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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 MARS 1999

SOMMAIRE

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS D'AUBERT

1. Enfance en danger et mineurs délinquants.

Discussion d'une proposition de loi (p. 2845).

M. Pierre Cardo, rapporteur de la commission des lois.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

M. le rapporteur.

DISCUSSION GÉNÉRALE (p. 2852)

MM. Guy Teissier, Guy Hascoët, Jean de Gaulle, Patrick Braouezec, Jean-Antoine Leonetti, Bruno Le Roux, Michel Herbillon, Christian Estrosi, Mme Nicole Feidt,

M.

Jacques Myard.

Clôture de la discussion générale.

Suspension et reprise de la séance (p. 2868)

M. le rapporteur.

Mme la garde des sceaux.

2. Rappel au règlement (p. 2869).

MM. Robert Pandraud, le président.

3. Enfance en danger et mineurs délinquants. - Reprise de la discussion d'une proposition de loi (p. 2870).

VOTE SUR LE PASSAGE À LA DISCUSSION DES ARTICLES (p. 2870)

MM. Robert Galley, Michel Herbillon, Jean-Antoine Leonetti.

L'Assemblée, consultée, décide de ne pas passer à la discussion des articles ; la proposition de loi n'est pas adoptée.

4. Ordre du jour des prochaines séances (p. 2871).


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 MARS 1999

COMPTE RENDU INTÉGRAL

PRÉSIDENCE DE M. FRANÇOIS D'AUBERT,

vice-président

M. le président.

La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures.)

1

ENFANCE EN DANGER ET MINEURS DÉLINQUANTS Discussion d'une proposition de loi

M. le président.

L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi de M. Pierre Cardo et plusieurs de ses collègues relative à l'enfance en danger et aux mineurs délinquants (nos 1403, 1472).

La parole est à M. Pierre Cardo, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

M. Pierre Cardo, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

« Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l'enfance, et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l'enfance traduite en justice. La France n'est pas assez riche d'enfants pour qu'elle ait le droit de négliger tout ce qui peut en faire des êtres sains. »

M. François Goulard.

Très bien !

M. Pierre Cardo, rapporteur.

Cinquante-quatre ans plus tard, ce constat énoncé dans l'exposé des motifs de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante est manifestement toujours d'actualité. Si la société a changé, la volonté humaniste de répondre aux problèmes de l'enfance en danger et des mineurs délinquants est toujours à peu près la même.

Que s'est-il passé depuis ? Nous avons connu le phénomène dit des « blousons noirs » dans les années 50 et 60, la période des Minguettes dans les années 70 et 80, puis les émeutes des années 90, qui à nouveau nous ont alertés, et les chiffres de la délinquance sont de plus en plus inquiétants. Si la dégradation de la situation sociale, le chômage de longue durée, la concentration en sont en partie la cause, cela ne suffit pas à expliquer cette évolution et ne doit excuser ni les comportements des jeunes ou de leurs parents, ni leur condamnation systématique d'ailleurs, ni nos réponses inadaptées. Il nous faut comprendre et agir, donc réformer à l'aune des expériences de terrain.

Entre 1996 et 1997, les décisions d'action éducative ont augmenté de 9,3 % et celles des placements de 6,5 %. Le nombre de mineurs mis en cause pour crimes ou délits a plus que doublé entre 1977 et 1998, passant de 82 151 à 171 787. Parallèlement, la délinquance est devenue plus violente. Le nombre de mineurs mis en cause a augmenté de 11,23 % entre 1997 et 1998. En douze ans, le nombre de ceux impliqués dans des vols avec violences est passé de 2 835 à 9 007. En 1986, 369 mineurs étaient concernés par des viols, contre 1 199 en 1998. Le nombre de ceux mis en cause pour coups et blessures volontaires est passé de 2 364 en 1986 à 11 081 en 1998.

La délinquance est plus difficile à cerner. Les destructions et dégradations de biens ne sont pas toujours justifiées par la recherche d'un gain économique. En 1986, 6 552 mineurs étaient mis en cause dans de telles affaires.

En 1998, ce nombre s'élève à 23 523.

La délinquance est devenue plus collective que dans le temps. En 1992, les rixes entre bandes ont provoqué dixsept blessés. En 1995, elles ont été la cause de quarantesix blessés et six morts, et les chiffres de 1998 seront vraisemblablement beaucoup plus préoccupants encore.

Le nombre de récidivistes s'accroît : 50 % des mineurs qui ont fait l'objet d'une présentation au juge des enfants réitèrent. Les statistiques font aussi apparaître l'existence de ce qu'on appelle maintenant un noyau dur - terme que l'on ne voulait pas employer, il y a quelques années encore - qui représente 10 % des mineurs présentés au juge.

Nous avons donc affaire à une délinquance plus jeune, qui s'est massifiée, banalisée. Les mineurs en composant le noyau dur sont de plus en plus nombreux et ont pour particularité un manque de repères, de limites et une absence d'espoir. Le traitement de ce noyau dur nous pose donc beaucoup de problèmes.

Ce débat, qui a fait l'objet d'un rapport sur lequel je ne m'étendrai pas, doit être éclairé par ce que nous observons dans les quartiers. C'est ainsi que nous pourrons faire avancer les choses. Au-delà de l'explication purement économique jusqu'à présent avancée, on observe que la situation dans les quartiers est aujourd'hui caractérisée par un dérapage, voire un abandon progressif de toutes les institutions.

La famille d'abord - et là je pense aussi à l'adulte qui, la plupart du temps, ne transmet manifestement plus les repères essentiels à l'enfant. Le père n'obtient manifestement pas des enfants tout le respect qui lui serait dû, en raison de sa situation sociale et économique. Cela dit, l'explication n'est pas suffisante.

L'école est défaillante dans de nombreux quartiers. Elle est monolithique. Dispenser le même enseignement pour tous, est-ce une politique égalitaire ou une politique égalitariste ? La question est posée et reste d'actualité.

Le secteur social, qui devrait prévenir les dérapages, a du mal à recruter dans les quartiers. De nombreux postes sont vacants et les personnels, peu formés à ce qui les attend, n'habitent plus dans les quartiers. Comme la plupart des intervenants d'ailleurs, ils n'y viennent que pour y travailler. Le social est donc en grande difficulté. C'est encore un constat dont nous devrons tenir compte dans toute réforme concernant le problème de la délinquance.


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L'intervention de la justice est souvent décalée parce que la politique dite préventive que nous avons mise en place au cours des décennies précédentes n'est plus aussi efficace qu'on pourrait le penser. Nous en avons débattu en commission.

Enfin, la police qui, dans ce contexte, a l'impression de jouer la voiture-balai, finit elle aussi par lever un peu le pied à mesure que s'accumulent les non-réponses.

Nous devons répondre à ces dysfonctionnements que l'on observe tous les jours, sous peine de voir tout un pan de notre société, et pas uniquement les quartiers, se séparer de notre République. Chacun doit être placé devant ses responsabilités. Nous devons retisser le lien social et nous donner les moyens de restaurer le travail en réseau, seul susceptible de casser les cloisonnements à l'origine des phénomènes que je viens d'énumérer.

Avant d'en venir à la proposition de loi proprement dite, je tiens à préciser que, si nous voulons que les adultes retrouvent tout leur rôle dans la cité, il faudrait peut-être leur en donner les moyens. Or, je crois que nous avons récemment raté une occasion. Lors de l'examen des projets de loi contre les exclusions et sur les emplois-jeunes, j'avais en effet attiré l'attention sur les dangers qu'il y avait à consacrer autant de moyens à responsabiliser les jeunes dans les domaines de la médiation et de l'utilité sociale. Il eût été, à mon avis, beaucoup plus intéressant d'affecter des moyens équivalents à tous ces adultes qui aujourd'hui, dans les quartiers, ont perdu leur utilité économique, sociale, et d'une certaine façon l'image qu'ils devraient présenter à leurs enfants. En effet, le rôle des jeunes dans certains quartiers est déjà exorbitant. Les adultes doivent être des acteurs de la médiation.

Ils nous permettront, demain, de lutter contre la délinquance. Encore faut-il leur en donner les moyens et ne pas se contenter de réclamer leur participation par le biais du bénévolat ! A l'origine, le champ de ce texte était beaucoup plus large, mais vous connaissez notre constitution. Dès lors que les parlementaires envisagent une dépense nouvelle, les possibilités sont relativement limitées.

M. François Goulard.

Cela dépend du président de la commission des finances !

M. Pierre Cardo, rapporteur.

Cette proposition de loi a donc été un peu réduite. Il aurait pourtant fallu une réforme beaucoup plus vaste, partant de la prévention en amont et aboutissant, en aval, à la répression, pour luttere fficacement contre les phénomènes auxquels nous sommes confrontés. De nombreux facteurs auraient dû être pris en compte. Cela n'a pas été possible, mais il n'est pas interdit d'aborder la question.

Ce qui me frappe depuis longtemps, dans les quartiers, c'est l'errance des jeunes. Ce phénomène se cumule avec le fait que certaines institutions dérapent et ne sont plus à leur place. L'éducation de ces très jeunes gamins n'est donc pas réalisée par la famille et elle l'est rarement par les institutions. En fait, elle est confiée aux plus grands qui, par définition, s'ils sont dehors la nuit, ne sont pas en train de faire leurs devoirs ou de tenter de s'insérer dans la société. Et quand, à treize ou quatorze ans, ces mineurs arrivent devant un juge pour enfants parce qu'ils ont commis certains actes, on s'aperçoit brutalement qu'ils n'ont plus de repères, plus de limites, qu'ils sont déjà brisés. L'on se demande alors comment ils peuvente n arriver à commettre de tels actes, en toute inconscience et en toute insouciance. Eh bien, je vais vous le dire : si on confie leur éducation à la rue, on ne peut pas obtenir d'autres résultats ! Le titre Ier de la proposition de loi a pour objet de protéger l'enfance en danger. Il vise à permettre au maire de prendre un arrêté interdisant aux enfants de moins de treize ans d'errer de vingt-deux heures à six heures du matin, dans les lieux considérés comme dangereux, sans être accompagnés d'un adulte. Est-ce excessif ?

M. Jean-Antoine Leonetti.

Certainement pas !

M. François Goulard.

Cela ne choque que Mme Royal !

M. Pierre Cardo, rapporteur.

Je ne crois pas, d'autant qu'en théorie cela n'est pas particulièrement autorisé. En tant que législateurs, nous devons préciser notre volonté par la loi et rappeler certaines évidences.

L'enfant errant la nuit sans être accompagné d'un adulte serait interpellé et, dans les quarante-huit heures, ses parents seraient convoqués par le juge des enfants, qui leur adresserait une admonestation, bien sûr, leur rappellerait leur obligation de moyens et pourrait leur infliger une amende, comme c'est déjà le cas. Il les préviendrait aussi que d'autres sanctions seront possibles en cas de récidive, car le problème c'est justement la récidive. Beaucoup de parents prennent conscience de la dangerosité de la situation, d'autres pas pour x raisons que je ne développerai pas aujourd'hui faute de temps.

Quand on trouve pour la deuxième fois un enfant qui traîne dehors à minuit ou à deux heures du matin alors qu'il n'a que cinq, six ou sept ans, on peut considérer, me semble-t-il, que l'attitude des parents relève de l'abandon d'enfant et de la mise en danger. La deuxième phase du dispositif proposé prévoit que le juge des enfants pourra alors convoquer les parents, bien sûr, et, s'il estime que la situation l'exige, prononcer la suspension des allocations familiales auxquelles l'enfant concerné ouvre droit pour une durée maximale de six mois. Cette mesure, qui a suscité un vif débat en commisison, est-elle particulièrement répressive ? Pour ma part, je prétends que non. Je pense qu'elle est plutôt préventive. On me dit qu'il suffirait d'appliquer le code pénal, mais celui-ci prévoit une peine de deux ans de prison et 100 000 francs d'amende. La mesure que je propose me semble donc plus préventive que répressive. On me répond aussi que l'on pourrait placer les allocations familiales sous tutelle.

Mais, je le rappelle, la tutelle est budgétaire pour l'essentiel. Or mon objectif n'est pas d'arriver au bout du compte à un placement qui nous coûtera fort cher et ne sera pas obligatoirement apprécié de l'enfant ou conforme à son intérêt. Il s'agit de provoquer une réaction chez ceux qui sont les premiers éducateurs de l'enfant, à savoir les parents. Cela n'empêche en rien d'utiliser par ailleurs les moyens existant déjà pour épauler les familles qui en ont besoin, et Dieu sait s'il y en a ! Voilà pour ce qui est du titre Ier

Concernant le titre II relatif aux mineurs délinquants, nous pourrons discuter du détail des articles, mais j'ai cru comprendre que la commission ne le souhaitait pas.

L'objectif était de réformer l'ordonnance de 1945 pour l'adapter un peu mieux à l'évolution de la société, et notamment au rajeunissement de la délinquance. Il ne faut pas oublier que, depuis 1945, il s'est écoulé cinquante-quatre ans et qu'entre-temps, par exemple, la majorité légale est passée de vingt et un ans à dix-huit, trois ans de moins. Est-ce qu'il n'était pas souhaitable de prendre en compte cette autre évolution dans les tranches d'âge, le rajeunissement de la délinquance, non pas pour casser l'ordonnance de 1945, mais pour la repeigner ?


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C'est l'objet du titre II, qui aurait voulu être beaucoup plus ambitieux, et notamment préciser en quoi nous devons réorganiser complètement la prévention, que nous faisons fort mal aujourd'hui. C'est pourquoi il est fait allusion à des pôles d'accueil pour jeunes en difficulté qui auraient pour objet de faire en sorte que, petit à petit, partout en France, s'organise le travail en réseau indispensable pour organiser une vraie prévention.

Une vraie prévention, c'est détecter, c'est signaler et c'est agir, ce n'est pas toujours judiciariser. Dans les quartiers, la plupart du temps, ce n'est pas fait. On me répondra que le conseil de sécurité intérieure a prévu un certain nombre de mesures. Mais depuis le début des années 90, on sait combien de recommandations faites dans ce cadre par les gouvernements successifs n'ont été suivies d'aucun effet sur le terrain. Il appartient donc au législateur de dire quelle est sa volonté. C'est l'objectif de cette proposition de loi, qui me paraît relativement équilibrée, malgré les lacunes dont elle souffre compte tenu des problèmes financiers que j'ai évoqués.

Le prévention doit avoir lieu très en amont. Et pour cela, nous devons obliger les acteurs du terrain à communiquer entre eux, à se décloisonner, à s'informer. Il faut que chacun connaisse réellement la situation des familles.

Or, nous le savons, la première ligne du social, qui était censée faire ce travail préventif, n'est plus en place aujourd'hui. Les travailleurs sociaux sortent la plupart du temps tout juste de l'école. Ils n'ont pas d'expérience et n'ont pas été préparés à ce qui les attend. De nombreux postes restent vacants alors même que leurs tâches se sont multipliées. Ils sont débordés par les formalités : RMI, fonds d'aide aux jeunes, fonds de solidarité logement.

Dès lors, ils travaillent constamment dans l'urgence et ne peuvent plus assurer auprès des familles la présence indispensable pour qu'ils puissent détecter les jeunes en voie de marginalisation.

C'est donc toute une réorganisation de ce dispositif que notre proposition de loi voulait imposer. Après avoir remodelé l'ensemble des dispositions qui permettent aux juges des enfants, aux juges des mineurs, d'intervenir rapidement quand c'est nécessaire, elle rappelle également ce qui apparaît maintenant comme une nécessité. Si l'on veut que l'ensemble du dispositif de l'ordonnance de 1945 soit efficace, il faudra bien que nous admettions que, lorsqu'un jeune est dangereux et que l'acte qu'il a commis justifie la prison, la sanction doit être prise et effectivement appliquée. Il faut s'en donner les moyens.

Or, dans ce domaine, la France, qui donne souvent des leçons à ses voisins, n'est pas du tout à la hauteur de ses ambitions. Notre système carcéral est totalement inadapté aux besoins des mineurs.

M. Jean-Antoine Leonetti.

C'est vrai !

M. Pierre Cardo, rapporteur.

Nous devons mettre en place, sur tout le territoire, un ensemble d'établissements carcéraux qui leur soient strictement réservés et dont l'effectif n'excède pas quinze jeunes détenus car, au-delà, nous ne savons pas faire.

C'est ainsi que, peu à peu, entre les mesures préventives, la responsabilisation des parents et la réalisation d'un système carcéral adapté aux mineurs - d'autres pays l'ont réussi, pourquoi pas nous ? -, nous répondrons beaucoup mieux aux problèmes de ces jeunes en difficulté qui ont tant besoin de la société.

Les politiques que nous sommes sont responsables non pas de la mise en oeuvre des mesures, mais de la définition des orientations. Nous devons assumer cette responsabilité en donnant des éclairages sur la façon dont la loi doit être interprétée et en procédant aux modifications que chacun, sur le terrain, réclame.

Je crois que j'ai largement dépassé mon temps de parole, monsieur le président.

M. le président.

Légèrement, monsieur le rapporteur.

(Sourires.)

M. Pierre Cardo, rapporteur.

Pour conclure, je dirai simplement que ce sujet mériterait encore de longs développements. Mais je ne peux que me féciliter de la qualité du débat qui a eu lieu en commission. Pour une fois, sur un sujet pourtant très sensible, il n'y a eu ni procès d'intention ni anathèmes.

M. François Goulard.

Attendons !

M. Pierre Cardo, rapporteur.

Il y a eu de vrais échanges et je veux en remercier les collègues qui ont participé à nos travaux, tout en déplorant bien sûr que la commission n'ait pas voulu suivre son rapporteur et se soit abstenue sur cette proposition de loi.

J'espère néanmoins que son inscription à l'ordre du jour permettra que s'instaure également en séance un véritable débat témoignant de l'intérêt que le Parlement attache à un sujet aussi crucial pour notre jeunesse et notre société. J'espère surtout, madame la ministre, mes chers collègues, que nous n'en resterons pas là. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et I ndépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux, ministre de la justice.

Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice.

Monsieur le président, mesdames et messieurs les députés, nous sommes réunis ce matin pour débattre d'un de ces grands thèmes qui reviennent périodiquement sur le devant de la scène. Il ne faut d'ailleurs pas s'en étonner. Il n'y a pas, en effet, de sujet plus grave que l'avenir de notre jeunesse.

Chaque fois que l'on évoque la délinquance des jeunes revient en écho la question de la modification de l'ordonnance de 1945. C'est dans ce sens que vous allez, monsieur Cardo, en nous présentant cette proposition de loi.

Pour sa part, je l'indique d'emblée, le Gouvernement estime que l'ordonnance de 1945, à la condition de m odifier, d'intensifier, de moderniser nos pratiques, devrait nous permettre de faire face dans de bonnes conditions à la délinquance des jeunes. Il reste que ce débat nous donne l'occasion d'approfondir encore notre réflexion sur l'ensemble des dispositions en vigueur. Je compte bien la saisir, monsieur le rapporteur, pour préciser l'analyse du Gouvernement sur la délinquance des jeunes, vous donner son sentiment sur vos propositions et faire le point sur la politique qu'il conduit face à ce très d ifficile problème. La délinquance des jeunes nous inquiète et empoisonne la vie quotidienne de beaucoup de nos concitoyens, en particulier les plus démunis, ceux qui vivent dans les quartiers défavorisés.

Si nous différons sur les solutions, l'analyse du Gouvernement en revanche, la réalité rejoint assez largement la vôtre. Ayant à coeur de regarder, en face, nous constatons que les mineurs mis en cause dans des infractions sont aujourd'hui beaucoup plus nombreux et beaucoup plus jeunes. Cette délinquance a connu une augmentation sans précédent depuis le début des années 90. Le nombre de mineurs mis en cause a varié de 92 000 à 100 000 selon


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les années jusqu'en 1993. Mais cette période de quasistabilité a été suivie d'un bond considérable puisque ce chiffre a atteint 155 000 en 1997 et 171 000 en 1998.

De surcroît, la délinquance des mineurs revêt des formes nouvelles. Les atteintes aux personnes, les destructions de biens publics ou privés ont fortement augmenté.

Les émeutes urbaines, les faits de violence collective se sont multipliés. Ils s'accompagnent de ce que les sociologues appellent une « délinquance d'intégration », caractérisée par la participation des mineurs à de multiples trafics organisés par de jeunes adultes. C'est un phénomène extrêmement inquiétant parce que les jeunes sont mis en dehors de l'économie réelle.

Des mineurs délinquants plus nombreux, plus jeunes, plus violents, c'est aussi le constat que vous faites dans votre exposé des motifs, monsieur le rapporteur, mais peut-être faut-il aller au-delà. Ces évolutions se produisent dans un contexte social où l'importance du chômage et la précarité des conditions de vie d'une bonne partie de la population remettant en cause de façon assez radicale les mécanismes d'intégration sociale ainsi que les conditions d'éducation des mineurs.

L'entrée dans la vie active est plus difficile. Elle est très problématique pour les mineurs sortis sans qualification du système scolaire, sans parler de ceux qui ont cessé d'aller à l'école depuis l'âge de dix, onze ou douze ans, parce qu'ils ont été pris dans les circuits parallèles que j'ai évoqués. Elle est encore plus problématique pour les jeunes d'origine étrangère, qui se voient presque systématiquement opposer des refus à l'embauche. Nous devons parler de ces formes de discrimination parce qu'elles atteignent une catégorie particulière de jeunes et suscitent chez certains d'entre eux, heureusement pas tous, un rejet de la société dont l'origine est un sentiment profond d'injustice.

Les placements de mineurs à l'aide sociale à l'enfance, qui avaient diminué depuis les années 70, augmentent à nouveau dans les régions les plus touchées par la précarité. Quant aux jeunes pris en charge par la protection judiciaire de la jeunesse, une étude de l'INSERM publiée en octobre 1998 confirme ce que nous pressentions : 12 % de ces garçons et 49 % de ces filles ont fait une tentative de suicide ; 31 % de ces garçons et 21 % de ces filles sont des consommateurs habituels de cannabis ; les deux tiers de ces jeunes ont été victimes d'agressions sexuelles ou de violences physiques. Tous cumulent les handicaps : familiaux, sociaux, psychiques, de santé et de formation.

De telles évolutions conduisaient nécessairement à analyser ce qui, dans le fonctionnement de nos institutions, et notamment dans le service de la justice, devait ou non changer. Il n'était pas possible, en effet, de rester immobile face à la gravité de la situation. C'est ainsi que le Gouvernement a soit demandé, soit pris connaissance avec intérêt de très importants rapports.

J'avais demandé à mon inspection générale un rapport sur les unités à encadrement éducatif renforcé créées par mon prédécesseur, dont certaines rencontraient des difficultés réelles de fonctionnement. Il m'a été remis en janvier 1998.

Le rapport de la mission interministérielle présidée par deux de vos collègues, Mme Lazerges et M. Balduyck, sur le traitement de la délinquance juvénile est un document qui a fait date.

M. Pierre Cardo, rapporteur.

Très bon rapport.

Mme la garde des sceaux.

Excellent.

Quant au rapport du Conseil économique et social sur la protection de l'enfance et de la jeunesse, il présente également un très grand intérêt.

Tous ces documents vont en réalité dans le même sens.

Ils concluent comme vous-même, monsieur le rapporteur, à la nécessité de mobiliser tous les acteurs et d'articuler leurs actions, en assurant notamment la coordination des services de l'Etat et des collectivités territoriales.

Ils insistent sur la nécessité de renforcer la présence des services publics sur le terrain, dans ces quartiers qu'ils ont malheureusement tendance à déserter et qui constituent alors, par territorialisation de la délinquance, autant de possibles ghettos. Je dis bien « possibles », car ce n'est pas encore, heureusement, une réalité installée.

Ils soulignent l'importance d'interventions plus précoces, plus rapides, afin de prévenir des situations mettant en danger les mineurs.

Ils préconisent des actions éducatives qui permettent une plus forte mobilisation autour des mineurs les plus en difficulté, ainsi que des sanctions qui rappellent aux auteurs d'infractions la portée de leurs actes.

Car, disons-le avec force, quelles que soient les conditions de vie, la délinquance n'est pas une fatalité. Heureusement, l'écrasante majorité des jeunes qui vivent dans les quartiers difficiles ne deviennent pas pour autant des délinquants.

M. Guy Teissier.

Très bien !

M. Jean-Antoine Leonetti.

C'est pour cela qu'il faut sanctionner les autres !

Mme la garde des sceaux.

Il faut donc, en effet, lorsque c'est nécessaire faire appel à des sanctions qui contribuent à l'apprentissage des règles de la vie sociale.

Ces différents travaux, je le souligne, ont tous réaffirmé la pertinence de l'ordonnance du 2 février 1945, texte de référence en matière de délinquance juvénile, dont les principes juridiques, souvent mal connus, ont été confortés. Ont ainsi été rappelées la responsabilité pénale des mineurs, celle-ci étant graduée, comme c'est normal, selon leur âge, ainsi que la priorité donnée aux mesures éducatives et à la recherche de la dimension éducative dans toute sanction.

Dès lors, l'action du Gouvernement s'est rapidement attachée à favoriser une meilleure application des dispositions existantes dans toutes leurs dimensions, plutôt que d'envisager une réforme législative pourtant régulièrement demandée par bon nombre de parlementaires, à l'instar de M. Cardo.

M. Michel Herbillon.

Des parlementaires de toutes tendances !

Mme la garde des sceaux.

J'en viens au contenu de la proposition de loi. Je ne me livrerai pas à une analyse détaillée de l'ensemble de ses articles, mais un examen, même rapide, de ses principales dispositions me permettra de vous montrer pourquoi j'estime inopportun de réviser ainsi l'ordonnance de 1945.

L'article 7 vise à introduire la possibilité de placer en détention provisoire, en matière délictuelle, les mineurs de seize ans. Adopter un tel article, ce serait mettre la France en contradiction avec ses engagements internationaux et méconnaître que les césures opérées en droit pénal ont un sens au regard de la maturation des enfants et des adolescents concernés.

Il serait paradoxal, par ailleurs, de réintroduire la détention provisoire à l'égard des mineurs les plus jeunes, alors même que cette mesure est de plus en plus encadrée


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à l'égard des adultes au nom de la présomption d'innocence. C'est ce que nous sommes en train de faire ici même, avec, je dois le dire, une certaine surenchère de la droite de cet hémicycle.

M. Gérard Gouzes.

Schizophrénie !

Mme la garde des sceaux.

Messieurs de l'opposition, il faudrait tâcher d'introduire un peu de cohérence dans vos approches.

M. Michel Herbillon.

Vous aussi !

M. Jean-Antoine Leonetti.

Au-delà du verbe, nous attendons des actes !

Mme la garde des sceaux.

On ne peut pas à la fois vouloir limiter l'usage de la détention provisoire pour les majeurs et chercher à l'étendre pour les mineurs. Il y a là un grand écart dont je peine à trouver la justification logique ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Gérard Gouzes.

Zigzag !

M. Jean-Antoine Leonetti.

Vous êtes expert !

Mme la garde des sceaux.

Je vous renvoie d'ailleurs, m onsieur Cardo, à vos propres déclarations. Le 27 mars 1996, dans le cadre de l'examen du projet de réforme de l'ordonnance de 1945 qui a donné lieu au vote de la loi du 1er juillet 1996, et à propos d'un amendement soutenu par M. Béteille qui visait à permettre la détention provisoire des mineurs de seize ans, vous avez fait appel en ces termes au bon sens de l'Assemblée : « Il serait quand même paradoxal qu'au moment où l'on se demande si on va limiter la détention provisoire pour les adultes, on l'étende aux mineurs. Il me paraît là qu'il y a une contradiction dans laquelle nous ne devons pas tomber. »

Je partage pleinement l'opinion qui était la vôtre à l'époque. Une telle modification constituerait une régression et un retour sur le régime institué par la loi du 30 décembre 1987 qui pourrait être sanctionné par le Conseil constitutionnel.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Lequel ?

Mme la garde des sceaux.

Conseil constitutionnel présidé par M. Yves Guéna, je vous le rappelle.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Depuis peu !

Mme la garde des sceaux.

J'espère que personne ici, et en particulier à droite, ne remet en cause la présidence de M. Guéna.

Les dispositions qui visent à instaurer un régime de garde à vue unique, quel que soit l'âge du mineur - c'est l'article 4 -, méconnaissent le régime spécifique qui doit s'attacher aux mineurs les plus jeunes. Ce principe a été réaffirmé par la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 11 août 1993.

Cette décision a considéré que la disposition de la loi qui prévoyait qu'un mineur de treize ans pourrait être placé en garde à vue en cas de crime ou de délit puni d'une peine supérieure ou égale à cinq ans d'emprisonnement était contraire à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 qui indique que « tout homme étant présumé innocent jusqu'à ce qu'il ait été déclaré coupable, s'il est jugé indispensable de l'arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s'assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi » et, donc, a déclaré inconstitutionnelles les dispositions de cette loi.

Sur les dispositions visant à suspendre, pendant une durée déterminée, le versement des prestations familiales, je veux d'abord clairement indiquer, avant d'exposer les raisons pour lesquelles je vais m'opposer à ces mesures, que je suis absolument favorable à la responsabilisation des familles.

M. Michel Herbillon.

Heureusement !

Mme la garde des sceaux.

Nous le savons bien, les résultats de l'étude de l'INSERM que je viens de rappeler le confirment, ce sont souvent les enfants vivant dans une famille dévastée ou ayant subi eux-mêmes, au sein de leur famille, des violences, quelquefois sexuelles, que l'on retrouve dans la délinquance.

Alors, comment responsabiliser les familles ? Là est toute la question. En tout cas, la voie préconisée par M. Cardo, formulée déjà à maintes reprises dans le débat public, et d'ailleurs rejetée dernièrement encore par le Gouvernement, ne me paraît absolument pas adaptée.

D'abord, ces propositions sont contraires au principe posé par la loi française selon lequel les allocations familiales sont attribuées à la personne assumant la charge effective de l'enfant.

M. Pierre Cardo, rapporteur.

Mais oui ! La charge effective !

Mme la garde des sceaux.

En outre, je rappelle que les parents sont civilement responsables de leurs enfants mineurs et doivent à ce titre réparer les dommages causés par ces derniers à l'occasion d'une infraction pénale, j'y viendrai tout à l'heure.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Ils ne le font jamais !

M. Guy Teissier.

L'article 227-17 du code pénal n'est jamais appliqué !

Mme la garde des sceaux.

Si ! Cela se fait de plus en plus souvent, notamment dans le cadre des traitements en temps réel. Cette mesure est notamment appliquée à l'initiative des personnes dont la fonction consiste à faire exister la justice sur le terrain. De nombreux élus - certains sont d'ailleurs présents dans cet hémicycle, n'est-ce pas monsieur Le Roux, monsieur Braouezec ? - savent faire en sorte que les parents soient présents aux convocations et apportent cette contribution à la lutte contre la délinquance de leurs enfants.

M. Pierre Cardo, rapporteur.

C'est l'assurance responsabilité civile qui intervient !

Mme la garde des sceaux.

Par ailleurs, la mesure de tutelle aux prestations familiales, de la compétence du juge des enfants, permet d'ores et déjà un contrôle de l'utilisation de ces prestations, en vertu de l'article L. 552-6 du code de la sécurité sociale. Cette disposition implique l'intervention d'un délégué à la tutelle, qui, dans la plupart des cas, bénéficie également d'une formation d'éducateur et est chargé d'apporter conseil à la famille dans la gestion de son budget, mais aussi de soutenir les parents dans leurs fonctions éducatives.

Je rappelle encore que l'article 40 de l'ordonnance de 1945 permet « que les allocations familiales ou prestations auxquelles le mineur ouvre droit soient versées directement par l'organisme débiteur à la personne ou à l'institution en charge du mineur en cas de placement ».

Quant à l'article L.

552-3 du code de la sécurité sociale, il autorise la suspension du versement de ces prestations en cas de manquement à l'obligation scolaire.

Enfin, je ferai remarquer qu'aller au-delà de ces dispositions, qui sont déjà assez précises...


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 MARS 1999

M. Michel Herbillon.

Mais jamais mises en oeuvre !

Mme la garde des sceaux.

... et qui montrent bien que, en cas de carence grave, les parents peuvent être pénalisés, aurait pour conséquence, non pas de responsabiliser les parents, mais, au contraire, d'accroître les difficultés financières de familles déjà très fragilisées et de rendre plus difficile encore la place du mineur à l'origine de la mesure au sein de sa famille.

Vous proposez, également, monsieur Cardo, l'instauration par les maires - même sous le contrôle d'un magistrat - de zones interdites à la circulation des jeunes de moins de treize ans non accompagnés la nuit. Or une telle disposition contreviendrait à la liberté d'aller et venir inscrite dans le préambule de la Constitution de 1946.

(Exclamations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Michel Herbillon.

Les autres libertés publiques sont mises en cause par la délinquance !

M. Jean-Antoine Leonetti.

La liberté de se promener seul la nuit à huit ans !

Mme la garde des sceaux.

Elle ignorerait, en outre, la possibilité, d'ores et déjà inscrite dans les textes, pour le juge des enfants, de prendre toute mesure de protection à l'égard d'un mineur en danger dont les parents n'apparaissent pas à même de préserver la sécurité, et la faculté pour le procureur de la République d'intervenir en urgence la nuit, afin d'ordonner le placement d'un mineur en situation de danger.

Enfin, je ne peux souscrire à la disposition qui tendrait à priver le procureur de la République ou le juge d'instruction de la faculté d'ordonner une mesure de réparation lorsqu'elle est unanimement considérée comme particulièrement adaptée aux infractions commises par les mineurs, puisqu'elle leur permet d'appréhender leur responsabilité, de comprendre la portée de leurs actes tant à l'égard de la victime que de la société.

Cette analyse très critique, qui me conduit à rejeter votre volonté de modifier l'ordonnance de 1945,...

M. Bruno Le Roux.

Ouf !

Mme la garde des sceaux.

... me donne l'occasion de faire le point sur l'action engagée par le Gouvernement avec l'appui résolu de sa majorité depuis maintenant vingt et un mois, ce dont je la remercie.

M. Guy Teissier.

C'est la minute de pub !

Mme la garde des sceaux.

C'est vous qui m'avez offert cette possibilité. Pourquoi devrais-je me priver de la saisir ?

M. Michel Herbillon.

C'est de l'autopromotion !

Mme la garde des sceaux.

Les trois conseils de sécurité i ntérieure qui se sont successivement réunis les 8 juin 1998, 2 octobre 1998 et 27 janvier 1999...

M. Michel Herbillon.

Vive les colloques et les tables rondes !

Mme la garde des sceaux.

... ont déterminé un plan cohérent de lutte contre la délinquance juvénile. Ce plan d'action, monsieur Herbillon, s'articule autour de trois axes principaux.

Premier axe : une réponse systématique, rapide, adaptée et lisible à chaque acte de délinquance. Deuxième axe : une meilleure coordination de l'intervention de tous les ministères concernés, qui passe par la promotion de nouvelles méthodes d'intervention des services de l'Etat et leur mobilisation autour d'un projet d'action territorialisé.

Il s'agit aussi, bien entendu, d'assurer une coordination entre les services de l'Etat et les conseils généraux, dont on ne soulignera jamais assez qu'ils sont responsables, depuis les lois de décentralisation, de la prévention de la délinquance. Or, vous le savez, messieurs de l'opposition, nombre de conseils généraux que vous présidez ne font plus grand-chose en la matière. Ce désengagement est d'ailleurs l'un des problèmes auxquels nous sommes confrontés.

M. Jean-Pierre Blazy.

C'est tout à fait vrai dans le Vald'Oise, par exemple !

Mme la garde des sceaux.

Troisième axe, enfin : une action sur l'environnement des jeunes qui passe par l'aide et la responsabilisation des parents, le renforcement du rôle de prévention de l'école, l'amélioration de l'accès à l'emploi des jeunes.

Ces axes ont été repris dans le cadre d'une circulaire de politique pénale que j'ai adressée le 15 juillet 1998 à l'ensemble des procureurs généraux et des procureurs de la République, ainsi que dans la circulaire interministérielle du 6 novembre 1998.

S'agissant d'abord de la nécessité d'apporter une réponse judiciaire rapide et systématique, les bilans d'application de ces circulaires adressées par les parquets généraux et les préfets se révèlent positifs. La pratique des parquets tend à faire en sorte qu'à chaque acte une réponse soit donnée, ce qui vise à mettre fin à l'impunité dont pouvaient bénéficier certains mineurs primo-délinquants, mais aussi à détecter plus précocement les mineurs qui nécessitent une intervention.

Toutes les possibilités ouvertes par le Conseil de sécurité intérieure du 8 juin 1998 ont été explorées. Les parquets se sont montrés particulièrement actifs en appliquant aux mineurs un certain nombre d'innovations déjà mises en place pour les majeurs.

Premièrement, le traitement en temps réel. Je voudrais rappeler ici que l'ordonnance du 2 février 1945 a fait l'objet de différentes réformes, dont celles issues de la loi du 8 février 1995 et de la loi du 1er juillet 1996. Ces dernières ont eu pour objectif de réduire le délai entre l'interpellation du mineur et sa comparution devant le juge des enfants.

En instituant la convocation par officier de police judiciaire aux fins de mise en examen puis de jugement, ces dispositions permettent que, dès la fin de la garde à vue, le mineur et ses parents se voient remettre une convocation les invitant à se rendre à une date précise devant le juge des enfants.

Par ailleurs, en créant la procédure de comparution à délai rapproché, elles permettent au procureur de la République, lorsqu'il défère un mineur devant le juge des enfants pour sa mise en examen, de demander à ce magistrat de fixer l'audience de jugement, dans son cabinet ou devant le tribunal pour enfants, dans un délai d'un à trois mois.

La part prise par ces procédures rapides dans les poursuites pénales n'a cessé de s'accroître ; elle était de 65 % en 1997.

Deuxièmement, le développement des réponses alternatives : avertissements, classements sous condition, interventions des délégués du procureur. Ceux-ci étaient près de 200 à la fin de 1998, contre une centaine en juin 1998, mais le Conseil de sécurité intérieure du


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27 janvier dernier souhaite qu'il en ait 200 de plus. Le projet de loi relatif aux alternatives aux poursuites et renforçant l'efficacité de la procédure pénale prévoit d'institutionnaliser ces mesures.

Troisièmement, les mesures de réparation qui permettent aux délinquants de mieux comprendre la gravité des faits par une confrontation rapide à leurs conséquences tant pour la victime que pour lui-même et ses parents. En 1998, 6 300 mesures de ce type ont été réalisées et ont en prévoit 4 320 supplémentaires en 1999.

S'agissant d'apporter une réponse immédiate et adaptée à l'acte de délinquance, je rappelle que si la réponse doit être rapide et systématique, elle doit être adaptée à la nature des faits et à la personnalité du mineur. Aussi, à côté des mesures que je viens de citer, qui s'adressent essentiellement à des mineurs primo-délinquants, le Gouvernement n'a pas méconnu la nécessité de mieux répondre à la situation spécifique des mineurs multirécidivistes ou ayant commis des actes d'une particulière gravité.

En effet, à l'égard de ces mineurs pour lesquels un éloignement immédiat de leur lieu de vie aura été décidé par le magistrat et pour lesquels une prise en charge éducative renforcée, de jour comme de nuit, sera nécessaire, cinquante centres de placement immédiat strictement contrôlés et préparant leur orientation ultérieure seront créés d'ici à 2001, quinze d'entre eux seront mis en place dès 1999.

De même, à l'égard des mineurs pour lesquels un séjour de rupture de quelques mois est nécessaire, le programme de développement des centres éducatifs renforcés sera accéléré afin de permettre de disposer d'un total de 100 unités à la fin de l'année 2000.

Par ailleurs, il importait de veiller à l'amélioration de la prise en charge des mineurs détenus. N'oublions pas que 4 038 mineurs ont été détenus en 1998. Le plan d'action est en cours de réalisation. Il repose sur l'adaptation de l'action éducative, sur l'amélioration effective des conditions de détention, par la création de petites unités et donc la suppression des grands centres de détention comme à Fleury-Mérogis, par exemple, sur l'affectation de personnels mieux formés et spécialisés, et aussi sur une intensification de l'action éducative en prison.

S'agissant maintenant de l'administration de la protection judiciaire de la jeunesse, l'évolution de la délinquance - dans sa quantité et dans ses formes - et la complexité des situations familiales des mineurs ont conduit le Gouvernement à l'élaboration d'un nouveau projet pour la PJJ dont les missions du secteur public se recentrent sur le diagnostic, l'orientation et l'exécution des mesures et peines prononcées à l'égard des mineurs délinquants ainsi que leur prise en charge.

Une circulaire d'orientation a été adressée en ce sens le 24 février 1999 à tous les services déconcentrés de la protection judiciaire de la jeunesse. Bien sûr, cette circulaire a été signée par sa directrice, mais, comme pour tout ce qui relève de mon ministère, j'en assume pleinement la responsabilité.

Pour mener à bien ces objectifs, le Gouvernement a dégagé des moyens importants, notamment en ce qui concerne mon ministère.

D'abord, les budgets de 1998 et 1999 ont déjà démontré une priorité renouvelée accordée par ce gouvernement à la protection judiciaire de la jeunesse. Nous avons ainsi recruté 100 personnes de plus en 1998, et 150 en 1999.

M. Gérard Bapt.

C'était nécessaire !

Mme la garde des sceaux.

Effectivement, monsieur Bapt ! Cela représente 250 personnes de plus en deux ans, contre 317 en dix-sept ans, entre 1980 et 1997.

Au cours du Conseil de sécurité intérieure du 27 janvier dernier, le Gouvernement a décidé de passer à une vitesse très supérieure s'agissant des moyens, et a mis en place un programme sans précédent.

M. Guy Teissier.

Sans argent !

Mme la garde des sceaux.

C'est ainsi que 1 000 éducateurs seront recrutés d'ici à 2001. Lorsqu'on sait qu'ils ne sont que 3 000 aujourd'hui, on mesure l'importance de l'effort consenti. Dès 1999, un concours exceptionnel sera organisé. Mais nous allons aussi recruter cinquante juges des enfants et vingt-cinq substituts des mineurs, et augmenter les effectifs des personnels de surveillance spécialisés.

Le Gouvernement a donc fait preuve de pragmatisme et de cohérence, en s'appuyant sur l'analyse, les réflexions et les conclusions des différents rapports, qui tous préconisent, non pas une réforme de la loi - ils écartent même nettement cette idée -, mais une amélioration et une augmentation des moyens nécessaires et une meilleure orientation des actions. C'est dans cette voie qu'il a choisi de s'engager. C'est le cap qu'il a l'intention de tenir, tout en menant une réflexion constante sur ce problème de fond de la délinquance des mineurs.

Notre principal objectif est de mettre en place des mesures concrètes et rapides et de veiller constamment à trouver, sur le terrain, au plus près de ces jeunes, le bon équilibre entre prévention, répression, sécurité et réins ertion. N'oublions jamais que notre principal souci doit être de réinsérer ces jeunes délinquants dans leur famille, leur quartier et dans la société. Rien ne serait pire, en effet, qu'une société qui aurait pour fantasme de mettre à l'écart les jeunes délinquants et de ne plus en entendre parler.

(Applaudissements sur plusieurs bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. Guy Teissier.

C'est pourtant ce qui se passe à l'heure actuelle !

M. Michel Herbillon.

Nous n'avons, quant à nous, jamais proposé cela !

Mme la garde des sceaux.

C'est un peu comme cela, hélas ! que certains raisonnent.

Je remercie en tout cas M. Cardo de m'avoir permis de faire le point sur ce très important sujet.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Pierre Cardo, rapporteur.

Madame la garde des sceaux, nous sommes d'accord sur le constat s'agissant du contexte social, de la précarité, des mécanismes d'intégration sociale qui ne fonctionnent plus. Mais la compréhension des phénomènes ne constitue en aucun cas une excuse ou une condamnation. D'ailleurs, ce manichéisme doit disparaître de nos comportements.

Vous avez parlé, madame la ministre, de discriminations à l'embauche à l'encontre des jeunes issus des quartiers, notamment pour ceux d'origine étrangère. Mais n'y a-t-il pas discrimination dans la mise en oeuvre des mesures adoptées pour lutter contre le problème du chômage quand les emplois Aubry ne prévoient pas une priorité d'embauche pour les jeunes issus des quartiers, sans qualification, et pour les adultes en chômage de longue durée ?


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M. Guy Teissier.

Tout à fait !

M. Pierre Cardo, rapporteur.

De même l'éducation nationale a recruté essentiellement à bac + 2 pour des postes qui soit correspondent à des emplois réels - dans ces conditions pourquoi ne pas les créer ? -, soit portent sur des emplois relativement peu qualifiés, mais alors pourquoi demander un tel niveau de qualification ? Cette remarque est liée à la volonté d'impliquer les adultes, car, si l'on veut qu'ils viennent nous aider dans l'action à mener en direction des mineurs et qu'ils jouent pleinement leur rôle de parents, il faut leur donner une place dans la société. Or nous ne l'avons pas fait.

En ce qui concerne l'article 7 de la proposition relatif à la détention provisoire, vous avez rappelé la position que j'avais exprimée, il y a quelques années, à propos des mineurs. Cela tient au fait que le système carcéral n'est pas actuellement adapté à l'usage que nous voudrions faire de la détention provisoire. C'est pourquoi j'insiste tant sur la nécessité de créer sur tout le territoire de nombreux établissements carcéraux de petite taille adaptés aux mineurs.

Personnellement, je ne suis pas favorable à une modification de la détention provisoire pour les majeurs, en tout cas pas de l'ampleur que certains souhaitent. Je suis complètement cohérent dans mes positions sur ce sujet.

S'agissant des prestations familiales, vous avez rappelé les conditions dans lesquelles la loi autorise déjà leur suspension, en soulignant que c'est la personne qui assume la charge de l'enfant qui doit les percevoir. N'oublions pas cependant que la loi de 1954 impose aussi aux parents l'obligation de mettre en oeuvre les moyens nécessaires à l'épanouissement des enfants. Or est-elle vraiment assurée quand des enfants de deux ans et demi ou trois ans traînent dans les cités à deux heures du matin ?

M. Jean-Antoine Leonetti.

C'est sans doute le respect de la liberté d'aller et venir !

M. Pierre Cardo, rapporteur.

Est-ce également en vertu de cette liberté d'aller et venir que l'on doit considérer qu'un enfant mineur de moins de treize ans, n'ayant pas de responsabilité pénale, peut circuler librement, sans accompagnement, dans des lieux dangereux ? Selon vous, la disposition restrictive que je propose à cet égard serait contraire à la Constitution. Pourtant, la circulation des mineurs et même des adultes est déjà interdite dans certains lieux en raison du danger que cela représente. Les maires prennent tous les jours des arrêtés en ce sens. Pourquoi cela ne serait-il pas possible alors qu'il s'agit de protéger des mineurs que l'on veut tant éviter de mettre en danger ?

M. Guy Teissier.

Sans doute parce que cela n'est pas important !

M. Pierre Cardo, rapporteur.

A propos de l'éventuelles uspension du versement des allocations familiales, madame la garde des sceaux, vous avez glissé sur le fait que, dans le cas d'abandon d'enfants, le code pénal prév oit deux ans d'emprisonnement et quelque 100 000 francs d'amende à l'encontre des parents qui n'assument pas leur responsabilité éducative. Or ces dispositions sont relativement inadaptées, car ce n'est pas depuis la prison que les parents pourront mieux s'occuper de leurs enfants !

M. Jean-Antoine Leonetti.

C'est clair !

M. Guy Teissier.

Très bien !

M. Pierre Cardo, rapporteur.

D'ailleurs les magistrats n'utilisent pas ces dispositions parce qu'ils estiment qu'elles sont particulièrement inadaptées.

Je peux comprendre votre refus de réformer l'ordonnance de 1945. Pourtant, elle devrait être un peu modifiée, comme le code pénal d'ailleurs, en la matière.

Je m'en tiens là pour l'instant, en vous remerciant beaucoup pour votre intervention.

Discussion générale

M. le président.

Dans la discussion générale, la parole est à M. Guy Teissier.

M. Guy Teissier.

Madame la garde des sceaux, les élus que nous sommes sont quotidiennement confrontés à une montée régulière de la délinquance.

Pour peu que nous détenions un mandat de maire, il ne se passe pas une journée sans qu'un concitoyen nous saisisse d'une agression dont il a été victime ou de faits délictueux qui se sont déroulés à proximité de son domicile. Par définition, élus de terrain, nous devenons le réceptacle de toutes les craintes, de toutes les peurs, fondées ou infondées, lesquelles, bien souvent, sont attisées par une médiatisation à outrance qui conduit inéluctablement à la quasi-institutionnalisation d'un sentiment d'insécurité.

Les maires, nombreux dans cet hémicycle - vous l'avez souligné, mais il semblait qu'il n'y en avait que sur un côté de l'hémicycle -, se trouvent trop souvent impuissants. Le pire est que, quelles que soient les politiques d'écoute et de prévention que les uns ou les autres nous menons dans nos communes pour essayer d'endiguer ce phénomène, par le développement d'activités sportives ou par l'animation, nous nous heurtons à une progression continue de la délinquance.

Les événements de la Saint-Sylvestre, notamment à Strasbourg, en sont la triste illustration.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Evidemment !

M. Guy Teissier.

Aujourd'hui, chacun peut constater un rajeunissement inquiétant des auteurs de cette délinquance juvénile - vous l'avez vous-même reconnu dénoncée dès 1991, dans un rapport du Conseil national des villes. Cette tendance, un temps limitée à certains quartiers urbains, tend aujourd'hui à se généraliser sur l'ensemble du territoire national. Cette triste réalité a d'ailleurs été confirmée par les différents chiffres de la délinquance. Ainsi, en 1998, 45 % des vols avec violence et plus de 15 % des atteintes aux moeurs ont été commis par des délinquants mineurs. Fait notable, et non moins inquiétant, les mineurs recourent de plus en plus à la violence pour voler les voitures, les téléphones portables, ou, tout simplement, pour détruire.

Certes, notre société souffre d'une cassure profonde du lien social, dont l'un des aspects est la remise en cause du respect de la loi : familles éclatées, recomposées, marginalisées, violence et maltraitance, échec scolaire, formation précaire, chômage de longue durée, urbanisme déshumanisé, crise des valeurs, rejet de la citoyenneté. Bien souvent, ces jeunes gens portent l'héritage d'une, voire de deux générations de parents sans statut.

Toutefois, les causes de cette délinquance ne suffisent pas à la pardonner. D'aucuns de vos amis, qui fleurissent, nous dit-on, vos cabinets, pourront toujours nous expliquer que, dans cet environnement complexe et destructif, les jeunes les plus fragilisés rencontrent de nouveaux modèles associaux qui ont, en quelque sorte, occupé le vide laissé par la disparition des repères traditionnels que sont la famille, l'éducation, l'autorité, la liberté, la respon-


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sabilité. Ils pourront toujours nous expliquer que ces jeunes - puisque c'est le terme qui plaît pour qualifier nos délinquants - découvrent l'acte délictueux comme une affirmation de leur autonomie.

Malheureusement pour eux - et pour nous - et malgré le travail, que vous qualifiez d'excellent, madame la garde des sceaux, accompli par les magistrats et par les éducateurs, considéré comme seule réponse à la délinquance, on ne peut que constater un taux de récidive qui tend à démontrer l'inadaptation de la réponse judiciaire par l'éducation.

Vous semblez avoir découvert depuis peu - et vous venez de le rappeler - certaines vertus à la répression.

C'est du moins ce qu'on lit ici ou là. Récemment, sur une chaîne publique, l'émission Des racines et des ailes a mis en valeur, par procureur général interposé, votre politique pénale et vous venez d'en présenter un catalogue démonstratif.

Pour le moment, à part des colloques et quelques effets d'annonce, votre bilan laisse nos concitoyens dubitatifs.

Depuis que vous êtes au Gouvernement, ni stabilisation ni inversion de la courbe de la criminalité n'ont été constatées. Bien au contraire, nous avons malheureusement assisté à une croissance du nombre de délits. Et ce ne sont pas les déclarations faites par les membres de votre gouvernement qui rassureront les personnes âgées ou les parents d'enfants rackettés, ni même les propriétaires de voitures brûlées : 8 000 au cours de la dernière année.

Tel est le triste bilan que nous pouvons dresser et qui illustre l'échec de votre politique.

Face à cette situation, le temps de la réflexion est terminé. Il faut désormais se consacrer à l'action.

On peut comprendre vos réticences et accepter les erreurs d'une politique caractérisée par une absence de réalisme et sans doute trop marquée du sceau de l'idéologie. A Démocratie libérale, nous avons fait un choix inverse, celui de la responsabilité, car il est seul de nature à permettre enfin la mise en oeuvre de moyens légaux, pour lutter avec efficacité contre ce nouveau fléau qu'est la délinquance juvénile.

Pierre Cardo, à Chanteloup-les-Vignes, et moi-même, à Marseille, nous connaissons ces nouvelles formes de délinquance et l'exaspération de nos concitoyens honnêtes et calmes qui travaillent, qui paient des impôts, qui aspirent à une tranquillité bien légitime que l'Etat n'est plus en mesure de leur assurer.

Notre groupe a donc décidé de présenter des propositions concrètes et de bons sens, me semble-t-il, rapidement applicables, avec un coût neutre.

La première est la limitation des possibilités de circulation pour les mineurs non accompagnés. Elle répond à une attente très forte des maires, toutes tendances confondues, et du plus grand nombre de nos concitoyens.

Notre groupe propose également, madame la ministre, de réformer l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante. En effet, madame la ministre, la loi n'étant que le reflet des moeurs du temps, ce texte n'est plus adapté à la situation actuelle sur plusieurs points : garde à vue, instruction et jugement, mise en examen et détention provisoire.

Nous proposons également la création de pôles d'accueil pour les jeunes en difficulté.

Nous suggèrons aussi de davantage responsabiliser les parents d'enfants délinquants. A cet égard, Pierre Cardo a donné une réponse qui m'a paru tout à fait judicieuse.

Ainsi, le montant des allocations familiales suspendues pour les parents serait reversé à la personne ou à l'établissement qui accueillerait le jeune délinquant.

Toutes ces propositions sont autant d'actions concrètes pour contribuer efficacement à la lutte contre la délinquance des mineurs. C'est la raison pour laquelle notre groupe soutiendra la proposition de loi présentée par M. Pierre Cardo. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à M. Guy Hascoët.

M. Guy Hascoët.

Je commencerai en soulignant que je suis un peu triste de voir qu'un sujet aussi difficile - l'orateur précédent l'a encore démontré - puisse être utilisé à des fins politiciennes.

M. Jean-Antoine Léonetti.

Parce que les Verts ne sont jamais politiciens !

M. Guy Hascoët.

Monsieur Leonetti, je n'ai interrompu personne. Je vous prie donc de m'écouter sans intervenir.

En fait, le texte proposé prend le problème à l'envers et ne traite que des effets produits au bout de la chaîne, aux conséquences, sans s'attaquer aux causes qui mériteraient pourtant un vrai débat.

M. Pierre Cardo, rapporteur.

Il faut lire le rapport !

M. Guy Hascoët.

Je regrette d'ailleurs, monsieur le rapporteur, que cette parole soit portée par vous, car je sais que, sur certains points, vous avez une vision réaliste que je peux partager.

M. Pierre Cardo, rapporteur.

Merci !

M. Guy Hascoët.

Contrairement à ce qui s'est passé dans de nombreux pays européens, la société française a accepté, depuis vingt ans, que le chômage pèse essentiellement sur la jeunesse. Alors que le taux de chômage des jeunes correspondait au taux global dans les autres Etats, nous l'avons laissé déraper jusqu'à 25 %, 60 % dans certains quartiers et 85 % pour les jeunes issus de l'immigration dans ces quartiers. Telle est la triste réalité dans la moitié des quartiers de ma circonscription.

La société française a ainsi laissé des familles entièress'enfoncer progressivement dans l'exclusion, ce qui explique les phénomènes que tout le monde constate et regrette aujourd'hui. Nous cherchons maintenant les remèdes après avoir laissé se propager l'incendie.

La sécurité est un droit, surtout pour les plus fragiles dans la société. A cet égard, il ne faut pas laisser subsister la moindre ambiguïté. Lorsque nous avons débattu de l'éloignement de certains jeunes cet hiver - Mme la garde des sceaux vient de le rappeler -, nous avons eu une position très claire. Néanmoins, il faut se garder de certaines confusions : la question essentielle ne porte pas sur le point de savoir s'il faut approuver l'éloignement ou si l'on doit s'y opposer. Elle est celle de la meilleure manière de « reconstruire » le jeune délinquant.

On nous parle de prison. On évoque l'abaissement de l'âge où l'incarcération devient possible. Mais quel est le fondement de ces demandes ? Quelle est la démarche pédagogique ? Ainsi qu'en témoignent les statistiques, on a la plupart du temps affaire à des jeunes qui sont déchirés du point de vue de l'identité, qui estiment qu'ils n'ont pas de raisons d'exister, qui ont subi des violences et qui se demandent donc dans quel monde ils vivent.

M. Pierre Cardo, rapporteur.

Cela n'excuse rien !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 MARS 1999

M. Guy Hascoët.

L'enfermement, véritable placebo, est évidemment une méthode. On procédera comme en Amérique ! On enverra en prison un certain nombre de gens et on établira des statistiques - dans lesquelles le taux de chômage aura apparemment baissé. Mais qu'aurat-on résolu ?

M. Jean-Antoine Leonetti.

Ce n'est pas l'objet de la proposition de loi ! Vous caricaturez !

M. Guy Hascoët.

Pas du tout ! Il est au contraire indispensable de créer des centres d'accueil avec un encadrement adéquat, de suivre une démarche permettant de reconstruire les individus. En effet, si ces jeunes délinquants ne se respectent pas euxmêmes, vous ne parviendrez jamais à leur faire prendre conscience de la nécessité du respect de l'autre. Là réside la véritable question de fond.

On parle aussi de responsabiliser les parents. On ne peut évidemment qu'être très inquiet quand on voit des gamins de huit ans faire le guet pour le compte d'une bande, dans un quartier, à minuit ou une heure du matin.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Que faites-vous donc de la liberté ? (Sourires sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. Guy Hascoët.

La vraie question est celle de la protection de l'enfance. Quand j'entends parler de la double peine sociale sur les allocations familialles, de l'individuenfant, du couple parent comme si l'enfant était seul dans la famille, je me demande ce que devient, avec la suppression des allocations familiales, le droit des autres enfants de la fratrie d'être simplement nourris régulièrement et convenablement. Cela est beaucoup plus fréquemment le cas qu'on ne l'imagine.

M. Gérard Bapt.

C'est un vrai problème !

M. Guy Hascoët.

La solution prétendument simple que vous préconisez est éminemment dangereuse, car elle accentuera les déséquilibres et fera subir à d'autres enfants des difficultés et des souffrances que l'on n'imagine apparemment pas sur tous les bancs ici.

Je souhaite effectivement une loi sur la jeunesse et les droits de l'enfance. Il est frappant de voir comment notre société des inclus peut se mobiliser médiatiquement pour une légère recrudescence du nombre de morts sur les routes, qui a pourtant été ramené auparavant de plus de 12 000 à 8 000 en quelques années, alors que presque personne ne s'émeut du fait que le nombre de suicides de jeunes durant la même période est passé de 8 000 à plus de 12 000. Il n'en est pratiquement jamais question, sans doute parce que les inclus s'inquiètent davantage du risque qu'ils courent sur les routes ! Peu leur importent les causes pour lesquelles, chaque année, 12 000 jeunes décident de mettre fin à leurs jours.

Peu leur importe le développement du désir de fuite qui aboutit - mais je ne vais pas reprendre la thèse de Mon oncle d'Amérique - au recours aux stupéfiants et au suicide. Ces deux phénomènes sont pourtant ravageurs. Ils sont des conséquences de l'évolution de notre société.

Je veux encore appeler l'attention sur un troisième phénomène lié au développement des jeux vidéo qu'il faudrait réglementer beaucoup plus strictement. En effet, ils mettent de très jeunes enfants - pour reprendre le titre d'un livre célèbre - face à la mort.

M. Jean-Antoine Leonetti.

C'est vrai !

M. Michel Herbillon.

Vous avez raison !

M. Guy Hascoët.

Ils sont donc placés face à un élément d'angoisse qu'ils ne peuvent pas assimiler puisque l'on sait très bien que la conscience du vivant et du mort n'apparaît qu'entre cinq et huit ans, selon la précocité des enfants. On laisse donc se développer des pratiques qui mettent très tôt les enfants en contact avec la violence, avec l'angoise de la mort, avec la morbidité. Ils sont ensuite complètement « paumés ». Pour peu que cela se croise avec une violence réelle dans le milieu familial, vous avez un cocktail explosif.

Si nous ne traitons pas transversalement de toute une série de questions en nous attachant au droit des jeunes à accéder au marché du travail, avec tous les problèmes de discrimination, en raisonnant plus en profondeur qu'avec des mesures simplistes sur le phénomène de la drogue, en abordant le sujet de la violence dans les jeux vidéo et dans l'audiovisuel, en veillant à la protection de l'enfance, nous n'aurons aucune légitimité à instaurer des peines pour punir les enfants. Si nous avons un devoir, en la matière, il doit s'exercer dans les deux sens.

Nous abordons des sujets importants au travers de débats partiels. Nous devons donc prendre le temps de bien les travailler. Je suppose que nous sommes nombreux sur tous les bancs à y être prêts.

M. Jean-Antoine Leonetti.

C'est le cas.

M. Guy Hascoët.

Je regrette donc que le texte proposé n'aborde qu'un aspect très segmenté de la question et ne s'attaque qu'à des conséquences sur le terrain de phénomènes négatifs que l'on voudrait ne pas voir exister. Si l'on ne traite pas de l'ensemble des autres problèmes, on ne résoudra rien.

Alors que j'avais préparé la conclusion de mon propos, j'ai failli changer d'avis en apprenant le nom du rapporteur. Je la formule tout de même : cette proposition de loi me donne le sentiment que l'on reproche aux exclus de l'être.

M. Pierre Cardo, rapporteur.

Ce n'est pas le cas !

M. Guy Hascoët.

Je sais que vous ne pensez pas cela, monsieur le rapporteur, mais telle est sans doute la philosophie d'autres personnes.

J'ai donc eu l'impression d'avoir affaire au scénario d'un film fellinien, tout à fait sordide, qui aurait été intitulé Salauds de pauvres.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Si ce n'est pas de la caricature !

M. Guy Hascoët.

C'est la réalité.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Vous ne connaissez pas M. Cardo !

M. Guy Hascoët.

Il n'est pas visé par mes propos !

M. le président.

La parole est à M. Jean de Gaulle.

M. Jean de Gaulle.

Madame la garde des sceaux, il aura donc fallu attendre la niche parlementaire pour que, grâce à l'opposition, nous puissions enfin débattre d'une question ô combien préoccupante pour notre société : celle de la délinquance des mineurs et de son évolution.

Pourtant, comme le Président de la République y a exhorté le Gouvernement le 16 janvier dernier, il y a urgence à agir pour enrayer cette très inquiétante croissance de la violence juvénile dans nos quartiers et dans nos cités. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : le nombre de mineurs mis en cause pour un crime ou un délit a, en


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effet, augmenté de 57 % depuis 1994, de 11 % encore l'an dernier, atteignant 171 787 personnes en 1998 contre 104 437 en 1980.

Cette délinquance juvénile se caractérise aujourd'hui par la diminution de l'âge des mineurs mis en cause dans des faits de plus en plus graves et violents et par la multiplication des agressions commises en groupe, voire en bandes, dont les effets sur les populations - surtout sur les plus fragiles - sont légitimement devenus insupportables.

L'appropriation des espaces publics par des bandes organisées, le vandalisme, les violences verbales, voire les tentatives d'intimidation sont souvent les prémices d'incidents plus graves, susceptibles de se déclencher au m oindre prétexte et d'atteindre alors une violence extrême. Il s'agit là, mes chers collègues, de situations devenues - hélas ? - ordinaires. Je me refuse, pour ma part, à les banaliser.

Je ne m'étendrai donc pas sur ce constat que chacun, de bonne foi, ne peut contester et évoquerai les principales mesures qui me paraissent aujourd'hui s'imposer. Je les regrouperai volontiers sous trois objectifs principaux : mettre fin à l'impunité des mineurs, améliorer les politiques de prévention et renforcer la responsabilisation des familles.

Premier objectif : mettre fin au sentiment d'impunité qui nourrit la délinquance juvénile et favorise trop souvent la récidive. Il n'y a probablement pas de préalable à la reconquête de nos quartiers plus indispensable, plus urgent et plus unanimement reconnu que celui-là.

J'ai moi-même pu le constater lorsque je préparais ma proposition de loi tendant à la lutte contre la délinquance des mineurs et à la prévention de la violence juvénile que j'ai déposée en décembre dernier. Magistrats, avocats, p oliciers, éducateurs, psychologues, enseignants, tous avaient tenu à souligner combien il est nécessaire de veiller au respect effectif des règles de vie en société et de sanctionner au plus tôt leur transgression.

Atteindre cet objectif exige certainement d'accorder des moyens humains et matériels nouveaux aux forces de l'ordre et aux services de la justice pour permettre aux premiers de renforcer leur présence dans les quartiers difficiles et pour permettre aux seconds de réduire le trop grand nombre de classements sans suite, dont l'impact chez le mineur primo-délinquant est si déplorable qu'il faudrait peut-être envisager de les interdire purement et simplement lorsqu'un mineur est en cause.

Atteindre cet objectif exige également de recourir plus fréquemment aux procédures les plus rapides, pour donner tout son sens à la sanction, incomprise lorsqu'elle est trop tardive. Des progrès ont été accomplis dans ce domaine avec la création, à l'initiative du gouvernement d'Alain Juppé, des procédures de convocation par officier de police judiciaire et de comparution à délais rapprochés. Ils peuvent être renforcés par une utilisation plus grande de la faculté offerte aux magistrats du siège comme du parquet d'imposer une mesure d'aide aux victimes ou de réparation. Cette dernière est régie par l'article 12-1 de l'ordonnance de 1945 et, m'éloignant sur ce point de la proposition de notre collègue Cardo, je souhaite pour ma part qu'elle soit préservée dans ses modalités actuelles. Elle me paraît, en effet, constituer un moyen appréciable pour la mise en oeuvre du principe de

« tolérance zéro ».

Effective, rapide, la sanction doit naturellement être proportionnée. Pour cela, il faut se doter des quelques dispositifs qui font aujourd'hui défaut, notamment par rapport aux individus les plus violents et à certains jeunes qui « méprisent les lois » et « ne reconnaissent plus, audessus d'eux, l'autorité de rien et de personne », instaurant ce que Socrate considérait comme le « début de la tyrannie ».

Le premier de ces dispositifs implique une modification de l'ordonnance de 1945 pour réserver le bénéfice de l'atténuation de minorité aux seuls primo-délinquants, permettant ainsi de sanctionner plus durement les multirécidivistes.

Le second de ces instruments, au coeur de la proposition de loi dont nous débattons ce matin, réside dans la création d'établissements carcéraux à effectif réduit, spé cifiques aux mineurs les plus délinquants. Ils offriraient ainsi une alternative à la fois à l'incarcération des mineurs dans le système pénitentiaire habituel - en l'espèce peu souhaitable - et aux actuels centres d'accueil, de placement immédiat ou encore d'orientation.

Les structures en milieu ouvert se sont, en effet, révélées souvent inadaptées et ces établissements spécialisés permettraient de rendre plus effectif l'éloignement de certains « caïds » qui veulent imposer leur loi.

Ces établissements compléteraient ainsi la gamme des dispositifs existants, notamment les internats et les unités éducatives à encadrement renforcé, créés à l'initiative d'Alain Juppé et de Jacques Toubon. Rebaptisés récemment dispositifs ou centres éducatifs renforcés, ils sont encore trop peu nombreux.

Certes, nous le savons bien, les mesures répressives, au d emeurant indispensables, ne suffisent pas pour combattre les noyaux durs de la délinquance. Bien sûr, je n'entrerai pas dans le débat stérile qui oppose répression et prévention et qui n'est d'ailleurs que prétexte à l'imm obilisme. Ces deux politiques sont indissociables.

C'était d'ailleurs bien l'esprit de l'ordonnance de 1945 et il convient de le maintenir.

La difficulté réside en réalité dans la définition de ce qui relève du répressif et du préventif, étant précisé que la prévention suppose une détection de la délinquance le plus en amont possible.

Rien ne serait dès lors plus regrettable que de continuer à banaliser ce qu'il est convenu de qualifier des

« incivilités », nombre d'actes quotidiens plus ou moins agressifs qui contribuent à la dégradation des conditions de vie dans certains quartiers.

Il s'agit, bien souvent, de la première manifestation d'une dérive délinquante. Aussi, un suivi plus systématique des mains courantes des commissariats, associant tous les services concernés de la justice, de la police, de l'aide sociale à l'enfance ou de la protection judiciaire de la jeunesse permettrait de repérer les jeunes en voie de basculement dans une délinquance plus marquée.

A ce signal d'alerte, nous pourrions en ajouter un autre, en limitant la circulation, la nuit, des mineurs de moins de treize ans non accompagnés. Cette mesure de prévention a été mise en oeuvre avec succès au RoyaumeUni par le gouvernement de Tony Blair. Elle offrirait ainsi une protection nouvelle à l'enfance en danger.

En effet, l'errance nocturne des mineurs de moins de treize ans en fait des proies faciles pour des adultes ou des grands adolescents qui vivent de petits trafics. Elle révèle, de surcroît, les difficultés qui peuvent exister dans certaines familles, notamment monoparentales ou dans l'impossibilité d'offrir à leurs enfants les repères dont ils ont besoin. S'intéresser à cette errance nocturne permettrait dès lors de repérer, de manière précoce, ces familles en rupture et de leur apporter un soutien adapté.


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Travailleurs sociaux, éducateurs ou bénévoles habilités ont évidemment un rôle majeur à jouer dans la prévention de la violence juvénile. Mais ils ne pourront se substituer à l'autorité parentale, dont il convient de renouveler et de renforcer la responsabilité. Une modulation du versement des allocations familiales pourrait y contribuer.

Elle pourrait être mise en oeuvre de manière précoce, avant même le placement du mineur délinquant. Pour cela, différentes solutions sont possibles : la suspension de ces prestations, leur affectation à des dépenses de scolarisation, comme l'a suggéré notre collègue Pierre Cardo, la c réation d'allocations familiales à points comme le défendent certains membres de notre assemblée ou encore un recours plus systématique à la tutelle aux prestations sociales.

Craignant les conséquences que pourrait avoir la fragilisation financière de certaines cellules familiales, redoutant leur basculement dans l'économie souterraine si présente dans les quartiers difficiles, je suis, personnellement, favorable au développement de la tutelle aux prestations sociales, tout en souhaitant qu'elle soit adaptée, pour ne pas se limiter à la seule prise en charge déresponsabilisante des budgets familiaux par le travailleur social.

Sa mise en oeuvre me paraît devoir être systématisée lorsqu'est décelé le signe d'une démission parentale, par exemple, en cas de refus du parent de déférer à la convocation d'un juge pour enfants ou en cas de récidive du mineur.

Renforcer la responsabilisation des parents, c'est aussi prévoir l'aggravation des peines sanctionnant le recel par un parent d'une chose procurée par la délinquance de son enfant, ou encore l'association de l'adulte à la réparation de l'acte délictueux commis par un mineur dont il est responsable. Cela rendrait visible l'action d'aide et de réparation envers les victimes tout en contribuant à rapprocher le mineur délinquant de ses parents, au travers d'une démarche solidaire. Elle pourrait, d'ailleurs, être proposée de manière alternative au versement d'une partie des prestations familiales aux victimes. Elle pourrait aussi devenir une modalité de règlement des amendes qui viendraient sanctionner immédiatement les délits les plus mineurs dans le cadre d'une politique de « tolérance z éro », préconisée par le Rassemblement pour la République.

Son introduction dans notre législation me semble d'autant plus souhaitable que l'article 227-17 du code pénal, qui sanctionne les manquements parentaux, n'est que trop rarement utilisé.

Mettre fin à l'impunité des mineurs, améliorer les politiques de prévention et renforcer la responsabilité parentale, telles sont les trois axes essentiels d'une véritable politique de prévention et de lutte contre la délinquance des mineurs. J'ai essayé, mes chers collègues, d'une manière très synthétique, de vous la décrire.

La plupart des mesures concrètes qu'elle requiert figurent dans le texte rédigé par notre collègue Pierre Cardo, texte que soutient bien évidemment le groupe du Rassemblement pour la République.

Il appartient maintenant au Gouvernement, en poursuivant l'examen des articles de la proposition de loi de notre collègue, de démontrer, au-delà de ses effets d'annonce, sa détermination à mettre en oeuvre les mesures concrètes et efficaces qui s'imposent.

Puissiez-vous, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, entendre la mise en garde de notre Président de la République : « Il y a urgence à agir. »

(Applaudissementss ur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Patrick Braouezec.

M. Patrick Braouezec.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mesdames, messieurs les députés, la proposition de loi qui nous est soumise a au moins le mérite de permettre à la représentation nationale de débattre de la préoccupante augmentation de la délinquance des mineurs.

M. Guy Teissier.

C'est un bon début !

M. Patrick Braouezec.

Ce sera la seule chose que j'y verrai de positif ! Cette proposition vise à réformer l'ordonnance du 2 février 1945 en y intégrant des mesures qui, sous des aspects de fermeté et au-delà de leur contenu répressif, sont à mes yeux celles du renoncement et de l'abdication de toute volonté collective.

Il s'agit d'instaurer un couvre-feu pour les mineurs de moins de treize ans, dont la transgression pourrait se traduire par la suspension des prestations familiales et de rendre possible la garde à vue et la détention provisoire pour les mineurs de moins de treize ans.

En matière de protection de l'enfance en danger, la proposition de l'instauration à l'initiative des maires d'un couvre-feu à partir de vingt-trois heures pour les mineurs de moins de treize ans non accompagnés a l'apparence du bon sens. Personne ne souhaite que des enfants de moins de treize ans restent livrés à eux-mêmes dans la rue passé vingt-trois heures, et même avant.

M. Guy Teissier.

Bravo !

M. Jean-Antoine Leonetti.

Très bien !

M. Patrick Braouezec.

Le problème, c'est que vous é voquez la responsabilisation. La contradiction est énorme. Si vous considérez qu'il faut une loi pour que les policiers, les voisins ou n'importe quel adulte prennent l'initiative de demander à un enfant de dix ans ce qu'il fait dans la rue à minuit ou à deux heures du matin et, le cas échéant, de le raccompagner chez lui, c'est qu'il est déjà trop tard.

L 'irresponsabilité, c'est aussi l'inflation législative.

Notre responsabilité de législateur, c'est de ne pas encourager cette dérive et de ne pas renforcer le sentiment d'insécurité.

Si l'on vous suivait, on prendrait des décrets, des arrêtés pour réguler la vie sociale, alors qu'il existe des textes sur l'enfance en dérive et que tous nos efforts doivent tendre au contraire à permettre aux institutions de réinvestir le terrain et aux citoyens d'agir et de se réapproprier la vie collective.

M. Guy Teissier.

Dans le cadre de la loi !

M. Patrick Braouezec.

De plus, ce couvre-feu serait mis en place sur tout ou partie du territoire de la commune : va-t-on une nouvelle fois stigmatiser les quartiers, définir des zones de non-droit ? Va-t-on créer une nouvelle catégorie de territoire, des « réserves à sauvageons » ? Ce n'est pas à coups de décrets et d'arrêtés municipaux que nous résoudrons ces difficultés.

Vous évoquez à nouveau les « quartiers difficiles », alors que le phénomène de la délinquance des mineurs tend à se généraliser. Aux actualités, on parle désormais de la banlieue de Besançon, d'Annonay ; on parlera bientôt de celle de Lamotte-Beuvron ou de Pleumeur-Bodou.


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A u risque de nous répéter, les « quartiers », les

« jeunes » ne sont pas les maux de la société, mais la manifestation la plus visible de son profond malaise. La société ne va pas mal parce qu'il y a des quartiers difficiles ; c'est l'inverse qui est vrai. La crise de l'Etat, de ses institutions, est simplement plus visible dans les quartiers où l'égalité d'accès aux services publics de proximité reste à conquérir. Stigmatiser certains jeunes, comme beaucoup le font ou l'ont fait, y compris à gauche, c'est les enfermer dans l'attitude qu'on leur prête.

Après un débat contradictoire dans le pays et au sein de la gauche, les rencontres nationales de prévention de la délinquance qui se sont tenues à Montpellier la semaine dernière ont défini un triptyque cohérent « prévention, sécurité, insertion ». Trois priorités ont été définies pour le Gouvernement : la présence effective d'une police de proximité, une réponse systématique aux actes de délinquance et des stragégies nouvelles de prévention.

Claude Bartolone a résumé l'esprit de ces journées : elles avaient pour but de démontrer que « le débat entre prévention et sanction est bien fini ». Les 1 500 acteurs de la politique de la ville qui s'étaient ainsi rassemblés n'ont pas réclamé plus de textes répressifs, mais plus de moyens humains et matériels, plus de travail en commun et un aggiornamento des institutions et de leurs méthodes de travail.

Le débat tel qu'il a été présenté jusqu'à présent divi se les gens et ne concourt pas à la recherche de solutions efficaces. Opposer la police et la justice, la police et la jeunesse, les parents qui connaissent des difficultés et ceux qui n'en connaissent pas, les enfants en difficulté et les autres, cela n'aide pas chacun à prendre ses responsabilités.

Plutôt que de confier à la seule police une prétendue nouvelle mission, il faut permettre le travail en réseau de l'ensemble des acteurs. Les institutions et le monde adulte en général doivent coproduire les normes qui régissent la vie de la cité et en assurer solidairement et collectivement le respect. Ce travail, difficile là où il est conduit, a le mérite de refonder la légitimité des règles élaborées et mises en oeuvre ensemble et de rompre avec le sentiment d'injustice ressenti par nombre de jeunes.

Il n'est plus possible de faire porter toute la responsabilité à la seule police. Pour cela, il faut non seulement renforcer la présence adulte, et sa cohésion, dans l'éducation nationale, la police, la justice, les services sociaux, les services publics de proximité, mais aussi associer les habitants à une prise en charge collective de la sécurité. C'est ce que nous nous efforçons de faire à Saint-Denis et ailleurs, au travers d'une démocratie de plus en plus participative.

Il ne s'agit pas d'angélisme mais d'un travail concret de longue haleine. Ces règles du vivre ensemble, élaborées et assumées collectivement, naissent parfois dans le conflit, la remise en question des méthodes de travail, mais pas dans le consensus mou.

En outre, Pierre Cardo évoque, dans son exposé des motifs, des mesures « inapplicables ou inappliquées » et en propose de nouvelles au lieu de tirer la seule conclusion qui vaille : réclamer des moyens nécessaires pour faire appliquer la législation existante. Il ne s'agit pas, une nouvelle fois, de jeter de la poudre aux yeux, de donner des illusions, ou de froncer les sourcils, mais de se retrousser les manches pour appliquer l'ordonnance de 1945 dans toute sa plénitude, de rétablir son esprit et la notion centrale d'éducabilité. Un pays qui met ses enfants en garde à vue n'a pas beaucoup d'avenir.

Quand on parle de responsabilité, on entend aussi celle des jeunes eux-mêmes. Or, elle est curieusement absente du texte de M. Cardo. Je ne pratique pas le discours

« victimaire » ou l'absolution sociologique. Je trouve cependant que l'exposé des motifs de la proposition de loi est abstrait et détaché des réalités sociales. Rejeter le déterminisme social est une chose ; c'en est une autre de présenter le problème ex nihilo et de ne pas remettre en cause la machine à exclure qui est aujourd'hui à l'oeuvre.

Il n'y a aucune fatalité sociologique à la délinquance.

Rien ne serait pire que de figer un jeune dans un statut de victime. Ce serait nier son individualité. Les choses ne sont pas figées. Les maires le savent bien. Le sauvageon d'hier est souvent le demandeur de logement d'aujourd'hui et le futur marié en mairie de demain. (Sourires.) Le vrai laxisme, c'est la déresponsabilisation, l'enfermement, dès le plus jeune âge, dans le rôle de délinquant que les mesures proposées, comme la prolongation de la garde à vue pour les mineurs, risquent de favoriser.

A la décharge de M. Cardo, je reconnais que le fait que son texte soit une impasse doit beaucoup aux rigueurs de l'article 40 de la Constitution, qui interdit aux parlementaires que nous sommes de proposer de nouvelles dépenses. Mais la contradiction que j'y vois s'explique aussi par l'idéologie de réduction des dépenses publiques et sociales. La prévention n'a pas échoué. Partout où elle est véritablement mise en oeuvre, elle donne des résultats. C'est à cause du manque de moyens que ceux-ci ne sont pas meilleurs.

Ainsi, l'équipe éducative de Saint-Denis couvre une population plus de deux fois supérieure à la population moyenne des secteurs, calculée au niveau national. En Seine-Saint-Denis, plus de 400 mesures éducatives sont en attente, faute d'éducateurs.

M. Cardo nous parle de laxisme alors que, en 1998, près de 80 % de l'activité de la protection judiciaire de la jeunesse dans notre département s'est concentrée sur le pénal et l'urgence, au détriment de l'intervention en amont et du signalement des enfants en danger. La tendance à l'incarcération des mineurs observée dans le secteur de Saint-Denis en 1996 et 1997 illustre les risques désastreux de fuite en avant répressive, dès lors que le maillon éducatif est insuffisamment pourvu. Il n'est pas rare de voir des mineurs « primo-délinquants » déférés et incarcérés, alors que la prison ne devrait être que l'ultime recours.

A Saint-Denis, de 1990 à 1997, les moyens de la protection judiciaire de la jeunesse ont diminué. Des structures telles qu'un restaurant ou un atelier coiffure d'insertion, qui ont prouvé leur efficacité, ont vécu dans la pénurie et l'insécurité budgétaire et ont dû fermer leurs portes pendant un temps. Je me félicite du reste que l'on ait pu leur donner les moyens de reprendre leur activité cette année.

De 1980 à 1997, le nombre de mineurs interpellés en France est passé de 104 000 à plus de 154 000, alors que le nombre d'éducateurs n'a progressé que de 317 postes.

La prévention, c'est aussi la dissuasion par la présence policière. Il y a deux fois moins de policiers par habitant à Saint-Denis que dans le XVIe arrondissement. Une fois encore, la politique de la ville n'appelle pas de mesures de prétendue discrimination positive, mais bien la simple égalité des citoyens devant la loi et les services publics.

Nous devons aiguillonner le Gouvernement dans sa volonté de remettre les policiers sur le terrain et de res-


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taurer la déontologie policière en mettant fin notamment aux contrôles au faciès qui creusent chaque jour un peu plus le fossé entre la police et la jeunesse.

M. Cardo se laisse aller à parler de laxisme. Tout notre effort doit porter sur la mise en oeuvre de sanctions systém atiques, rapides et proportionnées aux délits. Les tenants de la répression se prononcent en faveur de mesures spéctaculaires, mais qui laisseraient beaucoup de faits impunis en engorgeant le système judiciaire et carcéral.

Mme la garde des sceaux.

Absolument !

M. Patrick Braouezec.

Les décisions pour l'exemple sont la pire des choses. Elles développent un sentiment d'injustice légitime tout en favorisant l'idée d'arbitraire et d'impunité.

Parler de laxisme est démagogique, car ce n'est pas vrai. Pour la seule Seine-Saint-Denis, le taux d'incarcération des mineurs a été multiplié par quatre ces dernières années...

M. Michel Herbillon.

Encore la Seine-Saint-Denis ?

M. Jean-Antoine Leonetti.

Il va falloir une loi pour la Seine-Saint-Denis !

M. Guy Teissier.

Cela prouve en tout cas que cela marche mal !

M. Patrick Braouezec.

... ce qui prouve bien que la prison n'est pas la seule réponse, loin de là. En 1997, 3 600 jeunes ont été incarcérés et seulement 1 200 accueillis en foyer. Cette escalade signe l'échec de la répression, qui devient la meilleure école de la récidive.

J'en viens à un autre désaccord de fond au sujet de la suspension des allocations familiales. Le dispositif existant est déjà suffisamment lourd, plusieurs orateurs l'ont signalé. L'article 227-17 du code pénal...

M. Guy Teissier.

Il n'est pas appliqué !

M. Patrick Braouezec.

... permet déjà la mise sous tutelle des allocations familiales dans le cadre de l'assistance éducative. En cas de déscolarisation, la loi de 1954 autorise la suppression des allocations familiales.

M. Pierre Cardo, rapporteur.

Mais uniquement pour la déscolarisation.

M. Patrick Braouezec.

La suspension des allocations familiales en cas de délinquance d'un mineur pénalisera le reste de la famille et notamment les autres enfants.

M. Pierre Cardo, rapporteur.

Et les deux ans de prison prévus par le code pénal ?

M. Patrick Braouezec.

C'est une logique d'engrenage plutôt que de traitement. Autre chose est de poser la question de l'aide à l'exercice de la responsabilité.

Les choses ne sont pas si simples. Il ne faut pas négliger le lien étroit qui lie parents et enfants confrontés à des graves difficultés ou, à l'inverse, une autorité familiale basée sur la force verbale - et souvent corporelle. Bien des comportements que l'on met sur le dos de la démission parentale tiennent au fait que, une fois dehors, dans la société, les rapports ne sont plus régis par ce lien familial ou cette force physique, mais par un contrat social : mes droits et ceux d'autrui. Dans mon bureau, comme, je l'imagine, dans celui de M. Cardo ou d'autres élus locaux, les parents me disent : « A la maison, il est gentil », « A la maison, il file droit » ou : « Qu'est-ce que je peux faire ? ».

De surcroît, la suspension des prestations familiales et plus encore la caricature qu'en propose un maire, M. Raymond Couderc, du même parti que Pierre Cardo, qui entend supprimer les aides accordées par la commune aux familles de délinquants,...

M. Pierre Cardo, rapporteur.

Ce n'est pas ce que j'ai proposé !

M. Patrick Braouezec.

... sont des mesures de fichage et de discrimination sociale, qui frappent plus durement les pauvres. En rajouter dans l'injustice, ce serait alimenter la violence.

Il est également proposé que les prestations familiales suspendues soient reversées à l'établissement d'accueil du mineur ou aux victimes du ou des délits sanctionnés.

Cette disposition irait à l'encontre de la dimension éducative que doit avoir toute réparation. Une nouvelle fois, on déresponsabilise les jeunes et on dépossède les familles de leur rôle. Il faut, au contraire, développer les pratiques de médiation actuellement mises en oeuvre par les procureurs au travers des maisons de justice et du droit, ainsi que les travaux d'intérêt général.

Le législateur peut proposer des mesures de responsabilisation réelle et non de pénalisation de la responsabilité parentale. Pour que les parents puissent faire de leurs enfants des citoyens actifs et responsables, encore faut-il qu'eux-mêmes soient des citoyens à part entière.

De surcroît, les pôles d'accueil évoqués ne sont pas décrits avec précision. Nous connaissons les foyers, les dispositifs à encadrement renforcés, mais nous ne savons pas quel type de structures seraient concernées par ces pôles qui posent à nouveau la question des moyens.

Votre proposition laisse enfin à penser, monsieur Cardo, que la délinquance serait le seul fait des pauvres pour qui les prestations familiales représentent un véritable enjeu. Permettez-moi d'en douter. La grande délinquance aussi devrait aujourd'hui nous préoccuper.

On l'aura compris, le groupe communiste propose de repousser cette proposition de loi. Le débat qui a traversé la gauche peut permettre de sortir du sempiternel et stérile débat « prévention-répression ». Il n'est que temps de nous concentrer sur les moyens déployés dans ces deux domaines, sur l'aide à l'exercice de la responsabilité de chacun et sur la mobilisation des institutions. En ces matières, vous savez pouvoir compter, madame la garde des sceaux, sur la vigilance et la détermination des députés communistes. (Applaudissements sur les bancs du groupe communiste et du groupe socialiste.)

M. le président.

La parole est à M. Jean-Antoine Leonetti.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi qu'a déposée notre collègue Pierre Cardo a retenu toute l'attention et l'intérêt du groupe UDF, qui, évidemment, a lui aussi mené une réflexion sur ce sujet brûlant.

« La délinquance des mineurs est une réalité préoccupante dont les causes sont multiples. Si elle ne concerne qu'une faible partie des mineurs - ceux qui concentrent les plus grandes difficultés sociales, familiales et scolaires -, elle n'en connaît pas moins une réelle augmentation depuis 1993, marquée surtout par une aggravation des faits commis et un rajeunissement de leurs auteurs. » Ces propos ne sont pas de moi, mais du rap-

port de la mission interministérielle sur la prévention et le traitement de la délinquance des mineurs présenté en avril 1998 par Christine Lazerges et Jean-Pierre Balduyck.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 MARS 1999

Ainsi que le rappelait Pierre Cardo - est-il utile d'y insister tant il semble que le consensus sur le diagnostic soit pratiquement établi ? - 45 % des vols avec violence et plus de 15 % des atteintes aux moeurs ont été le fait de délinquants de moins de dix-huit ans dans l'année en cours. Dans le département des Alpes-Maritimes, qui pourrait apparaître relativement épargné vu de loin, la délinquance juvénile a augmenté de 26 % en une seule année.

A ce propos, le procureur de la République adjoint du tribunal de grande instance de Nice a déclaré : « Non seulement la délinquance juvénile progresse, mais elle s'aggrave. Les faits de violence sont de plus en plus nombreux, les délinquants de plus en plus jeunes et l'on a de plus en plus affaire à de véritables attitudes criminelles et à des délinquants multirécidivistes. »

Ainsi, les mineurs ont commis plus de la moitié des vols à la tire et des vols de deux-roues, 13 % des viols et agressions sexuelles, 18 % des infractions à la législation des stupéfiants, 14 % des vols à main armée, 36 % des vols avec violence, 30 % des cambriolages.

Les raisons de cette situation sont complexes. Elles sont cependant connues, mais l'importance respective des unes et des autres est diversement appréciée sur les bancs de l'Assemblée. Quoi qu'il en soit, la modification du fonctionnement traditionnel de la famille, souvent recomposée ou monoparentale, l'urbanisation inhumaine de nos banlieues, la montée du chômage et de la drogue, la mauvaise intégration d'une partie des enfants de l'immigration, mais aussi la perte de repères sociaux, culturels et éducatifs et des valeurs civiques, contribuent très certainement à engendrer la délinquance des mineurs.

Nous avons su et vu qu'au sein du Gouvernement luimême le débat s'était instauré. Vous appeliez, madame la garde des sceaux, les bancs de l'opposition à la cohérence ; or c'est sur les bancs de la majorité ou plus exactement du Gouvernement que nous avons remarqué, pendant quelque temps, une certaine incohérence...

Mme Dominique Gillot.

Ne racontez pas d'histoires ! Parlez-nous du texte !

M. Jean-Antoine Leonetti.

... et même, à un moment une véritable passe d'armes entre le ministère de l'intérieur et la chancellerie ; le Premier ministre a manifestement tranché au bout du compte en faveur de la seconde.

M. Jean-Pierre Blazy.

C'est faux ! Nous sommes pour la cohérence !

M. Bruno Le Roux.

Nous avons tranché en faveur de la cohérence et de la transversalité !

M. Jean-Antoine Leonetti.

Je sais bien que cela vous gêne, mais il n'en reste pas moins qu'un débat vous a opposés. Je ne reprendrai pas les phrases contradictoires prononcées par le ministre de l'intérieur et par Mme la garde des sceaux, mais vous pouvez vous y référer facilement.

Mme Catherine Tasca, présidente de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République.

Chez nous, on débat, monsieur Leonetti !

M. Jean-Antoine Leonetti.

Cette nouvelle délinquance juvénile est qualifiée, un peu facilement, de « délinquance d'exclusion » ou encore de « délinquance collective ». Elle résulte, comme on le sait, d'une crise de l'intégration sociale étudiée par les sociologues comme Bachmann, pour lequel la famille a perdu de son efficacité.

De ce fait, un nouveau mode d'intégration est apparu par le territoire. La famille perd son emprise, l'école voit sa légitimité contestée et le monde des institutions s'estompe petit à petit au profit de l'univers de la rue.

Le quartier, beaucoup plus que le milieu social, est ainsi devenu le vecteur principal de la socialisation, fonctionnant comme un réseau autonome, à l'origine d'un patriotisme de cité, d'une contre-culture hostile à la République perçue comme extérieure au territoire. Le problème est donc grave et profond.

Face à cette situation, la société a mal ou peu réagi.

Nous vivons pourtant, nous semble-t-il, dans une société éprise à l'excès de recherche de responsabilités pour quelque événement que ce soit, fût-il accident de montagne, accident dans une école, rupture d'un barrage, effondrement d'un toit, anomalie d'un trottoir... Or, paradoxalement, sitôt qu'il s'agit de la délinquance des mineurs, le p rincipe d'irresponsabilité, ou plutôt d'impunité, l'emporte, en tout cas dans le domaine du droit pénal - irresponsabilité bien entendu, du jeune lui-même, mais aussi de ses parents.

Faut-il, et là est le vrai débat, en chercher la cause dans la loi actuelle ? L'ordonnance de 1945, qui régit le traitement des mineurs délinquants, ne se trouve-t-elle pas aujourd'hui décalée par rapport à la réalité ? Elle prévoit que les mineurs reconnus coupables d'infractions pénales font l'objet de mesures de protection, d'assistance, de surveillance, d'éducation, tant et si bien qu'on voit mal où est la sanction. Mais, si on la lit de plus près, on constate qu'elle détermine également les conditions dans lesquelles des peines peuvent être prononcées : liberté surveillée, placement en centre ou en famille d'accueil, travaux d'intérêt général, prison même. Autant de mesures prévues par la législation actuelle à l'encontre des mineurs. La responsabilité pénale des parents peut également être mise en cause et les allocations supprimées en cas de nonscolarisation des enfants.

L'article 371-2 du code civil dispose bien que « l'autorité parentale appartient aux père et mère pour protéger l'enfant dans sa sécurité, sa santé et sa moralité. Ils ont à son égard droit et devoir de garde, de surveillance et d'éducation ». La loi a donc bel et bien prévu la méthode répressive.

L'irresponsabilité pénale du mineur délinquant et de ses parents n'est donc pas inscrite dans la loi, alors que l'impunité est constatée dans les faits. Un mineur délinquant sur dix seulement reçoit une sanction et les parents ne sont presque jamais sanctionnés. Cette indulgence ou ce laxisme trouvent bien sûr des justifications variées, et souvent d'ordre moral : le manque de moyens en matière de justice et d'éducation est évident, l'univers carcéral est dangereux pour le mineur, confronté soit aux murs de la prison, soit aux murs de la cité, et pour qui la prison n'est que l'école du crime. La sanction financière souvent évoquée peut, en s'exerçant à l'encontre de parents en difficulté, mettre en péril un équilibre familial fragile.

Mais alors, comment apaiser le sentiment d'injustice que produit chez la victime, souvent issue du même milieu, l'impunité de l'auteur du délit ? Permettez-moi de citer l'Ecclésiaste, puisque le groupe communiste se réfère volontiers à l'Evangile (Sourires)

:

« Pourquoi serais-je juste si je subis le même châtiment que le méchant ? » Pourquoi l'immense majorité des jeunes des quartiers, des pauvres, de ceux qui connaissent les plus grandes difficultés, qui subissent le plus la violence, continueraient-ils à faire confiance en la République s'ils subissent le même sort - et même pire, puisqu'ils ne tirent aucun bénéfice de l'opération -, que ceux qui se comportent mal ? Com-


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ment, contre qui se retourneront-ils si ni le mineur ni les parents ne sont coupables ? Comment rompre efficacement le cycle infernal irresponsabilité-impunité-récidive ? Comment, surtout, démontrer que le rapport entre le bénéfice espéré et le risque encouru par le jeune délinquant est meilleur sous la loi républicaine que sous la loi du quartier ? La lutte contre la délinquance des mineurs passe d'abord par l'implication de tous les responsables ; or parmi ces responsables, la mission interministérielle le dit bien, on trouve au premier rang les parents.

L a mission rappelle également que les parents demeurent investis de la responsabilités d'élever les enfants au titre de l'autorité parentale, envisage de créer une amende civile et de rendre obligatoire l'assurance responsabilité civile et même - ô surprise - de mettre en oeuvre des « procédures de suppression, suspension ou mise sous tutelle des prestations sociales ». Voilà qui n'est finalement pas si éloigné des propositions de M. Cardo...

Il me semble dont tout à fait normal que la proposition de loi de notre collègue prévoie la suspension des prestations familiales pour une durée qui d'ailleurs ne pourrait excéder plus de six mois, dans la droite ligne de ce que dispose déjà le code de la sécurité sociale en précisant que, dans le cas où les enfants donnant droit aux prestations familiales, sont élevés dans des conditions d'alimentation, de logement et d'hygiène manifestement défectueuses, ou lorsque le montant des prestations n'est pas employé dans l'intérêt des enfants, le juge des enfants peut ordonner que ces prestations soient versées en tout ou partie à un tuteur. Il en est d'ailleurs de même pour les allocations d'aide sociale. La mission interministérielle propose d'ailleurs de vérifier systématiquement, dès lors qu'un mineur commet des actes de délinquance, si les prestations familiales sont utilisées dans l'intérêt de l'enfant.

Accorder au juge pour enfant - dénommé plus justement juge des mineurs - une autre possibilité de suspendre pour un délai assez limité les prestations familiales ne me paraît donc pas foncièrement révolutionnaire ou nocif, mais, au contraire, relever du bon sens dès lors que cette mesure est utilisée avec discernement. Que prévoit la loi aujourd'hui pour les parents défaillants ? Deux ans de prison ! Comment peut-on s'émouvoir d'une suspension temporaire, réfléchie, ciblée et nuancée de la suspension des allocations familiales en la décrivant comme une mesure particulièrement violente et discriminatoire et préférer maintenir en l'état une loi qui peut mettre des parents en prison pendant deux ans ?

M. Pierre Cardo, rapporteur.

Sans parler des amendes !

M. Jean-Antoine Leonetti.

Et que deviennent alors leurs enfants ? On ne peut ignorer du reste que, à côté des familles

« dépassées » auxquelles il faut porter assistance et des familles démissionnaires qu'il faut « reparentaliser », il y a des familles complices qui utilisent des « petites mains » pour commettre sans risque des crimes et des délits. Je peux vous en citer un exemple très récent : la semaine dernière, dans les Alpes-Maritimes, une demi-douzaine d'auteurs de vols avec violence ont été interpellés. Dans les quarante-huit heures, leurs jeunes frères se sont présentés en se dénonçant comme les auteurs du délit. On avait fort bien compris qu'un mineur mis en examen risquait beaucoup moins que son grand frère ! C'est dire à quel point la loi peut devenir perverse, surtout quand elle n'est pas appliquée.

M. Robert Pandraud.

C'est une spécialité albanaise !

M. Jean-Antoine Leonetti.

Par ailleurs, dans une période où la personnalité de l'enfant se structure, où il a besoin de repères, l'absence totale de sanctions apparaît comme un signal particulièrement négatif de la part de l'autorité familiale comme de la société tout entière.

Par ailleurs, peut-on refuser au maire qui, toujours en première ligne, chacun le sait, dès lors qu'il s'agit de délinquance de proximité, d'interdire sur tout ou partie du territoire de sa commune la circulation des mineurs de moins de treize ans non accompagnés ? Qui pourrait prétendre qu'une telle mesure n'est pas édictée pour la propre sécurité des enfants, pour leur propre sauvegarde morale, de façon à ne pas les laisser à eux-mêmes ou, pis, pris en main par des bandes organisées de délinquants plus âgés ?

M. Jean de Gaulle.

Tout à fait !

M. Jean-Antoine Leonetti.

Liberté d'aller et venir, me répond-on. Mais liberté de quoi faire ? Un enfant de quatre ou cinq ans qui se promène dans les rues à trois heures du matin, quelle est sa liberté ? C'est la liberté d'aller et venir des loups libres dans les bergeries libres que vous nous proposez.

La jurisprudence administrative n'ayant pas cru bon de donner ce pouvoir au maire, il est devenu urgent de légiférer en la matière.

Un des intérêts de ce toilettage de l'ordonnance de 1945 tient au fait que le pouvoir de police du maire serait confronté, associé au pouvoir du juge pour une application équilibrée de la loi. Bien sûr, d'aucuns pourraient critiquer le placement pour une durée limitée dans une structure d'accueil. Celle-ci n'est pas un établissement pénitentiaire ni même l'équivalent des centres de placement immédiat dont le Premier ministre a décidé la création le 27 janvier dernier. Mais, quelles que soient les propositions, on voit bien qu'il est nécessaire d'envisager des structures d'accueil propres à éloigner, dans leur intérêt, les jeunes délinquants des milieux propices à la récidive. En fait, les dispositions de la proposition de loi de M. Cardo sont bien moins sévères que ce qu'a proposé

M. le Premier ministre.

A notre sens, cette proposition de loi va dans la direction d'une progressive modification de la fameuse ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante et que notre collègue propose justement de qualifier de

« relative à l'enfance en danger et aux mineurs délinquants ».

Nous ne demandons pas d'abolir ce texte ni de le refonder totalement, mais seulement de le retoucher.

Certes, les mesures aujourd'hui proposées ne sont que partielles et devraient s'inscrire dans un plan d'ensemble plus vaste. Elles ont cependant le mérite de répondre directement à des préoccupations concrètes et vécues.

Enfant coupable-enfant victime, telle est la dualité du jeune délinquant qui utilise la violence en même temps qu'il la subit et qui perçoit l'absence de sanctions comme une violence supplémentaire.

Oublier que la sanction est éducative, c'est nier le rôle de l'autorité parentale et de la République. La République qui ne punit pas ses enfants lorsqu'ils commettent des actes répréhensibles les ignore, les méprise, les abandonne.

Les jugerions-nous à ce point irrécupérables que nous ne nous donnions même pas la peine d'essayer d'en faire des citoyens et de les intégrer à la société ?


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Aurions-nous si peu confiance dans notre modèle républicain que nous acceptions qu'une partie de notre jeunesse puisse ne plus se reconnaître dans les valeurs de la République ? Croyons-nous si peu à la famille que nous soyons prêts à renoncer à faire des parents les premiers acteurs et les premiers responsables de leurs enfants ? Aucune solution miracle ne peut être proposée de manière isolée, et des moyens nouveaux doivent très certainement être trouvés pour sanctionner tout acte délictuel, en évaluant de manière mesurée la responsabilité des mineurs et des parents.

L'enjeu est d'importance, le chantier ambitieux. Il s'agit tout simplement de rendre aux parents leurs responsabilités et de ne pas désespérer de notre jeunesse.

Et, bien qu'ayant dépassé mon temps de parole, je me permettrai de citer le philosophe grec, Platon, qui disait...

M. Jean-Pierre Blazy.

Déjà !

M. Jean-Antoine Leonetti.

... que lorsque les pères s'habituent à laisser faire leurs enfants, lorsque les fils ne tiennent plus compte des paroles des pères, lorsque les maîtres tremblent devant leurs élèves et préfèrent les flatter, lorsque les jeunes méprisent les lois parce qu'ils ne reconnaissent plus au-dessus d'eux l'autorité de rien ni de personne, alors c'est là, en toute beauté et en toute jeunesse, le début de la tyrannie.

(Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie françaiseAlliance, groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à M. Bruno Le Roux.

M. Bruno Le Roux.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le problème n'est pas nouveau. Que la représentation nationale débatte aujourd'hui des moyens à mettre en place pour mieux prévenir le phénomène délinquant est légitime.

Que ce débat ait lieu à l'initiative de Pierre Cardo, auteur et premier signataire de la proposition, dans le cadre de l'ordre du jour complémentaire, est cohérent : nous savons que sa préoccupation en la matière n'est pas soudaine et nous savons aussi - et je le sais personnellement pour avoir beaucoup débattu avec lui ces dernières années - que son implication sur ces questions est sincère. Nous devons donc penser que sa préoccupation, aujourd'hui, est d'ouvrir un débat pour que les diverses p ositions s'expriment. Je m'inscris alors dans cette démarche.

Mais prenons d'abord la précaution de rappeler ce qui a présidé à la publication de l'ordonnance de 1945.

Le contexte de la guerre a profondément bouleversé l'ordre matériel et moral de la société, provoquant une augmentation de la délinquance juvénile. En fixant un régime pénal spécifique aux mineurs, le gouvernement provisoire de la République a affirmé sa volonté de protéger efficacement l'enfance délinquante.

L'ordonnance de 1945 a ainsi énoncé trois principes essentiels, fondement du droit pénal des mineurs.

En premier lieu, elle consacre l'unité du traitement judiciaire pour les mineurs : ainsi, qu'il s'agisse d'un crime, d'un délit ou d'une contravention, les mineurs sont jugés par des juridictions spéciales. C'est, à n'en pas douter, un gage de la continuité de l'action publique à leur égard : le même juge a la double mission de protéger et de sanctionner les infractions pénales.

En deuxième lieu, elle affirme clairement la primauté des mesures de protection et d'éducation des mineurs sur les mesures de répression.

Enfin, elle consacre une individualisation poussée des mesures, qui se traduit par la mise en place d'une gamme diversifiée de placements et la possibilité de réviser à tout moment la mesure ordonnée.

La prise en compte de l'évolution du contexte a permis que le texte d'origine soit plusieurs fois adapté sans que son inspiration première soit remise en cause. Et nous devons considérer aujourd'hui que c'est tout à l'honneur de nos prédécesseurs que d'avoir su se garder des tentations du tout-répressif - et de tous nos prédécesseurs, de quelques bancs que naissaient ces tentations - et d'avoir chaque fois réfléchi sur le maintien du triptyque prévention-sanction-réinsertion.

Qu'attend-on de nous aujourd'hui ? Il faut d'abord avoir l'honnêteté de mettre en évidence un certain nombre de tendances lourdes de la délinquance, juvénile, et cela sans complaisance.

L'évolution à la hausse des faits de délinquance se poursuit depuis vingt ans dans un contexte social dégradé où chômage et perte de vitesse du modèle familial accentuent la distorsion entre sentiment de relégation et exigences liées à la nécessaire insertion.

Le nombre de mineurs impliqués dans des crimes et délits augmente, ce qui n'est malheureusement pas nouveau. En outre, et bien qu'aucune évaluation d'ensemble n'ait été menée, il apparaît que les mineurs impliqués sont de plus en plus jeunes.

L'évolution n'est pas aussi alarmante que certains voudraient le faire croire : les données brutes des statistiques sont parfois trompeuses. En effet, l'aggravation supposée de l'année 1998 constitue la suite logique des circulaires du garde des sceaux qui appellent à un signalement systématique des mineurs aux parquets. Or l'enregistrement par la police ou la gendarmerie nationales n'a lieu que s'il y a transmission au parquet. Mécaniquement, donc, la transmission systématique implique une augmentation des chiffres. En conséquence, toute évaluation est rendue difficile : si la politique pénale est plus rigoureuse, les statistiques marquent un mouvement à la hausse ! Et même si elles induisent mécaniquement une augmentation des chiffres, je me félicite de ces instructions rigoureuses, madame la garde des sceaux, car elles permettront la réussite des actions que vous menez, que nous menons ensemble.

Autre tendance : le taux de réitération augmente, ce qui signifie que le nombre de mises en cause par mineur au cours d'une année augmente, ce qui est un phénomène récent. Cela signifie aussi qu'il n'y a pas un accroissement du nombre de mineurs présumés délinquants proportionnel au nombre de mises en cause : un noyau dur de jeunes est entré dans la spirale de la délinquance et multiplie son activité.

Depuis plus de dix ans, en outre, on constate un déplacement de la délinquance juvénile vers des infractions qui sont plus violentes - les vols et délits contre les personnes connaissent une nette accélération - et plus

« expressives » - toxicomanie, destructions et dégradations de biens publics ou privés.

Enfin, je voudrais rappeler que l'analyse des orientations lourdes révèle que, depuis vingt ans, l'entrée dans la délinquance correspond de plus en plus à un processus de socialisation parallèle. Pour le jeune en manque de repères familiaux, éducatifs et sociaux, et à qui la voie

« normale » de la socialisation paraît inaccessible, le passage à l'acte est synonyme de reconnaissance par ceux du groupe, par ceux de la cité. Dans le même temps, le seuil de tolérance de la population a atteint ses limites car les


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 MARS 1999

premières victimes de cette délinquance sont paradoxalement les habitants des quartiers où se concentrent les noyaux difficiles.

M. Robert Galley.

Eh oui !

M. Bruno Le Roux.

Or, la sécurité est un bien public, elle est un droit, un droit pour tous, y compris les plus défavorisés. L'assurer est une question de justice sociale.

Ces tendances et le sentiment d'insécurité qu'elles alimentent chez le reste de la population amènent certains à s'interroger sur l'opportunité de remettre en cause les principes qui fondent notre justice des mineurs. Des années d'exaspération de la population devant les limites de la prise en charge des jeunes poussent à cette remise en cause.

Pourtant, la conception qui inspire notre droit est, à bien des égards, en avance sur celle d'autres pays. Elle repose sur l'idée que la délinquance chez le jeune est d'abord le résultat d'un manque éducatif, d'une carence du soutien familial et d'une fragilité spécifique du mineur. L'évolution de la société accentue d'ailleurs ces manques.

De surcroît, remettre en cause la légitimité d'un traitement spécifique du mineur délinquant, c'est accepter la dérive vers la banalisation sécuritaire.

Mais c'est vrai, d'autres l'ont fait : le gouvernement de Tony Blair a adopté, dès son arrivée aux affaires, uneo rientation nettement répressive en choisissant, par exemple, de revenir sur la présomption d'irresponsabilité des mineurs de quatorze ans, en instaurant des couvrefeux ou en supprimant les allocations familiales au motif de la délinquance d'un mineur. Cette nouvelle politique n'a, pour l'instant - et je prenais encore des renseignements hier pour m'en assurer - pas permis de constater un renversement de tendance en matière de délinquance des mineurs. Or ces mesures sont plutôt d'ordre conjoncturel et ne peuvent entraîner d'effet qu'à court terme. Si elles n'ont pas encore produit de résultats, elles n'en produiront pas demain.

Pour notre part, nous refusons de nous laisser aller à cette facilité ainsi qu'à celle qui consisterait à laisser les choses lentement dériver, ainsi qu'elles l'ont fait ces dernières années. C'est pour cette raison que, dès son discours de politique générale, Le Premier ministre a fait de la sécurité un thème prioritaire de l'action du Gouvernement.

M. Jacques Myard.

On en voit le résultat !

M. Bruno Le Roux.

La question de la délinquance des jeunes a très rapidement mobilisé les réflexions au sein du Gouvernement, de la police et de la justice.

M. Jacques Myard.

C'est sur le terrain qu'il faut agir !

M. Bruno Le Roux.

Donner une réponse systématique et appropriée à tous les faits de délinquance a été érigé en principe politique. Jamais personne ne l'avait fait. Aucun responsable n'avait eu le courage de le dire clairement.

Mme Dominique Gillot.

Très bien !

M. Jacques Myard.

Vous le dites, mais vous ne le faites pas !

M. Bruno Le Roux.

Je parle de courage parce que cela nécessite une profonde réforme dans nos fonctionnements.

M. Jacques Myard.

Chez les socialistes !

M. Bruno Le Roux.

Personne ne l'avait dit, ni chez nous, ni chez vous ! Vous prônez dans vos discours la sanction et l'emprisonnement. Mais c'est à la notion de sanction appropriée qu'il faut réfléchir. C'est se montrer fort que de mettre en avant cette notion.

Une mission interministérielle a rapidement été confiée à deux collègues, Christine Lazerges et Jean-Pierre Balduyck.

M. Jacques Myard.

Les suites ?

M. Bruno Le Roux.

En portant un regard sans complaisance, mais lucide, sur la situation, et en réalisant la synthèse des travaux récemment menés sur le sujet, nos collègues ont alimenté la source des mesures annoncées par le Gouvernement et progressivement mises en place.

M. Robert Pandraud.

Ce sont les mesures prises qui nous intéressent !

M. Bruno Le Roux.

Je n'entrerai pas dans le détail des mesures préconisées. Plusieurs axes de travail ont été dégagés.

Dans une logique de prévention, la mobilisation des acteurs de la socialisation que sont les familles et l'éducation nationale est fortement recommandée, mais aussi celle des départements. Et puisqu'on veut créer des commissions d'enquête, peut-être faudrait-il précisément examiner comment les départements aident les collectivités locales.

M. Jean-Pierre Blazy.

Très insuffisamment !

M. Bruno Le Roux.

... et relaient la politique définie par l'Etat. On constaterait très certainement de grands manques, auxquels on pourrait trouver des explications politiques. Pour ma part, je suis prêt à cette enquête, pour savoir comment ce que nous disons ici est traduit concrètement par les responsables politiques des conseils généraux.

Dans une logique de fermeté, Christine Lazerges et Jean-Pierre Balduyck ont préconisé le renouvellement des réponses de la police et de la justice à la délinquance des mineurs et une spécialisation plus marquée des personnels de la police et de la gendarmerie nationale, en même temps qu'une implication accentuée dans la prévention.

Il faut aussi - c'est essentiel - « bousculer le fonctionnement de la justice des mineurs », afin que toutes les possibilités offertes par le droit en vigueur soient mises en oeuvre. Appliquer pleinement l'ordonnance de 1945 est fixé aujourd'hui comme un objectif en soi. Cela peut paraître commun, c'est en fait nouveau que de s'en donner les moyens.

Le gouvernement de Lionel Jospin s'est depuis quelques mois clairement engagé dans cette voie.

La démarche retenue est à la fois pragmatique et exhaustive : elle s'attache aussi bien à la question de la prévention qu'à celle du traitement de la délinquance des mineurs. Surtout, le problème est appréhendé dans sa globalité et n'est pas considéré indépendamment de l'évolution de la société et des ruptures qu'elle provoque : chômage, précarité, exclusion.

La politique de sécurité menée est, dès lors, indissociable de celles menées par Claude Bartolone à la ville, par Louis Besson pour le logement social, par Martine Aubry pour l'intégration et l'emploi, par Claude Allègre pour l'éducation.

M. Michel Herbillon.

Quel tableau d'honneur ! Mme Nicole Feidt C'est la vérité !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 MARS 1999

M. Jacques Myard.

Parler, mais ne rien faire !

M. Bruno Le Roux.

Nous avons fait de cette question une priorité de l'action gouvernementale et non pas un thème revenant de façon récurrente dans le débat.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jacques Myard.

Ce n'est pas ce que vous faites !

M. Bruno Le Roux.

Aujourd'hui, plusieurs ministres sont en première ligne pour régler les problèmes. Ça aussi, c'est totalement novateur ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Tout à l'heure, nous parlions de Jean-Pierre Chevènement et d'Elisabeth Guigou. Je souhaitais leur associer tous les autres parce qu'ils apportent leur pierre à l'édifice.

M. Jacques Myard.

Allez-vous énumérer tous les ministres ?

M. Bruno Le Roux.

D'ailleurs, la tenue de conseils de sécurité intérieure le montre bien : ceux du 8 juin 1998 et du 27 janvier 1999 ont décidé une batterie de mesures permettant à la politique que nous mettons en oeuvre de franchir une nouvelle étape. Des moyens nouveaux ont été débloqués et se mettent progressivement en place.

M. Robert Pandraud.

Allez voir les DDASS, les magistrats ! Ça marche très mal sur le plan local !

M. Bruno Le Roux.

Cette politique s'articule autour d'orientations d'où transparaît toujours la logique de proximité placée au coeur de notre action : présence accrue de la police, mais aussi de la justice, efficacité renforcée de la réponse judiciaire aux actes de délinquance, protection de l'école.

M. Robert Pandraud.

Avez-vous vu l'amélioration, en Seine-Saint-Denis ?

M. Bruno Le Roux.

Mais oui, monsieur Pandraud, j'ai constaté une amélioration dans les villes où l'on a décidé de se retrousser les manches...

Mme Raymonde Le Texier.

Bravo !

M. Robert Pandraud.

Je vous parle des services de l'Etat !

M. Bruno Le Roux.

... pas dans celles où l'on a décidé de se croiser les bras et d'attendre que le Gouvernement réussisse ou qu'il perde. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

Voilà ce que l'on peut constater aussi sur le terrain !

M. Jacques Myard.

Jusqu'à nouvel ordre, la justice est une fonction régalienne de l'Etat, monsieur Le Roux !

M. Bruno Le Roux.

Quand on passe son temps à réclamer des commissions d'enquête, on ne peut pas être présent dans sa ville ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jacques Myard.

On ne vous a pas attendu pour faire de la prévention !

M. le président.

Ne vous laissez pas interrompre, monsieur Le Roux !

M. Bruno Le Roux.

Nous allons donc assurer une présence effective de la police et de la justice dans les quartiers, avec la création de nouvelles maisons de justice, l'implication de tous les acteurs publics, les contrats locaux de sécurité.

M. Jacques Myard.

C'est du pipeau !

M. Bruno Le Roux.

Ceux qui étaient à Montpellier la semaine dernière ont bien vu que les contrats locaux de sécurité, ce n'était pas du pipeau ! Ils ont bien vu que les élus locaux prenaient des initiatives.

M. Jacques Myard.

Tous les magistrats sont contre les maisons de justice dans les quartiers !

M. Bruno Le Roux.

Au lieu de dire aux maires de prendre des arrêtés municipaux, dont on sait très bien qu'ils auront beaucoup de difficultés à les faire respecter,...

M. Jacques Myard.

Les contrats locaux de sécurité, idem !

M. Bruno Le Roux.

... demandons leur ce qu'ils font.

Organisons des assises locales avec ces élus qui ont des idées pour prendre en charge l'absentéisme scolaire, par exemple, pour s'occuper des mineurs en difficulté.

M. Jacques Myard.

Discourons, discourons ! (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mme Raymonde Le Texier.

C'est tout ce que vous savez faire, vous, monsieur Myard !

M. le président.

Mes chers collègues, un peu de calme ! Vous aurez l'occasion de vous exprimer dans la suite de la discussion.

Seul M. Le Roux a la parole.

M. Bruno Le Roux.

On s'apercevra que beaucoup d'élus, aujourd'hui, ne ressentent pas le besoin de signer des arrêtés. Ils préféreraient pouvoir mettre en place des dispositifs locaux. Et Claude Bartolone - ce n'est pas Pierre Cardo qui me démentira - donne aux communes des moyens nouveaux permettant un accompagnement de ces dispositif.

C'est pourquoi, madame la garde des sceaux, il faut que vous militiez au sein du Gouvernement pour une vraie redistribution des richesses entre les collectivités locales, parce que c'est le meilleur moyen d'accompagner votre politique dans les villes qui souffrent le plus.

Je ne fais qu'évoquer l'amélioration nécessaire de l'efficacité de la réponse judiciaire et la préservation de l'école.

Vous le voyez, mes chers collègues, le Gouvernement est loin d'être inactif, et vous n'avez donc aucune raison de lui intenter un procès en inaction. Le choix de ne pas remettre en cause les principes de l'ordonnance de 1945 et de la législation spécifique des mineurs part du constat simple que l'arsenal juridique existe, qu'il n'a pas été suffisamment utilisé et que, si l'ordonnance souffre d'une insuffisance, c'est d'une insuffisance d'application.

Cette remise en cause est d'autant moins à l'ordre du jour que la modernité du dispositif est certaine. L'Assemblée générale des Nations unies n'a-t-elle pas érigé, en 1985, en principe fondamental « la nécessité d'établir, dans chaque pays, une série de lois, règles et dispositions expressément applicables aux délinquants juvéniles et des institutions et organismes chargés de l'administration de la justice pour les mineurs » ?

M. Robert Pandraud.

Elle ferait mieux de s'occuper du Kosovo !

M. Bruno Le Roux.

En conclusion, je ne citerai pas Platon. Je n'ai pas beaucoup parlé, Pierre Cardo non plus d'ailleurs, de la proposition de loi, texte à l'emportepièce, qui me semble dangereux. Nous étions là davantage pour provoquer le débat que pour discuter sur les articles.

M. Jacques Myard.

C'est un aveu !


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 MARS 1999

M. Bruno Le Roux.

Le rapporteur a annoncé ce choix dès le début ! Au reste, si nous avions disséqué le texte article par article, le débat aurait perdu en sérénité car il aurait été pollué par des « principes » qui ne sauraient convenir en la matière.

M. Robert Pandraud.

Ne deviez-vous pas parler de la Seine-Saint-Denis ?

M. Bruno Le Roux.

Je terminerai en affichant une position très claire sur ceux qui proposent la suppression des allocations familiales. Et pour ce faire, je citerai des sociologues avec qui j'ai travaillé et qui l'expriment mieux que moi.

« Quels buts poursuivent-ils ? Souhaitent-ils démontrer que notre société ne compte pas seulement des inclus et des exclus, comme on dit, mais aussi des êtres achevés, d'un côté, et des êtres inachevés, de l'autre ? [...] Assez frustes pour que ce chantage ait l'effet souhaité. Les parents de gosses violents sont ainsi présentés comme des gens simples. Cette proposition contient un sous-entendu effrayant. Des gens simples ne sont pas seulement des gens dépourvus de capital financier, scolaire, social, etc.

Ils forment aussi une curieuse humanité. Alors que les classes moyennes et supérieures remplissent les cabinets des psys pour tenter de démêler l'écheveau des relations familiales qui leur a causé des bleus à l'âme, il suffirait de menacer de supprimer les allocs pour que d'autres parents, miraculeusement, retrouvent de l'autorité ? Parce que des élus ont besoin de prouver, dans l'urgence, à leurs électeurs qu'ils contrôlent la situation, les parents sont sommés, dans la même urgence, de devenir de bons parents. »

Les postulats qui sont derrière le débat sur la suppression des allocations familiales m'effraient, parce qu'ils sont ce qui masque le plus notre impuissance et notre échec.

M. Christian Estrosi.

60 % de délinquants en plus !

M. Bruno Le Roux.

Madame la garde des sceaux, l'action résolue que vous menez doit permettre de placer les élus, et non pas le seul Gouvernement, tous les élus - non pas seulement les élus locaux - devant leurs responsabilités. Ils peuvent tous contribuer à la réussite.

Je ne comprendrais pas qu'après que tant d'initiatives courageuses ont été prises, après que le Premier ministre a accordé des moyens supplémentaires, nous n'attendions pas, au moins jusqu'aux prochaines élections, de voir si cela marche avant de nous demander ce qu'il conviendrait de faire après ! (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

M. le président.

La parole est à M. Michel Herbillon.

M. Michel Herbillon.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, s'il y a un point qui fera l'objet d'un consensus ce matin, c'est bien, hélas ! le caractère préoccupant, voire alarmant, de l'évolution de la délinquance des mineurs dans notre pays : en vingtcinq ans, la part des mineurs délinquants a plus que doublé, passant de 10 % en 1972 à 22 % en 1998 !

Mme Dominique Gillot.

Celle des adultes aussi !

M. Michel Herbillon.

Impliqués dans 60 % des vols de deux-roues, les mineurs sont surtout responsables de 45 % des vols avec violence et de plus d'un tiers des destructions et dégradations de biens.

Nous ne pouvons laisser perdurer cette situation.

L'ampleur prise par ce phénomène et la vitesse à laquelle la violence s'est répandue chez les mineurs ces dernières années exigent une réponse ferme, adaptée, en un mot pragmatique.

Les mesures annoncées à grands renforts médiatiques par le Premier ministre à l'issue du conseil de sécurité intérieure du 27 janvier dernier ne sont pas de nature, je le crains, à juguler ce phénomène. Même si le Gouvernement finit un jour par nous indiquer comment il entend financer le catalogue des mesures présentées par Lionel Jospin, celles-ci ne pourront avoir qu'un impact limité sur la délinquance des mineurs.

Il est évident que des moyens supplémentaires doivent être affectés aujourd'hui à la police, à la justice et à l'é ducation afin de canaliser la dérive à laquelle nous assistons.

Mais ces moyens supplémentaires seront utilisés en pure perte si, dans le même temps, notre société n'appréhende pas différemment le phénomène de la délinquance des mineurs.

Il faut avant tout aujourd'hui mettre fin au discours et à la logique d'irresponsabilité généralisée auxquels nous sommes confrontés lorsque se pose le cas de mineurs délinquants. Ce n'est pas leur faute, nous dit-on, puisqu'ils sont mineurs. Ce n'est pas non plus la faute de leurs parents, rajoute-t-on le plus souvent, puisqu'ils sont dans une situation sociale difficile !

Mme Raymonde Le Texier.

Caricature !

M. Michel Herbillon.

Et comme il faut bien trouver un responsable, c'est finalement la société que l'on met en cause. C'est-à-dire vous, moi, tout le monde, et donc personne en particulier. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Mes chers collègues, c'est ce type de raisonnement, lequel consiste en une dilution permanente de la responsabilité, qui nous a conduits là où nous sommes aujourd'hui.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Tout à fait !

M. Michel Herbillon.

Même le Premier ministre a finalement été conduit à reconnaître « les limites des explications sociologiques à la délinquance ». Il était temps, et il n'est, bien sûr, pas interdit à de récents convertis de devenir des entreprenants actifs.

Il ne s'agit pas de nier que notre société a une part der esponsabilité évidente à assumer dans la situation actuelle, ne serait-ce que parce qu'elle n'a pas su enrayer le chômage de masse ni mener durant des années une politique d'urbanisme raisonnable.

Mais il convient aussi de rappeler avec force que l'Etat de droit ne peut durablement fonctionner que si chacun est responsable des actes qu'il commet et en répond lorsque c'est nécessaire. Or, trop souvent, tel n'est pas le cas aujourd'hui pour les mineurs délinquants. La délinquance des mineurs se nourrit en effet dans notre pays de l'impunité dont jouissent les jeunes auteurs d'actes de violence.

Qui n'a jamais entendu des victimes de vols ou d'agressions raconter, alors que le mineur qui les avait attaquées avait été appréhendé, comment celui-ci était venu quelques jours plus tard les narguer, voire les menacer ? Les maires que nous sommes, toutes sensibilités politiques confondues, entendons sans cesse ce type de récit dans nos permanences de la part des victimes de violences.

Si la réalité est telle, c'est non seulement parce que les moyens manquent pour exécuter les sentences lorsqu'elles sont prononcées, mais aussi et surtout parce que le dispositif juridique, en l'occurrence l'ordonnance de 1945, ne permet pas de répondre de façon adaptée au type de délinquance actuelle, plus jeune, plus massive et plus violente qu'auparavant.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 MARS 1999

Cette impunité constitue une injustice flagrante - choquante, devrais-je-dire - et représente un formidable terreau pour les discours les plus extrémistes, à laquelle il convient résolument de mettre fin. C'est l'intérêt de notre société. C'est ce que les victimes sont légitimement en droit d'attendre. Et c'est aussi un service à rendre aux mineurs eux-mêmes. Car l'impunité momentanée dont ils bénéficient en raison de leur âge les prive non seulement des repères nécessaires pour juger de ce qui est bien et de ce qui est mal, mais les laisse par ailleurs s'engager sans s'en rendre compte dans une spirale de violence à laquelle ils ne pourront se soustraire et qui est une voie sans issue.

Irresponsabilité et impunité : voilà les deux maux auxquels la proposition de loi qui est présentée aujourd'hui par l'ensemble des députés du groupe Démocratie libérale et qui a été initiée par notre collègue Pierre Cardo tente de répondre.

J'ai entendu certains députés de la majorité plurielle s'élever contre les mesures proposées dans ce texte, les jugeant trop répressives. Je trouve cette attitude franchement surprenante, pour ne pas dire un peu hypocrite.

Comment, en effet, s'alarmer de l'évolution de la délinquance des mineurs, reconnaître qu'il faut enrayer rapidement ce phénomène et, dans le même temps, rejeter une p roposition de loi dont les principales dispositions recherchent un équilibre entre la prévention et la répression ?

M. Bruno Le Roux.

Il suffit d'être meilleur que Cardo ! (Sourires.)

M. Michel Herbillon.

Comment peut-on à la fois, quand on est élu et donc responsable, juger anormal que des enfants puissent errer seuls, dans les rues la nuit et ne pas soutenir des dispositions qui visent à la fois à protéger ces enfants et à responsabiliser leurs parents, y compris en prévoyant des sanctions financières en cas de récidive ?

Mme Dominique Gillot.

La responsabilité, c'est ramener les enfants chez eux !

M. Michel Herbillon.

Vous dites, madame la ministre, que cela met en cause la liberté de circulation. Mais c'est l'insécurité et la délinquance qui mettent en cause nos libertés publiques. La sécurité est un droit qui conditionne l'exercice de toutes les autres libertés publiques.

Q u'y a-t-il de choquant, lorsqu'un mineur est convaincu d'avoir commis une infraction, à ce que le versement des prestations familiales puisse être suspendu dans de strictes conditions juridiques, après examen au cas par cas par le juge des enfants, au profit de la personne ou de l'établissement amené à accueillir ce jeune ? Dois-je d'ailleurs rappeler à mes collègues socialistes que cette possibilité de suspendre ou de mettre sous tutelle les allocations familiales était, il n'y a pas si longtemps, soutenue entre autres par le ministre de l'intérieur, Jean-Pierre Chevènement, et par certains maires membres du parti socialiste ?

M. Jean-Antoine Leonetti.

Très juste !

M. Michel Herbillon.

Cette menace de suspension, telle qu'elle est prévue dans la proposition de loi de notre collège Pierre Cardo, a d'ailleurs un caractère autant préventif que répressif, car la menace de sanction a aussi une v aleur éducative, comme l'a rappelé récemment le ministre de l'intérieur à Montpellier.

Mme Nicole Feidt.

Qui aime bien châtie bien !

M. Michel Herbillon.

Je pourrais continuer à décliner les dispositions que ce texte propose d'introduire dans notre législation, y compris en ce qui concerne la réforme de l'ordonnance de 1945, et montrer qu'il n'y a en vérité dans cette proposition de loi que des mesures de bon sens, soutenues par une majorité de Français qui sont las du décalage entre les discours lénifiants sur la sécurité et l'absence d'une véritable politique se donnant les moyens de répondre à la montée de la délinquance.

Mme Dominique Gillot.

Caricature !

M. Michel Herbillon.

Adopter cette proposition de loi constituerait l'occasion pour la représentation nationale d'adresser un signal clair à l'ensemble de nos compatriotes.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Les socialistes ne veulent pas !

Mme Dominique Gillot.

Ce serait un signal d'exclusion !

M. Michel Herbillon.

Cela leur prouverait que la majorité plurielle sait faire autre chose en matière de sécurité que de réunir des colloques, des états généraux et des tables rondes. (Vives protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Nicolas Forissier.

C'est la vérité !

M. Jacques Myard.

Des assises locales !

Mme Dominique Gillot.

La réflexion collective, vous ne connaissez pas ?

M. Michel Herbillon.

Nos compatriotes pourraient même croire que la prise de conscience et la prétendue révolution culturelle que vivrait actuellement la majorité plurielle en ce domaine pourraient être autre chose que l'habillage des ambitions électorales du Premier ministre et des membres de son gouvernement. (Protestations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Jean-Antoine Leonetti.

Cela vous énerve parce que c'est la vérité ! M. Nicolas Forissier. Très juste !

Mme Dominique Gillot.

C'est hors sujet !

M. Michel Herbillon.

Alors, mes chers collègues de la majorité, saisissez la chance qui s'offre à vous (Rires et exclamations sur les bancs du groupe socialiste) et adoptez avec nous le texte équilibré qui nous est aujourd'hui présenté.

M. Jean de Gaulle et M. Nicolas Forissier. Très bien !

M. Michel Herbillon.

En le faisant, vous rendrez service aux enfants en danger (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), et au bord de l'errance sociale (Même mouvements).

Mme Dominique Gillot.

Ah oui, sûrement !

M. Michel Herbillon.

Vous rendrez service aux parents qui n'arrivent plus à exercer l'autorité parentale face à leurs enfants de plus en plus violents.

Mme Dominique Gillot.

En les punissant ?

M. Michel Herbillon.

En adoptant ce texte, mes chers collègues de la majorité, vous rendrez confiance à nos compatriotes...

Mme Dominique Gillot.

Et voilà !

M. Michel Herbillon.

... qui doutent de plus en plus de la capacité du Gouvernement...

M. Nicolas Forissier.

Et pour cause !

M. Michel Herbillon.

... à enrayer la montée de la délinquance.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 MARS 1999

Plusieurs députés du groupe socialiste.

C'est faux !

M. Bruno Le Roux.

Et vous rendrez service à Madelin et à Tiberi !

M. le président.

La parole est à M. Christian Estrosi.

M. Christian Estrosi.

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante, le gouvernement abordait déjà les thèmes qui, aujourd'hui, sont au coeur de nos préoccupations.

Quel est à ce jour le constat ? L'insécurité est présente partout, les explosions de violence sont quotidiennes, et pas seulement dans les banlieues, le racket à l'école est désormais monnaie courante.

Les jeunes qui s'y adonnent, ou qui y sont soumis, font tous les jours les premières pages des journaux et seront demain privés d'avenir, alors qu'ils sont déjà privés de famille, de repères, au sein d'un contexte économique et social totalement dégradé.

Il est de notre devoir de comprendre ces phénomènes intimement liés à notre société moderne, d'en analyser la croissance ininterrompue et de proposer des solutions propres à répondre à la dérive de ces mineurs, car n'oublions pas que les mineurs d'aujourd'hui sont, malgré tout, la richesse de notre société, la richesse de la France de demain.

Bien entendu, personne ne peut répondre à cette immense problématique par de simples dispositions législatives et réglementaires, mais il est de notre devoir d'ouvrir un grand débat de société sur ces questions. Il n'est que temps, car il en va de l'avenir de notre pays.

Nous n'apporterons pas aujourd'hui de réponse définitive au délicat problème de la délinquance juvénile, car, pour cela, il nous faudrait aller beaucoup plus loin, mais, pourtant, nous faisons un premier pas qui nous rapproche un peu plus du but à atteindre.

Nous devons tous nous battre pour cette cause et pour que notre société soit mieux préparée à aborder et à régler les problèmes de la délinquance juvénile.

Alors que le Gouvernement affaiblit la chaîne sécuritaire en France. (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste...)

Mme Dominique Gillot.

Quelle mauvaise foi !

M. Christian Estrosi.

... en condamnant les polices municipales à des tâches subalternes (Protestations sur les bancs du groupe socialistes) et en étant incapable d'organiser la présence des forces de police et de gendarmerie - selon un rapport récent, sur les 113 000 membres des forces de l'ordre, seuls 5 000 occupent le terrain -, alors que Mme Guigou et M. Chevènement, dans leur grande cacophonie, rendent chaque jour nos frontières plus perméables (Nouvelles protestations sur les bancs du groupe socialiste) , et alors que le Premier ministre envoie sans cesse des signaux à ceux qui seraient tentés par la clandestinité dans l'espoir d'une régularisation rapide,...

M. Jean-Pierre Blazy.

Quelle confusion ! Vous mélangez tout !

Mme Dominique Gillot.

Hors sujet !

M. Christian Estrosi.

... nous, nous disons que la France connaît déjà assez de difficultés et qu'il est temps d'y répondre de manière positive et dynamique.

J'ai, pour ma part, comme d'autres ici, déposé une proposition de loi instituant un système d'allocations familiales à points. Celle-ci visait précisément à répondre à la hausse constante de la délinquance et au constat simple d'un accroissement d'environ 10 % par an du nombre de mineurs impliqués dans les affaires judiciaires.

Cet état de fait s'accélérant, et ce quel que soit le type de délits ou de crimes, il nous avait semblé opportun d'y répondre de manière forte. Les prestations familiales étant la traduction de l'effort de la nation envers les parents pour les aider à élever leurs enfants afin de préparer l'avenir de la France, il nous apparaissait envisageable de sanctionner ceux des parents qui démissionnent de leurs responsabilités.

Les allocations familiales représentent, il faut le rappeler, une contribution de l'Etat de près de 69 milliards de francs par an et les Français sont en droit, à travers l'Etat, d'exiger des parents un certain nombre de conditions au versement de ces prestations.

Au lieu de cela, le Gouvernement s'est lancé dans des attaques scandaleuses envers les familles (Exclamations sur les bancs du groupe socialiste), leur supprimant entre autres, au passage, une partie de l'allocation de garde d'enfants à domicile.

(Mêmes mouvements.)

En ce qui concerne les allocations familiales, le Gouvernement est tout de même revenu à de meilleurs sentiments envers les familles françaises.

La présente proposition de loi va dans le bon sens, celui de la protection de nos enfants.

En réglant le problème grave des mineurs errant dans les rues à des heures tardives, il me semble que nous remettrions quelque peu ces jeunes dans le droit chemin, et, avec eux, leurs parents.

Grâce à ce texte, un maire pourrait donc interdire dans sa commune, entre vingt-deux heures et six heures, la circulation des mineurs non accompagnés d'adultes : ceux d'entre eux qui ne respecteraient pas cette disposition et qui seraient arrêtés par la police seraient remis à leurs parents. En cas de récidive, le juge pour enfant pourrait prononcer la suspension des prestations familiales afin de responsabiliser les parents à leurs missions éducatives.

Les élus de tous bords ne peuvent qu'être favorables aux dispositions prévues par ce texte.

(« Non ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

En tout cas, ceux qui sont conscients des réalités de terrain et qui vivent au quotidien les conséquences d'une délinquance des mineurs de plus en plus précoces ne peuvent que voter ce texte ! En conclusion, mes chers collègues, il nous fraudrait aller beaucoup plus loin et prévoir un degré de tolérance zéro, des mesures d'internement immédiates et efficaces pour certains récidivistes.

(Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

Nous devrions responsabiliser davantage les parents : si chaque fois qu'un enfant porte atteinte à l'édifice public, au bien d'autrui, à l'intégrité physique des personnes, les parents sont sanctionnés, ces derniers commenceront à s'intéresser de plus près à l'éducation de leurs enfants.

Oui, nous devons lutter contre ce fléau qu'est la délinquance des mineurs. Il faut que notre société y réponde au plus vite. Les propositions qui ont été faites aujourd'hui vont dans ce sens, et un gouvernement qui seraitr esponsable et raisonnable ne pourrait s'y opposer.

(Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

La parole est à Mme Nicole Feidt.

Mme Nicole Feidt.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, la proposition de loi qui vise à modifier l'ordonnance de 1945 aura au


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 MARS 1999

moins eu un mérite, celui de nous permettre de débattre en séance publique d'un sujet qui nous préoccupe tous, puisqu'il s'agit de l'enfance en danger et des mineurs délinquants.

L'ordonnance de 1945 est tout de même mal connue, et parfois mal appliquée. Nombre de ses dispositions fondamentales sont ignorées non seulement par les nonprofessionnels, mais encore par de nombreux acteurs sociaux. L'application qui en est faite relève que même des magistrats semblent quelquefois ignorer les très larges possibilités qu'offre cette ordonnance.

Mais si, comme vous le dites, monsieur le rapporteur, le nombre de plus en plus élevé de jeunes impliqués dans des infractions et celui des mineurs de plus en plus jeunes mis en cause dans des faits extrêmement graves sont préoccupants et traduisent la profondeur du mal, cela ne doit pas nous laisser croire pour autant que rien n'est fait et que la solution miracle résiderait dans la répression.

J'ai eu l'impression, en lisant le rapport, qu'après avoir découvert la légitimité de l'acte de punir, vous cherchiez des critères pour caractériser la juste peine : il faut reconnaître les bons moments pour châtier et les bonnes et les mauvaises manières de punir.

Mme Raymonde Le Texier.

Très juste !

Mme Nicole Feidt.

Vos propositions d'ordre préventif me semblent, monsieur le rapporteur, porter les germes d'un système révolu, celui de l'éducation par la punition : on pénalise les parents et les enfants.

Pour reprendre la trame de votre démarche, je constate que, dans les dispositions que vous préconisez, en particulier dans l'article 1er , vous ne distinguez pas l'enfance en danger de l'enfance délinquante.

Les enfants qui fréquentent l'école peuvent être en danger, l'école étant confrontée à une série de défis qu'elle n'est pas sûre de pouvoir résoudre. Une mère seule en difficulté peut avoir un enfant en danger du fait de cette situation difficile. Les familles désunies présentent également un risque. Les jeunes confrontés au mal de vivre, isolés, peuvent céder à la toxicomanie.

Ces jeunes sont en grand danger mais ce ne sont pas forcément des délinquants. Les dispositions préconisées à l'article 1er ne peuvent donc être les mêmes ; certains services peuvent s'occuper des enfants en danger, d'autres des mineurs délinquants.

J'avais fait remarquer à Mme la garde des sceaux, lors de la discussion du budget de la justice, que la protection judiciaire de la jeunesse participait peu à l'action de protection de l'enfance, celle-ci étant pour l'essentiel assurée par l'aide sociale à l'enfance des conseils généraux - mais une meilleure coordination a été organisée.

Un enfant en danger court un grand risque de devenir plus tard un délinquant. Il est donc nécessaire d'établir des liens entre les institutions.

Dans le volet prévention, vous préconisez, monsieur le rapporteur, de responsabiliser les parents par la suppression des allocations familiales. Cette suppression aurait un effet très stigmatisant sur la responsabilité parentale. Il me semble préférable d'affirmer davantage le rôle des parents et d'insister sur la prévention en milieu ouvert, car ces solutions ont fait leurs preuves.

La suppression des allocations familiales aux familles en difficulté obligerait celles-ci à chercher des aides financières : CCAS et allocations mensuelles de protection de l'enfance, coûteuses pour les collectivités, dont certaines n'auront pas les moyens. Cette suppression renforcerait l'assistanat. Pis encore : elle risquerait d'inciter à des conduites délictueuses.

Il faut laisser à ces prestations leur caractère de droit commun et continuer à les lier au respect de l'obligation scolaire, ce qui favorise l'acquisition des apprentissages fondamentaux.

J'en viens à la liberté de sortir le soir. Dans certaines régions, qui bénéficient d'un climat très favorable,...

M. Jean-Pierre Blazy.

Les Alpes-Maritimes, par exemple ! (Sourires.)

Mme Nicole Feidt.

... les sorties le soir font partie de la vie des enfants, et les enfants présents dans les tribunes ne me contrediront pas.

M. Jean Besson.

Le soir, ce n'est pas la nuit !

M. Jean-Antoine Leonetti.

Il faut que les jeunes soient accompagnés par leurs parents !

Mme Nicole Feidt.

Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de mettre un gendarme derrière chaque enfant.

Enfin, les dispositions pénales contenues dans la proposition de loi sont dangereuses. En droit pénal, c'est le statut des mineurs qui a toujours été le phare du statut des majeurs, et non l'inverse. Ainsi, à un moment où l'on cherche à mieux contrôler la garde à vue et la détention provisoire des majeurs, il serait aberrant de durcir le régime des mineurs, et Mme la ministre a d'ailleurs insisté sur ce point.

M. Laurent Dominati.

Alors, il ne faut rien faire ?

Mme Nicole Feidt.

Mes dernières remarques porteront sur le rôle que vous entendez laisser au juge des enfants.

Il ne lui serait plus possible d'ordonner des mesures conformes à l'intérêt même de l'enfant. Vous réduisez son champ d'intervention, ainsi que celui du juge d'instruction en cas de mise en examen.

Par conséquent, monsieur le rapporteur, je ne vois guère ce que nous pourrions garder de cette proposition.

M. Jean Besson.

Tout va bien !

M. Laurent Dominati.

Ça baigne !

Mme Nicole Feidt.

L'action de protection des mineurs, très difficile, doit être valorisée. Les services impliqués - DDASS, certains conseils généraux, police - sont très dévoués. Je le concède : des dysfonctionnements existent, mais ils se posent non pas en termes juridiques,...

M. Christian Estrosi.

Allez dire cela aux électeurs !

M. Laurent Dominati.

Ils se posent en termes de volonté politique !

Mme Nicole Feidt.

... mais en termes de prise en charge effective.

Si l'on tient compte des mesures que vous avez annoncées, madame la ministre, l'ordonnance de 1945 est un texte adapté, qui offre de grandes possibilités pour promouvoir des politiques départementales et nationales permettant d'assurer ce qui nous est le plus cher : l'avenir des jeunes de notre pays.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe radical, citoyen et vert.)

M. le président.

La parole est à M. Jacques Myard.

M. Jacques Myard.

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, j'avais proposé de créer une commission d'enquête sur la délinquance des mineurs. La majorité a commis la faute de repousser cette proposition, sans doute parce qu'elle se sentait un peu coupable, et même beaucoup.


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 MARS 1999

Mon objectif était de faire la lumière sur ce qui se passe dans le pays, publiquement, devant les caméras de télévision. On aurait sans doute alors constaté les dysfonctionnements de l'appareil judiciaire et policier, et l'insuffisance de la réponse que nous donnons à la délinquance juvénile. Je reconnais cependant que sur le terrain beaucoup d'éducateurs font un travail en profondeur, qu'il convient de souligner. (« Très bien ! » sur les bancs du groupe socialiste.)

Le constat est donc contrasté.

Que faut-il faire ? Prévenir ? Oui.

Mme Nicole Feidt.

Prévenir, c'est guérir !

M. Jacques Myard.

Eduquer ? Oui. Mais aussi réhabiliter la sanction, c'est évident.

Les instituteurs de Jean Jaurès, ceux qui ont créé la République, le savaient, eux qui n'hésitaient pas à appliquer la sanction proportionnée.

Notre collègue Cardo propose un certain nombre de mesures qui, semble-t-il, vont dans le bon sens. C'est la raison pour laquelle je les approuve, même si, je ne le cache pas, je suis nuancé sur la question de la suppression des allocations familiales. Il n'y a pas une seule réponse.

Il appartient au juge de juger et de déterminer ce qui doit être fait, mais le principe même de la suppression ne peut pas être rejeté, comme l'a fait la gauche, au motif que ce serait une infamie. Ce n'est pas le cas.

M. Laurent Dominati.

C'est la loi !

M. Bruno Le Roux.

Restons-en à la loi !

M. Laurent Dominati.

Mais appliquons-la !

M. Jacques Myard.

Réhabiliter la sanction, ce n'est pas, dans mon esprit, proposer obligatoirement la prison pour les mineurs. Nous savons pertinemment que ce n'est pas la réponse appropriée, sauf, bien évidemment, dans les cas extrêmement graves. D'ailleurs, la justice se prononce parfois en ce sens.

Je voudrais appeler votre attention, madame la garde des sceaux, sur une initiative qui a été prise il y a quelques années par l'amiral Brac de La Perrière. Celui-ci a créé les centres Jeunes en équipes de travail au nombre de, aujourd'hui, quatre : La Souchère, Agnetz, Le Vigeant et Fort-Borraux. Malheureusement, ils sont de petite taille et ne sont pas assez nombreux. Il me semble que c'est vers cette formule que nous devons nous orienter. J'espère que vous lui consacré la totalité des moyens dont vous disposez ou que vous allez demander au ministre des finances, car les moyens actuels ne me semblent pas assez importants. Mais il faut prévoir une gradation et, dans certains cas, ne pas hésiter à créer des centres que je qualifierai de disciplinaires, insistant sur le travail, l'éducation et l'instruction civique, car c'est la réponse appropriée à un certain type de délinquance.

Je conclurai très rapidement en rappelant le dicton :

« Qui aime bien châtie bien ! » (Applaudissements sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépéndants. - Exclamations sur les bancs du groupe socialiste.)

M. le président.

La discussion générale est close.

Suspension et reprise de la séance

M. le président.

La séance est suspendue pour quelques minutes.

(La séance, suspendue à onze heures cinquante, est reprise à douze heures.)

M. le président.

La séance est reprise.

La parole est à M. le rapporteur.

M. Pierre Cardo.

rapporteur.

Madame la garde des sceaux, mes chers collègues, je remercie chacun pour la qualité du débat. Sur l'analyse, nous sommes quasiment tous d'accord, et il est rare de constater un tel consensus sur un sujet aussi délicat.

On note en revanche un profond désaccord en ce qui concerne les réponses susceptibles de régler le problème.

Cela n'est pas pour me surpendre. Je ne reprendrai pas les interventions des différents orateurs, mais j'ai entendu dire à plusieurs reprises que la prévention avait fait ses preuves. Je rappelle cependant que la prévention vise non pas à guérir mais à éviter. Les chiffres publiés dans mon rapport et la vérité que nous observons tous les jours dans les quartiers et bien au-delà montrent au contraire qu'il serait imprudent de se contenter de cette affirmation.

Je crois que, dans de nombreux endroits, on peut faire confiance aux élus locaux et aux collectivités territoriales, en particulier aux départements, même si l'on note certaines carences dans les politiques menées, car ils ont tenté de nombreuses expériences, depuis des années, face à la montée de la violence, de l'exclusion et de la délinquance.

Certains ont affirmé qu'il fallait se contenter d'appliquer la loi, mais l'ordonnance de 1945, qui a été l'objet de notre discussion, n'est manifestement pas entièrement ou correctement appliquée. C'est pourquoi il m'a paru évident qu'il appartenait au législateur de la modifier afin de préciser comment nous souhaitions qu'elle soit interprétée et appliquée sur le terrain.

Je ne reviendrai pas sur le détail du texte, qui a été analysé. Comme l'a dit Jacques Myard : « Qui aime bien châtie bien. » La sanction fait bien partie de l'éducation.

Elle peut être positive ou négative. Une société qui ne sait plus sanctionner ses enfants les aime-t-elle vraiment ?

M. Jacques Myard.

Bonne question ! M. Pierre Cardo rapporteur.

Une société qui confond liberté de circuler et abandon à soi-même est-elle digne du respect de ceux qu'elle prétend protéger ? Je vous invite à y réfléchir avant le vote. (Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

La parole est à Mme la garde des sceaux.

Mme la garde des sceaux.

A la fin de cette discussion générale, je ne ferai que quelques brèves remarques, puisque j'ai déjà dit l'essentiel tout à l'heure.

Le problème de l'impunité, qui vous soucie tant, ne sera pas résolu par cette fuite en avant que constitue trop souvent le recours à la loi. Vous avez modifié l'ordonnance de 1945 en 1996, on voit le résultat. C'est par une action résolue, patiente, sur le terrain, que nous parviendrons à régler ce problème et c'est à cela que nous nous employons. Il faut responsabiliser tous les acteurs. A cet égard, je remercie Bruno Le Roux d'avoir lui aussi mis l'accent sur la responsabilité des conseils généraux et Nicole Feidt d'avoir souligné que, lorsque la concertation se passait mieux, on faisait des progrès. Cela me préoccupe beaucoup. En complément d'information, je vous livrerai deux chiffres : 110 000 mesures d'assistance éducative judiciaire du côté de l'Etat, c'est à dire de la protection judiciaire de la jeunesse ; 8 000 mesures administratives du côté des conseils généraux. La disproportion


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 MARS 1999

est trop grande. Si les conseils généraux faisaient un peu plus de prévention, nous aurions sans doute moins de mesures de protection judiciaire de la jeunesse. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste, du groupe communiste et du groupe Radical, Citoyen et Vert.)

Avec l'Assocation des présidents de conseils généraux, nous avons engagé un travail visant à identifier ce qui marche et ce qui ne marche pas. En dehors de l'effort croissant qui doit être fait, il y a aussi des procédures à remettre en marche. Nous devons mieux coordonner et mieux organiser sur le terrain l'action de l'ensemble des services concernés - j'insiste sur ce point - parce que même nos services décentralisés ont, hélas, perdu l'habitude d'aller dans les quartiers. Je le constate tous les jours dans mon travail d'élue et je supppose que vous aussi.

C'est à cela que nous devons nous atteler et, Patrick Braouezec l'a très bien dit tout à l'heure, nous n'avons pas besoin de mesures spectaculaires, de frapper les imaginations et les esprits. Ce qu'il faut, c'est une action continue.

A ces messieurs de l'opposition qui sont intervenus à plusieurs reprises pour dire qu'il fallait agir et ne pas se contenter de mots, je réponds : chiche ! Vous vous êtes précipités dans une fuite en avant en vous réfugiant dans la loi et vous n'avez rien fait ! (Protestations sur les bancs du groupe du Rassemblement pour la République, du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.) Aujourd'hui, ce gouvernement mène l'action et lui consacre les moyens qu'il faut.

M. Jacques Myard.

Regardez les statistiques ! Vous avez la mémoire sélective !

Mme la garde des sceaux.

Nous avons créé un nombre de postes sans précédent et nous engageons l'action sur le terrain, contrairement à vous dont les incantations, les « hélas ! hélas ! » ne poursuivent, je le crains, qu'un but politicien. (Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

M. Christian Estrosi.

L'échec gouvernemental est patent !

Mme la garde des sceaux.

A ceux qui ont évoqué la question des parents, je veux dire qu'il faut bien distinguer les parents démissionnaires et les parents dépassés.

Les parents complices des trafics de leurs enfants sont durement sanctionnés par le code pénal...

M. Jean-Antoine Leonetti.

Par le code pénal, mais pas dans la réalité !

Mme la garde des sceaux.

... et il faut mettre un terme à cette idée fausse selon laquelle l'action répressive n'existerait pas. Non seulement elle existe, mais elle est en augmentation constante.

Par conséquent, c'est aussi ailleurs qu'il faut chercher des solutions. Je ne dis pas qu'il faille éliminer la répression. Au contraire, j'ai toujours pensé qu'il fallait allier prévention et sanction et que la sanction faisait partie de l'éducation. Mais nous devons précisément essayer de sortir de ces oppositions factices qui n'ont aucun lien avec la réalité.

M. de Gaulle a parlé des mains courantes. Dans le cadre de cette action de terrain, nous devons chercher à savoir comment fonctionne la police de proximité. Dans les Hauts-de-Seine, notamment, des conventions ont ainsi été signées entre la Protection judiciaire de la jeunesse et le préfet pour l'exploitation des mains courantes par la protection judiciaire de la jeunesse. Cela devrait permettre des améliorations concrètes.

Je voudrais terminer en remerciant M. Hascoët d'avoir abordé le douloureux problème du suicide des jeunes et de leur rapport à la mort. On ne le fait pas assez. Nous avons engagé avec le ministère de la santé un travail de réflexion sur la souffrance psychique des jeunes pour définir comment mieux la détecter et surtout mieux intervenir. C'est un sujet dont on a peu parlé ce matin, mais la prise en charge psychiatrique de ces jeunes est insuffisante. Ils n'ont souvent rien à faire dans nos structures répressives ou éducatives et auraient besoin d'une meilleure prise en charge psychiatrique.

Voilà ! Notre action est patiente, résolue. Elle s'inscrit dans la durée, associant tous les acteurs, sur le terrain, par opposition à des mesures spectaculaires qui ne résoudront rien...

M. Laurent Dominati.

Tout va bien ! Ne changeons rien !

Mme la garde des sceaux.

... et qui ne sont d'ailleurs ni comprises ni demandées par nos concitoyens, qui ont bien compris que le problème était ailleurs.

M. Pierre Lellouche.

Les Français connaissent votre bilan, madame Guigou !

Mme la garde des sceaux.

C'est pourquoi, malgré toute l'estime que je porte à M. Cardo, qui est très impliqué sur le terrain, et à son action, je vous demande de repousser cette proposition de loi.

(Applaudissements sur les bancs du groupe socialiste.)

2 RAPPEL AU RÈGLEMENT

M. Robert Pandraud.

Je demande la parole pour un rappel au règlement.

M. le président.

La parole est à M. Robert Pandraud, pour un rappel au règlement.

M. Robert Pandraud.

Aux termes de l'article 35 de la Constitution « La déclaration de guerre est autorisée par le Parlement » et, selon l'article 131 de notre règlement,

« Les autorisations prévues aux articles 35 et 36 de la Constitution ne peuvent résulter, en ce qui concerne l'Assemblée nationale, que d'un vote sur un texte exprès d'initiative gouvernementale se référant auxdits articles ».

Je voudrais donc savoir, monsieur le président, comment la conférence des présidents a appliqué ces textes et comment va être organisé le débat de demain matin.

M. Jacques Myard.

Il a raison !

M. le président.

Monsieur le député, la conférence des présidents a décidé ce débat aurait lieu demain matin en p résence de M. le Premier ministre, à partir de onze heures.

M. Robert Pandraud.

Y aura-t-il un vote ? N'y aura-t-il qu'un orateur par groupe ?


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ASSEMBLÉE NATIONALE - 1re SÉANCE DU 25 MARS 1999

M. le président.

Ce sera un débat sans vote, avec un orateur par groupe, chacun disposant de vingt-minutes.

M. Jacques Myard.

Mettez le Parlement en vacances !

M. Robert Pandraud.

C'est une parodie ! 3

ENFANCE EN DANGER ET MINEURS DÉLINQUANTS Reprise de la discussion d'une proposition de loi

M. le président.

Nous reprenons la discussion de la proposition de loi de M. Pierre Cardo et plusieurs de ses collègues relative à l'enfance en danger et aux mineurs délinquants (nos 1403, 1472).

Vote sur le passage à la discussion des articles

M. le président.

La commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République n'ayant pas présenté de conclusions, l'Assemblée, conformément à l'article 94, alinéa 3, du règlement, est appelée à statuer sur le passage à la discussion des articles du texte initial de la proposition de loi.

Conformément aux dispositions du même article du règlement, si l'Assemblée vote contre le passage à la discussion des articles, la proposition de loi ne sera pas adoptée.

Dans les explications de vote sur le passage à la discussion des articles, la parole est à M. Robert Galley, pour le groupe du Rassemblement pour la République.

M. Robert Galley.

Lorsque nous avons éprouvé la nécessité d'analyser les causes de l'exclusion, nous avons c réé un groupe réunissant M. le ministre Besson, Mme Geneniève de Gaulle-Anthonioz, et nous avons fait appel à un homme spécialisé dans ces questions : Pierre Cardo. Le travail de ce conseil national de lutte contre l'exclusion a très clairement montré que le phénomène de l'exclusion des adultes était bien souvent précédé d'une phase de désocialisation des mineurs. Plus récemment, M. Michel Destot, président du Conseil national des missions locales, a réuni à Grenoble les présidents de missions locales et il est apparu très clairement qu'il était important que les mineurs prennent l'habitude de respecter les règles de vie en société sans quoi aucune intégration n'était possible. En particulier, il a été clairement mis en évidence que l'absence de relation pour les jeunes entre leur travail et les ressources dont ils disposent conduisait inévitablement à une marginalisation.

Voilà pourquoi, comme mes collègues du Rassemblement pour la République, j'ai suivi avec beaucoup d'attention la discussion de la proposition de loi présentée par M. Pierre Cardo. Elle propose des voies pour lutter c ontre cette délinquance qui - nous l'avons tous reconnu - affecte la vie en société en France et compromet de plus en plus la sécurité de nos concitoyens.

Ce débat m'inspire un double constat. D'abord, personne n'a discuté l'augmentation de la délinquance ni les chiffres figurant dans l'exposé des motifs de la proposition de loi : en 1998, 45 % des vols avec violence et plus de 15 % des atteintes aux moeurs ont été le fait de délinquants de moins de dix-huit ans.

Ensuite, tout le monde a été d'accord pour dire qu'il était impossible de s'en tenir à des discours, à des colloques, à l'élaboration de nouvelles règles, et qu'il fallait agir. M. Cardo, comme d'autres d'ailleurs, propose certaines voies pour cela. Bien sûr, personne ne peut dire, et lui moins que quiconque - je le connaîs bien -, qu'elles permettront de régler radicalement le problème. Toutefois, elles peuvent permettre de stopper la progression de la délinquance des mineurs, qui risque de transformer notre société en une jungle abominable.

Voilà pourquoi les députés du groupe RPR estiment qu'il est très important de discuter des articles. Cela nous permettra en effet d'exprimer nos différences, et nous en avons - j'en ai moi-même avec Pierre Cardo sur le problème des allocations familiales. La question est suffisamment importante pour que nous y consacrions encore de nombreuses heures. Je vous demande donc, madame la garde des sceaux, d'user de votre influence pour que nous puissions poursuivre ce débat.

M. Jacques Myard.

Très bien !

M. le président.

Pour le groupe Démocratie libérale et Indépendants, la parole est à M. Michel Herbillon.

M. Michel Herbillon.

Les intervenants ont été nombreux à souligner l'intérêt de la proposition de loi de Pierre Cardo, en particulier parce qu'elle permettait d'ouvrir un débat. Ce débat, il faut évidemment le poursuivre. On ne peut s'en tenir à la discussion générale. Le groupe Démocratie libérale et Indépendants souhaite donc que l'on passe maintenant à l'examen des articles de cette proposition de loi. Cela permettra d'approfondir les dispositifs proposés, et surtout de faire pièce aux présentations caricaturales de nos propositions auxquelles se sont livrés certains orateurs.

Tout le monde le sait, il existe de profonds désaccords au sein même du Gouvernement et de la majorité plurielle sur ce problème de la délinquance des mineurs, et il ne faut pas hésiter à les mettre sur la table. Or si vous refusez le passage à la disccusion des articles de ce texte, madame la garde des sceaux, c'est précisément pour ne pas mettre en lumière ces désaccords profonds qui existent entre vous et le ministre de l'intérieur, notamment, et au sein même de la majorité plurielle, sur certaines propositions de M. Cardo.

M. Bruno Le Roux.

Fantasme !

M. Michel Herbillon.

Mais nos compatriotes sont lassés des colloques, des états généraux, des réunions et des discours sur la sécurité et la délinquance. Ils attendent des mesures concrètes, et désespèrent de les voir venir.

Cette proposition de loi, soutenue par l'opposition, réalise un équilibre entre la prévention et la répression.

Elle vise à mettre un terme à l'irresponsabilité généralisée et à l'impunité, les deux fléaux que notre collègue veut combattre. Nous souhaitons donc aborder la discussion des articles pour redonner enfin confiance à nos compatriotes qui doutent de plus en plus de la capacité du Gouvernement à enrayer la montée de la délinquance.

(Applaudissements sur les bancs du groupe Démocratie libérale et Indépendants, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance.)

M. le président.

Pour le groupe de l'Union pour la démocratie française-Alliance, le parole est à M. JeanAntoine Leonetti.

M. Jean-Antoine Leonetti.

Nous n'avons pas la même conception du débat politicien, madame la garde des sceaux. Le débat politicien, il ne se tient pas dans l'hémi-


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cycle. Lorsque l'opposition demande que le débat soit poursuivi, approfondi, lorsque nous reconnaissons que le problème est complexe, que nous ne sommes pas obligatoirement d'accord avec toutes les propositions de notre collègue Cardo, mais que cette proposition de loi a le mérite de permettre à la représentation nationale de confronter ses positions, de mesurer l'équilibre à réaliser entre la répression et la dissuasion, la sanction et la prévention, nous sommes dans notre rôle. Les débats politiciens se tiennent à l'extérieur, dans des colloques à grand renfort de médiatisation où l'on s'agite en manifestant de bonnes intentions qui ne se traduisent pas concrètement pour protéger les plus faibles, les plus fragiles.

Vous avez un peu démagogiquement évoqué le problème du suicide des jeunes, madame la garde des sceaux.

C'est un phénomène qui progresse, c'est vrai, particulièrement dans les banlieues. Mais vous êtes-vous demandé qui étaient ces jeunes qui se suicident ? Les statistiques montrent très clairement que ce ne sont pas des délinquants et l'on peut se demander si ce ne sont pas plutôt les jeunes victimes d'une délinquance impunie.

La question qui se pose aujourd'hui est la suivante : l'ordonnance de 1945 est-elle adaptée ? Le problème n'est pas de savoir si elle est trop ou pas assez répressive car, vous l'avez noté avec moi, la prison pour les parents et les enfants est prévue par cette ordonnance et par la loi. Et nous sommes tous d'accord pour reconnaître que la prison ne répond ni au problème des mineurs délinquants ni à celui des parents démissionnaires, voire complices.

La proposition de Pierre Cardo n'apporterait, bien entendu, qu'une réponse partielle. Il le reconnaît. Mais elle a le mérite d'ouvrir le débat et de permettre de réfléchir concrètement à la façon pour l'Etat républicain de reconquérir, par petites touches, les banlieues et les cités.

Il est donc indispensable de passer à la discussion des articles. Les faits sont têtus. La situation s'aggrave. Vous êtes au pouvoir, madame la garde des sceaux. Vous avez dit « chiche » ! Eh bien, discutons-en ! (Applaudissements sur les bancs du groupe de l'Union pour la démocratie franç aise-Alliance, du groupe du Rassemblement pour la République et du groupe Démocratie libérale et Indépendants.)

M. le président.

Personne ne demande plus la parole ?...

Je mets aux voix le passage à la discussion des articles de la proposition de loi.

(L'Assemblée décide de ne pas passer à la discussion des articles.)

M. le président.

L'Assemblée ayant décidé de ne pas passer à la discussion des articles, la proposition de loi n'est pas adoptée.

4

ORDRE DU JOUR

DES PROCHAINES SÉANCES

M. le président.

Cet après-midi, à quinze heures, deuxième séance publique : Suite de la discussion du projet de loi, no 1079, renforçant la protection de la présomption d'innocence et les droits des victimes : Mme Christine Lazerges, rapporteur au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République (rapport no 1468).

A vingt et une heures, troisième séance publique : Suite de l'ordre du jour de la deuxième séance.

La séance est levée.

(La séance est levée à douze heures vingt.)

L e Directeur du service du compte rendu intégral de l'Assemblée nationale,

JEAN PINCHOT