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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 23 MARS 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. PATRICK OLLIER

1. Modification de l'ordre du jour prioritaire (p. 2721).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

2. Présomption d'innocence et droits des victimes. - Discussion d'un projet de loi (p. 2721).

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Christine Lazerges, rapporteur de la commission des lois.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 2731)

MM. André Gerin, Pierre Albertini, Alain Tourret, Philippe Houillon, Mme Frédérique Bredin,

M.

Patrick Devedjian, Mme Huguette Bello,

MM. Renaud Donnedieu de Vabres, Louis Mermaz, Claude Goasguen, Mme Nicole Catala.

Renvoi de la suite de la discussion à la prochaine séance.

3. Dépôt d'une proposition de résolution (p. 2751).

4. Dépôt d'une proposition de loi modifiée par le Sénat (p. 2751).

5. Ordre du jour des prochaines séances (p. 2751).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 23 MARS 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. PATRICK OLLIER,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à vingt et une heures.)

1

MODIFICATION DE L'ORDRE DU JOUR PRIORITAIRE

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, pour une communication relative à l'ordre du jour.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le président, en raison du malaise dont a été victime Michel Crépeau, à qui nous souhaitons de se rétablir très vite, la séance a été suspendue cet aprè smidi par le président de l'Assemblée nationale.

Aux termes de l'article 48 de la Constitution, le Gouvernement demande que le projet de loi relatif à la présomption d'innocence vienne en discussion immédiatement.

M. le président.

La présidence prend acte de votre demande et s'associe bien entendu à vos voeux pour le rétablissement de M. Crépeau.

2 PRÉSOMPTION D'INNOCENCE ET DROITS DES VICTIMES Discussion d'un projet de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes (nos 1079, 1468).

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, je dirai d'abord quelques mots sur l'état d'avancement de la réforme de la justice, la première réforme globale depuis 1958. Dans sa déclaration de politique générale de juin 1997, le Premier ministre, Lionel Jospin, a annoncé une réforme d'ampleur de la justice et décliné les engagements pris devant les Français pendant la campagne des élections législatives : rendre la justice plus proche des citoyens, plus respectueuse des libertés et plus indépendante.

J'ai présenté les orientations de cette réforme au conseil des ministres du 29 octobre 1997. Elles ont été débattues devant le Parlement les 15 et 21 janvier 1998. Depuis, les textes évoqués dans cette communication ont été présentés au conseil des ministres, puis déposés sur les bureaux des assemblées. Il restera à élaborer les réformes en matière économique, celle des tribunaux de commerce, celle qui concerne la modernisation de la loi sur les sociétés, et à engager la réforme du droit de la famille, qui fait actuellement l'objet d'un groupe de travail.

Je voudrais profiter de l'occasion qui m'est donnée aujourd'hui pour vous rappeler les axes de cette réforme globale.

Premier volet, une justice plus proche des citoyens.

Le premier texte que vous avez voté définitivement, la loi du 18 décembre 1998 sur l'accès au droit, est la clé de voûte de ce premier axe de la réforme, et va permettre de renforcer la justice de proximité et de rendre ce service public plus adapté aux besoins de nos concitoyens. Dixhuit maisons de la justice et du droit ont été ouvertes depuis le mois de juin 1997, dont sept depuis le 1er janvier 1999, et quarante et un projets sont en cours d'examen. C'est dire si l'application de cette loi sur l'accès au droit avance bien. Je rappelle qu'avant juin 1997, seize maisons de la justice et du droit seulement fonctionnaient.

Un décret réformant la procédure civile publié au mois de décembre dernier permettra lui aussi d'accélérer la justice civile, celle qui concerne l'essentiel des litiges entre particuliers.

Le projet de loi sur la simplification de la procédure pénale, que nous allons prochainement examiner, doit permettre à la justice d'apporter des réponses rapides, adaptées et systématiques aux actes de la petite et moyenne délinquance, celle qui, au quotidien, est vécue par nos concitoyens comme une source d'insécurité. Ce texte prévoit des mesures de simplification qui permettront de renforcer l'efficacité de la procédure. Enfin, il tend à faciliter la coopération judiciaire internationale.

Deuxième volet, le respect des libertés.

La loi sur la délinquance sexuelle du 17 juin 1998 protège mieux les victimes et notamment les mineurs. Et puis il y a le projet qui nous réunit aujourd'hui, sur lequel, bien entendu, je reviendrai plus longuement.

Troisième volet, l'indépendance de la justice.

Le projet de loi constitutionnelle sur le Conseil supérieur de la magistrature, qui a été adopté en termes conformes par les deux assemblées, est en attente du Congrès depuis le mois de novembre. Dès que le Congrès l'aura adopté, les lois organiques d'application pourront être déposées au Parlement.

Le projet de loi sur les relations entre le parquet et la chancellerie sera débattu en première lecture à l'Assemblée nationale avant l'été.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 23 MARS 1999

Ainsi, à peine plus d'un an et demi après l'annonce de la réforme, le Parlement est soit saisi des textes, soit les a partiellement ou totalement adoptés. Aucun retard n'a été constaté. Le Gouvernement a tenu ses engagements en termes de calendrier...

Mme Odette Grzegrzulka.

Absolument ! Il faut le dire !

Mme la garde des sceaux.

... et il convient maintenant de terminer ce qui est largement engagé.

J'en viens maintenant au projet de loi sur la présomption d'innocence et sur les droits des victimes qui nous réunit ce soir. N'oublions pas que c'est le deuxième texte, après la loi sur la délinquance sexuelle, qui se préoccupe des droits des victimes. C'est une novation très importante dans notre droit.

M. Michel Hunault.

Il était temps !

Mme la garde des sceaux.

Je rappellerai d'abord les principes qui ont gouverné l'élaboration de ce projet.

Le texte dont vous êtes saisis s'inspire très largement des travaux qui ont été conduits ces dernières années. Je souhaite ici rendre hommage au travail important réalisé, à la demande du Président de la République, par la commission présidée par le premier président de la Cour de cassation, Pierre Truche, qui a rendu son rapport, en juillet 1997. De nombreux points repris dans ce projet s'inspirent des conclusions de cette commission.

Comme le rappelle l'exposé des motifs du projet de loi que j'ai l'honneur de défendre devant vous, la présomption d'innocence constitue le principe cardinal de toute procédure pénale dans un Etat de droit soucieux de respecter les libertés individuelles.

Malheureusement, il y a souvent loin de la théorie à la p ratique et nombreuses sont les hypothèses dans lesquelles le principe de la présomption d'innocence est mis à mal.

M. Jean Michel.

C'est vrai !

Mme la garde des sceaux.

Ce constat n'est pas nouveau. Ces dernières années, de multiples modifications de notre droit ont d'ailleurs été proposées. Certaines ont été adoptées par le Parlement, certaines abrogées avant même leur entrée en vigueur, d'autres n'ont été appliquées que pendant quelques mois.

C'est la raison pour laquelle il a paru indispensable au Gouvernement de présenter le présent projet de loi, qui procède à une réforme d'ampleur de notre procédure pénale.

Je tiens d'ores et déjà à souligner que les moyens nécessaires à la mise en oeuvre ont été obtenus et qu'ils sont déjà mis en place, avant même que la réforme soit adoptée,...

M. Bernard Roman.

C'est ça, le grand changement !

Mme la garde des sceaux.

... ce qui est sans précédent.

Jamais, jusqu'à présent, les moyens n'avaient été déployés avant que la réforme ait été adoptée par le Parlement - ni même après d'ailleurs -, mais j'y reviendrai.

M. Bernard Roman.

Maintenant, avant de parler, on agit !

M. Pierre Albertini.

Quelquefois, il faut réfléchir avant d'agir !

Mme la garde des sceaux.

Quelles sont les principales caractéristiques de cette réforme ? C'est d'abord une réforme pour les justiciables, pour tous les justiciables.

En effet, l'apport principal consiste à rendre notre justice pénale plus respectueuse des libertés, plus proche des citoyens, plus humaine et plus soucieuse de leurs préoccupations, qu'ils soient victimes ou auteurs d'infractions.

Je voudrais dire un mot des victimes tout d'abord, qui ont trop longtemps été oubliées du procès pénal. Agir en leur faveur, c'est agir en faveur des plus démunis de nos concitoyens. C'est aussi agir pour tous, car nous pouvons tous être un jour, malheureusement, victimes d'une infraction pénale.

La réforme concerne ensuite les personnes suspectées, poursuivies ou mises en cause au cours d'une procédure pénale, dont la situation doit être améliorée, dans le respect des principes directeurs dégagés par la Convention européenne des droits de l'homme. Cette partie de la réforme concerne là encore de très nombreuses personnes.

Je rappelle que plus de 300 000 personnes sont placées chaque année en garde à vue, plus de 60 000 mises en examen et plus de 30 000 placées en détention provisoire.

Cette réforme touche tous les aspects de la procédure pénale : l'instruction, qui ne concerne que 8 % des affaires dont sont saisies les juridictions, mais les plus importantes, mais aussi la citation directe, la convocation à délai rapproché, la comparution immédiate qui, elles, représentent 92 % des saisines des juridictions. Ces dernières procédures, les plus fréquentes, visent essentiellement la petite et la moyenne délinquance, celle qui empoisonne la vie quotidienne de nos concitoyens.

La présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue, le renforcement des droits de la défense à l'audience, les dispositions sur le droit des victimes et la communication s'appliquent à toutes les affaires, et donc à toutes les personnes concernées par la procédure pénale.

C'est aussi une réforme qui choisit de maintenir la procédure inquisitoire qui est la nôtre, tout en améliorant les droits de la défense.

En effet, la procédure accusatoire que connaissent les pays anglo-saxons ne constitue nullement la solution idéale, même si elle trouve de nombreux défenseurs et ici même dans votre assemblée.

Cette procédure est par nature inégalitaire et injuste.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

C'est vrai !

Mme la garde des sceaux.

Elle favorise le fort au préjudice du faible.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Tout à fait.

Mme la garde des sceaux.

Elle accentue les différences sociales et culturelles...

Mme Odette Grzegrzulka.

Absolument !

Mme la garde des sceaux.

... en donnant un plus grand poids au riche, celui qui a la possibilité de rémunérer les services d'un ou plusieurs avocats.

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Très juste !

Mme la garde des sceaux.

Le système inquisitoire est meilleur en ce qui concerne tant les libertés individuelles que l'efficacité de la procédure. Je préfère, et je le dis clai rement, un juge indépendant, qui instruit à charge et à décharge, à des policiers qui exécutent seuls, sans contrôle judiciaire, une large part des investigations.

M. Bernard Roman.

Tout à fait !

Mme la garde des sceaux.

Les pays qui connaissent un système accusatoire classique évoluent. Ils ont mis en place, ou envisagent de le faire, des institutions proches de notre juge d'instruction. Le Canada et l'Australie ont ainsi créé récemment des enquêteurs, magistrats chargés


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des affaires les plus sensibles. La Grande-Bretagne a mis en place une commission en 1993, dont les conclusions proposaient l'institution d'un juge enquêteur.

Par ailleurs, les expériences récentes d'adoption de la procédure accusatoire mises en oeuvre par nos partenaires européens ont été, pour beaucoup d'entre elles, jugées peu convaincantes. L'Italie, en particulier, après quelques années d'expérimentation du nouveau système, a été contrainte d'adopter une législation particulière, inquisit oire, pour permettre la poursuite des infractions mafieuses.

Je ne souhaite pas, vous l'aurez compris, que la France abandonne les armes indispensables dont elle dispose par sa procédure pour lutter contre le crime organisé, le terrorisme, la grande délinquance financière. Ce n'est certainement pas au moment où la criminalité se mondialise et s'organise qu'il nous faut renoncer à l'efficacité dans la répression de cette délinquance.

Mme Odette Grzegrzulka.

Bien au contraire !

Mme la garde des sceaux.

Le juge d'instruction est un atout essentiel, de ce point de vue, dans notre dispositif, pour l'efficacité de l'enquête comme pour la protection des libertés et une approche égalitaire des procédures d'instruction.

C'est pourquoi le présent projet de loi fait le choix assumé de maintenir le juge d'instruction. J'ai d'ailleurs décidé de renforcer ses moyens, comme le montre la création récente des pôles financiers, destinés à mieux lutter contre la délinquance économique et financière. Les dispositions du projet qui accentuent la fonction d'arbitre du juge d'instruction neutre entre les parties, recherchant la vérité, instruisant à charge et à décharge, vont dans le même sens.

L'existence du juge d'instruction, dirigeant la police judiciaire, doté de pouvoirs importants d'investigation et de prérogatives juridictionnelles, travaillant le cas échéant en équipe, est un gage d'efficacité de l'institution judiciaire, et une garantie pour les libertés individuelles. Cette idée doit être présente à nos esprits tout au long des débats.

M. Bernard Roman.

Très bien.

Mme la garde des sceaux.

Enfin, le projet qui vous est présenté est un texte d'équilibre.

Equilibre entre les droits de l'accusé et ceux de la victime. Renforcer chacun de ces droits ne constitue nullement deux objectifs contradictoires, mais deux objectifs complémentaires, qui sont l'un et l'autre aussi importants.

Equilibre entre l'efficacité de l'enquête et les droits des parties. Les renforcements des droits de la défense, qui sont réels dans ce texte, ne doivent pas compromettre l'efficacité des investigations et la nécessité de la répression.

Equilibre, enfin, entre la liberté d'expression et le respect de la présomption d'innocence. L'amélioration de la protection de la réputation des personnes mises en cause, quel que soit le stade de la procédure pénale, ne doit en aucune façon porter atteinte à la liberté de la presse.

Comme l'a plusieurs fois rappelé le Premier ministre, n otamment lors de ses voeux à la presse pour l'année 1999, aucune mesure conduisant à une limitation de la liberté d'expression ne sera retenue par le Gouvernement.

C'est pourquoi la proposition de la commission Truche visant à interdire la publication du nom des personnes mises en cause n'a pas été reprise. Le choix du Gouvernement est celui du respect de l'information toute n protégeant la présomption d'innocence par des mesures de publicité contradictoires et en sanctionnant bien entendu les comportements les plus graves.

Je voulais mettre l'accent sur quelques-unes de ces questions de principe, qui sont essentielles et renvoient à des débats complexes.

Je tiens, sans plus attendre, à rendre un hommage tout particulier au travail de votre rapporteur de la commission des lois, Christine Lazerges, qui vous a permis d'approfondir de façon exhaustive et constructive les enjeux de cette réforme. Je salue aussi les nombreux parlementaires qui ont senti dès le départ la portée de ce texte et ont accepté son économie générale. Je sais que, sur tous les bancs, des parlementaires considèrent que c'est une avancée et ont proposé des amendements pour l'enrichir. Je remercie également la présidente de la commission des lois, Catherine Tasca, qui a largement contribué à la réflexion sur ce projet. De très nombreuses réunions se sont tenues, les débats ont été constructifs, et le travail, comme toujours, particulièrement sérieux.

Le rapport de Mme Lazerges vous a permis d'analyser de façon détaillée diverses propositions d'amendements au projet, pour finalement en retenir certaines et en écarter d'autres. Il en résulte que de nombreux amendements adoptés par votre commission des lois, le plus souvent à l'initiative de votre rapporteur, améliorent grandement le projet du Gouvernement et reçoivent dès lors mon plein accord.

Sur certains points cependant, je ne peux être favorable aux solutions retenues par votre commission, parce qu'elles me paraissent remettre en cause certains des équilibres de la réforme, tels que je viens de vous les rappeler.

Je suis toutefois persuadée que le débat à venir permettra de surmonter ces divergences.

Après ce rappel des principes qui ont justifié l'élaboration du projet, j'en viens maintenant à la présentation du texte lui-même.

Le projet comporte, dans son titre Ier , des dispositions tendant à renforcer la présomption d'innocence et, dans son titre II, des dispositions visant à renforcer les droits des victimes.

Nous avons voulu énoncer le principe de la présomption d'innocence et de ses conséquences en tête du code de procédure pénale. Votre commission approuve cette initiative mais propose de réécrire une partie de l'article 1er pour le rendre plus complet et plus précis. Je souscris à cette proposition.

Le projet de loi prévoit ensuite quatre grandes séries de dispositions ayant trait au renforcement des droits de la défense et le respect du principe du contradictoire ; au renforcement des garanties en matière de détention provisoire ; au droit d'être jugé dans un délai raisonnable ; à la limitation des atteintes à la réputation et la dignité des personnes.

S'agissant du renforcement des droits de la défense et du respect du principe du débat contradictoire, le texte prévoit l'intervention de l'avocat au cours de la garde à vue dès la première heure, sauf dans les cas de criminalité ou de délinquance organisée.

A l'heure actuelle, moins de 10 % des personnes gardées à vue peuvent s'entretenir avec un avocat : en effet, la présence de l'avocat n'est prévue qu'à la vingtième heure ; or toutes les gardes à vue ne se prolongent pas jusqu'à ce terme.


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Désormais, toute personne à qui il sera reproché une infraction de droit commun pourra, avant d'être inter-r ogée pendant vingt-quatre heures, voire quarantehuit heures, par la police ou la gendarmerie, recevoir les conseils avisés d'un avocat, et ce dès le début.

Votre commission des lois a adopté plusieurs amendements concernant la garde à vue. Si certains recueillent mon approbation, d'autres me paraissent soulever d'importantes difficultés. J'y reviendrai au cours de la discussion des articles. Toutefois, j'indique d'ores et déjà que je suis tout à fait favorable à l'amendement tendant à permettre à un avocat de revenir à la vingtième heure de la garde à vue...

Plusieurs députés du groupe socialiste.

Très bien !

Mme la garde des sceaux.

... et pas seulement au moment de la prolongation, comme le prévoyait le projet du Gouvernement.

M. Bernard Roman.

C'est une avancée de l'avancée ! (Sourires.)

Mme la garde des sceaux.

S'agissant toujours du renforcement des droits de la défense, le projet prévoit d'étendre les droits des parties au cours de l'instruction.

En effet, celles-ci pourront demander au juge tous les actes - je dis bien : tous les actes - qu'elles estiment nécessaires, et non plus uniquement certains actes limitativement énumérés. Leur avocat pourra réclamer que certains des actes demandés soient effectués en sa présence.

Là encore, un exemple montre le bien-fondé de ces modifications : si un avocat peut être présent lors de l'audition d'un témoin clef au cours de l'instruction, il pourra peut-être lui poser des questions propres à démontrer que l'accusation est infondée, ce qui entraînera alors un non-lieu. Actuellement, ces questions ne peuvent être posées que lors de l'audience devant le tribunal. Et même si l'accusation s'effondre à ce stade de la procédure et que le prévenu bénéficie d'une relaxe, il eût été évidemme nt préférable pour lui de ne pas être renvoyé devant le tribunal.

Plusieurs amendements techniques adoptés par votre commission des lois visent à améliorer les dispositions du projet : ils reçoivent donc l'accord du Gouvernement.

Le projet améliore la procédure du témoin assisté, qui permet à une personne faisant l'objet d'une accusation de bénéficier des droits de la défense sans être mise en examen.

On connaît l'opprobre qui s'attache - hélas ! - à la mise en examen, au mépris justement de la présomption d'innocence. Le projet permet au juge, et ce sans fragiliser la procédure, de choisir, dans un certain nombre de cas, de ne pas mettre en examen : ainsi, une personne accusée pourra se défendre sans pour autant être mise en examen. Là encore, des amendements de votre commission des lois viennent utilement compléter ou préciser le projet. Le texte vise à inciter fortement les juges à recourir le plus fréquemment possible à la procédure du témoin assisté, de préférence à la mise en examen.

Enfin, s'agissant toujours du renforcement des droits de la défense, le projet donne la possibilité aux avocats de poser directement des questions aux témoins au cours de l'audience, ce qui est impossible actuellement.

Ce renforcement du contradictoire à l'audience constitue évidemment un réel progrès des droits de la défense.

Je tiens à souligner que cette avancée concerne tous les procès, que le tribunal ait été saisi directement par le parquet - par citation ou en comparution immédiate - ou qu'il ait été saisi par un juge d'instruction.

Avec l'accord du Gouvernement, votre commission veut étendre à la procédure devant la cour d'assises les dispositions du projet qui ne concernaient que le tribunal correctionnel. C'est, là encore, une très bonne proposition.

La deuxième série de mesures concerne le renforcement des garanties en matière de détention provisoire afin que celle-ci soit prononcée moins souvent, qu'elle dure moins longtemps et qu'elle devienne véritablement exceptionnelle. Pour atteindre cet objectif, le texte propose plusieurs dispositions.

D'abord, il crée un juge de la détention provisoire. Ce juge expérimenté, puisqu'il s'agira soit du président, soit du vice-président du tribunal, impartial et objectif, aura la responsabilité de décider des placements en détention provisoire, mais aussi des prolongations de détention provisoire, et de statuer sur les demandes de mise en liberté.

C'est là une garantie fondamentale car elle signifie qu'une détention provisoire ne pourra intervenir que si deux magistrats - le juge d'instruction qui la propose et le juge de la détention provisoire qui la décide - en sont d'accord. Cette disposition permettra de mettre fin aux détentions considérées comme abusives, comme il en existe parfois.

M. Patrick Devedjian.

Souhaitons-le !

Mme la garde des sceaux.

Ainsi, le soupçon, quelquefois fondé, de voir la détention provisoire utilisée comme moyen de pression sur le mis en examen pour obtenir des aveux pourra disparaître.

M. Patrick Devedjian.

C'est cela !

Mme la garde des sceaux.

Je me félicite que cette partie essentielle de la réforme ait été aussi bien accueillie par votre commission. Nous aurons l'occasion de revenir sur la question des moyens qui permettront la mise en place effective de cette partie de la réforme.

Ensuite, le projet s'attache à limiter les conditions de placement en détention provisoire en matière correctionnelle ainsi que la durée de cette détention. Je sais que cette partie du projet a soulevé nombre de discussions au sein de votre commission et qu'elle en soulèvera d'ailleurs encore beaucoup en séance.

M. Pierre Albertini.

Sans aucun doute !

Mme la garde des sceaux.

Il convient de distinguer la question des seuils au-dessus desquels la détention provisoire peut être prononcée de celle des délais de la détention provisoire lorsque celle-ci est prescrite.

En ce qui concerne les nouveaux seuils autorisant le placement en détention provisoire, je me félicite que votre commission ait accepté de retenir les propositions du Gouvernement. Certes, il est toujours possible de

« placer la barre plus haut » et d'interdire ainsi la détention provisoire pour certains faits. Mais on risque de désarmer la répression dans des cas où de tels faits justifieraient un placement en détention.

Actuellement, les seuils sont à l'évidence trop bas : un an d'emprisonnement en cas de flagrance, deux ans dans les autres cas. Le projet supprime ce seuil d'un an et instaure un seuil de trois ans, en dessous duquel la détention provisoire sera désormais purement et simplement interdite.

Toutefois, des exceptions sont prévues : s'il s'agit d'un délit contre les personnes, l'Etat, la nation ou la paix publique, la détention provisoire sera possible lorsque la peine d'emprisonnement encourue sera au moins égale à


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deux ans ; s'il s'agit d'un délit contre les biens, mais que la personne a déjà été condamnée, le seuil sera également de deux ans.

Ces nouveaux seuils me paraissent justes et équilibrés.

Ils sont certes moins élevés que ceux adoptés il y a un an par l'Assemblée nationale lors de l'examen d'une proposition de loi déposée et défendue par M. Alain Tourret, mais la situation est aujourd'hui différente, car cette modification des seuils s'accompagne, dans le projet du Gouvernement, de la création du juge de la détention, ce que ne prévoyait pas la proposition de loi de M. Tourret.

Votre commission l'a bien compris, et je ne peux que me réjouir de sa décision.

Par ailleurs, le projet modifie les règles relatives à la durée de la détention provisoire.

Il limite tout d'abord l'utilisation, pour prolonger une détention, du critère du trouble à l'ordre public aux délits punis de dix ans d'emprisonnement. Votre commission souhaite aller plus loin, et n'autoriser qu'en matière criminelle la prolongation d'une détention en raison de l'importance de ce trouble à l'ordre public résultant de l'infraction. Je souscris à cette avancée.

Le projet limite ensuite les délais de la détention provisoire.

En matière criminelle, le droit actuel, rappelons-le, ne prévoit aucun délai. Le texte que je vous présente marque une avancée importante en prévoyant un délai maximal de deux ans de détention provisoire pour les faits pour lesquels la peine encourue est entre dix et quinze ans, et de trois ans quand la peine encourue est de vingt ans.

Pour les peines de trente ans et pour les peines perpétuelles, le droit actuel est maintenu, ainsi que dans les cas où plusieurs crimes ont été commis par une même personne.

J'insiste tout particulièrement sur ce dernier point. Il me paraît en effet très important de maintenir la possibilité d'une détention provisoire plus longue lorsque l'instruction, en raison de la multiplicité des faits, exige des investigations complexes. Là encore, je voudrais citer deux exemples : les viols et les assassinats commis sur quatre jeunes filles, en 1996 à Boulogne-sur-Mer et la série de crimes commis récemment dans l'est de Paris.

Ces faits, qui sont d'une gravité particulière, ne peuvent pas être correctement instruits dans les délais retenus par votre commission.

M. Michel Hunault.

Dans le premier cas, les criminels avaient été remis en liberté !

M. Patrick Devedjian.

Il est inconvenant de parler d'une affaire non jugée !

M. Georges Hage.

C'est vous qui êtes inconvenant !

Mme la garde des sceaux.

Par ailleurs, il serait tout à fait dommageable, pour une juste application de la loi pénale, de dissocier ces faits. Nous aurons, j'en suis sûre, l'occasion de revenir sur ce point au cours de la discussion.

En matière correctionnelle, le texte prévoit aussi une limitation de la durée de la détention provisoire. Actuellement, pour les faits qui sont punis d'une peine égale à dix ans, la loi ne prévoit aucun terme pour la détention provisoire. Le projet propose de la limiter à deux ans, sauf en ce qui concerne les infractions particulièrement graves que sont les trafics de stupéfiants, le terrorisme et la délinquance organisée.

Pour ce qui est des délais de la détention provisoire, votre commission des lois a fait des propositions importantes, dont la plupart recevront d'ailleurs un avis favorable de ma part.

Par contre, j'appelle l'attention de votre assemblée sur la suppression, souhaitée par votre commission, des exceptions à la durée maximale de détention dans les affaires graves dont je viens de parler et pour les crimes multiples.

La diminution de la détention provisoire est un objectif prioritaire auquel le Gouvernement attache une grande importance, mais nous ne devons pas affaiblir la répression lorque notre sécurité est mise en cause de manière grave. Je suis convaincue qu'il est indispensable de laisser à la justice les moyens de lutter efficacement contre une délinquance organisée, qui vise soit à déstabiliser l'Etat, soit à commettre, à un échelon national, voire international, des infractions impliquant des réseaux très organisés.

La troisième série des dispositions concerne l'indemnisation des détentions injustifiées et des frais engagés pour la défense.

Le projet améliore l'indemnisation des détentions provisoires injustifiées, en prévoyant une réparation intégrale de tous les chefs de préjudice, à la suite d'une décision motivée, prise au cours d'un débat public.

Cette réforme est indispensable. Une partie de celle-ci était déjà inscrite dans la proposition de loi Tourret adoptée l'an dernier par l'Assemblée nationale. Il est normal, en effet, que, lorsque la justice se trompe, elle répare, dans sa totalité et en toute transparence, le préjudice qu'elle a causé.

Mme Odette Grzegrzulka.

Enfin !

Mme la garde des sceaux.

Je m'interroge cependant sur le bien-fondé de l'amendement de la commission, qui tend à mieux mettre en évidence le caractère obligatoire d'une telle indemnisation, sauf dans certaines hypothèses limitativement énumérées, car la liste proposée peut être sujette à controverses.

D ans le prolongement de cette question, votre commission a adopté, sur la proposition de M. Tourret, un amendement visant à permettre aux juridictions de mettre à la charge de l'Etat l'indemnisation des frais irrépétibles exposés par les personnes relaxées ou acquittées.

Je le dis clairement : cet amendement, inspiré par d'évidentes considérations d'équité, me paraît tout à fait justifié, et je remercie M. Tourret de l'avoir déposé.

J'ai donc déposé un amendement reprenant cette proposition afin de la préciser et de l'étendre aux personnes ayant fait l'objet d'un non-lieu. Il s'agit là d'une avancée considérable, qui permettra aux justiciables poursuivis à tort d'obtenir un dédommagement des frais engagés pour leur défense. Cette proposition contribuera à rendre notre justice plus proche des citoyens et plus accessible.

J'en viens maintenant à la question des délais. Le projet renforce le droit à être jugé dans un délai raisonnable - vous savez que c'est une aspiration profonde de nos concitoyens - en instituant un contrôle de la durée des enquêtes par le président du tribunal ou des instructions par la chambre d'accusation et son président, à la demande des personnes suspectées ou mises en examen.

L es dispositions les plus novatrices concernent l'enquête. Une personne placée en garde à vue puis libérée, mais qui sait qu'elle continue de faire l'objet d'une enquête depuis plus de huit mois, pourra désormais demander au président du tribunal un débat public pour


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savoir si cette enquête peut ou non se poursuivre. Votre commission propose de ramener le délai de huit mois à six mois ; j'y suis favorable.

Les dispositions concernant la durée de l'instruction sont très importantes. Votre commission propose de remplacer le mécanisme proposé par le Gouvernement, qui prévoit la mise en place d'un calendrier prévisionnel par le juge d'instruction, par un mécanisme plus contraignant qui instituerait des délais fixes, dont l'éventuelle prolongation serait soumise à une procédure lourde devant la chambre d'accusation.

Le projet du Gouvernement permet, je crois, d'instaurer un véritable dialogue entre le juge et les parties. Il est fondé sur la confiance faite au juge et sur sa responsabilisation. En évitant de fixer des limites impératives, il évite de mettre en péril des enquêtes longues dans des affaires graves, qui nécessitent parfois des délais d'instruction prolongés.

Je pense ici aux dossiers de délinquance économique et financière, qui sont complexes et connaissent souvent des développements inattendus. Je pense aussi à l'instruction de l'attentat du DC 10 de la compagnie UTA ou à l'affaire des « fiancés de Fontainebleau », où l'instruction a duré plus de dix ans, pour enfin connaître un aboutissement positif. Etait-il nécessaire, dans ces affaires, que le juge soit contraint, alors que les investigations étaient permanentes, de solliciter des prolongations de son enquête ? Je ne le pense pas.

Je tiens à vous mettre en garde, à ce stade, contre des propositions qui seraient perçues comme un éventuel affaiblissement de la répression et de l'enquête, comme une contrainte inutile ou, pire encore, comme une volonté de mettre un terme à des affaires sensibles.

J'en viens à la quatrième série de dispositions de cette première partie du projet qui concerne la présomption d'innocence. Ces dispositions ont trait à la communication.

Le projet de loi permet de mieux limiter, prévenir, réparer ou réprimer les atteintes à la réputation d'une personne qui peuvent résulter de sa mise en cause au cours d'une procédure judiciaire.

Cette protection résulte de nombreuses dispositions de notre droit, dont certaines ne sont pas modifiées par le projet mais qu'il convient de rappeler. Je pense notamment à l'article 9-1 du code civil, ainsi qu'aux dispositions du code de procédure civile relatives au référé. Ces dispositions ont, par le passé, démontré leur utilité, et il convient donc de les conserver.

Au-delà de la voie civile, le projet institue d'autres garanties qui renforcent la protection de la présomption d'innocence.

Le projet de loi crée deux nouveaux délits punis chacun de 100 000 francs d'amende : celui de publication de l'image d'une personne menottée ou entravée, et celui de réalisation ou de diffusion de sondages sur la culpabilité ou la peine d'une personne poursuivie.

Le projet consacre par ailleurs dans le code de procédure pénale la pratique des communiqués du procureur de la République permettant les « mises au point », à condition qu'elles présentent un caractère objectif.

Dans le même esprit, il institue de nombreuses

« fenêtres de publicité » au cours de la procédure, lors du contrôle de la durée de l'enquête, du placement en détention et, en cas d'audience devant la chambre d'accusation, permettant ainsi, à la demande de l'intéressé, bien entendu, un débat public sur les charges qui pèsent sur lui.

Le projet de loi améliore les dispositions prévoyant que le juge d'instruction ou le tribunal correctionnel doit publier un communiqué en cas de non-lieu ou de relaxe.

C'est un point très important, car aujourd'hui on ne donne pas la même place à ces informations qu'à celles qui mettent en cause les personnes.

Le projet précise que toute mesure utile doit être prise, dans des conditions compatibles avec les exigences de sécurité, pour éviter qu'une personne menottée ou entravée - hypothèse dont le caractère exceptionnel est rappelé par la loi - soit photographiée ou fasse l'objet d'un enregistrement audiovisuel.

La loi indiquera ainsi clairement que des précautions doivent être mises en oeuvre, tant par le chef d'escorte que par le procureur de la République, qui doit si nécessaire faire en sorte que l'escorte puisse pénétrer dans le tribunal par une porte non accessible au public, pour éviter la prise d'images de ces personnes. Actuellement, de telles règles ne sont prévues que par voie de circulaire.

Elles seront désormais partie intégrante du code de procédure pénale.

Le projet améliore enfin les dispositions sur le droit de réponse, en allongeant les délais et en rendant possible l'intervention du procureur de la République. Ces dispositions font l'objet de nombreux amendements de votre commission. Certains, qui ne font que préciser les dispositions du texte, recueillent mon accord. Il en est de même pour celui qui vise à supprimer le droit de réponse du parquet.

Mais je ne suis pas favorable aux différents amendements qui interdiraient au juge de refuser les « fenêtres de publicité » au cours de l'enquête ou de l'instruction, lorsque cette publicité risque d'entraver le bon déroulement des investigations. La possibilité de maintenir ces exceptions est fondamentale. C'est d'ailleurs elle qui justifie le principe, non remis en cause, du secret de l'enquête et de l'instruction. Il est donc absolument impératif de conserver ce principe. Comment assurer à une enquête quelque chance de réussite si, par exemple, dans une affaire de trafic de stupéfiants, la première personne arrêtée peut, par le truchement du débat public, prévenir directement ses complices, qui pourront alors prendre la fuite ou dissimuler les produits de leur trafic ? C'est un risque que nous ne devons pas courir.

Enfin, je suis fermement opposée aux amendements qui ont pour conséquence de porter atteinte à la liberté d'expression, et je serai particulièrement ferme sur ce sujet.

J'en viens au titre II du projet, qui améliore la situation des victimes.

Comme je l'ai déjà indiqué, les victimes ont trop souvent été les parents pauvres du procès pénal. Certes, d'importants progrès ont été faits ces dernières années.

Tout récemment, la loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles a donné pour la première fois des droits concrets et significatifs aux victimes, notamment lorsqu'elles sont mineures.

Par ailleurs, j'ai adressé le 12 juillet 1998 à l'ensemble des juridictions une circulaire prescrivant de façon précise les actions qu'il convenait de mener en faveur des victimes.

Mais il faut aller plus loin.

Les dispositions de ce texte permettront aux victimes d'être mieux entendues, mieux défendues et mieux indemnisées.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 23 MARS 1999

D'une façon générale, il est rappelé en tête du code de procédure pénale le principe, qui ne figure actuellement dans aucun texte, selon lequel l'autorité judiciaire doit veiller à la garantie des droits des victimes tout au long de la procédure.

Le projet consacre dans la loi le rôle joué par les associations d'aide aux victimes. Plus de 150 de ces associations, parmi lesquelles l'INAVEM, que vous connaissez tous, sont actuellement des interlocuteurs privilégiés des juridictions et ont passé des conventions avec le ministère de la justice. C'est cette réalité judiciaire, aujourd'hui totalement ignorée du code de procédure pénale, que le projet légitime et renforce.

Le projet de loi procède par ailleurs à trois modifications permettant d'éviter aux victimes de se déplacer lors du procès, en leur donnant la possibilité de se constituer partie civile par lettre pour demander des dommages et intérêts, quel que soit le montant de la demande, de se constituer partie civile par télécopie, ou encore de se constituer partie civile dès le stade de l'enquête de police.

Dans le même esprit, il donne au tribunal correctionnel la possibilité, après avoir condamné le prévenu, der envoyer à une audience ultérieure l'examen des demandes de la victime, afin de permettre à cette dernière de fournir ses justificatifs et de lui éviter ainsi d'engager un second procès devant le juge civil.

Ces différentes réformes, à première vue techniques, sont très importantes en pratique. Les victimes sont en effet trop souvent les laissées pour compte des « procédures rapides », qui ne leur permettent pas toujours de faire valoir leurs droits dans des conditions satisfaisantes.

Je pense aux vols de voitures, aux dégradations, aux agressions, qui sont le lot quotidien des procédures rapides. S'il est indispensable d'apporter des réponses rapides à ces faits, il est aussi fondamental de préserver les droits des victimes.

Le projet permet également à la victime d'obtenir un dédommagement de la part du condamné, ce qui lui permettra, notamment, de payer ses frais d'avocat, en cas de pourvoi abusif de ce dernier. L'indemnisation des victimes doit être améliorée. Des avancées sont possibles pour permettre une meilleure prise en compte du dédommagement. Je pense que, dans le cadre de la navette parlementaire, des propositions pourront être faites en ce sens. J'attends les conclusions du rapport que le Premier ministre a demandé à Mme Marie-Noëlle Lienemann, et qui doit lui être remis d'ici à la fin du mois. Il devrait nous permettre d'enrichir les propositions relatives à l'indemnisation des victimes.

Le projet prévoit également d'assurer la protection de la dignité des victimes.

I l crée deux nouveaux délits punis chacun de 100 000 francs d'amende : en cas de publication de l'image d'une victime dans des conditions portant atteinte à sa dignité ainsi qu'en cas de publication de l'identité d'une victime mineure. La première infraction répond à une nécessité incontestable, que l'actualité récente a malheureusement mise en évidence, compte tenu de l'imperfection de notre législation. En effet, à la suite de la publication par un hebdomadaire de la photo d'une victime de l'attentat terroriste de la station de RER SaintMichel, dans des conditions qui portaient gravement atteinte à la dignité de cette personne, des poursuites engagées sur le fondement de l'article 38 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ont été annulées par la cour d'appel de Paris. La cour a considéré que le texte répressif était trop imprécis, et par là même contraire à la Convention européenne des droits de l'homme. La nouvelle infraction qu'il vous est proposé d'instituer, et dont les contours sont mieux définis, évite une telle critique.

La commission des lois a adopté plusieurs amendements qui viennent encore renforcer les droits des victimes. Pour la plupart, ces amendements inscrivent dans la loi certaines pratiques judiciaires que préconisait la circulaire que j'ai adressée le 12 juillet dernier aux juridictions. Ils ne peuvent dès lors que recueillir mon assentiment.

J'en viens, pour finir, aux moyens.

La réforme présentée par le Gouvernement nécessite évidemment d'importants moyens, notamment en ce qui concerne la création du juge de la détention provisoire. Je tiens à rappeler ma position, qui est constante depuis mon arrivée à la chancellerie : je ne propose pas de réforme sans avoir obtenu les moyens nécessaires à sa mise en oeuvre.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

C'est cela, le sérieux !

Mme la garde des sceaux.

C'est bien évidemment le cas pour le texte dont nous débattons aujourd'hui. Les lois de finances pour 1998 et 1999 ont permis la création, respectivement, de 70 et 140 postes de magistrats supplémentaires. C'est un effort considérable, unique depuis plus de dix ans.

Parmi ces postes figurent bien évidement ceux dont la création est rendue nécessaire par la réforme dont nous débattons. Par une circulaire du 19 mars 1999, j'ai déjà procédé à la localisation de 60 postes budgétaires, dans la perspective de la mise en place du juge de la détention.

Je veux avoir en ce domaine une démarche pragmatique, car les tribunaux de grande instance sont divers par leur taille et par leur activité. Nous ne pouvons pas comparer les vingt-deux décisions de détention provisoire prononcées par le tribunal de grande instance de Guéret avec les 2 150 décisions du tribunal de Paris ni même avec les 209 décisions du tribunal d'Avignon.

Il est nécessaire de trouver des solutions multiples et adaptées car il n'est pas possible de préconiser sur tout le territoire une seule solution pour la localisation du juge de la détention provisoire. Nous pouvons envisager plusieurs hypothèses.

J'ai d'ores et déjà écarté un premier scénario qui aurait consisté à nommer des magistrats et à créer un emploi de juge de la détention dans les 187 tribunaux de grande instance. L'activité de l'instruction à Morlaix, Cambrai ou Lure ne nécessite pas la présence d'un juge de la détention provisoire à temps plein.

Un second scénario pourrait être de nommer des juges de la détention dans un certain nombre de juridictions et de donner à ces derniers une compétence territoriale interjuridiction, sur le modèle des juges des enfants. Cette organisation devrait permettre de mutualiser des moyense ntre plusieurs juridictions d'un même département lorsque l'activité le nécessite.

Dans cette même optique, nous pouvons raisonner aussi au niveau des cours d'appel. Certaines d'entre elles, commes celles de Limoges ou de Bourges, comportent un nombre important de petits tribunaux de grande instance à une ou deux chambres. Il est dès lors possible d'envisager que des magistrats placés auprès des chefs de cours d'appel puissent, par délégation du chef de cour, remplir les fonctions de juge de la détention. La vingtaine de


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mandats de dépôt prononcés à Brive ou à Tulle peut être prise en charge par un juge placé auprès du premier président de la cour d'appel de Limoges.

Enfin, une disposition prévue dans le projet de loi sur les alternatives aux poursuites, que nous allons prochainement examiner, devrait permettre de délocaliser certaines affaires, à l'initiative des chefs de cours, quand le tribunal n'est pas en capacité de les juger.

Un troisième scénario pourrait être de spécialiser certaines juridictions, à la fois pour le juge d'instruction et pour le juge de la détention provisoire, et de leur donner une compétence interjuridiction.

La commission a d'ailleurs déposé un amendement en ce sens, qui supprime du code de l'organisation judiciaire la disposition prévoyant la présence de juges d'instruction dans chaque tribunal de grande instance.

Ce regroupement des juges d'instruction et de détention en un même lieu contribuerait à la nécessaire spécialisation de ces magistrats, qui seront de plus en plus confrontés à une délinquance organisée.

Enfin, il ne faut pas exclure que, dans le cadre de la réforme de la carte judiciaire, à plus long terme, des aménagements puissent être opérés. Vous savez que, dans ce domaine, j'ai adopté également une démarche pragmatique.

J'ai demandé les observations et les réflexions de chacune des juridictions sur l'ensemble de ces hypothèses, afin que puissent être dégagées les solutions variées les plus adaptées à leur situation.

Telles sont les principales dispositions du projet de loi que j'ai l'honneur de vous présenter ce soir. Je crois qu'il traduit un véritable changement de perspective dans l'appréhension des principes généraux de la procédure pénale.

Je voudrais, en conclusion, rappeler les deux idées forces qui ont prévalu dans l'élaboration de ce projet.

Tout d'abord, cette réforme a pour objectif de rendre les différents acteurs du procès pénal plus responsables.

Ensuite, notre procédure pénale doit impérativement concilier de façon équilibrée les libertés individuelles avec les nécessités de l'investigation et de la répression, la protection de la présomption d'innocence et le respect de la liberté d'expression.

Ce sont ces deux objectifs - responsabilité et équilibre qui doivent nous guider dans la discussion du texte, et qui, je l'espère, permettront l'adoption d'une réforme ambitieuse et éclairée, nécessaire pour que la justice retrouve la confiance de l'opinion publique. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à Mme le rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Mme Christine Lazerges, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, dans sa déclaration de politique générale du 17 juin 1997, le Premier ministre annonçait une grande réforme de la justice, visant à rendre celle-ci plus proche des citoyens, plus respectueuse des libertés et plus indépendante, c'est-à-dire visant à renforcer l'Etat de droit.

Le projet de loi sur l'accès au droit et la résolution amiable des conflits est adopté définitivement depuis le 18 décembre dernier ; le projet de loi relatif aux alternatives aux poursuites est en bonne voie de l'être.

Renforcer l'Etat de droit, c'est en particulier renforcer la présomption d'innocence. Bien que l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et des citoyens du 26 août 1789 dispose : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi », et que ce texte ait plus de 200 ans, il demeure indispensable de donner plus d'effectivité à cet article de la Déclaration de 1789.

Renforcer l'Etat de droit, c'est aussi renforcer les droits des victimes ; des droits dont il est capital qu'elles soient informées, et auxquels elles doivent avoir accès. L'écoute, l'information, la réparation à laquelle ont droit les victimes doivent donc être améliorées.

La France est une démocratie ; elle doit bénéficier d'un

Etat de droit exemplaire. Le code pénal et le code de procédure pénale doivent donc satisfaire aux règles fondamentales qui garantissent les droits et libertés des citoyens et notamment aux principes inscrits dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et dans la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

Le Conseil constitutionnel rappelle régulièrement que la prévention des atteintes à l'ordre public, notamment de celles à la sécurité des personnes et des biens, et la recherche des auteurs de l'infraction sont nécessaires à la sauvegarde des principes et droits à valeur constitutionnelle, mais qu'il appartient au législateur d'assurer la conciliation entre ces objectifs de valeur constitutionnelle et l'exercice des libertés qui sont également garanties par la Constitution, au premier chef desquelles figure la liberté individuelle. Ce projet de loi est précisément en lui-même un difficile exercice de conciliation et d'équilibre entre des impératifs apparemment contraires.

De la présomption d'innocence inscrite actuellement non pas dans le code de procédure pénale, mais dans le code civil à l'article 9-1, on voudrait faire un droit effectif et non une fiction. Quant aux droits de la victime, on voudrait qu'ils manifestent le respect essentiel dû à celle-ci et que leur mise en oeuvre permette de lutter contre le sentiment d'insécurité.

La présomption d'innocence, a-t-on dit, désigne l'état à la fois provisoire et ambigu de celui qui, qu'on le veuille ou non, n'est plus tout à fait innocent, mais qui n'est pas encore un coupable. En deçà, il y a l'innocence et au-delà à nouveau l'innocence ou la culpabilité. Par conséquent, la fragilité de l'état de présumé innocent impose un encadrement juridique et en particulier - Mme la garde des sceaux l'a rappelé tout à l'heure : une garde à vue mieux contrôlée ; un statut du témoin assisté renforcé ; une détention provisoire plus exceptionnelle décidée par un juge extérieur à l'instruction ; des délais de procédure plus raisonnables.

Dans une procédure qui n'est plus strictement inquisitoire ni strictement secrète, la transparence nécessaire implique une liberté de communication préservée par des fenêtres de publicité. Nul n'ignore combien il est difficile de garantir de la présomption d'innocence. Ainsi, bien que celle-ci gouverne le droit de la preuve, il existe encore de nombreux exemples de présomption de culpabilité. En effet, que penser de la garde à vue, de la mise en examen ou plus encore de la détention provisoire qui,


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par ses conséquences pratiques et psychologiques, est perçue comme un pré-jugement, comme une pré-punition, comme un à-valoir sur la peine ? Aussi faut-il une loi nouvelle, audacieuse, marquant de réelles avancées sans sacrifier aux nécessités de la poursuite et à la sauvegarde du droit à la sécurité. Nous voulons démontrer par ce texte que la présomption d'innocence que le procès pénal fait naître sera demain moins mise à mal par ce même procès pénal qu'elle ne l'est aujourd'hui. Et il en est exactement de même pour les droits des victimes : nous voulons qu'ils soient mieux protégés demain qu'ils ne le sont aujourd'hui.

Depuis la fin des années 70, une véritable politique d'aide aux victimes s'est peu à peu construite. Les grandes étapes, rappelées par Mme la garde des sceaux, en ont été la loi du 8 juillet 1983 et la loi du 6 juillet 1990 qui a reconnu aux victimes de la délinquance ayant subi des atteintes graves dans leur personne le droit d'obtenir la réparation intégrale de leur préjudice.

Le message politique du projet de loi renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes est clair et s'inscrit bien dans cette ambitieuse réforme globale de la justice que nous désirons tant.

Pour la seconde fois, les auteurs et les victimes sont acteurs d'un même texte - la première fois ce fut avec la loi du 17 juin 1998 concernant les infractions sexuelles et la protection des mineurs victimes. Liés par l'acte délictueux, les uns et les autres, auteurs et victimes, sont titulaires de droits que la politique criminelle tend de plus en plus aujourd'hui à conjuguer ensemble. Le discours est sans ambiguïté : une meilleure garantie des droits de la personne poursuivie doit aller de pair avec une meilleure garantie des droits de la victime.

Mais surtout, pour la première fois, à l'image du nouveau code de procédure civile, l'article 1er du projet énonce des principes fondamentaux, des principes directeurs qui devraient prendre place dans un article préliminaire du code de procédure pénale. Je vous proposerai que soient d'abord énoncés les principes généraux de la procédure pénale, avant de développer ceux qui intéressent spécifiquement la victime ou le délinquant. Les principes directeurs suivants pourraient être retenus.

La procédure pénale doit être juste et équitable, respecter le principe du contradictoire et préserver l'équilibre des droits des parties. Elle doit garantir la séparation des autorités chargées de l'action publique et des autorités de jugement. Les personnes se trouvant dans des conditions semblables et poursuivies pour les mêmes infractions doivent être jugées selon les mêmes règles.

L'autorité judiciaire veille à l'information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale.

Toute personne suspectée ou poursuivie est présumée innocente tant que sa culpabilité n'a pas été établie. Elle a le droit d'être informée de la nature des charges retenues contre elle et d'être assistée d'un défenseur. Les mesures de contrainte prises à son encontre doivent l'être sur décision ou sous le contrôle effectif de l'autorité judiciaire. Ces mesures doivent être proportionnées à la gravité de l'infraction reprochée et strictement limitées aux nécessités de la procédure. Elles ne doivent en aucun cas porter atteinte à la dignité de la personne. Il doit être définitivement statué sur l'accusation dont cette personne fait l'objet dans un délai raisonnable.

Enfin, toute personne condamnée a le droit de faire examiner sa condamnation par une autre juridiction.

Le texte proposé s'inspire très largement du rapport de la commission Delmas-Marty qui distingue les principes garantissant la prééminence du droit, les principes garantissant la protection des personnes et les principes garantissant la « qualité du procès ».

A des fins pédagogiques et de cohérence de chacun de nos codes, il me paraît très utile de rappeler les principes directeurs qui commandent la procédure pénale. Ce rappel est porteur de sens et permet certaines précisions fondamentales.

Sans chercher, par ce projet de loi et les amendements proposés par la commission des lois, à réformer définitivement, il s'agit cependant de réformer suffisamment dans une perpétuelle quête d'équilibre.

Pour renforcer suffisamment la protection de la présomption d'innocence, je vous proposerai, au nom de la commission des lois, des amendements utiles avec le souci de maintenir l'équilibre du texte.

La garde à vue doit être mieux contrôlée. Il est bien prévu par l'article 41, alinéa 3, du code de procédure pénale que le procureur de la République contrôle les mesures de garde à vue. La commission des lois suggère qu'il visite les locaux de garde à vue chaque fois qu'il l'estime nécessaire et au moins une fois par trimestre, ce qui, dans un parquet bien organisé, ne doit pas poser de gros problèmes pratiques. La commission des lois estime en outre que le simple témoin dans le cadre d'une enquête de flagrant délit ou d'une commission rogatoire, comme c'est déjà le cas en matière d'enquête préliminaire, ne peut être placé en garde à vue et ne doit être retenu que le temps strictement nécessaire à son audition.

Enfin, toujours concernant la garde à vue, si la possibilité de s'entretenir avec un avocat est une avancée considérable du projet de loi, la commission des lois estime que cet entretien doit être à nouveau possible après la vingtième heure de garde à vue et après la trente-sixième heure si la garde à vue est renouvelée pour une seconde p ériode. Rappelons-nous qu'en 1997, plus de 380 000 mesures de garde à vue ont été prises, dont seulement 15 % ont duré plus de vingt-quatre heures. Permettre à un avocat de s'entretenir à une, deux ou trois reprises, selon la durée de la garde à vue, avec la personne gardée à vue n'a évidemment pas pour objet d'entraver le travail de la police ou de la gendarmerie. Il s'agit simplement de lever le soupçon qui pèse trop souvent sur la garde à vue.

Notre procédure pénale doit être en tous points conforme à la Convention européenne des droits de l'homme et à la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.

Quant au statut de témoin assisté, il est apparu à la commission des lois suffisamment conforté dans le projet de loi. Pour votre rapporteur, il s'agit d'un volet essentiel de ce texte. Ayant les mêmes droits que les personnes mises en examen, le témoin assisté devient une partie pleine et entière à la procédure. Il peut faire appel des ordonnances du juge d'instruction dans les conditions prévues aux articles 186 et 186-1 du code de procédure pénale. L'idée est de retarder les mises en examen qui, par l'opprobre qu'elles font peser sur ceux qui en font l'objet, entament sérieusement la présomption d'innocence.

La mise en examen ne devient incontournable qu'à la veille de l'ordonnance de clôture ou lorsqu'une mesure de d étention provisoire ou de contrôle judiciaire est envisagée. Les effets pervers des inculpations tardives sonts upprimés puisque le témoin assisté bénéficie de l'ensemble des droits du mis en examen. Si, au regard de


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la présomption d'innocence, il est prouvé - ce qui ne fait, à mon sens, guère de doute - que le statut de témoin assisté est bien supérieur à celui de mis en examen, le législateur se doit de forcer le choix d'une mise en examen décalée dans le temps et pouvant même ne jamais intervenir si les charges paraissent insuffisantes. Si vous suivez la commission des lois, une mise en examen ne pourra plus être décidée sans indices précis, ce qui sera là encore une avancée.

De nombreuses dispositions du projet de loi renforcent les droits des parties. Poursuivant une évolution marquée par la loi du 4 janvier 1993, le texte les élargit non seulement au cours de l'instruction préparatoire, mais également au cours de l'audience de jugement. Pour ne prendre qu'un exemple, l'article 5 du projet renforce le caractère contradictoire des expertises pénales. Par amendement nous proposons que l'intégralité du rapport d'expertise puisse être notifiée à leur demande aux avocats des parties.

En matière de détention provisoire - Mme la garde des sceaux en a longuement parlé -, le projet de politique criminelle, aussi bien du Gouvernement que de la commission des lois, est de parvenir à une détention provisoire plus exceptionnelle, décidée par un juge extérieur à l'instruction. En effet, depuis la loi Badinter du 10 décembre 1985, la France est à la recherche d'un regard autre, d'un second regard, collégial ou non, sur la décision de placement en détention provisoire. Ce regard distancié dans le projet de loi soumis à notre examen s'incarne dans la figure nouvelle du juge de la détention provisoire. La commission des lois n'a qu'à peine modifié le projet de loi qui lui est apparu excellent. Deux juges seront désormais nécessaires pour placer en détention provisoire. Un seul juge suffira pour permettre la remise en liberté.

La détention provisoire porte atteinte à la présomption d'innocence. On sait à quelle point elle peut briser une femme, un homme, une famille. Il est donc indispensable non seulement d'indemniser intégralement les détentions provisoires injustifiées, mais surtout et d'abord de limiter les placements en détention provisoire. Les amendements de la commission des lois vont tous dans ce sens. Ils tendent à privilégier, comme le projet du Gouvernement, le placement sous contrôle judiciaire quand la liberté pure et simple n'apparaît pas possible.

Je reviendrai au cours de l'examen des articles sur les délais de procédure et sur la transparence des procédures.

Là aussi le présumé innocent et la victime sont intéressés.

La modernité du projet analysé tient pour partie dans cette approche simultanée de l'auteur et de la victime. La procédure pénale concerne l'un et l'autre.

Pour renforcer suffisamment les droits des victimes, votre rapporteur vous proposera au nom de la commission des lois plusieurs amendements permettant d'enrichir le projet du Gouvernement. Comme l'a rappelé Mme la garde des sceaux, ces amendements s'inspirent, pour plusieurs d'entre eux, de l'excellente circulaire du 13 juillet 1998 sur la politique pénale d'aide aux victimes.

Deux groupes de travail sont actuellement à l'oeuvre.

Celui de la direction des affaires criminelles et des grâces se penche plus spécifiquement sur l'indemnisation des victimes d'infractions pénales et le fonctionnement des CIVI - commissions d'indemnisation des victimes d'infraction pénale. Par ailleurs, à la demande du Premier ministre, un groupe présidé par Marie-Noëlle Lienemann remettra son rapport dans quelques jours et doit lancer une véritable politique publique d'aide aux victimes.

Lors des rencontres nationales des acteurs de la prévention de la délinquance, qui se sont tenues à Montpellier les 17 et 18 mars derniers, fut réaffirmée la volonté de conduire une véritable politique publique d'aide aux victimes s'appuyant sur un cercle élargi d'acteurs qui ne soient pas tous des professionnels, qui habitent au plus près du domicile de la victime. Les victimes ont besoin d'être accueillies, informées, accompagnées.

L'information suppose la préinformation du grand public par des documents nationaux.

L'information suppose la création d'un numéro d'appel national avec renvoi sur le département concerné.

L'information doit se réaliser à tous les stades de la procédure.

L'information suppose la motivation des classements sans suite et peut-être la mise en place de délégués du procureur « victimes ».

L'accompagnement doit continuer à être une des missions premières des associations d'aide aux victimes, confortées dans leur existence par le projet de loi qui vous est soumis.

Quant à l'indemnisation, elle doit être repensée et surtout simplifiée. Existe aujourd'hui une pluralité pour ne pas dire un maquis des procédures d'indemnisation, au point qu'elles demeurent trop souvent peu connues des avocats eux-mêmes.

Tout, dans cet inventaire que je viens de faire, ne relève pas de la loi, tout ne peut être inclus dans notre projet de loi. Cependant, ce projet peut être complété par amendements et il le sera sans doute après la première lecture lorsque nous aurons le rapport de Mme Lienemann.

Bien entendu, il est très important de faciliter les constitutions de partie civile comme le propose le projet de loi, mais il faut aussi améliorer l'indemnisation effective des victimes. C'est l'objet d'un dernier chapitre d'ajouter au projet de loi que la commission des lois vous proposera.

La protection de la dignité de la victime, l'information et l'écoute participent à la réparation que nous devons nous efforcer d'améliorer.

En bref, qu'il s'agisse des personnes suspectées ou des victimes, la commission des lois, faisant le constat de la fragilité de la présomption d'innocence et de la fragilité des droits des victimes, a cherché à renforcer le projet de loi pour une meilleure protection de la dignité humaine en tentant de prévenir toutes les humiliations. C'est le fil conducteur des amendements qui vous seront proposés.

Les débats parlementaires devraient permettre d'affirmer haut et fort et avec de meilleures garanties que chaque homme est présumé innocent jusqu'à ce qu'il soit déclaré coupable, que la victime est pleinement partie au procès pénal et que son information, son soutien correspondent à des droits.

Souhaitons fortement que l'on ne puisse en aucun cas concernant ce projet de loi et les amendements proposés, dire avec le doyen Carbonnier : « Ce qu'on appelle l'intention du législateur est dans la genèse parlementaire quelque chose de malaisément définissable : des droits confus, des opinions contradictoires, des rélexions parfois saugrenues lancées à contretemps. Où savoir saisir, à travers cela, une volonté éclairée sûre d'elle-même, tendue vers un but ? » Notre volonté est éclairée. Nous saurons la traduire dans le texte. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 23 MARS 1999

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. André Gerin.

M. André Gerin.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je le dis d'emblée : il faut prendre le parti des victimes.

Dans l'exposé des motifs de ce texte, on peut lire :

« Cette réforme est indispensable pour rétablir la confiance des citoyens. » Je le souhaite de toutes mes

forces. C'est la question centrale qui nous est posée par notre peuple. Une responsabilité politique immense pour l'Etat de droit et les institutions de la République. Mais, si ce projet de loi est fort raisonnable, je crains qu'il ne soit d'un effet limité.

Toute notre procédure pénale est en cause. C'est d'une mauvaise application du principe de la présomption d'innocence et de la nécessité d'une véritable réforme dont il est question aujourd'hui. Il faut se défaire, dans ce pays, d'un penchant humain qui fait que chacun tient la présomption d'innocence pour son droit et la présomption de culpabilité pour le droit des autres. (« En effet ! » sur plusieurs bancs.)

M. Alain Néri.

C'est bien dit !

M. André Gerin.

Je veux d'abord rendre hommage à Mme la garde des sceaux, en raison des efforts engagés depuis deux ans. Ce projet de loi marquera un progrès incontestable. Nous le soutiendrons, même si nous considérons qu'il faut aller beaucoup plus loin.

Tel est l'engagement des députés communistes. Nous avons aussi apprécié le travail important réalisé par notre rapporteur, Mme Lazergues, et par la présidente de la commission des lois, Mme Tasca. Et nous entendons contribuer de manière originale à la réforme de la justice.

Comment être crédible en termes de responsabilité politique ? Comment faire valoir la pureté de nos intentions ? Considérons ce qui s'est passé ces trente dernières années. Une réforme digne de ce nom passe par un véritable bouleversement dans les choix budgétaires de la France.

Il s'agit de faire reculer le sentiment d'insécurité, d'être au service du justiciable et avant tout, de se faire entendre, de se faire comprendre et de s'occuper des victimes.

La question des moyens de la justice est devenue une question récurrente. Il y va de la crédibilité, de la lisibilité de la vie politique.

On connaît la propension qu'ont les juridictions à allonger les procédures. On déplore l'inflation législative.

Prenons garde à ne pas dresser l'opinion contre la justice, à ne pas renforcer ainsi le sentiment d'abandon et le discrédit des institutions de la République.

Aujourd'hui, on constate un début de progrès en matière de droit des victimes. Mais on est encore loin du compte, au regard des souffrances subies par les victimes de la violence urbaine, de la délinquance, et du sentiment d'insécurité qui menacent les institutions de la République.

Concernant les « affaires » qui défraient l'actualité, n ous avons un devoir d'exemplarité. Nous devons combattre une certaine culture monarchique, qui se diffuse de haut en bas de la République et peut menacer nos institutions.

La décision - à retardement - de Roland Dumas est salutaire pour le renouveau de la vie politique. Se mettre en situation de citoyen ordinaire, quand on a des responsabilités de ce niveau, est louable et respectable. C'est ce qu'attendent nos concitoyens.

Je veux parler de la moralité politique, de la salubrité.

Il faut réagir pour affirmer l'émergence de la transparence politique, et de la moralité, ici comme à Bruxelles. Sinon, nous serons discrédités.

A la crise de confiance, à la méfiance s'ajoute la défiance qui mine le moral des Français. Il faut un véritable sursaut national pour contribuer au réveil citoyen.

Regagner la crédibilité d'une politique de justice dans notre pays passe par un comportement exemplaire des dirigeants et des responsables politiques. Nous devons aller en profondeur pour transformer les procédures pénales, les institutions d'Etat et dégager les missions des services publics des « nomenclatures » et des lobbies.

uvrons pour une justice plus proche, plus rapide, plus juste et plus attentive pour les victimes.

C'est l'esprit dans lequel nous abordons, madame la ministre, ce texte qui comporte quelques points forts.

Vous renforcez le droit de la défense dès le début des investigations et vous proportionnez l'action de la justice à la gravité des faits et aux strictes nécessités de l'enquê te. Vous mettez en avant la protection des citoyens contre les atteintes à leur dignité et à leur réputation. Vous renforcez le droit du justiciable en lui permettant d'être jugé dans un délai raisonnable - encore faut-il s'entendre sur ce qu'on appelle un « délai raisonnable » - et en améliorant la prise en compte des victimes.

L'objectif de ce projet est positif. Mais je tiens à souligner à nouveau, au nom des parlementaires communistes, que les moyens de la justice ne lui permettent pas de prendre de la hauteur. La création du juge de la détention doit s'inscrire dans la réforme de la carte judiciaire en cours. Cette année, 70 postes budgétaires de magistrats ont été créés. C'est un effort important, mais encore insuffisant. Il faut une volonté et des moyens financiers et humains encore beaucoup plus importants.

Néanmoins, ce projet améliore à divers égards, de manière significative, la situation existante. Cela me conduit à formuler des propositions visant, notamment, à assurer la nécessaire collégialité pour les décisions de mise en détention et à renforcer les droits des victimes.

Nous nous félicitons que la commission ait adopté notre amendement prévoyant la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue et que cette disposition positive soit inscrite en toutes lettres dans ce texte.

De nombreuses législations européennes prévoient la présence d'un avocat lors des auditions faites pendant la garde à vue et même l'enregistrement des propos tenus, comme en Italie. Ces garanties supplémentaires sont particulièrement utiles pour les gardes à vue les plus délicates, celles des très jeunes mineurs dont on connaît la situation difficile et la fragilité. L'évolution de la délinquance juvénile amène des mineurs de plus en plus jeunes à devoir répondre d'affaires graves.

Concernant cette partie importante du projet de loi, il convient de se demander s'il est judicieux de prévoir des dispositions particulières pour les trafiquants de drogue et les criminels.

Le texte veut assurer « l'égalité des armes » entre la défense et l'accusation en élargissant les droits des parties tout au long de la procédure pénale.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 23 MARS 1999

Sauf si l'avocat a déjà été désigné et convoqué rég ulièrement, le juge d'instruction doit avertir la personne mise en examen qu'elle a le choix de se taire, de faire des déclarations ou d'être interrogée.

Par ailleurs, la mise en examen ne pourrait-elle faire l'objet d'une ordonnance motivée ? Le juge d'instruction pourrait dire pourquoi il met en examen. Une telle mesure renforcerait le principe de la présomption d'innocence.

M. Jean Michel.

Il ne le fait pas !

M. André Gerin.

Aujourd'hui, la mise en examen est bien souvent vécue par la personne concernée et par l'opinion publique comme une véritable présomption de culpabilité.

La principale innovation du projet est l'institution d'un juge de la détention, appelé « juge des libertés » dans l'avant-projet. Mais qu'il s'agisse d'un juge d'instruction ou d'un juge de la détention, il n'en demeure pas moins que la décision de placement en détention est prise par un juge unique.

La détention provisoire doit être utilisée lorsqu'elle se révèle un moyen indispensable à l'établissement de la vérité d'abord, puis à la garantie de la représentation en justice et non une solution de facilité permettant d'avoir le détenu sous la main.

Nous préférerions qu'elle soit prescrite ou prolongée par une chambre d'examen des mises en détention provisoire, composée d'un magistrat du siège, président, et de deux assesseurs, désignés par l'assemblée générale du tribunal de grande instance.

Par ailleurs, le fait qu'il y ait un juge unique de la d étention ne risque-t-il pas d'affaiblir la procédure pénale ? Nous sommes favorables à la collégialité. C'est pour nous un moyen de simplifier, de décloisonner, d'enrichir. Nous savons, madame le garde des sceaux, que vous êtes favorable à cette évolution, mais la question des moyens reste posée. Votre volonté de ne pas faire de promesses que vous ne pourriez tenir vous amène à présenter le projet tel qu'il est aujourd'hui. C'est peut-être là que le bât blesse.

La chambre d'examen sera saisie par le juge d'instruction chaque fois qu'il envisage un placement en détention ou le prolongement de cette mesure. Elle prendra sa décision après avoir entendu l'inculpé et son avocat, ainsi que le juge et le procureur de la République, et après avoir examiné la matérialité des charges et la nature des incriminations. Le magistrat qui a siégé dans la chambre d'examen ne pourrait participer, sous peine de nullité, au jugement des affaires pénales qu'il a connues comme membre de cette chambre.

Le projet institue un seuil de la détention encourue afin que le recours à cette mesure soit limité aux infractions les plus graves, celles punies d'une peine supérieure à trois ans. Nous apprécions les avancées du projet qui, de ce point de vue, sont tout à fait notables. Nous avons cependant déposé un amendement, car nous pensons qu'il faut aller encore plus loin. Nous aurons l'occasion d'y revenir.

Le projet institue des dispositions nouvelles dans le domaine de la communication et des médias, pour protéger les citoyens contre les atteintes à leur dignité et à leur réputation.

Le respect de la dignité de chacun est mal défendu en France ; cela constitue un problème d'éducation civique.

L'exemple doit venir d'en haut, des adultes. Le respect de la dignité de chacun veut-il encore dire quelque chose ? La question se pose.

Comme le stipule l'article IV de la Déclaration des droits de l'homme : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. » Cela concerne égale-

ment les médias, où le respect de l'individu doit être la règle. Aujourd'hui, on privilégie les rumeurs, les indiscrétions, la chasse au crime, les soupçons, le spectacle judiciaire. Face à la liberté de la presse, il y a le respect de la personne et de la la vie privée, l'inaltérable dignité de la personne humaine. Ces questions sont posées aussi bien à la police qu'à la justice, qu'à tous les acteurs, y compris les responsables politiques.

Nous nous opposerons à l'amendement qui entrave l'information de la presse sur les affaires en cours qui, s'il était appliqué, interdirait de parler de la Commission de Bruxelles, des affaires parisiennes ou du dossier Elf. Il ne faut pas toucher à l'article 9-1 du code civil.

Il faut accepter un espace public contradictoire, où la déontologie et la responsabilité doivent être précisées de manière conflictuelle, dans l'indépendance de la presse vis-à-vis des pouvoirs. La responsabilité doit être notre repère pour exprimer avec courage cette dimension morale que la République nous donne. Il faut peut-être en finir avec la fascination des sondages. C'est un long travail de fond que nous devons engager. Sur ces questions, il faut savoir garder raison et c'est peut-être aussi cela notre devoir d'exemplarité.

Votre projet renforce le droit des justiciables, et c'est tout à votre honneur. Mais celui-ci nous semble encore bien limité. Le droit des personnes à être jugées dans un délai raisonnable est une formule qui nous paraît encore imprécise, car ce délai dépend pour partie du nombre de magistrats et donc des moyens mis en oeuvre.

Enfin, concernant le droit des victimes, et malgré les progrès réalisés, nous ne pouvons que nous montrer déçus, car les dispositions proposées n'améliorent pas leur statut de manière significative. Ainsi, en matière d'information, elles ne permettent pas de combler le retard accumulé ces dernières décennies. Il conviendra, pour renforcer ce projet, de rendre obligatoire une meilleure information des victimes sur leur droit à obtenir réparation du préjudice subi, et ce dès le début de l'enquête.

Si le texte consacre le rôle essentiel des associations d'aide aux victimes, beaucoup de choses restent à envisager pour le favoriser. De même, il conviendrait de mettre en place des moyens beaucoup plus importants d'accompagnement et de soutien psychologique des victimes et, surtout, de renforcer tous les aspects devant conduire à une réparation juste et rapide du préjudice qu'elles ont subi - Mme le rapporteur l'a souligné. Nous mesurons l'immensité et l'urgence de la tâche à accomplir, malgré les avancées que permet ce projet. Mais l'enjeu mérite qu'on s'y attelle.

Il faudra bien aller jusqu'au bout d'une véritable réforme de notre vieille procédure inquisitoriale. Il faudrait un véritable « big-bang ». Il faudrait oser secouer le cocotier et, surtout, faire reculer nos peurs.

Les Français attendent plus que jamais de la justice compétence, sérénité, équité, clarté, lisibilité. L a justice doit être rendue dans un délai raisonnable et obéir à un souci de pédagogie civique. Elle doit fournir des repères concrets, notamment aux mineurs.

Les classements sans suite, les décisions controversées des tribunaux, la durée parfois intolérable des procédures et, du même coup, de la détention préventive, sont ressentis comme autant de dénis de justice, comme autant de résurgences de l'arbitraire.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 23 MARS 1999

C'est un immense défi que le Gouvernement et le Parlement ont commencé à relever. Le sujet est d'une brûlante actualité.

Madame la ministre, nous entendons apporter à ce projet notre soutien positif et notre vision critique. Nous nous engageons à aller encore plus loin, sans attendre les lendemains qui chantent, pour contribuer au renouveau démocratique de notre pays et à la reconquête de la confiance dans la France profonde.

Je souhaite sincèrement que ce projet, dans le contexte actuel, apporte un peu de sérénité. Nous en avons besoin.

(Applaudissements sur les bancs du groupe communiste, du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Pierre Albertini.

M. Pierre Albertini.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans son quinzième dialogue politique, Voltaire interrogeait ses contemporains en ces termes : « De tous les Etats, quel est celui qui vous paraît avoir les meilleures lois, la jurisprudence la plus conforme au bien général et au bien des particuliers ? » Cette question essentielle, qu'il posait au coeur d'une période charnière où le combat en faveur des libertés était aussi respectable que maintenant, cette question clef renvoyait déjà, la fonction législative et à la fonction juridictionnelle. Aujourd'hui, a fortiori, dans des sociétés imprégnées par le droit, elle revêt une pertinence, une acuité renouvelées.

La justice, en effet, joue un rôle de régulation sociale absolument irremplaçable. Mais pour qu'elle puisse pleinement le jouer, encore faut-il qu'une condition essentielle soit remplie, c'est naturellement que les justiciables lui fassent crédit, c'est évidemment que l'autorité des jugements et de la loi en général soit respectée. On peut se demander si cette condition est remplie aujourd'hui.

J'en doute quelque peu personnellement.

Certains parlent d'une véritable crise de l'institution.

D'autres insistent sur les dysfonctionnements. Ce qui est sûr, madame la ministre, et vous-même l'avez dit en souhaitant qu'il y soit remédié, c'est que les Français ont perdu la confiance en leur justice. Ce phénomène, personne, bien sûr, ne peut s'en réjouir, ni sur ces bancs ni dans les prétoires.

E n lançant la grande réforme de la justice le 12 décembre 1996, le Président de la République souhaitait une justice plus rapide, une justice plus compréhensible, une justice plus impartiale.

Il vous appartient de mettre en oeuvre, par différentes lois, cette grande réforme qui correspond à une attente de nos concitoyens. Je dois dire qu'au fil des textes nous avons un peu de mal à en saisir le fil directeur. Et puis surtout, la justice civile, celle qui concerne le plus fréquemment nos concitoyens, demeure, pour l'instant, la grande oubliée de la réforme.

L'enjeu est facile à définir : il s'agit de réaliser l'équilibre entre deux exigences contradictoires : assurer l'efficacité de la répression, parce qu'elle renvoie à l'autorité de la loi, à l'autorité de l'Etat et correspond au besoin de sécurité de nos concitoyens ; garantir l'exercice des libertés fondamentales, parmi lesquelles figurent naturellement les droits de la défense et la présomption d'innocence, mais aussi la liberté d'information, la liberté d'expression, la liberté de communication en général. Ces deux facettes sont indissociables dans une société démocratique. Même si nous avons tendance, en France, à désigner des boucs émissaires : tantôt le juge, tantôt le policier, tantôt le journaliste, c'est un penchant fâcheux et il nous faut, en réalité, assurer la synthèse entre des aspirations parfaitement respectables l'une et l'autre.

Or notre tradition en matière de procédure pénale a toujours été extrêmement méfiante à l'égard des droits de la défense, comme à l'égard de la presse. N'oublions pas le contexte d'élaboration du code d'instruction criminelle, qui n'est d'ailleurs pas le meilleur des codes napoléoniens, il s'en faut de beaucoup. Ce code est imprégné par une très grande défiance à l'égard des défenseurs de l'accusé

L'enquête, d'ailleurs, commençait quasi systématiquement par une mise en détention. Sous un régime autoritaire, la liberté se mesurait chichement, y compris, bien entendu, celle de la défense.

Il est fondamental, aujourd'hui, de rééquilibrer les plateaux de la balance, de réorienter les principes de notre procédure pénale. Le pendule, trop longtemps lancé vers le secret de l'instruction, le mystère de l'enquête, la toutepuissance du juge d'instruction, doit revenir vers l'équilibre entre l'aspiration à la sécurité et les droits de la défense.

C'est dans cet état d'esprit que M. Edouard Balladur a récemment publié un texte, qui inspire d'ailleurs certains de nos amendements, dont nous discuterons sans doute demain après-midi. Il a souligné à juste titre que la priorité devait être donnée aujourd'hui à la protection des libertés. Nous devons aller, c'est notre sentiment, vers une procédure de plus en plus contradictoire et vers une séparation, j'ose le dire, basique entre l'investigation et le jugement. Il y a trois fonctions essentielles : l'investigation, le jugement et la défense. Il faut que chacune trouve à s'exercer pleinement dans les principes de la procédure pénale.

Votre projet de loi, madame la ministre, témoigne d'une démarche encore hésitante, encore marquée - pardonnez-moi ce mauvais jeu de mots - par le sceau de la contradiction, une démarche qui n'est pas, nous le pensons profondément, à la hauteur de l'enjeu d'une procédure pénale pour le siècle prochain. Je crois qu'elle reste superficielle et qu'elle risque de faire se cumuler au fil du temps un certain nombre d'insatisfactions.

Nous en avons déjà eu quelques signes, dont la presse s'est fait largement l'écho. Alors que nous nous efforcions de faire accepter à la commission des lois les amendements qui nous paraissaient les plus raisonnables, la presse nous renvoyait comme un écho lancinant les débats qui se déroulaient à l'intérieur de la majorité plurielle sur tel ou tel aspect de la procédure et des droits de la défense.

De même, les réactions des organisations professionnelles, notamment de magistrats, témoignent de manière générale d'une très grande prudence (Murmures sur les bancs du groupe socialiste), sinon même d'une forme d'hostilité à certains aspects de votre projet.

Ce texte comporte bien sûr, et je les énumérerai rapidement, un certain nombre de mesures positives.

Il y a d'abord, vous y avez insisté à juste titre, le renforcement des droits - je dirais presque du « statut », mais le mot serait excessif - des victimes, qui seront mieux associés à l'instruction comme au jugement.

Il y a ensuite une extension des droits de la défense.

Vous nous permettrez de dire qu'elle reste homéopathique.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 23 MARS 1999

Il y a également une tentative, la quinzième ou la seizième depuis la Libération, pour limiter les cas de mise en détention provisoire et la durée de celle-ci. Espoir ou réalité ? J'émets un doute sur l'efficacité de cette nouvelle limitation.

Enfin, il y a la création d'un juge de la détention provisoire, qui a souvent eu pour effet, du reste, de faire apparaître le juge d'instruction comme le seul coupable des dysfonctionnements d'une procédure en réalité mal conçue. C'est un procès assez injuste qu'on lui fait. Vous prévoyez de lui enlever une part de ses pouvoirs. Je ne suis pas certain que le face-à-face avec le juge de la détention provisoire soit le moyen le plus efficace d'assurer la protection des libertés publiques. Vous avez d'ailleurs évoqué plusieurs scénarios qui permettraient de répartir diversement sur le territoire national les juges de la détention provisoire.

Néanmoins, aussi intéressantes, aussi sympathiques qu'elles puissent être, l'addition de ces quelques mesures ne fait pas un grand projet de loi, et surtout ne permet pas de remédier aux véritables causes des dysfonctionnements de la justice. J'en vois trois que je rappellerai très brièvement.

D'abord, l'engorgement de l'instruction.

Ensuite, la question du contrôle de la police judiciaire, à laquelle j'ajoute celle, indissociable, de l'efficacité de la police judiciaire, dont le taux d'élucidation est certainement, je n'en dis pas plus, très perfectible.

Enfin, le poids des habitudes et des solutions de facilité, qui conduisent assez souvent à utiliser une détention provisoire trop longue comme moyen de pression pour arracher des preuves.

Le groupe de l'UDF abordera cette discussion sous l'égide de deux grands principes : une affirmation beaucoup plus énergique, beaucoup plus résolue des droits et des libertés, la reconnaissance d'une information équitable et assumée. A cet égard, nous voulons ouvrir le débat nécessaire sur le secret de l'instruction, devenu aujourd'hui plus un dogme qu'un moyen d'assurer la protection effective du prévenu.

L'affirmation des droits de la défense nous semble insuffisante et je m'appuierai sur trois exemples pour le démontrer.

Premièrement, je pose publiquement la question : la présence de l'avocat à tous les stades de la procédure estelle un obstacle à la recherche de la vérité ? La réponse, à l'évidence, est non. Le moment clef de la garde à vue, chacun l'admet, est l'interrogatoire. Or c'est précisément à ce stade que la présence de l'avocat n'est pas possible.

Jusqu'ici, elle n'était autorisée qu'à compter de la vingtième heure. Vous proposez de la prévoir dès le début de la garde à vue, et c'est un symbole auquel vous vous accrochez avec une très grande insistance. Mais je crains que ces trente minutes d'entretien ne soient qu'un symbole sans effet réel pour la défense de la personne mise en garde à vue.

Deuxième exemple : l'enregistrement des interrogatoires et des confrontations demandé par la commission présidée par Pierre Truche et que nous souhaitons simplement magnétique, dans un premier temps, pour des raisons de caractère budgétaire. Ce n'est pas une mesure de suspicion et l'enregistrement ne doit pas supprimer le procèsverbal, mais ce serait une garantie de plus, un instrument supplémentaire de recherche de la vérité auquel on pourrait se référer. Un amendement adopté cet après-midi le prévoit pour les mineurs. Je crois qu'il serait plus convenable, conformément à ce qui se passe dans la plupart des pays européens, de l'étendre à l'ensemble des personnes mises en garde à vue.

Troisièmement, enfin, la détention provisoire, et plus spécialement sa durée, est à mon avis la source principale des abus que nous constatons. A cet égard, l'efficacité du dispositif que vous proposez est discutable. La seule véritable garantie, l'orateur précédent l'a souligné, c'est naturellement la collégialité de la décision. C'est cette collégialité, inscrite dans la réforme de M. Badinter et souhaitée par la commission Truche, qui sous-tend la proposition d'Edouard Balladur que nous soutenons.

La longueur des procédures est inadmissible. Mme le rapporteur, je n'ose pas dire Mme la « rapporteuse » (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), cela m'écorche un peu la bouche, je trouve le mot peu flatteur à l'oreille, mais si vous y tenez...

Mme Christine Lazerges, rapporteur.

Je n'ai pas de religion en la matière.

M. Pierre Albertini.

Madame le rapporteur, donc, vous avez vous-même constaté dans votre rapport que les chiffres actuels étaient inacceptables. Le taux et la durée des détentions provisoires dans notre pays, qui se flatte d'être celui de la Déclaration des droits de l'homme, excèdent ceux pratiqués par nos voisins européens. Et je ne sache pas que l'efficacité de la police soit inférieure chez nos voisins, il n'y a donc pas de corrélation entre les deux phénomènes.

Nous avons d'ailleurs été souvent condamnés par la Cour européenne de Strasbourg, et si les choses ne sont pas substantiellement améliorées, si la notion de délai raisonnable n'est pas mieux respectée, il ne fait aucun doute que ces condamnations se reproduiront.

Sur ce point, madame la ministre, votre démarche est hésitante pour une raison fondamentale que vous avez vous-même rappelée, c'est que vous voulez conserver le caractère inquisitoire de la procédure. Vous y introduisez bien quelques correctifs de procédure accusatoire, mais il faudrait, à notre sens, franchir effectivement le pas pour mieux défendre les libertés.

Le second principe sur lequel le groupe de l'UDF s'appuiera est celui de la liberté d'expression, que nous voudrions reconnue et assumée sereinement dans notre pays.

La liberté d'expression et de communication est-elle un obstacle et à la recherche de la vérité, et au respect de la dignité et des droits de la personne ? Là encore, notre réponse est non.

La liberté de communication trouve son fondement le plus ancien dans l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et, plus récemment, dans l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, signée en 1950. Ces deux textes ont, dans notre pays, une valeur supérieure à celle de la loi. Ils s'imposent au législateur. Or, sur ce point, le projet gouvernemental demeure hésitant.

Deux voies s'offrent à nous.

La première est celle du secret de l'instruction. Mais comment l'assurer et comment vérifier qu'il sera total ? Comment l'égalité de tous devant un secret de l'instruction de plus en plus fictif, de plus en plus violé, sera-telle respectée ? La seconde voie, que nous préconisons, est celle de la reconnaissance délibérée d'une liberté garantie plus par le juge civil que par le juge répressif, et reposant sur la déontologie professionnelle. Nous croyons, en effet, que


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 23 MARS 1999

la liberté d'expression, dans une démocratie sereine, dans une démocratie pluraliste, est le meilleur rempart contre l'arbitraire et contre l'oubli qui guette les victimes.

Je crois que le secret de l'instruction est aujourd'hui un principe fictif. Vous nous parlez, madame la ministre, de fenêtres de publicité. Elles ne seraient au mieux, convenons-en, que de petites lucarnes offertes au procureur de la République ou mesurées avec parcimonie à la défense.

Mme Odette Grzegrzulka.

De petites lucarnes sur de grands écrans !

M. Pierre Albertini.

D'ailleurs, le débat public sur les charges est encore beaucoup trop verrouillé par le juge.

Les conditions que vous y mettez font que ce débat public a toutes les chances d'être, dans de très nombreuses circonstances, refusé par le juge sans offrir la contrepartie que la personne poursuivie pourrait souhaiter pour sa propre dignité et pour le respect de sa présomption d'innocence.

Vous avez trouvé un symbole dans l'interdiction de diffuser certaines images, notamment celles de personnes menottées ou entravées. Mais il y a bien des images qui peuvent porter atteinte à la dignité, même si la personne ne porte ni menottes ni entraves, par exemple celle d'un homme auquel on a enlevé sa cravate et qui, mal rasé, sort d'une garde à vue un peu prolongée entouré de deux gendarmes. Même si on ne montre pas ses menottes, sa dignité a toutes les chances d'être offensée de la même manière. En réalité, c'est l'usage excessif des menottes qui est coupable beaucoup plus que le fait de les montrer.

Il existe aussi un droit à l'information, par l'écrit et par l'image, dans notre pays. C'est pourquoi il faut s'en tenir pour l'essentiel à la voie de la responsabilité civile, qui est la contrepartie d'une société de liberté et de responsabilité. D'ores et déjà, le code civil - notamment l'article 9, qui renvoie à la vie privée, au droit de faire respecter son image, et l'article 9-1, qui traite de la présomption d'innocence - permet parfaitement de remédier aux abus qui seraient commis.

La jurisprudence en la matière est extrêmement nuancée, riche et circonstanciée, beaucoup plus juste que ne pourrait l'être une tentative pour codifier ou réglementer l'usage de la presse ou de l'image.

Je voudrais, pour conclure, revenir à la question que je posais en commençant, celle de Voltaire : « De tous les

Etats, quel est celui qui vous paraît avoir les meilleures lois, la jurisprudence la plus conforme au bien général et au bien des particuliers ? » Voltaire répondait : « Mon pays, sans contredit. » Je doute un peu de la sincérité de

cette réponse. Je crois que Voltaire, comme il l'a fait assez souvent, pensait plutôt à un pays imaginaire où il décrivait la nécessaire progression des libertés. Cette progression est un combat sans cesse renouvelé, jamais définitivement gagné.

Aujourd'hui, l'indépendance statutaire du parquet et ses garanties de carrière ont été renforcées - ce que nous souhaitions - mais sans que l'on ait touché au principe de l'opportunité des poursuites qui continue à gouverner notre procédure pénale. Or on ne peut pas renforcer l'indépendance des magistrats, et tout spécialement du parquet, et maintenir l'opportunité des poursuites sans prévoir la contrepartie nécessaire, à savoir le renforcement des droits et libertés des citoyens et une responsabilité disciplinaire plus active des magistrats. C'est la condition pour que la justice retrouve cette confiance, socle de la relation qui doit s'établir avec nos concitoyens.

M. le président.

Il faut conclure, monsieur Albertini.

M. Pierre Albertini.

En l'état, madame la garde des sceaux, le groupe UDF ne votera pas votre texte.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Alain Tourret.

M. Alain Tourret.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, c'est avec une grande émotion que je monte ce soir à cette tribune au moment où aurait dû le faire Michel Crépeau.

Pour évoquer la présomption d'innocence, je commencerai par citer deux exemples rencontrés dans ma vie professionnelle : l'un dans un milieu ouvrier et l'autre dans un milieu bourgeois.

Premier cas, une jeune fille vient se plaindre de ce qu'elle a été violée par son père. On porte plainte immédiatement. L'individu - sinistre par définition - est arrêté, mis en détention deux mois, trois mois, quatre mois, six mois, huit mois. Naturellement, il prétend qu'il est innocent et, naturellement, le réflexe est de le maintenir en détention provisoire pour qu'il avoue son crime infect. Or, il n'avait rien commis. Au bout de huit mois, en effet, la jeune fille a avoué qu'elle l'avait accusé pour se faire valoir. Je n'ai jamais pu croiser le regard de cet homme que j'avais contribué à faire mettre en prison.

Deuxième cas, un très grand fonctionnaire de la République, élu par ailleurs, est mis en garde à vue pour une raison stupide. Au cours de celle-ci, on lui enlève sa ceinture, sa cravate, ses lacets. On le met à nu. On le fouille ainsi, comme s'il était un criminel. Or il n'avait pratiquement rien - cela a été démontré - à se reproch er. Malheureusement, il était cardiaque. N'ayant pas été soigné, il a dû subir un triple pontage dans les quarante-huit heures qui ont suivi. Cette personne siégeait ici il n'y a pas longtemps.

Je l'avoue, ces deux exemples m'ont terriblement marqué. Et, alors que j'ai été élu député pour la première fois, le 1er juin 1997, il n'y a pas deux ans, je me suis dit que je donnerais tout ce que je pourrais de mon activité, de mon intelligence et, si possible, de mon talent de conviction pour faire en sorte que la dignité de l'individu soit respectée, et la présomption d'innocence renforcée.

J'ai essayé de le faire modestement avec le groupe Radical l'an dernier. Vous le savez, un premier texte a été voté par l'assemblée. Mais il s'est perdu dans les méandres de la discussion parlementaire au Sénat.

Aujourd'hui, madame la garde des sceaux, vous nous proposez une loi qui constitue un grand progrès car elle a le mérite de comporter un certain nombre de solutions nouvelles et intelligents. Pour autant, j'estime qu'elle reste trop timide sur plusieurs points. N'oublions pas, en effet, que les chiffres sont terribles. Avec 41 % de détenus provisoires, la France continue à être le pays d'Europe occidentale où le taux de détention provisoire est le plus élevé. Certes, il y eu un progrès puisqu'il atteignait 51 % auparavant.

Derrière ce chiffre de 41 %, il y a plusieurs dizaines de milliers de personnes qui se retrouvent dans des conditions de détention épouvantables puisque, à la différence de ceux qui sont condamnés à de longues peines, elles n'ont pas droit à une cellule individuelle. Du reste, qui n'a pas en mémoire ce qui a été dit sur la manière dont est vécue la prison ? Qui ignore que ce n'est pas simplement l'absence de liberté ? La prison, c'est l'avilissement.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 23 MARS 1999

C'est dans ce contexte que nous avons eu à nous interroger sur le système inquisitoire. Correspondait-il encore à notre temps ? Certes, on aurait pu passer au système accusatoire. Mais, pour ma part, je n'accorderai pas à ce dernier toutes les vertus que certains lui attribuent.

En effet, je ne suis pas persuadé qu'elles soient réelles.

Je crois que le système à deux juges que vous nous proposez, madame la garde des sceaux, a sa logique et sa cohérence. Cependant, j'aurais préféré qu'un juge soit chargé de l'enquête et un autre du contentieux. Le juge de la détention provisoire aurait alors eu également pour mission de traiter tout ce qui relève du contrôle judiciaire. A cet égard, je ne suis pas persuadé que vous ayez suivi jusqu'au bout la logique de l'inquisitoire, qui est aussi la mienne. Je soulève cette question car c'était l'un des éléments de progrès du texte.

Il reste que ce projet réalise des avancées, qu'il s'agisse de la garde à vue, de la façon dont on traite le présumé innocent ou de la création, véritable cette fois, et non pas simplement virtuelle, du témoin assisté. Sur ce dernier point, l'avancée est considérable, et on vous en sera reconnaissant dans les années à venir, madame.

En matière de seuils, une autre logique était peut-être possible. J'étais, quant à moi, favorable à des seuils beaucoup plus élevés : cinq ans pour les atteintes aux biens, trois ans pour les atteintes aux personnes. Vous avez conservé votre logique de trois ans et deux ans. Je crois que c'est une erreur.

J'ai vu dans votre discours - je n'ai malheureusement pas pu l'écouter - que vous justifiez ce choix en expliquant que, depuis le texte voté au mois d'avril, le deuxième juge a été institué. Oui, c'est vrai. Mais je crois vraiment qu'il faut rompre avec la culture de la détention et de l'aveu, en vigueur aujourd'hui et qui n'est rien d'autre que la culture du juge - ce n'est pas moi qui le dis, c'est M. Truche. Il faut rompre avec cette volonté de faire avouer par tous les moyens en échange de l'assurance donnée au présumé innocent qu'il ne sera pas mis en détention. J'ai la conviction que, dans toute une série de cas, la solution consisterait à interdire la détention.

Des chiffres ont été établis : vous les avez cités le 4 avril dernier. Votre solution aurait permis à 7 200 personnes de ne pas être mises en détention ; celle que je préconisais concernait 11 500 personnes. Encore faut-il bien distinguer entre Paris et la province où les situations s'avèrent très différentes. Nous aurons l'occasion de reprendre cette discussion.

Reste le problème des prescriptions et, en particulier, la prescription liée à l'article 8 du code de procédure pénale.

Faut-il maintenir cette prescription de trois ans, alors même que la chambre criminelle de la Cour de cassation a, de lege ferenda, créé une nouvelle prescription avec le délit d'abus de biens sociaux ? J'ai fait un certain nombre de propositions en la matière. J'attends les vôtres, madame. Sur ce nouveau délit, sur la législation commerciale, sur les commissaires aux comptes, il est nécessaire de repenser globalement la prescription des délits économiques.

Pour conclure, je dirai que nous attendons de ce débat qu'il permette d'améliorer ce beau texte sur un certain nombre de points. Mais le fait qu'il renforce la présomption d'innocence et consacre le droit des victimes nous satisfait déjà grandement.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

La parole est à M. Philippe Houillon.

M. Philippe Houillon.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la première phrase de l'exposé des motifs de ce projet de loi tend à rappeler, à juste titre, que la présomption d'innocence constitue le principe cardinal de la procédure pénale dans un Etat de droit. Voici ce qu'il indique très exactement :

« Les autres principes directeurs qui gouvernent la procédure pénale sont la conséquence du principe de la présomption d'innocence. » C'est dire l'importance majeure

attachée à ce sujet sur le plan des libertés, sur le plan du fonctionnement de la justice et, donc l'extraordinaire attente qu'a suscitée ce projet.

Mais les professionnels et intervenants extérieurs entendus par notre commission des lois ont, quant à eux et sans esprit partisan, trouvé ce texte sous-dimensionné. Ils ont estimé qu'il ne répondait pas à cette attente. C'est ce qui arrive, en général, à un film moyen qui n'est pas à la hauteur de sa bande-annonce. Ici, la bande annonce, c'est que la présomption d'innocence est le principe dont doit découler tout le fonctionnement de la justice - c'est l'exposé des motifs -, mais le texte ne suit pas et reste très hors de portée des véritables questions.

En fait, ce projet s'inscrit dans la longue liste des réformes de procédure pénale sans cesse remises sur le métier, de législature en législature. Il y a peu de temps encore, en effet, notre collègue Tourret a présenté une proposition de loi sur la détention provisoire qui a été votée en première lecture par notre assemblée à la faveur de ce qu'il est convenu d'appeler une niche parlementaire, et qui y est ensuite restée.

Bien sûr, comme les précédents, votre projet, madame la garde des sceaux, apporte un certain nombre de choses positives et d'avancées. Je veux d'abord saluer l'intervention de l'avocat dès le début de la garde à vue ainsi que les mesures d'accompagnement, utilement renforcées par la commission des lois et relatives à l'information des personnes gardées à vue.

Je regrette toutefois que ces nouvelles dispositions ne concernent que le droit commun, et que l'intervention de l'avocat soit maintenue après la trente-sixième heure en cas de délinquance, et après la soixante-douzième heure dans un certain nombre de cas, comme la criminalité organisée ou les trafics de stupéfiants dont on parle souvent.

Sans méconnaître le caractère particulier de ces infractions, je considère qu'aucune raison objective ne justifie l'institution d'une présomption d'innocence à deux vitesses. Mais ce qui me choque davantage encore, c'est l'affirmation contenue dans l'exposé de motifs selon laquelle, dans ces affaires-là, il convient de différer l'intervention de l'avocat dans un souci d'efficacité de la procédure pénale. Est-ce à dire que l'on craint le principe du contradictoire ? Est-ce à dire que l'on craint que l'avocat, défenseur des libertés individuelles et auxiliaire de justice, puisse, en intervenant trop tôt, avoir des contacts indélicats avec l'extérieur, ce qui reviendrait, sans le dire clairement, à jeter le discrédit sur cette profession ? Sur ce sujet, il serait bon que la France s'aligne sur les autres pays européens qui, pour la plupart, ne prévoient pas d'exception à l'intervention de l'avocat.

La plus grave atteinte à la présomption d'innocence réside, bien sûr, dans la détention avant jugement. De ce point de vue, notre pays n'est pas véritablement un modèle de respect des droits de l'homme. L'aveu demeure la reine des preuves et la détention provisoire est trop souvent utilisée comme un moyen de pression ou encore


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comme un à-valoir sur une peine hypothétique qui est prononcée par celui qui, finalement, n'a pas qualité pour juger de cette peine.

M. Michel Hunault.

Très bien !

M. Philippe Houillon.

Malgré les tentatives des textes successifs, force est de constater que trop de personnes font l'objet d'une détention avant jugement alors qu'ensuite elles bénéficient d'un non-lieu, d'une relaxe ou encore d'une peine avec sursis sans compter les cas où la juridiction de jugement se croit obligée de « couvrir » la détention provisoire là où elle n'aurait pas forcément prononcée de peine ferme. Comme l'a souligné Mme le rapporteur, la détention provisoire est encore trop souvent un mode de gestion des informations.

Le coeur de la réforme proposée réside dans l'institution d'un juge de la détention provisoire. Comment ne pas s'arrêter ici un instant pour constater qu'en France le juge se définit plus par rapport à la détention que par rapport à la liberté ? Le projet amorce la séparation de la fonction d'instruction de la décision sur la détention avant jugement reprenant, à la collégialité près, l'idée de M. Badinter, ce que je regrette. Cela étant, on ne peut que se réjouir sur le principe, sauf à constater que le texte reste ici encore au milieu du gué : le juge de la détention ne sera saisi par le juge d'instruction que lorsque celui-ci n'envisagera pas de maintenir en liberté. En d'autres termes, lorsque le juge de la détention recevra le dossier de son collègue de l'instruction, il saura implicitement mais nécessairement que celui-ci souhaite la détention.

Le risque est grand, notamment dans les petits tribunaux, de voir ce juge de la détention devenir, à l'identique des chambres d'accusation, le juge de la confirmation. C'est la raison pour laquelle nous avons présenté des amendements tendant à faire en sorte que le juge de la détention soit saisi par réquisitions motivées du parquet.

Le parquet est l'organe de la poursuite qui agit au nom de la société, il lui appartient, plutôt qu'au juge du siège qu'est le juge d'instruction, de solliciter la détention et d'en justifier les raisons au regard de la loi.

Reste à résoudre une équation pratique : le juge de la détention devant être un président ou un vice-président, naturellement pas juge d'instruction et ne devant pas non plus participer à la formation de jugement, qui aura à connaître ensuite de l'affaire ? La question des moyens va se poser, notamment dans les petits tribunaux et a fortiori dans les tribunaux à une seule chambre.

C'est probablement la raison pour laquelle la commission des lois a adopté un amendement visant à faire en sorte que la carte judiciaire soit révisée dans un délai de deux ans. J'espère que cela permettra de mieux gérer les ressources humaines de la justice et peut-être même d'aboutir à cette collégialité que nous souhaitons probablement tous pour ces questions de détention.

Quelques modifications positives sur la conduite de l'instruction ou de l'audience ont permis à Mme le rapporteur d'écrire que la France se « rapproche » du principe de l'égalité des armes défini par la Convention européenne des droits de l'homme. Le problème, Mme le rapporteur, tient justement au fait que l'on s'en rapproche seulement, mais pour en rester encore très loin.

On sent même comme un malaise face à cette exigence d'une procédure plus contradictoire, pourtant universellement appliquée dans les autres grandes démocraties, comme une crainte face à ce qui, chaque jour, s'impose de manière irréversible.

Malgré ce que j'ai appelé la bande-annonce, ce projet n'aborde pas les vraies questions.

La première est celle de la surpénalisation de la société française dans laquelle on est d'autant moins présumé innocent que chaque comportement quotidien est susceptible de recevoir une qualification pénale.

Demeure ensuite celle de la séparation claire entre les fonctions des juges et celles du parquet, partie au procès pénal et avocat de la République, mais avec des prérogatives supérieures à celles des autres parties, la moindre n'étant pas celle de choisir son juge, puisque le parquet est maître de l'audiencement pénal. Il existe actuellement une trop grande confusion dans les procédures, dans le corps des magistrats, dans l'esprit des justiciables.

Une autre question procède de la précédente, celle d'accorder une plus grande place au caractère contradictoire de la procédure dès la garde à vue, ce qui est la moindre des choses. La culture de l'aveu, de la détention, de l'inquisition et d'un accusateur qui a des droits supérieurs à ceux de la défense, souvent cantonnée dans un rôle timide, n'est pas en concordance avec l'idée que nous devons nous faire du pays des droits de l'homme.

Il est encore une question dont le traitement est toujours reporté, celle du double degré de juridiction en matière criminelle. Tel est aussi le cas de celle de la responsabilité des juges.

Enfin la question, certes très complexe mais centrale dans un texte sur la présomption d'innocence, de la mise en cause publique de présumés innocents, qui en fait souvent des coupables avant jugement, n'est abordée dans ce texte qu'à la marge, avec l'interdiction de diffuser l'image d'une personne entravée et avec l'aménagement de quelques fenêtres de publicité facultatives et tardives, tout en maintenant le secret de l'enquête et de l'instruction.

La problématique, en la matière, est bien connue. Elle tient au concours frontal de principes également importants mais contradictoires : la nécessité des enquêtes, des mises en causes et des poursuites, la présomption d'innocence, la liberté de la presse, avec, en toile de fond, la réelle complexité de l'acte judiciaire que le citoyen et les médias appréhendent peut-être trop simplement, par raccourcis, en tout cas avec un souhait inadapté d'instantané.

Faut-il conserver le secret édicté par l'article 11 du code de procédure pénal ? Faut-il le renforcer comme tendait à le faire, d'une certaine manière, un amendement de Mme Bredin, que Mme le rapporteur a tout juste réussi à retenir par les cheveux, signe des divergences dans la majorité sur ces questions touchant aux libertés et aussi, en l'occurrence, au politiquement correct ? Ce projet qui devrait pourtant traiter de ces questions, puisqu'il concerne la présomption d'innocence, ne leur apporte aucune réponse. Si l'on ne voulait pas parler des vrais sujets il aurait été préférable de ne pas présenter un texte sur la présomption d'innocence. Partons de constats simples.

L'atteinte à la présomption d'innocence résulte de la loi elle-même, puisqu'elle est la conséquence du nécessaire pouvoir d'investigation, d'enquête, qui est un devoir dans un Etat de droit. Or il n'est jamais exercé sans dégâts.

Par ailleurs, l'existence même d'une infraction est souvent connue avant même que la justice en soit saisie.

Dans de nombreux cas, pour ne pas dire toujours, l'opinion publique veut comprendre. Prenons un exemple d'actualité : le président du Conseil constitutionnel de la


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France est mis en cause dans une affaire délictuelle d'envergure. Serait-il admissible que, pendant un an, deux ans, voire plus, on ne sache rien ? Il est vrai que la transparence avant jugement oblige souvent les intéressés à en tirer des conséquences parfois dramatiques. Certes, elles sont plus mesurées dans le cas que je viens de citer, puisque, si j'ai bien compris, il ne s'agit que d'un congé.

Enfin, la convocation d'une personne, sa mise en examen, son audition et, a fortiori, sa détention, sont des actes publics et il est sain qu'ils le demeurent.

Tous ces constats sont autant de motifs à la mise en cause de la présomption d'innocence.

Au total, je crois, après réflexion car le sujet n'est pas simple, et après avoir évolué au fil du temps, que la transparence de l'activité judiciaire est la meilleure protection de la liberté. Il est sain que la presse et les médias jouent un rôle de régulateur et de révélateur des dysfonctionnements - c'est un rôle indispensable dans une démocratie.

Tout le monde s'accorde à reconnaître que le secret de l'instruction n'est pas réaliste. Il n'est d'ailleurs pas respecté et sa violation n'est pas poursuivie. Il ne protège d'ailleurs même pas la présomption d'innocence et, de toute façon, il ne peut pas être total puisqu'il faut bien que la défense en soit affranchie. C'est la raison pour laquelle, dans un souci de cohérence, de transparence, de simplicité et de modernité, je propose que l'on en supprime le principe.

M. Pierre Albertini.

Très bien !

M. Philippe Houillon.

A partir du moment où est donnée une plus grande liberté, qui ne fait d'ailleurs qu'adapter le droit à la réalité, il faut mettre en place des contrepoids. De mon point de vue ce n'est pas le secret qui protège, mais la responsabilité.

Le droit d'informer doit d'abord tenir compte du droit, pour le public, à être informé, c'est-à-dire à recevoir des informations objectives et contradictoires. Sur le plan civil, les dommages éventuels causés par l'exercice de cette liberté doivent être réparés et il faut promouvoir une juste réparation et non une réparation symbolique comme on le voit encore trop souvent dans les cas d'atteinte à la présomption d'innocence. Ainsi que M. Albertini l'a souligné, la jurisprudence, issue de l'application des articles 9-1 et, plus généralement, 1382 du code civil, évolue en ce sens.

Il en est de même de la fonction de juger et de mettre en détention. Ainsi que l'indique la première phrase d'une lettre ouverte des juges d'instruction : « Notre monde est dangereux. » En ce qui me concerne, je consi-

dère que la responsabilité rend le danger plus supportable. Elle est une bonne réponse à ce danger qu'ils évoquent.

Sur un autre plan, il est clair que le temps de la justice est en décalage avec le temps de l'information qui est celui, plus instantané, de la vie. L'événement, c'est l'arrestation, l'audition, la mise en examen. Dans ces conditions, l'offre et la demande d'information sont trop fortes et il est impossible aux médias de patienter le temps nécessaire à la justice pour arriver à l'audience publique et rendre un jugement.

Plus le délai est long entre la mise en examen et le jugement, plus les informations circulent et plus il est porté atteinte à la présomption d'innocence, au point même qu'un jugement de relaxe ultérieur ne suffira pas à restituer l'honneur à la personne concernée.

C'est donc sur ce délai et sur cette perception qu'il faut agir en reculant au plus près de l'audience la phase de mise en accusation, ce qui est d'ailleurs bien plus respectueux des droits de la défense. En effet, l'exercice des droits de la défense sert souvent d'alibi à la mise en examen. Puisqu'on constate que la défense du mis en cause y trouve plutôt des motifs de violation de ses droits qu'une protection, il y aurait sans doute des avantages à évoluer en la matière. Tel est l'esprit dans lequel je soutiendrai l'amendement présenté sur ce sujet par M. Balladur.

Le respect de ces principes, rapidement énoncés, nous permettrait de nous rapprocher d'un équilibre moderne pour une justice moderne et plus respectueuse de la présomption d'innocence : dépénalisation, présence de l'avocat au début de la garde à vue, juge de la liberté auton ome, transparence et suppression du secret de l'instruction, séparation des fonctions de poursuite et de jugement, mise en place d'une procédure réellement contradictoire, responsabilité, réparation civile, généralisation du statut de témoin, lequel pourra être assisté jusqu'à la mise en accusation qui n'interviendra qu'après la réunion de charges paraissant suffisantes pour renvoyer l'affaire devant une juridiction.

Nous ne retrouvons pas cet équilibre dans le projet qui nous est soumis et, en l'état, avant la discussion des amendements, le groupe Démocratie libérale ne peut pas le voter.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à Mme Frédérique Bredin.

Mme Frédérique Bredin.

Le Premier ministre s'est engagé, devant les Français, à réformer notre système judiciaire, par le biais de plusieurs textes fondamentaux, pour rendre la justice plus rapide, plus efficace, plus proche des citoyens et plus respectueuse des libertés.

Le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui, madame la garde des sceaux, après celui sur la réforme du Conseil supérieur de la magistrature et avant celui sur l'indépendance du parquet, est particulièrement important, puisqu'il traite des libertés publiques, du respect de la dignité des personnes et de la présomption d'innocence.

Ce texte nous permettra de replacer les questions judiciaires dans une réflexion d'ensemble sur la démocratie.

En effet, la justice ne peut pas se résumer à la dizaine d'affaires qui défraient les gazettes. Son fonctionnement intéresse tous les citoyens, car la plupart des Français ont un jour, dans leur vie, à connaître du système judiciaire, qu'ils soient victimes ou mis en cause, et donc à se heurter aux procédures pénales.

Ce projet traite en même temps du droit des victimes dans le cadre du procès pénal et des dispositions nécessaires pour mieux respecter la présomption d'innocence.

C'est une première pour un texte pénal, ou plutôt une seconde, si l'on prend en compte le projet relatif à la répression des infractions sexuelles sur mineurs que nous avons déjà adopté. Cela est essentiel tant symboliquement que pratiquement.

Selon l'expression consacrée, les citoyens doivent pouvoir faire confiance à la justice de leur pays. Or chacun sait que les Français sont sceptiques, inquiets même devant toutes les questions qui se posent en matière de justice. Qu'il s'agisse de mise en cause prématurée, de garde à vue injustifiée, de détention provisoire précipitée


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ou trop longue, du rôle du parquet et de la police judiciaire, du secret de l'instruction, de la durée des enquêtes, les interrogations sont multiples sur le fonctionnement et sur la qualité de notre justice.

Selon une étude réalisée par la SOFRES en 1997, 66 % des Français ont une mauvaise image de la justice.

Il convient d'ailleurs de souligner - mais cela nous ramènerait à d'autres débats - que les femmes ont une image particulièrement négative de notre système judiciaire. Il est jugé coûteux, lent, vieillot. A la question, fondamentale pour notre débat, de savoir si la justice respecte les droits de la personne, plus d'un Français sur deux répond par la négative, ce qui devrait nous inquiéter.

Les Français ne se satisferont donc pas d'annonces symboliques. Il faut réformer notre justice en profondeur si nous voulons vraiment mettre un terme aux dysfonctionnements judiciaires qui choquent nos concitoyens. J'espère que notre débat et les propositions que nous formulerons les uns et les autres permettront de progresser vers une meilleure justice, vers une meilleure démocratie.

La grave crise que traverse la justice tient à des causes profondes : insuffisance de moyens, bien sûr, mais aussi incertitude sur ce que doit être le rôle du juge dans notre société. Cette crise, ces dysfonctionnements apparaissent au regard même des principes qu'affirme la justice et qui la fondent : la médiatisation de la justice, désormais irréversible, fait fi du secret de l'instruction ; l'abus de la détention provisoire bafoue la présomption d'innocence ; le rôle et le statut du parquet sont remis en cause. Bref, l'institution judiciaire vit, elle aussi, l'ère du soupçon, ce qui n'est pas sain pour la démocratie.

On pourrait débattre de l'inefficacité de la justice pénale qui procède de l'inflation des textes que nous votons, nous, parlementaires ; de la multiplication des peines qui donne le vertige aux tribunaux invités à les u tiliser ; de l'inefficacité due aux difficultés de la machinerie pénale, à ses frottements, à ses impuissances, faute d'hommes, faute de temps.

On pourrait également débattre du grave manque de moyens du service public de la justice, quels que soient les efforts, tout à fait louables, développés depuis dix-huit mois par notre garde des sceaux. En effet, la paupérisation de la justice pèse sur son travail : locaux vétustes ou exigus, manque de personnels, absence de matériel informatique, etc.

Cela étant, notre débat ne porte ni sur le code pénal et ses évolutions ni sur le budget de la justice.

M. Michel Hunault.

Il s'agit pourtant de vraies questions.

Mme Frédérique Bredin.

Nous en reparlerons évidemment en d'autres occasions, car ces questions sont essentielles.

Le projet de loi qui nous est proposé porte sur un sujet précis et la question posée a le mérite d'être simple et claire : la protection de la présomption d'innocence, garantie individuelle fondamentale promise à chaque citoyen par la Déclaration des droits de l'homme et par la Convention européenne des droits de l'homme est-elle assurée dans notre pays ? La France s'enorgueillit d'être le pays des droits de l'homme. Elle aime le dire, elle aime le proclamer, elle aime le célébrer. Mais est-ce vraiment le cas ? A cet égard, je pense non pas à des violations flagrantes, visibles de ces droits, mais à ces petites atteintes quotidiennes qui sont souvent cachées, comme l'a souligné M. Tourret, derrière les murs, notamment derrière ceux dont nous devrons parler, c'est-à-dire les murs des prisons, ces atteintes à la vie des hommes et des femmes qui sont derrière les barreaux. Combien sont-ils ? Qui sont-ils ? Pourquoi sontils ? Comment vivent-ils la détention ? Il s'agit de traiter de la détention provisoire et des personnes prévenues qui la subissent. Ainsi, en 1997, plus de 56 000 personnes ont été placées en détention provisoire.

Les prévenus représentent aujourd'hui 40 % de la population carcérale. Cela signifie que quatre personnes sur dix placées en prison sont prisonnières avant d'avoir été jugées.

Nos débats sont placés sous le sceau de l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme selon lequel :

« Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »

La détention provisoire est le symbole de l'archaïsme du système judiciaire français...

M. Alain Néri.

Très bien !

Mme Frédérique Bredin.

... en raison du nombre de ceux qui en sont l'objet, de sa durée moyenne et des conditions de son exercice. Par la spécificité de son organisation, elle place la France parmi les pays d'Europe les plus répressifs. Telle est bien une triste spécificité française : le recours à la détention provisoire n'est pas du tout considéré, malgré les affirmations de principe, comme une mesure exceptionnelle ; il constitue bel et bien un mode de gestion courant de l'information et des instructions.

Et que dire du nombre de détentions injustifiées ou inutilement longues ? Je ne parlerai pas des abus réels : aucun de nous ne les connaît car nul n'est dans le secret des cabinets des juges d'instruction. Les avocats - et c'est leur rôle - avancent, de façon continue, pour ces détentions préventives injustifiées ou trop longues, le pourcentage de 75 %.

Vous avez cité, madame la ministre, des exemples concrets. Hier encore on apprenait qu'un Toulonnais venait de vivre un véritable cauchemar. Accusé à tort de viol, il avait passé six mois en prison avant qu'une analyse d'ADN, un test génétique, le mette totalement hors de cause. Ce test a été bien long à venir. Pourquoi n'a-t-il pas été fait plus tôt ? Pourquoi ces six mois de prison ? Interrogé par les médias, il a raconté devant la France entière comment la lenteur et l'incompétence de la justice avaient brisé sa vie.

Chaque année, en France, plus de 1 000 personnes sont acquittées, relaxées ou font l'objet d'un non-lieu, a uxquelles s'ajoutent les quelque 1 200 personnes condamnées avec sursis. Bref, ce sont près de 3 000 personnes qui, chaque année, connaissent la prison avant qu'il soit définitivement jugé qu'elles ne méritaient pas de la connaître.

Quant aux conditions de cette détention elles méritent un débat car elles sont la conséquence de la surpopulation carcérale, mal français endémique que l'on ne semble pas vouloir sérieusement soigner. Nous avons déposé un amendement à ce sujet.

L'article 716 du code pénal prévoit que la détention provisoire ne doit s'exécuter que selon certaines formes, sauf à ressembler à une punition, à une condamnation.

Les personnes mises en examen, soumises à la détention provisoire, sont placées au régime de l'emprisonnement


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individuel, de jour et de nuit. C'est clair - ou presque.

L'article 716 dispose aussi qu'il ne peut être dérogé à ce principe qu'en raison de la distribution intérieure des maisons d'arrêt et de leur encombrement temporaire.

Tout est là ! M. Jacques Floch connaît très bien cette question. Il en parlera. Il y a dérogation majeure et constante. L'Etat ne peut se prévaloir de ses propres turpitudes : 80 % des maisons d'arrêt sont encombrées en permanence. L'article 716 n'a plus aucun sens et, malgré les efforts de l'administration pénitentiaire - qui sont réels dans ce domaine - la France n'est pas un Etat de droit.

Je citerai quelques chiffres encore, qui montrent la gravité de la situation. En quinze ans, la population détenue en prison a augmenté : elle est passée d'environ 30 000 à 57 000. Dans le même temps, le nombre de places de prison « offertes » - si je puis dire - est passé à 50 000, ce qui correspond à un taux d'occupation de 116 %. Il est de 128 % pour les maisons d'arrêt. Malgré la construction de places nouvelles, les taux d'occupation atteignent parfois 180, voire 210 % comme à la prison de Meaux.

La réalité est là : près de six prisons sur dix sont surpeuplées. On l'a dit, la situation est particulièrement critique dans les établissements qui reçoivent les prévenus et les condamnés dont le reliquat de peine à purger est inférieur ou égal à un an. Les maisons d'arrêt sont constituées de cellules collectives de dix mètres carrés qui accueillent deux, trois, voire quatre détenus quand la prison est « surencombrée », avec tout ce que cela signifie de promiscuité et d'atteinte à la dignité.

La détention provisoire telle qu'elle est organisée en France révèle une grave déresponsabilisation de l'Etat. Et finalement, c'est l'individu qui paie les défaillance de l'Etat et du système de la justice, et ce dans une relative indifférence générale.

La présomption n'est pas d'innocence mais de culpabilité.

Il n'y a pas de fumée sans feu ! C'est un adage bien connu. La détention provisoire passe donc pour une présomption de culpabilité, d'autant qu'elle concerne le plus souvent une population marginale, socialement fragile, méconnue ou méprisée. Il aura fallu - hélas ! - que l'expérience soit connue par des chefs d'entreprise ou des hommes politiques pour que le débat arrive sérieusement devant notre assemblée.

Notre pays a une étonnante incapacité à légiférer sur ce point. Les tentatives multiples ont toutes échoué.

Depuis vingt-cinq ans, il y a eu dix-sept réformes, c omprenant les aller et retour législatifs, à l'issue desquelles le statu quo sur la détention provisoire s'est accompagné d'une progressive dégradation des droits de l'individu et d'une surpopulation carcérale.

A huit reprises en treize ans, la procédure pénale a fait l'objet de réformes successives : lois de 1984, 1985, 1986, 1987, 1989 et 1993. La réforme Badinter du 10 décembre 1985 ? Abrogée. Certaines dispositions de la loi Chalandon de 1987 ? Abrogées avant même d'entrer en vigueur.

La loi Vauzelle du 4 janvier 1993 ? Abrogée dès le 24 août de la même année ! Je passe sous silence l'épisode de la loi sur la détention provisoire de 1996 tant le texte proposé par le gouvernement de l'époque était insipide.

Dans tous ces épisodes à rebondissements des années passées, on voit les faiblesses de notre pays, son indifférence peut-être à ces atteintes cachées. Car notre pays n'est pas dénué de tendances autoritaires, qui admettent qu'on anticipe sur les décisions de justice et qu'on préjuge la culpabilité.

La seule réflexion fondamentale sur la réforme de l'instruction, issue de la commission présidée par Mme Delmas-Marty - dont le rapport a été remis dans les années 1990 - reste donc un « succès de tiroir », comme notre administration les affectionne. Nous devrons, dans nos travaux, nous reporter à cette réflexion, et nous le ferons.

Je reviens à la question simple qui nous est posée aujourd'hui : la présomption d'innocence est-elle, oui ou non, garantie sérieusement dans notre pays ? La réponse est non. C'est la raison pour laquelle, madame la garde des sceaux - et il faut vous en remercier et vous en féliciter - vous proposez le présent projet de loi : il a pour objet de renforcer le droit, essentiel pour notre démocratie, à la présomption d'innocence face à la justice et face à l'opinion publique.

La présomption d'innocence face à la justice d'abord.

Vous proposez, madame la ministre, dans votre projet de loi, plusieurs avancées concrètes et importantes pour la procédure pénale, que nous soutiendrons avec force.

Nous vous suggérerons même d'aller plus loin - nous le verrons lors de l'examen des amendements - tant les dysfonctionnements actuels paraissent graves.

Parlons, si vous le voulez bien, des sujets point par point.

La garde à vue tout d'abord. On en compte 350 000 par an. C'est une mesure privative de liberté, une procédure par nature humiliante, accusatoire, donc contraire à la présomption d'innocence, une procédure qui, étrangement, dans les textes actuels, peut concerner tout autant les témoins que les suspects.

Vous proposez, madame la garde des sceaux, la présence de l'avocat dès la première heure de garde à vue.

C'est une excellente mesure, un progrès décisif pour garantir les droits de la défense. Elle reprend d'ailleurs ce qu'avait prévu le projet de loi adopté par les socialistes en janvier 1993, qu'avait abrogé la droite dès son arrivée au pouvoir en août 1993.

M. Michel Hunault.

Vous ne pouvez pas dire cela. La commission des lois l'avait rétablie !

Mme Frédérique Bredin.

Notre rapporteur a proposé de maintenir - ce que vous avez accepté et nous vous en remercions - la visite de l'avocat à la vingtième heure : cela permettra à la personne gardée à vue de rencontrer deux fois son avocat pendant la période de vingt-quatre heures de la garde à vue.

Il est en effet essentiel de maintenir cette visite à la vingtième heure, qui a d'ailleurs eu comme effet bénéfique - peut-être imprévu à l'origine - de réduire la durée de nombreuses gardes à vue, qui se sont achevées avant cette vingtième heure.

Par ailleurs, notre rapporteur a proposé toute une série de mesures concrètes pour renforcer la surveillance des gardes à vue par les procureurs - c'est un point essentiel et pour améliorer l'information des personnes gardées à vue sur leurs droits. Nous défendrons plusieurs amendements pour mieux préserver la dignité des personnes au cours de ces gardes à vue. De même, nous ferons une p roposition importante : nous demanderons que les gardes à vue soient réservées aux seuls suspects, sachant que les témoins, que ce soit en enquête de flagrance ou en commission rogatoire, pourront tout à fait être entendus par les enquêteurs - de manière contraignante d'ail-


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leurs, si cela paraît nécessaire -, sans utiliser la procédure traumatisante, et souvent dégradante, de la garde à vue.

Je ne parle pas de l'enquête préliminaire car la distinction entre suspect et témoin existe déjà dans ce cas.

Deuxième point : la détention provisoire.

Le projet de loi présenté par le Gouvernement propose des progrès décisifs.

La création, d'un « juge de la détention », même si l'on peut s'interroger sur sa dénomination - mais peut-être trouvera-t-on au cours de nos débats un titre plus adapté ! - est une avancée considérable pour les libertés publiques. En effet, il faudra - pour résumer - la décision de deux magistrats du siège - le juge d'instruction et le juge de la détention - pour placer ou maintenir en détention tandis que la décision d'un seul magistrat suffira pour laisser la personne en liberté. C'est donc une garantie nouvelle particulièrement importante.

Avec la loi du 4 janvier 1993, la majorité de gauche de l'époque avait fait voter un texte dont l'un des aspects les plus importants était de séparer justement la fonction d'instruction et la fonction juridictionnelle en retirant aux juges d'instruction la compétence de la mise en détention provisoire pour la confier à une collégialité.

M. Balladur - dont on découvre ajourd'hui qu'il a changé d'idée depuis qu'il est dans l'opposition - a immédiatement abrogé cette mesure à son arrivée au pouvoir.

M. Patrick Devedjian.

Vous, c'est quand vous êtes au pouvoir que vous changez d'avis !

Mme Frédérique Bredin.

Il semble toujours difficile d'être courageux quand on est au gouvernement, monsieur Devedjian.

Votre projet de loi, madame la ministre, rejoint dans sa philosophie, même si elle ne prévoit pas de collégialité, la proposition de Mme Delmas-Marty de séparer la fonction d'investigation et les fonctions juridictionnelles de placement en détention provisoire confiées aux juges de la détention. Cette séparation des fonctions est une garantie et devrait contribuer à limiter les détentions à celles qui sont strictement et évidemment nécessaires.

Le projet de loi évoque aussi les conditions de placement en détention provisoire, leurs motifs et leur durée.

Il faut encadrer plus strictement - c'est ce que vous proposez, madame la garde des sceaux - le recours à la détention provisoire et préciser de façon plus restrictive les conditions de la détention provisoire liées à la nature de l'infraction pour la réserver aux cas les plus graves.

L'enjeu est d'abord de garantir - je cite l'exposé des motifs du projet de loi - « le respect du principe de proportionnalité ». Vous faites des propositions concrètes en ce sens et nous les examinerons au cours de nos débats.

Il faut définir plus précisément les motifs de la détention provisoire. Le critère de « l'ordre public » est trop flou pour ne pas être subjectif et risquer de conduire à l'arbitraire. Il devrait donc être réservé lui aussi - c'est une proposition de notre rapporteur - aux cas les plus graves. Et une motivation sérieuse et précise des raisons du placement en détention provisoire doit être exigée pour justifier la détention.

Il faut que le législateur limite la durée maximale des d étentions provisoires. D'où l'institution de « délais butoirs » pour la détention provisoire. Ils sont indispensables en matière correctionnelle comme en matière criminelle. Ces délais butoirs seront « fixés selon la gravité des délits et la complexité des affaires ». Sur ce point, nous vous proposerons la plus grande rigueur, pour limiter sérieusement la durée des détentions notamment pour les primodélinquants avec une durée maximale de quatre mois pour les délits encourant une peine inférieure à cinq ans. On l'a dit - il faut le répéter - le milieu carcéral es t un milieu criminogène, donc dangereux. Le recours massif à la détention provisoire est non seulement choquant en termes de liberté individuelle et de respect de la présomption d'innocence, il est aussi nuisible, parce que propice à la récidive.

Nous serons vigilants pour limiter, dans tous les cas, la durée des détentions provisoires au strict nécessaire, gardant en mémoire que la France a été condamnée plusieurs fois par la Cour de justice européenne pour des durées de détention excessives. Il sera fait toutefois deux exceptions importantes : les délits particulièrement graves et les délits complexes qui justifient des commissions rogatoires internationales - je pense notamment aux délits financiers internationaux.

On note également des avancées concrètes concernant le statut de « témoin assisté » et le délai de l'instruction.

Celui-ci devra être raisonnable. Nous y reviendrons au cours de notre débat.

Votre projet de loi, madame la garde des sceaux, a également le mérite d'aborder la présomption d'innocence face à l'opinion publique. Il s'agit du volet consacré à la communication, désormais partie indissociablement prenante à toutes les étapes de la procédure. C'est un débat difficile, semble-t-il, qui vire facilement à la caricature.

C'est pourtant un débat essentiel pour notre démocratie.

A nous de savoir le mener dans le calme et la sérénité, sans pression d'aucune part.

Puisque le sujet semble prêter aux faux débats et aux confusions savamment entretenues, enfonçons d'abord une première porte ouverte : il ne s'agit pas de tenir la presse écrite ou audiovisuelle à l'écart des affaires judiciaires, de la priver peu ou prou du droit d'en rendre compte.

Que les choses soient dites, clairement, pour éviter les inexactitudes ou les caricatures : il ne s'agit sûrement pas d'empêcher ni la relation des faits ni les commentaires dans la presse des affaires judiciaires. La modification que j'avais proposée et que j'ai retirée - de l'article 9-1 du code civil - ne visait pas la relation ni même le commentaire des faits mais une présentation équilibrée des faits tels que l'instruction peut les laisser paraître.

Nous voulons, au contraire, un accès plus large et plus équilibré aux informations sur les affaires judiciaires en cours. Le projet de loi propose, de ce point de vue, des avancées importantes puisqu'il permet de sortir de l'impasse actuelle du secret de l'instruction entretenu comme un secret de Polichinelle. Nous sommes dans une situation hypocrite qui institue un secret de l'instruction officiel qui est quotidiennement bafoué. Nous sommes dans une situation dangereuse parce que le secret est levé par des gens qui y ont intérêt, soit pour mener l'enquête dans tel ou tel sens, soit pour charger quelqu'un ou, au contraire, pour se décharger eux-mêmes. Ce sont donc des informations forcément parcellaires et orientées.

Il nous faut organiser une meilleure transparence, avec des fenêtres à des moments clés de la procédure. Nous vous proposerons dans le débat d'aller plus loin, c'est-àdire, par souci justement d'information de la presse, de rendre plus automatiques ces fenêtres et notamment de supprimer l'exception opposable à l'ouverture de ces fenêtres du bon déroulement de l'information.

M. le président.

Pouvez-vous penser à conclure, madame Bredin ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 23 MARS 1999

Mme Frédérique Bredin.

Ces fenêtres permettront donc une information plus complète et équilibrée à des moments clés de la procédure. C'est dans ce cadre aussi que nous devons travailler sur le respect du droit à la dignité et à la présomption d'innocence de chacun. Car ce qui compte ici, c'est l'adaptation de la protection des droits de la personne à l'exercice moderne de la liberté d'informer.

Ce que nous souhaitons, c'est l'affichage de règles du jeu permettant à chacun d'exercer la plénitude de ses droits, en ayant conscience de la discordance des temps celui de la justice, avec sa part d'investigations, de débats contradictoires nécessaires, et celui de la presse, où le journalisme s'exerce sous le feu de l'actualité, parfois sans le fouet des annonceurs et de la concurrence. A chaque métier ses contraintes, mais au législateur de veiller à ce que, dans les conditions d'aujourd'hui, le droit des uns ne s'établisse pas au détriment du droit des autres.

Chacun connaît les dérapages qui peuvent ruiner une vie, blesser une famille, casser abusivement des réputations, qu'on soit victime ou justiciable.

M. le président.

Est-ce votre conclusion, madame Bredin ?

Mme Frédérique Bredin.

Presque, monsieur le président ! J'y arrive.

M. le président.

Votre temps est dépassé.

M. Gérard Gouzes.

Mme Bredin dit des choses intéressantes.

M. Patrick Devedjian.

Soyez indulgent, monsieur le

président

!

Mme Frédérique Bredin.

Je conclurai en disant que la gauche doit se reconnaître pour mission, non seulement de proclamer les droits de l'homme mais également d'en assurer le respect. Ce que vous proposez pour la présomption d'innocence et pour les droits des victimes va dans le sens d'une justice plus proche, plus respectueuse des libertés. C'est pourquoi les socialistes vous soutiendront.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Michel Hunault.

Ce n'est pas le monopole de la gauche !

M. le président.

La parole est à M. Patrick Devedjian.

M. Patrick Devedjian.

Monsieur le président, madame l a garde des sceaux, mes chers collègues, le 12 décembre 1996, le Président de la République déclarait à propos du principe de la présomption d'innocence :

« La situation est aujourd'hui scandaleuse... Où est la dignité de l'homme, où est la liberté de l'homme ? » Le 21 janvier 1997, il instituait la commission Truche avec la mission de faire des propositions significatives.

Le 14 juillet 1997, après que la commission Truche eut remis son rapport, le Président de la République observait que : « Pour la présomption d'innocence - qui est un droit républicain qui figure dans le Préambule de la Constitution et dans la Déclaration des droits de l'homme - ce droit est bafoué tous les jours en France. »

Il ajoutait le 9 janvier 1998, pour la rentrée solennelle de la Cour de cassation : « Je suis déterminé à renforcer les garanties offertes au justiciable et à faire en sorte, en p articulier, que la présomption d'innocence, valeur constitutionnelle, soit respectée. » Et, donnant des préci-

sions, il approuvait les propositions du rapport Truche sur « la présence d'un avocat dès le début de la garde à vue, des modalités de décision de mise en détention, de la durée des informations, des rapports avec les médias ».

S'adressant au président Truche, il affirmait : « Je souhaite que le Gouvernement examine la totalité de vos suggestions et, aussi rapidement que possible, élabore les textes nécessaires pour mettre en oeuvre des idées qui, bien appliquées, devraient apporter des améliorations incontestables et souhaitées. »

Le rappel de ses déclarations n'est pas seulement un hommage au Président de la République. Il n'est pas seulement destiné à tempérer le moi hypertrophié de la garde des sceaux qui répète à longueur de temps que c'est sa réforme. D'une certaine manière, on pourrait dire que la chancellerie, c'est l'enfer du « je » ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

C'est la responsabilité d'un ministre, monsieur Devedjian !

M. Patrick Devedjian.

Et d'un gouvernement, madame ! Est-ce l'opposition qui doit rappeler les principes de solidarité ministérielle ?

Mme Odette Grzegrzulka.

Vous êtes mal placé pour le faire !

M. Patrick Devedjian.

On n'a jamais entendu un ministre s'approprier autant un texte.

M. Gérard Gouzes.

C'est le Président qui cherche à s'approprier un texte !

M. Patrick Devedjian.

C'est d'ailleurs le Parlement qui le vote ! Les déclarations du Président...

M. Arnaud Montebourg.

Qui n'a point d'avocat, et il en a trouvé un !

M. Patrick Devedjian.

Gardez donc votre sang-froid, monsieur Montebourg ! Vous n'êtes pas salle des Quatre colonnes !

M. le président.

Monsieur Devedjian, ne vous laissez pas interrompre.

M. Patrick Devedjian.

Mais je peux répondre à

M. Montebourg, qui ne m'impressionne pas.

M. Arnaud Montebourg.

Ça, c'est sûr !

M. Christophe Caresche.

On n'en doutait pas !

M. le président.

M. Montebourg n'a pas à vous interrompre.

M. Patrick Devedjian.

Les déclarations du Président expliquent que l'opposition...

M. Gérard Gouzes.

Laquelle ?

M. Patrick Devedjian.

Je vois que l'Assemblée s'est réveillée. Elle s'endormait jusqu'à maintenant, M. Goasguen s'en plaignait. J'espère qu'il est satisfait.

M. Claude Goasguen.

Bravo !

M. Patrick Devedjian.

Les déclarations du Président expliquent que l'opposition est elle-même très attachée à la défense de la présomption d'innocence et qu'elle se battra pour que l'intention de son promoteur ne soit ni dénaturée ni caricaturée,...

M. Arnaud Montebourg.

Et le CSM ? Où en est-il ?

M. Patrick Devedjian.

... tant il est vrai que le Gouvernement ne nous soumet que l'examen d'un texte partiel et insuffisant, très en retrait par rapport aux propositions de la commission Truche.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 23 MARS 1999

Mme Odette Grzegrzulka.

C'est honteux ! Qu'avezvous fait ?

M. Patrick Devedjian.

Je vais vous l'expliquer !

M. Jean Michel.

Et Toubon ? Et l'hélicoptère dans l'Himalaya ?

M. Patrick Devedjian.

Ce texte n'était visiblement pas une priorité pour le Gouvernement qui a tant tardé à le mettre à l'ordre du jour, et il a fallu toute l'insistance du Président.

Mme Odette Grzegrzulka.

Ben voyons !

M. Patrick Devedjian.

Je vais vous rafraîchir la mémoire ! Les trois textes issus de la démarche du Président formaient pourtant un tout indissociable que, madame la garde des sceaux, vous avez reconnu comme tel le 15 janvier 1998 et dont vous annonciez l'examen global pour avril de l'année dernière ! Vous précisiez que l'examen serait concomitant, car les textes formaient un bloc.

Non seulement ils ont été dissociés, portant atteinte à leur cohérence mutuelle, mais nous attendons toujours l'examen du troisième sur la relation entre le gouvernement et le parquet. Etes-vous certaine, madame, d'avoir une majorité sur ce texte que vous avez promis et qui conditionne, je vous le rappelle, la saisine du congrès ?

M. Gérard Gouzes.

C'est vous qui n'en voulez pas !

M. Patrick Devedjian.

Il est vrai que la présomption d'innocence est si peu le souci du Gouvernement que, dans sa déclaration de politique générale du 19 juin 1997, le Premier ministre n'a même pas évoqué son nom et encore moins le problème qu'elle recouvre.

Pourtant, il s'agit d'une initiative qui correspond à une profonde nécessité.

D'abord, la France a été trop souvent condamnée : 246 constats de violation des droits de l'homme par la Cour européenne des droits de l'homme. Ils touchent tous au fonctionnement de la justice.

Trop d'innocents sont incarcérés abusivement, Mme B redin l'a rappelé tout à l'heure. Chaque année, 2 000 personnes ayant été incarcérées font l'objet d'un non-lieu, d'une relaxe ou d'un acquittement...

M. Jean Michel.

... 1 200 !

M. Patrick Devedjian.

... et ne sont généralement même pas indemnisées. C'est nécessaire aussi parce que l'opinion française est désabusée : 66 % des Français ont une mauvaise image de la justice, et le pourcentage passe à 73 % quand ils en ont fait usage.

Mme Odette Grzegrzulka.

Toubon a fait monter le pourcentage !

M. Patrick Devedjian.

Ils sont d'ailleurs autant de droite que de gauche à avoir cette mauvaise opinion.

La lisibilité de la justice est le premier problème qui se pose, et les causes du dysfonctionnement sont rarement évoquées clairement.

Quelle est la problématique ? Je crois que le Gouvernement se trompe sur la définition même de la présomption d'innocence.

C'est l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme du 26 août 1789 qui définit la présomption d'innocence : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé ind ispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne, doit être sévèrement réprimée par la loi. » Et la Convention européenne

de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales reprend cette disposition dans son article 6-2 :

« Toute personne accusée d'une infraction est présumée innocente jusqu'à ce que sa culpabilité ait été légalement établie. »

Mais, jusqu'à maintenant, et vous l'avez souligné, madame Lazerges, à juste raison, la définition de la présomption d'innocence ne figure toujours pas dans le code de procédure pénale.

Cette absence n'est pas neutre, elle a des effets sur la définition des procédures elles-mêmes, et conduit à des glissements qui subordonnent la présomption d'innocence

« aux nécessités de la procédure », comme il est hélas ! déclaré dans l'article 1er de votre projet.

Que sont les nécessités de la procédure ? C'est un concept flou, qu'aucun texte ne définit, et qui est en fait un avatar de la raison d'Etat. La Déclaration des droits de l'homme prend pourtant bien le soin de préciser que la présomption d'innocence ne peut trouver sa limite que dans la nécessité de s'assurer de la personne suspectée, s'il en a été jugé ainsi, et non pas dans les nécessités de la procédure.

Aux termes de l'article 80-1 du code de procédure pénale, la mise en examen d'une personne résulte de l'existence d'indices de participation à une infraction.

Le principe de la présomption d'innocence signifie que, en dépit de ces indices, la personne doit être traitée comme si elle était innocente jusqu'à ce qu'elle soit déclarée définitivement coupable.

On comprend que cette intention se heurte bien souvent à des contradictions pratiques qui tiennent à l'obligation d'un minimum de coercition pour s'assurer de suspects, mais c'est à la lumière de cette intention qu'il faut analyser les droits et les devoirs de chacun à chaque stade de la procédure : pas plus de coercition qu'il n'est strictement nécessaire pour ne pas commettre un déni de justice.

La Déclaration des droits de l'homme dit que la procédure doit respecter la présomption d'innocence, et le Gouvernement dit que la contrainte doit respecter les nécessités de la procédure : le texte du Gouvernement ignore donc en fait la présomption d'innocence telle que la définit la Déclaration des droits de l'homme.

Ce n'est pas seulement un débat théorique, car le Gouvernement ne prend pas les moyens réels de la réforme de la détention provisoire, pour prendre cet exemple.

Ce débat a des conséquences pratiques sur la liberté, et d'abord sur les conditions dans lesquelles on entre en prison.

En dépit de toutes les réformes, depuis vingt-cinq ans, le nombre de détenus provisoires dépendant des juges d'instruction augmente sans cesse : 9 183 en 1972, 15 273 en 1997, soit une augmentation de 66 %.

La durée moyenne de la détention provisoire est passée de 2,4 mois en 1975 à 4,4 mois en 1997. C'est que la durée moyenne des procédures d'instruction augmente elle-même très vite : 12 mois en 1992, 16,1 mois en 1996.

Le mal vient de ce que la détention provisoire n'est pas considérée comme une peine, mais, dit le code, comme une mesure de sûreté. Elle n'est donc pas assortie des mêmes garanties que le prononcé de la peine.

Là est l'hypocrisie, car cette mesure de sûreté est accomplie dans les mêmes lieux que la plupart des peines prononcées, elle provoque la même souffrance, le même


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opprobre, et est décomptée sur la peine éventuellement prononcée. Ce décompte est naturellement équitable, mais on ne saurait mieux dire que la détention provisoire est de même nature que la peine.

Dès lors, la philosophie de la réforme à faire est simple à comprendre : il faut que la détention provisoire soit prononcée avec les mêmes garanties que la peine ellemême. Evidemment, il faut se donner les moyens de les avoir. Or la mise en place de la réforme suppose dans chaque tribunal une masse critique de magistrats que nombre de tribunaux n'ont pas. Les syndicats vous diront qu'il faut davantage de moyens en personnels et en matériels. Vous répondrez que le Gouvernement a fait de gros efforts sur le plan budgétaire et par des recrutements exceptionnels, et c'est vrai, mais moi, je vous répliquerai que le problème de la mise en place de la réforme est moins dans l'importance des moyens que dans leur organisation, qui reste archaïque.

La carte judiciaire est le premier obstacle à cette réforme. Elle dilue les forces de la justice au point de les rendre souvent inutiles et sur-représente les populations rurales bien davantage que le Sénat, que vous stigmatisez.

C'est ainsi que 41 % des juridictions ne possèdent qu'un seul juge d'instruction, 42 % des tribunaux de grande instance une seule chambre.

Or vous avez délibérément abandonné toute réforme de la carte des tribunaux judiciaires pour, dites-vous, vous concentrer sur les tribunaux de commerce.

M. Gérard Gouzes.

C'est de la provocation !

M. Patrick Devedjian.

Bien sûr ! Vous n'aimez pas que l'opposition s'oppose ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Vous avez le droit de dire du mal de la droite, mais la droite ne peut pas dire de mal de la gauche ! C'est votre conception de la liberté ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Arnaud Montebourg.

Et le CSM dans tout cela ?

M. Patrick Devedjian.

Il va falloir admettre que l'opposition défende la liberté ! Nous entendons exercer notre liberté de parole dans cet hémicycle (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste)...

M. Arnaud Montebourg.

Et le CSM ?

M. Patrick Devedjian.

... sans que vous puissiez nous en empêcher ! (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Mais la réforme des tribunaux de commerce et de leur carte judiciaire n'a rien à voir avec l'organisation de la mise en détention provisoire, qui est le point le plus important de cette réforme.

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Qu'avez-vous fait avant ?

M. Patrick Devedjian.

J'y viens, ne vous inquiétez pas.

Comme vos prédécesseurs, madame la garde des sceaux, vous parlez de la réforme de la carte et vous instituez des commissions qui rédigent des rapports que vous annoncez, mais, depuis deux ans, pas un seul tribunal n'a fermé ses portes, et je pronostique que vous partirez sans avoir rien fait, parce que vous évitez soigneusement tout ce qui fâche. Il faut du courage politique pour engager des réformes difficiles ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Vous en avez eu vous ?

M. Jean-Claude Perez.

Cela vous va bien de dire cela !

M. Patrick Devedjian.

Oui, il en faut ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Jean Michel.

Un peu de pudeur !

M. Arnaud Montebourg.

Et Jacques Toubon, quel courage il a eu ?

M. Patrick Devedjian.

Vous savez, le fait d'avoir gagné les dernières élections ne signifie pas nécessairement que vous ayez raison sur tout ! (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Arnaud Montebourg.

Sur Toubon, oui !

M. Patrick Devedjian.

Il y a plus grave encore. Votre projet travestit toute la réflexion qui a été conduite avant vous. En instituant un juge de la détention provisoire qui est saisi, non par le parquet, mais par le juge d'instruction, vous créez, nous dites-vous, deux regards sur le même dossier - comme c'est poétique ! - mais, hélas ! vous réduisez ainsi à néant les conclusions du rapport Delmas-Marty, auquel la gauche se réfère avec beaucoup de circonlocutions, qui estimait en 1991, avec beaucoup d'à-propos, que la condition d'impartialité du juge impliquait « séparation des fonctions d'enquête et des fonctions juridictionnelles ». Sur ce point, vous faites moins bien que précédemment, et vous affectez de le regretter.

M. Arnaud Montebourg.

Et la réforme du CSM ?

M. Patrick Devedjian.

Plus grave encore, vous trahissez la commission Truche, alors que le Président de la République vous avait donné mission de mettre en oeuvre les recommandations de juillet 1997 : « La commission estime que le pouvoir de mettre en détention doit être séparé de celui d'enquêter et c'est à l'unanimité qu'elle souhaite l'intervention d'une collégialité dont le juge d'instruction serait exclu. » Vous ne faites pas de collégia-

lité faute de moyens, je le comprends d'ailleurs, mais, surtout, vous n'excluez pas le juge d'instruction de la décision.

Ce faisant, vous compromettez l'aboutissement d'un p rojet de réforme voulue par le Président de la République qui pouvait faire l'objet d'un consensus sur les bancs de cette assemblée. C'est un beau gâchis ! Le Gouvernement, par ailleurs, a renoncé à la responsabilité des magistrats.

Le 15 janvier 1998, madame la garde des sceaux, vous déclariez à propos de la responsabilité disciplinaire des magistrats : « Les poursuites disciplinaires... pourront également être transmises par des commissions placées auprès des cours d'appel, qui ne seront pas composées majoritairement de magistrats de l'ordre judiciaire et qui apprécieront les suites qu'elles devront donner aux réclamations dont elles seront saisies par les citoyens. Les audiences disciplinaires devant le Conseil supérieur de la magistrature seront publiques conformément à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme » - je crois que cela se fera effectivement -, « ce qui permettra de donner des informations sur la doctrine suivie en la matière. » Vous ne faisiez d'ailleurs que confirmer la

communication du conseil des ministres du 29 octobre 1997.

Depuis lors, vous avez changé d'avis et déclaré au Sénat, le 23 juin 1998 : « Les magistrats de l'ordre judiciaire ne bénéficient d'aucune immunité. Rien à mes yeux


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n'impose la création d'une juridiction spéciale. » De fait,

aucune disposition sur la responsabilité des magistrats n'est apparue dans le texte sur le Conseil supérieur de la magistrature, aucune n'apparaît dans celui-ci sur la présomption d'innocence et aucune ne sera naturellement possible dans le texte sur le parquet, puisque, par définition, il ne traitera pas du siège..

Que faut-il penser de vos effets d'annonce ? Quand faut-il vous croire ? Le Gouvernement, en outre, porte atteinte au droit de la presse.

Vous avez déclaré le 9 juin 1999 en commission - et vous le rappelez pratiquement ici aujourd'hui : « Il n'est pas question de rogner la liberté de la presse. » Oui, mais

votre texte comporte quatre nouveaux délits de presse et vous instituez un droit de réponse au profit du procureur de la République, c'est-à-dire d'une espèce de journaliste en uniforme.

La majorité socialiste a d'ailleurs aggravé ces dispositions et s'est opposée à toute mesure favorisant la publicité des débats en audience publique.

Quand faut-il vous croire ? J'ajoute que confier à l'accusateur le soin de défendre l'accusé est une idée qui ne pouvait germer dans une cervelle socialiste ! Naturellement, vous invoquez la protection des faibles et des victimes pour réduire la liberté de la presse. Quand on veut réduire la liberté, on invoque toujours les plus pauvres. Nous sommes le seul pays démocratique où l'on utilise un tel arsenal répressif contre la presse. Partout ailleurs, les victimes sont protégées par les réparations civiles que leur accordent les tribunaux civils.

Vous allez jusqu'à protéger les victimes sans même qu'elles ne se plaignent et, bientôt, vous les protégerez contre elles-mêmes. Il est inacceptable que le parquet puisse poursuivre contre une bien imprécise atteinte à la dignité de la victime - je rappelle que la jurisprudence parle de décence et non de dignité - si la victime ne se plaint pas ou si elle a obtenu une réparation amiable.

C'est tout de même à la victime elle-même de savoir si elle veut obtenir une réparation. Vous, vous envisagez de poursuivre nonobstant son avis.

Le monde entier pourra publier des photographies de catastrophes, y compris si celles-ci ont lieu en France, mais la presse française ne le pourra pas. Lorsque calan est arrêté par les polices parallèles turques, par un véritable acte de piraterie internationale, le monde entier peut le montrer avec des menottes, les Français ne pourront plus le voir. Si, demain, M. Pinochet est condamné, on lui passera les menottes. C'est tout de même un événement international exceptionnel. Tout le monde pourra le voir, pas les Français. Si calan est pendu publiquement comme les Turcs en sont capables, CNN nous fera voir les images, LCI n'aura pas le droit ! M. Alain Tourret. Heureusement ! M. Patrick Devedjian. La France n'est pas un pays qui doit être protégé contre lui-même et ne pas bénéficier des libertés dont bénéficie le monde entier.

Le monde entier pourra voir les dictateurs passer les menottes à leurs opposants, aux combattants de la liberté, pas les Français.

M. Jacques Floch. Ce n'est pas vrai ! M. Patrick Devedjian. Lorsque, place Tienanmen, on réprimera les combattants de la liberté, toute l'Amérique pourra le voir, la France ne pourra pas ! M. Jacques Floch. Voilà un bel effet de tribune ! Mme Michèle Alliot-Marie. Cela vous gêne apparemment ! M. Patrick Devedjian. Vous n'avez pas écrit dans votre projet que seules les menottes françaises ne pouvaient être photographiées, et ce serait absurde, mais tel est bien le cas. Il va falloir écrire en beaucoup plus gros sur nos menottes made in France ! Si vous ne voulez pas voir les menottes, ne les mettez pas, parce que, dans 80 % des cas, elles sont inutiles, mais, si vous les mettez, au moins n'en ayez pas honte.

Alors que l'on parle de plus en plus de la nécessaire dépénalisation de la société française, vous poursuivez de manière archaïque et jusqu'à l'étouffement votre obsession de contrôle social.

Oui, votre projet de loi réussit la prodigieuse contradiction d'être à la fois en retard et improvisé. C'est parce que vous n'avez pas su prendre un parti et vous y tenir.

Le projet est en effet un compromis hasardeux entre de nombreux corporatismes.

M. le président.

Veuillez conclure ! M. Patrick Devedjian. J'en viens à ma conclusion car je sens votre impatience.

Le témoin assisté va remplacer le mis en examen. Il sera très vite aussi mal considéré que lui et le véritable mis en examen paraîtra inévitablement encore plus coupable que maintenant.

Où est la présomption d'innocence dans tout cela ? C'est la gauche qui a imposé, et avec quelle morgue, le changement de dénomination de l'inculpation pour la mise en examen. On allait voir ce qu'on allait voir, c'était la fin de l'opprobre - relisez vos propos au Journal officiel, mesdames et messieurs de la majorité -, enfin la présomption d'innocence triomphait par la neutralité banale du terme employé ! Six ans après, il faut recommencer.

Il en est souvent ainsi des réformes de la gauche (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), elles visent d'abord le vocabulaire, parce qu'il véhicule une idéologie.

M. Arnaud Montebourg. Et celles de la droite ! Que proposez-vous ? M. Patrick Devedjian. Mais quelques années après, il n'en reste rien. La mode, monsieur Montebourg, c'est ce qui se démode !

M. Christophe Caresche.

C'est un expert qui parle ! M. Patrick Devedjian. En toute réforme vous recherchez un intérêt partisan, constitutif d'une image. Le fond vous importe beaucoup moins que le bénéfice politique.

Vous préférez l'intérêt de votre parti à celui du pays.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

Laissez M. Devedjian conclure.

M. Patrick Devedjian.

C'est ainsi que vous entreprenez beaucoup mais que vous manquez toujours. C'est ainsi que vous trompez facilement mais que vous décevez sûrement.

M. Alain Néri.

C'est un connaisseur qui parle !

M. Patrick Devedjian.

Après votre passage, la réforme reste à faire, mais elle est devenue plus difficile parce que vous en avez compromis toutes les chances.

C'est donc le Président de la République qui a voulu cette réforme (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert), à laquelle vous


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n'avez fait que vous résoudre, et c'est pourquoi vous l'avez dénaturée en l'édulcorant. L'opposition souhaite tellement cette réforme qu'elle vous propose d'en rétablir la cohérence et la logique par une série d'amendements tendant à favoriser la liberté et les droits de la défense.

Mme Yvette Benayoun-Nakache.

Vous ne proposez rien !

M. Patrick Devedjian.

Sans illusion, nous conditionnons notre vote au maintien de l'intention du chef de l'Etat, par une vraie affirmation de la présomption d'innocence, au lieu de cette hypocrisie hybride que vous nous présentez, en ponctuant ridiculement chaque disposition par l'affirmation prétentieuse qu'il s'agit « d'une avancée ».

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Alain Tourret.

Rendez-nous Albertini !

M. Patrick Devedjian.

J'ai entendu du côté de la majorité quelques voix s'indigner que l'opposition épouse les aspirations de notre peuple qui attend de vraies réformes dans le domaine de la justice, et cela tant à droite qu'à gauche.

J'ai entendu quelques voix s'étonner que nous ne soyons pas davantage répressifs. Comme il est confortable, monsieur Montebourg, de caricaturer l'opposition...

M. Arnaud Montebourg.

C'est parce que l'opposition est une caricature !

M. Patrick Devedjian.

... tandis qu'on s'adresse des louanges à soi-même !

M. le président.

Concluez, monsieur Devedjian !

M. Patrick Devedjian.

Ce qui fait problème, ce n'est pas la modération des peines prononcées. Elles sont d'ailleurs de plus en plus lourdes. C'est l'insuffisance des incriminations et des poursuites.

Ce qui fait problème, c'est le taux très bas des élucidations des infractions commises, qui est de 20 % : un auteur d'infraction sur cinq est identifié. C'est le plus grand de tous les encouragements.

Davantage de moyens d'investigation et d'enquête pour la police et davantage de moyens pour la défense : voilà ce que doit être une justice moderne.

M. Arnaud Montebourg.

Objection, votre honneur !

M. Patrick Devedjian.

Il va falloir vous habituer à voir l'opposition faire de la défense de la liberté sa priorité et pas seulement dans le domaine de l'économie, selon une caricature commode ! Voyez-vous, et je serai un peu grave en disant cela, dans la dialectique républicaine, ce qui différencie la droite et la gauche, c'est que, lorsqu'il y a un conflit entre la liberté et l'égalité, la droite arbitre en faveur de la liberté et la gauche en faveur de l'égalité.

M. Alain Tourret.

Ce n'est pas vrai ! Vous utilisez là un vieux « truc » !

M. Patrick Devedjian.

C'est également respectable : c'est notre manière à chacun de fabriquer la République, et c'est cette opposition qui fonde notre engagement mutuel.

Quand l'homme est privé de sa liberté, il n'y a plus ni riche ni pauvre. Je pense à celui qui voulait que les pauvres aient les mêmes droits que les riches...

M. le président.

C'est votre conclusion, monsieur Devedjian !

M. Patrick Devedjian.

... et qui n'a pu que constater que les riches n'avaient pas plus de droits que les pauvres.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

C'est bien, vous apprenez dans l'opposition !

M. Patrick Devedjian.

C'est au nom de l'égalité et souvent d'une hypocrite compassion que l'on réduit la liberté. Eh bien, vous trouverez en nous, très naturellement, ses plus ardents défenseurs. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission.

Il était temps !

M. le président.

La parole est à Mme Huguette Bello.

Mme Huguette Bello.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je viens d'un pays...

M. Patrick Devedjian.

Votre pays, c'est la France !

Mme Huguette Bello.

... qui nourrit un contentieux historique avec la justice. Sur les trois siècles de son histoire, la Réunion a connu deux cents ans d'esclavage durant lesquels juges et serviteurs de l'Etat se sont faits les complices d'un crime contre l'Humanité. A ces deux siècles d'esclavage s'ajoute un siècle de colonisation, un siècle de déni de justice. Pour nous, pendant très longtemps, la justice ne fut pas un bouclier contre l'arbitraire : elle fut le bouclier de l'arbitraire.

De toutes les conquêtes démocratiques, la présomption d'innocence, inscrite à l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen est considérée, à juste raison, comme l'une des plus importantes : elle est le sceau de l'Etat de droit. C'est pourquoi elle constitue, en France, le principe cardinal de la procédure pénale.

L'exposé des motifs du présent projet de loi comme les débats en commission ont confirmé que ce principe fondamental n'était pas - ou pas suffisamment - respecté.

L'idée prévaut trop souvent que le respect de la présomption d'innocence fait obstacle à l'efficacité des procédures pénales. De nombreuses dérives en découlent.

Il en va ainsi pour les gardes à vue. Il est arrivé à la Réunion qu'un justiciable fasse état des mauvais traitements qui lui ont été infligés. Enoncées publiquement, ces déclarations n'ont jamais été démenties.

Au-delà de ces atteintes à l'intégrité physique, la médiatisation organisée autour des gardes à vue et des mises en examen leur confère une publicité capable de discréditer définitivement la réputation de n'importe quel justiciable. Imagine-t-on quelles conséquences peuvent avoir, pour l'honneur d'un justiciable, des photos présentées par la presse, la diffusion de séquences à la télévisio n ou la publication intégrale - et souvent immédiate - des pièces d'une instruction pourtant couvertes par le secret ? Personne ne conteste évidemment la nécessité de prendre des mesures efficaces pour lutter contre la grande délinquance, le crime organisé, le trafic de stupéfiants.

Mais on se demande quel progrès peut bien résulter, pour la démocratie, de voir des voleurs de mobylette, ou encore deux de nos collègues conseillers généraux - par ailleurs, nos adversaires politiques - menottés les mains dans le dos. Personne ne peut dire que les uns ou les autres faisaient, en l'occurrence, peser une grave menace sur l'ordre public.

O n peut s'interroger également quand un juge demande que soient pratiquées sur un de nos collègues, élu du peuple, une expertise psychiatrique et une détermination de quotient intellectuel. Il ne s'agit pas là d'un


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fait remontant à un lointain passé, mais d'une affaire pendante devant la justice. On aura du mal à prétendre que l'intérêt de la loi et de la justice soit d'ajouter l'humiliation à la répression.

Ces chroniques ordinaires et constantes de la vie judiciaire peuvent être complétées par celles de la détention provisoire. Le recours à cette procédure - dont l'abus a été souvent dénoncé - doit être défini de manière r igoureuse. D'une part, il s'agit de la plus grave violation de la présomption d'innocence. D'autre part, les prisons offrent des conditions de détention telles qu'elles créent des dommages sévères. Nous avons, en d'autres circonstances, appelé votre attention, madame la garde des sceaux, sur les conditions particulièrement déplorables et d'un roman esque archaïque de l'établissement pénitentiaire de Saint-Denis dont tout le monde, après la commission d'hygiène et de sécurité, s'accorde à demander la fermeture.

Renforcer la présomption d'innocence est indispensable. Encore faut-il qu'elle soit renforcée pour tous, quelles que soient les appartenances sociales, politiques et culturelles des justiciables. De manière plus générale, veiller à l'application des dispositions nouvelles sera une tâche aussi importante que de les promouvoir. A la qualité des textes doit correspondre la qualité de la mise en oeuvre.

Des collègues ont évoqué la question de la responsabilité des magistrats. Notre assemblée a approuvé les mesures visant à garantir l'indépendance de la justice par une nouvelle définition des relations entre la chancellerie et le parquet. Des voix, ici et là, se sont élevées contre cette orientation. Il n'y a pas, je crois, à choisir entre l'arbitraire de l'Etat et l'arbitraire d'un magistrat. Il faut combattre et refuser l'un et l'autre.

L'alternative pour l'institution judiciaire à la Réunion est simple : ou bien elle donne le sentiment de perpétuer les attitudes du passé, ou bien elle se montre capable d'oeuvrer en faveur d'une véritable justice, ce qui lui demande de s'extraire des contingences historiques qui ont trop longtemps pesé sur elle. Alors - et alors seulement -, elle apparaîtra comme la garante crédible du principe essentiel d'un Etat de droit, comme la garante de la justice.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Radical, Citoyen et Vert, du groupe socialiste et du groupe communiste.)

M. le président.

Merci pour votre concision, madame Bello.

La parole est à M. Renaud Donnedieu de Vabres.

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, vous comprendrez qu'en prélude à cette brève intervention, je souhaite dire à celui qui livre en ce moment une grande bataille l'estime et l'amitié que je lui porte, et à ses collègues que, dans de telles circonstances, les divergences s'effacent devant les solidarités humaines.

Vous comprendrez aussi que j'aurais pu, en introduction à mon intervention, apporter un témoignage, mais j'aurais eu alors besoin de beaucoup plus que cinq minutes. Je serai donc très bref.

Notre débat intervient dans une conjoncture particulièrement difficile. Pour l'opinion publique, en effet, dès qu'on parle de présomption d'innocence, et que le Parlement est saisi d'un grand et beau sujet, il ne peut s'agir que d'organiser l'impunité. Il faut donc beaucoup de courage pour fixer à nouveau un certain nombre de principes clairs et intelligibles pour l'ensemble de nos concitoyens, et qui apparaissent fondateurs pour la démocratie, pour la politique, pour la vie dans la cité, mais aussi pour le respect de la personne humaine.

Force est de constater que, ces dix ou quinze dernières années, diverses phases ont alterné dans les débats parlementaires sur ces questions : tour à tour, la priorité était accordée à la sécurité ou à la liberté. Nous devons aujou rd'hui savoir trouver un juste équilibre. Ce débat est nécessaire, car la loi n'est pas respectée.

Je me contenterai d'aborder trois points : je ferai une proposition, une remarque et une critique fondamentale.

D'abord, la proposition. Pour qu'une réforme soit appliquée, il faut des moyens. Pour les grandes fonctions régaliennes de l'Etat, et donc pour la justice, le vote d'une loi de programmation concernant aussi bien les effectifs que les équipements devrait être érigée en principe, ce qui donnerait un contenu concret aux réformes proposées.

Je mesure la difficulté qu'il peut y avoir à obtenir d'un Premier ministre la présentation d'une loi de programmation et ensuite son adoption par le Parlement. Je souhaite donc que, pour l'ensemble des fonctions régaliennes de l'Etat, le Gouvernement, c'est-à-dire l'exécutif, ne dispose plus du droit de réguler par voie de décret les crédits budgétaires issus d'une loi de programmation.

Mme la garde des sceaux.

Il fallait dire cela à M. Juppé !

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Nous savons qu'un certain nombre de lois de programmation ne sont pas suffisamment respectées. Or, elles offrent un cadre nécessaire à la crédibilité d'une réforme. Si le Parlement était seul autorisé à remettre en cause l'exécution annuelle de ces lois de programmation, les réformes à venir - celles des assises et de la collégialité - ou celle que nous entreprenons aujourd'hui, c'est-à-dire celle de la création du juge de la détention, gagneraient en crédibilité et en efficacité.

Ensuite, la remarque. Le problème qui se pose aujourd'hui ne me semble pas être celui de l'indépendance des magistrats mais celui de l'autorité de la décision de justice par rapport à l'opinion. Il me paraît absolument essentiel de restaurer la liberté de penser du juge ; de faire en sorte que nos concitoyens perçoivent bien l'autorité de la décision de justice ; de faire clairement apparaître que les procédures de la justice, en dépit parfois de quelques lenteurs, constituent une garantie tant pour l'efficacité de l'action publique et la protection des victimes que pour le respect de la personne humaine et des droits de la défense. Les instructions parallèles et les publications partielles par voie de presse, elles, sont parfois attentatoires à la personne humaine.

Enfin, la critique fondamentale que je formule à l'encontre du projet c'est que, dès son adoption, il sera immédiatement bafoué, car nous n'arrivons pas à rendre compatibles et conciliables deux principes contradictoires : le secret de l'instruction et la liberté de l'information. Je ne comprends pas pourquoi on ne va pas jusqu'au bout des choses, c'est-à-dire pourquoi on ne supprime pas le secret de l'instruction en modifiant fondamentalement le code de procédure pénale.

M. Michel Hunault.

Très bien !

M. le président.

C'est votre conclusion ?

M. Renaud Donnedieu de Vabres.

Ma conclusion est très proche, monsieur le président.


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Le fait de ne pas trancher cette contradiction est un défaut majeur de ce texte. Comment faire une pédagogie de la nécessité du respect de la loi si, d'emblée, nous savons tous que la loi et le code de procédure pénale ne seront pas respectés ? Ce texte est important pour chacun - et quand je dis

« chacun », cela signifie chaque individu, quelles que soient ses responsabilités dans la vie de la cité. Le droit de chacun, c'est aussi bien celui du citoyen que celui des élus ou celui des responsables administratifs ou sociaux.

La liberté et le respect de la personne humaine n'ont pas de frontière ; ils ne sont pas différents selon les catégories.

En conclusion, je souhaite que, un jour une réforme réussisse à réconcilier les Français avec de vrais principes de fonctionnement de la justice, mais cela suppose que nous prenions des dispositions dont nous savons pertinemment qu'elles seront appliquées et qu'elles couvriront l'ensemble du champ que nous avons à traiter.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Louis Mermaz.

M. Louis Mermaz.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans un Etat de droit, il ne doit pas y avoir antinomie entre la préservation des libertés individuelles et la satisfaction du besoin légitime de sécurité, qui implique la sanction de celui qui est reconnu coupable.

Il faut donc confondre le coupable, mais aussi protéger le suspect de l'erreur judiciaire, toujours possible.

Si nous parlons de rendre confiance au citoyen dans la justice, c'est qu'il y a un problème, que nous constatons, que nous subodorons des dysfonctionnements, des injustices. Or notre conception du procès pénal doit être fondée sur la Déclaration des droits de l'homme de 1789, plusieurs orateurs l'ont rappelé, ainsi que sur la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme.

Mais lorsqu'on constate que, dans un pays comme le nôtre, 350 000 personnes sont placées chaque année en garde à vue, soit la population d'une grande ville française, que 20 000 prévenus, soit la population d'une ville moyenne sont incarcérés, 60 000 personnes sont mises en examen, et que seulement 7 000 à 8 000 bénéficient d'un non-lieu, au bout de deux ans en moyenne, on se dit que les nuits des garde des sceaux doivent être parfois peuplées d'étranges cauchemars. (Sourires.)

N'est-il pas fait parfois un usage abusif de la notion d'ordre public pour placer en détention provisoire ? Ne s'agit-il pas parfois de satisfaire aux principes inquisitoriaux de l'instruction ? Or plusieurs abus ont été sanctionnés par la Cour européenne des droits de l'homme. Il est temps que les prévenus et les personnes mises en examen bénéficient des mêmes garanties que celles accordées dans les autres pays européens. Le respect des droits de la personne, la protection des libertés individuelles à toutes les étapes de la procédure pénale sont essentielles, c'est une exigence qui monte dans de nombreux secteurs de l'opinion française.

Le projet de loi qui nous est soumis fera-t-il avancer les choses ? La protection de la présomption d'innocence et du droit des victimes sera-t-elle renforcée à l'issue de nos travaux ? Saurons-nous concilier les droits des parties dès l'instruction et au procès, les droits des victimes et c eux des personnes mises en cause, l'efficacité de l'enquête et l' habeas corpus, la liberté d'expression et le respect de la présomption d'innocence, à tous les stades de la procédure ? Peut-être, à condition de ne pas céder à l'air du temps, à une certaine philosophie sécuritaire qui n'a jamais assuré dans le fond la sécurité de personne. C'est de liberté individuelle qu'il s'agit ici, de progrès du droit. Ce débat concerne d'abord le justiciable ordinaire, celui dont nous n'entendons jamais parler, qui n'a jamais eu les moyens de se défendre, ni d'en appeler à l'opinion. Ce justiciable-là a droit à une bonne justice, rapide et efficace, sereine et respectueuse de ses droits.

Ces trente dernières années, les aller et retour en ce domaine ont été nombreux et ont souvent transcendé les clivages politiques. Ainsi la loi du 7 juillet 1970 a-t-elle tenté d'encadrer la détention provisoire, qui ne devait plus être un moyen d'obtenir des aveux ou de mettre le suspect en condition si la garde à vue n'y était pas parvenue. C'était bien là une première brèche dans le système inquisitorial.

La loi du 10 décembre 1985 fut l'une des plus audacieuses, en instituant la formation collégiale pour décider éventuellement de la mise en détention provisoire. Mais, avant son entrée en vigueur, cette loi de justice fut abrogée par la loi du 30 décembre 1987. Qui était alors majoritaire dans cette assemblée ? Rappelez-vous.

Mais je me souviens aussi, en toute objectivité, que la gauche, revenue au pouvoir, rétablit, par la loi du 6 juillet 1989, le juge d'instruction dans toutes ses prérogatives. Puis ce fut la loi du 4 janvier 1993, instaurant la médiation pénale. Enfin, la loi du 30 décembre 1996 laissa en suspens le problème qui nous préoccupe en ce moment.

La marche en avant vers le progrès fut reprise par la proposition de loi de notre collègue Tourret, en avril dernier. Ce fut, hélas, une proposition mort-née. Cependant, un certain nombre d'idées survécurent, qui devraient, après le présent projet de loi, inspirer nos débats.

Ce texte marque d'incontestables avancées, même si les petits pas semblent a priori l'emporter sur les grandes foulées. Il restera à compter le nombre de petits pas accomplis pour mesurer le chemin parcouru...

Quant à l'opposition, qui accusait notre collègue Tourret de laxisme et annonçait, de son fait et du nôtre, par la voix d'un président de groupe, l'élargissement immédiat de 12 000 détenus, elle nous a heureusement surpris en commission des lois et a fait parfois des envieux dans les rangs de la majorité actuelle, tant elle semblait emportée par un grand souffle libertaire. Oui, le projet de loi que vous présentez, madame la garde des sceaux, enrichi par les travaux de notre rapporteur, Mme Christine Lazerge et de la commission des lois, marque des avancées importantes, même si certains d'entre nous auraient voulu aller plus loin. Enfin, Paris ne s'est pas construit en un jour...

Le texte prévoit d'abord de placer en tête du code de procédure pénale un article préliminaire qui rappelle à tous les grands principes. Certains orateurs précédents en ayant déjà donné lecture, je ne recommencerai pas. Notre travail va consister essentiellement à voir si les fruits seront dignes de l'arbre si vigoureusement planté. La garde à vue est désormais mieux encadrée ; l'avocat sera présent dès la première heure et pourra revenir ; le gardé à vue sera informé de la nature de l'infraction sur laquelle porte l'enquête ; il aura le droit de prévenir sa famille et son employeur ; la garde à vue sera limitée aux seuls suspects et les témoins ne pourront être retenus que le temps nécessaire à leur audition ; le témoin assisté, dont


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le statut est différent de celui du mis en examen, pourra se faire assister d'un avocat. La commission a même failli retenir l'enregistrement des gardes à vue des mineurs, par sept voix contre sept, mais M. Jean-Pierre Michel nous a expliqué que ce serait un premier pas vers l'enregistrement des gardes à vue des majeurs.

La mise en détention provisoire, qui doit être exceptionnelle, sera retirée au juge d'instruction et confiée à un juge de la détention, qui aura rang de président ou de vice-président, et c'est bien entendu la disposition centrale du texte. Madame la ministre, vous avez même parlé de désigner ce juge sous le vocable plus approprié de

« juge du contrôle de la détention ».

La proposition de loi Tourret prévoyait déjà l'utilisation de seuils pour lutter contre les excès de la détention provisoire : cinq ans en cas de délit contre les biens, trois ans en cas de délit contre les personnes. Le projet est moins ambitueux mais le relèvement des seuils prévu par le texte libérerait des places dans des prisons surchargées dont Mme Frédérique Bredin a décrit la situation. Et si les mesures d'accompagnement nécessaires étaient prises à la sortie de prison, ce relèvement des seuils contribuerait à une meilleure réinsertion des anciens détenus.

Vous avez aussi prévu d'améliorer les conditions d'indemnisation en cas de détention provisoire injustifiée, en prévoyant la réparation du préjudice moral et du préjudice matériel.

Vous avez prévu d'étendre les droits des parties pendant l'instruction à l'audience. Le contradictoire va progresser, ainsi que l'égalité des armes.

Vous avez prévu des dispositions renforçant le droit à être jugé dans des délais raisonnables.

Ce projet, amendé avec prudence et sagesse par le rapporteur et la commission, marque donc des progrès certains, mais, plus encore, il ouvre des horizons nouveaux et indique la voie qu'il faudra suivre si nous voulons que notre pays mérite pleinement, comme à plusieurs périodes de son histoire, le beau nom d'Etat de droit.

Encore en effort et nous y parviendrons ! Mais comment ne pas demander, avant de terminer, la réforme des comparutions immédiates, qualifiées par beaucoup de juges et d'avocats de justice d'abattage ? Les affaires soumises à instruction ne représentent que 10 % du total et, comparées aux comparutions immédiates, constituent presque un privilège.

En ce qui concerne les relations avec les médias, vous avez pris des dispositions qui sont bonnes, et un débat s'ouvre. Il faut respecter entièrement la liberté de la presse, car c'est l'un des éléments de défense de nos libertés individuelles, mais il faut aussi que la presse se donne elle-même des moyens, et qu'elle ait la volonté de respecter la dignité de chacun, en particulier des victimes.

Il faut aussi améliorer la prise en compte des victimes d'infractions. On s'en préoccupe depuis vingt ans et, là aussi, vous nous proposez des avancées décisives.

En conclusion, ce texte marque un progrès de la procédure contradictoire, et il faut s'en féliciter.

Nous vivons dans une société en crise, qui connaît plusieurs types de délinquance. La délinquance quotidienne et les violences urbaines sont le produit d'une société inégalitaire et d'exclusion. Tous les exclus ne deviennent pas des délinquants, heureusement, mais la misère sociale appelle des traitements en amont, ainsi que des sanctions mieux adaptées.

Deux immenses chantiers s'ouvrent devant nous : la réparation due aux victimes, souvent issues des milieux les plus modestes, et la réinsertion à terme des auteurs d'infractions lorsqu'ils ont purgé leur peine. Il faut des moyens. Vous avez commencé à en donner beaucoup plus à la justice que vos prédécesseurs et vous devez en être félicitée. Vous aurez notre soutien pour poursuivre dans cette voie.

Avant de quitter la tribune, je tiens à dire mon amitié à Michel Crépeau, qui, en commission des lois, est intervenu dans le débat avec force et conviction.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Claude Goasguen.

M. Claude Goasguen.

Un jour de 1789, alors que la tradition juridique était marquée par une procédure inquisitoriale et par des déviances que l'Ancien Régime avait illustrées, quelques hommes, comme nous aujourd'hui, issus parfois des mêmes rangs - avocats, magistrats : beaucoup de juristes - ont en toute simplicité voté l'article IX de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, que je me permets de relire : « Tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclar é coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi. »

Cet acte anodin était en réalité un coup de tonnerre qui allait retentir dans le monde entier. Et c'est cet article IX, un peu hérité de la philosophie de la révolution américaine, qui inspira un grand nombre de nations qui allaient venir vers la liberté, en leur faisant affirmer la présomption d'innocence, alors qu'en France, hélas ! le coup de tonnerre de 1789 ne représenterait qu'un tout petit moment de notre histoire juridique. La France serait reprise par sa tradition juridique, celle d'une procédure inquisitoriale que nous avons conservée, retrouvant très rapidement des pratiques condamnées par la Révolution française, et qui faisaient de l'aveu et de la procédure inquisitoriale la pratique quotienne du droit.

Avons-nous le sentiment, mes chers collègues, en cette fin de XXe siècle - je ne parle pas seulement de votre texte, madame la garde des sceaux, mais de l'ensemble de notre construction juridique -, d'être sortis de ces pratiques ? Bien évidemment non ! Ce projet manifeste des intentions louables mais il a été soumis aux pressions d'une administration dont on voit bien qu'elle ne sait pas absorber véritablement le siècle qui vient dans sa nouveauté. Cette administration a fait pression sur vos prédécesseurs, madame la garde des sceaux, et elle fera sans doute pression sur vos successeurs pour ralentir une évolution inéluctable. Elle a réussi à nous donner un texte très insuffisant si l'on veut transformer une procédure inquisitoriale sinon en procédure accusatoire, car cela fait peur à tout le monde, du moins en procédure contradictoire.

Certains éléments sont intéressants mais permettront-ils vraiment les progrès que certains d'entre vous laissent prévoir ? La réforme de la garde à vue est intéressante, bien entendu, elle est utile et était souhaitable. Mais change-telle fondamentalement la nature de la garde à vue ? On sait bien que, en réalité, c'est au moment des interrogatoires que la présence de l'avocat est nécessaire, et non à la première ou à la vingtième heure.

L'institution du juge de la détention est une bonne idée, mais encore faut-il que ces juges soient mis en place, et l'on sait que les moyens ne sont pas légion, même si des efforts sont faits.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 3e SÉANCE DU 23 MARS 1999

Le témoin assisté, qui existe déjà, sera-t-il véritablement l'instrument qui va révolutionner notre procédure ? On peut en douter.

Quant aux « fenêtres », qui constitueront une initiative intéressante allant dans le bon sens, seront-elles adaptées ? Là encore, je suis tout à fait sceptique.

Si ce texte n'est pas amendé au cours de la discussion, il représentera sans doute un pas supplémentaire, mais un pas insuffisant sur la voie de la modernité et de la liberté.

J'insisterai très rapidement - car nous en reparlerons demain - sur un point que vous avez laissé de côté mais qui est, je crois, au centre de nos débats, je veux parler de la mise en examen, et nous avons déposé un certain nombre d'amendements à ce sujet. La mise en examen reste une décision discrétionnaire. Or cette décision porte dans un certain nombre de cas gravement atteinte à la présomption d'innocence. C'est une décision prise par un juge sans être motivée, c'est incontestablement une survivance du passé. C'est à cet acte que je vous demande de réfléchir lors de l'examen des amendements, afin que nous puissions au moins transformer ce qui n'est plus le garant de la liberté, comme au

XIXe siècle, mais qui est devenu un gage de suspicion. Car la mise en examen, audelà de la détention, c'est déjà la suspicion. Je n'ai pas à l'esprit des hommes politiques en difficulté (Murmures sur les bancs du groupe socialiste) mais un certain nombre de personnes - professions libérales ou salariés -, dont la vie familiale et la réputation sont définitivement entachées, tant le non-lieu est lointain.

Quelles que soient nos opinions, nous savons tous que telle est bien la réalité. Même si les lobbies sont puissants, et parfois agressifs depuis quelques jours, nous qui représentons la souveraineté nationale devons avoir le courage de dire que la mise en examen est une survivance au sein de notre droit si elle n'est pas motivée ni susceptible d'appel.

On me répond souvent qu'une mise en examen motivée est un préjugement. Singulier argument que celui qui consiste à dire que la motivation de l'ordonnance donnerait beaucoup trop de force à l'accusation, constituant un jugement avant l'heure. Le juge serait prisonnier de sa décision et le tribunal aurait du mal à s'en défaire. On entend fréquemment développer ce thème.

Mais c'est oublier que le juge d'instruction doit instruire à charge et à décharge. Par ailleurs, si l'on accorde davantage de droits à la défense, l'instruction peut, par la suite, être remise en cause et la décision de mise en examen ne serait plus qu'une étape dans la procédure pénale.

Surtout, cet argument est l'un des plus hypocrites qui soit. Car il oublie de considérer la situation actuelle. La mise en examen n'est-elle pas aujourd'hui un préjugement ? Vous savez bien que si, et c'est l'absence de toute motivation et le caractère discrétionnaire de la mesure qui renforcent son caractère événementiel pour les médias et l'opinion publique.

Si le juge ne dit rien, le journaliste peut parler, c'est son droit le plus absolu. Et la mise en examen actuelle et un pré-jugement. Seule la motivation d'une ordonnance permettra de lever les hypothèses que l'obscurité de la décision autorise.

Par conséquent mes chers collègues, je vous demande, demain, lors de l'examen des amendements, de réfléchir à la responsabilité que nous avons à l'égard de l'avenir. La plupart des personnes mises en examen le seront avec les meilleurs considérants du monde. Mais, eu égard à ceux qui feront l'objet d'un non-lieu, croyez-vous vraiment que nous puissions laisser se perpétuer la pratique de lamise en examen non motivée et sans appel ? Ce serait conforter une tradition très forte de notre droit, mais véritablement intolérable.

Il y va aussi de l'avenir de notre droit, de la responsabilité même du juge. Combien de juges d'instruction refuseraient de prendre cette ordonnance, alors qu'un grand nombre d'entre eux se demandent au moment du choix : « Est-ce que je mets en examen ? Je n'ai qu'un faisceau d'indices, que quelques indices. » Il y a un côté

pari dans la mise en examen. Or, dans la philosophie de la présomption d'innocence, ce n'est pas la mise en accusation qui doit l'emporter.

Nous défendrons donc demain des amendements de portée générale ; mais comme je pense que la plupart d'entre eux ne seront pas retenus par notre assemblée puisqu'ils ne l'ont pas été en commission des lois, sauf exception louable, nous soutiendrons aussi des amendements qui, sans dénaturer le projet de loi, seraient une avancée supplémentaire vers la modernité sous-jacente dans le texte mais pas assez explicite. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie Libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à Mme Nicole Catala.

Mme Nicole Catala.

Madame la garde des sceaux, les controverses suscitées par le projet de loi que vous nous présentez prouvent combien nous sommes ici au coeur de sujets sensibles. Nous sommes effectivement, avec ce texte, au carrefour d'exigences majeures et de libertés fondamentales qui entrent souvent en conflit les unes avec les autres : l'exigence, très profonde chez nos concitoyens, de voir la police et la justice accomplir pleinement leur tâche pour faire reculer la délinquance, la violence au sein de notre société ; l'exigence aussi de voir garanties les libertés individuelles ; le souci de mieux protéger la présomption d'innocence en même temps que d'assurer pleinement la liberté de la presse.

Votre texte s'efforce de naviguer entre ces contraintes, entre ces écueils. Il a, à mes yeux, le mérite de ne pas céder aux idées à la mode et notamment de ne pas opérer le basculement parfois préconisé du système inquisitoire vers un système accusatoire que, pour ma part, je ne souhaite pas pour notre pays. En effet, s'il semble moderne de vanter les mérites de ce dernier, je suis convaincue qu'il n'a rien de supérieur au nôtre. Il n'est pas plus rapide, comme le démontre le nombre de dossiers italiens déposés devant la Cour de Strasbourg en raison des délais excessifs accumulés dans ce pays pour instruire, si l'on peut dire, les affaires et les juger. Et ce système n'est pas plus efficace que le nôtre dans la recherche de la vérité, comme l'a démontré, en Grande-Bretagne, l'affaire des

« six de Guilford ». Je ne crois donc pas à une supériorité intrinsèque du système accusatoire.

A l'inverse, je persiste à penser que notre système judic iaire, longuement pensé par les fondateurs de la Ve République, n'a pas tous les défauts qu'on lui prête aujourd'hui volontiers et que ce sont les comportements


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humains qu'il faudrait réformer, plus que les textes. Mais pour ne pas donner à mon propos une tournure moralisatrice qui serait en tous points déplacée, je me bornerai à quelques observations ponctuelles.

Ma première observation concerne le statut de témoin assisté, dont on peut se réjouir qu'il puisse être à l'avenir plus souvent utilisé. Mais la rédaction du projet me semble à cet égard de nature à soulever un problème de constitutionnalité dans la mesure où il dépendra du juge d'instruction que ce statut soit ou non accordé à la personne mise en cause par une plainte ou une dénonciation. Laisser au bon vouloir du magistrat investigateur la décision d'octroyer ou non ce statut protecteur de témoin assisté est de nature à porter atteinte au principe d'égalité de tous devant la loi.

Ma deuxième observation concerne la création d'un juge de la détention. Il est vrai que la toute puissance des juges d'instruction en la matière paraît aujourd'hui excessive et choque certains d'entre nous. Mais s'il faut tempérer cette toute puissance, la meilleure méthode ne seraitelle pas de prévoir un collège de trois magistrats, madame la garde des sceaux, comme cela avait été envisagé en 1992. Cette réforme n'a pu être mise en oeuvre par votre ministère, en raison d'un manque patent d'effectifs. Si la création d'un juge de la détention paraît de nature à aller dans le bon sens, ne risque-t-elle pas de se heurter au même manque de moyens que celui qui a fait capoter la réforme de 1992 et qui avait entraîné à l'époque un très profond mouvement de protestation chez les juges d'instruction ? Ces derniers, vous le savez, contestent déjà fortement la réforme que vous proposez. Pour ma part, je crains que, faute d'un nombre suffisant de juges de la détention, nous ne connaissions, dans les mois et années à venir, beaucoup de retard dans les instructions en cours. Il y a là un risque que nous ne pouvons pas négliger.

La troisième question, que j'aborderai rapidement en raison de l'heure tardive, concerne le secret de l'instruction et la présomption d'innocence. Tous les pays comparables au nôtre connaissent le secret de l'instruction, même s'il n'est pas explicitement prévu par un texte, mais, dans la plupart d'entre eux, il n'est pas absolu, pas plus qu'il ne l'est en France. Je ne fais pas partie de ceux qui souhaitent la suppression de ce secret, car je considère au contraire qu'il constitue une protection importante de la présomption d'innocence et qu'il est indispensable à l'efficacité de l'enquête et de l'instruction. Je me réjouis donc que vous n'ayez pas envisagé de le supprimer. Mais il faut aller plus loin que le dispositif actuel pour mieux défendre la dignité des personnes mises en cause.

Votre texte se préoccupe à juste titre de mieux protéger l'image des victimes, c'était une nécessité. Cela dit on peut aussi faire mieux pour protéger les personnes mises en cause, mises en examen ou en détention. En effet, chaque année, un millier de personnes, sinon davantage, sont injustement emprisonnées et leur vie est souvent brisée par la diffusion, à la télévision ou dans la presse écrite, d'images dégradantes pour leur honneur, pour leur réputation, pour leur dignité. Les dispositions que vous avez prévues à cet égard, madame la garde des sceaux, pourraient être élargies. Il serait ainsi fondé d'interdire la publication de toute image attentatoire à la dignité, non seulement des victimes, mais aussi des personnes mises en examen.

Au demeurant, je ne pense pas qu'une telle disposition porte atteinte au principe de la liberté de la presse. Les principes posés par la Convention européenne des droits de l'homme surplombent maintenant tout notre droit deslibertés publiques. Or, selon l'article 10, alinéa 2, de cette convention, l'exercice des libertés de communication et d'expression « comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, (...) à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire ».

Ce principe, interprété dans le respect de son inspiration par la Cour européenne des droits de l'homme, confère à la liberté de la presse un très vaste champ d'application, mais il ne donne pas pour autant à celle-ci le droit de nuire. C'est pour quoi je souhaite, madame la ministre, que dans les débats à venir vous alliez aussi loin qu'il sera possibile pour mieux protéger la dignité des personnes que met en cause le procès pénal. (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

3 DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE RÉSOLUTION

M. le président.

J'ai reçu, le 23 mars 1999, de M. André Aschieri et plusieurs de ses collègues, une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête « sur les dangers pour la santé des populations des amalgames dentaires à base de mercure et le contrôle de leur utilisation en France ».

Cette proposition de résolution, no 1480, est renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, en application de l'article 83 du règlement.

4 DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI

MODIFIÉE PAR LE SÉNAT

M. le président.

J'ai reçu, le 23 mars 1999, transmise par M. le président du Sénat, une proposition de loi, modifiée par le Sénat, relative au mariage, au concubinage et aux liens de solidarité.

Cette proposition de loi, no 1479, est renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République, en application de l'article 83 du règlement.


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ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Aujourd'hui, à quinze heures, première séance publique : Questions au Gouvernement ; Suite de la discussion du projet de loi (no 1079) renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes : Mme Christine Lazerges, rapporteur, au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 1468).

A vingt et une heures, deuxième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la première séance.

La séance est levée.

(La séance est levée le mercredi 24 mars 1999, à une heure dix.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT

TEXTES SOUMIS EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION Transmission

M. le Premier ministre a transmis, en application de l'article 88-4 de la Constitution, à M. le président de l'Assemblée nationale, les textes suivants : Communication du 18 mars 1999 No E 1230. - Proposition de règlement (CE) du Conseil portant organisation commune des marchés dans le secteur des produits de la pêche et de l'aquaculture (COM [99] 55 final).

Communication du 22 mars 1999 No E 1231. Proposition de règlement (CE) du Conseil modifiant l'annexe I du règlement (CEE) no 2658/87 du Conseil relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (plates-formes de forage) (COM [99] 86 final).

No E 1232. Proposition de règlement (CE) du Conseil modifiant l'annexe I du règlement (CEE) no 2658/87 du Conseil relatif à la nomenclature tarifaire et statistique et au tarif douanier commun (chapitre 27) (COM [99] 87 final).