces clauses depuis 1995, en invoquant l'ordre public social.

Le droit de grève, droit fondamental, est un droit individuel - bien qu'exercé collectivement - qui appartient à chaque salarié.

Le Conseil économique et social s'est montré constructif dans son rapport des 10 et 11 février 1998 sur la prévention et la résolution des conflits du travail, en recommandant de favoriser l'expression des salariés et d'améliorer les relations sociales plutôt que de réglementer à nouveau l'exercice de la grève dans le secteur privé comme dans les secteurs publics.

Limiter le droit de grève, c'est refuser la démocratie.

Nous notons, une fois de plus, que ceux-là mêmes qui parlent de manque de dialogue social sont ceux qui réclament toujours moins de droits et plus de restrictions pour les salariés.

M. Dominique Bussereau.

Ils ont aussi des devoirs !

Mme Muguette Jacquaint.

En conclusion, les députés communistes sont fermement opposés à cette proposition de loi et seront toujours vigilants à garantir le droit de grève, liberté fondamentale de toute société civilisée et démocratique. (Vifs applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme Claudine Ledoux.

Mme Claudine Ledoux.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons, quelles que soient les bonnes intentions dont elle se pare et le parrainage prestigieux dont elle se prévaut, me paraît symptomatique du mauvais procès que nos collègues de droite ne peuvent s'empêcher d'intenter à ce droit fondamental qu'est le droit de grève.

M. Dominique Bussereau.

Oh !

Mme Claudine Ledoux.

Ce qui imprègne de part en part la proposition qui nous est soumise, c'est une hostilité tantôt sourde, tantôt explicite à ce principe républicain reconnu par la Constitution...

M. Michel Bouvard.

C'est Jurassic Park !

Mme Claudine Ledoux.

... au nom de la lutte contre ce que les auteurs appellent la « triste gréviculture française ».

Le recours à la grève serait une exception culturelle caractéristique de l'archaïsme français. Pourtant, l'usage de la grève par nos voisins européens, allemands ou italiens, est loin d'être rare. Et quand bien même la tradition française en cette matière serait une exception, il est souvent arrivé, dans notre histoire récente ou plus ancienne, que les Français aient raison. (« Eh oui ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Dans le titre I du texte que nous examinons, les auteurs se fixent pour objectif d'« améliorer le dialogue social ». L'intention consistant à encourager la concertation et le dialogue est, bien sûr, louable.

M. Dominique Bussereau.

Merci !

Mme Claudine Ledoux.

La grève ne doit pas être la première réponse aux situations conflictuelles survenant au sein d'un service.

M. Dominique Bussereau.

Très bien !

Mme Claudine Ledoux.

Il est évidemment toujours préférable de la réserver aux situations où le dialogue a échoué.

M. Dominique Bussereau.

Très bien !

Mme Claudine Ledoux.

Pour autant, le dispositif que les auteurs suggèrent - imposer le recours systématique et obligatoire à une lourde procédure destinée à éviter l'arrê t du travail - prive manifestement les salariés de la possibilité d'utiliser le droit de grève, notamment dans ces contextes d'urgence où celle-ci apparaît comme la seule réponse adaptée à la situation.

L'obligation de mettre en place une « procédure d'anticipation des conflits » avant tout dépôt de préavis introduirait une rigidité un peu surprenante et paradoxale de la part de collègues qui nous ont plutôt habitués à dénoncer les réglementations abusives en matière de législation du travail.

M. Didier Boulaud.

Les dirigistes, ce sont eux !

Mme Claudine Ledoux.

Si la bonne qualité du climat social au sein d'une entreprise est toujours souhaitable, elle ne se décrète malheureusement pas, comme l'illustrent parfaitement les auditions dont rend compte le rapport du sénateur Claude Huriet.

Cette proposition de loi et son exposé des motifs, sous couvert d'améliorer le bien-être des usagers, procèdent d'une méfiance déclarée à l'égard du droit de grève. Cela apparaît clairement dans l'article 6 où l'exigence du service minimum est formulée de façon tellement générale qu'elle aboutit à vider le droit de grève de toute sa substance en le privant de toute efficacité opératoire. En effet, à quoi pourrait-il encore servir de faire grève dès lors qu'il est stipulé que la grève ne doit pas gêner les usagers ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 MARS 1999

Mme Michèle Alliot-Marie.

Quel aveu !

Mme Claudine Ledoux.

Nul ne souhaite évidemment multiplier à l'envi les grèves paralysant l'ensemble du pays. Mais quel est le sens d'une grève qui n'exerce aucune pression réelle sur ceux à qui s'adressent les revendications ? Par ailleurs et plus fondamentalement, est-il bien pertinent d'opposer ainsi les usagers et les salariés du secteur public ?

M. Didier Boulaud.

En effet, c'est scandaleux !

Mme Claudine Ledoux.

Ce pseudo-clivage repose sur une vision caricaturale de la société, celle que l'on retrouve encore dans la prétendue opposition entre secteur protégé et secteur privé. Le grand mouvement de décembre 1995 a montré les limites des tentatives visant à dresser ainsi les salariés les uns contre les autres. Le soutien de l'opinion spontanément accordé à cette occasion aux grévistes du secteur public...

M. Pierre Carassus.

Très bien !

Mme Claudine Ledoux.

... a suggéré à certains commentateurs l'idée d'une grève par procuration. Il est clair, en effet, que le secteur public, du fait précisément de la garantie d'emploi qu'il offre, est souvent à l'avant-garde des combats pour l'amélioration des conditions de travail de l'ensemble des salariés.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Très bien !

Mme Véronique Neiertz.

C'est cela la gauche !

M. Dominique Bussereau.

A vaincre sans péril...

Mme Claudine Ledoux.

Le texte qui nous est proposé ici vise à garantir la continuité du service public. Mais cette garantie est déjà assurée grâce aux efforts conjugués de la loi et de la jurisprudence. Je citerai pour mémoire la loi du 31 juillet 1963 qui impose le dépôt de préavis.

Je rappelle que le service minimum s'impose déjà, par exemple aux agents publics des services investis d'une mission ayant trait à la sécurité des personnes ou à la souveraineté. En tout état de cause, une telle limitation ne saurait être opposée aux agents de façon générale et sans distinction.

Les juges administratifs et constitutionnel ont rappelé à plusieurs reprises que le service minimum ne saurait être le service normal sous peine de vider le droit de grève de sa substance. Faut-il rappeler que certains corps de fonctionnaires sont exclus de l'exercice de ce droit ? Faut-il rappeler encore que la loi de 1963 interdit certains types de grèves, tournantes, sauvages, perlées, dites « politiques », etc.

? Faut-il rappeler enfin que le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat n'ont jamais ménagé leurs efforts pour assurer la nécessaire conciliation entre deux principes de valeur constitutionnelle, le droit de grève et le principe de continuité des services publics ? On aperçoit, dans ce texte, une intention scélérate (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants)...

Mme Martine David.

Le terme est bien choisi !

Mme Claudine Ledoux.

... qui vise à jeter l'opprobre sur les personnels des services publics, piliers de notre République et à rogner un droit essentiel et reconnu comme tel par une partie de vos amis en 1946.

Pour toutes ces raisons, aux côtés des agents ainsi menacés, je ne peux que condamner fermement l'esprit et les dispositions de cette proposition de loi.

(Vifs applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Pélissard.

M. Jacques Pélissard.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans l'intimité de cette séance, pourrons-nous sortir du registre des caricatures, des invectives et des faux procès ? (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Pour ma part, je le pense ! Je rappellerai quelques principes de base : toute société recèle par nature des risques de conflit entre des intérêts différents. Une société démocratique comme la nôtre pose des règles et doit, en les respectant, trouver des solutions à ces conflits dans une optique d'intérêt général.

Les grèves dans les services publics illustrent un double affrontement entre les principes généraux qui n'ont jamais été contestés par quiconque : la grève est un droit légitime énoncé par la Constitution, mais la continuité du service public constitue également un principe de valeur constitutionnelle. Autre affrontement entre des droits individuels : la liberté de faire grève dans le secteur public est un droit pour chaque agent, mais la liberté de nos concitoyens de se déplacer, d'aller travailler et étudier en est un autre.

C ette liberté de se déplacer dans notre société moderne, urbanisée, doit être conçue comme une liberté matérielle et non formelle. Cette liberté, c'est le droit de bénéficier de services publics qui lui donnent un contenu concret. Or, comme l'a dit à juste titre le Président de la République, le 4 décembre, il n'est pas acceptable « que les services publics aient le triste monopole des grèves qui paralysent en quelques heures toute l'activité d'une agglomération ». Et, il poursuivait : « Il est essentiel que les entreprises de service public s'accordent avec leur personnel sur les procédures efficaces de prévention des grèves. »

Des services publics interrompus par la grève, c'est d'abord la manifestation de l'échec du dialogue social dans l'entreprise, mais aussi la démonstration, en dehors de l'entreprise, d'une priorité de fait instaurée unilatéralement au profit de la liberté des grévistes et au détriment de la liberté des usagers.

Le législateur doit organiser le respect réciproque, l'articulation mutuelle de ces deux libertés. La proposition de loi est pertinente dans la mesure où elle privilégie, à titre principal, le dialogue social, prévoit l'instauration d'une procédure préalable permettant d'anticiper les conflits.

En second lieu, et en cas d'échec seulement de la négociation, la proposition de loi envisage l'instauration d'un service minimum.

Bien évidemment, ces solutions sont humainement, socialement, économiquement nécessaires. Mais il est une dimension que l'on oublie souvent ici, et nos collègues Verts en sont aujourd'hui l'exemple : c'est l'approche environnementale. Sur ce terrain, la proposition de loi est également porteuse d'effets bénéfiques. En effet, nous ne pouvons, sur tous les bancs, nous plaindre de la pollution automobile, de l'engorgement des voies de circulation par les poids lourds ou de l'insécurité routière, et rester passifs lorsque l'échec du dialogue social dans les entreprises publiques en situation de monopole jette sur nos routes, autoroutes et périphériques urbains des centaines de milliers de voitures et leurs occupants, otages malheureux d'un conflit auquel ils sont étrangers.

M. Dominique Bussereau.

Très bien !

M. Jacques Pélissard.

Nous ne pouvons, les uns et les autres, plaider pour le rail, pour l'intermodalité, pour le transport combiné rail-route, si la solution rail, garante de


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 MARS 1999

sécurité pour les passagers transportés et respectueuse de l'environnement, n'est pas effectivement disponible en tant que service public.

M. Gilbert Gantier.

Très bien !

M. Jacques Pélissard.

Sur le plan de la protection de l'environnement, le transport de voyageurs par la SNCF ou la RATP est à tout point de vue souhaitable. L'efficacité énergétique au voyageur par kilomètre d'un train de banlieue est trois fois plus grande que celle d'une voiture particulière. Ce chiffre ressort d'un rapport Ademe de 1994.

M. Didier Boulaud.

Il n'y a qu'à taxer le pétrole et le gazole !

M. Jacques Pélissard.

De même, selon le rapport de M. Boiteux, du Commissariat général du plan publié en 1994, lorsque la voiture contribue au coût de l'effet de serre pour 2,4 centimes au voyageur-kilomètre, le rail électrique a pour sa part un coût nul. Enfin, en milieu urbain, le coût en centimes par kilomètre de la pollution atmosphérique est de 8 centimes pour les voitures, contre 0,12 centime pour le rail électrique, selon le rapport de Dominique Dron, de la cellule de prospective du ministère de l'environnement, remis en 1995.

M. Didier Boulaud.

C'est la faute du lobby pétrolier, celui de Gantier !

M. Jacques Pélissard.

Or les transports de voyageurs vont continuer à se développer. Les perspectives d'évolution à l'horizon 2010 portent sur des taux de croissance annuels de 1 à 2 %. Il en va de même pour les transports de marchandises, avec une augmentation de 65 % entre 1990 et 2010. Si la route absorbe, comme c'est le cas aujourd'hui, 90 % de la progression totale, nous assisterons d'ici à 2010 à un doublement du transport routier en France et nous subirons les émissions polluantes correspondantes.

Les questions sont simples. Voulons-nous de ce scénario, de ses effets néfastes sur la santé et l'environnement ? Voulons-nous, parce que les grèves à répétition sans service minimum cassent la dynamique du transport rail, par hypothèse collectif, continuer à faire la part trop belle au trafic routier ? Voulons-nous cantonner le transport combiné rail-route à une part réduite du marché ? Par exemple, le volume traité par la Compagnie nouvelle des conteneurs a baissé de 15 % en 1998 du fait du blocage prolongé de conteneurs sur des rames immobilisées par la grève. Je ne pense pas que nous le voulions. C'est notre rôle de législateur d'imaginer pour notre pays - et cette proposition de loi y participe - des procédures de gestion des conflits au sein des services publics qui contribuent à l'essor d'une politique soutenable des transports, d'une politique respectueuse des usagers d'aujourd'hui, mais aussi des usagers de demain. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Didier Boulaud.

Sus aux lobbies pétroliers !

M. le président.

Monsieur Boulaud, si vous voulez intervenir, inscrivez-vous dans le débat.

La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.

M. Jean-Jacques Filleul.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, une nouvelle tentative qui viserait à protéger les droits des usagers, à améliorer le dialogue social et à assurer la continuité dans les services publics nous est présentée dans cette proposition de loi. Or, à la lecture de l'exposé des motifs et des arguments développés par nos collègues qui siègent à droite de ces bancs, c'est moins à la continuité dans les services publics qu'à la remise en cause du droit de grève que s'attache insidieusement ce texte.

Nous assistons là à une pratique récurrente de l'opposition, sur un thème quelque peu usé, qu'elle utilise d'ailleurs le plus souvent lorsqu'elle est précisément dans l'opposition.

M. Dominique Bussereau.

Pas pour longtemps !

M. Jean-Jacques Filleul.

La loi du 31 juillet 1963 relative à certaines modalités de la grève dans les services publics se suffit à elle-même puisqu'elle prévoit le préavis, sa forme et son contenu, ainsi que le délai, cinq jours francs avant le déclenchement de la grève, laissant ainsi le champ à la négociation sociale.

Les deux premiers titres de votre proposition de loi, mes chers collègues, allongent encore les délais de la négociation par la mise en place d'une procédure obligatoire d'anticipation des conflits avant le dépôt d'un préavis de grève. De plus, ils visent à mettre en oeuvre de nouvelles conditions contraignantes quant à la décision d'exercer le droit de grève. Ajouter de la négociation à la négociation, vous le savez pertinemment, cela compliquerait plus encore le dialogue social en allongeant la période d'affrontement. Toutes vos gesticulations tournent en fait autour de l'idée quelque peu démagogique qui tend à limiter le droit de grève, voire à l'étouffer sous des contraintes...

M. Gilbert Gantier et M. Dominique Bussereau.

Mais non !

M. Jean-Jacques Filleul.

... qui seraient vite jugés insupportables, y compris par les utilisateurs du service public, eux-mêmes travailleurs. Votre ambition consiste avant tout à rechercher un effet d'annonce en direction des usagers-citoyens.

M. Gilbert Gantier.

Des citoyens qui marchent à pied quand il y a grève !

M. Jean-Jacques Filleul.

Dominique Bussereau l'explique fort bien dans le journal La Croix du 16 mars dernier. A une question du journaliste portant sur le point de savoir si le texte serait adopté par des voix de gauche, notre éminent collègue répond, avec quelque impudence, que le principe d'un service minimum dans les transports publics fait l'objet d'un consensus dans l'opinion et ajoute que les syndicats acceptent d'en discuter sans trop de réticence.

M. Gilbert Gantier.

Faites un référendum !

M. Jean-Jacques Filleul.

Pour clore sa démonstration, il désigne le fautif en pointant le doigt sur la gauche, qui ne se convertit pas.

M. Nicolas Forissier.

Vous avez peur !

M. Dominique Bussereau.

Mais ça viendra !

M. Jean-Jacques Filleul.

L'objectif est atteint même si le texte est rejeté. L'opposition, sur ce thème, aura fait son tour de piste.

M. Alain Néri.

Et ce n'est pas un tour d'honneur !

M. Jean-Jacques Filleul.

Attention, mes chers collègues, à ne pas opposer les agents du service public aux usagers. Votre texte participe en quelque sorte à une remise en cause déguisée du service public, qui utiliserait de manière excessive un droit de grève...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 MARS 1999

M. Nicolas Forissier.

Archaïque !

M. Jean-Jacques Filleul.

... au profit exclusif d'intérêts catégoriels et corporatistes. C'est mal connaître les causes essentielles des grèves, notamment à la SNCF, puisque, si l'on prend la peine d'y regarder de près, il apparaît que les deux motifs principaux sont l'emploi et la sécurité. Ce ne sont pas des revendications propres aux cheminots, mais il est vrai qu'ils les portent plus que d'autres.

Si des problèmes existent, votre proposition de loi n'y répond pas. Elle en susciterait plutôt si on imagine de l'appliquer, notamment dans le domaine des transports.

Tous les responsables de services publics s'accordent à mettre en avant les difficultés techniques que causerait la mise en place d'un service minimum, avec pour résultat confusion et insécurité. Un service minimum ne pourrait pas être pleinement assuré. Techniquement, en effet, la SNCF ne peut faire circuler des trains avec des effectifs réduits. Tout comme à la RATP, il n'est pas possible d'envisager d'assurer un tiers du trafic aux heures de pointe au regard de l'affluence des voyageurs, dont la sécurité serait remise en cause. Les usagers des services publics exigent la sécurité maximum, et ils ont bien raison.

Par ailleurs, mettre en place le service minimum nécessiterait parfois que l'on fasse des choix entre les catégories d'usagers, comme ce serait le cas à la SNCF où il est techniquement plus facile de faire rouler des TGV que des trains régionaux ou de banlieue. On aboutirait ainsi à des discriminations. Ces fausses solutions vont donc à l'encontre d'un principe fondateur du service public : assurer l'égalité de traitement entre les usagers, quelle que soit leur destination.

Par ailleurs, il me semble que vous laissez clairement apparaître votre profonde méconnaissance des cultures et de l'organisation propres à chaque entreprise publique. La forte décentralisation de la RATP semble avoir aidé à l'efficacité de son système « d'alerte sociale », alors que la SNCF se distingue par une forte structure centrale même si elle tend à se décentraliser. C'est pourquoi il n'est pas légitime d'affirmer que ce qui marche à la RATP marcherait forcément à la SNCF ou dans d'autres entreprises publiques.

Il est entendu que personne ne peut rester insensible aux difficultés des usagers en cas de recours systématique au droit de grève.

M. Gilbert Gantier.

Ben voyons !

M. Nicolas Forissier.

Blabla !

M. Jean-Jacques Filleul.

Il faut développer l'usage de la négociation collective. La grève est un instrument légal de négociation sociale utilisable seulement si l'effort de concertation a été mené à son maximum de part et d'autre.

M. Jacques Pélissard.

C'est l'objet de la proposition de loi !

M. Jean-Jacques Filleul.

L'essentiel consiste à faire évoluer les états d'esprit par la confiance réciproque.

A l'évidence, seuls les partenaires sociaux peuvent, dans le cadre de chaque entreprise, se donner les instruments de ce dialogue interne et constant dans la durée. Ce n'est pas en légiférant et en contraignant qu'on y parviendra, mais en favorisant la culture collective de la négociation au sein de ces entreprises publiques.

Mme Véronique Neiertz.

Très bien !

M. Jean-Jacques Filleul.

Récemment, la direction de la SNCF et les syndicats se sont engagés dans la voie d'une rénovation de la gestion des conflits. Votre proposition de loi, si elle était adoptée, serait contre-productive, parce qu'elle repose sur une méconnaissance des mécanismes du dialogue social. Elle placerait la négociation sous la menace d'une intervention législative.

Il m'apparaît de plus quelque peu dangereux de fonder la légitimité et la pertinence d'une proposition de loi sur son approbation, supposée, par l'opinion publique. Si nos institutions sont démocratiques, c'est bien pour éviter la loi du plus fort ou du plus grand nombre et pour faire prévaloir une réglementation conforme à l'intérêt géné ral.

Votre proposition de loi est illégitime, parce qu'elle porterait atteinte à une liberté fondamentale inscrite dans notre Constitution, le droit de grève.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Carassus.

M. Pierre Carassus.

Monsieur le président, mesdames, messieurs, la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui est loin, selon nous, d'adopter la démarche républicaine sur laquelle nous aurions dû tous nous retrouver afin d'impulser la légitime modernisation et l'adaptation de nos services publics, dans le respect de l'intérêt général.

Qu'il s'agisse des usagers ou des agents de l'Etat, des collectivités locales et des entreprises publiques, tout le monde s'accorde à dire qu'il existe dans nos services publics des dysfonctionnements auxquels nous devons tenter d'apporter une solution pour rendre plus efficace l'intervention publique. D'ailleurs, les diverses actions menées par les cheminots, les enseignants ou les personnels des hôpitaux, de La Poste et d'EDF montrent que cette volonté est au coeur même des préoccupations de ceux qui servent l'Etat et qui vivent au quotidien la dégradation des services publics, en raison notamment du manque de moyens alloués. Au-delà de la défense de leur propre intérêt, ils sont souvent les premiers à demander qu'un véritable débat s'engage sur la nécessité de rénover les services publics afin d'améliorer le service rendu, d'aménager de façon cohérente et durable notre territoire et de maintenir et développer l'emploi. Ce n'est pas en supprimant, ni même en limitant le droit de grève que nous résoudrons ces problèmes.

Quant aux usagers, même si, parfois, ils dénoncent certaines anomalies, ils ne souhaitent pas, dans leur grande majorité, participer à cette campagne visant à discréditer l'organisation administrative de la France, qui est pourtant enviée par bien des pays. Leurs attentes sont autres.

Ce sont celles de citoyens qui aspirent légitimement à ce que leurs démarches auprès des administrations publiques soient plus simples, plus rapides et plus efficaces, qui souhaitent que l'administration soit plus transparente dans son fonctionnement, plus lisible dans ses réponses, et que les services publics aient les moyens de fonctionner au mieux.

Qui pourrait souhaiter le contraire ? Certainement pas les députés du Mouvement des citoyens. Nous attendons plutôt que le Gouvernement, comme s'y est engagé Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de la décentralisation, organise un très large débat rassemblant les syndicats de fonctionnaires, les usagers des services de l'Etat, les collectivités locales et les élus, en vue d'élaborer des mesures concrètes visant à l'amélioration des relations entre les administrations et les usagers, et à rendre plus transparente la gestion de la fonction publique et des entreprises publiques nationalisées.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 MARS 1999

Les signataires de la proposition de loi se font l'écho de tous ces archaïques qui veulent remettre en cause le rôle de l'Etat dans l'économie, souhaitant le restreindre aux seules fonctions dites régaliennes.

M. Dominique Bussereau.

Absolument !

M. Pierre Carassus.

Nous retrouvons là tous les ingrédients d'un libéralisme dogmatique...

M. Nicolas Forissier.

Moderne !

M. Pierre Carassus.

... assorti d'un zeste de populisme qui consiste, d'une part, à tenter cyniquement de dresser les Français travaillant dans le secteur privé contre ceux qui travaillent dans le secteur public ; d'autre part, à livrer à la vindicte populaire le fonctionnaire coupable d'être à la fois un nanti, un maillon des rouages de l'administration bureaucratique et un adepte de l'usage abusif du droit de grève, qui pénaliserait notre économie.

En vérité, ce qui paralyse notre société, c'est une trop grande financiarisation de l'économie qui met l'Etat sous les coups de boutoir du marché.

M. Dominique Bussereau.

C'est le grand capital !...

M. Pierre Carassus.

Ainsi, le budget de la France pour 1998 s'élève à 1 585 milliards de francs, alors que la capitalisation boursière, en février dernier, était de l'ordre de 5 720 milliards. Les profits se sont encore envolés...

M. Didier Boulaud.

Surtout dans les pétroles !

M. Pierre Carassus.

... tandis que les écarts de richesse et les inégalités sociales se creusent. Les patrimoines professionnels des trente familles les plus riches de France pèsent plus de 425 milliards de francs.

Ces privilèges, la droite n'en parle jamais. Arrêtez donc de taper sur les fonctionnaires ! (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Jacques Pélissard.

Ce n'est pas le cas !

Mme Muguette Jacquaint.

Oh si !

M. Pierre Carassus.

Ce ne sont pas eux les privilégiés.

Vous proposez l'instauration d'un service minimum dans la fonction publique et les entreprises publiques. Les députés du Mouvement des citoyens revendiquent, au contraire, la mise en place d'un service maximum pour le bien-être des usagers et du public.

Votre méfiance, voire votre mépris des salariés du service public et de leurs organisations syndicales, vous aveugle.

(Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Ce n'est jamais par plaisir qu'ils font grève. Ils en sont d'ailleurs les premières victimes.

Pour un petit salaire, la perte d'une ou plusieurs journées de rémunération s'avère souvent dramatique.

M. le président.

Veuillez conclure.

M. Pierre Carassus.

Votre discours sur l'amélioration du dialogue social sonne faux quand on le confronte à vos déclarations sur votre thème favori : le « moinsd'Etat ».

M. Dominique Bussereau.

Excellent thème !

M. Pierre Carassus.

C'est parce que les députés du Mouvement des citoyens...

M. François d'Aubert.

Combien sont-ils, déjà ?

M. Pierre Carassus.

... ont réellement à coeur de protéger les droits des usagers, d'améliorer le dialogue social et d'assurer la continuité dans les services publics, tout en récusant la restriction du droit de grève, qu'ils voteront contre cette proposition de loi.

(« Très bien ! » et applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

Mme Michèle Alliot-Marie.

Laborieux !

M. le président.

La parole est à M. Alain Néri, dernier orateur inscrit.

M. Alain Néri.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mesdames, messieurs, la représentation nationale est saisie d'un texte qui peut paraître à première vue - ou à courte vue - intéressant, voire séduisant.

M. Dominique Bussereau.

Très bien !

M. Gilbert Gantier.

Excellent début !

Mme Martine David.

Attendez, cela va se gâter !

M. Alain Néri.

Ce texte, mes chers collègues, est sûrement très important pour l'opposition puisqu'il a été cosigné par vos trois présidents de groupe, unis, semblet-il, pour une fois.

M. Didier Boulaud.

La Sainte Alliance !

M. Alain Néri.

Et pourtant, votre représentation sur ces bancs est si clairsemée que je doute que vous lui accordiez la moindre importance.

Mme Martine David.

Il fallait le dire !

Mme Véronique Neiertz.

C'est désolant !

M. Alain Néri.

En écoutant M. Bussereau, je me disais aussi que le non-dit est parfois l'essentiel et que tout flatteur vit aux dépens de celui qui l'écoute.

(Exclamations sur divers bancs.)

M. Dominique Bussereau.

Exactement !

M. Alain Néri.

Même si, à l'évidence, le rapporteur,

M. Goulard,...

M. Dominique Bussereau.

Excellent rapporteur !

M. Alain Néri.

... a déployé des efforts méritoires pour habiller ce texte, pour le rendre plus respectable et pour essayer de nous charmer (Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Cette proposition de loi n'en demeure pas moins démagogique et dangereuse.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Ce texte est démagogique, car qui ne peut être favorable à la mise en place de structures de concertation, qui ne peut se réjouir du bon fonctionnement du dialogue social ?

M. Dominique Bussereau.

Il faut le voter, monsieur Néri !

M. Alain Néri.

Seulement, cela ne se décrète pas et surtout ne s'impose pas. La contrainte est par essence contraire à l'ouverture du dialogue ; elle est provacatrice.

Le dialogue social ne peut s'engager que si l'on a su créer un bon climat social dans l'entreprise, par le respect de la dignité et des droits des salariés.

Mme Véronique Neiertz.

Très bien !

M. Alain Néri.

Ce texte est dangereux et provocateur car, sous prétexte de respecter le droit de grève, il ne vise en réalité qu'à le remettre en cause.

M. Dominique Bussereau.

Non, pas du tout !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 18 MARS 1999

M. Alain Néri.

Or ce droit est inscrit dans la Constitution. Cette grande conquête est le fruit de luttes sociales longues, douloureuses et parfois dramatiques, que vous ne connaissez pas, il est vrai...

M. François d'Aubert.

N'importe quoi !

M. Alain Néri.

Sachez encore que les travailleurs ne font jamais grève par plaisir. Ils n'y ont recours que lorsqu'ils y sont contraints et que toutes les autres formes de lutte ont été épuisées. Et n'oublions pas que, souvent, la grève impose de lourds sacrifices à leurs familles et à euxmêmes.

M. François d'Aubert.

Vous parlez du groupe socialiste ?

M. Alain Néri.

Je veux parler des gens qui sont obligés de prendre jusqu'à leur dernier sou pour assurer leurs droits à la dignité, monsieur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Dominique Bussereau.

La plupart du temps, ils sont payés pendant les grèves.

M. Pierre Carassus.

C'est faux ! Je vais vous demander de me rembourser mes jours de grève, monsieur Bussereau !

M. le président.

Laissez parler M. Néri !

M. Alain Néri.

Ces hommes et ces femmes réfléchissent collectivement avant de s'engager dans la lutte car ils sont responsables, eux.

Le droit de grève c'est encore un espace de liberté des salariés. En réalité, une fois de plus, la droite avance masquée.

Mme Muguette Jacquaint.

Mais le masque est transparent !

M. Alain Néri.

Derrière une pseudo-volonté de concertation, elle tente de porter insidieusement atteinte à une liberté fondamentale des travailleurs. C'est une atteinte intolérable à la démocratie. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.) Cette proposition traduit en fait la volonté de limiter les droits des travailleurs, et notamment le droit de grève. On a déjà connu cela en Angleterre avec Mme Thatcher et ses lois scélérates. (Mêmes mouvements sur les mêmes bancs.)

Chers collègues de l'opposition, sachez que nous nouso pposerons toujours avec détermination à de telles manoeuvres. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La discussion générale est close.

Vote sur le passage à la discussion des articles

M. le président.

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi.

Je précise que, conformément aux dispositions du même article du règlement, si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

Je mets aux voix le passage à la discussion des articles de la proposition de loi.

(L'Assemblée ayant décidé de ne pas passer à la discussion des articles, la proposition de loi n'est pas adoptée.)

2 AMÉNAGEMENT DE L'ORDRE DU JOUR

PRIORITAIRE

M. le président.

La parole est à M. le ministre des relations avec le Parlement.

M. Daniel Vaillant, ministre des relations avec le Parlement.

Par courtoisie, je tiens à informer l'Assemblée nationale que la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux polices municipales aura lieu ce soir, à vingt et une heures.

3

ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique : Discussion de la proposition de loi, no 1394, de M. Patrick Leroy et plusieurs de ses collègues relative à la délivrance des grades dans les disciplines relevant des arts martiaux : M. Patrick Leroy, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport no 1459, procédure d'examen simplifiée) ; Discussion du projet de loi, adopté par le Sénat, no 1414, modifiant l'ordonnance no 82-283 du 26 mars 1982 portant création des chèques-vacances : M. Gérard Terrier, rapporteur au nom de la commission des affaires culturelles, familiales et sociales (rapport no 1460) ; A vingt et une heures, troisième séance publique : Discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif aux polices municipales : M. Jacky Darne, rapporteur (rapport no 1470).

La séance est levée.

(La séance est levée à onze heures vingt-cinq.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT